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85 - 165; Genette 1964), p. 44 - 54 ; Todorov, 1967 p.

91 -- i05 ” ' de Charles Bally d'après son « é Tr_ati slydeli ti ue f an aise » dont •
'
Cohen, 1969, p. 84 - 128; Ducrot, Todorov, 1972, p. 101). la première édition date de 3909 et qui développe son « Précis de
Un jugement définitif et catégorique porté sur l'ensemble des stylistique » paru en 190s
rhétoriques les aurait faussées nécessairement car, étant assez di- Charles Ball( fonde sa stylistique, à l'encontre d'une rhétorique
verses, elles demandent appréciations appropriées. Arrêtons-nous prescriptive, Jr ) 1 obse ation de f i du 1 gage v et sous
des donc sur l'une des plus connues et des plus remarquables l'influence de son maitre Ferdinand de Saussure auquel dedie le
Rhétoriques, celle d'Aristote siècle avant J.-C.) « Traité ».*
pour voir en quelle mesure elle définit la stylistique contemporaine. Non seulement le terme de « style » (du g r e c, stllos et
L'idée principale la « Rhétorique » d’Aristote (qu'il faut bien du l a t. shlus, instrument pour ecrire), mais aussi celui de
de
distinguer de sa « Poétique ») est que la strucrure du discours cor- stylistique n'étaient nouveaux au début du XXe Siècle. Bally note
respond strictement à l’intention du sujet parlant et aux conditions dans l'Avant-propos de son livre l'existence de « nombreux manuels
de l'acte communicatif. Aussi les moyens lexico-syntaxiques mis en“ qui portent sur leurs couverture le titre de « stylistique française »
œuvre par l'orateur sont-ils étudiés dans cet ouvrage par eux- (p. X) et d'ouvrages sur les styles littéraires et l'art d'écrire qui ne
non
mêmes, mais fonction des caractères spécifiques du locuteur, de se confondent pas avec sa théorie car ils continuent les traditions de
en
ceux à qui il s'adresse et de toute l'ambiance, l'acte communicatif. la rhétorique et de la critique esthétique. Ayant conservé le terme
de
Aristote soumet à une analyse détaillée la nature sociale et stylistique », le savant genevois lui tout à far nou
donne
psychologique des communicants,de même que la spécificité de veau l'associant à une discipline iniguisiqtue qui se détourne
Ieurs
rapports, et explique pourquoi et comment, dans une situation entièrement des styles‘ littéraires pour étudier presque exclusivement *
donnée, tel procéde assure l'effet voulu : persuader ou dissuader les le langage C t
auditeurs, c’est-à -dire agir sur eux d'une façon OU d'une Charles BaÎly définit ainsi cette science : « La stylistique étudie
autre.
On voit bien que c'est une démarche finalisée et pragmatique, en donc les faits d'expression du langage organisé au point de vue (
termes de P. Guiraud, mais qui s'inscrit une perspective plutô t de leur contenu affectif, c’est-à -dire l'expression des faits de la
dans
analytique que prescriptive : on trouve chez Aristote tous les sensibilité par le langage et l'action des faits de langage sur la
é ements de ce qu'on appelle aujourd'hui une linguistique com- sensibilité ». (p. 16)s
municative. On voit que les notions d'affectivité, de contenu affectif et de
L'étude de l'aspect stylistique de langage ne constitue pas chez caractères affectifs (ou de valeur affective) sont centrales dans la
Aristote l'objet d'une discipline autonome, fait partie conception de BallyJ
mais
d'une science plus générale, la rhétorique, où le discours est L'affectivité déü oule de la nature de l'activité psychique de
examiné
au titre que les autres éléments de l'acte communicatif. En l'individu, de sa « pensée » 2 (( Le sujet parlant, écrit Bally, donne
même
outre, cette étude se borne aux trois genres des interventions aux mouvements de l'esprit tantô t une forme objective, intellectuelle, “
publiques : discours judiciaires, politiques (délibératifs) et épidictiques aussi conforme que possible à la réalité ; tantô t, et le plus souvent,
(Eloges funèbres). La stylistique, par contre, fait du discours son y joint, à doses très variables, des éléments affectifs » (p. 12). Or,
objet principa et l'étudie dans toutes les variations de ses genres, langage est indissolublement lié à la pensée, extériorisant tout ce «
tout en conservant la démarche communicative et pragmatique pro- que nous avons en nous Le langage est pour nous un ensemble
pre à la « Rhétorique » d'Aristote. de moyens d'expression simultanés aux faits de pensee, dont ils ne

sont qu'une autre face, la face tournée vers le dedans » (p. 12). La
C H A P I T R E I duplicité de ce phénomène ayant deux faces, l'une tournée vers le

LA STYLISTIQUE LINGUISTI QUE DE CHARLES BALLY


Ici, comme ailleurs, les references se rapportent à la troisieme edition du
« Traite » (Geneve-Paris, 1951) et se limitent à l'indication d# la page.
