Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
L
a chute du mur de Berlin en 1989 et l’avènement de la démocratie libérale et de
l’économie de marché pouvaient laisser croire à la « fin de l’histoire » (1) et rendre
la guerre de plus en plus improbable. Si la dissuasion nucléaire et le jeu des
alliances de sécurité collective ont limité les guerres interétatiques, force est de consta-
ter que l’histoire n’a pas, à ce jour, donné raison au chercheur en sciences politiques
américain Francis Fukuyama. De nos jours, les puissances désinhibées, contestatrices
de l’ordre établi, cherchent à obtenir des victoires limitées tout en restant sous le seuil
de la confrontation armée ; l’adversaire étant peu enclin à réagir et facilement prêt à
fermer les yeux pour peu que les preuves apportées soient sujettes à caution.
Avant l’avènement de l’arme nucléaire, le général Beaufre parlait déjà de la
« Paix-Guerre » (2) pour traduire cet état de rivalité stratégique sous le seuil de la guerre.
La dissuasion nucléaire borne l’affrontement par le haut et évite l’escalade. L’adversaire
est alors incité à la contourner par une stratégie indirecte dont la guerre hybride est un
pilier. Éternel lieu de confrontation (3), la mer verra ainsi des acteurs dopés par la
prolifération technologique (4) exploiter l’ensemble de la « table de mixage » de la guerre
hybride, combinaisons volontairement ambiguës de modes d’actions directs et indirects,
militaires ou non, coordonnées dans une manœuvre interministérielle et interarmées,
multi-milieux et multi-champs (M2MC), légaux ou non, et souvent difficilement
attribuables, pour servir leurs intérêts particuliers. Les activités chinoises dans la Mer
de Chine méridionale (MDCM), les actions iraniennes dans le golfe Persique, les
débordements de puissance turcs en Méditerranée orientale et les derniers incidents en
mer Baltique présentent les caractéristiques d’une guerre hybride maritime.
Il est temps pour la France, la Marine nationale en particulier, de réfléchir à ces
scénarios et à la manière de les contrer en éveillant une créativité patinée de réalisme
(1) FUKUYAMA Francis, La fin de l’histoire et le dernier Homme, Flammarion, 1992, 452 pages.
(2) BEAUFRE André, Introduction à la stratégie, Armand Colin, 1963.
(3) Dès le XVIe siècle, Francis Drake a été corsaire au service de la reine Elisabeth Ire. Il s’en est pris aux galions espagnols
158
Guerre hybride dans le domaine maritime :
vers une réponse plus offensive
pour développer des réponses qui soient aussi performantes que robustes.
L’hybridation de la menace en mer conduit à réconcilier une marine mahanienne (5),
orientée vers l’affrontement décisif, avec celle proposée par la Jeune École (6) en comptant
sur la mise en réseau des unités.
Aussi, les espaces maritimes sont des théâtres de compétition géopolitique dans
laquelle les acteurs ne s’exposent pas au grand jour et limitent ainsi le risque d’escalade
militaire. À ce titre, l’attaque du MV Saviz (8), bâtiment servant de soutien logistique
aux équipes de protection embarquées iraniennes mouillé à proximité du détroit de
Bab-el-Mandeb, le 7 avril 2021 et l’attaque du M/T Mercer Street (9), pétrolier appar-
tenant à un homme d’affaires israélien, le 29 juillet 2021 semblent illustrer une bataille
navale hybride sous le seuil de la confrontation en mer Rouge et dans le golfe d’Oman
entre Israël et l’Iran, même s’il est impossible de prouver officiellement l’implication
des deux protagonistes.
(5) La théorie mahanienne de la puissance maritime vise à dénier à l’adversaire l’accès à la mer en réduisant à néant sa
doctrine traditionnelle de l’époque qui était de construire des bateaux de plus en plus importants, en privilégiant au
contraire l’utilisation de bateaux plus petits et plus nombreux. La Jeune École suggère en effet un étalement des forces
navales selon un cordon sanitaire côtier fait de sémaphores et de torpilleurs, à l’opposé de toute concentration dans un
port principal.
