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Revue belge de philologie et

d'histoire

Ullmaxm (S.). Précis de sémantique française.


André Goosse

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Goosse André. Ullmaxm (S.). Précis de sémantique française.. In: Revue belge de philologie et d'histoire, tome 33, fasc. 4,
1955. pp. 926-932;

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926 CCHVfPfES RENDUS

problèmes d'attribution et d'identification, nous laisserons au lecteur


à juger dans quelle mesure il est disposé à s'engager à la suite de l'auteur
dans ce que ce dernier appelle le domaine enchanté des hypothèses1.
Pour nous résumer : M. Verdière nous donne un texte établi dans un esprit
conservateur, basé sur une estimation exacte des subsidia, mais dont à
notre sens l'arrangement appelle de sérieuses réserves. — Paul van de
Woestijne.

Ullmaxm (S.). Précis de sémantique française. Berne, A. Francke, 1952 ;


un vol. in-8° de 334 pp. (Bibliotheca romanica edendam curât W.
v. Wartburg. Series prima : Manualia et commentationes, IX).
Prix : broché, 15 fr. suisses ; relié, 19 fr. suisses.
Cette synthèse sera, il n'en faut pas douter, accueillie avec une grande
faveur. Elle le mérite par ses qualités eminentes : clarté, information,
modération (M. Ullmann ne se laisse pas embrigader dans une « école »
exclusiviste), par son opportunité aussi : la sémantique a bien changé,
depuis que Bréal l'a baptisée (1883), depuis que Darmesteter a publié
son précieux petit livre (x) sur La vie des mots (1887). Saussure, Gilliéron,
Troubetzkoy et d'autres sont passés par là. En particulier, l'intérêt des
linguistes n'est plus réservé aux changements de signification, aux faits
diachroniques. Une mise au point s'imposait. La voici. Elle permettra
sûrement de nouveaux progrès, un nouveau départ.
Un chapitre d'introduction étudie le mot sémantique, sa signification
(ou plutôt, hélas ! ses significations), les méthodes de cette discipline,
ses rapports avec la linguistique générale (ici sont utilement rappelées
des notions fondamentales : langue et parole, etc.), avec la stylistique.
L'onomasiologie est signalée p. 37 ; il n'en sera plus parlé, et c'est
dommage.
M. Ullmann consacre huit chapitres à la sémantique synchronique.
Le premier s'intitule « Fonctions sémantiques des sons français ». Il ne
concerne pas les onomatopées fdont il sera question plus loin) ; c'est
« une esquisse du système phonologique du français ». Certains ne
trouveront-ils pas crue la phonologie est un peu facilement annexée à la
sémantique? Les frontières de celle-ci ne sont pas faciles à tracer ; certaines
disciplines s'interpénétrent.
Sur le « rendement » phonologique des voyelles et des consonnes, sur
la valeur sémantiaue de l'accent, l'exposé de M. Ullmann est un guide
sûr. Il concerne uniquement l'usage parisien. Ne serait-il pas intéressant
de mettre en parallèle les caractères des français régionaux? Ainsi, alors
que la longueur des voyelles, à Paris, ne joue qu'un râle accessoire
(combiné avec le timbre : jeûne et jeune) ou limité (à è : belle et bêle), il n'en
est pas de même dans le français de Belgique. Les oppositions fondées

(1) La bibliographie de M, Ullmann ne le mentionne pas ; cet oubli est injuste.


