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La responsabilité pénale du chef d'entreprise : à l'ère de la gouvernance


d'entreprise

Burgener, Fabio

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BURGENER, Fabio. La responsabilité pénale du chef d’entreprise : à l’ère de la gouvernance


d’entreprise. In: Schweizerische Zeitschrift für Strafrecht, 2015, vol. 133, n° 4, p. 368–398.

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368  ZStrR · Band/ Tome 133 · 2015

Fabio Burgener 1, Genève

La responsabilité pénale du chef d’entreprise


A l’ère de la gouvernance d’entreprise

Sommaire
I. Introduction
II. Responsabilité pénale du chef d’entreprise
1. Développement jurisprudentiel
a) Arrêt Bührle (ATF 96 IV 155)
b) Arrêt Von Roll (ATF 122 IV 103)
2. Définition de la notion de chef d’entreprise
3. Responsabilité pénale du chef d’entreprise sur la base de l’art. 11 CP
a) Généralités
b) Fondement du devoir juridique d’agir
c) Devoirs du chef d’entreprise
aa) Organisation de l’entreprise
bb) Surveillance des subordonnés
d) Lien de causalité et possibilité d’agir
aa) Causalité hypothétique
bb) Possibilité d’agir
cc) Cas particulier des décisions prises dans un organe collectif
e) Commission d’une infraction par un subordonné
4. Responsabilité pénale du chef d’entreprise au sens de l’art. 6 al. 2 DPA
III. Partage des responsabilités
1. Nécessité de la délégation
2. Limites matérielles de la délégation
3. Partage horizontal
4. Partage vertical
a) Effets pour le délégué
aa) Choix (cura in eligendo)
bb) Instruction (cura in instruendo)
cc) Surveillance (cura in custodiendo)
b) Effets pour le délégataire
5. Principe de la confiance
IV. Distinction avec la responsabilité de l’entreprise
1. Responsabilité subsidiaire de l’entreprise (art. 102 al. 1 CP)
2. Responsabilité directe et parallèle de l’entreprise (art. 102 al. 2 CP)
V. Conclusion

1 L’auteur remercie vivement la Prof. Ursula Cassani ainsi que Me Nadia Meriboute pour leur
relecture attentive et leurs précieux conseils.
 La responsabilité pénale du chef d’entreprise 369

I. Introduction

Alors qu’à l’origine les règles et les processus de «gouvernance d’entreprise»


(Corporate Governance) visaient essentiellement à trouver une solution au problème
du principal-agent entre les dirigeants et les actionnaires (shareholders) d’une même
entreprise2, ils tendent aujourd’hui à tenir compte également des intérêts des autres
parties prenantes (stakeholders) et de la collectivité3. Ainsi, en Suisse, la version re-
vue et corrigée du Code suisse de bonne pratique pour le gouvernement d’entre-
prise (CSBP), publiée par economiesuisse (Fédération des entreprises suisses) en
septembre 2014, «met en particulier l’accent sur le succès durable des entreprises
et en fait l’élément phare d’une responsabilité sociale des entreprises judicieuse
[…]»4.
A l’occasion de la révision du CSBP, les Traits fondamentaux d’une gestion
efficace de la conformité (TFGC) ont été actualisés et sont désormais cités dans le
CSBP comme référence helvétique pour les bonnes pratiques en matière de gestion
de la conformité5. Selon les TFGC, les entreprises doivent, pour connaître un suc-
cès durable, adopter une culture fondée sur la conformité réglementaire6. Cette no-
tion y est définie comme «la garantie du respect des prescriptions légales qui s’ap-
pliquent et des normes adoptées volontairement […]»7. L’idéal de la conformité vise
à éviter les atteintes au droit et à promouvoir l’intégrité dans les pratiques commer-
ciales, ce qui permet à l’économie d’assumer sa responsabilité envers la société en
évitant de prendre des décisions entrepreneuriales basées uniquement sur des cri-
tères économiques8.

2 P. Böckli, Schweizer Aktienrecht, 4e éd., Zurich 2009, § 14 N 8 et 24 s; D. Fischer, Corporate


Governance und der Sarbanes-Oxley Act aus strafrechtlicher Sicht, Abhandlungen zum
schweizerischen Recht (ASR), H. Hausheer (édit.), vol. 751, Berne 2008, 10 ss. Voir aussi G. Gi-
ger, Corporate Governance als neues Element im schweizerischen Aktienrecht, Grundlagen
sowie Anpassungsbedarf in den Bereichen Aktionärsrechte und Unternehmensleitung bei
Publikumsgesellschaften, Schweizer Schriften zum Handels- und Wirtschaftsrecht (SSHW),
P. Forstmoser (édit.), vol. 224, Zurich, Berne, Genève 2003, 16 ss qui propose un panorama
du développement de la gouvernance d’entreprise en Suisse, en Allemagne, au Royaume-Uni,
aux Etats-Unis, dans l’Union européenne (UE) et au sein de l’Organisation de coopération et
de développement économiques (OCDE).
3 H. Peter/G. Jacquemet, Corporate social responsibility, analyse des rapports 2013 des dix plus
grandes sociétés du SMI, ECS 2014, 1027, 1027.
4 Economie Suisse/Swiss Holdings, Code suisse de bonnes pratiques pour le gouvernement d’en-
treprise, septembre 2014 (cité: CSBP), 3.
5 CSBP, 13; Economie Suisse/Swiss Holdings, Traits fondamentaux d’une gestion efficace de la
conformité, septembre 2014 (cité: TFGC), 2.
6 TFGC, 2.
7 TFGC, 5.
8 TFGC, 2 et 16.
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Ces recommandations de bonne gouvernance d’entreprise vont certes dans


la bonne direction, mais s’avèrent insuffisantes pour prévenir et réprimer les in-
fractions commises au sein des entreprises. En effet, l’application de ces règles d’au-
torégulation repose sur une base volontaire (soft law)9; aucune sanction n’est pré-
vue en cas de violation, et leur but est restreint. Comme le souligne le Prof.
Hofstetter dans son rapport sur le CSBP10, même si les TFGC tendent quelque peu
à la protection des intérêts de la collectivité et de tiers11, ils visent avant tout le suc-
cès durable de l’entreprise dans l’intérêt des actionnaires12. Celui-ci reste le critère
de référence pour déterminer le comportement des dirigeants, notamment la ma-
nière dont ces derniers doivent tenir compte des intérêts de la collectivité ou de
tiers13.
Le droit suisse prévoit différents moyens pour sanctionner l’entreprise qui
violerait la loi. Alors que le droit civil a pour but la compensation d’un dommage
(par le paiement de dommages-intérêts) et que le droit administratif permet la pré-
vention de futurs préjudices (p. ex. par le retrait d’une autorisation), le droit pénal,
qui n’intervient que comme ultima ratio, vise avant tout à exprimer la désappro-
bation de l’acte commis par le prononcé d’une peine14. Ainsi, en raison du carac-
tère potentiellement criminogène des entreprises15, ces dernières, tout comme les
individus qui les composent, sont soumises au droit pénal dont le but n’est pas uni-
quement répressif mais également préventif16. Le droit pénal doit notamment inci-
ter les entreprises et les dirigeants de ces dernières à prendre des mesures organi-
sationnelles adéquates et raisonnables, afin de réduire les risques de lésion de biens
juridiques collectifs ou de tiers, même si cela va à l’encontre de l’intérêt des action-

9 Böckli (n. 2), § 14 N 322; Giger (n. 2), 17; Peter/Jacquemet (n. 3), 1027.
10 K. Hofstetter, Grundlagenbericht zur Revision vom Swiss Code of Best Practice for Corpo-
rate Governance 2014, publié par Economie Suisse/Swiss Holdings, septembre 2014, 3.
11 Hofstetter (n. 10), 3 s et 19.
12 Hofstetter (n. 10), 9; D. Häusermann, Der revidierte Swiss Code of Best Practice von 2014:
Neuerungen, Würdigung und Kritik, Jusletter du 8 décembre 2014, N 4 ss.
13 Hofstetter (n. 10), 9.
14 Message du Conseil fédéral du 21 septembre 1998 concernant la modification du code pénal
suisse (dispositions générales, entrée en vigueur et application du code pénal) et du code pé-
nal militaire ainsi qu’une loi fédérale régissant la condition pénale des mineurs, FF 1999 II
1945 s. Voir aussi Fischer (n. 2), 62 ss; A. Ackermann, in: Wirtschaftsstrafrecht der Schweiz,
Hand- und Studienbuch, J.-B. Ackermann/G. Heine (édit.), Berne 2013, § 1 N 23 ss sur les
liens entre la gouvernance d’entreprise et le droit pénal économique.
15 Voir Ackermann, in: Ackermann/Heine (n. 14), § 1 N 1 ss qui présente l’évolution de la crimi-
nalité économique et les problèmes d’application du droit pénal à cette forme de criminalité.
16 G. Stratenwerth, Schweizerisches Strafrecht, Allgemeiner Teil I: Die Straftat, 4e éd., Berne
2011, § 2 N 27 ss.
 La responsabilité pénale du chef d’entreprise 371

naires. Cette obligation constitue une contrepartie équitable à la liberté entrepre-


neuriale octroyée par le droit suisse17.
Les entreprises autrefois gouvernées par un chef de famille omnipotent ont
pour la plupart laissé leur place à des entreprises caractérisées par une structure
organisationnelle complexe et par la fragmentation des responsabilités18. Ce chan-
gement de paradigme se concilie mal avec le droit pénal suisse qui est fondé sur la
responsabilité pénale individuelle19. Chacun répond de ses propres fautes, pour les
infractions qu’il commet en personne par un comportement actif ou passif, ainsi
que pour sa participation à l’activité délictueuse d’autrui20. Cette approche du droit
pénal constitue un obstacle à l’application de ce dernier au sein des entreprises mo-
dernes en raison de la difficulté à déterminer les responsabilités individuelles des
auteurs21, ainsi qu’à détecter les infractions pénales qui sont commises en son sein22.
Pour pallier ce problème, la voie apparente choisie par le droit pénal suisse
consiste à punir l’entreprise elle-même en raison d’un défaut d’organisation (art. 102
CP)23. Le contenu de cette base légale laisse toutefois une partie de la doctrine du-
bitative quant à la volonté réelle du législateur de punir les entreprises24. En effet,

