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Réal (Chloé) Valériane Numéro étudiant : 12005433

Exposé « L’ange Musicien » de Rosso Fiorentino

« Ce qu’on doit bien comprendre avec le maniérisme, c’est qu’il a une dimension ludique, le paradoxe maniériste
étant très souvent un jeu. »

Daniel Arasse

Commençons par les racines de Rosso Fiorentino : le maniérisme. Qu’en est-il du contenu même du terme ?
Explorons les dictionnaires italiens de l’époque, comme le célèbre : « Palazzi », où nous trouvons cette définition du
maniérisme : « la façon de travailler de celui qui est maniéré. Synonyme : affectation, artifice, conventionnalité,
minauderie. ». Nous sommes d'accord que cette définition ne met pas réellement en valeur le style. Cependant, les
dictionnaires vont continuer d’écrire que le maniérisme est un mot « péjoratif » à travers de nombreuses définitions
peu élogieuses : « Manque de naturel, affectations en matière artistique et littéraire. Forme d'art très en honneur en
Italie au XVIème siècle entre l'époque de la Renaissance est celle du baroque. »1.
D’où vient le mot maniérisme ? Il apparaît pour la première fois au XVIIème siècle chez Fréart Chambray2. Avec plus
de précision, le terme en lui-même « maniérisme » se dévoile seulement à la fin du XVIIIème siècle. Il devient un courant
à part entière au XXe. C’est un peu tard… Malheureusement, les historiens de l'art ont d'abord dénigré ce courant, se
basant sur les quelques textes et les quelques analyses qu'ils avaient sous la main datant du XVII ème siècle. Et c’est
seulement au XXème siècle après avoir approfondi les idées, les matières, la facture du maniérisme que les historiens
de l'art vont commencer à en faire son éloge, valoriser des œuvres d'arts qui viennent de sortir de l'ombre. Certaines
déjà analysé par le passé mais aussi, des toiles inconnues, car le maniérisme a longtemps été considéré comme le
vilain petit canard de l'histoire de l'Art à la Renaissance. Grâce à plusieurs expositions, le maniérisme voit enfin la
lumière du jour : l’Exposition de Naples (1952), l’Exposition d’Amsterdam (1955), l’Exposition de Manchester (1964),
et une exposition à Paris (1965-66). Le dévoilement de ce courant va même encourager l'exposition d'Amsterdam à
s'intituler le « triomphe du maniérisme européen ». Et pour le style, c'est un réel hommage après avoir passé plusieurs
années dans l'indifférence. Contemplant maintenant les idées du célèbre Vasari. Dans la troisième partie « Des vies »
de Vasari3, l'écrivain désigne que la « maniera moderne » est l'art des artistes de la Renaissance comme Léonard de
Vinci, Raphaël et jusqu’ à Michel-Ange qui lui « surpasse domine tous les célèbres artistes de l'Antiquité »4. « Vasari à
qui l’on doit l’usage courant du mot, maniera n’a aucune connotation négative. Tout au contraire : la maniera est le
trait caractéristique de l’expression de l’artiste, ce que nous nommons le style »5 . Le terme « maniera moderna »
surpasse les modèles Antique et la Nature en elle-même (nous pouvons retrouver des idées un peu platoniques). Et à
cela va découler un enrichissement sur les variantes intimes des artistes, les plus téméraires. Nous avons une sorte de
libération picturale. Vasari perçoit dans le maniérisme un nouveau souffle à l'art. Comme un vent frais printanier.
Mais nous connaissons Vasari, et son point de vue est naturellement fondé sur ses pensées élogieuses de l’Art italien.
Tout cela est très personnel. Il est persuadé que les grands artistes de ce monde se retrouvent tous au même endroit :
l’Italie, berceuse de la Renaissance. « Rome fut avec Florence, dont elle assura la succession, la seconde capitale de
l’art de Cinquecento et du Maniérisme plus particulièrement, en cette ville de Raphaël et de Michel-Ange »6. L’écrivain
est connu pour être un peu comme un fan de Michel-Ange, en faire ses louanges est comme devenue un don pour le
peintre. Pour lui, Michel-Ange est tant représentatif du genre maniériste. Cela se justifie avec ses premières peintures
italiennes comme le « Tondo Doni » et le succès de « La Bataille de Cascina », qui avaient fait un triomphe et suscité
une excellente réception de l’œuvre. Il devient alors un exemple et un maître pour la génération de Pontormo et de
Rosso. Mais le génie du peintre ne s’arrête pas là pour Vasari, oh que non. C’est avec le plafond de la Sixtine, le
« Jugement dernier », « La crucifixion de saint Pierre » et « La conversion de saint Paul » de la chapelle Paoline (1542-

