La Philosophie de Jean-Jacques Rousseau naît d’une conviction : l’homme est né bon, et c’est la société qui le corrompt. L’éducation tient donc une part importante dans sa pensée, puisque c’est par elle que l’on peut préserver les qualités naturelles de l’enfant. Pour lui, l’étude fondée sur les livres et les leçons déforme l’esprit des élèves ; au contraire, l’apprentissage au contact de la nature permet à l’enfant de cultiver ses bonnes dispositions innées. C’est pour défendre cette théorie qu’il écrit Émile ou de l’éducation, un traité de pédagogie qui suit l’éducation d’un jeune garçon fictif nommé Émile. À l’abri de tout contact avec la société, en pleine campagne, Émile est seul et libre. Loin de lui imposer son savoir, son professeur lui apprend à réfléchir par lui-même. Dans ce texte, Jean-Jacques Rousseau explique comment initier un élève à la géographie. Il conseille deux promenades pour observer le coucher du soleil, phénomènes naturels qui, en sollicitant les sens de l’enfant et en réveillant sa réflexion, lui tiendront lieu de leçon. Nous nous demanderons comment Jean-Jacques Rousseau place ainsi l’expérience sensible au cœur de son projet d’éducation. Ce texte s’offre d’emblée comme un manuel de pédagogie novateur qui peut surprendre le lecteur car il ne fonde l’apprentissage que sur l’observation, l’expérimentation et le sentiment de la nature. Comment Jean-Jacques Rousseau place-t-il l’observation de la nature au cœur de l’éducation ? Dans un premier temps nous verrons comment nous est présenté ce manuel de pédagogie novateur, dans un deuxième temps comment Rousseau envisage un apprentissage fondé sur l’expérience puis pour finir, comment Rousseau favorise le contact à la nature.
Premièrement il est important de noter que ce traité
de pédagogie est très novateur pour son époque (celle de Rousseau) car il propose des idées nouvelles auxquelles les gens n’étaient pas habitués ou n’avaient pas envisagés. On peut constater que ce texte est doté de beaucoup de verbes à l’impératif (ex : ligne 1“rendez”, ligne 3 “pressez” et “mettez”...) jusqu’au lignes de la fin (ex : ligne 44 “parlez ”et “laissez”). Ces verbes à l’impératif nous permettent de comprendre que Rousseau s’adresse à des éventuels professeurs n’ayants pas appliqué sa méthode d’enseignement. En effet on peut déduire cela car ces verbes à l’impératif servent à donner des conseils (en l’occurrence ici il s’agit de conseils sur l’éducation des enfants). Cependant il ne faut pas oublier la présence de verbes impératifs à la forme négative (ex : ligne 43 “n’ajoutez rien...” ou encore ligne 44 “n’y répondez point”). Ces verbes-là expriment plutôt une injonction afin de guider au mieux les professeurs et de les former à l’enseignement. De plus, Rousseau souhaite que le professeur ne réponde pas aux questions de l’enfant qu’il enseigne (contrairement à la tradition qui veut que le professeur réponde à toutes les questions qu’un élève lui pose). On le voit dans le texte aux lignes 3-4, 43-44 et 4-5 avec respectivement les phrases “Mettez les questions à sa portée et laissez-les lui résoudre”, “s’il vous fait des questions, n’y répondez point” et “Qu’il ne sache rien parce que vous le lui avez dit, mais parce qu’il l’a compris lui-même”. Ces phrases ci-dessus nous confirment l’appartenance de Rousseau au mouvement des lumières et le fait que Rousseau souhaite que à travers la forme d’enseignement qu’il propose, les enfants éveillent leur esprit critique et réfléchissent par eux-mêmes. Cette pédagogie que propose Rousseau prône les discussions et les débats entre le professeur et l’élevé afin que celui-ci puisse raisonner, certaines fois Rousseau conseille même aux professeurs de garder le silence (ligne 40 “gardez quelques moments de silence”). Rousseau cherche vraiment à, au travers des professeurs qui appliqueront ses conseils, stimuler l’autonomie des enfants (ligne 44-45 “laissez-le à lui-même”). À travers tous ces conseils, Rousseau est sûr qu’un monde d’élites se formera car il a confiance en les enfants et leur capacité à réfléchir (ligne 45 “soyez sûr qu’il y pensera”).