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sur la quantité y sont fréquentes (x) : flûte interjection s'oppose à flûte


nom ; un nu à un u ; ni à n'y ; si à s'y ; un nid à un i ; il va à y va; qui
avec antécédent à qui sans antécédent (« celui qui fait cela » à « qui a
fait cela? »), pape « bouillie, colle de pâte » à pape ; salle à sale ; patte
à pâte (pour le timbre, il n'y a qu'un a en français de Belgique) ; pas
nom à pas négation ; met à mai(s) ; bouta boue. Ce dernier cas est
particulièrement intéressant, car, en Belgique, l'e muet n'a pas entièrement
disparu après voyelle ; il entraîne l'allongement de cette voyelle (et
souvent aussi la production d'une semi-voyelle).
Après les sons, les mots, que M. Ullmann caractérise à divers points
de vue. Ils sont peu autonomes (chapitre III) : phonétiquement, le mot
n'est pas (ou guère) une unité distincte dans la chaîne parlée ;
grammaticalement, le mot français a une indépendance que n'avait pas le mot
latin le nom, en particulier, qui a cessé de se décliner, existe donc en
dehors de la phrase (2) ; sémantiquement, le mot dépend fort, mais non
totalement, du contexte.
Les mots français sont arbitraires, non motivés (chap. IV). Sans doute,
Saussure (Cours de ling, génér., 4e éd., p. 100) affirme comme un principe
général : « Le lien unissant le signifiant au signifié est arbitraire » ; mais
cela vaut plus pour le français que pour d'autres langues : l'évolution
phonétique, les emprunts au latin et au grec séparent quant à la forme
des mots unis quant au sens (pêcheur et poisson, eau et aqueux, aveugle
et cédé, foie ethépatique) ; la pauvreté relative de la composition et de la
dérivation jouent aussi leur rôle (gant, comparé à l'allemand Handschuh).
Certains mots sontcependant motivés phonétiquement (piailler),
morphologiquement (chanteur) ou sémantiquement (mouche « espion »). Je serais
tenté d'aller plus loin que M. Ullmann : seule, la motivation
morphologique me paraît effective (3). Lorsque nous lisons dans Gide les adjectifs

(1) Elles le sont davantage encore en wallon liégeois, comme l'a montré M. L.
Warnant dans un article original : La longueur des voyelles dans les mots du wallon
d'Oreye (Bull, de la Comm. Roy. de topon. et. dialect., t. XXIII, 1949, pp. 71-
112). — Les faits que je signale et qui concernent plutôt l'Est de la Wallonie n'ont
qu'une valeur de suggestions. Une étude véritable devrait être fondée sur des
observations soigneusement localisées.
(2) Ces notions ne ressortissent guère à la sémantique. — Certaines expressions
de M. Ullmann pourraient être critiquées : l'amuïssement de l'e muet n'a pas fait
surgir une nouvelle alternance dans jette - jetons, il a modifié l'alternance ancienne
(p. 88). Le passé défini et l'imparfait du subjonctif se sont-ils vraiment maintenus
dans le français parlé du Nord et du Nord-Est (p. 89) ? Peut-on parler de l'évolution
sémantique du pronom je (p. 91)?
(3) Le succès des verbes émotionner, solutionner, etc. est-il dû entièrement à la
facilité de leur conjugaison? Et réflexionner (que j'ai trouvé chez A. Daudet e%
chez Gide)? Ces néologismes ne traduisent-ils pas un refus de l'arbitraire?
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automobilisable et ininvenlable (Journal, Bibl. de la Pléiade, t. I, pp.