1
Pierre Barucco, « Le maniérisme italien », Que sais-je, presses universitaires de France, 1981, p. 3
2
Roland Fréart de Chambray est un clerc théoricien de l'art et de l'architecture du XVII ème
3
Giorgio Vasari est un peintre, architecte et écrivain toscan du XVI ème. Son recueil biographique « Les Vies » est un
regroupement bibliographique et anecdotique des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes (selon lui)
4
Vasari, « Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes » ou « Les Vies », édition de Lorenzo Torrentino, 1550
5
Patricia Falguières, « La maniérisme. Une avant-garde au XVIème siècle », Gallimard, 2003, Chapitre 3, p.52
6
Pierre Barucco, « Le maniérisme italien », Que sais-je, presses universitaires de France, 1981, p. 71
1550) que son génie s’illumine. L’artiste propose une nouvelle composition de l'espace, une expressivité émergente
et un dynamisme unique. Michel-Ange devient alors le grand maître du Maniérisme. C'est avec ce renouveau qu’il
dépasse le classicisme, réinventant l'Art Nouveau, et dévoile méticuleusement les codes du Maniérisme. Giovanni
Briganti a pu écrire à ce propos : « Ce n’est après tout qu’une sorte de tabou culturel, qui impose encore quelque
atermoiement et presque une réticence inavouée […] qui nous retient d’inclure aussi Michel-Ange dans l’histoire de
Maniérisme, au risque de priver la Renaissance de l’un de ses plus grands héros »7
Cependant, au fil du temps qui passe, des artistes aux idées révolutionnaires vont apparaître au XVII ème et se dresser
face à la perfection tant admirée chez les œuvres et la manière du « Héros de Florence » (déjà chez G.B Armenini,
1587). Elle grandira en prenant pleinement racine grâce à la force unique de Giovanni Pietro Belloni (1672). Le peintre
se rebelle avec vigueur contre ceux qui abandonnèrent l’étude et la contemplation de la Nature. Il pénètre l’Art avec
la maniera, offrant au monde artistique des idées fantastiques fondée sur la pratique et non sur l’imitation. Il va alors
indirectement situer ce mouvement dans l’histoire en condamnant les imitateurs de Michel-Ange et de Raphaël qui
sont le « commencement » de ce style artistique. Les mêmes critiquent se retrouvent chez Malvasia8 et Baldinucci9.
L’historien de l'art allemand, Walter Frieldlaender évoque lui aussi dans son ouvrage la métamorphose de l’Art à son
époque. L’historien perçoit dans l’Art de Beccafumi, Parmigianino, Pontormo et Rosso un mouvement qui est
naturellement anticlassique. Fieldlaender exprime le fait que le maniérisme se caractérise par l’absence de
perspectives (ou du moins dissimulé, rappelé avec quelques éléments mais non d’immense architecture), l’abandon
du modèle naturel (avec par exemple la distorsion des corps) et, plus généralement, par le rejet de tous les principes
de l’art classique (symétrie, harmonie, mesure, ordre, ect…)10

Exemple de peintures des artistes cités précédemment :

Beccafumi ; « Venus and Cupidon Parmigianino ; « Cupidon Pontormo ; « The Holy Family »
with Vulcan ›› 1530 fabriquant son Arc » 1533 1525