17 Ackermann, in: Ackermann/Heine (n. 14), § 4 N 87; G. Godenzi/W. Wohlers, Die strafrecht-
liche Verantwortlichkeit des Compliance Officers: Prüfstein der Geschäftsherrenhaftung?, in:
Liber amicorum für Andreas Donatsch, A. Cavallo et al. (édit.), Zurich 2012, 223, 233 s;
W. Wohlers, Intensivierung der strafrechtlichen Verantwortlichkeit der Unternehmens­leitung:
Geschäftsherrenhaftung und Täterschaft kraft Organisationsherrschaft, in: Umfangreiche
Wirtschaftsstrafverfahren in Theorie und Praxis: 2. Zürcher Tagung zum Wirtschaftsstraf­
recht, J.-B. Ackermann/W. Wohlers (édit.), Zurich 2008, 83, 98.
18 U. Cassani, Infraction sociale, responsabilité individuelle: de la tête, des organes et des pe-
tites mains, in: Droit pénal des affaires: La responsabilité pénale du fait d’autrui, F. Berthoud
(édit.), Publication Cedicac, n° 49, Lausanne 2002, 43, 69.
19 Cassani (n. 18), 46; U. Cassani, Sur qui tombe le couperet du droit pénal? Responsabilité per-
sonnelle, responsabilité hiérarchique et responsabilité de l’entreprise, in: Journée 2008 de
droit bancaire et financier, L. Thévenoz/C. Bovet (édit.), Publication du Centre de droit ban-
caire et financier (CDBF), Zurich 2009, 53, 56; Godenzi/Wohlers (n. 17), 231 s; M. Forster, Die
strafrechtliche Verantwortlichkeit des Unternehmens nach Art. 102 StGB, Abhandlungen
zum schweizerischen Recht (ASR), H. Hausheer (édit.), vol. 723, Berne 2006, 7.
20 Cassani (n. 18), 44.
21 FF 1999 II 1943; Cassani (n. 18), 46.
22 Wohlers (n. 17), 84 s; F. Plüss, Der Patron verschwindet – die Verantwortung auch? Probleme,
die aus moralischer Sicht mit dem Verantwortungsbegriff, den die Unternehmensstrafbar-
keit nach Art. 102 StGB des schweizerischen Strafgesetzbuchs voraussetzt, verbunden sind,
RPS 2009, 206, 207; P. Graven, La responsabilité pénale du chef d’entreprise et de l’entreprise
elle-même, SJ 1985, 497, 500; H. Vest, Die strafrechtliche Garantenpflicht des Geschäftsherrn,
RPS 1988, 288, 294 ss.
23 A. Macaluso, in: Commentaire romand, Code pénal I, Art. 1–110 CP, R. Roth/L. Moreillon
(édit), Bâle 2009, art. 102 N 2 s; Niggli/Maeder, in: Ackermann/Heine (n. 14), § 8 N 20 s. Voir
aussi FF 1999 II 1943 ss.
24 Voir notamment Forster (n. 19), 66 s et 299 s; A. Lobsinger, Unternehmensstrafrecht und
Wirtschaftskriminalität, RPS 2005, 187, 199 s.
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l’efficacité de l’art. 102 CP semble moindre, comme en témoigne la rareté des cas
d’application de cette norme depuis son entrée en vigueur en 200325. L’individu
conserve donc, en tout cas jusqu’à une refonte complète de la responsabilité pénale
de l’entreprise, sa place au centre de l’échiquier du droit pénal économique et fi-
nancier26.
Une alternative envisageable à la punissabilité de l’entreprise consiste à pu-
nir pénalement les dirigeants qui, en raison de leur pouvoir de décision, jouent un
rôle primordial dans la surveillance de la source de danger que représente leur en-
treprise27. Malgré sa note marginale prometteuse, «punissabilité des actes commis
dans un rapport de représentation», l’art. 29 CP n’a pas pour objectif d’établir la liste
des individus susceptibles d’encourir une responsabilité pénale pour les infractions
commises au sein de l’entreprise. Il permet, pour les délits propres, d’imputer le de-
voir particulier qui incombe à l’entreprise aux personnes physiques occupant l’une
des positions énumérées28. Ces dernières répondront d’une infraction uniquement
si elles l’ont commise en réalisant tous les éléments objectifs et subjectifs.
Les piliers majeurs d’une «responsabilité pénale du chef d’entreprise» ont
été développés par le Tribunal fédéral dans deux affaires incriminant des entre-
prises suisses en raison de la livraison d’armes ou de composants d’artillerie en vio-
lation d’un embargo international. La contribution active à l’infraction par les chefs
d’entreprises respectifs ne pouvant pas être prouvée, le Tribunal fédéral a rattaché
la responsabilité de ces derniers à leur manquement à leur devoir de surveiller res-
pectivement d’organiser adéquatement la source de danger potentielle que consti-
tue l’activité de leurs subordonnés.
La responsabilité pénale du chef d’entreprise ne constitue pas une figure ju-
ridique homogène, comme en témoigne l’absence de base légale expresse dans le
Code pénal et les diverses normes qui traitent de cette problématique dans le droit

25 Plüss (n. 22), 217 ss; W. Wohlers, Die Strafbarkeit des Unternehmens – Art. 102 StGB als Ins-
trument zur Aktivierung individualstrafrechtlicher Verantwortlichkeit, in: Festschrift für
Franz Riklin, M. A. Niggli/J. Hurtado Pozo/N. Queloz (édit.), Zurich 2007, 287, 289 s et 296 ss.
Voir aussi Niggli/Maeder, in: Ackermann/Heine (n. 14), § 8 N 116 ss, lesquels résument les dif-
férents cas d’application.
26 Voir Wohlers (n. 25), 300 s qui considère que la responsabilité de l’entreprise peut améliorer
l’application du droit pénal individuel au sein des entreprises, particulièrement concernant
les dirigeants.
27 Ackermann, in: Ackermann/Heine (n. 14), § 4 N 86; Godenzi/Wohlers (n. 17), 231 s; A. Do-
natsch/F. Blocher, Zur strafrechtlichen Organisationspflicht des Geschäftsherrn, in: Grund­
fragen der juristischen Person: Festschrift für Hans Michael Riemer zum 65. Geburtstag,
P. Breitschmid et al. (édit.), Berne 2007, 51, 52; Cassani (n. 18), 58.
28 Cassani (n. 19), 60 s; A. Donatsch, Interaktionen zwischen strafrechtlicher und zivilrechtli-
cher Verantwortlichkeit: aus materiellstrafrechtlicher und prozessualer Sicht, in: Verantwort-
lichkeit im Unternehmenstrafrecht IV, R. H. Weber/P. R. Isler (édit.), Zurich, Bâle, Genève
2008, 147, 152.
 La responsabilité pénale du chef d’entreprise 373

pénal accessoire29. Elle correspond au titre sous lequel est discutée la problématique
consistant à déterminer quelle responsabilité pénale peut être attribuée aux diri-
geants qui, en violation de leur devoir de surveillance, n’empêchent pas des infrac-
tions commises par leurs subordonnés30.
En l’absence d’une base légale claire et d’une jurisprudence développée, la
doctrine propose des solutions très diverses et partiellement satisfaisantes aux pro-
blèmes posés par la responsabilité pénale du chef d’entreprise31. Ce travail se limite
à une réflexion motivée par l’utilité de la responsabilité pénale du chef d’entreprise
dans le cadre d’une politique criminelle efficiente, ainsi qu’aux questions liées à la
bonne gouvernance d’entreprise.

II. Responsabilité pénale du chef d’entreprise

1. Développement jurisprudentiel

a) Arrêt Bührle (ATF 96 IV 155)


En 1970, le Tribunal fédéral a rendu un jugement concernant des infractions
commises au sein d’une usine d’outillage (Werkzeugmaschinenfabrik Oerlikon).
Dans les années 60, cette entreprise d’armement suisse a livré du matériel de guerre
à l’Afrique du Sud, déjouant l’embargo contre ce pays par une fausse déclaration de
destination, en violation de l’art. 18 de l’arrêté du Conseil fédéral du 28 mars
1949 sur le matériel de guerre32.
En plus de la responsabilité de plusieurs subordonnés de l’entreprise qui ont
exercé une activité décisive dans l’acheminement des armes, le Tribunal fédéral s’est
prononcé sur la responsabilité pénale du chef suprême de l’entreprise, pour lequel
l’accusation n’avait pas pu prouver qu’il avait participé activement aux livraisons.
En raison d’un devoir qui découlait de sa position et de son rôle dans l’entreprise

29 C’est notamment le cas de l’art. 6 al. 2 de la loi fédérale du 22 mars 1974 sur le droit pénal ad-
ministratif (DPA; RS 313.0) exposé dans la section II.4. (infra), de l’art. 100 al. 2 de la loi fé-
dérale du 19 décembre 1958 sur la circulation routière (LCR; RS 714.01) qui prévoit que l’em-
ployeur ou le supérieur qui n’a pas empêché, selon ses possibilités, une infraction commise
par un subordonné au volant de son véhicule est passible de la même peine que celui-ci, ou
encore de l’art. 179sexies CP qui préconise une punissabilité pénale très large de tiers en lien
avec la mise en circulation d’appareils d’écoute, de prise de son et de prise de vues.
30 A. Donatsch/B. Tag, Strafrecht I, Verbrechenslehre, 9e éd., Zurich, Bâle, Genève 2013, 379;
Wohlers (n. 17), 97 s; Donatsch/Blocher (n. 27), 52; P. Popp, Anwendungsfragen strafrechtli-
cher so genannter Geschäftsherrenhaftung, recht 2003, 21, 26.
31 Donatsch/Tag (n. 30), 379; Ackermann, in: Ackermann/Heine (n. 14), § 4 N 90.
32 RS 514.51 (aujourd’hui abrogé, mais disponible dans le RO de 1949 à la p. 315).
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familiale33, le Tribunal fédéral lui a reproché de ne pas s’être interposé avec déter-
mination, afin d’empêcher de telles exportations illicites, dont il avait connaissance,
puis de ne pas avoir contrôlé, par la suite, si cet ordre avait été suivi34.
Une partie de la doctrine35 a âprement critiqué cet arrêt en raison de l’ab-
sence de base légale sur laquelle reposait la condamnation du Tribunal fédéral, ainsi
que l’absence de conditions précises conduisant à la responsabilité pénale du chef
d’entreprise, ce qui laissait craindre une application extensive de cette figure juri-
dique.
Dans un arrêt ultérieur du Tribunal fédéral36, la crainte d’une application
extensive a, tout au moins partiellement, été dissipée. Le Tribunal fédéral a précisé
que, dans le cas de la commission d’une infraction intentionnelle par un subor-
donné, l’administrateur statutaire devait nécessairement être au courant de l’acti-
vité délictueuse de son subordonné pour être condamné37. En raison du fait que cet
arrêt traitait d’une infraction intentionnelle, la question de la responsabilité pénale
d’un administrateur du seul fait de la fonction qu’il exerce en vertu des statuts de
l’entreprise n’a pas dû être tranchée38. Elle l’aurait été si la négligence était égale-
ment réprimée39.

b) Arrêt Von Roll (ATF 122 IV 103)


Dans l’arrêt Von Roll, rendu en 1996, le Tribunal fédéral s’est penché sur une
affaire similaire au cas Bührle. Durant les années 80, l’Irak tentait de construire un
canon long de plus de 150 mètres, surnommé le «super-canon de Saddam» par la
presse internationale. A cette même période, la société anonyme Von Roll, active
dans la production d’acier et de fonte, approvisionnait l’Irak de différents compo-
sants qui étaient, entre autres, déclarés comme pièces servant à la construction de
presses à forger.

33 ATF 96 IV 174: Bührle était le seul commanditaire de la société en commandite, puis lorsque
celle-ci fut transformée en société anonyme, le seul membre du conseil d’administration.
34 ATF 96 IV 174.
35 Graven (n. 22), 500 s; M. Schubarth, Zur strafrechtlichen Haftung des Geschäftsherrn, RPS
1976, 370, 392 ss; P. Zappelli, La responsabilité pénale des organes d’une personne morale,
RPS 1988, 190, 212. Plus favorable à l’arrêt: Vest (n. 22), 293 s’avère convaincu par le résultat
et considère que la position de garant est justifiée, étant donné qu’un risque spécifique de l’ac-
tivité de l’entreprise s’est réalisé.
36 ATF 105 IV 172: le Tribunal fédéral devait juger une femme de paille qui négligeait ses de-
voirs de surveillance à un point extrême, étant donné qu’elle n’avait pas la moindre idée de ce
qui se déroulait au sein de la société.
37 ATF 105 IV 177. Voir Vest (n. 22), 293 s; Zappelli (n. 35), 211 s, lesquels ont salué cette préci-
sion.
38 ATF 105 IV 176.
39 Cassani (n. 18), 62; confirmé par l’arrêt du Tribunal fédéral 6P.101/2001 du 28 novembre 2001,
consid. 5.b et c, in: SJ 2002 I 129.
 La responsabilité pénale du chef d’entreprise 375

Une des livraisons fut bloquée à l’aéroport de Francfort par les autorités
douanières allemandes qui soupçonnaient une violation de la législation allemande
sur le contrôle des armes de guerre. Les collaborateurs de l’entreprise n’ont ni averti
le conseil d’administration ni les dirigeants de l’entreprise de cet événement, de
sorte qu’une livraison ultérieure a encore pu être effectuée.
Les collaborateurs qui ont participé à l’organisation de cette dernière livrai-
son illicite, ne pouvant plus invoquer leur ignorance à propos de l’utilisation mili-
taire des objets livrés, ont été condamnés à ce titre pour violation intentionnelle de
la loi fédérale du 30 juin 1972 sur le matériel de guerre (LMG)40.
En parallèle, le Tribunal fédéral a également condamné le chef de consor-
tium F. en raison d’une violation par négligence de l’art. 19 al. 2 LMG qui prévoyait
expressément la responsabilité pénale du chef d’entreprise qui, «intentionnellement
ou par négligence et en violation d’une obligation juridique, omet de prévenir une
infraction commise par le subordonné». Le Tribunal fédéral a reproché à F. de
n’avoir entrepris aucun effort organisationnel permettant de réagir efficacement
contre des livraisons potentiellement illicites de matériel de guerre par ses subor-
donnés41. La responsabilité pénale du chef d’entreprise est ainsi fondée sur l’omis-
sion d’instaurer un dispositif de sécurité permettant une maîtrise efficace des
risques provenant de l’entreprise42.

