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PLAN DU COURS
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1ère Partie: CIRCONSCRIPTION DE L’ERGONOMIE, RAPPEL
DES FONDEMENTS HISTORIQUES ET EVOLUTION
Introduction
Parallèlement à l’introduction à la psychologie du travail et à l’introduction aux théories des
organisations, nous entamons la 3e partie de cet enseignement centrée sur le champ global de la
psychologie de l’homme au travail. Cette partie d’enseignement porte sur l’« Introduction à
l’Ergonomie ».
L’objectif de cet enseignement est de fournir à l’étudiant les éléments essentiels qui lui
permettent de décrire de façon générale l’ergonomie comme discipline et comme pratique,
d’identifier ses champs de spécialisation et d’application, et enfin d’entrevoir son apport
sociétal.
Il s’articulera autour de deux parties dont la première cherche à circonscrire cette discipline et
rappelle ses fondements historiques en prenant en compte son évolution ; et la seconde partie
porte sur ses apports en tant que discipline contributrice à la création des savoirs et sur ses
domaines de spécialisation.
I- Circonscription de l’ergonomie
A- Définition de l’ergonomie
L’ergonomie est une discipline relativement récente. Le terme vient du grec ‘’Ergon’’, c’est-à-
dire : le travail, et de ‘’Nomos’’ qui veut dire : la règle ou les lois. Etymologiquement,
l’ergonomie signifie donc la ‘’loi du travail ou science du travail’’. Cependant, avec la
clarification de son objet, le sens de cette notion a beaucoup évolué en devenant plus circonscrit
et plus précis tout en préservant un rapport relativement étroit avec son étymologie. Mais avant
de définir cette discipline, il convient de souligner que l’ergonomie a plusieurs dénominations.
Ainsi, en Europe et plus particulièrement en France, on utilise le terme d’ergonomie ; tandis
qu’aux USA, on parle plutôt de Human Factors (facteurs humains) ou de moins en moins de
Human Engineering (ingénierie humaine). Quoi qu’il en soit, ces différentes dénominations
sont appréhendées comme des expériences désignant le même objet. Dans cette perspective,
chaque définition de cette discipline renvoie à ces principales dénominations.
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Cette définition pose l’ergonomie comme une pratique de transformation (adaptation,
conception) des situations et des dispositifs de travail. Elle met de fait l’accent sur la finalité
pratique de cette discipline. La définition de SELF précise que ces transformations sont opérées
sur la base de « connaissances scientifiques relatives à l’homme ». Cette précision souligne de
façon sous-jacente son caractère pluridisciplinaire.
Cette définition présente l’ergonomie, en premier lieu, comme une discipline, qui cherche à
construire un corps de savoirs particuliers. L’usage de ce corps de connaissances apparait
second. La référence à des disciplines qui la composent soutient le sous-entendu
pluridisciplinaire énoncé dans la définition de SELF (1970) et témoigne de la situation d’une
discipline naissante qui cherche sa voie.
L’adoption de cette définition signifie qu’il faudrait désormais ainsi appréhender la notion
d’ergonomie. En effet, elle est plus complète et correspond la vision actuelle et aux pratiques
de cette discipline relativement récente. C’est dans ce sens que Falzon (2004) souligne que
« Cette définition témoigne du développement de l’ergonomie et marque un tournant dans le
regard que la discipline porte sur elle-même » (p.18). Au-delà du fait que cette définition
s’appuie sur la première version centrée sur la discipline elle-même, elle porte aussi sur les
praticiens, énonce ce qu’ils font et reconnait l’existence de la profession d’ergonomes. En outre,
elle rappelle le caractère global de l’approche ergonomique et laisse entrevoir les domaines de
spécialisation de cette discipline.
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enseignement, pour l’instant, il convient, après avoir défini l’ergonomie comme discipline, de
passer à l’objet et aux objectifs de cette discipline.
