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Publié le 28 septembre 2019 dans : Le mot du jour, Villes

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Un récent reportage (1), diffusé au public et donc tout à fait professionnel, vient de se payer
une belle tranche de (fausse) étymologie, en racontant la légende (heureusement) de Dame
Carcas, figure historique à laquelle la ville de Carcassonne devrait son nom. Nulle critique
envers cette belle idée, sauf qu’évidemment l’origine réelle du mot n’a rien à voir avec le
conte; néanmoins, le procédé illustre assez bien les fréquents ‘fantasmes’ en la matière!

Si donc vous avez raté ce brillant ‘sujet’, sachez qu’il se dit que, pour défendre sa cité du
blocus entrepris par les troupes de Charlemagne, cette fière…sarrazine fit jeter un porc bien
nourri du haut des remparts, persuadant ainsi les assaillants des réserves de nourritures
disponibles et les incitant à lever le camp. Du coup, Dame Carcas (ça tombe bien, mais ça ne
veut rien dire en arabe!) aurait pris un cor pour…sonner la victoire, et donc, forcément,
Carcas…sonne (2).

Comme osait le dire un citoyen interviewé, la dame est bien dans l’air du temps puisqu’elle
fut la première à littéralement pratiquer le « balance ton porc » (on suppose avec des gants,
pour une sarrazine); voilà un autre exemple de la façon dont on peut s’accommoder des (jeux
de) mots pour créer des rumeurs (fake news, en français) au sujet des noms, de lieux ou de
famille…

Bon…Plus sérieusement, Carcassonne a connu des appellations aux orthographes diverses,


depuis les premières mentions en latin (‘Carcasso’, époque Jules César) en passant par le
berbère pendant le Califat arabe (‘Qarqshona’, 8 siècles plus tard). La question est donc de
savoir si ce sont les ‘occupants’ venus du Maghreb qui ont importé l’une de leurs racines, ou
si un son antérieur circulait déjà dans la région, ce qui, par défaut, semble être le cas.

‘Kar-kasso’, en phonétique, pourrait se rattacher au phonème (au son) fréquemment utilisé


auparavant dans les dialectes dits pré-indo-européens (bien avant le latin, le gaulois, ou a-
fortiori le français) pour désigner une pierre. Pas un caillou mais une grosse pierre, soit,
souvent, une montagne. Parmi de nombreux autres termes, et avec une influence plus
gutturale, ce sera l’origine du nom du fleuve qui coule depuis la montagne, la ‘kar-onne’,
devenue Garonne bien sûr.
On est moins sûr de la seconde partie du mot (-kasso), certains en faisant un simple ‘locatif’
(la marque d’un nom de lieu), d’autres y voyant un lien avec le ‘cassou’ ou casse occitan,
c’est-à-dire l’un des mots désignant le chêne. Dans ce dernier cas, ne resterait plus qu’à faire
un lien -logique, si possible- entre le type de sol (ou de murs) de la ville et sa végétation…

En tout état de cause, Carcasso, tout comme Arcasso (future Arcachon), témoignent d’une
forme intégrée et successivement transmise par le celte puis le gaulois, pour arriver à la
version actuelle. Au mieux, en tout cas au plus près, le sens de Carcassonne pourrait renvoyer
à un site pierreux (on ne prend pas trop de risques, vue la topographie de l’Aude) voire une
cité ‘aux murs de pierre’ (je ne vous fais pas de dessin) peut-être caractérisés par la présence
ou la proximité d’une (de?) forêt(s) de chênes, réels ou symboliques.

Mais, pour en finir avec les fausses bonnes idées de racines, je peux vous assurer que
Carcassonne ne doit rien à la…carcasse, fût celle de la Dame Carcas qui a su sauver la sienne
en devant son salut au porc. Le nom commun vient d’un objet latin, exactement emprunté au
grec et représentant une structure en bois sur bateau, et/ou un mécanisme pour lever des
charges (une sorte de potence), et encore un vase ouvragé monté sur pied…

Soit, à chaque fois semble-t-il, un terme de vocabulaire relativement rare mais très précis, et
qui demande un assemblage de (petites) pièces, d’où une dérive possible vers l’idée
d’articulation(s) osseuse(s) donc l’image de squelette, d’ailleurs d’abord réservé aux os
d’animaux chez les Romains…Un os sur lequel la légende de Dame Carcas n’aura pas
manqué de tomber, surtout étymologiquement!

(1) Dans ‘le 13h’ de France 2, samedi 28 septembre 2019

(2) …et Rennes est dans l’étable du Père Noël, Lyon était habité par des félins sauvages,
Paris est la ville du turf, Bayonne celle des gens qui bâillent, etc…

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