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Faux-Semblants

ou le simulacre* dans l’art contemporain 

DOSSIER PEDAGOGIQUE
Ce document se présente comme une aide pédagogique à destination des
enseignants. Il permet de mieux comprendre les œuvres contemporaines présentées
dans l’exposition et peut également constituer un support pour la visite.

Introduction

Depuis toujours, l’art a recherché la « Mimésis* ». Les inventions imitant la


vision oculaire se sont multipliées tout au long de l’histoire de l’art. Des artifices
comme le système perspectif ou l’anamorphose* donnaient l’illusion parfaite de la
3ème dimension. La peinture figurative a pourtant perdu son statut privilégié avec
l’invention de la photographie. Considérée comme le médium de l’objectivité par
excellence, on pensait à l’époque que nulle autre discipline ne pouvait aller plus loin
dans la reproduction du réel. L’invention du cinématographe en 1895 allait encore
accroître l’illusion de vraisemblance. Au 20ème siècle, les artistes, loin d’avoir renoncé
à dépeindre la nature, ont continué à explorer les multiples moyens d’appréhender la
réalité. Une tendance qui allait même connaître une autre dimension avec le
mouvement hyperréaliste*. Avec l’arrivée des nouvelles technologies, en cette ère du
tout numérique, il est devenu urgent de redéfinir le monde qui nous entoure. Le
bombardement d’images tous azimuts, dont il est souvent difficile de préciser
l’authenticité, a contribué à l’essor d’un univers virtuel peuplé de faux-semblants.
Leurres et simulations envahissent ainsi nos vies, infiltrant tous les domaines de la
société jusqu'à créer un monde virtuel, plus réel que le réel. Les artistes d’aujourd’hui
ont commenté ou critiqué l’évolution de cette société du paraître ; nous révélant,
comme un certain Magritte en 1929, la trahison des images.

► Hall

L’artiste : Johan Grimonprez (Roeselare – 1962)

Depuis les années 1990, Johan Grimonprez


crée des vidéos et des installations. Par
l’utilisation d’un montage de documents issus
de différentes sources, il interroge la culture
du zapping et le pouvoir des images.
En 1997, Johan Grimonprez crée
l’événement à la Documenta X à Cassel
avec son film « Dial / H-I-S-T-O-R-Y ». Dans
ce moyen-métrage prémonitoire d’environ
une heure, Johan Grimonprez compile des
scènes de détournements d’avions sur des
► Ron Burrage, Hitchcock double. Still from
LOOKiNG fOR ALFREd, 2005, by Johan textes de Don DeLillo.
Grimonprez. Photography by Theo Volpatti
Courtesy of Zapomatik / Film & Video Umbrella

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L’œuvre : La vidéo « Looking For Alfred » a été réalisée en 2005. Contrairement à
ses films précédents dont la forme rappelle davantage une vaste séance de zapping
médiatique, l’univers de Looking For Alfred se situe en dehors de la réalité, dans un
monde à la fois étrange et esthétique. Looking For Alfred, « A la recherche d’Alfred »
en français, est une référence directe à Alfred Hitchcock dont une des célèbres
signatures consistait en une courte apparition dans chacun de ses longs-métrages.
En mettant en scène une profusion de sosies, Johan Grimonprez mène une réflexion
sur le vrai et le faux, l’identité, le double. Ils permettent au cinéaste de développer
une intrigue à plusieurs sens et d’interroger la culture du simulacre dans laquelle
nous vivons. C’est aussi une allusion au « MacGuffin », ce procédé scénaristique
inventé par Hitchcock et qui se présente comme un mystérieux objet à rechercher,
prétexte à faire avancer l’intrigue. Ici, le « MacGuffin » permet d’aborder la répétition
à travers une série de symboles qui reviennent constamment. Le corbeau, le
parapluie, le chapeau melon, etc. renvoient bien évidemment à l’univers du cinéaste
britannique mais aussi à celui de René Magritte et de Jorge Luis Borges*. Tous deux
ont également travaillé la question de la double identité dans leurs œuvres
respectives.

L’artiste : Philippe Ramette (à Auxerre, dans l’Yonne (France) – 1961)

Philippe Ramette expose depuis le


début des années 1990. Ses
photographies nous plongent dans un
univers absurde, imperméable aux lois
de la physique. On y retrouve toujours
le même protagoniste, un personnage
au costume sombre (en fait, l’artiste lui-
même) dans des positions qui défient
les lois de la nature. A côté de ses
clichés, Philippe Ramette crée
également des installations et des
sculptures dans la même veine
surréaliste.