(7) PRAZUCK Christophe. « En deçà de la guerre, au-delà de la paix : les zones grises », RDN, n° 828, mars 2020, p. 29-
32. L’amiral Prazuck a été Chef d’état-major de la Marine (CEMM) de 2016 à 2020.
(8) BERMAN Lazar, « Attaque du Saviz : Israël pourrait se trouver en difficulté contre l’Iran en mer », The Times of Israel,
159
Guerre hybride dans le domaine maritime :
vers une réponse plus offensive
160
Guerre hybride dans le domaine maritime :
vers une réponse plus offensive
lieu par voie maritime (14), les câbles sous-marins assurent un peu plus de 95 % du
trafic numérique planétaire (15), et un tiers du flux mondial de brut est assuré par des
pétroliers.
(14)
EU Maritime Strategy—Responding Together to Global Challenges—A Guide for Stakeholders, 8 pages
(https://ec.europa.eu/).
(15) « Internet : des câbles sous-marins pour faire transiter les données », France Info, 5 juillet 2016
(https://www.francetvinfo.fr/).
(16) SAUL Jonathan, « Ship insurance costs soar after Middle East tanker attacks », Reuters, 14 juin 2019
(https://www.reuters.com/article/mideast-attacks-insurance-idUSL8N23L2ND).
(17) Estimation de l’assureur Allianz cité dans AFP, « Canal de Suez : l’Ever Given a levé l’ancre après 100 jours
pourien appuyé d’un navire de pêche norvégien qui opérait dans la Zone économique exclusive (ZEE) des îles Éparses.
Ce navire de recherche et de prospection pétrolière affrété par la multinationale Schlumberger avait commencé ses
travaux au large du Mozambique avec l’autorisation des autorités locales, puis avait élargi ses recherches à la zone fran-
çaise. « Îles Éparses : un navire sismique surpris à prospecter sans autorisation », Le Marin, 25 septembre 2021
(https://lemarin.ouest-france.fr/articles/detail/items/iles-eparses-un-navire-sismique-prospecte-sans-autorisation.html).
Sans l’intervention rapide de la frégate Nivôse, il est fort probable que ce genre d’infraction se serait reproduit.
(19) La perturbation de l’approvisionnement mondial en céréales à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en
2022, les attaques cyber sur des terminaux porte-conteneurs (dans au moins trois pays européens, Allemagne, Pays-Bas
et Belgique) en 2022 et les attaques sur des pétroliers au large de Fujeirah en mai 2019 en sont des exemples.
(20) Avec AFP, « “Puissantes explosions”, “actes délibérés”… Que sait-on des quatre fuites sur les gazoducs Nord Stream 1
161
Guerre hybride dans le domaine maritime :
vers une réponse plus offensive
Les navires utilisés pour la guerre hybride maritime seront armés par ce que l’on
pourrait appeler de « petits marins bleus » (21), débouchant sur la « wagnérisation » (22)
des mers. À bord de ces bâtiments résistant à l’éperonnage, une variété d’armes sera
disponible, allant des armes légères aux missiles surface-surface et surface-air en passant
par des drones (aériens, de surface voire sous-marins) armés, intelligents, bon marché
et consommables, guidés par satellites et des systèmes non létaux (lasers aveuglants,
canons à eau) leur permettant de maîtriser le niveau de violence et la posture escalatoire.
Les câbles sous-marins sont également menacés. Cela pourrait avoir un effet
dissuasif sur les investissements.
(21) STAVRIDIS James (amiral retired US Navy), « Maritime Hybrid Warfare Is Coming », Proceedings, vol. 142 n° 1,366,
Ukrainien.
(23) L’amiral américain Alfred T. Mahan est le théoricien de la bataille décisive quand l’historien naval et géostratégiste
162
Guerre hybride dans le domaine maritime :
vers une réponse plus offensive
mer Baltique (24) engendrant une panne de courant de grande importance sur le réseau
interconnecté européen de transport d'électricité. Ces attaques pourraient être de
nature cinétique (charge explosive improvisée sur les installations) (25) ou cyber (déni
d’accès, manœuvres de vanne, de pompes, de tableaux électriques à distance…) (26).
Plus largement et parce que la guerre hybride ne se limite pas à un seul milieu
et un seul champ, les actions irrégulières maritimes pourraient se conjuguer avec des
actions dans d’autres champs d’application : l’interdiction de l’espace aérien au-dessus
de la mer, la prise de contrôle à distance voire l’immobilisation de navires au moyen
d’attaques cybernétiques (piratage des systèmes d’aide à la navigation GPS et AIS (27)
ou des systèmes informatiques de contrôle-commande des navires pour les diriger à
distance ou les immobiliser). De telles attaques, en particulier dans les eaux resserrées
des principales routes maritimes (pas de Calais, canal de Suez et Panama, détroits de
Gibraltar, Bab-el-Mandeb, Ormuz et Malacca) pourraient avoir de graves conséquences.
