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Entre Houellebecq et Baudelaire : Poésie des Temps Modernes à travers des

Titres Littéraires

Țăpoi Ioana-Cătălina
Lycée Voltaire, Craiova

Poésie des Temps Modernes


La préférence de Michel Houellebecq pour l’auteur des Fleurs du mal est exprimée à
maintes reprises tant dans son œuvre qu’à l’occasion des interventions de l’écrivain dans les
médias. Dans Soumission, Baudelaire figure parmi les poètes majeurs que François conseille à
ses étudiants doctorants, dans Interventions 2, on est invité à oublier les poèmes de Jacques
Prévert dont la thématique avait déjà été mieux représentée par Baudelaire, un passage des
Particules élémentaires confrontent Proust et Baudelaire, ce dernier remportant le jeu en raison
de la solidité de ses sujets, toujours d’actualité, dans Ennemis publics, Houellebecq affirme que
Baudelaire « reste à jamais plus admirable que Rimbaud »1. Les références continuent avec la
citation dans ses écrits de vers baudelairiens dont La mort des pauvres, poème cité dans La
possibilité d’une île et Recueillement dans Les particules élémentaires ; il y a aussi des termes
baudelairiens dont Houellebecq mentionne l’emprunt par l’emploi des guillemets : la coalisation
de « la race humaine » invoquée par Baudelaire dans une lettre, (l’expression est reprise dans
Ennemis publics, sans préciser à qui s’adressait la lettre de Baudelaire), le laps de mémoire
appelé « la maladie de Baudelaire » (toujours dans Ennemis publics, Houellebecq retrace le
moment où il avait perdu pour quelques instants sa lucidité), la nécessité de créer des « clichés
neufs » comme preuve d’originalité (la structure ainsi formulée est utilisée dans Interventions 2
au sujet des Coupes de Sol de Robbe-Grillet, Houellebecq précisant qu’elle appartient à
Baudelaire). Daniel 1 réalise le portrait d’Esther en termes baudelairiens : « Elle n’en était pas
moins très loin d’être ce monstre d’arrogance, d’égoïsme absolu et froid, ou, pour parler en
termes plus baudelairiens, cette infernale petite salope que sont la plupart des très jolies jeunes
filles » ;2 les italiques sont ajoutés par Houellebecq. L’entretien de Houellebecqu avec Agathe
Lechevalier révèle l’effet produit sur l’enfant de treize ans qui était Michel à la lecture de
1
Michel Houellebecq, Ennemis publics, 2008, format numérique, p. 167.
2
Michel Houellebecq, La possibilité d’une île, 2005, pp. 219-220.
l’auteur des Fleurs du mal : « C’était exceptionnellement beau, je n’avais rien lu d’aussi beau, et
entre parenthèses je n’ai rien lu d’aussi beau depuis, mais ça me choquait un peu à treize ans. Je
ne l’ai apprécié vraiment que plus tard. 3 » Séduit par le charme de la beauté plastique des
poèmes, redevable à l’application rigoureuse des méthodes de composition, qu’il remarque aussi
dans H. P. Lovecraft. Contre le monde, contre la vie à propos de Baudelaire et d’Edgar Poe,
Houellebecq soutient avoir compris le sens, le langage contextuel et encore plus, l’utilité de la
poésie de Baudelaire à l’âge adulte, quand il commençait à connaître les profondeurs de la vie :
« Non, la beauté formelle n’apporte aucune consolation. Baudelaire exprime sous la forme qui
lui paraît la plus belle et la plus pure des choses infiniment douloureuses qui n’en restent pas
moins absolument douloureuses.4 » La consolation vient de la manière dont on apprend à
accepter la douleur. Baudelaire la rend supportable à travers un programme compositionnel
précis, comportant « les deux droits qu’il proposait d’ajouter à la liste des droits de l’homme - le
droit de se contredire et celui de s’en aller »5, droits que Houellebecq revendique lui aussi en tant
que poète et romancier.
La rigueur formelle des vers baudelairiens se dissout ainsi derrière le mal cultivé dans la
société moderne, le poète s’adjugeant le droit de varier l’orientation de ses pensées en fonction
des circonstances et de s’enfuir de la réalité pour retrouver le paradis perdu ou pour découvrir
une contrée nouvelle. Chez Houellebecq, le débat sur la qualité esthétique de ses textes est
suspendu dès que les questions sociologiques, philosophiques prennent leur parti et que le
changement s’impose d’emblée.
Nous pouvons envisager par la suite Houellebecq comme situé dans la lignée des
accusateurs de la modernité éthique, parmi lesquels on retient ici le nom de Baudelaire et il nous
semble important de souligner la contribution de Houellebecq à la perpétuation des échos dix-
neuviémistes, d’autant plus que son art est issu des tourments provoqués par une société
intolérable. Houellebecq rejoint ainsi Baudelaire dans la manière d’assener des considérations
hostiles sur la modernité de leur époque, leurs accusations se projetant aussi sur la forme de leur
art exprimé en termes contradictoires. L’esthétique est sujette donc à leur vision du monde. Les
deux artistes sont des êtres déchirés au fond desquels blâme et éloge s’entrechoquent.