► Philippe Ramette
Balcon II (Hong-Kong), 2001
Photographie couleur, 150 x 120 cm
collection Frac Champagne-Ardenne, Reims
© SABAM Belgium 2009

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L’œuvre : le travail de Philippe Ramette fait appel à plusieurs astuces. A l’heure du
numérique et du multimédia, il est facile de recréer virtuellement n’importe quelle
fantaisie surréaliste. Au premier abord, les images de Philippe Ramette relèvent
d’une manipulation informatique réalisée après la prise de vue. La réalité est tout
autre. Le réel travail de l’artiste consiste en l’invention de « prothèses » qu’il fait
intervenir dans une situation spécifique. La mise en scène sera ensuite
photographiée par un photographe professionnel. Le travail de Philippe Ramette
s’apparente ainsi à celui d’un artiste-inventeur qui crée des « objets à réflexion » afin
de se mettre lui-même en scène dans des poses impossibles. Ses prothèses sont
toujours invisibles et donnent ainsi l’illusion du trucage informatique.
Les personnages de ses photographies semblent souvent perdus dans leurs
pensées, regardant au loin comme s’ils rêvaient ou réfléchissaient. Il y a une
référence ouverte à la célèbre peinture de Caspar David Friedrich « Voyageur devant
une mer de nuages », une oeuvre qui exalte les qualités méditatives du regardeur.
Philippe Ramette pose un œil décalé sur le monde qui nous entoure. Dans les
nombreuses fictions qu’il propose, on retrouve souvent une atmosphère à la fois
cruelle et poétique. Cette donnée plus violente est présente dans la mesure où les
prothèses contraignent le corps au lieu de le libérer. Seul l’esprit permet la liberté.
Pour l’artiste, il s’agit ainsi de créer des « processus de pensée ». L’œuvre de
Philippe Ramette, comme le suggère certains titres (L’espace à culpabilité ou
Potence préventive pour dictateur potentiel), comporte également une réflexion plus
critique sur le monde.

► Salle Meuse :

L’artiste : René De Broyer est sculpteur. Peu


d’informations ont filtré sur son parcours. On sait qu’il a
travaillé un temps dans une entreprise de fabrication de
mannequins. Il est surtout connu pour avoir réalisé
plusieurs copies d’une sculpture de Marilyn Monroe.

► René De Broyer
Marilyn Monroe, 1988
Sculpture en polyester peinte à l’huile 163 x 60 x 50
collection privée.
© photo : Schrobiltgen, Bruxelles

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L’œuvre : L’artiste a réalisé une sculpture de Marilyn, reproduisant fidèlement sa
pose, son maquillage, ses vêtements. Une bouche d’aération fait gonfler sa robe
comme lors de la scène originale de « Sept ans de réflexion ». René De Broyer a
choisi de représenter Marilyn Monroe dans une réplique de la scène mythique du film
de Billy Wilder (1955), une de ses apparitions les plus connues. Obnubilé par l’effigie
de Marilyn, René De Broyer a réalisé plusieurs copies de cette sculpture.
Cette œuvre est un peu le porte-drapeau de cette exposition. Tout le monde connaît
Marilyn Monroe ; elle est devenue un symbole, une sorte d’icône de la femme fatale
et la sensualité incarnée. Son image, reproduite encore et toujours, a fini par perdre
toute humanité pour devenir un objet de consommation.
Cette œuvre et son auteur font l’objet d’une présentation sur la plate-forme internet
de Jacques Lennep. Basé sur le concept « on est tous des artistes », ce blog, initié
en 2008, intègre toutes sortes de projets artistiques.

L’artiste : Jean-Olivier Hucleux (dit Hucleux) (Chauny, dans l’Oise (France) – 1923)

Hucleux est un artiste généralement associé


au mouvement hyperréaliste. On connaît
surtout ses fameux portraits de personnalités,
peints et dessinés d’après photographie. A
partir de 1996, l’artiste entame des dessins
dits de « déprogrammation ». Un travail de
premier abord fort différent de ses portraits
hyperréalistes, mais qui participe du même
processus rigoureux. Dernièrement, l’artiste a
exploré le domaine des nouvelles
technologies en réalisant des dessins
numériques en collaboration avec son fils.