2. Définition de la notion de chef d’entreprise

Avant de se pencher sur la définition de la notion de chef d’entreprise, il est


intéressant de constater que la terminologie française distingue le terme de «chef
d’entreprise» en droit pénal de celui d’«employeur» utilisé en droit civil à l’art. 55
CO. A l’inverse, l’allemand et l’italien n’effectuent pas cette distinction et évoquent
dans les deux cas la responsabilité du (Geschäftsherr) respectivement du (padrone
di un’azienda)43. Le choix lexical français a ainsi l’avantage de différencier claire-
ment la responsabilité pénale de la responsabilité civile.

40 RS 514.51 (aujourd’hui abrogée, mais disponible dans le RO de 1973 à la p. 107); ATF 122 IV
122.
41 ATF 122 IV 128.
42 Cassani (n. 18), 65; G. Heine, Organisationsverschulden aus strafrechtlicher Sicht: Zum Span-
nungsfeld von zivilrechtlicher Haftung, strafrechtlicher Geschäftsherrenhaftung und der
Strafbarkeit von Unternehmen, in: Verantwortlichkeit im Unternehmen: zivil- und strafrecht­
licher Sicht, M. A. Niggli/M. Amstutz (édit.), Bâle 2007, 93, 98. Voir aussi ATF 125 IV 9 qui
fonde la responsabilité pénale du directeur d’une entreprise de remontées mécaniques en rai-
son du défaut du dispositif de sécurité mis en place pour éviter que des avalanches puissent
causer des accidents sur les pistes ouvertes.
43 Popp (n. 30), 21.
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La notion pénale de chef d’entreprise ne peut pas être définie précisément44.


Elle prend forme avec l’ensemble des conditions qui fondent la responsabilité pé-
nale du chef d’entreprise45. A ce stade du raisonnement, il est important de noter
que le droit pénal se focalise sur la structure réelle de l’entreprise, telle qu’elle res-
sort des circonstances, qui peut se distinguer de celle figurant sur le papier. Le point
décisif pour déterminer si un individu peut être qualifié de chef d’entreprise est la
répartition effective des compétences concernant la mise en place d’une organisa-
tion adéquate et la surveillance46, tout en tenant compte des conditions posées par
le droit des sociétés concernant la délégation des tâches47. Ainsi, si des mesures
manquent pour empêcher ou diminuer le risque de réalisation des dangers liés à la
création et à l’exploitation de l’entreprise, la responsabilité pénale de tous ceux qui
auraient dû prendre des mesures dans ce sens au sein de l’entreprise est engagée48.
La notion de chef d’entreprise projette cependant, tout comme les termes
allemand et italien, une image du chef d’entreprise comme une personne physique
unique qui porterait toute la responsabilité pénale pour l’entreprise. Etant donné
la multiplicité des responsables potentiels au sein des entreprises modernes, nous
devrions discuter de la responsabilité des chefs d’entreprise49.

3. Responsabilité pénale du chef d’entreprise sur la base de l’art. 11 CP

a) Généralités
Introduit en 2007, l’art. 11 CP, qui s’inspire fortement de la jurisprudence
élaborée par le Tribunal fédéral quant aux omissions improprement dites50, consti-
tue une base de réflexion incontournable pour la responsabilité pénale du chef d’en-
treprise, même si ce cas d’application n’apparaît pas dans le Message du Conseil fé-
déral concernant la modification de la partie générale du Code pénal51.

44 Ackermann, in: Ackermann/Heine (n. 14), § 4 N 90.


45 Cf. section II.3. (infra) sur la responsabilité pénale du chef d’entreprise sur la base de l’art. 11 CP.
46 Donatsch/Blocher (n. 27), 62; Wohlers (n. 17), 97; Ackermann, in: Ackermann/Heine (n. 14),
§ 4 N 93; Popp (n. 30), 29; H. Wiprächtiger, Strafbarkeit des Unternehmers, Die Entwicklung
der bundesgerichtlichen Rechtsprechung zur strafrechtlichen Geschäftsherrenhaftung, PJA
2002, 754, 754; D. Krauss, Probleme der Täterschaft in Unternehmen, Plädoyer 1/1989, 40, 43;
N. Schmid, Einige Aspekte der strafrechtlichen Verantwortlichkeit von Gesellschaftsorganen,
RPS 1988, 156, 174 s; Vest (n. 22), 290.
47 Cf. section III. (infra) sur le partage des responsabilités.
48 ATF 122 IV 128.
49 Cassani (n. 18), 68 s; A. M. Garbarski, La responsabilité civile et pénale des organes dirigeants
de sociétés anonymes, Etudes suisses de droit commercial et de droit des affaires, P. Forstmo-
ser (édit.), vol. 247, Genève, Zurich, Bâle 2006, 332.
50 Voir CR CP I-Cassani (n. 23), art. 11 N 1 ss pour une analyse complète de l’art. 11 CP.
51 FF 1999 II 1807 s.
 La responsabilité pénale du chef d’entreprise 377

Contrairement à la terminologie utilisée par une partie de la doctrine52, la


responsabilité pénale du chef d’entreprise ne constitue pas une responsabilité du
fait d’autrui53. Le droit suisse ne connaissant que la responsabilité pour faute per-
sonnelle, c’est bien un reproche personnel fait au chef d’entreprise qui fonde sa
propre responsabilité pénale54. En l’occurrence, le comportement qui lui est repro-
ché consiste à ne pas avoir évité la commission d’une infraction par un ou plusieurs
subordonnés, alors qu’il aurait pu empêcher sa survenance, s’il avait agi conformé-
ment à son devoir juridique d’agir.
En vertu du principe de la subsidiarité, plébiscité par la doctrine majori-
taire55 et appliqué par le Tribunal fédéral56, l’existence d’une omission imputable à
l’auteur est uniquement examinée si le comportement de l’auteur n’est pas déjà pu-
nissable au regard d’une infraction par commission. La responsabilité pénale du
chef d’entreprise en raison d’une omission de sa part ne pourra être retenue que si
aucun comportement actif ne peut lui être imputé. La distinction entre la commis-
sion et l’omission peut s’avérer délicate, particulièrement dans le domaine des in-
fractions par négligence57.

b) Fondement du devoir juridique d’agir


Les employés de l’entreprise sont des personnes physiques autonomes qui
répondent individuellement de leurs comportements actifs ou passifs58. La respon-
sabilité pénale du chef d’entreprise peut uniquement être engagée si ce dernier se
trouve dans une position de garant (Garantenstellung) par rapport à ses subordon-
nés. Pour que celle-ci soit fondée, le chef d’entreprise doit être tenu par un devoir
juridique d’agir.
Un devoir d’agir revêt un caractère juridique lorsqu’il est imposé par le droit.
L’obligation juridique s’oppose à l’obligation simplement morale, qui ne suffit pas
dans le présent contexte59. Sans que l’énumération ne soit exhaustive, ce qui est

52 Voir p. ex. Garbarski (n. 49), 327, lequel qualifie la responsabilité pénale du chef d’entreprise
de «responsabilité du fait d’autrui» en citant comme référence une source de droit français.
53 Graven (n. 22), 501; G. Heine, Europäische Entwicklungen bei der strafrechtlichen Verantwort-
lichkeit von Wirtschaftsunternehmen und deren Führungskräften, RPS 2001, 22, 31 s.
54 Ackermann, in: Ackermann/Heine (n. 14), § 4 N 89.
55 CR CP I-Cassani (n. 23), art. 11 N 9; Stratenwerth (n. 16), avant § 14 N 2; K. Seelmann, in:
Basler Kommentar Strafrecht I, M. A. Niggli/H. Wiprächtiger (édit.), 3e éd., Bâle 2013, art. 11
N 20. D’un autre avis: Donatsch/Tag (n. 30), 304, lesquels plaident pour une combinaison entre
les théories de l’élément prépondérant et de la subsidiarité (Kombination von Schwerpunkt-
und Subsidiaritätstheorie).
56 ATF 115 IV 203 = JdT 1991 IV 72; ATF 120 IV 271; ATF 129 IV 122.
57 CR CP I-Cassani (n. 23), art. 11 N 10.
58 Seelmann, in: BSK StGB I (n. 55), art. 11 N 52; Stratenwerth (n. 16), § 14 N 22; Schubarth (n. 35),
385.
59 ATF 79 IV 147; ATF 108 IV 5; ATF 118 IV 315.
378 Fabio Burgener ZStrR · Band/ Tome 133 · 2015

problématique au regard du principe de la légalité60, l’art. 11 al. 2 CP prévoit quatre


sources de l’obligation d’agir: la loi (lit. a), le contrat (lit. b), la communauté de
risques librement consentie (lit. c) et la création d’un risque (lit. d).
Selon la jurisprudence61, approuvée par la doctrine dominante62, il faut dis-
tinguer deux types de garants: d’une part, le garant de protection (Beschützer-,
Obhutsgarant), soit celui qui a le devoir de protéger un ou plusieurs biens juridiques
déterminés contre un nombre indéterminé de dangers et, d’autre part, le garant de
surveillance (Überwachungs-, Sicherungsgarant), à qui revient le devoir de surveil-
ler une ou plusieurs sources déterminées de danger pour un nombre indéterminé
de biens juridiques.
Le Tribunal fédéral ne tranche pas clairement la question délicate et contro-
versée du fondement de l’obligation juridique d’agir du chef d’entreprise. Dans l’ar-
rêt Bührle, le Tribunal fédéral ne donne pas de réponse claire et précise63, mais in-
dique que la responsabilité pénale du chef d’entreprise découle de son rôle et de sa
position au sein de l’entreprise64.
Dans l’arrêt Von Roll, le cercle des garants potentiels s’agrandit considéra-
blement avec l’introduction du critère du défaut d’organisation65. Dans cette af-
faire, le fondement juridique du devoir d’agir du chef d’entreprise, en l’occurrence
administrateur délégué, dirigeant du groupe et chef du service juridique, découle
directement de l’art. 19 al. 2 LMG qui constitue une concrétisation légale des prin-
cipes développés dans l’affaire Bührle66.
Dans un arrêt de 1991 concernant un accident de chantier, le Tribunal fédé-
ral rattache le devoir juridique d’agir de l’employeur aux devoirs de ce dernier se-
lon le droit des obligations67. La doctrine conteste, à juste titre, que les articles 55
et 101 CO puissent constituer la source de la position de garant, mais affirme qu’ils
présupposent celle-ci et régissent uniquement les conséquences qui en découlent
au regard de la responsabilité civile68. De plus, la jurisprudence quant à l’art. 55 CO