Les caractéristiques de ce style peuvent transparaître à travers : La multiplication des éléments et des plans, un
langage symbolique propre au mouvement et mystérieux pour certains ( art du blason, langage des fleurs, ...) ; le goût
prononcé pour une sensualité picturale ; la déformation et la torsion des corps ; la modification des proportions des
parties du corps ; l'allongement des formes ; le goût des schémas en arabesque, dont la "figure serpentine" (en S) ; la
recherche du mouvement ; les contrastes de tons acides et crus ; la perte de clarté et de cohérence de l'image. Rosso

7
Propos de Giovanni Briganti dans « Le maniérisme italien », Pierre Barucco, Que sais-je, presses universitaires de France, 1981,
p. 72
8
Carlo Cesare Malvasia est un écrivain et un historien de l'art italien du XVII ème siècle
9
Filippo Baldinucci est un historien de l'art, un peintre et un biographe italien du XVIIᵉ siècle
10
Walter Frieldlaender, « Maniérisme et antimaniérisme dans la peinture italienne », Collection Art et Artistes, Gallimard, 1991
Fiorentino peint à merveille le maniérisme dans ses œuvres. L’italien choisi de « peindre des corps allongés, tordus
dans des positions étranges, voire acrobatiques, déformant certaines formes ». Comme une libération d’expression
des corps. Des bouts de chaires sensuelles qui se déchaînent.

« La Déposition de Croix » de Rosso Fiorentino, 1521

« Que de talent dilapidé ; mais quel talent !

Et si l’on veut que ce soit un « décadentisme »,

Alors oui ; mais à condition qu’on n’oublie pas

Qu’il fut souvent de la qualité la plus subtile,

Incandescente et intellectuelle qu’on ait jamais vue


Roberto Longhi, 1953
Dans toute l’histoire de l’art. »

Avant de toucher le monde entier, le maniérisme a été en premier lieu un phénomène artistique et culturel
italien. C’est Pontormo et Rosso qui introduisent les premiers traits du maniérisme en Toscan et bien entendu, à
Florence. On peut cependant repérer des traces de ce mouvement dans les œuvres de Andrea del Sarto 11. Il fut le
dernier représentant de la « bella maniera » dans la notion qu’apporte Vasari. Et Rosso observa attentivement ces
œuvres, la façon dont le peintre pouvait retranscrire le travail serpentin des œuvres de de Vinci et de Donatello. Rosso,
dit Giambattista di Jacop, est considéré comme un des grand maître et dompteur du Maniérisme. Le peintre est
reconnu pour avoir un art mélancolique, ce qui rejoint l’ambiance des artistes de son époque. Mais de nombreux