► Hucleux
Portrait de Francis Bacon (d’après une photo de Michel Nguyen) 1987
Mine de plomb sur papier
225 x 170 cm
collection privée
© SABAM Belgium 2009

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L’Œuvre : En 1975, Hucleux réalise une première commande qui aboutit au portrait
du « Professeur Ludwig et de sa femme », une peinture d’une étonnante virtuosité
technique. Suivront bientôt d’autres commandes officielles, notamment le portrait du
Président Georges Pompidou (1984) et celui du Président François Mitterrand
(1985), et une série de portraits de personnalités du monde de l’art. Le portrait de
Francis Bacon fait partie de cette série. Au départ, l’hyperréalisme* naît en réaction à
la peinture abstraite. Il s’inscrit d’une certaine façon dans le prolongement du pop art,
dont il reprend certains thèmes (société de consommation, goût pour le portrait de
célébrités).
La volonté des artistes hyperréalistes se situe au niveau du pari de l’illusion
photographique. Avec l’invention de la photographie, certains prédirent l’inutilité de la
peinture. En ne réussissant pas à concurrencer le réalisme photographique, celle-ci
serait donc devenue totalement obsolète. Les tenants de l’hyperréalisme ont répondu
à cette polémique par des œuvres peintes à la qualité photographique. Le souci
d’Hucleux est d’aller bien au-delà du réalisme de la peinture afin de rendre une
présence et de « dépasser la représentation ».

L’artiste : Christian Carez (Bruxelles – 1938)

Christian Carez est un photographe multiple et composite, deux axes déterminent


son parcours. D’une part des travaux mis en scène, fictionnels, comme Les Lieux
désertés, pèlerinage sur les traces d’un amour tragique dans l’URSS de la fin des
années 50 et Mishmash ou la Confusion, sorte de saga retraçant son histoire, celle
de sa famille et de ses amis entre l’immédiat avant-guerre et la fin du siècle. D’autre
part des photographies documentaires et de paysages, comme celles du Jour se
rêve qui évoquent le sort de ces millions de gens de la très riche Europe occidentale
qui sont les laissés-pour-compte d’un système qui ne laisse pas beaucoup de place à
l’homme et qui s’appelle capitalisme.

► Christian Carez
WARBIRDS BOEING F-A 18 EF SUPER
HORNET (USA), 2009
Archival Pigment Print, 60X82,5

Avertissement: Le prix des avions dépend


de la version, de l'équipement et de
l'armement embarqués et de l'année de
fabrication. Ils sont donc approximatifs.
Le pays indiqué est le pays d'origine, celui
de la conception et de la fabrication.
Les avions sont parfois construits sous
licence dans d'autres pays.

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L’œuvre :
Le travail de fiction de Christian Carez est lié intiment à sa biographie. En effet,
l’artiste utilise ses propres souvenirs comme source d’inspiration. Dans « Souvenir
de guerre et de solitude », réalisé en 1985 avec sa sœur Claudine, il racontait sa vie
de petit garçon lors de l’occupation. Le travail était réalisé à l’aide de maquettes et de
figurines qu’il éclairait et photographiait ensuite comme s’il s’agissait d’un décor de
cinéma. Bien que son travail aborde des sujets sensibles, le processus de
reconstruction d’environnements miniatures instaure une certaine distance avec
la réalité des événements. Christian Carez nous parle de l’Histoire via le prisme du
souvenir et de la mémoire suggestive. Si la série des « souvenirs » était plus
narrative dans sa description, le triptyque « le Pressentiment » nous plonge dans
l’abstraction de son titre.
Dans ces lieux, apparemment abandonnés, règne une atmosphère lourde. Cette
pièce est-elle désaffectée à cause de la guerre ? D’un déménagement précipité ?
D’un décès inopiné ? Le travail de Christian Carez s’interroge sur la violence de
l’homme. Il en résulte une vision engagée transmise sur le mode de la fiction, de la
reconstruction. Son propos nous arrive des brumes de l’oubli, comme des flashs de
réminiscences. Dans chaque panneau de ce triptyque, des cadres avec des images
de la vie de l’artiste sont abandonnés (un autoportrait, Sidonie et Germaine, sa
mère…). La série des avions de guerre contemporains hésite également entre
réalisme et illusion. S’agit-il de réelles images de machines de guerre ou des jouets
d’enfant pour s’amuser au combat?

