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D O S S I E R

L’AFEST :
CADRAGES ET DÉBORDEMENTS

REVUE TRIMESTRIELLE - JUIN 2021 - 24,50 €


1971-2021
Cinquantenaire de la loi sur la formation professionnelle continue
dans le cadre de l'éducation permanente

LECTURES

AGENDA

227
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EDUCATION PERMANENTE
est publiée en partenariat avec le cnam
SOMMAIRE
N° 227 / 2021-2

D O S S I E R

L’AFEST :
CADRAGES ET DÉBORDEMENTS
sous la direction d’Emmanuelle Begon et Laurent Duclos

5 Éditorial
13 Le développement des compétences, c’est d’abord l’affaire
du chef d’entreprise
Matthieu Charnelet
21 Intentions et attentions pour développer une culture d’accompagnateur
en AFEST
Emmanuelle Begon, Yvon Minvielle
33 Régime juridique de l’AFEST : une nouvelle image du droit
de la compétence
Laurent Duclos, Jean-Yves Kerbourc’h
51 De l’expérimentation à la généralisation : les AFEST au milieu du gué ?
Salima Rairi, Anne-Lise Ulmann
63 La place du financeur dans l’essor de l’AFEST
Mathieu Carrier
73 L’AFEST dans la branche des services de l’automobile
Marie-Hélène Delobbe
83 Travail et formation : un accord retrouvé autour de la FEST ?
Catherine Bissey
93 La formation en situation de travail, substrat possible de la coopération ?
Une expérience en service d’urgence
Théophile Bastide
103 Une ingénierie pédagogique et politique pour pérenniser
les dispositifs de formation
Sophie Aubert
115 Le pouvoir de l’éprouvé et les limites d’un process expérimental
Céline Rössli, Olivia Berthelot
125 Quelles intentions et quelles méthodes pour les AFEST ?
Paul Santelmann
137 Trans’Faire, ou le transfert des savoir-faire chez Thales
Catherine Bacarrère
139 Les AFEST, véhicules de l’amélioration des conditions de travail
Fabienne Caser
151 La situation de travail : antidote aux écueils de la compétence
Sandra Enlart
161 L’AFEST comme hypothèse de réingénierie de la fonction
accompagnement à la création d’entreprise
Solveig Grimault
177 Activer l’investissement formation en attendant une nouvelle
«révolution » comptable
Jean-Claude Dupuis
189 Apprendre à agir comme on le fait : un déjà-là travaillé en formation
Elsa Bonal
201 Résumés / Abstracts

1971
2021
CINQUANTENAIRE DE LA LOI DE 1971

207 Le modèle français de formation professionnelle :


un système flexible en perpétuelle mutation
Jean-Marie Luttringer

227 Lectures
235 Agenda
239 Bulletin d’abonnement
M E R C I A U X É VA L UA T E U R S

Le comité de rédaction remercie l’ensemble des experts qui acceptent d’évaluer les
articles reçus à Education permanente. Leurs remarques et leurs conseils sont précieux
pour aider les auteurs à améliorer leur écrit, contribuant ainsi à maintenir la rigueur
et la qualité éditoriales que requiert une revue de référence.
ÉDITORIAL
Monsieur Jourdain : Quoi ? quand je dis : « Nicole, apportez-moi mes pantoufles,
et me donnez mon bonnet de nuit », c’est de la prose ?
Maître de philosophie : Oui, Monsieur.
Monsieur Jourdain : Par ma foi ! il y a plus de quarante ans que je dis de la prose
sans que j’en susse rien...
Molière, Le Bourgeois gentilhomme, acte II, scène IV.

5
Depuis le n° 100, « Apprendre par l’expérience », paru en 1989, ou le n° 112
consacré à « L’organisation qualifiante1 », paru en 1992, Éducation permanente a

n° 227/2021-2
régulièrement consacré des dossiers thématiques à la question des apprentissages en
situation de travail. Ces dernières années, pas moins de quatre parutions ont été
l’occasion de documenter ce champ d’études2. Les autres revues considérées
comme référentes dans le champ des recherches en sciences de l’éducation par le

EDUCATION PERMANENTE
HCERES ne sont pas en reste sur la question.
Des différences de focale ou d’objet marquent sans doute ces publications :
l’éducation permanente ; les apprentissages ; la formation ; les pédagogies/andra-
gogies incluant notamment la critique du schéma hylémorphique et de l’idéologie
transmissive à la base des systèmes d’enseignement ; la situation de travail ; l’en-
treprise ou l’organisation « apprenante », etc. Ces « entrées » sont souvent la résul-
tante de partages disciplinaires, qu’il s’agisse des préoccupations propres à la
psychologie du développement en pédagogie active, des usages en formation de la
didactique professionnelle, de la clinique de l’activité, de l’ergonomie cognitive ou
de la sociologie du travail. Mais on peut se demander si ces développements n’ont

1. Coordonné notamment par Fabienne Berton dans les suites d’une recherche collective relative aux formations en
situation de travail menée au CNAM dans une dizaine d’entreprises. Cf. Berton (1994) « Situations de travail et
nouvelles formes de formation ou l’injonction d’ingéniosité », colloque « L’ingéniosité au travail », Bicentenaire
du CNAM, p. 41-74, et Berton (1992), « Le travail peut-il être formateur », Bref-Céreq, n° 79.
2. « Formation expérientielle et intelligence en action » (n° 198, 2014) ; « Autour de l’apprenance » (n° 207, 2016) ;
« Analyses du travail et intentions formatives » (hors-série, 2017) ; « Apprendre et se former en situations de
travail » (n° 216, 2018).
Éditorial

pas surtout constitué un « enjeu pour la recherche3 », et n’ont pas conservé de ce fait
un statut purement expérimental, un peu confidentiel, en dépit des efforts déployés
par des institutions en prise avec les acteurs économiques pour diffuser la « bonne
pratique4 ».
Soucieuse de promouvoir l’analyse du travail pour la formation, la didactique
professionnelle avait considéré que la mise en situation était une phase privilégiée
pour l’acquisition non seulement d’un « savoir y faire » mais d’un savoir tout court ;
elle avait permis de faire « reconnaître une continuité profonde entre agir et appren-
dre de et dans son activité5 ». Ce « résultat » n’a pas empêché les acteurs de la
formation professionnelle de continuer à opposer une résistance nourrie à la super-
position entre acte formatif et acte productif 6, ou au contraire à confondre les deux,
notamment les défenseurs de « l’idée professionnaliste ».

n La formation en situation de travail sort du laboratoire


Si nous sommes aujourd’hui à un tournant, c’est celui que la philosophe
Isabelle Stengers s’efforce de décrire à propos des OGM : « Ceux qui discutaient
6 des OGM de laboratoire savaient bien qu’ils omettaient toutes les questions que
leurs laboratoires ne permettaient pas d’aborder [...] Un fait peut être solide, mais
seulement du point de vue des épreuves qui ont testé cette solidité. Il est muet à
n° 227/2021-2

propos de ce dont le mode d’abstraction qu’il fait prévaloir demande l’omission,


c’est-à-dire des épreuves qui n’ont pas cours au laboratoire7. »
L’expérimentation nationale, longue de trois années, achevée fin 2018, a
constitué une étape, un laboratoire de l’AFEST dans et par l’épreuve du terrain.
EDUCATION PERMANENTE

L’acte II de l’AFEST démarre en janvier 2019 avec la parution du décret éponyme.


Le script de l’AFEST – au sens des pré-scriptions du droit – fait alors l’objet d’un
premier travail de dé-scription de la part des acteurs. Enfin ! L’État aurait reconnu
ce que les acteurs savent et pratiquent depuis au moins « quarante ans », et permet-
trait de faire droit à la valorisation des apprentissages non formels ou informels qui
naîtraient naturellement de l’exercice de l’activité ! Quiproquo ? L’AFEST, en effet,
n’est pas la VAE ni la formation sur le tas, elle est une action de formation formelle,
et de plein droit. Cabotinage intéressé ? Ne serions-nous pas subrepticement trans-

3. J.-M. Barbier, « Un nouvel enjeu pour la recherche en formation : entrer par l’activité », Savoirs, n° 33, 2013,
p. 9-22.
4. Par exemple : P. Conjard et B. Devin, Acquérir et transmettre des compétences : et si on se formait au travail ?
(ANACT, 2009) ; P. Fotius et S. Pagès, « Apprentissage en situation de travail », Entreprise et personnel Pratiques,
2013, n° 314.
5. P. Pastré, P. Mayen P. et G. Vergnaud, « La didactique professionnelle », Revue française de pédagogie, n° 154,
2006, p. 145-146.
6. G. Jobert, « Les formateurs et le travail : chronique d’une relation malheureuse », Éducation permanente, n° 116,
1993, p. 10.
7. I. Stengers, Réactiver le sens commun. Lecture de Whitehead en temps de débâcle, Paris, Les empêcheurs de
penser en rond-La Découverte, 2020, p. 35 et 56.
Éditorial

portés de l’acte II de l’AFEST à l’acte II scène IV du Bourgeois gentilhomme :


« L’AFEST, mais pour quoi faire » ?
L’exploitation des enquêtes CVTS8 révèle que la proportion d’entreprises
mettant en œuvre des formations en situation de travail (FEST/planned training
through guided-on-the-job training) aurait baissé en France entre 2005 et 2015,
passant de 29 à 23,5 %, alors qu’elle semble augmenter partout ailleurs en Europe
pour s’établir, en moyenne UE-28, à 44,2 % en 2015. Il faudra sans doute attendre
les résultats de CVTS6 concernant les données de l’année 2020, voire l’enquête
suivante, pour savoir si la loi du 5 septembre 2018, notamment relative à l’AFEST,
a eu un « impact » sur le développement des formations en situation de travail.
Il se peut donc qu’entre la FEST des laboratoires – y compris celui qu’a pu
constituer l’expérimentation nationale – , les pratiques héritées d’encadrement des
apprentissages « sur le tas9 » et les projets aujourd’hui déployés à l’enseigne de
l’AFEST, il y ait aussi des mondes, de nouveaux « groupes concernés » et, quelque
part, des « prétentions concrètes mal placées » chez les experts. D’où le projet de ce
numéro et la nécessité d’ouvrir aux expérimentateurs « profanes » un espace pour
les « retours d’expérience », afin que chacun puisse rendre compte des « recherches
de plein air10 » qui témoignent d’une expérience collective continuée autour 7
d’AFEST plus que jamais contraintes de négocier leur existence avec le reste du
monde.

n° 227/2021-2
L’AFEST n’est plus un simple problème de pédagogie, dont l’acuité et la
« résolution » seraient révélées au monde par les seuls experts (des sciences) de
l’éducation, relayés par le législateur. Le cadre de l’AFEST nous amène notamment
à prendre au sérieux les problèmes que pose aux intervenants le milieu de la produc-

EDUCATION PERMANENTE
tion – désormais associé à la formation formelle –, pour son développement, en
termes de ressources d’ingénierie et de fonction conseil (Emmanuelle Begon et
Yvon Minvielle, dans ce dossier). Il les force à accepter un certain niveau d’incerti-
tude dans la simple perspective de pouvoir faire aboutir les choses (Théophile
Bastide, Céline Rössli et Olivia Berthelot). La mise en œuvre d’AFEST aux « bon-
nes propriétés » invite en effet à reconsidérer l’ensemble de la chaîne de réalisation
d’une action de formation, ce qui ne va pas et n’ira pas sans bousculer les identités
d’action de l’ensemble de acteurs, à commencer par les entreprises ou les opéra-
teurs de compétences (OPCO). On remarquera que le présent dossier ne fait pas

8. Continuing Vocational Training Survey (CVTS). Cf. A Checcaglini et I. Marion-Vernoux, « Regards comparatifs
sur la formation en Europe », Bref Céreq, n° 392, 2020. La formation en situation de travail au sens de l’enquête
CVTS [Manuel CVTS, définition n°16] a sans doute un périmètre plus large que l’AFEST au sens de l’article D.
6313-3-2 du Code du travail.
9. Au temps de l’imputation, les pratiques de formations en situation de travail sont longtemps restées « invisibles ».
Cf. E. Serfaty et E. Delame, « Les formations non déclarées : complément ou alternative aux formations décla-
rées ? », Formation emploi, n° 34, 1991, p. 63-72.
10. G. Paillotin et al., « Recherche confinée et recherche de plein air », Journal de l’école de Paris du management,
2003, p.7-14.
Éditorial

« parler » les organismes de formation ; il n’est pas certain d’ailleurs qu’ils soient
les plus menacés par des changements susceptibles de les repositionner sur un
segment d’intervention à haute valeur ajoutée. Il fait droit plutôt à l’expression
d’une « expertise interactionnelle » à l’articulation de plusieurs systèmes d’action,
y compris les OPCO (sur les problématiques d’intervention et de « tiercéisation
AFEST », voir les contributions d’Emmanuelle Begon et Yvon Minvielle, Salima Rairi
et Anne-Lise Ulmann, Céline Rössli et Olivia Berthelot).
Si l’AFEST intéresse bien évidemment la pédagogie, elle devient rapidement,
du fait du milieu associé au développement des formations en situation de travail,
une affaire de management et d’organisation. Ce faisant, elle interroge les modèles
économiques, ceux des entreprises comme ceux des intermédiaires et/ou des pres-
tataires, tout au long d’une « chaîne de valeur ». Au long de cette chaîne, l’AFEST
engendre inévitablement des batailles institutionnelles, sous couvert parfois d’im-
partialité juridique. Les querelles d’interprétation visant les seules dispositions du
décret AFEST ne sauraient, à elles seules, prétendre embrasser ces dimensions, ni
produire un « bel alignement » de l’ensemble des acteurs intéressés. Il faudrait, à
l’inverse, profiter de ce moment particulier de déploiement des AFEST pour en
8 apprendre un peu plus, ou pour savoir un peu mieux, en marchant, ce qu’il en est
des problèmes posés dans la vraie vie par la « nouvelle » alliance du travail et de la
formation qui vient d’être consacrée par le droit de la formation professionnelle.
n° 227/2021-2

n L’AFEST : cadrages et débordements


L’inscription de la FEST dans l’ordre juridique, symbolisée par l’apparition de
EDUCATION PERMANENTE

l’acronyme AFEST, exprimant son accès au statut d’action de formation avec toute
conséquence de droit, n’a pas transformé simultanément le « système » et la prati-
que des « acteurs », notamment les différentes instances du financement (la loi de
2018 n’a fait que proclamer l’« investissement formation » dans la pratique des
entreprises). Entre cette « dépendance au sentier » (path dependency) et les chemins
de traverse qu’elle est amenée à emprunter, l’AFEST doit encore frayer sa voie. Le
déploiement des AFEST est d’emblée menacé par plusieurs « mal-entendus ».
D’abord une méprise sur le statut du droit : l’article D. 6313-3-2 du Code du
travail n’est peut-être pas le cadre ou le script impératif qu’il semble être. Il est
possible qu’il ne détermine pas un modèle à réaliser socialement ni ne trace une
limite, mais qu’il constitue plutôt un simple « seuil » pour la qualification d’action
de formation. Si l’AFEST est désormais entrée dans le droit positif, son « régime
juridique » propre reste à découvrir (Laurent Duclos et Jean-Yves Kerbourc’h).
Ensuite un fantasme, celui d’envisager les AFEST comme autant de « scripts
d’exécution » au sein d’un système organisé de l’entreprise permettant à certaines
fonctionnalités d’opérer sans trop encombrer un fonctionnement d’ensemble. Le
risque serait alors que l’AFEST devienne un « dispositif » clos sur lui-même, per-
Éditorial

mettant de concevoir, en tant que « livrable », des prestations dédiées à l’« implé-
mentation » d’un standard rassurant de « bonne pratique » figée par l’inventaire
d’invariants homologués.
Enfin le fantasme inverse, présent dans certains essais in vivo en clinique de
l’activité, celui de rendre la formation en situation coextensive à l’ensemble de l’en-
treprise, avec tous les risques de réflexivité infinie ou de mise en abîme afférents.
Entre ces deux pôles, se dessinent notamment la marge d’intervention des tiers, les
processus d’accommodation et les accommodements dans lesquels ils sont engagés.
Il conviendrait, dans tous les cas, d’encourager les acteurs à bricoler leurs pro-
pres AFEST – ainsi qu’avaient pu le faire les expérimentateurs11 – au gré des négo-
ciations avec les environnements qui sont les leurs (Marie-Hélène Delobbe,
Catherine Bacarrère). Il faudrait qu’ils acceptent alors la réalisation, dans la durée,
des apprentissages nécessaires au dépassement de ce qui pourrait apparaître comme
une « contrainte » imposée par le législateur, mais qui n’est en réalité qu’une
« condition » à l’existence des AFEST. C’est à ces tâtonnements, dans les domaines
où manifestement « ça coince », qu’est consacré le présent dossier.
Pour caractériser de tels processus, Michel Callon12 avait élevé au rang de
concept la notion de cadrage-débordement (framing vs overflowing). Cadrer une 9
interaction, par du droit, par une organisation, permet de délimiter une scène – ainsi
de la scène aménagée pour l’action de formation –, de mettre entre parenthèses la

n° 227/2021-2
rumeur du « monde extérieur », sans pour autant couper l’action de toute connexion
avec cet « extérieur ». Alors que, dans les travaux d’Erving Goffman, le cadre repré-
sente la norme et les débordements une « anomalie », Callon montre à l’inverse que
tout cadrage porte en lui la possibilité, voire des opportunités, de débordements, qui

EDUCATION PERMANENTE
témoignent déjà que les process ou les identités d’action ne sont pas encore stabi-
lisés, mais qui permettent surtout de donner du sens à des changements en cours.
Dans son approche, les débordements deviennent plutôt la norme lorsque l’histoire
« se réchauffe », comme aurait dit Lévi-Strauss, des « moments forts » de relance
de l’expérience collective, en même temps qu’ils appellent à retravailler continû-
ment les cadres permettant à cette expérience de produire des effets utiles.
Les débordements peuvent avoir deux sources distinctes, et d’ailleurs
contraires.
Dans un premier cas, on peut observer que les AFEST peuvent être amenées à
« expandre » leur propriétés pour ouvrir, par contiguité ou analogie, un champ des
possibles. Cela étant, on peut considérer qu’elles sont déjà l’« extension instru-
mentée d’une fonction sociale potentiellement présente dans nombre d’entre-

11. F. Caser et al. (dir. publ.), Expérimentation relative aux actions de formation en situation de travail (AFEST),
Rapport final, ANACT-CNEFOP-COPANEF-DGEFP-FPSPP, juillet 2018.
12. M. Callon, « La sociologie peut-elle enrichir l’analyse économique des externalités ? Essai sur la notion de
cadrage-débordement », dans : D. Foray et J. Mairesse (dir. publ.), Innovations et performances, Paris, Éditions
de l’EHESS, 1999, p. 399-431
Éditorial

prises » (Paul Santelmann). Dès lors qu’elles auraient pour propriété de rendre le
travail et son organisation visibles, les AFEST pourraient ainsi devenir un aiguillon
– et pourquoi pas un raccourci inattendu – sur le chemin de la qualité de vie au
travail (QVT) à l’échelle des communautés de travail, celui du dialogue social et/ou
de la RSE (Fabienne Caser).
Les AFEST deviennent à l’occasion « une affaire d’entreprise ». Lorsque le
management choisit d’y recourir, il s’intéresse normalement aux conditions de
faisabilité de l’action, mais aussi aux conditions d’efficacité qui tiennent à la façon
dont l’AFEST peut être articulée à un environnement pour produire les effets
attendus en termes de développement des compétences. L’AFEST devenant l’objet
d’une gestion délibérée, l’unité d’action et de pensée est moins l’action de forma-
tion en elle-même que l’agencement (organisationnel) au sein duquel elle gagne un
authentique statut de variable. À mesure qu’elle intéresse directement l’organisation
de la production – qui la rend ou non possible –, la formation détermine alors, au-
delà même des « situations d’apprentissage », de véritables « situations de gestion »
permettant de dépasser, la contrainte qu’on pourrait habituellement y voir (« c’est
compliqué », « c’est cher », etc.), comme constituant les prémices de son intégra-
10 tion à la stratégie de l’entreprise (Matthieu Charnelet, Sophie Aubert). La façon
dont l’entreprise équipe de manière pratique ces situations de gestion peut alors
donner corps à l’idée d’investissement formation, en-deçà des aspects comptables
n° 227/2021-2

– purement conjecturaux pour l’heure – , mais d’emblée au-delà de la référence


métaphorique et de la rhétorique volontariste (Jean-Claude Dupuis).
Dans un autre registre, les protocoles AFEST peuvent également inspirer
d’autres formules d’accompagnement. Cette référence pourrait aider à intégrer, par
EDUCATION PERMANENTE

exemple, les trois fonctions d’accompagnement, de formation et de conseil enga-


gées dans le cadre des appuis à la création d’entreprise, à travers la valorisation plus
systématique de leur dimension pédagogique et expérientielle (Solveig Grimault).
Alors que son présupposé pédagogique est distinct, sinon antinomique, du principe
de la formation alternée, l’AFEST peut être une source d’inspiration pour l’organi-
sation des séquences en entreprise, au bénéfice d’une alternance plus intégrative13
(Matthieu Carrier).
Dans le second cas, les AFEST peuvent être accusées de dénaturer des fonc-
tionnements préexistants : on ferait le constat d’un désalignement irrémédiable
entre les cadres normatifs (réglementaires, conventionnels ou administratifs dans
l’écosystème de l’AFEST émergent), les environnements productifs amenés à
devenir une nouvelle scène pour la formation, et les nécessités ou les fins pédago-
giques proprement dites (y compris sur le registre du besoin de financement). Le

13. L. Duclos, « Les actions de formation en situation de travail : une source d’inspiration pour la pédagogie de l’alter-
nance », Administration et éducation, n° 161, 2019, p. 55-58 ; G. Malglaive, « Alternance et compétences »,
Cahiers pédagogiques, n° 320, 1994, p. 26-28. Concernant les stages, voir M. Villette, « Le stage en entreprise
peut-il devenir un programme d’apprentissage fort ? », Recherche et formation, n° 29, 1998, p. 95-107.
Éditorial

débordement en question serait une manière de réagir à ces incompatibilités vécues,


réelles ou controuvées.
Entre autres incompatibilités, l’action viendrait buter sur une somme de diffi-
cultés relatives à l’aménagement d’une parenthèse formative dans le cours de la
relation d’emploi, et/ou sur une conception étroite de la compétence, réduite à la
dimension de la tâche et au « prescrit » (Sandra Enlart). Le protocole AFEST – qui
doit idéalement négocier son existence avec un « déjà-là » à identifier, à mettre en
discussion, à valoriser – ne parviendrait ni à se déployer faute de moyens, ni à
remplir pleinement son rôle d’émulateur faute d’intention véritable, d’embrayeurs
ou de relais (Elsa Bonal, Emmanuelle Begon et Yvon Minvielle, Paul Santelmann).
Confrontée à des offres AFEST clé-en-main, souvent non congrues à sa propre
perception des enjeux et des conditions de développement de la compétence, l’en-
treprise – moins bourgeoise gentilhommière qu’attendue – pourrait alors chercher
à résoudre ses propres contradictions par un Aufhebung, un dépassement, re-
composant la vieille idée professionnaliste avec un nouvel horizon d’« entreprise
apprenante » (Catherine Bissey). Débordement « positif » peut-être, mais paradoxal
à bien des égards quand on sait que l’AFEST devait devenir, précisément, un bon
véhicule pour l’organisation apprenante. Il est clair que devant « tant de nouveau- 11
tés », un zèle a parfois amené les acteurs à confondre formalités concrètes14 et
substantielles, liées à la mise en œuvre pratique et à la qualification juridique de

n° 227/2021-2
l’action, et formalisme excessif et imposé, incitant paradoxalement – dans un
nouveau débordement, négatif pour le coup – à jouer les apparences contre l’effi-
cacité. Pensée en termes d’agencement et d’articulations plutôt qu’en termes d’ac-
tion ponctuelle, l’AFEST aurait, à l’inverse et en tout point, une dimension dia-

EDUCATION PERMANENTE
logique, processuelle et adaptative. Plus que sur un formalisme de nature adminis-
tratif, le plus souvent polarisé par la question des financements « extérieurs15 »,
l’AFEST repose à l’évidence sur l’usage de formules, c’est-à-dire de « petites
formes », puisant dans chaque configuration de mise en œuvre un nouveau sens
contextuel. À cet égard, l’exigence principale logée dans la réglementation serait,
en la matière, de simplement « dire ce que l’on fait », et pourquoi, dans et pour les
besoins de la configuration en question (Laurent Duclos et Jean-Yves Kerbourc’h).
On peut d’ailleurs rappeler que les pratiques de gestion les mieux équipées ont
toujours ce souci narratif : on ne comptera rien qui vaille si l’on ne sait pas raconter
et donc justifier d’une approche ou d’une stratégie (Jean-Claude Dupuis), comme
dans la notion de « qualcul » proposée par Cochoy16.

14. Gilbert Simondon utilise le terme « concrétisation » dans son sens étymologique (qui croît ensemble) : la formalité
concrète serait celle qui permet d’articuler les éléments disparates essentiels à l’agencement d’une AFEST.
15. On oublie souvent que l’entreprise est et restera le premier financeur de l’AFEST, rôle qu’elle acceptera d’autant
mieux qu’elle pourra éprouver que cette modalité d’action lui permet de réduire le coût d’acquisition d’une
compétence.
16. F. Cochoy, Une sociologie du packaging, ou l’âne de Buridan face au marché, Paris, Puf, 2002.
Éditorial

C’est de ces quelques débordements que les auteurs du présent numéro s’ef-
forcent de faire le compte et de rendre compte. L’interprétation de ces déborde-
ments pourra permettre de mieux comprendre ce qu’est une AFEST – et d’ailleurs
quand « commence » une AFEST en termes d’ingénierie notamment – en vue de re-
combiner la trame (reframing) dans laquelle elle puisera un surcroît d’efficacité. u

Emmanuelle Begon et Laurent Duclos.

12
n° 227/2021-2
EDUCATION PERMANENTE
MATTHIEU CHARNELET

Le développement des compétences,


c’est d’abord l’affaire du chef d’entreprise

Comment un chef d’entreprise, se sentant dépossédé


de son propre projet, passe-t-il à l’AFEST ?

J’ai créé notre organisme de formation avant tout pour répondre à un senti-
ment de frustration. À l’époque, je faisais le constat que le système de la formation
professionnelle générait chez moi, chef d’entreprise, une grande insatisfaction. Je 13
voyais d’un côté le montant de mes cotisations, et d’un autre les difficultés à orga-
niser les formations et la piètre qualité des prestations que j’achetais. La demande

n° 227/2021-2
de financement était d’une complexité infinie et, au final, les équipes faisaient un
retour insatisfaisant...
La situation suivante a été la goutte d’eau de trop. Une équipe est partie en
formation « gestes et postures » en vue de prévenir les accidents du travail liés au

EdUCAtiON PErmANENtE
fait que les personnes manutentionnent des personnes âgées. Je choisis un opéra-
teur référencé par mon OPCO. Elles reviennent en disant : « C’était super, on a eu
du café, des pains au chocolat, la présentation était bien. Par contre, c’était un peu
théorique. » Elles avaient eu deux jours de PowerPoint ! Notre besoin est qu’elles
sachent lever une personne d’un fauteuil, l’aider à se mobiliser dans un lit, passer
du lit au fauteuil et du fauteuil au lit en utilisant un lève-malade... Pour apprendre,
il faut manipuler !
Au sentiment de frustration s’ajoutait celui d’être exclu d’un système admi-
nistré par des gens qui décident pour les autres, en même temps qu’un désir de
rébellion contre un système extrêmement doté financièrement. Qui est donc cette
dame de la région qui me dit ce qu’il est important pour moi de faire ou de ne pas
faire ? Comment le sait-elle ? Que connaît l’OPCO de notre métier ?

MATTHIEU CHARNELET, dirigeant fondateur de La main de Jeanne, entreprise de service à la personne basée à Béziers,
spécialisée dans l’accompagnement des personnes dépendantes (matthieu.charnelet@lamaindejeanne.fr).
Propos recueillis et mis en forme par Emmanuelle Begon.
matthieu charnelet

Ne pas dépendre d’un système de formation qui exclut


mon entreprise emploie des agents et vend des heures de travail, de la pure
prestation humaine de service. La valeur que je crée consiste certes à organiser le
travail, à offrir un contrat de travail, à planifier... mais si je ne fais que cela, en quoi
suis-je différent d’une agence d’intérim ? En tant qu’employeur, comment je crée
plus de valeur pour mes clients/bénéficiaires ? Comment je fidélise mes salariés ?
mme X signe un contrat de travail chez moi et je l’envoie chez mme Y pour l’aider
à s’habiller. Outre la dimension gestion, quelle est ma valeur ajoutée ? Comment
j’aide ma salariée à être plus à l’aise pour faire mieux son travail ? tenir la
promesse faite aux enfants d’une femme atteinte de la maladie d’Alzheimer que la
salariée de mon entreprise saura s’en occuper, cela signifie, pour une structure
comme la nôtre dans laquelle il y a vite beaucoup de personnel, que je dois m’as-
surer que tout le monde est à bord, que chacun a le bon niveau. Sinon, j’ai le senti-
ment de n’être qu’une machine à faire des plannings. La valeur ajoutée d’un
service d’aide est d’aider ses salariés à délivrer un service de qualité dans de
bonnes conditions de travail. C’est ce que je dois maîtriser, et c’est cela qui, en
14 2015, m’apparaît ne pas pouvoir dépendre uniquement de l’extérieur, d’un sys-
tème de formation qui m’exclut, fait d’organisations patronales qui négocient avec
des syndicats, des OPCO qui décrètent : « Voilà ce qui est important, voilà les prio-
n° 227/2021-2

rités définies par les accords de branche, voilà les organismes sélectionnés pour
vous », ou de la région qui décide de faire ceci plutôt que cela... Or, en tant qu’en-
trepreneur, cela est avant tout mon problème. C’est aussi celui du salarié qui
rencontre des difficultés sur le terrain. Quand, en 2015, je prends conscience de
EdUCAtiON PErmANENtE

tout cela, je me dis : « il nous faut maîtriser mieux ce que nous faisons, savoir de
quoi on parle, ne pas compter que sur les autres. retroussons nos manches ! »
Voilà ce qui est à l’origine de la création de notre organisme de formation.
Je crée une société, j’embauche un formateur qui était un équipier, on rédige
un catalogue de formation, on développe des modules qu’on va prester pour mon
entreprise de service à la personne puis, progressivement, pour d’autres structures.
On conçoit notamment une formation sur la maladie d’Alzheimer, à partir des
éléments de savoir à transmettre, en veillant à en dire suffisamment mais pas trop.
On oriente le contenu sur la pratique : comment, en tant qu’auxiliaire de vie, gérer
telle ou telle situation (face à une personne agressive, ou qui refuse de s’ali-
menter...). On part de ce qui nous semble être le plus important pour les équipes
de terrain, des situations problématiques qu’elles font remonter lors de moments
de coordination et d’échange. À partir des difficultés rencontrées, nous avons
conçu un contenu que nous avons ensuite testé pour l’améliorer. Le formateur,
reconnu comme expert et excellent praticien, mettait les équipes en échanges,
proposait des clés, et la personne réagissait.
matthieu charnelet

Nous avons ainsi amélioré les contenus en faisant du sur-mesure, à partir d’expé-
riences de terrain, de formations réalisées par des professionnels du service pour
des experts du secteur. mais ce faisant, nous avons ni plus ni moins créé un autre
prestataire de formation... Gérant des deux structures, nous avons également
simplifié la planification des formations : dans un métier en forte tension, il est
difficile de se rendre disponible. Nous avons adapté les plannings, les modules, les
jours de formation.

Il faut une certaine maturité pour se dire que les ressources


humaines ne sont pas une question de DRH ou de consultant,
c’est la question du dirigeant de l’entreprise
deux ans après, en discutant avec deux consultants, nous nous sommes
reposé la question. Sans parler d’emblée de formation, nous nous sommes dit :
« La compétence, c’est notre problème, et nous sommes légitimes pour traiter cette
question-là. Elle est même stratégique dans notre métier ; c’est le cœur de notre
réacteur. il nous faut aller beaucoup plus dans le détail, comprendre les compé-
tences essentielles pour bien travailler au quotidien et s’approprier leur développe- 15
ment. ». Cela paraît trivial. L’entreprise avait huit ans d’âge, et c’est bien que nous
soyons revenus à ce constat ! il faut une certaine maturité pour se dire que les

n° 227/2021-2
ressources humaines ne sont pas une question de drH ou de consultant, c’est la
question du dirigeant d’entreprise.
En analysant certains échecs opérationnels, les consultants m’ont amené à me
dire que c’est à moi, entrepreneur, de prendre le sujet à bras-le-corps, et non pas

EdUCAtiON PErmANENtE
au système de formation professionnelle de s’en emparer. dans mon business
model, je me demande : « Qui est le client ? Quelles sont ses attentes ? » J’ai fait
le parallèle avec la formation : « Qui sont les clients de la formation profession-
nelle ? Le service formation de la région ? mon OPCO ? Les consultants ? Les
opérateurs ?... » il y a deux clients : le chef d’entreprise et la personne qui se
forme, pour son projet professionnel, dans un environnement professionnel, pour
se renforcer dans son activité ou pour en changer. Le chef d’entreprise est client
parce que l’entreprise a un projet stratégique, une ambition, qu’elle ne peut pas
atteindre sans développer des compétences.
Alors, pour améliorer la formation professionnelle, écoutons le client, ses
attentes, ses difficultés à l’organiser. En prenant le problème sous cet angle, on
écoute forcément les salariés. En tant qu’entrepreneur, je ne suis pas compétent en
développement des compétences. Le chef d’entreprise peut certes avoir une exper-
tise de base, mais il est très vite happé par la gestion, l’organisation, l’administratif,
le management... Le développement des compétences est un domaine technique et
complexe. Je suis client de la formation professionnelle mais je ne suis pas armé
matthieu charnelet

pour exprimer mon besoin. d’où mon constat de départ : je ne comprends pas donc
j’appelle mon OPCO... Quelque chose s’est passé lorsque nous avons commencé à
réfléchir à l’AFESt. Un des prérequis est que le chef d’entreprise s’intéresse au
détail, pose la question de savoir comment développer telle ou telle compétence,
dans un périmètre très précis. Par exemple, la première compétence que nous
avons choisi de développer se trouvait dans ma propre activité : la réalisation d’un
devis pour des personnes prises en charge par la Sécurité sociale. Une dizaine de
personnes dans mon entreprise devaient être en capacité de réaliser un tel devis.
Nous avons travaillé à décrire cette compétence et à nous demander comment
l’améliorer. C’était utile pour cette compétence et, en même temps, nous progres-
sions. L’AFESt nous fait nous améliorer, les salariés comme le chef d’entreprise.
Ce qui m’a frappé dans l’accompagnement vers l’AFESt, c’est qu’elle a pour vertu
de faire progresser le chef d’entreprise dans sa capacité à prendre en charge la
montée des compétences. En consacrant du temps aux compétences, le chef d’en-
treprise témoigne de son intérêt pour le cœur de métier de ses équipes. Ce qui valo-
rise leur travail puisque le chef s’y intéresse !

16 On ne se limite pas à décrire un art de faire et à le transmettre,


on le remet en question pour le faire progresser
n° 227/2021-2

Pour éviter que de jeunes entreprises ferment dans les premières années, il
faudrait les rendre capables de franchir des paliers en termes de nombre de sala-
riés. Le chef d’entreprise doit être beaucoup plus accompagné dans sa partie
« développement des compétences ». Pour moi, le côté disruptif de l’AFESt
EdUCAtiON PErmANENtE

consiste à remettre les deux clients de la formation professionnelle au pied du mur


en disant : « C’est toi le maçon ! » On a évidemment besoin d’être accompagné
pour cela. décrire des compétences, c’est complexe ; produire du contenu de
formation, c’est technique, et c’est long, il ne suffit pas de décrire un protocole
d’activité. C’est un travail que de produire de la formation. Or nous, nous
travaillons au quotidien. Nous sommes conscients de ce qu’il y a à faire, et
capables de nous demander si nous pouvons produire notre contenu ou si nous
devons chercher des ressources à l’extérieur. Certaines compétences ne peuvent
pas se développer seul sous forme d’AFESt, mais au moins elles sont mieux iden-
tifiées. Nous avons fait le tri entre acheter et assurer nous-mêmes la formation. Le
choix se fait d’abord en fonction de la disponibilité de la compétence en interne.
Cela pose la question de savoir si l’on souhaite faire évoluer cette activité. Je dis à
mes experts métiers, devenus accompagnateurs AFESt : « Vous êtes la r&d de la
boîte. Vous développez la compétence. Sans compétence, pas de progrès. »
En tant que référent pour la compétence « réalisation d’un devis », lorsque je
partage la façon dont je fais un devis, je suis au cœur du travail de l’équipe admi-
matthieu charnelet

nistrative. En partageant avec eux ce savoir, je les fais gagner en compétence et en


productivité, mais aussi, en entrant dans le détail de cette activité, en la décrivant,
en l’analysant, un certain nombre de questions se posent sur cette activité, sur nos
outils et nos méthodes, qui peuvent se trouver remis en question. On ne se limite
pas à décrire un art de faire et à le transmettre, on le remet en question pour le faire
progresser. Quand je travaille avec mes équipes sur la compétence « ménage », je
veux que tout le monde atteigne le niveau qui apportera satisfaction à nos clients.
C’est important, notamment lors de l’intégration de nouvelles salariées. En travail-
lant avec les expertes sur l’organisation des tâches ménagères dans une maison, on
s’aperçoit, en le faisant, que ce n’est pas si simple, et qu’il y a plusieurs visions de
cette activité. On aide alors les expertes à formaliser leur vision, leur mode d’or-
ganisation, et à préparer leurs actions de formation en situation. de la sorte, elles
remettent en question leurs pratiques et font progresser la façon de réaliser l’acti-
vité. Elles identifient des difficultés et mettent au jour des façons de faire.

La plupart des chefs d’entreprise, s’ils ne sont pas aidés,


s’arrêtent de réfléchir
17
Nous travaillons avec des êtres humains, pas avec des machines. En travail-
lant sur leurs compétences, c’est mon activité que je développe. En faisant cela, je

n° 227/2021-2
travaille à la fidélisation des équipes. Quand on se penche sur une personne qui
travaille, quand on s’intéresse à sa compétence, on s’intéresse à elle, cela crée une
relation tout à fait différente, valorisante. dans le service à la personne, la valori-
sation des métiers est un enjeu stratégique. Pour valoriser les métiers, il faut s’in-

EdUCAtiON PErmANENtE
téresser aux hommes et aux femmes qui le font. des salariés à qui je demandais de
me raconter leur activité m’ont répondu : « On est surpris que ça vous intéresse. »
Ça fait mal d’entendre ça. Avec l’AFESt, on entre dans une démarche d’écoute,
d’empathie. Entrer dans le détail d’un métier est un mécanisme très liant. Cela crée
de la fidélisation et de la motivation. Nous avons gardé d’excellentes aides-ména-
gères uniquement grâce à cela. Elles faisaient du ménage depuis quinze ans et elles
en avaient marre. En discutant avec elles de leur pratique, nous leur avons dit :
« Grâce à ce que tu fais et à ce que tu sais, tu peux nous aider à faire progresser les
pratiques et les conditions de travail. » dans un métier en tension de personnel,
chaque salarié fidélisé est une victoire.
dans la mise en place de notre première AFESt, nous avons eu un raté au
démarrage : j’ai délégué, je n’ai pas assez suivi, et ça n’a pas marché. Aujourd’hui,
je m’en charge personnellement. L’implication du dirigeant est essentielle. mais la
mise en place d’une AFESt nécessite d’avoir des plages de travail dédiées, pour
que l’expert métier prépare son module de formation et réfléchisse à la façon de
transmettre son savoir. Pour cela, il sera aidé du référent AFESt que nous avons
matthieu charnelet

formé à ce rôle pour qu’il soit en capacité de faire parler l’expert de sa pratique
professionnelle, de la décrire, de choisir les modalités de formation, d’organiser les
bons moments. La capacité à produire les modules de formation est l’une des prin-
cipales difficultés.
Avec l’AFESt, les organismes de formation vont certainement perdre une
partie de ce que leur procurait la vente de stages, mais ils ont une offre à déve-
lopper pour aider les entreprises à se former et à devenir autonomes. Chez nous, le
référent AFESt est un manager, qui a une réelle appétence pour la formation
professionnelle. Cette appétence est probablement un élément-clé. Certes, le chef
d’entreprise doit être mobilisé, mais il ne doit pas tromper de casting. Le référent
AFESt doit être motivé et avoir du temps (chez nous, 10 à 15% de son temps sont
dédiés à ce sujet). Quand on parle de formation professionnelle, la première chose
dont on parle, c’est d’argent. Nous avons tout fait sur nos fonds propres, sans
aucun financement. « Votre branche n’a pas statué sur les modalités de prise en
charge de l’AFESt, nous ne pouvons pas le financer », m’avait prévenu mon
OPCO. La plupart des chefs d’entreprise, s’ils ne sont pas aidés, s’arrêtent de réflé-
chir. Or la formation professionnelle est un investissement : pour être plus fort et
18 attirer des talents, il faut des personnes formées. il faut se donner des marges de
manœuvre. il faut financer les entreprises pour développer des AFESt, pour
qu’elles deviennent plus compétentes, et les déploient plus vite.
n° 227/2021-2

Répondre simultanément aux besoins du salarié


EdUCAtiON PErmANENtE

et à ceux de l’entreprise
Aujourd’hui, quand j’envoie des salariés se former à la prévention des risques
professionnels, j’achète une formation. L’OPCO finance les frais pédagogiques (un
prestataire à 800 euros la journée, pour huit stagiaires). Ça me coûte beaucoup plus
cher de payer le désordre que cela génère : la planification et le remplacement de
la personne. Le coût pédagogique est inférieur au coût de l’organisation de la
formation. Pourtant, le savoir-faire est stratégique pour mon entreprise. Quand je
demande à mes confrères pourquoi ils n’achètent pas de formation, ils n’évoquent
jamais le coût pédagogique. Le dilemme, c’est de dégager du temps pour que les
équipes puissent se former tout en assurant la continuité de service.
L’AFESt a raccourci le temps de formation. En situation de travail, on peut
être en production aménagée (on produit un devis à deux, mais au final le devis est
produit). On fait des choses plus courtes, en plus petit nombre – une personne face
à une autre ; c’est plus efficace, et en plus les personnes y prennent du plaisir. Au-
delà du développement de compétences, cela crée de la reconnaissance et du lien
entre les équipes.
matthieu charnelet

Parmi les questions traitées par le chef d’entreprise, il y a la GPEC. Je m’y


suis mis quand j’ai rencontré la formation professionnelle mais surtout au moment
de l’AFESt. Aujourd’hui, je mesure l’importance du développement des compé-
tences, les aspects stratégiques et les difficultés à les identifier, les suivre, les
évaluer. Je veux être capable, sur notre dizaine de postes, de décliner nos fiches de
postes avec un niveau de granularité beaucoup plus fin, et je veux que, derrière, il
y ait autant d’AFESt que de compétences identifiées. Nous sommes prêts à aider
une aide-ménagère à organiser le ménage dans une maison, à repasser, à faire un
lit. mais le travail d’aide-ménagère n’est pas que cela. décrire en détail ce métier
est un travail de fourmi. Nous le ferons, c’est une histoire de temps et d’engage-
ment. Nous nous donnerons les moyens de le faire sur trois sujets sur lesquels nous
voulons être au top : les risques au travail, la bientraitance et la maladie d’Alzhei-
mer. Nous mettrons en place des AFESt pour les activités dont la qualité de réali-
sation est visible, différente d’une personne à l’autre. Lorsque tout le monde est
capable de réaliser une activité rapidement, l’AFESt n’est pas nécessaire. mais
lorsqu’on mesure un écart important entre ceux qui savent le faire et les autres, une
dispersion importante des performances, c’est qu’il y a un véritable art de faire. dès
qu’un résultat s’observe qui dépend d’un coup de main, il y a possibilité d’AFESt. 19
Si nous voulons faire progresser le développement des compétences et la
formation professionnelle, nous devons nous poser la question de savoir qui est le

n° 227/2021-2
« client », et comment nous l’aidons. L’AFESt est disruptive parce qu’elle part de
là : du besoin de l’entreprise et de celui du salarié. u

EdUCAtiON PErmANENtE
EdUCAtiON PErmANENtE n° 227/2021-2

20
EMMANUELLE BEGON, YVON MINVIELLE

Intentions et attentions pour développer


une culture d’accompagnateur en AFEST1
Aider à observer ce que déploie une personne lorsqu’elle réalise une activité est
ce qui fonde la démarche AFEST, mais cela ne va pas de soi. Cela mobilise une
attention (synthèse neutre, ouverte et curieuse, des perceptions) à partir de laquelle
les intentions de l’accompagnateur2 guideront l’émergence de l’action (intention
préalable) et s’actualiseront tout au long de son déroulement (intention en action)
[Searle, 1983].
À la faveur des connaissances, des outils et des pratiques que nous avons
développés, notamment autour des formations alternées et des démarches, expé- 21
riences et ressources que nous avons engrangées lors d’interventions avec des
OPCO, des organismes de formation et des entreprises, nous proposons non pas un

n° 227/2021-2
nouveau modèle d’intervention mais des caractéristiques d’action susceptibles de
« rafraîchir » le paradigme qui encadre l’accompagnement d’AFEST. Nous avons
identifié des intentions, des visées génératrices d’actions favorables au développe-
ment et à l’accompagnement des formations en situations de travail, et nous propo-

EduCATiON PErMANENTE
sons trois « dynamiques » utiles, selon nous, au déploiement d’une AFEST : bâtir
une intelligence collective en permettant aux personnes concernées de diagnosti-
quer et de développer elles-mêmes leur degré de complémentarité ; mener une
enquête sur le travail réel en animant deux types de discussions ; appréhender l’en-
treprise comme la matérialisation d’une compréhension collective de l’environne-
ment et d’une façon d’y agir, afin d’en faire fructifier les ressources.

EMMANUELLE BEGON, coordinatrice de la Maison de la formation en situation de travail (e.begon@mafest.fr).


YVON MINVIELLE, entrepreneur, ancien professeur de l’université Pierre et Marie Curie (http://yvonminvielle.fr/).
1. Ce texte est l’aboutissement d’échanges relatifs aux enjeux actuels des « formations en situation de travail » entre
un entrepreneur ex-professeur d’université, praticien spécialisé sur les savoirs d’expérience et les conditions de
leur transmission, et la coordinatrice de la Maison de la formation en situation de travail (Ma.FEST), fondée en
février 2019, au lendemain des conclusions de l’expérimentation nationale et de la parution du décret donnant
officiellement naissance à cette modalité de formation.
2. Nous nommons « accompagnateur » le garant des conditions matérielles, organisationnelles et managériales, pour
la préparation, l’aménagement, la mise en œuvre et l’évaluation de l’AFEST. Fil rouge, ensemblier, ce référent
veille à la communication, donne du sens au projet et mobilise les acteurs, participe activement à la dynamique
collaborative. Cette fonction peut être assumée par une personne interne à l’entreprise et/ou « tiers facilitateur ».
emmanuelle begon, yvon minvielle

Ces intentions, actions en devenir, trouvent leur potentiel dans une qualité
d’attention particulière. Nous mobilisons, pour la qualifier, trois apports du philo-
sophe François Jullien. Nous repérons d’abord la qualité d’attention relative à une
posture générale consistant à se défaire des formes d’adaptations et d’habitudes qui
enlisent nos actions (la décoïncidence). Puis nous explorons deux attentions orga-
nisatrices de perceptions : l’attention au potentiel des situations ; l’attention aux
dimensions tacites, implicites, de l’agir professionnel, c’est-à-dire l’attention aux
« connivences » comme terreau d’un savoir indigène opposé à la connaissance.

Trois intentions favorables à une AFEST


Entre reviviscence et point de bascule, l’AFEST, dans la conception de son
ingénierie comme dans le matériau qu’elle met au travail, procède d’une conju-
gaison entre action et réflexion, entre connaissances mobilisées et expériences
vécues, entre conceptualisation et situations singulières. Le décret du 28 décembre
2018, par sa formulation ouverte, a tenté d’incarner ce mouvement, d’impulser
cette intention dynamique d’analyse du réel, d’inviter à l’itération plutôt qu’à la
22 procédure. Par habitude ou par nécessité, le système a pu succomber à une traduc-
tion opérationnelle séquencée qui fait aujourd’hui courir le risque de scléroser la
démarche, de transformer l’intention en dispositif, l’accompagnement en presta-
n° 227/2021-2

tion, l’attention à la posture en certification... Cette réponse normative, relevant de


pratiques nées en 1971 avec l’avènement du modèle « séparatiste » entre travail et
formation (Luttringer, 2015), révèle une difficulté individuelle et collective du
système et des acteurs concernés par le déploiement de l’AFEST à transformer les
EduCATiON PErMANENTE

regards et les pratiques. d’autres articles de ce dossier ayant placé la focale sur les
raisons du système, nous proposons ici non pas un processus mais trois intentions
pour orienter un geste professionnel propice à l’AFEST.

n Bâtir une intelligence collective


une AFEST est un projet d’entreprise. L’objectif consiste à répondre à un
besoin de développement de compétences nécessaires à la réalisation d’un travail
de qualité. Comme tout projet, il ne peut fonctionner qu’à partir d’un engagement
volontaire et motivé des participants, et grâce à une animation adaptée. L’équipe
d’une AFEST rassemble chef de projet (accompagnateur interne), formateur interne
(expert métier), apprenant, collectif de travail, direction, encadrement et, éventuel-
lement, tiers facilitateur (accompagnateur externe)... Tous ont leur mot à dire à
chacune des étapes : préciser et faire mâturer collectivement le besoin ; partager les
finalités de l’AFEST ; identifier les ressources nécessaires ; s’organiser ; communi-
quer sur le « qui fait quoi »... L’intelligence collective potentielle se développe
lorsque l’accompagnateur (interne et/ou externe) permet aux membres de l’équipe,
emmanuelle begon, yvon minvielle

tout au long de la conception et du déploiement de l’AFEST, de diagnostiquer eux-


mêmes leur degré de complémentarité en vue de le faire progresser.
Le projet d’AFEST met en mouvement ce diagnostic itératif de la complémen-
tarité des acteurs par eux-mêmes. d’abord parce qu’ils vont rechercher les complé-
mentarités à l’œuvre dans la réalisation de l’activité concernée par le projet. La
mission est délicate car le travail est « toujours plus complexe qu’il ne laisse
paraître » (Clot et al,. 2021), orienté par ceux à qui on le destine (collègue, hiérar-
chie, client, soi-même), et les complémentarités, plus ou moins volontaires, expli-
cites ou non, émergent autant de dissensus que de consensus. Pourtant, c’est bien
l’exploration de ce tricotage par le croisement des regards qui renseigne sur la
richesse des ressources en présence et clarifie celles à activer pour répondre au
besoin identifié. Le matériau pédagogique, constitutif du parcours de formation,
prend forme sur cette base.
Ensuite parce que l’animation du projet AFEST est nécessairement collabora-
tive et mouvante : ajuster les mises en situations, animer les entretiens réflexifs,
rassembler les prérequis relèvent de la coordination, en fonction des situations,
entre l’expert métier, le chef de projet, l’apprenant, le collectif de travail... rien
n’est figé dans une formation en situation, les rôles se distribuent et se reconfigu- 23
rent, et les objectifs à atteindre évoluent car leur identification est l’opportunité de
prendre conscience collectivement du fait que, en arrière-plan de toute évaluation,

n° 227/2021-2
des valeurs déterminent l’attention que l’on accorde à tel élément du réel plutôt
qu’à tel autre. Ces valeurs collectives s’incarnent dans la qualité du travail et s’ob-
servent dans celle des relations professionnelles. Elles sont également mobilisées
par les différents acteurs lors de la conception et de la mise en œuvre de l’AFEST.

EduCATiON PErMANENTE
L’intention de celui qui accompagne la première AFEST d’une entreprise est
donc de faire advenir des complémentarités à la faveur de récits individuels et
collectifs sur les conditions du travail bien fait, à faire dialoguer non pas les indi-
vidus mais les activités de travail et d’animation du projet. En cela, l’AFEST porte
le germe d’une organisation comme lieu de communication, d’expression et d’évo-
lution de la culture commune, capable de négociations stratégiques autour des
collaborations.

n Mener une enquête sur le travail réel


Comprendre de quoi est fait le travail permet de considérer les besoins pré-
alablement à la conception de l’action de formation, et de rassembler une ressource
privilégiée pour le formateur devant organiser des apprentissages, concevoir des
modules et fournir une référence commune pour évaluer le chemin parcouru tout
au long de la démarche. L’analyse du travail à laquelle invite le décret du 28
décembre 2018 n’est pas seulement une formalité dont on pourrait s’affranchir à
l’étude des fiches de postes ou par l’administration d’un questionnaire, elle est
emmanuelle begon, yvon minvielle

l’origine même de la suite des événements. Sans la richesse des ingrédients du


travail, l’action formative pourrait en avoir l’allure mais pas les saveurs, et encore
moins les apports. L’intention de la personne chargée de concevoir le parcours s’ar-
rime à une enquête sur le travail réel, qui peut être menée en activant plusieurs
niveaux de discussions :
– une discussion « interne », réflexive, de l’expert métier avec lui-même, car « il
n’y a qu’une personne au monde qui puisse rendre compte de ce qu’a été son expé-
rience singulière : c’est le sujet lui-même » (Faingold, 2011) et de nombreux pans
de ce qui se déploie dans l’activité restent opaques (davezies, 2006), y compris
pour celui qui la mène. Cette discussion, alimentée par un questionnement de
nature à faire plonger l’expert dans des situations très précises, générera la prise de
conscience d’une multitude de décisions, d’analyses, de précautions, voire d’em-
pêchements, d’interactions au cœur de la réalisation du travail. une première
« carte » permettant de penser et de décrire le « territoire » sur lequel et par lequel
on agit, un récit, un « référentiel » partageable, prendra ainsi forme, donnant à voir
la complexité de l’activité (avec ses invariants, ses irritants, ses formes atypiques
mais récurrentes...) et les compétences mobilisées pour la mener ;
24 – une discussion avec autrui, car l’activité, en partie guidée et modulée par des
destinataires divers (collègues, clients, managers, employeur), est toujours co-
élaborée, fruit de représentations collectives et d’interactions autour d’accords, de
n° 227/2021-2

conflits et de dilemmes. Les façons d’agir développées par les autres membres du
collectif de travail sont autant de « porte-parole » du contexte dans lequel le travail
se réalise, de témoins des contraintes ou des opportunités avec lesquelles chacun
devra faire. Le dialogue avec ces autres (expériences, personnes, situations) permet
EduCATiON PErMANENTE

de relier les règles d’action mobilisées dans les situations de travail aux éléments
de contexte. En faisant émerger ce qui, dans l’action, fait advenir un travail de
qualité, l’accompagnateur enrichit judicieusement le référentiel dessiné par la
discussion réflexive de l’expert métier. Ces discussions donnent corps à une accep-
tion de la capacité à agir en situation comme « dialogue avec la matière et les
moyens d’exécution » (Levi-Strauss, 1962), ce « bricolage » qui s’exerce dans les
marges de manœuvre, interprétations, contournements et adaptations, et par lequel
chaque sujet modèle son activité réelle « à sa main » (Begon et Mairesse, 2013)
pour la rendre réalisable et tenable, productive et constructive. Ce « bricolage »
contient les éléments de la compétence dont la mise en visibilité et en circulation
constitue la manière la plus sûre de se former en situation de travail.

n Faire fructifier et mobiliser les ressources de l’environnement


une organisation est avant tout la manifestation d’une manière de com-
prendre l’environnement et d’agir ensemble pour servir au mieux les intérêts des
uns et des autres. Au sein de cet environnement, la production, articulée avec l’ac-
emmanuelle begon, yvon minvielle

tivité d’autrui par l’échange affectif (ensemble de motivations, émotions, senti-


ments)3, permet de participer à la création d’un « tout » dont chacun peut tirer fierté
et valorisation, et de développer un « soi » gratifiant (Zimmermann, 2011). C’est
ce « tout pluriel » que l’AFEST vient travailler. En cela, elle est émi-nemment poli-
tique : « Le monde commun prend fin lorsqu’on ne le voit que sous un aspect, lors-
qu’il n’a le droit de se présenter que dans une seule perspective » (Arendt, 1983).
Cette reconnaissance de la diversité comme support de l’organisation s’inscrit
dans le temps et dans l’espace (de travail) :
– avant l’émergence du projet, l’entreprise a évidemment fonctionné, produit et
donc organisé, plus ou moins formellement, des opportunités et des modalités de
développement des compétences nécessaires. Pour la personne accompagnant
l’AFEST, il s’agit donc de s’intéresser aux pratiques de GrH en place et à leurs
liens avec la stratégie de l’entreprise, l’organisation du travail et le management.
« L’objectif est d’une part de rendre visibles et de valoriser les actes de gestion
quotidiens et souvent informels déjà existants, et d’autre part de construire et de
renforcer les principes d’organisation du travail afin d’assurer une cohérence
globale des pratiques autour des compétences4 » ;
– pendant l’AFEST, l’animation du projet, attentive aux complémentarités (celles 25
mises en œuvre dans la réalisation de l’activité et celles générées par la mise en
œuvre du parcours de formation en situation), et l’enquête sur le travail réel ques-

n° 227/2021-2
tionnent les manières de faire, les processus de décision, la distribution de l’auto-
rité, mettent en évidence des dysfonctionnements (cloisonnement des services,
obsolescence de certaines procédures...) et enclenchent l’élaboration de mesures
correctives. Accompagner une AFEST est un moyen de renouveler les probléma-

EduCATiON PErMANENTE
tiques de formation en entreprise, mais aussi de redonner de la valeur aux savoirs
professionnels contextuels, d’actualiser les pratiques de recrutement et d’inclusion
dans l’emploi, de revisiter la pédagogie de l’alternance ;
– après l’AFEST, il convient d’observer non seulement la dédramatisation du
rapport à la formation et le développement des compétences et de l’appétence pour
se former (Seiler, 2021), mais aussi l’amélioration de la qualité de vie au travail
grâce à une plus grande cohésion d’équipe (accès à une meilleure connaissance
interpersonnelle, relation professionnelle) et à des rapports hiérarchiques de
meilleure qualité. L’accompagnateur gagne à intervenir et à engager les acteurs
internes de l’entreprise dans ces perspectives et dans ces temporalités. il questionne
cette compréhension de l’environnement de l’activité de travail, et les modalités
3. « La didactique professionnelle pourrait accueillir les dimensions affectives dans son corpus théorique et leurs
implications pratiques [...] dans la phase d’analyse du travail comme dans la conception et la conduite des forma-
tions. Cela implique d’abord que les affects soient envisagés comme des constituants des situations, autrement
dit non pas seulement comme des éléments mais comme des variables agissantes des situations qui sont à
connaître et pour lesquels il y a éventuellement besoin de trouver des manières de faire » (Mayen, 2020).
4. Cf. le rapport du réseau emplois-compétences, Quelle place pour les compétences dans l’entreprise ? Renou-
veler les approches pour refonder les pratiques, France Stratégie, mars 2021.
emmanuelle begon, yvon minvielle

d’action du collectif. Savoir que les effets d’une AFEST sont en grande partie orga-
nisationnels, qu’ils dépassent le simple cadre du développement des compétences
attendues, oriente la modalité d’accompagnement, voire le profil de l’intervenant.
il s’agit de penser, et d’être en mesure de participer à, un accompagnement de l’or-
ganisation, d’anticiper les effets qu’une mise en discussion des déterminants du
travail génère immanquablement.