B- Objet de l’ergonomie
L’ergonomie est une science hybride, en ce sens qu’elle est constituée par plusieurs disciplines
dont la médecine, la psychologie, la physiologie, la sociologie et l’ingénierie. Elle a pour objet
l’étude du travail humain, envisagé comme « l’unité des trois réalités qui n’existent pas
indépendamment les unes et les autres : les déterminants de l’activité de travail, l’activité de
travail elle-même et ses conséquences sur l’agent (l’opérateur ou le sujet), le groupe et
l’organisation ». De ce fait, elle intègre les branches de ces disciplines qui concourent à la
connaissance scientifique de l'homme au travail. Cette connaissance inscrit son objet dans la
recherche d’une meilleure adaptation du travail et de l'environnement de travail à l'homme. Or,
pour adapter le travail à l'homme, il est nécessaire d'effectuer des aménagements concernant les
outils, les postes de travail, les systèmes homme-machine, l'environnement, l'organisation du
travail et les intermédiaires techniques. Cette quête de l’adaptation du travail à l’homme vise
deux principaux objectifs.
Cependant la traduction de ces deux objectifs a évolué avec le temps. Par exemple, la notion de
santé a beaucoup changé dans les années 1980 et 1990. Ainsi, en ce qui concerne la santé
physique, on est passé d’une vision palliative ou préventive à une vision constructive : il s’agit
dans cette vision de rechercher les conditions qui non seulement évitent la détérioration de la
santé, mais qui favorisent aussi sa construction (Laville et Volkoff, 1993 ; Falzon, 1996) d’une
part. D’autre part, l’idée de santé cognitive a été avancée dans une perspective
développementale par Montmollin (1993) et Falzon (1996). La question n’est plus
seulement : « comment concevoir un système de travail qui permette un exercice fructueux de
la pensée ? ». Elle est aussi : « comment concevoir un système de travail qui favorise le
développement des compétences ? ». C’est dans cette optique que l’ergonomie a longtemps
utilisé le slogan « on est meilleur quand on est mieux », pour tenter justement de les articuler.
Toutefois, ces objectifs ne vivent pas toujours en parfaite harmonie. Certes que dans nombre de
situations, ces objectifs peuvent l’être. Mais ça n’est pas toujours le cas. Des compromis doivent
être recherchés, en interaction avec les acteurs de la situation. La présentation de la dualité
d’objectifs de cette discipline étant effective, revenons à ses fondements historiques et son
évolution.
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II- Les fondements historiques et évolution de l’ergonomie
L’histoire d’une discipline, en générale et dans le cas particulier de l’Ergonomie, s’appuie sur
celle des institutions qui l’ont portée, des personnes qui l’ont créée et développée, des concepts,
des théories, des méthodes qui en font son contenu et sur l’histoire d’une profession qui est un
de ses moyens d’action. Ces éléments historiques sont en rapport étroit avec l’histoire du travail
et des conflits sociaux qui en constituent à la fois le contexte, l’origine et l’objet de cette
discipline. Nous tenterons dans ce 2e point d’en exposer quelques repères.
En ce qui concerne les ingénieurs et organisateurs du travail, il faut noter que c’est d’abord dans
une perspective d’amélioration du rendement de l’homme au travail qu’en France, les
ingénieurs comme Vauban (XVIIe siècle) et Belidor (XVIIIe siècle) tentent de mesurer la
charge de travail physique journalière sur les lieux du travail. Ils suggèrent qu’une charge trop
élevée entraîne l’épuisement et des maladies et préconisent une meilleure organisation des
tâches pour améliorer le rendement.
Un peu plus tard, Vaucanson (XVIIIe siècle) et Jacquard (XIXe siècle) mettront au point les
premiers dispositifs automatiques qui suppriment des postes particulièrement pénibles.
Ensuite, les organisateurs du travail comme Taylor et ses précurseurs développent, à partir de
1903 aux Etats-Unis les principes du « Scientific Management » à savoir : l’Organisation
scientifique du travail (OST) et les Méthodes des Temps et Mouvements (MTM). Un
changement radical de l’organisation du travail va donc s’opérer. Ce changement fait que les
ouvriers ne maîtrisent plus leur travail ni leurs modes opératoires puisque ceux-ci sont conçus
par des experts et des ingénieurs. Le principe du travail à la chaîne introduite par Ford en 1913,
exportée progressivement dans le monde entier, entrainant parallèlement une certaine
conception de l’Homme : un homme dissocié (tête, jambes), au fonctionnement stable, tel une
machine, participe aux contextes à l’origine de l’ergonomie.
