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L’AFEST :
CADRAGES ET DÉBORDEMENTS
LECTURES
AGENDA
N°
227
Directeur de la publication
Guy Jobert
Responsable éditorial
Daniel Wilk
Comité scientifique
Anni Borzeix (sociologie) • Jean-Paul Bronckart (sciences de l’éducation) • Rui
Canario (sciences de l’éducation) • Yves Clot (psychologie du travail) • François
Daniellou (ergonomie) • Marc Durand (sciences de l’éducation) • François Hubault
(ergonomie) • Marianne Lacomblez (psychologie du travail) • Françoise F.-Laot
(sciences de l’éducation et de la formation) • Leda Leal Ferreira (ergonomie) •
Christian Le Gall du Tertre (sciences économiques) • Olivier Liaroutzos (sociologie)
• Patrick Mayen (sciences de l’éducation et de la formation) • Jean-Claude
Moisdon (sciences de gestion) • Sylvie Montreuil (sciences sociales) • Paul Olry
(sciences de l’éducation et de la formation) • Alessandra Rè (ergonomie) • Bernard
Prot (psychologie du travail) • Patricia Remoussenard (sciences de l’éducation et de
la formation) • Pascal Roquet (sciences de l’éducation et de la formation) • Marcelle
Stroobants (sociologie) • Catherine Teiger (ergonomie) • Yves Schwartz (philo-
sophie) • Pascal Ughetto (sociologie) • Pierre Vermersch (psychologie) • Philippe
Zarifian (sociologie).
Comité de rédaction
Jean Besançon • Emmanuelle Betton • Damien Brochier • Fanny Chrétien •
Cédric Fluckiger • Stéphanie Guibert • Guy Jobert • Corinne Lespessailles •
Dominique Massoni • Michel Parlier • Paul Santelmann • David Rivoire • Joris
Thievenaz • Anne-Lise Ulmann • Sandrine Vincent.
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EDUCATION PERMANENTE
est publiée en partenariat avec le cnam
SOMMAIRE
N° 227 / 2021-2
D O S S I E R
L’AFEST :
CADRAGES ET DÉBORDEMENTS
sous la direction d’Emmanuelle Begon et Laurent Duclos
5 Éditorial
13 Le développement des compétences, c’est d’abord l’affaire
du chef d’entreprise
Matthieu Charnelet
21 Intentions et attentions pour développer une culture d’accompagnateur
en AFEST
Emmanuelle Begon, Yvon Minvielle
33 Régime juridique de l’AFEST : une nouvelle image du droit
de la compétence
Laurent Duclos, Jean-Yves Kerbourc’h
51 De l’expérimentation à la généralisation : les AFEST au milieu du gué ?
Salima Rairi, Anne-Lise Ulmann
63 La place du financeur dans l’essor de l’AFEST
Mathieu Carrier
73 L’AFEST dans la branche des services de l’automobile
Marie-Hélène Delobbe
83 Travail et formation : un accord retrouvé autour de la FEST ?
Catherine Bissey
93 La formation en situation de travail, substrat possible de la coopération ?
Une expérience en service d’urgence
Théophile Bastide
103 Une ingénierie pédagogique et politique pour pérenniser
les dispositifs de formation
Sophie Aubert
115 Le pouvoir de l’éprouvé et les limites d’un process expérimental
Céline Rössli, Olivia Berthelot
125 Quelles intentions et quelles méthodes pour les AFEST ?
Paul Santelmann
137 Trans’Faire, ou le transfert des savoir-faire chez Thales
Catherine Bacarrère
139 Les AFEST, véhicules de l’amélioration des conditions de travail
Fabienne Caser
151 La situation de travail : antidote aux écueils de la compétence
Sandra Enlart
161 L’AFEST comme hypothèse de réingénierie de la fonction
accompagnement à la création d’entreprise
Solveig Grimault
177 Activer l’investissement formation en attendant une nouvelle
«révolution » comptable
Jean-Claude Dupuis
189 Apprendre à agir comme on le fait : un déjà-là travaillé en formation
Elsa Bonal
201 Résumés / Abstracts
1971
2021
CINQUANTENAIRE DE LA LOI DE 1971
227 Lectures
235 Agenda
239 Bulletin d’abonnement
M E R C I A U X É VA L UA T E U R S
Le comité de rédaction remercie l’ensemble des experts qui acceptent d’évaluer les
articles reçus à Education permanente. Leurs remarques et leurs conseils sont précieux
pour aider les auteurs à améliorer leur écrit, contribuant ainsi à maintenir la rigueur
et la qualité éditoriales que requiert une revue de référence.
ÉDITORIAL
Monsieur Jourdain : Quoi ? quand je dis : « Nicole, apportez-moi mes pantoufles,
et me donnez mon bonnet de nuit », c’est de la prose ?
Maître de philosophie : Oui, Monsieur.
Monsieur Jourdain : Par ma foi ! il y a plus de quarante ans que je dis de la prose
sans que j’en susse rien...
Molière, Le Bourgeois gentilhomme, acte II, scène IV.
5
Depuis le n° 100, « Apprendre par l’expérience », paru en 1989, ou le n° 112
consacré à « L’organisation qualifiante1 », paru en 1992, Éducation permanente a
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régulièrement consacré des dossiers thématiques à la question des apprentissages en
situation de travail. Ces dernières années, pas moins de quatre parutions ont été
l’occasion de documenter ce champ d’études2. Les autres revues considérées
comme référentes dans le champ des recherches en sciences de l’éducation par le
EDUCATION PERMANENTE
HCERES ne sont pas en reste sur la question.
Des différences de focale ou d’objet marquent sans doute ces publications :
l’éducation permanente ; les apprentissages ; la formation ; les pédagogies/andra-
gogies incluant notamment la critique du schéma hylémorphique et de l’idéologie
transmissive à la base des systèmes d’enseignement ; la situation de travail ; l’en-
treprise ou l’organisation « apprenante », etc. Ces « entrées » sont souvent la résul-
tante de partages disciplinaires, qu’il s’agisse des préoccupations propres à la
psychologie du développement en pédagogie active, des usages en formation de la
didactique professionnelle, de la clinique de l’activité, de l’ergonomie cognitive ou
de la sociologie du travail. Mais on peut se demander si ces développements n’ont
1. Coordonné notamment par Fabienne Berton dans les suites d’une recherche collective relative aux formations en
situation de travail menée au CNAM dans une dizaine d’entreprises. Cf. Berton (1994) « Situations de travail et
nouvelles formes de formation ou l’injonction d’ingéniosité », colloque « L’ingéniosité au travail », Bicentenaire
du CNAM, p. 41-74, et Berton (1992), « Le travail peut-il être formateur », Bref-Céreq, n° 79.
2. « Formation expérientielle et intelligence en action » (n° 198, 2014) ; « Autour de l’apprenance » (n° 207, 2016) ;
« Analyses du travail et intentions formatives » (hors-série, 2017) ; « Apprendre et se former en situations de
travail » (n° 216, 2018).
Éditorial
pas surtout constitué un « enjeu pour la recherche3 », et n’ont pas conservé de ce fait
un statut purement expérimental, un peu confidentiel, en dépit des efforts déployés
par des institutions en prise avec les acteurs économiques pour diffuser la « bonne
pratique4 ».
Soucieuse de promouvoir l’analyse du travail pour la formation, la didactique
professionnelle avait considéré que la mise en situation était une phase privilégiée
pour l’acquisition non seulement d’un « savoir y faire » mais d’un savoir tout court ;
elle avait permis de faire « reconnaître une continuité profonde entre agir et appren-
dre de et dans son activité5 ». Ce « résultat » n’a pas empêché les acteurs de la
formation professionnelle de continuer à opposer une résistance nourrie à la super-
position entre acte formatif et acte productif 6, ou au contraire à confondre les deux,
notamment les défenseurs de « l’idée professionnaliste ».
3. J.-M. Barbier, « Un nouvel enjeu pour la recherche en formation : entrer par l’activité », Savoirs, n° 33, 2013,
p. 9-22.
4. Par exemple : P. Conjard et B. Devin, Acquérir et transmettre des compétences : et si on se formait au travail ?
(ANACT, 2009) ; P. Fotius et S. Pagès, « Apprentissage en situation de travail », Entreprise et personnel Pratiques,
2013, n° 314.
5. P. Pastré, P. Mayen P. et G. Vergnaud, « La didactique professionnelle », Revue française de pédagogie, n° 154,
2006, p. 145-146.
6. G. Jobert, « Les formateurs et le travail : chronique d’une relation malheureuse », Éducation permanente, n° 116,
1993, p. 10.
7. I. Stengers, Réactiver le sens commun. Lecture de Whitehead en temps de débâcle, Paris, Les empêcheurs de
penser en rond-La Découverte, 2020, p. 35 et 56.
Éditorial
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L’AFEST n’est plus un simple problème de pédagogie, dont l’acuité et la
« résolution » seraient révélées au monde par les seuls experts (des sciences) de
l’éducation, relayés par le législateur. Le cadre de l’AFEST nous amène notamment
à prendre au sérieux les problèmes que pose aux intervenants le milieu de la produc-
EDUCATION PERMANENTE
tion – désormais associé à la formation formelle –, pour son développement, en
termes de ressources d’ingénierie et de fonction conseil (Emmanuelle Begon et
Yvon Minvielle, dans ce dossier). Il les force à accepter un certain niveau d’incerti-
tude dans la simple perspective de pouvoir faire aboutir les choses (Théophile
Bastide, Céline Rössli et Olivia Berthelot). La mise en œuvre d’AFEST aux « bon-
nes propriétés » invite en effet à reconsidérer l’ensemble de la chaîne de réalisation
d’une action de formation, ce qui ne va pas et n’ira pas sans bousculer les identités
d’action de l’ensemble de acteurs, à commencer par les entreprises ou les opéra-
teurs de compétences (OPCO). On remarquera que le présent dossier ne fait pas
8. Continuing Vocational Training Survey (CVTS). Cf. A Checcaglini et I. Marion-Vernoux, « Regards comparatifs
sur la formation en Europe », Bref Céreq, n° 392, 2020. La formation en situation de travail au sens de l’enquête
CVTS [Manuel CVTS, définition n°16] a sans doute un périmètre plus large que l’AFEST au sens de l’article D.
6313-3-2 du Code du travail.
9. Au temps de l’imputation, les pratiques de formations en situation de travail sont longtemps restées « invisibles ».
Cf. E. Serfaty et E. Delame, « Les formations non déclarées : complément ou alternative aux formations décla-
rées ? », Formation emploi, n° 34, 1991, p. 63-72.
10. G. Paillotin et al., « Recherche confinée et recherche de plein air », Journal de l’école de Paris du management,
2003, p.7-14.
Éditorial
« parler » les organismes de formation ; il n’est pas certain d’ailleurs qu’ils soient
les plus menacés par des changements susceptibles de les repositionner sur un
segment d’intervention à haute valeur ajoutée. Il fait droit plutôt à l’expression
d’une « expertise interactionnelle » à l’articulation de plusieurs systèmes d’action,
y compris les OPCO (sur les problématiques d’intervention et de « tiercéisation
AFEST », voir les contributions d’Emmanuelle Begon et Yvon Minvielle, Salima Rairi
et Anne-Lise Ulmann, Céline Rössli et Olivia Berthelot).
Si l’AFEST intéresse bien évidemment la pédagogie, elle devient rapidement,
du fait du milieu associé au développement des formations en situation de travail,
une affaire de management et d’organisation. Ce faisant, elle interroge les modèles
économiques, ceux des entreprises comme ceux des intermédiaires et/ou des pres-
tataires, tout au long d’une « chaîne de valeur ». Au long de cette chaîne, l’AFEST
engendre inévitablement des batailles institutionnelles, sous couvert parfois d’im-
partialité juridique. Les querelles d’interprétation visant les seules dispositions du
décret AFEST ne sauraient, à elles seules, prétendre embrasser ces dimensions, ni
produire un « bel alignement » de l’ensemble des acteurs intéressés. Il faudrait, à
l’inverse, profiter de ce moment particulier de déploiement des AFEST pour en
8 apprendre un peu plus, ou pour savoir un peu mieux, en marchant, ce qu’il en est
des problèmes posés dans la vraie vie par la « nouvelle » alliance du travail et de la
formation qui vient d’être consacrée par le droit de la formation professionnelle.
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l’acronyme AFEST, exprimant son accès au statut d’action de formation avec toute
conséquence de droit, n’a pas transformé simultanément le « système » et la prati-
que des « acteurs », notamment les différentes instances du financement (la loi de
2018 n’a fait que proclamer l’« investissement formation » dans la pratique des
entreprises). Entre cette « dépendance au sentier » (path dependency) et les chemins
de traverse qu’elle est amenée à emprunter, l’AFEST doit encore frayer sa voie. Le
déploiement des AFEST est d’emblée menacé par plusieurs « mal-entendus ».
D’abord une méprise sur le statut du droit : l’article D. 6313-3-2 du Code du
travail n’est peut-être pas le cadre ou le script impératif qu’il semble être. Il est
possible qu’il ne détermine pas un modèle à réaliser socialement ni ne trace une
limite, mais qu’il constitue plutôt un simple « seuil » pour la qualification d’action
de formation. Si l’AFEST est désormais entrée dans le droit positif, son « régime
juridique » propre reste à découvrir (Laurent Duclos et Jean-Yves Kerbourc’h).
Ensuite un fantasme, celui d’envisager les AFEST comme autant de « scripts
d’exécution » au sein d’un système organisé de l’entreprise permettant à certaines
fonctionnalités d’opérer sans trop encombrer un fonctionnement d’ensemble. Le
risque serait alors que l’AFEST devienne un « dispositif » clos sur lui-même, per-
Éditorial
mettant de concevoir, en tant que « livrable », des prestations dédiées à l’« implé-
mentation » d’un standard rassurant de « bonne pratique » figée par l’inventaire
d’invariants homologués.
Enfin le fantasme inverse, présent dans certains essais in vivo en clinique de
l’activité, celui de rendre la formation en situation coextensive à l’ensemble de l’en-
treprise, avec tous les risques de réflexivité infinie ou de mise en abîme afférents.
Entre ces deux pôles, se dessinent notamment la marge d’intervention des tiers, les
processus d’accommodation et les accommodements dans lesquels ils sont engagés.
Il conviendrait, dans tous les cas, d’encourager les acteurs à bricoler leurs pro-
pres AFEST – ainsi qu’avaient pu le faire les expérimentateurs11 – au gré des négo-
ciations avec les environnements qui sont les leurs (Marie-Hélène Delobbe,
Catherine Bacarrère). Il faudrait qu’ils acceptent alors la réalisation, dans la durée,
des apprentissages nécessaires au dépassement de ce qui pourrait apparaître comme
une « contrainte » imposée par le législateur, mais qui n’est en réalité qu’une
« condition » à l’existence des AFEST. C’est à ces tâtonnements, dans les domaines
où manifestement « ça coince », qu’est consacré le présent dossier.
Pour caractériser de tels processus, Michel Callon12 avait élevé au rang de
concept la notion de cadrage-débordement (framing vs overflowing). Cadrer une 9
interaction, par du droit, par une organisation, permet de délimiter une scène – ainsi
de la scène aménagée pour l’action de formation –, de mettre entre parenthèses la
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rumeur du « monde extérieur », sans pour autant couper l’action de toute connexion
avec cet « extérieur ». Alors que, dans les travaux d’Erving Goffman, le cadre repré-
sente la norme et les débordements une « anomalie », Callon montre à l’inverse que
tout cadrage porte en lui la possibilité, voire des opportunités, de débordements, qui
EDUCATION PERMANENTE
témoignent déjà que les process ou les identités d’action ne sont pas encore stabi-
lisés, mais qui permettent surtout de donner du sens à des changements en cours.
Dans son approche, les débordements deviennent plutôt la norme lorsque l’histoire
« se réchauffe », comme aurait dit Lévi-Strauss, des « moments forts » de relance
de l’expérience collective, en même temps qu’ils appellent à retravailler continû-
ment les cadres permettant à cette expérience de produire des effets utiles.
Les débordements peuvent avoir deux sources distinctes, et d’ailleurs
contraires.
Dans un premier cas, on peut observer que les AFEST peuvent être amenées à
« expandre » leur propriétés pour ouvrir, par contiguité ou analogie, un champ des
possibles. Cela étant, on peut considérer qu’elles sont déjà l’« extension instru-
mentée d’une fonction sociale potentiellement présente dans nombre d’entre-
11. F. Caser et al. (dir. publ.), Expérimentation relative aux actions de formation en situation de travail (AFEST),
Rapport final, ANACT-CNEFOP-COPANEF-DGEFP-FPSPP, juillet 2018.
12. M. Callon, « La sociologie peut-elle enrichir l’analyse économique des externalités ? Essai sur la notion de
cadrage-débordement », dans : D. Foray et J. Mairesse (dir. publ.), Innovations et performances, Paris, Éditions
de l’EHESS, 1999, p. 399-431
Éditorial
prises » (Paul Santelmann). Dès lors qu’elles auraient pour propriété de rendre le
travail et son organisation visibles, les AFEST pourraient ainsi devenir un aiguillon
– et pourquoi pas un raccourci inattendu – sur le chemin de la qualité de vie au
travail (QVT) à l’échelle des communautés de travail, celui du dialogue social et/ou
de la RSE (Fabienne Caser).
Les AFEST deviennent à l’occasion « une affaire d’entreprise ». Lorsque le
management choisit d’y recourir, il s’intéresse normalement aux conditions de
faisabilité de l’action, mais aussi aux conditions d’efficacité qui tiennent à la façon
dont l’AFEST peut être articulée à un environnement pour produire les effets
attendus en termes de développement des compétences. L’AFEST devenant l’objet
d’une gestion délibérée, l’unité d’action et de pensée est moins l’action de forma-
tion en elle-même que l’agencement (organisationnel) au sein duquel elle gagne un
authentique statut de variable. À mesure qu’elle intéresse directement l’organisation
de la production – qui la rend ou non possible –, la formation détermine alors, au-
delà même des « situations d’apprentissage », de véritables « situations de gestion »
permettant de dépasser, la contrainte qu’on pourrait habituellement y voir (« c’est
compliqué », « c’est cher », etc.), comme constituant les prémices de son intégra-
10 tion à la stratégie de l’entreprise (Matthieu Charnelet, Sophie Aubert). La façon
dont l’entreprise équipe de manière pratique ces situations de gestion peut alors
donner corps à l’idée d’investissement formation, en-deçà des aspects comptables
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13. L. Duclos, « Les actions de formation en situation de travail : une source d’inspiration pour la pédagogie de l’alter-
nance », Administration et éducation, n° 161, 2019, p. 55-58 ; G. Malglaive, « Alternance et compétences »,
Cahiers pédagogiques, n° 320, 1994, p. 26-28. Concernant les stages, voir M. Villette, « Le stage en entreprise
peut-il devenir un programme d’apprentissage fort ? », Recherche et formation, n° 29, 1998, p. 95-107.
Éditorial
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l’action, et formalisme excessif et imposé, incitant paradoxalement – dans un
nouveau débordement, négatif pour le coup – à jouer les apparences contre l’effi-
cacité. Pensée en termes d’agencement et d’articulations plutôt qu’en termes d’ac-
tion ponctuelle, l’AFEST aurait, à l’inverse et en tout point, une dimension dia-
EDUCATION PERMANENTE
logique, processuelle et adaptative. Plus que sur un formalisme de nature adminis-
tratif, le plus souvent polarisé par la question des financements « extérieurs15 »,
l’AFEST repose à l’évidence sur l’usage de formules, c’est-à-dire de « petites
formes », puisant dans chaque configuration de mise en œuvre un nouveau sens
contextuel. À cet égard, l’exigence principale logée dans la réglementation serait,
en la matière, de simplement « dire ce que l’on fait », et pourquoi, dans et pour les
besoins de la configuration en question (Laurent Duclos et Jean-Yves Kerbourc’h).
On peut d’ailleurs rappeler que les pratiques de gestion les mieux équipées ont
toujours ce souci narratif : on ne comptera rien qui vaille si l’on ne sait pas raconter
et donc justifier d’une approche ou d’une stratégie (Jean-Claude Dupuis), comme
dans la notion de « qualcul » proposée par Cochoy16.
14. Gilbert Simondon utilise le terme « concrétisation » dans son sens étymologique (qui croît ensemble) : la formalité
concrète serait celle qui permet d’articuler les éléments disparates essentiels à l’agencement d’une AFEST.
15. On oublie souvent que l’entreprise est et restera le premier financeur de l’AFEST, rôle qu’elle acceptera d’autant
mieux qu’elle pourra éprouver que cette modalité d’action lui permet de réduire le coût d’acquisition d’une
compétence.
16. F. Cochoy, Une sociologie du packaging, ou l’âne de Buridan face au marché, Paris, Puf, 2002.
Éditorial
C’est de ces quelques débordements que les auteurs du présent numéro s’ef-
forcent de faire le compte et de rendre compte. L’interprétation de ces déborde-
ments pourra permettre de mieux comprendre ce qu’est une AFEST – et d’ailleurs
quand « commence » une AFEST en termes d’ingénierie notamment – en vue de re-
combiner la trame (reframing) dans laquelle elle puisera un surcroît d’efficacité. u
12
n° 227/2021-2
EDUCATION PERMANENTE
MATTHIEU CHARNELET
J’ai créé notre organisme de formation avant tout pour répondre à un senti-
ment de frustration. À l’époque, je faisais le constat que le système de la formation
professionnelle générait chez moi, chef d’entreprise, une grande insatisfaction. Je 13
voyais d’un côté le montant de mes cotisations, et d’un autre les difficultés à orga-
niser les formations et la piètre qualité des prestations que j’achetais. La demande
n° 227/2021-2
de financement était d’une complexité infinie et, au final, les équipes faisaient un
retour insatisfaisant...
La situation suivante a été la goutte d’eau de trop. Une équipe est partie en
formation « gestes et postures » en vue de prévenir les accidents du travail liés au
EdUCAtiON PErmANENtE
fait que les personnes manutentionnent des personnes âgées. Je choisis un opéra-
teur référencé par mon OPCO. Elles reviennent en disant : « C’était super, on a eu
du café, des pains au chocolat, la présentation était bien. Par contre, c’était un peu
théorique. » Elles avaient eu deux jours de PowerPoint ! Notre besoin est qu’elles
sachent lever une personne d’un fauteuil, l’aider à se mobiliser dans un lit, passer
du lit au fauteuil et du fauteuil au lit en utilisant un lève-malade... Pour apprendre,
il faut manipuler !
Au sentiment de frustration s’ajoutait celui d’être exclu d’un système admi-
nistré par des gens qui décident pour les autres, en même temps qu’un désir de
rébellion contre un système extrêmement doté financièrement. Qui est donc cette
dame de la région qui me dit ce qu’il est important pour moi de faire ou de ne pas
faire ? Comment le sait-elle ? Que connaît l’OPCO de notre métier ?
MATTHIEU CHARNELET, dirigeant fondateur de La main de Jeanne, entreprise de service à la personne basée à Béziers,
spécialisée dans l’accompagnement des personnes dépendantes (matthieu.charnelet@lamaindejeanne.fr).
Propos recueillis et mis en forme par Emmanuelle Begon.
matthieu charnelet
rités définies par les accords de branche, voilà les organismes sélectionnés pour
vous », ou de la région qui décide de faire ceci plutôt que cela... Or, en tant qu’en-
trepreneur, cela est avant tout mon problème. C’est aussi celui du salarié qui
rencontre des difficultés sur le terrain. Quand, en 2015, je prends conscience de
EdUCAtiON PErmANENtE
tout cela, je me dis : « il nous faut maîtriser mieux ce que nous faisons, savoir de
quoi on parle, ne pas compter que sur les autres. retroussons nos manches ! »
Voilà ce qui est à l’origine de la création de notre organisme de formation.
Je crée une société, j’embauche un formateur qui était un équipier, on rédige
un catalogue de formation, on développe des modules qu’on va prester pour mon
entreprise de service à la personne puis, progressivement, pour d’autres structures.
On conçoit notamment une formation sur la maladie d’Alzheimer, à partir des
éléments de savoir à transmettre, en veillant à en dire suffisamment mais pas trop.
On oriente le contenu sur la pratique : comment, en tant qu’auxiliaire de vie, gérer
telle ou telle situation (face à une personne agressive, ou qui refuse de s’ali-
menter...). On part de ce qui nous semble être le plus important pour les équipes
de terrain, des situations problématiques qu’elles font remonter lors de moments
de coordination et d’échange. À partir des difficultés rencontrées, nous avons
conçu un contenu que nous avons ensuite testé pour l’améliorer. Le formateur,
reconnu comme expert et excellent praticien, mettait les équipes en échanges,
proposait des clés, et la personne réagissait.
matthieu charnelet
Nous avons ainsi amélioré les contenus en faisant du sur-mesure, à partir d’expé-
riences de terrain, de formations réalisées par des professionnels du service pour
des experts du secteur. mais ce faisant, nous avons ni plus ni moins créé un autre
prestataire de formation... Gérant des deux structures, nous avons également
simplifié la planification des formations : dans un métier en forte tension, il est
difficile de se rendre disponible. Nous avons adapté les plannings, les modules, les
jours de formation.
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ressources humaines ne sont pas une question de drH ou de consultant, c’est la
question du dirigeant d’entreprise.
En analysant certains échecs opérationnels, les consultants m’ont amené à me
dire que c’est à moi, entrepreneur, de prendre le sujet à bras-le-corps, et non pas
EdUCAtiON PErmANENtE
au système de formation professionnelle de s’en emparer. dans mon business
model, je me demande : « Qui est le client ? Quelles sont ses attentes ? » J’ai fait
le parallèle avec la formation : « Qui sont les clients de la formation profession-
nelle ? Le service formation de la région ? mon OPCO ? Les consultants ? Les
opérateurs ?... » il y a deux clients : le chef d’entreprise et la personne qui se
forme, pour son projet professionnel, dans un environnement professionnel, pour
se renforcer dans son activité ou pour en changer. Le chef d’entreprise est client
parce que l’entreprise a un projet stratégique, une ambition, qu’elle ne peut pas
atteindre sans développer des compétences.
Alors, pour améliorer la formation professionnelle, écoutons le client, ses
attentes, ses difficultés à l’organiser. En prenant le problème sous cet angle, on
écoute forcément les salariés. En tant qu’entrepreneur, je ne suis pas compétent en
développement des compétences. Le chef d’entreprise peut certes avoir une exper-
tise de base, mais il est très vite happé par la gestion, l’organisation, l’administratif,
le management... Le développement des compétences est un domaine technique et
complexe. Je suis client de la formation professionnelle mais je ne suis pas armé
matthieu charnelet
pour exprimer mon besoin. d’où mon constat de départ : je ne comprends pas donc
j’appelle mon OPCO... Quelque chose s’est passé lorsque nous avons commencé à
réfléchir à l’AFESt. Un des prérequis est que le chef d’entreprise s’intéresse au
détail, pose la question de savoir comment développer telle ou telle compétence,
dans un périmètre très précis. Par exemple, la première compétence que nous
avons choisi de développer se trouvait dans ma propre activité : la réalisation d’un
devis pour des personnes prises en charge par la Sécurité sociale. Une dizaine de
personnes dans mon entreprise devaient être en capacité de réaliser un tel devis.
Nous avons travaillé à décrire cette compétence et à nous demander comment
l’améliorer. C’était utile pour cette compétence et, en même temps, nous progres-
sions. L’AFESt nous fait nous améliorer, les salariés comme le chef d’entreprise.
Ce qui m’a frappé dans l’accompagnement vers l’AFESt, c’est qu’elle a pour vertu
de faire progresser le chef d’entreprise dans sa capacité à prendre en charge la
montée des compétences. En consacrant du temps aux compétences, le chef d’en-
treprise témoigne de son intérêt pour le cœur de métier de ses équipes. Ce qui valo-
rise leur travail puisque le chef s’y intéresse !
Pour éviter que de jeunes entreprises ferment dans les premières années, il
faudrait les rendre capables de franchir des paliers en termes de nombre de sala-
riés. Le chef d’entreprise doit être beaucoup plus accompagné dans sa partie
« développement des compétences ». Pour moi, le côté disruptif de l’AFESt
EdUCAtiON PErmANENtE
n° 227/2021-2
travaille à la fidélisation des équipes. Quand on se penche sur une personne qui
travaille, quand on s’intéresse à sa compétence, on s’intéresse à elle, cela crée une
relation tout à fait différente, valorisante. dans le service à la personne, la valori-
sation des métiers est un enjeu stratégique. Pour valoriser les métiers, il faut s’in-
EdUCAtiON PErmANENtE
téresser aux hommes et aux femmes qui le font. des salariés à qui je demandais de
me raconter leur activité m’ont répondu : « On est surpris que ça vous intéresse. »
Ça fait mal d’entendre ça. Avec l’AFESt, on entre dans une démarche d’écoute,
d’empathie. Entrer dans le détail d’un métier est un mécanisme très liant. Cela crée
de la fidélisation et de la motivation. Nous avons gardé d’excellentes aides-ména-
gères uniquement grâce à cela. Elles faisaient du ménage depuis quinze ans et elles
en avaient marre. En discutant avec elles de leur pratique, nous leur avons dit :
« Grâce à ce que tu fais et à ce que tu sais, tu peux nous aider à faire progresser les
pratiques et les conditions de travail. » dans un métier en tension de personnel,
chaque salarié fidélisé est une victoire.
dans la mise en place de notre première AFESt, nous avons eu un raté au
démarrage : j’ai délégué, je n’ai pas assez suivi, et ça n’a pas marché. Aujourd’hui,
je m’en charge personnellement. L’implication du dirigeant est essentielle. mais la
mise en place d’une AFESt nécessite d’avoir des plages de travail dédiées, pour
que l’expert métier prépare son module de formation et réfléchisse à la façon de
transmettre son savoir. Pour cela, il sera aidé du référent AFESt que nous avons
matthieu charnelet
formé à ce rôle pour qu’il soit en capacité de faire parler l’expert de sa pratique
professionnelle, de la décrire, de choisir les modalités de formation, d’organiser les
bons moments. La capacité à produire les modules de formation est l’une des prin-
cipales difficultés.
Avec l’AFESt, les organismes de formation vont certainement perdre une
partie de ce que leur procurait la vente de stages, mais ils ont une offre à déve-
lopper pour aider les entreprises à se former et à devenir autonomes. Chez nous, le
référent AFESt est un manager, qui a une réelle appétence pour la formation
professionnelle. Cette appétence est probablement un élément-clé. Certes, le chef
d’entreprise doit être mobilisé, mais il ne doit pas tromper de casting. Le référent
AFESt doit être motivé et avoir du temps (chez nous, 10 à 15% de son temps sont
dédiés à ce sujet). Quand on parle de formation professionnelle, la première chose
dont on parle, c’est d’argent. Nous avons tout fait sur nos fonds propres, sans
aucun financement. « Votre branche n’a pas statué sur les modalités de prise en
charge de l’AFESt, nous ne pouvons pas le financer », m’avait prévenu mon
OPCO. La plupart des chefs d’entreprise, s’ils ne sont pas aidés, s’arrêtent de réflé-
chir. Or la formation professionnelle est un investissement : pour être plus fort et
18 attirer des talents, il faut des personnes formées. il faut se donner des marges de
manœuvre. il faut financer les entreprises pour développer des AFESt, pour
qu’elles deviennent plus compétentes, et les déploient plus vite.
n° 227/2021-2
et à ceux de l’entreprise
Aujourd’hui, quand j’envoie des salariés se former à la prévention des risques
professionnels, j’achète une formation. L’OPCO finance les frais pédagogiques (un
prestataire à 800 euros la journée, pour huit stagiaires). Ça me coûte beaucoup plus
cher de payer le désordre que cela génère : la planification et le remplacement de
la personne. Le coût pédagogique est inférieur au coût de l’organisation de la
formation. Pourtant, le savoir-faire est stratégique pour mon entreprise. Quand je
demande à mes confrères pourquoi ils n’achètent pas de formation, ils n’évoquent
jamais le coût pédagogique. Le dilemme, c’est de dégager du temps pour que les
équipes puissent se former tout en assurant la continuité de service.
L’AFESt a raccourci le temps de formation. En situation de travail, on peut
être en production aménagée (on produit un devis à deux, mais au final le devis est
produit). On fait des choses plus courtes, en plus petit nombre – une personne face
à une autre ; c’est plus efficace, et en plus les personnes y prennent du plaisir. Au-
delà du développement de compétences, cela crée de la reconnaissance et du lien
entre les équipes.
matthieu charnelet
n° 227/2021-2
« client », et comment nous l’aidons. L’AFESt est disruptive parce qu’elle part de
là : du besoin de l’entreprise et de celui du salarié. u
EdUCAtiON PErmANENtE
EdUCAtiON PErmANENtE n° 227/2021-2
20
EMMANUELLE BEGON, YVON MINVIELLE
n° 227/2021-2
nouveau modèle d’intervention mais des caractéristiques d’action susceptibles de
« rafraîchir » le paradigme qui encadre l’accompagnement d’AFEST. Nous avons
identifié des intentions, des visées génératrices d’actions favorables au développe-
ment et à l’accompagnement des formations en situations de travail, et nous propo-
EduCATiON PErMANENTE
sons trois « dynamiques » utiles, selon nous, au déploiement d’une AFEST : bâtir
une intelligence collective en permettant aux personnes concernées de diagnosti-
quer et de développer elles-mêmes leur degré de complémentarité ; mener une
enquête sur le travail réel en animant deux types de discussions ; appréhender l’en-
treprise comme la matérialisation d’une compréhension collective de l’environne-
ment et d’une façon d’y agir, afin d’en faire fructifier les ressources.
Ces intentions, actions en devenir, trouvent leur potentiel dans une qualité
d’attention particulière. Nous mobilisons, pour la qualifier, trois apports du philo-
sophe François Jullien. Nous repérons d’abord la qualité d’attention relative à une
posture générale consistant à se défaire des formes d’adaptations et d’habitudes qui
enlisent nos actions (la décoïncidence). Puis nous explorons deux attentions orga-
nisatrices de perceptions : l’attention au potentiel des situations ; l’attention aux
dimensions tacites, implicites, de l’agir professionnel, c’est-à-dire l’attention aux
« connivences » comme terreau d’un savoir indigène opposé à la connaissance.
regards et les pratiques. d’autres articles de ce dossier ayant placé la focale sur les
raisons du système, nous proposons ici non pas un processus mais trois intentions
pour orienter un geste professionnel propice à l’AFEST.
n° 227/2021-2
des valeurs déterminent l’attention que l’on accorde à tel élément du réel plutôt
qu’à tel autre. Ces valeurs collectives s’incarnent dans la qualité du travail et s’ob-
servent dans celle des relations professionnelles. Elles sont également mobilisées
par les différents acteurs lors de la conception et de la mise en œuvre de l’AFEST.
EduCATiON PErMANENTE
L’intention de celui qui accompagne la première AFEST d’une entreprise est
donc de faire advenir des complémentarités à la faveur de récits individuels et
collectifs sur les conditions du travail bien fait, à faire dialoguer non pas les indi-
vidus mais les activités de travail et d’animation du projet. En cela, l’AFEST porte
le germe d’une organisation comme lieu de communication, d’expression et d’évo-
lution de la culture commune, capable de négociations stratégiques autour des
collaborations.
conflits et de dilemmes. Les façons d’agir développées par les autres membres du
collectif de travail sont autant de « porte-parole » du contexte dans lequel le travail
se réalise, de témoins des contraintes ou des opportunités avec lesquelles chacun
devra faire. Le dialogue avec ces autres (expériences, personnes, situations) permet
EduCATiON PErMANENTE
de relier les règles d’action mobilisées dans les situations de travail aux éléments
de contexte. En faisant émerger ce qui, dans l’action, fait advenir un travail de
qualité, l’accompagnateur enrichit judicieusement le référentiel dessiné par la
discussion réflexive de l’expert métier. Ces discussions donnent corps à une accep-
tion de la capacité à agir en situation comme « dialogue avec la matière et les
moyens d’exécution » (Levi-Strauss, 1962), ce « bricolage » qui s’exerce dans les
marges de manœuvre, interprétations, contournements et adaptations, et par lequel
chaque sujet modèle son activité réelle « à sa main » (Begon et Mairesse, 2013)
pour la rendre réalisable et tenable, productive et constructive. Ce « bricolage »
contient les éléments de la compétence dont la mise en visibilité et en circulation
constitue la manière la plus sûre de se former en situation de travail.
n° 227/2021-2
tionnent les manières de faire, les processus de décision, la distribution de l’auto-
rité, mettent en évidence des dysfonctionnements (cloisonnement des services,
obsolescence de certaines procédures...) et enclenchent l’élaboration de mesures
correctives. Accompagner une AFEST est un moyen de renouveler les probléma-
EduCATiON PErMANENTE
tiques de formation en entreprise, mais aussi de redonner de la valeur aux savoirs
professionnels contextuels, d’actualiser les pratiques de recrutement et d’inclusion
dans l’emploi, de revisiter la pédagogie de l’alternance ;
– après l’AFEST, il convient d’observer non seulement la dédramatisation du
rapport à la formation et le développement des compétences et de l’appétence pour
se former (Seiler, 2021), mais aussi l’amélioration de la qualité de vie au travail
grâce à une plus grande cohésion d’équipe (accès à une meilleure connaissance
interpersonnelle, relation professionnelle) et à des rapports hiérarchiques de
meilleure qualité. L’accompagnateur gagne à intervenir et à engager les acteurs
internes de l’entreprise dans ces perspectives et dans ces temporalités. il questionne
cette compréhension de l’environnement de l’activité de travail, et les modalités
3. « La didactique professionnelle pourrait accueillir les dimensions affectives dans son corpus théorique et leurs
implications pratiques [...] dans la phase d’analyse du travail comme dans la conception et la conduite des forma-
tions. Cela implique d’abord que les affects soient envisagés comme des constituants des situations, autrement
dit non pas seulement comme des éléments mais comme des variables agissantes des situations qui sont à
connaître et pour lesquels il y a éventuellement besoin de trouver des manières de faire » (Mayen, 2020).
4. Cf. le rapport du réseau emplois-compétences, Quelle place pour les compétences dans l’entreprise ? Renou-
veler les approches pour refonder les pratiques, France Stratégie, mars 2021.
emmanuelle begon, yvon minvielle
d’action du collectif. Savoir que les effets d’une AFEST sont en grande partie orga-
nisationnels, qu’ils dépassent le simple cadre du développement des compétences
attendues, oriente la modalité d’accompagnement, voire le profil de l’intervenant.
il s’agit de penser, et d’être en mesure de participer à, un accompagnement de l’or-
ganisation, d’anticiper les effets qu’une mise en discussion des déterminants du
travail génère immanquablement.
tion – en tant que disponibilité à tout objet ne privilégiant aucun élément a priori –
d’un accompagnateur AFEST relève d’une synthèse de multiples perceptions. Nous
en proposons trois, issues de l’horizon « proximal5 » dessiné par François Jullien :
l’une dont il s’agira de se détacher dans une dynamique de « décoïncidence » ;
EduCATiON PErMANENTE
n Le détachement, la décoïncidence
La dépendance au sentier tracé en 1971 continue de plonger le paradigme de
la formation dans l’ombre du maître, savant et évaluateur. Elle organise le fonc-
tionnement d’un système dans lequel se déploient des pratiques d’acteurs : contenu
prédéfini, timing millimétré, objectifs communs à tous les stagiaires. La pertinence
des apports résiste alors rarement à l’épreuve du réel, au moment du retour sur le
poste de travail.