L’attention, source des intentions


et synthèse des perceptions
Ces trois intentions se déploient grâce à une qualité d’attention. Elles y trou-
vent leur potentiel d’action et, ce faisant, elles l’incarnent.
Selon Mayen (2020), « l’ambition de la formation consiste à aider les per-
sonnes à apprendre, à construire et à développer des capacités pour comprendre et
agir d’une manière à la fois efficace pour contribuer à des objectifs de production,
et efficiente, en se préoccupant des conséquences de l’action, pour soi (sa santé, sa
satisfaction), pour les autres et l’environnement ». Nous ajoutons que « l’ambition
26 de formation en situation de travail consiste à organiser des rencontres avec des
objets, des situations aidant les personnes à apprendre, à construire et développer
des capacités pour comprendre et agir... ». Afin d’organiser les rencontres, l’atten-
n° 227/2021-2

tion – en tant que disponibilité à tout objet ne privilégiant aucun élément a priori –
d’un accompagnateur AFEST relève d’une synthèse de multiples perceptions. Nous
en proposons trois, issues de l’horizon « proximal5 » dessiné par François Jullien :
l’une dont il s’agira de se détacher dans une dynamique de « décoïncidence » ;
EduCATiON PErMANENTE

deux autres adoptant les propositions des potentiels de situation et de connivence.

n Le détachement, la décoïncidence
La dépendance au sentier tracé en 1971 continue de plonger le paradigme de
la formation dans l’ombre du maître, savant et évaluateur. Elle organise le fonc-
tionnement d’un système dans lequel se déploient des pratiques d’acteurs : contenu
prédéfini, timing millimétré, objectifs communs à tous les stagiaires. La pertinence
des apports résiste alors rarement à l’épreuve du réel, au moment du retour sur le
poste de travail.
« La stagification nous domine », disait Jacques Guigou dès 1975. dominés
par ce modèle, quelles que soient nos positions idéologiques, sociales ou théo-
riques, nous nous sommes installés, année après année, dans une pratique du stage,
d’abord présentielle, voire résidentielle, aujourd’hui distancielle, numérisée, mais
5. En clin d’œil à la dimension organique de l’AFEST, nous mobilisons cet adjectif qui, en anatomie, qualifie « la par-
tie d’un élément la plus proche d’un organe de référence qui en constitue l’origine » (Dictionnaire de l’Académie
française).
emmanuelle begon, yvon minvielle

toujours hors du réel de l’entreprise. Les sciences de l’éducation, et les sciences


sociales en général, ont eu tendance à modéliser, à mobiliser un mode d’action se
référant à une représentation « type », d’ensemble, à une planification, dans un
environnement considéré stable et commun à tous. La culture des formateurs s’est
ainsi consolidée, transmise, quel que soit le support, tout en gardant à distance la
réalité des conditions dans lesquelles les « stagiaires » travaillent.
dans des travaux antérieurs (Lesne et Minvielle, 1990), lancés à la recherche
et à la mise en forme d’un nouveau paradigme de ce que nous appelions et appelons
encore « formation professionnelle » en entreprise ou hors entreprise, en situation
de travail ou hors situation, nous avions émis l’hypothèse suivante : l’action de
formation est une espèce d’instance qui densifie le point de jonction entre plusieurs
processus de socialisation, la mission du « formateur » consistant alors à faire que
ce processus se réalise. L’action de formation devient une confluence d’actions, une
intervention, y compris dans un rapport de force, qui réussira d’autant mieux
qu’elle transformera le lieu de l’intervention en espace de ressources. Le formateur
pourra alors à son tour être celui « qui dit je peux avant de dire je sais » (rabardel
et Pastré, 2005) et poursuivre : « Je peux développer une compétence parce que
j’interviens. J’interviens au milieu de multiples fonctionnements. Si je transforme 27
cette multiplicité, cet hétérogène, de sorte à ce que chacun ait les moyens d’y puiser
des ressources et de les structurer, j’obtiens un effet de compétence. » L’action de

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formation peut être appréhendée comme un ensemble plus ou moins articulé de
processus de socialisation, reconstruits et aménagés en fonction de ce que permet-
tent les situations de travail et les environnements sociaux. Cette hypothèse pourrait
être remobilisée pour fonder ou rafraîchir certaines approches de la formation

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professionnelle, notamment celles concernant les formations en situation de travail
dont la mise en œuvre progressive attire l’attention sur le fait que, pratiquement, il
est préférable, voire indispensable, de partir de la situation, toujours spécifique, de
la représentation que s’en font les personnes concernées et des stratégies d’action
qui leur semblent possibles. Sorti de ces zones d’ombre ou de ces points aveugles,
le paradigme de la formation professionnelle retrouverait la fraîcheur du terrain,
pourrait se défaire des formes d’adaptation qui l’enlisent.
Jullien (2020) nous invite à « décoïncider », c’est-à-dire à « tenter de défaire
modestement, du dedans même de la situation engagée, les formes d’adaptation et
d’adhérence qui l’enlisent et l’immobilisent ». S’exercer à la pratique de la décoïn-
cidence, la mobiliser comme outil permettrait, en se décalant, « en se dégageant de
l’obédience d’où vient leur emprise » (ibid.) de rouvrir des possibles, inaperçus,
oblitérés sous le conformisme. Cette invitation à la décoïncidence vise le renouvel-
lement des pratiques. Elle impose de réaliser le nécessaire pas de côté à l’égard de
la formation « en non-situation de travail », à transformer les modes de conception
qui, dans certains cas, enlisent la formation. En outre, la décoïncidence est une
illustration de l’investigation sur le travail. Au travail et hors travail, nous évoluons
emmanuelle begon, yvon minvielle

dans un champ de contraintes physiques et sociales (prescriptions, modes opéra-


toires, matériel disponible, attentes de résultats, modes d’évaluation...) que nous
transformons du dedans par nos manières de faire, nos intentions et nos points de
vue, afin de donner du sens à notre action. Cette capacité à agir et à regarder son
action comme transformatrice de soi et du milieu dans lequel chacun évolue est
une question politique, un objectif de promouvoir du commun, et non pas de
cimenter du collectif. « C’est là, du moins, le seul départ possible de la démocratie,
son fondement légitime : que chacun s’exerce effectivement – personnellement –
à penser » (ibid.).

n L’attention portée aux potentiels des situations


L’une des propositions consiste à considérer que le réel se présente comme un
dispositif sur lequel on peut et on doit prendre appui pour le faire œuvrer (Jullien,
1992), et qu’il convient dès lors d’exercer notre capacité à appréhender le potentiel
de la situation (Jullien, 2017). Par potentiel, il faut entendre ce qui est disponible
et utile pour les configurations d’action que nous envisageons de mettre en œuvre.
28 il s’agit de penser non pas à partir d’un modèle, mais à partir des possibles auto-
risés par la situation, et de rechercher le potentiel contenu dans chaque situation.
La rationalité à l’œuvre, notamment celle de l’accompagnateur, n’est alors plus de
n° 227/2021-2

même nature : de modélisante, d’origine géométrique, elle devient attentive à l’uni-


vers de possibles, à toutes les interactions existant entre les données de la situation.
Penser à partir des potentiels semble convenir aux formations en situation de
travail, mais la proposition n’est pas sans poser problème. En effet, analyser le
EduCATiON PErMANENTE

potentiel d’une situation de travail dans un atelier ou dans un service exige d’iden-
tifier les processus existants, ceux qui sont partagés et ceux qui ne le sont pas, qu’il
est souhaitable d’améliorer (pour qui ? Pour quoi ?)... Cela ne peut se faire qu’à
condition d’une réelle confiance dans l’interlocuteur et dans le projet. La posture de
l’accompagnateur s’approche alors de celle d’un tiers facilitateur, « accoucheur »
d’une expression sur le travail rarement sollicitée. À l’occasion de cette analyse du
potentiel de la situation, les moyens et les contraintes (de temps, de qualité...) sont
mis en lumière. il devient alors évident que la capacité de ceux qui réalisent le
travail réside non pas dans l’exécution de tâches planifiées mais dans l’articulation
des potentiels que la situation présente à un moment donné. L’accompagnateur
AFEST s’approche plus précisément des « compétences » nécessaires à la réalisa-
tion d’un travail de qualité. il permet la conception de situations propices à leur
exercice et à leur développement. Former en situation de travail vise donc le déve-
loppement de compétences par l’identification et la mobilisation des potentiels
présents dans une situation. Cette attention peut conduire à la création d’espaces,
de discussions, de lieux pérennes et visités, d’entrepôts dans lesquels sont mis à
emmanuelle begon, yvon minvielle

disposition et (re)travaillés ces potentiels dont l’activation rend le travail productif


et constructif.

n La connivence avant la connaissance


La connivence va de pair avec le compagnonnage, la convergence d’intention
ou d’action ; elle relie à l’environnement matériel et immatériel dans lequel et par
lequel l’action émerge. Elle requiert reconnaissance, diversité des liens avec le
matériau, la machine, l’autre (individuel ou collectif) avec lesquels nous avons des
rapports de proximité, voire de complicité, bâtis à l’occasion d’histoires com-
munes. L’analyse des situations de travail montre que chacun ajuste l’environne-
ment (matériel et immatériel), individuellement et collectivement, d’afin de
pouvoir y mobiliser les ressources nécessaires à l’atteinte d’un but.
L’environnement, et sa part d’inconnu, requiert la capacité des professionnels
à agir de connivence avec lui sur la situation, d’influer sur elle pour s’y inscrire
plus facilement. Par leur capacité à agir sur l’environnement de sorte à le rendre
favorable aux buts qu’ils poursuivent, les professionnels expérimentés sont en
mesure d’absorber un élément nouveau, ou souvent plus lointain. Leur attention à 29
être en connivence avec l’environnement met leurs intentions en acte. dès lors, la
compétence devient bien autre chose qu’une somme de connaissances, elle prend

n° 227/2021-2
la forme d’une mise en perspective de « tout ce qui est autour ». Les professionnels
expérimentés ne répondent pas seulement en « compétents », ils transforment l’en-
vironnement, déploient leur « professionnalité ». Né dans les années 1970, le
concept (italien) permet de s’approcher de cette capacité, manière d’agir

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« complexe et composite, encadrée par un système de références, valeurs et
normes, de mise en œuvre, ou pour parler plus simplement, d’un savoir et d’une
déontologie, sinon d’une science et d’une conscience » (Aballéa, 1992). L’une des
premières émergences de la professionnalité prend forme dans un contexte de lutte
sociale (Fiat). La Confédération générale italienne du travail entendait faire reva-
loriser les salaires : « Le travail que vous rémunérez, ce sont nos compétences,
notre respect des consignes, mais en aucune manière notre professionnalité. » Que
voulaient dire les militants en s’exprimant ainsi ? une sorte de « sur-compétence »,
des capacités à agir cultivées prenant en compte les contextes de l’entreprise, ses
enjeux... ? Ou cette partie de nous-mêmes et du collectif de travail, façonnée par le
quotidien et les interactions invisibles pour l’employeur, mais pourtant indispen-
sables dans le travail de tous les jours ? Nous nommons ces interactions conni-
vences pour en souligner la dimension situationnelle. Tandis que la connaissance
s’enseigne de façon discursive et méthodique, « la connivence se noue, se tisse au
fil des jours, sans qu’on y pense, sans qu’on pense à y penser » (Jullien, 2014) ; elle
est le produit du « vivre avec » et du « faire avec ». Les connivences sont le terreau
emmanuelle begon, yvon minvielle

d’un savoir indigène opposé à la connaissance. Elles constituent le tacite, l’impli-


cite, là où la connaissance entérine du savoir, de l’explicite. Elles sont une « autre
relation au monde », gardent vivant ce qui resterait enfoui si seule valait la connais-
sance. Elles sont la trame invisible qui permet à l’ensemble de tenir et de se trans-
former. La connivence, ce savoir d’avant la connaissance, se construit lorsqu’on
« vit avec» (nos semblables, les objets, la nature...), et que l’on « fait avec» les
ressources et les contraintes de notre environnement, dans lequel « on devrait
pouvoir puiser notre capacité à agir et à nous individualiser, en le transformant du
même pas » (duclos, 2014).
L’attention portée aux potentiels des situations et aux connivences, support de
la professionnalité, associée aux intentions de bâtir une intelligence collective
porteuse de complémentarités, de mener une enquête sur le travail réel en animant
différents types de discussions, et de faire fructifier les ressources de l’environne-
ment, peut guider les manières d’agir des accompagnateurs AFEST. Par cette
qualité d’action, ils rendent possible la construction d’un matériau favorable aux
apprentissages en situation tels que des référentiels d’activités et de compétences
situés, partagés, révisables et révisés. La qualité de cette ressource est fondamen-
30 tale ; elle devient le matériau pédagogique et conduit à concevoir des situations
formatives ancrées dans le réel.
Nous invitons donc les accompagnateurs de démarches d’AFEST à aller cher-
n° 227/2021-2

cher ces potentiels de situation et ces connivences, à les mettre en discussion. il est
question ici non pas de méthode mais de qualité d’attention. Jullien (2012) nous
invite à travailler les « écarts », à ouvrir un « entre » réflexif pour produire du
« commun », qui n’existe que par son hétérogénéité. L’enjeu est de ne pas partir du
EduCATiON PErMANENTE

« semblable » (Jullien, 2021), qui ne produit que de l’uniforme que l’on prendrait
à tort pour de l’universel, de ne pas partir d’une manière de faire officielle, prescrite
et affichée, qui ne produit qu’un discours sur le travail « prescrit » que l’on pren-
drait à tort pour la professionnalité. Ce sont ces manières de « faire avec », articu-
lées au « vivre avec », qu’une démarche de formation en situation de travail peut
faire émerger au sein des collectifs qui en font l’expérience. u

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EduCATiON PErMANENTE n° 227/2021-2

32
LAURENT DUCLOS, JEAN-YVES KERBOURC’H

Régime juridique de l’AFEST : une nouvelle


image du droit de la compétence
L’État et les partenaires sociaux ont lancé, fin 2015, une expérimentation visant
au développement des formations en situation de travail (FEST), dont les résultats
furent rendus publics en juillet 2018. La loi du 5 septembre 2018 qui, pour la
première fois, a défini la notion d’action de formation1, s’est inspirée de ces travaux
pour faire entrer l’« action de formation en situation de travail » dans le champ des
dispositions relatives à la formation professionnelle2. Un décret a précisé les
critères qui permettent à une telle action d’être qualifiée d’AFEST3.
La portée juridique et pratique de ces dispositions reste largement méconnue. 33
Les exégètes ont souvent vu dans l’article D. 6313-3-2 du Code du travail un
« dispositif » prêt à l’emploi, en d’autres termes un modèle à transposer, dans une

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perspective positiviste et prescriptrice de la règle de droit. Il est vrai qu’au regard
des résultats de l’expérimentation nationale, et de ses conclusions (Caser et al.,
2018), il était possible de voir la loi nouvelle comme un précipité de « bonnes
pratiques », alors qu’il aurait fallu plutôt y trouver de simples principes d’organi-

EDUCATIon pErmAnEnTE
sation d’une modalité de formation laissant place à une grande liberté de concep-
tion et d’exécution. C’est, semble-t-il, cette liberté nouvelle que les parties
prenantes ont beaucoup de difficultés à s’approprier, et c’est sans doute pourquoi
elles cherchent à trouver dans la règle de droit un mode d’emploi qu’elle ne
comporte pas.
L’ouverture, par le législateur, d’un tel espace de liberté dans la conception
même de l’action l’a conduit à fixer un cadre règlementaire général plutôt qu’une
juxtaposition de dispositions détaillées qui auraient ruiné l’objectif de la loi. De ce
point de vue, l’AFEST révolutionne l’image traditionnelle de la formation. De leur

LAURENT DUCLOS, chef de projet à la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle, cher-
cheur rattaché au laboratoire « Institutions et dynamiques historiques de l’économie et de la société »
(IDHES), UMR CNRS 8533 (laurent.duclos@emploi.gouv.fr).
JEAN-YVES KERBOURC’H, professeur de droit à l’université de Nantes (jean-yves.kerbourch@univ-nantes.fr).
1. Les versions antérieures de l’article L. 6315-1, II du Code du travail modifié par la loi n° 2018-771 du 5 septembre
2018 - art. 24 (V) ne déterminaient que les conditions de réalisation de l’action de formation.
2. Article 4 de la loi du 5 septembre 2018 ; C. trav., art. L. 6313-2.
3. Décret n° 2018-1341 du 28 décembre 2018 ; C. trav., art. D. 6313-3-2.
laurent duclos, jean-yves kerbourc’h

côté, les praticiens éprouvent des difficultés à articuler l’AFEST à un cadre législatif
lui aussi conçu pour des formations classiques. Ce cadre nécessite d’être réinter-
prété en même temps que les parties prenantes devront s’y adapter. L’AFEST
provoque ainsi, dans le champ de la formation, un changement de paradigme
conceptuel, qui se double d’un changement de paradigme institutionnel.

Changement de paradigme conceptuel


Le Code du travail envisage l’action de formation comme l’une des quatre
modalités « concourant au développement des compétences qui entrent dans le
champ d’application des dispositions relatives à la formation professionnelle4».
L’action de formation y est définie comme « un parcours pédagogique permettant
d’atteindre un objectif professionnel5 ». L’AFEST est l’une de ces modalités d’ac-
tion de formation, dont le régime juridique est renvoyé à un décret6. Ce décret
renouvelle singulièrement la notion même d’action de formation, tant dans sa
conception que dans ses objectifs.

34 n Une conception renouvelée de l’action de formation

L’originalité de l’AFEST tient au fait qu’elle est réalisée en milieu de travail et


n° 227/2021-2

qu’elle est élaborée selon une méthode processuelle fixée par le Code du travail.

• La situation de travail et le maintien du caractère formel de la formation


Comme son nom l’indique, l’action de formation est conduite en « situation
EDUCATIon pErmAnEnTE

de travail ». Il s’agit d’une évolution notable du lieu où peut se dérouler la forma-


tion, et qui rompt avec une règle établie en 1971 qui voulait que la « formation [soit]
en principe dispensée dans des locaux distincts des lieux de travail7 ». L’administra-
tion précisait alors qu’il « résult[ait] des termes mêmes de la loi que les actions de
formation à prendre en compte [par les employeurs en vue de s’acquitter de leurs
obligations devaient] revêtir la forme de stages8 ». Cette formule consacrant l’ex-
ternalisation stagium loci de la formation professionnelle continue fut maladroite-
ment tempérée, quelque trente-cinq ans plus tard, par la concession suivante : « Les
séquences de formation d’enseignement pratique [sic] en situation de production
ou sur les lieux de production, incluses dans un cursus de formation, peuvent être

4. C. trav., art. L. 6313-1. Les trois autres modalités sont les bilans de compétences, les actions permettant de faire
valider les acquis de l’expérience et les actions de formation par apprentissage.
5. C. trav., art. L. 6313-2.
6. C. trav., art. L. 6313-2, al. 3.
7. Selon les termes de l’article D. 6321-3 du Code du travail (C. trav., art. r. 950-4, issu du décret n° 71-979 du
10 décembre 1971, art. 4), abrogé par l’article 3 du décret n° 2018-1330 du 28 décembre 2018 relatif aux actions
de formation et aux bilans de compétences.
8. Circulaire DFp du 4 septembre 1972.
laurent duclos, jean-yves kerbourc’h

acceptées à condition de se dérouler dans des conditions particulières » d’organi-


sation9 pour en permettre l’imputabilité10.
Il est vrai que les acteurs du système français de financement de la formation
professionnelle ont toujours opposé une résistance nourrie à la « superposition,
confusion spatiale et temporelle entre l’acte formatif et l’acte productif » (Jobert,
1993). Le stage off the job permettait non seulement d’éviter que les fonds dédiés
à la formation ne se substituent à du salaire, mais il s’agissait aussi, accessoirement,
d’encourager l’émancipation des travailleurs grâce à ce dépaysement.
De ce fait, les séquences de formation en situation de travail n’étaient admises
que lorsqu’elles ne constituaient qu’une partie d’un cursus plus complet, y repré-
sentant la phase applicative de savoirs acquis par ailleurs11. En dépit de l’essor des
pédagogies centrées sur la compétence (montchatre, 2007), et des recherches-
actions menées à l’enseigne de la didactique professionnelle ou de la clinique de
l’activité – qui auraient pu donner une nouvelle assise doctrinale à « l’idée profes-
sionnaliste » (moreau, 2006) –, la formation professionnelle n’a jamais pu s’éman-
ciper de l’extension continue de la scolarisation des contextes d’apprentissage
(prost, 2004). Si la compétence est communément définie comme « puissance
d’agir en situation », il aurait fallu, à l’inverse, pouvoir approfondir l’analogie entre 35
ce qui se trouve désigné par l’exercice de cette capacité et son mode d’acquisition.
À mesure que les conditions de réalisation de l’action de formation s’écartent

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de la norme scolaire, la formation court le risque de perdre d’une part la reconnais-
sance de son caractère formel, d’autre part ce qui la distingue des apprentissages
« sur le tas », réputés informels, même lorsqu’ils font l’objet d’un encadrement
minimum. Ces pertes menacent la qualification de l’action en tant qu’action de

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formation. C’est dans cet espace étroit qu’il a fallu fonder le caractère formel des
AFEST. Ce caractère ne saurait pour autant renvoyer aux classifications usuelles de
la formation, construites par référence aux formats académiques traditionnels,
notamment l’organisation et la sanction des enseignements en milieu scolaire12.

9. Conditions de réalisation des actions de formation détaillées naguère – et jusqu’au 1er janvier 2019 – par l’article
L. 6353-1 du Code du travail (L. 920-1 ancien du même code), désormais reprises comme déterminants d’une
« formation de qualité », au sens des articles L. 6316-1 et r. 6316-1 du Code du travail.
10. Circulaire DGEFp n° 2006/35 du 14 novembre 2006 relative à l’action de formation et aux prestations entrant dans
le champ de la formation professionnelle continue. Lorsque ces séquences généraient une production ou un service
valorisables sur un marché, les recettes correspondantes devaient venir en déduction de la dépense dite « impu-
table » à l’action de formation et/ou faisant l’objet d’un financement extérieur au titre de la mutualisation du plan
de formation.
11. Cette connotation purement applicative est présente dans la qualification des séquences de formation par alter-
nance qui se déroulent en entreprise. on y évoque la « formation dans une ou plusieurs entreprises, fondée sur
l’exercice d’une ou plusieurs activités professionnelles en relation directe avec la qualification objet du contrat »
pour les actions de formation par apprentissage (C. trav., art. L. 6211-2 ; L. 6313-1) ; « l’acquisition d’un savoir-
faire par l’exercice en entreprise d’une ou plusieurs activités professionnelles en relation avec les qualifications
recherchées » dans le cadre du contrat de professionnalisation (C. trav., art. L. 6325-2).
12. La forme scolaire constitue l’aune institutionnelle et contextuelle à laquelle est rapporté, par différence, le degré
de formalisme de la formation en général dans la classification des formes éducatives. Une formation est dite « non
laurent duclos, jean-yves kerbourc’h

L’AFEST renvoie à un principe didactique de structuration de l’expérience et


à un cadrage des apprentissages à travers l’articulation de deux processus distincts :
un processus de production des données de référence pour la formation, à travers
l’analyse de l’activité, et par le moyen des mises en situation de travail ; un
processus de production d’inférences, offrant à l’apprenant l’occasion de
progresser dans l’interprétation de ces données. Le formalisme en AFEST repose
donc, comme dans les travaux de Dewey, sur la dualité des références et des infé-
rences dans les processus d’apprentissage, qui permet d’accommoder le schème
hylémorphique – par quoi sont appréhendées généralement les relations entre
matière et forme – en une double dialectique inductive et déductive (Fabre, 2014).
La présence d’un formateur permet de préparer et de conduire la séquence déduc-
tive et d’introduire un jeu de « suggestions » (Dewey, 2018) indiquant que l’on se
trouve non pas en situation de complète « dévolution didactique » (Brousseau
1998) mais bien en formation.
Dans la salle de classe, la « dévolution didactique » – acte implicite par lequel
l’enseignant fait accepter à l’élève la responsabilité d’une situation d’apprentissage
et accepte lui-même les conséquences de ce transfert – pouvait permettre de lutter
36 efficacement contre l’idéologie transmissive et d’introduire des pédagogies plus
actives. Dans l’atelier, à l’inverse, l’enjeu serait plutôt de faire exister la formation
en tant que telle – le travail n’étant pas formateur en lui-même – mais aussi le
n° 227/2021-2

formateur et, surtout, les situations de travail aménagées comme instances de


production d’un matériau pédagogique. Une complète dévolution didactique ne
permettrait pas d’établir une distinction entre formation – nécessairement formelle
– et des apprentissages « sur le tas », incidents, informels ou non formels. C’est ce
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qui explique que les dispositions du décret et les conditions qu’elles introduisent
sont conçues comme un socle minimal d’obligations pour que l’action puisse
simplement être qualifiée de formation13. Concernant l’AFEST, ce formalisme se
traduit par l’inscription, dans l’ordre juridique, d’un présupposé pédagogique –
distinct sinon antinomique du principe de la formation alternée14 – qui permet de se
prémunir contre la « contagion de l’atelier » tout en décloisonnant les milieux ordi-
nairement associés au travail et à la formation, et en limitant autant que faire se peut
le nombre des conditions posées à l’organisation de l’action.

formelle » si l’une des conditions suivantes n’est pas remplie : présentation d’un apprentissage graduel hiérarchisé
par niveaux ; existence de prérequis à l’admission ; durée d’au moins un semestre (ou 30 ECTS) ; programme
reconnu par le système éducatif national (ou autorité équivalente). Voir Classification of Learning Activities (CLA)
2016. À l’inverse, la définition de « l’apprentissage formel » dans les nomenclatures du CEDEFop est plus souple
(Terminology of European Education and Training Policy, 2014).
13. Décret n° 2018-1341, 28 déc. 2018, relatif aux actions de formation et aux modalités de conventionnement des
actions de développement des compétences (C. trav., art. D. 6313-3-2).
14. Cf. note 11.
laurent duclos, jean-yves kerbourc’h

• La méthode imposée par la loi : une condition nécessaire mais suffisante


En milieu de travail, l’action de formation doit donc faire l’objet d’un pro-
cessus d’élaboration original que le décret impose. La mise en œuvre de l’action
doit comprendre :
– l’analyse de l’activité de travail pour, le cas échéant, l’adapter à des fins pédago-
giques ;
– la désignation préalable d’un formateur pouvant exercer une fonction tutorale ;
– la mise en place de « phases réflexives », distinctes des mises en situation de
travail et destinées à utiliser, à des fins pédagogiques, les enseignements tirés de la
situation de travail, qui permettent d’observer et d’analyser les écarts entre les
attendus, les réalisations et les acquis de chaque mise en situation afin de consolider
et d’expliciter les apprentissages15 ;
– des évaluations spécifiques qui sont acquises de la formation et qui jalonnent ou
concluent l’action.
pour être qualifiée d’AFEST, ce processus est nécessaire. mais il est suffisant.
Il n’y a pas à rechercher, et encore moins à trouver, dans cette règle, d’autres condi-
tions de validité. Les conditions de félicité de l’action, quant à elles, reposent sur
un travail d’organisation, et donc sur une stratégie du management ignorée de la 37
règle de droit. Autrement dit, chaque contexte organisationnel devra déterminer un
type d’AFEST. De ce point de vue, ce ne sont pas les « dispositions » de la loi mais

n° 227/2021-2
bien la référence à un contexte spécifique qui peut permettre ou non de concevoir
un « dispositif » AFEST adéquat, en s’appuyant sur le potentiel que recèle chaque
configuration productive locale afin que le déploiement d’actions de formation
situées puisse y devenir source d’effets en termes de développement des compé-

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tences. on pressent que le schéma processuel – limité, aux termes du décret, aux
conditions de validité de l’action de formation – concernera par déduction tout ce
qui peut permettre d’ajuster son environnement. pour autant, l’écriture de ce
« script » organisationnel est laissée à l’entière appréciation des intéressés.
Il est précisé que la scène de travail est adaptée, le cas échéant, à des fins péda-
gogiques. Il peut s’agir, notamment, de séquençage de phases de travail, de ralen-
tissement ou d’accélération de certaines de ces séquences, de déclenchement
volontaire d’incidents16, afin que le stagiaire apprenne à les traiter. L’objectif est
que l’action de formation puisse être rattachée sans conteste au statut de la forma-
tion professionnelle et ne soit pas considérée comme une exécution du travail dont
elle doit absolument échapper au régime juridique (Levannier-Gouël, 2020).

15. Dans l’esprit du législateur, les concepteurs de l’action de formation doivent être capables d’analyser les pratiques
de façon systématique afin de pouvoir donner une base aux « suggestions » ou aux réorientations proposées par
le formateur.
16. « Un droit à l’erreur accordé à chacun » est reconnu par l’article 1er de l’AnI du 13 juin 2013 sur la qualité de vie
au travail.
laurent duclos, jean-yves kerbourc’h

Le préalable que constitue l’analyse de l’activité signifie implicitement que


l’AFEST ne saurait être un simple ni même un bon auxiliaire de ce que l’on appelle
communément, et improprement, la « formation adaptation », en raison notam-
ment d’un mauvais rapport entre les « investissements de forme » (Thévenot, 1986)
nécessités par la mise œuvre de l’action et un rendement limité au développement
de compétences entendues comme simples facilités. Entre autres investissements
qui – le décret ne le précise pas – seront plutôt de nature organisationnelle, l’AFEST
exige un formateur, dont le statut n’est d’ailleurs pas spécifié17 et, pour sa mise en
œuvre, la conception d’un circuit formel d’enquête en quelque sorte, sanctionné par
une série de « valuations », au sens de Dewey, et d’évaluations. Soit des explica-
tions « sur pièces » – à partir de la ressaisie des traces de l’activité (témoignages,
enregistrements, inscriptions, produits, résidus) – pour les implications de l’action,
« dans la place ». Le caractère réitératif des mises en situation, des séquences
réflexives comme des « évaluations spécifiques », marqué par l’usage du pluriel
dans le texte du décret, inscrit manifestement l’AFEST dans une certaine durée,
laissant du temps à la formation de l’expérience18.
En suggérant qu’une attention soit plutôt portée à l’activité réelle, à travers la
38 phase d’analyse, le décret semble davantage viser le développement d’un « savoir-
y-faire en situation » (pastré, 2011), de compétences transcendant les circons-
tances, et donc définies comme critical skills plutôt que comme facilities
n° 227/2021-2

(Charbonnier, 2015). La positivité de la notion de compétence donne ici un fonde-


ment à l’opposition entre task learning, visant l’exécution de tâches prescrites
(prefigured work activity), et AFEST comme skill training visant une capacité de
configuration et une puissance générale d’ajustement étendue à toute une gamme
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de situations, pour certaines inédites (configured work) [nickols, 2011]. Ainsi que
l’avait montré Dewey dès 1916 dans Démocratie et éducation, une capacité ne
pourra d’ailleurs être réputée « transférable » que si son développement est associé
à des activités ayant d’emblée une certaine portée ; une indication claire sur ce qui
pourrait alors fonder le rendement et donc le modèle économique d’une AFEST.
Que chaque type d’AFEST présente une singularité propre, fonction du milieu
qui l’accueille ; qu’au-delà, chaque action ne puisse être notamment menée, au fur
et à mesure de son déroulement, que sur la base des interactions concrètes d’un

17. En revanche, la certification du formateur AFEST ne répond à aucune exigence d’ordre légal ou réglementaire. Voir
l’exemple du certificat « référent formateur AFEST » inscrit au répertoire spécifique (ex-inventaire de la CnCp)
n° 24-28.
18. La réflexivité est une condition nécessaire à la (re)construction de l’expérience : il faut qu’un arrêt soit marqué,
un changement de régime provoqué pour faire émerger la « part observante » nécessaire à l’intégration consciente
de l’action qui convient. reconstruire l’expérience à partir de la mise en perspective des situations traversées, c’est
d’abord rendre explicite – expliquer (explicare « déployer »/ex-planation) – reconstruire les raisonnements qui
sous-tendent sa propre action : l’explicitation interrompt nécessairement l’action, laquelle suppose – au contraire
– un état d’implication et d’intrication où tout se présente d’un bloc (implicare « plier dans, entortiller,
emmêler »/en-tangled).
laurent duclos, jean-yves kerbourc’h

apprenant avec un environnement proprement configuré, ne signifient pas que le


processus n’est pas reproductible. par contre, l’AFEST ne pourra être scénarisée et
son processus standardisé dans la définition des « points de passage obligés » qu’à
travers la prise en charge d’un contexte de mise en œuvre. Elle se démarque ainsi
d’une action de formation traditionnelle dont la reproductibilité pouvait reposer sur
l’établissement d’un format standardisé de prestation (externalisable), et dont les
attributs, le contenu et la mise en œuvre pouvaient être entièrement déterminés hors
contexte productif19.

n Un objet identique, des objectifs différents


L’objet de l’AFEST ne diffère pas de celui d’autres actions de formation. En
revanche, ses objectifs sont distincts, car l’AFEST place la situation de travail au
cœur de l’action de formation.

• Un objet commun aux différentes actions de formation


Le législateur ne fixe pas à l’AFEST un objet différent des autres modalités
d’action de formation qui ont toutes pour but20 : 39
– de permettre à toute personne sans qualification professionnelle ou sans contrat
de travail d’accéder dans les meilleures conditions à un emploi ;

n° 227/2021-2
– de favoriser l’adaptation des travailleurs à leur poste de travail, à l’évolution des
emplois, ainsi que leur maintien dans l’emploi, et de participer au développement
de leurs compétences en lien ou non avec leur poste de travail. Elles peuvent
permettre à des travailleurs d’acquérir une qualification plus élevée ;

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– de réduire, pour les travailleurs dont l’emploi est menacé, les risques résultant
d’une qualification inadaptée à l’évolution des techniques et des structures des
entreprises, en les préparant à une mutation d’activité soit dans le cadre soit en
dehors de leur entreprise. Elles peuvent permettre à des salariés dont le contrat de
travail est rompu d’accéder à des emplois exigeant une qualification différente, ou
à des non-salariés d’accéder à de nouvelles activités professionnelles ;
– de favoriser la mobilité professionnelle.
L’AFEST ne présente donc aucune originalité au regard des objets que le légis-
lateur assigne à une action de formation. Elle est simplement l’une des modalités
de réalisation du « parcours pédagogique permettant d’atteindre un objectif profes-
sionnel » évoqué par l’article L. 6313-2 du Code du travail.

19. Cf. le critère de coconstruction des formations en situation sur lequel insiste le décret n° 2019-565 du 6 juin 2019
relatif au référentiel national sur la qualité des actions concourant au développement des compétences à travers
l’indicateur n° 28.
20. C. trav., art. L. 6313-3.
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• Des objectifs distincts


En revanche, les objectifs assignés à l’AFEST sont très différents de ceux fixés
aux formations traditionnelles. Certes, le projet de « mettre de la formation dans le
travail » est ancien (Favennec-Héry, 1996), et l’AFEST en est sans doute le prolon-
gement. mais dans bien des cas, il s’agissait, jadis, d’enforcer, comme le dit joli-
ment la langue anglaise, l’aménagement d’une parenthèse de formation dans le
cours de la relation d’emploi. De telles formations étaient toujours soumises à la
contrainte du « modèle séparatiste » travail-formation imposée par la loi
(Luttringer, 2015).
Une lente évolution a d’abord fait perdre à la formation ce statut d’épisode
dissocié du travail, et à cet égard protégé du travail, en raison notamment de l’évo-
lution de la professionnalisation de la formation et de son approche par les compé-
tences (CnpF, 1998 ; paradeise et Lichtenberger, 2001)21. Lors du vote de la loi du
4 mai 2004, un auteur observait que « le droit de la compétence [est venu] percuter
frontalement le droit de la formation par un déplacement de l’objet du droit : le
moyen [la formation] (n’est) plus au centre des dispositions normatives, comme il
[l’avait] été depuis la loi du 16 juillet 1971, [il est] désormais concurrencé par l’ac-
40 tivité » (Willems, 2004). nous sommes ainsi collectivement restés au milieu du gué
s’agissant du statut conféré à l’activité pour la formation.
Quoi qu’il en soit, la formation cesse d’envahir de ses exigences propres l’ho-
n° 227/2021-2

rizon des fins : le développement de ce nouvel objet, en droit de la formation, que


constitue la compétence. Il est d’ailleurs paradoxal que l’actuelle diversité des
types d’action de formation prévus par la loi ait également signé la fin et/ou les
limites de ce moyen.
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L’un des négociateurs de l’Accord national interprofessionnel du


14 décembre 2013, relatif à la formation professionnelle, précisait ainsi que « l’ob-
jectif poursuivi par les partenaires sociaux était d’impulser un changement de statut
de la formation, entendue dans son acception restrictive. Il s’agissait de la replacer
au rang des “moyens”. La formation doit (re)devenir, non plus une finalité, encore
moins une obligation de dépense selon une approche juridique et fiscale, mais un
outil parmi d’autres au service du développement des compétences individuelles et
collectives. L’obligation assignée aux employeurs est essentiellement de produire
les résultats ou les effets qui s’attribuaient traditionnellement à la formation :
répondre à l’obligation d’adaptation au poste ; le maintien plus général de la capa-
cité à occuper un emploi ; l’accès à la qualification ; la progression professionnelle
des salariés ; le développement des compétences et de la compétitivité, etc.22 ».

21. Un tel déport marque d’ailleurs la production des circulaires de la Délégation à la formation professionnelle : celle
du 4 septembre 1972 avait consacré la notion de « stage » ; celle du 14 mars 1986 commençait à admettre que l’ac-
tion de formation puisse s’étendre à la formation dite intégrée « en situation de production effective ».
22. Entretien avec Christian Janin, secrétaire confédéral CFDT, président du CopAnEF, vice-président du CnEFop, 22
octobre 2014.
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C’est le titre premier de la loi du 5 septembre 2018 qui a entériné ce bascule-


ment « vers une nouvelle société de compétences23 ». Antérieurement assujetties à
une obligation de consacrer des moyens à la formation (appréciés selon le seul
critère de leur financement), de nouvelles obligations concrètes ont été mises à la
charge des entreprises. Ces obligations portent sur le développement des compé-
tences et le maintien de la capacité à occuper un emploi, et elles sont assorties de
sanctions (dommages-intérêts alloués aux salariés qui agissent en justice).
L’AFEST consacre ces évolutions en ce qu’elle institue un mode d’acquisition
directe des compétences24. Il n’y a plus de dissociation, ou d’écart, entre l’objectif
de la formation et les compétences recherchées, comme entre le développement
d’une capacité et son objet. De ce point de vue, l’AFEST consiste bien, désormais,
à « mettre de l’activité de travail dans la formation » (et non le contraire), car la
situation de travail est l’instance et le lieu où le matériau pédagogique est forgé.
À l’inverse, dans les pédagogies traditionnelles expositives ou applicatives, le
stagiaire n’est pas « impliqué » dans la production de ce matériau, il est simplement
« concerné ». C’est ainsi que l’AFEST est particulièrement adaptée à l’exécution de
toutes les obligations de formation mises à la charge de l’employeur en matière de
santé et de sécurité, notamment en matière de conditions de circulation25, d’exécu- 41
tion du travail26 et de conduite à tenir en cas d’accident27. récemment, les négocia-
teurs de l’Accord national interprofessionnel du 9 décembre 202028 ont également

n° 227/2021-2
insisté sur la nécessité de dispenser la formation en prenant en compte la réalité des
situations de travail car, selon eux, la culture de la prévention « passe par l’analyse
partagée, la construction commune et la mise en œuvre conjointe d’actions de
prévention qui tiennent compte des réalités de travail [métiers et activités...] ».

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Changement de paradigme institutionnel
La mise en place d’actions de formation en situation de travail ne modifie pas
seulement la conception que l’on se fait de la formation. L’AFEST s’inscrit aussi

23. « nous voulons construire une société de compétences » (muriel pénicaud, ministre du Travail, Le Monde,
22 novembre 2017). Une allusion peut-être au projet de nouvelle société dont les linéaments, s’agissant spéciale-
ment de la formation professionnelle, figuraient dans le discours de Jacques Chaban-Delmas à l’Assemblée natio-
nale le 16 septembre 1969.
24. À l’inverse d’une action de formation à distance, simple modalité technique de dispense d’une formation qui a
nécessité une reconnaissance légale (C. trav., art. L. 6313-2, al. 2) et un encadrement particulier (C. trav., art. D.
6313-3-1), mais qui peut servir de véhicule aux pédagogies les plus conventionnelles.
25. C. trav., art. r. 4141-11 et r. 4141-12.
26. C. trav., art. r. 4141-13 et s. L’article r. 4141-14 précise que « la formation à la sécurité relative aux conditions
d’exécution du travail s’intègre à la formation ou aux instructions professionnelles que reçoit le travailleur ». Cette
intrication de la formation à la sécurité et des instructions professionnelles peut donc idéalement prendre appui sur
une AFEST.
27. C. trav., art. r. 4141-17 et s.
28. Accord national interprofessionnel pour une prévention renforcée et une offre renouvelée en matière de santé au
travail et conditions de travail, 9 déc. 2020, art. 1.1.1 (arrêté d’extension en cours de publication).
laurent duclos, jean-yves kerbourc’h

dans un cadre légal et institutionnel qui donne à l’action de formation une place
centrale. L’arrivée d’une nouvelle modalité d’action peut remettre en cause à
certains égards, mais aussi renforcer à d’autres égards, certaines obligations, prin-
cipalement celle de maintenir la capacité du salarié à occuper un emploi, ou l’exer-
cice des missions de police administrative des opCo.

n AFEST et obligation de maintenir la capacité du salarié


à occuper un emploi
L’obligation de maintien de la capacité du salarié à occuper un emploi est
aujourd’hui appréciée à l’aune des seules formations suivies par les salariés. or,
l’arrivée des AFEST dans les actions de formation ouvre des perspectives très inté-
ressantes de renforcement de l’ensemble des moyens à mettre en œuvre, autres
qu’une action de formation.

• Une conception encore étroite des moyens mobilisables


L’employeur assure l’adaptation des salariés à leur poste de travail et veille au
42 maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution
des emplois, des technologies et des organisations29. Il peut proposer des forma-
tions qui participent au développement des compétences. Les actions de formation
n° 227/2021-2

mises en œuvre à ces fins sont prévues, le cas échéant, par le plan de développe-
ment des compétences.
nous avions déjà observé que le Code du travail envisage la formation
comme une modalité de développement des compétences qui n’est pas exclusive
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(Kerbourc’h, 2010). L’obligation d’adapter les salariés à leur poste de travail et de


maintenir leur capacité à occuper un emploi peut être assurée de nombreuses autres
façons30. Les entreprises paraissent toutefois manquer d’imagination et se limitent
le plus souvent à la formation évoquée par le texte, qui précise pourtant que l’em-
ployeur « peut proposer des formations ». Autrement dit, il n’existe pas d’obliga-
tion impérative de formation. Il est vrai que les juridictions du fond, et la Cour de
cassation, ont érigé la formation en critère cardinal pour déterminer si le salarié a
bien été maintenu en capacité d’occuper un emploi et pour, à défaut, lui allouer des
dommages-intérêts31, même en dehors de tout contentieux portant sur la rupture du

29. C. trav., art. L. 6321-1.


30. Le Code du travail prévoit bien que les actions de formation ne font que « concourir » (C. trav., art. L. 6313-1) au
développement des compétences.
31. 6 000 euros de dommages et intérêts à une salariée qui n’avait suivi aucune formation pendant ses sept années de
présence dans l’entreprise (Cass. soc., 7 mai 2014, n° 13-14.749), 5 000 euros à une salariée qui n’a participé qu’à
un seul stage de formation d’une journée durant ses seize ans dans l’entreprise (Cass. soc., 24 sept. 2015, n° 14-
10.410), 6 000 euros à une salariée qui n’avait suivi que deux formations en huit ans de présence dans l’entreprise
(Cass. soc., 5 oct. 2016, n° 15-13.594).
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contrat de travail32. on peut imaginer que, faute de grives, ces juridictions ont
cherché à savoir si le salarié pouvait avoir au moins mangé des merles en ayant
suivi un stage traditionnel !

• Les potentialités de l’AFEST... et de la FEST


Une AFEST permet de satisfaire en même temps à l’obligation d’adaptation et
à l’obligation de maintien des compétences. Il faut aussi insister sur le fait que l’ar-
ticle L. 6321-1 envisage des « formations » et non pas des « actions de formation »,
ce qui ouvre un large champ d’initiatives possibles, notamment en articulant des
mesures qui relèvent de l’AFEST (et répondent donc aux critères du Code du
travail) et d’autres qui seraient de simples FEST33, ou toute modalité d’organisation
formalisée des apprentissages en situation de travail (oAST) au sens de « l’entre-
prise apprenante » (Fotius et pagès, 2013) dont l’examen des preuves rapportées
par les parties emporterait la conviction du juge34. L’AFEST, la FEST ou l’oAST
invitent ainsi à ne plus faire de la formation le point de départ de ces obligations,
mais à les inclure dans un ensemble de mesures plus étendues, et déterminées en
fonction d’une finalité (le maintien des compétences et la capacité à occuper un
emploi). La finalité et les moyens peuvent donner lieu à la conclusion d’un accord 43
dans le cadre de la négociation obligatoire d’entreprise sur la gestion des emplois
et des parcours professionnels35. En l’absence d’accord d’adaptation, les disposi-

n° 227/2021-2
tions supplétives du Code du travail (qui peuvent bien sûr également inspirer les
négociateurs de l’accord d’adaptation) prévoient de nombreuses mesures parmi
lesquelles FEST et AFEST ont toute leur place36.

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32. Selon la Cour de cassation « le fait que les salariés n’avaient bénéficié d’aucune formation professionnelle
continue pendant toute la durée de leur emploi dans l’entreprise établit un manquement de l’employeur à son obli-
gation de veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi, entraînant pour les intéressés un préjudice qu’il
appartient au juge d’évaluer » (Cass. soc., 2 mars 2010, n° 09-40.914). Elle juge aussi qu’au regard de l’obligation
faite à l’employeur d’assurer l’adaptation des salariés à leur poste de travail et de veiller au maintien de leur capa-
cité à occuper un emploi, l’insuffisance de formation établit « un manquement de l’employeur dans l’exécution
du contrat de travail entraînant un préjudice distinct de celui résultant de sa rupture ». L’employeur peut donc être
condamné à verser des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour violation de
son obligation de formation (Cass. soc., 23 oct. 2007, n° 06-40.950. - Cass. soc., 5 juin 2013, n° 11-21.255).
33. mais à total contresens de ces évolutions, l’article L. 6315-1, I du Code du travail prévoit que l’entretien profes-
sionnel qui a lieu tous les six ans fait l’objet d’un document permettant de vérifier que le salarié a « suivi au moins
une action de formation ». À défaut, et dans les seules entreprises d’au moins 50 salariés, l’employeur doit
procéder à un abondement au compte personnel de formation. Au regard de cette règle, l’action de formation est
donc conçue non pas comme un moyen « concourant au développement des compétences » (C. trav., art. L. 6313-
1) mais bien comme un objectif à exécuter formellement, c’est-à-dire sans être rattaché à une stratégie d’adaptation
ou de maintien dans l’emploi.
34. À l’instar des dispositions relatives à la preuve qu’une action de formation a bien eu lieu (C. trav., art. r. 6313-3),
la réalité de ces démarches pourrait être démontrée « par tout élément probant ». Le Code du travail, en effet,
n’exige plus la production de pièces justificatives, d’attestations ou de documents ayant un format prédéfini que
mentionnait encore le décret n° 2017-382 du 22 mars 2017.
35. C. trav., art. L. 2242-1.
36. C. trav., art. L. 2242-20. parmi ces mesures : un dispositif de gestion prévisionnelle des emplois et des compé-
tences et les mesures d’accompagnement susceptibles de lui être associées, en particulier en matière de formation,
d’abondement du compte personnel de formation, de validation des acquis de l’expérience, de bilan de compéten-
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plus que d’autres actions de formation, une AFEST peut ainsi non seulement
se présenter comme une brique intriquée dans une stratégie de maintien des compé-
tences (finalité juridique avec un objectif sociologique), mais aussi contribuer au
maintien de la capacité de l’entreprise à entretenir son propre niveau de compé-
tence technologique, d’organisation, de qualité, et de satisfaction des clients (fina-
lité économique). C’est dans le cadre d’une telle stratégie qu’une AFEST peut être
intégrée dans l’obligation de formation d’un contrat ou d’une période de profes-
sionnalisation. Si, aux termes de l’article L. 6325-13 du Code du travail, « les
actions de positionnement, d’évaluation et d’accompagnement ainsi que les ensei-
gnements généraux, professionnels et technologiques » doivent représenter 15 %
de la durée du contrat (ou 150 heures), rien ne s’oppose à ce qu’une AFEST puisse
être envisagée en sus de cette durée minimale mais sans excéder 25 % de la durée
du contrat, sauf si un accord de branche augmente cette durée dans les conditions
prévues à l’article L. 6325-14 du même code. En revanche, une AFEST est totale-
ment antinomique avec les obligations de formation (et les modalités de finance-
ment) des contrats d’apprentissage qui relèvent de la formation initiale, car
l’AFEST entre exclusivement dans le champ de la formation professionnelle
44 comme le prévoit l’article L. 6313-1 du Code du travail. Il serait néanmoins
possible, dans ce contrat d’apprentissage, au titre de la formation dispensée en
entreprise37, de prévoir des formations en situation de travail (FEST) et non des
n° 227/2021-2

actions (AFEST), qui ne sont donc finançables ni sur les fonds de l’apprentissage ni
sur ceux de la formation professionnelle continue.
EDUCATIon pErmAnEnTE

n AFEST et police administrative


Un nombre important des règles relatives à la formation professionnelle ont
pour seule fonction de permettre l’exercice, par les opCo, de leur mission de police
administrative. L’aménagement de ces règles, que nécessite l’AFEST, peut être
l’occasion de réorienter les missions des opCo vers les nouvelles missions que leur
confère la loi du 5 septembre 2018 : délivrer des services de proximité aux petites
entreprises et les accompagner dans l’analyse et la définition de leurs besoins en
matière de formation professionnelle. L’AFEST nécessite également d’appliquer
différemment certaines contraintes règlementaires, ce qui peut être fait dans un
cadre plus respectueux de l’esprit des textes, notamment des dispositions relatives
à la rédaction des contrats de formation et de celles portant sur les critères d’enre-
gistrement des certifications professionnelles.

ces ainsi que d’accompagnement de la mobilité professionnelle et géographique des salariés, les conditions de la
mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise, les grandes orientations à trois ans de la formation
professionnelle et les objectifs du plan de développement des compétences, en particulier les catégories de salariés
et d’emplois auxquels ce dernier est consacré en priorité, les compétences et qualifications à acquérir.
37. C. trav., art. L. 6221-1.
laurent duclos, jean-yves kerbourc’h

• Le contrôle du service fait


La mise en place de l’AFEST invite à revoir le rôle des opérateurs de compé-
tences qui les financent. Leur mission de police administrative les enferme souvent
dans la religion des pièces justificatives, qui permettent de contrôler le « service
fait38 », à partir d’un référentiel de formation (contenu, nombre d’heures stagiaire,
formateurs, etc.). or, de tels référentiels sont inopérants s’agissant des AFEST. En
effet, les règles de droit régissant l’AFEST sont rédigées comme des dispositions-
cadre inspirant des démarches processuelles et non pas comme des « scripts » à
suivre39. Il ne faudrait donc pas que les opérateurs de compétences, pour les seuls
besoins du contrôle, se substituent aux entreprises, en rédigeant eux-mêmes,
in abstracto, ces scripts d’organisation des AFEST, alors que les scénarios de
formation doivent, au contraire, être élaborés et appréciés in concreto, en considé-
ration des finalités de la formation. Une telle façon de procéder conduirait à
dégrader l’AFEST en la faisant revenir dans le giron du modèle « séparatiste ». Il
en résulterait une inégalité entre entreprises : d’une part celles d’au moins 50 sala-
riés qui n’ont pas affaire aux opérateurs de compétences car elles financent et orga-
nisent elles-mêmes leurs formations en jouissant d’une extrême liberté40 (elles ne
sont pas contraintes de distinguer FEST et AFEST car la qualification d’« action » 45
n’a pas d’autre conséquence que les effets limités de l’article L. 6315-1 du Code
du travail qui exige de vérifier que le salarié a suivi une action de formation au

n° 227/2021-2
cours des six dernières années41) ; d’autre part les établissements de moins de
50 salariés42 qui se retrouveraient assujettis à des règles administratives inoppor-
tunes parce qu’ils souhaitent être financés.
En revanche, il appartient aux opérateurs de vérifier que la méthode d’élabora-

EDUCATIon pErmAnEnTE
tion de chaque AFEST est conforme au texte du décret. Cela implique que les opéra-
teurs s’attachent les services d’agents formés, capables d’apprécier la méthodo-
logie suivie, que ces agents individualisent leurs vérifications, et que les critères de
contrôle portent non pas sur le contenu de la formation mais sur la façon dont elle

38. Décret n° 2018-1209 du 21 décembre 2018 relatif à l’agrément et au fonctionnement des opérateurs de compé-
tences, des fonds d’assurance formation des non-salariés et au contrôle de la formation professionnelle ; arrêté du
21 décembre 2018 relatif aux pièces nécessaires au contrôle de service fait mentionné à l’article r. 6332-26 du
Code du travail.
39. « Le contenu organisationnel forme un ensemble beaucoup plus vaste que les règles de droit [...] Chaque firme
[...] produit un nombre indéfini de scripts qui servent de modèles de comportement. or, ces scripts, ces modèles,
ces répartiteurs [...] n’entraînent pas pour autant de conséquences juridiques. Seule une toute petite partie de ces
scripts va donner lieu à ʺdu droitʺ – et seulement en cas de contestation si leur est reconnue la possibilité de faire
grief [...] ce qui prouve assez que l’on ne peut faire de la règle de droit un modèle de comportement » (Latour,
2002).
40. Toutefois, l’article L. 6332-1-2 prévoit que les opCo peuvent collecter des contributions supplémentaires (conven-
tionnelles ou volontaires) ayant pour objet le développement de la formation professionnelle continue. Les opCo
ont donc la possibilité de promouvoir l’AFEST par ce canal dans les entreprises d’au moins 50 salariés.
41. Cf. note 33.
42. L’opCo prend en charge « les actions concourant au développement des compétences au bénéfice des entreprises
de moins de cinquante salariés » (C. trav., art. L. 6332-1-3 et L. 6332-3).
laurent duclos, jean-yves kerbourc’h

a été élaborée. Dans cette perspective, le rôle de l’opérateur de compétences est


également sensiblement modifié avant la mise en place d’une AFEST. Il ne lui est
plus possible, dans ce cadre, d’offrir aux entreprises des solutions de formation
« clé en main », et donc de considérer l’AFEST comme un quasi-bien, décontextua-
lisé de l’entreprise qui la met en place.
L’opCo pourrait alors, dans le cadre de l’AFEST qu’il a l’obligation de
promouvoir43, jouer pleinement son rôle : « Assurer un service de proximité au
bénéfice des très petites, petites et moyennes entreprises, permettant d’améliorer
l’information et l’accès des salariés de ces entreprises à la formation profession-
nelle et d’accompagner ces entreprises dans l’analyse et la définition de leurs
besoins en matière de formation professionnelle, notamment au regard des muta-
tions économiques et techniques de leur secteur d’activité44. » Au demeurant, la
légitimité de ce rôle est conférée aux opCo par l’agrément qui leur est accordé en
fonction « de leur aptitude à assurer leurs missions compte tenu de leurs moyens et
de leur capacité à assurer des services de proximité aux entreprises et à leurs sala-
riés sur l’ensemble du territoire national45 ». L’opCo peut donc avoir une activité
de prestataire de service de conseils pour la mise en place d’actions de formation
46 en situation de travail, mais il ne saurait pour autant mettre en place des AFEST
préconçues. La logique et le design de service s’opposent ici à l’image du « clé en
main ». L’opCo peut lui-même faire ce contrôle lorsque l’AFEST est mise en place
n° 227/2021-2

par un prestataire de formation, puisqu’il lui revient de vérifier que ce prestataire


est en capacité de dispenser une formation de qualité46, sachant que pour promou-
voir ce dispositif, il est possible à l’opCo de définir des conditions de prise en
charge différenciées « selon les modalités de formation composant le parcours
EDUCATIon pErmAnEnTE

pédagogique, les moyens humains et techniques ainsi que les ressources pédago-
giques47 ». Il faut en effet remarquer que la mise en place d’une AFEST conduit à
exposer des dépenses de conception, d’ingénierie de mise en place et de modifica-
tion des organisations de travail avant que la formation ne soit dispensée, contrai-
rement à une action classique. Ces coûts, le cas échéant différenciés, doivent être
pris en charge au titre de la formation elle-même, c’est-à-dire comme des actions
concourant au développement des compétences au bénéfice des entreprises de
moins de 50 salariés comme le prévoit l’article L. 6332-1-3 du Code du travail48.

43. C. trav., art. L. 6332-1, 5°.


44. C. trav., art. L. 6332-1, 4°.
45. C. trav., art. L. 6332-1-1 II.
46. C. trav., art. L. 6316-1.
47. C. trav., art. r. 6313-1. Ce texte constitue un levier financier puissant que peuvent utiliser les opCo pour promou-
voir l’AFEST.
48. Selon nous, il ne peut pas s’agir de frais entrant dans le champ des dépenses prévues par les articles L. 6332-6, 9°
et r. 6332-17 II 4° et 5° (frais d’études ou de recherches intéressant la formation, frais d’information-conseil, de
pilotage de projet et de service de proximité).
laurent duclos, jean-yves kerbourc’h

• Le respect des contraintes règlementaires


Le plus souvent, le cadre institutionnel dans lequel s’inscrit l’AFEST semble
être inadapté, car conçu pour des formations répondant aux critères du modèle
« séparatiste ». Il faut donc en changer la lecture et donner aux règles un sens
approprié aux particularités de l’AFEST.
Il en est ainsi des règles relatives à la convention de formation conclue entre
l’acheteur de formation et l’organisme de formation49. L’objet de ce contrat diffère
sensiblement d’une formation classique. L’AFEST, on l’a dit, n’est pas une presta-
tion standardisée susceptible de s’acheter comme une chose. Le dispensateur de
formation délivre un service qui, certes, a toujours pour objet une action de forma-
tion, mais à laquelle s’ajoute, en la précédant, une prestation de conception, dans
le respect des critères fixés par l’article D. 6313-3-2 du Code du travail. Ce contrat
ne peut plus être considéré comme un contrat-échange, en d’autres termes comme
un acte par lequel l’une des parties s’engage à délivrer une prestation et l’autre à la
payer. Il s’agit d’un véritable contrat d’intérêt commun, un contrat-coopération qui
repose sur l’enchaînement d’une prestation instrumentale réalisée par le client (la
détermination des objectifs poursuivis en termes d’acquisition de compétences et
de connaissances en situation de travail), et d’une prestation finale (celle de l’orga- 47
nisme de formation) qui n’est contractuellement rendue possible que si l’entreprise
cliente accomplit la sienne50.

n° 227/2021-2
De même, les relations avec les stagiaires sont d’une nature différente. Il peut
être difficile, dans une formation en situation de travail, d’appliquer l’article L.6353-
8 du Code du travail prévoyant que les objectifs et le contenu de la formation, la liste
des formateurs et des enseignants, les horaires, les modalités d’évaluation, les coor-

EDUCATIon pErmAnEnTE
données de la personne chargée des relations avec les stagiaires par le commandi-
taire de la formation, et le règlement intérieur applicable à la formation, soient mis
à disposition du stagiaire avant leur inscription définitive. Ce texte est pourtant riche
de potentialités lorsque les parties prenantes décident de l’appliquer dans son esprit
plutôt qu’à la lettre. En effet, l’article D. 6313-3-2 s’intéresse beaucoup plus à la
conception et à l’évaluation des acquis de la formation qu’à la relation entre le
stagiaire et le formateur. Les dispositions de l’article L. 6353-8 peuvent permettre
de combler cette lacune en s’intéressant au rôle du stagiaire, à la nature de sa parti-
cipation dans la conception de cette formation et dans les phases « réflexives »
qu’elle implique. Au demeurant, il faut rappeler que « les informations relatives à
l’organisation du parcours sont rendues accessibles par le dispensateur d’actions de
formation, par tout moyen, aux bénéficiaires et aux financeurs concernés51 ».

49. Le mot « acheteur » figure à l’article L. 6353-1 du Code du travail ; l’organisme formateur (le vendeur ?) est
désigné comme un dispensateur de formation.
50. Cf. note 19.
51. C. trav., art. r. 6313-2. En outre, l’article L. 1222-3 du Code du travail prévoit que « le salarié est expressément
informé, préalablement à leur mise en œuvre, des méthodes et techniques d’évaluation professionnelles mises en
laurent duclos, jean-yves kerbourc’h

Inversement, ce qui peut être considéré comme contraignant dans les forma-
tions classiques est facilité pour les actions de formation en situation de travail.
C’est le cas de l’enregistrement au rnCp des certifications professionnelles en vue
de permettre une validation des compétences et des connaissances acquises néces-
saires à l’exercice d’activités professionnelles52. Ainsi qu’il est précisé, ces activités
professionnelles sont définies par un référentiel d’activités décrivant les situations
de travail et les activités exercées, les métiers ou les emplois visés, un référentiel
de compétences identifiant les compétences et les connaissances, y compris trans-
versales, qui en découlent, et un référentiel d’évaluation définissant les critères et
les modalités d’évaluation des acquis. L’action de formation en situation de travail
peut parfaitement s’inscrire dans les objectifs de ce texte dont on retrouve, dans
l’article D. 6313-3-2 du Code du travail, non seulement la philosophie mais aussi,
peu ou prou, les critères : l’analyse de l’activité de travail ; la formation en situation
de travail ; les compétences et les connaissances à acquérir ; la vérification des
acquis. Il faut rappeler que les AFEST, lorsqu’elles sont certifiantes, sont éligibles
au compte personnel de formation53.

48
Conclusion
La reconnaissance juridique de l’AFEST donne au droit émergent de la
n° 227/2021-2

compétence une dimension processuelle dont l’intérêt est, pour une fois, de mettre
au centre de l’action non pas le savoir ni l’apprenant mais le milieu de travail
associé au développement des capacités. La formation y perd son statut de finalité.
Gageons qu’elle puisse également « se rendre intéressante » et gagner ainsi en
EDUCATIon pErmAnEnTE

attrait et en efficacité pour les parties intéressées. Dans le même temps, la consé-
cration de cette modalité révèlera ce qu’il en est vraiment des intentions de former
en établissant au lieu même de la production une frontière nette entre la formation
formelle et l’appel (nostalgique) au libre jeu des apprentissages incidents. Dans
tous les cas, on ne fera pas boire un âne qui n’a pas soif !
Le droit de l’AFEST ne dit pas tout à fait ni quoi ni comment faire ; son
schème processuel s’arrête aux contours de l’action elle-même ; il n’a pas le carac-
tère automatique d’un programme formalisé. Ce droit invite au contraire à déter-
miner, autour des enjeux de développement des compétences, de véritables « situa-
tions de gestion » (Girin, 2016). n’est-ce pas d’ailleurs l’effet de la « garantie exté-
rieure » qu’offre la loi, au-delà de son aspect prescriptif, que d’aider à définir des
« points d’imputation » permettant d’allouer des charges directes et indirectes pour
les réaffecter à leur objet (le développement des compétences) ? Ce nouveau droit

œuvre à son égard. Les résultats obtenus sont confidentiels. Les méthodes et techniques d’évaluation des salariés
doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie ».
52. C. trav., art. L. 6113-1.
53. C. trav., art. L. 6323-6.
laurent duclos, jean-yves kerbourc’h

restitue manifestement à l’entreprise une responsabilité et une liberté en matière


d’organisation des apprentissages dont les acteurs intermédiaires – qui constituent
l’écosystème de la formation – devraient encourager l’exercice. Cela suppose que
les pratiques administratives déployées par ces derniers dépassent l’horizon de leur
propre modèle économique et ne grèvent pas d’emblée le coût d’acquisition de la
compétence pour les bénéficiaires. Sur ces différents registres, la clôture de l’expé-
rimentation nationale en 2018 et l’existence d’un cadre règlementaire ne sauraient
signer la fin de l’expérience collective. u

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50
n° 227/2021-2
EDUCATIon pErmAnEnTE
SALIMA RAIRI, ANNE-LISE ULMANN

De l’expérimentation à la généralisation :
les AFEST au milieu du gué ?

Après deux années d’expérimentation nationale, les actions de formation en


situation de travail sont désormais inscrites dans le droit de la formation profes-
sionnelle continue. Les acteurs et les prestataires ont à se saisir de cette opportunité
nouvelle pour développer des AFEST, notamment dans les petites et moyennes
entreprises où les professionnels se forment peu. Suffit-il de dire pour faire ?
Cet article interroge le passage de l’expérimentation au déploiement effectué
par les OPCO1 pour analyser comment les transformations initiées avec cette expé- 51
rimentation se développent, s’enrichissent et se transforment dans un nouveau con-
texte. L’analyse proposée se fonde sur l’observation des premières réunions de

n° 227/2021-2
travail avec les conseillers2 des OPCO en charge du développement d’AFEST, dans
le cadre d’un EDEC3, pilotées par l’Agence régionale pour l’amélioration des con-
ditions de travail en Ile-de-France pour accompagner cette mise en œuvre. Ces
réunions offrent à chaque conseiller la possibilité d’expliquer ce qu’il met en place

EDUCATION PERMANENTE
au sein de son OPCO pour contribuer au développement des AFEST et d’échanger
avec des pairs. En retour, l’appui de l’ARACT consiste à les aider dans ces analyses
et à les accompagner dans leurs différentes demandes.

SALIMA RAIRI, consultante en ressources humaines et management, ancienne chargée de mission à


l’ARACT Ile-de-France (sali.rairi@gmail.com).
ANNE-LISE ULMANN, maître de conférences HDR au Conservatoire national des arts et métiers, membre du
Centre de recherche sur le travail et le développement (CRTD), EA 4132 (anne-lise.ulmann@lecnam.net).
1. Les opérateurs de compétences Akto, Ocapiat, Lopcommerce, OPCO2i, OPCO-EP et OPCO Santé ont participé à
ces réunions de l’engagement de développement de l’emploi et des compétences (EDEC).
2. Au sein des OPCO, l’appellation « conseiller » recouvre des fonctions aussi diverses que directeur recherche-
développement, chef de projet ingéniérie, chef de projet régional, chef de projet recherche-développement, con-
seiller formation, conseiller entreprise, chargé de mission qualité de l’offre de formation, délégué régional, direc-
teur du développement et des partenariats nationaux.
3. L’engagement de développement de l’emploi et des compétences (EDEC) est un accord annuel ou pluriannuel
conclu entre l’État et une ou plusieurs branches professionnelles pour la mise en œuvre d’un plan d’action
négocié, sur la base d’un diagnostic partagé d’analyse des besoins qui a pour objectifs d’anticiper les consé-
quences des mutations économiques, sociales et démographiques sur les emplois et les compétences et de réaliser
des actions concertées dans les territoires.
salima rairi, anne-lise ulmann

Après avoir présenté la manière dont ces conseillers s’approprient les AFEST
pour les développer, les difficultés rencontrées et leurs tentatives pour y remédier,
nous analyserons les transformations du rapport à la formation induites par cette
nouvelle modalité, en interrogeant les difficultés auxquelles confronte le passage de
l’expérimentation à la généralisation dans des contextes de travail nouveaux.