De leur côté, les chercheurs, physiciens, physiologistes s’intéressent à l’homme en activité pour
en comprendre le fonctionnement. Dans ce registre, on peut citer Leonard de Vinci (XVIe
siècle) qui a étudié les mouvements des segments corporels, ouvrant ainsi le champ de la
biomécanique. Plus tard, Lavoisier (XVIIIe siècle) découvre les premiers éléments de la
physiologie respiratoire et de la calorimétrie. Il fait également les premières tentatives
d’évaluation du coût musculaire.
Puis, au début du XXe siècle, Lahy (1916), physiologiste d’origine et Jules Amar (1923)
reprochent au taylorisme de négliger et d’ignorer les effets de la fatigue de l’homme au travail,
en se positionnant uniquement du point de vue de l’outil et partant de l’organisation.
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Enfin, Les médecins se situent dans un courant hygiéniste qui se focalise sur la sécurité et la
protection de la santé des salaries. Ainsi au moyen âge, Armanda de Villeneuve s’intéresse
aux conditions de travail et en particulier aux facteurs environnementaux (chaleur, humidité,
poussière, toxiques). En France, dès le XVIIe siècle, Ramazzini, considéré comme le père
fondateur de la médecine du travail, s’intéresse aux conséquences du travail : il décrit les
premières maladies professionnelles dans une série de monographies touchant à des activités
très diverses. Villermé (XIXe siècle), chirurgien, réalise des études statistiques et mène une
importante enquête sur les conditions de travail dans de nombreuses usines de toutes les régions
de France qui aboutit à un rapport publié en 1840 sur l'état physique et moral des ouvriers,
accomplissant ainsi un recensement des postes de travail provoquant la souffrance chez les
travailleurs. Ce rapport est à l'origine des premières mesures légales de limitation de la durée
de travail et de l'âge d'embauche pour les enfants.
C’est dans les années 1950 qu’un projet d’ergonomie francophone a vu le jour. Ces années sont
marquées par la nécessité de reconstruire les pays européens ravagés par la guerre. Aidée par
le plan Marshall (plan d’aide des Etats-Unis à la reconstruction de l’Europe, sous condition de
la modernisation des moyens de production), l’industrie se modernise et la recherche de gains
de productivité devient importante. Des missions sont envoyées aux Etats-Unis, des structures
administratives telles que l’agence européenne de productivité sont créés pour stimuler des
progrès dans ce domaine, cette dernière va par exemple soutenir très fortement le projet
d’ergonomie francophone.
A cette époque aux Etats-Unis, pour accroître la productivité industrielle, ce sont surtout les
théories d’Elton Mayo, de Maslow, de Herzberg sur les motivations et les besoins de l’homme
qui sont préconisées. Dans cette même visée, certains Européens francophones peu convaincus
par ces théories et leurs applications vont plutôt faire le choix d’améliorer les conditions de
travail.
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entreprises et leur rôle en matière d’hygiène et de sécurité, en particulier (création des Comité
hygiène et sécurité). L’Etat intervient de plus en plus dans le fonctionnement de l’entreprise en
matière de sécurité et de santé au travail entre autres. C’est dans ce contexte, où les conditions
de travail commencent à être reconnues comme un domaine important dans la société, que vont
se créer et se développer des centres de recherche privés et publics et des centres
d’enseignement publics dans divers pays francophones.
Dans l’industrie, en Suisse, Paule Rey, médecin du travail à cette époque, développe une
structure de recherche et d’action dans l’industrie horlogère : il s’agit d’analyser et de diminuer
les risques liés au travail, mais aussi les défauts de qualité de la production. En France, Pierre
Cazamian, médecin lui aussi, crée un Centre de Recherche pour l’Amélioration du Confort et
de la Sécurité des Véhicules chez un grand constructeur automobile.
Dans le secteur public, en France, au Conservatoire National des Arts et Métiers (avec Camille
Soula et Jean Scherrer), des enseignements et des recherches en laboratoire sont orientées
dans le domaine de la physiologie du travail musculaire après une longue tradition d’hygiène
industrielle. Au Centre d’Etudes et des Recherches Psychotechniques (CERP), qui dépend de
l’Agence nationale pour l’information, la formation et la reconversion de la main-d’œuvre,
André Ombredane, Jean-Marie Faverge et Jacques Leplat, qui sont respectivement
médecin, statisticien et psychologue, réorientent les recherches sur les techniques de sélection
vers l’analyse du travail. A Strasbourg, Bernard Metz, médecin, crée un Centre d’Etudes
Appliquées au Travail qui s’orientera vers la recherche sur les questions d’environnent
physique, de travail posté, de normalisation ergonomique.