60 CR CP I-Cassani (n. 23), art. 11 N 25; Donatsch/Tag (n. 30), 312.


61 ATF 113 IV 72 = JdT 1988 IV 75; ATF 120 IV 106; ATF 134 IV 259.
62 M. Schubarth, Kommentar zum schweizerischen Strafrecht, Schweizerisches Strafgesetzbuch,
Besonderer Teil, 1. Band: Delikte gegen Leib und Leben, Art. 111 – 136 StGB, Berne 1982, 62 ss;
CR CP I-Cassani (n. 23), art. 11 N 22; Donatsch/Tag (n. 30), 311; Stratenwerth (n. 16), § 14 N 11.
63 Wiprächtiger (n. 46), 756; M. Heiniger, Der Konzern im Unternehmensstrafrecht gemäss
Art. 102 StGB, Die strafrechtliche Erfassung eines wirtschaftlichen Phänomens, Abhandlun-
gen zum Schweizerischen Recht (ASR), H. Hausheer (édit.), vol. 781, Berne 2011, N 184;
Stratenwerth (n. 16), §14 N 28; Krauss (n. 46), 43; Vest (n. 22), 293.
64 ATF 96 IV 174.
65 Cassani (n. 18), 69.
66 ATF 122 IV 126.
67 ATF 117 IV 132.
68 Cassani (n. 18), 63; Popp (n. 30), 26; Krauss (n. 46), 44. D’un autre avis: T. Koller, Das Von-
Roll-Urteil und die Organisationshaftung – Rezeption einer genuin zivilistischen Betrach-
tungsweise im Strafrecht?, RSJ 1996, 409, 411 s; Lobsinger (n. 24), 196.
 La responsabilité pénale du chef d’entreprise 379

tend toujours davantage à rattacher la notion d’employeur à l’entreprise plutôt qu’à


son patron, ce qui est difficilement conciliable avec le principe de la responsabilité
pénale individuelle69. La source de l’obligation juridique d’agir du chef d’entreprise
ne peut donc pas être déterminée en appliquant par analogie les conséquences de
la responsabilité civile. L’essence inhérente à une responsabilité pénale du chef d’en-
treprise doit être recherchée.
Une partie importante de la doctrine considère que l’obligation juridique
d’agir du chef d’entreprise réside dans sa maîtrise effective de la source potentielle
de risque que constitue son entreprise (Herrschaft über eine Gefahrenquelle)70. La
responsabilité des dirigeants d’éviter la concrétisation des risques résultant de l’ac-
tivité économique de l’entreprise constitue une contrepartie équitable à la liberté
entrepreneuriale octroyée par le droit suisse71. Par conséquent, le chef d’entreprise
répond d’éventuelles infractions commises par ses subordonnés au sein de l’entre-
prise à l’encontre des tiers ou de biens juridiques collectifs72. Les TFGC, par la dé-
signation des membres du conseil d’administration et de la direction comme per-
sonnes-clés dans le domaine de la gestion de la conformité et par la concrétisation
de leurs devoirs73, renforcent, à notre sens, ce point de vue.
La responsabilité pénale du chef d’entreprise ne peut toutefois pas s’étendre
à toutes les infractions commises par ses employés74. Elle doit être limitée aux tâches
centrales de l’activité économique de l’entreprise75, représentant des risques ty-
piques et spécifiques de son activité76.

69 Popp (n. 30), 26; Heine (n. 42), 96.


70 Donatsch/Tag (n. 30), 381 et 321 ss; Cassani (n. 18), 58; Cassani (n. 19), 62 s; Godenzi/Wohlers
(n. 17), 235; Wohlers (n. 17), 98 ss; Donatsch/Blocher (n. 27), 56; Ackermann (n. 14), in: Acker-
mann/Heine (n. 14), § 4 N 93; B. Stöckli, Die Organisation von Banken aus privat-, aufsichts-,
straf- und standesrechtlicher Perspektive, Schweizer Schriften zum Bankrecht (SSBR),
D. Zobl/M. Giovanoli /Weber H. Rolf (édit.), vol. 86, Zurich, Bâle, Genève 2008, 168; Vest
(n. 22), 310.
71 Godenzi/Wohlers (n. 17), 233; Ackermann, in: Ackermann/Heine (n. 14), § 4 N 87; Wohlers
(n. 17), 98.
72 Voir particulièrement Godenzi/Wohlers (n. 17), 233 ss qui expliquent les raisons pour les-
quelles l’autonomie du subordonné ne constitue pas une barrière à la responsabilité pénale
du chef d’entreprise.
73 TFGC, 9; Fischer (n. 2), 83 s; Peter/Jacquemet (n. 3), 1028.
74 Wohlers (n. 17), 100; Garbarski (n. 49), 334; Vest (n. 22), 302 s; Schubarth (n. 35), 384.
75 Stratenwerth (n. 16), § 14 N 28; Heine (n. 53), 32.
76 Wohlers (n. 17), 101; Donatsch/Tag (n. 30), 382; Donatsch/Blocher (n. 27), 56 s; Godenzi/Wohlers
(n. 17), 235; Cassani (n. 18), 66; Heiniger (n. 63), N 234; Wiprächtiger (n. 46), 759; A. Eicker,
Haftung für Dritte: Zur strafrechtlichen Verantwortlichkeit von Führungspersonen nach dem
revidierten Allgemeinen Teil des StGB, PJA 2010, 679, 687 s; M. Oertle, Die Geschäftsherren-
haftung im Strafrecht, unter besonderer Berücksichtigung von Art. 6 Abs. 2 des Bundesge-
setzes über das Verwaltungsstrafrecht (VStrR), thèse, Université de Zurich 1996, 106; Vest
(n. 22), 300 s; Schmid (n. 46), 162; Schubarth (n. 35), 384.
380 Fabio Burgener ZStrR · Band/ Tome 133 · 2015

De plus, la jurisprudence77 et la doctrine unanime78 exigent un devoir juri-


dique d’agir qualifié, à savoir que l’obligation incombant à l’auteur soit spécifique
et impérieuse. Ainsi, il faut que le devoir de surveillance du chef d’entreprise consti-
tue un élément central de son cahier des charges79 et qu’il existe un rapport étroit
entre le chef d’entreprise et le bien juridique protégé80. Ce devoir découle, à notre
sens, le plus souvent (mais pas nécessairement) d’une base légale extrapénale quant
à la gestion des risques ou d’un contrat81.
En outre, le Tribunal fédéral n’a pas encore tranché la question de la respon-
sabilité pénale de l’administrateur d’une société anonyme du seul fait de la fonc-
tion qu’il exerce en vertu de la loi et des statuts de l’entreprise82. Selon la doctrine83,
les normes qui régissent la répartition des tâches au sein de la société anonyme84,
ainsi que les devoirs de diligence et de fidélité du conseil d’administration et des
tiers dirigeants85 règlent uniquement les rapports internes au sein de la société. Elles
obligent les administrateurs et les éventuels délégataires à tenir compte des intérêts
patrimoniaux de la société anonyme et fondent ainsi une position de garant des di-

77 ATF 120 IV 106 = JdT 1996 IV 46; ATF 117 IV 471 = JdT 1993 IV 149; ATF 113 IV 72 = JdT
1988 IV 75.
78 Garbarski (n. 49), 334 s; R. Geiger, Organisationsmängel als Anknüpfungspunkt im Un-
ternehmensstrafrecht, Schweizer Schriften zum Handels- und Wirtschaftsrecht (SSHW), P.
Forstmoser (édit.), vol. 251, Zurich, St. Gall 2006, 58 s; S. Frei, Verantwortlichkeit des Verwal-
tungsrates aus strafrechtlicher Sicht, Schweizer Schriften zum Handels- und Wirtschafts­recht
(SSHW), P. Forstmoser (édit.), vol. 230, Zurich 2004, 66; D. Freymond/H.-U. Vogt, Die Pflicht
des Verwaltungsrates zur Verhinderung von Insiderdelikten, in: Strafrecht als Herausfor-
derung. Zur Emeritierung von Professor Niklaus Schmid, Analysen und Perspektiven von
Assistierenden des Rechtswissenschaftlichen Instituts der Universität Zürich, J.-B. Acker-
mann (édit.), Zurich 1999, 173, 198; Oertle (n. 76), 121; CR CP I-Cassani (n. 23), art. 11 N 21.
79 Ackermann, in: Ackermann/Heine (n. 14), § 4 N 98; Garbarski (n. 49), 334; Frei (n. 78), 66;
Freymond/Vogt (n. 78), 199; Oertle (n. 76), 121.
80 Geiger (n. 78), 58 s; Frei (n. 78), 66; Freymond/Vogt (n. 78), 199 s; Oertle (n. 76), 121.
81 Du même avis Donatsch/Tag (n. 30), 321 s qui proposent quelques exemples pertinents. Voir
notamment ATF 125 IV 12, dans lequel la position de garant du chef d’une entreprise de re-
montées mécaniques n’est pas fondée sur une base légale extrapénale ou un contrat (en tout
cas pas expressément), mais sur un devoir général de protéger des dangers d’avalanche l’en-
semble des skieurs présents sur le domaine skiable ouvert. D’un autre avis: Oertle (n. 76), 120 s
qui considère que seule une base légale expresse peut constituer une obligation juridique d’agir
qualifiée du chef d’entreprise. Voir aussi Popp (n. 30), 27, lequel propose de limiter la respon-
sabilité pénale du chef d’entreprise aux cas où l’entreprise est soumise à une base légale ex-
presse quant à la gestion des risques ou à ceux dans lesquels l’activité économique est soumise
à une autorisation étatique.
82 Cf. section II.1.a. (supra) pour les explications concernant l’ATF 105 IV 172 qui a précisé les
conditions de la responsabilité pénale du chef d’entreprise après l’arrêt Bührle.
83 Garbarski (n. 49), 380; Donatsch/Blocher (n. 27), 55; Popp (n. 30), 27; Oertle (n. 76), 91.
84 Art. 716a CO sur les attributions inaliénables du conseil d’administration, art. 716b CO sur
la délégation de la gestion et art. 754 al. 2 CO sur les conditions de la délégation.
85 Art 717 CO.
 La responsabilité pénale du chef d’entreprise 381

rigeants lorsque les intérêts de la société sont concernés86. Par contre, la doctrine
majoritaire considère que ces dispositions du Code des obligations ne sont pas sus-
ceptibles de fonder une position de garant concernant les intérêts de tiers87. Dans
ce second cas, elles permettent néanmoins de déterminer la compétence du conseil
d’administration et de la direction d’organiser la société anonyme88.

c) Devoirs du chef d’entreprise


Le chef d’entreprise peut ainsi, s’il se trouve dans une position de garant, se
voir reprocher d’avoir omis de prévenir les infractions commises par des subor-
donnés en violation de son devoir de surveillance de l’activité déployée au sein de
l’entreprise. Il en découle les devoirs d’organisation adéquate de l’entreprise et de
surveillance des subordonnés. Une violation de ces devoirs constitue la faute per-
sonnelle pour laquelle le chef d’entreprise répond.
Les éléments subjectifs constituent une limitation importante de la respon-
sabilité pénale du chef d’entreprise par rapport à la responsabilité civile de celui-ci89.
Il n’existe aucune raison pour que le chef d’entreprise soit moins bien traité que ses
subordonnés qui réalisent activement l’infraction90. Si l’infraction commise par le
subordonné n’est réprimée que lorsqu’elle est commise intentionnellement, le chef
d’entreprise pourra uniquement être puni s’il envisage et accepte, tout au moins
par dol éventuel, que ses subordonnés commettent des infractions et omet d’adop-
ter le comportement attendu en vertu de sa position de garant. A l’inverse, si l’in-
fraction commise par le subordonné réprime la négligence, le chef d’entreprise ré-
pondra également de son imprévoyance coupable.

aa) Organisation de l’entreprise


Le chef d’entreprise doit prendre des mesures adéquates d’organisation
propres à minimiser les risques typiques et spécifiques découlant de la création et
de l’exploitation de son entreprise. A cette fin, il doit mettre en place une structure
hiérarchique adéquate et un dispositif de sécurité efficace91. D’autres devoirs dé-
coulent d’une éventuelle délégation de ces tâches, telles que le choix du délégataire,
son instruction et sa surveillance avec diligence92.