Des tentatives de développement


qui ne produisent pas les effets escomptés
Plusieurs études (cf. notamment Bentabet et Théry, 2005) montrent que les
OPCA, devenus opérateurs de compétences avec la loi de 2018, font face à d’im-
portantes transformations qui agissent aussi bien sur leur modèle économique que
sur le développement de leurs offres de service et sur la professionnalité de leurs
personnels. Moysan-Louazel et al. (2020) soulignent le développement de savoir-
faire « ambidextres » chez ces opérateurs, qui leur permettent de combiner, non
sans souffrance subjective, les missions dites « historiques », de service public rele-
vant de l’ingénierie financière et pédagogique du plan de formation, et « l’adapta-
52 tion à de nouvelles missions et publics » impliquant un ancrage plus important dans
les territoires, une orientation vers le marché et une plus grande proximité avec les
très petites entreprises. Parmi ces missions nouvelles, les OPCO ont à développer
n° 227/2021-2

les AFEST pour contribuer au développement de la formation dans les TPE/PME où


les personnels ont moins d’opportunités de « partir » en formation. La présentation
de leurs actions dans le cadre de cet EDEC montre qu’ils s’y emploient en intégrant
à leurs réflexions les orientations, quand elles sont clairement formulées, des
EDUCATION PERMANENTE

branches professionnelles, elles-mêmes prises dans un mouvement complexe de


transformation (reconfiguration des périmètres d’action, réduction drastique du
nombre, nouveaux pouvoirs de financement, de négociation...).
Les premiers éléments présentés par les conseillers font apparaître deux
logiques de travail différentes aboutissant chacune, par des voies différentes, à une
certaine désillusion qui semble faire consensus au sein de ce groupe : « Les AFEST,
ne conviennent pas aux petites entreprises, elles correspondent mieux aux grosses
structures qui ont les ressources en personnels et les moyens de passer du temps à
la conception. ». Examinons ces deux logiques. La première s’attache à reproduire
le processus de travail mis en place avec l’expérimentation nationale ; la seconde,
plus commerciale, vise directement la réalisation d’AFEST. Dans les deux cas, ces
conseillers doivent composer avec le réel, entendu comme ce qui résiste.

n Une logique de projet inspirée de l’expérimentation nationale


Cette logique concerne prioritairement les OPCO ayant participé à l’expéri-
mentation nationale. Riches de leurs expériences antérieures dans le domaine de la
salima rairi, anne-lise ulmann

formation et nourris par leur participation à l’expérimentation nationale durant deux


années, ils s’efforcent de prolonger ce principe d’« expérimentation » avec de
nouvelles parties prenantes. Tant pour l’expérimentation nationale que pour le
déploiement qu’ils envisagent désormais, ces OPCO ont été accompagnés par des
consultants-formateurs. Pour ces opérateurs, l’enjeu est moins la mise en place
d’AFEST dans les entreprises de la branche que l’installation des conditions permet-
tant à ces actions de s’intégrer dans les politiques de formation de ces entreprises.
L’appropriation du processus en continuité avec l’expérimentation nationale se
révèle plus complexe que prévu et, finalement, semble ne pas aboutir. Ils découvrent
que « l’AFEST n’est pas une simple modalité pédagogique ; elle réinterroge les
pratiques de formation, elle reprend dans la formation la notion de compétence ».
Cette remarque, qui signale une prise de conscience des enjeux de l’AFEST chez les
conseillers, fait écho à la difficulté des acteurs de la formation d’intégrer la dimen-
sion collective de la compétence, qui relève davantage d’un discours que d’une
pratique réelle dans les entreprises. Or les AFEST, comme les compétences, ne sau-
raient s’envisager sans prendre en compte plus largement l’écologie du travail.

• Le cas de la branche A regroupant des petites entreprises 53


L’idée initiale de l’OPCO est de concevoir un processus de travail qui, tout en
s’inspirant des enseignements de l’expérimentation nationale, est soucieux de

n° 227/2021-2
respecter ce que cette branche fait déjà : « Les branches font des choses ; il faut
partir de ce qu’elles font. » Le déploiement des AFEST doit donc s’intégrer à des
fonctionnements existants et ne venir qu’en complément de ce qui se fait déjà.
Deux domaines semblent convenir aux entreprises de la branche et offrir des possi-

EDUCATION PERMANENTE
bilités intéressantes de réalisation d’AFEST.
L’OPCO engage une démarche itérative en constituant un groupe de travail
composé d’experts du domaine, des membres de la branche professionnelle et des
conseillers destinés à devenir ultérieurement les référents AFEST auprès des entre-
prises. Les participants de ce groupe de travail, après avoir été sensibilisés, mobi-
lisés et formés à quelques principes fondamentaux de l’AFEST (notamment l’ana-
lyse des situations de travail), manifestent une certaine réticence à poursuivre plus
avant la collaboration. Ils s’interrogent notamment sur « la plus-value réelle de
cette démarche » au motif qu’ils feraient déjà ce travail en accompagnant les entre-
prises, notamment pour intégrer de nouveaux collaborateurs. Ces signes de résis-
tance déstabilisent l’OPCO qui comprend, au cours de ses échanges avec la
branche, que son approche est perçue comme une « ingérence » dans le fonction-
nement interne des entreprises.
Ce qui soudain fait obstacle et constitue l’objet même du travail à conduire
est évité : l’OPCO contourne la difficulté ; il choisit de produire ce qu’il nomme lui-
même « une ingénierie en chambre » en renonçant à tenir une position d’inter-
venant : « On fait un travail standard et ensuite les autres s’en empareront. » Il
salima rairi, anne-lise ulmann

effectue l’analyse des situations, identifie les prérequis, les conditions de réalisa-
tion, précise les manières d’opérer les gestes professionnels, tente d’établir une
progression dans le parcours de formation, met au point des processus de travail en
tentant d’« empêcher l’incertitude », mais le fait en « désadhérence » (Schwartz,
1988), sans possibilité de travailler directement dans les structures et avec les diffé-
rents acteurs potentiellement concernés par l’organisation de ces AFEST. Cet
ajustement au milieu reviendra au formateur AFEST, choisi par l’entreprise, à partir
des ressources mises à disposition par l’OPCO. La mise en place des AFEST est en
quelque sorte reportée à plus tard et/ou déportée sur d’autres acteurs... L’OPCO
produit des ressources nécessaires ; à cette occasion, il forme ses conseillers, mais
se désengage du travail qui permettrait de passer de l’idée d’AFEST à sa concréti-
sation, du pensable désormais au réalisable demain. Il conçoit des ressources péda-
gogiques mais renonce à en accompagner les usages.

n Une logique de projet orientée marché :


faire de l’AFEST une nouvelle offre de formation
54 La deuxième logique s’attache à promouvoir un « nouveau produit » : les
AFEST. Les OPCO proposent une approche plus incisive, voire commerciale, qui les
conduit d’abord à renforcer les savoir-faire des conseillers devenus promoteurs. Ces
n° 227/2021-2

derniers suivent une formation certifiante qui leur donne une certaine légitimité à
l’égard de leurs interlocuteurs. Mais à peine formés, ils manifestent un certain scep-
ticisme en constatant que les apports de leur propre formation ne sont pas directe-
ment mobilisables et ne leur ont pas permis de trouver les clés du « comment faire ».
EDUCATION PERMANENTE

Ils disent fréquemment que « ça ne marche pas ». Déçus, ils limitent alors les AFEST
à une offre de service supplémentaire, et proposent aux entreprises adhérentes des
ateliers de sensibilisation destinés à éveiller leur appétence. Là encore, le résultat les
déçoit : les entreprises répondent peu. « Ce n’est pas ce que l’on a compris, ce que
l’on nous a vendu », rapporte l’un des conseillers faisant allusion aux propos tenus
par les responsables AFEST des OPCO et les organismes de formation.
Déçus, les conseillers avancent également deux arguments qui confortent leur
scepticisme. Outre le manque de temps pour la conception de ce type d’action,
considéré par eux comme étant « le nerf de la guerre pour les petites entreprises »,
ils déplorent un financement peu attractif pour les aider à effectuer ce développe-
ment. « Si on ne vend pas l’AFEST clé en main dans le cadre d’un dispositif finan-
cé, on ne rentre pas dans l’entreprise, on rate notre objectif », explique un con-
seiller qui développe une stratégie d’offres formatives en encapsulant la formation
dans un dispositif de financement. Ainsi, même si les nouvelles missions assignées
aux OPCO entérinent « la fin du métier de banquier » (Moysan-Louazel et al.,
2020), les nouveaux leviers d’action ne semblent plus devoir être recherchés du
côté des AFEST selon ces conseillers.
salima rairi, anne-lise ulmann

Que comprendre de ces deux logiques et des obstacles qui les freinent alors
même que ces conseillers ne sont pas opposés aux principes de l’AFEST ?
À quelles résistances les AFEST se heurtent-elles alors même que l’expérimenta-
tion a permis de leur faire une place dans le droit de la formation professionnelle
continue et a montré leur utilité, y compris pour les petites structures ?

Une transformation du rapport à la formation


Sans déplier ici l’ensemble des complexités soulevées par ces conseillers, il
nous semble que les AFEST sont les révélateurs d’un rapport à la formation établi
de longue date, où le travail et la formation sont appréhendés de façon séparée, ce
qui, aujourd’hui, place ces conseillers dans l’embarras pour créer des formes
nouvelles d’apprentissage arrimées à des situations de travail. Ces habitudes font
de l’action de formation une forme pédagogique tournée vers elle-même, produi-
sant des ingénieries pédagogiques sous forme de « boîtes noires » et requérant des
règles et des procédures que les conseillers s’attachent à respecter, car, comme le
dit l’un d’eux, « nous sommes des professionnels de la formation, nous devons
travailler avec des méthodes et ne pas faire n’importe quoi ». 55

n Le formalisme comme marqueur de la professionnalité

n° 227/2021-2
Si les conseillers ont le souci de concevoir des actions de formation à partir
des situations de travail, ils peinent à explorer, auprès de leurs interlocuteurs dans
les entreprises, les besoins auxquels les AFEST pourraient éventuellement

EDUCATION PERMANENTE
répondre. Soit que ces interlocuteurs ne leur ouvrent pas leur porte, soit que les
temps d’échanges sur les enjeux de production de ces entreprises et leurs modes
d’organisation leur paraissent hors de leurs missions. Dans tous les cas, ils se trou-
vent pris dans un système de travail qui les amène à (re)produire des ingénieries
conformes aux cadres habituels des dispositifs qu’ils financent.
Dans certains cas, les conseillers montrent qu’ils effectuent des analyses de
situations de travail, en s’attachant davantage à la méthode qu’aux manières de faire
usage de ces situations en formation. Ces analyses, à la fois « proches de l’activité
réelle [...] et pourtant privées de la capacité de la discerner, de la parler, d’aider les
apprenants à penser leur rapport au travail, et à partir de là, de questionner son orga-
nisation », (Jobert, 1993), relèvent plutôt d’une approche néo-behavioriste (Lacom-
blez, 2015) quelque peu antagoniste avec l’acquisition de raisonnements permettant
de traiter, à partir d’une situation, une classe plus large de situations. Ces analyses
ne prennent pas en compte le fait que, « en redimensionnant le travail à la singula-
rité de la tâche, l’opérateur est le créateur répété de sa tâche » (Wisner, cité par
Ouvrier-Bonnaz et Weill-Fassina, 2015). Paradoxalement, les craintes légitimes de
ces conseillers sur les possibles confusions entre activité formative et activité
salima rairi, anne-lise ulmann

productive, ou celles réduisant la formation à la conformation, sont finalement


celles auxquelles ils risquent d’aboutir avec ce formalisme pédagogique conçu à
distance des contextes de travail. Considérant la personne qui apprend comme
« agent plutôt qu’acteur, porteur de comportements plutôt que d’actions » (Charue-
Duboc, 1995), une telle approche de la formation l’efface en tant que sujet épisté-
mique, en mesure de penser et d’ajuster ses actions.

n Formation et organisation : deux territoires qui s’ignorent


Si ces conceptions de l’ingénierie ne facilitent pas le développement des
AFEST, les difficultés ne sont pas moindres du côté de leurs interlocuteurs dans les
branches ou les entreprises. On peut en effet constater, dans les exemples
présentés, que ces conseillers se sont heurtés à bien des refus, au motif d’une
« ingérence » dans les organisations. « On le fait déjà » versus « ce n’est pas de la
formation » sont des arguments fréquemment invoqués par leurs interlocuteurs
pour justifier le fait de ne pas s’investir dans la conception de ces AFEST. Ces
refus, habituels dès que les formateurs s’approchent des structures et des modes
56 d’organisation du travail, les mettent en difficulté pour réfléchir au maillage entre
les organisations du travail, l’activité et la formation. Un accord tacite semble faire
consensus entre les responsables des entreprises et ces conseillers pour considérer
n° 227/2021-2

la formation comme un espace d’apprentissage autonome, dont les relations à l’or-


ganisation n’ont pas à être évoquées parce qu’elles ne relèvent pas de la responsa-
bilité des formateurs, contrairement aux exigences du décret qualité4. Peu légitimes
pour engager l’échange sur des questions d’organisation, les conseillers renoncent
EDUCATION PERMANENTE

à tenir une position d’intervenant (Ulmann, 2017) qui pourrait conduire à d’autres
modes de coopération pour coconstruire ces formations. « Faire de la formation
comme ça, c’est un enjeu de ressources humaines et non de formation », explique
l’un d’eux, entendant par là que la réflexion pourrait le conduire à déborder de son
champ d’expertise. Ce renoncement, visant à préserver leurs relations aux entre-
prises, les conduit à circonscrire leurs expertises aux contenus d’apprentissage ou
aux formats pédagogiques, oubliant que « la valeur d’une formation dépend étroi-
tement de l’organisation où elle s’insère » (Hatchuel 2013), et que la logique
compétence induit une organisation du travail qui met en synergie des compé-
tences et des initiatives – au sens où « travailler, c’est aussi faire face à l’imprévu,
au surprenant, au singulier » (Zarifian, 1999).
Les AFEST viendraient-elles ébranler ce consensus et les arrangements qui le
sous-tendent ? Cette dissociation, qui relève d’une conception taylorienne de l’orga-
nisation, permet un partage des responsabilités entre les managers, responsables de
4. « Lorsque les prestations [...] comprennent des périodes de formation en situation de travail, le prestataire mobi-
lise son réseau de partenaires socio-économiques pour coconstruire l’ingénierie de formation et favoriser l’ac-
cueil en entreprise » (décret n° 2019-565 du 6 juin 2019, critère 6, indicateur 28).
salima rairi, anne-lise ulmann

l’organisation productive, et les formateurs, experts des apprentissages. La forma-


tion et l’organisation sont appréhendées comme deux territoires distincts, où l’in-
gérence est aussitôt évoquée dès que les formateurs se rapprochent de l’organisa-
tion. Ce sentiment est-il lié au fait que l’AFEST, en contribuant au développement
des compétences des personnes, confronte dans le même temps les interlocuteurs
de ces structures et conduit à reconsidérer leurs organisations ?
Peut-on faire l’hypothèse que ces empêchements historiques au développe-
ment des AFEST seraient liés au déficit juridique dont elles pâtissaient jusqu’à
présent tout autant qu’au refus (toujours actuel ?) de considérer que « organisation
et formation ne sont pas des réalités différentes ayant éventuellement des con-
nexions entre elles, mais que l’une [la formation] implique l’autre [l’organisation] »
(Maggi, 2003) ?
Les AFEST arriment formation et organisation. La situation de travail joue
comme une figure de métonymie, cachant en quelque sorte les relations nécessaires
qui l’unissent à des questions professionnelles plus larges qu’elle prétend éclairer
en articulant trois niveaux d’analyse : celui de l’agir professionnel avec les savoirs
et les compétences qu’il requiert ; celui de la prise en compte d’une écologie du
travail intégrant l’organisation productive ; celui de la création de valeur et des 57
dimensions politiques agies par chacun dans son travail. L’AFEST n’est plus seule-
ment une action de formation, elle est aussi « un analyseur de la situation présente

n° 227/2021-2
et un révélateur des changements possibles, et ce, d’autant plus que l’objectif de
fond d’une action comme celle-ci, touche à la culture même du travail » (Nallet et
Caspar, 2006). Les recherches sur le travail (Edey-Gamassou et Mias, 2021)
montrent par ailleurs que, pour les professionnels qui se forment, la possibilité de

EDUCATION PERMANENTE
penser ces trois dimensions (valeur/compétence/organisation) stimule la créativité
des! personnes pour construire des réponses inédites aux problèmes qu’elles
!
CRÉATION DE VALEUR
ET DIMENSIONS POLITIQUES DU TRAVAIL
!
!
! Besoin
de formation
!
! CRÉATIVITE SANTÉ

!
Situation de
travail pour
! l#AFEST

Mani!res de penser Organisation


et de faire l"activit# de l"activit# productive
formative pour apprendre
COMPÉTENCES ÉCOLOGIE DU TRAVAIL

ENGAGEMENT

!
salima rairi, anne-lise ulmann

rencontrent, maintient leur intérêt et leur engagement dans le travail, et préserve


leur santé. Les conseillers redoutent-ils que les AFEST constituent des leviers de
transformation, qui outrepassent leur périmètre d’action, voire leur légitimité, et les
mettent en difficulté avec leurs interlocuteurs dans les entreprises ?

De l’expérimentation de l’AFEST à son déploiement :


les implicites du changement d’échelle
La manière de se saisir du développement des AFEST questionne le passage de
l’expérimentation à la généralisation. Les difficultés rapportées par les conseillers
amènent à penser que ce changement d’échelle est envisagé selon deux perspectives
différentes, relevant l’une du principe d’homothétie, l’autre du principe d’inspiration.
Rappelons que l’expérimentation des AFEST ne relève pas du modèle de
« l’expérimentation contrôlée par assignation aléatoire ou randomisée, qui repose
sur l’observation d’un groupe test bénéficiant du dispositif et d’un groupe témoin
n’en bénéficiant pas » (Serverin et Gomel, 2012). Il s’agit non pas d’établir une
parenthèse expérimentale reproduisant des conditions de laboratoire à seule fin de
58 mesurer l’impact d’un dispositif « connu », mais d’aménager les conditions d’une
expérience collective permettant d’ordonner des opérations de « valuation »
(Dewey) susceptibles de construire pas à pas ce « dispositif ». À l’opposé des
n° 227/2021-2

démarches expérimentales qui mesurent pour réfléchir (Bachelard, 1939), ces


opérations « prisent [prizing] une fin et apprécient [appraising] les moyens pour
atteindre cette fin », tout en laissant ouverte la possibilité de « réviser cette fin à la
lumière des moyens » (Prairat, 2014).
EDUCATION PERMANENTE

n Le changement d’échelle par homothétie


Le passage de l’expérience volontairement réduite à un collectif élargi est au
cœur de tensions peu explorées de l’accompagnement des changements au sein des
organisations. Pour nommer ce changement d’échelle, les métaphores sont fré-
quentes ; elles évoquent un processus d’amplification ou de démultiplication qui
reproduit, à l’identique mais sur un empan plus large, l’idée initiale. L’« effet boule
de neige », encore nommé « tache d’huile », illustre le principe d’une diffusion par
extension, engendrant de manière presque naturelle un changement de taille à partir
d’une impulsion de départ. De même, la notion de « masse critique », plus explici-
tement marquée du sceau du militantisme, fréquemment employée dans les années
1960 dans les milieux de la formation (Jobert, 2017), tend à signifier que les trans-
formations sociales visées par les expérimentations résultent de l’addition des trans-
formations individuelles. Le passage de l’un au commun est souvent pensé comme
une extension en taille, en surface ou en volume, considérée comme suffisante pour
enclencher un changement d’échelle. Un tel principe prévaut dans les mondes
salima rairi, anne-lise ulmann

industriels parce qu’il permet de décliner, à l’identique, la production de séries. Les


conseillers cherchent à reproduire à l’identique chacune des étapes de mise en œuvre
d’une AFEST, indépendamment des contextes de travail. Cette manière d’envisager
le changement d’échelle attire d’autant plus qu’elle est censée permettre ce qu’ils
nomment une « économie d’échelle », notamment en diminuant le temps de concep-
tion. Changement d’échelle et économie d’échelle en viennent à se confondre :
« Les entreprises n’auront pas le temps d’engager de tels projets » ; « si on n’arrive
pas à faire des économies d’échelle, on ne pourra passer à chaque fois tout ce temps
pour chaque projet ». De l’économie d’échelle dépend le changement d’échelle.
L’expérimentation nationale se trouve ainsi appréhendée comme une forme
préétablie, un « prototype » à reproduire dans un temps limité, en supprimant ou
en diminuant les temps d’errance de la conception. Cette conception se heurte aux
aspérités des territoires nouveaux, un réel non prévisible. Ce faisant, elle laisse les
conseillers au milieu du gué : poursuivre sur le dépassement des obstacles et s’at-
tacher à concevoir des modes de résolution inédits, ou rebrousser chemin en renon-
çant au développement de nouvelles AFEST. Dans le contexte incertain des OPCO,
poursuivre supposerait l’instauration d’un cadre qui accorde aux errances une
valeur heuristique en les dégageant, au moins pour un temps, de la tyrannie de 59
l’économie d’échelle.

n° 227/2021-2
n Le changement d’échelle par inspiration
La deuxième orientation se fonde sur d’autres principes, qui s’expriment par
une nouvelle métaphore, celle de l’« essaimage » (Duclos, 2021). Cette image

EDUCATION PERMANENTE
apicole invite à comparer le changement d’échelle avec le fonctionnement des
abeilles qui se séparent de leur essaim pour aller en produire un autre ailleurs, dans
un nouvel environnement. L’image évoque la séparation ou la distance à prendre
avec le modèle initial du premier essaim. Elle ne suggère pas la diffusion ou la
reproduction comme les métaphores précédentes, mais inspire une dynamique
nouvelle de travail : celle d’une décontextualisation nécessaire à une recontextua-
lisation dans un milieu comportant certaines caractéristiques communes, tout en
étant différent. Cette réimplantation ajustée à une nouvelle écologie requiert alors
un travail spécifique et toujours en partie inédit. Certes, le professionnel qui engage
ce travail ne part pas de rien, il crée à partir de ce qui est donné, déjà là, des
« normes antécédentes » (Schwartz, 1988), qu’elles soient produites par les pres-
cripteurs du travail, par les règles de métier ou celles du collectif de travail, mais
l’ensemble de ces données, dont l’expérimentation nationale fait partie, sont
« mises à l’épreuve du réel dans l’activité » (Amado et al., 2017).
Cette recontextualisation, laissant place à la délibération avec d’autres collec-
tifs, essaime au sens où elle permet de recréer un milieu favorable à l’accueil d’ap-
proches formatives renouvelées, comme les AFEST. La création et l’innovation ont
salima rairi, anne-lise ulmann

alors une place majeure dans ce changement d’échelle par essaimage, non pas au
sens d’innovation technique mais grâce à la capacité d’être soi-même créateur et
d’innover des réponses originales à des situations qui le deviennent de plus en plus ;
cela suppose d’accepter « que l’innovation jaillisse davantage de l’inadéquation des
structures face aux attentes des personnes plutôt que d’un consensus et d’une inté-
gration qui ne laissent plus de place aux interrogations » (Nallet et Caspar, 2006).

Conclusion
Le travail en cours avec les conseillers des OPCO qui réfléchissent à la
manière d’opérer le changement d’échelle de cette expérimentation montre que la
conception d’AFEST est un révélateur de mutations profondes dans les manières de
penser et d’agir la formation. Ce passage de l’expérimentation au déploiement,
dans un contexte où les conseillers voient leurs propres organisations transformées
par de nouvelles exigences, peine à s’opérer sans doute parce que ce changement
d’échelle, surtout s’il s’effectue par essaimage, est porteur de transformations pro-
fondes, susceptibles de modifier les organisations et les relations de travail pour
60 lesquelles les conseillers ne s’estiment pas légitimes.
Faut-il alors considérer l’expérimentation sur les AFEST comme un moment
à part, dont le développement, dans le contexte actuel des OPCO, est arrêté ou
n° 227/2021-2

impossible ? Nous ne le pensons pas. D’une part, l’EDEC est au début d’un proces-
sus de travail long qui peut permettre aux conseillers de se saisir de questions sur
le développement de compétences et les manières d’apprendre que, pour de
multiples raisons, ils ont été contraints de délaisser. D’autre part, comme pour l’ex-
EDUCATION PERMANENTE

périmentation nationale, mais dans une configuration nouvelle, ce partage des


expériences et des difficultés pour développer des AFEST peut devenir un temps
d’élaboration et de réflexion collective qui conduira progressivement à de
nouvelles expérimentations. Le travail engagé montre que « le développement
n’est jamais achevé et qu’il se déploie continûment et à de multiples niveaux »
(Béguin, 2010). u

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EDUCATION PERMANENTE n° 227/2021-2

62
MATHIEU CARRIER

La place du financeur
dans l’essor de l’AFEST

La formation en situation de travail (FEST) est venue questionner la manière


d’appréhender le développement des compétences. Par extension, elle interroge
également les financeurs publics et parapublics sur leur action pour soutenir cette
modalité pédagogique. Les principaux dogmes établis par ces acteurs avaient déjà
connu une remise en cause peu de temps avant la reconnaissance de l’AFEST, avec
un développement significatif de la formation à distance. Désormais, l’AFEST fait
partie, aux côtés de la formation en présentiel et de la formation à distance, des 63
trois principales modalités pédagogiques que les financeurs publics et parapublics
se doivent non seulement d’intégrer dans leurs processus de gestion, mais égale-

n° 227/2021-2
ment de promouvoir selon la volonté exprimée par le législateur. La manière dont
ces acteurs se saisissent de l’AFEST est un objet d’analyse intéressant car elle
révèle une époque dans laquelle les corps intermédiaires ont perdu une partie de
leur marge de manœuvre financière et de leur autonomie. Ils sont toutefois invités

EDUCATION PERMANENTE
à se réinventer en assurant un rôle d’« influenceur » de l’action des entreprises et
des particuliers dans le respect du cadre défini par l’action publique. À la manière
de l’Oulipo, ces acteurs sont tenus de définir une nouvelle écriture de leur action
en intégrant des contraintes prédéfinies.

Les financeurs de la formation professionnelle


Avant de discourir sur le rôle joué par le financeur dans l’essor de l’AFEST,
revenons sur le système de financement de la formation professionnelle, sujet à de
fréquents ajustements législatifs et dont les rouages demeurent souvent méconnus.
L’annexe relative à la formation professionnelle du projet de loi de finances pour
2021 apporte une lecture fine de la dépense nationale pour la formation profession-
nelle continue et l’apprentissage. En 2018, vingt-six milliards d’euros ont été
consacrés à la formation professionnelle continue et à l’apprentissage (hors

MATHIEU CARRIER, directeur « Ingénierie et innovation » pour l’OPCO Atlas (mcarrier@opco-atlas.fr).


mathieu carrier

dépenses directes des entreprises). Cet effort global intègre les coûts pédagogiques
des formations proprement dites, mais aussi les dépenses de rémunération des
stagiaires et les frais de fonctionnement et d’investissement. Les principaux finan-
ceurs sont, par ordre décroissant : les OPCO (8,12 milliards) ; la Fonction publique
(6,03 milliards) ; les régions (4,17 milliards) ; l’État (3,79 milliards) ; Pôle emploi
(2,18 milliards) ; les particuliers (1,43 milliard).

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n° 227/2021-2

Ces chiffres sont toutefois à relativiser, d’abord parce qu’ils ne tiennent pas
compte du premier financeur (les entreprises, dans le cadre de leurs dépenses
directes), ensuite parce qu’ils ont été établis avant la mise en application de la loi
du 5 septembre 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel ». Cette
EDUCATION PERMANENTE

dernière a notamment transféré aux opérateurs de compétences (OPCO) la gestion


exclusive de l’alternance, renforçant le poids de ces acteurs aux dépens de l’action
des régions en matière de formation professionnelle.
C’est précisément à travers le prisme des OPCO que nous évoquerons la place
des financeurs, qui ont pour caractéristique de gérer les dépenses intermédiées des
entreprises, c’est-à-dire issues des contributions obligatoires versées par les
employeurs pour la formation des salariés. Pour l’année 2018, les huit milliards
d’euros gérés par ces organismes ont permis la mise en œuvre de dispositifs de
formation auprès des publics suivants : actifs occupés (4,5 milliards) ; jeunes en
alternance (2,5 milliards) ; personnes en recherche d’emploi (1 milliard).

L’évolution du rôle des opérateurs de compétences


Les OPCO sont les héritiers des fonds d’assurance formation (FAF) mis en
place par la loi de 1971. Le système proposé s’inspirait du modèle de la Sécurité
sociale développé après-guerre, dont la gestion était assurée dans le cadre d’un
consensus entre représentants des employeurs pourvoyant au financement du
mathieu carrier

système et les représentants des salariés, bénéficiaires de ce système selon des


règles préétablies. Ce système dit « paritaire » devait permettre le développement
d’une cogestion vertueuse au sein duquel l’intervention de l’État se trouvait réduite
à la définition du cadre législatif permettant l’exécution de ce système. Au gré des
réformes et des évolutions de ce système, les FAF sont devenus organismes pari-
taires collecteurs agréés (OPCA) à compter de 1995. Ils doivent alors disposer d’un
agrément délivré par l’État et répondre à de nouvelles exigences notamment quant
à leur périmètre géographique d’intervention. Cette réforme fit passer le nombre
d’organismes collecteurs de 255 à 96. Les missions confiées à ces corps intermé-
diaires sont centrées sur la collecte de la contribution formation des entreprises et
le financement auprès des entreprises de la formation continue des salariés. Le
début du XXIe siècle porte son lot de réformes et fait émerger, dans le financement
de la formation professionnelle, des logiques plus affirmées de responsabilité de
l’individu dans la gestion de son parcours professionnel. Ainsi, après la création de
la VAE en 2002, la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au
long de la vie et au dialogue social installe plusieurs dispositifs centrés sur l’indi-
vidu (droit individuel à la formation, allocation sur la formation hors temps de tra-
vail, passeport formation...). Les OPCA sont confortés dans leur statut de « banque » 65
de la formation professionnelle continue tout en ouvrant progressivement leur
mission au soutien des démarches des personnes physiques (demandeurs d’em-

n° 227/2021-2
plois, salariés autonomes...).
Par la suite, la loi du 5 septembre 2018, dont on minore aujourd’hui la portée,
est venue redistribuer les cartes du fonctionnement de la formation professionnelle,
notamment avec les évolutions suivantes :

EDUCATION PERMANENTE
– levée des frontières entre formation professionnelle continue et formation profes-
sionnelle initiale, les opérateurs de compétences devenant « guichet unique » de
l’alternance ;
– monétisation et transfert de la gestion du compte personnel de formation à la
Caisse des dépôts et consignations afin de permettre un accès direct des individus
à l’offre de formation ;
– collecte de la contribution unique à la formation professionnelle et à l’alternance
par l’URSSAF à compter de 2022 ;
– suppression des fonds mutualisés pour le financement du plan de formation, de-
venu plan de développement des compétences, des entreprises de 50 à 299 salariés.
Dans ce contexte, les OPCA ont laissé place aux opérateurs de compétences
(OPCO), abandonnant au passage le terme et la fonction de « collecteur ». Cette
nouvelle dénomination n’affiche également plus la notion de paritarisme en
symbole d’un modèle qui recentre la place de l’État au sein de ce système. En effet,
ce dernier siège désormais au sein des OPCO et arbitre la répartition des fonds mis
à leur disposition à travers son action au sein de France Compétences. Les OPCO
ont également connu une redéfinition de leur périmètre d’intervention. Ils sont
mathieu carrier

désormais onze opérateurs et disposent chacun d’un secteur économique cohérent,


pensé pour faciliter la synergie entre branches professionnelles. Leur nouvelle
feuille de mission est construite autour de trois axes : l’appui aux entreprises et à
leurs salariés (conseil et financement), notamment par la mise à disposition de
services de proximité au bénéfice des TPE/PME, cible prioritaire dans l’accès des
salariés à la formation ; le financement et le développement de l’alternance ;
l’appui technique aux branches en matière de prospective, d’ingénierie pédago-
gique et de certification.
Ces éléments viennent ancrer un nouveau positionnement, qui valorise les
capacités de conseil des opérateurs de compétences et d’influenceur des stratégies
emploi-formation pouvant s’opérer de manière macro-économique par le soutien
aux branches professionnelles, et micro-économiques à travers l’action directe au
profit des entreprises. C’est d’ailleurs à ce titre d’acteur-relais que le législateur a
prévu de s’appuyer sur les opérateurs de compétences, d’une part pour assurer la
promotion de l’action de formation en situation de travail (AFEST), d’autre part
pour en faciliter l’appropriation par les entreprises dans un espoir de développe-
ment de l’efficience de la formation professionnelle. Dès lors, les opérateurs ont
66 déployé des efforts significatifs afin de faire connaître les principes de l’AFEST à
travers diverses publications (guides, plaquettes, vidéos...), rencontres, échanges
ou encore témoignages. Au-delà de cette première phase de sensibilisation, il a
n° 227/2021-2

toutefois été nécessaire de se pencher sur le cadre financier qui permettrait d’im-
pulser une dynamique favorable à une inscription durable de l’AFEST dans les
modalités pédagogiques mobilisées par les entreprises en faveur du développe-
ment des compétences des individus et de l’organisation dans son ensemble.
EDUCATION PERMANENTE

Le sens du financement de l’AFEST


Financer l’AFEST est un exercice qui pose plus de questions qu’on pourrait le
croire. En effet, pour les entreprises, sa mise en œuvre et sa réalisation sont un
processus plus complexe que la mobilisation d’une formation en présentiel de type
magistral. Un rapide état des lieux permet de se faire une idée de la diversité des
phases qui composent la mise en œuvre d’une AFEST :
– analyse préalable du travail, terreau indispensable à la croissance du projet ;
– ingénierie de formation qui transforme les compétences repérées en séquences
d’apprentissage adaptées au contexte de l’entreprise et au profil de l’apprenant ;
– mobilisation du formateur AFEST et du collectif de travail dont la posture est un
élément déterminant dans la réussite du projet ;
– temps de formation effectif de l’apprenant incluant les séquences réflexives qui
caractérisent l’AFEST ;
– dispositif d’évaluation qui permet notamment de mesurer l’acquisition effective
des compétences ;
mathieu carrier

– capitalisation de la démarche qui démontre les effets collatéraux de l’AFEST sur


l’organisation de l’entreprise.
Face à cette diversité, le financeur doit élucider au moins deux probléma-
tiques. D’abord, le choix des activités à soutenir, en faisant porter son attention sur
les étapes-clés concourant à la réussite d’un projet. Trois temps sont fondateurs
dans une démarche de formation en situation de travail : l’amont, qui permet de
construire et d’adapter la formation au regard de la singularité du contexte profes-
sionnel associé ; la réalisation, qui doit contenir les spécificités de l’AFEST (alter-
nance de séquences de travail apprenant et de séquences réflexives ; l’aval, qui
intègre l’évaluation des acquis justifiant le recours à cette modalité pédagogique.
À travers ses critères de prise en charge, le financeur se doit d’encourager le béné-
ficiaire à porter une attention significative à chacune de ces phases.
Le deuxième problème que rencontre le financeur est plus prosaïque ; il s’axe
sur la forme de financement proposée au bénéficiaire qui peut être de deux
natures : la mise en place d’un financement selon une unité d’œuvre (l’heure
stagiaire par exemple), afin de prendre en compte les caractéristiques de chaque
projet (durée, complexité...) ; le recours à une logique de forfait global permettant
de simplifier la lecture de ce financement et de ne pas s’appesantir sur les écarts 67
pouvant intervenir entre la projection initiale et la réalisation effective (variation de
la durée du projet, ajustement des séquences d’apprentissage...).

n° 227/2021-2
Longtemps, les financeurs ont transposé les principes régissant les relations
en entreprise dans le système de la formation professionnelle. Ainsi, le soutien
apporté tenait compte du temps de présence en formation défini en heures
stagiaire, unité d’œuvre à laquelle était appliqué un taux de prise en charge.

EDUCATION PERMANENTE
L’ensemble des mécaniques administratives et des systèmes d’information des
financeurs de la formation professionnelle a été fondé sur cette logique. Le déve-
loppement de la formation à distance est venu questionner ce principe puisque les
démarches asynchrones de formation ne permettaient plus un contrôle efficace du
temps passé en formation. Elles ont conduit les financeurs à élargir leurs modalités
de financement et à intégrer des logiques forfaitaires associées aux parcours de
formation. Au cours des dernières années, le législateur a également ouvert la défi-
nition de l’action de formation, et par extension du financement qui lui est associé,
avec notamment la reconnaissance de la prise en compte des actions de position-
nement et d’évaluation associées aux formations. Depuis la réforme de 2018, l’ac-
tion de formation se définit comme un parcours pédagogique permettant d’at-
teindre un objectif professionnel. Elle peut être réalisée en tout ou partie à distance.
Elle peut également être réalisée en situation de travail (article L6313-2 du Code
du travail). Cette définition élargie de l’action de formation autorise les financeurs
à appréhender de manière plus large la question du financement du développement
des compétences. Ce financement pourra d’ailleurs s’adapter selon le dispositif de
formation professionnelle mis en œuvre.
mathieu carrier

L’AFEST, modalité pédagogique


intégrée aux dispositifs de financement
Les financeurs, et plus particulièrement les OPCO, disposent de dispositifs de
prise en charge qui s’organisent selon la finalité de l’action et le public visé. Ces
dispositifs sont la cheville ouvrière de l’action du financeur. Il est intéressant d’ob-
server la manière dont ces dispositifs interagissent avec cette nouvelle modalité de
formation qu’est l’AFEST. Les principaux types de financement sont les suivants :
– le plan de développement des compétences, qui recense l’ensemble des actions
de formation mises en place par l’employeur pour ses salariés, dont certaines sont
obligatoires en application d’une convention internationale ou de dispositions
légales et réglementaires (article L 6321-2 du Code du travail) ;
– l’alternance, constituée par l’apprentissage (alternance entre enseignement théo-
rique, relevant de la formation initiale, en centre de formation d’apprentis ou en
organisme de formation et enseignement du métier chez l’employeur avec lequel
l’apprenti a conclu son contrat), d’une part, et par les actions de professionnalisa-
tion (contrat de professionnalisation-reconversion et promotion par l’alternance),
68 qui correspondent à un contrat de travail entre un employeur et un salarié. Elles
permettent l’acquisition d’une qualification professionnelle (diplôme, titre, certi-
ficat de qualification professionnelle...) reconnue par l’État et/ou par la branche
n° 227/2021-2

professionnelle, d’autre part.


Le plan de développement des compétences laisse une marge de manœuvre
importante pour permettre le financement de l’AFEST. Il n’existe pas ou peu de
contraintes relatives à la nature des actions visées dès lors qu’elles relèvent d’un
EDUCATION PERMANENTE

parcours pédagogique qui vise un objectif professionnel. La modalité du finance-


ment est également laissée à la main du financeur. La seule réserve pouvant être
émise tient dans la diminution des fonds disponibles sur ce dispositif depuis la
réforme de 2018 et la restriction de son accès aux entreprises de moins de
cinquante salariés. Pour contourner cet écueil, les branches professionnelles
peuvent mettre en place une contribution conventionnelle supplémentaire auprès
des entreprises afin de reconstituer une forme de plan de développement des
compétences pour les entreprises de cinquante salariés et plus, ou alimenter les
réserves disponibles pour les entreprises de moins de cinquante salariés.
L’apprentissage représente un dispositif plus singulier, qui dispose historique-
ment de sa propre réglementation compte tenu de son rattachement à la formation
professionnelle initiale. Aussi, l’action de formation en situation de travail et l’ac-
tion de formation par apprentissage correspondent à deux lignes distinctes dans le
Code du travail, et à deux lignes de financement différentes1. Elles ne peuvent pas

1. L’action de formation en apprentissage est décrite dans l’article L.6211-2 du Code du travail. L’action de forma-
tion en situation de travail est décrite dans l’article L. 6313-2.
mathieu carrier

être croisées dans le cadre des financements octroyés aux entreprises. Toutefois, les
principes pédagogiques de la FEST peuvent être mobilisés dans le cadre des phases
d’apprentissage encadré, afin de rendre l’alternance plus « intégrative » que la
simple juxtaposition des phases d’enseignement et des phases de mise en œuvre
des savoirs acquis.
Les actions de professionnalisation sont définies en tant qu’actions de forma-
tion. À ce titre, elles peuvent s’ouvrir à la modalité de FEST. Toutefois, un ques-
tionnement subsiste sur le positionnement de ces actions qui reposent sur l’alter-
nance entre les enseignements généraux, professionnels ou technologiques, et des
activités professionnelles en entreprise en lien avec la formation suivie. La nature
même de l’AFEST n’invite pas à une telle dichotomie. Le questionnement du ratta-
chement des actions AFEST mises en œuvre n’est pas neutre au regard des finan-
cements qui peuvent être octroyés mais également des obligations réglementaires
relatives aux actions de professionnalisation (durée minimum des enseignements
égale à 150 heures et a minima 15 % de la durée de l’action). La situation des
actions de professionnalisation, et notamment du contrat de professionnalisation,
demande une analyse juridique2 plus fine du cadre réglementaire de ce dispositif
de financement pour pouvoir identifier la manière dont l’AFEST pourrait s’inscrire 69
dans ce cadre.

n° 227/2021-2
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EDUCATION PERMANENTE
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2. Les éléments de cette analyse juridique ont été mis à disposition


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à l’emploi et à la formation professionnelle.

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Au regard de ces éléments, l’AFEST est compatible avec les actions de profes-
sionnalisation. Il conviendrait toutefois de la mobiliser en sus du socle minimal des
enseignements (150 heures et 15 % de la durée de l’action de professionnalisation).
Elle pourrait se positionner au niveau des heures d’évaluation et d’accompagne-
ment, et bénéficier à ce titre d’un financement dédié. Elle permettrait une forme
70 enrichie de l’alternance en complément des heures d’enseignement et des
« périodes d’acquisition d’un savoir-faire par l’exercice en entreprise d’une ou de
plusieurs activités professionnelles. »
n° 227/2021-2

Créer une dynamique en faveur de l’AFEST


Atlas s’est interrogé sur la manière d’assurer sa mission visant à « promouvoir
EDUCATION PERMANENTE

cette modalité de formation auprès des entreprises » (art. L. 6332-1.-I 5°). Les
lignes suivantes font état des partis pris retenus par l’opérateur de compétences.
Affirmer sa lecture et repositionner l’AFEST à sa juste place furent les
prémices de l’intervention d’Atlas. D’abord dans une logique interne afin de béné-
ficier du soutien de ses décideurs politiques et de faire adhérer ses conseillers
formation, qui sont des relais d’opinion auprès des entreprises. Ces acteurs, pour-
tant rompus à la formation professionnelle, ont pu manifester une défiance à
l’égard de l’AFEST souvent par méconnaissance parfois par crainte d’un mauvais
usage des financements ou d’une trop grande complexité. Il fut nécessaire de valo-
riser les situations professionnelles pour lesquelles l’AFEST pouvait constituer une
réponse adaptée, notamment les problématiques liées au transfert des compétences
des salariés expérimentés qui quittent l’entreprise, l’intégration et la formation des
nouveaux collaborateurs, jeunes ou moins jeunes, ou encore l’adaptation des
compétences dans des organisations et des emplois en constante transformation.
Dans un second temps, cette démarche de lecture éclairée sur l’AFEST s’est
adressée aux entreprises pour déconstruire des représentations associant formation
sur le tas et formation en situation de travail, ou encore pour écarter le fantasme
mathieu carrier

d’une manne financière nouvelle adossée à la mise en œuvre de formations en


situation de travail. Sur ces points, Atlas a affirmé l’intention pédagogique de
l’AFEST et la nécessité de recourir à un parcours pédagogique préétabli. L’OPCO a
également rappelé la nécessité d’inscrire l’AFEST dans les sources de financement
qui préexistaient à sa reconnaissance dans le droit du travail. De manière plus
surprenante, Atlas a parfois dû réfréner les initiatives de certaines entreprises
voyant dans l’AFEST une promesse qui apparaissait déraisonnable pour l’OPCO.
En effet, l’AFEST ne doit pas venir se substituer aux autres approches pédago-
giques existantes lorsque celles-ci offrent une réponse adaptée au besoin de montée
en compétences. Elle constitue une alternative lorsque la formation en présentiel ou
à distance ne permet pas une acquisition satisfaisante des compétences visées.
Pour définir les modalités d’accompagnement des entreprises, Atlas s’est
s’appuyé sur ses conseillers formation. Après les avoir formés, il les a positionnés
en tant qu’aiguilleurs du projet de l’entreprise. Ainsi, le conseiller accompagne ses
interlocuteurs dans la définition du projet jusqu’à la validation de l’opportunité et
la faisabilité de l’AFEST. Il peut également être associé à l’évaluation et la capita-
lisation de la démarche menée. Son intervention auprès de l’entreprise peut le
mobiliser à concurrence d’un jour et demi. Cette démarche s’inscrit dans la relation 71
de proximité entre l’OPCO et l’entreprise souhaitée par le législateur. Toutefois,
avec moins de cent conseillers formation et plus de cent mille entreprises à

n° 227/2021-2
adresser, le modèle pourrait être mis à mal en cas de recours massif des entreprises
à la formation en situation de travail. Pour prévenir un tel risque, l’OPCO s’évertue
à ne pas créer une relation de dépendance entre lui et l’entreprise sur ce sujet. À ce
titre, un outillage spécifique est mis à disposition : réunion d’information, manuel

EDUCATION PERMANENTE
de l’AFEST, outils de traçabilité de la démarche... Des actions de formation et des
certifications sont également en voie de finalisation pour permettre la montée en
compétences des acteurs internes (formateur, référent...). Enfin, les entreprises
s’appropriant pour la première fois une démarche AFEST peuvent mobiliser un
tiers facilitateur. Ces consultants soutiennent l’entreprise dans l’analyse des acti-
vités, l’élaboration d'un parcours prévisionnel, le positionnement de l’apprenant, la
scénarisation et planification des situations de travail formatives, l’accompagne-
ment à la mise en œuvre des séquences réflexives ou encore l’évaluation globale
de la démarche menée. L’ensemble de cette offre doit permettre de professionna-
liser l’entreprise et de développer progressivement une autonomie sur le pilotage
de l’AFEST.
Atlas a également mis en place des critères de prises en charge pour recon-
naître l’investissement des entreprises sur ces projets de formation. L’OPCO s’est
positionné en faveur d’une politique financière incitative afin de créer un effet
d’amorçage à l’égard de cette nouvelle modalité pédagogique. Les éléments
suivants sont arbitrés par chaque branche professionnelle qui demeure souveraine
dans l’usage des fonds de formation professionnelle mis à sa disposition :
mathieu carrier

– prestations d’appui conseil sur la mobilisation de l’AFEST (prise en charge des


six jours d’intervention d’un cabinet conseil dit « tiers facilitateur » à 80 % pour les
entreprises de moins de 50 salariés et 50 % pour les autres PME. Ces prestations
permettent de sécuriser l’ingénierie associée au projet AFEST et de faire monter en
compétences l’entreprise en vue d’une autonomie dans le cadre de futures AFEST) ;
– plan de développement des compétences ou conventionnelle de branche (mise en
place d’un forfait de 20 euros par heure de formation suivie par l’apprenant dans
le cadre de l’AFEST. Limitation de la durée (150 heures maximum). Ce finance-
ment permet une lecture claire de la prise en charge proposée et s’adapte à la durée
de l’action. Il s’inscrit dans les mécanismes de financement déjà en vigueur sur ce
dispositif) ;
– actions de professionnalisation (mise en place d’un forfait global de 500 euros
par action de professionnalisation intégrant l’AFEST dans le parcours pédagogique
proposé. Les heures mises en œuvre ne sont pas comptabilisées dans le seuil des
150 heures minimum d’enseignements généraux, techniques ou professionnels à
réaliser dans le cadre de l’action de professionnalisation. Ce financement au
forfait, innovant, n’est pas encore opérationnel et pose encore quelques questions
72 : valorisation de l’AFEST au sein du CERFA (comptabilisation ou non des heures
dans le projet de professionnalisation), articulation des financements au forfait
horaire des formations « classiques » et du forfait global AFEST...).
n° 227/2021-2

Atlas espère que cette valse en trois temps (une vision, un accompagnement
et une logique financière) permettra de répondre à la mission qui lui a été confiée.
EDUCATION PERMANENTE

La place de l’AFEST décidera-t-elle


du sort du financeur ?
S’il est trop tôt pour déterminer la réussite du financeur dans l’essor de
l’AFEST, il est indéniable que celle-ci a d’ores et déjà questionné le financeur sur
sa raison d’être et son organisation. En rompant avec la relation triangulaire histo-
rique (entreprise, organisme de formation, financeur), l’AFEST est venue ouvrir un
champ des possibles amenant parfois un sentiment de vertige et de désorientation.
Si le chemin parcouru fut riche d’enseignements, les solutions exposées dans les
précédentes lignes restent à ce jour un pari. Il s’agira d’évaluer à trois ans les résul-
tats obtenus en identifiant le volume d’entreprises s’étant approprié l’AFEST et la
qualité des parcours pédagogiques mis en œuvre dans ce cadre. Si le succès est au
rendez-vous, alors, ironiquement, le financeur n’aura sans doute plus qu’une place
réduite au sein de l’AFEST dont les entreprises se seront appropriées les méca-
nismes et identifieront les bénéfices de l’AFEST au point où il ne sera plus néces-
saire de prévoir une incitation financière pour initier ces actions. u
MARIE-HÉLÈNE DELOBBE

L’AFEST dans la branche


des services de l’automobile

Si la branche des services de l’automobile (SA) a souvent été précurseure dans


le champ de l’ingénierie de formation et de certification, elle fut plus hésitante à
s’engager dans l’AFEST. Alors que d’autres branches participaient, dès 2015, à
l’expérimentation initiée par la Délégation générale de l’emploi et de la formation
professionnelle (DGEFP), la branche des services de l’automobile attendit la
promulgation de la loi de 20181 autorisant sa reconnaissance légale pour investir ce
mode de formation. Elle a alors déployé sa propre expérimentation pour construire 73
les principes et les modalités de mise en œuvre de l’AFEST dans ses entreprises.
Dans l’environnement institutionnel spécifique de cette branche, au lende-

n° 227/2021-2
main de la réforme de 2018 caractérisé par la coprésence de l’Association nationale
pour la formation automobile (ANFA) et de l’opérateur de compétences Mobilités,
la construction de l’AFEST fut marquée par des questionnements, voire des remises
en cause. Après avoir présenté la branche, ses pratiques formatives et son organisa-

EDUCATION PERMANENTE
tion institutionnelle, nous décrirons le cheminement de la construction de cette
AFEST de branche dans la mouvance du contexte institutionnel puis sanitaire : l’in-
vestissement tardif dans cette modalité de formation, la rédaction d’un cahier des
charges à l’adresse des prestataires comme premier acte de cette élaboration, la
réalisation d’une expérimentation et l’évolution de ses objectifs au fur et à mesure
de son avancée, puis les interrogations posées par son déploiement.

La branche des services de l’automobile,


un terreau propice à l’AFEST
La branche des services de l’automobile réunit l’ensemble des entreprises
dont l’activité concerne le véhicule (automobile, véhicule industriel, moto, vélo)

MARIE-HÉLÈNE DELOBBE, chargée de missions à la direction de l’Association nationale pour la formation


automobile (delobbemh@anfa-auto.fr).
1. Loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel ».
marie-hélène delobbe

de sa sortie des usines de production jusqu’à sa démolition2. En 2017, elle comptait


141 855 entreprises, dont 96 % de moins de onze salariés. Les entreprises du
commerce et de la réparation automobile (CRA) – parmi elles les filiales, distribu-
teurs et réparateurs agréés, constructeurs ou importateurs – représentent plus de
73 % des entreprises de la branche3.

n La formation en situation de travail, une tradition


La branche des SA est ainsi majoritairement constituée d’entreprises artisa-
nales, qui partagent une culture de métier, lequel s’apprend en travaillant et se
transmet d’homme à homme sur le lieu de travail (Zarka, 1986), où l’artisan est « le
formateur de sa main-d’œuvre avant d’être l’employeur » (Jaeger 1982) et où
l’adulte expérimenté transmet à l’apprenti adolescent. Ne dérogeant pas à ces
caractéristiques, les entreprises des SA déploient diverses formes de pratiques
formatives. Elles recourent de longue date à la formation par apprentissage, mode
de formation traditionnel au métier dans l’artisanat. Les entreprises du CRA, en
particulier, mettent en œuvre différentes modalités de formation formelle ou in-
74 formelle. Avec l’essor de l’électronique puis du numérique dans les véhicules, l’oc-
troi d’un panneau de marque est soumis à la présence dans l’atelier de « techniciens
experts » formés directement par le constructeur dont ils sont l’interface. En charge
n° 227/2021-2

des pannes complexes, ils jouent auprès de leurs collègues le rôle de référent tech-
nique, les faisant ainsi bénéficier de la formation qu’ils ont reçue. La pratique
consistant à organiser le retour à l’équipe de travail, par un compagnon parti en
formation, du contenu de celle-ci, s’observe fréquemment dans les ateliers, qu’ils
EDUCATION PERMANENTE

soient ou non affiliés à un réseau constructeur. Diverses formes d’entraide existent


également en cas de difficultés rencontrées par l’un des collègues dans l’exercice
de son activité.
Dans les métiers de la carrosserie-peinture, où l’expérience du geste est
primordiale, le Groupement national de la formation automobile (GNFA), orga-
nisme de formation de la branche, prenant conscience des limites de la formation
exclusive en centre, a développé des formations sur poste de travail. Elles permet-
taient de répondre aux difficultés du départ en formation dans les petites structures
et de prendre appui sur les pratiques de chacune d’entre elles.

2. Elle est constituée des secteurs d’activités suivants : commerce et réparation auto, véhicules industriels, moto,
cycles ; carrosserie ; dépannage remorquage ; contrôle technique ; commerce de carburant ; commerce d’équi-
pements automobile ; écoles de conduite ; location de courte et de longue durée ; démolition/recyclage ; parcs de
stationnement ; stations de lavage.
3. Données sociales de la branche des services de l’automobile, édition 2019.
marie-hélène delobbe

n Une organisation bicéphale de la formation


L’existence historique de l’ANFA témoigne de l’investissement des secteurs
professionnels qui la concernent, pour organiser la formation, moyen pour eux de
s’adapter en permanence et collectivement aux incessantes et rapides transforma-
tions du produit et du marché automobile.
Créée par les organisations professionnelles en 1952, l’ANFA collecte auprès
des entreprises et gère, dès avant sa création et au gré de l’évolution de la législa-
tion, divers fonds destinés au financement de la formation aux métiers des SA : une
taxe parafiscale puis fiscale consacrée au financement de la formation des jeunes
et plus spécifiquement aux centres de formation d’apprentis ; la taxe d’apprentis-
sage puis, en devenant organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) en 1995, les
fonds de la formation professionnelle. Au-delà de ces contributions légales, la
branche s’est dotée, dès la fin des années 1980, d’une contribution conventionnelle
pour favoriser le développement de sa politique de formation. La mission de
l’ANFA de collecte et de gestion des fonds de la formation s’est interrompue avec
la loi de 2018 et son corollaire, la création des OPCO. Aux côtés de vingt-et-une
autres branches, la branche des SA relève de l’OPCO Mobilités. Désormais, sur 75
mandat de la Commission paritaire nationale (CPN) composée des organisations
patronales4 et syndicales5 représentatives de la branche, l’ANFA, financée par la

n° 227/2021-2
taxe fiscale est chargée du développement de dispositifs de formation de branche
tandis qu’avec son conseil des métiers des SA6, l’OPCO Mobilités assure le finan-
cement des actions de formation et le service de proximité auprès des entreprises.

EDUCATION PERMANENTE
n L’ingénierie de formation, une expertise à l’ANFA
Avec l’évolution de la législation en matière de formation professionnelle, la
mission première de collecte et de financement de l’ANFA s’est progressivement
enrichie d’autres missions, et particulièrement d’une mission d’ingénierie pédago-
gique et de formation qui s’est traduite par l’élaboration et la mise en œuvre de
divers dispositifs de formation et de certification de branche.
Deux dispositifs nous intéressent plus spécifiquement ici qui visent l’accom-
pagnement de la formation des jeunes par le travail, tant, on l’a vu, les entreprises
de la branche recourent de manière importante à l’alternance : la formation des
maîtres d’apprentissage et des tuteurs ; la « charte entreprise formatrice ».
4. Conseil national des professions de l’automobile, Fédération nationale de l’artisanat de l’automobile, Alliance
des services aux véhicules.
5. Fédération de la métallurgie, Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres,
Confédération française des travailleurs chrétiens des syndicats de la métallurgie ; Fédération générale des mines
et de la métallurgie-Confédération française démocratique du Travail ; Fédération confédérée Force ouvrière de
la métallurgie ; Fédération des travailleurs de la métallurgie-Confédération générale des travailleurs.
6. Constitué de représentants des mêmes organisations que la CPN.
marie-hélène delobbe

Dès 1992, un accord national paritaire de branche7 prévoyait le déploiement


de formations des maîtres d’apprentissage et des tuteurs pour accompagner l’orga-
nisation et la mise en œuvre de la fonction tutorale dans l’entreprise, dont l’ANFA
assurait et assure toujours l’ingénierie. Plus récemment, l’ANFA a proposé le
dispositif « charte entreprise formatrice » grâce auquel l’entreprise s’engage à
améliorer l’accueil et la formation des jeunes alternants. En retour, elle reçoit,
selon ses besoins, l’appui d’un intervenant dans ses pratiques de recrutement, d’in-
tégration, de développement des compétences ou de fidélisation des jeunes. La
charte formalise cet engagement dont elle peut se prévaloir et valoriser ainsi ses
actions formatives.
La configuration de la branche des SA et son organisation institutionnelle
constituent les éléments de contexte dans lequel se met en œuvre l’AFEST : une
majorité d’entreprises artisanales où se déploient diverses formes de pratiques
formatives et où le départ en formation externe impacte rapidement l’activité ; la
coprésence de l’ANFA dotée d’une réelle expertise en ingénierie de la formation et
de l’OPCO, en charge du service de proximité auprès des entreprises.

76
La construction progressive d’une AFEST de branche
Forts de ces éléments de contexte, auxquels s’est ajoutée la crise sanitaire,
n° 227/2021-2

nous allons décrire la manière dont la branche a progressivement investi l’AFEST


et cherche à construire une AFEST à l’adresse des petites structures qui la consti-
tuent en majorité, inscrite dans leurs pratiques de professionnalisation et répondant
à leurs besoins en compétences.
EDUCATION PERMANENTE

n Un investissement tardif
Si la mise en œuvre de la politique de branche en matière de formation des
jeunes était historiquement assurée par l’ANFA, la formation continue était plutôt
l’apanage du GNFA. L’ANFA, alors OPCA, assurait essentiellement dans ce domaine
un rôle de financeur, même si les réformes successives de la formation à partir de
2004 la conduisirent à s’occuper toujours davantage d’ingénierie en matière de
formation continue. Le GNFA cherchait à faire financer par l’ANFA les formations
sur poste de travail qu’il commençait à déployer chez les carrossiers. L’ANFA
n’accordait qu’avec parcimonie ses financements, non sans s’être assurée au pré-
alable que la séparation de l’acte de formation et de l’acte de production soit scru-
puleusement respectée. Elle marquait ainsi son attachement à la définition légale de
l’action de formation prévalant dans le code du travail avant la loi de 2018.

7. Accord relatif à la « promotion des premières formations technologiques et professionnelles ».


marie-hélène delobbe

Cette position, conjuguée à la mobilisation importante des entreprises autour


de l’alternance, des formations constructeurs et des formations aux nouvelles tech-
nologies qui laissait finalement peu de disponibilités budgétaires pour la réalisation
d’autres types d’actions, conduisit l’ANFA à ne pas participer à l’expérimentation
AFEST lancée par la DGEFP en 2015. La branche des SA ne commença à s’inté-
resser à ce mode de formation qu’après la loi sur l’avenir professionnel lui accor-
dant une reconnaissance légale. Cette loi considérait désormais l’action de forma-
tion comme « un parcours pédagogique permettant d’atteindre un objectif profes-
sionnel » susceptible, en particulier, d’être réalisée en situation de travail. L’ANFA
allait se saisir de l’AFEST d’abord à partir de la question de son financement.

n Un cahier des charges pour le financement de l’AFEST


La réforme de 2018 amena l’ANFA, dans son rôle d’OPCA, à réserver une
enveloppe budgétaire pour le financement de l’AFEST. Pour être financée, une
AFEST devait répondre à des conditions de mise en œuvre fixées par décret8 sur la
base desquelles l’ANFA créa un cahier des charges permettant à l’entreprise,
accompagnée éventuellement d’un tiers facilitateur9, de décrire son projet de 77
formation pour le soumettre à accord de financement. Inspiré de la didactique
professionnelle, ce cahier des charges insistait particulièrement sur l’identification

n° 227/2021-2
des situations de travail et sur leur aménagement éventuel pour favoriser leur
potentiel d’apprentissage. Validé par la majorité des partenaires sociaux de la
branche, il fit l’objet d’une opposition de la part de la CGT10 et d’un accueil plutôt
réservé de la part de la FNA11. L’organisation salariale et l’organisation patronale

EDUCATION PERMANENTE
craignaient toutes deux des conditions de formation dégradées, la première par
non-respect, par les entreprises, des exigences réglementaires, la seconde par
manque de disponibilités au sein de ces dernières pour accompagner l’apprenant.
Ces réserves trouvaient finalement écho dans les conclusions de l’expérimen-
tation conduite par la DGEFP qui mettaient en évidence l’importance des condi-
tions d’organisation des apprentissages au sein des entreprises : analyse des situa-
tions de travail support et objet des apprentissages ; structuration d’un parcours de
formation alternant apprentissage formel en situation productive et séquences
réflexives ; mise en place de pratiques d’évaluation ; implication de la commu-
nauté de travail.