Ces modes opératoires combinés à des actions d’influence, appuyées par
l’Intelligence artificielle (IA) – conception de discours, de photomontages, de vidéos,
etc. –, dans la sphère informationnelle permettraient de renforcer la position d’un État
ou d’affaiblir celle de l’adversaire en le décrédibilisant ou en le délégitimant à des fins
politiques sur la scène internationale (28).
La menace hybride maritime apparaît comme bien réelle et sa probabilité
d’occurrence augmente. La facilité d’accès à des technologies duales nivelle les écarts
technologiques entre les différents adversaires. C’est l’abaissement de ce seuil qui
permet la mise en œuvre plus aisée par l’acteur asymétrique de moyens jusqu’ici réser-
vés aux marines militaires : les missiles, les mines et le détournement de technologies
civiles à des fins militaires, alors même que la guerre sur mer nécessitait auparavant une
longue maturation des compétences pour exploiter la technologie (29).
Enfin, force est de constater que l’emploi de l’arme migratoire dans les straté-
gies hybrides maritimes est une réalité : les menaces turques quant à l’ouverture du
« robinet migratoire » en mer Égée en 2020 (30) témoignent de l’importance de cette
(24) « Navires “fantômes” russes en mer du Nord : ce que l’on sait », L’Express, 19 avril 2023 (https://www.lexpress.fr/).
(25) Cas de Northstream 2 en mer Baltique.
(26) Plusieurs sociétés européennes, gérant notamment des terminaux pétroliers dans les ports de Hambourg, Anvers et
Amsterdam, ont fait l’objet de piratages informatiques (attaques par ransomware ou « rançon logiciel ») fin janvier 2022.
Par exemple, la société Oiltanking, approvisionnant des centaines de stations-service en Allemagne dont celles de Shell,
a détecté des anomalies informatiques affectant les systèmes de chargement et de déchargement dans ses terminaux.
ROVAN Anne, « Des terminaux pétroliers visés par des cyberattaques en Europe », Le Figaro, 4 février 2022
(https://www.lefigaro.fr/international/des-terminaux-petroliers-vises-par-des-cyberattaques-en-europe-20220203).
(27) Cas du MV Stena Impero (juillet 2019), battant pavillon britannique, qui en traversant le détroit d’Ormuz a connu
des écarts inhabituels par rapport à son plan de voyage. Le pétrolier sera arraisonné par les Pasdarans et détenu pendant
deux mois dans le cadre de l’escalade de la crise diplomatique entre l’Iran et les États-Unis. « Stena Impero: Seized British
tanker leaves Iran’s waters », BBC, 27 septembre 2019 (https://www.bbc.com/news/world-middle-east-49849718).
(28) HMS Defender en mer Noire en 2021. LAGNEAU Laurent, « Crimée : La marine russe dit avoir tiré des coups de
semonce vers un navire de la Royal Navy ; Londres dément », Opex360-Zone militaire, 23 juin 2021
(https://www.opex360.com/).
(29) Par exemple, visible dans le conflit ukrainien avec le guidage de tir d’artillerie Caesar par drone sur l’île du serpent
en mer Noire. LOUIS Cyrille, « Avec la 55e brigade et ses Caesar dans la bataille du Donbass : le récit de l’envoyé spécial
du Figaro », Le Figaro, 4 février 2023.
(30) AFP, « Erdogan menace l’Europe de “millions” de migrants », Le Point, 2 mars 2020 (https://www.lepoint.fr/).
163
Guerre hybride dans le domaine maritime :
vers une réponse plus offensive
(31)
Général GALLOIS P., Stratégie de l’âge nucléaire, Calmann Levy, 1960.
(32) HOLEINDRE Jean-Vincent, La ruse et la force, une autre histoire de la stratégie, Perrin, 2017, 528 pages.
(33) « Un centre du combat naval à Toulon pour “concentrer l’expertise” », Le Marin, 14 juin 2023.