Deuxièmement, Rousseau rejette l’enseignement
traditionnel de la géographie car pour lui, pour enseigner aux enfants la géographie, les professeurs utilisent ce qu’il appelle “des machines” (ligne 11) et qui sont en vérité des objets qui figurent dans l’espace (“ des globes, des sphères”... ligne 10). Selon Rousseau, l’espace doit se sentir, s’éprouver de manière physique (“que ne commencez par lui montrer l’objet même” ligne 11-12). Cela montre que Rousseau favorise les sensations réelles aux fictions et à la théorie passive (ou on n’applique pas les faits). Le philosophe propose de faire vivre l’élève à travers des expériences ou ceux- ci vivront réellement les cours. Pour cela, il utilise le présent de narration (“on va se promener (…) et l’on observe” ligne 14-16). Rousseau cherche à faire comprendre que pour aider l’enfant à obtenir un bon sens de l’orientation, il est nécessaire de le rapprocher de la nature, au même endroit le soir et le matin, et de le faire observer les lieux, les plantes et aussi le soleil (pour repérer les points cardinaux). Grâce à cette méthode d’apprentissage, l’enfant en déduira facilement la notion d’astronomie puisqu’il comprendra qu’il y’a présence d’un mouvement et d’une certaine répétition des évènements. Cette leçon apparait comme l’une des meilleures voire la meilleure car elle stimule les sens de l’enfant (“un spectacle si grand, si beau, si délicieux” ligne 35-36 et “leur gazouillement faible” ligne 30). En plus de cela s’ajoute le fait que l’enfant est naturellement curieux, donc il cherchera à comprendre ce qu’il l’entoure et donc s’instruira grâce à la nature.
Troisièmement, Rousseau décrit la nature comme
étant très belle. On le voit à cette gradation (“belle”, “favorable” ligne 14, “embellie” ligne 25 puis “enchantement” ligne 34). Rousseau met en évidence la magie de la nature care celle-ci est si belle qu’elle enchante (comme dans les récits de Homère avec les sirènes, circée...). Selon Rousseau, le spectacle de la nature fait ressentir de l’émerveillement et de l’éblouissement à celui qui la regarde, à telle point que personne ne sort de l’observation avec le même état d’esprit que quand il est rentré dans celle-ci (“n’en laisse aucun de sang-froid" ligne 35-36. Rousseau utilise des adjectifs mélioratifs et ajoute l’adverbe d’intensité “si” ce qui renforce la beauté de la nature qui “pénètre jusqu’à l’âme” (ligne 34). Enfin, la description du coucher du soleil peut être considérée comme poétique car non seulement elle est pédagogique, mais car elle montre uniquement la beauté de la nature et du monde à travers les mot utilisés (“les traits de feu” et “l’incendie” ligne 19-20). On le voit aussi aux références sur les lumières sur le fait que ces lumières éclairent le monde d’obscurité (“Un point brillant part comme un éclair et remplit aussitôt tout l’espace” et “le voile des ténèbres s’efface et tombe” ligne 22-25).
Ainsi, dans ce traité de pédagogie, Rousseau renouvelle
la conception de l'éducation en favorisant l'autonomie de l'enfant. Il ne s'agit plus pour le maître d'imposer autoritairement son savoir, mais plutôt d'inviter l'élève à penser par lui-même. Cet enseignement, qui éveille la raison et encourage l'émancipation, est représentatif de l'esprit des Lumières. Mais il se double ici d'une dimension sensible propre à la pensée de Rousseau, fondée sur l'expérience de la nature. L'observation du soleil permet certes d'apprendre à situer l'est et l'ouest, à comprendre que la Terre tourne sur elle- même, mais elle incite surtout à prêter attention aux sensations et à la beauté du monde, elle favorise une rêverie poétique. C'est cette sensibilité à la nature qui fait de cet auteur un précurseur du mouvement romantique.
(Collection Maria Montessori.) Bernard, Georgette Jean-Jacques_ Montessori, Maria_ Montessori, Mario M._ Planquette, Dominique - Pédagogie scientifique. Tome 1, La découverte de l’enfant. 1 (2016).pdf