En Belgique, Coppée crée un Centre d’Ergologie à Liège, et Ombredane puis Faverge, après
avoir quitté le CERP, continueront à l’université de Bruxelles leurs activités sur l’analyse du
travail. Rappelons que leur livre paraît en 1955, huit ans avant la naissance officielle de
l’ergonomie francophone. Cet ouvrage fondateur sur l’analyse du travail à un sous-titre :
« Facteur d’économie humaine et de productivité », rarement cité qui reflète pourtant les
préoccupations de l’époque.
Certains de ces centres privilégient l’une ou l’autre des disciplines mères de l’ergonomie, la
physiologie ou la psychologie du travail, alors que d’autre sont, dès leur création,
pluridisciplinaires. Ainsi Bernard Metz, à Strasbourg engagera d’emblée des psychologues, des
physiologistes et des médecins au Centre d’étude appliquées au travail(CEAT), qui deviendra
le Centre d’étude biomécanique(CEB).
Trois principaux phénomènes vont ainsi converger dans le début des années 1960 pour aboutir
à la création de la SELF en 1963 :
- Le premier est un changement de problématique sur les problèmes du travail : il ne s’agit
plus de penser le travail, ses moyens techniques et organisationnels sur la seule logique
des ingénieurs, le travail et donc de la conception des moyens de travail ;
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- Le deuxième rôle joué par des personnalités universitaires dont certaines d’entre elles
sont animées par des valeurs humanistes qui se sont traduites par des engagements
pendant la guerre ;
- Le troisième est le soutien de structures administratives et politiques, nationales pour
les unes, européennes pour d’autres, comme la Communauté européenne du charbon
(CECA) qui rejoignent l’idée que la production et la sécurité doivent être conçues à
partir des travailleurs, de leurs fonctionnement, de leur activité au travail et non
l’inverse.
En 1963, suite aux contacts avec l’Ergonomic Research (devenue en 1976, l’Ergonomics
Society) et aux diverses rencontres dans le cadre de manifestations scientifiques internationales
sur le travail, des universitaires de France, (Bouisset, Leplat, Metz, Scherrer, Wisner), de
Belgique (Coppée, Faverge) et de Suisse(Grandjean) et un haut cadre du ministère du travail
français (Gillon), décident de crée la SELF pour promouvoir l’ergonomie dans les pays de
langue française. Le premier congrès de la SELF a eu lieu cette même année à Strasbourg.
Enfin, alors que l’Ergonomic Reseach Society est d’emblée largement pluridisciplinaire, allant
des économistes aux ingénieurs et aux architectes, la SELF, quant à elle s’élargira beaucoup
plus lentement au-delà des physiologistes et des psychologues du travail.
B- L’évolution de l’Ergonomie
Le contexte des activités universitaire ne permet pas d’aborder tous les aspects de l’évolution
de cette discipline. Dans cette perspective, il convient de nous limiter la présentation de ce point
portant : évolution de l’ergonomie à celle dite francophone. Cette évolution s’articulera autour
de l’enfance de l’ergonomie francophone et son développement.
Pendant ces années, on va assister à des mutations qui vont avoir un impact considérable. Parmi
ces mutations on peut noter : le développement continue de l’industrie ; l’extension de
l’organisation taylorienne du fait de celle de l’industrie de montage d’objets de consommation ;
les rapports conflictuels et tendus entre le patronat et les syndicats ; l’ouverture difficile de
l’entreprise aux recherches menées sur le travail.
Face à ces mutations, l’ergonomie va alors être confrontée à divers problèmes qui vont susciter
de débats passionnés. Quelques-uns de ces débats porteront par exemple sur :
- Comment sortir du laboratoire pour mener ces études sur le terrain ? D’une part la
communauté scientifique s’interroge sur la validité des résultats de recherche où l’on ne
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peut ni manipuler ni contrôler toutes les variables ; d’autre part les directions
d’entreprise craignent que de telles études favorisent des conflits sociaux ;
- Comment identifier cette discipline ? Faut-il limiter son champ aux processus
physiologiques et psychologiques de l’activité de travail, ou au contraire interroger les
phénomènes sociaux que met en évidence l’analyse du travail ?
- Comment définir l’ergonomie ? Doit-on la considérer comme une science, une
technique ou un art à l’instar de l’art du médecin, de l’ingénieur ?