3
La femme auteur, Leur XIXe siècle. Michel Houellebecq-La possibilité d’un XIX e siècle, entretien réalisé par
Agathe Novak-Lechevalier, in Le Magasin du XIXe siècle, 2011, no. 1, p. 8.
4
Ibid., p. 19.
5
Michel Houellebecq, Ennemis publics, 2008, format numérique, p. 143.
Titres littéraires
Nos élèves connaissent-ils ces deux grands noms de la littérature française ? Comment
éveiller leur curiosité pour découvrir qui sont Baudelaire et Houellebecq et comment leur vision
du monde pourrait les aider à construire leur propre vision de la vie, voire de l’art ?
L’année scolaire dernière, nous avons inauguré le CDI de notre lycée, riche en toutes
sortes de livres jeunesse en français, romans, poésies, manuels, DVD, bandes dessinées,
mangas… . Souvent, les élèves nous demandaient ce qu’ils pouvaient lire, une bonne occasion de
les laisser fouiller par eux-mêmes dans les rayons de la bibliothèque et les inviter ainsi à
découvrir des titres intéressants, à connaître les ressources disponibles, à se faire un avis sur le
fonds documentaire de leur nouvelle bibliothèque et bien sûr, une bonne occasion de leur
proposer des activités d’écriture créative. De la sorte, après une première étape de découverte, les
élèves ont été amenés à réaliser des poèmes à partir des titres de livres, sans contrainte de fond
ou de forme ;
Pour ce type d’activité, les consignes doivent être simples et les productions peuvent être aussi
bien réalistes que farfelus ! Pour le niveau A2, les apprenants ont la possibilité de rajouter
quelques mots-outils pour créer du sens ; Pour les plus avancés, les poèmes peuvent être réalisés
sur un écrivain particulier ou sur un thème imposé. L’enseignant peut leur suggérer certaines
métaphores à introduire dans leurs créations, certains mots-clés et leur demander aussi de donner
un titre au poème, inventer un pseudonyme ou bien d’autres tâches adaptées afin de bien
comprendre les productions obtenues.
Voici deux poèmes réalisés par mes élèves (niveau B1) autour des titres des créations littéraires
signées par Baudelaire et par Michel Houellebecq.

Spleen baudelairien
Spleen urbain, la ville en fête s'éveille,
Au crépuscule, l'âme en errance sommeille.
L'albatros s'élève, par-delà les foules,
Dans les fleurs du mal, éclatent les émotions troublantes,
Le vin des chiffonniers, doux nectar des rebuts,
Résonne comme une invitation à l'ivresse des rues.
Par-delà le ciel, l'ennui danse en spirales,
Harmonie du soir, l'amour en notes magistrales.