8. Cf. article 1 du décret n° 2018-1341 du 28 décembre 2018.


9. Il s’agit de la ou des personnes, le plus souvent extérieure(s) à l’entreprise, qui va ou vont aider à la mise en place
de l’AFEST.
10. Voir note 5.
11. Voir note 4.
marie-hélène delobbe

La nécessité d’une expérimentation


La réalisation de l’AFEST, particulièrement dans les entreprises de petite
taille, n’allait donc pas de soi. L’intervention d’un tiers facilitateur doté de compé-
tences en analyse du travail, ingénierie de formation, voire sociologie des organi-
sations, apparaissait incontournable. Le montant du financement fixé alors ne
permettait pas un accompagnement par un professionnel. Aussi l’ANFA envisagea-
t-elle de former ses conseillers, chargés de la relation avec les entreprises, à assurer,
en partie au moins, cette fonction de tiers. Il lui fallait également préciser les carac-
téristiques de l’AFEST dans la branche. C’est avec cette double exigence qu’elle
décida de mener une expérimentation. Elle coordonna et finança l’intervention de
consultants tiers facilitateurs avec lesquels elle avait conclu un « marché passé
selon une procédure adaptée ». Les conseillers ANFA, devenus conseillers OPCO,
assuraient la promotion de l’AFEST auprès des entreprises et le suivi de sa mise en
œuvre auprès de celles qui s’y engageaient. Celles-ci devaient recevoir de la part
de l’OPCO un défraiement du temps passé en formation. ANFA et OPCO Mobilités
étaient ainsi, ensemble, parties prenantes du dispositif expérimental.
78 Déployé dans chacune des dix délégations régionales en charge des secteurs
constitutifs de la branche des SA que compte l’OPCO Mobilités, ce dispositif allait
se dérouler en deux phases. Au cours de la première, au sein d’une entreprise iden-
n° 227/2021-2

tifiée par la délégation régionale de l’OPCO Mobilités, le consultant « tiers facili-


tateur » devait accompagner la mise en œuvre de l’AFEST dans ses différentes
dimensions et former le formateur salarié. Il devait être accompagné d’un
conseiller OPCO en posture d’observateur participant. Lors de la deuxième phase,
EDUCATION PERMANENTE

le conseiller devenait à son tour « tiers facilitateur » auprès d’une nouvelle entre-
prise supervisé par le consultant qui gardait toutefois à son entière charge, la
formation du formateur AFEST.
La crise sanitaire allongea la durée de l’expérimentation envisagée sur une
année. Le travail de prospection des entreprises par les conseillers OPCO fut
entravé par le confinement et rares ont été les entreprises bénéficiaires qui accep-
tèrent la réalisation de séquences d’accompagnement à distance. À ce jour, la
première phase est quasiment terminée sur l’ensemble du territoire tandis que la
deuxième n’a démarré que sur quelques régions. Les entreprises concernées par la
première phase relevaient, fruit du hasard, de secteurs d’activités diversifiés12,
témoignant d’un intérêt pour l’AFEST indépendamment du métier exercé. Plus de
la moitié appartenaient au secteur du CRA, dont on a déjà évoqué les tradition-
nelles pratiques formatives. L’AFEST fut mobilisée à l’adresse de nouveaux
entrants, ou de salariés déjà en poste pour favoriser la polyvalence, précieuse dans
les petites structures, ou pour soutenir une reconversion interne.

12. Voir note 2.


marie-hélène delobbe

Le travail d’ingénierie réalisé par les consultants fut important. Il s’agissait


pour eux de comprendre le contexte de l’entreprise, son histoire, ses pratiques de
travail, afin d’inscrire l’action au plus près de ces réalités. Ils réalisaient l’analyse
du travail permettant de circonscrire avec précision les compétences visées par
l’AFEST, d’identifier et d’aménager les situations de travail, de construire le
parcours pédagogique et ses modalités d’évaluation. Ils organisaient enfin la traça-
bilité de l’action, comme le prévoient les termes du décret13. Ce travail d’ingénierie
fut le plus souvent objet d’une mobilisation collective dans l’entreprise dans lequel
s’impliquaient non seulement le formateur AFEST mais également la direction de
l’entreprise, d’autres salariés voire l’apprenant lui-même. Outre le fait qu’il consti-
tuait, pour ces acteurs, un acte formatif en soi, partie prenante du processus d’ap-
prentissage du bénéficiaire de l’AFEST, il était l’occasion pour eux de montrer et
de parler leur travail, de valoriser leurs activités.
La fonction tutorale pouvait être assurée par une seule personne ou répartie
entre celle qui formait en situation de production et celle en charge de la conduite
des séquences réflexives.
Les entreprises ont perçu l’efficacité de ce mode de formation démontrée par
l’évaluation des acquis, tout en considérant que sa mise en œuvre n’allait pas de soi 79
et nécessitait une réorganisation des apprentissages à partir des caractéristiques de
l’entreprise et de la singularité de l’apprenant. Même si elles jugeaient parfois ce

n° 227/2021-2
travail un peu lourd, elles espéraient le réinvestir en autonomie à d’autres occa-
sions pour formaliser et outiller leurs pratiques formatives, formelles ou infor-
melles, ou déployer de nouvelles AFEST.
S’est posée alors, à l’issue de la première phase de l’expérimentation, la ques-

EDUCATION PERMANENTE
tion du financement par l’OPCO du temps consacré par l’entreprise à l’ingénierie
de l’action. Le financement de l’AFEST doit-il seulement porter sur le temps
consacré à la transmission de ses compétences par le formateur AFEST au bénéfi-
ciaire apprenant ou doit-il intégrer également ce temps passé par les acteurs de
l’entreprise à rendre l’action possible dans le contexte qui est le leur ?
Si la première phase a respecté le schéma initial, il n’en est pas de même de
la seconde. La construction, par l’OPCO Mobilités, de sa politique en matière
d’AFEST a obligé l’ANFA à modifier, en cours de route, les objectifs de l’expéri-
mentation. L’OPCO s’attacha assez rapidement à préciser les modalités de finance-
ment de l’AFEST. Il distinguait l’AFEST ouverte à l’ensemble des affiliés de ses
vingt-deux branches financée par les contributions légales des entreprises à la
formation professionnelle, de l’AFEST dans la branche des SA susceptible de béné-
ficier d’un financement complémentaire grâce à la contribution conventionnelle
dont s’acquittaient spécifiquement ses entreprises. L’ANFA devait donc désormais
penser l’AFEST de branche dans sa complémentarité avec l’AFEST communément

13. Voir note 8.


marie-hélène delobbe

appelée de « droit commun ». Par ailleurs, l’OPCO ne souhaitait plus confier à ses
conseillers le rôle de tiers facilitateurs en lieu et place des consultants, comme ce
fut envisagé au démarrage de l’expérimentation, l’étendue de leurs missions ne
leur en laissant pas le loisir. La formation des conseillers à ce rôle de tiers facilita-
teur dans le cadre de l’expérimentation fut abandonnée.
L’ANFA rédigea alors une note à l’attention du conseil des métiers SA de
l’OPCO précisant, dans ce nouveau contexte, les conditions de mise en œuvre de
l’AFEST. La note détaillait les critères d’éligibilité des projets de formation à
l’AFEST de branche. Il s’agissait de garantir l’existence, au sein de l’entreprise,
d’un réel projet de développement des compétences pour lequel l’AFEST consti-
tuait la modalité de formation la plus adaptée, s’appuyant sur des ressources
humaines, techniques et pédagogiques internes avec en particulier le recours à un
formateur salarié et ce, afin d’y installer des pratiques formatives « durables ». Elle
proposait de rendre obligatoire l’intervention d’un consultant tiers facilitateurs
pour accompagner l’entreprise et tout particulièrement le formateur salarié à orga-
niser le processus d’apprentissage afin de construire une action au plus près des
réalités du terrain, dans le respect des conditions règlementaires. Cet accompagne-
80 ment, visant l’autonomie des acteurs de l’entreprise pour la mise en œuvre
d’AFEST futures, relevait finalement d’une AFEST à trois niveaux : celui de l’ap-
prenant directement concerné par l’action, celui de son formateur/tuteur et, plus
n° 227/2021-2

largement, celui de l’entreprise dans ses fonctionnements organisationnels et


collectifs.
Les propositions contenues dans la note ont été retenues par les partenaires
sociaux, membres du conseil des métiers SA de l’OPCO Mobilités. L’établissement
EDUCATION PERMANENTE

de cette note aboutit à la disparition du cahier des charges initial à l’initiative de


l’ANFA qui allait céder totalement, après l’expérimentation, son rôle de financeur
à l’OPCO.
Quelle que soit la branche dont elle relève, l’entreprise souhaitant mettre en
œuvre une AFEST doit désormais, pour bénéficier des financements dits de « droit
commun », renseigner le « protocole » établi par l’OPCO. Si le cahier des charges
de l’ANFA visait une présentation du projet de formation de l’entreprise jalonnée
par les conditions réglementaires, et particulièrement le potentiel d’apprentissage
des situations de travail, le « protocole », lui, s’attache à la description précise et
concrète, en des termes pédagogiques, de l’action. Les conseillers ou chargés de
mission de l’OPCO peuvent aider l’entreprise à renseigner ce document. Ils ont
reçu, organisée par l’OPCO, une formation leur permettant de remplir cette tâche.
Les entreprises des services de l’automobile bénéficient, elles, de l’intervention
d’un consultant pour ancrer l’action dans la réalité de l’entreprise et de ses salariés.
La deuxième phase de l’expérimentation a dorénavant pour objectif de mettre
en œuvre les recommandations contenues dans la note pour les amender à son
marie-hélène delobbe

issue si nécessaire. Elle doit permettre d’apprécier la manière dont peut s’articuler
l’intervention des conseillers ou chargés de missions de l’OPCO avec celle des
consultants. Il s’agira, pour ces derniers, de sortir de la dimension procédurale
inhérente au document administratif et de la tâche dans son aspect prescrit. Ils vont
devoir mettre en relation le langage pédagogique avec celui du travail, fait de
problèmes, de débrouillardise et de techniques.

Les conditions de mise en œuvre de l’AFEST


dans la branche
Même si l’expérimentation n’est pas arrivée à son terme, nous entrevoyons
dès à présent, dans le contexte spécifique de la branche des services de l’auto-
mobile, les conditions de mise en œuvre d’actions de formation mobilisant
l’AFEST, éventuellement conjuguée à d’autres modalités de formation, inscrites
dans l’histoire des pratiques professionnalisante du secteur et la réalité du travail
de ses entreprises.
La coopération entre l’ANFA, dans son rôle de concepteur, et de l’OPCO
Mobilités, dans son rôle de promoteur et de financeur, doit se poursuivre, prenant 81
en considération leurs enjeux respectifs. La première cherche à construire une
AFEST qui vise à la fois la sécurisation des conditions de formation des salariés et

n° 227/2021-2
la mise en place, dans les entreprises, de processus d’apprentissage structurés et si
possible pérennes, affirmant ainsi la singularité de la branche. Le second, lui, tout
en soutenant cette approche, doit garantir la cohérence et l’équité entre ses vingt-
deux branches dont l’histoire et les pratiques formatives peuvent diverger.

EDUCATION PERMANENTE
L’OPCO devra financer la prestation des consultants assurée, pendant l’expé-
rimentation, par l’ANFA qui les a choisis sur la base de critères bien définis. Avec
la libéralisation du marché de la formation renforcée par la loi de 2018, le choix
des consultants doit relever des entreprises bénéficiaires. Face à une offre de pres-
tations dans le champ de l’AFEST portée par des acteurs dont les compétences
s’éloignent parfois de celles énoncées plus haut, comment les entreprises artisa-
nales vont-elles faire leur choix ? Comment OPCO et ANFA s’organiseront-ils pour
garantir des prestations conformes aux orientations de la branche ?
La formalisation de leur projet par les entreprises requiert un accompagne-
ment pas à pas nécessitant une coopération étroite entre acteurs de l’OPCO et
consultants tant le passage à l’écrit peut être perçu par les entreprises comme une
obligation administrative sans rapport avec de réelles pratiques formatives. Nous
avons évoqué plus haut, l’intérêt qu’il y aurait à financer le temps passé par les
entreprises à ce travail d’ingénierie.
marie-hélène delobbe

*
Nous avons tenté de montrer en quoi l’AFEST met en jeu diverses approches
de la formation professionnalisante (alternance, stratégie de formation des
constructeurs pour leur réseau, pratiques des petites entreprises), des questions
institutionnelles, des enjeux financiers et commerciaux. C’est en jouant de ces
différents leviers, voire de ces divers obstacles, qu’une branche professionnelle,
investie depuis toujours dans la formation, cherche à construire une AFEST de
qualité, répondant aux enjeux de formation de ses entreprises et permettant à ses
salariés de développer leurs compétences dans un environnement de travail appre-
nant. u

Bibliographie

JAEGER, C. 1982. Artisanat et capitalisme. L’envers de la roue de l’histoire. Paris, Payot.


MAYEN, P ; GAGNEUR, C.-A. 2017. « Le potentiel d’apprentissage des situations, une perspective
82 pour la conception de formations en situation de travail ». Recherche en éducation. N° 28,
p. 70-83.
n° 227/2021-2

ZARCA, B. 1986. L’artisanat français, du métier traditionnel au groupe social. Paris, Economica.
EDUCATION PERMANENTE
CATHERINE BISSEY

Travail et formation :
un accord retrouvé ?

Le lien entre travail et formation ne va pas de soi. À l’examen, l’adage selon


lequel « c’est en forgeant qu’on devient forgeron » ne résiste pas, et c’est bien
souvent loin de la forge que nous avons appris à forger ! Par quel mystère le lieu
du travail, admis par tous comme lieu principal de la formation au métier, lui est-
il devenu plus ou moins étranger ? Quoique difficilement sécables en apparence,
travail et formation cohabitent de temps à autre mais ne parviennent pas à fusion-
ner. La formation en situation de travail va-t-elle réconcilier ce qui, à nos yeux, 83
devrait être inséparable ?
Nous souhaitons tenter d’éclairer ce qui rassemble et désunit ces deux objets,

n° 227/2021-2
concepts et modes d’agir, à partir de quelques textes et témoignages. Notre propos
vise principalement la formation professionnelle continue. Néanmoins, nous
évoquerons le statut de l’apprentissage puisque des textes y afférant contribuent à
expliquer cette relation d’apposition-opposition. Nous examinerons ensuite le

EducATIoN PERmANENTE
caractère paradoxal du défi lancé aux acteurs du travail et de la formation par le
législateur, via l’AFEST1, ainsi que les hypothèses à partir desquelles il nous paraît
pertinent de consolider les liens retrouvés entre travail et formation.

Itinéraire d’un rapprochement


Le principe d’une éducation qui passe par la maîtrise lente et itérative de
savoir-faire et de savoirs pratiques est un archétype éducatif au XVIIIe siècle,
parfaitement traduit par Jean-Jacques Rousseau (1762) : « Nous ne sommes pas
seulement apprentis ouvriers, nous sommes apprentis hommes [...] Prendrons-nous
un maître de rabot une heure par jour, comme on prend un maître à danser ? Non,
nous ne serions pas des apprentis, mais des disciples ; et notre ambition n’est pas

CATHERINE BISSEY, directrice recherche et développement à l’OPCO des entreprises de proximité, cher-
cheure au laboratoire M-Lab Paris Dauphine, UMR CNRS 7088 (catherine.bissey@opcoep.fr).
1. AFEST ou FEST, nous utiliserons les deux appellations : AFEST pour désigner l’action reconnue par la loi de 2018,
FEST pour désigner l’action réelle menée dans les entreprises.
catherine bissey

tant d’apprendre la menuiserie que de nous élever à l’état de menuisier. ». Le


modèle du « maître », dont on apprend les gestes et l’art de faire et dont on copie
le mode de vie, est une représentation partagée. Pourtant, des témoignages signa-
lent qu’avant la Révolution, l’apprentissage, étroitement lié aux corporations, reste
trop souvent le moyen dont dispose le maître pour faire travailler le jeune débutant
à un coût moindre que celui accordé à un travailleur confirmé et, dans le meilleur
des cas, l’instruire incidemment sur les règles de son art. certains textes évoquent
même le caractère asservissant de l’apprentissage, peu favorable à l’acquisition et
à la maîtrise d’un métier. L’atelier y est décrit comme un lieu où, plutôt qu’ap-
prendre, l’enfant est au service des ouvriers. L’apprentissage disparaît quasiment
en février 1776, quand les communautés d’arts et métiers sont supprimées par
Turgot, ministre libéral hostile au principe du monopole, puis est finalement
« aboli » en 1791 par la loi Le chapelier, en même temps que les corporations.

L’enseignement technique, un premier pas


La pratique perdure néanmoins. dans les textes, le statut d’apprenti n’existe
84 pas ; dans les faits, le placement de jeunes gens auprès d’artisans ou de commer-
çants se poursuit. La boutique et l’atelier ne sont toujours pas les lieux de forma-
tion qu’ils devraient être : « L’enfant s’imaginait tout naturellement qu’en retour
n° 227/2021-2

des corvées qu’il fait au dehors comme au dedans de l’atelier, on lui devait au
moins de lui expliquer les procédés du métier qu’il doit apprendre ; et on le laisse
parfaitement ignorant de ces procédés. Il est moins élève que garçon d’atelier,
constamment occupé soit aux commissions soit à des travaux grossiers et si
EducATIoN PERmANENTE

élémentaires que son intelligence n’a presque rien à y voir » (corbon, 1859).
Pour prévenir cette situation, la loi du 22 février 1851 tente d’imposer un
contrat écrit et de définir des normes pour la formation et les obligations réci-
proques du maître et de l’apprenti : « Le contrat d’apprentissage est celui par lequel
un fabricant, un chef d’atelier ou un ouvrier s’oblige à enseigner la pratique de sa
profession à une autre personne qui s’oblige, en retour, à travailler pour lui ; le tout
à des conditions et pendant un temps convenu. » Le législateur y définit la forma-
tion mise en œuvre au sein de l’entreprise comme un « enseignement de la pra-
tique ». cette juxtaposition pourrait s’entendre comme une injonction paradoxale.
Force est de constater que le succès de la loi est faible. c’est alors qu’émerge
un mouvement, porté par des entrepreneurs libéraux, en faveur d’un enseignement
technique capable d’accueillir en son sein à la fois l’atelier et l’école. car bien que
la complémentarité de l’enseignement pratique et de l’enseignement théorique soit
jugée nécessaire, elle n’est envisagée qu’au sein de l’école. « c’est avant la mise
en apprentissage qu’il faudrait agir sur ces natures-là et sur toutes les natures, en
leur offrant un enseignement tout à la fois théorique et pratique [...] mais comment
catherine bissey

réaliser cette idée du double enseignement, c’est-à-dire comment faire que l’école
soit en même temps un atelier ? » (corbon, 1859). Le postulat qui fonde le principe
selon lequel l’école doit accueillir l’atelier – et non l’inverse – est que l’enfance,
trop tôt confrontée aux contraintes et aux difficultés du monde des adultes et du
travail, ne peut en comprendre et en maîtriser les codes : « Voici le problème qu’il
faudrait pouvoir résoudre en faveur des populations industrielles particulièrement :
faire que les enfants s’habituent le plus tôt possible au travail de la main, et les
placer le plus tard possible dans les ateliers. ce problème ne peut être résolu que
par la création de nombreuses écoles professionnelles » (ibid.). c’est donc à l’école
qu’on apprendra le travail.
La loi du 11 décembre 1880 confirme cette montée en puissance de l’ensei-
gnement technique, en créant les écoles d’apprentissage. Leur conseil d’adminis-
tration est placé sous la responsabilité du ministre de l’Instruction publique ou de
celui du commerce et de l’Industrie, et il compte des représentants du monde
industriel ou commercial. Ainsi l’entreprise contribue-t-elle, au moins à titre
symbolique, à la formation des débutants.
désormais titulaires d’un contrat écrit, les apprentis restent rares, et le monde
industriel naissant peine à recruter les jeunes professionnels que patrons et ouvriers 85
s’accordent à vouloir former sur le lieu même du travail, comme en témoigne Paul
delesalle, l’un des représentants de la confédération générale du travail : « c’est

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à l’atelier, au chantier, à l’usine, sur le terrain même de la production moderne, au
milieu des progrès de chaque jour, que l’ouvrier de demain peut apprendre le
métier qui le fera vivre ou qui lui permettra d’apporter sa somme de labeur à la
collectivité émancipée » (Buisson, 1911). Par ces mots, le syndicaliste affirme la

EducATIoN PERmANENTE
nécessité du lien presque constant entre travail et formation, ainsi que le caractère
itératif de l’apprentissage.
c’est finalement en juillet 1919 que la loi Astier pose les bases d’un ensei-
gnement professionnel et instaure des cours obligatoires, gratuits, pour les
apprentis : cent-cinquante heures d’enseignement théorique et général par an.
L’enseignement délivré débouche sur le certificat d’aptitude professionnelle
(cAP). Le système de formation propose désormais deux modèles : le premier à
temps plein, à l’école ; le second en alternance, avec l’entreprise.
Le travail n’a néanmoins pas encore tout à fait gagné ses galons : la direction
de l’Enseignement technique est confiée au seul ministère de l’Instruction publi-
que. L’école reste maître du jeu ! Le travail peine à trouver une place, un statut, une
représentation partagée entre industrialisation montante et nostalgie du savoir-faire
artisanal. dans ce contexte, l’apprentissage reste une figure du passé. Formation et
travail ont encore du chemin à parcourir pour se rencontrer.
catherine bissey

La formation continue, un lien pérenne


Sautons un demi-siècle. Nous sommes en 1968, ouvriers et étudiants sont
dans la rue. La France de de Gaulle est en train de changer. L’une des questions
posées est celle relative à l’égalité des chances pour tous. La société est interpelée
pour gérer les écarts d’éducation entre les enfants issus de la classe ouvrière et ceux
issus de la classe moyenne : l’ambition d’une école de la deuxième chance est en
train d’émerger. c’est aux acteurs du travail qu’est confiée cette mission : à la suite
des accords de Grenelle, les partenaires sociaux s’entendent pour poser les pre-
mières pierres de « l’organisation de la formation professionnelle continue dans le
cadre de l’éducation permanente ». La formation professionnelle devient un enjeu
national, inscrit dans la loi fondatrice de 1971, dite loi delors, dont les principes
figurent encore au code du travail.
La loi oblige désormais les entreprises à contribuer au financement de la
formation des travailleurs. Elle instaure néanmoins en règle que « la formation est
en principe dispensée dans des locaux distincts des lieux de travail2 ». L’entreprise,
parce qu’elle lie le salarié à l’employeur par un contrat de subordination, est jugée
86 non favorable à la formation professionnelle qui, par construction, contribue à
l’autonomie, voire émancipe. La formation professionnelle est devenue un droit
pour tous, mais l’espace dévolu au travail n’y est pas propice. Au point que, lors-
n° 227/2021-2

que son caractère pratique nécessite que la formation soit conduite au sein de l’en-
treprise, le texte prescrit qu’elle se déroule « conformément à un programme établi
en fonction d’objectifs préalablement déterminés. ce programme précise les
moyens pédagogiques et d’encadrement mis en œuvre3 ». Au final, le pas franchi
EducATIoN PERmANENTE

n’est pas si grand : l’école peut, le cas échéant, entrer à l’usine, dans l’atelier ou la
boutique, à condition d’appliquer ses propres règles, codes et usages, modes de
penser et de faire... Tant pis si le travail ne s’y retrouve pas, tant pis s’il ne parle
pas la langue des pédagogues.
Paradoxalement, dans le même temps, la loi instaure la validation des acquis
professionnels4 et admet ainsi formellement que le lieu où le travail s’exerce est
aussi celui où s’acquièrent les compétences, y compris celles constitutives d’une
certification jusque-là délivrée par l’école exclusivement. L’entreprise devient l’es-
pace où s’acquièrent des capacités nouvelles, où le travail peut tenir lieu de

2. Article d 6321-3, loi n° 71-575 du 16 juillet 1971 portant organisation de la formation professionnelle continue
dans le cadre de l’éducation permanente (dite loi delors).
3. Article d 6321-1, loi n° 71-575 du 16 juillet 1971.
4. Article 8 : « Les titres ou diplômes de l’enseignement technologique sont acquis par les voies scolaires et univer-
sitaires, par l’apprentissage ou la formation professionnelle continue ou par la validation d’acquis professionnels
pour remplacer une partie des épreuves. Toute personne qui a exercé pendant cinq ans une activité profession-
nelle en rapport avec l’objet de sa demande peut demander la validation d’acquis professionnels qui pourront être
pris en compte pour justifier d’une partie des connaissances et des aptitudes exigées pour l’obtention d’un
diplôme de l’enseignement technologique. »
catherine bissey

parcours de formation, au point que, quelques années plus tard, la validation des
acquis de l’expérience (VAE) est reconnue comme produisant les mêmes effets que
les autres modes d’acquisition des connaissances et aptitudes5. Le caractère forma-
teur immanent du travail est en phase d’être reconnu.
Au-delà des postures contextuelles et idéologiques, en partie responsables de
cette contradiction intrinsèque aux textes fondateurs de la formation continue,
force est de constater que quelque chose « grippe » entre travail et formation. Soit
la formation est exclue du travail, soit elle s’y impose avec ses propres codes. or
son lexique est-il apte à interpréter le travail et à le transformer ?

Formation en situation de travail, et vice-versa


Le 5 septembre 2018, la loi dite « pour la liberté de choisir son avenir profes-
sionnel » siffle la fin du match entre travail et formation : l’action de formation,
définie comme un parcours permettant d’atteindre un objectif professionnel, peut
être réalisée en situation de travail6.

n AFEST, mariage de raison... 87

La loi conclut ainsi une expérimentation menée par l’État et les partenaires

n° 227/2021-2
sociaux avec l’aide de onze organismes paritaires collecteurs agréés (oPcA) entre
2015 et 2017. La revendication forte des entreprises selon laquelle elles remplis-
sent bien leurs obligations de formation à l’égard de leurs salariés, d’une part, et la
nécessité pour l’État et les oPcA de rester dans le modèle hérité de 1971, d’autre

EducATIoN PERmANENTE
part, ont sans doute joué un rôle dans l’action mobilisée. cela peut expliquer le lien
établi, dès le démarrage de l’expérimentation, entre les FEST et leur indemnisation
par le dispositif financier de la formation professionnelle continue. Les retrou-
vailles de la formation et du travail sont motivées par l’intérêt financier, au moins
pour partie. mesure-t-on l’impact de cette association sur le caractère opérationnel
du dispositif ? Si l’AFEST peut être indemnisée, c’est inévitablement sous condi-
tions. La nécessité d’attester la réalisation de l’AFEST transforme la « réalité » de
la formation en situation de travail. L’AFEST doit être établie et tracée de manière
objective et incontestable ; elle est située dans le temps et dans l’espace ; elle mobi-
lise des protagonistes identifiés autour d’une action qualifiée, dont les objectifs
sont anticipés. La nécessité des traces fait perdre de vue le caractère souvent itératif
des FEST. Elle interdit en outre, de facto, l’émergence de FEST(s) que l’on pourrait
qualifier d’aléatoires, suscitées par l’erreur, la résolution de problèmes ou de

5. Article L. 335-5.-I, loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale : « Les diplômes ou les titres à
finalité professionnelle sont obtenus par les voies scolaire et universitaire, par l’apprentissage, par la formation
professionnelle continue ou, en tout ou en partie, par la validation des acquis de l’expérience. »
6. Article L. 6313-2, loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018.
catherine bissey

dysfonctionnements. Le parcours pédagogique envisagé par le législateur est


préempté par la recherche de la preuve.
Au terme de cette expérimentation, l’ANAcT, en charge de l’observer,
constate les apports de la formation en situation de travail pour ceux – oPcA,
consultants et organismes de formation – qui sont mobilisés pour déployer la
démarche : « Leur intervention les a en effet souvent amenés à développer une
expertise qu’ils n’avaient pas nécessairement en matière de didactique et d’analyse
des situations de travail » (caser et Freundlieb, 2018). Quant aux travailleurs eux-
mêmes – « les formés » –, l’ANAcT déclare à leur propos qu’ils « témoignent d’un
niveau conséquent d’engagement », en lien « avec l’utilité perçue et anticipée des
savoirs professionnels qu’ils vont acquérir ainsi que les attentes élevées de l’entre-
prise à l’égard des résultats de la formation » (ibid.). Quelque chose étonne dans le
parallèle établi entre les effets de la FEST sur les acteurs de la formation et sur ceux
du travail : les premiers sont transformés, les seconds, certes impliqués, restent sur
une promesse...
Pour que la FEST permette à « l’expérience de formation » de n’être pas
« sans effet sur l’expérience, objet de l’action de formation » (olry et Vidal-Gomel,
88 2011), la formation en situation de travail doit garantir la réciprocité. Les condi-
tions imposées à la FEST sont-elles propices à cette symétrie ? Sans doute pas si
l’on s’en tient à celles que, implicitement, le décret semble prescrire en décrivant
n° 227/2021-2

très (trop ?) précisément ce que le législateur considère être une AFEST, avec des
mots qui appartiennent au lexique de la didactique7 et non à celui du travail. dès
lors, ce mariage pourrait devenir un marché de dupes : en imposant ses codes, la
formation interdit d’éclairer ce qui unit. La réticence, voire le soupçon, que les
EducATIoN PERmANENTE

entreprises expriment à l’endroit de l’AFEST..., et non pas à celui de la FEST,


constituent un indice. car les faits indiquent que les entreprises ont anticipé la loi,
une majorité d’entre elles considérant qu’elles organisent de la formation en situa-
tion de travail. En effet, 64 % des entreprises suivies dans le cadre de l’enquête
longitudinale, Défis8, menée par le céreq, déclarent organiser ce type de
démarche ; il s’agit pour elles de la modalité la plus utilisée après les cours et les
stages. En revanche, une réticence – comment la nommer autrement ? – existe à

7. décret n° 2018-1341 du 28 décembre 2018 : « La mise en œuvre d’une action de formation en situation de travail
comprend : « 1) L’analyse de l’activité de travail pour, le cas échéant, l’adapter à des fins pédagogiques ; 2) La
désignation préalable d’un formateur pouvant exercer une fonction tutorale ; 3) La mise en place de phases
réflexives, distinctes des mises en situation de travail et destinées à utiliser à des fins pédagogiques les enseigne-
ments tirés de la situation de travail, qui permettent d’observer et d’analyser les écarts entre les attendus, les réali-
sations et les acquis de chaque mise en situation afin de consolider et d’expliciter les apprentissages ; 4) des
évaluations spécifiques des acquis de la formation qui jalonnent ou concluent l’action. »
8. Défis, enquête menée par le céreq auprès de 4 500 entreprises du secteur privé de dix salariés et plus pour un
total de 16 000 salariés, suivi de 2014 à 2019. La modalité est décrite comme des « périodes de formation orga-
nisées, qui se déroulent sur le lieu de travail, avec l’aide d’un tuteur » clairement dissociées des formations dites
informelles (comme, par exemple, apprendre avec un collègue, apprendre en réunion de travail) qui font l’objet
d’un questionnement propre.
catherine bissey

l’égard de l’AFEST qui, « avec ses séquences réflexives, peut faire peur à certaines
entreprises », ainsi qu’en témoigne un formateur spécialisé dans le bâtiment (Jean-
nin, 2019). cette même méfiance est celle exprimée par des patrons de l’alimenta-
tion de détail, à l’occasion d’une présentation du dispositif, en septembre 2019. Ils
déclarent craindre que l’AFEST ajoute de la complexité à un processus qui existe
déjà au sein de leurs organisations via, par exemple, la formation sur le tas ou l’ap-
prentissage. En d’autres termes, les employeurs, notamment ceux des TPmE,
considèrent que la formation qui se déroule au sein de leur entreprise est l’affaire
exclusive de l’entreprise... ce qui, dans un contexte d’obsolescence quasiment
programmée des compétences, pourrait évoquer les recommandations des experts :
« Apprendre sera un processus permanent et non plus isolé dans le temps [...] Par
conséquent, l’organisation du travail devra “embarquer” l’apprentissage au plus
près de l’activité, interrogeant du même coup le contenu des compétences »
(Enlart, 2018). c’est dans ce cadre que l’AFEST a été mise en place, et c’est parti-
culièrement les TPmE qu’elle vise.
Quant aux travailleurs, cibles du dispositif, certains d’entre eux observeraient
avec une certaine inquiétude l’intrusion de la formation sur le lieu même du travail.
En s’invitant dans l’exercice de l’activité, la formation leur signifierait qu’ils ne 89
maîtrisent pas suffisamment les tâches qui leur sont confiées. Être apprenant, au
sein même de l’entreprise où l’on exerce, serait faire l’aveu de sa disqualification :

n° 227/2021-2
« Pour certains salariés, être appelé apprenant agit à l’encontre des dimensions
positives de leur identité professionnelle et peut être compris comme un signe que
l’on n’est pas à sa place » (Boud et Solomon, 2003).
Enfin, le caractère proche de l’informel des apprentissages développés par la

EducATIoN PERmANENTE
FEST n’autorise pas, pour l’instant, une reconnaissance formelle des acquis de la
formation. dans un contexte où le salarié est tenu pour responsable de son
employabilité, on comprend la réserve de certaines organisations syndicales à l’en-
droit d’un dispositif qui ne semble apte à servir que les seuls intérêts de l’entre-
prise ; le péché originel de la formation permanente n’est pas loin.
Que l’on mette de la formation dans le travail ou du travail dans la formation,
on ne parvient que difficilement à les rassembler. À quelles conditions l’AFEST
parviendra-t-elle à les réconcilier ?

n ... ou FEST, union libre


Entre la FEST et la formation informelle, il n’y a que l’épaisseur du trait..., et
cette absence de formalisation vaut absence de conscience : « Tout apprentissage
suppose une étape de “conscientisation” ; il ne suffit pas que j’aie appris ou
compris quelque chose, encore faut-il que j’en aie conscience, notamment si je
veux réutiliser cette nouvelle connaissance ou ce nouveau savoir-faire » (Taddei,
2018). de quoi s’agit-il ? devons-nous traîner à jamais l’antienne selon laquelle
catherine bissey

on n’apprend pas sans anticiper l’effort à venir, sans mériter le but vers lequel on
souhaite tendre ? La conscience est-elle toujours préméditée, le résultat d’un
vouloir-faire ? Les études sont pourtant multiples indiquant qu’il existe « des
apprentissages fortuits sans volonté d’apprendre, où l’apprentissage est le résultat
d’une rencontre, d’une situation qui n’a pas été programmée. dans ce cas, l’ab-
sence de volonté peut être accompagnée d’une conscience d’avoir appris quelque
chose » (Brougère, 2016). Identifier, même a posteriori, que quelque chose de
nouveau a été appris ne suffit-il pas à rendre conscient de ce savoir tout neuf ? La
conscience comprend-elle autre chose que de la lucidité ? Enfin, pour régler
temporairement son compte à la « conscience », le Littré indique que le terme
désigne également, dans d’imprimerie, le « travail à la journée, sans autre mesure
que la conscience de l’ouvrier ». Voici de quoi alimenter l’hypothèse d’un lien con-
substantiel entre travail et conscience, entre travail et formation.
Paradoxalement, cet apprentissage qui peine à être reconnu est affublé d’un
florilège d’expressions dont cristol et muller (2013) proposent un bel inventaire :
« Apprentissages accidentels, intentionnels, incidentels, implicites, nomades, expé-
rientiels, émergents, actifs [...] autodirigés, autonomes, entre pairs, non formels,
90 pratiques... » cette polysémie signe-t-elle la richesse du concept ou au contraire
l’incapacité collective à le stabiliser, et donc à le reconnaître ? L’absence d’institu-
tion de référence pourrait être l’autre faute dont souffre implicitement la FEST :
n° 227/2021-2

« cela a-t-il un sens de dire que l’apprentissage en tant que tel est informel [ou
formel] ? [...] Il s’agit d’une définition négative par ce qui n’est pas [...] mais c’est
un résultat historique lié au fait que l’apprentissage a plutôt été étudié dans des
situations formelles » (Brougère, 2016). une formation perçue intrinsèquement
EducATIoN PERmANENTE

comme informelle ne relève d’aucune école, ne se recommande de rien ni de per-


sonne. dès lors, elle rappelle l’enseignement universel promu par Joseph Jacotot
au lendemain de la Révolution, et dont Rancière (1987) se fait le chantre en oppo-
sant instruction et émancipation : « on instruit les recrues que l’on enrôle sous sa
bannière, les subalternes qui doivent pouvoir comprendre les ordres, le peuple que
l’on veut gouverner [...] Jacotot ne voyait pas quelle liberté pouvait résulter pour
le peuple des devoirs de ses instructeurs. Il sentait au contraire dans l’affaire une
nouvelle forme d’abrutissement. Qui enseigne sans émanciper abrutit. » Selon lui,
seul le maître ignorant permet à l’élève d’user de sa propre intelligence pour
comprendre ce qu’il découvre. Le vrai talent du maître est d’ouvrir les yeux, de
susciter le questionnement. La leçon de pédagogie proposée par Rancière
ressemble fort à la réflexivité qui intimide les entreprises : « L’élève doit tout voir
par lui-même, comparer sans cesse et toujours répondre à la triple question : que
vois-tu ? Qu’en penses-tu ? Qu’en fais-tu ? Et ainsi à l’infini » (ibid.).
Quand la subordination induite par la relation « sachant/apprenant » disparaît,
quels statuts ont les savoirs et les aptitudes ainsi gagnés – et non pas transmis – via
catherine bissey

la FEST ? Quels impacts sur le travail, la gestion des équipes, le management ?


Quels effets sur les relations de travail ? de quelles fonctions nouvelles le travail
peut-il être chargé ? L’apprentissage immanent au travail, devenu gage d’auto-
nomie, d’engagement et de responsabilité, autorise dès lors le développement de
nouvelles façons de penser l’organisation. c’est ce que testent, par exemple, les
pratiques de design du travail : « Impliquer les opérateurs dans la définition de leur
propre travail permet de réduire la fracture entre travail prescrit et travail réel. c’est
la meilleure manière de faire entrer l’expérience terrain de l’opérateur dans la pres-
cription » (Pellerin et cahier, 2019). Loin du postulat de l’organisation scientifique
du travail, le principe retenu est que le travail est conçu par celui qui l’exerce et,
ipso facto, que les compétences mobilisées pour l’exercer sont identifiées, déve-
loppées et diffusées par les travailleurs eux-mêmes. ce sont là l’enjeu et le moteur
de la FEST.

En guise d’épilogue
Penchée sur le miroir, la formation en situation de travail interroge son reflet,
le travail en situation de formation. La nécessaire réciprocité des deux actions va 91
de soi.
À ce jour l’AFEST, sur laquelle l’écosystème de la formation s’est fortement

n° 227/2021-2
engagé, n’a pas été investie par les entreprises, tout au moins sous cette forme.
Pour que l’activité soit en même temps formatrice, il nous semble que c’est l’en-
vironnement de travail, les process mobilisés, les interactions des personnes agis-
sant qu’il faut mobiliser. c’est à condition d’impacter l’organisation que la FEST

EducATIoN PERmANENTE
joue son rôle, en transformant autant ceux qui savent que ceux qui apprennent ;
c’est en renouvelant le travail que la FEST agit. cela est possible à condition que
le travail inclue la formation, et non l’inverse. c’est pourquoi il nous semble néces-
saire de préserver l’autonomie des organisations dans la prise en main de l’AFEST.
c’est à elles qu’il revient de piloter la formation en situation de travail. c’est pour
cela qu’oPco EP, l’opérateur des compétences au service des entreprises de proxi-
mité, fait le pari, dans le cadre d’un prototype en cours de construction et d’expé-
rimentation avec des TPE en Ile-de-France, de ne pas faire entrer d’experts dans les
structures engagées dans l’action. Ils restent sur le seuil, apportent de la méthode
si nécessaire, et sont garants, le cas échéant, de la connaissance formelle à laquelle
se réfère l’opération menée. L’hypothèse questionnée via ce test est que la FEST
transforme l’entreprise et ses acteurs à condition d’être menée depuis l’intérieur de
l’organisation, au rythme du travail et de ceux qui l’exercent. u
catherine bissey

Bibliographie

BOUD, D. ; SOLOMON, N. 2003. « “I don’t think I am a learner”. Acts of naming learners at work ».
Journal of Workplace Learning. Vol. 15, n° 7/8, p. 326-331.
BROUGÈRE, G. 2016. « De l’apprentissage diffus ou informel à l’éducation diffuse ou informelle ».
Le Télémaque. Vol. 49, n° 1, p. 51-63.
BROUGÈRE, G. ; BÉZILLE, H. 2007. « De l’usage de la notion d’informel dans le champ de l’éducation ».
Revue française de pédagogie. N° 158, p. 117-160.
BUISSON, F. (dir. publ.). 1911. Nouveau dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire. Paris,
Hachette.
CASER, F. ; FREUNDLIEB, I. (coord.). 2018. Expérimentation AFEST. Rapport final. Paris, DGEFP,
COPANEF, CNEFOP, FPSPP, ANACT.
CORBON, A. 1859. De l’enseignement professionnel. Paris, Dubuisson.
CRISTOL, D. ; MULLER, A. 2013. « Les apprentissages informels dans la formation pour adultes ».
Savoirs. N° 32, p. 11-59.
92 ENLART, S. 2018. « L’organisation apprenante renouvelée par le digital ». Éducation permanente.
N° 216, p. 13-22.
n° 227/2021-2

JEANNIN, P.-Y. 2019. « L’AFEST, avec ses séquences réflexives, peut faire peur à certaines
entreprises ». AEF Info. N° 610905, 1er août.
OLRY, P. ; VIDAL-GOMEL, C. 2011. « Conception de formation professionnelle continue : tensions
EducATIoN PERmANENTE

croisées et apports de l’ergonomie, de la didactique professionnelle et des pratiques d’ingénierie ».


@ctivités. Vol. 8, n° 2. p.115-149.
PELLERIN, F. ; CAHIER, M.-L. 2019. Organisation et compétences dans l’usine du futur. Vers un design
du travail ? Paris, Presses des Mines.
RANCIÈRE, J. 1987. Le maître ignorant. Cinq leçons sur l’émancipation intellectuelle. Paris, Fayard.
ROUSSEAU, J.-J. 1762. Émile ou de l’éducation. Paris, Flammarion, 2009.
TADDÉI, F. 2018. Apprendre au XXIe siècle. Paris, Calmann-Lévy.
THÉOPHILE BASTIDE

La formation en situation de travail,


substrat possible de la coopération ?
Une expérience en service d’urgence

Analyser le travail pour la formation ne va pas de soi, surtout dans les activités
de service où « c’est en fonction de l’action de l’un que l’autre ajuste sa propre
action » (Mayen, 2017). S’engager dans une intervention à l’hôpital demande de
prendre une juste distance avec un terrain d’enquête et d’action particulier, pris en
tenailles entre un travail de « care [...] souci des autres – plus largement du vivant
– réalisé à travers des activités concrètes » (Molinier, 2010), et une volonté d’op- 93
timisation financière dans laquelle l’hôpital s’est engagé depuis plusieurs décen-
nies, nourri des outils du « nouveau management public » (Belorgey, 2010).

n° 227/2021-2
C’est dans un contexte complexe que, en tant que manager de proximité
d’une structure d’urgence hospitalière, j’ai conduit une intervention interne articu-
lant analyse du travail et formation. Les premiers enseignements de cette expé-
rience permettent de comprendre comment un dispositif de formation en situation

EDUCATION PERMANENTE
de travail peut ouvrir l’accès à l’instauration d’espaces dialogiques croisés sur le
travail et son organisation, en questionnant la place des savoirs et les conditions de
la recomposition des rapports entre management, professionnels du soin et activité.

Aux sources de l’intervention


Au sein de structures hospitalières complexes et éclatées, les modalités de
fonctionnement et le positionnement particulier des services d’urgence, constituant
le « véritable “accueil” des hôpitaux », en font un « lieu d’observation privilégié
des tensions, et donc de la confrontation entre les points de vue, d’une part des
tutelles dans leur démarche réformatrice, d’autre part des soignants, au contact
direct des patients » (ibid.). C’est dans l’une de ces structures, située dans un bassin
de population précaire et confrontée à une forte activité, que j’exerçais en tant que

THÉOPHILE BASTIDE, Cadre supérieur de santé, formateur des professionnels de santé à l’Institut de forma-
tion des cadres de santé de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (theophile.bastide@aphp.fr)
théophile bastide

cadre de santé manageant des équipes paramédicales (infirmiers, aides-soignants,


brancardiers...). J’étais confronté, avec mes collègues cadres, à des plaintes récur-
rentes de professionnels mais aussi de patients sur la qualité perçue du travail des
infirmières1 sur l’un de leurs postes d’affectation dénommé « infirmière organisa-
trice de l’accueil » (IOA). Ce poste est à la fois spécifique (aux structures d’ur-
gence) et stratégique (tous les patients y sont adressés dès leur arrivée dans la struc-
ture). Les IOA ont pour mission d’accueillir le patient et ses proches, de mener un
entretien et de procéder à un court examen clinique et paraclinique, puis, à partir
de ces données, de prendre deux décisions complexes : l’« affectation » du patient
dans l’un des secteurs du service, et l’assignation d’un « ordre de passage » avant
consultation médicale. C’est ce que, dans la langue de métier, on appelle le « tri »,
processus aux incidences majeures pour le patient, mais également pour les autres
professionnels, dont la tâche et la charge de travail s’en trouveront affectées.
Les « dysfonctionnements » qui nous étaient adressés étaient composites :
manque « de confiance, d’organisation et de compétence » des IOA ; formation à
la fonction (assurée par un organisme externe) tenue pour « inapplicable » ;
communication jugée souvent « expéditive » avec les patients ; temps d’attente ne
94 respectant pas les recommandations « scientifiques » nationales... En somme, tout
allait mal ! La situation n’était pas nouvelle ; elle avait fait l’objet de nombreuses
tentatives managériales, plus ou moins efficaces, de résolution par la médiation de
n° 227/2021-2

l’écriture de procédures et d’algorithmes décisionnels, le développement du taux


de personnels formés, le pilotage informatique de l’activité. Les infirmières expri-
maient en retour une impossibilité d’endosser sereinement ce rôle complexe, dont
les attentes leur paraissaient contradictoires, voire insurmontables. Certaines
EDUCATION PERMANENTE

disaient travailler « la peur au ventre », face à un flux ininterrompu de patients, une


tâche de triage complexe et une salle d’attente suroccupée.
L’impasse dans laquelle nous nous trouvions laissait entrevoir une probléma-
tique dépassant de loin le simple « manque de formation » que médecins et autres
professionnels rendaient responsable de la situation. Je me trouvais néanmoins
dans une incapacité à y répondre, malgré ma connaissance de la tâche. Se pencher
sur le travail réel de ces professionnelles devenait impérieux. L’expression d’un
supposé « besoin » de formation exprimait une autre demande, d’ordre psycho-
sociologique, afin de « permettre aux acteurs de mieux comprendre la signification
des situations vécues et la part qu’ils y prennent, et si possible, de trouver des
réponses aux problèmes en mobilisant de l’énergie à cette fin » (Dubost et Lévy,
2016). Nous ne détaillerons pas ici l’intervention dans son ensemble. Disons
qu’elle s’est appuyée sur un dispositif d’analyse collective du travail, en particulier
de la situation « entretien de tri », à partir de méthodes issues de l’ergonomie et de

1. Sauf précision contraire, nous utiliserons ici le féminin au regard de la proportion bien plus importante de
femmes au sein de la profession.
théophile bastide

la clinique de l’activité (animation d’un collectif de pairs pendant plusieurs mois,


observations armées, autoconfrontations simples et croisées, instructions au sosie),
dont nous reprendrons ici quelques éléments émergents.

Fragments d’analyse du travail pour la formation


Cinq à dix minutes : c’est le temps donné aux infirmières pour déployer, dans
la relation particulière qu’elles construisent avec le patient, toute l’étendue de leurs
alternatives. La pression temporelle structure ainsi le travail de manière majeure et
ubiquitaire, les tâches qui les attendent étant visualisables en continu par la média-
tion de leur outil informatique. Face à cet « en-cours » commun (deux à trois IOA
travaillent de manière conjointe dans des box contigus), telles des ouvrières sur une
chaîne de montage qu’elles ne quittent que rarement, les infirmières réajustent leur
organisation, la structuration de leur travail et le temps accordé à chaque entretien,
freinées en cela par un nombre élevé d’interruptions de tâches. Les contraintes de
la prescription, de l’organisation et de l’environnement sont donc fortes.
Mais l’entretien est loin de relever d’une structuration automatisée, répétitive
et sclérosée. Les infirmières procèdent à une « percolation » (Clot et al., 2000) 95
guidée du discours des patients, nécessitant de « s’imprégner » de leurs propos tout
en filtrant les informations inutiles, afin de produire des données traitables, puis de

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formuler des hypothèses et d’évaluer la criticité du risque. Le jugement des infir-
mières sur leur propre travail est d’autant plus complexe qu’elles le font principa-
lement reposer sur l’adéquation de leur tri avec le diagnostic médical final du
patient. Or ce dernier mobilise un faisceau de ressources (savoirs cliniques,

EDUCATION PERMANENTE
examens complémentaires...) difficilement accessible aux infirmières, et il n’est
déterminé qu’à distance, bien souvent après la fin de leur journée de travail. Les
infirmières sont donc en grande difficulté pour évaluer et défendre leur activité ;
faute d’autres critères d’évaluation partagés, leurs choix font l’objet de critiques,
voire de moqueries, plus ou moins ouvertes, de la part de médecins mais aussi de
collègues. L’ensemble compose des présomptions de culpabilité subjectivement
irrécusables et, en l’absence de « prise d’information qui critérie l’achèvement »
de l’opération (Vermersch, 2017), se pose alors la question : « Est-ce que je sais si
je sais ? », point aveugle de l’activité des IOA, et défi de taille pour leur formation.
Tenter d’assurer, avec toutes les difficultés que cela comporte, la sécurité du
patient durant son temps de présence en salle d’attente constitue une part centrale
de leur travail. C’est sans doute celle qui fait l’objet du plus grand nombre de pres-
criptions, destinées à combler, de manière évidemment illusoire, l’ensemble des
failles qui pourraient amener à « passer à côté » d’une urgence de prise en charge.
La « peur de l’erreur », omniprésente et influencée par les représentations indivi-
duelles de la responsabilité, fait l’objet de redéfinitions individuelles de la tâche.
Celles-ci sont destinées à diminuer son acuité mais aussi à l’« atteler », car elle
théophile bastide

constitue un indicateur majeur pour la prise de décision. Les infirmières organisent


ainsi très fréquemment leur travail en rythme discontinu, par « vagues », s’autori-
sant à ralentir ou à interrompre le flux de tri. Mais elles restent à proximité, en
écoute flottante du chœur des plaintes de la salle d’attente, car « avoir du monde,
ça s’entend à travers les parois, c’est visuellement et auditivement horrible ».
Alors, quand cela devient nécessaire, elles « prennent la vague », se défiant collec-
tivement : « Allez, dans trois quarts d’heure, c’est plié, on n’a plus d’attente ! » Ce
n’est cependant pas uniquement par « stratégie collective de défense » (Dejours,
2008) que les infirmières « trichent » : c’est aussi pour vaincre les défaillances de
la prescription et du collectif. Car elles « jouent » avec les règles, les utilisent et les
détournent, pour permettre au patient d’être pris en charge dans les conditions
qu’elles jugent les meilleures. Cette tâche redéfinie, véritable « savoir-faire de
prudence » (Cru, 2014), ne peut néanmoins être ni dite ni transmise, hormis par
« frayage » (Delbos et Jorion, 1984), ce qui constitue un motif de grande
complexité pour l’apprentissage du métier.
Face à cet objectif de « sécurisation », se dressent également deux buts internes
a priori contradictoires. Par petites touches éparses, les infirmières tentent de
96 construire et de maintenir, pendant quelques minutes, ce qu’elles appellent une
« bulle relationnelle » pour elles et pour le patient, à l’abri d’une extériorité agres-
sante et perturbante. Toutes, à différents niveaux, démontrent une attention à
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l’autre et à la déterminante « reconnaissance subjective réciproque entre patients et


soignants » (Fleury, 2019). Par ailleurs, si l’ensemble des prescriptions interdit aux
infirmières de réorienter les patients vers un autre service ou vers la médecine de
ville sans avis médical, le réel du travail démontre qu’elles s’assignent une mission
EDUCATION PERMANENTE

de « filtrage » importante. Ces « réorientations sauvages », au bénéfice supposé du


patient ou de l’activité des collègues, sont pour la plupart mises en invisibilité par
les soignantes, réalisées de manière furtive et à l’abri des regards de l’encadrement,
sans laisser de traces. Les infirmières se retrouvent ainsi confrontées aux contra-
dictions de « mondes » (Boltanski et Thévenot, 1991) opposés, car de ces trois buts
guidant l’action (sécurité du patient, qualité de la relation de soins et filtrage),
aucun ne peut être exclu sous prétexte d’injustice. Sans construction d’objets com-
posites communs, sans mise en discussion des élaborations individuelles, les
nouvelles professionnelles font face à une vacuité de ressources pour l’action,
exposées à l’ire de leurs collègues ou de l’encadrement. Leurs choix, non étayés,
se fragilisent et risquent une hiérarchisation caduque au regard des objectifs de la
structure, de la sécurité du patient, mais également de la coopération.

Éléments d’ingénierie pédagogique


Une part majeure des savoirs mobilisés relève donc de « connaissances en
acte, savoirs pragmatiques » construits dans l’action, procédant par inférences à
théophile bastide

partir de « régularités dans le réel » (Pastré, 2018). Mais peut-on former à ces
« savoir-combiner » si les professionnelles ne sont pas confrontées à la nécessité
de hiérarchiser les buts de leur activité ? Il nous a semblé pertinent de proposer aux
apprenantes un espace pédagogique complémentaire de la formation externe exis-
tante, cette dernière paraissant traiter la structure de l’activité de manière décon-
textualisée, toutes choses étant égales par ailleurs. Il fallait permettre aux infir-
mières de construire leurs propres modèles opératifs, non par imitation mais par
confrontation au réel. Plusieurs binômes d’apprenantes ont ainsi bénéficié, après
six mois d’exercice dans le service, de deux journées de formation au poste IOA
« en situation de travail », alternant phases de mise en situation et phases de
réflexivité, accompagnées par une infirmière. Malgré un contexte contraint en
matière de ressources, les enjeux du dispositif, associés à ma position dans la struc-
ture, ont permis de disposer des appuis nécessaires à sa réalisation : mise à dispo-
sition « hors soins » des accompagnatrices et des apprenantes, inscription de l’ac-
tion au plan de formation.
Sans revenir ici sur l’ensemble du dispositif pédagogique et sur ses motifs,
précisons qu’il fit l’objet d’une construction collective, fondée sur une progressi-
vité pédagogique, un « droit à l’essai » et une sécurisation nécessaire pour une telle 97
activité à risque. L’ensemble a été facilité par l’étayage habile des infirmières
accompagnatrices, toujours présentes en retrait vigilant auprès des apprenantes,

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« freinant » le réel quand il s’avérait trop complexe, puis le laissant se déployer
progressivement. Dans la mesure du possible, elles n’intervenaient qu’à la fin des
séquences de tri, laissant ainsi aux apprenantes, malgré les difficultés déjà expo-
sées, l’accès aux résultats de leur action.

EDUCATION PERMANENTE
Les séquences réflexives identifiées après les mises en situation étaient l’oc-
casion d’une exploration collective des buts de l’action, de ses modalités réfléchies
et de ses inférences. Mais ces « parenthèses intellectives », reliant « les moyens et
les fins » (Mayen, 2014) de l’activité, ont rapidement nécessité un accompagne-
ment méthodologique, que je me suis proposé d’assurer, au regard de mon
parcours singulier (formation à l’analyse du travail, à l’entretien d’explicitation),
de ma participation à la phase d’analyse collective, et des possibilités que laissait
présager la présence d’un manager de la structure. Les discours des apprenantes
s’en trouveraient certainement modifiés, mais nous souhaitions en prendre le
risque, collectivement débattu et choisi.

Heuristique du processus et activité déontique


À leur entrée en formation, les apprenantes étaient encore dans l’impasse
d’une imitation inopérante. La confrontation des points de vue sur l’activité – via
ce que Dewey aurait appelé une « activité d’enquête », reposant sur de « petites
découvertes locales et situées » (Thievenaz, 2019) – a permis d’ouvrir le champ des
théophile bastide

possibles et des alternatives portées par le collectif. La formation permettait de


mettre au jour les buts et les sous-buts sous-tendant l’action, véritables découvertes
des professionnelles. Mais les infirmières novices ont également pu parler de leur
« honte en salle d’attente » et, par une « activité de conceptualisation et de concep-
tualisation pragmatique » mettant en discussion la peur en tant qu’« affect pertur-
bateur [mais] constitutif du travail », la « trans-former » (Mayen, 2020) en instru-
ment de l’action : « Si on n’a pas peur on n’y arrive pas, on commence à dédaigner
et on se plante. » L’instauration d’un « droit à l’erreur », né du « droit à l’essai »
permis par la formation, dans une organisation où l’erreur est principalement
appréhendée comme faute individuelle, a sans doute participé à cette mutation
fragile.
Par ailleurs, la polyphonie des gestes de métier était toujours médiée par – et
réalisée devant – le supérieur hiérarchique. Loin de rompre la confiance ou le
dialogue, ma présence m’a placé en position de facilitateur et non pas simplement
de destinataire d’une parole vive des professionnelles sur leurs achoppements face
à certaines règles « impossibles et invivables » (Efros et Schwartz, 2009). Témoin
privilégié de l’exposition de la beauté de « gestes de métier », j’ai pu me départir
98 d’une certaine « psychologie spontanée péjorative des cadres » (Dejours, 2015).
L’intervention a ainsi facilité une mise à disposition de soi et, grâce au cadre de
confiance instauré et aux effets du dispositif sur les relations, s’est progressivement
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instaurée la possibilité d’accueillir cet inconfort comme une possibilité d’action.


Il fallut néanmoins, pour cela, m’écarter de la prescription du métier et
prendre le risque d’une certaine rupture. Cette dynamique a notamment entraîné
une « reprise » de mes représentations des dimensions coopératives de l’activité et
EDUCATION PERMANENTE

une acceptation de l’incomplétude de la prescription. Des pratiques auparavant


« combattues », car représentées par le management comme improductives ou
inadaptées (travail en binôme, modulation du temps d’entretien...), ont pu prendre
sens puis être remises collectivement en débat. Certes, dans l’éventail des possi-
bles, le « beau » geste n’est pas toujours le « bon », au prisme des normes de l’ins-
titution et de la santé : certaines pratiques, aussi ingénieuses soient-elles, restaient
à discuter. Mais les cacher sous le manteau de l’autorité ou du déni semblait revenir
au même : il fallait, pour les comprendre, les développer ou les abandonner,
engager ce « travail d’enquête » collectif. Il s’agissait de contribuer à réassocier le
travail d’organisation avec l’activité (Dujarier, 2017), là où de nombreux facteurs
l’en avaient progressivement éloigné : standardisation des processus, importance
des dispositifs transversaux, complexité intrinsèque de l’activité. Ainsi pouvait
alors se développer, via une activité déontique contributive à la coopération
(Dejours, 2003), un certain « accord entre les activités », ne valant cependant pas
« acceptation [de toutes les] propositions » (Dewey, 2006).
théophile bastide

Objets et destins des séquences réflexives


Il a fallu tenir ce nouveau point de vue sur le travail avec rigueur et opiniâ-
treté, en particulier pendant les séquences réflexives. En premier lieu, les infir-
mières accompagnatrices, choisies notamment pour leur « expertise », tendaient à
comparer les résultats ou les processus de l’activité à un standard de « bonnes
pratiques », reposant sur des règles plus ou moins explicites. Or, sans nier l’impor-
tance de ces références, ces procédures et ces habitudes, sans lesquelles les profes-
sionnelles seraient sans doute perdues devant l’étendue des possibles, l’analyse
collective du travail a mis au jour la complexité de l’activité, la nécessité des
tricheries, des ajustements et des manipulations de règles. Il a donc été nécessaire,
pour l’animateur des espaces réflexifs, de « contourner le paradigme de l’exper-
tise » (Saint-Arnaud, 2001) et de « rabattre » itérativement le dialogue sur l’acti-
vité, en luttant contre l’élasticité du rapport à la tâche des infirmières expertes.
Face à une telle activité, il était souvent difficile de déterminer les « objets »
pertinents sur lesquels faire porter la dynamique réflexive : c’est par essais et
erreurs que nous pouvions contribuer à reconfigurer les obstacles du réel en
ressources pour l’action. La position était inconfortable, dans un champ d’activité 99
où la place des savoirs scientifiques et de leur « transmission », via des dispositifs
pédagogiques prédéterminés, est encore prépondérante. Certains objectaient que le

n° 227/2021-2
dispositif s’éloignait d’une perspective formatrice rigoureuse, qui aurait déployé
objectifs pédagogiques, compétences ciblées, activités contributives, critères et
indicateurs de résultats. Rares étaient ceux qui ne promouvaient pas une évaluation
individualisée et décontextualisée des « performances », qui aurait permis de ré-

EDUCATION PERMANENTE
ajuster les comportements individuels par des moyens organisationnels ou pédago-
giques. Mais le travail d’analyse mené avec les équipes, avant et pendant les
formations, révélait de manière patente qu’il est impossible d’« identifier les
compétences isolément ou à distance du travail », et surtout qu’il n’existe « aucune
proportionnalité entre performance et travail » (Dejours, 2003). Nous ne pouvions
évidemment pas exclure la présence d’erreurs d’appréciation clinique ni les ques-
tions liées à la hiérarchisation des buts. Mais évaluer la performance individuelle
risquait de dénier le travail réel, majorer la peur et contribuer à l’isolement. Néan-
moins, ce processus n’excluait pas la dimension « performative » du dialogue
réflexif, « faisant advenir la réalité par le fait d’être accompli » (Filliettaz, 2018) et
contribuant à une certaine « attribution de compétence » (Stroobants, 1993) fondée
sur la confiance : « Habituellement, on se méfie des autres, surtout des nouveaux
infirmiers. Je te ferai confiance, Charlotte, parce que je t’ai vue trier, et parce que
j’ai pu entendre ce que tu dis de ce que tu fais. » Cette confiance a permis de
dépasser les aspects qualifiants de l’habilitation et, d’une certaine manière, d’auto-
riser les novices, après leur formation, à partir ferrailler avec l’incertitude, c’est-à-
dire avec ce qu’elles n’avaient ni vu, ni expérimenté, ni appris en formation.
théophile bastide

Un développement sous conditions


La pertinence d’une intervention ne peut être examinée qu’au regard des
spécificités de son contexte et de la demande singulière posée à l’intervenant.
L’infrastructure dans laquelle s’est développée notre intervention nous semble
néanmoins offrir des pistes de réflexion sur les conditions de son déploiement.
Il a d’abord fallu se décentrer d’une commande arguant de l’absence sup-
posée ou du « manque » de compétences de ceux qui travaillent. Il fallait ne pas
voir en la formation un Graal permettant de résoudre les problèmes associés aux
résultats du travail mais aussi à son processus. Ce n’est qu’après avoir exploré cette
activité, l’avoir mise en débat, en avoir exposé les implications subjectives, les
conflits de buts, les souffrances et les concepts organisateurs, que nous avons pu
aborder la conception d’actions de développement autres. Il aurait été impossible
de le faire sans cette phase d’analyse, longue, complexe, collective, et participant
d’ores et déjà au développement.
Il fut alors nécessaire de repenser la place et le rôle de chacun dans le dispositif
de formation, en particulier d’y repositionner un management qui semblait s’être
100 progressivement éloigné de l’activité. Il fallait pour cela qu’il en exprime la
demande, se mette à disposition et maintienne un cadre assurant la confiance et la
confidentialité. Ces dispositions sont évidemment d’ordre éthique et ne peuvent
n° 227/2021-2

être assurées ex ante, on ne peut nier les risques encourus par un tel dispositif.
Outre ces conditions épistémologiques et éthiques, l’intervention nous sem-
ble devoir sa pertinence à l’impasse dans laquelle nous nous trouvions avant de la
mener. L’analyse avait révélé la nécessité, à cet instant précis de l’histoire de l’or-
EDUCATION PERMANENTE

ganisation et des professionnelles, d’un dispositif fondé sur la compréhension du


travail en situation et permettant sa mise en discussion, fût-elle risquée. Cette
nécessité, et l’acceptation du risque qu’elle porte, nous paraissent constituer une
condition pour l’inclusion d’actions de formation en situation de travail dans un
curriculum de formation, au risque sinon d’un renforcement des incapacités à agir.
Une fois ces conditions remplies, les formations proposées, tout en ne
pouvant « répondre à tout », semblent ne pas avoir laissé en l’état les profession-
nelles (Ulmann, 2009), offrant au collectif un espace potentiel de développement
de la coopération. C’est dans une perspective non sollipsiste du travail et des
compétences que nous nous sommes inscrits, tentant de contribuer à l’étayage
prudent d’un dialogue sur l’activité. Peut-on aller jusqu’à y voir le développement
d’une plus grande intrication entre ce que Rabardel nommait « activité produc-
tive », transformation du réel par l’homme, et « activité constructive », transforma-
tion de l’homme par lui-même (cité dans Pastré, 2018) ? Si ces deux modalités
d’activité n’ont pas à être opposées, puisque l’« activité médiatisante ordinaire,
quand elle n’est pas empêchée, est productive de capacités » (Clot, 2017), il
semblerait que, malgré ses incertitudes, ses bricolages et ses prises de risques, une
théophile bastide

telle proposition pédagogique, pensée comme substrat d’un rapprochement dialo-


gique autour de l’activité, puisse, si elle est menée avec attention et prudence,
contribuer à limiter ces empêchements. u

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102
n° 227/2021-2
EDUCATION PERMANENTE
SOPHIE AUBERT

Une ingénierie pédagogique et politique


pour pérenniser les dispositifs de formation

La performance globale durable englobe les aspects liés à la qualité, aux délais,
à la santé et à la sécurité, mais aussi au développement des compétences des sala-
riés. En vingt-cinq ans, le département « ergonomie et performance industrielle »
d’une entreprise d’assemblage aéronautique a développé ce dernier champ d’inter-
vention pour répondre à des enjeux industriels cruciaux. Il a conduit à transformer
les dispositifs de formation existants (basés sur l’apport de connaissances suivi
d’un tutorat sur le poste de travail) en développant un concept de formation par la 103
pratique : en situation productive (directement sur avion) ou non productive
(déportée dans un atelier d’apprentissage). Le choix entre les deux formats dépend

n° 227/2021-2
des risques liés à la maîtrise, ou non, des compétences en début d’apprentissage,
en termes de risques sécurité, de non-qualité et de répercussions psychosociales.
Nous proposons de témoigner de l’importance de l’ingénierie amont, c’est-à-dire
de l’analyse de la demande jusqu’à la conception du dispositif de formation, et

EducatIoN PErmaNENtE
notamment de l’analyse et de la négociation des conditions de réussite de tels
dispositifs. Notre propos sera illustré par des interventions dans trois ateliers : pein-
ture, assemblage du fuselage et réglage des portes passagers.