L’artiste : Georges Rousse (Paris – 1947)

La découverte du fameux
Carré noir sur fond blanc
de Kasimir Malevitch
et l’influence du Land Art
pousse Georges Rousse à
s’intéresser à une donnée
qui va devenir essentielle
dans son travail : l’espace.
Dans les années 1980, il
peint des silhouettes
humaines sur les murs de
lieux désaffectés. Par la
suite, les formes qu’il
déploie dans l’espace
deviennent de plus en plus
► Georges Rousse géométriques. Son travail
Sans titre, Bercy 1984, 1984
Photographie couleur laminée sur aluminium, 180 x 230 cm plastique est réalisé selon
collection Frac Champagne-Ardenne, Reims le principe de
© SABAM Belgium 2009
l’anamorphose*.

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► Anamorphose

L’œuvre : A nouveau les apparences sont trompeuses. L’essence de l’art de


Georges Rousse n’est pas seulement à chercher dans la pratique de la
photographie. C’est un travail préalable à la fois de peinture et de sculpture. Georges
Rousse vise à recréer virtuellement un espace, non à l’aide du numérique, en
manipulant la photo après la prise de vue, mais par le principe de l’anamorphose.
Tout son travail se déroule en amont du cliché qui en constitue l’étape finale. Cette
pratique ancienne – un exemple connu d’anamorphose se trouve dans le tableau
« Les Ambassadeurs » de Holbein (1533) – permet à Georges Rousse de créer des
« sculptures » virtuelles qui n’existent qu’à partir d’un certain point de vue, celui
justement adopté par la photographie.
Afin de déterminer l’œuvre qu’il va réaliser in situ (une forme, un mot, une
architecture), l’artiste s’inspire de l’historique du lieu. Son intérêt va aux espaces
désaffectés, voués à la disparition ou qui comportent une charge symbolique quant à
leur passé. Si la tromperie fait inévitablement partie du processus, le but de l’artiste
est de partir d’un lieu existant et par des outils détournés, de créer un nouvel espace.

L’artiste : Philippe De Gobert (Bruxelles – 1946)

Philippe De Gobert débute sa


carrière comme photographe
d’œuvres d’art. Il expose
depuis 1967. Au début, son
travail tient davantage de
l’assemblage et de la
sculpture. La photographie
vient finaliser le processus.
Philippe De Gobert prolonge
son travail de constructions
de miniatures avec la création
d’espaces imaginaires qu’il
photographie ensuite et tire
en grands formats.
► Philippe De Gobert
Ateliers de la Grande Chaumière, 2008
photographie noir et blanc, 1/3, 220 x 162 cm.
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L’œuvre : Les images de Philippe De Gobert prolongent ses travaux d’assemblages
plus anciens. L’artiste, intéressé par l’architecture, construit des maquettes qu’il met
en lumière, photographie puis tire en grands formats. Le changement d’échelle
donne l’impression de se trouver face à des images de vastes espaces. Inutile
d’essayer de reconnaître un édifice en particulier, Philippe De Gobert ne cherche
nullement à reconstituer des bâtiments réels. En ayant recours aux modèles réduits,
il donne cours à ses envies de bâtir ; avec les multiples possibilités de l’imaginaire
pour inventer les architectures qu’il désire.
Philippe De Gobert construit ses images sans rechercher la prouesse technique.
Les petites imperfections présentes au sein de celles-ci sont autant de pistes qui font
douter de la réalité de la construction. Cette ambiguïté de l’objet concourt à
l’impression de mystère qui ressort de la photographie. La mise en lumière,
fondamentale, donnera à l’espace une atmosphère à la fois poétique, zen ou
énigmatique. Les photographies sont ici exposées en regard d’une maquette afin de
permettre au visiteur de tourner autour du travail et de l’apprécier selon de multiples
points de vue.

► Pallier

L’artiste : Guillaume Bijl (Anvers – 1946)

Artiste du simulacre par excellence,


Guillaume Bijl entreprend un travail
radical depuis les années 1970.
Il propose notamment des « installations
d’environnements ». Il s’agit d’espaces
publics ou privés – salle d’auto-école,
salle de gymnastique, salon-lavoir – qu’il
reconstitue tels quels dans des musées et
galeries. Ainsi restituées dans l’espace
d’exposition, ses « Compositions
trouvées » perdent leur fonction sociale et
utilitaire et créent un sentiment de
confusion chez le public. L’artiste a ► Guillaume Bijl
récemment entamé le projet de James Ensor in Oostende, 2000,
rassembler des souvenirs du 20ème siècle. vidéo noir et blanc, 4 min 55’’
collection S.M.A.K.
© SABAM Belgium 2009

