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LA DYNAMIQUE DE
L’EMPLOI DES JEUNES
AU MAROC
Abdeljaouad EZZRARI, Ayache KHELLAF et Abdelaziz NIHOU
Introduction
59 la nécessité de développer le système d’information sur le marché du travail pour saisir la dynamique
de transition entre l’activité et l’inactivité des personnes en âge d’activité, notamment les femmes et
les jeunes qui ne sont ni à l’école ni au marché de l’emploi, et mieux appréhender la réalité du chômage
déguisé d’une grande partie des jeunes notamment les diplômés qui occupent des emplois instables et
indécents comme solution d’attente dans l’espoir d’emplois plus stables, mieux rémunérés et répondant à
leur prétention professionnelle
Source : Calcul des auteurs basé sur les données de l’Enquête Nationale sur l’Emploi (2012)
2. Egalité femme/homme
L’indice de parité femme/homme se réduit au fur et à mesure que le
diplôme s’élève. C’est ainsi que l’indice de parité de participation au marché
de travail passe de 0,27 pour les diplômés de l’enseignement primaire, à 0,63
pour les diplômés de l’enseignement secondaire, à 0,80 pour les lauréats de la
formation professionnelle, à 0,86 pour les ingénieurs et lauréats des grands
instituts et à 0,89 pour les diplômés de la faculté. L’indice de parité femme/
homme pour le taux de chômage dépasse pour les jeunes ayant au moins
un diplôme. Cet indice affiche son maximum (1,72) pour les jeunes ayant le
diplôme de l’enseignement secondaire (baccalauréat) et se situe à son niveau le
plus bas (1,09) pour les diplômés de la faculté.
exercent un emploi non rémunéré en tant qu’aides familiales que les jeunes
hommes. Ces résultats corroborent ceux obtenus par les statistiques descriptives
où près de 79% des jeunes femmes sont inactives et 44% des actives occupent
un travail non rémunéré.
Les signes négatifs des autres statuts dans le marché du travail montrent
que les jeunes hommes ont plus de chance d’occuper un emploi permanent
ou occasionnel ou d’être auto-employé que les femmes. En termes d’effets
marginaux, le fait d’être jeune homme augmente ses chances d’être un
salarié permanent de 30%, un salarié occasionnel de 6% et un employeur ou
indépendant de 9%.
Le niveau du diplôme obtenu impacte significativement la situation des
jeunes sur le marché du travail. Par rapport aux non diplômés, les jeunes ayant un
diplôme de l’enseignement fondamental ou celui de l’enseignement secondaire
sont plutôt dans la situation de l’inactivité que dans d’autres situations. En
effet, en comparaison avec un jeune sans diplôme, le jeune ayant le diplôme de
l’enseignement fondamental se voit sa probabilité d’être inactif augmenter de
36,3%, celles d’être en chômage, salarié permanent, salarié occasionnel, auto-
employé et travailleur non rémunéré de diminuer respectivement de 5,5%,
13,4%, 1,5%, 2,7% et 13,2%.
Pour les diplômés de la formation professionnelle, leur probabilité d’être
au chômage augmente de 15% et celle d’être salariés à titre permanent de 2,8%.
La formation dispensée à ces jeunes est sollicitée sur le marché du travail et
notamment dans le secteur privé, mais la structure du marché du travail ne
pourrait pas absorber tous les lauréats de la formation professionnelle qui sont
de plus en plus nombreux, ce qui expliquerait un fort taux de chômage de ces
diplômés.
S’agissant des diplômés de l’enseignement supérieur, les résultats du modèle
montrent que par rapport à la modalité de référence « chômage », les lauréats
de grandes écoles et instituts sont de moins en moins inactifs et de moins en
moins dans les autres statuts d’activité. En d’autres termes, la probabilité des
lauréats de grandes écoles et instituts d’être en chômage augmente de 4,2%,
celle d’être inactifs de 3,5% et celle d’être salariés à titre permanent de 3,6%.
De tels résultats corroborent ceux obtenus dans l’analyse descriptive et selon
lesquels, les diplômés de l’enseignement supérieur trouvent de plus en plus
des difficultés à s’insérer dans le marché de l’emploi. En effet, leur exigence
en termes du salaire et en termes du secteur de l’emploi prolongent leur durée
de chômage. Pour les diplômés des facultés, la probabilité qu’ils soient dans
la situation d’inactivité augmente de 21% alors que la probabilité qu’ils soient
dans d’autres situations y compris le chômage diminue.