866 et 145), nous comprenons immédiatement leur signification, malgré
le silence des dictionnaires. Il n'en est pas de même des motivations
phoniques : bien sûr, il y a les onomatopées, l'harmonie imitative, mais,
dans bien des exemples cités par M.Ullmann, la motivation est a posteriori,
subjective, illusoire ; on se récriera sur l'expressivité de tinter, en oubliant
que son homonyme teinter en est radicalement dépourvu (*). Certains cas
de motivation sémantique ne paraissent pas sûrs non plus. L'individu
qui a le premier employé mouche au sens d'espion a vu évidemment une
analogie entre l'insecte et l'espion. Il est vraisemblable que cette analogie
est restée perceptible pendant la diffusion de l'innovation, qu'elle a favorisé
son succès. L'acquisition d'un mot nouveau s'accompagne d'associations
concernant la forme du mot. C'est l'instinct étymologique, dont Bally
parle si judicieusement (Traité de stylistique franc, lre partie, chap. I).
Ce stade dépassé, les faits se présentent autrement. L'homme de la rue
sent-il spontanément un rapport entre chacun de ces deux mots, qui lui
sont également familiers et qui ne se rencontrent pas sur les mêmes
chemins de la pensée? On peut en douter, car il n'a pas besoin de le sentir.
Ce n'est qu'à la réflexion (une réflexion qui lui est normalement étrangère)
qu'il peut le percevoir.
Le sens des mots est imprécis (chap. V). M. Ullmann en énumère les
causes. Ne faudrait-il pas faire ici une place aux réactions individuelles ?
Si le mot n'était que le représentant de la chose, il en tirerait une certaine
objectivité, une certaine uniformité. Mais, Saussure l'a montré (op. cit.,
pp. 97-99), ce que le mot représente, c'est un concept. Et ce concept
varie d'un individu à l'autre : le mot arbre n'a pas la même signification
pour le bûcheron, pour le poète et pour le botaniste. Ces façons différentes
de comprendre les mots, n'est-ce pas aussi une des conditions (une des
causes?) des changements sémantiques? M. Ullmann n'en parle pas,
que je sache. « La discontinuité de la transmission du langage » (pp. 138
et 241) n'en serait qu'une application. A ce propos, M. Ullmann, à la
suite de Meillet, ne surestime-t-il pas le rôle de l'enfant dans l'évolution
sémantique ?
Le mot français est abstrait, à cause de son arbitraire, à cause de son
imprécision : un mot unique, aller, traduit les verbes allemands gehen,
fahren, reiten. M. Ullmann signale aussi que « la stylistique normative
préfère le style substantif à cause de sa concision et de son élégance

(1) « L'imparfait du subjonctif doit sa désuétude en partie à l'assonance fâcheuse


de ces suffixes » (p. 107), c'est-à-dire -asser, -assier. Cela n'est pas sûr : fascinassions
choque et fascination, homonyme parfait, séduit. — Autre phrase discutable :
« Sentier et visage sont tous deux perçus peut-être comme des dérivés formés avec
les suffixes -ier et -age. » (p. 118). C'est attribuer au sujet parlant une obsession
étymologique peu vraisemblable.
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(p. 143). Tout le monde ne sera pas de cet avis. Le style substantif,
qui s'est fait des ennemis acharnés (ainsi, parmi nos compatriotes, M.
F. Desonay (*)), n'est pas toujours élégant : quand il remplace inaugurer
par procéder à l'inauguration ; quand il multiplie les de en cascade («Dans
les cas de doute sur le degré de fidélité des éditions de textes », écrit un
philologue).
Le chapitre VI, Les valeurs affectives, est un exposé consciencieux
des données de la stylistique. M. Ullmann y souligne la puissance évoca-
trice des vulgarismes, des régionalismes, des mots techniques, des
archaïsmes, des mots étrangers, des néologismes. Quelques détails ne sont pas
convaincants : par exemple, en quoi laid nez (lèné) est-il moins euphonique
que nez laid (nélè) (p. 156)?
Trois chapitres achèvent de caractériser la structure sémantique du
français : finesse des distinctions synonymiques (2) (chap. VII),
importance de la polysémie (VIII), de l'homonymie (IX). Ces trois caractères
expliquent pour une bonne part que le mot français, peu autonome, ait
besoin du contexte. De là vient le succès du calembour (cher à Hugo),
et aussi la valeur intellectuelle du français, qui impose à Γ« usager » une
discipline rigoureuse. Ces ambiguïtés ont eu une influence indéniable sur
l'histoire de la langue, comme Gilliéron l'a montré, non sans outrance
parfois. M. Ullmann, lui, est difficilement pris en défaut. Voici pourtant
un cas où il faut discuter. On a attribué la disparition de bellum à son
homonymie avec l'adjectif bellus. M. Ullmann objecte (p. 226) : « Cette
homonymie existait déjà en latin classique sans causer le moindre
malaise. » N'est-ce pas donner aux « lois » lexicologiques une rigueur et une
universalité qu'elles n'ont pas? Homonymie fatale, érosion phonétique
sont des explications qui valent seulement pour des mots déterminés,
à des moments et à des endroits déterminés. Apis a disparu de la plus
grande partie du domaine gallo-roman, mais il s'est quand même
maintenu en quelques points, où il n'a pas exigé ces moyens thérapeutiques
illustrés par Gilliéron. Pour d'autres cas, d'ailleurs (pp. 212, 227), l'auteur
reconnaît que ces phénomènes sont capricieux.
Cela nous servira de transition pour aborder les chapitres de
sémantique diachronique : « Pourquoi les mots changent de sens » (chap. X),
« Comment les mots changent de sens » (XI)· M. Ullmann y tire parti des
travaux de Meillet, Sperber, Roudet... Le lecteur n'est pas, semble-t-il,
entièrement satisfait ; la synthèse manque peut-être de netteté. Est-ce
à cause de la présentation? Ou bien parce que les théories sont juxtapo-