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L’œuvre : Guillaume Bijl s’inscrit dans l’héritage conceptuel de Marcel Duchamp* et
de Marcel Broodthaers*. Ce reportage sur James Ensor, prétendument retrouvé
prend place dans les installations que l’artiste consacre au tourisme culturel. Fasciné
par la mince frontière qui sépare l’art et la réalité, il expose notre propre culture.
Guillaume Bijl agit comme un archéologue : au lieu d’exposer les trésors d’une
civilisation ancienne, il a choisi de mettre à jour notre propre civilisation. Le film de
James Ensor apparaît comme une pièce unique, un témoignage d’un moment de vie.
Si le nom de Guillaume Bijl n’apparaissait pas en tête de cette production, il est fort
probable que la plupart d’entre nous ne douterions pas de l’authenticité de ce
témoignage. Ce documentaire restitue bien l’atmosphère maritime et 19ème siècle
que l’on retrouve dans les peintures de James Ensor. L’artiste avait en effet
l’habitude de peindre sa ville natale et a laissé plusieurs autoportraits à la postérité.
Ce film pose la question de la manipulation de l’image. Pour Guillaume Bijl, il s’agit
d’un trompe-l’œil historique qui traite du mythe de l’artiste. C’est également un
« hommage imaginaire » d’un artiste à un autre.

► Salle Sambre

L’artiste : Jacques Lennep (Bruxelles – 1941)

Diplômé de l’école des Arts Décoratifs de Saint-Luc et licencié en Histoire de l’art de


l’Université Libre de Bruxelles, Jacques Van Lennep est à la fois théoricien et artiste
sous le pseudonyme de Jacques Lennep. L’artiste a travaillé à explorer diverses
disciplines (peinture, gravure, photographie, installation, etc.) En 1972-73, il fonde le
Cercle d’Art Prospectif (CAP)*. Après la dissolution du groupe en 1981, Jacques
Lennep prolonge l’esthétique relationnelle dans des travaux à la fois protéiformes et
ludiques.

► Jacques Lennep
Personnes déguisées en Christ couronné d’épines
Photos sur papier encadrées sous verre, 40 x 34 cm
collection de l’artiste.

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L’œuvre : En 1976, Jacques Lennep crée un Musée de l’homme dans lequel se
succèdent plusieurs personnes : Monsieur Bonvoisin, sculpteur de marrons, Ezio
Bucci, supporter, Alfred Laoureux, collectionneur, Tania, modèle pour photos de
charme. Il y a aussi Yves Somville dans le rôle de Jésus-Christ. Yves Somville avait
incarné le Christ lors de la reconstitution annuelle de la Passion dans le petit village
de Ligny. Jacques Lennep réalisa des performances et des vidéos afin de révéler
ces personnages au milieu artistique. Il clôtura son Musée de l’homme avec la
présentation d’un autre singulier personnage, fictif cette fois : N.V. Panneels, peintre
du dimanche. Son travail au Musée de l’homme questionne le statut de l’artiste :
Pour Duchamp, le musée conférait la valeur d’œuvre d’art à n’importe quel objet
exposé. Avec son Musée de l’homme, Jacques Lennep semble démontrer qu’un
artiste est tel à partir du moment où il le proclame lui-même. Dans cette œuvre qui
tient à la fois de l’installation et de la performance (voir la vidéo) Jacques Lennep
montre son intérêt pour l’aspect sociologique. Dans le cas de Jésus-Christ, le thème
de l’incarnation est abordé. Le rôle que Yves Somville endosse pour la reconstitution
jette un pont avec un autre simulacre - celui du théâtre qui a forgé son propre code
de représentation. Il y a également une allusion à l’image stéréotypée de Jésus
véhiculée notamment par le cinéma.
Ainsi, Jacques Lennep explore le concept de faux-semblant à travers la notion
d’identité. C’est le fondement même de sa démarche puisque dès le départ, Jacques
Lennep distingue l’artiste du scientifique. On retrouve des prolongements de cet
intérêt avec le blog qu’il a crée en 2008 et qui présente des personnes qui ont fait de
leur existence un espace de création.