2 Bally emploie ce terme au sens large : la « pensee » correspond à tout
g N' s allons exposer les principes fondamentaux de
la conception l'ensemble des phenonemes de la vie psychique.
9
dehors (le langage), l'autre tournée vers le
dedans (la pensée)
explique la diversité des moyens d'expression,
la présence des faits
de langue intellectuels et des faits de langue' affectifs dont dispose
l'usager
Ce sont les faits d'expression à caractères affectifs qui four- dire, excusent »; (p. 17S)J
nissent en premier lieu matière à une observation stylistique chez La notion de valeur affective est associée par Charles Bally à
Bally savant genevois établit une distinction entre deux types de l'idee de différences qualitatives,J c’est-a-dire a celle des caractères
caractères affectifs 1 : caractères affectifs naturels et effets par spécifiques. Ja valeur affective comprend des sentiments et des juge-
évocation ments de valeur tels que « plaisir et déplaisir, convenance au
non-
tLes carac res affectifs naturels « sont inhérents aux faits convenance au moi, conformité ou non-conformité à des principes
d'expression eux-mêmes§ tant ils semblent en être une émanation extérieurs au moi (morale, dogmes, etc.) » (p. 175). Elle tend tou-
directe ; la réalité est que l'effet vient, dans ce cas, de la forme qui jours à différencier les éléments linguistiques dans deux sens
op-
est donnée à la chose exprimées de l'angle sous lequel la fait posés, traçant la frontière entre les expressions prises en bonne
voir
l'expression qui en est le symbole (p. 167). Ces caractères affectifs part ou en mauvaise part Bally cite les exemples de « Ht »,
peuvent être liés, selon Bally, l'expression de lNntensité affective et r grenier », « acteur », « Imlter » qui sont des termes neutres et en
à
de la valeur affective, tandis que la valeur esthétique n'est qu'en face desquels « grabat ›, « paletas », « cabotln » et « singer » ap-
germe dans les faits du langage spontané et « tout emploi conscient paraissent avec un sens dépréciatif (p. 177).JBally souligne que « Le
de cette valeur constitue un fait de style étranger au parler de la plus souvent, des synonymes, dont les uns sont pris en bonne, les
collectivité » (p. 170). autres en mauvaise part, se groupent autour d'un mot à sens
neutre,

titatBve associe la notion d'intensité à l'idée de différences quan- qui désigne la chose indépendamment de ses qualités ou de ses
ou de la mesures Comme toute autre différence, la défauts ». (p. 176)s
différence quantitative s'appuie sur la comparaison inhérente à notre second type de caractères affectifs, ce sont les effets par
esprit et à la connaissance des choses : « c'est que nous ne saurions évocation. Ils « ont un caractère indirect, symbolique,
concevoir aucune chose absolument, mais seulement dans sa représentatifs, en ce sens qu'ils résultent de l'évocation de
relation certaines formes de vie
avec une plusieurs autres choses » (p. 171). Bally postule et d'activité » (p. 204). A la différence des caractères affectifs
ou que plus aisément les naturels qui « semblent émaner des expressions mêmes, parce
l'esprit saisit différences quantitatives que les qu”ds
caractères spécifiques, ce qu.i explique le rô le primordial de l'intensité sont inséparables de leur signification » (p. 204), des effets par
dans les caractères affectifs naturels et dans la sémantique des évocation reposent non sur ce rapport direct et immédiat, mais sur
• éléments linguistiques respectifs. L'intensité peut refléter une pure depliens associatifs
opération intellectuelle (mer et océan, usage et abus), et alors elle ÇLes effets par évocation sont définis par Bally comme la
n'a rien à voir avec la stylistique, ou bien elle peut être affective faculté des faits d'expression d'évoquer les « milieux » où leur
(faisant partie des caractères affectifs), comme dans le cas de emploi est le plus naturel et le plus fréquent (p. 203) et dont
etonné ils
et ébahl, malgre et fluet, etc Bally remarque qu'en matière gardent « une odeur particulière » (p. 204). iPar « milieu » Bally
d'intensité « on ne trouve de tranchée entre l'aspect, entend « l'ensemble des personnes auxquelles chaque type
‹ intellectuel et l'aspect affectif » (p. 172) 'intensité affective consiste d'expression est familier, et l'ensemble des circonstances qui en
à renforcer l'idée ou bien à la diminuer par exemple, «
déterminent la création et la conservation 218).