164
Guerre hybride dans le domaine maritime :
vers une réponse plus offensive
(34) Le système SPATIONAV tire son origine de l’échouage volontaire le 17 février 2001 du cargo battant pavillon cam-
bodgien East Sea près de Saint-Raphaël avec 908 réfugiés à son bord. Il fusionne les détections des radars des Centres
régionaux opérationnel de surveillance et de sauvetage (Cross) des Affaires maritimes et des sémaphores de la Marine
nationale.
(35) Par exemple, le programme High Altitude Platform System (HAPS) avec deux projets en développement : le ballon
stratosphérique StratobusTM de Thales Alenia Space et le Zephyr, avion électrique d’Airbus capable de voler à 21 km
d’altitude pendant plus de deux mois.
(36) FORD Christopher et Rosenberg David, The Admirals’ Advantage: U.S. Navy Operational Intelligence in World War II
165
Guerre hybride dans le domaine maritime :
vers une réponse plus offensive
(38) Développement d’applications pour smartphone permettant de transmettre des informations tactiques et gagner en
préavis de détection. À titre d’exemple, les Ukrainiens ont développé l’application « ePPO » (abréviation de eAir Defense
Observer). Si vous voyez un engin aérien suspect, (drone, missile, avion…), il suffit de pointer votre téléphone vers celui-
ci et d’appuyer sur le bouton rouge de l’application. Les coordonnées géographiques de l’appareil seront alors envoyées
aux spécialistes de la défense aérienne ukrainienne, qui tentera de le neutraliser.
(39) Bande des 12 nautiques des grands ports maritimes français métropolitains (Dunkerque, Le Havre, Saint-Nazaire,
and Methods of Carrying out Combat Operations », Military-Industrial Kurier, 27 février 2013 [en russe], Military
Review, janvier-février 2016, p. 23-29 [en anglais] (https://www.armyupress.army.mil/).
(41) L’ANSSI est un service à compétence nationale rattaché au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale
(SGDSN).
166
Guerre hybride dans le domaine maritime :
vers une réponse plus offensive
qui fait la force du monde maritime. L’enjeu est maintenant de faire adhérer le plus
d’acteurs possible à cette démarche, par la poursuite des actions de sensibilisation et de
communication sur cette thématique, notamment envers les ports qui ne sont pas
identifiés comme Opérateurs d’importance vitale (OIV).
Il est également impératif de travailler pour définir et tester le dispositif qui
permettra de traiter les crises qui se produiront, en dehors des acteurs vitaux ou essen-
tiels gérés par l’ANSSI.
De la gouvernance
Les menaces hybrides étant protéiformes, elles ne peuvent être contrées que par
une organisation interministérielle éprouvée. Cette organisation repose sur la coordi-
nation des moyens de l’État, capable d’intégrer des effets civils et militaires. Elle doit
notamment permettre d’anticiper, de détecter, de comprendre, d’attribuer, de proté-
ger, de décourager les actions adverses et de limiter leurs effets. Le SGDSN qui
relève du Premier ministre, est l’organisme interministériel chargé de l’adaptation, de
la cohérence et de la continuité de l’action de l’État dans le domaine de la défense et
de la sécurité. Un document classifié a été édité par le SGDSN pour référencer les
domaines d’actions prioritaires pour la France dans ce domaine de lutte.
Le SGMer possède tous les leviers nécessaires pour adapter cette stratégie au
domaine maritime. Le SGMer est un organisme placé auprès du Premier ministre,
chargé d’animer les travaux d’élaboration de la politique du Gouvernement en matière
maritime et de coordonner les Actions de l’État en mer (AEM). Il est ainsi compétent
pour adapter au domaine maritime la stratégie nationale pour contrer les menaces
hybrides et s’assurer de sa mise en œuvre. Lors des phases de planification et de
conduite, l’attention doit être portée sur notre capacité à agir collectivement de façon
cohérente et coordonnée dans une logique de menant/concourant en fonction de la
priorité affichée : réponse diplomatique, informationnelle, militaire ou économique.
En France métropolitaine, le modèle du Préfet maritime, à la fois commandant mili-
taire de la zone maritime et responsable de l’action interministérielle en mer est une
réponse très pertinente à la menace hybride car il est lui-même un acteur hybride
capable d’agir, sans discontinuité de la chaîne de commandement, sur l’ensemble du
spectre depuis la police administrative jusqu’aux opérations navales offensives. Hors
métropole, en fonction des zones géographiques, le Délégué du gouvernement pour
l’AEM (DDG/AEM) assure les mêmes responsabilités.