L’artiste : Jacques Charlier (Liège - 1939)

Autodidacte, Jacques Charlier


expose depuis les années
1960. Le procédé étant au
service de l’idée, l’artiste
travaille à partir des techniques
les plus diverses (installations,
peintures, photographies,
philatélie, vidéos etc.). A partir
de 1978, il réalise ses
« Plinthures », des pastiches
de peintures exécutés à la
manière des grands peintres
qui ont marqué l’histoire de
l’art. Il mènera cette entreprise
de « falsification » de l’art sous
différentes formes,
accompagnant parfois ses
toiles de fausses biographies
► Jacques Charlier, détail de Peintures-Schilderijen,
ensemble de 15 peintures accompagné de 15 étiquettes ou de critiques fictives. Des
biographiques, 1988, acrylique sur toile, collection de la photographies de
Communauté française de Belgique. vernissages (1975-78) à ses
sculptures de ronds-points
(2004), l’ensemble de son
travail s’inscrit volontairement
en dehors des normes établies
ou des effets de mode.

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L’œuvre : Les œuvres de Jacques Charlier évoquent l’histoire de l’art, les divers
styles qui l’ont traversée et la façon dont le public et la critique ont perçu l’art au fil du
temps. Pour ne pas être identifié à un style ou une technique en particulier, il a
décidé de tous les utiliser. Avec humour, l’artiste revisite les différents mouvements
en démontrant qu’entre les originaux et les copies, il y a parfois de meilleures
copies. A la rigueur scientifique, Jacques Charlier répond par l’ironie en se
transformant en mystificateur de talent. Les 15 peintures qu’il présente appartiennent
à différentes mouvances, plutôt abstraites. Pour mieux duper son public, les tableaux
sont accompagnés de faux cartels et de notices biographiques fictives. L’œuvre - qui
a réussi à tromper des spécialistes - se présente comme un parfait trompe-l’œil du
dispositif muséal. Dans d’autres travaux, Jacques Charlier pousse le subterfuge
encore plus loin en rédigeant des critiques de faux journalistes. Dévoilant volontiers
sa capacité à maîtriser les différentes techniques, Charlier se moque des grandes
tendances artistiques. En s’affichant volontairement à contre-courant de l’art
d’aujourd’hui, il reste finalement indémodable.

L’artiste : Bertrand Lavier (Châtillon-sur-Seine (Côte d’Or), France – 1949)

Diplômé de l’école
nationale d’horticulture
de Versailles, Bertrand
Lavier s’initie à l’art en
autodidacte. Il expose
depuis le début des
années 1970. Dans un
esprit qui rappelle l’art
de Marcel Duchamp*
ou des Nouveaux
Réalistes*, Bertrand
Lavier reconsidère le
statut de l’œuvre d’art,
sa fonction et sa place
dans l’environnement
public et privé. ► Bertrand Lavier
Pacific Blue Picasso, 2005
100 x 113 x 15 cm
courtesy Bertrand Lavier, Yvon Lambert
© SABAM Belgium 2009

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L’œuvre : Ce travail ironique joue sur le nom Picasso et rappelle la série des « objets
peints » dans laquelle l’artiste recouvrait de peinture des objets du quotidien. Ceux-
ci restaient utilisables mais étaient également investis d’une autre identité. A la fois
objets usuels et objets d’art, leur statut devenait ainsi plutôt ambigu. L’œuvre
« Oriental Blue » comporte en plus une signature du nom du célèbre peintre ou …de
la voiture française qui s’en est inspirée. Car il s’agit bien d’une aile de voiture
Citroën Picasso. L’aile est repeinte en bleu avec de larges aplats visibles. Dans cette
opération de détournement, l’artiste ironise sur le statut de l’œuvre d’art en faisant le
lien entre art et commerce, entre le caractère unique des peintures de Picasso et
celui industriel de la voiture, vendue en série. Il s’agit une fois encore de créer une
œuvre hybride qui n’entre dans aucune classification.
L’artiste interroge ainsi la notion d’identité, quelle qu’elle soit (culturelle, langagière,
etc.) avec la même préoccupation de neutralité.

L’artiste : Sherrie Levine (Hazelton, (Pennsylvanie), Etats-Unis –1947).

Artiste conceptuelle américaine,


Sherrie Levine est associée au
mouvement Simulationniste*. Sa
démarche pose la question de la fin du
modernisme et se réclame a posteriori
des théories de Jean Baudrillard* sur la
réalité et son simulacre. En 1981, lors
de son exposition personnelle à la
Metro Picture Gallery de New York,
Sherrie Levine attire l’attention des
critiques en présentant After Walker
Evans, une série de clichés re-
photographiés d’après ceux d’Evans.
Toujours sur le principe de la copie,
Sherrie Levine réinterprète les œuvres
célèbres de l’histoire de l’art qu’elle
reproduit selon des techniques
diverses comme l’aquarelle, la
lithographie ou la photographie.