86 Cassani (n. 18), 54; Ackermann, in: Ackermann/Heine (n. 14), § 4 N 101; Garbarski (n. 49),
377; Oertle (n. 76), 90 s.
87 Garbarski (n. 49), 380; Heiniger (n. 63), N 187; Popp (n. 30), 26; Oertle (n. 76), 91 s.
88 Donatsch/Blocher (n. 27), 55 s; cf. section III. (infra) sur le partage des responsabilités.
89 ATF 105 IV 177; SJ 2002 I 129, consid. 5.c.
90 Wohlers (n. 17), 104; Wiprächtiger (n. 46), 756.
91 Godenzi/Wohlers (n. 17), 235 s; Wohlers (n. 17), 101 s; Donatsch/Blocher (n. 27), 55 ss; Do-
natsch/Tag (n. 30), 383; Eicker (n. 76), 687; Schmid (n. 46), 176 s.
92 Cf. section III. (infra) sur le partage des responsabilités.
382 Fabio Burgener ZStrR · Band/ Tome 133 · 2015

Afin d’évaluer la qualité de l’organisation d’une entreprise, il est possible d’uti-


liser, comme outil d’interprétation93, les recommandations prévues aux chiffres 20
et 21 du CSBP94 et les cinq éléments fondamentaux développés dans les TFGC. Ces
recommandations, qui visent, en premier lieu, une gestion efficace de la conformité
dans l’intérêt des actionnaires95, permettent également de déterminer ce qui peut
raisonnablement être mis en place par le conseil d’administration et la direction pour
réduire les risques que des infractions soient commises par les subordonnés.
Les cinq éléments fondamentaux peuvent être résumés de la manière suivante:
–– La direction de l’entreprise établit des règles de conduite pour encourager
les collaborateurs à respecter la culture d’entreprise, dont le noyau est consti-
tué par la volonté d’intégrité promulguée par les dirigeants96.
–– La direction définit l’organisation et met à disposition les ressources néces-
saires à son bon fonctionnement97.
–– Une analyse régulière des risques est effectuée, et une formation ciblée des
collaborateurs est mise en place98.
–– L’instauration d’incitations et de sanctions transparentes complète le dis-
positif de conformité99.
–– Une analyse régulière de l’efficacité du dispositif de conformité est recom-
mandée, afin de l’améliorer en permanence100.
A notre sens, le système de gestion interne de la conformité préconisé par
les TFGC doit notamment être concrétisé par la mise en place d’une procédure in-
terne de dénonciation des irrégularités constatées par des employés au sein de l’en-
treprise (whistleblowing), assortie de mesures de protection en faveur des donneurs
d’alerte (p. ex. par le biais d’une page intranet sécurisée, d’une boîte email sécuri-
sée ou d’une hotline)101.

93 Fischer (n. 2), 76 ss, not. 85 sur l’utilisation des règles de gouvernance d’entreprise comme ou-
til d’interprétation. Voir également F. Gerhard, Fonctions de contrôle dans les sociétés – Dé-
finitions, distinctions et cadre juridique, in: Développements récents en droit commercial II
[F.-G. Chabot, édit.], Publication Cedidac n° 90, Lausanne 2013, 109, 120 ss sur la mise en
place d’un système de contrôle interne en général.
94 CSBP, 13.
95 TFGC, 9.
96 TFGC, 9.
97 TFGC, 9 s.
98 TFGC, 12.
99 TFGC, 14.
100 TFGC, 14 s.
101 Voir M. Rüedi, Whistleblowing in der Praxis, in: Whistleblowing – Multidisziplinare As-
pekte, Schriften zur Rechtspsychologie, A. Von Kaenel (édit.), vol. 12, Berne 2012, 99, 103 ss
pour des propositions concrètes concernant la mise en place d’une procédure de dénoncia-
tion des irrégularités dans les entreprises.
 La responsabilité pénale du chef d’entreprise 383

La responsabilité pénale du chef d’entreprise pour violation de son devoir


d’organisation est fortement limitée par les éléments subjectifs. En effet, le chef d’en-
treprise n’a, en principe, pas la conscience ni la volonté d’omettre la mise en place
d’une organisation permettant d’éviter la réalisation d’infractions pénales au sein
de son entreprise. Des mécanismes de contrôle peuvent notamment être omis dans
le but de maximiser les produits.
Ainsi, même si le chef d’entreprise a peut-être parfois conscience des man-
quements organisationnels, il n’aura le plus souvent pas la volonté que des dangers
se concrétisent102. Le reproche de ne pas avoir pris des mesures adéquates de pré-
vention pour empêcher des infractions qu’il aurait dû connaître révèle donc, géné-
ralement, de l’imprudence. Celle-ci ne peut fonder la responsabilité pénale du chef
d’entreprise que si l’infraction commise par le subordonné sanctionne la négli-
gence.

bb) Surveillance des subordonnés


La mise en place de l’organisation ne suffit pas. Le chef d’entreprise doit
contrôler que l’organisation fonctionne effectivement103. Il est tenu d’intervenir
lorsqu’il a connaissance du fait qu’un ou plusieurs de ses subordonnés s’apprêtent
à commettre ou sont déjà en train de commettre une infraction pénale104. Après
son intervention, il doit également s’assurer que son ordre a été suivi par ses subor-
donnés105.
Ce raisonnement s’applique aux infractions intentionnelles. L’auteur doit,
tout au moins, avoir omis la surveillance par dol éventuel, ce qui sous-entend qu’il
a tenu la réalisation de l’infraction de son subordonné pour possible et accepté sa
survenance (art. 12 al. 2, 2e phrase CP).

d) Lien de causalité et possibilité d’agir


aa) Causalité hypothétique
Nul n’est en mesure d’affirmer avec certitude ce qui se serait passé si le chef
d’entreprise avait agi comme son devoir le lui recommandait. Le raisonnement
concernant le lien de la causalité entre le manquement du chef d’entreprise à ses
devoirs et l’infraction commise par le subordonné s’avère donc hypothétique.

102 Donatsch/Blocher (n. 27), 54.


103 Godenzi/Wohlers (n. 17), 236; Donatsch/Blocher (n. 27), 64 ss; Wohlers (n. 17), 102.
104 Wohlers (n. 17), 102 s; Eicker (n. 76), 687; Schmid (n. 46), 178.
105 ATF 96 IV 174; Schmid (n. 46), 178.
384 Fabio Burgener ZStrR · Band/ Tome 133 · 2015

En vertu de la théorie de la probabilité (Wahrscheinlichkeitstheorie), le Tri-


bunal fédéral106, approuvé par la doctrine dominante107, considère que la relation
de causalité hypothétique est donnée lorsqu’il est possible d’admettre avec une très
haute vraisemblance que l’action requise de celui qui s’est abstenu aurait permis
d’éviter la survenance du résultat.
A l’inverse, en vertu de la théorie de l’augmentation du risque (Risi-
koerhöhungstheorie), prônée notamment par Stratenwerth108, le résultat est imputé
causalement à l’omission, lorsque la probabilité de la survenance de l’événement
dommageable a été augmentée par l’imprévoyance coupable de l’auteur. Cette théo-
rie est toutefois difficile à appliquer de manière à respecter le principe fondamen-
tal in dubio pro reo109.
La responsabilité pénale du chef d’entreprise ne peut être engagée que si le
respect des devoirs d’organisation ou de surveillance par ce dernier aurait avec une
très haute vraisemblance permis d’éviter la réalisation de l’infraction commise par
le subordonné110. En général, si l’ensemble des règles de bonne gouvernance d’en-
treprise a été respecté par le chef d’entreprise, la responsabilité de ce dernier ne
pourra que très difficilement être engagée111.

bb) Possibilité d’agir


La condition de la possibilité d’agir du chef d’entreprise se réfère à ses capa-
cités individuelles pour empêcher la réalisation de l’infraction du subordonné. Le
chef d’entreprise doit objectivement pouvoir mettre en place l’organisation et la
surveillance exigées, ce qui suppose qu’il ait un pouvoir de décision lui permettant
de répondre à ses devoirs112.
Le chef d’entreprise ne peut pas se dégager de toute responsabilité pénale en
affirmant qu’il n’avait pas les connaissances nécessaires pour mettre en place le dis-
positif de sécurité et effectuer la surveillance au sein de l’entreprise113. Il doit assu-
mer la responsabilité inhérente à la position qu’il a fautivement acceptée.

106 ATF 116 IV 185; ATF 120 IV 142.


107 CR CP I-Cassani (n. 23), art. 11 N 58; Donatsch/Tag (n. 30), 325 s; Seelmann, in: BSK StGB I
(n. 55), art. 11 N 32 s.
108 Stratenwerth (n. 16), § 14 N 36 s.
109 CR CP I-Cassani (n. 23), art. 11 N 59; Seelmann, in: BSK StGB I (n. 55), art. 11 N 33; Popp
(n. 30), 30; Stöckli (n. 70), 172.
110 Wohlers (n. 17), 102; Stöckli (n. 70), 172 s.
111 Ackermann, in: Ackermann/Heine (n. 14), § 1 N 28.
112 Wohlers (n. 17), 101; Popp (n. 30), 30; Ackermann, in: Ackermann/Heine (n. 14), § 4 N 108;
Stratenwerth (n. 16), § 14 N 38.
113 Stöckli (n. 70), 173 s.
 La responsabilité pénale du chef d’entreprise 385

cc) Cas particulier des décisions prises dans un organe collectif


Les décisions concernant les mesures organisationnelles doivent souvent
être prises par un organe collectif ou collégial, plutôt que par un seul individu. La
condition du lien de causalité devient, dans ce cas, particulièrement difficile à dé-
terminer. La responsabilité qu’encourt chaque individu pour une décision prise par
cet organe doit être recherchée114.
Dans un organe collectif, chaque membre répond de la violation des devoirs
qui incombent à cet organe, à moins de s’être expressément opposé à la majorité
quant à cette décision litigieuse115 et entreprend tout ce qui peut être raisonnable-
ment exigé de lui pour empêcher la commission de l’infraction116. Le lien de cau-
salité entre le comportement individuel et la violation de la loi par une décision col-
lective ne sera interrompu qu’à cette condition.
A l’inverse, lorsqu’un membre est absent lors du vote, il faut se demander si,
en sa présence et avec sa volonté de s’opposer à l’objet soumis au vote, les délibéra-
tions auraient débouché sur un résultat différent117. Selon une partie de la doctrine,
la responsabilité pénale de cet individu dépend de la justification de son absence
lors du vote en question118.

e) Commission d’une infraction par un subordonné


L’infraction commise par le subordonné dans le cadre de ses fonctions
constitue la concrétisation du risque pour laquelle répond le chef d’entreprise119.
Les conditions susmentionnées réduisent fortement le champ d’application
de la responsabilité pénale du chef d’entreprise. Cette dernière est, tout d’abord, li-
mitée aux infractions commises par un subordonné, ce qui implique que la rela-
tion entre l’auteur de l’infraction et le chef d’entreprise doit être caractérisée par
l’existence d’un lien de subordination120. De plus, le chef d’entreprise ne répond pas
de toute infraction commise par le subordonné. L’infraction doit être liée à l’exer-
cice normal des fonctions de ce dernier au sein de l’entreprise121.

114 P. Camathias Ziegler, Die strafrechtliche Verantwortlichkeit bei Mehrheitsentscheidungen


von Gremien in Aktiengesellschaften, insbesondere des Verwaltungsrates und der Geschäftslei-
tung, thèse, Université de Zurich, 2004, 65; Wohlers (n. 17), 105 ss; Heine (n. 53), 26 s.
115 Cassani (n. 19), 58 s; Popp (n. 30), 33; Garbarski (n. 49), 340; Schmid (n. 46), 159. Voir Cama-
thias Ziegler (n. 114), 146 ss pour une analyse complète de la problématique.
116 Cassani (n. 19), 59; Camathias Ziegler (n. 114), 161; Schmid (n. 46), 159.
117 Camathias Ziegler (n. 114), 93 et 164 s; Popp (n. 30), 33 qui signale toutefois qu’une réponse à
cette question peut difficilement être apportée en pratique.
118 Camathias Ziegler (n. 114), 67; Garbarski (n. 49), 341.
119 Garbarski (n. 49), 333; Oertle (n. 76), 17.
120 Oertle (n. 76), 18; Geiger (n. 78), 58. Voir aussi ATF 113 IV 75 = JdT 1988 IV 77: les employés
n’ont pas le devoir d’intervenir pour des employés de même rang ou de rang supérieur.
121 Garbarski (n. 49), 333; Donatsch/Blocher (n. 27), 52; Oertle (n. 76), 19.
386 Fabio Burgener ZStrR · Band/ Tome 133 · 2015

Pour reprendre un exemple imagé donné par Zappelli en 1988122, si «des em-
ployés ont aménagé un local de l’entreprise en garçonnière et que s’y déroulent ré-
gulièrement des parties fines avec des mineurs, le chef d’entreprise, hormis une
éventuelle participation à titre de coauteur, instigateur ou complice, ne peut pas
être condamné pour attentat à la pudeur du seul fait de sa position de chef, même
s’il a eu connaissance de l’infraction et n’a rien fait pour l’empêcher.»