Tirer parti du renseignement naval pour vaincre les menaces hybrides maritimes
167
Guerre hybride dans le domaine maritime :
vers une réponse plus offensive
La confiance des marins civils locaux dans leur capacité à exercer leurs droits
juridiques internationaux est le principal facteur qui déterminera, in fine, qui rempor-
tera la victoire dans la bataille entre les régimes juridiques concurrents. À nous de
savoir rassurer et protéger nos marins ressortissants ou ceux de nos alliés et partenaires.
À titre d’illustration, permettre aux pêcheurs des petits États insulaires
du Pacifique (Fidji, îles Salomon, Tonga, Vanuatu…) de documenter (via de petits
ensembles modulaires de vidéo et de communications compatibles avec Starlink) des
actions de pêche illégale de bâtiments chinois dans leurs Zones économiques exclusives
(ZEE) respectives offrirait l’opportunité d’envoyer des messages de portée stratégique
visant à imposer des coûts réputationnels à la Chine.
Une autre piste pour gagner le cœur et les esprits est de bien comprendre les
intérêts et les préoccupations de ces alliés et partenaires. Aussi, dans les zones indo-
pacifiques, alors que le changement climatique se traduit par des catastrophes naturelles
plus violentes et plus nombreuses (cyclones, tsunami, tremblement de terre, etc.) (42),
savoir porter assistance aux populations dans le cadre d’opérations HADR (43) (moyens
militaires et civils via l’Agence française de développement [AFD] par exemple) ren-
force la relation de confiance et permet d’envisager une coopération plus étroite.
168
Guerre hybride dans le domaine maritime :
vers une réponse plus offensive
constituée en zone littorale. Nos grands exercices Polaris (44) pourraient inclure ce type
de scénarios.
Bon nombre des cibles actuelles de la guerre hybride maritime sont des alliés ou
partenaires de la France : Allemagne, Suède, Japon, Inde, Royaume d’Arabie saoudite,
Qatar et Émirats arabes unis (EAU). Dans le cadre de forums tels que le Symposium
international sur la puissance maritime (ISS) organisé par l’US Navy depuis 1969,
nous devrions encourager les discussions croisées, échanger les meilleures pratiques et
partager les informations sur cette préoccupation émergente.
Enfin, la France s’est dotée en 2014 d’une stratégie nationale de sûreté des
espaces maritimes (45). L’Union européenne s’est dotée d’une stratégie européenne de
sécurité maritime approuvée par le Conseil européen le 24 juin 2014 (46). Celle-ci reste
très déclaratoire et ne porte pas l’ambition d’un partage entre membres de la situation
maritime à l’échelle du continent (47). La France doit aussi encourager et soutenir
l’avènement de stratégie de sûreté maritime dans d’autres zones d’intérêts. À ce titre,
elle soutient le Processus de Yaoundé (juin 2013) qui formalise la coopération régio-
nale de 17 pays d’Afrique de l’Ouest en matière de surveillance et d’intervention en
mer ; les exercices African NEMO (48) constituent le point d’orgue de cette coopération
régionale.
(44)
Marine nationale, « Polaris 21 - Un exercice grandeur nature » (https://www.defense.gouv.fr/).
(45) Révisée le 10 décembre 2019 (https://www.gouvernement.fr/).
(46) COMMISSION EUROPÉENNE, « Sûreté maritime : l’UE actualise la stratégie afin de protéger le domaine maritime contre
d’intervenir.
(49) CLARK Bryan (commander retired US Navy), « Build a Fleet that Contests Every Inch—Disaggregated forces would
provide U.S. Navy commanders with more options to deter China », Proceeding, vol. 148 n° 1,433 juillet 2022
(https://www.usni.org/magazines/proceedings/2022/july/build-fleet-contests-every-inch).
(50) Voir tournant pris par l’Allemagne avec projet de drones de surface et sous-marin (« Das Zielbild für die Marine ab
2035 », 29 mars 2023 https://www.bundeswehr.de/) et la Turquie avec un drone de surface capable de lancer des torpilles
(essais du drone de surface MIR le 18 avril 2023 à voir sur Youtube : « Turkish “MIR” USV Test-Fires Torpedo for
the First Time » https://www.youtube.com/watch?v=0EPG8DEpDXI).