► Sherrie Levine
After Matisse, 1985
Gouache sur papier, 35 x 28 cm
Collection FRAC Poitou-Charentes, France
© photo : Christian Vignaud

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L’œuvre : En citant nommément l’artiste qu’elle copie, Sherrie Levine exprime sa
dette envers son prédécesseur. Le « After » de ses titres n’est pas seulement à
comprendre comme une référence au créateur dont elle s’inspire (d’après tel artiste).
Il implique aussi la notion de temps. Après Degas et Cézanne, il y a autre chose.
Pour beaucoup d’artistes postmodernes, le concept d’originalité n’existe plus. Les
artistes que Levine copie ont été eux-mêmes inspirés par d’autres avant eux.
L’histoire de l’art est ainsi vue comme une interprétation de l’art du passé. En
reproduisant une œuvre, l’artiste américaine vise à interpeller le public face à la
question de la création. Elle revient aussi sur le fait que l’histoire de l’art a laissé très
peu de noms féminins à la postérité. En se réappropriant les œuvres d’artistes
masculins, Sherrie Levine offre ainsi une relecture féministe de l’histoire de l’art. Le
fait de travailler selon le principe de la copie remet en question la notion d’auteur,
celle de l’authenticité ou du statut unique de l’œuvre d’art. Sherrie Levine produit
également des copies de tableaux connus dans une technique qui diffère de
l’original. Elle a également réalisé des séries à la « manière de » en récupérant un
style ou un procédé bien précis, cette fois sans faire référence à un artiste en
particulier.

Définitions

Anamorphose : Transformation, par un procédé optique ou géométrique, d’un objet


que l’on rend méconnaissable, mais dont la figure initiale est restituée par un miroir
courbe ou par un examen hors du plan de la transformation (Petit Robert).

Jean Baudrillard : Philosophe et sociologue français né en 1929 à Reims et décédé


en 2007 à Paris. Jean Baudrillard est considéré comme l’un des théoriciens de la
postmodernité. Germaniste de formation, il publie son premier ouvrage théorique, Le
Système des objets en 1968. Baudrillard s’est notamment distingué par sa critique
des médias et d’une société du paraître où tout n’est qu’apparences. Il signe
plusieurs œuvres controversées dont La Société de consommation (1970),
Simulacres et simulation (1981) ou Amérique (1997).

CAP (Cercle d’Art Prospectif) : Le Cercle d’Art Prospectif est fondé en 1972 par
Jacques Lennep qui jette les bases d’un art relationnel. Influencés par « L’œuvre
ouverte » d’Umberto Eco, les artistes (Pierre Courtois, Jacques Lizène, Jacques-
Louis Nyst, Jean-Pierre Ransonnet, etc ) définiront un travail polymorphe, qui repose
sur le principe de l’échange, de la rencontre et de l’utilisation des nouveaux-médias.

Hyperréalisme : Mouvement pictural né dans les années 1970 qui regroupe plusieurs
artistes, principalement américains (Chuck Close, Richard Estes, Ralph Goings… ).
Les artistes hyperréalistes prônent une restitution exemplaire de la réalité. La plupart
d’entre eux travaillent d’après photographie en projetant directement l’image sur la
toile. Parmi les hyperréalistes, on compte également des sculpteurs comme Duane
Hanson ou John De Andrea. Ceux-ci réalisent des sculptures humaines en résine au
mimétisme frappant.

Jorge Luis Borges : Ecrivain et poète argentin né en 1899 à Buenos Aires et décédé
en 1986 à Genève. Précoce, Jorge Luis Borges commence à écrire à l’âge de 7 ans
et traduit « Le Prince heureux » d’Oscar Wilde deux ans plus tard. Parmi ses
14
publications les plus connues figurent notamment Fictions (1944), L’Aleph ( 1949) ou
Le Livre de Sable (1975). Essayiste de talent et amateur de voyages, Jorge Luis
Borges a laissé une œuvre particulièrement riche dans laquelle revient de manière
récurrente le motif du miroir et du labyrinthe. Il est considéré comme l’un des
représentants du réalisme magique (productions dans lesquels des événements
magiques font irruption dans la réalité) en littérature.