11
Andrea del Sarto est un peintre italien de la Haute Renaissance du XVIIème siècle
discours ne sont pas de cet avis… Ils disent que Rosso est plus violent et bizarre que réellement mélancolique et
introverti comme le fut Pontormo : « Démoniaque et inquiétant même, plutôt que hanté d’obsessions angoissantes ».12
Revenant au cœur de Rosso… né à Florence en 1494, il commença sa formation à l’atelier de Andrea del Sarto où il en
tirera une certaine influence, une inspiration. Mais très vite, le jeune peintre exprimera une indépendance. La jeunesse
qui se rebelle. En 1524, Rosso accomplit à son tour le pèlerinage à Rome, il fut toutefois chassé en 1527. Il se réfugie
alors à Borgo San Sepolcro, puis à Arezzo et à Venise, d’où l’Arétin13 le signale à l’attention de François Ier. C’est à ce
moment-là que sa carrière artistique va connaître un grand chamboulement, un bouleversement qui le propulsera aux
premières marches de la « célébrité ». Rosso rejoint Fontainebleau où il est très bien accueilli, très vite privilégier pour
ses talents. En effet, Rosso est dans les petits souliers du roi, qui même met en avant la sympathie de l’artiste avec ces
mots : « son cher et bien-aimé peintre ordinaire »14.
La figuration objective et stricte de la Renaissance est maintenant derrière ses œuvres. Rosso délivre sans limites son
inspiration étrange où l’expressivité règne grâce aux traits uniques et nouveaux de l’artiste. Le peintre cède volontiers
aux séductions hédonistes du plaisir pictural. Offrant des peintures pleine de sensualité et d’érotisme, voire même
provocatrice, aguichante. Il perfectionne ainsi sa science de la composition à l’aide de l’élaboration d’une réflexion
d’avant-garde sur une problématique plastique (sa colorisation), continuant de s’approprier sans risques la leçon
anatomique et dynamique des morphologies de Michel-Ange.
Appelé à la Cour par François I er, Rosso devient le grand décorateur de Fontainebleau (et le chef d’école qui va bientôt
imposer sa manière à l’Europe artistique). Assisté à partir de 1532 du Primatrice, il va travailler à la décoration du
Pavillon de Pomone, détruit au XVIIe siècle par le mouvement néo-classique. De 1534 à 1537, Fiorentino travaille à la
décoration de la galerie François 1er, un ensemble de panneaux encadrés de cartouches. Le peintre participe encore
en 1540, en tant que scénographe et maître d’œuvre, à la régie des fêtes célébrées en l’honneur de Charles V. Durant
les dix années de son séjour à Fontainebleau, Rosso a transformé la peinture française. Il a introduit la grande
décoration, imposé à la faveur de sa culture, de sa palette, de nouveaux thèmes et fait entendre sa propre poésie. Sa
compétence et sa créativité ne furent malheureusement pas exposées sous ses meilleurs jours. On ne sut retenir de
son langage que des formes presque vides de leurs forces pour avoir été utilisé dans leur contexte d’expression. C’est
que «sa couleur étrange, sa violence effrayèrent ». On lui préféra des harmonies plus douces, des thèmes moins
obsédants ; de l’âpreté pathétique de son désespoir on ne retient que la gesticulation des figures (Sylvie Béguin15).
C’est en France que Rosso meurt en 1540, à l’âge de 46 ans, à la suite, semble-t-il, d’un suicide, selon le soupçon de
certains bibliographes. Vasari a décrit son talent avec les mots suivant : « ...il y avait de la poésie dans la composition
de ses figures, le dessin est bien étudié et sans hésitation avec une manière légère et extravagante... »16
Quelques tableaux de l’artiste :

« La Mort de Cléopâtre », 1525 « Le Christ parmi les Anges », 1525-26 « Portrait d'homme », 1522

12
Propos de Giovanni Briganti dans « Le maniérisme italien », Pierre Barucco, Que sais-je, presses universitaires de France, 1981
13
Arétin est un écrivain et dramaturge italien du XVI ème
14
Sylvie Beguin, « L’école de Fontainebleau », Paris, Gonthier-Seghers, 1960, p.37
15
Sylvie Béguin est une historienne de l'art française, spécialiste de la Renaissance italienne et française au XVIᵉ siècle (1919-
2010)
16
Vasari, « Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes » ou « Les Vies », édition de Lorenzo Torrentino, 1550, aux
pages de Rosso Fiorentino
« L’ange Musicien »
« Amour jouant de la Luth »
De Rosso Fiorentino

Un jeune enfant aux ailes colorées teintée de rouge et de blanc. Sa joue qui pose contre
son imposant instrument. Jouant quelques notes d’un air paisible. Divertissant les cieux,
assis sur la terre. Ses cheveux roux aux reflets d’or retombant légèrement sur ses yeux.
Ses joues rosées et ses doigts rondelets font transparaître la douceur de l’innocence de
l’ange. Son corps peut être nu est cacher par la luth. Un rictus moqueur titillant les
commissures des lèvres du musicien. Un regard sur le côté traduisant malgré son
caractère espiègle, son application à jouer.

