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Résumé
L'analyse de deux textes, indépendants de la tradition de Varron sur les origines du théâtre latin, à savoir les propos de Caton,
le censeur de 184, recueillis par Macrobe (Saturnales, 3, 14, 9), et la mesure des censeurs de 1 15 avant notre ère, dont
l'énoncé est conservé par Cassiodore (Chron., éd. Mommsen, p. 123), permet d'évaluer la vigueur d'un art scénique indigène,
qui a maintenu l'ars ludiera Latina, au nom de l'Italica seueritas, dans les traditions des divertissements variés, groupés aux
Compitalia, et dans celles de l'atellane.
Préaux Jean G. Ars ludiera. Aux origines du théâtre latin. In: L'antiquité classique, Tome 32, fasc. 1, 1963. pp. 63-77;
http://www.persee.fr/doc/antiq_0770-2817_1963_num_32_1_1362
du cirque, et dont le rôle paraît bien avoir été de mettre en joie les spectateurs en
débitant des plaisanteries aussi grasses qu'abondantes (Festus- Paulus, p. 52, 17 L.).
Caton puise donc ses injures dans le répertoire de la langue pittoresque des acteurs
masqués de la pompa circensis. Cf. à propos du manducus et du citeria ma contribution
aux Hommages à Albert Grenier, Bruxelles, 1962, pp. 1282-1291 (Collection Latomus,
vol. 58).
5 Le mot spatiator évoque naturellement la langue du cirque par le mot spatium,
tandis que grassator, bien que désignant autre chose, est apparenté à grallator, ce
bouffon-échassier que connaît bien Plaute.
6 La définition de cantherius est donnée par Varron, Res Rusticae, 2, 7, 15 : in
uiis habere malunt placidos equos propter quod discrimen maxime institutum ut castrentur equi;
demptis enim testiculis Jiunt quietiores, et ideo quod semine carent ei cantherii appellati (cf.
Festus-Paulus, p. 40 L.).
Si le mot prêtait à l'ironie, la pointe de celle-ci est aiguisée davantage par
de cantherius avec spatiator dans la pensée de Caton.
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7 Arnobe, Adu. nationes, 7 , 41 (éd. C. Marchesi). Il n'est pas inutile de noter ici
que ce passage se présente sous une autre version dans laquelle Arnobe rapproche
assez curieusement comme Caton les danses des histrions des évolutions des rosses :
--¦-, qui motibus scaenicis et saltationibus histrionum Jestos dies ducant hilaritatis plenissimas
uoluptates, qui cantherios Jrustra et sine ulla ratione currentes spectatum projiciscantur e caelo...
(7, 44, p. 401, 14 ss., éd. C. Marchesi).
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composais carminibus uacuas aures praebuit ad id tempus circensi spectaculo contenta, quod
primus Romulus raptis uirginibus Sabinis Consualium nomine celebrauit. Cf. Tertullien,
De spectaculis, 5, 5 ; 9, 4 : Cassiodore, Variae, 3, 51, 3, etc.
12 Scolies de Berne, Ad Georg., 2, 384 : unctos : oleo. Romulus, cum aedificasset tem-
plum lout Feretrio, pelles uñetas strauit et sic ludos edidit, ut et caestibus dimicarent et cursu
contenderent, quam rem Ennius testatur (Ann., fr. 51 V.).
13 J. H. Waszink, Varro, Livy and Tertullian on the History oj Roman Dramatic Art
dans Vigiliae Christianae, 2 (1948), p. 242 a utilement rapproché de ce vers celui
de Virgile, Georg., 2, 384 : mollibus in pratis unctos saluere per utres, et la tradition de
?'?s????asµ??.
14 Une confirmation inattendue de la doctrine liant étroitement les ludi scaenici
aux ludi circenses est donnée par Tacite dans un passage peu remarqué de ses
(14,21) au cours d'un exposé sur l'histoire des ludi scaenici, suscité par les Neronia
(14, 20-21) : maiores quoque non abhoruisse spectaculorum oblectamentis pro Jortuna, quae
tum erat, eoque a ? u s c i s a c c i t o s histriones, a ? hur i i s e quo r um
c er t amina .