Marcel Broodthaers : artiste belge né en 1924 à Bruxelles et décédé en 1976 à


Cologne. Peu connu de son vivant, Marcel Broodthaers est aujourd’hui considéré
comme un des artistes les plus innovants de sa génération. D’abord poète,
Broodthaers décide à 40 ans de changer de métier et coule ses recueils de poésie
dans le plâtre. Cet objet devient sa première œuvre plastique, « Pense-bête » et
marque le début de sa carrière en tant que plasticien. L’œuvre de Marcel
Broodthaers interroge les mécanismes du langage et le rapport entre l’art et la
société. Auteur de vidéos, installations, peintures, Marcel Broodthaers s’intéresse
aussi aux échanges entre les institutions muséales et le public. En 1968, il ouvre,
chez lui à Bruxelles, un musée fictif, le Musée d’Art moderne (Section XIXe siècle)
Département des Aigles.

Marcel Duchamp : artiste français né en 1887 à Blainville-Crevon, Seine-Maritime et


décédé en 1968 à Neuilly-sur-Seine, Hauts-de-Seine. L’art de Marcel Duchamp a
marqué de façon définitive l’art du 20ème siècle en annonçant les prémices d’un art
conceptuel (l’idée prime sur le savoir-faire et la réalisation de l’objet). Vers 1913-
1915, il propose ses premiers ready-made, des objets tout faits (Un porte-bouteilles,
une roue de bicyclette, un urinoir signé de son nom et qu’il présente retourné) qu’il
tient à faire entrer au musée. Intéressé par le mouvement, la psychanalyse et les
échecs, il s’essaie également au cinéma expérimental. Sa réflexion sur l’art donnera
des œuvres complexes comme « La Mariée mise à nu par ses célibataires même ».
Marcel Duchamp a traversé plusieurs mouvements (cubisme, dadaïsme,
surréalisme, etc) sans jamais pouvoir être classé dans aucun d’eux.

Mimesis : du grec, Mimêsis, imitation. Terme tiré de la poétique d'Aristote et qui


définit l'œuvre d'art comme une imitation du monde tout en obéissant à des
conventions (Larousse).

Nouveaux-réalistes : Le 27 octobre 1960, le critique français Pierre Restany et le


peintre Yves Klein fonde le groupe des Nouveaux-Réalistes par une déclaration
commune. Celle-ci est signée par plusieurs artistes français et suisses dont Yves
Klein lui-même et aussi Arman, François Dufrêne, Raymond Hains, Martial Raysse,
Daniel Spoerri, Jean Tinguely et Jacques Villeglé.
Christo, César, Gérard Deschamps, Mimmo Rotella et Nikki de Saint-Phalle
viendront rejoindre le groupe par la suite. Le mouvement vise à se libérer du lyrisme
de l’art abstrait afin de revenir au réel en optant pour l’appropriation et l’utilisation de
déchet. Il se définit comme un « recyclage poétique du réel urbain, industriel,
publicitaire ». Sous une vision commune, les artistes du mouvement pratiquent des
techniques d’expression bien différentes. On retrouve les accumulations d’Arman, les
compressions de César, les emballages de Christo, etc. Les activités du collectif se
poursuivent jusque dans les années 1970.

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Perspective : Art de représenter les objets sur une surface plane, de telle sorte que
leur représentation coïncide avec la perception visuelle qu’on peut en avoir, compte
tenu de leur position dans l’espace par rapport à l’œil de l’observateur (Petit Robert).

Simulacre : 1. Image, idole. 2. littér. Apparence sensible qui se donne pour une
réalité > fantôme, illusion, semblant. Un simulacre de procès > parodie. « Ce combat
n’est plus que comme un simulacre de bataille » Gide. 3. Objet qui en imite un autre
(Petit Robert).

Simulationnisme : Ce terme fait suite à l’exposition « Pictures » (Artists Space, New


York) dans laquelle les plasticiens se réappropriaient des œuvres existantes en
dessinant dessus. On parle aussi d’ « Appropriation Art » à propos d’artistes comme
Louise Lawler, Sherrie Levine, David Salle, Robert Longo, etc qui utilisent
l’appropriation d’éléments existants. Leur travail se rapproche des théories exposées
par Jean Baudrillard dans « Simulacres et simulation ».

Trompe-l’œil : 1/ Peinture visant essentiellement à créer, par des artifices de


perspective, l’illusion d’objets réels en relief. 2/ Apparence trompeuse, chose qui fait
illusion (Petit Robert).

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