Questionner les problèmes pour proposer


des solutions adaptées
Il y a vingt ans, face aux récurrences des défauts qualité, il nous a été deman-
dé, en tant que spécialiste du travail humain, d’analyser le métier de peintre aéro-
nautique et de préconiser des voies d’amélioration. Les défauts tels que les coulu-
res, les inclusions de poussière, les microbulles, engendrent des retards de plusieurs
jours sur le cycle théorique. Pour les réparer, il faut attendre que la peinture soit
sèche à cœur avant de reponcer tout ou partie de l’avion selon l’étendue du
problème, et de recommencer le processus. Plus on ponce, plus les sous-couches

SOPHIE AUBERT, ergonome chez Airbus Operations SAS (sophie.aubert@airbus.com)


sophie aubert

se dégradent et plus il y a de poussières en suspension, qui augmentent les risques


de défauts. À cette époque, l’atelier peinture travaille en 2 x8 ; il est composé de
deux grandes salles : l’une avec des échafaudages entourant l’avion, l’autre avec
des nacelles suspendues à des ponts roulants permettant d’évoluer autour de l’aéro-
nef. Les équipes de peintres sont en sous-effectif de 20 % environ. En effet, malgré
une formation interne de dix semaines, 60 % des peintres carrossiers nouvellement
recrutés démissionnent au cours des trois mois de tutorat qui suivent la formation.
Les équipes de peintres sont étiquetées comme « socialement difficiles à intégrer ».
Plus tard, nous fut adressée la demande du directeur d’une chaîne d’assem-
blage du fuselage qui doit doubler la cadence de production en quelques mois et ne
parvient pas à tenir les cycles. L’assemblage du fuselage se réalise en trois étapes :
le perçage manuel de la circonférence depuis l’intérieur de l’avion ; l’alésage
(passage au diamètre final des trous) assuré par un robot depuis l’extérieur de
l’avion ; la pose de fixations dans chaque alésage que des opérateurs sertissent ou
vissent. La demande adressée au service ergonomie consiste à diagnostiquer les
problèmes liés aux facteurs humains et à proposer un plan d’actions.
une troisième intervention fit suite à la demande conjointe du responsable
104 qualité et du directeur de production d’une chaîne d’assemblage : « Il faut dix-huit
mois pour former un opérateur au réglage des quatre modèles de portes d’avion, et
malgré ce temps de formation, nous doublons le temps alloué à cette opération.
n° 227/2021-2

Pouvez-vous nous aider à accélérer l’apprentissage des savoir-faire de métier ? »


Lorsque le diagnostic des ergonomes pointe des difficultés liées à l’apprentis-
sage, leur rôle consiste à les questionner afin de répondre à une problématique
globale. Pour reprendre la terminologie utilisée par l’aFESt, nous distinguons ce
EducatIoN PErmaNENtE

qui cadre l’intervention (contraintes non négociables) et les éléments de l’environ-


nement sur lesquels il est possible d’agir. ces éléments sont des marges de
manœuvre pour construire l’intervention et pour élaborer une réponse adéquate en
termes de dispositif de formation. Le temps de l’enquête et celui de la construction
sociale se superposent, permettant la transformation de la situation initiale. Il s’agit
de faire partager la problématique diagnostiquée aux différents acteurs du terrain
afin de les engager dans son analyse, de repérer les opportunités possibles, d’étu-
dier les options et de construire ensemble la solution contextuelle adaptée.

Le « diagnostic ergonomique de performance globale »


avant d’analyser le travail prescrit au travers des référentiels et de le con-
fronter à l’analyse de l’activité réelle de travail, le diagnostic commence par la
caractérisation des impacts de non-performance au regard des objectifs fixés.
Lorsque les perçages sur le fuselage d’un avion ne sont pas conformes aux
exigences de qualité attendues, ils doivent être réparés. Selon la gravité du défaut,
la réparation est plus ou moins longue. L’arrivée d’opérateurs novices, malgré leur
sophie aubert

diplôme de mécanicien en aéronautique, au sein de l’équipe engendre une augmen-


tation notoire des défauts de perpendicularité (de 40 à 84 % selon les zones de
l’avion). Pour réparer les défauts, il convient d’agrandir manuellement le diamètre
du trou. Seuls les opérateurs expérimentés peuvent réaliser cette opération délicate.
Ils se plaignent de l’impact des heures accumulées. Les managers de proximité
s’épuisent à soutenir les novices, qui disent vivre difficilement ces échecs d’un
point de vue personnel et à l’égard du collectif. Les assembleurs disent avoir tout
appris directement sur avion, malgré la certitude d’avoir été longtemps en échec.
dans l’atelier peinture, les chefs d’atelier comptaient vingt-sept mois en
moyenne pour former un peintre carrossier et le rendre autonome : trois mois de
formation, douze mois de tutorat et douze autres pour être en capacité de réagir aux
différents aléas. au cours de la première année, les peintres novices créaient beau-
coup de défauts et cette situation impactait l’ensemble du collectif. Les tensions
observées étaient interprétées comme des difficultés d’insertion sociale, allant
jusqu’à provoquer des démissions. ces conséquences n’étaient pas sans lien avec
les difficultés d’apprentissage du métier, et donc avec des problèmes de formation.
une fois les impacts identifiés, accélérer les apprentissages devient un
objectif. Encore faut-il diagnostiquer les savoir-faire en situation qui font défaut 105
dans les dispositifs de formation, en dépassant la simple liste des compétences
requises sur la description de poste, et les raisons pour lesquelles le dispositif de

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formation en place ne répond pas au besoin.
L’ergonome analyse en premier lieu les référentiels qualité et procéduraux
pour comprendre les exigences techniques des différentes tâches à réaliser. Puis
une analyse de l’activité réelle de travail permet de déduire les exigences du travail

EducatIoN PErmaNENtE
humain pour atteindre la qualité attendue. ces deux étapes permettent d’identifier
les ressources que les opérateurs doivent mobiliser et combiner pour agir avec
pertinence dans une classe de situations. Se dessinent ainsi les contours des compé-
tences à convoquer en situation. L’analyse des dispositifs de formation en place
(temps et ressources alloués, compétences réellement développées) débouche sur
un diagnostic duquel peuvent découler des marges de négociation pour transformer
les dispositifs de formation au regard des enjeux relevés.
Les peintres œuvrent collectivement (ils sont une douzaine) autour de l’avion,
chacun dans sa zone mais en assurant les recouvrements aux jonctions. Les référen-
tiels décrivent les gestes à réaliser dans des termes flous : première couche en
simple voile ; deuxième et troisième couches croisées pour une épaisseur totale
sèche de x microns. or, la composition chimique de la peinture variant selon la
teinte et le fournisseur, il est impossible d’estimer l’épaisseur sèche lors de la pulvé-
risation au pistolet. Sous un masque et dans un nuage de peinture, il est en outre
impossible de communiquer pour se coordonner, encore moins pour tutorer le
nouvel arrivant. Le novice doit comprendre que le peintre a, qui démarre l’appli-
cation, est le chorégraphe du ballet qui va se déployer (aubert, 2000). c’est lui qui
sophie aubert

donne le grain de peinture à reproduire. En face et en dessous, ses collègues doivent


reproduire ce grain avec leurs propres gestes, jusqu’à obtenir un avion homogène.
Lorsque le novice, habitué à travailler seul, applique la peinture sans savoir qu’il
faut obtenir ce même grain, le risque est qu’il faudra poncer l’ensemble de l’avion
une fois sec. Face à l’impossibilité de communiquer par la parole, c’est le langage
corporel de chaque peintre qui prend le relais. Lorsqu’un peintre change sa façon
de « danser », ses collègues doivent capter ce changement, ralentir leur déplace-
ment pour conserver la cascade et lui permettre de résoudre rapidement le
problème. Encore faut-il pour cela connaître la danse « nominale » de chaque
collègue.
!!
!

106
n° 227/2021-2

Percer un fuselage impose de maintenir le foret perpendiculairement au fuse-


lage avec une tolérance de 2°, dans des postures variées (à genoux sur un plancher,
accroupi sous des rails de soute ou les bras tendus au-dessus de la tête), de savoir
EducatIoN PErmaNENtE

maîtriser un ratio entre vitesse de rotation (pression sur la gâchette de la perceuse)


et force d’avance (pression sur l’outil coupant) qui varie selon la phase du perçage
(amorce du trou, perçage pleine peau, débouché et retrait du foret). ces connais-
sances ne préexistent pas. Nous avons défini des protocoles de tests pour les créer
et produit des repères pour permettre aux novices d’élaborer la gestuelle profes-
sionnelle propre à chacun (guidages sur certains paramètres précis à prendre en
considération pour garantir la performance industrielle attendue), sans ignorer
qu’il n’existe pas une bonne et unique façon de faire.
Pour être autorisé à réaliser une opération en aéronautique, un opérateur doit
disposer des compétences requises, prescrites par le rédacteur de la gamme de
travail, ou travailler sous l’autorité d’un tuteur le temps de les acquérir. après avoir
comparé les compétences prescrites et celles réellement nécessaires en situation de
travail, nous avons analysé celles développées dans les formations internes et dans
les formations qualifiantes externes (bac pro, certificats de qualification paritaire de
la métallurgie [cQPm]). cette analyse a révélé des écarts qui expliquent la plupart
des difficultés rencontrées par les salariés affectés à leur nouveau poste.
sophie aubert

Analyse des dispositifs de formation


avant transformation
À leur arrivée, les peintres-carrossiers sont immergés pendant deux semaines
en salle avion auprès d’un tuteur. La formation se poursuit par huit semaines au
cours desquelles alternent cours théoriques (préparation de surface, caractéristiques
chimiques des peintures aéronautiques, etc.) et travaux pratiques en cabine de pein-
ture dans des conditions idéales (excellent éclairage, absence de poussière, matériel
neuf). Sur des tôles d’un mètre carré, ils appliquent les gammes de peinture des
différents fournisseurs pour les teintes les plus courantes. Plusieurs mois de tutorat
clôturent le dispositif. L’analyse a mis en évidence l’écart entre cette formation
basée sur un modèle individuel du travail dans un contexte nominal et les besoins
de compétences sur avion. En plus de la technicité individuelle liée à la chimie de
la peinture aéronautique, les peintres-carrossiers doivent développer des « savoir-
travailler ensemble » permettant de se coordonner, d’atteindre une qualité homo-
gène sur l’ensemble de l’avion et de gérer des situations comportant des aléas.
Pour les assembleurs fuselage, le perçage est considéré comme une opération
basique. au lycée, un cours théorique aborde la constitution d’un foret, les para- 107
mètres de coupe du perçage à régler (vitesse de rotation et vitesse d’avance) avec
une mise en pratique par réglage d’une perceuse colonne. dans les organismes

n° 227/2021-2
préparant aux cQPm ajusteurs aéronautiques, des perçages sont réalisés sur des
tôles verticales de 1 à 2 mm d’épaisseur. avec une si faible épaisseur, il est impos-
sible de savoir si le perçage est perpendiculaire ou non, et donc de corriger son
geste si besoin. dans les deux cas, les opérateurs ne disposent pas des moyens de

EducatIoN PErmaNENtE
développer les savoir-faire de perçage manuel requis par le poste. au sein de l’en-
treprise, l’apprentissage se déroule donc principalement par le tutorat : observation
du tuteur sur deux avions puis réalisation du perçage sous le guidage du tuteur, qui
commente le geste du novice par rapport à sa propre expérience et à son propre
corps. compte tenu des différences morphologiques d’un individu à l’autre, il est
difficile de décrire un geste et une posture qui conviennent au débutant, d’autant
plus que cette posture doit être ajustée tous les trois trous environ du fait des zones
évolutives de l’avion. on entend fréquemment le tuteur dire : « Non, pas comme
ça », empêchant le novice de tester diverses façons de faire. Le tuteur cherche à
éviter à tout prix le défaut sur avion car le perçage est une opération « destructrice »
(le métal non remis en place peut occasionner une faiblesse dans la structure en cas
de défaut important). Pour le novice, il est difficile de comprendre ce qui se joue,
car le défaut d’un perçage non perpendiculaire ne se révèle qu’après le passage du
robot trois jours plus tard. La distance temporelle entre la prise de décision, l’action
et le résultat produit est trop longue pour que le novice puisse établir un lien de
cause à effet : comment ai-je percé le trou n° 434 pour obtenir un tel défaut ? Que
faudrait-il modifier pour percer de manière conforme ?
sophie aubert

Ici apparaissent deux aspects importants de l’impossibilité d’instaurer une


boucle d’apprentissage (Leplat, 2006) : le délai trop long entre le résultat de l’ac-
tion et l’action elle-même ; l’impossibilité de recourir à l’apprentissage par essai-
erreur. or nous savons que l’exploitation pédagogique d’une erreur peut s’avérer
très riche lorsqu’elle est suivie d’une pratique réflexive guidée (Leplat et al., 1970 ;
Fiard et auriac-Peyronnet, 2005). Hélas, pour des raisons de sécurité, la méthode
n’étant pas transposable dans toutes les situations productives/formatives, du fait
des risques qualité ou sécurité, novice et tuteur se trouvent face à une « expérience
empêchée » (Piaget, 1974) qui entrave l’apprentissage.
Quelques mois après leur prise de poste, les régleurs de portes suivent une
formation théorique d’une journée censée permettre d’apprendre les conséquences
de mauvais réglages (bruit, surconsommation de carburant), les cent-trente
éléments que constituent une porte et son encadrement, et la procédure de réglage,
comme si toutes les portes présentaient le même défaut à corriger. Le novice
apprend son métier en observant son tuteur, puis essaie de régler la porte d’un côté
de l’avion quand son tuteur règle celle de l’autre côté. La première difficulté tient
à l’assimilation de la complexité de la constitution d’une porte. Puis, à partir de
108 quatre-vingt-quatre jeux relevés, au dixième de millimètre près, entre la porte et
son encadrement, il faut parvenir à se représenter la porte dans l’espace (trois axes)
puis décider des mouvements à réaliser pour la mettre en regard de son encadre-
n° 227/2021-2

ment. Enfin, il faut choisir les organes (démontage, vissage/dévissage, remontage)


sur lesquels agir pour obtenir ces mouvements. chaque réglage engendre un
mouvement principal de la porte et un mouvement induit parasite dans un autre
plan. observer un tuteur permet de le voir agir sur certains organes mais ne donne
EducatIoN PErmaNENtE

pas accès à son raisonnement : « Là je règle les butées, puis je règlerai l’écrou
cannelé... » mais pourquoi, sur cette porte, le tuteur décide-t-il de régler d’abord les
butées ? Pour quel mouvement de la porte ?... L’opérateur novice ne pose pas ces
questions. Et s’il le faisait, le tuteur serait en mal de lui expliquer son raisonnement,
un réglage de porte pouvant durer plusieurs heures, voire deux vacations.
malgré les formations mises en place par l’entreprise pour les peintres ou les
assembleurs, apprendre directement sur avion en produisant de nombreux défauts
n’est acceptable ni industriellement ni humainement. dans le cas des régleurs, une
représentation erronée de la porte dans l’espace ou un mauvais choix de réglage
n’engendre pas de risque pour l’avion mais implique une perte de temps et un sur-
coût de production.

Le concept de formation en situation de travail


non productive
Sur la base de ces divers constats, nous avons développé des formations par
la pratique appelées « salle training » – dans le sens d’« entraînement » – , pour
sophie aubert

Principales causes des difficultés d’apprentissage :


– la boucle d’apprentissage est parfois trop longue pour permettre d’établir un lien
entre le résultat obtenu et le mode opératoire mis en œuvre ;
– le contrôle de l’opération est parfois réalisé par un tiers. Pour apprendre, il est
indispensable que l’opérateur sache évaluer correctement le résultat de son propre
travail, pas seulement en termes de conformité/non-conformité mais en apprenant à
caractériser le défaut pour le relier àu mode opératoire mis en œuvre afin de le
corriger. Pour qu’une boucle d’apprentissage soit efficace, la répétition seule ne
suffit pas, il faut un accès rapide au résultat pour le caractériser ;
– les programmes de formation ne développent pas les compétences correspondant
au besoin réel pour maîtriser les différentes classes de situation de travail. « Percer
différentes duretés de matériaux en utilisant une perceuse à colonne » et « percer à
main levée avec une tolérance de perpendicularité de 2° sur la circonférence du
fuselage » renvoient à des classes de situations différentes ;
– les exigences humaines pour réaliser les différentes tâches sont pour partie non
conscientes, tacites dans l’organisation, et ne sont donc pas la cible des formations ;
– les opérateurs expérimentés ont peu conscientisé toutes les ressources qu’ils
combinent pour maîtriser une situation de travail ; la mise en mots est souvent
complexe ; les supports pédagogiques sont rarement conçus pour aider le tuteur qui
se retrouve seul face à une liste de savoir-faire ou de compétences à faire acquérir ;
– les tuteurs font face à une injonction contradictoire : produire leur ligne à la 109
cadence cible et former les nouveaux venus, sans outil pédagogique ni temps alloué
au tutorat ;

n° 227/2021-2
– les tuteurs doivent empêcher les erreurs de leurs tutorés, ce qui empêche tout
apprentissage par l’erreur et toute exploitation pédagogique de celle-ci par un retour
réflexif médié.

EducatIoN PErmaNENtE
permettre à l’opérateur apprenant d’élaborer ses savoir-faire, de combiner ses
ressources dans des situations de travail simulées (sans danger ni pour lui, ni pour
ses collègues, ni pour l’avion), avant de terminer l’apprentissage en tutorat en
situation productive. Les situations de travail sont dites simulées car l’opérateur
doit réaliser des exercices à l’aide de gammes de travail et de plans, conçus sur le
même modèle que les documents utilisés au poste de travail.
S’agissant des perceurs du fuselage, la qualité exigée dans les exercices est la
même que sur avion ; les outils de travail sont identiques au futur poste de desti-
nation de l’apprenant. En fin d’exercice, le formateur joue le rôle du contrôleur
qualité qui dit si les trous sont conformes ou pas.
Pour accélérer l’élaboration des compétences, il faut permettre à chaque indi-
vidu de combler ses lacunes, et elles varient d’une personne à l’autre. Le pro-
gramme est conçu de manière à aborder progressivement la complexité des
compétences : acquisition des savoir-faire unitaires simples dans des situations
posturales simples (plans verticaux), puis sur des plans inclinés, en intégrant
progressivement des éléments gênant l’accessibilité à la zone de travail ou la prise
de posture. Passer à l’exercice de complexité supérieure impose que soit atteint un
sophie aubert

taux de réussite défini à l’avance et connu des apprenants. Le cas échéant, un exer-
cice de niveau équivalent est proposé jusqu’à consolidation du savoir-faire. ce
système permet aux apprenants de prendre le temps de travailler les points non
acquis. En contrepartie, cette gestion de la formation complexifie le travail du
formateur obligé d’individualiser les exercices.
Les formateurs sont des opérateurs expérimentés, déjà tuteurs, qualifiés pour
les opérations qu’ils doivent encadrer. une formation de cinq jours les aide à
conscientiser les ressources qu’ils combinent pour maîtriser les situations, mettre
des mots en se détachant de leur propre corps, apprendre à animer la boucle d’ap-
prentissage rapide, s’approprier les objectifs pédagogiques de chaque exercice,
adhérer aux principes de ces formations en situation de travail déportée. Ils peuvent
être détachés à temps plein ou continuer à exercer leur mission d’opérateur. ce sont
des personnes ressources pour les opérateurs débutants, qui ont plus de facilité à
venir se confier à eux sur leurs difficultés qu’auprès de leurs tuteurs qui doivent les
évaluer pour clore la phase de tutorat (Beaujouan et al., 2019).

110 La faisabilité du futur dispositif de formation


dans le cas des régleurs de portes, l’apprentissage en situation productive
n’entraîne pas de dégradation de la porte en cas de mauvais réglage, mais il faudra
n° 227/2021-2

plus de temps pour obtenir les jeux conformes avec des risques de retard de
production sans répercussion sur le délai de livraison à la compagnie aérienne. Les
risques sécurité sont limités et maîtrisés par une procédure condamnant, en cours
de réglage, l’accès à la porte à des tiers. La présence de nombreuses portes sur un
EducatIoN PErmaNENtE

avion permet à plusieurs opérateurs d’apprendre en même temps.


Nous avons préconisé d’outiller les tuteurs en les formant à un rôle de forma-
teur pour guider la boucle d’apprentissage rapide. des planches de la porte et de
son encadrement ont été réalisées en catégorisant les éléments afin de faciliter leur
apprentissage. des exercices ludiques permettent de mémoriser les éléments
constitutifs et de comprendre les consignes décrites dans les gammes de travail.
d’autres exercices permettent de construire mentalement une bibliothèque des
états de la porte auxquels l’opérateur pourra faire face. Grâce à un artefact pédago-
gique, la mise en mot du raisonnement est possible. Le tuteur intervient dès qu’il
perçoit des difficultés à une étape donnée. Là où il fallait dix-huit mois pour
apprendre à régler les quatre types de porte, désormais six semaines suffisent.
Pour les cas où les risques de non-atteinte de la performance pendant la phase
d’apprentissage ont un impact sur la santé des opérateurs, la durée de vie du
produit ou l’image de l’entreprise, nous recourons aux dispositifs de formation en
situation de travail non productive. Nécessitant la conception de bâtis pour simuler
des parties d’avion, ces dispositifs engendrent des investissements et des coûts
récurrents. L’étude de faisabilité vise à définir le juste besoin en termes de repré-
sophie aubert

sentativité des situations de travail réel afin de réduire ces coûts. on peut aujour-
d’hui affirmer qu’un dispositif de formation à la pratique en atelier d’entraînement
divise par deux ou trois le temps nécessaire à l’acquisition de l’autonomie.

Les dispositifs de formation en situation


non productive
Le dispositif proposé aux assembleurs fuselage vient en complément du
tutorat. Il vise à réaliser l’ensemble des opérations (percer, étancher, aléser, poser
les fixations...). Nous avons choisi de définir non pas une durée cible de la forma-
tion mais un taux de réussite des opérations en sortie de formation ; c’est là un
point-clé. chaque opérateur étant singulier, ses besoins pour développer les res-
sources qui lui permettront de maîtriser les différentes situations de travail le sont
aussi. Si le taux est atteint1 dans ces situations complexes, la formation en situation
de travail productive, c’est-à-dire par tutorat sur avion, peut prendre le relais.
ce dispositif est un système organisationnel constitué de dix composantes à
interfacer lors de sa conception par une approche systémique car chaque compo-
sante interagit avec d’autres (Beaujouan et al., 2018) : a) une progression pédago- 111
gique qui s’adapte à l’individu (individualisation du parcours formant selon les
résultats obtenus) ; b) un ensemble d’exercices pratiques avec une documentation

n° 227/2021-2
calquée sur celle de l’atelier de production ; c) des outils identiques à ceux du
poste ; d) des matières premières consommables représentatives avec une
recherche d’optimisation des coûts ; e) un processus logistique d’approvisionne-
ment et de gestion du parc machines ; f) des outillages simulant les caractéristiques

EducatIoN PErmaNENtE
principales des situations de travail sur avion ; g) une liste d’aléas à introduire
concernant les matières premières, les machines, la documentation, la coactivité ;
h) un outil de suivi des acquisitions en termes de réalisation et d’autocontrôle pour
piloter la progression de chacun, selon une notation objective et transparente pour
tous ; i) une méthode spécifique pour accélérer les acquisitions détaillées dans l’en-
cart ci-dessous ; j) un mode de fonctionnement qui en fait un atelier à part entière
jusque dans son rattachement fonctionnel et opérationnel, avec un manager appelé
« responsable intégration formation » (rIF), garant de l’intégration et de la forma-
tion de l’ensemble des opérateurs de son périmètre. dernier point et non des
moindres : le budget de fonctionnement du dispositif est un budget production et
non pas un budget formation. Le pilotage de la durée de l’apprentissage par le taux
de réussite garantit une indépendance à l’égard des gestionnaires formation qui
cherchent à standardiser la durée des modules et à optimiser leur coût. Finalement,
nous avons développé un dispositif d’apprentissage individualisé.
1. un consensus est trouvé : 85 % de réussite à la réalisation des opérations d’assemblage en situations simulant la
soute, à condition que l’opérateur soit en capacité de détecter 100 % de ses défauts (capacité d’autocontrôle). ce
chiffre se base sur notre diagnostic initial où le taux de réussite d’un opérateur expérimenté avoisine les 92 %.
sophie aubert

Points essentiels de la méthode déployée dans les ateliers d’entraînement :


– créer les conditions favorables à la mise en place des boucles d’apprentissage
rapide (aubert-Blanc 2011) ;
– laisser l’opérateur aller au bout de ses choix afin qu’il puisse évaluer les résultats
obtenus : « ce n'est pas la pratique en tant que telle qui apprend, mais la pratique
dont les résultats sont connus » (Bartlett, 1932) ; le formateur n’intervient pas dans
le cours d’action sauf pour des raisons de sécurité ;
– cela suppose de créer des exercices courts où le résultat de l’action intervient rapi-
dement pour développer des « boucles d’apprentissage rapide » ;
– pour rendre efficiente la boucle d’apprentissage, le formateur guide la pratique
réflexive de chaque participant. Il observe son mode opératoire et évalue les résul-
tats obtenus (ce qui limite le nombre de participants par formateur). Puis il lui
demande ce qu’il pense de ses résultats (sont-ils conformes ou non ? comment
caractérise-t-il ce défaut ? Quel est-il ?). Il corrige la qualité de cet autocontrôle car
la performance de celui-ci est un prérequis pour réaliser une boucle d’apprentissage
correcte. Le participant doit savoir détecter 100 % des défauts et ne pas déclarer en
défaut un résultat conforme. Le formateur le questionne pour lui faire établir des
hypothèses ou des liens de causalité entre le résultat obtenu et son mode opératoire.
cette pratique réflexive guidée permet d’apprendre à apprendre et de transposer des
ressources développées ici pour faire face à des situations jamais rencontrées, car
même si nous introduisons des aléas lors de ces formations, il est impossible de
reproduire à 100 % la vie réelle. Lorsque les acquisitions de l’exercice sont suffi-
112
samment consolidées, l’apprenant passe à un exercice de complexité supérieure,
sinon il recommence une variante de celui-ci pour éviter la routine ;
n° 227/2021-2

– le formateur est un opérateur expérimenté, volontaire, tuteur sur son poste ; son
profil a été validé par son manager et par le responsable intégration formation ;
– l’opérateur qui commence sa formation n’est pas toujours en posture d’apprenant,
notamment s’il se considère expérimenté. Pour faciliter cette prise de posture, il doit
EducatIoN PErmaNENtE

réaliser un exercice avec une complexité cachée, comme sur avion, sans aucune
intervention du formateur. Le taux de réussite à cet exercice varie entre 0 et 50 %
alors que l’opérateur pense d’abord qu’il s’agit d’une simple formalité. Il s’agit de
chercher à comprendre pourquoi il n’est pas parvenu à réussir à 100 %. ce faisant,
l’opérateur adopte une posture d’apprenant, commence à formuler des hypothèses,
cherche à améliorer ses résultats par lui-même. cette ouverture d’esprit lui permet
de pratiquer la boucle d’apprentissage rapide et d’accélérer ses apprentissages.

La transformation du dispositif de formation des peintres a permis de diviser


par deux la durée d’acquisition de l’autonomie et de fidéliser la main-d’œuvre
(aubert, 2000). La formation des assembleurs fuselage dure de deux à cinq
semaines en salle training pour atteindre les objectifs fixés selon les profils des
opérateurs et leur formation initiale, suivie de la phase de tutorat. L’impact sur l’in-
tégration de nouveaux arrivants sur un poste est constaté par les managers et les
tuteurs. En moyenne, le temps de qualification a été divisé par trois. Les injonc-
tions contradictoires des tuteurs entre « produire » et « expliquer » ont fortement
diminué ; un chef d’atelier constate qu’en sortie de salle training, les nouveaux
arrivants sont en capacité de réaliser 80% des activités de leur poste de travail, ce
qui ne survenait auparavant qu’après six mois de tutorat.
sophie aubert

Conclusion
toutes les demandes de conception de formation ne se traduisent pas systé-
matiquement en dispositifs. certaines difficultés rencontrées par les opérateurs
peuvent être résolues par des transformations physiques des situations de travail.
créer une formation n’est pas toujours la solution la plus efficace. Inversement,
certaines demandes d’intervention débouchent sur la conception de formations. La
phase de diagnostic est essentielle pour éclairer la réelle problématique du terrain
et y répondre de manière pertinente. Les résultats obtenus par des dispositifs
mixant formation en situations de travail productives et non productives sont
encourageants. Les derniers travaux de recherche laissent entrevoir l’intérêt d’étu-
dier les conditions permettant d’accélérer des apprentissages à forte valeur ajoutée.
Par condition, il faut entendre à la fois les modalités de formations mobilisées et
leur combinaison (salle training, e-learning, réalité virtuelle, etc.) reliées au rende-
ment didactique effectif du dispositif, et à la fois les conditions politiques, finan-
cières et opérationnelles à satisfaire pour ancrer le dispositif et son évolution au
cœur de l’entreprise. L’expérience accumulée depuis près de vingt ans dans ce
champ souligne avec certitude l’intérêt de travailler l’amont pour permettre une 113
ingénierie didactique et pédagogique, ainsi qu’une ingénierie organisationnelle et
politique, du dispositif de formation pour en assurer sa pérennité.

n° 227/2021-2
Nous avons longtemps fait face au mythe qu’il existe, en France, un diplôme,
pas seulement pour entrer dans un métier mais pour tenir un poste de travail en
étant rapidement opérationnel. Nos diagnostics ergonomiques ont montré l’écart
entre les compétences réellement requises par le poste et celles acquises en forma-

EducatIoN PErmaNENtE
tion initiale, ce qui est d’ailleurs un facteur de risque d’apparition de risques
psychosociaux. depuis dix ans, le couplage entre formations en situation de travail
non productives (simulées) et productives (tutorat) – « apprendre pour être en
capacité de tenir son poste de travail » – est une tâche toujours fortement attendue
mais de plus en plus reconnue dans l’entreprise. Grâce à l’introduction de nou-
velles technologies, élaborer des dispositifs d’apprentissage permettant à des
opérateurs d’évoluer sur différents postes ou de changer de métier tout au long de
leur carrière en développant leur capacité à apprendre constitue plus que jamais un
enjeu actuel pour la compétitivité et pour relever les défis de demain. u

Bibliographie

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N° 143, p. 51-64.
AUBERT, S. ; CEREZUELA-PENABAYRE, C. 2015. « RIF ou l’émergence d’une fonction dans
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de métier et à l’organisation de leur transmission. “C’est pas compliqué de percer un trou !” ».
Transmission des savoirs et mutualisation des pratiques en situation de travail. Paris, CREAPT,
p. 33-41.
BEAUJOUAN, J. et al. 2015. « Construction de l’intervention ergonomique. D’une préoccupation de
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au travail. Conditions d’exercice, activités, interventions. Toulouse, Octarès, p. 157-173.
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LEPLAT, J. ; ENARD, C. ; WEILL-FASSINA, A. 1970. La formation par l'apprentissage. Paris, Puf.
114 PASTRÉ, P. 2006. « Apprendre à faire ». Dans : E. Bourgeois ; G. Chapelle (dir. publ.). Apprendre
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n° 227/2021-2

PIAGET, J. 1974. Réussir et comprendre. Paris, Puf.


EducatIoN PErmaNENtE
CÉLINE RÖSSLI, OLIVIA BERTHELOT

Le pouvoir de l’éprouvé
et les limites d’un process expérimental

Entre février et octobre 2020, le cabinet Energia a accompagné la mise en œuvre


d’une action de formation en situation de travail au sein d’une carrosserie spécia-
lisée dans la restauration de véhicules anciens, dans le cadre d’une expérimentation
portée par l’Association nationale pour la formation automobile (ANFA). Cette
expérimentation visait à modéliser une méthodologie d’accompagnement des
entreprises de la branche à la mise en œuvre d’AFEST. Au terme de cet accompa-
gnement, pour analyser cette expérience, nous recourons à l’approche par les capa- 115
bilités, qui s’intéresse au développement du pouvoir d’agir – et d’apprendre – des
individus dans différents environnements. Le caractère capacitant de cette moda-

n° 227/2021-2
lité d’AFEST particulière est ainsi questionné grâce à l’étude des documents
produits tout au long de l’expérimentation et à des entretiens compréhensifs réa-
lisés avec les principaux acteurs en présence : consultante, formateur et apprenant.
En filigrane, est posée la question du formalisme imposé par cette modalité parti-

EDUCATION PERMANENTE
culière d’AFEST et de son adéquation avec les réalités de la très petite entreprise.

Expérimentation d’une AFEST dans une TPE familiale


L’expérimentation s’est déroulée dans une TPE familiale, où se côtoient trois
travailleurs : le dirigeant et deux employés carrossiers, dont le fils, qui héritera de
la direction de l’entreprise à la retraite de son père. La participation de l’entreprise
à cette expérimentation a été proposée par la conseillère de l’OPCO Mobilités, en
réponse à un besoin exprimé par le dirigeant de former l’un de ses employés à la
réalisation d’une tâche technique. Outre celui de répondre à un besoin précis de
formation, cette expérimentation poursuivait une variété d’objectifs. Pour l’ANFA
et l’OPCO, il s’agissait de modéliser une méthodologie d’accompagnement des
entreprises de la branche à la mise en œuvre d’AFEST en testant, in situ, un proto-

CÉLINE RÖSSLI, Chercheure chez Conseil et recherche (celine.rossli@conseil-et-recherche.com).


OLIVIA BERTHELOT, consultante et dirigeante du cabinet Energia (cabinet.energia@gmail.com).
céline rössli, olivia berthelot

cole formalisé en amont, et de former des conseillères à l’accompagnement d’ac-


tions de formation en situation de travail. Le dirigeant de l’entreprise avait, lui
aussi, deux objectifs principaux : former l’un de ses employés à des compétences
techniques et se former lui-même à occuper un rôle de formateur AFEST. Ce
faisant, il acceptait de jouer le jeu de l’expérimentation, qui le plaçait sous le regard
de plusieurs acteurs : la consultante, les conseillères de l’OPCO et son propre fils,
en qualité d’apprenant. Dans cette situation complexe, viennent s’entrechoquer les
attentes, différentes, de chaque acteur, et les affects particuliers liés à la relation
filiale entre l’apprenant et le formateur, mais aussi au cadre expérimental et au
désir du formateur de « réussir » cette expérience, de « faire plaisir » à la consul-
tante, de respecter le protocole proposé par l’OPCO qui lui versait une rétribution
financière pour sa participation.
Le dirigeant ne connaissait pas la modalité AFEST telle qu’elle est définie
dans la loi et traduite dans le protocole expérimental construit par l’OPCO. Former
en situation de travail fait néanmoins partie de son quotidien depuis toujours :
certaines spécificités, certains gestes techniques du métier de carrossier ne peuvent
être transmis autrement. Il a accepté de se prêter au jeu de l’expérimentation pour
116 plusieurs raisons, parmi lesquelles sa sensibilité aux modalités de formation inno-
vantes, son intérêt à enrichir sa posture formative et à occuper un rôle de formateur
AFEST en autonomie, et donc à bénéficier de financements pour former ses salariés
n° 227/2021-2

selon une modalité pertinente au regard des besoins de formation qu’il rencontre
dans son entreprise.
De concert avec la conseillère de l’OPCO, le dirigeant a défini le projet
d’AFEST : former l’apprenant afin qu’il développe ses compétences sur le change-
EDUCATION PERMANENTE

ment de l’aile avant d’une Jaguar XK140 rentrée en rénovation complète de carros-
serie. Il s’agit d’une tâche spécifique mais récurrente dans l’entreprise, complexe
et coûteuse, que l’apprenant n’a encore jamais eu l’opportunité de réaliser intégra-
lement. En devenant action de formation, cette activité est entrée dans une double
temporalité : celle de la formation et de la mise en conformité du protocole, mais
aussi celle de la production de l’entreprise, qui devait remettre la voiture restaurée
à son client dans les délais impartis. Nous questionnerons plus avant la potentielle
ambivalence entre ces temporalités, qui soulève des interrogations quant à la
manière la plus pertinente de mettre en place des AFEST économes et efficientes
au sein de TPE.
Un cabinet de conseil a été missionné par l’ANFA pour mener l’accompagne-
ment de cette AFEST. La mission de la consultante est complexe : piloter la mise
en œuvre de l’action de formation, former le formateur AFEST et accompagner les
conseillères de l’OPCO, actrices de cette expérimentation. L’accompagnement
s’étant déroulé durant la période de crise sanitaire, l’ensemble des étapes de prépa-
ration de l’AFEST ont été réalisées à distance, en visioconférence. Cette modalité
céline rössli, olivia berthelot

de travail était nouvelle pour la consultante et pour le formateur, qui par ailleurs
maîtrisait peu l’outil informatique. La consultante a ensuite pu se rendre dans l’en-
treprise pour accompagner la mise en œuvre de la première séquence et finaliser la
formation du formateur.
Suivant le protocole de cette expérimentation, l’AFEST s’est déroulée en cinq
étapes : analyse de l’activité permettant de formaliser le référentiel d’activités et de
compétences cibles ; évaluation-positionnement de l’apprenant ; formation du for-
mateur AFEST ; mise en œuvre des séquences et évaluation finale. Ces étapes ont
été précédées d’une période durant laquelle la consultante s’est familiarisée avec
les singularités de l’environnement du travail et des acteurs participants à l’AFEST,
au parcours de chacun, à l’histoire, au cadre professionnel et culturel de l’entre-
prise. Cette phase est l’un des préalables indispensables à l’AFEST, les possibilités
de formations en situation de travail entretenant un lien étroit avec les organisa-
tions du travail et dépendant fortement des ressources en place.
Quelles sont les ressources internes en termes d’outils, mais aussi de culture
managériale, permettant de développer des terrains propices à l’apprentissage ?
Quelles places sont données aux salariés et quelles places prennent-ils ? Comment
travaille-t-on ensemble ? Comment traite-t-on les difficultés du travail ? Comment 117
se débrouille-t-on avec l’incertitude et l’imprévisible qui ne manquent pas de
surgir ? Durant cette phase, il s’agit également de repérer la présence d’éléments

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déterminants à la réussite d’une AFEST – et à toute forme d’apprentissage au
travail : coopération, zones d’autonomie, capacité de débat autour du travail...
Le dirigeant de la carrosserie, placé en position de formateur, est un homme
de 55 ans, à la tête de cette entreprise depuis vingt ans. Compagnon du devoir, il a

EDUCATION PERMANENTE
une longue expérience de formation à son actif, sans toutefois avoir lui-même été
formé à la pédagogie autrement que par sa propre expérience de compagnonnage.
Son fils, l’apprenant, l’a rejoint dans l’entreprise dix-huit mois avant le début de
l’AFEST. Issu d’une formation en chaudronnerie par la voie de l’alternance, il
dispose déjà de certaines compétences utiles à son activité actuelle mais doit en
acquérir d’autres, plus spécifiques.
Outre son protocole relativement strict, l’une des particularités de cette
AFEST est que les cinq étapes qui l’ont composée ont été réalisées en la présence
de l’ensemble des acteurs : consultante, formateur, apprenant et une à deux
conseillères de l’OPCO. La présence de l’apprenant, inhabituelle durant les phases
de construction de l’AFEST et de formation du formateur, s’est faite sur demande
partagée des acteurs. Cette présence, et la liberté d’intervention dans les échanges
laissée à l’apprenant, ont largement participé du caractère apprenant et capacitant
de l’expérience. Une autre particularité tient à la présence des conseillères de
l’OPCO, placées en position d’observation et d’apprentissage lors des séquences,
et réalisant des moments de débriefing réguliers avec la consultante, hors de la
céline rössli, olivia berthelot

présence du formateur et de l’apprenant. Leur présence observante renforçait le


caractère expérimental de cette action de formation, dont on verra qu’il a influé sur
les positionnements des acteurs et sur le caractère capacitant de l’expérience.

L’approche par les capabilités pour analyser


une modalité expérimentale d’AFEST
Issue des travaux d’Amartya Sen, économiste et philosophe, dans le champ
de la justice sociale, et importée du côté des sciences du travail et de la formation
depuis une quinzaine d’années, l’approche par les capabilités permet d’étudier les
pratiques organisationnelles et les dispositifs, notamment formatifs, et d’évaluer
leur caractère capacitant, c’est-à-dire la manière dont ils mettent ou non les indi-
vidus en capacité de se développer, d’agir, d’apprendre. À la différence d’une
compétence, qui désigne un « savoir-agir », une capabilité désigne un « pouvoir
d’agir » (Sen, 2000). Les conditions du développement des compétences et de
l’agir avec compétence sont questionnées au travers de l’analyse des interactions
des individus avec leur organisation, l’apprentissage relevant en effet de cette
118 dialectique. Les individus comme les organisations disposent et fournissent des
ressources, que les individus sont ou non en capacité de mobiliser et de convertir
en action. Qu’elles soient internes ou externes, matérielles ou immatérielles,
n° 227/2021-2

humaines, financières, techniques, pédagogiques ou encore organisationnelles,


formelles ou informelles, les ressources sont des moyens utilisés pour atteindre des
fins. Précisons qu’une ressource n’est ressource que pour l’individu qui l’identifie
comme telle et parvient à la mobiliser. Plusieurs travaux (Fernagu Oudet, 2016 ;
EDUCATION PERMANENTE

Fernagu Oudet et Carré, 2017) font état d’un ensemble de caractéristiques qui leur
sont indispensables, notamment le fait d’être jugées atteignables, efficientes, effi-
caces et compatibles avec le but poursuivi par l’individu. La conversion de ces
ressources en actions potentielles dépend de facteurs de conversion. Il s’agit de
facteurs sociaux, environnementaux ou individuels, positifs ou négatifs, qui facili-
tent ou compliquent, voire empêchent, l’utilisation des ressources pour agir. Une
partie seulement des accomplissements possibles seront réalisés. Entre ce que l’in-
dividu pourrait faire et ce qu’il fait effectivement se logent des facteurs de choix.
La théorie des capabilités s’intéresse ainsi aux conditions selon lesquelles les buts
poursuivis par les individus sont réalisables mais aussi désirables. Elle s’intéresse
aux possibilités d’agir (processus opportunité) et de choisir (processus liberté) des
individus, qui, en interaction les unes avec les autres, leur permettent de se déve-
lopper, de se réaliser, d’agir, d’apprendre.
De l’approche par les capabilités dérive la théorie des environnements capa-
citants, c’est-à-dire susceptibles de contribuer au développement du pouvoir d’agir
des individus (Fernagu Oudet, 2012, 2016). Dans le domaine qui nous occupe,
dépassant l’environnement apprenant, qui permettrait théoriquement d’apprendre
céline rössli, olivia berthelot

même si cela n’est pas son objectif, l’environnement capacitant est celui qui donne
l’envie, les moyens et les opportunités d’apprendre, qui aide à apprendre.
Convoquée pour analyser la modalité expérimentale d’AFEST et son vécu par
les acteurs présents, une telle approche permet d’interroger ce qui, dans cette situa-
tion, a promu ou freiné les capacités de ces acteurs (apprenant, formateur, consul-
tante) à agir (apprendre, former, accompagner). Elle offre en outre un outil de
mesure du caractère capacitant de cette modalité particulière et des environne-
ments dans lesquels elle s’est déployée. Elle permet enfin de questionner l’appa-
rente discordance entre le formalisme de l’AFEST et l’économie de la TPE fami-
liale dans laquelle elle a été mise en œuvre.
Quelles étaient la nature et les fonctions d’usage des ressources présentes ?
Comment les acteurs les ont-ils identifiées et mobilisées ? De quelles opportunités
ont-ils bénéficié et à quelles contraintes se sont-ils heurtés ? Quels ont été, dans
cette situation, les facteurs ayant influé positivement ou négativement sur la
conversion de ces ressources en capacités d’action pour chacun des acteurs ? En
définitive, qu’est-ce qui, dans cette modalité d’AFEST expérimentale, leur a permis
de développer des compétences... et des capabilités ?
119
Une expérience capacitante pour tous,

n° 227/2021-2
différemment pour chacun
L’un des traits saillants de l’analyse des documents produits tout au long de
l’expérimentation et des entretiens réalisés en aval est qu’elle a permis le dévelop-
pement de l’ensemble des acteurs en présence, malgré l’exigence du cadre et le

EDUCATION PERMANENTE
formalisme du protocole, qui auraient pu, dans un autre contexte, être incapaci-
tants. Ici, chacun des acteurs semble avoir réussi à se saisir de cette expérience et
à évoluer dans son environnement, y avoir identifié et mobilisé des ressources pour
agir. L’analyse de l’expérience met en lumière la manière dont des acteurs, en utili-
sant des environnements contraints, peuvent néanmoins développer des capabilités.
Apparaissent également des liens d’influence entre les hypothèses faites par
les concepteurs du protocole – ici l’OPCO – quant à ce qui pourrait faire ressource
pour l’apprenant, et l’ingénierie pédagogique choisie. Or, un attribut du dispositif
pensé comme ressource par le concepteur mais non identifié comme tel par l’ap-
prenant peut conduire à des incompréhensions, voire à des quiproquos, pouvant
compliquer l’expérience. Ce fut le cas d’un livret d’autoréflexivité proposé à l’ap-
prenant par la consultante. Selon elle, il s’agissait d’un outil devant permettre à
l’apprenant de conscientiser l’apprentissage réalisé, de garder trace du chemine-
ment et des questionnements déclenchés par l’expérience de la formation. Or l’ap-
prenant l’a perçu comme « une feuille de pointage de la journée », qu’il remplissait
mécaniquement comme s’il s’agissait d’une formalité à laquelle il devait se plier.
Ce livret n’a donc pas été, pour lui, une ressource pour apprendre, alors même que
céline rössli, olivia berthelot

la pratique de la réflexivité avait, mais différemment, été investie et intégrée par le


duo formateur/apprenant. Cet exemple invite à plusieurs précautions. D’abord,
celle de sortir des approches ressourcistes de l’apprentissage : il ne suffit pas de
mettre des ressources à disposition d’un apprenant pour qu’il apprenne. Ensuite,
celle de coconcevoir les modalités et les protocoles d’apprentissage avec les
acteurs qui en bénéficieront. Dans l’exemple, ce qui importe est non pas le livret
mais la pratique réflexive autour du livret.

L’impact du cadre expérimental sur l’évolution


des postures
La variété des objectifs et le caractère expérimental de cette AFEST ont mani-
festement été présents dans la réalité et dans l’imaginaire des acteurs tout au long
de l’expérience. La présence de ce cadre expérimental a eu un impact positif sur
l’expérience et sur ses résultats. La situation analysée est une parfaite représenta-
tion de l’effet Hawthorne1 : certains acteurs sont parvenus à utiliser le cadre expé-
rimental comme une ressource. C’est le cas du formateur qui admet une évolution
120 de sa posture de formateur mais aussi de manager, passant d’une position de trans-
metteur d’un savoir (conforme à l’image qu’il se faisait de son rôle et sur laquelle
il ne s’était auparavant pas questionné) à une position d’accompagnateur de la
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réflexivité de l’apprenant. L’apprenant lui-même témoigne de cette évolution de


posture : « Avant, il me donnait les solutions tout cuit dans la bouche, maintenant
avant de me dire quoi que ce soit, il me pose des questions, me demande de lui
expliquer comment je ferais, ça me demande de réfléchir pour savoir comment
EDUCATION PERMANENTE

faire, et je retiens mieux ce que j’apprends comme ça. » Il a tiré profit de ce chan-
gement de posture du formateur pour s’autoriser à apprendre différemment, à tester
de nouvelles choses en confiance, à s’exprimer sur l’activité de travail, à cocons-
truire le référentiel d’activités. Il s’est essayé à la réalisation de tâches qui ne lui
avaient jamais été confiées jusque-là et, ce faisant, a renforcé sa confiance et son
engagement dans l’apprentissage.

La présence indispensable d’un tiers facilitateur ?


La consultante qui accompagnait l’AFEST était à l’interface ANFA/
OPCO/entreprise. Elle était garante de la bonne préparation et du bon déroulement
de l’action, dans le respect des cadres expérimentaux fixés par l’ANFA et du proto-
cole établi par l’OPCO. Tour à tour formatrice, médiatrice, accompagnatrice, tiers
facilitateur, rédactrice des documents coconstruits avec le formateur et l’apprenant,

1. L’effet Hawthorne décrit la situation dans laquelle les résultats d’une expérience sont dus non pas aux facteurs
expérimentaux mais au fait que les sujets ont conscience de participer à une expérience.
céline rössli, olivia berthelot

sa présence s’est avérée indispensable, même si son accompagnement visait avant


tout à former le formateur afin qu’il puisse conduire de prochaines AFEST de façon
autonome. Questionné à ce propos, ce dernier dit que ce serait difficile pour lui à
mettre en œuvre, non pas par manque de compétences mais par manque de
maîtrise de la rigueur du formalisme et du protocole, et surtout par manque de
temps à consacrer à la charge administrative qu’il impose. Se passer d’un tiers
accompagnateur est donc difficilement imaginable dans une petite entreprise. Le
maintien de l’activité est à ce prix.

Des ressources et des facteurs de conversion


opérants pour l’apprenant
Quatre couples de ressources/facteurs de conversion se sont révélés particu-
lièrement opérants pour l’apprenant dans cette expérience.

Type Nature Nature


de ressource de la Spécification du facteur Spécification
ressource de conversion
Motivation Relation filiale avec
121
Humaine Interne Social
le formateur (+ et -)

n° 227/2021-2
Modalité Format de l’action
Organisationnelle Externe Environnemental
d’AFEST de formation (+)
Technique Externe Locaux et outils Environnemental Habitude
d’utilisation (+)

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Modalité
Pédagogique Externe Individuel Nouveauté (+)
d’AFEST

L’un des facteurs de conversion de la ressource immatérielle interne – moti-


vation – est la relation filiale qu’entretien l’apprenant avec son formateur AFEST.
L’importance accordée par l’apprenant au fait d’être performant pour faire fructi-
fier l’entreprise de son père, qui deviendra demain la sienne, est chez lui un facteur
de motivation et d’engagement important. L’apprentissage, en ce qu’il concourt à
cette per-formance, est valorisé par l’apprenant. Cette relation filiale constitue ainsi
un facteur de conversion positif de la ressource « motivation » à des fins d’appren-
tissage. Mais elle apparaît aussi comme un facteur de conversion négatif pour le
processus d’apprentissage. L’apprenant, souhaitant, du fait que l’entreprise appar-
tient à son père, être le plus « rentable » possible le plus vite possible, ne se saisit
pas pleinement des possibilités offertes par sa position d’apprenant, et notamment
du droit à l’erreur qu’elle lui octroie, ou encore du temps long que le processus
d’apprentissage nécessite et qui lui est ici permis. La conviction du père, formateur
AFEST, quant au fait que le temps de formation se doit d’être un temps « hors
productivité » n’empêche pas le fils, apprenant, de s’imposer à lui-même de rester
productif, y compris pendant la période d’apprentissage. « Dans un cadre de forma-
céline rössli, olivia berthelot

tion normal, bien sûr qu’on ne demande pas dès le début d’être rentable. Mais pour
moi, c’est un cas particulier parce que c’est l’entreprise de mon papa, donc incons-
ciemment j’ai toujours cette idée-là dans la tête qu’il faut être rentable quand
même. »
Le format de l’action de formation est un facteur de conversion de la res-
source organisationnelle externe « modalité d’AFEST » : sa pertinence et sa con-
gruence influent sur l’engagement de l’apprenant dans le processus d’apprentis-
sage et sur ses apprentissages effectifs. Dans cette situation, le format proposé (en
situation de travail, dans l’environnement quotidien de l’atelier), particulièrement
adapté au type d’apprentissage visé (l’acquisition de gestes techniques spéci-
fiques), mais aussi connu et apprécié par l’apprenant, est un facteur de conversion
positif de la modalité d’AFEST.
Apprendre dans l’environnement de travail quotidien est l’un des grands
atouts de l’AFEST, souligné par le formateur et par la consultante : chaque envi-
ronnement de travail a ses propres configurations, chaque travailleur a ses propres
outils, ses manières de les utiliser et de les ranger. Ainsi, un apprentissage hors de
l’environnement de travail quotidien vient bouleverser certains gestes, et demande
122 une réadaptation des compétences au moment du retour dans l’entreprise (d’autant
plus grande que l’entreprise n’utilise pas toujours les mêmes outils ou procédés
que ceux proposés dans le cadre de formations externes). L’AFEST vient gommer
n° 227/2021-2

cette nécessaire réadaptation des compétences. Dans la situation qui nous occupe,
l’habitude de l’apprenant d’évoluer dans l’environnement de son entreprise, d’uti-
liser ses outils, ses process, est un facteur de conversion positif de la ressource
technique externe « locaux et outils ».
EDUCATION PERMANENTE

Enfin, le caractère novateur de la modalité d’AFEST, de la manière dont le


formateur a accompagné l’apprenant, semble avoir joué un rôle-clé pour ce dernier.
La nouveauté l’a conduit a sortir de potentielles routines, l’a surpris, et cette surprise
a engagé de nouvelles formes de réflexivité, de nouvelles manières de penser l’ac-
tivité et d’agir, qui ont porté les apprentissages. La nouveauté (de la modalité forma-
tive et de la posture du formateur) peut donc être désignée comme un facteur de
conversion positif de la ressource pédagogique externe « modalité d’AFEST ».

Adapter l’AFEST aux réalités de la TPE


Telle qu’elle est mise en œuvre aujourd’hui par la plupart des OPCO, l’AFEST
requiert une ingénierie et un formalisme difficilement compatibles avec les réalités
de la TPE et de ses acteurs.
Le point d’entrée – analyser l’activité en vue de construire le parcours péda-
gogique – nécessite des compétences spécifiques d’analyse, d’ingénierie, de
formalisation et de pédagogie : savoir analyser l’activité du travail, la traduire en
compétences et en objectifs de formation, mettre en place des outils d’évaluation,
céline rössli, olivia berthelot

animer et tracer des étapes de réflexivité, etc. La plupart des professionnels de TPE
placés en position de formateurs AFEST ne sont pas familiers de cette ingénierie
pédagogique, alors même qu’ils savent souvent questionner le travail et le mettre
en réflexion. Il conviendrait de s’appuyer sur leur expertise pour construire des
protocoles plus souples, plus personnalisés, potentiellement différents d’une situa-
tion à une autre, tout en respectant les exigences du financeur.
En outre, conduire une AFEST nécessite une ressource temporelle, pas tou-
jours compatible avec les exigences économiques et organisationnelles de la TPE.
On l’a vu, le fait que le changement d’une aile avant gauche de Jaguar devienne
action de formation n’amoindrit pas les exigences (temporelles, économiques) de
la tâche. De plus, la réalisation de cette tâche est soumise aux aléas de l’activité
d’une carrosserie : délai de livraison de certaines pièces, etc. Le strict respect d’un
protocole d’AFEST, tel qu’il a été pensé dans le cadre de l’expérimentation, exige-
rait une activité prévisible et linéaire, en tous points planifiable, quand le travail réel
est constitué d’imprévus, d’adaptations et d’ajustements permanents.
Dès lors, plusieurs questions se posent : une telle exigence d’ingénierie est-
elle adaptée ou/et adaptable aux réalités et aux possibilités de la TPE ? Des incon-
vénients, nés du bouleversement de l’activité de travail de l’entreprise que néces- 123
site sa mise en œuvre, ne risquent-ils pas de prendre le pas sur les avantages, pour-
tant nombreux, d’une action de formation en situation de travail ? Peut-on attendre

n° 227/2021-2
des professionnels de terrain, experts de leur métier mais pas en pédagogie, qu’ils
soient en mesure de conduire seuls de telles AFEST, sans l’accompagnement d’un
consultant extérieur ? En définitive, comment penser, avec et pour les acteurs de la
TPE, la mise en œuvre de modalités d’AFEST capacitantes pour chacun, et compa-

EDUCATION PERMANENTE
tibles avec les exigences de flexibilité et de réactivité inhérentes à leur réalité de
travail ?
L’analyse de cette expérimentation interroge la pratique actuelle de déploie-
ment des AFEST souvent imposée par les financeurs. Le formalisme attendu appa-
raît comme étant négatif et impactant l’intérêt de la démarche. En outre, ne vient-
il pas contredire l’économie domestique de la TPE au bénéfice d’une logique de
process attendue par les donneurs d’ordre ? Il s’agit, pour la TPE, d’être économe
tout en étant efficace. Comment amener ces entreprises à intégrer de nouvelles
modalités de formation, en mobilisant leurs ressources internes et en offrant la
possibilité aux apprenants de s’engager dans leur apprentissage, sans que le process
entache la mise en mouvement de chacun ? Le pouvoir créatif de penser de
nouvelles manières de concevoir la formation suppose une part d’incertitude
(Berthelot et Ulmann, 2018) qui pourrait être amputée par l’exigence de modélisa-
tion des accompagnements financés. Les modèles d’ingénierie de formation clas-
siques peuvent-ils être dupliqués dans l’entreprise, et notamment dans les TPE ?
Celles-ci n’ont-elles pas des spécificités qui gagneraient à être prises en compte
dans la construction de ces modalités de formation ? Pour l’entreprise comme pour
céline rössli, olivia berthelot

l’apprenant, les véritables enjeux ne se situent ils pas ailleurs : dans les effets sur
l’organisation, sur la mise en mots et sur la mise en pensée du travail par le forma-
teur et par l’apprenant ? Nous pensons en effet que la fonction du langage et la
communication (avec l’autre et avec soi-même) sont centrales dans la formation en
situation de travail.
Nous pouvons alors faire l’hypothèse que le développement des AFEST
permettra aux organisations de se (re)mettre en action de réflexion collective sur le
travail. Puisque les scènes de discussion qu’elles offrent sont un moyen de relation
sociale, un moyen de compréhension, un moyen de recherche collective des solu-
tions au travail, l’AFEST peut être un levier pour rendre les organisations plus capa-
citantes. u

Bibliographie

BERTHELOT, O. ; ULMANN, A.-L. 2018. « Reconnaître les compétences à partir des FEST :
un changement de paradigme pour les formateurs ? ». Éducation permanente. N° 216, p. 111-128.
124 FERNAGU OUDET, S. 2012. « Concevoir des environnements de travail capacitants comme espace
de développement professionnel : le cas du réseau réciproque d’échanges des savoirs à La Poste ».
n° 227/2021-2

Formation-emploi. N° 119, p. 7-27.


FERNAGU OUDET, S. 2014. « Agir collectif et environnement capacitant ». Éducation permanente,
hors-série AFPA, p. 171-186.
EDUCATION PERMANENTE

FERNAGU OUDET, S. 2016. « L’approche par les capabilités au prisme de la formation : vers
la conception d’environnements capacitants ». Dans : S. Fernagu Oudet, C. Batal (dir. publ.).
Révolution dans le management des ressources humaines : des compétences aux capabilités.
Lille, Presses universitaires du Septentrion, p. 371‑391.
FERNAGU OUDET, S. ; CARRÉ, P. 2017. Capabilité et environnement capacitant. Rapport transverse.
Université de Paris-Nanterre/Interface Recherche.
PROST, M. ; FERNAGU OUDET, S. 2016. « L’apprenance au prisme de l’approche par les capabilités ».
Éducation permanente. N° 207, p. 87-96.
SEN, A. 2000. Repenser l’inégalité. Paris, Le Seuil.
PAUL SANTELMANN

Quelles intentions et quelles méthodes


pour les AFEST ?