Bally insiste sur le caractère symbolique de ces formes
exoupr rimc te noet on rB a l l y recourt à quelques d'expresssion parce qu'elles évoquent gun milieu.J « A ce titre,
termes : caractères af-
fectifs, caractères stylistiques, valeur affective et valeur stylistique. La « valeur écrit-d, le langage est un fait de symbolique sociale : virtuellement,
affec- tive » s'emploie aussi dans une acception plus restreinte (pour désigner il possède sous toutes ses formes cette propriété d'évocation» (p.
un des types des caractères affectifs), tandis que les autres termes ont tous un
204). Nous voyons donc que la notion des effets par évocation
sens général, synonymique.
amène Charles Bally à l'étude d'un problème plus général, d'une
10 importance
. 11
particulière pour la linguistique, celui de la symbolique sociale la présence ou l'absence de caractères affectifs » (p. 29). Ouant à
du ceux-ci cette norme « fait ressortir les caractères affectifs natureis,
langage.
Bally note qu'un élément linguistique peut participer des inhérents aux faits d'expression Observés ». (p. 96).
deux caractères affectifs à la fois, mais le plus souvent on la langue commune, à laquelle peuvent se ramener toutes
parvient à
dégager le type dominant. Il cite l'exemple des synonymes du les particularités sociales du langage, tout ce que nous comprenons
verbe
fulr qui permettent d'observer les deux types de caractères affectifs : sous le terme général de faits d'évocation milieu » (p. 29). Cette
les verbes et expressions verbales « fuir › ‹ s“en fulr » de norme « fait apparaître les caractères produits par l'évocation
« s'échapper ›, ‹ disparaître », « prendre la fulte › sont qualifiés affectifs
des milieux » (p. 96)s
de neutres « s“esqulver » et « s‘ecllpser » présentent Comme on voit de ces définitions, première norme sert à
des caractères affectifs naturels, tandis que « se découvrir l'aspect logique et psychologique des faits d'expression, la
sauver », ‹ filer »,
« lever le pled ›, « prendre ses jambes à son cou », « prendre la seconde — leur aspect social, leur propriété d'évoquer, de symboliser
poudre d'escampette » produisent un effet par évocation, divers milieux sur le fond d'un mode d'expression passe-partout
symbolisant un milieu familier (p. 166 - 167). Au contraire, dans les qu'est la langue communes Par exemple, le mot maigre appartient au
synonymes suivants du verbe « s'mrtter » : « ètre courrouce, etre mode d'expression intellectuel (première norme) sur le fond duquel
hors de sol, n“ètre plus maître de sol, exhalter sa col'ere, ètre on peut saisir les caractères affectifs de son synonyme fluet, no-
transporté de
colère » les deux types de caractères affectifs se confondent car tamment sa valeur méliorative (p. 172). Dans série synonymique
ces la
expressions nous « frappent par la gravité avec laquelle l'idée s offre coursier, destrler, cheval, monture la troisième forme (cheval) est
à nous (effet naturel) et par la nuance littéraire qu”ds comportent usuelle, c’est-à -dire la plus fréquente, appartenant à la langue
(effet par évocation) (p. 167). commune (seconde norme), A la différence de cheval, les autres
On ne manque pas de remarquer que dans le premier des caractères affectifs d'évocation : destrler nous
exemple
les expressions ‹ lever le pIeJ » et « prendre ses jambes à son cou appÀ aît comme un terme rare, inusité, tandis que coursier et
» comportent dans leur sémantique une image ou une reste monture sont des mots spéciaux, non usuels (p. 207).