« Oh douces notes, je caresserai ses cordes, pour que ta mélodie repose les plus
courageux. Mais je suis fatigué… Mes ailes me paraissent presque lourdes. J’ai
l’impression que mes yeux vont se fermer. Malgré tout, ses notes m’amusent. Alors
pour les cieux, je jouerai de mes doigts enfantins. Je suis un ange après tout »
Rentrons alors dans le monde doux de Rosso. Un ange musicien battant faiblement de ses ailes, jouant de la
luth paisiblement. Le sujet des anges musiciens ne doit pas vous être inconnu, loin de là. Cette figure de l’amour
religieuse jouant de divers instrument est un thème récurrent chez les peintres de la Renaissance. Melozzo de Forlì17
va même créer une catégorie dédiée à ce symbole en regroupant des parcelles de ces fresques : « Les Anges
musiciens » (dans les années 1470).

« Un ange jouant du luth », « Un ange avec luth » « Un ange avec tambour » « Un ange avec viole »
1480

Font partie du regroupement de


la fresque

Nous retrouvons aussi cette


image de l’ange musicien chez
Jan Van Eyck. Peintre du retable
de « L’Agneau mystique », il est
l’un des grands maîtres du XVe
siècle. Une œuvre qui est plus
peinte avec l’idée de la
transmission d’un message
religieux. Alors que Rosso en
aura une approche plus…
sensuelle

Recentrons-nous maintenant sur l’œuvre : L’ange musicien ou encore Amour jouant de la luth, d’un titre bien plus
poétique. Rosso peint cette huile sur bois en 1521-22, les sources ne sont pas exactes sur la date précise. Cette
incertitude vient du fait que l’œuvre serait en réalité un fragment d’un retable du peintre : La Vierge et l’Enfant. Peut-
être l’origine de ce fond noir qui semblerait ait été repeint pour dissimuler en arrière-plan. L’enfant aurait été sur les
marches du trône de la vierge, jouant de la luth. Cette peinture du XVI ème à la modeste taille de 39 x 47 cm et elle est
exposé au Galerie des Offices à Florence, en Italie. L’ange musicien serait une citation du retable de Francesco Vanni 18
dans la collégiale d'Asciano, datant d'environ 1600 (tableau ci-dessous). On y observe le même ange ailé. L’enfant est
dessiné dans la même position, se trouvant qui plus est sur des marches, devant le trône de la Vierge. Une citation qui
épouserait donc le mystérieux retable d’où vient la peinture de Rosso. Le maître du maniérisme reprend alors cette

17
Melozzo de Forlì est un peintre italien de la Renaissance du XVème siècle.
18
Francesco Vanni est un peintre italien de la période baroque (1563-1610)
image en lui apportant une autre colorimétrie qui lui ai singulière. Des couleurs chatoyantes, donnant un réalisme
sensuel à l’œuvre. Un thème strict, traditionnel devenant une huile sur bois douce et moderne.

Similarités :
-Le même instrument
-Le même Ange
-La même position

Différences :
-Couleur différente (les
ailes et les cheveux)
-Format différent (un
buste pour Rosso)
-Taille de la luth (plus
grosse chez Rosso

Les anges ailés sont au cœur des pensées et des peintures de tous les
âges. Ces figures infantiles peuvent représenter plusieurs symboliques. Très
souvent considéré comme une allégorie à Eros, dieu emblématique des terres
divines grecque. Eros transmet et apporte de l'amour au fil des histoires qu'elles
soient fabuleuses ou traditionnelles. Son nom va d'ailleurs découler au mot :
érotisme. Il va être représenté comme un ange dodu aux fesses rebondies et aux
ailes battantes. « Jeune fille se défendant contre Éros » (1880), peinture de
William-Adolphe Bouguereau19 évoque la facette sensuelle et charnelle de l’ange
dénué de contexte et message religieux. Eros serait alors une partie de l’ange de
Rosso par la sensualité de ses gestes et de sa facture picturale. Cette chaire qui
suscitera les passions érotiques. Qui d’ailleurs fait écho au second titre du
tableau : « Amour jouant de la luth ».
Continuons sur la voie divine des anges, où ils sont mis en scène dans le ciel.
Racontant leur symbolisation de pureté et d’innocence lier au ciel. L’esprit
voyageur et espiègle. Ce qui donnerait sens à leurs ailes. Une incarnation plus
traditionnelle et lyrique à vrai dire. Loin de l’idée de Rosso mais son tableau reste à l’effigie d’un ange.