Dans un contexte global de réinternalisation des fonctions formatives au sein du


système productif, le développement des actions de formation en situation de
travail ne se résume pas à une innovation pédagogique. La vigilance est de mise,
car le modèle scolaire est toujours prégnant dans la façon dont les entreprises s’em-
parent de la formation professionnelle. Les universités, écoles ou CFA d’entre-
prises se déploient en effet le plus souvent selon des modes classiques, dédiés aux
plus qualifiés et empruntant au modèle pédagogique dominant : entreprise dispen- 125
satrice de stages, alternance juxtaposée, tutorat d’application, campus dédié aux
cadres, e-learning descendant, etc.

n° 227/2021-2
Les AFEST ouvrent la voie à un nouvel équilibre vertueux entre les apports
des organismes de formation ou des CFA et les fonctions formatives des entreprises.
Encore faut-il que les pistes ouvertes par l’expérimentation initiatrice de cette
démarche (Santelmann, 2018) ne s’altèrent pas à l’occasion de leur mise en œuvre

EduCATioN pErmANENTE
dans l’univers complexe et contrasté des entreprises. Au sein de celles-ci, il
convient de favoriser l’émergence de formateurs référents, chargés de mettre en
place les fonctions formatives utiles à la mise en œuvre d’AFEST et, plus large-
ment, d’organisations apprenantes et qualifiantes du travail. Les AFEST ne gagne-
ront en notoriété sociale qu’à la faveur d’ambitions visant, par le développement
de pratiques formatives intégrées dans les organisations, à mieux insérer les moins
qualifiés dans les collectifs de travail et à favoriser leur employabilité. Non pas
qu’elles doivent se limiter à cet objectif, mais elles ne peuvent l’occulter sans
risquer de perdre leur valeur ajoutée, y compris économique.
Cette perspective nécessite également un appui de la part d’intervenants
externes favorisant l’appropriation, par les formateurs référents, d’intentions et de
principes méthodologiques qui conditionnent la réussite des AFEST. Ces éléments
relèvent de deux approches : la maîtrise des processus individuels et collectifs
d’apprentissage ; l’analyse critique et didactique du travail, notamment sous
l’angle des organisations et des marges d’initiative des salariés.

PAUL SANTELMANN, consultant/expert en ingénierie des compétences (paul.santelmann@dbmail.com).


paul santelmann

Objectifs
L’AFEST n’est ni un nouveau dispositif ni une nouvelle norme, c’est l’exten-
sion instrumentée d’une fonction sociale potentiellement présente dans nombre
d’entreprises. Formation sur le tas, transmission des savoir-faire in situ, pratiques
tutorales liées aux alternances école/entreprise, apprentissages informels et expé-
rientiels, tout cela constitue le terreau des AFEST. Cette démarche répond donc à
plusieurs objectifs de l’entreprise qui, face à des besoins en compétences ne trou-
vant pas de réponse dans l’offre de formation existante, ou souhaitant formaliser,
organiser, voire certifier, les processus informels d’apprentissage ou les formations
sur le tas, cherche des solutions pour :
– mettre en œuvre de nouveaux produits ou de nouveaux services, donc de
nouvelles pratiques professionnelles et de nouveaux savoir-faire, à tester et à
construire en situation ;
– professionnaliser les nouveaux embauchés sur les éléments spécifiques du poste
de travail ;
– développer de nouvelles tâches ou de nouvelles activités liées à une évolution
126 organisationnelle (par exemple une rotation sur des activités différentes nécessitant
une plus grande polyvalence de certains salariés) ;
– transmettre un savoir-faire rare, par exemple lors d’un départ en retraite ;
n° 227/2021-2

– enrichir les pratiques de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ;


– démultiplier des compétences au sein d’un collectif de travail ;
– attribuer de nouvelles fonctions ou de nouvelles missions à un ou plusieurs salariés ;
– prévenir des risques professionnels ;
EduCATioN pErmANENTE

– accompagner une innovation technique ;


– faire évoluer un salarié vers un nouveau poste de travail ;
– formaliser des séquences formatives pour des apprentis ou des alternants ;
– initier des pratiques professionnelles responsables sur le plan sociétal (environ-
nement, qualité, éthique, etc.).
La phase préalable d’un diagnostic d’opportunité est primordiale pour identi-
fier les situations de travail concernées afin de les aménager dans un objectif for-
matif. Elle consiste en outre à identifier des éléments de « référence » pour l’acti-
vité, points de repères qui permettront d’évaluer la progression formative en
termes de réalisation, de durée d’exécution, de qualité, etc.

Sens, intentions et incidences


pour les raisons et les objectifs évoqués plus haut, l’AFEST demeure une
action de formation aux exigences spécifiques, qui élargit la multimodalité mais
suppose un déplacement de l’ingénierie de formation vers un collectif de travail. il
s’agit d’enrichir l’organisation ou le système de travail de fonctions formatives,
paul santelmann

formalisées, portées par les salariés et par l’encadrement de proximité. Celles-ci


engagent l’employeur ; elles sont compatibles avec les objectifs économiques de
l’entreprise et s’inscrivent dans la recherche du travail bien fait. Cette appropriation
des fonctions formatives par l’entreprise n’élimine pas l’apport éventuel d’orga-
nismes de formation adoptant une posture de complémentarité et d’appui. Toute-
fois, compte tenu de l’hypertrophie de l’appareil français de formation profession-
nelle, le développement des AFEST suppose :
– un modèle économique adapté au niveau sectoriel ou/et territorial (quel impact
sur les modes de financement de la formation ?) ;
– un nouveau pacte social fondé sur l’entreprise apprenante ou formatrice, qui
rééquilibre le rapport entre organismes de formation et entreprises ;
– une intégration de ce pacte par les systèmes de certification professionnelle.
Aujourd’hui, ces conditions ne sont pas réunies car la plupart des acteurs insti-
tutionnels ne sont pas convaincus de l’importance de l’essor d’entreprises appre-
nantes. Cette réticence tient à leur attachement au monopole de la transmission des
savoirs par l’appareil de formation, et à une représentation des entreprises résumée
au lien de subordination des salariés à l’égard des employeurs.
pour autant, les premières expériences ont contribué à résoudre de nom- 127
breuses questions traversant les collectifs de travail. La mise en œuvre des AFEST
favorise la cohésion des équipes grâce à la recherche, par les salariés, du travail

n° 227/2021-2
bien fait, ainsi que l’identification et la résolution collective de certains dysfonc-
tionnements ou certaines malfaçons. Elle valorise également l’encadrement de pro-
ximité dans sa fonction d’accompagnement et d’appui aux équipes, et d’approche
partagée des risques professionnels et des modalités de prévention.

EduCATioN pErmANENTE
Cette appropriation collective de la façon d’intégrer, dans le travail, une
réflexion sur les savoirs professionnels et les modes de développement des compé-
tences liés à la qualité du travail a une incidence importante sur les critères de
recrutement, l’intégration des nouveaux embauchés ou des intérimaires, l’accueil
et l’accompagnement des apprentis ou des alternants.
pour toutes ces raisons, le soutien et l’engagement du syndicalisme à l’égard
de cette démarche est un enjeu important pour son développement et sa réussite
dans les entreprises, « là où les conséquences des choix organisationnels et techno-
logiques prennent forme, là où les critères d’accueil des jeunes en formation pren-
nent toute leur importance, là où l’expérience des seniors est mobilisée, là où
l’interaction du système de formation avec le système de travail prend tout son sens
et peut être maîtrisée par les collectifs de travail » (Santelmann, 2021).

Intentions et conditions favorables


L’ambition des AFEST est de développer une compétence collective nouvelle
dans le fonctionnement de l’entreprise, consistant à organiser le travail pour qu’il
paul santelmann

puisse intégrer une dimension apprenante compatible avec la performance éco-


nomique et la reconnaissance sociale des salariés. pour beaucoup, cela tient du
paradoxe. En réalité, il s’agit de promouvoir un collectif de travail « intelligent »,
adepte du travail « bien fait ». Les AFEST sont ainsi porteuses d’une réflexivité
critique sur les processus et les organisations du travail ; elles ne peuvent prospérer
qu’en dépassant les objectifs strictement adaptatifs, liés à des modifications margi-
nales du poste de travail et atteints, depuis longtemps, selon les modalités clas-
siques de la formation continue.
Le développement des AFEST dépend notamment des possibilités d’amé-
nager les activités de travail pour y insérer des temps et des espaces d’organisation
de l’apprentissage, et permettre l’intervention du formateur référent chargé d’ac-
compagner ce processus et d’assurer sa traçabilité. Selon les métiers, les organisa-
tions de travail ou les contextes d’exercice de l’emploi, cet aménagement est plus
ou moins réalisable. Les situations ne sont pas toutes équivalentes en termes d’in-
vestissement organisationnel et pédagogique. une première approche doit
permettre d’anticiper les problèmes à résoudre.
S’agissant des activités correspondant aux métiers de base (ouvriers,
128 employés, techniciens, etc.), la mise en œuvre d’AFEST est confrontée à plusieurs
situations plus ou moins favorables.
n° 227/2021-2

Situations favorables aux AFEST Situations moins favorables aux AFEST

• Activités difficiles à reconstituer en dehors • Activités relevant du travail prescrit, facile-


de l’entreprise pour des raisons techniques ment reproductibles en centre de formation
EduCATioN pErmANENTE

ou financières, et nécessitant une immersion (ce qui n’obère pas l’hypothèse d’une AFEST)
dans les lieux de travail et la mise en place où il s’agit d’arbitrer entre une modalité clas-
de fonctions formatives intégrées C’est le cas sique et l’intérêt de cette démarche :
des activités spécifiques que l’on retrouve – activités plutôt stables, standardisées, mono-
dans une partie de l’artisanat ou des métiers sectorielles, invariantes (faiblement modifiées
« rares ». par les innovations techniques, procédurales,
• Activités fortement liées aux contextes de normatives ou réglementaires) ;
travail ou impactées par le travail en équipe, – activités nécessitant peu de ressources
les échanges, les interactions, et où le déve- matérielles, techniques ou pédagogiques ;
loppement des compétences obéit à une – activités faiblement influencées par
dynamique collective peu propice à des les contextes de travail ;
formations en centre. – activités faiblement concernées par
• Activités marquées par une accélération le travail en équipe ;
des évolutions techniques et/ou par une – activités requérant l’assimilation de nom-
grande diversité des pratiques en fonction breuses informations ou consignes de type
des secteurs, de la taille des établissements, réglementaire ou normatif qu’il est préférable
du degré de modernisation des entreprises d’acquérir en dehors des lieux de travail...
(l’appareil de formation externe est souvent • Activités dangereuses, nécessitant un cadre
en décalage par rapport aux besoins des entre- approprié de confrontation sécurisée aux
prises en compétences). risques concernés (reproduction de la situation
paul santelmann

• Nouveaux métiers qu’il est préférable en centre de formation, simulation, décontex-


d’enraciner dans des nouvelles modalités tualisation, etc.) afin de favoriser l’acquisition
de formation mieux intégrées dans les orga- des gestes professionnels requis sans mise en
nisations de travail. danger des apprenants ou du matériel
• Activités mobilisant du matériel ou des pro- (la compétence ne pourra se développer
duits coûteux ou fragiles, supposant une ap- qu’en situation de travail réelle).
propriation préalable des précautions relatives • Activités n’impliquant pas un collectif
à leur usage et des conséquences de manipu- de travail et s’exerçant essentiellement
lations inappropriées. La façon de construire de façon solitaire.
cette séquence doit être conçue avec les
professionnels expérimentés et mise en place
dans l’entreprise au plus près du contexte
de travail.

Faisabilité
Une situation de travail est avant tout une situation de production (d’un
produit ou d’un service), d’intervention sur un système, de gestion d’informations,
qui possède une dimension économique pouvant être mise en cause par l’apprenant
(déclenchement d’une panne, d’un incident, d’un accident sur un tiers...) et 129
comporte des risques professionnels pour l’apprenant lui-même. Pour un inter-
venant externe, il est nécessaire de définir la faisabilité de l’AFEST à partir des

n° 227/2021-2
opportunités d’apprentissage intégré qu’offrent les activités professionnelles et les
compétences concernées. C’est l’objectif du diagnostic métier (voir la grille d’en-
tretien, page suivante).
Cette démarche doit être appropriée par les formateurs référents et par le

EDUCATION PERMANENTE
collectif de travail : proposer à l’entreprise un kit de diagnostic préparatoire à une
AFEST n’est pas la meilleure façon de réunir les conditions de succès de la
démarche. Pour autant, il ne s’agit pas d’arriver les mains vides et de se limiter à
un diagnostic partagé découlant d’entretiens avec le chef d’entreprise et/ou avec
les salariés, à qui est demandé un exercice qui ne va pas de soi. La démarche la
plus efficiente consiste à disposer préalablement :
– d’un argumentaire sur la valeur ajoutée des AFEST pour le fonctionnement et le
développement de l’entreprise ;
– d’une grille de questionnements relatifs au repérage des conditions et des
contextes contributifs à la mise en œuvre d’une AFEST (cette grille doit intégrer les
éléments de l’argumentaire) ;
– des référentiels relatifs aux métiers concernés par le projet d’AFEST, en identi-
fiant les « activités-clés » (essentielles et structurantes de l’exercice du métier) les
plus appropriées à des mises en situations apprenantes dans l’entreprise.
Au cours des entretiens (salariés exerçant l’activité-cible, employeur ou
manager de proximité, futur formateur référent), le référentiel correspondant à
l’emploi concerné (diplôme, titre professionnel, CQP) peut être utilisé pour
paul santelmann

relancer ou affiner les représentations des interviewés. Cette confrontation entre les
référentiels-types préétablis et les appréciations des interlocuteurs de l’entreprise
sur les mêmes activités est doublement productive : elle permet de valider ou d’en-
richir les éléments constitutifs du référentiels utilisés, mais aussi d’amener l’entre-
prise à les intégrer comme apports de réflexion sur ses pratiques professionnelles.
dans de nombreux cas, l’emploi concerné par l’AFEST ne renvoie cependant
pas à un référentiel existant. L’entretien avec le professionnel référent de l’entre-
prise (éventuellement appelé à devenir le formateur interne responsable de la
conduite de l’AFEST) doit alors permettre de :
– décomposer l’emploi en activités autonomes à partir d’une semaine-type de
travail ;
– décomposer chaque activité autonome en décrivant les tâches spécifiques sur une
journée de travail ;
– comprendre le contexte de l’emploi (contraintes, modes d’organisation, fonc-
tions hiérarchiques ou managériales, emplois connexes, travail en équipe ou seul,
conditions et ambiance de travail, relation-client, aléas habituels et rares, risques
professionnels...).
130 Sur cette base, l’entretien permet de définir les compétences et les capacités
(techniques, générales, transversales, psychomotrices) à développer en situation, à
concevoir le processus concerné par l’AFEST et à identifier la façon d’aménager la
n° 227/2021-2

situation de travail pour y intégrer les étapes et les éléments constitutifs de


l’AFEST. Les compétences transversales sont notamment un élément de valorisa-
tion des emplois peu qualifiés et des personnes qui les exercent. Ces compétences
sont un objectif important des AFEST ; elles nécessitent donc une clarification
EduCATioN pErmANENTE

préalable avec l’entreprise, compte tenu du large éventail des définitions relatives
à ce concept (Santelmann, 2019).
Eléments
Exemple de grille d’entretien oui
favorables
Activité concernée par l’AFEST : non
à l’AFEST

1. Est-elle peu répandue (c’est un métier très spécifique) ?


2. Est-elle récente (c’est un nouveau métier) ?
3. mobilise-t-elle du matériel coûteux ?
4. Comporte-t-elle des risques professionnels ?
5. Est-elle diffusée dans de nombreux secteurs ?
6. Est-elle soumise à de fréquents changements techniques ou normatifs ?
7. Est-elle liée à un travail d’équipe important ?
8. Est-elle composée d’activités/tâches indépendantes les unes des autres ?
9. Est-elle tributaire de plusieurs éléments de contexte (relation client
ponctuelle, événements imprévus, etc.) ?
10. Nécessite-t-elle de savoir organiser son travail (fixer les délais de
production, choisir sa façon d’atteindre les objectifs...) ?
11. permet-elle des marges de manœuvre ou d’initiative ?
paul santelmann

12. Nécessite-t-elle d’importantes capacités d’adaptation ?


13. Nécessite-t-elle de savoir régler soi-même certains incidents ou
dysfonctionnements ?
14. Nécessite-t-elle la maîtrise d’informations ou de consignes écrites ?
15. dépend-elle d’une organisation du travail très hiérarchisée ?
16. Nécessite-t-elle de l’autonomie et des prises de décisions (c’est une
activité qui s’exerce souvent seul où il faut savoir se « débrouiller ») ?
17. Nécessite-t-elle des relations de travail avec des salariés exerçant
d’autres métiers ou fonctions ?
18. permet-elle d’apprendre des choses nouvelles ?
TOTAL

Positionnement et didactique
Le déroulement d’un processus de formation (y compris en situation de
travail) ne reproduit pas mécaniquement l’exercice de l’activité. une reconstruc-
tion didactique est à mener en vue de favoriser un apprentissage efficient, qui s’ap-
puie en partie sur les ressources formatives internes de l’entreprise. En fonction de
l’expérience ou du degré de préparation de l’apprenant, le choix des situations de 131
travail peut donc varier.
En principe, on ne place pas un novice en situation réelle de travail immédia-

n° 227/2021-2
tement. Selon les tâches à accomplir, un temps de préparation s’impose : observa-
tion en réel ou par vidéo, appropriation de consignes, entraînement, simulation,
mise en situation sur poste de travail reconstitué, etc.) .
définir un objectif d’apprentissage en situation de travail suppose d’avoir un

EduCATioN pErmANENTE
premier échange avec l’apprenant sur la façon dont il mesure sa capacité à atteindre
l’objectif à partir d’une description synthétique de l’activité professionnelle con-
cernée (il est demandé à l’apprenant de se positionner sur les différents types de
compétences requises), ainsi que sur ses acquis dans le domaine d’activité
concerné, à l’aide d’un entretien ou d’un questionnaire adapté. Le premier volet
permet d’identifier le niveau d’engagement de l’apprenant dans la démarche ; le
deuxième permet de conforter ou de pondérer ce niveau d’engagement. En fonc-
tion de la plus ou moins grande distance avec l’objectif global de l’AFEST, l’amé-
nagement des situations de travail sera plus ou moins important, de même que la
vigilance du formateur lors du suivi du processus et des phases réflexives. Ce posi-
tionnement s’appuie sur les compétences (ou les capacités) requises pour exercer
l’activité et définies dans le cadre de référence établi avec l’entreprise. Ces compé-
tences sont de trois ordres :
– techniques (maîtrise d’usage de machines, d’outils, de matériels divers, de maté-
riaux, etc.) ; dans ce cas, le positionnement s’avère assez élémentaire ;
– transversales (relationnelles, organisationnelles) ; il s’agit d’expliciter les acquis
expérientiels relatifs aux compétences mobilisées dans des activités antérieures ;
paul santelmann

– générales (savoirs de base, disciplinaires, connaissances technologiques...) ;


l’usage de tests peut s’avérer utile.

Niveau d’engagement de l’apprenant

Auto-positionnement Incidence sur l’organisation de l’AFEST

• Capacités techniques : maîtrisées ou non


• Compétences transversales : plus ou moins
acquises
• Connaissances générales : totalement ou
partiellement maîtrisées.

Acquis de l’apprenant

Indicateurs objectifs Incidence sur l’organisation de l’AFEST

• Capacités techniques : maîtrisées ou non


• Compétences transversales : plus ou moins
132 acquises
• Connaissances générales : totalement ou
partiellement maîtrisées.
n° 227/2021-2

L’AFEST est un processus fondé sur l’interaction d’un apprenant avec un


formateur référent et une situation de travail. par comparaison avec la formation
sur le tas, l’AFEST est un facteur d’intensification et d’accélération du processus
EduCATioN pErmANENTE

de professionnalisation. Le suivi/évaluation assuré par le formateur référent s’ap-


puie sur les indices de réussite des différentes étapes qui ponctuent la progression
formative. Ces indices nécessitent une observation consistant notamment à repérer
les critères suivants :
– adhésion de l’apprenant à l’activité (intérêt pour les tâches à accomplir) ;
– adaptation aux situations rencontrées (plus ou moins grande aisance à accomplir
les tâches) ;
– maîtrise de l’exercice professionnel (sûreté du geste, habileté, confiance en soi) ;
– initiative face à des imprévus ;
– bonne gestion des erreurs (rapidité de la prise de conscience de s’être trompé,
capacité à ne pas persister dans une modalité erronée, surmonter le découragement,
mobiliser ses propres ressources plutôt que de demander une aide, etc.).
La notion d’« adhésion » semble être plus adaptée que celle de motivation,
corrélée dans ses effets au champ formatif plutôt qu’au travail lui-même, notam-
ment quand celui-ci est mobilisé sur un projet. Cette adhésion peut s’objectiver en
fonction des différents types d’activités. Les indices de progression se situent dans
la capacité de l’apprenant à mobiliser et à améliorer de façon conséquente ses
paul santelmann

capacités à réaliser et à fiabiliser les tâches qu’il a accomplies (construire son


champ de compétences). il s’agit notamment de mesurer, au regard des compé-
tences nécessaires (savoirs d’action, compétences sociales, etc.), des indices de :
– mobilisation de ressources personnelles (minimales, maximales, moyennes) ;
– progression ou amélioration dans la façon de réaliser des objectifs (performants,
moyens ou faibles) ;
– mobilisation de ressources externes pour résoudre les difficultés rencontrées.

Situations difficiles (non exhaustif) Causalités

1. L’apprenant ne comprend pas bien une consigne écrite ou orale.


2. L’apprenant parvient difficilement à mémoriser une procédure complexe.
3. L’apprenant ne parvient pas à reproduire un geste professionnel.
4. L’apprenant n’est pas à l’aise dans une relation-client où il doit fournir
une explication technique (fonctionnement d’un outil ou d’un mécanisme...).
5. L’apprenant est dans une logique de démotivation ou de désengagement.
6. L’apprenant ne commet pas d’erreurs mais ne parvient pas à respecter les
temps de réalisation des exercices.
7. L’apprenant ne parvient pas à garder son attention dans la réalisation de
certains travaux minutieux.
133
8. L’apprenant a des difficultés à s’organiser, à planifier ses apprentissages.
9. L’apprenant ne parvient pas à intégrer les critères de qualité dans la réali-

n° 227/2021-2
sation des exercices ou des travaux.
10. L’apprenant a des difficultés à interpréter les messages verbaux ou visuels.
11. L’apprenant n’a pas trouvé sa place dans un groupe de travail ayant à
résoudre un problème.

EduCATioN pErmANENTE
12. L’apprenant a des difficultés de perception (visuelle, auditive...).

Une réflexivité de chaque instant


Le formateur référent doit également être sensibilisé aux difficultés qu’un
apprenant peut rencontrer et en identifier les causes. L’analyse du travail à des fins
formatives nécessite donc une méthode permettant de construire un processus
d’apprentissage intégrant les contraintes de l’AFEST. Cette condition suppose un
aménagement de la situation habituelle de travail qui ne soit pas un bouleverse-
ment ou une reconstruction complète telle qu’on peut en rencontrer dans un centre
de formation. Cette méthode consiste à :
– identifier les savoirs qui sous-tendent les éléments composant une activité ;
– établir la liste des situations-problèmes qui caractérisent la bonne pratique de
l’activité et les compétences associées ;
– découper l’activité de travail en situations apprenantes et objectifs de formation ;
– concevoir un apprentissage progressif en formalisant les étapes à franchir ;
– anticiper la traçabilité du processus de formation (preuves des apprentissages) ;
paul santelmann

– définir à chaque étape les critères d’évaluation de la progression formative


(qualité du travail, vitesse d’exécution, aisance dans la réalisation, prise d’initia-
tive, capacité à expliquer sa façon de faire, etc.) ;
– formaliser les consignes qui serviront de guidage de l’apprenant. Ce dernier point
est essentiel car une inflation d’objectifs au départ de l’AFEST est un facteur de
déstabilisation. À la présentation globale et synthétique de l’activité, succèdent des
consignes claires des objectifs de formation au fur et à mesure des étapes à franchir.
L’aménagement de la situation de travail, visant à y insérer des dimensions
formatives, requiert une analyse des situations/problèmes (tâches concrètes) qui
caractérisent l’activité professionnelle concernée du point de vue des profession-
nels référents, de l’encadrement, mais aussi d’un regard externe rompu à l’ingé-
nierie des compétences. Cette analyse a pour objectif d’identifier les étapes essen-
tielles du processus de formation, là où il faudra mobiliser du temps de vigilance,
d’accompagnement et d’évaluation de la progression de l’apprenant. Les situa-
tions-problèmes s’énoncent en termes de tâches caractérisées par des modalités de
réalisation permettant d’apprendre à faire et de développer des compétences iden-
tifiées : savoir se servir d’un outillage ou d’une machine ; préparer une com-
134 mande ; mettre en route un système ; maîtriser l’usage de matériaux ; diagnostiquer
un problème ; surveiller une étape importante d’un procédé de production ;
résoudre un dysfonctionnement ; remplir une fiche de reporting, etc.
n° 227/2021-2

une partie analytique se joue ainsi avant la mise en œuvre de l’AFEST, qui
relève d’une coconstruction entre le conseiller externe et le formateur référent
interne de l’entreprise. Celui-ci aura également comme fonction de mobiliser le
collectif de travail qui contribuera à l’optimisation du processus de formation.
EduCATioN pErmANENTE

Le volet réflexif des AFEST se répartit en deux familles (non complètement


cloisonnées) où la pédagogie de l’erreur ou des dysfonctionnements est un volet
important. Certaines mises en situation sont focalisées sur l’exécution « intelli-
gente », la reproduction de modèles, l’application de consignes ou de techniques,
ce qui limite le champ réflexif. Ces séquences traduisent le poids du travail prescrit
dans une partie des activités professionnelles des ouvriers et des employés, mais
concernent aussi des métiers de précision ou de procédure où il s’agit d’appliquer
rigoureusement des tâches très spécifiées. La réflexivité tient dans la compréhen-
sion des raisons qui s’imposent à une certaine unilatéralité de l’acte de travail et
aux marges de manœuvre éventuellement liées à l’exercice « expert » du travail.
d’autres mises en situation favorisent plutôt, chez l’apprenant, la réflexion durant
l’action puis l’auto-analyse de son action (expérimentation, exploration, échange).
Ces situations sont plutôt appropriées aux activités professionnelles dans lesquelles
il s’agit de prendre des initiatives, de décider, d’innover, d’improviser, de tester des
options, de gérer des aléas, d’analyser et de résoudre des dysfonctionnements, de
s’adapter à des contextes différents, de coopérer ou de diriger un collectif, d’être
en relation avec des clients, etc.
paul santelmann

pour l’apprenant, la démarche réflexive est l’occasion d’une analyse « distan-


ciée » du vécu de son apprentissage, d’une appropriation de la façon dont il a
atteint les objectifs qui lui ont été assignés. il s’agit pour lui d’analyser sa façon
d’agir, de résoudre les problèmes rencontrés, d’évaluer ce qu’il lui faut consolider,
etc. Cette séquence suppose une animation « distanciée » (formateur ou consultant
externe).

Conclusion
C’est la massification des AFEST qui permettra de valider, d’enrichir et
d’adapter ces éléments de méthode. ils constituent des repères d’action qui,
compte tenu de l’extraordinaire variété des situations rencontrées, ne s’opposent
pas au pragmatisme de terrain. La formation professionnelle est une pratique
sociale avant d’être un système ; l’instrumentation qu’elle suppose ne saurait se
résumer à une prescription de type réglementaire ou normative, forcément réduc-
trice. Les acteurs concernés par le développement des AFEST doivent disposer de
marges d’initiative, d’innovation et d’adaptation, qui seront d’autant plus perti-
nentes qu’elles s’appuieront sur des ressources méthodologiques ouvertes, abon- 135
dées de façon permanente par les expériences.
Sans un engagement du système d’acteurs de la formation professionnelle

n° 227/2021-2
continue, et notamment des représentants du monde du travail, l’AFEST risque de
demeurer une démarche marginale, au même titre que la VAE. dans les deux cas,
c’est la reconnaissance de ce qui se joue dans les mutations du travail qui est en
jeu, et qui devrait être au cœur du dialogue social d’entreprise. u

EduCATioN pErmANENTE
Bibliographie

SANTELMANN, P. 2018 « AFEST : quelques leçons d’une expérimentation prometteuse ». Éducation


permanente. N° 216, p. 129-140.
SANTELMANN, P. 2019 « Quel usage des compétences transversales ? ». Éducation permanente
hors-série AFPA, p. 33-44.
SANTELMANN, P. 2021. Travail et ambition sociale. Plaidoyer pour une refondation du syndicalisme.
Rouen, L’Autre face.
EduCATioN pErmANENTE n° 227/2021-2

136
Trans’Faire, ou le transfert des savoir-faire chez Thales
Dans la plupart des entreprises, les compétences professionnelles sont liées à des
technologies et à des produits spécifiques. Contextualisées, elles nécessitent un apprentis-
sage en situation de travail, le plus souvent entre pairs. Parfois, la transmission n’est pas
véritablement formalisée et s’effectue sur le tas. L’efficacité des transferts est alors ques-
tionnée par les opérationnels eux-mêmes qui constatent les difficultés, pour les nouveaux
venus, d’acquérir les savoir-faire requis par l’exercice du métier. Professionnaliser la
transmission des compétences est devenue une nécessité. Bien avant la formalisation de
l’AFEST, Thales a mis en place des pratiques de transfert des savoirs et des compétences
s’appuyant sur les actions en situation de travail, le plus souvent dans le but de préserver
les compétences critiques en cas de départ d’un collaborateur.

Du transfert de savoirs au parcours d’apprentissage


Pouvoir agir par la seule formation sur la performance, c’est oublier qu’au moins
trois conditions sont nécessaires pour passer de la première à la seconde. Il faut d’abord
que la formation conduise à l’apprentissage, ce qui est loin d’être évident. Ensuite que
l’apprentissage in vitro conduise à la compétence in vivo, ce qui implique un travail
de transfert rarement accompli. Enfin, le passage de la compétence à la performance
dépend de critères et de conditions qui échappent à la formation1. 137
Le dispositif conçu par Thales pour transmettre les savoir-faire, appelé Trans’Faire,

n° 227/2021-2
s’appuie sur les apports conceptuels, notamment sur le processus d’apprentissage, les
différences entre savoirs tacites et savoirs explicites, les préférences d’apprentissage des
apprenants, le questionnement... S’appuyant sur le concept d’apprenance, il est conçu
comme un dispositif non pas de formation (réfléchi du côté du formateur) mais d’appren-

EDuCATion PErmAnEnTE
tissage (pensé du côté de l’apprenant). Ce changement de vocabulaire est à l’origine d’un
changement de posture et de culture chez Thales : les acteurs de la formation sont devenus
des facilitateurs dans la construction de parcours conçus pour répondre à des besoins
opérationnels.
La contribution de ces facilitateurs dans les transferts de savoirs a permis de rendre
ces parcours visibles, et de rendre explicite le fait que l’on peut se former autrement que
par un stage : avec ses pairs et en situation de travail. Ainsi fut créé un code, de manière
à inscrire ces « parcours » (qui n’étaient alors pas considérés comme des actions de forma-
tion) dans le plan de formation. Cette formalisation a officialisé le fait que l’apprenant est
identifié comme étant « en formation » durant tout le parcours. À ce titre, il a le droit de
tâtonner, de se tromper, de questionner son tuteur. Les heures d’apprentissage de l’appre-
nant et de son tuteur sont imputées partiellement ou en totalité sur le plan de formation.
Les compétences acquises par l’apprenant figurent dans son historique de formation.
L’idée a progressivement fait son chemin. Aujourd’hui, les managers s’adressent
directement aux équipes formation des différents sites pour les aider à bâtir les parcours.
D’abord utilisée au moment du départ ou du changement de poste d’experts, dans l’ob-
jectif de ne pas perdre les compétences-clés de l’entreprise, la méthode s’est largement
répandue dans le groupe et de nombreux parcours Trans’Faire sont lancés chaque année.

1. P. Carré, « L’apprenance : une autre culture de la formation », dans : E. Bourgeois et S. Enlart (dir. publ.). Apprendre dans
l’entreprise, Paris, Puf, 2014.
Un parcours d’apprentissage en quatre étapes
1. Partage des objectifs.
Toutes les parties prenantes s’accordent sur la finalité du parcours et définissent l’ob-
jectif pédagogique : ce que l’apprenant devra acquérir, ce que le tuteur devra transmettre.
Chacun est invité à s’exprimer sur les besoins et sur les freins éventuels à l’apprentissage
et à la transmission, liés à l’organisation, au tuteur, à l’apprenant. La présence du manager
permet de vérifier la faisabilité du parcours et de s’assurer que les conditions seront
réunies pour permettre l’apprentissage, et notamment qu’il y aura bien un temps dédié.
Cette étape est essentielle pour stabiliser les trois piliers de l’apprentissage en situation de
travail : savoir apprendre, vouloir apprendre et pouvoir apprendre.
2. Construction et formalisation du parcours.
Après avoir identifié les activités réelles et les activités prescrites pouvant être utili-
sées pour apprendre, il s’agit de déterminer les modalités d’apprentissage qui permettront
à l’apprenant d’acquérir les compétences identifiées et de coconstruire avec lui un
parcours individualisé d’apprentissage, en fonction de ses compétences de départ, de sa
manière d’apprendre et la réalité du contexte de travail.
3. Suivi.
Le parcours d’apprentissage se déroule tel que l’apprenant et le tuteur l’ont conçu,
avec un suivi ponctuel du facilitateur, présent en tant que ressource, s’assurant de la
138 méthode et de la qualité de la relation apprenant-tuteur-manager. Certains ajustements sont
parfois nécessaires pour s’adapter à la réalité du terrain et aux changements.
4. Bilan du parcours et évaluation des compétences acquises par l’apprenant.
n° 227/2021-2

inscrit dans le plan de développement des compétences, un document de suivi du


parcours, reprenant les quatre étapes, est cosigné par l’ensemble des parties prenantes :
apprenant, tuteur, manager, rH. À la fin du parcours, le tuteur, l’apprenant et le manager
évaluent l’acquisition des compétences et remettent à l’équipe formation un document
EDuCATion PErmAnEnTE

détaillant le parcours réalisé (les activités au regard des compétences à acquérir et les
modalités d'apprentissage privilégiées).

La situation de travail au centre du dispositif


L’AFEST est une opportunité pour rendre plus efficace l’expérience de l’apprenant,
grâce à un encadrement des situations de travail. L’apprentissage résulte de la capacité de
l’apprenant à tirer des enseignements des activités qu’il a réalisées pour améliorer sa
manière de travailler. Au-delà de l’expérience, les apports de l’AFEST, en acculturant les
parties prenantes aux notions de situation apprenante, d’analyse du travail réel, de réflexi-
vité, ont un impact sur l’organisation du travail.
L’AFEST se met en place de la manière suivante : autopositionnement sur les compé-
tences critiques par l’apprenant ; identification de situations apprenantes inscrites dans la
réalité de l’activité ; formalisation de séquences réflexives pour les situations de travail
significatives. En questionnant l’activité, la réflexivité aura inévitablement un impact sur
les manières de travailler. nouveau, le concept a besoin d’être compris avant d’être adopté
par l’ensemble des acteurs et de devenir une pratique naturelle. C’est à ce prix que l’en-
treprise deviendra réellement apprenante.

Catherine Bacarrère,
conseil en développement des compétences au Campus Thales, Bordeaux.
FABIENNE CASER

Les AFEST, véhicules de l’amélioration


des conditions de travail

L’amélioration des conditions de travail n’était pas affichée comme une finalité
de l’expérimentation nationale AFEST (action de formation en situation de travail),
pilotée par la DGEFP1 avec les partenaires sociaux (COPANEF, FPSPP, CNEFOP2) et
conduite avec l’appui du réseau ANACT-ARACT. Pour autant, des effets non
attendus allant dans ce sens ont pu être identifiés dans le processus d’évaluation
que nous avons accompagné. Le point de vue développé ici est que cette nouvelle
modalité de formation, dont le principal matériau pédagogique est l’activité de 139
travail, permet aux salariés qui en bénéficient d’être en capacité d’agir dans et sur
les situations de travail dont ils font l’expérience. À condition toutefois que

n° 227/2021-2
l’AFEST ait toutes les qualités que l’expérimentation initiale a permis de préciser,
et qu’elle soit réalisée dans de bonnes conditions. Cette capacité est à mettre en
relation avec les dimensions d’efficacité et de construction de sa santé au travail.

EDuCATiON PERmANENTE
L’amélioration des conditions de travail,
effet indirect de la mise en œuvre d’AFEST
n Une ambition centrée sur l’invention d’une nouvelle modalité
de formation
L’expérimentation nationale menée entre 2016 et 2018 avait pour ambition de
définir les contours et les conditions de réussite d’actions de formation en situation
de travail, efficaces en termes de développement de compétences individuelles,
reconnues par la législation comme de véritables actions de formation, et prati-
cables par les entreprises, notamment celles de taille modeste.

FABIENNE CASER, chargée de mission à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail,
département « Expérimentations » (f.caser@anact.fr).
1. Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle.
2. Comité paritaire interprofessionnel national pour l’emploi et la formation professionnelle ; Fonds paritaire de
sécurisation des parcours professionnels ; Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation profes-
sionnelle.
fabienne caser

Le choix de passer par une expérimentation, c’est-à-dire par un processus


permettant d’éprouver de nouvelles manières de faire avec l’ensemble des parties
impliquées, en cherchant à résoudre au fur et à mesure et collectivement les pro-
blèmes soulevés, faisait sens. En effet, si le droit de la formation professionnelle
n’interdisait pas explicitement de former en situation de travail, force était de
constater que, dans la pratique, le stage externe restait majoritaire. Selon Delay et
Duclos (2016), il s’agissait d’« alimenter un processus d’accommodation réci-
proque entre le droit et des pratiques ajustées aux besoins comme au contexte d’ac-
tion des TPE-PmE ».
Le rôle du réseau ANACT-ARACT a notamment consisté à animer un
processus d’apprentissage collectif entre les parties prenantes de l’expérimentation
(institutionnels, partenaires sociaux, OPCA, consultants-formateurs, entreprises)
pour leur permettre de tirer des enseignements de l’expérience qu’ils étaient en
train de faire au fur et à mesure de son déroulement, sur quatre dimensions (l’in-
génierie liée à la mise en place d’une AFEST, les pratiques pédagogiques probantes
en situation de travail, la formalisation nécessaire pour permettre d’assimiler
l’AFEST à une véritable action de formation, le rapport « coût-bénéfice » de
140 l’AFEST), dans le but de donner corps à cette nouvelle modalité de formation.

n Des bénéfices qui dépassent l’acquisition de compétences


n° 227/2021-2

individuelles
L’appréciation du rapport coût-bénéfice de l’AFEST par les parties prenantes
au sein des entreprises (direction, managers, salariés formateurs et bénéficiaires) a
EDuCATiON PERmANENTE

mis en évidence la survenue d’effets autres que l’acquisition de nouvelles compé-


tences pour les individus, attendu premier d’une action de formation. Les illustra-
tions et les verbatim issus des monographies du rapport final d’expérimentation
(Caser et Freundlieb, 2018) renvoient à différents niveaux d’effets.

• À une échelle individuelle


La plupart des salariés formés disent avoir acquis une meilleure maîtrise des
situations de travail qui ont servi de supports aux formations. Cette maîtrise peut
renvoyer à une meilleure capacité à agir en situation, dans le sens d’un geste pro-
fessionnel à la fois efficace et protecteur de l’intégrité physique du salarié en
formation, comme l’illustre l’apprentissage en situation d’un soigneur animalier
lors d’une opération de nettoyage de la cage des reptiles (Berthelot et ulmann,
2018). Elle renvoie aussi à une plus grande capacité à agir sur ces situations. Ainsi,
le soigneur animalier qui vient se former en situation de travail dans un parc zoo-
logique accueillant déjà la nouvelle espèce animale que son propre zoo doit récep-
tionner se sent plus à même, une fois de retour dans sa structure, de configurer son
fabienne caser

environnement de travail pour le confort de l’animal et pour de bonnes conditions


de réalisation du travail des soigneurs.
Les effets mentionnés renvoient à la santé des travailleurs, au sens de la défi-
nition extensive qu’en donne notamment Daniellou (2010), « la santé pouvant être
définie comme la possibilité pour chaque personne d’avoir une influence sur son
environnement et sur sa propre vie ». Les liens entre santé et développement des
compétences ont notamment été développés par Delgoulet et Vidal-Gomel (2013),
à la suite de montmollin (1993), qui a sans doute été le premier à s’y intéresser.
Les témoignages postformation font également référence à d’autres dimen-
sions constituant des facteurs de santé : surcroît de sens donné à son activité par le
biais d’une meilleure analyse et compréhension des situations de travail et des
attentes de l’entreprise – « cela donne du sens à l’activité et à ce que l’on attend de
nous » (opérateur d’une industrie alimentaire) ; des employées d’une jardinerie
évoquent « une meilleure capacité à se situer dans l’entreprise » – ; surcroît de re-
connaissance au plus près des situations de travail – « elle a pris conscience de son
importance, elle s’est sentie valorisée » (gérant d’un hôtel-restaurant à propos
d’une employée d’étage).
141
• À l’échelle des conditions de réalisation du travail
Dans un certain nombre de cas, les effets décrits dépassent la sphère indivi-

n° 227/2021-2
duelle et s’élargissent à l’organisation du travail et de la production (de biens ou de
services) : mise en place de procédures ; corrections de « bugs » ; introduction de
nouvelles pratiques de travail ; mise à disposition, pour l’ensemble des salariés, de
ressources mobilisées ou produites dans le cadre de la formation.

EDuCATiON PERmANENTE
Ainsi, dans une petite entreprise de métallerie, la démarche a été à l’origine
d’une formalisation plus importante des manières de faire, apparue comme utile à
tout le monde : mise à disposition, dans l’atelier et dans les camions, de check-lists
permettant de ne rien oublier avant de partir sur le chantier ; affichage de plans
dans l’atelier. Dans une association qui favorise l’inclusion des personnes en situa-
tion de précarité par l’amélioration de leur habitat, le bilan de la formation avec le
directeur a permis de mettre en évidence des pistes d’amélioration révélées à l’oc-
casion de la mise en œuvre de l’action de formation. il a été décidé de mutualiser
des fiches pratiques explicitant le contenu et le déroulement des ateliers sur la réno-
vation de l’habitat animés par la structure pour en faciliter la préparation.
Autrement dit, les ressources pour bien faire le travail, mises à jour à l’occa-
sion de la conception de l’AFEST, parce que le manager, le salarié formateur se
penchent sur ce qui est nécessaire pour réaliser l’activité, ont été mieux partagées.

• À l’échelle du fonctionnement de l’entreprise


S’agissant du management et des relations au travail, salariés formés et mana-
gers témoignent d’une évolution de leur relation – « la relation d’apprentissage a
fabienne caser

permis de créer un climat de confiance, les salariés en formation osent demander


de l’aide auprès de leur manager » (chef d’entreprise secteur du textile) ; « cette
formation sur le lieu de travail a enrichi notre relation professionnelle » (salariée
du secteur de la communication) –, et d’une évolution de la nature de leurs échan-
ges – « ça oblige à discuter des situations de travail » (responsable de magasin) ;
« la formation en situation a permis de créer une relation entre responsables de
secteur et intervenante à domicile formatrice, une complicité, une interaction »
(manager du secteur de l’aide à domicile).
S’agissant de la gestion des ressources humaines, les managers indiquent que
l’expérimentation leur a ouvert des perspectives pour faire progresser d’autres
salariés, et qu’ils envisagent d’en faire un sujet à aborder en entretien profes-
sionnel ; pour des entreprises qui rencontraient des difficultés de recrutement, cela
a permis d’envisager la possibilité de recruter des salariés ne possédant pas néces-
sairement toutes les bases de l’activité.
Concernant la stratégie et l’organisation de l’entreprise, nous n’avons pas,
dans le cadre de l’expérimentation, établi de liens objectivés entre la mise en œuvre
des AFEST, le développement de compétences individuelles qui en résulte et l’ap-
142 parition de phénomènes d’apprentissages organisationnels, au sens de la notion
d’organisation apprenante telle que définie par Senge (1990), soit un gain pour
l’organisation en termes de réorientation stratégique, c’est-à-dire de compétence
n° 227/2021-2

collective à produire une réponse adaptée aux signaux d’un marché.


La survenue de ces effets élargis n’a été qu’une demi-surprise. En 2007-2008,
le réseau ANACT-ARACT avait accompagné un OPCA pour suivre et évaluer un
projet de transfert des savoir-faire d’expérience dans le cadre d’un financement du
EDuCATiON PERmANENTE

Fonds social européen. Le projet ciblait le développement de compétences


acquises par l’expérience (tour de main, sensibilité au produit, conseil à la clien-
tèle...), difficiles à prendre en compte dans les systèmes de référentiels d’activités
et de compétences. L’analyse rétrospective du projet amène à constater que
plusieurs des qualités de l’AFEST étaient déjà présentes dans les actions de trans-
fert mises en œuvre : le repérage et l’appui sur des situations de travail critiques
mettant en jeu les compétences ciblées ; la mobilisation d’acteurs de l’entreprise ;
un certain niveau de formalisme (désignation des compétences visées, des
ressources, plans de transfert). Selon le bilan final du projet (Caser et Conjard,
2009), « les effets vont généralement au-delà de ce que l’on pourrait a priori
attendre d’une démarche de transmission entre un transférant et un transféré
puisque, dans 89 % des cas, les fiches de suivi analysées font référence à des effets
autres que le développement des compétences [au niveau du management, des
relations de travail, de l’organisation du travail, de la structuration de parcours
professionnels ou d’une professionnalisation plus large], ce que nous avons
retrouvé sur nos terrains ». Dans un certain nombre de cas, c’est l’évaluation
réalisée par le réseau ANACT-ARACT qui a permis d’identifier les effets dont l’en-
fabienne caser

treprise n’avait pas conscience, en particulier au niveau de l’organisation du


travail. Nous préconisions que ces effets soient mieux accompagnés. En cela, nous
mettions en évidence le fait que les démarches de professionnalisation ne se résu-
ment ni à une procédure ni à une question de pédagogie, elles consistent d’abord à
mettre en cohérence des facteurs favorables, liés aux individus, aux collectifs de
travail, à l’organisation, au contenu du travail, aux pratiques de management et aux
caractéristiques des processus de professionnalisation, d’une manière générale
(Conjard et Devin, 2007) ou pour des publics particuliers (Begon et al., 2013).
Toujours est-il que, à l’issue de l’expérimentation nationale, dans le rapport
rendu public en juillet 2018, nous avons qualifié d’indirects les effets sur les condi-
tions de travail décrits ci-dessus. un peu comme si, en travaillant sur les conditions
d’efficacité des AFEST, les entreprises et leurs conseillers avaient agi sans le
vouloir sur cette dimension. À la réflexion, il paraît plus juste d’affirmer que mettre
en œuvre une AFEST peut permettre d’agir directement sur un certain nombre de
déterminants des conditions de travail, y compris l’organisation du travail.

L’AFEST permet d’agir directement 143


sur les déterminants des conditions de travail
Au démarrage de l’expérimentation nationale, et sur la base de son mémoire

n° 227/2021-2
technique fondateur (Delay et Duclos, 2015), le cadrage minimal imposé aux
OPCA pour construire leurs projets d’action de formation en situation de travail
était l’existence de deux séquences alternées, outillées et articulées : une séquence
de mise en situation de travail, préparée et organisée à des fins de formation, donc

EDuCATiON PERmANENTE
distincte d’une situation de travail à visée uniquement productive ; une séquence
d’accompagnement réflexif, elle aussi préparée et organisée, visant à analyser l’ac-
tivité de travail réalisée et à consolider les apprentissages.
La raison d’être de cette deuxième séquence, dite réflexive, était d’abord
d’ordre pédagogique. Travailler ou être dans l’action ne suffisent pas pour ap-
prendre, du moins pour apprendre complètement. il est nécessaire de pouvoir
revenir sur son action, de se l’expliquer et de l’analyser, pour être en mesure de
savoir comment agir demain dans une situation similaire. mais elle devait aussi
servir l’objectif d’accommodation avec le droit de la formation professionnelle, en
venant attester du fait que la situation de travail dont elle fait l’analyse n’était pas
seulement productive et avait bien une visée formative.
Au fil de l’expérimentation, l’analyse des projets conduits, les questions sou-
levées et les difficultés rencontrées ont permis, par touches successives, de donner
de la consistance à la nature et au contenu de ces deux séquences, et de mieux se
représenter collectivement ce qu’implique de réaliser une AFEST. Retracer l’his-
toire de quelques-unes de ces révélations nous permettra d’expliciter des liens
directs entre les qualités de l’action et les conditions de travail.
fabienne caser

n Développer une capacité à agir dans et sur les situations


Après une phase de cadrage de l’expérimentation, les OPCA ont fait une
première description des projets de formation en situation de travail qu’ils envisa-
geaient de construire. Cette étape a amené les acteurs impliqués dans l’expérimen-
tation à questionner les raisons pour lesquelles une entreprise s’orienterait vers une
AFEST plutôt que vers d’autres modalités de formation formelles ou de s’en re-
mettre aux apprentissages informels ou incidents.
L’OPCA du secteur de la propreté faisait l’hypothèse que des séquences de
formation en situation de travail pourraient utilement compléter une formation
interne existante. Celle-ci s’appuyait sur un outil pédagogique structuré en
modules et composé d’un ensemble de supports (vidéos, exercices pédagogiques
et d’entraînement) permettant d’aborder tous les domaines d’activité de l’agent de
service : techniques, contrôles, sécurité, environnement, communication. Acces-
sible sur une tablette interactive, cet outil permettait aux managers d’expliquer les
règles de l’art du nettoyage d’un bureau ou de sanitaires, ainsi que les méthodes
standard d’intervention chez un client. La valeur ajoutée attendue de l’introduction
144 de séquences de formation en situation de travail était de développer la capacité
des agents à organiser leurs chantiers en tenant compte des pratiques profession-
nelles de référence, mais surtout en adaptant leur activité en fonction d’autres
n° 227/2021-2

déterminants tels que la topographie des lieux, la présence ou non des usagers
pendant l’activité, le cahier des charges de la prestation, mais aussi les besoins et
les priorités exprimés par les occupants des locaux. un élément essentiel de la
qualité de service rendu est en effet que l’agent soit en mesure d’ajuster son activité
EDuCATiON PERmANENTE

pour concilier cette double commande.


Dit autrement, ce que l’on peut apprendre en situation de travail, ce n’est pas
seulement savoir réaliser un geste technique, c’est surtout développer une capacité
à savoir comment faire dans une variété de situations, et au final, être en capacité
d’agir sur son environnement de travail, un déterminant essentiel pour l’efficacité
mais aussi pour la santé psychique et cognitive des salariés. L’apprentissage par le
faire est certes indispensable pour réaliser nombre d’activités, notamment celles
impliquant le corps et la gestuelle. mais pratiquement, une partie au moins de ces
apprentissages peut être réalisée en dehors du processus de production réel.
L’expérimentation conduite avec les assistantes vétérinaires le montre clairement.
Pour acquérir la compétence de contention des animaux, elles s’entraînent d’abord
sur des animaux en peluche, parfois sur l’animal de compagnie du professeur en
centre de formation. mais ce qu’elles ne pourront apprendre qu’en exerçant en cli-
nique vétérinaire, c’est adapter leur technique de contention dans des actes variés,
en fonction des caractéristiques du soin et de l’animal (poids, souffrance, niveau de
stress), adopter une communication adaptée à l’égard du propriétaire (présent ou
non, anxieux, confiant), se coordonner avec le vétérinaire qui réalise le soin, etc.
fabienne caser

un apprenti cuisinier peut, à l’école, apprendre à faire une sauce hollandaise


et à la réussir parfaitement selon les critères (goût, couleur, consistance...) de la
profession. En situation de travail, dans une cuisine de restaurant, à l’heure du coup
de feu, il peut apprendre d’autres choses essentielles pour son intégration : réaliser
une sauce de même qualité en se coordonnant avec les autres membres de la
brigade en temps contraint ; ne pas se laisser déconcentrer par l’effervescence
ambiante ; limiter ses déplacements pour gagner du temps ; pallier l’absence d’un
ingrédient ; faire avec l’humeur du chef et sa propre forme ce jour-là, etc.
Choisir l’AFEST, c’est donc se poser la question de ce que l’on n’apprendra
qu’à partir du travail et par la formation, c’est-à-dire par un processus intentionnel,
réfléchi, organisé, réflexif, avec des objectifs explicites d’acquisition de connais-
sances et de compétences. C’est considérer que, dans le travail, ou du moins dans
certaines situations de travail caractéristiques, il se passe des choses essentielles
pour l’efficacité, mais aussi pour la santé de celles et ceux qui le réalisent, dont il
faut pouvoir apprendre, individuellement et collectivement. Les exemples cités
l’illustrent : cela implique de s’intéresser à ce qui se joue dans les situations de
travail, de s’attacher à mettre au jour les processus de régulation individuelle et
collective à l’œuvre dans l’activité, les arbitrages de modes opératoires nécessaires 145
en fonction de la variabilité des situations de travail, les dilemmes professionnels
auxquels les travailleurs sont confrontés lorsque l’application des procédures exis-

n° 227/2021-2
tantes ne suffit pas pour s’en sortir en situation, et les critères de qualité du travail
partagés collectivement qui peuvent aider à les résoudre.
Réfléchir à l’opportunité de mettre en œuvre une AFEST inviterait donc fina-
lement d’abord à (re)partager une définition de la compétence entendue comme

EDuCATiON PERmANENTE
« une capacité à agir dans et pour un ensemble de situations professionnelles, dans
un contexte donné et avec un niveau d’exigence également donné [...] une
construction conjointe de l’individu, du collectif de travail et de l’organisation
[qui] suppose l’action, l’adaptation à l’environnement comme la modification de
cet environnement » (Parlier, 2001). En tant que démarche de formation formelle
s’appuyant sur le travail, l’AFEST apparaît comme un bon outil pour optimiser les
relations de l’individu avec son environnement, en s’attachant d’abord à mieux les
comprendre par l’analyse de l’activité.

n Mettre en lumière les ressources utiles pour bien travailler


L’analyse des expérimentations a permis de montrer comment placer des
salariés en situation de travail à des fins d’apprentissage. Cela impliquait notam-
ment, pour les entreprises, de mettre à leur disposition des ressources utiles pour
réaliser un travail de qualité, ressources qui n’étaient pas toujours identifiées ni
largement partagées auparavant. Là encore, le lien avec les conditions de travail est
direct : on augmente les ressources pour mieux travailler.
fabienne caser

Chercher à rendre formatrice, pour un nouvel arrivant, une situation de


réponse à un appel d’offre commercial a amené une entreprise à identifier des
ressources déjà présentes dans l’environnement de travail, mais dont le potentiel
formateur a été identifié et renforcé : des appels d’offre « cas d’école », mais de
difficulté croissante, ont été sélectionnés pour servir de matériau pédagogique ; le
socle de « connaissances » indispensables (brochures techniques, exemples de
réponse, veille concurrentielle, etc.) a été mis à disposition du formé ; des per-
sonnes ressources se sont vu confier un rôle d’appui : le jury blanc interne auquel
toutes les réponses à appel d’offres sont soumises avant d’être adressées au client
a été mobilisé pour faire progresser le travail en cours du salarié.
Dans un certain nombre de projets de formation, les ressources auxquelles le
salarié a eu accès ont dépassé son périmètre d’activité pour lui permettre de mieux
appréhender les activités en amont et en aval des siennes, et d’améliorer la compré-
hension de son rôle au sein de l’entreprise. Cet élément contribue à donner du sens
au travail et à assurer de bonnes conditions de travail.

n Discuter des conditions de réalisation du travail


146
C’est l’aménagement organisationnel a minima – mais non des moindres –
exigé par la modalité de formation AFEST : organiser une séquence dite réflexive,
n° 227/2021-2

c’est-à-dire faire exister dans l’entreprise un temps qui, certes, n’est pas productif
mais qui permet d’ancrer les apprentissages, et donc en réalité plusieurs temps car
les compétences visées sont rarement acquises après une seule mise en situation.
Cette séquence a posé beaucoup de questions aux entreprises, qui ne perce-
EDuCATiON PERmANENTE

vaient pas d’emblée son intérêt, aux OPCA et aux consultants qui les accompa-
gnaient, et d’une manière générale, à l’ensemble des parties prenantes de l’expéri-
mentation nationale. Les tâtonnements et les essais étaient heureusement permis –
expérimentation oblige –, et c’est la diversité des formats observés qui a permis,
par comparaison, de préciser le contour d’une séquence réflexive de qualité. Deux
types de pratiques sont particulièrement illustratives de ce qu’une séquence
réflexive n’est pas : un échange consistant à évaluer l’activité de travail du salarié
en formation, en formulant un point de vue sur le résultat atteint sans lui donner
l’occasion de s’exprimer ; un échange s’assimilant plutôt à un débriefing de l’ac-
tion de formation, de ce que le bénéficiaire en a retiré, échange au cours duquel
l’évocation de la situation de travail vécue et son analyse sont absentes.
L’objectif de la séquence réflexive étant d’ancrer les apprentissages en aidant
le salarié en formation à décortiquer ce qui s’est passé dans l’activité et à l’ana-
lyser, c’est avant tout le bénéficiaire qui doit s’exprimer. Celui-ci doit avoir la
possibilité de dire non seulement qu’il a hésité, qu’il n’était pas sûr, mais aussi que
le contexte ne lui a pas permis de réaliser le travail selon des critères « idéaux »,
ou qu’il s’est senti plus à l’aise en s’y prenant un peu différemment pour atteindre
fabienne caser

le résultat. S’il s’inscrit dans cette philosophie, l’échange peut alors développer la
capacité du salarié à analyser les situations de travail dont il fait l’expérience, à les
comparer, à raisonner son action et, au final, à être plus à l’aise pour agir dans et
sur ces situations. L’échange peut mettre en lumière des difficultés liées aux condi-
tions de réalisation du travail ; celles-ci doivent être traitées, sans quoi la démarche
de formation risquerait de mettre les formateurs et les formés face à des injonctions
paradoxales difficiles à concilier.
Reprenons l’exemple du secteur du nettoyage : si, après avoir observé l’acti-
vité du salarié en formation, le formateur démarre la séquence réflexive en faisant
remarquer qu’il n’a pas fait tout ce qu’il est prévu de faire pour nettoyer un bureau
à fond selon les standards de la profession, il se focalise sur le résultat de l’activité
et se place d’emblée dans une posture d’évaluateur. Si, au contraire, il cherche à
faire expliciter au salarié la façon dont il a organisé son activité, les choix qu’il a
opérés, en fonction de quels éléments, les actions auxquelles il a renoncé, son vécu
de la situation, il lui permet d’accéder au raisonnement qui a guidé son action.
Formateur et salarié en formation sont alors amenés à échanger sur les régulations
opérées en situation, les ressources pour y parvenir, et donc les moyens et les objec-
tifs du travail. Si, sur ce chantier, la configuration des lieux et les temps impartis ne 147
permettent pas de nettoyer tous les bureaux à fond tous les jours, comment est-il
possible de réorganiser le chantier sans pour autant dégrader le service rendu au

n° 227/2021-2
client, par exemple en planifiant l’activité au-delà d’une vacation ?

n Former sans conformer

EDuCATiON PERmANENTE
Au fil de l’expérimentation, l’objectif et le contenu de la phase réflexive ont
pris plus de consistance. La compréhension de ce que l’AFEST devrait viser s’est
affinée : créer les conditions de l’autonomisation de la personne et la construction
de coopérations efficaces au sein d’un collectif de travail ; développer une gamme
de manières de faire en fonction des circonstances et de son propre état interne,
pour être en capacité d’agir sur son environnement de travail. Pour cela, la
personne en charge de former le salarié en situation de travail doit adopter une
posture particulière : il s’agit non pas de transmettre sa propre manière de faire,
mais de permettre au salarié moins expérimenté de trouver et de développer son
propre style, tout en le guidant dans l’appropriation des règles de l’art mais aussi
du genre du métier (Clot et Faïta, 2000).
une telle acception fait écho à la belle définition que donne Rostand (cité par
Perrenoud, 2001) du rôle de formateur : « Former les esprits sans les conformer,
les enrichir sans les endoctriner, les armer sans les enrôler, leur communiquer une
force, les séduire au vrai pour les amener à leur propre vérité, leur donner le meil-
leur de soi sans attendre ce salaire qu’est la ressemblance. »
fabienne caser

n S’assurer d’un contexte propice aux apprentissages


Est-il besoin de le préciser, même avec une AFEST de qualité, les effets posi-
tifs sur les conditions de travail ne seront probablement pas au rendez-vous si les
conditions de réalisation du travail initiales sont problématiques. En effet, « quand
il s’agit de former en situation de travail, les conditions de réalisation du travail de-
viennent les conditions d’apprentissage » (Vidal-Gomel, 2016). Dans l’interven-
tion qu’elle décrit dans le milieu de la recherche en agronomie, l’auteure montre
comment un contexte de contraintes temporelles, de charge de travail et de pres-
sion sur les objectifs fortes, à l’origine de risques psychosociaux, ne permet pas
aux agents en formation de travailler avec le calme et la prise de distance néces-
saires à leur apprentissage, voire accentue une charge mentale déjà problématique.

En guise de conclusion
Au-delà d’une nouvelle modalité de formation, l’AFEST, en tant que
démarche de formation formelle et réflexive ancrée dans les situations de travail,
148 se révèle être un excellent outil pour travailler les relations entre un individu et son
environnement de travail, dans le sens d’un développement des personnes, des
situations et des collectifs. Pour que l’AFEST tienne toutes ses promesses, les entre-
n° 227/2021-2

prises et les tiers qui les accompagnent doivent d’emblée l’envisager dans cette
optique. Pour cela, il s’agit de favoriser les échanges sur les différentes manières
de faire en fonction des circonstances et de donner aux travailleurs les marges de
manœuvre suffisantes pour ajuster leur activité et leur environnement de travail.
EDuCATiON PERmANENTE

Par ailleurs, le partage de savoirs – ressources pour l’action – ne fonctionne


généralement pas dans un seul sens : les échanges croisés entre nouveaux et
anciens, expérimentés et novices, sont susceptibles de produire de nouvelles
connaissances, des manières renouvelées d’agir dans les situations, seul et en rela-
tion avec les autres. Si les séquences réflexives doivent rester un espace de confi-
dentialité où le partage des doutes, des tâtonnements avec les formateurs peuvent
se faire en toute confiance, rien ne devrait empêcher les protagonistes de restituer
au niveau du collectif de travail ou de l’entreprise les nouveaux savoirs issus des
expériences de travail vécues et analysées. L’entreprise a intérêt à prendre en
compte ce qui peut émerger des situations de formation, et à envisager la démarche
de mise en œuvre d’une AFEST comme une opportunité de réinjecter dans son
fonctionnement quotidien les savoirs issus du terrain qu’elle contribuera à révéler
ou à produire. u
fabienne caser

Bibliographie

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n° 227/2021-2
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l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social.
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EDuCATiON PERmANENTE
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EDuCATiON PERmANENTE n° 227/2021-2

150
SANDRA ENLART

La situation de travail :
antidote aux écueils de la compétence

Dans toute innovation sociale, le passage de la phase d’expérimentation à celle


d’une large diffusion est un moment critique même si, le plus souvent, cette
fameuse généralisation n’existe pas et ressemble surtout à une diffusion partielle
sous forme de nouvelles expérimentations. Depuis la loi du 5 septembre 2018,
l’AFEST ne fait pas exception. Ce qui semblait relativement clair pose question,
des problèmes inattendus surgissent et, inversement, là on l’on pouvait craindre
l’incompréhension, le consensus se fait quant à l’intérêt de la pratique, souvent 151
considérée comme finalement banale. En effet, ce qu’on entend le plus souvent
quand on présente l’AFEST à des opérationnels, c’est : « On le fait déjà depuis

n° 227/2021-2
longtemps ! » Reste donc à s’entendre sur ce que l’AFEST apporterait de différent.
Ayant eu la chance d’accompagner depuis presque dix ans, au sein de grandes
entreprises françaises1, le développement de dispositifs d’apprentissage en situa-
tion de travail, avant que ce type de pratique ne trouve à s’inscrire dans l’ordre juri-

EDUCATION PERMANENTE
dique sous la modalité AFEST, je ne peux que me réjouir de cette « reconnaissance
» et de la manière dont les acteurs, encore timidement parfois, s’y intéressent
aujourd’hui. Depuis septembre 2018, au sein d’un grand groupe français des
métiers des concessions et de la construction, j’ai pu suivre la manière dont chacun
se saisit – ou pas – de cette modalité pédagogique, constatant que d’un métier à
l’autre, d’une culture de formation à l’autre, d’une fonction RH à l’autre, les choses
ne se passent évidemment pas de la même façon.
D’une manière générale, on constate que l’appropriation par les acteurs –
dans et hors des entreprises – passe par des interprétations diverses de ce qui fait
l’identité, l’intérêt et les limites des formations en situation de travail. On voit donc
surgir ici et là, sous l’étiquette AFEST, des mises en œuvre si variées que l’on peut
questionner la définition même de cette modalité. Le cadre légal est certes une
première réponse dont chacun se réclame... tout en proposant des applications

SANDRA ENLART, présidente de Sandra Enlart Conseil (sandra.enlart@gmail.com).