169
Guerre hybride dans le domaine maritime :
vers une réponse plus offensive
un large éventail d’options : les petits navires pourraient s’agréger les uns aux autres
pour apporter des réponses proportionnelles aux opérations dans les zones grises ou se
combiner avec des plates-formes plus importantes à des niveaux d’escalade plus
élevés (51). Surtout, les drones pourraient opérer de manière indépendante dans des
zones contestées pour des missions de guérilla navale à haut risque ; l’enjeu étant le
contrôle maritime.
Sur le volet C2, pour exploiter le potentiel d’une flotte massive et diluée, des
outils d’aide à la décision permettant d’identifier rapidement les plans d’action ad hoc
et les ensembles de forces associés seront nécessaires. Aujourd’hui, ces plans sont éla-
borés par des états-majors tels que le Centre de planification et de conduite des opéra-
tions (CPCO) et les Commandants interarmées (COMIA). Ces derniers s’appuient
largement sur la doctrine, l’histoire et les délibérations pour proposer des modes
d’action. Par conséquent, ces plans risquent de devenir relativement prévisibles pour
un adversaire tel que l’Armée populaire de libération (APL) (52) usant de la guerre
hybride maritime.
La variété du format de la Marine française et la logique d’évolutions incré-
mentales en cours, notamment sur les armements (53), répondent globalement à cette
logique : reste à densifier la flotte de drones (aérien, surface et sous-marins) et à pour-
suivre les travaux en cours sur le C2 interarmées. Ainsi, les opérations navales
pourraient s’envisager dans une stratégie de défense avancée et de « COIN maritime ».
En engageant les acteurs maritimes adverses dans leur milieu d’action, les forces
navales françaises et ses alliés maintiendraient leurs adversaires sur la défensive, appren-
draient les tactiques et les capacités de l’ennemi et créeraient de l’incertitude pour les
dirigeants adverses.
Il convient d’étudier dans quelle mesure la France pourrait faire appel, pour
défendre ses intérêts, aux mêmes tactiques hybrides que ses adversaires. Si l’exigence
propre à nos États de droit d’un respect rigoureux de la légalité nationale et interna-
tionale, ainsi que le rôle central joué par les opinions publiques dans nos sociétés,
restreignent les possibilités, l’emploi de la guerre hybride maritime par la France doit
être envisagé de façon désinhibée pour peser face à nos adversaires et montrer notre
détermination.
(51) Différentes options envisageables : évolution des capacités amphibies, conception de « vaisseaux-mères » adaptés au
combat littoral, utilisation de grands bâtiments civils de type « Jumbo Jubile » (cargo) ou d’exploration (Cf. acquisition
par le ministère de la Défense britannique du navire d’exploration Topaz Tangaroa en janvier 2023 pour opérer dans le
Seabed Warfare) comme système de « marsupialisation » au profit des drones.
(52) SHELBOURNE Mallory, « Navy’s ‘Project Overmatch’ Structure Aims to Accelerate Creating Naval Battle Network »,
USNI News, 29 octobre 2020 (https://news.usni.org/). EVERSDEN Andrew, « A Weapon System ‘Raises its Hand’
if Available under DARPA Program », C4ISRNet, 16 juin 2020 (https://www.c4isrnet.com/). UNDERWOOD Kimberly,
« DARPA Offers Advanced Planning System to the Air Force », Signal, 1er juin 2019, AFCEA (https://www.afcea.org/).
(53) « Les lasers peuvent également être une arme de guerre spatiale, opérés depuis les bateaux : ils peuvent ainsi aveugler
des satellites d’observation pour assurer la dissimulation de forces navales en situation de conflit » - COMMISSION DES
AFFAIRES ÉTRANGÈRES, DE LA DÉFENSE ET DES FORCES ARMÉES, « Audition de l’amiral Pierre Vandier, CEMM, sur le Projet
de loi de finances pour 2022 », 27 octobre 2021 (https://www.senat.fr/).