« La stagification nous domine », disait Jacques Guigou dès 1975. dominés
par ce modèle, quelles que soient nos positions idéologiques, sociales ou théo-
riques, nous nous sommes installés, année après année, dans une pratique du stage,
d’abord présentielle, voire résidentielle, aujourd’hui distancielle, numérisée, mais
5. En clin d’œil à la dimension organique de l’AFEST, nous mobilisons cet adjectif qui, en anatomie, qualifie « la par-
tie d’un élément la plus proche d’un organe de référence qui en constitue l’origine » (Dictionnaire de l’Académie
française).
emmanuelle begon, yvon minvielle
n° 227/2021-2
formation peut être appréhendée comme un ensemble plus ou moins articulé de
processus de socialisation, reconstruits et aménagés en fonction de ce que permet-
tent les situations de travail et les environnements sociaux. Cette hypothèse pourrait
être remobilisée pour fonder ou rafraîchir certaines approches de la formation
EduCATiON PErMANENTE
professionnelle, notamment celles concernant les formations en situation de travail
dont la mise en œuvre progressive attire l’attention sur le fait que, pratiquement, il
est préférable, voire indispensable, de partir de la situation, toujours spécifique, de
la représentation que s’en font les personnes concernées et des stratégies d’action
qui leur semblent possibles. Sorti de ces zones d’ombre ou de ces points aveugles,
le paradigme de la formation professionnelle retrouverait la fraîcheur du terrain,
pourrait se défaire des formes d’adaptation qui l’enlisent.
Jullien (2020) nous invite à « décoïncider », c’est-à-dire à « tenter de défaire
modestement, du dedans même de la situation engagée, les formes d’adaptation et
d’adhérence qui l’enlisent et l’immobilisent ». S’exercer à la pratique de la décoïn-
cidence, la mobiliser comme outil permettrait, en se décalant, « en se dégageant de
l’obédience d’où vient leur emprise » (ibid.) de rouvrir des possibles, inaperçus,
oblitérés sous le conformisme. Cette invitation à la décoïncidence vise le renouvel-
lement des pratiques. Elle impose de réaliser le nécessaire pas de côté à l’égard de
la formation « en non-situation de travail », à transformer les modes de conception
qui, dans certains cas, enlisent la formation. En outre, la décoïncidence est une
illustration de l’investigation sur le travail. Au travail et hors travail, nous évoluons
emmanuelle begon, yvon minvielle
potentiel d’une situation de travail dans un atelier ou dans un service exige d’iden-
tifier les processus existants, ceux qui sont partagés et ceux qui ne le sont pas, qu’il
est souhaitable d’améliorer (pour qui ? Pour quoi ?)... Cela ne peut se faire qu’à
condition d’une réelle confiance dans l’interlocuteur et dans le projet. La posture de
l’accompagnateur s’approche alors de celle d’un tiers facilitateur, « accoucheur »
d’une expression sur le travail rarement sollicitée. À l’occasion de cette analyse du
potentiel de la situation, les moyens et les contraintes (de temps, de qualité...) sont
mis en lumière. il devient alors évident que la capacité de ceux qui réalisent le
travail réside non pas dans l’exécution de tâches planifiées mais dans l’articulation
des potentiels que la situation présente à un moment donné. L’accompagnateur
AFEST s’approche plus précisément des « compétences » nécessaires à la réalisa-
tion d’un travail de qualité. il permet la conception de situations propices à leur
exercice et à leur développement. Former en situation de travail vise donc le déve-
loppement de compétences par l’identification et la mobilisation des potentiels
présents dans une situation. Cette attention peut conduire à la création d’espaces,
de discussions, de lieux pérennes et visités, d’entrepôts dans lesquels sont mis à
emmanuelle begon, yvon minvielle
n° 227/2021-2
la forme d’une mise en perspective de « tout ce qui est autour ». Les professionnels
expérimentés ne répondent pas seulement en « compétents », ils transforment l’en-
vironnement, déploient leur « professionnalité ». Né dans les années 1970, le
concept (italien) permet de s’approcher de cette capacité, manière d’agir
EduCATiON PErMANENTE
« complexe et composite, encadrée par un système de références, valeurs et
normes, de mise en œuvre, ou pour parler plus simplement, d’un savoir et d’une
déontologie, sinon d’une science et d’une conscience » (Aballéa, 1992). L’une des
premières émergences de la professionnalité prend forme dans un contexte de lutte
sociale (Fiat). La Confédération générale italienne du travail entendait faire reva-
loriser les salaires : « Le travail que vous rémunérez, ce sont nos compétences,
notre respect des consignes, mais en aucune manière notre professionnalité. » Que
voulaient dire les militants en s’exprimant ainsi ? une sorte de « sur-compétence »,
des capacités à agir cultivées prenant en compte les contextes de l’entreprise, ses
enjeux... ? Ou cette partie de nous-mêmes et du collectif de travail, façonnée par le
quotidien et les interactions invisibles pour l’employeur, mais pourtant indispen-
sables dans le travail de tous les jours ? Nous nommons ces interactions conni-
vences pour en souligner la dimension situationnelle. Tandis que la connaissance
s’enseigne de façon discursive et méthodique, « la connivence se noue, se tisse au
fil des jours, sans qu’on y pense, sans qu’on pense à y penser » (Jullien, 2014) ; elle
est le produit du « vivre avec » et du « faire avec ». Les connivences sont le terreau
emmanuelle begon, yvon minvielle
cher ces potentiels de situation et ces connivences, à les mettre en discussion. il est
question ici non pas de méthode mais de qualité d’attention. Jullien (2012) nous
invite à travailler les « écarts », à ouvrir un « entre » réflexif pour produire du
« commun », qui n’existe que par son hétérogénéité. L’enjeu est de ne pas partir du
EduCATiON PErMANENTE
« semblable » (Jullien, 2021), qui ne produit que de l’uniforme que l’on prendrait
à tort pour de l’universel, de ne pas partir d’une manière de faire officielle, prescrite
et affichée, qui ne produit qu’un discours sur le travail « prescrit » que l’on pren-
drait à tort pour la professionnalité. Ce sont ces manières de « faire avec », articu-
lées au « vivre avec », qu’une démarche de formation en situation de travail peut
faire émerger au sein des collectifs qui en font l’expérience. u
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EduCATiON PErMANENTE n° 227/2021-2
32
LAURENT DUCLOS, JEAN-YVES KERBOURC’H
n° 227/2021-2
perspective positiviste et prescriptrice de la règle de droit. Il est vrai qu’au regard
des résultats de l’expérimentation nationale, et de ses conclusions (Caser et al.,
2018), il était possible de voir la loi nouvelle comme un précipité de « bonnes
pratiques », alors qu’il aurait fallu plutôt y trouver de simples principes d’organi-
EDUCATIon pErmAnEnTE
sation d’une modalité de formation laissant place à une grande liberté de concep-
tion et d’exécution. C’est, semble-t-il, cette liberté nouvelle que les parties
prenantes ont beaucoup de difficultés à s’approprier, et c’est sans doute pourquoi
elles cherchent à trouver dans la règle de droit un mode d’emploi qu’elle ne
comporte pas.
L’ouverture, par le législateur, d’un tel espace de liberté dans la conception
même de l’action l’a conduit à fixer un cadre règlementaire général plutôt qu’une
juxtaposition de dispositions détaillées qui auraient ruiné l’objectif de la loi. De ce
point de vue, l’AFEST révolutionne l’image traditionnelle de la formation. De leur
LAURENT DUCLOS, chef de projet à la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle, cher-
cheur rattaché au laboratoire « Institutions et dynamiques historiques de l’économie et de la société »
(IDHES), UMR CNRS 8533 (laurent.duclos@emploi.gouv.fr).
JEAN-YVES KERBOURC’H, professeur de droit à l’université de Nantes (jean-yves.kerbourch@univ-nantes.fr).
1. Les versions antérieures de l’article L. 6315-1, II du Code du travail modifié par la loi n° 2018-771 du 5 septembre
2018 - art. 24 (V) ne déterminaient que les conditions de réalisation de l’action de formation.
2. Article 4 de la loi du 5 septembre 2018 ; C. trav., art. L. 6313-2.
3. Décret n° 2018-1341 du 28 décembre 2018 ; C. trav., art. D. 6313-3-2.
laurent duclos, jean-yves kerbourc’h
côté, les praticiens éprouvent des difficultés à articuler l’AFEST à un cadre législatif
lui aussi conçu pour des formations classiques. Ce cadre nécessite d’être réinter-
prété en même temps que les parties prenantes devront s’y adapter. L’AFEST
provoque ainsi, dans le champ de la formation, un changement de paradigme
conceptuel, qui se double d’un changement de paradigme institutionnel.
qu’elle est élaborée selon une méthode processuelle fixée par le Code du travail.
4. C. trav., art. L. 6313-1. Les trois autres modalités sont les bilans de compétences, les actions permettant de faire
valider les acquis de l’expérience et les actions de formation par apprentissage.
5. C. trav., art. L. 6313-2.
6. C. trav., art. L. 6313-2, al. 3.
7. Selon les termes de l’article D. 6321-3 du Code du travail (C. trav., art. r. 950-4, issu du décret n° 71-979 du
10 décembre 1971, art. 4), abrogé par l’article 3 du décret n° 2018-1330 du 28 décembre 2018 relatif aux actions
de formation et aux bilans de compétences.
8. Circulaire DFp du 4 septembre 1972.
laurent duclos, jean-yves kerbourc’h
n° 227/2021-2
de la norme scolaire, la formation court le risque de perdre d’une part la reconnais-
sance de son caractère formel, d’autre part ce qui la distingue des apprentissages
« sur le tas », réputés informels, même lorsqu’ils font l’objet d’un encadrement
minimum. Ces pertes menacent la qualification de l’action en tant qu’action de
EDUCATIon pErmAnEnTE
formation. C’est dans cet espace étroit qu’il a fallu fonder le caractère formel des
AFEST. Ce caractère ne saurait pour autant renvoyer aux classifications usuelles de
la formation, construites par référence aux formats académiques traditionnels,
notamment l’organisation et la sanction des enseignements en milieu scolaire12.
9. Conditions de réalisation des actions de formation détaillées naguère – et jusqu’au 1er janvier 2019 – par l’article
L. 6353-1 du Code du travail (L. 920-1 ancien du même code), désormais reprises comme déterminants d’une
« formation de qualité », au sens des articles L. 6316-1 et r. 6316-1 du Code du travail.
10. Circulaire DGEFp n° 2006/35 du 14 novembre 2006 relative à l’action de formation et aux prestations entrant dans
le champ de la formation professionnelle continue. Lorsque ces séquences généraient une production ou un service
valorisables sur un marché, les recettes correspondantes devaient venir en déduction de la dépense dite « impu-
table » à l’action de formation et/ou faisant l’objet d’un financement extérieur au titre de la mutualisation du plan
de formation.
11. Cette connotation purement applicative est présente dans la qualification des séquences de formation par alter-
nance qui se déroulent en entreprise. on y évoque la « formation dans une ou plusieurs entreprises, fondée sur
l’exercice d’une ou plusieurs activités professionnelles en relation directe avec la qualification objet du contrat »
pour les actions de formation par apprentissage (C. trav., art. L. 6211-2 ; L. 6313-1) ; « l’acquisition d’un savoir-
faire par l’exercice en entreprise d’une ou plusieurs activités professionnelles en relation avec les qualifications
recherchées » dans le cadre du contrat de professionnalisation (C. trav., art. L. 6325-2).
12. La forme scolaire constitue l’aune institutionnelle et contextuelle à laquelle est rapporté, par différence, le degré
de formalisme de la formation en général dans la classification des formes éducatives. Une formation est dite « non
laurent duclos, jean-yves kerbourc’h
qui explique que les dispositions du décret et les conditions qu’elles introduisent
sont conçues comme un socle minimal d’obligations pour que l’action puisse
simplement être qualifiée de formation13. Concernant l’AFEST, ce formalisme se
traduit par l’inscription, dans l’ordre juridique, d’un présupposé pédagogique –
distinct sinon antinomique du principe de la formation alternée14 – qui permet de se
prémunir contre la « contagion de l’atelier » tout en décloisonnant les milieux ordi-
nairement associés au travail et à la formation, et en limitant autant que faire se peut
le nombre des conditions posées à l’organisation de l’action.
formelle » si l’une des conditions suivantes n’est pas remplie : présentation d’un apprentissage graduel hiérarchisé
par niveaux ; existence de prérequis à l’admission ; durée d’au moins un semestre (ou 30 ECTS) ; programme
reconnu par le système éducatif national (ou autorité équivalente). Voir Classification of Learning Activities (CLA)
2016. À l’inverse, la définition de « l’apprentissage formel » dans les nomenclatures du CEDEFop est plus souple
(Terminology of European Education and Training Policy, 2014).
13. Décret n° 2018-1341, 28 déc. 2018, relatif aux actions de formation et aux modalités de conventionnement des
actions de développement des compétences (C. trav., art. D. 6313-3-2).
14. Cf. note 11.
laurent duclos, jean-yves kerbourc’h
n° 227/2021-2
bien la référence à un contexte spécifique qui peut permettre ou non de concevoir
un « dispositif » AFEST adéquat, en s’appuyant sur le potentiel que recèle chaque
configuration productive locale afin que le déploiement d’actions de formation
situées puisse y devenir source d’effets en termes de développement des compé-
EDUCATIon pErmAnEnTE
tences. on pressent que le schéma processuel – limité, aux termes du décret, aux
conditions de validité de l’action de formation – concernera par déduction tout ce
qui peut permettre d’ajuster son environnement. pour autant, l’écriture de ce
« script » organisationnel est laissée à l’entière appréciation des intéressés.
Il est précisé que la scène de travail est adaptée, le cas échéant, à des fins péda-
gogiques. Il peut s’agir, notamment, de séquençage de phases de travail, de ralen-
tissement ou d’accélération de certaines de ces séquences, de déclenchement
volontaire d’incidents16, afin que le stagiaire apprenne à les traiter. L’objectif est
que l’action de formation puisse être rattachée sans conteste au statut de la forma-
tion professionnelle et ne soit pas considérée comme une exécution du travail dont
elle doit absolument échapper au régime juridique (Levannier-Gouël, 2020).
15. Dans l’esprit du législateur, les concepteurs de l’action de formation doivent être capables d’analyser les pratiques
de façon systématique afin de pouvoir donner une base aux « suggestions » ou aux réorientations proposées par
le formateur.
16. « Un droit à l’erreur accordé à chacun » est reconnu par l’article 1er de l’AnI du 13 juin 2013 sur la qualité de vie
au travail.
laurent duclos, jean-yves kerbourc’h
de situations, pour certaines inédites (configured work) [nickols, 2011]. Ainsi que
l’avait montré Dewey dès 1916 dans Démocratie et éducation, une capacité ne
pourra d’ailleurs être réputée « transférable » que si son développement est associé
à des activités ayant d’emblée une certaine portée ; une indication claire sur ce qui
pourrait alors fonder le rendement et donc le modèle économique d’une AFEST.
Que chaque type d’AFEST présente une singularité propre, fonction du milieu
qui l’accueille ; qu’au-delà, chaque action ne puisse être notamment menée, au fur
et à mesure de son déroulement, que sur la base des interactions concrètes d’un
17. En revanche, la certification du formateur AFEST ne répond à aucune exigence d’ordre légal ou réglementaire. Voir
l’exemple du certificat « référent formateur AFEST » inscrit au répertoire spécifique (ex-inventaire de la CnCp)
n° 24-28.
18. La réflexivité est une condition nécessaire à la (re)construction de l’expérience : il faut qu’un arrêt soit marqué,
un changement de régime provoqué pour faire émerger la « part observante » nécessaire à l’intégration consciente
de l’action qui convient. reconstruire l’expérience à partir de la mise en perspective des situations traversées, c’est
d’abord rendre explicite – expliquer (explicare « déployer »/ex-planation) – reconstruire les raisonnements qui
sous-tendent sa propre action : l’explicitation interrompt nécessairement l’action, laquelle suppose – au contraire
– un état d’implication et d’intrication où tout se présente d’un bloc (implicare « plier dans, entortiller,
emmêler »/en-tangled).
laurent duclos, jean-yves kerbourc’h
n° 227/2021-2
– de favoriser l’adaptation des travailleurs à leur poste de travail, à l’évolution des
emplois, ainsi que leur maintien dans l’emploi, et de participer au développement
de leurs compétences en lien ou non avec leur poste de travail. Elles peuvent
permettre à des travailleurs d’acquérir une qualification plus élevée ;
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– de réduire, pour les travailleurs dont l’emploi est menacé, les risques résultant
d’une qualification inadaptée à l’évolution des techniques et des structures des
entreprises, en les préparant à une mutation d’activité soit dans le cadre soit en
dehors de leur entreprise. Elles peuvent permettre à des salariés dont le contrat de
travail est rompu d’accéder à des emplois exigeant une qualification différente, ou
à des non-salariés d’accéder à de nouvelles activités professionnelles ;
– de favoriser la mobilité professionnelle.
L’AFEST ne présente donc aucune originalité au regard des objets que le légis-
lateur assigne à une action de formation. Elle est simplement l’une des modalités
de réalisation du « parcours pédagogique permettant d’atteindre un objectif profes-
sionnel » évoqué par l’article L. 6313-2 du Code du travail.
19. Cf. le critère de coconstruction des formations en situation sur lequel insiste le décret n° 2019-565 du 6 juin 2019
relatif au référentiel national sur la qualité des actions concourant au développement des compétences à travers
l’indicateur n° 28.
20. C. trav., art. L. 6313-3.
laurent duclos, jean-yves kerbourc’h
21. Un tel déport marque d’ailleurs la production des circulaires de la Délégation à la formation professionnelle : celle
du 4 septembre 1972 avait consacré la notion de « stage » ; celle du 14 mars 1986 commençait à admettre que l’ac-
tion de formation puisse s’étendre à la formation dite intégrée « en situation de production effective ».
22. Entretien avec Christian Janin, secrétaire confédéral CFDT, président du CopAnEF, vice-président du CnEFop, 22
octobre 2014.
laurent duclos, jean-yves kerbourc’h
n° 227/2021-2
insisté sur la nécessité de dispenser la formation en prenant en compte la réalité des
situations de travail car, selon eux, la culture de la prévention « passe par l’analyse
partagée, la construction commune et la mise en œuvre conjointe d’actions de
prévention qui tiennent compte des réalités de travail [métiers et activités...] ».
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Changement de paradigme institutionnel
La mise en place d’actions de formation en situation de travail ne modifie pas
seulement la conception que l’on se fait de la formation. L’AFEST s’inscrit aussi
23. « nous voulons construire une société de compétences » (muriel pénicaud, ministre du Travail, Le Monde,
22 novembre 2017). Une allusion peut-être au projet de nouvelle société dont les linéaments, s’agissant spéciale-
ment de la formation professionnelle, figuraient dans le discours de Jacques Chaban-Delmas à l’Assemblée natio-
nale le 16 septembre 1969.
24. À l’inverse d’une action de formation à distance, simple modalité technique de dispense d’une formation qui a
nécessité une reconnaissance légale (C. trav., art. L. 6313-2, al. 2) et un encadrement particulier (C. trav., art. D.
6313-3-1), mais qui peut servir de véhicule aux pédagogies les plus conventionnelles.
25. C. trav., art. r. 4141-11 et r. 4141-12.
26. C. trav., art. r. 4141-13 et s. L’article r. 4141-14 précise que « la formation à la sécurité relative aux conditions
d’exécution du travail s’intègre à la formation ou aux instructions professionnelles que reçoit le travailleur ». Cette
intrication de la formation à la sécurité et des instructions professionnelles peut donc idéalement prendre appui sur
une AFEST.
27. C. trav., art. r. 4141-17 et s.
28. Accord national interprofessionnel pour une prévention renforcée et une offre renouvelée en matière de santé au
travail et conditions de travail, 9 déc. 2020, art. 1.1.1 (arrêté d’extension en cours de publication).
laurent duclos, jean-yves kerbourc’h
dans un cadre légal et institutionnel qui donne à l’action de formation une place
centrale. L’arrivée d’une nouvelle modalité d’action peut remettre en cause à
certains égards, mais aussi renforcer à d’autres égards, certaines obligations, prin-
cipalement celle de maintenir la capacité du salarié à occuper un emploi, ou l’exer-
cice des missions de police administrative des opCo.
mises en œuvre à ces fins sont prévues, le cas échéant, par le plan de développe-
ment des compétences.
nous avions déjà observé que le Code du travail envisage la formation
comme une modalité de développement des compétences qui n’est pas exclusive
EDUCATIon pErmAnEnTE
contrat de travail32. on peut imaginer que, faute de grives, ces juridictions ont
cherché à savoir si le salarié pouvait avoir au moins mangé des merles en ayant
suivi un stage traditionnel !
n° 227/2021-2
tions supplétives du Code du travail (qui peuvent bien sûr également inspirer les
négociateurs de l’accord d’adaptation) prévoient de nombreuses mesures parmi
lesquelles FEST et AFEST ont toute leur place36.
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32. Selon la Cour de cassation « le fait que les salariés n’avaient bénéficié d’aucune formation professionnelle
continue pendant toute la durée de leur emploi dans l’entreprise établit un manquement de l’employeur à son obli-
gation de veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi, entraînant pour les intéressés un préjudice qu’il
appartient au juge d’évaluer » (Cass. soc., 2 mars 2010, n° 09-40.914). Elle juge aussi qu’au regard de l’obligation
faite à l’employeur d’assurer l’adaptation des salariés à leur poste de travail et de veiller au maintien de leur capa-
cité à occuper un emploi, l’insuffisance de formation établit « un manquement de l’employeur dans l’exécution
du contrat de travail entraînant un préjudice distinct de celui résultant de sa rupture ». L’employeur peut donc être
condamné à verser des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour violation de
son obligation de formation (Cass. soc., 23 oct. 2007, n° 06-40.950. - Cass. soc., 5 juin 2013, n° 11-21.255).
33. mais à total contresens de ces évolutions, l’article L. 6315-1, I du Code du travail prévoit que l’entretien profes-
sionnel qui a lieu tous les six ans fait l’objet d’un document permettant de vérifier que le salarié a « suivi au moins
une action de formation ». À défaut, et dans les seules entreprises d’au moins 50 salariés, l’employeur doit
procéder à un abondement au compte personnel de formation. Au regard de cette règle, l’action de formation est
donc conçue non pas comme un moyen « concourant au développement des compétences » (C. trav., art. L. 6313-
1) mais bien comme un objectif à exécuter formellement, c’est-à-dire sans être rattaché à une stratégie d’adaptation
ou de maintien dans l’emploi.
34. À l’instar des dispositions relatives à la preuve qu’une action de formation a bien eu lieu (C. trav., art. r. 6313-3),
la réalité de ces démarches pourrait être démontrée « par tout élément probant ». Le Code du travail, en effet,
n’exige plus la production de pièces justificatives, d’attestations ou de documents ayant un format prédéfini que
mentionnait encore le décret n° 2017-382 du 22 mars 2017.
35. C. trav., art. L. 2242-1.
36. C. trav., art. L. 2242-20. parmi ces mesures : un dispositif de gestion prévisionnelle des emplois et des compé-
tences et les mesures d’accompagnement susceptibles de lui être associées, en particulier en matière de formation,
d’abondement du compte personnel de formation, de validation des acquis de l’expérience, de bilan de compéten-
laurent duclos, jean-yves kerbourc’h
plus que d’autres actions de formation, une AFEST peut ainsi non seulement
se présenter comme une brique intriquée dans une stratégie de maintien des compé-
tences (finalité juridique avec un objectif sociologique), mais aussi contribuer au
maintien de la capacité de l’entreprise à entretenir son propre niveau de compé-
tence technologique, d’organisation, de qualité, et de satisfaction des clients (fina-
lité économique). C’est dans le cadre d’une telle stratégie qu’une AFEST peut être
intégrée dans l’obligation de formation d’un contrat ou d’une période de profes-
sionnalisation. Si, aux termes de l’article L. 6325-13 du Code du travail, « les
actions de positionnement, d’évaluation et d’accompagnement ainsi que les ensei-
gnements généraux, professionnels et technologiques » doivent représenter 15 %
de la durée du contrat (ou 150 heures), rien ne s’oppose à ce qu’une AFEST puisse
être envisagée en sus de cette durée minimale mais sans excéder 25 % de la durée
du contrat, sauf si un accord de branche augmente cette durée dans les conditions
prévues à l’article L. 6325-14 du même code. En revanche, une AFEST est totale-
ment antinomique avec les obligations de formation (et les modalités de finance-
ment) des contrats d’apprentissage qui relèvent de la formation initiale, car
l’AFEST entre exclusivement dans le champ de la formation professionnelle
44 comme le prévoit l’article L. 6313-1 du Code du travail. Il serait néanmoins
possible, dans ce contrat d’apprentissage, au titre de la formation dispensée en
entreprise37, de prévoir des formations en situation de travail (FEST) et non des
n° 227/2021-2
actions (AFEST), qui ne sont donc finançables ni sur les fonds de l’apprentissage ni
sur ceux de la formation professionnelle continue.
EDUCATIon pErmAnEnTE
ces ainsi que d’accompagnement de la mobilité professionnelle et géographique des salariés, les conditions de la
mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise, les grandes orientations à trois ans de la formation
professionnelle et les objectifs du plan de développement des compétences, en particulier les catégories de salariés
et d’emplois auxquels ce dernier est consacré en priorité, les compétences et qualifications à acquérir.
37. C. trav., art. L. 6221-1.
laurent duclos, jean-yves kerbourc’h
n° 227/2021-2
cours des six dernières années41) ; d’autre part les établissements de moins de
50 salariés42 qui se retrouveraient assujettis à des règles administratives inoppor-
tunes parce qu’ils souhaitent être financés.
En revanche, il appartient aux opérateurs de vérifier que la méthode d’élabora-
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tion de chaque AFEST est conforme au texte du décret. Cela implique que les opéra-
teurs s’attachent les services d’agents formés, capables d’apprécier la méthodo-
logie suivie, que ces agents individualisent leurs vérifications, et que les critères de
contrôle portent non pas sur le contenu de la formation mais sur la façon dont elle
38. Décret n° 2018-1209 du 21 décembre 2018 relatif à l’agrément et au fonctionnement des opérateurs de compé-
tences, des fonds d’assurance formation des non-salariés et au contrôle de la formation professionnelle ; arrêté du
21 décembre 2018 relatif aux pièces nécessaires au contrôle de service fait mentionné à l’article r. 6332-26 du
Code du travail.
39. « Le contenu organisationnel forme un ensemble beaucoup plus vaste que les règles de droit [...] Chaque firme
[...] produit un nombre indéfini de scripts qui servent de modèles de comportement. or, ces scripts, ces modèles,
ces répartiteurs [...] n’entraînent pas pour autant de conséquences juridiques. Seule une toute petite partie de ces
scripts va donner lieu à ʺdu droitʺ – et seulement en cas de contestation si leur est reconnue la possibilité de faire
grief [...] ce qui prouve assez que l’on ne peut faire de la règle de droit un modèle de comportement » (Latour,
2002).
40. Toutefois, l’article L. 6332-1-2 prévoit que les opCo peuvent collecter des contributions supplémentaires (conven-
tionnelles ou volontaires) ayant pour objet le développement de la formation professionnelle continue. Les opCo
ont donc la possibilité de promouvoir l’AFEST par ce canal dans les entreprises d’au moins 50 salariés.
41. Cf. note 33.
42. L’opCo prend en charge « les actions concourant au développement des compétences au bénéfice des entreprises
de moins de cinquante salariés » (C. trav., art. L. 6332-1-3 et L. 6332-3).
laurent duclos, jean-yves kerbourc’h
pédagogique, les moyens humains et techniques ainsi que les ressources pédago-
giques47 ». Il faut en effet remarquer que la mise en place d’une AFEST conduit à
exposer des dépenses de conception, d’ingénierie de mise en place et de modifica-
tion des organisations de travail avant que la formation ne soit dispensée, contrai-
rement à une action classique. Ces coûts, le cas échéant différenciés, doivent être
pris en charge au titre de la formation elle-même, c’est-à-dire comme des actions
concourant au développement des compétences au bénéfice des entreprises de
moins de 50 salariés comme le prévoit l’article L. 6332-1-3 du Code du travail48.
n° 227/2021-2
De même, les relations avec les stagiaires sont d’une nature différente. Il peut
être difficile, dans une formation en situation de travail, d’appliquer l’article L.6353-
8 du Code du travail prévoyant que les objectifs et le contenu de la formation, la liste
des formateurs et des enseignants, les horaires, les modalités d’évaluation, les coor-
EDUCATIon pErmAnEnTE
données de la personne chargée des relations avec les stagiaires par le commandi-
taire de la formation, et le règlement intérieur applicable à la formation, soient mis
à disposition du stagiaire avant leur inscription définitive. Ce texte est pourtant riche
de potentialités lorsque les parties prenantes décident de l’appliquer dans son esprit
plutôt qu’à la lettre. En effet, l’article D. 6313-3-2 s’intéresse beaucoup plus à la
conception et à l’évaluation des acquis de la formation qu’à la relation entre le
stagiaire et le formateur. Les dispositions de l’article L. 6353-8 peuvent permettre
de combler cette lacune en s’intéressant au rôle du stagiaire, à la nature de sa parti-
cipation dans la conception de cette formation et dans les phases « réflexives »
qu’elle implique. Au demeurant, il faut rappeler que « les informations relatives à
l’organisation du parcours sont rendues accessibles par le dispensateur d’actions de
formation, par tout moyen, aux bénéficiaires et aux financeurs concernés51 ».
49. Le mot « acheteur » figure à l’article L. 6353-1 du Code du travail ; l’organisme formateur (le vendeur ?) est
désigné comme un dispensateur de formation.
50. Cf. note 19.
51. C. trav., art. r. 6313-2. En outre, l’article L. 1222-3 du Code du travail prévoit que « le salarié est expressément
informé, préalablement à leur mise en œuvre, des méthodes et techniques d’évaluation professionnelles mises en
laurent duclos, jean-yves kerbourc’h
Inversement, ce qui peut être considéré comme contraignant dans les forma-
tions classiques est facilité pour les actions de formation en situation de travail.
C’est le cas de l’enregistrement au rnCp des certifications professionnelles en vue
de permettre une validation des compétences et des connaissances acquises néces-
saires à l’exercice d’activités professionnelles52. Ainsi qu’il est précisé, ces activités
professionnelles sont définies par un référentiel d’activités décrivant les situations
de travail et les activités exercées, les métiers ou les emplois visés, un référentiel
de compétences identifiant les compétences et les connaissances, y compris trans-
versales, qui en découlent, et un référentiel d’évaluation définissant les critères et
les modalités d’évaluation des acquis. L’action de formation en situation de travail
peut parfaitement s’inscrire dans les objectifs de ce texte dont on retrouve, dans
l’article D. 6313-3-2 du Code du travail, non seulement la philosophie mais aussi,
peu ou prou, les critères : l’analyse de l’activité de travail ; la formation en situation
de travail ; les compétences et les connaissances à acquérir ; la vérification des
acquis. Il faut rappeler que les AFEST, lorsqu’elles sont certifiantes, sont éligibles
au compte personnel de formation53.
48
Conclusion
La reconnaissance juridique de l’AFEST donne au droit émergent de la
n° 227/2021-2
compétence une dimension processuelle dont l’intérêt est, pour une fois, de mettre
au centre de l’action non pas le savoir ni l’apprenant mais le milieu de travail
associé au développement des capacités. La formation y perd son statut de finalité.
Gageons qu’elle puisse également « se rendre intéressante » et gagner ainsi en
EDUCATIon pErmAnEnTE
attrait et en efficacité pour les parties intéressées. Dans le même temps, la consé-
cration de cette modalité révèlera ce qu’il en est vraiment des intentions de former
en établissant au lieu même de la production une frontière nette entre la formation
formelle et l’appel (nostalgique) au libre jeu des apprentissages incidents. Dans
tous les cas, on ne fera pas boire un âne qui n’a pas soif !
Le droit de l’AFEST ne dit pas tout à fait ni quoi ni comment faire ; son
schème processuel s’arrête aux contours de l’action elle-même ; il n’a pas le carac-
tère automatique d’un programme formalisé. Ce droit invite au contraire à déter-
miner, autour des enjeux de développement des compétences, de véritables « situa-
tions de gestion » (Girin, 2016). n’est-ce pas d’ailleurs l’effet de la « garantie exté-
rieure » qu’offre la loi, au-delà de son aspect prescriptif, que d’aider à définir des
« points d’imputation » permettant d’allouer des charges directes et indirectes pour
les réaffecter à leur objet (le développement des compétences) ? Ce nouveau droit
œuvre à son égard. Les résultats obtenus sont confidentiels. Les méthodes et techniques d’évaluation des salariés
doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie ».
52. C. trav., art. L. 6113-1.
53. C. trav., art. L. 6323-6.
laurent duclos, jean-yves kerbourc’h
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n° 227/2021-2
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laurent duclos, jean-yves kerbourc’h
50
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EDUCATIon pErmAnEnTE
SALIMA RAIRI, ANNE-LISE ULMANN
De l’expérimentation à la généralisation :
les AFEST au milieu du gué ?
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travail avec les conseillers2 des OPCO en charge du développement d’AFEST, dans
le cadre d’un EDEC3, pilotées par l’Agence régionale pour l’amélioration des con-
ditions de travail en Ile-de-France pour accompagner cette mise en œuvre. Ces
réunions offrent à chaque conseiller la possibilité d’expliquer ce qu’il met en place
EDUCATION PERMANENTE
au sein de son OPCO pour contribuer au développement des AFEST et d’échanger
avec des pairs. En retour, l’appui de l’ARACT consiste à les aider dans ces analyses
et à les accompagner dans leurs différentes demandes.
Après avoir présenté la manière dont ces conseillers s’approprient les AFEST
pour les développer, les difficultés rencontrées et leurs tentatives pour y remédier,
nous analyserons les transformations du rapport à la formation induites par cette
nouvelle modalité, en interrogeant les difficultés auxquelles confronte le passage de
l’expérimentation à la généralisation dans des contextes de travail nouveaux.
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respecter ce que cette branche fait déjà : « Les branches font des choses ; il faut
partir de ce qu’elles font. » Le déploiement des AFEST doit donc s’intégrer à des
fonctionnements existants et ne venir qu’en complément de ce qui se fait déjà.
Deux domaines semblent convenir aux entreprises de la branche et offrir des possi-
EDUCATION PERMANENTE
bilités intéressantes de réalisation d’AFEST.
L’OPCO engage une démarche itérative en constituant un groupe de travail
composé d’experts du domaine, des membres de la branche professionnelle et des
conseillers destinés à devenir ultérieurement les référents AFEST auprès des entre-
prises. Les participants de ce groupe de travail, après avoir été sensibilisés, mobi-
lisés et formés à quelques principes fondamentaux de l’AFEST (notamment l’ana-
lyse des situations de travail), manifestent une certaine réticence à poursuivre plus
avant la collaboration. Ils s’interrogent notamment sur « la plus-value réelle de
cette démarche » au motif qu’ils feraient déjà ce travail en accompagnant les entre-
prises, notamment pour intégrer de nouveaux collaborateurs. Ces signes de résis-
tance déstabilisent l’OPCO qui comprend, au cours de ses échanges avec la
branche, que son approche est perçue comme une « ingérence » dans le fonction-
nement interne des entreprises.
Ce qui soudain fait obstacle et constitue l’objet même du travail à conduire
est évité : l’OPCO contourne la difficulté ; il choisit de produire ce qu’il nomme lui-
même « une ingénierie en chambre » en renonçant à tenir une position d’inter-
venant : « On fait un travail standard et ensuite les autres s’en empareront. » Il
salima rairi, anne-lise ulmann
effectue l’analyse des situations, identifie les prérequis, les conditions de réalisa-
tion, précise les manières d’opérer les gestes professionnels, tente d’établir une
progression dans le parcours de formation, met au point des processus de travail en
tentant d’« empêcher l’incertitude », mais le fait en « désadhérence » (Schwartz,
1988), sans possibilité de travailler directement dans les structures et avec les diffé-
rents acteurs potentiellement concernés par l’organisation de ces AFEST. Cet
ajustement au milieu reviendra au formateur AFEST, choisi par l’entreprise, à partir
des ressources mises à disposition par l’OPCO. La mise en place des AFEST est en
quelque sorte reportée à plus tard et/ou déportée sur d’autres acteurs... L’OPCO
produit des ressources nécessaires ; à cette occasion, il forme ses conseillers, mais
se désengage du travail qui permettrait de passer de l’idée d’AFEST à sa concréti-
sation, du pensable désormais au réalisable demain. Il conçoit des ressources péda-
gogiques mais renonce à en accompagner les usages.
derniers suivent une formation certifiante qui leur donne une certaine légitimité à
l’égard de leurs interlocuteurs. Mais à peine formés, ils manifestent un certain scep-
ticisme en constatant que les apports de leur propre formation ne sont pas directe-
ment mobilisables et ne leur ont pas permis de trouver les clés du « comment faire ».
EDUCATION PERMANENTE
Ils disent fréquemment que « ça ne marche pas ». Déçus, ils limitent alors les AFEST
à une offre de service supplémentaire, et proposent aux entreprises adhérentes des
ateliers de sensibilisation destinés à éveiller leur appétence. Là encore, le résultat les
déçoit : les entreprises répondent peu. « Ce n’est pas ce que l’on a compris, ce que
l’on nous a vendu », rapporte l’un des conseillers faisant allusion aux propos tenus
par les responsables AFEST des OPCO et les organismes de formation.
Déçus, les conseillers avancent également deux arguments qui confortent leur
scepticisme. Outre le manque de temps pour la conception de ce type d’action,
considéré par eux comme étant « le nerf de la guerre pour les petites entreprises »,
ils déplorent un financement peu attractif pour les aider à effectuer ce développe-
ment. « Si on ne vend pas l’AFEST clé en main dans le cadre d’un dispositif finan-
cé, on ne rentre pas dans l’entreprise, on rate notre objectif », explique un con-
seiller qui développe une stratégie d’offres formatives en encapsulant la formation
dans un dispositif de financement. Ainsi, même si les nouvelles missions assignées
aux OPCO entérinent « la fin du métier de banquier » (Moysan-Louazel et al.,
2020), les nouveaux leviers d’action ne semblent plus devoir être recherchés du
côté des AFEST selon ces conseillers.
salima rairi, anne-lise ulmann
Que comprendre de ces deux logiques et des obstacles qui les freinent alors
même que ces conseillers ne sont pas opposés aux principes de l’AFEST ?