(1) L'art d'écrire une lettre, Bruxelles, 1945, pp. 81-82; La vivante histoire du
français, Bruxelles, 1946, pp. 115-117.
(2) M. Ullmann parle à cette occasion des périphrases. Peut-être faudrait-il
souligner que certaines sont des clichés pires que les mots dont elles voudraient être les
substituts élégants. Le style des journaux en fournit maints exemples : « la langue
de Goethe », « outre-Quiévrain », etc.
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sées plutôt qu'amalgamées? Ou bien les solutions définitives ne sont-elles


pas encore trouvées? Introduire la « péj oration » et Γ« amélioration »
dans le chapitre X, c'est amener une certaine confusion entre le pourquoi
et le comment. La délimitation est d'ailleurs difficile. Dans le chapitre
XI, M. Ullmann distingue au point de vue psychologique quatre modes
d'évolution sémantique. Ce ne sont pas, dit-il (p. 276), « les causes
efficientes des changements. [Ils] ne les déclenchent pas, mais [ils]
déterminent leur déroulement». Cela est vrai sûrement de la métaphore et
de la métonymie, qui supposent une cause extérieure, laquelle se trouve
chez le sujet parlant. Mais un processus comme « la ressemblance entre
deux noms»? L'évolution de forain (théâtre forain, fête foraine, etc.)
a-t-elle une autre cause que l'attraction de foire! De même, le sens ad-
versatif de pourtant a-t-il une autre cause que le contexte négatif où le
mot était souvent placé?
Je ne vois pas que M. Ullmann ait fait place parmi ces causes à
l'obligation de baptiser un objet nouveau-né (x) et à la « disharmonie » dont
parle Roudet (cité p. 276) : le sujet parlant n'a pas à la mémoire le mot
qu'il lui faut. Cela expliquerait qu'affaires, substitut complaisant, en
soit arrivé à prendre le sens (relativement précis) de « vêtements » (2).
Et le souci d'expressivité, peut-on le ramener uniquement à des réflexes
freudiens ?
M. Ullmann a résumé ici (pp. 296-298) ses recherches personnelles sur
les transpositions sensorielles. Mais, fondées sur la langue des écrivains
(que dis-je? des poètes), elles concernent la stylistique plus que la
sémantique, et la parole (si l'on peut dire) plus que la langue. C'est dans
le français commun qu'il aurait fallu mener l'enquête. Il est d'ailleurs
possible qu'elle confirme les tendances observées par M. Ullmann : c'est
pour exprimer les sensations auditives qu'on a recours surtout à des mots
concernant normalement d'autres sens, et c'est le toucher qui fournit
la plus grande partie de ces mots.