170
Guerre hybride dans le domaine maritime :
vers une réponse plus offensive
L’arme juridique
(54) FEREY Émilie, « Vers une guerre des normes ? Du lawfare aux opérations juridiques », Focus stratégique n° 108,
signature des adhésions, la Chine a organisé, sous l’égide de ses ministères des Affaires étrangères et des Ressources natu-
relles, une conférence internationale en visioconférence sur le droit de la mer, intitulée « La CNUDM a 40 ans, rétros-
pective et perspective ». Cf. Lettre confidentielle Asie21–Futuribles n° 164/2022-09.
(56) Par exemple, Arrêté du 15 décembre 2022 portant création des zones relevant de la protection des intérêts de la
défense nationale au titre de la recherche scientifique marine et Décret n° 2021-1942 du 31 décembre 2021 modifiant le
décret n° 2013-611 du 10 juillet 2013 relatif à la réglementation applicable aux îles artificielles, aux installations, aux
ouvrages et à leurs installations connexes sur le plateau continental et dans la zone économique exclusive et la zone de
protection écologique ainsi qu’au tracé des câbles et pipelines sous-marins.
(57) FEREY Émilie, op. cit.
(58) Shurat HaDin Law Center, une association défendant les intérêts d’Israël au moyen du droit, a utilisé différents leviers
afin de faire respecter le blocus. À la suite de ces actions, Shurat HaDin informe le ministre grec de la Protection civile
que les bateaux n’ont ni assurance ni service de communication. Les 14 navires furent empêchés de quitter le port par les
forces de l’ordre grecques.
171
Guerre hybride dans le domaine maritime :
vers une réponse plus offensive
L’action militaire
172
Guerre hybride dans le domaine maritime :
vers une réponse plus offensive
sur les infrastructures critiques sous-marines de nos adversaires. Il s’agit d’une forme
d’« intimidation stratégique » (64) dans une logique de « gagner la guerre avant la
guerre » (65).
Sans sous-estimer les contraintes juridiques, éthiques ou politiques, l’action
spéciale ou clandestine maritime peut offrir au président de la République des options
supplémentaires avec un risque limité d’attribution à la France.
Nos adversaires potentiels ont des vulnérabilités en mer qui peuvent être
ciblées. Contrairement aux actions offensives dans le cyberespace qui font également
partie des actions envisageables (66), les actions clandestines maritimes peuvent présen-
ter des dommages collatéraux plus limités et plus faciles à évaluer.
La guerre hybride est aussi ancienne que le combat lui-même. Il n’y a rien de
fondamentalement nouveau dans le fait d’incorporer des forces non conventionnelles
et non reconnues sur le champ de bataille de manière surprenante afin de saper les
forces conventionnelles et d’obscurcir l’attribution des actions. Régularité et irrégula-
rité sont des concepts théoriques. La réalité de l’affrontement se décline sur l’ensemble
de cette palette qui va de l’une à l’autre. Comme le dit le général Beaufre, « ces deux
modes coexistent et se complètent : […] la stratégie comme la musique possède un
mode majeur et un mode mineur ». Ce qui change aujourd’hui, c’est le niveau d’effort
déployé par les grandes et les petites nations et la tendance à utiliser l’hybridité pour
tous les avantages tactiques et stratégiques qu’elle confère : notamment la possibilité
offerte de changer le rapport de force tout en restant sous le seuil du conflit ouvert.
Faire face à cette confrontation hybride sur mer impose d’améliorer nos capa-
cités de renseignement maritime et de maintenir une marine de haute technologie
pour conserver notre liberté d’action et affronter la diversité de cette hybridité.
Cependant, il faut également disposer de moyens suffisamment nombreux, durables et
évolutifs pour assurer un maillage et une surveillance efficace de nos zones maritimes
d’intérêts. En complémentarité, parce qu’on ne peut pas accepter la politique du « fait
accompli », nous devons aussi envisager des modes d’action plus offensifs : « COIN
maritime » en coalition et actions offensives hybrides qu’il s’agira de conforter sur le
plan capacitaire, en particulier pour agir sous la mer et à très grande profondeur.
Au final, c’est la question du format de notre Marine qui finira par se poser.
Elle nécessitera des choix et des renoncements. L’existence de capacités et des savoir-
faire nécessaires pour mener des opérations clandestines est de nature à inciter nos
(https://www.defense.gouv.fr/).
(66) Actions de Lutte Informatique Offensive (LIO) pour agir, par exemple, sur des systèmes de commande d’infrastructures
173
Guerre hybride dans le domaine maritime :
vers une réponse plus offensive
174