Temps modernes
La poursuite du bonheur, au milieu des particules,
Sous la coupole du ciel, la vie se module.
Extension du domaine de la lutte, implacable,
La carte et le territoire, la réalité palpable.
Les particules élémentaires, tourbillon d'existences,
Dans le monde perdu, résonnent les réminiscences.
Soumission aux étoiles, étrange destinée,
Configuration du dernier rivage, la quête abandonnée.
Au fond des choses, l'amour, ce noyau fragile,
Dans le regard des hommes, une lueur agile.
Houellebecq, poète des temps modernes,
Écrit dans les marges, des hymnes taciturnes.
Sous le soleil des indifférences, il scrute
L'âme humaine, entre désir et solitude.

Grâce à cet exercice, les élèves se sont familiarisés avec le fonds documentaire du centre
de documentation informatisé, ont découvert deux grands écrivains de la littérature française, ont
été amenés à faire des suppositions sur la vision du monde et de l’art des deux écrivains à partir
de quelques titres de leurs œuvres et des informations supplémentaires données par le professeur
et finalement, ils ont pris le rôle d’écrivain et ont rédigé des poèmes dont les vers comportaient
les titres des œuvres de Baudelaire et Houellebecq. L’enthousiasme des élèves a été d’autant plus
grand qu’ils avaient réussi à surprendre le positionnement des écrivains quant aux mœurs de leur
société, tout en créant des poésies avec leurs propres moyens et connaissances.

Bibliographie
BAUDELAIRE, Charles, Les Fleurs du Mal, Paris, Les Classiques de Poche, 1999
[1857], ISBN : 978-2253007104, 374 pages.
BAUDELAIRE, Charles, L’Art romantique suivi de Fusées, Mon cœur mis à nu et
Pauvre Belgique, sine loco, Julliard Littérature, 1964, 560 pages.
BAUDELAIRE, Charles, Le Spleen de Paris, Paris, Le livre de poche, 1964 [1869], 192
pages.
BAUDELAIRE, Charles, Curiosités esthétiques, L’art romantique et autres œuvres
critiques, Le peintre de la vie moderne, Paris, Garnier, 1962, ISBN : 2705000119, 958 pages.
NOVAK-LECHEVALIER, Agathe, Michel Houellebecq, non-réconcilié, Paris,
Gallimard, 2014, ISBN : 978-2070456895, 221 pages.
HOUELLEBECQ, Michel, La Carte et le Territoire, Paris, GF Flammarion, 2016 [2010],
ISBN : 978- 2081365452, 487 pages.
HOUELLEBECQ, Michel, Soumission, Paris, Flammarion, 2015, ISBN : 978-
2081354807, 300 pages.
HOUELLEBECQ, Michel, La possibilité d’une île, Paris, Fayard, 2005, ISBN : 978-
2213625478, 485 pages.
HOUELLEBECQ, Michel, Plateforme, Paris, J’ai lu, 2002 [2001], ISBN : 978-
2290028520, 350 pages.
HOUELLEBECQ, Michel, Les particules élémentaires, Paris, J’ai lu, 2000 [1998],
ISBN : 978-2290028599, 320 pages.
HOUELLEBECQ, Michel, Extension du domaine de la lutte, Paris, J’ai lu, 1997 [1994],
ISBN : 978-2290349526, 155 pages.
HOUELLEBECQ, Michel, Poésie, Paris, J’ai lu, 2010, ISBN : 978-2290095379, 442
pages. Cette édition rassemble : Rester vivant, Paris, La Différence, 1991 [réédité chez
Flammarion, 1997] ; Le sens du combat, Flammarion, 1996 ; La poursuite du bonheur,
Flammarion, 1997 [paru pour la première fois chez La Différence, 1991] ; Renaissance,
Flammarion, 1999 ; Configuration du dernier rivage, Flammarion, 2013.
« La femme auteur, Leur XIXe siècle. Michel Houellebecq-La possibilité d’un XIX e
siècle », entretien réalisé par Agathe Novak-Lechevalier, in Le Magasin du XIXe siècle, Nîmes,
Lucie éditions, 2011, n°. 1, pp. 7-21

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