- Comment délimiter son champ d’action ? Faut-il le restreindre à l’amélioration des
moyens matériels du poste de travail ou l’étendre à l’organisation du travail ?
- Comment cibler le niveau d’intervention le plus pertinent ? l’ergonomie doit-elle se
préoccuper, d’abord, de correction, d’aménagement, ou au détriment de conception des
situations et objets de travail ?
- Comment tenir l’équilibre dans l’action entre protéger la santé des travailleurs et
accroître la productivité ? Faut-il parfois privilégier l’un au détriment de l’autre ?
Ces questions font alors l’objet des pratiques différentes et de vifs débats qui se poursuivront,
d’ailleurs dans les périodes suivantes. Mais les thèmes des communications des premiers
congrès de la SELF montrent bien que ces questions sont abordées avec timidité. Dans leur
majorité, ces communications portent sur des études en laboratoire, ayant un rapport souvent
distant à la réalité, elles cherchent à définir des indicateurs physiologiques de la fatigue et de la
charge physique et sensorielle (fréquence cardiaque, fréquence critique de fusion,
électroencéphalogramme, électromyogramme…). Ce n’est guère qu’à la fin des années 1960
que sont rapportées des études ergonomiques de postes de travail et des propositions
d’aménagement.
L’extension du travail posté inquiète les pouvoirs publics qui demandent un rapport sur cette
question à Alain Wisner dont le rapport produit sera contesté par le patronat.
Les grandes centrales syndicales prennent de plus en plus en compte les questions des
conditions de travail dans leurs politiques. Ces fédérations syndicales et plus particulièrement
(métallurgie, chimie, confection) organisent des formations à l’analyse de l’activité et
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demandent des études aux laboratoires publics d’ergonomie. La question des conditions de
travail est ainsi posée de manière massive.
En France, le pouvoir politique tente d’y répondre par des dispositions législatives et par la
création de l’ANACT (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail). Mais
au début des années 1980, on passe d’une crise du travail à une crise de l’emploi : les conditions
de travail deviennent alors moins prioritaires dans les préoccupations sociales.
Des formations courtes sont organisées par des entreprises pour leur personnel, par des
fédérations de grandes centrales syndicales pour leurs délégués CHSCT (Comité d’Hygiène, de
Sécurité et des Conditions de Travail), ces derniers s’inscrivant dans ces politiques de
revendications sur les conditions de travail.
La formation à la recherche s’officialise par la création d’un doctorat en ergonomie qui s’ouvre
à des étudiants étrangers : les deux premières thèses en « ingénierie de l’ergonomie » sont
soutenues à la fin des années 1970 par deux ingénieurs dont l’une Québécoise (Monique Lortie),
l’autre Français (Jacques Theureau). Ainsi, se développent les métiers d’ergonome en entreprise
et d’ergonome consultant. Différents acteurs dans les entreprises sont sensibles à l’ergonomie.
C’est également à la fin de ces années 1970 qu’Alain Wisner commence à s’intéresser aux
spécificités culturelles, sociales et économiques des pays en développement qui importent des
technologies récentes. Cela pose à l’ergonomie des problèmes particuliers, à travers ce qu’Alain
Wisner nomme « l’Anthropotechnologie ». Un champ nouveau de recherche ergonomique est
ainsi créé et développé par des étudiants étrangers venus se former dans le laboratoire du
CNAM. Dans d’autres pays cette question est aussi abordée par l’ergonomie.
Il faut noter que dès ses origines et plus particulièrement dans les années 1970, l’ergonomie
s’est interrogée sur ses apports possibles et l’extension de ses actions aux questions
sociologiques et économiques de l’entreprise.
A cette époque, au début des années 1970, une équipe de sociologues avait mis au point une
grille générale d’analyse des conditions de travail après un dialogue avec des ergonomes. Des
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réunions avaient rassemblé économistes, sociologues du travail et ergonomes. Mais ces
tentatives de rapprochement sont restées sans suite, mise à part des initiatives individuelles de
coopération.
Ce n’est que dans les années 1990 que l’ergonomie s’est posé ces questions comme en témoigne
quelques thèmes de ses congrès annuels (interaction avec le contexte social, technique et
économique en 1997 ; critère de gestion des entreprises en 1999).