1. Des restitutions de ces travaux figurent dans Enlart (2012), Bourgeois et Enlart (2014), Enlart et Gérard (2016).
sandra enlart

hétérogènes. Rien que de très banal. En même temps, cette situation révèle aussi
les angles morts et les zones de flou qui surgissent d’un point de vue méthodo-
logique. Cela n’a rien de négatif, il serait au contraire peu réaliste de penser que
tout se définit par décret ou texte de loi. C’est donc par des allers-retours entre
terrain et conceptualisation que l’on pourra préciser un certain nombre de points.
D’où l’intérêt de ce dossier qui invite à un inventaire ouvert des pratiques pour en
interroger les contours.
Je commencerai par proposer ici un cadre qui restitue ce qui, de mon point de
vue, fait l’identité de l’AFEST en termes d’efficacité pédagogique. Ensuite, à l’in-
térieur de ce cadre, nécessairement restrictif, je ferai un retour d’expérience sur les
difficultés apparues lors de ces deux dernières années d’expérimentation. Cela
m’amènera à partager une question vive, d’ordre méthodologique mais aussi théo-
rique, qui concerne la notion de compétence. Bien entendu, ces interrogations sont
en relation avec une certaine définition de l’AFEST. D’où la nécessité de com-
mencer par présenter les critères qui ont constitué mon cadre d’intervention.

152 Un cadre en six points


Partons du principe que les critères énoncés par la loi sont évidemment pris en
compte. Sur le terrain, il est néanmoins nécessaire d’en dire plus.
n° 227/2021-2

À la demande du Haut-Commissariat aux compétences et à l’inclusion par


l’emploi (Enlart, 2019), j’ai proposé un cadre de référence de l’AFEST pour les
demandeurs d’emploi. Même si la situation des demandeurs d’emploi présente des
particularités évidentes, la question de fond de ce qui fait la spécificité de l’AFEST2,
EDUCATION PERMANENTE

peut tout à fait être partagée. Six critères, qui forment un tout, ont été retenus lors
de ce travail : le volontariat de l’apprenant ; le « ciblage » sur une compétence et
non pas sur un métier ou un ensemble trop large de compétences ; le principe d’une
auto-évaluation, associée à une évaluation amont et une évaluation aval de la
compétence ciblée, menée par le responsable hiérarchique ; la mise en « situation
réelle », que l’on distingue ici des situations simulées ou reproduites hors contexte
de travail ; la distinction entre le rôle d’accompagnement pédagogique et celui
d’évaluateur au sens de la relation hiérarchique ; l’enchaînement des phases d’ob-
servation de l’activité en situation réelle et de réflexivité.
D’autres éléments peuvent venir enrichir ce tableau : la nature de la formation
des « accompagnateurs pédagogiques » ou le fait de privilégier des acteurs internes
à l’entreprise plutôt que des intervenants externes. Si l’AFEST intègre déjà l’en-
semble de ces six points, et si elle est l’expression d’une réponse à un besoin de
formation clair et de d’une opportunité à former sous cette modalité, on peut parier
qu’un apprentissage spécifique se met en place.
2. Encore une fois, au-delà même parfois des critères réglementaires.
sandra enlart

Le raisonnement qui sous-tend ces six points est essentiellement d’ordre


pédagogique. Il répond à la question de l’efficacité recherchée avec cette modalité.
Le but est de faire autre chose que ce qui existe déjà et qui a fait ses preuves :
inutile de réinventer le tutorat ou les évaluations en milieu de travail.
Trois idées bien connues des pédagogues s’incarnent ici :
– plus l’apprenant est engagé avant la formation, plus il persiste dans l’apprentis-
sage (Galand et Bourgeois, 2006 ; Carré et Fenouillet, 2019) ;
– la similitude entre la situation d’apprentissage et la situation visée facilite le
« transfert3 » ;
– la réflexivité4 est un facteur d’accélération du processus d’apprentissage5.
Les deux premiers critères concernent notamment l’engagement de l’appre-
nant, d’un point de vue à la fois conatif et cognitif. La mise en situation réelle
concerne la question du « transfert » et plaide aussi, en creux, pour limiter l’amé-
nagement des situations6, afin de ne pas recréer une situation de travail sans aléas.
Les deux derniers critères cherchent à cadrer la relation entre l’apprenant et « l’ac-
compagnateur pédagogique », ainsi que la manière dont ce dernier favorise le
processus d’apprentissage de l’apprenant. Finalement, ces critères permettent de
penser que l’apprenant volontaire, ayant lui-même identifié ce sur quoi il doit/veut 153
progresser, se met en disposition d’apprendre, en posture d’apprenance, pourrait-
on dire avec Carré (20207). La moitié du chemin est faite.

n° 227/2021-2
Le fait de prendre en compte le travail tel qu’il se réalise tous les jours, en
intégrant les aléas du quotidien, est le meilleur garant de développer non pas
uniquement des savoir-faire mais surtout une intelligence de la situation, des occa-
sions de construire cette fameuse transférabilité, d’apprendre en s’adaptant aux

EDUCATION PERMANENTE
divers évènements. Nous y reviendrons.
Enfin, la nature de la relation entre l’apprenant et celui que nous préférons
appeler « l’accompagnateur pédagogique » (AP) est une tentative de favoriser un
soutien personnalisé et un droit à l’erreur qui ne soit pas uniquement déclaratif. Ce
cadre relationnel, non évaluatif, rend possible un travail de réflexivité qui permet
à l’apprenant de réelles analyses et prises de conscience de ses propres comporte-
ments professionnels.

3. On partira aussi de l’idée selon laquelle ce qui intéresse les entreprises et les apprenants en entreprise est bien,
ainsi qu’ils l’expriment, le « transfert » de compétences.
4. Reste bien sûr à définir ce qu’est la réflexivité, ce qui n’est pas une mince affaire.
5. Ce qui ne veut pas dire qu’elle est indispensable : on apprend aussi par imitation, observation, répétition...
6. En dehors bien évidemment des situations à risques pour l’apprenant, les collègues ou les clients.
7. Cet ouvrage fait le point sur la « posture d’apprenance », proposant en explorant en particulier les dimensions
sociales et contextuelles de l’apprenance, à travers une approche moins psychologique que dans Carré (2005).
sandra enlart

Trois difficultés rencontrées sur le terrain


des expérimentations AFEST
n Le trop grand succès de l’idée d’AFEST
Le premier point, qui peut sembler paradoxal, tient au fait que tout le monde
pense faire ou avoir fait de l’AFEST. Les intitulés eux-mêmes (FEST vs AFEST)
véhiculent cette ambiguïté. La plupart des hiérarchiques de terrain exigent d’avoir
un rôle de formateur « en situation » : ce rôle est même souvent clairement énoncé
dans les fiches de postes des grands groupes. Quant au rôle de tuteur, il est lui aussi
largement connu et pratiqué du côté des pairs8. L’idée, par ailleurs, que l’on
apprendrait en faisant est souvent évidente pour tous, surtout dans des univers
comme le BTP ou l’intervention de dépannage. Il y aurait donc, à la fois, consensus
autour de l’AFEST et doute sur la nécessité de se former « en bonne et due forme »
alors qu’un encadrement des apprentissages sur le tas se pratique déjà. Bien
souvent, l’argument qui porte le plus est le fait que les formations en situation de
travail permettent de former des gens sans les sortir de la production, ce qui risque
154 aussi de sous-entendre qu’il ne serait pas non plus question d’y passer trop de
temps. Ainsi, auprès des opérationnels, il faut savoir expliquer la spécificité et les
exigences propres à l’AFEST ; il faut aussi rapidement analyser l’impact sur l’or-
n° 227/2021-2

ganisation du travail des équipes pour que chacun comprenne ce qui va se passer,
le risque étant de donner l’impression de compliquer quelque chose qui se fait déjà
« naturellement » dans le cours de la relation de travail et de la relation d’emploi.
EDUCATION PERMANENTE

n Le poids des relations hiérarchiques


Le deuxième point, le plus complexe et sans doute le plus intéressant,
concerne l’impact de l’AFEST sur les cultures hiérarchiques. Trois moments de
blocages apparaissent fréquemment lors des expérimentations : quand on énonce
les critères de volontariat, d’auto-évaluation et d’affranchissement de toute évalua-
tion du travail en qualité d’employeur9 dans les rapports entre l’apprenant et l’ac-
compagnateur pédagogique. Et si les hiérarchiques sont réellement demandeurs de
développer les compétences de leurs collaborateurs, ils ont beaucoup plus de mal
à accepter que cela se fasse en dehors de leur contrôle. Ils réclament souvent un
feed-back complet et attendent des évaluations de « leurs salariés ». Étant eux-

8. C’est d’ailleurs pourquoi nous regrettons que le décret et l’art. D. 6313-3-2 2° du code du Travail réclamant la «
désignation préalable d'un formateur » pour l’AFEST précise dans la foulée que ce dernier peut « exercer une
fonction tutorale ». Il y a là matière à confusion. La fonction tutorale bénéficie certes d’une définition et d’un
encadrement juridiques, mais ses modalités d’exercice s’éloignent du rôle que doit jouer, selon nous, un véritable
accompagnateur pédagogique.
9. Puisqu’il ne s’agit pas d’une période de travail, mais d’une période de formation.
sandra enlart

mêmes acteurs des évaluations au début et à la fin de l’AFEST, ils considèrent


comme naturel d’être destinataires de potentielles évaluations pendant les temps
d’observation et de debrief. La compréhension de la réflexivité et de son intérêt
pédagogique demande du temps, surtout dans des univers où l’on considère que les
apprenants ne savent pas réfléchir, qu’ils parlent mal la langue, qu’ils sont relégués
à des tâches manuelles « de base ». Quant au volontariat, il consiste parfois à dési-
gner les apprenants qui n’ont d’autre choix que d’accepter « volontairement » la
formation. Cela ne signifie pas qu’ils seront récalcitrants, mais on est loin de l’en-
gagement souhaité. En revanche, quand une expérimentation fonctionne bien, elle
a un impact réel sur la culture hiérarchique. Cela a été constaté dans de nombreuses
expérimentations, y compris avec des demandeurs d’emplois10. L’AFEST fait bou-
ger les lignes ; elle induit des changements de postures et accompagne des évolu-
tions au-delà de la formation ; elle interroge les organisations du travail mais aussi
la place que chacun occupe dans l’entreprise, en particulier celle du hiérarchique.

n La rareté et le manque de formation des acteurs internes


Le dernier exemple des difficultés que nous avons rencontrées concerne les 155
accompagnateurs pédagogiques internes. Philosophiquement, l’AFEST devrait
permettre aux entreprises de s’emparer d’une modalité qui les aide à développer

n° 227/2021-2
les compétences spécifiques dont elles ont besoin, en particulier quand ces compé-
tences ne se sont pas disponibles sur le marché du travail. Dans cette situation,
développer ces compétences « vite et bien » devient alors un enjeu stratégique.
Dans tous ces cas, la maîtrise de la modalité AFEST en interne est un atout non

EDUCATION PERMANENTE
négligeable. Par ailleurs, en formant des AP internes, on fait évoluer la culture de
la formation au sein de l’entreprise. On l’a dit plus haut, l’AFEST amène les acteurs
de l’entreprise à ne plus considérer qu’il suffit d’« envoyer » les gens en formation
à l’extérieur pour qu’ils deviennent compétents. L’AFEST représente une alterna-
tive qui amène l’entreprise à se considérer comme détentrice des compétences
professionnelles mais également pédagogiques. Bref, il semble essentiel de pro-
mouvoir l’AFEST comme une pratique dont les entreprises doivent et peuvent
s’emparer pour peu qu’elles soient accompagnées. Du coup, l’identification, la
formation et l‘implication d’un AP interne – sans lien hiérarchique avec l’appre-
nant qui plus est – est une condition majeure de ce cheminement de l’entreprise.
Or concrètement, c’est bien souvent là que le bât blesse. Dans la plupart des cas,
« on finit » – avec difficulté – par identifier quelqu’un pour le rôle d’AP dont il faut
absolument assurer la formation... y compris lorsqu’il s’agit de formateurs – occa-
sionnels ou professionnels – mais ne maîtriseraient que des méthodes de formation
classiques. Se posent alors des questions très prosaïques de disponibilité, d’orga-

10. Voir les expérimentations en région Bretagne et Pays-de-la-Loire rapportées dans Enlart (2019).
sandra enlart

nisation du travail pour l’AP comme pour l’apprenant, mais aussi d’agenda et de
budget : la personne est-elle payée quand elle « fait l’AP » ? Par qui ? Avec quelle
reconnaissance pour sa carrière ? Face à toutes ces difficultés, et compte tenu d’un
faible entraînement à la pédagogie en général, la tentation est d’externaliser ce rôle
de l’AP et de céder à un marché en pleine expansion où de nombreux organismes
de formation cherchent à se développer. On passe alors à côté d’une des grandes
vertus de l’AFEST qui est de tendre vers une logique « d’entreprise apprenante ».
Ces trois difficultés sont des exemples parmi bien d’autres qui mettent en
lumière la nécessité, en amont des actions de formation, d’une communication en
direction de tous : les hiérarchiques, les apprenants et leurs collègues, les forma-
teurs, les AP sans oublier de savoir répondre aux questions administratives et finan-
cières autour de l’AFEST.

Une question vive : la notion de compétence


Concrètement, la méthodologie de l’AFEST consiste à développer une ou
plusieurs compétences11 chez un apprenant en situation de travail. Dès le départ, il
156 faut donc identifier et évaluer cette compétence, préciser le rôle de la hiérarchie à
ce stade, affirmer la nécessité d’une auto-évaluation12. C’est cette même compé-
tence qui sera, à nouveau, inévitablement évaluée par le responsable hiérarchique,
n° 227/2021-2

en sa qualité d’employeur cette fois, à la fin de la formation. Tout cela semble


limpide. Néanmoins, plusieurs points posent problème sur le terrain.
Comment nommer cette compétence ? Qui le fait ? Sur la base de quelle défi-
nition ? Sans reprendre vingt ans de débats sur la nature même de la compétence,
EDUCATION PERMANENTE

reconnaissons collectivement que la qualité des référentiels d’entreprise – quand il


y en a – laisse souvent à désirer. Dans une majorité des cas, y compris dans les
grandes entreprises, on confond activité et compétence. Dès lors, s’il est simple de
se mettre d’accord sur l’activité que l’on veut observer et voir progresser, on sait
rarement ce qui doit progresser. Tel compagnon ne parvient pas à caler un coffrage
ou à couler un voile dans les règles de l’art. Sur le chantier, tout le monde
comprend de quoi il s’agit ; on se contente alors d’organiser un temps d’observa-
tion par l’AP, qui lui-même a longuement pratiqué le métier de maçon. Mais à
aucun moment on ne ressent le besoin d’objectiver et de traduire en « compé-
tences » la façon de caler le coffrage ou de couler le voile. Quel est, explicitement,
le geste précis que le compagnonne ne maîtrise pas ? Quelle serait la manière de
s’y prendre qu’il n’aurait pas vue ? Que lui manque-t-il pour aller au rythme ou à
11. Nous préconisons de ne pas travailler sur beaucoup de compétences en même temps, pour faciliter le temps d’ob-
servation et de debrief. À l’inverse il est nécessaire d’éviter les « toutes petites compétences » qui seraient alors
des tâches sans intérêt pour la professionnalisation. Cette question de la « maille » reste une des grandes diffi-
cultés de la mise en œuvre des AFEST.
12. Cette auto-évaluation porte sur le choix des compétences à développer mais aussi sur le niveau atteint et celui
visé par l’apprenant.
sandra enlart

la qualité attendue ? Tout cela est évident pour tous et personne ne ressent la néces-
sité d’en dire plus. L’AFEST va se dérouler dans ce même cadre implicite alors que
sa spécificité tient justement à l’explicitation de ce qui fait la compétence en action,
et à ce qui permet d’en « extérioriser » la référence.
Dans d’autres cas, la compétence est effectivement nommée, les objectifs sont
définis, mais la question de la maille de cette compétence va poser problème
pendant l’AFEST. Elle peut être énoncée de manière trop étroite mais aussi trop
large, le plus souvent trop floue : « Le chef de chantier doit remplir tel ou tel tableau
de reporting ; le technicien de maintenance venant réparer une climatisation dans
une agence bancaire doit « assurer une bonne relation avec les clients ». Dans ces
deux cas, il sera très difficile de construire une séquence AFEST sur la base de ces
« compétences ». Ce qui est en jeu, c’est plutôt la compréhension des enjeux de ces
actions, le sens de l’activité qui sont en question. Les modalités d’action sont fina-
lement secondaires par rapport aux raisons pour lesquelles il faut les mettre en
œuvre. Et l’intitulé sous forme de compétences ne résout pas ces questions.
Un grand nombre de compétences dites comportementales, ou « savoir-
être », font également question, bien au-delà de l’AFEST. S’agit-il de compétences
ou de normes sociales ? S’agit-il de savoir-faire relationnel dont l’acquisition peut 157
être l’objet d’une formation, ou de jugements sur la personnalité des collabora-
teurs : trop timide, pas assez sociable, pas assez souriant, manque d’affirmation de

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soi, pas assez de confiance en soi ? Fréquemment mobilisés par les entreprises
dans le cadre de la relation d’emploi, ces « critères » relèvent-ils du domaine de la
compétence ?
Les compétences, quand elles sont nommées, sont souvent de l’ordre du pres-

EDUCATION PERMANENTE
crit, ce qui est bien normal puisqu’il s’agit de former à ce qui est attendu par l’en-
treprise. Pourtant, comme dans d’autres situations pédagogiques, faut-il travailler
à partir d’une compétence qui représente une sorte d’idéal, souvent assez éloigné
des pratiques de terrain ? La puissance de l’AFEST repose sur les données
produites à travers les mises en situation de travail réelles. Qui dit « réel13 » dit prise
en compte des aléas, de la variabilité des situations et des environnements, de la
perception par chacun de son milieu d’intervention. Dès lors, faut-il s’en tenir à un
ordre général de prescription et aux intitulés qui l’accompagnent ? D’autant plus
que les professionnels ne se reconnaissent que très partiellement dans ces intitulés.
Ces questions sont théoriques autant que méthodologiques ; elles peuvent
relever du malentendu. Les objectifs d’une AFEST ont un impact direct sur ce qui
doit être fait par l’apprenant, observé par l’AP et qui est au cœur du debrief. Se
tromper de cible, c’est prendre le risque de ne pas tirer parti des particularités de
l’AFEST ou de faire, sans le dire, autre chose que ce qui est prévu.
13. Nous ne développerons pas ici le débat sur ce que signifie « réel » et nous en tiendrons à une approche qui
consiste à opposer la situation de travail en contexte professionnelle à la situation prescrite, décrite de manière
« idéale » ou « théorique » dans des référentiels ou fiches de poste.
sandra enlart

Mis bout à bout, ces constats finissent par questionner l’utilisation de la


notion de compétence dans l’AFEST. Compte tenu de l’existant dans les entreprises
en termes de référentiel, compte tenu des dérives de la notion de compétence qui
a perdu son caractère contextualisé et distinct de l’activité, on peut se demander s’il
n’est pas temps de réfléchir à d’autres entrées pour penser et asseoir correctement
la mise en œuvre de la modalité pédagogique AFEST.
Revenons à ce qu’on a voulu introduire avec l’AFEST : la situation de travail
« réelle » et la réflexivité dans la foulée d’une activité observée. Cette réflexivité
permet à l’apprenant de comprendre non seulement ce qu’il fait mais surtout pour-
quoi et comment il le fait, comment il s’y prend. De notre point de vue, ce qui
distingue l’AFEST, c’est bien l’affirmation et l’acceptation de ce double ancrage
méthodologique dans une situation de travail précise, donc unique parce qu’ins-
crite dans un temps et un lieu. Dit autrement, ne faudrait-il pas s’attacher à une
meilleure compréhension, par les parties prenantes, de ce qu’est une situation de
travail, dans ce qu’elle a de particulier mais aussi dans la manière dont elle « agit
sur » l’apprentissage ? Davantage que la compétence, n’est-ce pas cette notion
qu’il faudrait travailler, définir, affiner ? La compétence serait alors conçue comme
158 un des éléments de la situation de travail, ce qui permettrait au passage de réaf-
firmer son caractère contextualisé. Utilisée aujourd’hui dans l’intitulé même de
l’AFEST, la situation de travail reste trop souvent une expression dont les intéressés
n° 227/2021-2

ne savent pas trop ce qu’elle contient et ce qu’elle exclut. Or, ce qui est analysé et
observé, c’est bien l’activité dans son contexte ; ce qui est pointé comme marge de
progrès, c’est bien la manière de s’y prendre dans ce contexte ; ce qui est appris,
c’est bien la résolution de problème professionnel dans ce contexte particulier. La
EDUCATION PERMANENTE

réflexivité est là pour enclencher une possible « transférabilité » à d’autres situa-


tions, mais le point de départ reste la prise en compte de l’activité dans son envi-
ronnement. Sans apprentissage solide lié à un contexte, il sera difficile de transférer
dans d’autres contextes.
Si, pour faire aboutir les choses, on s’appuyait davantage sur la notion de
« situation de travail » que sur celle de « compétence », quelles en seraient les
implications ? Nous en voyons essentiellement trois :
– la nécessité de compléter les référentiels par un travail de contextualisation systé-
matique et partagé entre la hiérarchie, l’apprenant et l’accompagnateur pédago-
gique. De ce point de vue, on revient aux premiers travaux de Zarifian (1999) insis-
tant sur la nécessaire coconstruction des compétences avec les acteurs de terrain et
pour les acteurs de terrain ;
– la nécessité de modifier les objectifs de l’AFEST en l’inscrivant et en la limitant
à un contexte précis. L’analyse de ce qui « fait contexte » ferait partie intégrante
du debrief, donc de la pédagogie. De ce point de vue, on rejoint les travaux de
Billett (2011) sur le workplace learning en valorisant dans l’apprentissage les
éléments de compréhension de l’environnement technique mais aussi social ;
sandra enlart

– la nécessité, dans certains debriefs, d’envisager sa transférabilité dans d’autres


contextes, en s’appuyant sur les recommandations de Rey (1998) quand il insiste
sur l’intention de transférer comme étant la meilleure manière de préparer ce trans-
fert.
Ces références, parmi d’autres, et leurs dates mettent en évidence la longue
histoire de ces débats. Pourtant, l’AFEST amène à les remettre sur l’ouvrage.
Comment définir et circonscrire une situation de travail pour qu’elle devienne un
concept opérant dans l’AFEST ? Comment préciser ce qu’est l’intervention péda-
gogique en milieu de travail ? Quelle place et quel rôle assigner à l’accompagne-
ment extérieur à l’égard de ceux qui font la situation de travail ?
Toutes ces questions sont devant nous : elles permettront, si l’on veut bien s’y
atteler, de donner à l’AFEST un cadre d’action cohérent avec ce qu’elle porte de
novateur. En effet, on peut se demander si l’on a bien pris la mesure d’une modalité
qui s’inscrit au cœur du travail, mais d’un travail mis à distance. D’un point de vue
méthodologique, le moment où l’on se met d’accord sur ce que l’on vise avec une
AFEST et le moment du debrief sont deux temps qui interrogent le travail. Non pas
le travail en général tel qu’il peut être décrit dans un référentiel, mais bien ce travail
dans ce contexte avec ces acteurs. En pariant que c’est à partir de cette analyse 159
menée, pour partie, par l’apprenant lui-même que s’approprieront les compé-
tences, on introduit l’idée qu’il faudra aussi l’accompagner dans un élargissement

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à d’autres situations. Comprendre la particularité d’une situation, c’est du même
coup être capable de comprendre en quoi elle est différente d’autres situations, et
donc se mettre en capacité de s’adapter à toute une classe de situations. Ce qu’on
appelle « l’intelligence de la situation », propre à tout bon professionnel, peut alors

EDUCATION PERMANENTE
se construire et « s’équiper », en étendant la compréhension que les acteurs de l’en-
treprise ont communément de la notion de compétence, comme attribut de la
personne, à la prise en compte mais surtout la prise en charge avérée des « situa-
tions de travail ». C’est ce déplacement qui pourrait permettre une extension du
recours aux AFEST. u

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160
n° 227/2021-2
EDUCATION PERMANENTE
SOLVEIG GRIMAULT

L’AFEST comme hypothèse de réingénierie


de la fonction accompagnement
à la création d’entreprise

L’accompagnement à la création d’entreprise a de très nombreux visages. Un


certain nombre des structures qui accompagnent les porteurs de projet s’appuient
fortement sur des « mises en situation », considérées comme particulièrement béné-
fiques aux apprentissages. Divers types de situations s’invitent alors dans l’accom-
pagnement, de façon « naturelle » ou plus « travaillée », et dont certaines relèvent 161
de « situations de travail » accompagnées : ces « situations entrepreneuriales »
(Fayolle, 2004 ; Schmitt, 2009) se présentent après l’immatriculation de l’entre-

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prise, ou au démarrage de l’activité lorsque celle-ci s’engage – de façon très enca-
drée – avant que l’entreprise ne soit formellement créée. La frontière classiquement
identifiée entre l’amont et l’aval – l’immatriculation – semble ainsi plus poreuse
qu’elle n’est le plus souvent décrite1. Dans tous les cas, la mise en activité ouvre la

EDUCATioN PERmANENTE
possibilité d’un certain type d’accompagnement, considéré comme particulière-
ment fécond en termes d’apprentissages, et dont les conditions de mise en œuvre
s’approchent des modalités instituées par l’AFEST.
La question des apprentissages et du développement des compétences est une
préoccupation forte de certains réseaux d’accompagnement à la création. Parce
qu’il y a beaucoup à apprendre sur le chemin vers la création, mais aussi parce
qu’un « parcours de créateur » peut s’avérer très bénéfique pour ceux qui, in fine,
ne créeront pas. Certains réseaux ont investi dans la création de certifications pour
permettre aux personnes ayant suivi ce parcours de faire reconnaître les compé-
tences acquises (BGE Réseau, Union des couveuses d’entreprises) et les valoriser
par la suite.

SOLVEIG GRIMAULT, chercheure à l’Institut de recherches économiques et sociales (solveig.grimault@ires.fr).


1. L’accompagnement à la création d’entreprise s’organise généralement selon différentes phases, qualifiées
d’« amont/aval » ou « ante/post-création », entre lesquelles intervient le moment de l’immatriculation. C’est
également autour de cette distinction qu’avait été conçu le dispositif « Nouvel accompagnement à la création-
reprise d’entreprise » (NACRE), dédié aux demandeurs d’emploi créateurs d’entreprise.
solveig grimault

Les parcours de création paraissent ainsi singulièrement « apprenants ». Cette


intuition a certainement fondé la réunification récente des trois fonctions d’accom-
pagnement, de formation et de conseil, développées dans le cadre des appuis à la
création – notamment désignées à l’article L. 6323-6 du Code du travail – à travers
leur éligibilité au CPF2. Si les apprentissages « en situation » y paraissent aussi
féconds en termes de développement de compétences, on peut se demander s’ils ne
pourraient pas irriguer davantage l’ensemble du parcours de création. N’y a-t-il pas
lieu en effet, dès l’engagement du parcours, de préparer sur un mode expérientiel à
l’exercice des compétences liées à la fonction de chef d’entreprise (article D. 6323-
7 du Code du travail), qu’il s’agisse, selon la partition proposée par Pastré (2008),
d’apprentissages par « construction d’un milieu » ou d’« apprentissage par tutorat »
lorsque des « situations grandeur nature » s’offrent au créateur ? il y a, de notre
point de vue, un enjeu fort à soutenir continument l’activité des créateurs « avec,
dans et sur les situations » (mayen, 2012) qu’ils rencontrent, qu’ils ont peu à peu à
transformer et à maîtriser, pour préparer dans un même mouvement leur devenir
« chef d’entreprise » et la concrétisation de leur projet. Cette perspective n’est pas
absente des pratiques en vigueur dans les différents réseaux. mais elle peine parfois
162 à se formuler et à intégrer les trois fonctions précédemment évoquées. Selon nous,
elle est indissociable d’une perspective expérientielle et pédagogique, souvent
revendiquée par les réseaux. Cela amène à formuler une hypothèse qui constituera
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le cœur de l’article. La référence au cadre des AFEST ne pourrait-elle pas inspirer,


tout au long d’un parcours de création, des pratiques d’accompagnement, formation
et conseil misant effectivement sur le déploiement d’une « vraie expérience » (Paul,
2017), ajustées à chacune des situations traversées ? L’AFEST pourrait-elle fonc-
EDUCATioN PERmANENTE

tionner comme hypothèse de réingénierie de la fonction accompagnement à la créa-


tion d’entreprise ?
Cette hypothèse est mise à l’épreuve à partir d’une enquête exploratoire réa-
lisée auprès de quelques responsables de réseaux d’accompagnement à la création
d’entreprise, et de quelques structures d’accompagnement issues de ces réseaux.
L’enquête s’est inscrite dans le cadre d’une réflexion collective initiée par la
DGEFP3 « relative à la valorisation de la dimension pédagogique et expérientielle
de l’accompagnement à la création d’entreprise, en vue notamment d’explorer les
liens qu’il est possible d’établir entre les “parcours de création” et le cadre de l’ac-
tion de formation en situation de travail » (DGEFP, 2020). il s’agit de « réfléchir,
avec les intéressés, à la façon dont l’intégration de démarches AFEST pourrait
améliorer la qualité des parcours proposés aux créateurs » (ibid.). Quatre entretiens
ont été réalisés auprès de directions générales de réseaux d’appui aux créateurs4 –

2. Précisons d’emblée que cela ne signifie pas que le compte personnel de formation puisse devenir la modalité de
financement du service proposé par les structures d’accompagnement, puisqu’il est un droit de la personne.
3. Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle.
4. Association nationale des groupements de créateurs ; BGE Réseau ; Union des couveuses d’entreprises.
solveig grimault

entretiens auxquels ont été fréquemment associés le/la responsable de l’offre de


service ou responsable pédagogique du réseau concerné – et d’un réseau de promo-
tion de l’entrepreneuriat collectif5. Deux entretiens ont été réalisés auprès de
responsables de coopératives d’activité et d’emploi (CAE)6. Nous mobiliserons
également le matériau d’une enquête plus ancienne, réalisée dans le cadre d’une
étude conduite avec le cabinet Amnyos pour la DARES (Grimault et al., 2014) sur
la mise en œuvre du dispositif « Nouvel accompagnement à la création-reprise
d’entreprise » (NACRE).

Accompagner le test et le développement de l’activité :


des « situations de gestion » accompagnées
L’épreuve de la mise en activité intervient plus ou moins rapidement dans le
parcours de création. Les couveuses et les coopératives d’activité et d’emploi, qui
réalisent l’accompagnement des porteurs de projet principalement dans le cadre du
contrat d’appui au projet d’entreprise (CAPE7), permettent un démarrage de l’acti-
vité sécurisé avant que l’entreprise ne soit formellement créée : des « situations de
travail de chef d’entreprise » se présentent donc rapidement pour constituer la 163
matière de l’accompagnement. Dans la plupart des autres réseaux, l’activité ne
démarrant qu’après l’immatriculation de l’entreprise, c’est dans l’accompagnement

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« post-création » que se logent ces modalités d’accompagnement. C’est le cas au
sein du réseau des Boutiques de gestion, ou encore d’Initiative France à travers la
mise en œuvre de la fonction de parrainage notamment. Dans tous les cas, au
moment de cette épreuve qu’est le démarrage de l’activité, même modeste, l’ac-

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compagnement peut tirer profit de « mises en situation professionnelles » pour
soutenir le développement des compétences des créateurs. Le cadre de l’AFEST
paraît compréhensif pour décrire les modalités d’intervention déployées à ce stade.
Peut-il contribuer à mieux les qualifier, à mieux comprendre les ressorts des
apprentissages qu’elles soutiennent, et à préciser le « processus » qui est à l’œuvre
tant du côté du créateur que de celui ou ceux qui l’accompagnent ?

n Le premier client et l’épreuve du réel : découvrir et penser


l’action en « situation de gestion »
Le premier client et les premières données chiffrées signent la « bascule dans
l’action commerciale et la confrontation au réel, et créent une situation nouvelle »
(réseau A). Pour certains, c’est « l’un des cœurs de l’accompagnement », qui permet
à la personne de « tester son marché, [d’être] dans l’action : c’est parce qu’elle est
5. Coopérer pour entreprendre.
6. Cap services ; Elycoop.
7. Le contrat d'appui au projet d’entreprise est défini par les articles L5142-1 à L5142-3 du Code du travail.
solveig grimault

en situation qu’elle va apprendre », charge à la structure d’accompagnement de lui


« donner toutes les clés pour apprendre de son action ». Et « entrer en action, c’est
le fait de vendre », ajoutent-ils. Ainsi s’entame « ce parcours itératif » au long
duquel « le projet s’incrémente de la confrontation au réel » (réseau A).
Pour le créateur, faire le bilan et évaluer la rentabilité d’une première mission,
c’est installer une « situation de travail », orientée en termes d’intention et d’équi-
pement vers l’évaluation et la production d’un résultat – le rééquilibrage ou la
consolidation de son modèle d’affaire. Nous proposons de considérer cette « situa-
tion de travail » comme une « situation de gestion » (Girin, 1990 ; Schmitt, 2017),
une interaction cadrée avec un environnement, devant conduire à un résultat suscep-
tible d’être évalué. La situation de gestion est « construite par [le créateur] en fonc-
tion de son intentionnalité et du futur souhaité » (Schmitt, 2017). Qualifier ainsi la
situation permet de préciser ce qui s’engage. Le créateur qui fait l’expérience de son
premier client entre en transaction avec un « environnement », cette part du monde
susceptible d’entrer dans ses activités (Dewey, 1993). L’environnement constitue un
« partenaire » (Quéré, 2006) des situations de gestion que l’entrepreneur a à struc-
turer, y compris lorsqu’elles paraissent « solitaires ». En lien avec sa première
164 mission, ou face à tout autre moment marquant, aider le créateur à « structurer des
situations de gestion, c’est transformer les événements qui émaillent la vie [...] du
créateur et/ou les situations qu’il traverse en “objets” de sa gestion. Ces situations et
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ces événements produisent [...] des résultats dont il [convient] de pouvoir juger : [...]
le créateur [doit] être capable de leur donner une valeur, [s’il veut] pouvoir orienter
et développer [son] activité. [mais ce] qui doit relever d’une gestion à ce niveau
n’est pas donné [...] cette structuration [peut alors être] la source d’un apprentis-
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sage » (Duclos, 2018), et l’objet d’un accompagnement.


Les modalités d’accompagnement mises en œuvre par les réseaux interrogés
sont proches, avec des intensités variées : « L’entrepreneur met en œuvre des actions
sur le terrain, en fait l’analyse avec son accompagnateur qui l’aide à comprendre,
prendre du recul, challenger, apporter des correctifs et replanifier l’action suivante »
(réseau A). L’accompagnateur peut ainsi intervenir dans une situation de travail du
créateur visant à faire le bilan d’une première mission, par exemple. il y insère une
« parenthèse intellective » (mayen, 2014a), qui permet un « débrayage » dans le
cours même de l’action. Dans cette « situation de gestion accompagnée », l’activité
de travail du créateur et son activité réflexive soutenue par l’accompagnateur sont
distinctes, mais presque « superposées ». La parenthèse intellective s’ouvre dans le
continuum de l’action mais la suspend, même « très brièvement » (ibid.). Un béné-
ficiaire du dispositif NACRE évoquait les bénéfices de cette « extraction de l’ac-
tion » qui fait entrer dans un autre régime d’activité : « [mon accompagnateur] me
fait prendre du recul sur mon entreprise. Sinon, on ne voit pas qu’on n’a pas pris la
bonne décision. » Aider ainsi le créateur à structurer et à penser une situation de
gestion, en l’accompagnant, c’est lui donner la possibilité de la reconnaître et de
solveig grimault

savoir à nouveau « y faire » lorsqu’il rencontrera une situation voisine. Comme le


disait ce même créateur à propos de son accompagnateur : « C’est la seule personne
avec qui je parle de problèmes délicats. Ensuite, plus ça va, plus on a vécu des situa-
tions similaires. » Former de nouvelles habitudes, acquérir de nouveaux « interpré-
tants » (Peirce, 2003) des situations, fait peu à peu de ces dernières une ressource
avec laquelle devenir plus compétent. il faut une certaine discipline pour « rencon-
trer » (Fleury, 2015) ces situations d’abord inconnues, et une attention soutenue par
l’accompagnement. Une créatrice bénéficiaire du dispositif NACRE, ancienne
éducatrice spécialisée reconvertie dans l’accompagnement social à domicile de
personnes atteintes de maladies neurodégénératives, en témoignait : « Quand un
médecin m’appelait pour un accompagnement très difficile, [mon accompagnateur]
m’alertait sur sa rentabilité, ou me suggérait de compenser par un autre plus rému-
nérateur. Ça remet un peu sur les rails. » Cela renvoie à cette dimension essentielle
des processus formatifs « [qu’est] la “construction de [nouvelles] significations” »
(mayen, 1999). Cette créatrice doit apprendre à donner une nouvelle signification
aux propositions de son environnement : accepter un accompagnement difficile n’a
pas les mêmes conséquences pour le salarié d’une structure ou un chef d’entreprise.
Dans ce dernier cas, cela suppose d’interpréter la situation à installer comme « situa- 165
tion de gestion », pour la penser et y agir efficacement.

n° 227/2021-2
n La situation de « l’entretien commercial » et les formes
de réflexivité ajustées
L’entretien commercial, interaction essentielle par laquelle le créateur établit

EDUCATioN PERmANENTE
un contact avec le monde extérieur et qui doit produire un résultat, apparaît comme
une situation de gestion typique, et délicate. Comme l’indique un responsable de
structure, « la partie commerciale fait peur en général, donc on intervient fréquem-
ment sur cette question ». Réalisé seul, l’entretien commercial ne peut constituer une
situation de travail tutorée. Parfois déstabilisé, le créateur peut peiner à en restituer
le déroulement précis. Cela crée une difficulté dans l’accompagnement : « C’est
difficile de trouver ce qui ne marche pas dans un entretien client, parce qu’on ne le
voit pas. on se base sur son retour d’expérience » (responsable de structure), parfois
ténu. Les réseaux organisent des temps pour « préparer l’entretien terrain », puis
« débriefer pour s’améliorer pour le suivant ». Ces interventions autour d’une situa-
tion éminemment importante pour le développement de l’activité signifient que
différentes formes de réflexivité sont mobilisées. Bien que souvent associé à un
« après-coup », on sait que le travail réflexif « peut se conduire avant, pendant et
après l’action » (Gagneur et mayen, 2017) : en amont pour développer une atten-
tion ; en aval pour mettre en relation les conditions, les fins et les conséquences
(ibid.). on peut faire l’hypothèse qu’une AFEST pourrait articuler ces différentes
phases réflexives, nécessitées ici par la spécificité de la situation d’entretien
solveig grimault

commercial. on peut également penser que renforcer le travail réflexif amont, qui
vise à développer une attention aux caractéristiques de la situation, pourrait accroître
la capacité du créateur à consigner, in situ, des traces de son déroulement, pour les
restituer de façon plus détaillée en aval. La situation d’entretien commercial pourrait
ainsi devenir le matériau, « plus praticable », d’une AFEST, à partir duquel conso-
lider les apprentissages8 et l’acquisition de nouvelles compétences.
Aujourd’hui, face à la difficulté des créateurs à revenir sur les conditions d’un
entretien commercial, les réseaux développent diverses stratégies. Certains propo-
sent au créateur « [d’appeler] le fournisseur en face [d’eux] » (réseau C). L’un des
réseaux envisagerait de faire de l’entretien commercial un terrain d’expérimentation
de l’AFEST (Coopérer pour entreprendre, 2020) en mobilisant les pairs :
« L’entrepreneur novice pourrait accompagner un entrepreneur aguerri dans ses
rendez-vous client, pour voir ce qui s’y passe, débriefer » (réseau B). L’AFEST pour-
rait-elle inspirer des pratiques plus collectives, au-delà du seul binôme
créateur/accompagnateur ? Dans tous les cas, si l’accompagnement direct des situa-
tions dans lesquelles l’entrepreneur est en transaction avec une partie prenante de
son environnement (client, fournisseur, partenaire, etc.) est difficilement envisa-
166 geable, il nous semble que la nécessité d’apprentissages situationnels demeure, tant
la maîtrise de ces situations est essentielle au développement de l’entreprise. Nous
faisons l’hypothèse que, dans ce champ comme dans d’autres, « la rencontre de l’ex-
n° 227/2021-2

périence [du créateur] et de l’expérience de [la création] déposée dans les


programmes [des réseaux] exige [...] de ménager des aires d’expérience » (Fabre,
2015) dans les parcours. Une mobilisation ajustée de l’AFEST devrait faire place aux
apprentissages expérientiels utiles à ces « situations-clés ».
EDUCATioN PERmANENTE

n Accompagner l’agencement de situations de gestion


et le développement de l’activité
Le développement de l’activité offre ensuite de nouvelles situations de travail
critiques, telles que la prise de décision et l’analyse de la situation : « Les entrepre-
neurs ont besoin de temps stratégiques sur ces deux axes [...] La prise de recul et
l’effet miroir les aident dans leur réflexion et leur décision [...] Nous construisons
ensemble une carte mentale, pour formaliser leur réflexion » (responsable de struc-
ture). Un autre réseau souligne que cette « aide au recul [ permet de] contextualiser
une décision à prendre : ‟J’ai fait un calcul pour une quatrième embauche, quel est
le risque ?” [...] L’entrepreneur est dans sa fonction de décision [...] il quitte l’action
et débriefe avec un tiers pour réussir à prendre une décision » (réseau C). Ces propos
renvoient au fait, essentiel ici, que le travail réflexif doit aussi s’intéresser à des
« séries de situations » (Gagneur et mayen 2017) de gestion, articulées entre elles.

8. Selon les termes de l’article D. 6313-3-2 du Code du travail définissant l’AFEST.


solveig grimault

Un outillage spécifique peut soutenir ce travail réflexif plus « étendu » : travailler


avec une carte mentale, contextualiser une décision à prendre en l’inscrivant dans
une perspective plus large, sont des façons de construire un point de vue réflexif sur
une situation permettant de la penser « dans ses relations avec d’autres situations »
(mayen, 2014b). Les « effets visuels » (Latour, 1987) produits par le rapprochement
des traces de plusieurs situations suscitent la réflexion. L’effet miroir également, qui
« [forme] une perspective différente » et permet à celui qui expérimente de « voir ce
qui se passe » (Dewey, 2020) autrement.
Enfin, les outils comptables de certaines structures (couveuses, CAE) peuvent
également contribuer à la structuration et à l’équipement de situations de gestion, et
constituer un support de l’activité réflexive, en enregistrant les traces de l’activité :
« Les encaissements et décaissements passent par nous. Nous pouvons sortir un
compte d’exploitation, travailler avec lui sur ses résultats [...] construire des outils
qu’il pourra réutiliser pour décortiquer son prix de revient, etc. Ce matériau sert le
travail d’accompagnement » (réseau A). Cela suppose toutefois que cette délégation
des opérations comptables soutienne bien l’acquisition d’une capacité propre de
gestion et ne l’inhibe pas, à l’instar des pratiques d’« externalisation » du « travail
d’organisation » qui peuvent toujours freiner « le développement des compétences 167
réellement nécessitées par la création d’activités économique » (Duclos, 2018).
Une image se précise peu à peu qui nous permet de mieux qualifier le

n° 227/2021-2
« parcours itératif » qu’évoquent les réseaux. il forme un « continuum expéri-
mental » (Dewey, 2011) ou expérientiel, par lequel le créateur – dans le meilleur des
cas – fait une « expérience éducative » (mayen, 2014a) du fait des « activités intel-
lectives » (ibid.) qui la ponctuent. Ces dernières permettent au créateur de

EDUCATioN PERmANENTE
comprendre et de maîtriser l’action dans, avec et sur des situations de gestion, appré-
hendées dans leurs articulations. Par ce processus expérientiel, le créateur apprend
à construire progressivement la cohérence et la solidité de son modèle d’affaire, et
de cet agencement singulier de situations de gestion par lequel il se concrétise.
Enfin, ce « continuum expérimental » peut s’enrichir de situations de travail
plus collectives « [ouvrant] de nouveaux espaces d’activités à investir » (mayen,
2008), au bénéfice par exemple d’un projet de réponse à un appel d’offre collectif :
« L’interconnaissance entre les entrepreneurs [peut donner] accès à des nouveaux
marchés, [conduire à] faire l’expérience d’une diversification » (réseau B).
L’engagement dans un appel d’offre collectif est « générateur de compétences [...]
parce que le créateur sera sur quelque chose [de] plus large que lui-même »
(réseau B), souligne cet organisme, qui réfléchit à une expérimentation AFEST
autour de la construction d’une réponse collective à un appel d’offre (Coopérer pour
entreprendre, 2020). Dans cette configuration, la mobilisation d’une AFEST suppo-
serait sans doute un équipement spécifique des chargés d’accompagnement et des
pairs, susceptibles de devenir tuteurs.
solveig grimault

n Le développement du projet comme mode de développement


des compétences utiles
À la lumière de ce qui précède, il nous semble que les parcours de création sont
particulièrement apprenants en ce que le développement des compétences s’opère
« à même » le processus d’émergence de l’entreprise : « il n’y a pas de séparation
[des] capacités [...] par rapport au [matériau] sur lequel elles agissent » (Dewey,
2011). Les capacités ne sont pas « entraînées » indépendamment du projet pour
lequel elles sont requises (Grimault, 2021). Nous avions déjà constaté que les
parrains sollicités dans le cadre du dispositif NACRE insistaient sur le fait que le
créateur acquiert une capacité à être dirigeant dans l’exercice de cette capacité à
diriger son entreprise naissante (Grimault, 2018). Ce chemin n’est pas linéaire et
l’erreur est permise ; elle fait partie du processus expérientiel, qui en permet l’ex-
ploitation dans les phases réflexives. Ces singularités de l’accompagnement des
créateurs renforcent la pertinence de « l’hypothèse AFEST », qui pourrait sans doute
les conforter, au bénéfice des créateurs et de leurs projets : lorsqu’il s’approche des
modalités de l’AFEST, l’accompagnement œuvre au développement des compé-
168 tences parce qu’il n’établit pas de « séparation [...] entre les activités et les capacités,
d’une part, et l’objet, d’autre part » (Dewey, 2011), ces situations de gestion qu’il
s’agit progressivement de structurer, de maîtriser, d’articuler. L’agencement lui-
n° 227/2021-2

même, comme fait d’agencer – des situations de gestion – et comme produit final –
l’agencement productif – devient l’objet à partir duquel se développent les compé-
tences qu’il appelle. Cela nous semble essentiel : le développement du projet est le
mode de développement des compétences entrepreneuriales « utiles ». Comme dans
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le schéma de l’AFEST, « les ‟mises en situation de travail” ne sont [plus] des phases
applicatives de savoirs reçus par ailleurs mais des moyens de produire le matériau
pédagogique » (Duclos, 2021). Ajoutons que les activités visant la structuration de
situations de gestion sont larges ; « elles impliquent la coordination de nombreux
facteurs [...] des changements et des réajustements continus » (Dewey, 2011) pour
faire face à la complexité et au développement des situations de gestion. Les compé-
tences entrepreneuriales acquises sont larges, comme en témoignent les référentiels
de certification développés par certains réseaux d’accompagnement. or les AFEST
sont particulièrement adaptées à ce type d’apprentissages, plutôt qu’à celui de tâches
spécifiques (Duclos, 2021).

n Quelle « préparation » ? Le « test des moyens » pour réviser les fins


L’un des réseaux explique avoir retravaillé son offre, à l’appui d’une relecture
de la façon dont les créateurs parviennent à créer : « La théorie de l’effectuationnous
a permis de conceptualiser certains aspects de notre métier [...] : beaucoup d’entre-
preneurs qui réussissent n’ont pas de business plan, mais construisent le chemin au
solveig grimault

jour le jour [...], d’aujourd’hui à demain, pas de demain à aujourd’hui9 » (réseau A).
En prolongeant l’interprétation, nous dirions que si l’accompagnement-formation au
métier de chef d’entreprise « doit préparer l’avenir, [il] doit progressivement réaliser
les possibilités présentes » (Dewey, 2011) : la « préparation » ne peut détourner l’at-
tention du « stimulant » que sont les situations de travail présentes (ibid.). Cette
perspective semble être particulièrement féconde pour interpréter le mode opéra-
toire d’une « préparation » à l’exercice des compétences entrepreneuriales. Elle est,
elle aussi, directement congruente à la pédagogie de l’AFEST.
La frontière entre fin et moyens devient plus poreuse qu’il n’y paraît. Si le créa-
teur projette une fin en vue, une « situation souhaitée » (Schmitt, 2020), nous faisons
l’hypothèse que l’effectuation des moyens est suggestive quant aux fins, évolutives.
Un cycle récursif s’installe dans ce que le créateur expérimente concrètement10 : la
mise en œuvre des moyens, « les ‟effets” possibles de moyens donnés » (Sarasvathy
et al., 2011), leur « récalcitrance », peuvent conduire à la révision des fins. on ne
peut selon nous « abandonner » ni la fin projetée, ni la « distorsion » des fins qui
procède de l’effectuation des moyens – de quelque nature qu’ils soient : moyens
matériels, action collective aidant à agir en situation (mayen, 2008).
169
n Le formel et l’informel dans des parcours hybrides

n° 227/2021-2
Le « contrat d’entretien » que nous avions proposé aux réseaux les invitait à
valoriser les rapprochements entre leurs pratiques d’accompagnement-formation et
les AFEST. Cela a pu produire un « effet bonne volonté » qu’il a fallu contrôler dans
l’interprétation du matériau. L’accompagnement apprenant se présente en réalité

EDUCATioN PERmANENTE
comme un mixte d’alternance classique, relevant d’une conception applicative des
savoirs, et de modalités proches de l’AFEST rompant précisément avec cette
conception (cf. Duclos et Kerbourc’h dans ce numéro) pour faire de la situation de
travail le matériau pédagogique de base de l’action de formation, retravaillé dans la
séquence réflexive.
Si les réseaux peinent parfois à qualifier de façon synthétique ce qui fait la
singularité du processus et du métier d’accompagnement à la création, par-delà la
pluralité des postures qu’ils requièrent (Verzat, 2009 ; Paul, 2004), c’est peut-être
que s’y cherchent encore une ou des formes qui leur seraient adaptées. Nous faisons
l’hypothèse qu’il convient de réinterroger les lignes du formel et de l’informel dans
ce processus, de questionner les « degrés de formalisation [...] des apprentissages »
(Fabre, 2014) qui interviennent. Lorsqu’il s’appuie sur des situations de travail
9. La théorie de l’effectuation, qui a renouvelé l’analyse du processus entrepreneurial, propose « un modèle de prise
de décision dans des situations d’incertitude » (Boissin et al., 2011 ; Sarasvathy, 2011), et remet en cause une
conception traditionnelle du business plan comme moyen de prédire un futur entrepreneurial (Boissin et al., 2011).
10. Sarasvathy considère que « l’effectuation est à la méthode entrepreneuriale ce que l’expérimentation est à la
méthode scientifique » (Boissin et al., 2011 ; Sarasvathy, 2011). Pour certains, cette approche s’intéresse encore
insuffisamment à l’action et à l’expérience des entrepreneurs (Schmitt, 2020).
solveig grimault

accompagnées, le processus d’accompagnement prend la forme d’une « expérience


éducative accompagnée » : le travail réflexif permet l’examen des données issues de
la situation de travail, l’élaboration d’une hypothèse pour les clarifier, modifier la
situation et en acquérir une meilleure maîtrise. Lorsque cela opère, on y reconnaît
le double processus organisant l’AFEST, qui la distingue des apprentissages infor-
mels : « Le caractère formel des AFEST renvoie au cadrage de deux processus
distincts : un processus de production des données de référence pour la formation,
à travers les mises en situation de travail ; un processus de production d’inférences
permettant à l'apprenant de formaliser l'interprétation de ces données » (Duclos,
2021). Ce double processus pourrait se distribuer tout au long de cet accompagne-
ment de l’expérience des créateurs « avant, pendant et après » leurs situations de
travail, tout au long de ce « continuum expérientiel » que peut être un parcours de
création, en une AFEST qui leur serait « coextensive ».
mais l’« aire d’expérience » (Fabre, 2015) et l’expérience accompagnée ne
peuvent-elles s’ouvrir avant le démarrage de l’activité, pour soutenir d’autres
apprentissages situationnels ? on sait que les situations d’apprentissage peuvent être
des situations de travail « réelles » ou être « artificiellement construites » (Pastré,
170 2008). Des situations construites et des situations de gestion « en émergence » ne
peuvent-elles pas intervenir dès l’engagement du parcours de création ?
n° 227/2021-2

Accompagner l’expérience de l’émergence


de situations de gestion
Les parcours d’accompagnement-formation à la création s’entament fréquem-
EDUCATioN PERmANENTE

ment par des sessions de formation collectives, qui font place au matériau des
projets des créateurs. Des simulations, des jeux de rôle, des situations de travail arti-
ficielles construites à des fins d’apprentissage (Pastré, 2008) peuvent les compléter,
pour le training commercial notamment.

n « Apprendre » l’équipement d’une situation de gestion


Faire émerger une situation de gestion peut s’entamer par l’appropriation d’ou-
tils susceptibles de l’équiper. L’un des réseaux a développé un simulateur qui permet
au créateur de générer son business plan (réseau C). Simple d’usage, il permet la
progressivité des apprentissages : « Une carte heuristique permet de visualiser le
‟système entreprise”, d’emblée ‟ouvert” ou [sous quelques] thématiques à tra-
vailler. [il faut] acquérir un réflexe : changer un tarif, un type de clientèle, a quelle
incidence sur le modèle imaginé ? » intégrant les données réelles du projet, l’outil
permet de tester des hypothèses : « Le créateur modifie des variantes pour trouver
la bonne combinaison permettant d’équilibrer le plan de financement [...] il prend
en main les éléments de son business plan [...] il acquiert une maîtrise de son
solveig grimault

projet ». Le créateur apprend à penser les choses d’après leurs conséquences, et peut
y revenir avec le conseiller à partir des traces produites par le simulateur. Cet outil
doit pouvoir contribuer à ce que « des correspondances se développent » (mayen,
2012) entre de nouvelles façons de penser, et des situations de gestion projetées. il
construit une articulation entre la situation de simulation, situation d’apprentissage
artificiellement construite (Pastré, 2008), et une situation à venir, a fortiori si le créa-
teur le conserve « pour simuler ensuite une logique de développement » (réseau C).

n Accompagner la « découverte » de problèmes


Former un projet de création, c’est souvent entrer dans l’inconnu : « Quand on
est employé et qu’on veut créer, on arrive dans un monde où on ne connaît rien »
(bénéficiaire NACRE). Tout ce qui pourra constituer les composantes de situations
de gestion, avec lesquelles le créateur pourra (apprendre à) agir de façon efficiente,
est indéterminé : de quel agencement précis de ressources attendre un résultat ? Cela
suppose de découvrir ce qui, dans l’environnement, peut constituer une ressource.
Quelle valeur donner à ce résultat pour pouvoir orienter et développer l’activité
(Duclos, 2018) ? Comment savoir ce qui doit devenir un objet de gestion délibéré ? 171
Cela suppose une délibération sur l’objet pour parvenir à l’identifier, dans le cadre
d’une relation didactique. Comment appréhender ce sur quoi et avec quoi agir, ce

n° 227/2021-2
qui « fait problème » dans la situation présente, pour la transformer ? La situation
est d’abord trop indéterminée pour être véritablement problématique (Fabre, 2006).
Plutôt qu’à résoudre un problème déjà donné, il y a à déterminer le problème (ibid.)
qui trouble la situation, créant une difficulté à agir.

EDUCATioN PERmANENTE
Cette distinction peut inspirer de nouvelles pratiques formatives dans le champ
de l’entrepreneuriat ou du management, où il s’agit de « préparer les [apprenants] à
des situations complexes de gestion, qui s’apparentent à de la ‟découverte de
problèmes” » (martineau et al., 2019). Revisitant la méthode du maître ignorant
(Rancière, 2004), certains considèrent que la compréhension d’un objet ou d’une
situation de gestion, d’abord inconnus, suppose une « exploration du monde », dont
l’enseignant doit « organiser la nécessité » : l’enquête, dont il faut soutenir l’effort à
force de questions, doit apprendre à juger « par expérience » du « pertinent et [du]
négligeable » pour pouvoir déterminer un problème, ou les contours d’une situation
(martineau et al., 2019). L’un des réseaux interrogés, qui accompagne de jeunes
créateurs en phase d’émergence, développe des pratiques voisines, soutenant un «
processus de questionnement » (réseau D) : pour « transformer le rêve en un projet
de création, il y a beaucoup de questions à découvrir par soi-même », un environ-
nement à explorer, des ressources à révéler. L’accompagnateur ignore ce que l’en-
quête de terrain permettra de découvrir, mais il sait que les créateurs « pensent
souvent à un chemin auquel [il n’avait] pas pensé ». Ce « savoir caché dans la ques-
tion » (Fabre, 2015) fait progresser l’enquête, soutenue par des séquences réflexives
solveig grimault

– « dès qu’ils amènent quelque chose, on le traite ». L’enquête transforme la situa-


tion indéterminée en une situation progressivement mieux identifiée (Dewey, 1993)
et documentée : par l’enquête, requise par le projet, le créateur identifie des
ressources pour des fins ajustables chemin faisant, fait des hypothèses sur ce que cet
ensemble de conditions peut produire. il découvre les problèmes à prendre en
charge, et les voies praticables pour les résoudre. il fait donc « doucement » l’expé-
rience d’une émergence : celle d’« ingrédients », de problèmes, de moyens et de fins
qui, à mesure qu’ils s’assemblent, donnent peu à peu forme à une situation qui se
singularise, et achemine vers la concrétisation du projet. il y a là l’« embryon » de
situations de gestion, pour reprendre une image traversant le champ de la création,
si l’on en juge aux dénominations de certains réseaux – couveuses, incubateurs.
L’enquête, qui amorce ce « processus expérimental » qu’est un parcours de création,
fait émerger des situations de gestion « en devenir ».

n Des apprentissages situationnels dès les prémices du parcours


Certains réseaux développent des formes de « simulation de situations de
172 gestion », au moyen « d’expériences de création » collectives autour d’un projet
commun (réseau B). Définis et hébergés par la structure d’accompagnement, ces
projets se déroulent sur une semaine, et vont de la production à la vente d’un produit
n° 227/2021-2

rapidement réalisable, en passant par la rencontre avec un environnement – pâtis-


sier, traiteur, comptable, financeurs, etc. (Coopérer pour entreprendre, 2021).
Dédiés à des « publics vulnérables », ils font émerger des capacités, des appétences
(réseau B). ils offrent des situations de travail collectives « habilitantes »
EDUCATioN PERmANENTE

(Stroobants, 1993). C’est d’ailleurs dans cette perspective que l’un des réseaux envi-
sage d’expérimenter ce type de projets dès la phase d’émergence, pour « créer des
opportunités d’expérience », à la fois tremplin et matériau du travail réflexif pour le
projet de chacun (réseau D). Ces réseaux assurent ici la « construction d’un milieu »
(Pastré, 2008) propice aux apprentissages.
Enfin, l’enquête « fondatrice » précédemment évoquée peut transformer ce qui
apparaît souvent comme un « contexte » extérieur, auquel il faudrait s’adapter, en
un « environnement » au sens de « l’ensemble des conditions qui interviennent dans
le développement [des] capacités [du créateur] au titre de moyens ou de ressources »
(Zask, 2008). Réévaluant la limite entre contexte et environnement du projet, l’en-
quête soutient le développement d’une compétence de transformation d’un contexte
en un environnement. Cette capacité à aller chercher dans l’environnement les
ressources permettant d’ajuster la situation est – au risque de paraphraser la défini-
tion même de la compétence – une « compétence environnementale ». L’attention à
l’environnement est redoublée, puisqu’il faut en acquérir l’intelligence. Le créateur
devient également compétent en ce qu’il parvient à comprendre les conditions –
découvertes par l’enquête – qui peuplent et définissent la situation, et sait s’y ajuster
solveig grimault

pour adapter son action (mayen et al., 2006). il a également su ajuster la situation,
en évolution. Si les conditions d’accompagnement s’y prêtent, il nous semble qu’un
créateur pourrait faire l’expérience, accompagnée, de l’émergence de situations de
gestion, et développer des compétences permettant d’agir « avec, dans et sur » ces
situations, pour et avec lesquelles elles ont pu se former. Le processus d’émergence
de situations de gestion serait un premier mode de développement des compétences
entrepreneuriales utiles.