d'image
qui ri est pas réductible aux effets par évocation et qui présente Bally note que ces deux mod'es d'expression idéaux (le mode
une caractéristique stylistique importante de ces formes. d'expression intellectuel et la langue commune) se dans
confondent
La notion de caractères affectifs implique l'existence d'un mode une grande partie de leur domaine, mais que leur distinction est
d'expression privé de ces caractères et qui sert de fond pour les nécessaire pour « marquer les deux objects distincts de la styliS-
dégager. Cela pose donc le problème de la norme et des tique à savoir l'étude des effets naturels et celle des effets par
rapports synonymiques reliant divers éléments unis par Ta évocation» (. 117).
communauté du
sens fondamental. Bally considère comme un principe important de deux normes servent de base pour étudier non seulement
sa méthode « l'établissement, par abstraction, de certains modes les caractères affectifs des faits d'expression, mais aussi les rapports
d'expression idéaux et normaux » (p. 28), qu”d appelle normes de de ces éléments dans le système expressif de la langue, en premier
comparaison. Bally souligne que ces normes « n'existent nulle lieu,
part les rapports synonymiques.
à l'état pur dans le langage » (p. 28 - 29), mais qu'elles « en La synonymie/ au même titre que la norme et les caractères
deviennent pas moins des réalités tangibles, dès qu on observe : af ectifs des moyens d'expression, fait partie des
notions fondamen-
les tendances constantes de l'esprit humain et 2. les conditions tales de la stylistique de Bally Au sens large Ja synonymie peut em-
générales de la communication de la pensée » (p. brasser, selon Bally, «tous faits de langage unis par la commu-
29). les
Bally établit deux modes d'expression qui doivent servir de nauté du sens fondamental, que soient leur forme extérieure
normeqs de comparaison dans une recherche stylistique : quelles et leur fonction 140). Mais il trouve préférable de
grammaticale
« le mode d'expression intellectuel ou logique, qu'on pourrait commencer l'étude de la synonymie par des mots appartenant à une
appeler aussi le langage de l'abstrait ou langage des idées pures même catégorie grammaticale. Cette précision faite, Bally formule la
c'est à cette norme que l'on peut mesurer a) toutes les différences définition «seuls les faits de langage réductibles à une même
définitionnelles ou différence de sens entre les faits d'expression, b) notion logique peuvent être considérés comme synonymes » (p.
12 141).
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L'étude des séries synonymiques comprend dans la méthode de leurs caractères affectifs, soit naturels, soit d'évocation, soit les deux
Charles Bally quelques opérations : définition des faits à là foisÿ Citons l'exemple des synonymes stylistiques évoquant des
d'expression, leur identification et recherche de leurs caractères milieux Ä dférents qu’on trouve à la page 228 du «Traité» : « Dire,
stylistiques, qu il explique de la façon suivante a) La dans un moment de dé tresse : de suls perJu, c'est employer une
définition d'un fait de langage est la détermination de son sens expression ordinaire de la langue commune ; elle est, socialement
logique et exact , b) l'identification a pour but de relier le fait de parlant, sans danger et ne tombe sous le coup d'aucune prohibition.
langage à un é quivalent logique, en l'assimilant à une notion sim- C’en est fait de mol serait une tournure litté raire qui détonnerait
ple ; c) la recherche du caractè re stylistique consiste à dé gager le ou dans la langue parlé e ; elle serait pour nous une expression «
les é léments affectifs qu'il contient et qui lui assignent une place é crite », dans le sens restreint ; cherchons maintenant des exemples
dans le « systè me expressif » de la langue » (p. 96). Pour illustrer du cô té opposé ; de suls flambé, voilà qui est familier , l'expression
ces opérations Bally analyse l'adjectif frèle dans la phrase « C'est un serait admise dans certaines circonstances, inadmissible et dangereuse
frèle appui que le sien». dans d'autres avec le suls /fc/tu nous descendons encore d'un
Pour dé finir ce mot c’est-à -dire pour trouver sa signification degré , socialement, le mot est d'un emploi fort délicat ; appelons-le
logique, il fait appel à la sé rie synonymique faible, Jéblle, fragile, populaire ou vulgaire ; enfin (proh pudor !) de suls /ou/u est d'un
cheti f, etc. Comme ces synonymes ne sont pas identiques, il faut argot si grossier que l'homme de «bonne socié té », qui pouvait, dans
trouver parmi eux « le terme le plus général,’ le plus simple et le certaines circonstances, hasarder les expressions précédentes,
plus compréhensif (p. 97) auquel tous les autres puissent ê tre ra- s'interdirait de jamais prononcer (et même de penser) cette
mené s. C'est l'adjectif falble. En comparant /afô fe et frèle, Bally derniè re ›s (p. 228).