4. Responsabilité pénale du chef d’entreprise au sens de l’art. 6 al. 2 DPA

Alors que l’art. 6 al. 1 DPA rappelle simplement la primauté de la responsa-


bilité de la personne physique face à celle de la personne morale123, l’art. 6 al. 2 DPA
prévoit une responsabilité concurrente du chef d’entreprise à celle de ses subordon-
nés dans le champ d’application du droit pénal administratif.
Selon l’art. 6 al. 2 DPA, «[le] chef d’entreprise, l’employeur, le mandant ou
le représenté qui, intentionnellement ou par négligence et en violation d’une obli-
gation juridique, omet de prévenir une infraction commise par le subordonné, le
mandataire ou le représentant ou d’en supprimer les effets, tombe sous le coup des
dispositions pénales applicables à l’auteur ayant agi intentionnellement ou par né-
gligence.»
Cet article correspond à une codification de la responsabilité pénale du chef
d’entreprise développée par voie prétorienne par le Tribunal fédéral124. Il permet
de poursuivre le supérieur hiérarchique qui, en violation de son obligation juri-
dique d’agir, n’a pas empêché l’un de ses subordonnés de commettre une infrac-
tion125. Les réflexions proposées ci-dessus126 sont valables mutatis mutandis pour
la responsabilité pénale du chef d’entreprise au sens de l’art. 6 al. 2 DPA, sous ré-
serve des indications ci-après.
L’art. 6 al. 2 DPA va au-delà de la notion du chef d’entreprise mentionnée
ci-dessus127, étant donné qu’il englobe également le mandant ou le représenté. Mal-
gré le large cercle d’auteurs potentiels, l’art. 6 al. 2 DPA constitue une infraction
propre (Sonderdelikt). En raison des importantes différences d’organisation entre

122 Zappelli (n. 35), 214.


123 K. Hauri, Verwaltungsstrafrecht (VStR), Berne 1998, 14; Cassani (n. 19), 61. D’un autre avis:
A. M. Garbarski/A. Macaluso, La responsabilité de l’entreprise et des organes dirigeants à
l’épreuve du droit pénal administratif, PJA 2008, 833, 834 lesquels considèrent que l’art. 6 al. 1
DPA poursuit un objectif comparable à l’art. 29 CP.
124 Oertle (n. 76), 179; Lobsinger (n. 24), 197.
125 Oertle (n. 76), 179.
126 Cf. section II.3. (supra) concernant la responsabilité pénale du chef d’entreprise sur la base de
l’art. 11 CP
127 Cf. section II.2. (supra) sur la définition de la notion de chef d’entreprise.
 La responsabilité pénale du chef d’entreprise 387

les entreprises, une partie de la doctrine considère qu’il aurait été plus opportun
que le législateur restreigne la définition du supérieur hiérarchique par des critères
formels128. De plus, il est intéressant de noter que la notion de chef d’entreprise n’a
pas été définie dans le Message du Conseil fédéral concernant le projet de loi fédé-
rale sur le droit pénal administratif du 21 avril 1971129 et doit, tout comme pour la
responsabilité pénale du chef d’entreprise fondée sur l’art. 11 CP, être concrétisée
dans chaque cas d’espèce.
Selon une partie de la doctrine130 et la jurisprudence la plus récente du Tri-
bunal fédéral131, l’art. 6 al. 2 DPA ne constitue pas la source de l’obligation juridique
d’agir du chef d’entreprise, mais renvoie uniquement à celle-ci par les termes «en
violation d’une obligation juridique». A l’inverse, Donatsch et Tag132, suivis par
l’Obergericht zurichois dans un arrêt récent133, qualifient l’art 6 al. 2 DPA de délit
d’omission proprement dit (echtes Unterlassungsdelikt). Pour cette forme de délits
d’omission, l’obligation juridique d’agir résulte directement de la disposition pé-
nale, sans que la position de garant doive être spécialement fondée sur la base de
l’art. 11 al. 2 CP134.
A notre avis, l’art. 6 al. 2 DPA ne peut pas être qualifié de délit d’omission
proprement dit, au sens le plus rigoureux du terme, étant donné qu’il ne constitue
pas une infraction pénale de la partie spéciale du Code pénal ou d’une autre loi fé-
dérale qui menace directement l’auteur qui reste inactif135. Cette disposition de la
partie générale du DPA vise à faire tomber le chef d’entreprise qui omet de préve-
nir une infraction commise par un subordonné sous le coup d’une disposition pé-
nale applicable à ce dernier. L’art. 6 al. 2 DPA peut donc uniquement être appliqué
en relation avec une infraction pénale d’une loi fédérale à laquelle s’applique la DPA.
Par conséquent, l’art. 6 al. 2 DPA présuppose certes la position de garant du chef
d’entreprise, mais celle-ci doit, à notre avis, être concrétisée dans chaque cas d’es-
pèce en fonction notamment de l’infraction commise par le subordonné et les
risques typiques et spécifiques de l’activité de l’entreprise.

128 Oertle (n. 76), 182; Garbarski (n. 49), 324.


129 Message du Conseil fédéral du 21 avril 1971 concernant le projet de loi fédérale sur le droit
pénal administratif, FF 1971 I 1021 et 1028 s.
130 Popp (n. 30), 28; Hauri (n. 123), 15; Vest (n. 22), 309; Krauss (n. 46), 47; Schubarth (n. 35), 376.
131 Arrêt du Tribunal fédéral 6B_189/2009 du 20 mai 2009, consid. 3.2.3; arrêt du Tribunal fédé-
ral 6S.823/1996 du 3 juin 1998, consid. 7.c. Voir Wiprächtiger (n. 46), 761 s pour un résumé
du second arrêt.
132 Donatsch/Tag (n. 30), 300 et 380 s.
133 Arrêt du Obergericht Zurich SU140008 du 29 juillet 2014, consid. 3.2.
134 Voir également Oertle (n. 76), 188 s. qui arrive au même résultat avec un raisonnement basé
sur les travaux préparatoires de l’art. 6 al. 2 DPA. Il considère que les termes «en violation
d’une obligation juridique» constitueraient sinon une répétition inutile des principes géné-
raux inhérents à la commission par omission (aujourd’hui codifiée à l’art. 11 CP).
135 CR CP I-Cassani (n. 23), art. 11 N 1; Stratenwerth (n. 16), § 14 N 4.
388 Fabio Burgener ZStrR · Band/ Tome 133 · 2015

Contrairement à ce que pourrait laisser penser l’art. 6 al. 2 DPA au premier


coup d’œil, cette norme ne crée pas une responsabilité générale du chef d’entreprise
en raison de sa négligence, ce qui équivaudrait à un traitement inéquitable entre le
chef d’entreprise et le subordonné qui commet l’infraction. Le chef d’entreprise ne
répond de sa négligence à l’origine de l’infraction commise par son subordonné
que si cette infraction est punissable lorsqu’elle est commise par négligence136.
L’extension de la responsabilité à la personne «qui omet d’en supprimer les
effets» semble «instaurer une responsabilité subséquente incompatible avec les prin-
cipes fondamentaux du droit pénal»137. A notre sens, la responsabilité pénale du
chef d’entreprise doit être limitée temporellement au devoir d’intervenir en cas de
connaissance du fait qu’un ou plusieurs de ses subordonnés sont en train de com-
mettre une infraction pénale.

III. Partage des responsabilités

1. Nécessité de la délégation

Bien que la question de la délégation ne se posait pas concrètement dans l’ar-


rêt Von Roll, étant donné que les organes de la société n’avaient pas chargé des tiers
de prendre des mesures d’organisation et de contrôle afin d’empêcher des livrai-
sons de composantes d’armes, le Tribunal fédéral semble reconnaître l’admissibi-
lité de la délégation des tâches d’organisation et de surveillance incombant au
conseil d’administration138.
Lorsqu’une société atteint une taille importante, la délégation de certaines
tâches devient fréquente, car incontournable139. Les administrateurs ne pourront
pas assumer seuls toutes les responsabilités, en raison de la masse de travail ainsi
que du manque de connaissance dans certains domaines requis par l’activité de
l’entreprise140. Ils devront donc s’entourer de spécialistes dans ces domaines de l’en-
treprise, notamment pour la mise en œuvre de la surveillance et le contrôle des
risques (audit interne, direction opérationnelle, y compris la compliance)141.
Il n’est pas possible de déterminer abstraitement quel degré de délégation
est adéquat pour une entreprise142. Une répartition insuffisante des tâches peut aug-

136 Hauri (n. 123), 18; Popp (n. 30), 31.


137 Cassani (n. 19), 62.
138 ATF 122 IV 128. Voir Cassani (n. 18), 65 qui considère que les considérants de l’arrêt laissent
apparaître qu’il y avait matière à poursuivre les autres membres du conseil d’administration.
139 Godenzi/Wohlers (n. 17), 236 ss; Donatsch/Blocher (n. 27), 59.
140 Cassani (n. 18), 70; Popp (n. 30), 29.
141 Voir notamment Circ.-FINMA 2008/24 Surveillance et contrôle interne – banques.
142 Donatsch/Blocher (n. 27), 58 s.
 La responsabilité pénale du chef d’entreprise 389

menter les risques inhérents à l’activité de l’entreprise, étant donné que le person-
nel engagé manquera certainement de temps et des connaissances nécessaires pour
la bonne exécution de la tâche. A l’inverse, un morcellement trop important des
tâches comporte le risque d’une dilution des responsabilités individuelles en rai-
son du manque de clarté de la délimitation des différents domaines de responsabi-
lité et de compétence.

2. Limites matérielles de la délégation

La délégation, notamment par le conseil d’administration, se voit fortement


encadrée par la loi. Ainsi, la direction est, en principe, exercée conjointement par
les membres du conseil d’administration (art. 716b al. 3 CO), sous réserve d’une
éventuelle délégation. Si le conseil d’administration souhaite déléguer certaines
tâches, notamment celles liées à une position de garant, il doit se tenir aux règles
fixées par le Code des obligations143.
L’art. 716a CO prévoit que le conseil d’administration bénéficie de certaines
compétences inaliénables144, notamment la fixation de l’organisation (al. 1 ch. 2) et
l’exercice de la haute surveillance sur les personnes chargées de la gestion pour s’as-
surer notamment qu’elles observent la loi, les statuts, les règlements et les instruc-
tions données (al. 1 ch. 5).
Il incombe notamment au conseil d’administration de déterminer le cahier
des charges de chacun de ses membres, d’établir un organigramme hiérarchique
et d’édicter un règlement d’organisation en cas de délégation145.
La haute surveillance des personnes chargées de la gestion impose au conseil
d’administration la mise en place des mécanismes nécessaires pour s’assurer que
les délégataires respectent la loi et le devoir d’intervenir lorsqu’il constate des in-
dices concrets d’une violation de leurs devoirs par les délégataires146.
L’énumération exhaustive des tâches inaliénables permet au conseil d’ad-
ministration de déléguer les autres tâches147. Au sens de l’art. 716b al. 1 CO, «les
statuts peuvent autoriser le conseil d’administration à déléguer tout ou partie de la

143 Cassani (n. 18), 71 s.


144 P. Forstmoser, Organisation und Organisationsreglement der Aktiengeselleschaft, Rechtliche
Ordnung und Umsetzung in der Praxis, Zurich, Bâle, Genève 2011, § 8 N 4; M. Bauen/​R . Ber-
net/N. Rouiller, La société anonyme suisse, Genève, Zurich, Bale 2007, N 462; Böckli (n. 2),
§ 13 N 285 s.
145 Forstmoser (n. 144), § 8 N 29 ss; Bauen/Bernet/Rouiller (n. 144), N 465; Böckli (n. 2), § 13
N 318 ss, not. N 336g s sur la responsabilité pénale des membres du conseil d’administration
et de la direction en cas de défaut d’organisation.
146 Forstmoser (n. 144), § 8 N 63 s; Bauen/Bernet/Rouiller (n. 144), N 468; Böckli (n. 2), § 13 N 377.
147 Forstmoser (n. 144), § 6 N 1; Bauen/Bernet/Rouiller (n. 144), N 460 s.
390 Fabio Burgener ZStrR · Band/ Tome 133 · 2015

gestion à un ou plusieurs de ses membres ou à des tiers conformément au règlement


d’organisation».
Si le conseil d’administration ne prend pas les mesures pour requérir de l’as-
semblée générale une base statutaire autorisant la délégation (art. 698 al. 2 ch. 1
CO), puis n’édicte pas un règlement d’organisation, il devra répondre pleinement
de sa négligence de ne pas avoir tout mis en place pour éviter les risques inhérents
à l’activité de l’entreprise148.
A l’inverse, si le conseil d’administration est bloqué par l’assemble générale,
il est possible que la responsabilité d’un éventuel actionnaire majoritaire soit enga-
gée en tant qu’organe de fait de la société149.