19
William-Adolphe Bouguereau est un peintre français représentatif de la peinture académique (1825-1905)
Nous pouvons aussi les retrouver sur la terre, comme un esprit
saint guidant le peuple ou aidant les disciples de Jésus. Avec
cette fois-ci, une transmission d’un message purement religieux,
souvent dû à des commandes de l’Eglise.

« L'Annonciation », de Fra Angelico dans les


années 1430. Fra Angelico est un peintre du
Quattrocento (1395-1455)

Mais cela est contraire à la vision de l’italien. Rosso peint un


ange de passion. Un ange qui est à l’image d’Eros, passionné et
divin, jouant de la musique d’un air apaisé, souriant.

Du bout de ses doigts rondelets, il porte une luth bien plus grosse que lui.
L’instrument a subi un agrandissement par rapport à l’ange. Le tableau
est disproportionné, mais c’est ce qui fait la valeur du peintre : la
distorsion, la liberté des formes, le non-conformisme. C’est ce qui définit
le génie de l’homme. L’instrument par sa grandeur couvre la majeure
partie du corps de l’enfant. Dans l’histoire, la luth a différentes facettes.
D’une part, pour sa nature première du divertissement musical. Cet art
est joué généralement par des troubadours ou par des bouffons comme
« Le Bouffon au luth », un tableau de 1623 ou 1624 actuellement
conservé au musée du Louvre. Réalisé par le peintre néerlandais Frans
Hals20.

Mais aussi pour son sens iconographique des manuscrits


médiévaux des XVe et XVIe siècles. Symbole de richesse et
l’épanouissement. « Joueur de Luth » de Caravage21 peinte en
1638 montre cette facette de l’objet avec une composition
luxuriante.

« Poète, prends ton luth, et me donne un baiser »


« Poésies » de Alfred de Musset

Amour jouant de la luth a pour fonction de divertir les cieux en créant des mélodies. Mais cela symbolise aussi un
certain apaisement, une hypothèse que s’articulerai avec le visage détendu voire presque endormi de l’enfant. Il
semble toutefois un brin moqueur. Cela serait dû à l’amour qu’avait Rosso pour l'expressivité. Une notion marquée
par la peinture allemande, en particulier avec Albrecht Dürer 22 , très connu en Italie grâce à la circulation de ses
gravures. Cependant, son visage étant positionner sur le côté, sa joue poser contre la luth, le regard de l’ange semble

20
Frans Hals est un peintre baroque néerlandais (1582-1666)
21
Caravage est un peintre italien du XVIème XVIIème siècles
22
Albrecht Dürer (1471-1528) est un dessinateur, graveur et peintre allemand également connu comme théoricien de la
géométrie et de la perspective linéaire
fuir celui du spectateur. Une sorte de distance se créer alors que l’idée de l’enfant qui joue une mélodie pour nous
peut lier le public à l’œuvre. Comme une relation éphémère et privée. L’esprit du musicien semblant ailleurs, orné
d’un rictus espiègle. Une proximité qui se détache.

Suivons le chemin du regard en développant cette


qualité structurelle de l’artiste : le mouvement. On peut
voir à travers des flèches au préalablement dessiner que la
composition de la peinture est constituée d’une multitude
de mouvements. Se mélangeant quelque peu dans diverses
formes. Nous apercevons le dessin du serpent avec les
courbes et les articulations de l’enfant. Cela donne à la fois
du dynamisme à l’œuvre mais aussi une grande sensualité.
Notre regard suit les plusieurs éléments dans des chemins
serpentins. Cela s’apparente aussi aux cheveux bouclés de
l’ange, qui rajoute une certaine délicatesse élégante au
fragment. De fines arabesques venant épouser la forme de
la luth et du visage rebondi du musicien.

