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LISSE/NETHERLANDS
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pp. 289-300
de sens, bien qu'un autre facteur, le langage figuré, puisse y avoir con-
tribué aussi." Quoi qu'il en soit, du point de vue synchronique la différen-
ce entre les deux catégories ne semble pas être pertinente. Comparez la
polysémie de mortel, décrite par Ullmann (1952:139) comme résultat de
glissements de sens: 'qui cause la mort, qui entraîne la mort' dans
maladie mortelle, 'qui hait profondément' dans ennemi mortel, 'qui est
sujet à la mort' dans Vhomme est mortel. En synchronie ce cas ne se distin-
gue pas essentiellement d'un cas de polysémie décrit par Ullmann
(1952, 202) comme dû à un emploi métonymique: cuisine 'pièce destinée
à la préparation des aliments' et 'art ou manière d'apprêter les ali-
ments'. De même la relation entre les deux sens de bouche mentionnés
dans (1), pour autant que le second est dû à un glissement de sens, ne se
distingue pas fondamentalement, au niveau de la synchronie, de celle
entre patte 'membre articulé du corps des animaux, jouant un rôle
dans la marche, dans la préhension' et patte 'jambe, pied', dont le
second serait sans doute décrit par Ullmann comme dû à un emploi
métaphorique.
De même, les trois autres sources de polysémie citées par Ullmann,
spécialisation dans un milieu social, réinterprétation d'homonymes, et
influence étrangère, ne sont pas pertinentes en synchronie. En effet,
une fois qu'un sens donné a été admis dans la communauté linguistique,
il ne présentera pas une relation particulière avec d'autres sens du fait
qu'il est dû à un de ces facteurs ou à une combinaison de plusieurs d'entre
eux. Ainsi on trouve chez Ullmann (1952, 204) que dada 'cheval', dans
le langage enfantin ou plaisant, doit son sens 'idée chère à quelqu'un, qui
la répète fréquemment' à l'influence de l'anglais hobby. Mais ce fait
ne distingue d'aucune façon, en synchronie, la relation entre ces deux
sens de celle entre jouet 'objet dont les enfants se servent pour s'amuser'
et jouet 'victime d'autres personnes, d'une volonté supérieure, des
éléments', dont le dernier est dû à un emploi métaphorique. D'ailleurs
dans des présentations parallèles de la classification des sources de la
polysémie (Ullmann 1951:118-119 et 1952:200-207) la catégorie (2),
spécialisation dans un milieu social, est traitée comme une sous-catégo-
rie de (1), glissements de sens.
Ainsi il nous reste, en synchronie, deux types de polysémie: méta-
phorique et métonymique, la première fondée sur une ressemblance
entre les deux termes, la seconde sur quelque autre relation.
Cette conclusion semble être confirmée par la façon dont Ullmann
(1962:211-227) traite les changements de sens. Il distingue quatre types,
caractérisés respectivement par la ressemblance des sens (métaphore),
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4. Cela dit, la question se pose de savoir si, pour les sens qui présentent
suffisamment de ressemblance pour qu'on puisse dans certaines condi-
tions les considérer comme relevant de la polysémie, les relations appelées
métaphoriques et métonymiques par Ullmann doivent être décrites dans
un cadre génératif. Dans le cas d'une réponse affirmative, il faudra
déterminer quel est le rôle de la théorie linguistique dans cette description.
Comme nous l'avons dit dans le paragraphe précédent, nous pensons
qu'il faut rendre compte de façon ou d'autre des intuitions qu'ont
les sujets parlants sur l'emploi métaphorique et métonymique des mots.
Mais il y a d'autres facteurs qui nous semblent conduire à la nécessité
de décrire ces relations. D'abord celles-ci, témoin les remarques de
Ullmann à cet égard, semblent devoir jouer un rôle dans la détermination
de la notion 'changement sémantique possible'. Et en second lieu ces
relations ne se présentent pas seulement entre deux sens d'une entrée
lexicale tels qu'ils sont définis dans le lexique d'une époque donnée
ou de deux époques successives ; elles se rencontrent tout aussi bien entre
un tel sens défini dans le lexique et un nouveau sens créé ad hoc dans la
performance, littéraire ou non. Or, on aura de toute façon à rendre
compte de ce dernier phénomène, qu'on peut appeler métaphore et
métonymie originale, par opposition à la métaphore et la métonymie
d'usage qui concernent deux sens définis dans le lexique.
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comme dans un bruit aigu. On ne voit pas en quelle mesure les deux sens
peuvent être dits ressemblants. Il y a plutôt une ressemblance dans la
réalité qu'on pourrait formuler à peu près ainsi: un bruit aigu peut faire
mal aux oreilles comme un objet aigu peut faire mal à n'importe quelle
partie du corps.
Quant à la métonymie, la situation est encore plus confuse. Prise à
la lettre, la définition de Ullmann nous oblige d'attribuer à deux sens
en relation métonymique la qualité de contiguïté, tandis que la caracté-
risation de la polysémie par Katz nous force en même temps à leur
reconnaître un rapport de ressemblance. Or, on pourrait arguer que la
description de Katz n'est que provisoire et qu'il faut en venir à distinguer
différents types de ressemblance, d'après la place qu'occupent les
marqueurs communs dans la constellation de l'ensemble des marqueurs
qui constituent les deux sens. Il y aurait alors une ressemblance concer-
nant les marqueurs centraux, correspondant à la ressemblance des sens
de Ullmann, et une ressemblance intéressant des marqueurs périphériques,
correspondant à la contiguïté des sens de Ullmann. Et une telle proposi-
tion semble en effet pouvoir rendre compte par exemple de la relation
métonymique entre côte 'chacun des os allongés et courbes qui forment
la cage thoracique' et 'partie supérieure de la côte d'un bœuf, d'un
veau, d'un mouton, etc., avec les muscles qui y adhèrent'. Mais nous
avons déjà vu qu'un procédé qui ne se fonde que sur la ressemblance des
marqueurs sémantiques est incapable de rendre compte de certaines
métaphores. Et en outre il semble que ce que nous venons de proposer
ne peimet pas de bien différencier métaphore et métonymie. Dans le cas
de la relation métonymique entre poitrine 'partie du tronc, entre le cou
et l'abdomen, qui contient les poumons et le cœur' et poitrine 'seins de
femme', nous semblons plutôt avoir affaire à deux sens qui ont un ou
plusieurs marqueurs centraux en commun, à l'encontre de ce que notre
proposition prédirait. Et il en est de même pour la relation métonymique
qui explique le changement du latin coxa 'hanche' en coxa 'cuisse'.
Ainsi c'est la ressemblance ou la contiguïté des choses, plutôt que
la ressemblance ou la contiguïté des sens, qui est une condition nécessaire
pour qu'il y ait métaphore ou métonymie. Cela est d'ailleurs confirmé
par le fait que les noms propres, qui justement n'ont pas de sens (Katz
1972:380-382), peuvent servir de point de départ pour une métonymie;
comparez par exemple la relation métonymique qui existe entre le nom
du produit roquefort et celui de son lieu d'origine, Roquefort. Sous ce
rapport Ullmann (1952, 287) fait remarquer: "Le rapport de contiguïté
qui gouverne la métonymie dépend parfois de circonstances toutes
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