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Des photographes illustrateurs à l'ère de l'imprimé

extrait du texte de Françoise Denoyelle

La publicité
Presque tous les photographes illustrateurs travaillent pour la publicité, bien
plus rémunératrice que la presse à une époque où elle demeure encore
artisanale. Lorelle en fait l’une de ses spécialités et publie La Photographie
publicitaire. Il analyse comment il exploite des thèmes, des situations, des
personnages emblématiques : les joueurs de boules, la concierge, le
facteur, le curé. À propos de pêcheurs au bord de la Seine, pour
reconstruire le vraisemblable, il confie que "le laisser-aller du personnage
de droite fut longuement étudié avec l’acteur professionnel qui le joua".
Pour une affiche commandée par la Croix-Rouge, les remarques du
commanditaire obligent l’opérateur à scénariser et accentuer la misère,
celle-là même qu’il dénonce dans ses reportages.
Les campagnes publicitaires sont déclinées sous forme d’affiches et de
dépliants, mais c’est la presse qui concentre les plus gros budgets.
"Mademoiselle Ambre Solaire", inventée par Lucien Lorelle, s’affiche dans
le métro et le photographe met en scène Gérard Philipe pour une
campagne sur la lecture qui couvre les murs de la France entière. Les
calendriers qu’ils soient à l’initiative de chrétiens de gauche ou de
L’Humanité font eux aussi référence aux thèmes récurrents de la
photographie humaniste.
La voiture dont la commercialisation est en pleine expansion donne lieu à
de multiples commandes. Doisneau fait la couverture du rapport annuel de
Simca (1956) et Renault édite un livre sur ses usines en collaboration avec
les photographes les plus réputés.
Pierre Boucher ne cachait pas que le plan Marshall, dont il dirigea les
services graphiques, fut une source de revenus considérables et
d’opportunités de commandes vantant le renouveau de l’Ouest sous l’égide
américaine, grâce à des opérations comme "Le train de l’Europe". De
grands organismes tels l’ONU ou l’Unesco et des ministères usent
également des thèmes récurrents dans leurs campagnes d’images
promotionnelles. La direction de la Documentation et de la Diffusion
française, qui dépend du ministère de l’Information dans le cadre de ses
missions de documentation et d’édition, publie La Documentation
photographique sous forme de portfolios thématiques et de plaquettes à
l’adresse des enseignants. Pour cela, elle passe des commandes à la
plupart des photographes qui puisent également dans leurs archives. L’un
des commanditaires les plus importants est le Commissariat général au
tourisme qui organise de véritables campagnes de prise de vue à travers le
pays pour des dépliants, des affiches et des brochures. En 1959, un
programme d’affiches intitulé "France vivante" privilégie des images
"vivantes et animées". Si les opérateurs sont en majorité des Parisiens, des
photographes ancrés dans leur terroir comme Yan et des étrangers comme
Ina Bandy offrent un œil neuf qui s’inscrit bel et bien dans la photographie
humaniste.

Vers le statut d'œuvre d'art


La guerre d’Espagne a formé de grands reporters photo, la guerre du
Vietnam intronise la télévision qui marque la fin des photographes
illustrateurs et le déclin des grands périodiques illustrés.
Au cours de cette même période, Hubert Damisch analyse le caractère
éphémère de la photographie dont la spécificité se situe moins au niveau
de sa production que de sa consommation. Sous l’influence d’Otto Steinert,
et en opposition à la photographie humaniste, se développe la "Subjektive
Fotografie" qui exclut l’image professionnelle de ses expositions et prône le
tirage 30 x 40 comme œuvre d’art. Ce courant, né en Allemagne, privilégie
la vision personnelle comme démarche esthétique valorisant l’acte créateur
de l’auteur. Son influence en Europe et aux États-Unis reste circonscrite à
un milieu restreint de photographes. Dans les années 1960, alors que le
Groupe des XV est à bout de souffle et que celui des Trente-quarante, initié
par Roger Doloy, reste très marginal, de jeunes auteurs et des critiques se
rassemblent pour promouvoir une autre photographie. Pour s’élever contre
le conformisme qui s’empare de la photographie française, ils tentent, sans
y parvenir, de fédérer les illustrateurs toujours isolés. Mais c’est la création
des Rencontres internationales de la photographie d’Arles, en 1970, et la
venue dans les années qui suivent d’Imogen Cunningham, d’Ansel Adams,
d’Eugène Smith qui marquent un véritable tournant en reconnaissant le
photographe non comme un simple illustrateur ou un reporter mais comme
un auteur.

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