L’analyse des coefficients des différentes situations des jeunes sur le marché
du travail selon le type de diplôme montre que l’emploi salarié permanent est une
caractéristique des lauréats de grandes écoles et instituts et que l’emploi salarié
occasionnel, l’auto emploi et l’emploi non rémunéré sont plus prédominants
chez les jeunes à faible niveau de diplôme. Ces résultats confirment également
les conclusions de l’analyse descriptive menée dans les sections précédentes.
L’interaction entre le sexe du jeune et le diplôme montre que le fait d’avoir
un diplôme réduit les différences entre les femmes et les hommes en matière
d’inactivité et en matière également d’accès à un emploi non rémunéré. En
effet, les signes des coefficients des variables d’interaction au niveau de ces
deux modalités sont opposés aux signes des coefficients de la variable sexe de
l’individu. Pour les autres statuts, le fait d’avoir un diplôme ne réduit pas les
différences entre les sexes : les jeunes femmes sont moins susceptibles que les
jeunes hommes d’être salariées ou auto-employées, peu importe le niveau de
diplôme.
Toutes choses égales par ailleurs, la probabilité d’être inactif diminue au
fur et à mesure que l’âge augmente tandis que les probabilités d’avoir d’autres
statuts augmentent mais de façon différenciée. C’est à partir de l’âge de 20 ans
que l’on enregistre une baisse spectaculaire de l’inactivité qui est compensée par
une augmentation plus importante pour les statuts « emploi salarié permanent »
et « auto-emploi ».
Le chômage à son tour augmente avec l’âge mais il se stabilise à partir
de l’âge de 28 ans. Quant à l’emploi non rémunéré, il s’agit de relever qu’il
augmente timidement en fonction de l’âge et connait un repli à partir de 25
ans. En d’autres termes, plus la jeune avance dans l’âge plus la probabilité qu’il
décroche un emploi sécurisé et décent augmente.
Source : Calcul des auteurs basé sur les données de l’Enquête Nationale sur l’Emploi (2012)
62 La baisse de la participation des jeunes au marché du travail est due principalement à l’augmentation
des taux nets de scolarisation dans le secondaire et le supérieur.
des jeunes actifs sont dans l’industrie ou dans le secteur privé des services
et 36,4% dans l’agriculture. Seuls 2,2% parmi eux exercent dans le secteur
public. L’emploi dans le secteur public diffère sensiblement selon le sexe et
significativement selon le type de diplôme. Moins de 2% des jeunes hommes
actifs sont dans le secteur public et 2,9% pour les femmes. Si l’emploi dans le
secteur public est quasi-inexistant chez les jeunes sans diplôme, il représente
15% chez les diplômés de la faculté et 13,4% chez les diplômés de grandes
écoles et instituts. Les jeunes femmes sans aucun diplôme sont majoritairement
dans l’Agriculture (78,1%) et celles qui ont un diplôme de grandes écoles
sont dans l’industrie et secteur privé des services (53,6%) et dans la fonction
publique (18,7%).
Il en ressort que le secteur public ne peut pas absorber les flux des
jeunes diplômés qui arrivent chaque année sur le marché de travail. La faible
création d’emploi dans le secteur public et la faible capacité du secteur privé
à créer de l’emploi qualifié ont conduit donc à une hausse du chômage des
jeunes, en particulier des diplômés. En fait, l’amélioration de la croissance
suite aux politiques publiques expansionnistes des années passées, n’a pas
été accompagnée par un changement notable des structures économiques, en
faveur des activités à haut contenu technologique. Les secteurs de l’agriculture,
du BTP et des services qui participent pour 80% de la valeur ajoutée totale
continuent d’être les principaux moteurs de la croissance économique. Leurs
croissances durant la décennie 2000 ont atteint respectivement 5,8%, 7,2% et
5%, alors que celle du secteur industriel n’a pas dépassé 3%.
Ces secteurs se distinguent également par la faiblesse de leurs multiplicateurs
d’emploi et notamment d’emploi qualifié. Avec une création de 10 emplois
directs l’agriculture ne crée que 2 emplois indirects, le Bâtiment et travaux
publics 1,2 et les services 3. Intensifs en emploi, ils participent peu, aussi
directement qu’indirectement, au recrutement de la main d’œuvre qualifiée.