À quelles résistances les AFEST se heurtent-elles alors même que l’expérimenta-
tion a permis de leur faire une place dans le droit de la formation professionnelle
continue et a montré leur utilité, y compris pour les petites structures ?
n° 227/2021-2
Si les conseillers ont le souci de concevoir des actions de formation à partir
des situations de travail, ils peinent à explorer, auprès de leurs interlocuteurs dans
les entreprises, les besoins auxquels les AFEST pourraient éventuellement
EDUCATION PERMANENTE
répondre. Soit que ces interlocuteurs ne leur ouvrent pas leur porte, soit que les
temps d’échanges sur les enjeux de production de ces entreprises et leurs modes
d’organisation leur paraissent hors de leurs missions. Dans tous les cas, ils se trou-
vent pris dans un système de travail qui les amène à (re)produire des ingénieries
conformes aux cadres habituels des dispositifs qu’ils financent.
Dans certains cas, les conseillers montrent qu’ils effectuent des analyses de
situations de travail, en s’attachant davantage à la méthode qu’aux manières de faire
usage de ces situations en formation. Ces analyses, à la fois « proches de l’activité
réelle [...] et pourtant privées de la capacité de la discerner, de la parler, d’aider les
apprenants à penser leur rapport au travail, et à partir de là, de questionner son orga-
nisation », (Jobert, 1993), relèvent plutôt d’une approche néo-behavioriste (Lacom-
blez, 2015) quelque peu antagoniste avec l’acquisition de raisonnements permettant
de traiter, à partir d’une situation, une classe plus large de situations. Ces analyses
ne prennent pas en compte le fait que, « en redimensionnant le travail à la singula-
rité de la tâche, l’opérateur est le créateur répété de sa tâche » (Wisner, cité par
Ouvrier-Bonnaz et Weill-Fassina, 2015). Paradoxalement, les craintes légitimes de
ces conseillers sur les possibles confusions entre activité formative et activité
salima rairi, anne-lise ulmann
à tenir une position d’intervenant (Ulmann, 2017) qui pourrait conduire à d’autres
modes de coopération pour coconstruire ces formations. « Faire de la formation
comme ça, c’est un enjeu de ressources humaines et non de formation », explique
l’un d’eux, entendant par là que la réflexion pourrait le conduire à déborder de son
champ d’expertise. Ce renoncement, visant à préserver leurs relations aux entre-
prises, les conduit à circonscrire leurs expertises aux contenus d’apprentissage ou
aux formats pédagogiques, oubliant que « la valeur d’une formation dépend étroi-
tement de l’organisation où elle s’insère » (Hatchuel 2013), et que la logique
compétence induit une organisation du travail qui met en synergie des compé-
tences et des initiatives – au sens où « travailler, c’est aussi faire face à l’imprévu,
au surprenant, au singulier » (Zarifian, 1999).
Les AFEST viendraient-elles ébranler ce consensus et les arrangements qui le
sous-tendent ? Cette dissociation, qui relève d’une conception taylorienne de l’orga-
nisation, permet un partage des responsabilités entre les managers, responsables de
4. « Lorsque les prestations [...] comprennent des périodes de formation en situation de travail, le prestataire mobi-
lise son réseau de partenaires socio-économiques pour coconstruire l’ingénierie de formation et favoriser l’ac-
cueil en entreprise » (décret n° 2019-565 du 6 juin 2019, critère 6, indicateur 28).
salima rairi, anne-lise ulmann
n° 227/2021-2
et un révélateur des changements possibles, et ce, d’autant plus que l’objectif de
fond d’une action comme celle-ci, touche à la culture même du travail » (Nallet et
Caspar, 2006). Les recherches sur le travail (Edey-Gamassou et Mias, 2021)
montrent par ailleurs que, pour les professionnels qui se forment, la possibilité de
EDUCATION PERMANENTE
penser ces trois dimensions (valeur/compétence/organisation) stimule la créativité
des! personnes pour construire des réponses inédites aux problèmes qu’elles
!
CRÉATION DE VALEUR
ET DIMENSIONS POLITIQUES DU TRAVAIL
!
!
! Besoin
de formation
!
! CRÉATIVITE SANTÉ
!
Situation de
travail pour
! l#AFEST
ENGAGEMENT
!
salima rairi, anne-lise ulmann
n° 227/2021-2
n Le changement d’échelle par inspiration
La deuxième orientation se fonde sur d’autres principes, qui s’expriment par
une nouvelle métaphore, celle de l’« essaimage » (Duclos, 2021). Cette image
EDUCATION PERMANENTE
apicole invite à comparer le changement d’échelle avec le fonctionnement des
abeilles qui se séparent de leur essaim pour aller en produire un autre ailleurs, dans
un nouvel environnement. L’image évoque la séparation ou la distance à prendre
avec le modèle initial du premier essaim. Elle ne suggère pas la diffusion ou la
reproduction comme les métaphores précédentes, mais inspire une dynamique
nouvelle de travail : celle d’une décontextualisation nécessaire à une recontextua-
lisation dans un milieu comportant certaines caractéristiques communes, tout en
étant différent. Cette réimplantation ajustée à une nouvelle écologie requiert alors
un travail spécifique et toujours en partie inédit. Certes, le professionnel qui engage
ce travail ne part pas de rien, il crée à partir de ce qui est donné, déjà là, des
« normes antécédentes » (Schwartz, 1988), qu’elles soient produites par les pres-
cripteurs du travail, par les règles de métier ou celles du collectif de travail, mais
l’ensemble de ces données, dont l’expérimentation nationale fait partie, sont
« mises à l’épreuve du réel dans l’activité » (Amado et al., 2017).
Cette recontextualisation, laissant place à la délibération avec d’autres collec-
tifs, essaime au sens où elle permet de recréer un milieu favorable à l’accueil d’ap-
proches formatives renouvelées, comme les AFEST. La création et l’innovation ont
salima rairi, anne-lise ulmann
alors une place majeure dans ce changement d’échelle par essaimage, non pas au
sens d’innovation technique mais grâce à la capacité d’être soi-même créateur et
d’innover des réponses originales à des situations qui le deviennent de plus en plus ;
cela suppose d’accepter « que l’innovation jaillisse davantage de l’inadéquation des
structures face aux attentes des personnes plutôt que d’un consensus et d’une inté-
gration qui ne laissent plus de place aux interrogations » (Nallet et Caspar, 2006).
Conclusion
Le travail en cours avec les conseillers des OPCO qui réfléchissent à la
manière d’opérer le changement d’échelle de cette expérimentation montre que la
conception d’AFEST est un révélateur de mutations profondes dans les manières de
penser et d’agir la formation. Ce passage de l’expérimentation au déploiement,
dans un contexte où les conseillers voient leurs propres organisations transformées
par de nouvelles exigences, peine à s’opérer sans doute parce que ce changement
d’échelle, surtout s’il s’effectue par essaimage, est porteur de transformations pro-
fondes, susceptibles de modifier les organisations et les relations de travail pour
60 lesquelles les conseillers ne s’estiment pas légitimes.
Faut-il alors considérer l’expérimentation sur les AFEST comme un moment
à part, dont le développement, dans le contexte actuel des OPCO, est arrêté ou
n° 227/2021-2
impossible ? Nous ne le pensons pas. D’une part, l’EDEC est au début d’un proces-
sus de travail long qui peut permettre aux conseillers de se saisir de questions sur
le développement de compétences et les manières d’apprendre que, pour de
multiples raisons, ils ont été contraints de délaisser. D’autre part, comme pour l’ex-
EDUCATION PERMANENTE
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n° 227/2021-2
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EDUCATION PERMANENTE n° 227/2021-2
62
MATHIEU CARRIER
La place du financeur
dans l’essor de l’AFEST
n° 227/2021-2
ment de promouvoir selon la volonté exprimée par le législateur. La manière dont
ces acteurs se saisissent de l’AFEST est un objet d’analyse intéressant car elle
révèle une époque dans laquelle les corps intermédiaires ont perdu une partie de
leur marge de manœuvre financière et de leur autonomie. Ils sont toutefois invités
EDUCATION PERMANENTE
à se réinventer en assurant un rôle d’« influenceur » de l’action des entreprises et
des particuliers dans le respect du cadre défini par l’action publique. À la manière
de l’Oulipo, ces acteurs sont tenus de définir une nouvelle écriture de leur action
en intégrant des contraintes prédéfinies.
dépenses directes des entreprises). Cet effort global intègre les coûts pédagogiques
des formations proprement dites, mais aussi les dépenses de rémunération des
stagiaires et les frais de fonctionnement et d’investissement. Les principaux finan-
ceurs sont, par ordre décroissant : les OPCO (8,12 milliards) ; la Fonction publique
(6,03 milliards) ; les régions (4,17 milliards) ; l’État (3,79 milliards) ; Pôle emploi
(2,18 milliards) ; les particuliers (1,43 milliard).
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n° 227/2021-2
Ces chiffres sont toutefois à relativiser, d’abord parce qu’ils ne tiennent pas
compte du premier financeur (les entreprises, dans le cadre de leurs dépenses
directes), ensuite parce qu’ils ont été établis avant la mise en application de la loi
du 5 septembre 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel ». Cette
EDUCATION PERMANENTE
n° 227/2021-2
plois, salariés autonomes...).
Par la suite, la loi du 5 septembre 2018, dont on minore aujourd’hui la portée,
est venue redistribuer les cartes du fonctionnement de la formation professionnelle,
notamment avec les évolutions suivantes :
EDUCATION PERMANENTE
– levée des frontières entre formation professionnelle continue et formation profes-
sionnelle initiale, les opérateurs de compétences devenant « guichet unique » de
l’alternance ;
– monétisation et transfert de la gestion du compte personnel de formation à la
Caisse des dépôts et consignations afin de permettre un accès direct des individus
à l’offre de formation ;
– collecte de la contribution unique à la formation professionnelle et à l’alternance
par l’URSSAF à compter de 2022 ;
– suppression des fonds mutualisés pour le financement du plan de formation, de-
venu plan de développement des compétences, des entreprises de 50 à 299 salariés.
Dans ce contexte, les OPCA ont laissé place aux opérateurs de compétences
(OPCO), abandonnant au passage le terme et la fonction de « collecteur ». Cette
nouvelle dénomination n’affiche également plus la notion de paritarisme en
symbole d’un modèle qui recentre la place de l’État au sein de ce système. En effet,
ce dernier siège désormais au sein des OPCO et arbitre la répartition des fonds mis
à leur disposition à travers son action au sein de France Compétences. Les OPCO
ont également connu une redéfinition de leur périmètre d’intervention. Ils sont
mathieu carrier
toutefois été nécessaire de se pencher sur le cadre financier qui permettrait d’im-
pulser une dynamique favorable à une inscription durable de l’AFEST dans les
modalités pédagogiques mobilisées par les entreprises en faveur du développe-
ment des compétences des individus et de l’organisation dans son ensemble.
EDUCATION PERMANENTE
n° 227/2021-2
Longtemps, les financeurs ont transposé les principes régissant les relations
en entreprise dans le système de la formation professionnelle. Ainsi, le soutien
apporté tenait compte du temps de présence en formation défini en heures
stagiaire, unité d’œuvre à laquelle était appliqué un taux de prise en charge.
EDUCATION PERMANENTE
L’ensemble des mécaniques administratives et des systèmes d’information des
financeurs de la formation professionnelle a été fondé sur cette logique. Le déve-
loppement de la formation à distance est venu questionner ce principe puisque les
démarches asynchrones de formation ne permettaient plus un contrôle efficace du
temps passé en formation. Elles ont conduit les financeurs à élargir leurs modalités
de financement et à intégrer des logiques forfaitaires associées aux parcours de
formation. Au cours des dernières années, le législateur a également ouvert la défi-
nition de l’action de formation, et par extension du financement qui lui est associé,
avec notamment la reconnaissance de la prise en compte des actions de position-
nement et d’évaluation associées aux formations. Depuis la réforme de 2018, l’ac-
tion de formation se définit comme un parcours pédagogique permettant d’at-
teindre un objectif professionnel. Elle peut être réalisée en tout ou partie à distance.
Elle peut également être réalisée en situation de travail (article L6313-2 du Code
du travail). Cette définition élargie de l’action de formation autorise les financeurs
à appréhender de manière plus large la question du financement du développement
des compétences. Ce financement pourra d’ailleurs s’adapter selon le dispositif de
formation professionnelle mis en œuvre.
mathieu carrier
1. L’action de formation en apprentissage est décrite dans l’article L.6211-2 du Code du travail. L’action de forma-
tion en situation de travail est décrite dans l’article L. 6313-2.
mathieu carrier
être croisées dans le cadre des financements octroyés aux entreprises. Toutefois, les
principes pédagogiques de la FEST peuvent être mobilisés dans le cadre des phases
d’apprentissage encadré, afin de rendre l’alternance plus « intégrative » que la
simple juxtaposition des phases d’enseignement et des phases de mise en œuvre
des savoirs acquis.
Les actions de professionnalisation sont définies en tant qu’actions de forma-
tion. À ce titre, elles peuvent s’ouvrir à la modalité de FEST. Toutefois, un ques-
tionnement subsiste sur le positionnement de ces actions qui reposent sur l’alter-
nance entre les enseignements généraux, professionnels ou technologiques, et des
activités professionnelles en entreprise en lien avec la formation suivie. La nature
même de l’AFEST n’invite pas à une telle dichotomie. Le questionnement du ratta-
chement des actions AFEST mises en œuvre n’est pas neutre au regard des finan-
cements qui peuvent être octroyés mais également des obligations réglementaires
relatives aux actions de professionnalisation (durée minimum des enseignements
égale à 150 heures et a minima 15 % de la durée de l’action). La situation des
actions de professionnalisation, et notamment du contrat de professionnalisation,
demande une analyse juridique2 plus fine du cadre réglementaire de ce dispositif
de financement pour pouvoir identifier la manière dont l’AFEST pourrait s’inscrire 69
dans ce cadre.
n° 227/2021-2
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EDUCATION PERMANENTE
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Au regard de ces éléments, l’AFEST est compatible avec les actions de profes-
sionnalisation. Il conviendrait toutefois de la mobiliser en sus du socle minimal des
enseignements (150 heures et 15 % de la durée de l’action de professionnalisation).
Elle pourrait se positionner au niveau des heures d’évaluation et d’accompagne-
ment, et bénéficier à ce titre d’un financement dédié. Elle permettrait une forme
70 enrichie de l’alternance en complément des heures d’enseignement et des
« périodes d’acquisition d’un savoir-faire par l’exercice en entreprise d’une ou de
plusieurs activités professionnelles. »
n° 227/2021-2
cette modalité de formation auprès des entreprises » (art. L. 6332-1.-I 5°). Les
lignes suivantes font état des partis pris retenus par l’opérateur de compétences.
Affirmer sa lecture et repositionner l’AFEST à sa juste place furent les
prémices de l’intervention d’Atlas. D’abord dans une logique interne afin de béné-
ficier du soutien de ses décideurs politiques et de faire adhérer ses conseillers
formation, qui sont des relais d’opinion auprès des entreprises. Ces acteurs, pour-
tant rompus à la formation professionnelle, ont pu manifester une défiance à
l’égard de l’AFEST souvent par méconnaissance parfois par crainte d’un mauvais
usage des financements ou d’une trop grande complexité. Il fut nécessaire de valo-
riser les situations professionnelles pour lesquelles l’AFEST pouvait constituer une
réponse adaptée, notamment les problématiques liées au transfert des compétences
des salariés expérimentés qui quittent l’entreprise, l’intégration et la formation des
nouveaux collaborateurs, jeunes ou moins jeunes, ou encore l’adaptation des
compétences dans des organisations et des emplois en constante transformation.
Dans un second temps, cette démarche de lecture éclairée sur l’AFEST s’est
adressée aux entreprises pour déconstruire des représentations associant formation
sur le tas et formation en situation de travail, ou encore pour écarter le fantasme
mathieu carrier
n° 227/2021-2
adresser, le modèle pourrait être mis à mal en cas de recours massif des entreprises
à la formation en situation de travail. Pour prévenir un tel risque, l’OPCO s’évertue
à ne pas créer une relation de dépendance entre lui et l’entreprise sur ce sujet. À ce
titre, un outillage spécifique est mis à disposition : réunion d’information, manuel
EDUCATION PERMANENTE
de l’AFEST, outils de traçabilité de la démarche... Des actions de formation et des
certifications sont également en voie de finalisation pour permettre la montée en
compétences des acteurs internes (formateur, référent...). Enfin, les entreprises
s’appropriant pour la première fois une démarche AFEST peuvent mobiliser un
tiers facilitateur. Ces consultants soutiennent l’entreprise dans l’analyse des acti-
vités, l’élaboration d'un parcours prévisionnel, le positionnement de l’apprenant, la
scénarisation et planification des situations de travail formatives, l’accompagne-
ment à la mise en œuvre des séquences réflexives ou encore l’évaluation globale
de la démarche menée. L’ensemble de cette offre doit permettre de professionna-
liser l’entreprise et de développer progressivement une autonomie sur le pilotage
de l’AFEST.
Atlas a également mis en place des critères de prises en charge pour recon-
naître l’investissement des entreprises sur ces projets de formation. L’OPCO s’est
positionné en faveur d’une politique financière incitative afin de créer un effet
d’amorçage à l’égard de cette nouvelle modalité pédagogique. Les éléments
suivants sont arbitrés par chaque branche professionnelle qui demeure souveraine
dans l’usage des fonds de formation professionnelle mis à sa disposition :
mathieu carrier
Atlas espère que cette valse en trois temps (une vision, un accompagnement
et une logique financière) permettra de répondre à la mission qui lui a été confiée.
EDUCATION PERMANENTE
n° 227/2021-2
main de la réforme de 2018 caractérisé par la coprésence de l’Association nationale
pour la formation automobile (ANFA) et de l’opérateur de compétences Mobilités,
la construction de l’AFEST fut marquée par des questionnements, voire des remises
en cause. Après avoir présenté la branche, ses pratiques formatives et son organisa-
EDUCATION PERMANENTE
tion institutionnelle, nous décrirons le cheminement de la construction de cette
AFEST de branche dans la mouvance du contexte institutionnel puis sanitaire : l’in-
vestissement tardif dans cette modalité de formation, la rédaction d’un cahier des
charges à l’adresse des prestataires comme premier acte de cette élaboration, la
réalisation d’une expérimentation et l’évolution de ses objectifs au fur et à mesure
de son avancée, puis les interrogations posées par son déploiement.
des pannes complexes, ils jouent auprès de leurs collègues le rôle de référent tech-
nique, les faisant ainsi bénéficier de la formation qu’ils ont reçue. La pratique
consistant à organiser le retour à l’équipe de travail, par un compagnon parti en
formation, du contenu de celle-ci, s’observe fréquemment dans les ateliers, qu’ils
EDUCATION PERMANENTE
2. Elle est constituée des secteurs d’activités suivants : commerce et réparation auto, véhicules industriels, moto,
cycles ; carrosserie ; dépannage remorquage ; contrôle technique ; commerce de carburant ; commerce d’équi-
pements automobile ; écoles de conduite ; location de courte et de longue durée ; démolition/recyclage ; parcs de
stationnement ; stations de lavage.
3. Données sociales de la branche des services de l’automobile, édition 2019.
marie-hélène delobbe
n° 227/2021-2
taxe fiscale est chargée du développement de dispositifs de formation de branche
tandis qu’avec son conseil des métiers des SA6, l’OPCO Mobilités assure le finan-
cement des actions de formation et le service de proximité auprès des entreprises.
EDUCATION PERMANENTE
n L’ingénierie de formation, une expertise à l’ANFA
Avec l’évolution de la législation en matière de formation professionnelle, la
mission première de collecte et de financement de l’ANFA s’est progressivement
enrichie d’autres missions, et particulièrement d’une mission d’ingénierie pédago-
gique et de formation qui s’est traduite par l’élaboration et la mise en œuvre de
divers dispositifs de formation et de certification de branche.
Deux dispositifs nous intéressent plus spécifiquement ici qui visent l’accom-
pagnement de la formation des jeunes par le travail, tant, on l’a vu, les entreprises
de la branche recourent de manière importante à l’alternance : la formation des
maîtres d’apprentissage et des tuteurs ; la « charte entreprise formatrice ».
4. Conseil national des professions de l’automobile, Fédération nationale de l’artisanat de l’automobile, Alliance
des services aux véhicules.
5. Fédération de la métallurgie, Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres,
Confédération française des travailleurs chrétiens des syndicats de la métallurgie ; Fédération générale des mines
et de la métallurgie-Confédération française démocratique du Travail ; Fédération confédérée Force ouvrière de
la métallurgie ; Fédération des travailleurs de la métallurgie-Confédération générale des travailleurs.
6. Constitué de représentants des mêmes organisations que la CPN.
marie-hélène delobbe
76
La construction progressive d’une AFEST de branche
Forts de ces éléments de contexte, auxquels s’est ajoutée la crise sanitaire,
n° 227/2021-2
n Un investissement tardif
Si la mise en œuvre de la politique de branche en matière de formation des
jeunes était historiquement assurée par l’ANFA, la formation continue était plutôt
l’apanage du GNFA. L’ANFA, alors OPCA, assurait essentiellement dans ce domaine
un rôle de financeur, même si les réformes successives de la formation à partir de
2004 la conduisirent à s’occuper toujours davantage d’ingénierie en matière de
formation continue. Le GNFA cherchait à faire financer par l’ANFA les formations
sur poste de travail qu’il commençait à déployer chez les carrossiers. L’ANFA
n’accordait qu’avec parcimonie ses financements, non sans s’être assurée au pré-
alable que la séparation de l’acte de formation et de l’acte de production soit scru-
puleusement respectée. Elle marquait ainsi son attachement à la définition légale de
l’action de formation prévalant dans le code du travail avant la loi de 2018.
n° 227/2021-2
des situations de travail et sur leur aménagement éventuel pour favoriser leur
potentiel d’apprentissage. Validé par la majorité des partenaires sociaux de la
branche, il fit l’objet d’une opposition de la part de la CGT10 et d’un accueil plutôt
réservé de la part de la FNA11. L’organisation salariale et l’organisation patronale
EDUCATION PERMANENTE
craignaient toutes deux des conditions de formation dégradées, la première par
non-respect, par les entreprises, des exigences réglementaires, la seconde par
manque de disponibilités au sein de ces dernières pour accompagner l’apprenant.
Ces réserves trouvaient finalement écho dans les conclusions de l’expérimen-
tation conduite par la DGEFP qui mettaient en évidence l’importance des condi-
tions d’organisation des apprentissages au sein des entreprises : analyse des situa-
tions de travail support et objet des apprentissages ; structuration d’un parcours de
formation alternant apprentissage formel en situation productive et séquences
réflexives ; mise en place de pratiques d’évaluation ; implication de la commu-
nauté de travail.
le conseiller devenait à son tour « tiers facilitateur » auprès d’une nouvelle entre-
prise supervisé par le consultant qui gardait toutefois à son entière charge, la
formation du formateur AFEST.
La crise sanitaire allongea la durée de l’expérimentation envisagée sur une
année. Le travail de prospection des entreprises par les conseillers OPCO fut
entravé par le confinement et rares ont été les entreprises bénéficiaires qui accep-
tèrent la réalisation de séquences d’accompagnement à distance. À ce jour, la
première phase est quasiment terminée sur l’ensemble du territoire tandis que la
deuxième n’a démarré que sur quelques régions. Les entreprises concernées par la
première phase relevaient, fruit du hasard, de secteurs d’activités diversifiés12,
témoignant d’un intérêt pour l’AFEST indépendamment du métier exercé. Plus de
la moitié appartenaient au secteur du CRA, dont on a déjà évoqué les tradition-
nelles pratiques formatives. L’AFEST fut mobilisée à l’adresse de nouveaux
entrants, ou de salariés déjà en poste pour favoriser la polyvalence, précieuse dans
les petites structures, ou pour soutenir une reconversion interne.
n° 227/2021-2
travail un peu lourd, elles espéraient le réinvestir en autonomie à d’autres occa-
sions pour formaliser et outiller leurs pratiques formatives, formelles ou infor-
melles, ou déployer de nouvelles AFEST.
S’est posée alors, à l’issue de la première phase de l’expérimentation, la ques-
EDUCATION PERMANENTE
tion du financement par l’OPCO du temps consacré par l’entreprise à l’ingénierie
de l’action. Le financement de l’AFEST doit-il seulement porter sur le temps
consacré à la transmission de ses compétences par le formateur AFEST au bénéfi-
ciaire apprenant ou doit-il intégrer également ce temps passé par les acteurs de
l’entreprise à rendre l’action possible dans le contexte qui est le leur ?
Si la première phase a respecté le schéma initial, il n’en est pas de même de
la seconde. La construction, par l’OPCO Mobilités, de sa politique en matière
d’AFEST a obligé l’ANFA à modifier, en cours de route, les objectifs de l’expéri-
mentation. L’OPCO s’attacha assez rapidement à préciser les modalités de finance-
ment de l’AFEST. Il distinguait l’AFEST ouverte à l’ensemble des affiliés de ses
vingt-deux branches financée par les contributions légales des entreprises à la
formation professionnelle, de l’AFEST dans la branche des SA susceptible de béné-
ficier d’un financement complémentaire grâce à la contribution conventionnelle
dont s’acquittaient spécifiquement ses entreprises. L’ANFA devait donc désormais
penser l’AFEST de branche dans sa complémentarité avec l’AFEST communément
appelée de « droit commun ». Par ailleurs, l’OPCO ne souhaitait plus confier à ses
conseillers le rôle de tiers facilitateurs en lieu et place des consultants, comme ce
fut envisagé au démarrage de l’expérimentation, l’étendue de leurs missions ne
leur en laissant pas le loisir. La formation des conseillers à ce rôle de tiers facilita-
teur dans le cadre de l’expérimentation fut abandonnée.
L’ANFA rédigea alors une note à l’attention du conseil des métiers SA de
l’OPCO précisant, dans ce nouveau contexte, les conditions de mise en œuvre de
l’AFEST. La note détaillait les critères d’éligibilité des projets de formation à
l’AFEST de branche. Il s’agissait de garantir l’existence, au sein de l’entreprise,
d’un réel projet de développement des compétences pour lequel l’AFEST consti-
tuait la modalité de formation la plus adaptée, s’appuyant sur des ressources
humaines, techniques et pédagogiques internes avec en particulier le recours à un
formateur salarié et ce, afin d’y installer des pratiques formatives « durables ». Elle
proposait de rendre obligatoire l’intervention d’un consultant tiers facilitateurs
pour accompagner l’entreprise et tout particulièrement le formateur salarié à orga-
niser le processus d’apprentissage afin de construire une action au plus près des
réalités du terrain, dans le respect des conditions règlementaires. Cet accompagne-
80 ment, visant l’autonomie des acteurs de l’entreprise pour la mise en œuvre
d’AFEST futures, relevait finalement d’une AFEST à trois niveaux : celui de l’ap-
prenant directement concerné par l’action, celui de son formateur/tuteur et, plus
n° 227/2021-2
issue si nécessaire. Elle doit permettre d’apprécier la manière dont peut s’articuler
l’intervention des conseillers ou chargés de missions de l’OPCO avec celle des
consultants. Il s’agira, pour ces derniers, de sortir de la dimension procédurale
inhérente au document administratif et de la tâche dans son aspect prescrit. Ils vont
devoir mettre en relation le langage pédagogique avec celui du travail, fait de
problèmes, de débrouillardise et de techniques.
n° 227/2021-2
la mise en place, dans les entreprises, de processus d’apprentissage structurés et si
possible pérennes, affirmant ainsi la singularité de la branche. Le second, lui, tout
en soutenant cette approche, doit garantir la cohérence et l’équité entre ses vingt-
deux branches dont l’histoire et les pratiques formatives peuvent diverger.
EDUCATION PERMANENTE
L’OPCO devra financer la prestation des consultants assurée, pendant l’expé-
rimentation, par l’ANFA qui les a choisis sur la base de critères bien définis. Avec
la libéralisation du marché de la formation renforcée par la loi de 2018, le choix
des consultants doit relever des entreprises bénéficiaires. Face à une offre de pres-
tations dans le champ de l’AFEST portée par des acteurs dont les compétences
s’éloignent parfois de celles énoncées plus haut, comment les entreprises artisa-
nales vont-elles faire leur choix ? Comment OPCO et ANFA s’organiseront-ils pour
garantir des prestations conformes aux orientations de la branche ?
La formalisation de leur projet par les entreprises requiert un accompagne-
ment pas à pas nécessitant une coopération étroite entre acteurs de l’OPCO et
consultants tant le passage à l’écrit peut être perçu par les entreprises comme une
obligation administrative sans rapport avec de réelles pratiques formatives. Nous
avons évoqué plus haut, l’intérêt qu’il y aurait à financer le temps passé par les
entreprises à ce travail d’ingénierie.
marie-hélène delobbe
*
Nous avons tenté de montrer en quoi l’AFEST met en jeu diverses approches
de la formation professionnalisante (alternance, stratégie de formation des
constructeurs pour leur réseau, pratiques des petites entreprises), des questions
institutionnelles, des enjeux financiers et commerciaux. C’est en jouant de ces
différents leviers, voire de ces divers obstacles, qu’une branche professionnelle,
investie depuis toujours dans la formation, cherche à construire une AFEST de
qualité, répondant aux enjeux de formation de ses entreprises et permettant à ses
salariés de développer leurs compétences dans un environnement de travail appre-
nant. u
Bibliographie
ZARCA, B. 1986. L’artisanat français, du métier traditionnel au groupe social. Paris, Economica.
EDUCATION PERMANENTE
CATHERINE BISSEY
Travail et formation :
un accord retrouvé ?
n° 227/2021-2
concepts et modes d’agir, à partir de quelques textes et témoignages. Notre propos
vise principalement la formation professionnelle continue. Néanmoins, nous
évoquerons le statut de l’apprentissage puisque des textes y afférant contribuent à
expliquer cette relation d’apposition-opposition. Nous examinerons ensuite le
EducATIoN PERmANENTE
caractère paradoxal du défi lancé aux acteurs du travail et de la formation par le
législateur, via l’AFEST1, ainsi que les hypothèses à partir desquelles il nous paraît
pertinent de consolider les liens retrouvés entre travail et formation.
CATHERINE BISSEY, directrice recherche et développement à l’OPCO des entreprises de proximité, cher-
cheure au laboratoire M-Lab Paris Dauphine, UMR CNRS 7088 (catherine.bissey@opcoep.fr).
1. AFEST ou FEST, nous utiliserons les deux appellations : AFEST pour désigner l’action reconnue par la loi de 2018,
FEST pour désigner l’action réelle menée dans les entreprises.
catherine bissey
des corvées qu’il fait au dehors comme au dedans de l’atelier, on lui devait au
moins de lui expliquer les procédés du métier qu’il doit apprendre ; et on le laisse
parfaitement ignorant de ces procédés. Il est moins élève que garçon d’atelier,
constamment occupé soit aux commissions soit à des travaux grossiers et si
EducATIoN PERmANENTE
élémentaires que son intelligence n’a presque rien à y voir » (corbon, 1859).
Pour prévenir cette situation, la loi du 22 février 1851 tente d’imposer un
contrat écrit et de définir des normes pour la formation et les obligations réci-
proques du maître et de l’apprenti : « Le contrat d’apprentissage est celui par lequel
un fabricant, un chef d’atelier ou un ouvrier s’oblige à enseigner la pratique de sa
profession à une autre personne qui s’oblige, en retour, à travailler pour lui ; le tout
à des conditions et pendant un temps convenu. » Le législateur y définit la forma-
tion mise en œuvre au sein de l’entreprise comme un « enseignement de la pra-
tique ». cette juxtaposition pourrait s’entendre comme une injonction paradoxale.
Force est de constater que le succès de la loi est faible. c’est alors qu’émerge
un mouvement, porté par des entrepreneurs libéraux, en faveur d’un enseignement
technique capable d’accueillir en son sein à la fois l’atelier et l’école. car bien que
la complémentarité de l’enseignement pratique et de l’enseignement théorique soit
jugée nécessaire, elle n’est envisagée qu’au sein de l’école. « c’est avant la mise
en apprentissage qu’il faudrait agir sur ces natures-là et sur toutes les natures, en
leur offrant un enseignement tout à la fois théorique et pratique [...] mais comment
catherine bissey
réaliser cette idée du double enseignement, c’est-à-dire comment faire que l’école
soit en même temps un atelier ? » (corbon, 1859). Le postulat qui fonde le principe
selon lequel l’école doit accueillir l’atelier – et non l’inverse – est que l’enfance,
trop tôt confrontée aux contraintes et aux difficultés du monde des adultes et du
travail, ne peut en comprendre et en maîtriser les codes : « Voici le problème qu’il
faudrait pouvoir résoudre en faveur des populations industrielles particulièrement :
faire que les enfants s’habituent le plus tôt possible au travail de la main, et les
placer le plus tard possible dans les ateliers. ce problème ne peut être résolu que
par la création de nombreuses écoles professionnelles » (ibid.). c’est donc à l’école
qu’on apprendra le travail.
La loi du 11 décembre 1880 confirme cette montée en puissance de l’ensei-
gnement technique, en créant les écoles d’apprentissage. Leur conseil d’adminis-
tration est placé sous la responsabilité du ministre de l’Instruction publique ou de
celui du commerce et de l’Industrie, et il compte des représentants du monde
industriel ou commercial. Ainsi l’entreprise contribue-t-elle, au moins à titre
symbolique, à la formation des débutants.
désormais titulaires d’un contrat écrit, les apprentis restent rares, et le monde
industriel naissant peine à recruter les jeunes professionnels que patrons et ouvriers 85
s’accordent à vouloir former sur le lieu même du travail, comme en témoigne Paul
delesalle, l’un des représentants de la confédération générale du travail : « c’est
n° 227/2021-2
à l’atelier, au chantier, à l’usine, sur le terrain même de la production moderne, au
milieu des progrès de chaque jour, que l’ouvrier de demain peut apprendre le
métier qui le fera vivre ou qui lui permettra d’apporter sa somme de labeur à la
collectivité émancipée » (Buisson, 1911). Par ces mots, le syndicaliste affirme la
EducATIoN PERmANENTE
nécessité du lien presque constant entre travail et formation, ainsi que le caractère
itératif de l’apprentissage.
c’est finalement en juillet 1919 que la loi Astier pose les bases d’un ensei-
gnement professionnel et instaure des cours obligatoires, gratuits, pour les
apprentis : cent-cinquante heures d’enseignement théorique et général par an.
L’enseignement délivré débouche sur le certificat d’aptitude professionnelle
(cAP). Le système de formation propose désormais deux modèles : le premier à
temps plein, à l’école ; le second en alternance, avec l’entreprise.
Le travail n’a néanmoins pas encore tout à fait gagné ses galons : la direction
de l’Enseignement technique est confiée au seul ministère de l’Instruction publi-
que. L’école reste maître du jeu ! Le travail peine à trouver une place, un statut, une
représentation partagée entre industrialisation montante et nostalgie du savoir-faire
artisanal. dans ce contexte, l’apprentissage reste une figure du passé. Formation et
travail ont encore du chemin à parcourir pour se rencontrer.
catherine bissey
que son caractère pratique nécessite que la formation soit conduite au sein de l’en-
treprise, le texte prescrit qu’elle se déroule « conformément à un programme établi
en fonction d’objectifs préalablement déterminés. ce programme précise les
moyens pédagogiques et d’encadrement mis en œuvre3 ». Au final, le pas franchi
EducATIoN PERmANENTE
n’est pas si grand : l’école peut, le cas échéant, entrer à l’usine, dans l’atelier ou la
boutique, à condition d’appliquer ses propres règles, codes et usages, modes de
penser et de faire... Tant pis si le travail ne s’y retrouve pas, tant pis s’il ne parle
pas la langue des pédagogues.
Paradoxalement, dans le même temps, la loi instaure la validation des acquis
professionnels4 et admet ainsi formellement que le lieu où le travail s’exerce est
aussi celui où s’acquièrent les compétences, y compris celles constitutives d’une
certification jusque-là délivrée par l’école exclusivement. L’entreprise devient l’es-
pace où s’acquièrent des capacités nouvelles, où le travail peut tenir lieu de
2. Article d 6321-3, loi n° 71-575 du 16 juillet 1971 portant organisation de la formation professionnelle continue
dans le cadre de l’éducation permanente (dite loi delors).
3. Article d 6321-1, loi n° 71-575 du 16 juillet 1971.
4. Article 8 : « Les titres ou diplômes de l’enseignement technologique sont acquis par les voies scolaires et univer-
sitaires, par l’apprentissage ou la formation professionnelle continue ou par la validation d’acquis professionnels
pour remplacer une partie des épreuves. Toute personne qui a exercé pendant cinq ans une activité profession-
nelle en rapport avec l’objet de sa demande peut demander la validation d’acquis professionnels qui pourront être
pris en compte pour justifier d’une partie des connaissances et des aptitudes exigées pour l’obtention d’un
diplôme de l’enseignement technologique. »
catherine bissey
parcours de formation, au point que, quelques années plus tard, la validation des
acquis de l’expérience (VAE) est reconnue comme produisant les mêmes effets que
les autres modes d’acquisition des connaissances et aptitudes5. Le caractère forma-
teur immanent du travail est en phase d’être reconnu.
Au-delà des postures contextuelles et idéologiques, en partie responsables de
cette contradiction intrinsèque aux textes fondateurs de la formation continue,
force est de constater que quelque chose « grippe » entre travail et formation. Soit
la formation est exclue du travail, soit elle s’y impose avec ses propres codes. or
son lexique est-il apte à interpréter le travail et à le transformer ?