3. Partage horizontal

Le partage horizontal consiste en la division des tâches au sein de l’entre-


prise en différents secteurs de responsabilité. Cette possibilité est prévue à l’art. 716a
al. 2 CO pour le conseil d’administration. Celui-ci peut répartir entre ses membres,
pris individuellement ou groupés en comités, la charge de préparer et d’exécuter
ses décisions ou de surveiller certaines affaires150.
Le chiffre 24 du CSBP prévoit, par exemple, qu’un comité de contrôle éva-
lue notamment le fonctionnement du système de contrôle interne en tenant compte
de la gestion des risques ainsi que de l’observation des prescriptions légales qui s’ap-
pliquent et des normes adoptées volontairement dans la société151.
La responsabilité de chaque membre se limite au secteur pour lequel ce der-
nier a la possibilité d’agir152. Les autres membres doivent toutefois être convenable-
ment informés pour assurer la coordination entre les différents secteurs153.
Ces secteurs de responsabilité et partant la responsabilité pénale individuelle
sont cependant difficiles à délimiter dans la pratique154. Dans des situations de crise
qui touchent toute l’entreprise et débordent des domaines déterminés de respon-
sabilité, les individus ne peuvent pas se dégager de toute responsabilité en invo-
quant la limitation de leur responsabilité à un secteur. Il est attendu de chaque in-

148 Donatsch/Blocher (n. 27), 59.


149 Donatsch/Blocher (n. 27), 59.
150 Voir Forstmoser (n. 144), § 5 N 3 ss pour la délégation de compétences à des comités en général.
151 Böckli (n. 2), § 14 N 298 ss; Bauen/Bernet/Rouiller (n. 144), N 709; Forstmoser (n. 144), § 5
N 84 ss.
152 Godenzi/Wohlers (n. 17), 239; Stratenwerth (n. 16), § 14 N 28; Eicker (n. 76), 687 s; Schmid
(n. 46), 175 s.
153 Godenzi/Wohlers (n. 17), 239.
154 Ackermann, in: Ackermann/Heine (n. 14), § 4 N 110.
 La responsabilité pénale du chef d’entreprise 391

dividu ayant le pouvoir décisionnel d’intervenir qu’il le fasse pour mettre fin à la
situation illicite qui perdure155.

4. Partage vertical

a) Effets pour le délégué


Si les prescriptions légales susmentionnées ne sont pas respectées, le délé-
gué reste entièrement lié156, sauf pour le transfert de compétences de simple exécu-
tion qui ne nécessitent pas une base statutaire157.
A l’inverse, en cas de délégation admissible, le contenu du devoir des admi-
nistrateurs se transforme. Dès lors, au sens de l’art. 754 al. 2 CO, la responsabilité
de ces derniers se limite à prendre tous les soins commandés par les circonstances
en matière de choix (cura in eligendo), d’instruction (cura in instruendo) et de sur-
veillance (cura in custodiendo) du délégué158. La doctrine159 considère que le rai-
sonnement de droit privé peut être repris mutatis mutandis en droit pénal, ce que
le Tribunal pénal suggère également dans l’arrêt Von Roll160.

aa) Choix (cura in eligendo)


Celui qui délègue doit s’assurer que les bénéficiaires de la délégation dis-
posent des connaissances et des qualités nécessaires pour la bonne exécution de la
tâche confiée161. L’analyse du bénéficiaire de la délégation doit être effectuée, tant
concernant les aspects professionnels que personnels. Si des connaissances spéci-
fiques sont nécessaires, des spécialistes doivent être mandatés.

bb) Instruction (cura in instruendo)


Le délégataire doit être précisément instruit sur tout ce qui lui permettra
d’effectuer le travail attendu de sa part au sein de l’entreprise. Il doit notamment
être mis au courant de ses tâches et de ses compétences, des éventuels rapports de
subordination ou de coopération, ainsi que de la politique et de la culture de l’en-

155 Godenzi/Wohlers (n. 17), 239.


156 Donatsch/Blocher (n. 27), 60; Forstmoser (n. 144), § 10 N 18.
157 Forstmoser (n. 144), § 10 N 19 s.
158 Forstmoser (n. 144), § 10 N 15; Bauen/Bernet/Rouiller (n. 144), N 586; Böckli (n. 2), § 13 N 570 s.
Voir aussi Fischer (n. 2), 50 s pour les liens entre les trois curae et la gouvernance d’entreprise.
159 Donatsch/Blocher (n. 27), 60; Cassani (n. 19), 66; Schmid (n. 46), 175 s. D’un autre avis: Vest
(n. 22), 302.
160 ATF 122 IV 128.
161 Donatsch/Blocher (n. 27), 63; Geiger (n. 78), 62.
392 Fabio Burgener ZStrR · Band/ Tome 133 · 2015

treprise162. L’instruction doit ainsi permettre au délégataire d’avoir effectivement


compris ses tâches et la manière de les accomplir.

cc) Surveillance (cura in custodiendo)


Le délégué doit contrôler de manière appropriée et raisonnable que le délé-
gataire effectue ses tâches de manière conforme. S’il réalise que le délégataire
manque à ses devoirs, il doit immédiatement intervenir pour y remédier163. Lorsque
le contrôle porte sur le travail d’un spécialiste, le surveillant doit posséder les
connaissances nécessaires pour effectuer adéquatement la surveillance164.

b) Effets pour le délégataire


Si la délégation ne respecte pas les règles fixées par les articles 716a et 716b
CO, le délégataire peut, tout de même, être responsable pénalement en tant que di-
rigeant de fait165. La conséquence est évidemment identique si la délégation a été
effectuée de manière appropriée.
Dans les deux cas de figure, la responsabilité pénale du délégataire se limite
aux tâches précises d’organisation ou de surveillance qui lui ont été effectivement
déléguées et pour lesquelles il bénéficie d’un pouvoir décisionnel166.
Une constellation particulière apparaît lorsque le contrôle de l’activité des
employés est délégué, par exemple à un Compliance Officer, sans toutefois lui attri-
buer la compétence propre de donner des instructions lui permettant d’intervenir
en cas de détection d’un manquement167. En l’absence d’une possibilité objective
d’agir pour écarter le danger, la responsabilité pénale du délégataire se limite au
devoir de surveiller les employés et d’informer le délégué en cas de manquement168.
Le devoir d’intervenir demeure chez ce dernier.
Malgré l’utilisation du terme de «chef» d’entreprise, la question se pose de
savoir jusqu’où il est possible d’aller vers le bas de l’échelle hiérarchique dans l’at-
tribution d’une responsabilité pénale pour défaut d’organisation ou de surveillance.
En lien avec la possibilité d’agir du chef d’entreprise, il nous semble que la respon-
sabilité pénale peut être retenue pour tout individu qui dispose d’un pouvoir de dé-
cision quant aux devoirs précités169.

162 Donatsch/Blocher (n. 27), 64; Geiger (n. 78), 63.


163 Godenzi/Wohlers (n. 17), 238 s.
164 Donatsch/Blocher (n. 27), 65; Geiger (n. 78), 63.
165 Popp (n. 30), 29; Wohlers (n. 17), 98 s.
166 Godenzi/Wohlers (n. 17), 239 ss
167 Godenzi/Wohlers (n. 17), 238 ss; Ackermann, in: Ackermann/Heine (n. 14), § 4 N 133 ss.
168 Godenzi/Wohlers (n. 17), 239 s.
169 ATF 113 IV 75 = JdT 1988 IV 77; Cassani (n. 18), 74.
 La responsabilité pénale du chef d’entreprise 393

5. Principe de la confiance

L’entreprise qui constitue par définition un lieu de collaboration suppose


l’existence d’un climat de confiance réciproque170. En vertu du principe de la
confiance, développé par la jurisprudence en matière de circulation routière, chaque
individu peut «compter, en l’absence d’indice contraire, avec une certaine prudence
des autres personnes»171. Appliqué à la collaboration au sein d’une entreprise, cela
indique qu’«en cas de division horizontale du travail, chaque travailleur doit pou-
voir légitimement s’attendre à ce que son collègue respectera ses devoirs, tant qu’au-
cune circonstance ne laisse présumer le contraire. En cas de répartition verticale,
la doctrine subordonne le principe de la confiance aux curae in eligendo, in ins-
truendo et custodiendo»172.
En cas de division des tâches entre les différents membres d’un comité ou
d’un même niveau hiérarchique, le principe de la confiance constitue une limita-
tion indispensable à leur devoir de surveillance173. Ainsi, pour prendre un exemple,
les autres collaborateurs du même rang que le service compliance pourront se fier
à la pertinence et à la véracité des informations transmises par les spécialistes com-
posant ce dernier174.
De plus, l’intensité du contrôle des subordonnés par leurs supérieurs ne dé-
pendra pas uniquement du risque en lien avec l’activité précise du délégataire, mais
également de la confiance acquise par ce dernier avec le temps grâce à ses actes175.
La confiance ne pourra qu’être fondée lorsque le supérieur aura choisi, instruit et
surveillé le délégataire avec diligence176.

IV. Distinction avec la responsabilité de l’entreprise

Dans l’arrêt Von Roll, le Tribunal fédéral a introduit la faute personnelle du


chef d’entreprise pour défaut d’organisation177. Comme le souligne Cassani, à juste
titre, ce critère a constitué une première brèche en faveur de l’introduction d’une
responsabilité pénale de l’entreprise178.

170 Donatsch/Tag (n. 30), 355 s.


171 ATF 118 IV 280; ATF 120 IV 310 = JdT 1996 IV 96; ATF 125 IV 87 = JdT 1999 I 854.
172 Arrêt du Tribunal fédéral 6B_675/2007 du 20 juin 2008, consid. 2.2.2.1; arrêt du Tribunal fé-
déral 6B_200/2007 du 8 mai 2008, consid. 4.1.1.
173 Donatsch/Blocher (n. 27), 66.
174 Cassani (n. 19), 67.
175 Donatsch/Blocher (n. 27), 66.
176 Cassani (n. 19), 67.
177 ATF 122 IV 128.
178 Cassani (n. 18), 74.
394 Fabio Burgener ZStrR · Band/ Tome 133 · 2015

La question de l’articulation entre la responsabilité de l’entreprise et celle du


chef d’entreprise n’a pas été discutée par le Parlement lors de la révision de la par-
tie générale du Code pénal179. Toutefois, depuis l’introduction de l’art. 102 CP (au-
paravant aux art. 100quater et 100quinquies aCP), la question se pose de savoir s’il existe
encore une certaine place pour la responsabilité pénale du chef d’entreprise.

1. Responsabilité subsidiaire de l’entreprise (art. 102 al. 1 CP)

La responsabilité de l’entreprise prévue à l’art. 102 al. 1 CP est subsidiaire à


la responsabilité des personnes physiques au sein de l’entreprise. L’entreprise n’est
punie que dans les cas où il est impossible d’imputer l’infraction à une personne
physique déterminée. Lorsque la responsabilité pénale du chef d’entreprise est en-
gagée, elle est imputée à une personne physique déterminée. Par conséquent, cette
responsabilité prime sur celle de l’entreprise180.
Le critère du défaut d’organisation ne se recoupe pas entre les deux types de
responsabilité. La responsabilité pénale du chef d’entreprise est engagée lorsque le
défaut d’organisation permet à un employé de commettre une infraction pénale au
sein de l’entreprise, alors que la responsabilité de l’entreprise est engagée lorsque le
défaut d’organisation empêche l’identification de l’auteur ayant commis l’infrac-
tion181.
La responsabilité subsidiaire de l’entreprise ne constitue ainsi en aucun cas
une entrave à la responsabilité pénale du chef d’entreprise. Au contraire, cette der-
nière peut limiter le champ d’application de la responsabilité de l’entreprise dans
les cas où la responsabilité d’un chef d’entreprise pourra être identifiée.