é tablit « que frèle désigne «une espèce de faiblesse caracté risé e par Cette approche des caractères affectifs des sé ries synonymiques,
le manque de résistance ou de solidité »; « un appui frèfe est un en premier lieu des effets par é vocation, débouche chez Bally sur fe
appui qui cède au plus petit choc » (p. 97). «Par cette dernière problème des modes d'expression généralisés (ou des types e
opé ration, é crit Bally, j'ai é tabli une définition de frèle, j'ai déterminé communication, comme on dirait maintenant qui se manifestent avec
sa signification» (p. 97). le plus d'é vidence part contraste avec la langue commune. Bally
L'identification consiste à trouver la notion simple et fonda-
z) mentale sous laquelle se rangent tous les termes de la sé rie synony-
presente dans son livre une analyse detaillee des types de
communication ou « langues des milieux », comme il les appelle, qui
mique. Dans ce cas c'est la notion de faiblesse « faire cette sont la principale source des effets par évocation. Parmi ces modes
constatation c'est identifier tous ces mots par le terme faiblesse. (p. d'expression types on trouve la langue parlé e et familiè re (objet
97). L'identification est considé rée par Bally comme «une opé ration essentiel de la recherche stylistique, selon Bally), la langue litté raire,
de logique linguistique » (p. 104). la langue scientifique et technique la langue administrative, les
On voit que la définition des synö nymes n'est pas possible sans langues des mé tiers et les jargons Leur analyse,J tenant compte des
leur identification. facteurs socio-psychologiques, des traits generaux et des particularites
En déterminant les caractè res stylistiques de frèle, en com phoné tiques et lexico-grammaticales de ces modes d'expression,
paraison de faible, Bally constate sa valeur affective naturelle (une préfigure les recherches dans le domaine des « styles fonctionnels »,
grande proportion d'é léments é motifs) et l'effet d'é vocation qu'il un des problè mes clé de la stylistique contemporaines Bref, Bally
produit en tant que forme appartenant à la langue litté raire. trace un courant communicatif et pragmatique en stylistique, courant
Les séries synonymiques peuvent comprendre des mots neutres qui rattache les faits de langa e aux phénomènes de notre pensée et
dont les diffé rences sont de nature purement intellectuelle, logique, de la vie sociale de l’individu.
comme, par exemple, mener et conduire, mewellle et miracle, calme Examinons plus en détai les principes méthodologiques de la
et tranquille, amour, tenJresse et a f fectlon, entêtement, ténacltê el conception de Bally.
opini“atreté, etc. (exemples des p. 143 - 144, 147). D'autre part, cas L'approche systé matique des ressources stylistiques de la langue
sé ries peuvent inclure à la fois des synonymes neutres et est un principe fondamental de la théorie de Bally Ce principe est
stylistiques. Ces derniers se distinguent des synonymes neutres par formulé dans l'objet même de la stylistique ; « l'action réciproque
14 15
des faits expressifs qui concourent à former le système des moyens Le dernier principe la théorie de Bally auquel il convient de
"!!-“'” de
d'ex ression d'une langue » (p. 1). s'arrêter, c'est d’opposition de sa stylistique à l'étude des styles
Ce principe est indissolublement lié à l'aspect psychologique de littérairesJ
la recherche de Bally et à la préférence qu*i1 donne à la syn- Le style littéraire est conçu par Charles Bally comme une
chr 1 catégorie ‹essentiellement esthétique, comme un phénomène
pp!ochn sy olo ique des faits d'expression doit absolument diamétralement opposé à l'emploi spontané des la langues « Il y a un
compléter, selon Bally, leur étude proprement linguistique, c’est-à-dire fossé infranchissable, ecrit-il, entre l'emploi du langage par un
l'étude de leurs rapports dans le système de la langue : J‹ L'étude ( individu dans les circonstances générales et communes imposées à
d'une langue n'est pas seulement l'observation des rapports existant tout un groupe linguistique, et l'emploi qu'en fait un poète, un ro-
entre des symboles linguistiques, mais aussi des ÿrelations qui mancier, un orateur » (p. 19).