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18 Quoi qu'on ait écrit sur le mot satura (et l'on sait l'épaisseur du dossier !), il
convient de tenir compte également de la figure étymologique que Tite-Live utilise
dans son exposé sur l'origine du théâtre (7,2) : ... imp l et a s modis saturas, où le
mot mis en valeur est modis, ces « rythmes musicaux » dont la suite du texte fournit
d'ailleurs ce qu'on peut considérer comme la glose de la Jigura etymologica : ... im-
pletas modis saturas, descripto iam ad tibicinem cantu motuque congruenti peragebant (se.
saturas). Le mot iam souligne à l'évidence l'évolution dans le temps. Valère Maxime
écrit simplement : paulatim de i n de ludiera ars ad saturarum modos perrep-
sit, où l'idée mise en relief est moins celle des saturae que celle de leurs modi, c'est-
à-dire leur élément musical.
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s'établit, dans les usages et les esprits, une distinction entre les
tibicines, qu'on marqua en accolant au mot tibicen Padjetif
Latinus pour honorer ou reconnaître ceux d'entre eux qui
les traditions de la seueritas Itálica.
19 Horace, Art poétique, 202-209. Le mot motum trouve son exégèse la plus adéquate
dans le récit livien : sine carmine ullo, sine imitandorum carminum actu ludiones ex Etruria
acciti ad tibvcinis modos saltantes haud indecoros motus more Tusco dabant. Imitari deinde
eos iuuentus simul inconditis inter se iocularia Jundentes uersibus coepere nec absoni a uoce motus
erant. Quant à luxuriem, le contexte horatien indique déjà qu'il s'agit de la parure
du tibicen : le vers suivant glose motum par uagus et luxuriem par traxit uestem. Le récit
ovidien confirme qu'Horace entendait par ceci la stola longa des joueurs de flûte.
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20 Ovide, Fastes, 6, 649-692. La leçon stola, donné par une partie des manuscrits,
est garantie par divers textes ovidiens sur ce type de robe des femmes (cf. aussi
Varron, Sat.Mén., fr. 120 B.) et correspond au tour horatien traxit uestem, comme
le prouve la fin du récit d'Ovide (v. 688 : ... in longis uestibus ire iubet ; cf. Tite-Live,
9, 30 et Valère Maxime, 2, 5, 4 !).
21 Cicerón, De legibus, 2, 15, 38 : iam ludi publici, quoniam sunt cauea circoque diuisi,
sint corporum certationes cursu et pugillatu et luctatione curriculisque equorum usque ad certam
mctoriam in circo constitutae ; cauea cantui uacet etjidibus et tibiis, dummodo ea
modérala sint, ut lege praescribitur. J'adopte le texte établi par M. de Plinval
(Collection des Universités de France, Paris, 1959).
22 Cicerón, De legibus, 2, 15, 39. Le texte établi par M. de Plinval impose un
rapprochement avec V Orator, 27 : inclinata ululantique uoce more Asiático canere,
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pour être assuré de lire ici exululent (les manuscrits ont exulte(ri)t) ; on peut joindre
Ovide, Ars Amat., I, 507-508 :
ista iube faciant, quorum Cybeleia mater
concinitur Phrygiis exululata modis
pour noter l'association du verbe avec les modi d'origine orientale.
23 II convient en effet de noter que Cicerón termine son exposé par le rappel de la
mesure prise par l'austère Lacédémone (illa s eu er a Lacedaemo) qui fit
les cordes d'un nombre supérieur à sept que Timothée avait placées sur sa lyre,
tout comme Horace consacre à cette évolution de la lyre une allusion dans son récit
de Y Art poétique, au v. 216
sic etiam fidibus uoees creuere s e u e r i s
où sic etiam associe étroitement ce vers sur le fidicen à ceux qui sont consacré au
(214-215).
24 Le texte est transmis par Cassiodore, Chron., éd. Mommsen, Chron. min., 2, 1894,
p. 123, à l'année 639 u.c. = 115 av. J.-C. Les manuscrits donnent talanum.
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36 Pétrone, Sat., 53, 13. A partir de la leçon du manuscrit atellam, les éditeurs
reçoivent soit Atell<an>am (Scheffer, Ernout), soit Atell<ani>am (Buegheler,
Mueller) : nouvel exemple, et combien significatif, de la fragilité de l'adjectif
Atellanus dans les manuscrits.
37 L'explication habituelle consiste à observer que Trimalcion ne connaissant
pas le grec doit bien faire chanter en latin (cf. 55, 5 et 59, 3) ! N'est-il pas plus
indiqué de reconnaître dans l'expression Latine cantare une pointe liée à la
privilégiée des acteurs d'atellanes, telle que le décret des censeurs la met en
valeur en groupant les trois éléments essentiels, le tibicen, le cantor, l'adjectif Latinus ?
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