La loi conclut ainsi une expérimentation menée par l’État et les partenaires
n° 227/2021-2
sociaux avec l’aide de onze organismes paritaires collecteurs agréés (oPcA) entre
2015 et 2017. La revendication forte des entreprises selon laquelle elles remplis-
sent bien leurs obligations de formation à l’égard de leurs salariés, d’une part, et la
nécessité pour l’État et les oPcA de rester dans le modèle hérité de 1971, d’autre
EducATIoN PERmANENTE
part, ont sans doute joué un rôle dans l’action mobilisée. cela peut expliquer le lien
établi, dès le démarrage de l’expérimentation, entre les FEST et leur indemnisation
par le dispositif financier de la formation professionnelle continue. Les retrou-
vailles de la formation et du travail sont motivées par l’intérêt financier, au moins
pour partie. mesure-t-on l’impact de cette association sur le caractère opérationnel
du dispositif ? Si l’AFEST peut être indemnisée, c’est inévitablement sous condi-
tions. La nécessité d’attester la réalisation de l’AFEST transforme la « réalité » de
la formation en situation de travail. L’AFEST doit être établie et tracée de manière
objective et incontestable ; elle est située dans le temps et dans l’espace ; elle mobi-
lise des protagonistes identifiés autour d’une action qualifiée, dont les objectifs
sont anticipés. La nécessité des traces fait perdre de vue le caractère souvent itératif
des FEST. Elle interdit en outre, de facto, l’émergence de FEST(s) que l’on pourrait
qualifier d’aléatoires, suscitées par l’erreur, la résolution de problèmes ou de
5. Article L. 335-5.-I, loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale : « Les diplômes ou les titres à
finalité professionnelle sont obtenus par les voies scolaire et universitaire, par l’apprentissage, par la formation
professionnelle continue ou, en tout ou en partie, par la validation des acquis de l’expérience. »
6. Article L. 6313-2, loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018.
catherine bissey
très (trop ?) précisément ce que le législateur considère être une AFEST, avec des
mots qui appartiennent au lexique de la didactique7 et non à celui du travail. dès
lors, ce mariage pourrait devenir un marché de dupes : en imposant ses codes, la
formation interdit d’éclairer ce qui unit. La réticence, voire le soupçon, que les
EducATIoN PERmANENTE
7. décret n° 2018-1341 du 28 décembre 2018 : « La mise en œuvre d’une action de formation en situation de travail
comprend : « 1) L’analyse de l’activité de travail pour, le cas échéant, l’adapter à des fins pédagogiques ; 2) La
désignation préalable d’un formateur pouvant exercer une fonction tutorale ; 3) La mise en place de phases
réflexives, distinctes des mises en situation de travail et destinées à utiliser à des fins pédagogiques les enseigne-
ments tirés de la situation de travail, qui permettent d’observer et d’analyser les écarts entre les attendus, les réali-
sations et les acquis de chaque mise en situation afin de consolider et d’expliciter les apprentissages ; 4) des
évaluations spécifiques des acquis de la formation qui jalonnent ou concluent l’action. »
8. Défis, enquête menée par le céreq auprès de 4 500 entreprises du secteur privé de dix salariés et plus pour un
total de 16 000 salariés, suivi de 2014 à 2019. La modalité est décrite comme des « périodes de formation orga-
nisées, qui se déroulent sur le lieu de travail, avec l’aide d’un tuteur » clairement dissociées des formations dites
informelles (comme, par exemple, apprendre avec un collègue, apprendre en réunion de travail) qui font l’objet
d’un questionnement propre.
catherine bissey
l’égard de l’AFEST qui, « avec ses séquences réflexives, peut faire peur à certaines
entreprises », ainsi qu’en témoigne un formateur spécialisé dans le bâtiment (Jean-
nin, 2019). cette même méfiance est celle exprimée par des patrons de l’alimenta-
tion de détail, à l’occasion d’une présentation du dispositif, en septembre 2019. Ils
déclarent craindre que l’AFEST ajoute de la complexité à un processus qui existe
déjà au sein de leurs organisations via, par exemple, la formation sur le tas ou l’ap-
prentissage. En d’autres termes, les employeurs, notamment ceux des TPmE,
considèrent que la formation qui se déroule au sein de leur entreprise est l’affaire
exclusive de l’entreprise... ce qui, dans un contexte d’obsolescence quasiment
programmée des compétences, pourrait évoquer les recommandations des experts :
« Apprendre sera un processus permanent et non plus isolé dans le temps [...] Par
conséquent, l’organisation du travail devra “embarquer” l’apprentissage au plus
près de l’activité, interrogeant du même coup le contenu des compétences »
(Enlart, 2018). c’est dans ce cadre que l’AFEST a été mise en place, et c’est parti-
culièrement les TPmE qu’elle vise.
Quant aux travailleurs, cibles du dispositif, certains d’entre eux observeraient
avec une certaine inquiétude l’intrusion de la formation sur le lieu même du travail.
En s’invitant dans l’exercice de l’activité, la formation leur signifierait qu’ils ne 89
maîtrisent pas suffisamment les tâches qui leur sont confiées. Être apprenant, au
sein même de l’entreprise où l’on exerce, serait faire l’aveu de sa disqualification :
n° 227/2021-2
« Pour certains salariés, être appelé apprenant agit à l’encontre des dimensions
positives de leur identité professionnelle et peut être compris comme un signe que
l’on n’est pas à sa place » (Boud et Solomon, 2003).
Enfin, le caractère proche de l’informel des apprentissages développés par la
EducATIoN PERmANENTE
FEST n’autorise pas, pour l’instant, une reconnaissance formelle des acquis de la
formation. dans un contexte où le salarié est tenu pour responsable de son
employabilité, on comprend la réserve de certaines organisations syndicales à l’en-
droit d’un dispositif qui ne semble apte à servir que les seuls intérêts de l’entre-
prise ; le péché originel de la formation permanente n’est pas loin.
Que l’on mette de la formation dans le travail ou du travail dans la formation,
on ne parvient que difficilement à les rassembler. À quelles conditions l’AFEST
parviendra-t-elle à les réconcilier ?
on n’apprend pas sans anticiper l’effort à venir, sans mériter le but vers lequel on
souhaite tendre ? La conscience est-elle toujours préméditée, le résultat d’un
vouloir-faire ? Les études sont pourtant multiples indiquant qu’il existe « des
apprentissages fortuits sans volonté d’apprendre, où l’apprentissage est le résultat
d’une rencontre, d’une situation qui n’a pas été programmée. dans ce cas, l’ab-
sence de volonté peut être accompagnée d’une conscience d’avoir appris quelque
chose » (Brougère, 2016). Identifier, même a posteriori, que quelque chose de
nouveau a été appris ne suffit-il pas à rendre conscient de ce savoir tout neuf ? La
conscience comprend-elle autre chose que de la lucidité ? Enfin, pour régler
temporairement son compte à la « conscience », le Littré indique que le terme
désigne également, dans d’imprimerie, le « travail à la journée, sans autre mesure
que la conscience de l’ouvrier ». Voici de quoi alimenter l’hypothèse d’un lien con-
substantiel entre travail et conscience, entre travail et formation.
Paradoxalement, cet apprentissage qui peine à être reconnu est affublé d’un
florilège d’expressions dont cristol et muller (2013) proposent un bel inventaire :
« Apprentissages accidentels, intentionnels, incidentels, implicites, nomades, expé-
rientiels, émergents, actifs [...] autodirigés, autonomes, entre pairs, non formels,
90 pratiques... » cette polysémie signe-t-elle la richesse du concept ou au contraire
l’incapacité collective à le stabiliser, et donc à le reconnaître ? L’absence d’institu-
tion de référence pourrait être l’autre faute dont souffre implicitement la FEST :
n° 227/2021-2
« cela a-t-il un sens de dire que l’apprentissage en tant que tel est informel [ou
formel] ? [...] Il s’agit d’une définition négative par ce qui n’est pas [...] mais c’est
un résultat historique lié au fait que l’apprentissage a plutôt été étudié dans des
situations formelles » (Brougère, 2016). une formation perçue intrinsèquement
EducATIoN PERmANENTE
En guise d’épilogue
Penchée sur le miroir, la formation en situation de travail interroge son reflet,
le travail en situation de formation. La nécessaire réciprocité des deux actions va 91
de soi.
À ce jour l’AFEST, sur laquelle l’écosystème de la formation s’est fortement
n° 227/2021-2
engagé, n’a pas été investie par les entreprises, tout au moins sous cette forme.
Pour que l’activité soit en même temps formatrice, il nous semble que c’est l’en-
vironnement de travail, les process mobilisés, les interactions des personnes agis-
sant qu’il faut mobiliser. c’est à condition d’impacter l’organisation que la FEST
EducATIoN PERmANENTE
joue son rôle, en transformant autant ceux qui savent que ceux qui apprennent ;
c’est en renouvelant le travail que la FEST agit. cela est possible à condition que
le travail inclue la formation, et non l’inverse. c’est pourquoi il nous semble néces-
saire de préserver l’autonomie des organisations dans la prise en main de l’AFEST.
c’est à elles qu’il revient de piloter la formation en situation de travail. c’est pour
cela qu’oPco EP, l’opérateur des compétences au service des entreprises de proxi-
mité, fait le pari, dans le cadre d’un prototype en cours de construction et d’expé-
rimentation avec des TPE en Ile-de-France, de ne pas faire entrer d’experts dans les
structures engagées dans l’action. Ils restent sur le seuil, apportent de la méthode
si nécessaire, et sont garants, le cas échéant, de la connaissance formelle à laquelle
se réfère l’opération menée. L’hypothèse questionnée via ce test est que la FEST
transforme l’entreprise et ses acteurs à condition d’être menée depuis l’intérieur de
l’organisation, au rythme du travail et de ceux qui l’exercent. u
catherine bissey
Bibliographie
BOUD, D. ; SOLOMON, N. 2003. « “I don’t think I am a learner”. Acts of naming learners at work ».
Journal of Workplace Learning. Vol. 15, n° 7/8, p. 326-331.
BROUGÈRE, G. 2016. « De l’apprentissage diffus ou informel à l’éducation diffuse ou informelle ».
Le Télémaque. Vol. 49, n° 1, p. 51-63.
BROUGÈRE, G. ; BÉZILLE, H. 2007. « De l’usage de la notion d’informel dans le champ de l’éducation ».
Revue française de pédagogie. N° 158, p. 117-160.
BUISSON, F. (dir. publ.). 1911. Nouveau dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire. Paris,
Hachette.
CASER, F. ; FREUNDLIEB, I. (coord.). 2018. Expérimentation AFEST. Rapport final. Paris, DGEFP,
COPANEF, CNEFOP, FPSPP, ANACT.
CORBON, A. 1859. De l’enseignement professionnel. Paris, Dubuisson.
CRISTOL, D. ; MULLER, A. 2013. « Les apprentissages informels dans la formation pour adultes ».
Savoirs. N° 32, p. 11-59.
92 ENLART, S. 2018. « L’organisation apprenante renouvelée par le digital ». Éducation permanente.
N° 216, p. 13-22.
n° 227/2021-2
JEANNIN, P.-Y. 2019. « L’AFEST, avec ses séquences réflexives, peut faire peur à certaines
entreprises ». AEF Info. N° 610905, 1er août.
OLRY, P. ; VIDAL-GOMEL, C. 2011. « Conception de formation professionnelle continue : tensions
EducATIoN PERmANENTE
Analyser le travail pour la formation ne va pas de soi, surtout dans les activités
de service où « c’est en fonction de l’action de l’un que l’autre ajuste sa propre
action » (Mayen, 2017). S’engager dans une intervention à l’hôpital demande de
prendre une juste distance avec un terrain d’enquête et d’action particulier, pris en
tenailles entre un travail de « care [...] souci des autres – plus largement du vivant
– réalisé à travers des activités concrètes » (Molinier, 2010), et une volonté d’op- 93
timisation financière dans laquelle l’hôpital s’est engagé depuis plusieurs décen-
nies, nourri des outils du « nouveau management public » (Belorgey, 2010).
n° 227/2021-2
C’est dans un contexte complexe que, en tant que manager de proximité
d’une structure d’urgence hospitalière, j’ai conduit une intervention interne articu-
lant analyse du travail et formation. Les premiers enseignements de cette expé-
rience permettent de comprendre comment un dispositif de formation en situation
EDUCATION PERMANENTE
de travail peut ouvrir l’accès à l’instauration d’espaces dialogiques croisés sur le
travail et son organisation, en questionnant la place des savoirs et les conditions de
la recomposition des rapports entre management, professionnels du soin et activité.
THÉOPHILE BASTIDE, Cadre supérieur de santé, formateur des professionnels de santé à l’Institut de forma-
tion des cadres de santé de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (theophile.bastide@aphp.fr)
théophile bastide
1. Sauf précision contraire, nous utiliserons ici le féminin au regard de la proportion bien plus importante de
femmes au sein de la profession.
théophile bastide
n° 227/2021-2
formuler des hypothèses et d’évaluer la criticité du risque. Le jugement des infir-
mières sur leur propre travail est d’autant plus complexe qu’elles le font principa-
lement reposer sur l’adéquation de leur tri avec le diagnostic médical final du
patient. Or ce dernier mobilise un faisceau de ressources (savoirs cliniques,
EDUCATION PERMANENTE
examens complémentaires...) difficilement accessible aux infirmières, et il n’est
déterminé qu’à distance, bien souvent après la fin de leur journée de travail. Les
infirmières sont donc en grande difficulté pour évaluer et défendre leur activité ;
faute d’autres critères d’évaluation partagés, leurs choix font l’objet de critiques,
voire de moqueries, plus ou moins ouvertes, de la part de médecins mais aussi de
collègues. L’ensemble compose des présomptions de culpabilité subjectivement
irrécusables et, en l’absence de « prise d’information qui critérie l’achèvement »
de l’opération (Vermersch, 2017), se pose alors la question : « Est-ce que je sais si
je sais ? », point aveugle de l’activité des IOA, et défi de taille pour leur formation.
Tenter d’assurer, avec toutes les difficultés que cela comporte, la sécurité du
patient durant son temps de présence en salle d’attente constitue une part centrale
de leur travail. C’est sans doute celle qui fait l’objet du plus grand nombre de pres-
criptions, destinées à combler, de manière évidemment illusoire, l’ensemble des
failles qui pourraient amener à « passer à côté » d’une urgence de prise en charge.
La « peur de l’erreur », omniprésente et influencée par les représentations indivi-
duelles de la responsabilité, fait l’objet de redéfinitions individuelles de la tâche.
Celles-ci sont destinées à diminuer son acuité mais aussi à l’« atteler », car elle
théophile bastide
partir de « régularités dans le réel » (Pastré, 2018). Mais peut-on former à ces
« savoir-combiner » si les professionnelles ne sont pas confrontées à la nécessité
de hiérarchiser les buts de leur activité ? Il nous a semblé pertinent de proposer aux
apprenantes un espace pédagogique complémentaire de la formation externe exis-
tante, cette dernière paraissant traiter la structure de l’activité de manière décon-
textualisée, toutes choses étant égales par ailleurs. Il fallait permettre aux infir-
mières de construire leurs propres modèles opératifs, non par imitation mais par
confrontation au réel. Plusieurs binômes d’apprenantes ont ainsi bénéficié, après
six mois d’exercice dans le service, de deux journées de formation au poste IOA
« en situation de travail », alternant phases de mise en situation et phases de
réflexivité, accompagnées par une infirmière. Malgré un contexte contraint en
matière de ressources, les enjeux du dispositif, associés à ma position dans la struc-
ture, ont permis de disposer des appuis nécessaires à sa réalisation : mise à dispo-
sition « hors soins » des accompagnatrices et des apprenantes, inscription de l’ac-
tion au plan de formation.
Sans revenir ici sur l’ensemble du dispositif pédagogique et sur ses motifs,
précisons qu’il fit l’objet d’une construction collective, fondée sur une progressi-
vité pédagogique, un « droit à l’essai » et une sécurisation nécessaire pour une telle 97
activité à risque. L’ensemble a été facilité par l’étayage habile des infirmières
accompagnatrices, toujours présentes en retrait vigilant auprès des apprenantes,
n° 227/2021-2
« freinant » le réel quand il s’avérait trop complexe, puis le laissant se déployer
progressivement. Dans la mesure du possible, elles n’intervenaient qu’à la fin des
séquences de tri, laissant ainsi aux apprenantes, malgré les difficultés déjà expo-
sées, l’accès aux résultats de leur action.
EDUCATION PERMANENTE
Les séquences réflexives identifiées après les mises en situation étaient l’oc-
casion d’une exploration collective des buts de l’action, de ses modalités réfléchies
et de ses inférences. Mais ces « parenthèses intellectives », reliant « les moyens et
les fins » (Mayen, 2014) de l’activité, ont rapidement nécessité un accompagne-
ment méthodologique, que je me suis proposé d’assurer, au regard de mon
parcours singulier (formation à l’analyse du travail, à l’entretien d’explicitation),
de ma participation à la phase d’analyse collective, et des possibilités que laissait
présager la présence d’un manager de la structure. Les discours des apprenantes
s’en trouveraient certainement modifiés, mais nous souhaitions en prendre le
risque, collectivement débattu et choisi.
n° 227/2021-2
dispositif s’éloignait d’une perspective formatrice rigoureuse, qui aurait déployé
objectifs pédagogiques, compétences ciblées, activités contributives, critères et
indicateurs de résultats. Rares étaient ceux qui ne promouvaient pas une évaluation
individualisée et décontextualisée des « performances », qui aurait permis de ré-
EDUCATION PERMANENTE
ajuster les comportements individuels par des moyens organisationnels ou pédago-
giques. Mais le travail d’analyse mené avec les équipes, avant et pendant les
formations, révélait de manière patente qu’il est impossible d’« identifier les
compétences isolément ou à distance du travail », et surtout qu’il n’existe « aucune
proportionnalité entre performance et travail » (Dejours, 2003). Nous ne pouvions
évidemment pas exclure la présence d’erreurs d’appréciation clinique ni les ques-
tions liées à la hiérarchisation des buts. Mais évaluer la performance individuelle
risquait de dénier le travail réel, majorer la peur et contribuer à l’isolement. Néan-
moins, ce processus n’excluait pas la dimension « performative » du dialogue
réflexif, « faisant advenir la réalité par le fait d’être accompli » (Filliettaz, 2018) et
contribuant à une certaine « attribution de compétence » (Stroobants, 1993) fondée
sur la confiance : « Habituellement, on se méfie des autres, surtout des nouveaux
infirmiers. Je te ferai confiance, Charlotte, parce que je t’ai vue trier, et parce que
j’ai pu entendre ce que tu dis de ce que tu fais. » Cette confiance a permis de
dépasser les aspects qualifiants de l’habilitation et, d’une certaine manière, d’auto-
riser les novices, après leur formation, à partir ferrailler avec l’incertitude, c’est-à-
dire avec ce qu’elles n’avaient ni vu, ni expérimenté, ni appris en formation.
théophile bastide
être assurées ex ante, on ne peut nier les risques encourus par un tel dispositif.
Outre ces conditions épistémologiques et éthiques, l’intervention nous sem-
ble devoir sa pertinence à l’impasse dans laquelle nous nous trouvions avant de la
mener. L’analyse avait révélé la nécessité, à cet instant précis de l’histoire de l’or-
EDUCATION PERMANENTE
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théophile bastide
102
n° 227/2021-2
EDUCATION PERMANENTE
SOPHIE AUBERT
La performance globale durable englobe les aspects liés à la qualité, aux délais,
à la santé et à la sécurité, mais aussi au développement des compétences des sala-
riés. En vingt-cinq ans, le département « ergonomie et performance industrielle »
d’une entreprise d’assemblage aéronautique a développé ce dernier champ d’inter-
vention pour répondre à des enjeux industriels cruciaux. Il a conduit à transformer
les dispositifs de formation existants (basés sur l’apport de connaissances suivi
d’un tutorat sur le poste de travail) en développant un concept de formation par la 103
pratique : en situation productive (directement sur avion) ou non productive
(déportée dans un atelier d’apprentissage). Le choix entre les deux formats dépend
n° 227/2021-2
des risques liés à la maîtrise, ou non, des compétences en début d’apprentissage,
en termes de risques sécurité, de non-qualité et de répercussions psychosociales.
Nous proposons de témoigner de l’importance de l’ingénierie amont, c’est-à-dire
de l’analyse de la demande jusqu’à la conception du dispositif de formation, et
EducatIoN PErmaNENtE
notamment de l’analyse et de la négociation des conditions de réussite de tels
dispositifs. Notre propos sera illustré par des interventions dans trois ateliers : pein-
ture, assemblage du fuselage et réglage des portes passagers.
n° 227/2021-2
formation en place ne répond pas au besoin.
L’ergonome analyse en premier lieu les référentiels qualité et procéduraux
pour comprendre les exigences techniques des différentes tâches à réaliser. Puis
une analyse de l’activité réelle de travail permet de déduire les exigences du travail
EducatIoN PErmaNENtE
humain pour atteindre la qualité attendue. ces deux étapes permettent d’identifier
les ressources que les opérateurs doivent mobiliser et combiner pour agir avec
pertinence dans une classe de situations. Se dessinent ainsi les contours des compé-
tences à convoquer en situation. L’analyse des dispositifs de formation en place
(temps et ressources alloués, compétences réellement développées) débouche sur
un diagnostic duquel peuvent découler des marges de négociation pour transformer
les dispositifs de formation au regard des enjeux relevés.
Les peintres œuvrent collectivement (ils sont une douzaine) autour de l’avion,
chacun dans sa zone mais en assurant les recouvrements aux jonctions. Les référen-
tiels décrivent les gestes à réaliser dans des termes flous : première couche en
simple voile ; deuxième et troisième couches croisées pour une épaisseur totale
sèche de x microns. or, la composition chimique de la peinture variant selon la
teinte et le fournisseur, il est impossible d’estimer l’épaisseur sèche lors de la pulvé-
risation au pistolet. Sous un masque et dans un nuage de peinture, il est en outre
impossible de communiquer pour se coordonner, encore moins pour tutorer le
nouvel arrivant. Le novice doit comprendre que le peintre a, qui démarre l’appli-
cation, est le chorégraphe du ballet qui va se déployer (aubert, 2000). c’est lui qui
sophie aubert
106
n° 227/2021-2
n° 227/2021-2
préparant aux cQPm ajusteurs aéronautiques, des perçages sont réalisés sur des
tôles verticales de 1 à 2 mm d’épaisseur. avec une si faible épaisseur, il est impos-
sible de savoir si le perçage est perpendiculaire ou non, et donc de corriger son
geste si besoin. dans les deux cas, les opérateurs ne disposent pas des moyens de
EducatIoN PErmaNENtE
développer les savoir-faire de perçage manuel requis par le poste. au sein de l’en-
treprise, l’apprentissage se déroule donc principalement par le tutorat : observation
du tuteur sur deux avions puis réalisation du perçage sous le guidage du tuteur, qui
commente le geste du novice par rapport à sa propre expérience et à son propre
corps. compte tenu des différences morphologiques d’un individu à l’autre, il est
difficile de décrire un geste et une posture qui conviennent au débutant, d’autant
plus que cette posture doit être ajustée tous les trois trous environ du fait des zones
évolutives de l’avion. on entend fréquemment le tuteur dire : « Non, pas comme
ça », empêchant le novice de tester diverses façons de faire. Le tuteur cherche à
éviter à tout prix le défaut sur avion car le perçage est une opération « destructrice »
(le métal non remis en place peut occasionner une faiblesse dans la structure en cas
de défaut important). Pour le novice, il est difficile de comprendre ce qui se joue,
car le défaut d’un perçage non perpendiculaire ne se révèle qu’après le passage du
robot trois jours plus tard. La distance temporelle entre la prise de décision, l’action
et le résultat produit est trop longue pour que le novice puisse établir un lien de
cause à effet : comment ai-je percé le trou n° 434 pour obtenir un tel défaut ? Que
faudrait-il modifier pour percer de manière conforme ?
sophie aubert
pas accès à son raisonnement : « Là je règle les butées, puis je règlerai l’écrou
cannelé... » mais pourquoi, sur cette porte, le tuteur décide-t-il de régler d’abord les
butées ? Pour quel mouvement de la porte ?... L’opérateur novice ne pose pas ces
questions. Et s’il le faisait, le tuteur serait en mal de lui expliquer son raisonnement,
un réglage de porte pouvant durer plusieurs heures, voire deux vacations.
malgré les formations mises en place par l’entreprise pour les peintres ou les
assembleurs, apprendre directement sur avion en produisant de nombreux défauts
n’est acceptable ni industriellement ni humainement. dans le cas des régleurs, une
représentation erronée de la porte dans l’espace ou un mauvais choix de réglage
n’engendre pas de risque pour l’avion mais implique une perte de temps et un sur-
coût de production.
n° 227/2021-2
– les tuteurs doivent empêcher les erreurs de leurs tutorés, ce qui empêche tout
apprentissage par l’erreur et toute exploitation pédagogique de celle-ci par un retour
réflexif médié.
EducatIoN PErmaNENtE
permettre à l’opérateur apprenant d’élaborer ses savoir-faire, de combiner ses
ressources dans des situations de travail simulées (sans danger ni pour lui, ni pour
ses collègues, ni pour l’avion), avant de terminer l’apprentissage en tutorat en
situation productive. Les situations de travail sont dites simulées car l’opérateur
doit réaliser des exercices à l’aide de gammes de travail et de plans, conçus sur le
même modèle que les documents utilisés au poste de travail.
S’agissant des perceurs du fuselage, la qualité exigée dans les exercices est la
même que sur avion ; les outils de travail sont identiques au futur poste de desti-
nation de l’apprenant. En fin d’exercice, le formateur joue le rôle du contrôleur
qualité qui dit si les trous sont conformes ou pas.
Pour accélérer l’élaboration des compétences, il faut permettre à chaque indi-
vidu de combler ses lacunes, et elles varient d’une personne à l’autre. Le pro-
gramme est conçu de manière à aborder progressivement la complexité des
compétences : acquisition des savoir-faire unitaires simples dans des situations
posturales simples (plans verticaux), puis sur des plans inclinés, en intégrant
progressivement des éléments gênant l’accessibilité à la zone de travail ou la prise
de posture. Passer à l’exercice de complexité supérieure impose que soit atteint un
sophie aubert
taux de réussite défini à l’avance et connu des apprenants. Le cas échéant, un exer-
cice de niveau équivalent est proposé jusqu’à consolidation du savoir-faire. ce
système permet aux apprenants de prendre le temps de travailler les points non
acquis. En contrepartie, cette gestion de la formation complexifie le travail du
formateur obligé d’individualiser les exercices.
Les formateurs sont des opérateurs expérimentés, déjà tuteurs, qualifiés pour
les opérations qu’ils doivent encadrer. une formation de cinq jours les aide à
conscientiser les ressources qu’ils combinent pour maîtriser les situations, mettre
des mots en se détachant de leur propre corps, apprendre à animer la boucle d’ap-
prentissage rapide, s’approprier les objectifs pédagogiques de chaque exercice,
adhérer aux principes de ces formations en situation de travail déportée. Ils peuvent
être détachés à temps plein ou continuer à exercer leur mission d’opérateur. ce sont
des personnes ressources pour les opérateurs débutants, qui ont plus de facilité à
venir se confier à eux sur leurs difficultés qu’auprès de leurs tuteurs qui doivent les
évaluer pour clore la phase de tutorat (Beaujouan et al., 2019).
plus de temps pour obtenir les jeux conformes avec des risques de retard de
production sans répercussion sur le délai de livraison à la compagnie aérienne. Les
risques sécurité sont limités et maîtrisés par une procédure condamnant, en cours
de réglage, l’accès à la porte à des tiers. La présence de nombreuses portes sur un
EducatIoN PErmaNENtE
sentativité des situations de travail réel afin de réduire ces coûts. on peut aujour-
d’hui affirmer qu’un dispositif de formation à la pratique en atelier d’entraînement
divise par deux ou trois le temps nécessaire à l’acquisition de l’autonomie.
n° 227/2021-2
calquée sur celle de l’atelier de production ; c) des outils identiques à ceux du
poste ; d) des matières premières consommables représentatives avec une
recherche d’optimisation des coûts ; e) un processus logistique d’approvisionne-
ment et de gestion du parc machines ; f) des outillages simulant les caractéristiques
EducatIoN PErmaNENtE
principales des situations de travail sur avion ; g) une liste d’aléas à introduire
concernant les matières premières, les machines, la documentation, la coactivité ;
h) un outil de suivi des acquisitions en termes de réalisation et d’autocontrôle pour
piloter la progression de chacun, selon une notation objective et transparente pour
tous ; i) une méthode spécifique pour accélérer les acquisitions détaillées dans l’en-
cart ci-dessous ; j) un mode de fonctionnement qui en fait un atelier à part entière
jusque dans son rattachement fonctionnel et opérationnel, avec un manager appelé
« responsable intégration formation » (rIF), garant de l’intégration et de la forma-
tion de l’ensemble des opérateurs de son périmètre. dernier point et non des
moindres : le budget de fonctionnement du dispositif est un budget production et
non pas un budget formation. Le pilotage de la durée de l’apprentissage par le taux
de réussite garantit une indépendance à l’égard des gestionnaires formation qui
cherchent à standardiser la durée des modules et à optimiser leur coût. Finalement,
nous avons développé un dispositif d’apprentissage individualisé.
1. un consensus est trouvé : 85 % de réussite à la réalisation des opérations d’assemblage en situations simulant la
soute, à condition que l’opérateur soit en capacité de détecter 100 % de ses défauts (capacité d’autocontrôle). ce
chiffre se base sur notre diagnostic initial où le taux de réussite d’un opérateur expérimenté avoisine les 92 %.
sophie aubert
– le formateur est un opérateur expérimenté, volontaire, tuteur sur son poste ; son
profil a été validé par son manager et par le responsable intégration formation ;
– l’opérateur qui commence sa formation n’est pas toujours en posture d’apprenant,
notamment s’il se considère expérimenté. Pour faciliter cette prise de posture, il doit
EducatIoN PErmaNENtE
réaliser un exercice avec une complexité cachée, comme sur avion, sans aucune
intervention du formateur. Le taux de réussite à cet exercice varie entre 0 et 50 %
alors que l’opérateur pense d’abord qu’il s’agit d’une simple formalité. Il s’agit de
chercher à comprendre pourquoi il n’est pas parvenu à réussir à 100 %. ce faisant,
l’opérateur adopte une posture d’apprenant, commence à formuler des hypothèses,
cherche à améliorer ses résultats par lui-même. cette ouverture d’esprit lui permet
de pratiquer la boucle d’apprentissage rapide et d’accélérer ses apprentissages.
Conclusion
toutes les demandes de conception de formation ne se traduisent pas systé-
matiquement en dispositifs. certaines difficultés rencontrées par les opérateurs
peuvent être résolues par des transformations physiques des situations de travail.
créer une formation n’est pas toujours la solution la plus efficace. Inversement,
certaines demandes d’intervention débouchent sur la conception de formations. La
phase de diagnostic est essentielle pour éclairer la réelle problématique du terrain
et y répondre de manière pertinente. Les résultats obtenus par des dispositifs
mixant formation en situations de travail productives et non productives sont
encourageants. Les derniers travaux de recherche laissent entrevoir l’intérêt d’étu-
dier les conditions permettant d’accélérer des apprentissages à forte valeur ajoutée.
Par condition, il faut entendre à la fois les modalités de formations mobilisées et
leur combinaison (salle training, e-learning, réalité virtuelle, etc.) reliées au rende-
ment didactique effectif du dispositif, et à la fois les conditions politiques, finan-
cières et opérationnelles à satisfaire pour ancrer le dispositif et son évolution au
cœur de l’entreprise. L’expérience accumulée depuis près de vingt ans dans ce
champ souligne avec certitude l’intérêt de travailler l’amont pour permettre une 113
ingénierie didactique et pédagogique, ainsi qu’une ingénierie organisationnelle et
politique, du dispositif de formation pour en assurer sa pérennité.
n° 227/2021-2
Nous avons longtemps fait face au mythe qu’il existe, en France, un diplôme,
pas seulement pour entrer dans un métier mais pour tenir un poste de travail en
étant rapidement opérationnel. Nos diagnostics ergonomiques ont montré l’écart
entre les compétences réellement requises par le poste et celles acquises en forma-
EducatIoN PErmaNENtE
tion initiale, ce qui est d’ailleurs un facteur de risque d’apparition de risques
psychosociaux. depuis dix ans, le couplage entre formations en situation de travail
non productives (simulées) et productives (tutorat) – « apprendre pour être en
capacité de tenir son poste de travail » – est une tâche toujours fortement attendue
mais de plus en plus reconnue dans l’entreprise. Grâce à l’introduction de nou-
velles technologies, élaborer des dispositifs d’apprentissage permettant à des
opérateurs d’évoluer sur différents postes ou de changer de métier tout au long de
leur carrière en développant leur capacité à apprendre constitue plus que jamais un
enjeu actuel pour la compétitivité et pour relever les défis de demain. u
Bibliographie
Le pouvoir de l’éprouvé
et les limites d’un process expérimental
n° 227/2021-2
lité d’AFEST particulière est ainsi questionné grâce à l’étude des documents
produits tout au long de l’expérimentation et à des entretiens compréhensifs réa-
lisés avec les principaux acteurs en présence : consultante, formateur et apprenant.
En filigrane, est posée la question du formalisme imposé par cette modalité parti-
EDUCATION PERMANENTE
culière d’AFEST et de son adéquation avec les réalités de la très petite entreprise.
selon une modalité pertinente au regard des besoins de formation qu’il rencontre
dans son entreprise.
De concert avec la conseillère de l’OPCO, le dirigeant a défini le projet
d’AFEST : former l’apprenant afin qu’il développe ses compétences sur le change-
EDUCATION PERMANENTE
ment de l’aile avant d’une Jaguar XK140 rentrée en rénovation complète de carros-
serie. Il s’agit d’une tâche spécifique mais récurrente dans l’entreprise, complexe
et coûteuse, que l’apprenant n’a encore jamais eu l’opportunité de réaliser intégra-
lement. En devenant action de formation, cette activité est entrée dans une double
temporalité : celle de la formation et de la mise en conformité du protocole, mais
aussi celle de la production de l’entreprise, qui devait remettre la voiture restaurée
à son client dans les délais impartis. Nous questionnerons plus avant la potentielle
ambivalence entre ces temporalités, qui soulève des interrogations quant à la
manière la plus pertinente de mettre en place des AFEST économes et efficientes
au sein de TPE.
Un cabinet de conseil a été missionné par l’ANFA pour mener l’accompagne-
ment de cette AFEST. La mission de la consultante est complexe : piloter la mise
en œuvre de l’action de formation, former le formateur AFEST et accompagner les
conseillères de l’OPCO, actrices de cette expérimentation. L’accompagnement
s’étant déroulé durant la période de crise sanitaire, l’ensemble des étapes de prépa-
ration de l’AFEST ont été réalisées à distance, en visioconférence. Cette modalité
céline rössli, olivia berthelot
de travail était nouvelle pour la consultante et pour le formateur, qui par ailleurs
maîtrisait peu l’outil informatique. La consultante a ensuite pu se rendre dans l’en-
treprise pour accompagner la mise en œuvre de la première séquence et finaliser la
formation du formateur.
Suivant le protocole de cette expérimentation, l’AFEST s’est déroulée en cinq
étapes : analyse de l’activité permettant de formaliser le référentiel d’activités et de
compétences cibles ; évaluation-positionnement de l’apprenant ; formation du for-
mateur AFEST ; mise en œuvre des séquences et évaluation finale. Ces étapes ont
été précédées d’une période durant laquelle la consultante s’est familiarisée avec
les singularités de l’environnement du travail et des acteurs participants à l’AFEST,
au parcours de chacun, à l’histoire, au cadre professionnel et culturel de l’entre-
prise. Cette phase est l’un des préalables indispensables à l’AFEST, les possibilités
de formations en situation de travail entretenant un lien étroit avec les organisa-
tions du travail et dépendant fortement des ressources en place.
Quelles sont les ressources internes en termes d’outils, mais aussi de culture
managériale, permettant de développer des terrains propices à l’apprentissage ?
Quelles places sont données aux salariés et quelles places prennent-ils ? Comment
travaille-t-on ensemble ? Comment traite-t-on les difficultés du travail ? Comment 117
se débrouille-t-on avec l’incertitude et l’imprévisible qui ne manquent pas de
surgir ? Durant cette phase, il s’agit également de repérer la présence d’éléments
n° 227/2021-2
déterminants à la réussite d’une AFEST – et à toute forme d’apprentissage au
travail : coopération, zones d’autonomie, capacité de débat autour du travail...
Le dirigeant de la carrosserie, placé en position de formateur, est un homme
de 55 ans, à la tête de cette entreprise depuis vingt ans. Compagnon du devoir, il a
EDUCATION PERMANENTE
une longue expérience de formation à son actif, sans toutefois avoir lui-même été
formé à la pédagogie autrement que par sa propre expérience de compagnonnage.
Son fils, l’apprenant, l’a rejoint dans l’entreprise dix-huit mois avant le début de
l’AFEST. Issu d’une formation en chaudronnerie par la voie de l’alternance, il
dispose déjà de certaines compétences utiles à son activité actuelle mais doit en
acquérir d’autres, plus spécifiques.
Outre son protocole relativement strict, l’une des particularités de cette
AFEST est que les cinq étapes qui l’ont composée ont été réalisées en la présence
de l’ensemble des acteurs : consultante, formateur, apprenant et une à deux
conseillères de l’OPCO. La présence de l’apprenant, inhabituelle durant les phases
de construction de l’AFEST et de formation du formateur, s’est faite sur demande
partagée des acteurs. Cette présence, et la liberté d’intervention dans les échanges
laissée à l’apprenant, ont largement participé du caractère apprenant et capacitant
de l’expérience. Une autre particularité tient à la présence des conseillères de
l’OPCO, placées en position d’observation et d’apprentissage lors des séquences,
et réalisant des moments de débriefing réguliers avec la consultante, hors de la
céline rössli, olivia berthelot
Fernagu Oudet et Carré, 2017) font état d’un ensemble de caractéristiques qui leur
sont indispensables, notamment le fait d’être jugées atteignables, efficientes, effi-
caces et compatibles avec le but poursuivi par l’individu. La conversion de ces
ressources en actions potentielles dépend de facteurs de conversion. Il s’agit de
facteurs sociaux, environnementaux ou individuels, positifs ou négatifs, qui facili-
tent ou compliquent, voire empêchent, l’utilisation des ressources pour agir. Une
partie seulement des accomplissements possibles seront réalisés. Entre ce que l’in-
dividu pourrait faire et ce qu’il fait effectivement se logent des facteurs de choix.
La théorie des capabilités s’intéresse ainsi aux conditions selon lesquelles les buts
poursuivis par les individus sont réalisables mais aussi désirables. Elle s’intéresse
aux possibilités d’agir (processus opportunité) et de choisir (processus liberté) des
individus, qui, en interaction les unes avec les autres, leur permettent de se déve-
lopper, de se réaliser, d’agir, d’apprendre.
De l’approche par les capabilités dérive la théorie des environnements capa-
citants, c’est-à-dire susceptibles de contribuer au développement du pouvoir d’agir
des individus (Fernagu Oudet, 2012, 2016). Dans le domaine qui nous occupe,
dépassant l’environnement apprenant, qui permettrait théoriquement d’apprendre
céline rössli, olivia berthelot
même si cela n’est pas son objectif, l’environnement capacitant est celui qui donne
l’envie, les moyens et les opportunités d’apprendre, qui aide à apprendre.