2. Responsabilité directe et parallèle de l’entreprise (art. 102 al. 2 CP)

L’art. 102 al. 2 CP prévoit une responsabilité directe de l’entreprise parallèle


à celle des personnes physiques. La responsabilité de l’entreprise peut être invoquée
indépendamment de l’identification de la personne physique qui a commis l’in-
fraction au sein de l’entreprise.
La responsabilité directe de l’entreprise et la responsabilité pénale du chef
d’entreprise partagent la source commune de l’absence de mesures d’organisation

179 FF 1999 II 1943 ss.


180 Donatsch/Tag (n. 30), 391 s; Garbarski (n. 49), 428; Lobsinger (n. 24), 195; Gerhard (n. 93), 144.
181 CR CP I-Macaluso (n. 23), art. 102 N 47; Forster (n. 19), 203; Niggli/Gfeller, in: BSK StGB I
(n. 55), art. 102 N 52.
 La responsabilité pénale du chef d’entreprise 395

raisonnables et nécessaires permettant d’empêcher que des infractions soient com-


mises par les subordonnés au sein de l’entreprise182.
La responsabilité pénale du chef d’entreprise en raison d’un défaut d’orga-
nisation est toutefois fortement limitée sous l’angle des éléments subjectifs, étant
donné que ce raisonnement se limite, en principe, aux infractions réprimant la né-
gligence183. A l’inverse, la responsabilité directe de l’entreprise se limite aux quelques
infractions citées exhaustivement dans la base légale et qui répriment toutes uni-
quement l’intention. Le champ d’application commun des deux formes de respon-
sabilité se voit ainsi être considérablement diminué par les éléments subjectifs.
De plus, il faut distinguer les attentes à l’égard d’un seul individu, le chef
d’entreprise, de celles qui s’adressent à l’entreprise dans son ensemble184. Le défaut
d’organisation imputé à l’entreprise ne correspond pas à l’addition de fautes indi-
viduelles commises par les dirigeants, mais à un manquement collectif dans l’or-
ganisation185. A l’inverse, la responsabilité pénale du chef d’entreprise est fortement
dépendante des circonstances individuelles propres à l’auteur déterminé186.

V. Conclusion

Les règles de gouvernance d’entreprise concernant l’organisation de cette


dernière influencent positivement l’application du droit pénal, notamment de la
responsabilité pénale du chef d’entreprise. Elles favorisent, tout d’abord, l’applica-
tion du droit pénal individuel, dans le sens où une entreprise organisée selon un
organigramme hiérarchique clair permet une délimitation des compétences des
différents acteurs au sein de l’entreprise. De plus, elles peuvent servir d’outil d’in-
terprétation, afin de concrétiser les mesures adéquates d’organisation qui peuvent
être attendues de l’entreprise187 et de ses dirigeants188, afin de réduire les risques in-
hérents à l’activité de l’entreprise.
En outre, une organisation adéquate mise en place par les dirigeants selon
les principes de gouvernance d’entreprise, notamment la gestion de la conformité
dans l’intérêt des actionnaires, profitera également à la collectivité dans son en-

182 CR CP I-Macaluso (n. 23), art. 102 N 53 s; Donatsch/Tag (n. 30), 392; Forster (n. 19), 229 s; Nig-
gli/​Gfeller, in: BSK StGB I (n. 55), art. 102 N 244.
183 Cf. section II.3.c.aa. (supra) sur le devoir d’organisation du chef d’entreprise.
184 CR CP I-Macaluso (n. 23), art. 102 N 55; Donatsch/Tag (n. 30), 392.
185 Forster (n. 19), 244; Plüss (n. 22), 214; Cassani (n. 18), 45 s; G. Heine, Das kommende Un-
ternehmensstrafrecht (Art. 100quater f.) Entwicklung und Grundproblematik, RPS 2003, 24,
40 s; Garbarski (n. 49), 429.
186 Cassani (n. 18), 46; Garbarski (n. 49), 429; Heine (n. 42), 96, 110.
187 Fischer (n. 2), 90 ss.
188 Fischer (n. 2), 83 s.
396 Fabio Burgener ZStrR · Band/ Tome 133 · 2015

semble, dans le sens où elle diminue le risque que des biens juridiques soient lésés
par l’activité déployée au sein de l’entreprise189.
Réciproquement, la responsabilité pénale du chef d’entreprise peut favori-
ser l’application des recommandations de bonne gouvernance d’entreprise. En ef-
fet, pour que les engagements pris volontairement en matière de responsabilité so-
ciale des entreprises soient adéquatement appliqués à tous les niveaux de
l’organisation, il est indispensable que la stratégie qui les met en œuvre soit initiée,
soutenue et contrôlée par le conseil d’administration et par la direction190. La res-
ponsabilité pénale du chef d’entreprise, par la sanction qui menace ce dernier et in-
directement la réputation de l’entreprise, constitue une incitation à développer des
mesures internes de gestion efficace de la conformité et plus généralement des
risques afin d’éviter que des infractions pénales soient commises au sein de l’en-
treprise.
Le droit pénal suisse permet, sur la base de l’art. 11 CP ou de l’art. 6 al. 1
DPA, de punir les chefs d’entreprise pour leur manquement individuel concernant
la surveillance de leurs subordonnés. Bien qu’une partie de la doctrine considère
que la construction de cette responsabilité semble être destinée à remédier à l’inexis-
tence de preuves d’un comportement actif191, l’accusation, à la place de devoir prou-
ver une contribution matérielle ou intellectuelle à la conception ou à l’exécution de
l’infraction, devra établir l’ensemble des éléments objectifs et subjectifs de la res-
ponsabilité pénale du chef d’entreprise192.
Tout comme pour un comportement actif, la preuve de la réalisation de l’en-
semble de ces éléments risque d’être difficile à apporter dans de nombreux cas en
raison de l’inadéquation entre la structure des entreprises modernes et l’approche
individuelle du droit pénal suisse. Concernant les éléments objectifs, le fondement
de l’obligation juridique d’agir du chef d’entreprise et la possibilité d’agir en lien
avec la question sous-jacente de la délégation risquent de poser problème dans la
pratique. Quant aux éléments subjectifs, la difficulté résidera pour les infractions
intentionnelles dans l’établissement de la conscience et la volonté englobant tous
les éléments objectifs, notamment les devoirs qui découlent de la position de ga-
rant et la réalisation du risque. La tâche sera moins ardue concernant les infrac-
tions par négligence, pour lesquelles l’accusation pourra se contenter de prouver
que l’auteur aurait dû s’apercevoir de la réalisation de l’ensemble des éléments ob-
jectifs.

189 Fischer (n. 2), 57 et 76.


190 Peter/Jacquemet (n. 3), 1028; TFGC, p. 16.
191 Graven (n. 22), 503; Vest (n. 22), 296; Schubarth (n. 35), 373; Ackermann, in: Ackermann/Heine
(n. 14), § 4 N 66. Voir aussi Seelmann, in: BSK StGB I (n. 55), art. 11 N 6, lequel fait cette consta-
tation pour l’ensemble des infractions par omission.
192 Cassani (n. 18), 67; Ackermann, in: Ackermann/Heine (n. 14), § 4 N 68.
 La responsabilité pénale du chef d’entreprise 397

Par conséquent, la responsabilité pénale du chef d’entreprise fondée sur une


omission contraire au devoir d’organisation n’aura qu’une portée réduite en raison
du fait que de nombreuses infractions pouvant être commises au sein d’une entre-
prise ne répriment pas la négligence193. Elle aura toutefois une portée plus impor-
tante dans le domaine des atteintes à la vie et à l’intégrité corporelle, ainsi qu’en
matière bancaire et financière194.
Lorsqu’il est possible d’identifier l’un des individus responsables d’une in-
fraction, notamment le chef d’entreprise, tous les problèmes ne sont pas encore ré-
solus195. Cette personne physique qui agit au sein d’une entreprise répondra le plus
souvent d’une peine pécuniaire calculée sur la base de ses propres ressources et non
des bénéfices obtenus par l’entreprise. Dans les cas où l’entreprise n’est pas la vic-
time, mais plutôt la bénéficiaire de l’infraction, il est imaginable que celle-ci, à l’en-
contre des principes prônés en matière de bonne gouvernance, paie indirectement
la peine pécuniaire de son employé196.
A l’inverse, une peine privative de liberté ne pourra qu’être purgée par l’in-
dividu lui-même, ce qui lui confère un effet dissuasif plus important concernant
les délits économiques197. Les recherches en criminologie démontrent que l’effet de
prévention générale d’une sanction dépend d’un bon compromis entre la sévérité
et la certitude de cette dernière198. Pour que la sanction soit certaine, ce qui n’est
pas le cas en droit pénal économique suisse actuellement, il est nécessaire que les
juges aient la volonté de punir les infractions commises au sein des entreprises et
que les outils pour atteindre ce but leur soient conférés par le législateur.

193 C’est notamment le cas de l’escroquerie (art. 146 CP), la gestion déloyale (art. 158 CP), le faux
dans les titres (art. 251 CP), les infractions boursières (art. 40 et 40a de la loi fédérale du 24 mars
1995 sur les bourses et le commerce des valeurs mobilières (LBVM; RS 954.1)), la corruption
d’agents publics (art. 322ter CP) ou privés (art. 4a de la loi fédérale du 19 décembre 1986 contre
la concurrence déloyale (LCD; RS 241)) et du blanchiment d’argent (art. 305 CP).
194 P. ex. art. 46 al. 2 et 47 al. 2 de la loi fédérale du 8 novembre 1934 sur les banques et les caisses
d’épargne (LB; RS 952.0); art. 42 al. 2, 42a al. 2 et 43 al. 2 LBVM; art. 44 al. 2, 45 al. 2, 46 al. 2
et 47 al. 2 de la loi fédérale du 22 juin 2007 sur l’Autorité fédérale de surveillance des marchés
financiers (LFINMA; RS 956.1); art. 37 al. 2 de la loi fédérale du 10 octobre 1997 concernant
la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme dans le secteur finan-
cier (LBA; RS 955.0); art. 86 al. 2 et 87 al. 2 de la loi fédérale du 17 décembre 2004 sur la sur-
veillance des entreprises d’assurance (LSA; RS 961.01); art. 24 al. 2 de la loi fédérale du 3 oc-
tobre 2003 sur la Banque nationale suisse (LBN; RS 951.11).
195 Wohlers (n. 17), 85.
196 Heine (n. 53), 26; Wohlers (n. 17), 85; Cassani (n. 18), 46.
197 G. Kaiser, Kriminologie, ein Lehrbuch, 3e éd., Heidelberg 1996, § 93 N 18. Voir aussi M. Kil-
lias/M. Aebi/A. Kuhn, Précis de criminologie, 3e éd., Berne 2012. N 1001 ss sur la prévention
générale comme fonction de la peine.
198 Killias/Aebi/Kuhn (n. 197), N 1019 s.
398 Fabio Burgener ZStrR · Band/ Tome 133 · 2015

Afin de mener une politique criminelle efficace en droit pénal économique,


notamment en garantissant l’effet de prévention générale, il est nécessaire que le
législateur et les tribunaux mettent en place un système permettant de punir les in-
fractions commises au sein des entreprises en instaurant une responsabilité concur-
rente des personnes physiques agissant par un comportement actif, des chefs d’en-
treprise en raison de leur omission dans la surveillance de leurs employés, ainsi que
de l’entreprise elle-même en raison d’un défaut d’organisation due à une faute dite
collective199.

199 Voir notamment Plüss (n. 22), 222 ss, qui discute les mécanismes de décision au sein des en-
treprises qui peuvent aboutir sur une faute collective.

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