Une tendresse se dégage chez les caresses presque intimes de l’ange. Effleurant à peine les cordes de l’instrument.
Ses petites mains effilées, dessinées à partir seulement de quelques traits, traduisent la recherche personnelle d'un
nouveau langage formel. Rosso veut dépasser les formes équilibrées et mesurées de la peinture du XVème siècle.

Main droite
Main gauche

Rosso nous propose une composition assez épurée, avec seulement deux éléments : un ange et une luth.
L’augmentation de la taille de la luth provoque un premier intérêt visuel dans l’œuvre. On voit d’abord la luth et
après l’ange qui se dissimule derrière. Coupant le tableau en deux parties horizontales : un buste du musicien et
l’instrument. Le tableau parait « simple », cependant sa nature est un fragment de retable. Cela expliquerait que
la peinture soit sobre comparée aux œuvres complexe de Rosso. On peut d’ailleurs apercevoir un bout de marche
à droite, en bas. Les ailes permettent de créer des diagonales qui centrent le sujet. Le point se fessant au milieu du
visage de l’enfant. Le sujet est mis en avant dans sa composition avec une centralisation de l’ange, malgré
l’imposante luth.
Le peintre italien est réputé pour utiliser dans sa facture picturale des tons chaud et des couleurs chatoyantes.
On retrouve la palette de l’artiste dans « Amour jouant de la luth ». Avec une recherche dans la manière de peindre la
chair, Rosso met en valeur les tonalités de la peau pour susciter l’érotisme à
travers une peinture moderne et réaliste. Une pointe rosée sur les extrémités
des membres ou encore sur les parties rondes : les bouts de doigts, les joues, la
line des naseaux et les coudes. Cela ajoute une autre dimension à l’huile,
beaucoup plus élégante et vivante. Un ange rougissant, subissant presque sa
nudité (le froid attaquant ses doigts presque figés). Ce choix plastique est
souvent utilisé dans les peintures maniéristes et baroques. On sort de la peau
sans vie et blanchâtre du classicisme pour s’ouvrir à la vie de la chaire. Illustrant
cette piste avec la peinture (ci-contre) de Bartholomeus Spranger23.
Il y a très peu de bleue dans la peau de l’enfant, ce qui permet de rester dans
une palette très chaude. Un monde réconfortant qui est mis sous le signe de la
délicatesse. Nous remarquons par ailleurs que ses yeux sont très simples. Une
naissance de cils à peine visible, accompagnant des yeux noirs dessiné avec
seulement quelque trait. A cela s’ajoute l’absence de plis au niveau de son bras
droit. Les ongles sont à peine peints. Un choix esthétique pour rester dans un
flou d’innocence. Trop de détails auraient durci les traits du musicien. Cela
donne à la peinture une brillance naturelle, dû aussi à l’huile, qui aide à cet effet.
La lumière venant d’une source inconnue en haut à gauche du tableau. Nous « Minerve triomphant de
supposons que la couleur des cheveux de l’ange viendrait du peintre lui-même, l’Ignorance » de Bartholomeus
étant donné que Rosso était roux. Mais cela reste des hypothèses, car aucun
Spranger, 1591.
historien de l’art n’a réellement donné d’explication spécifique à la couleur de
ses cheveux. Cependant, au vu de la façon dont le peintre les a mis en forme, nous pouvons croire à un instrument de
séduction. Des arabesques envoûtantes aux reflets parfait.