(1) Ou de donner un nom nouveau à un objet que l'on trouve mal baptisé ;
pensons au vocabulaire grammatical de Damourette et Pichon.
(2) « Et sans avoir pris le temps d'enlever nos affaires [au retour d'une promenade],
nous montions vite chez ma tante Léonie pour la rassurer. » (M. Proust, Du côté
de chez Swann, t. I, Gallimard, 1949, p. 182) — « Nous n'avons pas trop de temps,
du vingt septembre au quatre octobre, pour les affaires d'automne, — une robe
pour aller au cours, un manteau, un chapeau pour moi, et la même chose pour
Lisette... » (Colette, Le blé en herbe, III) — « Mon idéal, c'était de devenir une dame
comme celles dont ma mère lavait le linge dans la Penfel, une belle dame à chemises
festonnées et à pantalons de vrai madapolam, tout coton 1 Le premier midship
que j'ai suivi m'a payé du premier coup des affaires encore plus somptueuses ! »
(Cl. Farrère, Les petites alliées, VIII). — Pour les dialectes, voir W.von
Wartburg, Franz. Etym. Wörterb., Ill, 349 b.
COMPTES RENDUS 031

Un dernier chapitre (XII) souligne l'intért des recherches structurales


de MM. Trier et Matoré. Il rappelle enfin les « dominantes sémantiques »
du français, telles qu'elles ont été présentées dans les chapitres précédents.
Voilà grosso modo l'inventaire de ce livre riche et fécond, qui est sans
doute plus qu'un manuel. Sa science est sûre et jamais rébarbative (ce
qui a bien son prix). Elle s'appuie sur des exemples nombreux, variés,
expressifs, souvent puisés aux meilleures sources. Quelques-uns seraient
à revoir ou à compléter (x). P. 166, dans le texte de Molière (mis dans la
bouche de Philaminte alors qu'il est en partie de Bélise), ce qui est en
question, ce n'est pas tant le style juridique, que l'érudition inconsidérée
des « femmes savantes ». — P. 203, M. Ulimann, à la suite des dictionnaires,
attribue à Bourget (1895) la paternité de réaliser au sens anglais. Je puis
en citer un exemple plus vieux d'une quarantaine d'années : « Ainsi, dans
mon propre cas, il me semblait maintenant impossible de réaliser le total
de misères que j'avais endurées pendant les jours que j'avais passés sur
notre ponton. On se rappelle bien les incidents, mais non les sensations
engendrées par les circonstances successives. » (Baudelaire, Aventures
d'Arthur Gordon Pym (2), dans le Moniteur universel, 21 mars 1857) —
P. 247 : « Depuis le milieu du siècle, il y eut un changement de direction
dans les déplacements du dîner : on a tendu à le ramener vers midi ».
Cette affirmation m'étonne (elle doit venir de l'article déjeuner, sans doute
mal compris, du Diet. étym. de Bloch- Wartburg). Certes, dans les dialectes,
comme le montrent le Franz. Etymol. Wörterbuch (s. v. disjejunare) et
l'Atlas linguistique de la France (cartes 384, 385 et 1254), les types dîner
pour le repas de midi et souper pour celui du soir dominent largement ;
ces emplois ne sont pas rares chez des romanciers assez divers. Cependant,
l'usage parisien, qui réserve dîner au repas du soir, progresse lentement,
mais sûrement, en province. On pourrait signaler aussi que le même
phénomène s'est produit dans d'autres langues. — P. 256, l'exemple
tiré du Menteur n'est pas adéquat: Dorante vante l'efficacité, pour la
séduction des femmes, non pas des métaphores militaires, mais du
prestige que confèrent les faits d'armes :
Oh 1 le beau compliment à charmer une dame,
De lui dire d'abord : « J'apporte à vos beautés
Un cœur nouveau venu des universités (...) ».
On s'introduit bien mieux à titre de vaillant.