En moyenne, 65% de l’emploi cumulé créé par ces secteurs s’adresse à une
main d’œuvre sans qualification et pour 30% à des aides familiales. Il est
remarquable à cet égard que le secteur de l’industrie qui crée autant d’emploi
direct qu’indirect et a vocation à mieux valoriser les qualifications, a connu une
baisse de sa part dans la valeur ajoutée totale qui a régressé de 18% en 2000 à
13% en 2012.
La prédominance du faible niveau de la qualité et de la quantité de l’emploi
des jeunes renvoie donc à la structure de l’économie nationale dont le niveau
de productivité de ses composantes sectorielles reste faible.
Conclusion
L’emploi des jeunes constitue une préoccupation majeure des pouvoirs
publics. En effet, cette catégorie de la population est la plus vulnérable au
chômage. Les dernières données du marché du travail montrent que le taux
de chômage des jeunes de 15-24 ans (22,8%) représente plus que le double du
taux de chômage national (9,0%) et atteint un niveau record parmi les jeunes
diplômés. Les jeunes chômeurs peinent à trouver rapidement un emploi dans
la mesure où la durée de leur chômage est longue. Ce qui atteste qu’il y a une
dévalorisation du capital humain et une exposition au risque d’exclusion du
marché du travail, surtout pour les jeunes diplômés.
Cette étude a montré également que les jeunes sont les plus touchés par la
précarité du travail, surtout les moins qualifiés d’entre eux qui exercent dans le
secteur non structuré et en milieu rural, en particulier les jeunes femmes et les
jeunes non diplômés.
Le Maroc a encore besoin d’une croissance forte pour pouvoir absorber
les vagues de populations jeunes qui entrent chaque année dans le marché du
travail malgré la décélération du rythme de croissance de la population active
de 15-29 ans. Dans ce contexte l’infléchissement du taux de chômage des
jeunes qui se situe actuellement autour de 17%, nécessite la réalisation d’une
croissance économique au-dessus d’un taux de 5% annuellement. Sous une
autre hypothèse où le taux d’activité, qui a connu une baisse dans les dernières
années pour atteindre aujourd’hui 42%, renoue avec son niveau de 2007 (47%),
la croissance économique devrait être encore plus forte pour que le chômage
ne prenne une tendance ascendante.
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Report No. 68731 –MOR
Annexes
Tableau 1 : Intensité du travail des jeunes et croissance de
l’emploi des jeunes par secteur
Emploi VA Inten- Crois- Crois- Elastic-
total des (millions sité de sance sance ité crois-
jeunes dh con- l’emploi annuelle annuelle sance
stant) des de l’em- de la emploi
jeunes ploi des VA des
jeunes jeunes
2012 2007-2012
Agriculture, forêt et 1377444 96,922 3.42 -2.90 8.86 -0.33
services annexes
Pêche, aquaculture 24295 9,694 0.60 -1.80 6.79 -0.27
Industrie d’extraction 22643 40,373 0.14 14.58 58.53 0.25
Industries de 384481 117,989 0.78 -5.87 8.25 -0.71
transformation
Industries alimen- 44426 32,085 0.33 -1.47 15.06 -0.10
taires et tabac
Industries du textile 148924 17,716 2.02 -9.85 0.54 -18.10
et du cuir
Industrie chimique 6857 23,903 0.07 -0.76 20.46 -0.04
et parachimique
Industrie mécan- 117006 23,158 1.22 -2.15 3.60 -0.60
ique, métallurgique et
électrique
Autres industries 66702 19,203 0.84 -3.77 3.53 -1.07
manufacturières (hors
raffinage de pétrole)
Electricité, gaz et eau 4950 22,194 0.05 5.36 5.83 0.92
Bâtiment et travaux 370866 48,970 1.82 4.37 6.28 0.69
publics
Commerce 480158 78,759 1.47 -0.18 4.21 -0.04
Hôtels et restaurants 95623 19,329 1.19 7.23 4.11 1.76
Transports 73674 29,183 0.61 3.81 4.64 0.82
Postes et 20483 28,218 0.17 -3.09 1.52 -2.04
télécommunications
Activités financières et 16264 46,175 0.08 4.53 5.07 0.89
assurances
Source : Calcul des auteurs basé sur les données de l’Enquête Nationale sur l’Emploi (2012)
Source : Calcul des auteurs basé sur les données de l’Enquête Nationale sur l’Emploi (2012)