unissent la parole à la pensées (que) c'est une étude en partie Bally souligne que, d'une part, le littérateur « fait de la langue
psychologique, en tant qu'elle est basée s r l'observation de ce qui un “emploi volontaire et conscient » (p. 19), d'autre part, et surtout,
se passe dans l'esprit d'un sujet parlant au moment où il exprime « il emploie la langue dans une intention esthétique ». (p. 19).
ce qu’il pense » (p. 2). Etant donné que des observations pareilles « Cela seul, conclut-il, suffit pour séparer à tout jamais le style et la
deviennent possibles uniquement en acte communicatif, Bally trouve stylistique » (p. 19).
naturel qu'une étude stylistique commence par la langue maternelle, Les deux derniers arguments de Bally paraissent très
sous sa forme la plus spontanée, qui est la langue parlée, et dans convaincants, et dans ce sens il semble naturel que l'étude des styles
son état contemporain (p. 20). L'étude synchronique est donc conçue littéraires dépasse le cadre de sa stylistique entièrement bâtie sur des
par Bally non comme une recherche statique faisant abstraction de la fondements linguistiques. Dans cette question Charles Bally fait
sémantique des formes linguistiques, mais, au contraire, comme une preuve d'un esprit de suite irréprochable. Mais une autre question
observation simultanée de la pensée et de la langue qui découvre la s'impose . pourquoi employer le terme de « stylistique »
dynamique de celle-ci. historiquement rattaché à l'étude du style littéraire pour désigner une
procédé prinffpal de l'étude stylistique est, selon Bally, la discipline qui s'en détourne ? Et, ce qui est plus important, pourquoi
comparaison $quiJ se déduit naturellement « du principe de reIa- rétrécir l'objet de la stylistique au point d'en exclure cette
des moyens d'expression (p. 28) et fait partie intégrante de problématique, au lieu d'admettre l'existence de deux branches à
toutes les opérations utilisées pour dégager et analyser les éléments l'intérieur de cette discipline ? Cêrtes, c'est a crainte de confondre
affectifs de langage. Parmi ces opérations les deux premières : la l'art avec une communication quotidienne qui explique cette attitudes
délimitation et l'identificatipn des faits d'expression, - constituent une crainte que l'évolution ultérieure de la stylistique n'a que trop
étape préparatoire, tandis que l'étape proprement stylistique c'est « justifiée.
l'étude des caractères affectifs des faits d'expression, des moyens Notons que la stylistique de Bally reflète en-- premier lieu sa
mis en œuvre par la langue pour les produire des relations conception généra e du langage, conception qui n'est pas réductible à
réciproques existant entre ces faits, enfin l'ensemble du système la théorie structurale de son maître Ferdinand de Saussure, mais la
expressif dont ils sont les éléments » (p. 1d). dépasse en raison de l'approche communicative du système de la
Nous avons déjà eu l'occasion, en parlant des synonymes, de langue qui élargit sensiblement cette notions
citer la définition de la deuxième et de la troisième opérations. C'est cette approche du langage qui a permis à Bally non
QUdflt a la délimitation, voici comment Bally la détermine : seulement de jeter les fondements scientifiques de la stylistique, mais
Délimiter un fait d'expression c'est tracer, dans l'agglomération des aussi de poser d'une façon originale et de résoudre un grand nom-
faits de langage dont il fait partie, ses limite s propres, celles qui bre de problèmes de linguistiques théorique (par exemple, celui de
permettent de l'assimiler à l'unité de pensée dont il est délimitation des unitës linguistiques, celui de phraséologie, etc.).
l'expression » (p. 16). En ce qui concerne la troisième opération, Cependant, malgré la largesse de a conception générale de Bally, le
!
savant genevois impose a la stylistique deux restrictions qu'on ne
proprement stylistique, il est à noter que sa description correspond
exactement à l'objet de cette science tel qu'il a été défini par Bally.