Convoquée pour analyser la modalité expérimentale d’AFEST et son vécu par
les acteurs présents, une telle approche permet d’interroger ce qui, dans cette situa-
tion, a promu ou freiné les capacités de ces acteurs (apprenant, formateur, consul-
tante) à agir (apprendre, former, accompagner). Elle offre en outre un outil de
mesure du caractère capacitant de cette modalité particulière et des environne-
ments dans lesquels elle s’est déployée. Elle permet enfin de questionner l’appa-
rente discordance entre le formalisme de l’AFEST et l’économie de la TPE fami-
liale dans laquelle elle a été mise en œuvre.
Quelles étaient la nature et les fonctions d’usage des ressources présentes ?
Comment les acteurs les ont-ils identifiées et mobilisées ? De quelles opportunités
ont-ils bénéficié et à quelles contraintes se sont-ils heurtés ? Quels ont été, dans
cette situation, les facteurs ayant influé positivement ou négativement sur la
conversion de ces ressources en capacités d’action pour chacun des acteurs ? En
définitive, qu’est-ce qui, dans cette modalité d’AFEST expérimentale, leur a permis
de développer des compétences... et des capabilités ?
119
Une expérience capacitante pour tous,
n° 227/2021-2
différemment pour chacun
L’un des traits saillants de l’analyse des documents produits tout au long de
l’expérimentation et des entretiens réalisés en aval est qu’elle a permis le dévelop-
pement de l’ensemble des acteurs en présence, malgré l’exigence du cadre et le
EDUCATION PERMANENTE
formalisme du protocole, qui auraient pu, dans un autre contexte, être incapaci-
tants. Ici, chacun des acteurs semble avoir réussi à se saisir de cette expérience et
à évoluer dans son environnement, y avoir identifié et mobilisé des ressources pour
agir. L’analyse de l’expérience met en lumière la manière dont des acteurs, en utili-
sant des environnements contraints, peuvent néanmoins développer des capabilités.
Apparaissent également des liens d’influence entre les hypothèses faites par
les concepteurs du protocole – ici l’OPCO – quant à ce qui pourrait faire ressource
pour l’apprenant, et l’ingénierie pédagogique choisie. Or, un attribut du dispositif
pensé comme ressource par le concepteur mais non identifié comme tel par l’ap-
prenant peut conduire à des incompréhensions, voire à des quiproquos, pouvant
compliquer l’expérience. Ce fut le cas d’un livret d’autoréflexivité proposé à l’ap-
prenant par la consultante. Selon elle, il s’agissait d’un outil devant permettre à
l’apprenant de conscientiser l’apprentissage réalisé, de garder trace du chemine-
ment et des questionnements déclenchés par l’expérience de la formation. Or l’ap-
prenant l’a perçu comme « une feuille de pointage de la journée », qu’il remplissait
mécaniquement comme s’il s’agissait d’une formalité à laquelle il devait se plier.
Ce livret n’a donc pas été, pour lui, une ressource pour apprendre, alors même que
céline rössli, olivia berthelot
faire, et je retiens mieux ce que j’apprends comme ça. » Il a tiré profit de ce chan-
gement de posture du formateur pour s’autoriser à apprendre différemment, à tester
de nouvelles choses en confiance, à s’exprimer sur l’activité de travail, à cocons-
truire le référentiel d’activités. Il s’est essayé à la réalisation de tâches qui ne lui
avaient jamais été confiées jusque-là et, ce faisant, a renforcé sa confiance et son
engagement dans l’apprentissage.
1. L’effet Hawthorne décrit la situation dans laquelle les résultats d’une expérience sont dus non pas aux facteurs
expérimentaux mais au fait que les sujets ont conscience de participer à une expérience.
céline rössli, olivia berthelot
n° 227/2021-2
Modalité Format de l’action
Organisationnelle Externe Environnemental
d’AFEST de formation (+)
Technique Externe Locaux et outils Environnemental Habitude
d’utilisation (+)
EDUCATION PERMANENTE
Modalité
Pédagogique Externe Individuel Nouveauté (+)
d’AFEST
tion normal, bien sûr qu’on ne demande pas dès le début d’être rentable. Mais pour
moi, c’est un cas particulier parce que c’est l’entreprise de mon papa, donc incons-
ciemment j’ai toujours cette idée-là dans la tête qu’il faut être rentable quand
même. »
Le format de l’action de formation est un facteur de conversion de la res-
source organisationnelle externe « modalité d’AFEST » : sa pertinence et sa con-
gruence influent sur l’engagement de l’apprenant dans le processus d’apprentis-
sage et sur ses apprentissages effectifs. Dans cette situation, le format proposé (en
situation de travail, dans l’environnement quotidien de l’atelier), particulièrement
adapté au type d’apprentissage visé (l’acquisition de gestes techniques spéci-
fiques), mais aussi connu et apprécié par l’apprenant, est un facteur de conversion
positif de la modalité d’AFEST.
Apprendre dans l’environnement de travail quotidien est l’un des grands
atouts de l’AFEST, souligné par le formateur et par la consultante : chaque envi-
ronnement de travail a ses propres configurations, chaque travailleur a ses propres
outils, ses manières de les utiliser et de les ranger. Ainsi, un apprentissage hors de
l’environnement de travail quotidien vient bouleverser certains gestes, et demande
122 une réadaptation des compétences au moment du retour dans l’entreprise (d’autant
plus grande que l’entreprise n’utilise pas toujours les mêmes outils ou procédés
que ceux proposés dans le cadre de formations externes). L’AFEST vient gommer
n° 227/2021-2
cette nécessaire réadaptation des compétences. Dans la situation qui nous occupe,
l’habitude de l’apprenant d’évoluer dans l’environnement de son entreprise, d’uti-
liser ses outils, ses process, est un facteur de conversion positif de la ressource
technique externe « locaux et outils ».
EDUCATION PERMANENTE
animer et tracer des étapes de réflexivité, etc. La plupart des professionnels de TPE
placés en position de formateurs AFEST ne sont pas familiers de cette ingénierie
pédagogique, alors même qu’ils savent souvent questionner le travail et le mettre
en réflexion. Il conviendrait de s’appuyer sur leur expertise pour construire des
protocoles plus souples, plus personnalisés, potentiellement différents d’une situa-
tion à une autre, tout en respectant les exigences du financeur.
En outre, conduire une AFEST nécessite une ressource temporelle, pas tou-
jours compatible avec les exigences économiques et organisationnelles de la TPE.
On l’a vu, le fait que le changement d’une aile avant gauche de Jaguar devienne
action de formation n’amoindrit pas les exigences (temporelles, économiques) de
la tâche. De plus, la réalisation de cette tâche est soumise aux aléas de l’activité
d’une carrosserie : délai de livraison de certaines pièces, etc. Le strict respect d’un
protocole d’AFEST, tel qu’il a été pensé dans le cadre de l’expérimentation, exige-
rait une activité prévisible et linéaire, en tous points planifiable, quand le travail réel
est constitué d’imprévus, d’adaptations et d’ajustements permanents.
Dès lors, plusieurs questions se posent : une telle exigence d’ingénierie est-
elle adaptée ou/et adaptable aux réalités et aux possibilités de la TPE ? Des incon-
vénients, nés du bouleversement de l’activité de travail de l’entreprise que néces- 123
site sa mise en œuvre, ne risquent-ils pas de prendre le pas sur les avantages, pour-
tant nombreux, d’une action de formation en situation de travail ? Peut-on attendre
n° 227/2021-2
des professionnels de terrain, experts de leur métier mais pas en pédagogie, qu’ils
soient en mesure de conduire seuls de telles AFEST, sans l’accompagnement d’un
consultant extérieur ? En définitive, comment penser, avec et pour les acteurs de la
TPE, la mise en œuvre de modalités d’AFEST capacitantes pour chacun, et compa-
EDUCATION PERMANENTE
tibles avec les exigences de flexibilité et de réactivité inhérentes à leur réalité de
travail ?
L’analyse de cette expérimentation interroge la pratique actuelle de déploie-
ment des AFEST souvent imposée par les financeurs. Le formalisme attendu appa-
raît comme étant négatif et impactant l’intérêt de la démarche. En outre, ne vient-
il pas contredire l’économie domestique de la TPE au bénéfice d’une logique de
process attendue par les donneurs d’ordre ? Il s’agit, pour la TPE, d’être économe
tout en étant efficace. Comment amener ces entreprises à intégrer de nouvelles
modalités de formation, en mobilisant leurs ressources internes et en offrant la
possibilité aux apprenants de s’engager dans leur apprentissage, sans que le process
entache la mise en mouvement de chacun ? Le pouvoir créatif de penser de
nouvelles manières de concevoir la formation suppose une part d’incertitude
(Berthelot et Ulmann, 2018) qui pourrait être amputée par l’exigence de modélisa-
tion des accompagnements financés. Les modèles d’ingénierie de formation clas-
siques peuvent-ils être dupliqués dans l’entreprise, et notamment dans les TPE ?
Celles-ci n’ont-elles pas des spécificités qui gagneraient à être prises en compte
dans la construction de ces modalités de formation ? Pour l’entreprise comme pour
céline rössli, olivia berthelot
l’apprenant, les véritables enjeux ne se situent ils pas ailleurs : dans les effets sur
l’organisation, sur la mise en mots et sur la mise en pensée du travail par le forma-
teur et par l’apprenant ? Nous pensons en effet que la fonction du langage et la
communication (avec l’autre et avec soi-même) sont centrales dans la formation en
situation de travail.
Nous pouvons alors faire l’hypothèse que le développement des AFEST
permettra aux organisations de se (re)mettre en action de réflexion collective sur le
travail. Puisque les scènes de discussion qu’elles offrent sont un moyen de relation
sociale, un moyen de compréhension, un moyen de recherche collective des solu-
tions au travail, l’AFEST peut être un levier pour rendre les organisations plus capa-
citantes. u
Bibliographie
BERTHELOT, O. ; ULMANN, A.-L. 2018. « Reconnaître les compétences à partir des FEST :
un changement de paradigme pour les formateurs ? ». Éducation permanente. N° 216, p. 111-128.
124 FERNAGU OUDET, S. 2012. « Concevoir des environnements de travail capacitants comme espace
de développement professionnel : le cas du réseau réciproque d’échanges des savoirs à La Poste ».
n° 227/2021-2
FERNAGU OUDET, S. 2016. « L’approche par les capabilités au prisme de la formation : vers
la conception d’environnements capacitants ». Dans : S. Fernagu Oudet, C. Batal (dir. publ.).
Révolution dans le management des ressources humaines : des compétences aux capabilités.
Lille, Presses universitaires du Septentrion, p. 371‑391.
FERNAGU OUDET, S. ; CARRÉ, P. 2017. Capabilité et environnement capacitant. Rapport transverse.
Université de Paris-Nanterre/Interface Recherche.
PROST, M. ; FERNAGU OUDET, S. 2016. « L’apprenance au prisme de l’approche par les capabilités ».
Éducation permanente. N° 207, p. 87-96.
SEN, A. 2000. Repenser l’inégalité. Paris, Le Seuil.
PAUL SANTELMANN
n° 227/2021-2
Les AFEST ouvrent la voie à un nouvel équilibre vertueux entre les apports
des organismes de formation ou des CFA et les fonctions formatives des entreprises.
Encore faut-il que les pistes ouvertes par l’expérimentation initiatrice de cette
démarche (Santelmann, 2018) ne s’altèrent pas à l’occasion de leur mise en œuvre
EduCATioN pErmANENTE
dans l’univers complexe et contrasté des entreprises. Au sein de celles-ci, il
convient de favoriser l’émergence de formateurs référents, chargés de mettre en
place les fonctions formatives utiles à la mise en œuvre d’AFEST et, plus large-
ment, d’organisations apprenantes et qualifiantes du travail. Les AFEST ne gagne-
ront en notoriété sociale qu’à la faveur d’ambitions visant, par le développement
de pratiques formatives intégrées dans les organisations, à mieux insérer les moins
qualifiés dans les collectifs de travail et à favoriser leur employabilité. Non pas
qu’elles doivent se limiter à cet objectif, mais elles ne peuvent l’occulter sans
risquer de perdre leur valeur ajoutée, y compris économique.
Cette perspective nécessite également un appui de la part d’intervenants
externes favorisant l’appropriation, par les formateurs référents, d’intentions et de
principes méthodologiques qui conditionnent la réussite des AFEST. Ces éléments
relèvent de deux approches : la maîtrise des processus individuels et collectifs
d’apprentissage ; l’analyse critique et didactique du travail, notamment sous
l’angle des organisations et des marges d’initiative des salariés.
Objectifs
L’AFEST n’est ni un nouveau dispositif ni une nouvelle norme, c’est l’exten-
sion instrumentée d’une fonction sociale potentiellement présente dans nombre
d’entreprises. Formation sur le tas, transmission des savoir-faire in situ, pratiques
tutorales liées aux alternances école/entreprise, apprentissages informels et expé-
rientiels, tout cela constitue le terreau des AFEST. Cette démarche répond donc à
plusieurs objectifs de l’entreprise qui, face à des besoins en compétences ne trou-
vant pas de réponse dans l’offre de formation existante, ou souhaitant formaliser,
organiser, voire certifier, les processus informels d’apprentissage ou les formations
sur le tas, cherche des solutions pour :
– mettre en œuvre de nouveaux produits ou de nouveaux services, donc de
nouvelles pratiques professionnelles et de nouveaux savoir-faire, à tester et à
construire en situation ;
– professionnaliser les nouveaux embauchés sur les éléments spécifiques du poste
de travail ;
– développer de nouvelles tâches ou de nouvelles activités liées à une évolution
126 organisationnelle (par exemple une rotation sur des activités différentes nécessitant
une plus grande polyvalence de certains salariés) ;
– transmettre un savoir-faire rare, par exemple lors d’un départ en retraite ;
n° 227/2021-2
n° 227/2021-2
bien fait, ainsi que l’identification et la résolution collective de certains dysfonc-
tionnements ou certaines malfaçons. Elle valorise également l’encadrement de pro-
ximité dans sa fonction d’accompagnement et d’appui aux équipes, et d’approche
partagée des risques professionnels et des modalités de prévention.
EduCATioN pErmANENTE
Cette appropriation collective de la façon d’intégrer, dans le travail, une
réflexion sur les savoirs professionnels et les modes de développement des compé-
tences liés à la qualité du travail a une incidence importante sur les critères de
recrutement, l’intégration des nouveaux embauchés ou des intérimaires, l’accueil
et l’accompagnement des apprentis ou des alternants.
pour toutes ces raisons, le soutien et l’engagement du syndicalisme à l’égard
de cette démarche est un enjeu important pour son développement et sa réussite
dans les entreprises, « là où les conséquences des choix organisationnels et techno-
logiques prennent forme, là où les critères d’accueil des jeunes en formation pren-
nent toute leur importance, là où l’expérience des seniors est mobilisée, là où
l’interaction du système de formation avec le système de travail prend tout son sens
et peut être maîtrisée par les collectifs de travail » (Santelmann, 2021).
ou financières, et nécessitant une immersion (ce qui n’obère pas l’hypothèse d’une AFEST)
dans les lieux de travail et la mise en place où il s’agit d’arbitrer entre une modalité clas-
de fonctions formatives intégrées C’est le cas sique et l’intérêt de cette démarche :
des activités spécifiques que l’on retrouve – activités plutôt stables, standardisées, mono-
dans une partie de l’artisanat ou des métiers sectorielles, invariantes (faiblement modifiées
« rares ». par les innovations techniques, procédurales,
• Activités fortement liées aux contextes de normatives ou réglementaires) ;
travail ou impactées par le travail en équipe, – activités nécessitant peu de ressources
les échanges, les interactions, et où le déve- matérielles, techniques ou pédagogiques ;
loppement des compétences obéit à une – activités faiblement influencées par
dynamique collective peu propice à des les contextes de travail ;
formations en centre. – activités faiblement concernées par
• Activités marquées par une accélération le travail en équipe ;
des évolutions techniques et/ou par une – activités requérant l’assimilation de nom-
grande diversité des pratiques en fonction breuses informations ou consignes de type
des secteurs, de la taille des établissements, réglementaire ou normatif qu’il est préférable
du degré de modernisation des entreprises d’acquérir en dehors des lieux de travail...
(l’appareil de formation externe est souvent • Activités dangereuses, nécessitant un cadre
en décalage par rapport aux besoins des entre- approprié de confrontation sécurisée aux
prises en compétences). risques concernés (reproduction de la situation
paul santelmann
Faisabilité
Une situation de travail est avant tout une situation de production (d’un
produit ou d’un service), d’intervention sur un système, de gestion d’informations,
qui possède une dimension économique pouvant être mise en cause par l’apprenant
(déclenchement d’une panne, d’un incident, d’un accident sur un tiers...) et 129
comporte des risques professionnels pour l’apprenant lui-même. Pour un inter-
venant externe, il est nécessaire de définir la faisabilité de l’AFEST à partir des
n° 227/2021-2
opportunités d’apprentissage intégré qu’offrent les activités professionnelles et les
compétences concernées. C’est l’objectif du diagnostic métier (voir la grille d’en-
tretien, page suivante).
Cette démarche doit être appropriée par les formateurs référents et par le
EDUCATION PERMANENTE
collectif de travail : proposer à l’entreprise un kit de diagnostic préparatoire à une
AFEST n’est pas la meilleure façon de réunir les conditions de succès de la
démarche. Pour autant, il ne s’agit pas d’arriver les mains vides et de se limiter à
un diagnostic partagé découlant d’entretiens avec le chef d’entreprise et/ou avec
les salariés, à qui est demandé un exercice qui ne va pas de soi. La démarche la
plus efficiente consiste à disposer préalablement :
– d’un argumentaire sur la valeur ajoutée des AFEST pour le fonctionnement et le
développement de l’entreprise ;
– d’une grille de questionnements relatifs au repérage des conditions et des
contextes contributifs à la mise en œuvre d’une AFEST (cette grille doit intégrer les
éléments de l’argumentaire) ;
– des référentiels relatifs aux métiers concernés par le projet d’AFEST, en identi-
fiant les « activités-clés » (essentielles et structurantes de l’exercice du métier) les
plus appropriées à des mises en situations apprenantes dans l’entreprise.
Au cours des entretiens (salariés exerçant l’activité-cible, employeur ou
manager de proximité, futur formateur référent), le référentiel correspondant à
l’emploi concerné (diplôme, titre professionnel, CQP) peut être utilisé pour
paul santelmann
relancer ou affiner les représentations des interviewés. Cette confrontation entre les
référentiels-types préétablis et les appréciations des interlocuteurs de l’entreprise
sur les mêmes activités est doublement productive : elle permet de valider ou d’en-
richir les éléments constitutifs du référentiels utilisés, mais aussi d’amener l’entre-
prise à les intégrer comme apports de réflexion sur ses pratiques professionnelles.
dans de nombreux cas, l’emploi concerné par l’AFEST ne renvoie cependant
pas à un référentiel existant. L’entretien avec le professionnel référent de l’entre-
prise (éventuellement appelé à devenir le formateur interne responsable de la
conduite de l’AFEST) doit alors permettre de :
– décomposer l’emploi en activités autonomes à partir d’une semaine-type de
travail ;
– décomposer chaque activité autonome en décrivant les tâches spécifiques sur une
journée de travail ;
– comprendre le contexte de l’emploi (contraintes, modes d’organisation, fonc-
tions hiérarchiques ou managériales, emplois connexes, travail en équipe ou seul,
conditions et ambiance de travail, relation-client, aléas habituels et rares, risques
professionnels...).
130 Sur cette base, l’entretien permet de définir les compétences et les capacités
(techniques, générales, transversales, psychomotrices) à développer en situation, à
concevoir le processus concerné par l’AFEST et à identifier la façon d’aménager la
n° 227/2021-2
préalable avec l’entreprise, compte tenu du large éventail des définitions relatives
à ce concept (Santelmann, 2019).
Eléments
Exemple de grille d’entretien oui
favorables
Activité concernée par l’AFEST : non
à l’AFEST
Positionnement et didactique
Le déroulement d’un processus de formation (y compris en situation de
travail) ne reproduit pas mécaniquement l’exercice de l’activité. une reconstruc-
tion didactique est à mener en vue de favoriser un apprentissage efficient, qui s’ap-
puie en partie sur les ressources formatives internes de l’entreprise. En fonction de
l’expérience ou du degré de préparation de l’apprenant, le choix des situations de 131
travail peut donc varier.
En principe, on ne place pas un novice en situation réelle de travail immédia-
n° 227/2021-2
tement. Selon les tâches à accomplir, un temps de préparation s’impose : observa-
tion en réel ou par vidéo, appropriation de consignes, entraînement, simulation,
mise en situation sur poste de travail reconstitué, etc.) .
définir un objectif d’apprentissage en situation de travail suppose d’avoir un
EduCATioN pErmANENTE
premier échange avec l’apprenant sur la façon dont il mesure sa capacité à atteindre
l’objectif à partir d’une description synthétique de l’activité professionnelle con-
cernée (il est demandé à l’apprenant de se positionner sur les différents types de
compétences requises), ainsi que sur ses acquis dans le domaine d’activité
concerné, à l’aide d’un entretien ou d’un questionnaire adapté. Le premier volet
permet d’identifier le niveau d’engagement de l’apprenant dans la démarche ; le
deuxième permet de conforter ou de pondérer ce niveau d’engagement. En fonc-
tion de la plus ou moins grande distance avec l’objectif global de l’AFEST, l’amé-
nagement des situations de travail sera plus ou moins important, de même que la
vigilance du formateur lors du suivi du processus et des phases réflexives. Ce posi-
tionnement s’appuie sur les compétences (ou les capacités) requises pour exercer
l’activité et définies dans le cadre de référence établi avec l’entreprise. Ces compé-
tences sont de trois ordres :
– techniques (maîtrise d’usage de machines, d’outils, de matériels divers, de maté-
riaux, etc.) ; dans ce cas, le positionnement s’avère assez élémentaire ;
– transversales (relationnelles, organisationnelles) ; il s’agit d’expliciter les acquis
expérientiels relatifs aux compétences mobilisées dans des activités antérieures ;
paul santelmann
Acquis de l’apprenant
n° 227/2021-2
sation des exercices ou des travaux.
10. L’apprenant a des difficultés à interpréter les messages verbaux ou visuels.
11. L’apprenant n’a pas trouvé sa place dans un groupe de travail ayant à
résoudre un problème.
EduCATioN pErmANENTE
12. L’apprenant a des difficultés de perception (visuelle, auditive...).
une partie analytique se joue ainsi avant la mise en œuvre de l’AFEST, qui
relève d’une coconstruction entre le conseiller externe et le formateur référent
interne de l’entreprise. Celui-ci aura également comme fonction de mobiliser le
collectif de travail qui contribuera à l’optimisation du processus de formation.
EduCATioN pErmANENTE
Conclusion
C’est la massification des AFEST qui permettra de valider, d’enrichir et
d’adapter ces éléments de méthode. ils constituent des repères d’action qui,
compte tenu de l’extraordinaire variété des situations rencontrées, ne s’opposent
pas au pragmatisme de terrain. La formation professionnelle est une pratique
sociale avant d’être un système ; l’instrumentation qu’elle suppose ne saurait se
résumer à une prescription de type réglementaire ou normative, forcément réduc-
trice. Les acteurs concernés par le développement des AFEST doivent disposer de
marges d’initiative, d’innovation et d’adaptation, qui seront d’autant plus perti-
nentes qu’elles s’appuieront sur des ressources méthodologiques ouvertes, abon- 135
dées de façon permanente par les expériences.
Sans un engagement du système d’acteurs de la formation professionnelle
n° 227/2021-2
continue, et notamment des représentants du monde du travail, l’AFEST risque de
demeurer une démarche marginale, au même titre que la VAE. dans les deux cas,
c’est la reconnaissance de ce qui se joue dans les mutations du travail qui est en
jeu, et qui devrait être au cœur du dialogue social d’entreprise. u
EduCATioN pErmANENTE
Bibliographie
136
Trans’Faire, ou le transfert des savoir-faire chez Thales
Dans la plupart des entreprises, les compétences professionnelles sont liées à des
technologies et à des produits spécifiques. Contextualisées, elles nécessitent un apprentis-
sage en situation de travail, le plus souvent entre pairs. Parfois, la transmission n’est pas
véritablement formalisée et s’effectue sur le tas. L’efficacité des transferts est alors ques-
tionnée par les opérationnels eux-mêmes qui constatent les difficultés, pour les nouveaux
venus, d’acquérir les savoir-faire requis par l’exercice du métier. Professionnaliser la
transmission des compétences est devenue une nécessité. Bien avant la formalisation de
l’AFEST, Thales a mis en place des pratiques de transfert des savoirs et des compétences
s’appuyant sur les actions en situation de travail, le plus souvent dans le but de préserver
les compétences critiques en cas de départ d’un collaborateur.
n° 227/2021-2
s’appuie sur les apports conceptuels, notamment sur le processus d’apprentissage, les
différences entre savoirs tacites et savoirs explicites, les préférences d’apprentissage des
apprenants, le questionnement... S’appuyant sur le concept d’apprenance, il est conçu
comme un dispositif non pas de formation (réfléchi du côté du formateur) mais d’appren-
EDuCATion PErmAnEnTE
tissage (pensé du côté de l’apprenant). Ce changement de vocabulaire est à l’origine d’un
changement de posture et de culture chez Thales : les acteurs de la formation sont devenus
des facilitateurs dans la construction de parcours conçus pour répondre à des besoins
opérationnels.
La contribution de ces facilitateurs dans les transferts de savoirs a permis de rendre
ces parcours visibles, et de rendre explicite le fait que l’on peut se former autrement que
par un stage : avec ses pairs et en situation de travail. Ainsi fut créé un code, de manière
à inscrire ces « parcours » (qui n’étaient alors pas considérés comme des actions de forma-
tion) dans le plan de formation. Cette formalisation a officialisé le fait que l’apprenant est
identifié comme étant « en formation » durant tout le parcours. À ce titre, il a le droit de
tâtonner, de se tromper, de questionner son tuteur. Les heures d’apprentissage de l’appre-
nant et de son tuteur sont imputées partiellement ou en totalité sur le plan de formation.
Les compétences acquises par l’apprenant figurent dans son historique de formation.
L’idée a progressivement fait son chemin. Aujourd’hui, les managers s’adressent
directement aux équipes formation des différents sites pour les aider à bâtir les parcours.
D’abord utilisée au moment du départ ou du changement de poste d’experts, dans l’ob-
jectif de ne pas perdre les compétences-clés de l’entreprise, la méthode s’est largement
répandue dans le groupe et de nombreux parcours Trans’Faire sont lancés chaque année.
1. P. Carré, « L’apprenance : une autre culture de la formation », dans : E. Bourgeois et S. Enlart (dir. publ.). Apprendre dans
l’entreprise, Paris, Puf, 2014.
Un parcours d’apprentissage en quatre étapes
1. Partage des objectifs.
Toutes les parties prenantes s’accordent sur la finalité du parcours et définissent l’ob-
jectif pédagogique : ce que l’apprenant devra acquérir, ce que le tuteur devra transmettre.
Chacun est invité à s’exprimer sur les besoins et sur les freins éventuels à l’apprentissage
et à la transmission, liés à l’organisation, au tuteur, à l’apprenant. La présence du manager
permet de vérifier la faisabilité du parcours et de s’assurer que les conditions seront
réunies pour permettre l’apprentissage, et notamment qu’il y aura bien un temps dédié.
Cette étape est essentielle pour stabiliser les trois piliers de l’apprentissage en situation de
travail : savoir apprendre, vouloir apprendre et pouvoir apprendre.
2. Construction et formalisation du parcours.
Après avoir identifié les activités réelles et les activités prescrites pouvant être utili-
sées pour apprendre, il s’agit de déterminer les modalités d’apprentissage qui permettront
à l’apprenant d’acquérir les compétences identifiées et de coconstruire avec lui un
parcours individualisé d’apprentissage, en fonction de ses compétences de départ, de sa
manière d’apprendre et la réalité du contexte de travail.
3. Suivi.
Le parcours d’apprentissage se déroule tel que l’apprenant et le tuteur l’ont conçu,
avec un suivi ponctuel du facilitateur, présent en tant que ressource, s’assurant de la
138 méthode et de la qualité de la relation apprenant-tuteur-manager. Certains ajustements sont
parfois nécessaires pour s’adapter à la réalité du terrain et aux changements.
4. Bilan du parcours et évaluation des compétences acquises par l’apprenant.
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détaillant le parcours réalisé (les activités au regard des compétences à acquérir et les
modalités d'apprentissage privilégiées).
Catherine Bacarrère,
conseil en développement des compétences au Campus Thales, Bordeaux.
FABIENNE CASER
L’amélioration des conditions de travail n’était pas affichée comme une finalité
de l’expérimentation nationale AFEST (action de formation en situation de travail),
pilotée par la DGEFP1 avec les partenaires sociaux (COPANEF, FPSPP, CNEFOP2) et
conduite avec l’appui du réseau ANACT-ARACT. Pour autant, des effets non
attendus allant dans ce sens ont pu être identifiés dans le processus d’évaluation
que nous avons accompagné. Le point de vue développé ici est que cette nouvelle
modalité de formation, dont le principal matériau pédagogique est l’activité de 139
travail, permet aux salariés qui en bénéficient d’être en capacité d’agir dans et sur
les situations de travail dont ils font l’expérience. À condition toutefois que
n° 227/2021-2
l’AFEST ait toutes les qualités que l’expérimentation initiale a permis de préciser,
et qu’elle soit réalisée dans de bonnes conditions. Cette capacité est à mettre en
relation avec les dimensions d’efficacité et de construction de sa santé au travail.
EDuCATiON PERmANENTE
L’amélioration des conditions de travail,
effet indirect de la mise en œuvre d’AFEST
n Une ambition centrée sur l’invention d’une nouvelle modalité
de formation
L’expérimentation nationale menée entre 2016 et 2018 avait pour ambition de
définir les contours et les conditions de réussite d’actions de formation en situation
de travail, efficaces en termes de développement de compétences individuelles,
reconnues par la législation comme de véritables actions de formation, et prati-
cables par les entreprises, notamment celles de taille modeste.
FABIENNE CASER, chargée de mission à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail,
département « Expérimentations » (f.caser@anact.fr).
1. Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle.
2. Comité paritaire interprofessionnel national pour l’emploi et la formation professionnelle ; Fonds paritaire de
sécurisation des parcours professionnels ; Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation profes-
sionnelle.
fabienne caser
individuelles
L’appréciation du rapport coût-bénéfice de l’AFEST par les parties prenantes
au sein des entreprises (direction, managers, salariés formateurs et bénéficiaires) a
EDuCATiON PERmANENTE
n° 227/2021-2
duelle et s’élargissent à l’organisation du travail et de la production (de biens ou de
services) : mise en place de procédures ; corrections de « bugs » ; introduction de
nouvelles pratiques de travail ; mise à disposition, pour l’ensemble des salariés, de
ressources mobilisées ou produites dans le cadre de la formation.
EDuCATiON PERmANENTE
Ainsi, dans une petite entreprise de métallerie, la démarche a été à l’origine
d’une formalisation plus importante des manières de faire, apparue comme utile à
tout le monde : mise à disposition, dans l’atelier et dans les camions, de check-lists
permettant de ne rien oublier avant de partir sur le chantier ; affichage de plans
dans l’atelier. Dans une association qui favorise l’inclusion des personnes en situa-
tion de précarité par l’amélioration de leur habitat, le bilan de la formation avec le
directeur a permis de mettre en évidence des pistes d’amélioration révélées à l’oc-
casion de la mise en œuvre de l’action de formation. il a été décidé de mutualiser
des fiches pratiques explicitant le contenu et le déroulement des ateliers sur la réno-
vation de l’habitat animés par la structure pour en faciliter la préparation.
Autrement dit, les ressources pour bien faire le travail, mises à jour à l’occa-
sion de la conception de l’AFEST, parce que le manager, le salarié formateur se
penchent sur ce qui est nécessaire pour réaliser l’activité, ont été mieux partagées.
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technique fondateur (Delay et Duclos, 2015), le cadrage minimal imposé aux
OPCA pour construire leurs projets d’action de formation en situation de travail
était l’existence de deux séquences alternées, outillées et articulées : une séquence
de mise en situation de travail, préparée et organisée à des fins de formation, donc
EDuCATiON PERmANENTE
distincte d’une situation de travail à visée uniquement productive ; une séquence
d’accompagnement réflexif, elle aussi préparée et organisée, visant à analyser l’ac-
tivité de travail réalisée et à consolider les apprentissages.
La raison d’être de cette deuxième séquence, dite réflexive, était d’abord
d’ordre pédagogique. Travailler ou être dans l’action ne suffisent pas pour ap-
prendre, du moins pour apprendre complètement. il est nécessaire de pouvoir
revenir sur son action, de se l’expliquer et de l’analyser, pour être en mesure de
savoir comment agir demain dans une situation similaire. mais elle devait aussi
servir l’objectif d’accommodation avec le droit de la formation professionnelle, en
venant attester du fait que la situation de travail dont elle fait l’analyse n’était pas
seulement productive et avait bien une visée formative.
Au fil de l’expérimentation, l’analyse des projets conduits, les questions sou-
levées et les difficultés rencontrées ont permis, par touches successives, de donner
de la consistance à la nature et au contenu de ces deux séquences, et de mieux se
représenter collectivement ce qu’implique de réaliser une AFEST. Retracer l’his-
toire de quelques-unes de ces révélations nous permettra d’expliciter des liens
directs entre les qualités de l’action et les conditions de travail.
fabienne caser
déterminants tels que la topographie des lieux, la présence ou non des usagers
pendant l’activité, le cahier des charges de la prestation, mais aussi les besoins et
les priorités exprimés par les occupants des locaux. un élément essentiel de la
qualité de service rendu est en effet que l’agent soit en mesure d’ajuster son activité
EDuCATiON PERmANENTE
n° 227/2021-2
tantes ne suffit pas pour s’en sortir en situation, et les critères de qualité du travail
partagés collectivement qui peuvent aider à les résoudre.
Réfléchir à l’opportunité de mettre en œuvre une AFEST inviterait donc fina-
lement d’abord à (re)partager une définition de la compétence entendue comme
EDuCATiON PERmANENTE
« une capacité à agir dans et pour un ensemble de situations professionnelles, dans
un contexte donné et avec un niveau d’exigence également donné [...] une
construction conjointe de l’individu, du collectif de travail et de l’organisation
[qui] suppose l’action, l’adaptation à l’environnement comme la modification de
cet environnement » (Parlier, 2001). En tant que démarche de formation formelle
s’appuyant sur le travail, l’AFEST apparaît comme un bon outil pour optimiser les
relations de l’individu avec son environnement, en s’attachant d’abord à mieux les
comprendre par l’analyse de l’activité.
c’est-à-dire faire exister dans l’entreprise un temps qui, certes, n’est pas productif
mais qui permet d’ancrer les apprentissages, et donc en réalité plusieurs temps car
les compétences visées sont rarement acquises après une seule mise en situation.
Cette séquence a posé beaucoup de questions aux entreprises, qui ne perce-
EDuCATiON PERmANENTE
vaient pas d’emblée son intérêt, aux OPCA et aux consultants qui les accompa-
gnaient, et d’une manière générale, à l’ensemble des parties prenantes de l’expéri-
mentation nationale. Les tâtonnements et les essais étaient heureusement permis –
expérimentation oblige –, et c’est la diversité des formats observés qui a permis,
par comparaison, de préciser le contour d’une séquence réflexive de qualité. Deux
types de pratiques sont particulièrement illustratives de ce qu’une séquence
réflexive n’est pas : un échange consistant à évaluer l’activité de travail du salarié
en formation, en formulant un point de vue sur le résultat atteint sans lui donner
l’occasion de s’exprimer ; un échange s’assimilant plutôt à un débriefing de l’ac-
tion de formation, de ce que le bénéficiaire en a retiré, échange au cours duquel
l’évocation de la situation de travail vécue et son analyse sont absentes.
L’objectif de la séquence réflexive étant d’ancrer les apprentissages en aidant
le salarié en formation à décortiquer ce qui s’est passé dans l’activité et à l’ana-
lyser, c’est avant tout le bénéficiaire qui doit s’exprimer. Celui-ci doit avoir la
possibilité de dire non seulement qu’il a hésité, qu’il n’était pas sûr, mais aussi que
le contexte ne lui a pas permis de réaliser le travail selon des critères « idéaux »,
ou qu’il s’est senti plus à l’aise en s’y prenant un peu différemment pour atteindre
fabienne caser
le résultat. S’il s’inscrit dans cette philosophie, l’échange peut alors développer la
capacité du salarié à analyser les situations de travail dont il fait l’expérience, à les
comparer, à raisonner son action et, au final, à être plus à l’aise pour agir dans et
sur ces situations. L’échange peut mettre en lumière des difficultés liées aux condi-
tions de réalisation du travail ; celles-ci doivent être traitées, sans quoi la démarche
de formation risquerait de mettre les formateurs et les formés face à des injonctions
paradoxales difficiles à concilier.
Reprenons l’exemple du secteur du nettoyage : si, après avoir observé l’acti-
vité du salarié en formation, le formateur démarre la séquence réflexive en faisant
remarquer qu’il n’a pas fait tout ce qu’il est prévu de faire pour nettoyer un bureau
à fond selon les standards de la profession, il se focalise sur le résultat de l’activité
et se place d’emblée dans une posture d’évaluateur. Si, au contraire, il cherche à
faire expliciter au salarié la façon dont il a organisé son activité, les choix qu’il a
opérés, en fonction de quels éléments, les actions auxquelles il a renoncé, son vécu
de la situation, il lui permet d’accéder au raisonnement qui a guidé son action.
Formateur et salarié en formation sont alors amenés à échanger sur les régulations
opérées en situation, les ressources pour y parvenir, et donc les moyens et les objec-
tifs du travail. Si, sur ce chantier, la configuration des lieux et les temps impartis ne 147
permettent pas de nettoyer tous les bureaux à fond tous les jours, comment est-il
possible de réorganiser le chantier sans pour autant dégrader le service rendu au
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client, par exemple en planifiant l’activité au-delà d’une vacation ?