Cependant, dès la fin des années 1970, en France, des dialogues s’instaurent avec des
statisticiens du ministère du travail qui vont réaliser en 1978 la première enquête nationale sur
les conditions du travail. Cette enquête, qui sera reproduite périodiquement et qui sera même
étendue à des pays européens, est fortement marquée par les apports de l’ergonomie
francophone.
Conclusion partielle
En somme, il faut retenir que l’ergonomie, bien que récente, est une discipline scientifique à
part entière dont l’histoire est en lien avec celle des conditions de travail et l’évolution technique
et technologique du travail. Elle entretient une relation étroite avec l’histoire du travail et des
techniques, l’histoire des mouvements sociaux, l’histoire des idées et des sciences. Elle se
construit grâce à des hommes et des femmes qui créent et animent des structures
d’enseignement, de recherche, d’introduction de l’ergonomie dans le monde du travail, qui
exercent ce métier d’ergonome comme consultant ou comme salarié dans les entreprises. Elle
est aussi dépendante de l’histoire et de la culture des pays dans lequel l’ergonomie se
développe. Cette histoire n’est pas encore écrite ; c’est un domaine à explorer pour des
historiens. Mais cette histoire n’est pas terminée car le travail et les travailleurs évoluent, ce qui
pose de nouvelles questions. Comme l’écrivait De Montmollin en 1978, « l’ergonomie ne peut
être que pratiquée et créée en même temps avec ceux-là mêmes qui en ont besoin ».
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2ème Partie: LES CONNAISSANCES ET LES DOMAINES DE
SPECIALISATION DE L’ERGONOMIE
Introduction
Cette partie constitue une suite de la première partie et plus singulièrement celle portant sur
la circonscription de l’ergonomie qui s’articule autour de la définition de l’ergonomie, son
objet, ses objectifs et son histoire. La présente partie s’inscrit dans cette perspective de
présentation de cette discipline en abordant cette fois-ci ses apports en tant que discipline
conceptrice des savoirs. Plus concrètement, il s’agit ici de vous parler des connaissances
qu’elle construit et mobilise ainsi que ses domaines de spécialisation.
Néanmoins la différence qui existe entre ces disciplines et l’ergonomie réside dans le
fait que l’ergonomie développe une approche globale, systémique encore appelé approche
holistique, de l’homme où celui-ci est : « simultanément pensé dans ses dimensions
physiologique, cognitives et sociales » (Falzon, 2004).
Ce qu’il faut retenir, c’est que ce n’est pas parce que l’ergonomie en tant que discipline,
défend une approche holistique que vous trouverez nécessairement l’ensemble de ces
dimensions dans toutes les actions ou toutes les études menées dans les champs de l’ergonomie.
Car, embrasser l’ensemble de ces déterminants d’une situation dans une seule étude est un
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objectif quasi irréaliste et vraisemblablement contre-productif ; c’est pourquoi vous serez
souvent amené à opérer des choix pour être efficace et performant.
C’est un volet qui est rarement identifié et évoqué dans les ouvrages ergonomiques pour
des raisons diverses. Falzon en identifie quelques une d’entre elles dans son article publié en
2004. L’auteur mentionne le fait que :
L’action a toujours été pensée comme la « simple » mise en œuvre des connaissances
sur l’homme. Elle relève de l’application et ne saurait être ni objet de connaissances en elle-
même ni passible des méthodes de recherche scientifique ce qui pose le problème d’un modèle
implicite sous-jacent de référence.
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Cette forme de connaissances ne peut se construire et s’évaluer en dehors de la pratique et de
l’action. En revanche la pratique de l’action, même si elle est une condition nécessaire, elle
n’est pas suffisante pour construire la connaissance de l’action.
La réalisation d’un tel projet exige que soit menée une véritable étude scientifique de l’action
ou une véritable réflexion sur les conditions d’élaboration d’un savoir scientifique en matière
de méthodologie ergonomique. Et cela n’est possible qu’à partir de :
Une étude expérimentale visant l’évaluation et la validité des méthodologies. Ici on
cherchera par exemple, à évaluer deux méthodes d’évaluation des interfaces, en utilisant
des variables comme la facilité de mise en œuvre, le temps nécessaire, les erreurs, la
détection des problèmes. On peut également chercher à évaluer des méthodes
participatives en comparaison avec des méthodes expertes en comparant la nature, la
quantité ou la validité des informations recueillies par les uns et les autres.