(1) Des index des mots et des auteurs auraient rendu service. — Quelques
détails : des abréviations o. c. renvoient parfois à un ouvrage cité cent pages
auparavant (ou plus) ; c'est une cause d'ambiguïtés. — Quel est le sens d'explétif p. 161?
— Medium p. 226 doit être un anglicisme. — P. 232, il faut renvoyer plutôt à
l'article aestimare du Franz. Etym. Wörterb. ; on sait que J. Orr a repris récemment
l'idée de Gilaéron (Mélanges... Roques, t. I, 1951, pp. 217-227).
(2) Texte de Poe : «... I now feel it impossible to realize the full extent of the
misery... »
932 COMPTES RENDUS

— P. 264, M. Ullmann a l'air de dire que le sens actuel de tuer est


postérieur à Malherbe. Il est bien plus ancien. — P. 273, la prononciation
linceuil n'est pas récente. Dans Chénier (Élégies, VII) déjà, le mot rime
avec cercueil ; voir aussi le Franz. Elym. Wörterbuch, V, 366. — André
Goosse.

Vivier (Robert). Et la poésie fut langage (Turold - Villon - Racine -


Verlaine - Mallarmé). Bruxelles, Palais des Académies, 1954 ; un vol.
in-8° de 232 p. (Académie royale de Langue et de Littérature
de Belgique).
Réunir en une étude d'ensemble et soumettre aux mêmes critères
des écrivains si différents par l'inspiration et la technique semblerait une
gageure si l'auteur ne nous avertissait que son dessein se limite à la seule
poésie, liée, dans la Chanson de Roland, au pathétique narratif, au
pathétique de théâtre, dans Racine, née, chez Villon, d'un caractère et des
accidents d'une vie, enfin, chez Verlaine, et surtout chez Mallarmé, aussi
dépouillée que possible de toute autre contingence. Quels événements
mentaux ont poussé ces auteurs à l'acte d'écrire, et quelles conditions
techniques ont joué au cours de cet acte? Telles sont les questions que
se pose M. Robert Vivier, et auxquelles il répond avec la triple autorité
du critique, du professeur et du poète. N'est-ce pas cette dernière qualité
qui confère à ces études, outre le charme d'une forme aussi élégante
et ferme que bellement imagée, l'attrait supplémentaire d'une sorte de
connivence, d'intuition de l'initié nourri dans le sérail, et qui en connaît
les plus secrets détours?
C'est ainsi qu'il a revécu le drame de Roncevaux et s'est substitué en
pensée à Turold, qui a repris, 300 ans après les événements, un épisode
que sa sensibilité a enrichi d'une profonde émotion. Éclairant d'une vive
lumière le caractère de Roland, incarnation de la patrie vécue, M. Robert
Vivier démontre que la véritable substance du poème, c'est le mouvement
de sentiment qui accompagne l'enchaînement des faits. Charlemagne,
témoin du drame, apparaît comme un témoin responsable, soucieux et
sensible. Aussi est-ce le pathétique, plus que l'épique, qui nous touche
dans la Chanson de Roland.
Du pathétique, nous glissons vers la poésie lyrique, incarnée par Villon,
dont la fraîcheur d'âme, la vraie jeunesse, dit joliment l'auteur, surgit
des débris d'une jeunesse perdue. Il aimait la vie et craignait la mort ;
il célébra l'une et l'autre avec des accents poignants, nuancés d'une
douloureuse ironie. Ce lettré, instruit par les livres, a moins contemplé les
vergers et le printemps, selon les traditions médiévales, qu'il n'a regardé
en lui-même. Il apparaît à l'auteur plutôt comme un homme gai que
les événements assombrissent un temps, mais qui, avec agilité, se retrouve
lui-même. Sa gouaille est amère, souvent, mais demeure gouaille tout
de même. Instinctif, réaliste, il a surtout le don de l'épanchement sincère.

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