EDuCATiON PERmANENTE
Au fil de l’expérimentation, l’objectif et le contenu de la phase réflexive ont
pris plus de consistance. La compréhension de ce que l’AFEST devrait viser s’est
affinée : créer les conditions de l’autonomisation de la personne et la construction
de coopérations efficaces au sein d’un collectif de travail ; développer une gamme
de manières de faire en fonction des circonstances et de son propre état interne,
pour être en capacité d’agir sur son environnement de travail. Pour cela, la
personne en charge de former le salarié en situation de travail doit adopter une
posture particulière : il s’agit non pas de transmettre sa propre manière de faire,
mais de permettre au salarié moins expérimenté de trouver et de développer son
propre style, tout en le guidant dans l’appropriation des règles de l’art mais aussi
du genre du métier (Clot et Faïta, 2000).
une telle acception fait écho à la belle définition que donne Rostand (cité par
Perrenoud, 2001) du rôle de formateur : « Former les esprits sans les conformer,
les enrichir sans les endoctriner, les armer sans les enrôler, leur communiquer une
force, les séduire au vrai pour les amener à leur propre vérité, leur donner le meil-
leur de soi sans attendre ce salaire qu’est la ressemblance. »
fabienne caser
En guise de conclusion
Au-delà d’une nouvelle modalité de formation, l’AFEST, en tant que
démarche de formation formelle et réflexive ancrée dans les situations de travail,
148 se révèle être un excellent outil pour travailler les relations entre un individu et son
environnement de travail, dans le sens d’un développement des personnes, des
situations et des collectifs. Pour que l’AFEST tienne toutes ses promesses, les entre-
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prises et les tiers qui les accompagnent doivent d’emblée l’envisager dans cette
optique. Pour cela, il s’agit de favoriser les échanges sur les différentes manières
de faire en fonction des circonstances et de donner aux travailleurs les marges de
manœuvre suffisantes pour ajuster leur activité et leur environnement de travail.
EDuCATiON PERmANENTE
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EDuCATiON PERmANENTE n° 227/2021-2
150
SANDRA ENLART
La situation de travail :
antidote aux écueils de la compétence
n° 227/2021-2
longtemps ! » Reste donc à s’entendre sur ce que l’AFEST apporterait de différent.
Ayant eu la chance d’accompagner depuis presque dix ans, au sein de grandes
entreprises françaises1, le développement de dispositifs d’apprentissage en situa-
tion de travail, avant que ce type de pratique ne trouve à s’inscrire dans l’ordre juri-
EDUCATION PERMANENTE
dique sous la modalité AFEST, je ne peux que me réjouir de cette « reconnaissance
» et de la manière dont les acteurs, encore timidement parfois, s’y intéressent
aujourd’hui. Depuis septembre 2018, au sein d’un grand groupe français des
métiers des concessions et de la construction, j’ai pu suivre la manière dont chacun
se saisit – ou pas – de cette modalité pédagogique, constatant que d’un métier à
l’autre, d’une culture de formation à l’autre, d’une fonction RH à l’autre, les choses
ne se passent évidemment pas de la même façon.
D’une manière générale, on constate que l’appropriation par les acteurs –
dans et hors des entreprises – passe par des interprétations diverses de ce qui fait
l’identité, l’intérêt et les limites des formations en situation de travail. On voit donc
surgir ici et là, sous l’étiquette AFEST, des mises en œuvre si variées que l’on peut
questionner la définition même de cette modalité. Le cadre légal est certes une
première réponse dont chacun se réclame... tout en proposant des applications
hétérogènes. Rien que de très banal. En même temps, cette situation révèle aussi
les angles morts et les zones de flou qui surgissent d’un point de vue méthodo-
logique. Cela n’a rien de négatif, il serait au contraire peu réaliste de penser que
tout se définit par décret ou texte de loi. C’est donc par des allers-retours entre
terrain et conceptualisation que l’on pourra préciser un certain nombre de points.
D’où l’intérêt de ce dossier qui invite à un inventaire ouvert des pratiques pour en
interroger les contours.
Je commencerai par proposer ici un cadre qui restitue ce qui, de mon point de
vue, fait l’identité de l’AFEST en termes d’efficacité pédagogique. Ensuite, à l’in-
térieur de ce cadre, nécessairement restrictif, je ferai un retour d’expérience sur les
difficultés apparues lors de ces deux dernières années d’expérimentation. Cela
m’amènera à partager une question vive, d’ordre méthodologique mais aussi théo-
rique, qui concerne la notion de compétence. Bien entendu, ces interrogations sont
en relation avec une certaine définition de l’AFEST. D’où la nécessité de com-
mencer par présenter les critères qui ont constitué mon cadre d’intervention.
peut tout à fait être partagée. Six critères, qui forment un tout, ont été retenus lors
de ce travail : le volontariat de l’apprenant ; le « ciblage » sur une compétence et
non pas sur un métier ou un ensemble trop large de compétences ; le principe d’une
auto-évaluation, associée à une évaluation amont et une évaluation aval de la
compétence ciblée, menée par le responsable hiérarchique ; la mise en « situation
réelle », que l’on distingue ici des situations simulées ou reproduites hors contexte
de travail ; la distinction entre le rôle d’accompagnement pédagogique et celui
d’évaluateur au sens de la relation hiérarchique ; l’enchaînement des phases d’ob-
servation de l’activité en situation réelle et de réflexivité.
D’autres éléments peuvent venir enrichir ce tableau : la nature de la formation
des « accompagnateurs pédagogiques » ou le fait de privilégier des acteurs internes
à l’entreprise plutôt que des intervenants externes. Si l’AFEST intègre déjà l’en-
semble de ces six points, et si elle est l’expression d’une réponse à un besoin de
formation clair et de d’une opportunité à former sous cette modalité, on peut parier
qu’un apprentissage spécifique se met en place.
2. Encore une fois, au-delà même parfois des critères réglementaires.
sandra enlart
n° 227/2021-2
Le fait de prendre en compte le travail tel qu’il se réalise tous les jours, en
intégrant les aléas du quotidien, est le meilleur garant de développer non pas
uniquement des savoir-faire mais surtout une intelligence de la situation, des occa-
sions de construire cette fameuse transférabilité, d’apprendre en s’adaptant aux
EDUCATION PERMANENTE
divers évènements. Nous y reviendrons.
Enfin, la nature de la relation entre l’apprenant et celui que nous préférons
appeler « l’accompagnateur pédagogique » (AP) est une tentative de favoriser un
soutien personnalisé et un droit à l’erreur qui ne soit pas uniquement déclaratif. Ce
cadre relationnel, non évaluatif, rend possible un travail de réflexivité qui permet
à l’apprenant de réelles analyses et prises de conscience de ses propres comporte-
ments professionnels.
3. On partira aussi de l’idée selon laquelle ce qui intéresse les entreprises et les apprenants en entreprise est bien,
ainsi qu’ils l’expriment, le « transfert » de compétences.
4. Reste bien sûr à définir ce qu’est la réflexivité, ce qui n’est pas une mince affaire.
5. Ce qui ne veut pas dire qu’elle est indispensable : on apprend aussi par imitation, observation, répétition...
6. En dehors bien évidemment des situations à risques pour l’apprenant, les collègues ou les clients.
7. Cet ouvrage fait le point sur la « posture d’apprenance », proposant en explorant en particulier les dimensions
sociales et contextuelles de l’apprenance, à travers une approche moins psychologique que dans Carré (2005).
sandra enlart
ganisation du travail des équipes pour que chacun comprenne ce qui va se passer,
le risque étant de donner l’impression de compliquer quelque chose qui se fait déjà
« naturellement » dans le cours de la relation de travail et de la relation d’emploi.
EDUCATION PERMANENTE
8. C’est d’ailleurs pourquoi nous regrettons que le décret et l’art. D. 6313-3-2 2° du code du Travail réclamant la «
désignation préalable d'un formateur » pour l’AFEST précise dans la foulée que ce dernier peut « exercer une
fonction tutorale ». Il y a là matière à confusion. La fonction tutorale bénéficie certes d’une définition et d’un
encadrement juridiques, mais ses modalités d’exercice s’éloignent du rôle que doit jouer, selon nous, un véritable
accompagnateur pédagogique.
9. Puisqu’il ne s’agit pas d’une période de travail, mais d’une période de formation.
sandra enlart
n° 227/2021-2
les compétences spécifiques dont elles ont besoin, en particulier quand ces compé-
tences ne se sont pas disponibles sur le marché du travail. Dans cette situation,
développer ces compétences « vite et bien » devient alors un enjeu stratégique.
Dans tous ces cas, la maîtrise de la modalité AFEST en interne est un atout non
EDUCATION PERMANENTE
négligeable. Par ailleurs, en formant des AP internes, on fait évoluer la culture de
la formation au sein de l’entreprise. On l’a dit plus haut, l’AFEST amène les acteurs
de l’entreprise à ne plus considérer qu’il suffit d’« envoyer » les gens en formation
à l’extérieur pour qu’ils deviennent compétents. L’AFEST représente une alterna-
tive qui amène l’entreprise à se considérer comme détentrice des compétences
professionnelles mais également pédagogiques. Bref, il semble essentiel de pro-
mouvoir l’AFEST comme une pratique dont les entreprises doivent et peuvent
s’emparer pour peu qu’elles soient accompagnées. Du coup, l’identification, la
formation et l‘implication d’un AP interne – sans lien hiérarchique avec l’appre-
nant qui plus est – est une condition majeure de ce cheminement de l’entreprise.
Or concrètement, c’est bien souvent là que le bât blesse. Dans la plupart des cas,
« on finit » – avec difficulté – par identifier quelqu’un pour le rôle d’AP dont il faut
absolument assurer la formation... y compris lorsqu’il s’agit de formateurs – occa-
sionnels ou professionnels – mais ne maîtriseraient que des méthodes de formation
classiques. Se posent alors des questions très prosaïques de disponibilité, d’orga-
10. Voir les expérimentations en région Bretagne et Pays-de-la-Loire rapportées dans Enlart (2019).
sandra enlart
nisation du travail pour l’AP comme pour l’apprenant, mais aussi d’agenda et de
budget : la personne est-elle payée quand elle « fait l’AP » ? Par qui ? Avec quelle
reconnaissance pour sa carrière ? Face à toutes ces difficultés, et compte tenu d’un
faible entraînement à la pédagogie en général, la tentation est d’externaliser ce rôle
de l’AP et de céder à un marché en pleine expansion où de nombreux organismes
de formation cherchent à se développer. On passe alors à côté d’une des grandes
vertus de l’AFEST qui est de tendre vers une logique « d’entreprise apprenante ».
Ces trois difficultés sont des exemples parmi bien d’autres qui mettent en
lumière la nécessité, en amont des actions de formation, d’une communication en
direction de tous : les hiérarchiques, les apprenants et leurs collègues, les forma-
teurs, les AP sans oublier de savoir répondre aux questions administratives et finan-
cières autour de l’AFEST.
la qualité attendue ? Tout cela est évident pour tous et personne ne ressent la néces-
sité d’en dire plus. L’AFEST va se dérouler dans ce même cadre implicite alors que
sa spécificité tient justement à l’explicitation de ce qui fait la compétence en action,
et à ce qui permet d’en « extérioriser » la référence.
Dans d’autres cas, la compétence est effectivement nommée, les objectifs sont
définis, mais la question de la maille de cette compétence va poser problème
pendant l’AFEST. Elle peut être énoncée de manière trop étroite mais aussi trop
large, le plus souvent trop floue : « Le chef de chantier doit remplir tel ou tel tableau
de reporting ; le technicien de maintenance venant réparer une climatisation dans
une agence bancaire doit « assurer une bonne relation avec les clients ». Dans ces
deux cas, il sera très difficile de construire une séquence AFEST sur la base de ces
« compétences ». Ce qui est en jeu, c’est plutôt la compréhension des enjeux de ces
actions, le sens de l’activité qui sont en question. Les modalités d’action sont fina-
lement secondaires par rapport aux raisons pour lesquelles il faut les mettre en
œuvre. Et l’intitulé sous forme de compétences ne résout pas ces questions.
Un grand nombre de compétences dites comportementales, ou « savoir-
être », font également question, bien au-delà de l’AFEST. S’agit-il de compétences
ou de normes sociales ? S’agit-il de savoir-faire relationnel dont l’acquisition peut 157
être l’objet d’une formation, ou de jugements sur la personnalité des collabora-
teurs : trop timide, pas assez sociable, pas assez souriant, manque d’affirmation de
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soi, pas assez de confiance en soi ? Fréquemment mobilisés par les entreprises
dans le cadre de la relation d’emploi, ces « critères » relèvent-ils du domaine de la
compétence ?
Les compétences, quand elles sont nommées, sont souvent de l’ordre du pres-
EDUCATION PERMANENTE
crit, ce qui est bien normal puisqu’il s’agit de former à ce qui est attendu par l’en-
treprise. Pourtant, comme dans d’autres situations pédagogiques, faut-il travailler
à partir d’une compétence qui représente une sorte d’idéal, souvent assez éloigné
des pratiques de terrain ? La puissance de l’AFEST repose sur les données
produites à travers les mises en situation de travail réelles. Qui dit « réel13 » dit prise
en compte des aléas, de la variabilité des situations et des environnements, de la
perception par chacun de son milieu d’intervention. Dès lors, faut-il s’en tenir à un
ordre général de prescription et aux intitulés qui l’accompagnent ? D’autant plus
que les professionnels ne se reconnaissent que très partiellement dans ces intitulés.
Ces questions sont théoriques autant que méthodologiques ; elles peuvent
relever du malentendu. Les objectifs d’une AFEST ont un impact direct sur ce qui
doit être fait par l’apprenant, observé par l’AP et qui est au cœur du debrief. Se
tromper de cible, c’est prendre le risque de ne pas tirer parti des particularités de
l’AFEST ou de faire, sans le dire, autre chose que ce qui est prévu.
13. Nous ne développerons pas ici le débat sur ce que signifie « réel » et nous en tiendrons à une approche qui
consiste à opposer la situation de travail en contexte professionnelle à la situation prescrite, décrite de manière
« idéale » ou « théorique » dans des référentiels ou fiches de poste.
sandra enlart
ne savent pas trop ce qu’elle contient et ce qu’elle exclut. Or, ce qui est analysé et
observé, c’est bien l’activité dans son contexte ; ce qui est pointé comme marge de
progrès, c’est bien la manière de s’y prendre dans ce contexte ; ce qui est appris,
c’est bien la résolution de problème professionnel dans ce contexte particulier. La
EDUCATION PERMANENTE
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à d’autres situations. Comprendre la particularité d’une situation, c’est du même
coup être capable de comprendre en quoi elle est différente d’autres situations, et
donc se mettre en capacité de s’adapter à toute une classe de situations. Ce qu’on
appelle « l’intelligence de la situation », propre à tout bon professionnel, peut alors
EDUCATION PERMANENTE
se construire et « s’équiper », en étendant la compréhension que les acteurs de l’en-
treprise ont communément de la notion de compétence, comme attribut de la
personne, à la prise en compte mais surtout la prise en charge avérée des « situa-
tions de travail ». C’est ce déplacement qui pourrait permettre une extension du
recours aux AFEST. u
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sandra enlart
160
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EDUCATION PERMANENTE
SOLVEIG GRIMAULT
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prise, ou au démarrage de l’activité lorsque celle-ci s’engage – de façon très enca-
drée – avant que l’entreprise ne soit formellement créée. La frontière classiquement
identifiée entre l’amont et l’aval – l’immatriculation – semble ainsi plus poreuse
qu’elle n’est le plus souvent décrite1. Dans tous les cas, la mise en activité ouvre la
EDUCATioN PERmANENTE
possibilité d’un certain type d’accompagnement, considéré comme particulière-
ment fécond en termes d’apprentissages, et dont les conditions de mise en œuvre
s’approchent des modalités instituées par l’AFEST.
La question des apprentissages et du développement des compétences est une
préoccupation forte de certains réseaux d’accompagnement à la création. Parce
qu’il y a beaucoup à apprendre sur le chemin vers la création, mais aussi parce
qu’un « parcours de créateur » peut s’avérer très bénéfique pour ceux qui, in fine,
ne créeront pas. Certains réseaux ont investi dans la création de certifications pour
permettre aux personnes ayant suivi ce parcours de faire reconnaître les compé-
tences acquises (BGE Réseau, Union des couveuses d’entreprises) et les valoriser
par la suite.
2. Précisons d’emblée que cela ne signifie pas que le compte personnel de formation puisse devenir la modalité de
financement du service proposé par les structures d’accompagnement, puisqu’il est un droit de la personne.
3. Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle.
4. Association nationale des groupements de créateurs ; BGE Réseau ; Union des couveuses d’entreprises.
solveig grimault
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« post-création » que se logent ces modalités d’accompagnement. C’est le cas au
sein du réseau des Boutiques de gestion, ou encore d’Initiative France à travers la
mise en œuvre de la fonction de parrainage notamment. Dans tous les cas, au
moment de cette épreuve qu’est le démarrage de l’activité, même modeste, l’ac-
EDUCATioN PERmANENTE
compagnement peut tirer profit de « mises en situation professionnelles » pour
soutenir le développement des compétences des créateurs. Le cadre de l’AFEST
paraît compréhensif pour décrire les modalités d’intervention déployées à ce stade.
Peut-il contribuer à mieux les qualifier, à mieux comprendre les ressorts des
apprentissages qu’elles soutiennent, et à préciser le « processus » qui est à l’œuvre
tant du côté du créateur que de celui ou ceux qui l’accompagnent ?
ces événements produisent [...] des résultats dont il [convient] de pouvoir juger : [...]
le créateur [doit] être capable de leur donner une valeur, [s’il veut] pouvoir orienter
et développer [son] activité. [mais ce] qui doit relever d’une gestion à ce niveau
n’est pas donné [...] cette structuration [peut alors être] la source d’un apprentis-
EDUCATioN PERmANENTE
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n La situation de « l’entretien commercial » et les formes
de réflexivité ajustées
L’entretien commercial, interaction essentielle par laquelle le créateur établit
EDUCATioN PERmANENTE
un contact avec le monde extérieur et qui doit produire un résultat, apparaît comme
une situation de gestion typique, et délicate. Comme l’indique un responsable de
structure, « la partie commerciale fait peur en général, donc on intervient fréquem-
ment sur cette question ». Réalisé seul, l’entretien commercial ne peut constituer une
situation de travail tutorée. Parfois déstabilisé, le créateur peut peiner à en restituer
le déroulement précis. Cela crée une difficulté dans l’accompagnement : « C’est
difficile de trouver ce qui ne marche pas dans un entretien client, parce qu’on ne le
voit pas. on se base sur son retour d’expérience » (responsable de structure), parfois
ténu. Les réseaux organisent des temps pour « préparer l’entretien terrain », puis
« débriefer pour s’améliorer pour le suivant ». Ces interventions autour d’une situa-
tion éminemment importante pour le développement de l’activité signifient que
différentes formes de réflexivité sont mobilisées. Bien que souvent associé à un
« après-coup », on sait que le travail réflexif « peut se conduire avant, pendant et
après l’action » (Gagneur et mayen, 2017) : en amont pour développer une atten-
tion ; en aval pour mettre en relation les conditions, les fins et les conséquences
(ibid.). on peut faire l’hypothèse qu’une AFEST pourrait articuler ces différentes
phases réflexives, nécessitées ici par la spécificité de la situation d’entretien
solveig grimault
commercial. on peut également penser que renforcer le travail réflexif amont, qui
vise à développer une attention aux caractéristiques de la situation, pourrait accroître
la capacité du créateur à consigner, in situ, des traces de son déroulement, pour les
restituer de façon plus détaillée en aval. La situation d’entretien commercial pourrait
ainsi devenir le matériau, « plus praticable », d’une AFEST, à partir duquel conso-
lider les apprentissages8 et l’acquisition de nouvelles compétences.
Aujourd’hui, face à la difficulté des créateurs à revenir sur les conditions d’un
entretien commercial, les réseaux développent diverses stratégies. Certains propo-
sent au créateur « [d’appeler] le fournisseur en face [d’eux] » (réseau C). L’un des
réseaux envisagerait de faire de l’entretien commercial un terrain d’expérimentation
de l’AFEST (Coopérer pour entreprendre, 2020) en mobilisant les pairs :
« L’entrepreneur novice pourrait accompagner un entrepreneur aguerri dans ses
rendez-vous client, pour voir ce qui s’y passe, débriefer » (réseau B). L’AFEST pour-
rait-elle inspirer des pratiques plus collectives, au-delà du seul binôme
créateur/accompagnateur ? Dans tous les cas, si l’accompagnement direct des situa-
tions dans lesquelles l’entrepreneur est en transaction avec une partie prenante de
son environnement (client, fournisseur, partenaire, etc.) est difficilement envisa-
166 geable, il nous semble que la nécessité d’apprentissages situationnels demeure, tant
la maîtrise de ces situations est essentielle au développement de l’entreprise. Nous
faisons l’hypothèse que, dans ce champ comme dans d’autres, « la rencontre de l’ex-
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n° 227/2021-2
« parcours itératif » qu’évoquent les réseaux. il forme un « continuum expéri-
mental » (Dewey, 2011) ou expérientiel, par lequel le créateur – dans le meilleur des
cas – fait une « expérience éducative » (mayen, 2014a) du fait des « activités intel-
lectives » (ibid.) qui la ponctuent. Ces dernières permettent au créateur de
EDUCATioN PERmANENTE
comprendre et de maîtriser l’action dans, avec et sur des situations de gestion, appré-
hendées dans leurs articulations. Par ce processus expérientiel, le créateur apprend
à construire progressivement la cohérence et la solidité de son modèle d’affaire, et
de cet agencement singulier de situations de gestion par lequel il se concrétise.
Enfin, ce « continuum expérimental » peut s’enrichir de situations de travail
plus collectives « [ouvrant] de nouveaux espaces d’activités à investir » (mayen,
2008), au bénéfice par exemple d’un projet de réponse à un appel d’offre collectif :
« L’interconnaissance entre les entrepreneurs [peut donner] accès à des nouveaux
marchés, [conduire à] faire l’expérience d’une diversification » (réseau B).
L’engagement dans un appel d’offre collectif est « générateur de compétences [...]
parce que le créateur sera sur quelque chose [de] plus large que lui-même »
(réseau B), souligne cet organisme, qui réfléchit à une expérimentation AFEST
autour de la construction d’une réponse collective à un appel d’offre (Coopérer pour
entreprendre, 2020). Dans cette configuration, la mobilisation d’une AFEST suppo-
serait sans doute un équipement spécifique des chargés d’accompagnement et des
pairs, susceptibles de devenir tuteurs.
solveig grimault
même, comme fait d’agencer – des situations de gestion – et comme produit final –
l’agencement productif – devient l’objet à partir duquel se développent les compé-
tences qu’il appelle. Cela nous semble essentiel : le développement du projet est le
mode de développement des compétences entrepreneuriales « utiles ». Comme dans
EDUCATioN PERmANENTE
le schéma de l’AFEST, « les ‟mises en situation de travail” ne sont [plus] des phases
applicatives de savoirs reçus par ailleurs mais des moyens de produire le matériau
pédagogique » (Duclos, 2021). Ajoutons que les activités visant la structuration de
situations de gestion sont larges ; « elles impliquent la coordination de nombreux
facteurs [...] des changements et des réajustements continus » (Dewey, 2011) pour
faire face à la complexité et au développement des situations de gestion. Les compé-
tences entrepreneuriales acquises sont larges, comme en témoignent les référentiels
de certification développés par certains réseaux d’accompagnement. or les AFEST
sont particulièrement adaptées à ce type d’apprentissages, plutôt qu’à celui de tâches
spécifiques (Duclos, 2021).
jour le jour [...], d’aujourd’hui à demain, pas de demain à aujourd’hui9 » (réseau A).
En prolongeant l’interprétation, nous dirions que si l’accompagnement-formation au
métier de chef d’entreprise « doit préparer l’avenir, [il] doit progressivement réaliser
les possibilités présentes » (Dewey, 2011) : la « préparation » ne peut détourner l’at-
tention du « stimulant » que sont les situations de travail présentes (ibid.). Cette
perspective semble être particulièrement féconde pour interpréter le mode opéra-
toire d’une « préparation » à l’exercice des compétences entrepreneuriales. Elle est,
elle aussi, directement congruente à la pédagogie de l’AFEST.
La frontière entre fin et moyens devient plus poreuse qu’il n’y paraît. Si le créa-
teur projette une fin en vue, une « situation souhaitée » (Schmitt, 2020), nous faisons
l’hypothèse que l’effectuation des moyens est suggestive quant aux fins, évolutives.
Un cycle récursif s’installe dans ce que le créateur expérimente concrètement10 : la
mise en œuvre des moyens, « les ‟effets” possibles de moyens donnés » (Sarasvathy
et al., 2011), leur « récalcitrance », peuvent conduire à la révision des fins. on ne
peut selon nous « abandonner » ni la fin projetée, ni la « distorsion » des fins qui
procède de l’effectuation des moyens – de quelque nature qu’ils soient : moyens
matériels, action collective aidant à agir en situation (mayen, 2008).
169
n Le formel et l’informel dans des parcours hybrides
n° 227/2021-2
Le « contrat d’entretien » que nous avions proposé aux réseaux les invitait à
valoriser les rapprochements entre leurs pratiques d’accompagnement-formation et
les AFEST. Cela a pu produire un « effet bonne volonté » qu’il a fallu contrôler dans
l’interprétation du matériau. L’accompagnement apprenant se présente en réalité
EDUCATioN PERmANENTE
comme un mixte d’alternance classique, relevant d’une conception applicative des
savoirs, et de modalités proches de l’AFEST rompant précisément avec cette
conception (cf. Duclos et Kerbourc’h dans ce numéro) pour faire de la situation de
travail le matériau pédagogique de base de l’action de formation, retravaillé dans la
séquence réflexive.
Si les réseaux peinent parfois à qualifier de façon synthétique ce qui fait la
singularité du processus et du métier d’accompagnement à la création, par-delà la
pluralité des postures qu’ils requièrent (Verzat, 2009 ; Paul, 2004), c’est peut-être
que s’y cherchent encore une ou des formes qui leur seraient adaptées. Nous faisons
l’hypothèse qu’il convient de réinterroger les lignes du formel et de l’informel dans
ce processus, de questionner les « degrés de formalisation [...] des apprentissages »
(Fabre, 2014) qui interviennent. Lorsqu’il s’appuie sur des situations de travail
9. La théorie de l’effectuation, qui a renouvelé l’analyse du processus entrepreneurial, propose « un modèle de prise
de décision dans des situations d’incertitude » (Boissin et al., 2011 ; Sarasvathy, 2011), et remet en cause une
conception traditionnelle du business plan comme moyen de prédire un futur entrepreneurial (Boissin et al., 2011).
10. Sarasvathy considère que « l’effectuation est à la méthode entrepreneuriale ce que l’expérimentation est à la
méthode scientifique » (Boissin et al., 2011 ; Sarasvathy, 2011). Pour certains, cette approche s’intéresse encore
insuffisamment à l’action et à l’expérience des entrepreneurs (Schmitt, 2020).
solveig grimault
ment par des sessions de formation collectives, qui font place au matériau des
projets des créateurs. Des simulations, des jeux de rôle, des situations de travail arti-
ficielles construites à des fins d’apprentissage (Pastré, 2008) peuvent les compléter,
pour le training commercial notamment.
projet ». Le créateur apprend à penser les choses d’après leurs conséquences, et peut
y revenir avec le conseiller à partir des traces produites par le simulateur. Cet outil
doit pouvoir contribuer à ce que « des correspondances se développent » (mayen,
2012) entre de nouvelles façons de penser, et des situations de gestion projetées. il
construit une articulation entre la situation de simulation, situation d’apprentissage
artificiellement construite (Pastré, 2008), et une situation à venir, a fortiori si le créa-
teur le conserve « pour simuler ensuite une logique de développement » (réseau C).
n° 227/2021-2
qui « fait problème » dans la situation présente, pour la transformer ? La situation
est d’abord trop indéterminée pour être véritablement problématique (Fabre, 2006).
Plutôt qu’à résoudre un problème déjà donné, il y a à déterminer le problème (ibid.)
qui trouble la situation, créant une difficulté à agir.
EDUCATioN PERmANENTE
Cette distinction peut inspirer de nouvelles pratiques formatives dans le champ
de l’entrepreneuriat ou du management, où il s’agit de « préparer les [apprenants] à
des situations complexes de gestion, qui s’apparentent à de la ‟découverte de
problèmes” » (martineau et al., 2019). Revisitant la méthode du maître ignorant
(Rancière, 2004), certains considèrent que la compréhension d’un objet ou d’une
situation de gestion, d’abord inconnus, suppose une « exploration du monde », dont
l’enseignant doit « organiser la nécessité » : l’enquête, dont il faut soutenir l’effort à
force de questions, doit apprendre à juger « par expérience » du « pertinent et [du]
négligeable » pour pouvoir déterminer un problème, ou les contours d’une situation
(martineau et al., 2019). L’un des réseaux interrogés, qui accompagne de jeunes
créateurs en phase d’émergence, développe des pratiques voisines, soutenant un «
processus de questionnement » (réseau D) : pour « transformer le rêve en un projet
de création, il y a beaucoup de questions à découvrir par soi-même », un environ-
nement à explorer, des ressources à révéler. L’accompagnateur ignore ce que l’en-
quête de terrain permettra de découvrir, mais il sait que les créateurs « pensent
souvent à un chemin auquel [il n’avait] pas pensé ». Ce « savoir caché dans la ques-
tion » (Fabre, 2015) fait progresser l’enquête, soutenue par des séquences réflexives
solveig grimault
(Stroobants, 1993). C’est d’ailleurs dans cette perspective que l’un des réseaux envi-
sage d’expérimenter ce type de projets dès la phase d’émergence, pour « créer des
opportunités d’expérience », à la fois tremplin et matériau du travail réflexif pour le
projet de chacun (réseau D). Ces réseaux assurent ici la « construction d’un milieu »
(Pastré, 2008) propice aux apprentissages.
Enfin, l’enquête « fondatrice » précédemment évoquée peut transformer ce qui
apparaît souvent comme un « contexte » extérieur, auquel il faudrait s’adapter, en
un « environnement » au sens de « l’ensemble des conditions qui interviennent dans
le développement [des] capacités [du créateur] au titre de moyens ou de ressources »
(Zask, 2008). Réévaluant la limite entre contexte et environnement du projet, l’en-
quête soutient le développement d’une compétence de transformation d’un contexte
en un environnement. Cette capacité à aller chercher dans l’environnement les
ressources permettant d’ajuster la situation est – au risque de paraphraser la défini-
tion même de la compétence – une « compétence environnementale ». L’attention à
l’environnement est redoublée, puisqu’il faut en acquérir l’intelligence. Le créateur
devient également compétent en ce qu’il parvient à comprendre les conditions –
découvertes par l’enquête – qui peuplent et définissent la situation, et sait s’y ajuster
solveig grimault
pour adapter son action (mayen et al., 2006). il a également su ajuster la situation,
en évolution. Si les conditions d’accompagnement s’y prêtent, il nous semble qu’un
créateur pourrait faire l’expérience, accompagnée, de l’émergence de situations de
gestion, et développer des compétences permettant d’agir « avec, dans et sur » ces
situations, pour et avec lesquelles elles ont pu se former. Le processus d’émergence
de situations de gestion serait un premier mode de développement des compétences
entrepreneuriales utiles.
*
Un représentant d’un réseau expliquait « permettre une expérience transition-
nelle de changement » aux personnes accompagnées, qui « ne se découvrent pas
entrepreneur subitement, [mais] se transforment et développent des compétences »
progressivement. Cette transformation, ou « métamorphose [du créateur] est la
conséquence [d’une] expérimentation » (Fleury, 2015), par laquelle celui-ci concré-
tise pas à pas son projet et acquiert, dans le même mouvement, une capacité à
construire, penser et maîtriser les situations de gestion utiles au développement de
son activité. De ce point de vue, le processus d’« individuation » que peut favoriser 173
un parcours de création ne suppose pas de centrer l’accompagnement sur l’individu,
mais sur son expérience (ibid.). Un accompagnement à la création misant sur le
n° 227/2021-2
développement d’une « expérience éducative » pourrait sans doute prendre le parti
de construire, précocement, des situations et des milieux apprenants pour que le
créateur puisse bénéficier de cette relation expérientielle et didactique dès les
prémices de son parcours. Le cadre de l’AFEST y inviterait, et pourrait ainsi sou-
EDUCATioN PERmANENTE
tenir, d’emblée, l’instauration et la continuité de ce processus expérientiel si béné-
fique aux créateurs et à leurs projets, venant nuancer par la même occasion la parti-
tion usuelle ante et post création qui organise le plus souvent les parcours d’accom-
pagnement. u
Bibliographie
GIRIN, J. 1990. « L’analyse empirique des situations de gestion ». Dans : A.-C. Martinet (dir. publ.).
Épistémologies et sciences de gestion. Paris, Economica, p. 141-181.
GRIMAULT, S. et al. 2014. « Enquêtes monographiques sur le dispositif nouvel accompagnement
EDUCATioN PERmANENTE
n° 227/2021-2
entrepreneuriat ». Revue de l’entrepreneuriat. N° 3, p. 93-116.
STROOBANTS, M. 1993. Savoir-faire et compétences au travail. Bruxelles. Editions de l’Université.
VERZAT, C. 2009. « Un seul métier, trois dimensions ». L’expansion entrepreneuriat. Mai, p. 60-65.
EDUCATioN PERmANENTE
ZASK, J. 2008. « Situation ou contexte ? ». Revue internationale de philosophie. N° 245, p. 313-328.
EDUCATioN PERmANENTE n° 227/2021-2
176
JEAN-CLAUDE DUPUIS
n° 227/2021-2
de formation pensées également comme des investissements productifs3.
La reconnaissance légale de l’AFEST4 renforce cet enjeu de valorisation. Elle
facilite en effet la possibilité d’internaliser la formation plutôt que de la confier à des
prestataires externes. Elle repose ainsi, à nouveaux frais, la question du modèle
EDUCATION PERMANENTE
économique de la formation, en même temps qu’elle expose au risque de tarissement
de l’effort financier global de formation des entreprises. Pour nombre d’acteurs
privés et publics, il deviendrait encore plus urgent d’amener les entreprises à penser
la formation comme un investissement plutôt que comme une charge.
Pour avancer dans cette voie, ces acteurs arguent de façon tout à fait cohé-
rente que la rentabilité et la contrôlabilité des investissements en formation pour-
raient être documentées, pendant leur durée d’amortissement, par la mesure des
gains qu’ils engendrent (rentabilité) et de la rotation du personnel (contrôlabilité)6.
Par prudence, une dépréciation de ces investissements, en cas de non-démonstra-
tion convaincante de leur rentabilité et de leur contrôlabilité, pourrait s’opérer.
Retraduite, la position de ces acteurs revient à regretter que le modèle comptable
dominant ne soit pas un modèle de type financier pur, et qu’une distance demeure
entre comptabilité et évaluation financière. C’est seulement, en effet, avec ce type
de bilan (bilan en valeurs actualisées ou en valeur d’utilité) que l’on est droit d’at-
tendre que les capitaux propres, figurant au passif du bilan, correspondent, aux
fluctuations près de la bourse, à la valeur de marché des actions de l’entreprise. Or,
il se pourrait que cette distance soit louable.
Dans le même temps, ils ne perçoivent pas que leur démarche se caractérise
par un hiatus. Ils militent pour une logique de l’amortissement, laquelle n’a pas sa
place dans le modèle comptable de type financier qu’ils défendent, à la base des
normes comptables actuelles (sic). Ils ont en tête une conception « matérialiste »
du capital, lequel est en conséquence compris comme un ensemble de ressources 179
(facteurs de production). Cela signifie que, dans leurs esprits, l’évaluation du
capital se confond avec l’évaluation de l’actif (du bilan). Le modèle comptable de
n° 227/2021-2
type financier dominant (modèle actuariel) incorpore, en effet, une conception du
capital qui l’assimile non pas à un apport de fonds (conception « fundiste » du
capital), mais à des actifs concrets, et plus précisément, aux services futurs rendus
par ces actifs. L’évaluation actuarielle du capital implique en conséquence de
EDUCATION PERMANENTE
tourner le regard vers le futur (forward looking) de façon à estimer les flux de
services et revenus futurs qui pourront être générés à l’aide de ces actifs.
Or, la technique de l’amortissement réfère à un autre modèle comptable qui,
lui, mobilise une conception « fundiste » du capital et non pas une conception
« matérialiste ». Le capital y est conçu comme un apport de fonds (fund) et non
comme un actif concret (comme c’est le cas dans la conception matérialiste du
capital). Cela a une implication majeure souvent peu perçue : dans cet autre
modèle comptable qui a été dominant au cours du XXe siècle avant de s’effacer
sous les critiques des partisans du modèle de type financier et de la « juste valeur »
(fair value), le capital est au passif, et l’actif du bilan recense non pas des
ressources, mais des emplois de ressources (investissements). La technique de
l’amortissement concrétise une obligation interne de reproduction du capital de
l’entreprise qui n’exige pas d’amortir le coût de création (production) d’un capital.
6. La doctrine comptable considère que la formation est attachée au salarié et non à l’entreprise. La contrôlabilité
de la formation (par l’entreprise) impliquerait d’arriver à étayer, par exemple, le fait que les salariés qui bénéfi-
cient de certaines formations sont (plus) fidèles à l’entreprise que ceux qui n’en bénéficient pas. Lesdites forma-
tions pourraient alors être jugées « contrôlables ».
jean-claude dupuis
son capital dans la période d’euphorie, et ne plus pouvoir faire face aux besoins de
réinvestissement lors des crises. Autrement dit, avec un tel modèle comptable, on
n’est pas sûr de répartir les seuls fruits de la croissance ; la consommation peut très
bien s’avérer après coup en partie de la désépargne, c’est-à-dire de la consomma-
EDUCATION PERMANENTE
tion de capital.
L’expérience de la crise bancaire et financière des années 2007 et 2008 a
conduit les normalisateurs comptables à se raviser sur la quête d’un certain Graal.
Elle les a également invités à reconsidérer les atouts et vertus du modèle comptable
traditionnel en coût historique. Le modèle comptable ancré sur la technique de
l’amortissement (le modèle du « coût historique ») ne permet, en effet, de distri-
buer un profit que s’il a été réalisé, c’est-à-dire matérialisé par des ventes réelles.
Prudence oblige, les simples profits potentiels ne sont pas pris en compte. Plus
encore, un profit ne peut être distribué que si le capital financier qui lui a « donné
naissance » a été reconstitué. Cette reconstitution se fait par une charge d’amortis-
sement qui opère un prélèvement obligatoire sur le profit annuel. Ce modèle comp-
table intègre donc une contrainte de reproduction du capital apporté (principe de
conservation), laquelle est évaluée de façon prudente (principe de réalisation).
Il faut bien saisir que l’enregistrement des charges d’amortissement vise à
mettre en réserve les sommes qui permettront à l’entreprise de reconstituer les
biens de capital consommé/usé par son processus productif. Ces charges doivent
être calculées en fonction des pertes de capacités de fonctionnement des instru-
jean-claude dupuis
n° 227/2021-2
branches professionnelles ont pu ou pourraient avoir, en totalité ou en partie, cette
fonction.