ld
aAy
pourrait admettre. C'est la limitation de son objet au concept
d'affectivité etc le refus des recherches historiquesJ
1. Bien que dans son analyse concrète Bally dépasse les faits
d'expression à valeur affective, cette notion reste quand même C H A P I T R E 2
fondamentale dans la définition de l'objet de la stylistique. En outre
cette notlOn n'est pas cernée avec assez de préc151on dans l'ouvrage
LA FORMATION ET L'EYOLUTI ON DE LA STYLISTIQUE LITTERAIRE
de Bally. En particulier les images et le langage figuré dans son en-
semble restent pour ainsi dire en marge des phénomènes stylistiques, Si les principes théoriques de la stylistique linguistique se trou-
réunis autour de la notion d'affectivité, ce qui éloigne de cette vent définis au début du XX siècle, la stylistique littéraire n'est à
discipline un problème linguistique très important. D'autre part, les cette epoque qu une pratique analytique et n a pas de statut
effets par évocation, qui préoccupent avant tout le savant genevois, particulier parmi les sciences de la littérature.
ne peuvent être que très conventionnellement associés à la notion Ceci est vrai, par exemple pour l'explication de texte, s'appuyant
d'affectivité. Mais c'est un reproche plutôt terminologique, jun des sur l'histoire et la critique littéraire, qui est une pratique pédagogique
plus grands merites de Bally consistent jtistement à poser et aussi ancienne que ces disciplines.
élaborer avec beaucoup de rigueur scientifique le problème de la Il en est de même de l'étude des æuvres littéraires à partir des
valeur symbolique des moyens d'expression résultant de leur thèmes dominants (v., par exemple, Huguet, 1904, 1905) qui forme
différenciation socio-culturelle et situationnelle. pratiquement un seul courant avec la critique thématique. Cet état
En ce qui concerne les éléments neutres de la langue, leur ex- de chose se maintient jusqu'à présent : la « stylistique des
clusion de l'objet de cette science semble vraiment injustifiable, étant thèmes », telle qu'elle a été définie par G. Antoine ( Antoine, 1967)
donné qu'ils se trouvent souvent à l'origine des effets de style en tend toujours à se confondre avec la critique littéraire.
discours, en p rticulier dans le cas du langage figuré. Un autre courant des études stylistiques qui ne se distingue
2. L'autr ° restriction - l'exclusion de l'histoire des études guère de la critique littéraire est celui qu on appelle souvent en
stylistiques s'explique par le fait que Bally oppose d'une façon trop France une « stylistique ou critiques des sources et des idées »
catégorique la synchronie aux recherches étymologiquesJ Ses justes parce qu”d s'attache à l'étude de diverses variantes d'une œuvre, de
reproches à l'adresse des linguistes qui substituent à l'état actuel des certains faits biographiques et du credo de l'écrivain pour interpréter
faits d'expression leur étymologie ne peuvent, pour autant, un texte littéraire. Ce type d'analyse, qui était souvent pratiqué dans
compromettre ni l'étymologie, ni l'histoire, ni l'efficacité de ces l'explication de texte pédagogique fait une large part à l'intuition et à
disciplines dans les études stylistiques. la culture philologique du chercheur, car il ne s'inspire d'aucune
Cïuant à l'élimination des styles littéraires des études stylistiques, méthode, ni d'aucune théorie qui le précèdent. On pourrait tout de
elle n'infirme pas, comme on l'a déjà remarqué, la conception de même dégager principe méthodologique, soit explicitement
Bally, en s'y accordant parfaitement, mais, cependant, limite injusti- formulé, soit présupposé, commun à toutes les variations de cette
fiablement l'objet de cette discipline. interprétation : il consiste à déduire les caractères particuliers d'une
Répétons pour conclure que Bally a jete les fondements œuvre de sa genèse et des traits spécifiques de son créateur conçu
théoriques de la stylistique en definissant ses notions fondamentales comme une catégorie historico-biographique.
(celles de normes de comparaison, de caractères a ecti s des faits Ce courant de la stylistique littéraire a été mis en question en
d'expression, de synonymie, de système expressif, etc.), en dégageant France, avec le plus de violence dans les années 60, période du plus
les facteurs socio-psychologiques de la variabilité linguistique et en grand prestige des « formalistes russes », des idées de R. Jakobson
anticipant sur l'étude des « styles fonctionnels » par son analyse des et de la « stylistique de l'écart ». A côté d'une juste critique à
« langues de milieux »J l'égard de ceux qui confondaient la personnalité créatrice avec des
faits biographiques qui devenaient ainsi critère principal de
l'interprétation, on pouvait aussi constater une position extrême
consistant à bannir la catérgorie de l'auteur des études littéraires et
19

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