Une analyse du travail des ergonomes : il s’agit d’analyser l’activité d’ergonomes aux
moyens des outils de l’ergonomie.
Ce qu’il faut retenir, c’est que, lorsque l’ergonome est face à une situation de travail, il peut
occuper deux types de position :
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Soit il est impliqué en tant que spécialiste d’une discipline, l’ergonomie, dans une
intervention ou un projet de conception : ce sont les connaissances évoquées ci-
dessus qui sont alors mobilisés. Elles lui permettent de construire une représentation
des activités futures des opérateurs, sur la base de laquelle il produira des
recommandations relatives aux situations de travail ou aux dispositifs techniques et
organisationnels.
Soit il est impliqué dans la conduite de projets. Ce sont des connaissances relatives
aux activités de conception qui sont alors mobilisées. Elles portent sur le processus
de conception et peuvent se rapporter aux éléments suivant :
Nature des tâches (linéaire et séquentielle et des activités de conception
(coordination, coopération, etc.) ;
Aspects collectifs(les interactions qui sous-tendent l’activité des partenaires
du processus de conception son synchrone et en face-à-face ou asynchrone
et médiatisées par les technologies de l’information et la communication (via
les progiciels intégrés, des sites web d’entreprise (intranet) des collecticiels,
des bases de données produits) ;
Métrologies (méthodes de conduite de projet, méthode de conduite de
réunion, formation à la conception collective, etc).
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IV- Les domaines de spécialisation
L’ergonomie est une discipline orientée vers le système, qui s’applique à tous les aspects de
l’activité humaine. Les ergonomes praticiens doivent avoir une compréhension large de
l’ensemble de la discipline, prenant en compte les facteurs physiques cognitifs, sociaux,
organisationnels, environnementaux et d’autres encore. Ces facteurs peuvent devenir des
domaines de spécialisation puisqu’ils constituent des compétences plus fouillées dans les
attributs humains spécifiques ou dans les caractéristiques de l’interaction humaine.
En référence à ces facteurs, on peut retenir les domaines de spécification suivants : l’ergonomie
physique, l’ergonomie cognitive et l’ergonomie organisationnelle.
A. L’ergonomie physique
L’ergonomie physique s’intéresse aux caractéristiques anatomiques, anthropométriques,
physiologiques et biomécaniques de l’homme dans leur relation avec l’activité physique. Les
thèmes pertinents comprennent les postures de travail, la manipulation d’objet, les mouvements
répétitifs, les troubles musculo-squelettiques (TMS), la disposition du poste de travail, la
sécurité et la santé.
B. L’ergonomie cognitive
L’ergonomie cognitive s’intéresse aux processus mentaux, au traitement de l’information et aux
caractéristiques cognitives de l’opérateur (Homme) tels que la perception, la mémoire, le
raisonnement, etc. Elle observe leurs effets sur les interactions entre les personnes et les autres
composantes d’un système. Dans ce domaine de l’ergonomie, on retrouve thèmes comme la
charge mentale (surcharge et sous-charge), la prise de décision, l’interaction homme-machine
(interfaces, conception de menus, etc.).
C. L’ergonomie organisationnelle
L’ergonomie organisationnelle s’intéresse à l’optimisation des caractéristiques des systèmes
sociotechniques, c’est-à-dire qu’elle a comme cible la structure organisationnelle, les règles et
les processus. On retrouve dans cette spécialité de l’ergonomie les thèmes de communication,
de conception du travail et des horaires de travail, de travail collectif et coopératif, de nouvelles
formes de travail notamment le télétravail, les organisations virtuelles, etc.
Conclusion partielle
Au terme de cette seconde partie de cet enseignement centrée sur l’introduction à l’ergonomie,
nous pouvons retenir que l’ergonomie est une discipline scientifique à part entière, en ce sens
qu’elle, à travers son objet et sa méthode, participe à la construction des connaissances de nature
variée parmi lesquelles les connaissances générales sur l’humain, les connaissances
méthodologiques ou pratiques, les connaissances spécifiques et les connaissances casuelles.
Ces connaissances sont acquises chacune selon un mode opératoire propre. Aussi l’ergonomie
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est une discipline possède plusieurs domaines de spécialisation dont les plus connus sont
l’ergonomie physique, l’ergonomie cognitive et l’ergonomie organisationnelle.
Bibliographie
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