EDUCATION PERMANENTE
n La comptabilité compte et raconte
La comptabilité financière ne se réduit pas à ce qui peut être mesuré monétai-
rement. Des notes extrêmement diverses (notes to accounts ou disclosures), mêlant
éléments chiffrés et narration, viennent à la fois expliquer et compléter sciemment
les informations financières contenues dans les états primaires (bilan et compte de
résultat). En France, ce type de documents est réuni dans un document unique
désigné sous le nom d’« annexe », dont le volume n’a fait qu’augmenter au fil du
temps. Or, ce document public contient de nombreux éléments d’information sur
les investissements immatériels de l’entreprise, notamment sur ceux non compta-
bilisés au bilan du type investissements en capital humain ou en recherche-déve-
loppement.
En 2010, l’IASB a d’ailleurs publié des lignes directrices visant à harmoniser
ces commentaires de direction (management commentaries) destinés à compléter
et éclairer les états financiers. Parmi les thèmes récurrents des commentaires de
direction figurent : des informations sur le contexte qui permettent de mieux
comprendre la situation et les résultats financiers immédiats et futurs de l’entre-
prise ; des informations élargies sur des mesures de performance financière et non
jean-claude dupuis
tise une étape tirant parti au mieux des possibles de la doctrine actuelle.
n° 227/2021-2
n Prendre appui sur le pouvoir sémiotique et pragmatique
EDUCATION PERMANENTE
des outils de gestion
Conduire les acteurs d’une action de formation à se penser comme engagés
dans une « situation de gestion » ne va pas de soi. Il est possible que l’internalisa-
tion de la formation induite par le déploiement des AFEST les y invite davantage
qu’auparavant. Une situation de gestion se présente en effet « lorsque des partici-
pants sont réunis et doivent accomplir, dans un temps déterminé, une action collec-
tive conduisant à un résultat soumis à un jugement externe » (Girin, 2016). Cela
présuppose de rendre possible et légitime une telle habitude de pensée et d’action
tendue vers la production d’une valeur objectivée, pour ne pas dire tendue vers la
performance.
La mobilisation idoine d’outils de gestion peut aider. Les outils de gestion ne
sont pas des artefacts neutres et passifs. Ils sont dotés d’un certaine agentivité
(Chiapello et Gilbert, 2016). Associant d’un côté des artefacts, matériels ou
symboliques (des concepts, des schémas), de l’autre des registres d’action, d’usage
qui vont leur donner sens (Lorino, 2002), leur présence affecte les situations et
l’action qui s’y déroule : effets épistémiques, en raison des représentations du
travail qu’ils véhiculent, et effets pragmatiques parce qu’ils habilitent et contrai-
gnent l’action (Ragaigne et al., 2014).
jean-claude dupuis
n° 227/2021-2
niveau des coûts-performances cachés. Conformément à la logique de pensée
encapsulée dans l’outil, il s’agit de comparer le niveau des coûts-performances
cachés avant et après le transfert des acquis de la formation en situation de travail,
ou entre des entités similaires ayant bénéficié ou pas de la formation. Ladite
EDUCATION PERMANENTE
enquête peut alors aboutir à une évaluation de la performance (économique) de
l’action de formation comprise comme son rapport entre sa qualité (impact sur les
coûts-performances cachés) et son coût (coût total de la formation).
Il va de soi que ce type d’enquête est vite confrontée à la complexité du travail
réel et que, en conséquence, il est le plus souvent difficile d’isoler les effets d’une
action de formation sur le cours de l’action collective, impacté qu’il est par de
multiples facteurs et acteurs. C’est d’autant plus le cas que le coût d’enquête doit
rester supportable au risque sinon d’être d’une piètre utilité en termes de perfor-
mance si ce n’est pour les évaluateurs. Cela étant, ces réserves sont valables pour
l’ensemble des détours productifs considérés isolément. Il n’en demeure pas moins
que cette méthode permet de sortir de l’ombre l’économique et de donner à voir la
formation comme étant également une affaire économique et financière (à gérer).
Non-créations
Sur- Non- Total des coûts
Composants Sursalaires Surtemps de potentiel
consommations productions cachés (1) + (2)
Indicateurs (1) (2) (5) et risques
(3) (4) +…+ (6)
(6)
Coûts cachés
Absentéisme liés
à l’absentéisme
Coûts cachés
Accidents liés aux
du travail accidents du
travail
Coûts cachés
Rotation liés à
du personnel la rotation du
personnel
Coûts cachés
Qualité des liés à
prestations la qualité des
prestations
Non-créations
Sursalaires Surtemps Non- de potentiel et
Surconsommations
engendrés engendrés productions risques
engendrées par Coûts cachés
186 Total par les
indicateurs
par les
indicateurs
les indicateurs
engendrées par
les indicateurs
engendrés
par les
totaux
listés
listés listés listés indicateurs
n° 227/2021-2
listés
Concepts
Coûts historiques Coûts d’opportunité
économiques
Concepts
Surcharges Non-produits
EDUCATION PERMANENTE
comptables
9. L’analyse de la valeur (AV) est une méthode systématique d’amélioration de la valeur des produits et des services"
" en examinant leurs fonctions. Ainsi définie, la valeur est le rapport entre les fonctions et leur coût ; elle peut donc
être augmentée soit en améliorant les fonctions soit en réduisant les coûts. L’AV suit un processus structuré basé
exclusivement sur la « fonction », c’est-à-dire sur ce que le produit ou le service doit faire et non ce qu’il est. Ce
processus est la base de l’analyse fonctionnelle.
jean-claude dupuis
d’une réponse en termes d’action de formation au regard des attentes des princi-
pales parties prenantes et des autres possibles solutions. En tout cas, elle ouvre la
possibilité d’être traduite et comprise ainsi par les acteurs familiers des habitudes
de pensée et d’action du monde économique et financier. Elle est donc à même de
donner un sens nouveau ou complémentaire aux situations de formation.
Elle s’en distingue par d’autres aspects. D’abord, elle contraint l’analyse fonc-
tionnelle en actes à ouvrir la « boîte noire » de la formation et à penser de façon fine
« ingénierie de la formation ». Le régime de vérité embarqué dans l’outil est, lui,
beaucoup plus ouvert et pluraliste. La monétarisation des preuves n’est pas la règle
comme cela est le cas dans la méthode des coûts-performances cachés ou encore
dans la méthode du ROI de la formation (Phillips, 1996). La méthode d’évaluation
invite également à prendre en compte le fait que le cours de l’action de formation
est multi-adressé (plusieurs parties prenantes ou intéressées). L’outil apparaît donc
plus à même de contribuer à faire vivre un pilotage dialogique et non découplé de
la qualité de la formation ou, autrement dit, un pilotage au service d’une per-
formance dialogique (effets de premier ordre). Cela dépend toutefois de la façon
dont les acteurs peuvent se l’approprier ou résister à son emprise (effets de second
ordre). Il en va, bien entendu, du rôle de traducteur des managers de la formation. 187
n° 227/2021-2
Conclusion
Les normalisateurs comptables ont de « bonnes raisons » de ne pas trop s’ou-
vrir à l’activation des dépenses de formation sans pour autant vouloir leur dénier
leur caractère d’investissement. Il apparaît donc souhaitable, pour les acteurs
EDUCATION PERMANENTE
soucieux de valoriser à court et moyen termes les dimensions économique et finan-
cière de la formation, de se tourner vers d’autres voies pour une mise en actes
(enactment) de l’investissement formation. Nous avons montré qu’un autre chemi-
nement implique de penser les situations de formation comme étant également des
situations de gestion, via une médiation idoine d’outils de contrôle de gestion ou
d’évaluation de la formation.
Cela étant, il ne faut pas sombrer dans la « gestionnite ». Trop de gestion tue
la gestion. Nous invitons en conséquence les contrôleurs de gestion de la formation
« en puissance » à lire, parmi les quarante-deux histoires succinctes et éclairantes,
concoctées par Henry Mintzberg (2019), celle qu’il a intitulée « Analyste : analyse-
toi toi-même10. ». Il y cite le mathématicien et philosophe anglais Alfred North
Withehead : « Il faut un esprit très particulier pour entreprendre l’analyse de ce qui
est évident » (ibid., p. 83).
La voie proposée pourrait également favoriser une mise en dialogue entre les
sciences de gestion et les sciences de l’éducation et de la formation, lequel est pour
10. Au regard du sujet du présent article, l’histoire pourrait être réintitulée : « Contrôleur : contrôle-toi toi-même. »
jean-claude dupuis
11. Pour le professeur de sciences de l’éducation, l’option multiréférentielle conduit à prendre en compte « les ques-
tions que s’adressent mutuellement, à propos de l’objet intéressé, mais tout autant pour elles-mêmes, à l’occasion
de cette recherche particulière, les différentes disciplines convoquées » (Ardoino, 1993, p. 29).
Bibliographie
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ELSA BONAL
n° 227/2021-2
tion pour adultes qui construirait la possibilité de développer le rapport au monde
qu’ils travaillent déjà : le transformer tout en se transformant.
Le formateur construit un environnement pour apprendre. Il crée l’opportu-
nité, pour un professionnel, de reconstruire sa façon de travailler, en relation (phy-
EDUCATION PERMANENTE
sique, sociale et psychique) avec d’autres travailleurs. L’objet mis au travail par
l’acte d’apprendre n’est pas un savoir objectif extérieur, il engage la subjectivité de
l’apprenant, celle qu’il mobilise quand il travaille. Les questionnements ouverts par
son acte traversent la géographie intime de l’apprenant comme les liens sociaux qui
le relient aux autres professionnels. Le formateur mobilise des moyens pour accen-
tuer les perceptions de l’apprenant, de sorte que celui-ci aiguise son contact avec
l’autre et avec la matière qu’il travaille. Il a recours à des méthodes directes, s’ap-
pliquant dans l’expérience immédiate, centrées sur les perceptions sensorielles, et
à des méthodes indirectes, reconstructives et interprétatives, centrées sur les traces
d’une activité réalisée à des fins d’apprentissage. Considérant la dialectique entre
l’individu et le collectif que renouvelle sans cesse une institution, l’action de
formation installée dans l’entreprise devrait être en mesure de soutenir la compré-
hension que l’apprenant aura d’un déjà-là qui construit ses gestes : préconstruits
organisationnels et œuvre-praxis de son activité.
formateur et/ou un référent ; mettre en place des phases réflexives ; évaluer les
acquis de la formation. Le choix du législateur pourrait également se lire « à l’en-
vers » : l’absence de formateur, l’économie de phases réflexives, un matériau péda-
gogique un matériau pédagogique qui ne puiserait pas ses références dans l’activité
EDUCATION PERMANENTE
1. Cet atelier est accueilli par l’Institut du travail et du management durable (www.itmd.fr).
elsa bonal
place de salarié, est nouveau pour un entrepreneur familier des apprentissages sur
le tas. Développer les compétences d’un apprenant en référence à des normes
socialement construites dans l’entre-soi d’une entreprise est tout aussi nouveau
pour des pédagogues exerçant dans des espaces à vocation développementale.
Apprendre au travail requiert que les fonctions formatives soient assurées non
par un seul service dédié (à supposer qu’il existe), mais par des collaborateurs
insérés dans l’organigramme productif, et par des partenaires externes à l’entre-
prise, qui agiront pourtant au dedans. Le système d’acteurs soutenant le dévelop-
pement du métier de l’autre est spécifique à chaque entreprise. Comment l’accom-
pagner pour rendre la liberté des uns créatrice et pour faciliter la coopération avec
les autres ? À partir de la partition tendue par le législateur, chaque action de
formation en situation de travail est une composition originale, qui porte la signa-
ture de l’entreprise dans laquelle elle se déploie. Construire l’appétence pédago-
gique transforme les relations entre ceux qui y travaillent.
n° 227/2021-2
parcours, recueil du matériau pédagogique, accompagnement de l’apprenant,
aménagement de l’organisation du travail, mesure des compétences. Ils négocient
la distribution de leurs fonctions et leur complémentarité. Ils élaborent les condi-
tions individuelles et collectives pour questionner l’activité de travail : non pas
EDUCATION PERMANENTE
dans sa globalité, mais dans une situation particulière à visée pédagogique, dédiée
à la singularité des besoins d’un apprenant. Lorsque l’acte pédagogique est le
métier de l’autre, comment s’y prendre pour alimenter les nouvelles pratiques
sociales de formation des professionnels de l’entreprise et de leurs partenaires ?
L’expérience d’une AFEST dans un service hospitalier d’urgence est particu-
lièrement éclairante pour illustrer l’emboîtement de collectifs de travail à visée
apprenante (voir la contribution de T. Bastide dans ce dossier). Il était périlleux
d’introduire une séquence formative dans un environnement de travail ultra-
contraint, où les professionnels sont exposés au regard de tiers, eux-mêmes en
proie à l’anxiété et, de ce fait, souvent peu coopératifs, où le flux de production ne
peut être interrompu et où un défaut de sécurité se traduirait par des dommages aux
personnes. Le fait qu’un cadre soit la cheville ouvrière du dispositif fut sans doute
une condition de sa faisabilité : il fait autorité pour concevoir l’architecture et
réunir les conditions de mise en œuvre ; non sans traverser les résistances qu’op-
posent d’autres cadres à la nécessaire adaptation de l’activité de travail.
Le travail est encadré par des procédures formalisées, connues de tous les
professionnels. Des problèmes de compétence continuent pourtant de se poser. Des
elsa bonal
conflits sur le poste d’accueil des patients font émerger un besoin de formation
spécifique, susceptible de qualifier certains agents d’accueil à l’exercice d’une
activité complexe. Ce poste de travail combine des activités relevant du diagnostic
clinique (déterminer le niveau d’urgence de l’état du patient pour orienter sa prise
en charge), de conduite d’entretiens, de maîtrise communicationnelle (notamment
à l’encontre de familles parfois envahissantes), de connaissances réglementaires,
d’efficience réelle à un instant t des équipements nécessaires à la bonne marche du
service, d’interdépendance avec les activités d’autres professionnels, etc. Exercer
en ce lieu éveille une palette émotionnelle autour de la peur, qui ne manque pas
d’influencer la cognition : crouler sous la charge, sous-évaluer la gravité, générer
la raillerie, voire l’animosité, des collègues, etc. Il est aisé de comprendre que ce
n’est pas en se référant au référentiel d’activité répertoriant ses tâches que le
professionnel saura comment agir dans ces situations. Il connaît déjà les buts qui
lui sont assignés ; c’est l’écart avec la situation réelle de travail qui l’empêche de
faire ce pour quoi il a été formé ou d’exercer sa compétence. Il s’agit moins d’ap-
prendre à exécuter un travail que de tenir sa fonction au-delà de la prescription
pour agir avec les autres en situation dégradée.
192 L’AFEST mise en œuvre dura deux jours. On y retrouve les caractéristiques
réglementaires : mise en situation de travail ; séquence réflexive ; deux apprenants
et un accompagnant qui soutient la réflexivité. La présence d’une équipe en
n° 227/2021-2
(observer l’équipe au travail, observer l’autre qui fait en première ligne). C’est en
prenant appui sur l’espace dialogique que de nouvelles étapes sont possibles, grâce
à une porosité des effets de la situation d’apprenance sur la dynamique de forma-
tion et sur celle de production : en comprenant la logique de l’autre et en conscien-
tisant l’action par l’analyse du travail, les savoirs d’action se construisent et
d’autres façons de faire s’ouvrent pour le collectif. La formation crée l’opportunité
de reconnaître au professionnel de s’efforcer d’effectuer un certain travail d’une
certaine façon, tout en faisant nécessité que les autres partagent à nouveau certains
buts : un travail comme on le fait ici qui (les) change déjà.
Apprendre un certain travail, c’est apprendre à coopérer. Le développement
du métier de l’un est corrélé à celui du collectif de travail. À l’instar de la dimen-
sion sociale du travail, l’apprenance au travail est une disposition collective autant
qu’individuelle2. Apprendre et faire apprendre passent par l’amélioration de la
capacité à agir avec les autres. L’action de formation renouvèle la coopération : en
introduisant la particularité, elle suscite des prises de conscience autour des
nuances de sens que les individus accordent aux choses qui les relient et aux gestes
qu’ils déploient dans leur activité professionnelle. L’intelligence collective relie
elsa bonal
des personnes pour fabriquer quelque chose qui ne serait pas sans elles, dans lequel
chacune puisse se reconnaître, qui lui est utile pour agir et se développer, et qui
augmente la capacité d’agir de concert. L’effet indirect de l’action de formation est
de requalifier le collectif de travail dans sa capacité à faire œuvre commune.
n° 227/2021-2
nant, en relation directe ou indirecte avec lui.
Pour construire, structurer et réguler la compétence individuelle, l’AFEST
prend appui sur la compétence collective. Son architecture renforce ce jeu collectif
en rendant les groupes actifs3: le collectif de professionnels (référent, formateur, res-
EDUCATION PERMANENTE
ponsable de production, manager, etc.) constitué autour de l’apprenant ; le collectif
de pairs, par l’intercession desquels l’apprenant est habilité à s’attribuer une compé-
tence (Stroobants, 1998) ; le collectif de travail ; le collectif encadrant qui autorise
certains changements dans les façons de faire en équipe. Socialiser l’action de
formation requiert d’inscrire la dynamique pédagogique dans un système d’acteurs
de nature fonctionnelle (distribution) et interactionnelle (ajustement).
L’introduction d’une éducation formalisée dans une institution à vocation
productive, associée à un mécanisme institué de reconnaissance sociale des capa-
cités acquises, s’ancre dans un déjà-là institutionnel. Le projet social que porte
l’entreprise influence la conduite d’une telle action de formation. De façon
formelle et informelle, intentionnelle et non intentionnelle, l’entreprise « éduque »
ses membres en véhiculant des relations sociales de compétition et de coopération.
Tandis que le modèle de subordination salariale est contesté pour le déficit de
responsabilité et d’émancipation qu’il engendre, l’AFEST peut ancrer ce contrat
social au développement des individus par celui de leur métier ; donc à la recon-
naissance de ce qu’ils font. On se rapproche d’un projet d’éducation permanente :
une stratégie pédagogique déploie des formes éducatives pour incruster la forma-
tion dans la vitalité professionnelle, par le développement de compétences indivi-
duelles et collectives. « L’éducation apparaît [aussi] comme un processus de pro-
duction, mettant en œuvre des moyens en fonction d’objectifs relatifs à certaines
conceptions de l’homme et de la société » (Lesne, 1984). Cette vision collective de
la formation, par ses méthodes pédagogiques et le positionnement des profession-
nels, traduit un certain projet social de l’entreprise.
Dans nos sociétés contemporaines, l’adjectif social, pour sa résonance avec la
notion de solidarité, n’aurait rien à voir avec le rôle de l’entreprise. Or, à moins de
se préoccuper de construire le lien social entre ceux qui traduisent en acte son
projet productif, l’entreprise ne bénéficie plus de ce qui s’est délité dans la société
et sous l’effet de certaine pratique managériale. Le collectif de travail existe grâce
au sens commun accordé à des normes et à des valeurs qui fondent l’éthique
professionnelle et la culture de l’entreprise. Il y a de l’institué dans l’entreprise :
des règles de fonctionnement intériorisées par chacun de ses membres. Il y a de
194 l’instituant, qui renouvelle ce qui fait tenir ensemble ces professionnels : la forma-
tion disposerait de cette faculté instituante.
n° 227/2021-2
permet à l’apprenant de situer son activité relativement à une norme externe pres-
criptive de référence. Pourtant l’enjeu de réflexivité porte sur ce qu’il s’efforce de
réaliser et qu’aucune prescription ne peut contenir ; c’est là que réside la preuve de
son autonomie, de sa compétence. Construire l’expérience suppose d’emprunter le
point de vue de l’individu apprenant, tout en le conduisant à explorer d’autres
façons de faire. Ce déplacement construit sa compréhension du cadre dans lequel
il agit : la matière qu’il transforme, l’organisation dans laquelle il travaille, le rôle
qu’il y joue, son interdépendance avec les autres professionnels, les besoins des
destinataires de son activité, la situation de l’entreprise dans un environnement. Il
est conduit à penser plus rationnellement ses actes professionnels dans un cadre
déterminé et mouvant, en référence à une prescription.
Les maîtres de la situation persisteront à proposer des formes où l’apprenant
conformera ses gestes à l’image prescrite de l’action. Les cliniciens construiront
des situations grâce auxquelles l’apprenant-actant s’efforcera de construire ses
propres gestes, en élaborant des choix, en situant ses actions par rapport à celles
des autres, en travaillant une matière qui réagit. La résonance d’une matière
(machine ou objet) renseigne la qualité du geste qui la manipule. Le travail du
elsa bonal
formateur revient à le faire gagner en conscience des contradictions qu’il résout par
son activité. Il s’agit moins d’aborder l’apprenant par ce qu’il n’a pas (le savoir
auquel la formation lui donnerait accès) que par ce qu’il fait déjà : un geste profes-
sionnel qu’il ne cesse de construire, d’affiner, de déployer dans l’action en con-
texte. À la triangulaire classique formateur-apprenant-méthode (Bru, 2006),
l’AFEST appose un quatrième pôle « matière » : le formateur mobilise une métho-
de pour accompagner l’apprenant dans la conscientisation de sa relation à la
matière qu’il travaille (quand bien même cette matière serait faite d’humanité)
dans un certain contexte.
Toute activité de travail suppose de construire en soi la référence interne à des
normes et à des contraintes transmises par des collectifs physiques et symboliques.
La possibilité de se référer à un collectif plus grand que lui, dans et au-delà des
frontières de l’entreprise (la reconnaissance des compétences acquises par la
formation vaut au-delà), influence la géographie intime du professionnel appre-
nant. Établir ces liens entre les dimensions individuelles et collectives et entre les
fonctions psychologiques et sociales de l’activité structure la clinique de l’activité
(Bonnefond, 2019). Sur un plan social, si l’on considère le travail comme une acti-
vité d’exécution, impersonnelle, la formation consiste à améliorer la compréhen- 195
sion, par l’apprenant, de la tâche qu’il exécute. Or, si la figure de l’exécutant est
devenue peu mobilisatrice pour le professionnel, elle empêche l’engagement de
n° 227/2021-2
l’apprenant dans sa singularité. Envisager le travail comme l’expression d’un
métier, c’est supposer que les professionnels l’exercent de façon différenciée dans
une entreprise particulière. Former consiste alors à ce que l’apprenant résonne au
diapason de son collectif de métier : ses gestes sont orientés par ceux de ses pairs.
EDUCATION PERMANENTE
C’est en prenant place dans une histoire transpersonnelle qu’il développe sa
compétence. Sur le plan psychologique, considérer le travail comme une affaire
personnelle conduit à envisager le parcours apprenant du point de vue d’un indi-
vidu équipé d’un portefeuille de compétences. Si l’on envisage cette activité
propre de travail comme interpersonnelle, adressée, former consiste, par un dispo-
sitif dialogique, à faciliter l’accès à l’autre, en acte ou en pensée.
Constituer un collectif apprenant est une stratégie pédagogique pour cultiver
ce collectif en soi. Construire en soi ce collectif revient à instruire des conflits de
critères qui orientent l’action par l’inscription sociale du professionnel. Le sens
qu’il accorde à ses actes en référence à des normes collectives se construit et se
renforce par cette opportunité de faire de l’exercice professionnel un sujet de
dialogue avec ses pairs. Par la médiation d’une réflexion soutenue et accompa-
gnée, élaborer des controverses professionnelles lui permet d’apprendre de lui-
même (ce qu’il fait ou pas quand il travaille, à partir de ce qu’il peut en dire par la
médiation pédagogique) et des autres (par objectivation des critères guidant l’ac-
tion de l’autre). Cette construction de la compétence procède de la valorisation
d’un déjà-là de nature psychosociologique. Construire cette compétence dialo-
elsa bonal
gique cultive l’esprit d’entraide plutôt que la compétition, l’échange plutôt que la
capitalisation, la vigilance plutôt que la docilité (Charbonnier, 2015). Coopération,
sens et compétence sont étroitement corrélés.
Un ouvroir de compétences :
cultiver la compétence dialogique
Des professionnels parlent de ce qu’ils font ; ils cherchent à devenir présents
à une situation, à leur environnement, aux autres : parler avec l’autre, démultiplier
les effets du geste. Tirer parti d’un geste naturel fait apparaître une règle tellement
simple qu’on a du mal à la voir : se faire en faisant ; faire en se faisant. La parole
sur le travail circule : « Si je fais et que je me fais en même temps, je ne serai plus
le même. » En explicitant et en intégrant la contrainte qui détermine son activité,
l’apprenant exerce la liberté de se transformer par l’expérience du travail, « une
liberté réelle, entendue comme puissance de faire : précisément ce qu’on vise lors-
qu’on dit “former des compétences” » (Charbonnier, 2015). Un ouvroir4 de compé-
tences a pour objet d’investigation le travail sous contrainte. Si le psychisme
196 travaille le monde (Friedrich, 2012), s’il est « l’organe qui choisit, le tamis qui filtre
le monde et le transforme de sorte qu’il soit possible d’agir5 », la compétence dia-
logique a pour effet de faire varier la maille de ce tamis et de faire prendre en consi-
n° 227/2021-2
dération ce qui est ou n’est pas retenu par l’opération de filtrage. L’objet du
dialogue porte non seulement sur les actions réalisées mais sur le réel de l’activité,
c’est-à-dire tout ce qui n’a pas été fait mais qui aurait pu l’être pour réaliser l’action
prévue : « Des activités suspendues, contrariées, empêchées, repliées, occultées
EDUCATION PERMANENTE
4. Désignant jadis un collectif de personnes bénévoles effectuant des travaux d’aiguille, le terme a été repris par le
mouvement poétique de l’Oulipo (ouvroir de littérature potentielle).
5. Vygotski, dans La signification historique de la crise en psychologie, cité par Friedrich (2012).
elsa bonal
n° 227/2021-2
fort de conceptualisation : « Une aptitude à réévaluer en permanence la justesse des
objectifs avant de chercher comment les réaliser [...] à construire une fin désirée ».
En devenir, la compétence ouverte l’est sur cette fin désirée : la promesse de
l’éclaircissement, par le dialogue, d’un objet dont on désire construire le sens ; la
EDUCATION PERMANENTE
perspective d’un reflet contenu dans une question ; le désir d’accéder à quelque
chose qui est déjà-là sans exister encore dans la tête de l’apprenant, et qui n’existe
pas sans un autre soi-même pour y avoir accès.
récurrent ici que l’élaboration individuelle prenne appui sur un collectif qui aide à
penser autour d’une question. Les méthodes indirectes mobilisent la médiation
d’un tiers et d’une instrumentation pour soutenir le travail réflexif. Les méthodes
directes, centrées sur les sensations de l’apprenant, accentuent son expérience im-
médiate. Des hybridations donneraient accès à des apprentissages : des méthodes
indirectes ancrées dans les sensations dont le corps garde la trace ; la mise à jour
d’un déjà-là contenu dans les corps.
Le regard agit et se cultive. Il alimente un circuit social d’ajustement réci-
proque des individus au sein de communautés restreintes. Le regard expert du
professionnel est compétence (Jobert, 2019), en tant que capacité à faire face à la
singularité et la variabilité des situations. Plonger dans ce regard impressionne, au
double sens du terme : être surpris, ouvert à une compréhension inattendue ; garder
une trace en soi de ce à quoi le regard de l’autre a donné accès. Les variations de
l’œil se travaillent et le regard subjectif se renouvelle.
« Apprendre à agir non pas comme on le devrait, mais comme on le fait »
(Feldenkrais, 1997). La fixité du corps fait bouger d’un seul bloc, dresse des bar-
rages, étrique le répertoire des possibles. Avec la méthode Feldenkrais de con-
198 science par le mouvement, le corps emprunte d’autres chemins. Par des micro-
gestes, répétés dans la lenteur, et la succession de pauses, des rapports mécaniques
dynamiques sont rétablis dans le corps. Le système nerveux réorganise le mouve-
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action et la décision. Autant de qualités déjà-là dans le travail, pour peu qu’on le
soigne ! Faire sensation renouvelle les imaginaires de la situation de formation et
de l’action professionnelle. Le corps qui apprend et celui qui travaille se transmet-
tent mutuellement le travail tel qu’on le fait ici. u
Bibliographie
n° 227/2021-2
EDUCATION PERMANENTE
EDUCATION PERMANENTE n° 227/2021-2
200
Résumés / Abstracts
trois intentions favorables au développement et
à l’accompagnement des formations en situa-
tions de travail, intentions trouvant leur poten-
MATTHIEU CHARNELET
personne raconte comment, se sentant dépos- des concepts du philosophe François Jullien : la
sédé de son propre projet par des gens qui déci- décoïncidence, le potentiel des situations et la
dent pour les autres, il a choisi de passer à connivence.
l’AFEST pour professionnaliser ses salariés :
« Si nous voulons faire progresser le dévelop-
pement des compétences et la formation
Intentions and attentions to develop
question de savoir qui est le “client” et The redefinition of continuing vocational trai-
situation-based training
comment nous l’aidons. L’AFEST est dis- ning, understood as a pathway and able to
201
ruptive parce qu’elle part de là : du besoin de draw its pedagogical material from the work
l’entreprise et de celui du salarié. » activity, leads to a profound questioning of the
n° 227/2021-2
ways of intervening. This article does not
propose a new model for AFEST trainers to
follow, but rather characteristics of action
Skills development is first of all
The founder of a personal service company likely to « refresh » the paradigm that frames
he business of the employer
EDuCATIon PErmAnEnTE
tells how, feeling dispossessed of his own their approach. It identifies three intentions
project by people who decide for others, he favorable to the development and support of
chose AFEST to professionalize his em- on-the-job training. These intentions find their
ployees : « If we want to make progress skills potential in a particular quality of attention,
development and vocational training, we need and the article then characterizes it in three
to ask ourselves who the “client” is, and how points, mobilizing concepts of the philosopher
we help them. AFEST is disruptive because it François Jullien : decoincidence, the potential
starts from there : the needs of the company of situations and connivance.
and that of the employee. »
LAURENT DUCLOS, JEAN-YVES KERBOURC’H
EMMANUELLE BEGON, YVON MINVIELLE Régime juridique de l’AFEST : une nouvelle
continue, entendue comme parcours et pouvant qu’elle a été définie par le législateur, en situa-
puiser son matériau pédagogique dans l’activité tion de travail. La considération du seul régime
de travail, entraîne une profonde remise en juridique de l’AFEST modifie en profondeur
question des manières d’intervenir. L’article l’image du droit de la formation et la compré-
propose à l’accompagnateur AFEST non pas un hension des règles qui l’organisent autour de la
nouveau modèle à suivre mais des caractéris- notion de compétence. Pour autant, la portée
tiques d’action susceptibles de « rafraîchir » le juridique et pratique des dispositions relatives à
paradigme qui encadre sa démarche. Il identifie l’AFEST reste largement méconnue. Ces dispo-
Résumés / ABSTRACTS
sitions ne déterminent en réalité que les condi- lopment of training actions in the workplace in
tions formelles d’élaboration de la formation ; the context of working meetings related to a
elles ne sont pas un mode d’emploi. Ce sont les commitment to job and skills development and
ressources et les modalités d’organisation in led by a regional association for the improve-
situ de la formation qui conditionnent l’effecti- ment of working conditions. It identifies the stra-
vité et l’efficacité des AFEST en termes de tegies at work to develop these actions and
développement des compétences. analyses the difficulties encountered by advisers
in getting their contacts in the branches or SMEs
to the development of training actions in the
workplace. The paper questions how the change
The legal regime of work situation training : a
Since Law n° 2018-771 concerning the « free- of scale that allows to move from an experiment
new image of skill law
tion-based training (AFEST) alone profoundly L’AFEST interroge l’action des financeurs
La place du financeur dans l’essor de l’AFEST
modifies the image of training law and the publics et parapublics, qui doivent non seule-
understanding of the rules that organize it ment intégrer cette nouvelle modalité dans
around the notion of competence. However, the leurs processus de gestion, mais également la
legal and practical scope of the provisions rela- promouvoir pour répondre à la volonté du
ting to AFEST remains largely unknown. In législateur. Ils sont ainsi invités à se ré-inventer,
reality, these provisions only determine the en assurant un rôle d’influenceur de l’action des
202 formal conditions for the development of trai- entreprises et des particuliers dans le respect du
ning ; they are not an instruction manual. The cadre défini par l’action publique. on peut aller
effectiveness and efficiency of AFESTs in terms of jusqu’à imaginer que le financeur n’aura
n° 227/2021-2
skills development depends on the resources and bientôt plus qu’une place réduite au sein de
methods used to organize the training in situ. l’AFEST, lorsque les entreprises s’en seront
approprié les mécanismes et en auront identifié
les bénéfices, au point qu’il ne sera plus néces-
EDuCATIon PErmAnEnTE
travail liées à un engagement de développe- AFEST questions the action of public and semi-
of work situation training
ment de l’emploi et des compétences et pilotées public funders, who must not only integrate
par l’ArACT IDF. Il identifie les stratégies à this new modality into their management
l’œuvre pour développer ces actions et analyse processes, but also promote it to respond to the
les difficultés rencontrées par les conseillers will expressed by the legislator. They are thus
pour intéresser leurs interlocuteurs des bran- invited to reinvent themselves, by playing the
ches ou des PmE au développement des AFEST. role of influencer for the action of companies
Ce faisant, l’article interroge la manière dont and individuals in accordance with the frame-
peut s’envisager le changement d’échelle qui work defined by public action. We can imagine
permet de passer d’une expérimentation à sa that, shortly, the funder will have only a small
généralisation. place within AFEST, when the companies will
have appropriated the mechanisms and will
have identified the benefits, to the point that it
will no longer be necessary to provide a finan-
From experimentation to generalization :
This article analyses the difficulties raised by cial incentive to encourage them to initiate
the trials of a change of scale
L’article relate la manière dont la branche des L’auteure examine le caractère paradoxal du
de l’automobile
services de l’automobile cherche à mettre en défi lancé par le législateur, via l’AFEST, aux
œuvre l’AFEST dans un contexte institutionnel acteurs du travail et de la formation, ainsi que
spécifique issu de la réforme de 2018. L’AnFA, les hypothèses à partir desquelles il serait
existant de longue date, construit des disposi- possible de consolider les liens retrouvés entre
tifs de formation, tandis que l’oPCo Mobilités travail et formation.
assure leur financement et leur déploiement
auprès des entreprises. L’article montre
comment la branche joue de questions institu-
A rediscovered link between work
tionnelles, de conceptions diverses de la forma- The link between work and training is not
and training ?
services branch, which has always invested in on which it would be possible to consolidate
n° 227/2021-2
training, seeks to implement the AFEST in the the links found between work and training.
specific institutional context of its own follo-
wing the reform of vocational training in 2018.
The National Association for Automotive
THÉOPHILE BASTIDE
EDuCATIon PErmAnEnTE
La formation en situation de travail,
the Skill Operator mobilités, stemming from une commande de formation à la fonction
Une expérience en service d’urgence
the reform, ensures their financing and deploy- d’infirmière d’accueil dans un service d’ur-
ment to companies. In describing the origin gence hospitalier a conduit à la mise en œuvre
and development of an experiment conducted d’une intervention articulant analyse du travail
by ANFA in collaboration with mobilités, it et actions de formation en situation de travail.
shows how the branch plays institutional ques- L’article montre comment le dispositif a
tions, various conceptions of professionnal contribué à instaurer des espaces dialogiques
training, financial or even commercial issues croisés sur le travail et sur son organisation. Si
to implement AFEST in the reality of each of its le travail de formation réalisé interroge la place
companies, developing the skills of its des savoirs au sein des dynamiques réflexives
employees by promoting a learning work envi- développées, il questionne également les
ronment. conditions de la recomposition des rapports
entre management, professionnels du soin et
CATHERINE BISSEY activité.
dence, devrait être inséparable ? L’article tente The demand for a training as triage nurse in an
An experience in an Emergency ward.
d’éclairer ce qui rassemble et désunit ces deux Emergency ward has led to the implementation
Résumés / ABSTRACTS
zation. The training work queries the place of Les auteures analysent une expérimentation
d’un process expérimental
knowledge whithin the reflective dynamics, but d’AFEST au sein d’une TPE familiale. mobi-
also questions the conditions for the reorgani- lisant l’approche par les capabilités, elles inter-
zation of relations between management, heal- rogent en quoi cette modalité et son in-génierie
thcare professionnals and work activity. particulière ont tantôt promu tantôt freiné les
capacités des acteurs à agir (à apprendre, à
former, à accompagner). Est posée la question
du niveau de formalisme et de l’exigence d’in-
SOPHIE AUBERT
L’expérience accumulée dans une entreprise réalités et des possibilités de la TPE, afin que
pérenniser les dispositifs de formation
sitif. L’article détaille la façon dont le couplage ment within a small familly business. Through
204 entre formations en situation de travail non the capabilities approach, authors question
productives (simulées) et situations productives how this modality and its particular enginee-
(tutorat) élabore des modalités d’apprentissage ring could promote actors’ capabilities to act
n° 227/2021-2
favorables à une performance globale durable, (to learn, to train, to support). Finally, there is
qui englobe les aspects liés au développement the question of the formalism level and the
des compétences des salariés tout autant qu’à la adequate AFEST engineering requirement, in
qualité, à la santé et à la sécurité. view of small familly business realities and
possibilities, to make this learning method a
EDuCATIon PErmAnEnTE
the demand, that of the state-of-the-art and that Les actions de formation en situation de travail
pour les AFEST ?
of the activity make it possible to work out a s’inscrivent dans un contexte global de réinter-
didactic and pedagogical engineering as well nalisation des fonctions formatives au sein du
as an organizational and political engineering système productif, qui requiert un investisse-
which will ensure the perenniality and the ment dans l’émergence d’organisations du
profitability of the training program. The travail apprenantes. Elles soulèvent également
article details how the coupling between non- la nécessité d’un équilibre vertueux entre les
productive (simulated) and productive (tuto- apports des organismes de formation et les
red) on-the-job training elaborates learning fonctions formatives des entreprises. Enfin,
modalities favourable to a sustainable global elles ont vocation à pallier les insuffisances de
performance which includes aspects related to notre système de formation professionnelle à
the development of employee’ skills as well as l’égard des moins qualifiés. Pour toutes ces
to quality, deadlines, health and safety. raisons, la mise en œuvre des AFEST nécessite
un réinvestissement méthodologique et didac-
Résumés / ABSTRACTS
Workplace training actions are part of a global périmentation d’AFEST, en insistant sur les
for workplace training actions ?
n° 227/2021-2
L’article interroge les liens entre les AFEST et methodological and theoretical regarding the
des conditions de travail
les déterminants importants des conditions de use of the notion of competence. This will lead
travail. une première partie rappelle les her to investigate another concept : the work
constats dressés à l’issue de l’expérimentation situation. How to define and limit a work situa-
tion so that it becomes an operating concept ?
EDuCATIon PErmAnEnTE
nationale qui a permis de définir les contours
de cette nouvelle modalité de formation : la Because ultimately, the interest of AFEST lies in
survenue d’effets associés non attendus sur les its ability to take work into consideration: not
conditions de travail. La deuxième partie porte work in general but this work in this context
le point de vue selon lequel ce sont en réalité with these actors. Hence the importance of
les qualités intrinsèques de l’AFEST qui véhi- moving from the concept of competence to the
culent directement cette dimension d’améliora- competence in a work situation.
tion des conditions de travail.