Rouge gorge
Les ailes bariolées du musicien sont partagées entre un rouge passion et un blanc
de pureté. Les deux natures même du symbole de l’ange (vus précédemment dans
la première partie). Les ailes feraient référence à celle d’un rouge gorge. Dans le
langage des oiseaux, le rouge gorge serait la représentation de l’amour passionnel.
Mais aussi, l’oiseau est sacré car il est dit qu’il repousse les maléfices en apportant
de la pureté. Le petit volatile serait appelé l’oiseau de feu. Cependant, je trouve
que les ailes ressemblent plus à celle d’un canari rouge. Au niveau esthétique mais
non dans le terme de l’iconographie. Nous pouvons voir que le langage des oiseaux
ou leur simple reproduction est utilisé dans les peintures comme allégorie. Le
tableau ci-dessous en est un parfait exemple.

Ailes de Canari Rouge

« Concert des oiseaux » de Frans Snyders24 (1629)

23
Bartholomeus Spranger est un peintre, dessinateur et graveur maniériste flamand (1546-1611)
24
Frans Snyders ou Snijders est un peintre baroque flamand (1579-1657)
La nature est maîtresse dans les thèmes de certaine peintures maniéristes. Nous pouvons alors voir cette image du
rouge gorge comme un clin d’œil à celle-ci. Même si elle n’est pas mise en valeur directement (comme les tableaux
ci-dessous), Rosso l’introduit de manière furtive dans les plumes de l’ange.

« La Mort d'Actéon » est un tableau


« Le Portrait équestre de Charles « Vue de Tolède » est le nom de
peint par Titien entre 1559 et 1575.
Quint à Mühlberg » est une huile sur plusieurs tableaux peints par El Greco
toile du Titien datée de 1548 réalisé entre 1596 et 1600

Ce style a un rapport important avec la nature. Cela deviendra même une particularité stylique propre au maniérisme.
Pour finir, le fond noir provoque un détachement et une projection des deux éléments. Cela créer de la profondeur,
et a dû être utilisé en premier temps pour repasser le fond d’origine, un bout du retable « La Vierge et l’Enfant ».

Pour conclure, l’ange musicien est un fragment du retable de la « Vierge à l’enfant », ce qui définirait ce
mystérieux fond noir très contraster avec le reste de la peinture. Nous retrouvons un enfant ailé qui est
symboliquement la représentation d’Eros et des anges divins. Entre amour passionnel et pureté céleste. Un musicien
presque endormi jouant de la luth. L’objet donnant l’image du divertissement mais aussi de l’épanouissement. Le
mouvement des différents éléments provoque un effet de dynamisme et de douceur dans des formes rondes. Les
mains potelées très fine, effleurant à peine les cordes, créant une sorte de caresse érotique indirect. Les cheveux du
musicien pourraient s’apparenter aussi à un instrument de séduction dans la façon dont Rosso les a mis en forme.
L’agrandissement de la luth provoque un premier contact visuel sur celle-ci, dissimulant le corps de l’enfant. Cette
peau légèrement rosée à ses extrémités donne un aspect très intime avec le public. Des touches délicates donnent
un aspect réaliste tout en restant dans le mythe du sujet. Les ailes aident à former deux diagonales qui centrent le
sujet, malgré la taille imposante de l’instrument, on ne perd pas du regard l’enfant grâce aux diagonales. Les
couleurs chaudes et chatoyantes relèvent l’érotisme de l’huile. Les ailes bicolores feraient référence aux rouges ;
oiseau sacré de la passion et de pureté dans la religion catholique. Peut-être un clin d’œil qu’à fait Rosso pour son
intérêt a la Nature. Cette œuvre est un mélange du style de Rosso et de la tendresse d’un ange.
Bibliographie

• Patricia Falguières, « La maniérisme. Une avant-garde au XVIème siècle », Gallimard, 2003

• Pierre Barucco, « Le maniérisme italien », Que sais-je, presses universitaires de France, 1981
• Sylvie Beguin, « L’école de Fontainebleau », Paris, Gonthier-Seghers, 1960
• Vasari, « Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes » ou « Les Vies », édition de Lorenzo
Torrentino, 1550
• Walter Frieldlaender, « Maniérisme et antimaniérisme dans la peinture italienne », Collection Art et Artistes,
Gallimard, 1991

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