SOLVEIG GRIMAULT
Work-based learning actions (AFEST), L’AFEST comme hypothèse de réingénierie
tions. The first part recalls the findings drawn accordent une place privilégiée aux apprentis-
up at the end of the national experiment which sages en situation, a fortiori lorsque le créateur
made it possible to define the outlines of this démarre une activité, même modeste. Certai-
new training method, ie the occurrence of nes modalités d’accompagnement – axées sur
unexpected effects on working conditions. The la maîtrise des situations de gestion – s’appro-
second part takes the point of view that it is in chent des pratiques développées dans le cadre
fact the intrinsic qualities of AFEST that convey des AFEST. une enquête auprès de réseaux
this dimension of improving working condi- d’accompagnement montre que ces apprentis-
tions. sages situationnels pourraient intervenir, en
réalité, tout au long du parcours, à partir de expenditure and, therefore, cannot be recorded
situations de gestion réelles, émergentes, ou de on the company's balance sheet and then
situations construites. La référence AFEST depreciated. The article shows that accounting
permet d’imaginer un cadre global et straté- standard-setters have good reason not to over-
gique d’accompagnement de et par l’expé- open up to the activation of training expenses
rience des créateurs, susceptible de renforcer without wishing to deny them their investment
son efficacité en termes de développement des character. As a result, it proposes to take
compétences entrepreneuriales. another path to activate the training invest-
ment. This path presupposes a rethink of trai-
ning situations in order to be able to think these
situations as also management situations.
The AFEST reference : a strategic framework
similar to the practices developed within the nouvelles formes à la formation. L’apprenant
framework of work situation-based training est abordé comme un professionnel, et non pas
actions. A survey of support networks shows comme un exécutant à informer. Autour de lui
that this situational learning could actually s’organise un collectif d’acteurs, aux fonctions
take place throughout the course, based on distribuées, dynamiques et interdépendantes,
real, emerging or constructed management si- pour bâtir son parcours, l’accompagner et
206 tuations. The AFEST reference makes it possible prendre la mesure de ses compétences en
to imagine a global and strategic framework of amont et en aval de la formation. Les pédago-
support from and through the experience of gies transmissives et applicatives cèdent la
n° 227/2021-2
creators, likely to reinforce its effectiveness in place à des pratiques intégratives et situées.
terms of developing entrepreneurial skills. Partir de et revenir à un déjà-là, préexistant à la
situation de formation et renouvelé par elle,
oriente la construction de cet objet éducatif : un
EDuCATIon PErmAnEnTE
l’entreprise puis amorties. L’article montre que freedom to give new forms to training. The
les normalisateurs comptables ont de bonnes learner is approached as a socially built
raisons de ne pas s’ouvrir trop à l’activation des professional, not as an executor to be infor-
dépenses de formation sans pour autant vouloir med. A collective of actors is organized around
leur dénier leur caractère d’investissement. him, with distributed, dynamic and interdepen-
Dans le prolongement, l’auteur propose aux dent functions to build his path, to support him
acteurs d’emprunter un autre cheminement and measure his skills upstream and downs-
pour activer l’investissement formation qui tream of the training. Transmissive and appli-
présuppose d’arriver à repenser les situations de cative pedagogies give way to integrative and
formation pour pouvoir les penser également situated practices. This educational purpose
comme des situations de gestion. starts from and returns to an already existing
situation (déjà-là in French) : pre-existing to
the training situation and renewed by it. A
cooperative collective is structured to support
Activate the training investment while waiting
Regularly, some actors are surprised that trai- a professional who seeks to develop himself by
for a new accounting « revolution »
L
207
n° 227/2021-2
JEAN-MARIE LUTTRINGER 1.
EduCaTioN pErMaNENTE
fondatrice du 16 juillet 1971 a concepts qui ont structuré cet univers au
connu non moins de quinze réformes. cours du demi-siècle qui vient de
Certaines peuvent être qualifiées de s’écouler. « Les mots pour le dire » sont
réforme « de tuyauterie » en raison de principalement empruntés à l’univers
leur objet principal de régulation de du droit. Ni le champ sémantique des
flux financiers ; d’autres, au contraire, sciences de l’éducation ni celui de
ont introduit des concepts nouveaux qui l’économie et de la sociologie de la
ont eu pour effet d’entraîner des muta- formation ne sont sollicités par l’auteur.
tions aussi bien du périmètre que de En revanche, l’expérience acquise au
l’organisation du système. Tel est notam- cours d’une vie professionnelle passée
ment le cas de la loi du 5 septembre dans l’univers de la formation profes-
2018 « pour la liberté de choisir son sionnelle continue de nourrir cette
avenir professionnel ». réflexion qui se construit et s’exprime
dans le champ sémantique juridique.
1. Cf., sur le site de J.-M. Luttringer [www.jml-conseil.fr], les chroniques qui ont nourri cette contribution ainsi que des
informations sur son parcours professionnel effectué dans l’univers de la formation professionnelle.
1971
2021
le plan Marshall et promu par une asso- droit à l’éducation permanente, celui-ci
ciation rattachée au Commissariat renvoie explicitement au droit à la quali-
général du plan : le Centre national fication professionnelle, celle-ci étant
d’information pour la productivité des érigée en principale finalité d’une action
entreprises, ancêtre du Centre Inffo... de formation, qui contribue à la
La loi avait pour ambition d’offrir à construire, à l’entretenir et à pourvoir à
chacun une deuxième chance, grâce à son renouvellement. Selon le Code du
sa double finalité de formation profes- travail, le droit à la qualification est
sionnelle continue et d’éducation opposable par toute personne sortie du
permanente. système éducatif sans qualification, soit
au fil des réformes, les ressources aux pouvoirs publics dans le cadre du
allouées par les entreprises et par les service public d’éducation, soit aux
pouvoirs publics ont été affectées en régions dans le cadre du service public
application de politiques adéquation- régional de formation professionnelle.
nistes aux besoins de court terme La loi affirme par ailleurs le droit de
exprimés par le marché du travail, ainsi toute personne d’évoluer au moins d’un
qu’aux formations destinées à endiguer niveau de qualification au cours de sa
1971
2021
n° 227/2021-2
près au cours du demi-siècle qui vient de travail. Certains y voyaient les pré-
de s’écouler. En revanche, la formation mices d’une société autogérée. on
professionnelle a bien été un facteur de remarquera ici que 2018, année de la
productivité des entreprises. Elle a par commémoration du 50e anniversaire de
EduCaTioN pErMaNENTE
ailleurs servi d’amortisseur au chômage Mai-68, verra disparaître ce droit em-
massif non prévu dans le référentiel de blématique institué par « la loi delors ».
la loi de 1971 (stages parking dans les Le concept de « personnalisation » du
années 1970 et 1980). droit à la formation, c’est-à-dire un
À partir de 1992, le référentiel juridique droit attaché à la personne indépendam-
de la formation professionnelle con- ment de son statut, est apparu dans le
tinue devient le droit à la qualification. débat public à l’occasion des travaux
Ce référentiel s’inscrit dans la réforme préparatoires à la négociation d’un
de 2018 à travers le CpF. La question accord interprofessionnel dès 19992. Le
est celle de son effectivité et de sa mise concept conduira à la création du diF en
en concurrence avec le concept 2003, puis du CpF en 2014. L’effectivité
« gestionnaire » de compétence, dé- de ce droit est garantie par son enregis-
pourvu de valeur juridique. trement et sa « consignation » au sein
2. Le rapport (souvent qualifié de Livre blanc), réalisé par le Secrétariat d’État aux droits des femmes et à la forma-
tion professionnelle en 1999, en prévision d’une nouvelle négociation interprofessionnelle sur la formation, propo-
sait 4 axes de modernisation du système de formation, dont le premier était de « développer un droit individuel
transférable et garanti collectivement » (p. 44-47).
1971
2021
litée – la Caisse des dépôts et consigna- financées selon une logique de compte
tions (CdC) – pour la gestion de res- personnel géré par la CdC. Quant aux
sources financières dédiées à la mise en quatre millions de travailleurs non sala-
œuvre des droits consignés. riés titulaires d’un CpF, le financement
au 1er janvier 2021, 29 millions d’actifs de leur formation est assuré pour partie
occupés bénéficient d’un compte par des fonds d’assurance formation, et
personnel de formation (CpF), qui est pour partie seulement dans le cadre d’un
l’une des composantes du compte per- CpF géré par la CdC. Le financement de
sonnel d’activité (Cpa) aux côtés du la formation des demandeurs d’emploi
compte pénibilité et du compte engage- est assuré à titre principal par les
ment citoyen. À cette même date, conseils régionaux et par Pôle emploi, et
55 millions de personnes âgées de à titre complémentaire grâce aux fonds
16 ans et plus sont titulaires d’un Cpa disponibles sur le CpF sous réserve de
jusqu’à leur décès. l’accord de leur titulaire Enfin, toute
L’intention « universaliste » exprime personne qui le souhaite peut s’engager
210 sans ambiguïté la volonté politique de dans une formation à son initiative, à
détacher la formation professionnelle titre personnel, sur ses fonds propres,
tout au long de la vie de la gestion sans recourir à aucune des modalités
n° 227/2021-2
les actifs ne sont pas des salariés et que exposée une personne, le droit universel
le pouvoir normatif des partenaires à la formation tout au long de la vie
sociaux ne peut s’exercer que pour le connaît différents régimes juridiques
seul bénéfice de ces derniers. qui ne relèvent pas de ce concept mais
La totalité de 26 milliards que la nation qui coexistent avec le CpF dont c’est la
consacre à la formation professionnelle vocation.
des actifs, soit 1,1 % du piB (loi de plusieurs pays européens et membres
finances pour 2021), n’a certes pas de l’oCdE ont mis en place des
vocation à être inscrite dans des comptes comptes de formation. Toutefois, aucun
personnels dont la gestion serait assurée de ces comptes n’a l’ambition du CpF ;
par la CdC. Ni l’apprentissage ni les aucun pays n’a inventé le Cpa « récep-
formations relevant de la responsabilité tacle de comptes personnels » ni ne dis-
de l’employeur en vertu d’une disposi- pose d’une institution publique telle que
tion d’ordre public (sécurité) ou d’un la CdC capable d’en assurer la gestion.
engagement contractuel (obligation
1971
2021
n° 227/2021-2
exprime la philosophie politique qui, des entreprises due au titre de la forma-
jusqu’à la réforme de 2018, a sous- tion professionnelle.
tendu la gouvernance, externe à l’entre- L’équilibre des pouvoirs entre l’État et
prise, de notre système de formation les partenaires sociaux construit au fil
EduCaTioN pErMaNENTE
professionnelle. Ce projet avait pour des décennies a été mis en cause dans la
ambition de redéfinir le rôle de l’État dernière réforme au profit d’une reprise
dans la Nation : « Tentaculaire car, par en main par l’État, notamment à travers
l’extension indéfinie de sa responsabi- la création d’un établissement public
lité, il a peu à peu mis en tutelle la administratif, France compétences, en
société française tout entière [...] J’ai dit charge de réguler le système de forma-
qu’il nous fallait redéfinir le rôle de tion professionnelle.
l’État. il doit désormais faire mieux son Face à cette rupture historique, le
métier, mais s’en tenir là, et ne pas cher- MEdEF, par la voix de son président, a
cher à faire celui des autres. pour cela, il retrouvé au printemps 2021 l’inspiration
devra donner ou restituer aux collecti- du discours sur « la nouvelle société »
vités locales, aux universités, aux entre- en appelant à « l’autonomie des parte-
prises nationalisées, une autonomie naires sociaux ». Cet appel intervient
véritable et par suite une responsabilité dans un contexte marqué par un mouve-
effective3. » ment de restructuration des branches
tives nouvelles à l’autonomie des parte- restent entre les mains de l’État, déten-
naires sociaux. il y a dix ans encore, on teur du pouvoir législatif, et des parte-
dénombrait sept cents conventions col- naires sociaux, par la voie de la négocia-
lectives contre deux-cent-cinquante tion collective. Les régions sont « chef
aujourd’hui, avec l’espoir de réduire ce de file » pour mettre en œuvre, au
nombre à la centaine. niveau de leur territoire, des orientations
Le mouvement parallèle de restructura- politiques définies par ailleurs. La
tion des opCa, désormais regroupés au dernière réforme de mars 2018 leur a
sein de onze opCo intersectoriels, con- d’ailleurs enlevé l’essentiel des compé-
tribue largement au déplacement du cen- tences en matière d’apprentissage pour
tre de gravité du pilotage des politiques les transférer à France compétences et
de formation par les partenaires sociaux aux branches professionnelles.
du niveau interprofessionnel vers celui S’agissant des enjeux de pouvoir, et
de la branche et de l’interbranche. on donc de gouvernance, au sein de l’entre-
peut faire l’hypothèse que, réduites en prise, la loi du 16 juillet 1971 a repris à
212 nombre et d’une taille critique suffisante son compte et précisé les attributions du
pour générer de l’expertise technique et comité d’entreprise dans le domaine de
de la capacité politique de négociation, la formation professionnelle, déjà
n° 227/2021-2
4. philippe denimal, « Vent fort dans les branches », www.metiseurope.eu (décembre 2020). Cet article propose un
état des lieux exhaustif du processus de restructuration des branches professionnelles depuis le rapport de Frédéric
poisson jusqu’au rapport ramain de 2020.
1971
2021
années par un luxe de règles de procé- plusieurs reprises sans jamais être
n° 227/2021-2
deux processus est fondamentalement formation. Le reflux de la loi fiscale à
différente. La loi fiscale (fondée sur une partir de la loi du 5 mars 2014 (suppres-
contribution des employeurs au prorata sion du 0,9 %) conduit à réexaminer en
de leur masse salariale) a été adoptée en profondeur ce que l’on nomme « forma-
EduCaTioN pErMaNENTE
1971, après le constat de l’incapacité des tion professionnelle ». Celle-ci est
partenaires sociaux à proposer, par la désormais financée partiellement sur les
voie de la négociation collective, un fonds propres de l’entreprise et ne peut
financement de la formation profession- plus être qualifiée juridiquement
nelle assuré par des cotisations sociales d’impôt, de taxe ou de cotisation. Elle
comparables à d’autres garanties socia- renvoie à la notion d’« investissement »
les telles que l’assurance-chômage, les dont le régime juridique reste à définir.
retraites complémentaires et la pré- À partir de 2014, le respect de la loi
voyance individuelle et collective. sociale engage la responsabilité des
rappelons que ce mode de financement différentes parties aux contrats collec-
avait été proposé aux partenaires tifs et individuels. C’est à la fois sa
sociaux en 1970/1971, sans succès. force et sa faiblesse. L’effectivité de la
À l’exception de Force ouvrière, ils loi sociale repose sur le pari de la mobi-
n’étaient pas disposés à s’engager dans lisation des acteurs de la démocratie
cette voie. La question de la « trans- sociale, dont la fragilité est par ailleurs
mutation » de la contribution fiscale en un fait avéré. par conséquent, il est
cotisations sociales est réapparue à impératif que l’objectif de renforce-
1971
2021
n° 227/2021-2
nismes de contrôle a priori de l’activité regard du projet de la personne. La
de formation (agrément...) mis en place deuxième voie est celle de la mise à la
par l’administration. L’excès de ce type charge des financeurs d’une obligation
de droit, comme le mauvais cholestérol, de « contrôle de la qualité de l’offre de
EduCaTioN pErMaNENTE
« nuit grave... », voire « tue » le droit. Le formation » qui, à terme, engagera leur
contrôle exercé par les financeurs sur responsabilité au plan juridique. La troi-
l’affectation des ressources destinées à sième voie pourrait bien se construire
la formation, pour légitime qu’il soit, au fur et à mesure que se développe
garantit simplement sa conformité au l’usage du CpF. on peut imaginer que
référentiel fixé par les financeurs, mais la personne qui affectera des ressources
ne constitue pas une garantie de la dont elle a la pleine propriété au finan-
qualité de la formation. Là encore, cement d’un projet de formation aura à
l’excès « nuit grave... ». La question de cœur de contrôler la qualité de la pres-
la qualité de la formation, au-delà de la tation qui lui est offerte. Elle pourra
conformité, pose celle de sa pertinence, alors s’appuyer sur le contrat de forma-
de sa cohérence avec le projet de la tion qui, nécessairement, la liera au
personne, et de son efficience, c’est-à- prestataire, en s’appuyant notamment
dire de l’adéquation entre la prestation sur le droit de protection des consom-
délivrée et les ressources engagées. Elle mateurs applicable en la matière.
renvoie également à des règles qui relè-
1971
2021
n° 227/2021-2
sionnelle. époque ; les spécificités de notre sys-
La loi delors est imprégnée de taylo- tème d’enseignement fondé sur le prin-
risme. Le stage, produit de l’organisa- cipe républicain d’égalité et sur celui de
tion taylorienne, est érigé par le Code du la centralisation. Si le modèle allemand
EduCaTioN pErMaNENTE
travail en « unité d’œuvre » de la forma- n’a pas connu la même évolution, alors
tion professionnelle. il sert de support que le taylorisme était un facteur com-
aussi bien à l’ouverture de droits pour mun aux deux systèmes de production,
les salariés qu’au financement de la la raison tient d’une part à l’orientation
formation. avec l’introduction de l’obli- majoritairement réformiste du mouve-
gation de financement à la charge des ment ouvrier allemand, après 1918 et
entreprises à partir de 1971, le stage après 1945, qui a conduit à un partage
deviendra marchandise. pour le mouve- du pouvoir sur la formation, et d’autre
ment ouvrier, l’entreprise devient le lieu part au caractère décentralisé du sys-
du pouvoir patronal sur la formation. tème d’éducation et de formation liée à
des espaces de liberté sont en dehors de l’organisation fédérale de ce pays.
l’entreprise. C’est d’ailleurs tout le sens La volonté affichée par les pouvoirs
du congé individuel de formation publics français depuis des décennies de
institué en 1971. Se former dans l’entre- développer diverses formes de forma-
prise, c’est donner à l’employeur le tion en alternance suppose au préalable
pouvoir sur la formation qui vient de dépasser les causes profondes du
doubler son pouvoir sur le travail (lien modèle « séparatiste » sur lequel repo-
1971
2021
n° 227/2021-2
niser les certifications en blocs de droit du travail entendent promouvoir.
compétences, en les inscrivant dans un La réflexion sur « la révolution du
parcours d’évolution professionnelle, et temps choisi », engagée en 1990 par
de permettre la rémunération au forfait Jacques delors, mériterait d’être ré-
EduCaTioN pErMaNENTE
en lieu et place de l’heure stagiaire. actualisée dans le prolongement de la
Classée dans la catégorie des actions de loi « pour la liberté de choisir son avenir
formation, la VaE mérite une mention professionnel ». au plan juridique, cette
particulière. En effet les « acquis de réflexion pourrait aisément déboucher
l’expérience », faisant l’objet d’une sur une adaptation du compte épargne
procédure de validation, résultent au temps (CET), en orientant les ressources
moins pour partie d’un travail effectif, épargnées, notamment par des incita-
rémunéré comme tel, qui a permis l’ac- tions fiscales, vers le financement du
quisition de cette expérience. Ce qui est revenu de remplacement et des frais de
pris en compte peut s’analyser comme formation. Ce dispositif à la main des
du temps de travail effectif amorti au salariés compléterait utilement le dispo-
sens comptable du terme. il faut sitif du CpF de transition profession-
souhaiter que les partenaires sociaux se nelle et celui de la Pro-A qui échappent
saisissent de ce dispositif dans le cadre tous les deux au droit d’initiative du
de futures négociations de branche et salarié, le premier étant fondé sur une
d’entreprise, plus qu’ils ne l’ont fait prescription paritaire en fonction des
jusqu’à présent. on peut en effet besoins du marché du travail régional,
1971
2021
le deuxième sur une prescription déli- cation reconnue. peu à peu, la vision
50 e anniversaire de la loi du 16 juillet 1971
n° 227/2021-2
historiquement ancrés dans le monde de conseils de prud’hommes mettaient à sa
l’éducation, se trouvent entraînés vers charge une obligation d’adaptation du
le monde du travail. La loi du 5 sep- salarié à l’emploi, dès lors que cette
tembre 2018 a entériné cette évolution adaptation était rendue nécessaire en
EduCaTioN pErMaNENTE
en transposant l’essentiel du droit de la raison d’une décision d’organisation du
certification professionnelle du Code de travail relevant du seul pouvoir de
l’éducation au Code du travail. direction de l’employeur. au fil du
À vrai dire, par son ambition et sa tech- temps, cette jurisprudence prud’homale
nicité, la certification professionnelle a prospéré. depuis les années 1990, la
est une réforme dans la réforme de la Cour de cassation l’a adoptée. Elle a
formation tout au long de la vie. Elle fondé ses arrêts sur le principe civiliste
traduit la volonté du législateur de de « la bonne foi contractuelle », appli-
mettre chaque personne en capacité de cable à tous les contrats, y compris le
construire son parcours professionnel, contrat de travail. Cette jurisprudence,
grâce au repère que constitue une certi- qui aurait pu se suffire à elle-même, a
fication professionnelle souple, évolu- été confirmée par la loi du 5 mars 2014
tive, accessible tout au long de la vie et qui la prolonge par l’institution d’un
monnayable sur le marché du travail... entretien professionnel. Celui-ci s’ana-
lyse au plan juridique comme un droit
procédural de nature à permettre à l’em-
1971
2021
CpF, la loi, tout en dotant le salarié de aussi à des critères de qualité, mais non
ressources pour sa formation, lui sur un résultat, car ce dernier dépend de
signifie qu’il est coresponsable du main- l’implication de l’apprenant dans le
tien de son employabilité. d’ailleurs, processus d’apprentissage, celui-ci
EduCaTioN pErMaNENTE
n° 227/2021-2
des stages de préparation à l’emploi revanche, en période de chômage struc-
pour les jeunes sortis du système turel récurrent, il peut donner lieu à des
éducatif, des stages de prévention pour difficultés et contribuer à la dévalorisa-
les salariés menacés de licenciement, et tion de la formation en multipliant des
EduCaTioN pErMaNENTE
des stages de conversion pour les sala- stages sans perspective d’emploi. Ce fut
riés ayant perdu leur emploi. de la le cas lorsque les pouvoirs publics ont
même manière qu’un « joint de dilata- imaginé un foisonnement de dispositifs
tion » intégré entre les composantes éphémères ad hoc, sans réelles perspec-
d’un pont d’une grande amplitude tives d’emploi et souvent peu forma-
donne de la souplesse qui contribue à sa teurs (SiVp, stages pratiques en entre-
stabilité, la formation professionnelle prise, TuC, contrats aidés...). ils ont
organise la transition entre le système néanmoins rempli une fonction non
éducatif et le système productif pour les négligeable d’amortisseur social, en
jeunes sortis du système scolaire et d’un apportant des revenus de remplacement
emploi à un autre pour les salariés dont et une insertion sociale provisoire, sans
le contrat de travail est rompu. pour autant construire ou renforcer le
Sur le plan juridique, cette transition est socle de connaissances de base des
assurée grâce au statut de stagiaire de la personnes concernées.
formation professionnelle, intermédiaire au fil des décennies, ce statut intermé-
entre le statut d’élève et d’étudiant et diaire a servi de support juridique à des
1971
2021
lité, comme le montrent les initiatives tenir un diplôme et une qualification qui
développées par le Haut-Commissariat n’avaient pas été acquis en formation
à l’investissement dans les compétences initiale, et la promesse d’une émancipa-
en partenariat avec les conseils régio- tion sociale et culturelle grâce à l’accès à
naux. Vont dans le même sens les initia- l’éducation permanente. Ni l’une ni
tives récentes prises par les partenaires l’autre n’ont été tenues. au fil des
sociaux en concertation avec le minis- décennies, la promesse a changé de
tère du travail pour créer le dispositif des nature : à la flexibilité croissante du
transitions collectives destiné à favoriser marché du travail répond la sécurisation
les reconversions lourdes rendues des parcours professionnels.
incontournables par les mutations
économiques que nous connaissons. La dynamique. La dernière réforme a
amplifié la place et le rôle des personnes
Conclusions concernées au premier titre par l’acqui-
sition, l’entretien et le développement de
L’architecture. Le système de formation leur qualification professionnelle grâce à
professionnelle, fondé sur le concept la formation. La gestion, par la Caisse
1971
2021
Bibliographie
n° 227/2021-2
deux réformes, un même défi ». Formation-emploi. N° 76, p. 169-190.
SCHWARTZ, B. 1981. L’insertion professionnelle et sociale des jeunes. Rapport au Premier ministre.
Paris, La Documentation française.
EduCaTioN pErMaNENTE
SECRÉTARIAT D’ÉTAT AUX DROITS DES FEMMES ET À LA FORMATION PROFESSIONNELLE. 1999. La formation
professionnelle : diagnostics, défis et enjeux.
TERROT, N. 1997. Histoire de l’éducation des adultes en France : la part de l’éducation des adultes
dans la formation des travailleurs : 1789-1971. Paris, L’Harmattan.
EduCaTioN pErMaNENTE n° 227/2021-2
226
LECTURES
détecter et faire reconnaître les acquis?
Loin de s’émousser, sa créativité se dé-
Puissance de la reconnaissance. ploierait-elle avec l’âge ? Ses acquis ren-
Claire Héber-Suffrin
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celle de pratiques émergentes et effer- Celui-ci ne serait-il pas le chef-d’œuvre,
vescentes (Pratiquer la reconnaissance le produit éprouvé, l’accomplissement
des acquis de l’expérience [Liétard d’une ex-périence pacifiée de reconnais-
et al.]). L’originalité de l’ouvrage est le sance mutuelle ? «L’alternative à l’idée
EduCaTIon pERManEnTE
rapprochement entre reconnaissance et de lutte dans le procès de reconnaissance
réciprocité. Ces deux notions seraient mutuelle est à chercher dans des expé-
non pas semblables, mais différentes et riences pacifiées de reconnaissance
complémentaires. La puissance de la mutuelle, reposant sur des médiations
reconnaissance ne s’actualiserait que par symboliques soustraites tant à l’ordre
une réciprocité humanisante ; le chemin juridique qu’à celui des échanges mar-
de cette réciprocité humanisante ne chands ; le caractère exceptionnel de ces
s’ouvrirait que grâce au pouvoir de la expériences, loin de les disqualifier, en
reconnaissance. souligne la gravité, et par là même en
À quel voyage étonnant et détonnant assure la force d’irradiation et d’irriga-
Claire Héber-Suffrin nous invite-t-elle tion au cœur même des transactions
encore ? Continue-t-elle à lever des hori- marquées du sceau de la lutte» (Ricœur,
zons nouveaux, après cinquante ans Parcours de la reconnaissance, p. 319).
d’histoire de vie intense et féconde du Le caractère exceptionnel des expé-
Mouvement des réseaux d’échange réci- riences d’humanisation cocitoyenne qui
proque de savoirs et la production de nourrissent Claire fait passer d’une dis-
plus d’une vingtaine d’ouvrages pour en symétrie sociale à une reconnaissance
réciproque grâce à des médiations sym- riences solitaires de fond à des expres-
boliques vitales de base. Ces médiations sions sociales de pointe. donc attention
symboliques mettent ensemble, en sens, à ce qu’elle délivre dans ce livre, surtout
en formes humanisantes des énergies qu’il semble avoir été beaucoup tra-
profondes, infralinguistiques, transindi- vaillé.
viduelles, à la fois unificatrices et uni- Elle invite à un voyage aérien et accom-
versalisantes. Ces unifications micro et pagné (chap. 1), mais aussi singulier et
macrosociales pacifient et donnent à ces coopératif (chap. 11) pour « cerner les
expériences cocitoyennes une force d’ir- dimensions » (partie 1), « comprendre
radiation et d’irrigation unique qui les effets» (partie 2), «s’interroger sur
actualise la puissance de cette recon- les fonctions» (partie 3) de la reconnais-
naissance, à travers et au-delà les luttes sance. Et en «faire une exigence éthique
sociopersonnelles d’ordre juridique et et politique» (partie 4). Chaque partie
marchand. Mais identifier, nommer, alterne narration expérientielle et forma-
connaître et faire reconnaître ces expé- lisation conceptuelle de façon intégrée et
riences pacifiantes de reconnaissance éclairante. Le chapitre 9, « Chemine-
mutuelle pose un problème de traduc- ment en réciprocité », s’enracine dans
228 tion culturelle quasi paradigmatique. quatre terrains (p. 151-164) : la recon-
Les énonciations se balbutient principa- naissance dans les classes coopératives ;
lement avec le ternaire complexe don- réciprocité et reconnaissance dans les
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fondément dans les mots que ces der- générations séparées par le temps et
niers concentrent du sens. Ces batte- dévoilant l’histoire comme régénérante.
ments m’ont fait revivre le « re » de Elle demande au lecteur quel réveil il a
reconnaissance comme préfixe produc- ressenti à la lecture de ces pages.
EduCaTIon pERManEnTE
teur de «deux chefs-d’œuvre morpho- C’est bien un réveil qui me surprend en
génétiques de l’organisation vivante : entendant les résonances de cet ouvrage,
l’autoproduction de la qualité de sujet et avec ce qui, dans ma propre histoire, est
la production d’un autre être» (Morin, resté dans le silence. Résonnent toutes
La vie de la vie, p. 346). La re-connais- les questions qui ont surgi, sous des
sance produit non seulement des formes variées, au long de mon histoire,
connaissances nouvelles et des sens dans mes rêveries et mes croyances, se
nouveaux, mais aussi la naissance de rapportant à ce que René Girard a écrit
sujets nouveaux. Le redoublement de sur Les choses cachées depuis la fonda-
cette puissance générée par une recon- tion du monde. des questions sans
naissance réciproquante crée de nou- réponse sur les sources du monde et de
veaux chemins de vie, ou de «valorisa- la vie, plus particulièrement sur celles de
tion infinie de l’existence » (VIE), s’il ma vie et de ses transformations, sur
faut créer des sigles pour concentrer du celles des divers lieux et des personnes
sens. Merci Claire de nous faire partager qui m’ont accueilli. au plus profond de
ce voyage de VIE. moi, des questions sur mon âme et sur
Gaston Pineau. celle des autres autour de moi. La lectu-
re des pages de Melkior me surprend qu’est Christian Bobin. des citations
dans le réveil d’une spiritualité assoupie. jalonnant tout l’ouvrage comme pour
Les échos de son âme en quête de lui- indiquer un cheminement spirituel.
même résonnent avec les mouvements Je me sens tellement concerné par cette
spirituels de mon âme façonnant mon forme d’histoire de vie exposée dans
histoire. des morceaux épars d’existen- Brise le silence que je ne manquerai pas
ce viennent, par instants, en éclairer la de la relire. Cette histoire de vie résonne
trajectoire en en décelant le sens. et rayonne de la force inouïe d’une âme
Il s’agit non pas d’une histoire de vie universelle en création.
chronologique racontant une succession Bernard Honoré.
d’événements et de situations se rappor-
tant à lui-même et à ses ancêtres, mais de Enjeux de l’explicitation
l’histoire d’un bruissement de sensa- et de ses pratiques dans la formation.
tions, d’émotions, de sentiments qui les Chemins de formation,
accompagnent dans le silence inquiétant n° 23, janvier 2021.
de l’inconnu. un bruissement qui révèle
l’historialité du parcours vital et spirituel La référence à l’explicitation dans les
230 de l’auteur depuis le fond de cale de l’es- pratiques de formation se présente un
clave jusqu’à la régénération humaine à enjeu déterminant de l’apprentissage. En
l’approche de la mort. par la succession formation des adultes, l’usage de l’expli-
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des mots qui lui viennent à l’esprit, citation a notamment été popularisé par
Melkior me parle de l’élaboration du les travaux de Vermersch. par rapport à
sens de sa vie par-delà tous les silences l’expérience vécue, une part importante
qui la bordent. des mots qui s’enchaî- des connaissances et des procédures
EduCaTIon pERManEnTE
nent hors de tout système de pensée et mises en jeu reste implicite ; tirer la
dont la mise en présence me rappelle ce leçon d’une expérience, c’est expliciter
que Kierkegaard a cherché à exprimer par la verbalisation ce qui la constitue,
dans Crainte et tremblement – un texte en donnant une description détaillée de
qu’il signe Johannes de Silentio (Jean le ces connaissances et de ces procédures
Silencieux) – dans sa méditation sur la « en acte ». Mais de quoi s’agit-il au
foi au stade religieux de l’existence. fond ? Qu’est-ce qui caractérise une telle
dans le texte de Melkior, je ne trouve démarche à travers ses différents
pas de mots se rapportant au sens reli- champs d’application, ses référentiels
gieux de son existence. Juste une rapide théoriques ou méthodologiques contras-
évocation de sa fréquentation de la tés ? En quoi et pourquoi peut-elle
messe avec un ami, et du Cercle, asso- constituer un enjeu de formation initiale
ciation pour adolescents chrétiens de la ou continue ? Quels sont les acteurs de
ville. Silence sur ce que la foi lui fait l’explicitation ? Sur quels objets la font-
éprouver. Mais un silence comblé par les ils porter ? Selon quelle méthodologie ?
citations de ce penseur-poète chrétien
de l’apprenant et de ses motivations aux
Sébastien Fleuriel et al. (dir. publ.). dispositifs et techniques pédagogiques,
Ce qu’incorporer veut dire. mais aussi au travers des modalités pré-
Lille, presses universitaires cises d’action. Comment aider les autres
du Septentrion, février 2021, 284 p. à apprendre et se développer ? destiné
aux formateurs, animateurs et ensei-
La notion d’incorporation se réfère à gnants pour adultes, mais aussi à toute
l’idée d’une inscription du social dans personne engagée dans une action de
les corps. Bien qu’introduisant une rup- développement des autres, ce guide pro-
ture fondamentale avec les théories clas- pose un ensemble de théories et de
siques de l’action, elle a paradoxalement concepts éclairants pour la pratique for-
été peu discutée dans ses soubassements mative ainsi que des méthodologies et
philo-sophiques, comme dans ses impli- outils applicables en situation. Le tout
cations méthodologiques et empiriques. est illustré par des exemples concrets
Cet ouvrage à plusieurs voix entend puisés dans des formations aux théma-
explorer ce qu’incorporer veut dire en tiques psychosociales, techniques ou
envisageant la question à différentes sportives. Cette nouvelle édition présen-
échelles d’analyse et d’instanciation. Il te de nouveaux développements concer- 231
s’agit d’abord de revenir sur la genèse nant la question de l’hétérogénéité des
du concept d’incorporation en le situant groupes et les raisons d’être en groupe,
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dans l’espace des théories de l’action, les rythmes en formation ainsi que les
avec et contre lesquelles il s’est dispositifs qui mélangent travail et for-
construit. Il s’agit ensuite d’avancer mation. Elle s’est enrichie également de
dans la saisie des contextes et média- nouveaux exemples et fiches outils.
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tions qui conduisent concrètement à
incorporer le monde social. C’est en
tenant ensemble ce double mouvement
Hervé Prévost, Marie-Claude Bernard,
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Travail et ambition sociale.
Paul Santelmann Yves Clot, Jean-Yves Bonnefond,
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les organisations.
paris, La découverte, avril 2021.
pourquoi le syndicalisme français s’est-
il divisé à ce point ? pourquoi est-il si Réhabiliter le conflit pour améliorer la
éloigné des salariés et des chômeurs les qualité du travail : la proposition n’est
moins qualifiés ? pourquoi les syndicats contradictoire qu’en apparence. Yves
sont-ils si peu influents dans les poli- Clot et ses collègues montrent, à partir
tiques d’emploi ou de formation profes- de l’action, comment le conflit autour
sionnelle ? pourquoi ne parviennent-ils de la qualité du travail peut devenir une
pas à faire valoir le point de vue des méthode de coopération dans les orga-
salariés dans les mutations du travail ? nisations. C’est à ce prix que le travail
pourquoi sont-ils assimilés à la sphère bien fait est possible, à ce prix aussi
institutionnelle et confrontés à la défian- qu’une écologie du travail devient cré-
ce des jeunes ou des gilets jaunes ?... dible. on peut rendre sa souveraineté au
avec 8,5 % d’adhérents dans le secteur travail contre tout ce qui mine la fierté
privé et moins de 20 % dans le secteur de l’acte professionnel en l’écartant de
public, le désaveu est manifeste. la boucle de décision. Ce livre explique
Englués dans des divisions mortifères, comment s’y essayer en instituant la
coopération conflictuelle entre les sala- crit dans une dynamique qui voit
riés et avec leur hiérarchie. C’est la qua- poindre sous les conduites à projet des
lité du travail qui rassemble. dans un cultures de projet. Jean-pierre Boutinet
monde saturé de conflits, le conflit de définit ce qu’il faut entendre par ces
critères autour de la qualité du travail deux notions. Il explicite ce qu’il en est
n’a pourtant pas droit de cité, laissant le de la méthodologie du projet et de ses
travail « ni fait ni à faire » nous abîmer dérives, de l’élaboration de celui-ci jus-
et abîmer la planète. qu’à son évaluation, en passant par sa
réalisation, sans oublier de prendre en
compte les trois paramètres essentiels,
Les compétences psychosociales. constitutifs de toute situation à projet :
Béatrice Lamboy
22 au 25 septembre 2021
enseignants et chercheurs
25 et 26 octobre 2021
Lieu : ICP, 21 rue d’Assas, 75006 Paris.
Lieu : Angers, Palais des Congrès.
L’édition 2021 de la Biennale de l’éduca-
Organisé par le Groupe de recherche en
tion, de la formation et des pratiques pro-
neurosciences cognitives et éducation , le
fessionnelles donnera à voir des recherches
colloque a pour objectif de faire dialoguer
et des expériences liant ce qui se passe du
conférenciers et praticiens de l’apprentissa-
côté de la construction des sujets en activité
235
ge et de présenter les premières expé-
et du côté de la construction de leurs activi-
riences de collaboration entre les cher-
tés. Elle s’intéressera notamment à la cons-
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cheurs et les praticiens, entre neurosciences
truction des expériences, des gestes, des
cognitives, pédagogie et didactique.
arts de faire, des habitudes d’activité, des
tours de main, de toutes les formes d’ap-
https://colloqueinternationalneuros-
EDUCATION PERMANENTE
prentissage par et dans l’action, et plus lar-
ciences.site.calypso-event.net/
gement à la construction des identités
dans/par les champs de pratiques. Les
expériences et les recherches présentées
relèveront de tous les métiers de l’humain
11e Conférence de psychologie
https://www.hetsl.ch/evenements/detail/
Lieu : Lausanne, Haute école de travail 6e-colloque-international-de-didactique-
social et de la santé. professionnelle/
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