*
Un représentant d’un réseau expliquait « permettre une expérience transition-
nelle de changement » aux personnes accompagnées, qui « ne se découvrent pas
entrepreneur subitement, [mais] se transforment et développent des compétences »
progressivement. Cette transformation, ou « métamorphose [du créateur] est la
conséquence [d’une] expérimentation » (Fleury, 2015), par laquelle celui-ci concré-
tise pas à pas son projet et acquiert, dans le même mouvement, une capacité à
construire, penser et maîtriser les situations de gestion utiles au développement de
son activité. De ce point de vue, le processus d’« individuation » que peut favoriser 173
un parcours de création ne suppose pas de centrer l’accompagnement sur l’individu,
mais sur son expérience (ibid.). Un accompagnement à la création misant sur le

n° 227/2021-2
développement d’une « expérience éducative » pourrait sans doute prendre le parti
de construire, précocement, des situations et des milieux apprenants pour que le
créateur puisse bénéficier de cette relation expérientielle et didactique dès les
prémices de son parcours. Le cadre de l’AFEST y inviterait, et pourrait ainsi sou-

EDUCATioN PERmANENTE
tenir, d’emblée, l’instauration et la continuité de ce processus expérientiel si béné-
fique aux créateurs et à leurs projets, venant nuancer par la même occasion la parti-
tion usuelle ante et post création qui organise le plus souvent les parcours d’accom-
pagnement. u

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EDUCATioN PERmANENTE n° 227/2021-2

176
JEAN-CLAUDE DUPUIS

Activer l’investissement formation


en attendant une nouvelle
« révolution » comptable

La question de la reconnaissance des effets économiques et financiers des


actions de formation revient régulièrement sur les agendas depuis une quarantaine
d’années, et l’entrée dans une économie de plus en plus fondée sur la connaissance,
l’immatériel et l’innovation. La suppression de l’« obligation de dépenser » par la
loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi
et à la démocratie sociale a, bien entendu, renforcé cet enjeu1. Certes, une obliga- 177
tion légale de former demeure pour les employeurs2 ; cela étant, la quasi-mise en
marché de la formation professionnelle accroît depuis l’intérêt de voir les dépenses

n° 227/2021-2
de formation pensées également comme des investissements productifs3.
La reconnaissance légale de l’AFEST4 renforce cet enjeu de valorisation. Elle
facilite en effet la possibilité d’internaliser la formation plutôt que de la confier à des
prestataires externes. Elle repose ainsi, à nouveaux frais, la question du modèle

EDUCATION PERMANENTE
économique de la formation, en même temps qu’elle expose au risque de tarissement
de l’effort financier global de formation des entreprises. Pour nombre d’acteurs
privés et publics, il deviendrait encore plus urgent d’amener les entreprises à penser
la formation comme un investissement plutôt que comme une charge.

JEAN-CLAUDE DUPUIS, professeur à l’Institut de gestion sociale (jcdupuis@groupe-igs.fr).


1. Le « document d’orientation » rendu public le 8 juillet 2013 par le gouvernement en vue d’une négociation natio-
nale interprofessionnelle « sur la formation professionnelle pour la sécurisation des personnes et la compétitivité
des entreprises » enjoignait les partenaires sociaux de « faire évoluer le plan de formation de l’entreprise, tant
dans ses modalités d’élaboration et de suivi que dans ses modalités de financement [...] pour faire de la formation
professionnelle un investissement de compétitivité au sein de l’entreprise [...] reconnu comme tel ». Il ajoutait que
« divers travaux [étaient] d’ailleurs en cours pour mieux valoriser dans notre économie l’effort de formation ».
2. Pour être précis, il existe deux obligations dans le Code du travail, l’une d’adaptation, et une autre qui enjoint
l’employeur de « veiller au maintien de la capacité à occuper un emploi ». Le code dit également que la formation
(peut) contribue(r) au développement des compétences (et au maintien de cette capacité). Il convient de souligner
que la réglementation ne dit pas pour autant que ce moyen serait exclusif d’autres façons d’y procéder.
3. Les lois successives ont réalisé, de ce point de vue, une sorte d’actif inscrit dans la la loi n° 71-575 du 16 juillet
1971 qui avait déjà choisi d’instituer un marché de la formation par le conventionnement.
4. Par l’article 4 de l loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
jean-claude dupuis

Compte tenu de leur portée symbolique et cognitive pour penser l’entreprise


et sa dynamique, le regard des acteurs du champ de la formation se tourne majori-
tairement vers les normes de comptabilité générale et financière. De nombreuses
voix s’étonnent que les dépenses de formation n’y puissent pas y être « activées »,
c’est-à-dire inscrites à l’actif du bilan de l’entreprise, puis amorties. Il en irait bien
entendu de la capacité de les penser et de les traiter comme des dépenses d’inves-
tissement. Il se pourrait toutefois que les normalisateurs comptables, à commencer
par l’International Accounting Standards Board5 et l’Autorité des normes comp-
tables (française), aient de bonnes raisons de ne pas s’ouvrir plus que de raison à
l’activation des dépenses de formation, quand bien même ils ne chercheraient pas
à leur dénier un caractère d’investissement. Il apparaît donc nécessaire de clarifier
la position de ces instances normalisatrices afin que les acteurs de la formation ne
se trompent pas de combat.
Notre propos visera à préciser certaines de ces « bonnes raisons », puis à clari-
fier l’idée selon laquelle l’activation des dépenses et des temps de formation pour-
rait emprunter un autre chemin. Celui-ci présuppose d’arriver à repenser les
« situations de formation » pour pouvoir les appréhender également comme des
178 « situations de gestion » (Girin, 2016). Ce travail de recadrage symbolique,
cognitif et technique, des situations dans lesquelles sont plongés les acteurs peut
tout à fait prendre appui, cette fois, sur la médiation des outils du contrôle de
n° 227/2021-2

gestion ou de l’évaluation de la formation.


EDUCATION PERMANENTE

Et si les comptables avaient raison ?


Trois arguments complémentaires montrent que la position des normalisa-
teurs comptables est loin d’être infondée, bien au contraire.

n La comptabilité n’est pas la finance


Les normes comptables ne sont pas un cadre technique neutre qui, au terme
d’une longue quête du Graal, permettrait d’obtenir une image fidèle de la réalité
économique. Or, implicitement ou explicitement, telle est bien l’opinion, ou la
croyance, des acteurs qui militent pour une activation comptable des dépenses de
formation. Celle-ci viendrait parfaire la prise en compte des ressources, sources
d’avantages économiques futurs. Ce faisant, les comptes de l’entreprise répon-
draient mieux au besoin informationnel supposé inhérent à toute comptabilité : ren-
seigner sur la valeur de revente théorique de l’entreprise, autrement dit sur sa
« valeur fondamentale » ou sa « valeur intrinsèque » (Dupuis, 2014). La comptabi-
lité prendrait alors parfaitement les atours de l’analyse financière.

5. L’IASB est l’organisme qui édicte les normes IFRS.


jean-claude dupuis

Pour avancer dans cette voie, ces acteurs arguent de façon tout à fait cohé-
rente que la rentabilité et la contrôlabilité des investissements en formation pour-
raient être documentées, pendant leur durée d’amortissement, par la mesure des
gains qu’ils engendrent (rentabilité) et de la rotation du personnel (contrôlabilité)6.
Par prudence, une dépréciation de ces investissements, en cas de non-démonstra-
tion convaincante de leur rentabilité et de leur contrôlabilité, pourrait s’opérer.
Retraduite, la position de ces acteurs revient à regretter que le modèle comptable
dominant ne soit pas un modèle de type financier pur, et qu’une distance demeure
entre comptabilité et évaluation financière. C’est seulement, en effet, avec ce type
de bilan (bilan en valeurs actualisées ou en valeur d’utilité) que l’on est droit d’at-
tendre que les capitaux propres, figurant au passif du bilan, correspondent, aux
fluctuations près de la bourse, à la valeur de marché des actions de l’entreprise. Or,
il se pourrait que cette distance soit louable.
Dans le même temps, ils ne perçoivent pas que leur démarche se caractérise
par un hiatus. Ils militent pour une logique de l’amortissement, laquelle n’a pas sa
place dans le modèle comptable de type financier qu’ils défendent, à la base des
normes comptables actuelles (sic). Ils ont en tête une conception « matérialiste »
du capital, lequel est en conséquence compris comme un ensemble de ressources 179
(facteurs de production). Cela signifie que, dans leurs esprits, l’évaluation du
capital se confond avec l’évaluation de l’actif (du bilan). Le modèle comptable de

n° 227/2021-2
type financier dominant (modèle actuariel) incorpore, en effet, une conception du
capital qui l’assimile non pas à un apport de fonds (conception « fundiste » du
capital), mais à des actifs concrets, et plus précisément, aux services futurs rendus
par ces actifs. L’évaluation actuarielle du capital implique en conséquence de

EDUCATION PERMANENTE
tourner le regard vers le futur (forward looking) de façon à estimer les flux de
services et revenus futurs qui pourront être générés à l’aide de ces actifs.
Or, la technique de l’amortissement réfère à un autre modèle comptable qui,
lui, mobilise une conception « fundiste » du capital et non pas une conception
« matérialiste ». Le capital y est conçu comme un apport de fonds (fund) et non
comme un actif concret (comme c’est le cas dans la conception matérialiste du
capital). Cela a une implication majeure souvent peu perçue : dans cet autre
modèle comptable qui a été dominant au cours du XXe siècle avant de s’effacer
sous les critiques des partisans du modèle de type financier et de la « juste valeur »
(fair value), le capital est au passif, et l’actif du bilan recense non pas des
ressources, mais des emplois de ressources (investissements). La technique de
l’amortissement concrétise une obligation interne de reproduction du capital de
l’entreprise qui n’exige pas d’amortir le coût de création (production) d’un capital.

6. La doctrine comptable considère que la formation est attachée au salarié et non à l’entreprise. La contrôlabilité
de la formation (par l’entreprise) impliquerait d’arriver à étayer, par exemple, le fait que les salariés qui bénéfi-
cient de certaines formations sont (plus) fidèles à l’entreprise que ceux qui n’en bénéficient pas. Lesdites forma-
tions pourraient alors être jugées « contrôlables ».
jean-claude dupuis

Elle implique fondamentalement d’évaluer si l’activité économique de la période


écoulée a impacté la capacité de ce capital à se renouveler de façon endogène, donc
sans avoir à se tourner vers le futur. Si tel n’est pas le cas, l’amortissement de ce
capital s’impose afin d’assurer sa reproduction (a-mortissement). Cela ouvre, bien
entendu, des perspectives intéressantes concernant la régulation de l’effort de for-
mation souhaitable de la part des entreprises. Cela étant, comprendre ces perspec-
tives implique de se départir des arguments traditionnellement avancés pour
défendre une activation des dépenses de formation. La mise en œuvre de la tech-
nique de l’amortissement ne passe pas, en effet, forcément par une activation des
dépenses de formation (pour ensuite pouvoir les amortir).

n La comptabilité se doit d’être prudente


Il convient de garder à l’esprit que la comptabilité d’entreprise sert d’assiette
pour déterminer les revenus distribuables et consommables. Or, le modèle comp-
table de type financier combine effets de revenu et effets de patrimoine pour
mesurer la richesse créée. Il ne distingue pas à proprement parler le capital (la
180 substancia, comme disaient les Romains) du fruit (fructus). Ce type de comptabi-
lité n’est pas une comptabilité prudente à même d’assurer une conservation effi-
cace du capital. On peut ainsi avoir distribué des profits potentiels et donc mangé
n° 227/2021-2

son capital dans la période d’euphorie, et ne plus pouvoir faire face aux besoins de
réinvestissement lors des crises. Autrement dit, avec un tel modèle comptable, on
n’est pas sûr de répartir les seuls fruits de la croissance ; la consommation peut très
bien s’avérer après coup en partie de la désépargne, c’est-à-dire de la consomma-
EDUCATION PERMANENTE

tion de capital.
L’expérience de la crise bancaire et financière des années 2007 et 2008 a
conduit les normalisateurs comptables à se raviser sur la quête d’un certain Graal.
Elle les a également invités à reconsidérer les atouts et vertus du modèle comptable
traditionnel en coût historique. Le modèle comptable ancré sur la technique de
l’amortissement (le modèle du « coût historique ») ne permet, en effet, de distri-
buer un profit que s’il a été réalisé, c’est-à-dire matérialisé par des ventes réelles.
Prudence oblige, les simples profits potentiels ne sont pas pris en compte. Plus
encore, un profit ne peut être distribué que si le capital financier qui lui a « donné
naissance » a été reconstitué. Cette reconstitution se fait par une charge d’amortis-
sement qui opère un prélèvement obligatoire sur le profit annuel. Ce modèle comp-
table intègre donc une contrainte de reproduction du capital apporté (principe de
conservation), laquelle est évaluée de façon prudente (principe de réalisation).
Il faut bien saisir que l’enregistrement des charges d’amortissement vise à
mettre en réserve les sommes qui permettront à l’entreprise de reconstituer les
biens de capital consommé/usé par son processus productif. Ces charges doivent
être calculées en fonction des pertes de capacités de fonctionnement des instru-
jean-claude dupuis

ments de production sur la période concernée ; leur montant doit permettre de


restaurer et d’entretenir le potentiel productif de l’entreprise. En matière de capital
humain, la règle comptable de l’amortissement induirait par exemple d’intégrer,
dans les coûts de production, les fonds nécessaires pour maintenir à niveau les
compétences individuelles et collectives, et à mettre en réserve ces fonds (au bilan)
pour servir à l’investissement de renouvellement (en capital humain).
Comme les défenseurs de l’activation des dépenses de formation sont très
majoritairement et implicitement ancrés dans le modèle comptable de type finan-
cier, ils ne perçoivent pas l’entière portée de la technique de l’amortissement. C’est
dommage car celle-ci ouvre des perspectives intéressantes en matière d’entretien et
de renouvellement du capital humain de l’entreprise. Il est vrai cependant que la
doctrine comptable, dont la tonalité dominante est de type actuariel, laisse peu de
chances de voir advenir à court et moyen terme un plein amortissement du capital
humain, à commencer par le capital compétences de l’entreprise. Il n’en demeure
pas moins que la technique de l’amortissement permet de penser autrement des
mécanismes extra-comptables passés qui ont pu avoir une fonction économique et
sociale proche, et d’autres qui pourraient être inventés de façon plus décentralisée
et moins bureaucratique. Parmi les mécanismes passés, on pense à l’obligation 181
légale au titre du financement du plan de formation (le fameux « 0,9 % » de la
masse salariale). Certaines contributions conventionnelles négociées à l’échelle de

n° 227/2021-2
branches professionnelles ont pu ou pourraient avoir, en totalité ou en partie, cette
fonction.

EDUCATION PERMANENTE
n La comptabilité compte et raconte
La comptabilité financière ne se réduit pas à ce qui peut être mesuré monétai-
rement. Des notes extrêmement diverses (notes to accounts ou disclosures), mêlant
éléments chiffrés et narration, viennent à la fois expliquer et compléter sciemment
les informations financières contenues dans les états primaires (bilan et compte de
résultat). En France, ce type de documents est réuni dans un document unique
désigné sous le nom d’« annexe », dont le volume n’a fait qu’augmenter au fil du
temps. Or, ce document public contient de nombreux éléments d’information sur
les investissements immatériels de l’entreprise, notamment sur ceux non compta-
bilisés au bilan du type investissements en capital humain ou en recherche-déve-
loppement.
En 2010, l’IASB a d’ailleurs publié des lignes directrices visant à harmoniser
ces commentaires de direction (management commentaries) destinés à compléter
et éclairer les états financiers. Parmi les thèmes récurrents des commentaires de
direction figurent : des informations sur le contexte qui permettent de mieux
comprendre la situation et les résultats financiers immédiats et futurs de l’entre-
prise ; des informations élargies sur des mesures de performance financière et non
jean-claude dupuis

financière ; des informations prospectives permettant d’évaluer les performances


futures ; les risques et incertitudes susceptibles d’affecter la valeur de long terme
de l’entreprise ; des informations sur les principaux indicateurs de performance
auxquels les entreprises ont recours pour gérer leurs activités. Quand on ajoute à
cela le fait que nombre d’entreprises sont tenues de produire des rapports non
financiers sur leur « responsabilité sociétale », on saisit que plutôt qu’un manque
d’informations non financières, c’est un trop-plein qui prévaut.
La comptabilité n’oublie pas donc l’investissement formation. Elle préfère,
pour de bonnes raisons développées en partie plus haut, le raconter plutôt que le
compter.
L’ensemble de ces éléments conduit à devoir relativiser la portée du règlement7
de l’Autorité des normes comptables proposant l’inscription sur option en immobi-
lisation des dépenses de formation liées à la mise en service d’une immobilisation
corporelle ou incorporelle. Il en va de même s’agissant de la série d’informations8
relatives à la formation professionnelle susceptibles d’être intégrées à l’annexe
comptable. Cela d’autant plus que ce règlement n’engage que les seules normes
françaises, et pas les normes européennes, les International Financial Reporting
182 Standards, qui s’appliquent depuis 2005 aux groupes ayant des titres cotés sur un
marché réglementé d’un État membre de l’Union européenne, et plus largement aux
comptes de groupe sur option. Il n’en demeure pas moins que la démarche concré-
n° 227/2021-2

tise une étape tirant parti au mieux des possibles de la doctrine actuelle.

Encadré 1. L’amortissement de l’investissement formation.


Un souhaitable en attente d’une nouvelle « révolution » comptable
EDUCATION PERMANENTE

La technique comptable de l’amortissement étendue au capital humain pourrait


permettre de réguler l’effort de formation de l’entreprise. Elle impliquerait une
rétention et une mise en réserve de ressources monétaires (sur les ventes) à même
de couvrir les coûts nécessaires au renouvellement du capital humain. Cela revien-
drait à reconnaître la qualité de capital aux ressources humaines dans un sens fort,
c’est-à- dire comme quelque chose de capital qu’il convient de conserver. Cette
reconnaissance forte n’implique pas l’attribution d’une sorte de prix au capital
humain, mais l’obligation (interne) d’assurer son renouvellement.
Reste que cela passe par une nouvelle « révolution » qui concrétiserait en
quelque sorte un retour vers le futur. Il en va d’une redéfinition en profondeur du
« cadre conceptuel » qui fournit les concepts et les lignes directrices sous-tendant
les décisions prises par les organismes de normalisation comptable. L’avènement

7. Règlement ANC n° 2019-09 du 18 décembre 2019.


8. Les entreprises pourront indiquer : a) le montant consacré à la formation professionnelle, par type de formation,
au cours de l’exercice, au cours de l’exercice précédent et au cours des trois derniers exercices (en précisant le
cumul amorti sur trois exercices) ; b) sa répartition dans les principaux postes du compte de résultat ou du bilan
(si l’employeur a opté pour l’immobilisation de la formation) ; c) le montant consacré à la formation profession-
nelle rapporté à la masse salariale ; d) le nombre d’heures de formation ; e) la part des salariés ayant bénéficié
d’une formation au cours de l’exercice.
jean-claude dupuis

des International Financial Reporting Standards depuis 2005 a promu un nouveau


type de comptabilité « révolutionnaire », tourné vers le futur, donnant une informa-
tion sur la « juste valeur », c’est-à-dire la valeur de marché des entreprises. Inver-
sement, cet avènement a marqué un effacement du modèle traditionnel en coût
historique caractérisé par la logique de l’amortissement. La mise en œuvre de
l’amortissement de l’investissement formation implique donc un retour vers un tel
« cadre conceptuel » pour rendre ensuite possible une extension de l’amortissement
au capital humain.
Une telle nouvelle « révolution » ne va pas de soi. Elle implique un change-
ment de gouvernance des organismes de normalisation et, donc, des luttes poli-
tiques. Cette remarque vaut en particulier pour l’IASB (qui édicte les IFRS), qui est
surtout composé de spécialistes de la comptabilité sélectionnés en fonction de leur
adhésion à l’idéologie de la « juste valeur » (fair value).

Penser également « situation de gestion »


L’activation des dépenses et des temps de formation peut emprunter un autre
cheminement. Si ce cheminement a une portée moins symbolique qu’une mise en
actes via et dans les normes de comptabilité financière, il n’en demeure pas moins 183
qu’il implique un détour aussi technique de façon à penser et à vivre les « situations
de formation » comme étant également des « situations de gestion ».

n° 227/2021-2
n Prendre appui sur le pouvoir sémiotique et pragmatique

EDUCATION PERMANENTE
des outils de gestion
Conduire les acteurs d’une action de formation à se penser comme engagés
dans une « situation de gestion » ne va pas de soi. Il est possible que l’internalisa-
tion de la formation induite par le déploiement des AFEST les y invite davantage
qu’auparavant. Une situation de gestion se présente en effet « lorsque des partici-
pants sont réunis et doivent accomplir, dans un temps déterminé, une action collec-
tive conduisant à un résultat soumis à un jugement externe » (Girin, 2016). Cela
présuppose de rendre possible et légitime une telle habitude de pensée et d’action
tendue vers la production d’une valeur objectivée, pour ne pas dire tendue vers la
performance.
La mobilisation idoine d’outils de gestion peut aider. Les outils de gestion ne
sont pas des artefacts neutres et passifs. Ils sont dotés d’un certaine agentivité
(Chiapello et Gilbert, 2016). Associant d’un côté des artefacts, matériels ou
symboliques (des concepts, des schémas), de l’autre des registres d’action, d’usage
qui vont leur donner sens (Lorino, 2002), leur présence affecte les situations et
l’action qui s’y déroule : effets épistémiques, en raison des représentations du
travail qu’ils véhiculent, et effets pragmatiques parce qu’ils habilitent et contrai-
gnent l’action (Ragaigne et al., 2014).
jean-claude dupuis

Ce travail de traduction et de recadrage vise à permettre de penser les situa-


tions de formation comme étant également des situations de gestion. Il vise à faire
que les acteurs (du moins certains acteurs) de l’action de formation intègrent le fait
que celle-ci est également une affaire économique et financière. Reste que si tout
est économique, l’économique n’est pas tout. En conséquence, le « dire vrai »
gestionnaire d’un système de pilotage de la performance doit rester confronté à
d’autres régimes de vérité (Foucault, 1971) véhiculés notamment par les logiques
de métier et les savoirs expérientiels et d’usage des acteurs de la formation.
Autrement dit, il s’agit de faire vivre un pilotage dialogique de la qualité de
la formation, ou encore un pilotage au service d’une « performance dialogique »
(Clot et al., 2021). Un tel processus de sensemaking (Weick, 1995) invite à consi-
dérer les chiffres fournis par les outils de gestion comme des indices parmi
d’autres. Une marge doit être laissée à la discussion sur un réel complexe à
dévoiler et sur lequel agir. Le pilotage doit donc avoir pour ancrage les processus
(réels) de l’action de formation et non pas les procédures ni les seuls impacts,
fussent-ils économiques et/ou financiers. L’évaluation des impacts des processus
(paradigme de l’impact) tout comme l’audit des processus pour s’assurer de leur
184 conformité à des procédures et normes (paradigme de la qualité) doivent servir à
nourrir le pilotage dialogique des processus.
n° 227/2021-2

n L’exemple de la méthode des performances et coûts cachés


Cette méthode est un des outils de gestion qui peut contribuer à fabriquer un
pilotage dialogique des processus de formation donnant place à la dimension
EDUCATION PERMANENTE

économique. Cela présuppose un usage de l’outil au service d’une enquête collec-


tive et pluraliste du cours de l’action.
La méthode dite des coûts-performances cachés a été mise au point par Henri
Savall (1975). Le concept de coûts cachés fait référence à des coûts liés à des
phénomènes habituellement non pris en compte par les systèmes comptables offi-
ciels. Ils désignent à la fois ceux qui sont pris en compte, mais dilués dans diffé-
rents postes comptables, et ceux qui ne sont pas pris en compte et qui correspon-
dent à des non-produits (« coûts d’opportunité »). Les coûts cachés trouvent leur
origine dans des dysfonctionnements organisationnels résultant souvent de
comportements humains. Absentéisme, accidents du travail, rotation excessive du
personnel, défauts de qualité ou sous-productivité directe sont des indicateurs de
dysfonctionnements qui engendrent des coûts pour leur régulation : des activités
humaines (surtemps et non-productions) et des consommations de biens ou
services (sursalaires, surconsommations, non-créations de potentiel et risques).
Méthodologiquement, l’évaluation des coûts-performances cachés se fait au
moyen de six composants (voir tableau 1) :
jean-claude dupuis

– les surconsommations, qui correspondent à des biens ou des services consommés


en excès ;
– les sursalaires, utilisés lorsqu’une activité est réalisée par une personne titulaire
d’une fonction mieux rémunérée que celle qui devrait l’assumer, ou lorsque des
salaires sont versés à des personnes absentes ;
– les surtemps, correspondant à des activités de régulation qui prennent du temps
supplémentaire ;
– les non-productions, survenues en cas d’absence d’activité ou d’arrêt de travail ;
– les non-créations de potentiel et les risques, qui correspondent à des régulations
futures (non-créations de potentiel) ou probables (risques).
Cette méthode de contrôle de gestion socioéconomique invite à penser que
l’activité aurait pu être réalisée en consommant moins de ressources et/ou que l’on
aurait pu mieux faire avec autant de ressources consommées. Elle instancie une
habitude de pensée visant à s’interroger sur des moyens à même de mieux
maîtriser le niveau des coûts-performances cachés, et donc la performance des
processus d’activité. Parmi les possibles moyens, figure bien entendu la formation
des acteurs du cours de l’action. Autrement dit, elle produit un réseau de signes qui
donne à voir la formation comme un potentiel détour productif, et donc comme un 185
investissement. Et elle invite à passer à l’acte. Plus précisément, elle invite à mener
enquête pour tester la capacité de telle ou telle action de formation à réduire le

n° 227/2021-2
niveau des coûts-performances cachés. Conformément à la logique de pensée
encapsulée dans l’outil, il s’agit de comparer le niveau des coûts-performances
cachés avant et après le transfert des acquis de la formation en situation de travail,
ou entre des entités similaires ayant bénéficié ou pas de la formation. Ladite

EDUCATION PERMANENTE
enquête peut alors aboutir à une évaluation de la performance (économique) de
l’action de formation comprise comme son rapport entre sa qualité (impact sur les
coûts-performances cachés) et son coût (coût total de la formation).
Il va de soi que ce type d’enquête est vite confrontée à la complexité du travail
réel et que, en conséquence, il est le plus souvent difficile d’isoler les effets d’une
action de formation sur le cours de l’action collective, impacté qu’il est par de
multiples facteurs et acteurs. C’est d’autant plus le cas que le coût d’enquête doit
rester supportable au risque sinon d’être d’une piètre utilité en termes de perfor-
mance si ce n’est pour les évaluateurs. Cela étant, ces réserves sont valables pour
l’ensemble des détours productifs considérés isolément. Il n’en demeure pas moins
que cette méthode permet de sortir de l’ombre l’économique et de donner à voir la
formation comme étant également une affaire économique et financière (à gérer).

n L’exemple de la méthode du Return on expectations


Cette méthode d’évaluation de la formation est le fruit d’un travail de revisite
du modèle historique de Kirkpatrick (1959-1960). Ce modèle a été repensé pour
jean-claude dupuis

Non-créations
Sur- Non- Total des coûts
Composants Sursalaires Surtemps de potentiel
consommations productions cachés (1) + (2)
Indicateurs (1) (2) (5) et risques
(3) (4) +…+ (6)
(6)
Coûts cachés
Absentéisme liés
à l’absentéisme
Coûts cachés
Accidents liés aux
du travail accidents du
travail
Coûts cachés
Rotation liés à
du personnel la rotation du
personnel
Coûts cachés
Qualité des liés à
prestations la qualité des
prestations

Non-créations
Sursalaires Surtemps Non- de potentiel et
Surconsommations
engendrés engendrés productions risques
engendrées par Coûts cachés
186 Total par les
indicateurs
par les
indicateurs
les indicateurs
engendrées par
les indicateurs
engendrés
par les
totaux
listés
listés listés listés indicateurs
n° 227/2021-2

listés
Concepts
Coûts historiques Coûts d’opportunité
économiques
Concepts
Surcharges Non-produits
EDUCATION PERMANENTE

comptables

Tableau 1. Modèle de tableau de bord d’évaluation des coûts-performances cachés

devenir The Kirkpatrick business partnership model (Kirkpatrick et Kayser-


Kirkpatrick, 2009). La visée principale du nouveau modèle est d’amener les parties
prenantes de la formation à produire une définition précise et validée d’objectifs en
termes de changements de comportement observables et/ou d’impacts sur les
processus d’activité.
La méthode du retour sur les attentes (Return on expectations) partage, avec
la méthode des coûts-performances cachés, un certain nombre de traits. Son réseau
de signes invite notamment à penser « évaluation » non pas seulement après coup
(ex-post) mais également avant (ex-ante) et au cours de l’action de formation (in
itinere). Elle a de ce fait les atours d’une analyse fonctionnelle et d’une analyse ou
ingénierie de la valeur9 incitant ses utilisateurs à s’interroger sur la pertinence

9. L’analyse de la valeur (AV) est une méthode systématique d’amélioration de la valeur des produits et des services"
" en examinant leurs fonctions. Ainsi définie, la valeur est le rapport entre les fonctions et leur coût ; elle peut donc
être augmentée soit en améliorant les fonctions soit en réduisant les coûts. L’AV suit un processus structuré basé
exclusivement sur la « fonction », c’est-à-dire sur ce que le produit ou le service doit faire et non ce qu’il est. Ce
processus est la base de l’analyse fonctionnelle.
jean-claude dupuis

d’une réponse en termes d’action de formation au regard des attentes des princi-
pales parties prenantes et des autres possibles solutions. En tout cas, elle ouvre la
possibilité d’être traduite et comprise ainsi par les acteurs familiers des habitudes
de pensée et d’action du monde économique et financier. Elle est donc à même de
donner un sens nouveau ou complémentaire aux situations de formation.
Elle s’en distingue par d’autres aspects. D’abord, elle contraint l’analyse fonc-
tionnelle en actes à ouvrir la « boîte noire » de la formation et à penser de façon fine
« ingénierie de la formation ». Le régime de vérité embarqué dans l’outil est, lui,
beaucoup plus ouvert et pluraliste. La monétarisation des preuves n’est pas la règle
comme cela est le cas dans la méthode des coûts-performances cachés ou encore
dans la méthode du ROI de la formation (Phillips, 1996). La méthode d’évaluation
invite également à prendre en compte le fait que le cours de l’action de formation
est multi-adressé (plusieurs parties prenantes ou intéressées). L’outil apparaît donc
plus à même de contribuer à faire vivre un pilotage dialogique et non découplé de
la qualité de la formation ou, autrement dit, un pilotage au service d’une per-
formance dialogique (effets de premier ordre). Cela dépend toutefois de la façon
dont les acteurs peuvent se l’approprier ou résister à son emprise (effets de second
ordre). Il en va, bien entendu, du rôle de traducteur des managers de la formation. 187

n° 227/2021-2
Conclusion
Les normalisateurs comptables ont de « bonnes raisons » de ne pas trop s’ou-
vrir à l’activation des dépenses de formation sans pour autant vouloir leur dénier
leur caractère d’investissement. Il apparaît donc souhaitable, pour les acteurs

EDUCATION PERMANENTE
soucieux de valoriser à court et moyen termes les dimensions économique et finan-
cière de la formation, de se tourner vers d’autres voies pour une mise en actes
(enactment) de l’investissement formation. Nous avons montré qu’un autre chemi-
nement implique de penser les situations de formation comme étant également des
situations de gestion, via une médiation idoine d’outils de contrôle de gestion ou
d’évaluation de la formation.
Cela étant, il ne faut pas sombrer dans la « gestionnite ». Trop de gestion tue
la gestion. Nous invitons en conséquence les contrôleurs de gestion de la formation
« en puissance » à lire, parmi les quarante-deux histoires succinctes et éclairantes,
concoctées par Henry Mintzberg (2019), celle qu’il a intitulée « Analyste : analyse-
toi toi-même10. ». Il y cite le mathématicien et philosophe anglais Alfred North
Withehead : « Il faut un esprit très particulier pour entreprendre l’analyse de ce qui
est évident » (ibid., p. 83).
La voie proposée pourrait également favoriser une mise en dialogue entre les
sciences de gestion et les sciences de l’éducation et de la formation, lequel est pour

10. Au regard du sujet du présent article, l’histoire pourrait être réintitulée : « Contrôleur : contrôle-toi toi-même. »
jean-claude dupuis

le moins ténu en France. La notion de situation est en effet au cœur de la philo-


sophie pragmatiste. Or, contrairement aux sciences de gestion, les sciences de
l’éducation n’ont jamais rompu avec les préceptes de cette philosophie, en particu-
lier ceux forgés par John Dewey. Cette mise en dialogue devrait aboutir à des
recherches collectives sinon multi-référentielles, du moins pluri-référentielles
(Ardoino, 1993)11, et conjointes, c’est-à-dire associant chercheurs et acteurs de la
formation. u

11. Pour le professeur de sciences de l’éducation, l’option multiréférentielle conduit à prendre en compte « les ques-
tions que s’adressent mutuellement, à propos de l’objet intéressé, mais tout autant pour elles-mêmes, à l’occasion
de cette recherche particulière, les différentes disciplines convoquées » (Ardoino, 1993, p. 29).

Bibliographie

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formatives ». Pratiques de formation-Analyses. N° 25-26, p. 15-34.
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A. Hussenot, J.-F. Chanlat (dir. publ.). Théories des organisations. Nouveaux tournants. Paris,
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Economica, p. 177-226.
CLOT, Y. et al. (dir. publ.). 2021. Le prix du travail bien fait. La coopération conflictuelle dans
les organisations. Paris, La Découverte.
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DUPUIS, J.-C. 2014. Économie et comptabilité de l’immatériel. Enjeux du reporting non financier.
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FOUCAULT, M. 1971. L’ordre du discours. Paris, Gallimard.
GIRIN, J. 2016. Langage, organisations, situations et agencements. Paris, Hermann.
KIRKPATRICK, D.-L. 1959-1960. « Techniques for evaluating training programs ». Journal of the
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vol. 14, n° 1, p. 13-18 ; vol. 14, n° 2, p. 28-32.
KIRKPATRICK, J.-D. ; KAYSER-KIRKPATRICK, W. 2009. The Kirkpatrick Four Levels™: a Fresh Look
after 50 Years 1959-2009. GA, Kirkpatrick Partners.
LORINO, P. 2002. Vers une théorie pragmatique et sémiotique des outils appliquée aux instruments
de gestion. Paris, ESSEC.
MINTZBERG, H. 2019. Histoires du soir pour managers. Quarante-deux histoires surprenantes
pour réveiller votre management. Paris, Vuibert.
PHILLIPS, J.-J. 1996. « ROI : the search for best practices ». Training and Development. Vol. 50,
n° 2, p. 42-47.
RAGAIGNE, A. ; OIRY, E. ; GRIMAND, A. 2014. « Contraindre et habiliter : la double dimension
des outils de contrôle ». Comptabilité-contrôle-audit. Vol. 20, n° 2, p. 9-37.
SAVALL, H. 1975. Enrichir le travail humain dans les entreprises et les organisations. Paris, Dunod.
WEICK, K.-E. 1995. Sensemaking in Organizations. Thousand Oaks, Sage Publications.
ELSA BONAL

Apprendre à agir comme on le fait :


un déjà-là travaillé en formation

Une orientation clinique de l’AFEST l’envisage comme un processus dynamique


porté par un système d’acteurs en devenir (un collectif) agissant à l’adresse d’un
professionnel apprenant (un individu) en vue de développer son métier. Construire
les conditions d’une telle coopération requiert de clarifier la place et la contribution
de chacun, et de remettre au travail un imaginaire collectif. De nouvelles formes
sociales sont à donner à la formation pour accompagner ces apprenants d’un
nouveau genre, qui ne quittent pas l’entreprise pour apprendre le travail qu’ils y 189
font déjà. La dimension à la fois intime et collective du fait individuel en formation
pourrait faire écho à certaines attentes de nos contemporains à l’égard d’une forma-

n° 227/2021-2
tion pour adultes qui construirait la possibilité de développer le rapport au monde
qu’ils travaillent déjà : le transformer tout en se transformant.
Le formateur construit un environnement pour apprendre. Il crée l’opportu-
nité, pour un professionnel, de reconstruire sa façon de travailler, en relation (phy-

EDUCATION PERMANENTE
sique, sociale et psychique) avec d’autres travailleurs. L’objet mis au travail par
l’acte d’apprendre n’est pas un savoir objectif extérieur, il engage la subjectivité de
l’apprenant, celle qu’il mobilise quand il travaille. Les questionnements ouverts par
son acte traversent la géographie intime de l’apprenant comme les liens sociaux qui
le relient aux autres professionnels. Le formateur mobilise des moyens pour accen-
tuer les perceptions de l’apprenant, de sorte que celui-ci aiguise son contact avec
l’autre et avec la matière qu’il travaille. Il a recours à des méthodes directes, s’ap-
pliquant dans l’expérience immédiate, centrées sur les perceptions sensorielles, et
à des méthodes indirectes, reconstructives et interprétatives, centrées sur les traces
d’une activité réalisée à des fins d’apprentissage. Considérant la dialectique entre
l’individu et le collectif que renouvelle sans cesse une institution, l’action de
formation installée dans l’entreprise devrait être en mesure de soutenir la compré-
hension que l’apprenant aura d’un déjà-là qui construit ses gestes : préconstruits
organisationnels et œuvre-praxis de son activité.

ELSA BONAL, intervenante en intelligence collective (elsa.bonal@deja-la.net).


elsa bonal

Au cours d’un atelier technique de sensibilisation aux AFEST1, une pluralité


de chercheurs, formateurs, consultants, syndicalistes, entrepreneurs, opérateurs de
compétences, ont exposé leurs démarches pour développer l’apprenance en situa-
tion de travail. Toutes ne seront pas évoquées ; nous proposons ici de restituer la
portée de ces échanges et d’en être ainsi l’intercesseur. Cette perspective nous
conduira à aborder les formes nouvelles données à la formation dans une vocation
développementale et transformative, avec pour perspective qu’elles renouvellent
individuellement et collectivement le savoir agir et le pouvoir d’agir. En s’intro-
duisant dans l’entreprise, la formation oriente les pratiques sociales de coopération.
Par leur activité, des professionnels ajustent des usages et des normes qui les trans-
forment à leur tour.

Une succincte partition


Au titre d’action de formation formelle, l’AFEST est encadrée par des critères
réglementaires : être organisée sous la forme d’un parcours pédagogique permet-
tant d’atteindre un objectif professionnel ; mobiliser des moyens humains et tech-
190 niques, et notamment des ressources pédagogiques ; justifier du parcours par tout
élément probant. À ces critères, se superposent ceux spécifiques à cette modalité :
analyser l’activité de travail pour l’adapter à des fins pédagogiques ; désigner un
n° 227/2021-2

formateur et/ou un référent ; mettre en place des phases réflexives ; évaluer les
acquis de la formation. Le choix du législateur pourrait également se lire « à l’en-
vers » : l’absence de formateur, l’économie de phases réflexives, un matériau péda-
gogique un matériau pédagogique qui ne puiserait pas ses références dans l’activité
EDUCATION PERMANENTE

réelle, l’absence d’évaluation des compétences construites chez l’apprenant, inter-


diraient en effet à l’action de recevoir la qualification d’AFEST.
La partition étant succincte, c’est à ceux que la formation réunit que revient
la responsabilité d’en révéler la signification formative. Les phases réflexives
structurent l’expérience de la mise en situation de travail. Elles ont pour objet
d’analyser l’action déployée en situation de travail. Elles situent le questionnement
comme moteur de l’apprentissage. Leur chronicité est variée : in vivo, au cours de
l’activité ; in vitro, dans l’après-coup ; in silico, par l’équipement numérique.
Rappelé à sa responsabilité légale en termes de montée en compétence des
salariés, l’entrepreneur est invité à implanter la formation entre les murs de l’en-
treprise, en mobilisant un matériau pédagogique qui y serait déjà contenu, sans que
l’on puisse (encore) lui dire précisément où. Considérant qu’il ne sait généralement
pas grand-chose de la formation pédagogiquement construite, il est détonnant de
placer entre ses mains une tâche qui suppose quelque virtuosité. Construire sur
mesure un matériau pédagogique, à partir de l’activité que l’apprenant réalise à sa

1. Cet atelier est accueilli par l’Institut du travail et du management durable (www.itmd.fr).
elsa bonal

place de salarié, est nouveau pour un entrepreneur familier des apprentissages sur
le tas. Développer les compétences d’un apprenant en référence à des normes
socialement construites dans l’entre-soi d’une entreprise est tout aussi nouveau
pour des pédagogues exerçant dans des espaces à vocation développementale.
Apprendre au travail requiert que les fonctions formatives soient assurées non
par un seul service dédié (à supposer qu’il existe), mais par des collaborateurs
insérés dans l’organigramme productif, et par des partenaires externes à l’entre-
prise, qui agiront pourtant au dedans. Le système d’acteurs soutenant le dévelop-
pement du métier de l’autre est spécifique à chaque entreprise. Comment l’accom-
pagner pour rendre la liberté des uns créatrice et pour faciliter la coopération avec
les autres ? À partir de la partition tendue par le législateur, chaque action de
formation en situation de travail est une composition originale, qui porte la signa-
ture de l’entreprise dans laquelle elle se déploie. Construire l’appétence pédago-
gique transforme les relations entre ceux qui y travaillent.

Coopérer pour soutenir la compétence de l’autre


Développer les compétences d’un professionnel au travail requiert qu’il soit 191
soutenu dans cet acte particulier d’apprendre. Des professionnels jouent des rôles
dans cette construction : conduite de travaux préparatoires, cartographie du

n° 227/2021-2
parcours, recueil du matériau pédagogique, accompagnement de l’apprenant,
aménagement de l’organisation du travail, mesure des compétences. Ils négocient
la distribution de leurs fonctions et leur complémentarité. Ils élaborent les condi-
tions individuelles et collectives pour questionner l’activité de travail : non pas

EDUCATION PERMANENTE
dans sa globalité, mais dans une situation particulière à visée pédagogique, dédiée
à la singularité des besoins d’un apprenant. Lorsque l’acte pédagogique est le
métier de l’autre, comment s’y prendre pour alimenter les nouvelles pratiques
sociales de formation des professionnels de l’entreprise et de leurs partenaires ?
L’expérience d’une AFEST dans un service hospitalier d’urgence est particu-
lièrement éclairante pour illustrer l’emboîtement de collectifs de travail à visée
apprenante (voir la contribution de T. Bastide dans ce dossier). Il était périlleux
d’introduire une séquence formative dans un environnement de travail ultra-
contraint, où les professionnels sont exposés au regard de tiers, eux-mêmes en
proie à l’anxiété et, de ce fait, souvent peu coopératifs, où le flux de production ne
peut être interrompu et où un défaut de sécurité se traduirait par des dommages aux
personnes. Le fait qu’un cadre soit la cheville ouvrière du dispositif fut sans doute
une condition de sa faisabilité : il fait autorité pour concevoir l’architecture et
réunir les conditions de mise en œuvre ; non sans traverser les résistances qu’op-
posent d’autres cadres à la nécessaire adaptation de l’activité de travail.
Le travail est encadré par des procédures formalisées, connues de tous les
professionnels. Des problèmes de compétence continuent pourtant de se poser. Des
elsa bonal

conflits sur le poste d’accueil des patients font émerger un besoin de formation
spécifique, susceptible de qualifier certains agents d’accueil à l’exercice d’une
activité complexe. Ce poste de travail combine des activités relevant du diagnostic
clinique (déterminer le niveau d’urgence de l’état du patient pour orienter sa prise
en charge), de conduite d’entretiens, de maîtrise communicationnelle (notamment
à l’encontre de familles parfois envahissantes), de connaissances réglementaires,
d’efficience réelle à un instant t des équipements nécessaires à la bonne marche du
service, d’interdépendance avec les activités d’autres professionnels, etc. Exercer
en ce lieu éveille une palette émotionnelle autour de la peur, qui ne manque pas
d’influencer la cognition : crouler sous la charge, sous-évaluer la gravité, générer
la raillerie, voire l’animosité, des collègues, etc. Il est aisé de comprendre que ce
n’est pas en se référant au référentiel d’activité répertoriant ses tâches que le
professionnel saura comment agir dans ces situations. Il connaît déjà les buts qui
lui sont assignés ; c’est l’écart avec la situation réelle de travail qui l’empêche de
faire ce pour quoi il a été formé ou d’exercer sa compétence. Il s’agit moins d’ap-
prendre à exécuter un travail que de tenir sa fonction au-delà de la prescription
pour agir avec les autres en situation dégradée.
192 L’AFEST mise en œuvre dura deux jours. On y retrouve les caractéristiques
réglementaires : mise en situation de travail ; séquence réflexive ; deux apprenants
et un accompagnant qui soutient la réflexivité. La présence d’une équipe en
n° 227/2021-2

doublon permet d’assurer la continuité de service en cas de difficulté. La progres-


sivité pédagogique repose sur la nature du travail réflexif (isoler des probléma-
tiques simplifiées, construire collégialement l’analyse critique des écarts) et sur un
exercice progressif de la responsabilité par l’alternance des places occupées
EDUCATION PERMANENTE

(observer l’équipe au travail, observer l’autre qui fait en première ligne). C’est en
prenant appui sur l’espace dialogique que de nouvelles étapes sont possibles, grâce
à une porosité des effets de la situation d’apprenance sur la dynamique de forma-
tion et sur celle de production : en comprenant la logique de l’autre et en conscien-
tisant l’action par l’analyse du travail, les savoirs d’action se construisent et
d’autres façons de faire s’ouvrent pour le collectif. La formation crée l’opportunité
de reconnaître au professionnel de s’efforcer d’effectuer un certain travail d’une
certaine façon, tout en faisant nécessité que les autres partagent à nouveau certains
buts : un travail comme on le fait ici qui (les) change déjà.
Apprendre un certain travail, c’est apprendre à coopérer. Le développement
du métier de l’un est corrélé à celui du collectif de travail. À l’instar de la dimen-
sion sociale du travail, l’apprenance au travail est une disposition collective autant
qu’individuelle2. Apprendre et faire apprendre passent par l’amélioration de la
capacité à agir avec les autres. L’action de formation renouvèle la coopération : en
introduisant la particularité, elle suscite des prises de conscience autour des
nuances de sens que les individus accordent aux choses qui les relient et aux gestes
qu’ils déploient dans leur activité professionnelle. L’intelligence collective relie
elsa bonal

des personnes pour fabriquer quelque chose qui ne serait pas sans elles, dans lequel
chacune puisse se reconnaître, qui lui est utile pour agir et se développer, et qui
augmente la capacité d’agir de concert. L’effet indirect de l’action de formation est
de requalifier le collectif de travail dans sa capacité à faire œuvre commune.

La construction collective de la compétence


La coopération sociale conditionne la compétence, tant du point de vue de son
exercice que de son entretien et de son développement. Situer la compétence dans
le travail que font déjà les professionnels, comme capacité à faire en situation, c’est
considérer que les savoirs sont distribués dans l’entreprise. Le faire collectif, orga-
nisation de savoir-agir en ajustement réciproque continu, se structure par un trip-
tyque compétence, autonomie et interdépendance. Si devenir compétent, c’est
ajuster ses actions à celles d’autres professionnels et à la situation, une compétence
collective pré-existe, qu’elle soit valorisée ou pas par le management du travail. Si
l’état des compétences actuelles et visées du collègue apprenant est centrale pour
l’ingénierie, celle-ci aura avantage à prendre appui et à renforcer le jeu existant,
déjà-là, de compétence collective. Former au travail en s’appuyant sur des compé- 193
tences collectives déjà-là revient à construire des formes pour que des profession-
nels travaillant ensemble soutiennent la dynamique d’apprentissage de l’appre-

n° 227/2021-2
nant, en relation directe ou indirecte avec lui.
Pour construire, structurer et réguler la compétence individuelle, l’AFEST
prend appui sur la compétence collective. Son architecture renforce ce jeu collectif
en rendant les groupes actifs3: le collectif de professionnels (référent, formateur, res-

EDUCATION PERMANENTE
ponsable de production, manager, etc.) constitué autour de l’apprenant ; le collectif
de pairs, par l’intercession desquels l’apprenant est habilité à s’attribuer une compé-
tence (Stroobants, 1998) ; le collectif de travail ; le collectif encadrant qui autorise
certains changements dans les façons de faire en équipe. Socialiser l’action de
formation requiert d’inscrire la dynamique pédagogique dans un système d’acteurs
de nature fonctionnelle (distribution) et interactionnelle (ajustement).
L’introduction d’une éducation formalisée dans une institution à vocation
productive, associée à un mécanisme institué de reconnaissance sociale des capa-
cités acquises, s’ancre dans un déjà-là institutionnel. Le projet social que porte
l’entreprise influence la conduite d’une telle action de formation. De façon
formelle et informelle, intentionnelle et non intentionnelle, l’entreprise « éduque »
ses membres en véhiculant des relations sociales de compétition et de coopération.
Tandis que le modèle de subordination salariale est contesté pour le déficit de
responsabilité et d’émancipation qu’il engendre, l’AFEST peut ancrer ce contrat

2. Selon Carré (2005), « ensemble durable de dispositions favorables à l’acte d’apprendre ».


3. Cf. la notion de groupe-sujet en clinique.
elsa bonal

social au développement des individus par celui de leur métier ; donc à la recon-
naissance de ce qu’ils font. On se rapproche d’un projet d’éducation permanente :
une stratégie pédagogique déploie des formes éducatives pour incruster la forma-
tion dans la vitalité professionnelle, par le développement de compétences indivi-
duelles et collectives. « L’éducation apparaît [aussi] comme un processus de pro-
duction, mettant en œuvre des moyens en fonction d’objectifs relatifs à certaines
conceptions de l’homme et de la société » (Lesne, 1984). Cette vision collective de
la formation, par ses méthodes pédagogiques et le positionnement des profession-
nels, traduit un certain projet social de l’entreprise.
Dans nos sociétés contemporaines, l’adjectif social, pour sa résonance avec la
notion de solidarité, n’aurait rien à voir avec le rôle de l’entreprise. Or, à moins de
se préoccuper de construire le lien social entre ceux qui traduisent en acte son
projet productif, l’entreprise ne bénéficie plus de ce qui s’est délité dans la société
et sous l’effet de certaine pratique managériale. Le collectif de travail existe grâce
au sens commun accordé à des normes et à des valeurs qui fondent l’éthique
professionnelle et la culture de l’entreprise. Il y a de l’institué dans l’entreprise :
des règles de fonctionnement intériorisées par chacun de ses membres. Il y a de
194 l’instituant, qui renouvelle ce qui fait tenir ensemble ces professionnels : la forma-
tion disposerait de cette faculté instituante.
n° 227/2021-2

Cultiver le collectif en soi


De nouvelles formes sont données à la formation : d’autres images présentent
d’autres propriétés. Réflexe de formateur, le recours au référentiel de compétences
EDUCATION PERMANENTE

permet à l’apprenant de situer son activité relativement à une norme externe pres-
criptive de référence. Pourtant l’enjeu de réflexivité porte sur ce qu’il s’efforce de
réaliser et qu’aucune prescription ne peut contenir ; c’est là que réside la preuve de
son autonomie, de sa compétence. Construire l’expérience suppose d’emprunter le
point de vue de l’individu apprenant, tout en le conduisant à explorer d’autres
façons de faire. Ce déplacement construit sa compréhension du cadre dans lequel
il agit : la matière qu’il transforme, l’organisation dans laquelle il travaille, le rôle
qu’il y joue, son interdépendance avec les autres professionnels, les besoins des
destinataires de son activité, la situation de l’entreprise dans un environnement. Il
est conduit à penser plus rationnellement ses actes professionnels dans un cadre
déterminé et mouvant, en référence à une prescription.
Les maîtres de la situation persisteront à proposer des formes où l’apprenant
conformera ses gestes à l’image prescrite de l’action. Les cliniciens construiront
des situations grâce auxquelles l’apprenant-actant s’efforcera de construire ses
propres gestes, en élaborant des choix, en situant ses actions par rapport à celles
des autres, en travaillant une matière qui réagit. La résonance d’une matière
(machine ou objet) renseigne la qualité du geste qui la manipule. Le travail du
elsa bonal

formateur revient à le faire gagner en conscience des contradictions qu’il résout par
son activité. Il s’agit moins d’aborder l’apprenant par ce qu’il n’a pas (le savoir
auquel la formation lui donnerait accès) que par ce qu’il fait déjà : un geste profes-
sionnel qu’il ne cesse de construire, d’affiner, de déployer dans l’action en con-
texte. À la triangulaire classique formateur-apprenant-méthode (Bru, 2006),
l’AFEST appose un quatrième pôle « matière » : le formateur mobilise une métho-
de pour accompagner l’apprenant dans la conscientisation de sa relation à la
matière qu’il travaille (quand bien même cette matière serait faite d’humanité)
dans un certain contexte.
Toute activité de travail suppose de construire en soi la référence interne à des
normes et à des contraintes transmises par des collectifs physiques et symboliques.
La possibilité de se référer à un collectif plus grand que lui, dans et au-delà des
frontières de l’entreprise (la reconnaissance des compétences acquises par la
formation vaut au-delà), influence la géographie intime du professionnel appre-
nant. Établir ces liens entre les dimensions individuelles et collectives et entre les
fonctions psychologiques et sociales de l’activité structure la clinique de l’activité
(Bonnefond, 2019). Sur un plan social, si l’on considère le travail comme une acti-
vité d’exécution, impersonnelle, la formation consiste à améliorer la compréhen- 195
sion, par l’apprenant, de la tâche qu’il exécute. Or, si la figure de l’exécutant est
devenue peu mobilisatrice pour le professionnel, elle empêche l’engagement de

n° 227/2021-2
l’apprenant dans sa singularité. Envisager le travail comme l’expression d’un
métier, c’est supposer que les professionnels l’exercent de façon différenciée dans
une entreprise particulière. Former consiste alors à ce que l’apprenant résonne au
diapason de son collectif de métier : ses gestes sont orientés par ceux de ses pairs.

EDUCATION PERMANENTE
C’est en prenant place dans une histoire transpersonnelle qu’il développe sa
compétence. Sur le plan psychologique, considérer le travail comme une affaire
personnelle conduit à envisager le parcours apprenant du point de vue d’un indi-
vidu équipé d’un portefeuille de compétences. Si l’on envisage cette activité
propre de travail comme interpersonnelle, adressée, former consiste, par un dispo-
sitif dialogique, à faciliter l’accès à l’autre, en acte ou en pensée.
Constituer un collectif apprenant est une stratégie pédagogique pour cultiver
ce collectif en soi. Construire en soi ce collectif revient à instruire des conflits de
critères qui orientent l’action par l’inscription sociale du professionnel. Le sens
qu’il accorde à ses actes en référence à des normes collectives se construit et se
renforce par cette opportunité de faire de l’exercice professionnel un sujet de
dialogue avec ses pairs. Par la médiation d’une réflexion soutenue et accompa-
gnée, élaborer des controverses professionnelles lui permet d’apprendre de lui-
même (ce qu’il fait ou pas quand il travaille, à partir de ce qu’il peut en dire par la
médiation pédagogique) et des autres (par objectivation des critères guidant l’ac-
tion de l’autre). Cette construction de la compétence procède de la valorisation
d’un déjà-là de nature psychosociologique. Construire cette compétence dialo-
elsa bonal

gique cultive l’esprit d’entraide plutôt que la compétition, l’échange plutôt que la
capitalisation, la vigilance plutôt que la docilité (Charbonnier, 2015). Coopération,
sens et compétence sont étroitement corrélés.

Un ouvroir de compétences :
cultiver la compétence dialogique
Des professionnels parlent de ce qu’ils font ; ils cherchent à devenir présents
à une situation, à leur environnement, aux autres : parler avec l’autre, démultiplier
les effets du geste. Tirer parti d’un geste naturel fait apparaître une règle tellement
simple qu’on a du mal à la voir : se faire en faisant ; faire en se faisant. La parole
sur le travail circule : « Si je fais et que je me fais en même temps, je ne serai plus
le même. » En explicitant et en intégrant la contrainte qui détermine son activité,
l’apprenant exerce la liberté de se transformer par l’expérience du travail, « une
liberté réelle, entendue comme puissance de faire : précisément ce qu’on vise lors-
qu’on dit “former des compétences” » (Charbonnier, 2015). Un ouvroir4 de compé-
tences a pour objet d’investigation le travail sous contrainte. Si le psychisme
196 travaille le monde (Friedrich, 2012), s’il est « l’organe qui choisit, le tamis qui filtre
le monde et le transforme de sorte qu’il soit possible d’agir5 », la compétence dia-
logique a pour effet de faire varier la maille de ce tamis et de faire prendre en consi-
n° 227/2021-2

dération ce qui est ou n’est pas retenu par l’opération de filtrage. L’objet du
dialogue porte non seulement sur les actions réalisées mais sur le réel de l’activité,
c’est-à-dire tout ce qui n’a pas été fait mais qui aurait pu l’être pour réaliser l’action
prévue : « Des activités suspendues, contrariées, empêchées, repliées, occultées
EDUCATION PERMANENTE

[...] car ce sont elles qui expliquent l’action réalisée » (ibid.).


Explorer ces variations de l’agir suscite une vie émotionnelle en ouvrant l’ap-
prenant, par son activité de penser, à des remises en cause et des reprises de
conscience. Penser de façon plus rationnelle active des émotions. Une pédagogie
de l’écart, de l’attente et de la surprise (Thievenaz, 2019), propriétés du regard
clinicien, impulse la mise en intrigue des événements vécus par l’apprenant pour
problématiser son expérience. Le recours aux photos et aux vidéos, captées in vivo
(en situation de travail) caractérise différentes méthodes pédagogiques : construire
la trace de l’activité pour la reprendre par la narration et le dialogue dans l’après-
coup. L’autoconfrontation simple ou croisée de la clinique de l’activité vise cette
reconstruction hypothétique du réel. La didactique professionnelle soutient une
analyse du travail pour le rendre formateur : un potentiel d’apprentissage est à
développer (Mayen et Gagneur, 2017). Au moyen de l’entretien d’explicitation

4. Désignant jadis un collectif de personnes bénévoles effectuant des travaux d’aiguille, le terme a été repris par le
mouvement poétique de l’Oulipo (ouvroir de littérature potentielle).
5. Vygotski, dans La signification historique de la crise en psychologie, cité par Friedrich (2012).
elsa bonal

(Faingold, 2005), l’apprenant identifie, par la narration de sa perception, les


compétences qu’il a mobilisées en situation. Toute une réserve de sens est à
construire par le biais de méthodes cliniques6 : accompagner le professionnel à
penser ce qui l’agit quand il agit, développer son pouvoir d’agir (Clot, 1999).
Faire circuler dans un collectif apprenant une intelligence collective, faite de
sens et de sensations, de rationalité et d’émotions, permet à des individus d’ap-
prendre en société, autrement dit en relation avec d’autres : de socialiser l’appre-
nance. Le dispositif dialogique a vocation à soutenir le questionnement explicitant
de l’apprenant : par le dialogue avec lui-même (dialogue intérieur) ; avec les tiers-
formateurs (dialogue didactique) ; avec les pairs (dialogue professionnel7).
Structuré par des critères (participants, unité de lieu et de temps, chronologie, régu-
larité, méthodes, trace de la situation de travail), il recouvre différentes caractéris-
tiques capacitantes : engendrer un mode de relation à soi pour l’apprenant qui
engage sa subjectivité ; lui permettre de revisiter son expérience, en mobilisant les
préalables à la cognition que sont les sensations, émotions et sentiments ; construire
les conditions du déplacement vers l’autre que suppose l’acte de travail (en acte ou
en pensée) ; relier des imaginaires professionnels ; faciliter alternativement l’intro-
spection et la prise de hauteur ; caractériser des savoirs d’action. L’interaction dia- 197
logique produit, dans la relation à un objet de réflexion et par un conflit de critères,
une connaissance nouvelle. Charbonnier caractérise la compétence critique par l’ef-

n° 227/2021-2
fort de conceptualisation : « Une aptitude à réévaluer en permanence la justesse des
objectifs avant de chercher comment les réaliser [...] à construire une fin désirée ».
En devenir, la compétence ouverte l’est sur cette fin désirée : la promesse de
l’éclaircissement, par le dialogue, d’un objet dont on désire construire le sens ; la

EDUCATION PERMANENTE
perspective d’un reflet contenu dans une question ; le désir d’accéder à quelque
chose qui est déjà-là sans exister encore dans la tête de l’apprenant, et qui n’existe
pas sans un autre soi-même pour y avoir accès.

Apprendre à agir comme on le fait


Comprendre, savoir, pouvoir : ce chemin de faire, dédié à la maîtrise d’une
technique, est destiné à un apprenant actif, auteur d’actions singulières. La ques-
tion, parce ce qu’elle met en mouvement, est la clé de voûte de l’apprentissage : le
questionnement est le fil rouge de la relation pédagogique. Le formateur apprend
par la question qui lui est adressée ; il s’outille pour traduire le réel en questionne-
ments, autrement dit le matériau pédagogique. Différentes stratégies soutiennent la
réflexivité sur la base de l’agir, notamment pour connaître ce qui n’apparaît encore
ni dans l’action réalisée ni dans la perception de la réalité de l’apprenant. Il est

6. Groupes d’entraînement, théâtre-image, écriture narrative, scène-poésie, photographie métaphorique, etc.


7. Recouvre différentes modalités réflexives de résolution de problème par l’intelligence collective.
elsa bonal

récurrent ici que l’élaboration individuelle prenne appui sur un collectif qui aide à
penser autour d’une question. Les méthodes indirectes mobilisent la médiation
d’un tiers et d’une instrumentation pour soutenir le travail réflexif. Les méthodes
directes, centrées sur les sensations de l’apprenant, accentuent son expérience im-
médiate. Des hybridations donneraient accès à des apprentissages : des méthodes
indirectes ancrées dans les sensations dont le corps garde la trace ; la mise à jour
d’un déjà-là contenu dans les corps.
Le regard agit et se cultive. Il alimente un circuit social d’ajustement réci-
proque des individus au sein de communautés restreintes. Le regard expert du
professionnel est compétence (Jobert, 2019), en tant que capacité à faire face à la
singularité et la variabilité des situations. Plonger dans ce regard impressionne, au
double sens du terme : être surpris, ouvert à une compréhension inattendue ; garder
une trace en soi de ce à quoi le regard de l’autre a donné accès. Les variations de
l’œil se travaillent et le regard subjectif se renouvelle.
« Apprendre à agir non pas comme on le devrait, mais comme on le fait »
(Feldenkrais, 1997). La fixité du corps fait bouger d’un seul bloc, dresse des bar-
rages, étrique le répertoire des possibles. Avec la méthode Feldenkrais de con-
198 science par le mouvement, le corps emprunte d’autres chemins. Par des micro-
gestes, répétés dans la lenteur, et la succession de pauses, des rapports mécaniques
dynamiques sont rétablis dans le corps. Le système nerveux réorganise le mouve-
n° 227/2021-2

ment, et vice-versa. La reprise de conscience s’incarne dans ces sensations, sous


réserve de déplier le temps. Des démarches organiques et psychosomatiques sont
à même de soutenir l’écoute et l’observation, la sensation et la réflexion, le geste
et l’affect, la prise de conscience et la mise en mots, l’effort et le plaisir, l’inter-
EDUCATION PERMANENTE

action et la décision. Autant de qualités déjà-là dans le travail, pour peu qu’on le
soigne ! Faire sensation renouvelle les imaginaires de la situation de formation et
de l’action professionnelle. Le corps qui apprend et celui qui travaille se transmet-
tent mutuellement le travail tel qu’on le fait ici. u

Bibliographie

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Dijon, Raison et passions.
199

n° 227/2021-2
EDUCATION PERMANENTE
EDUCATION PERMANENTE n° 227/2021-2

200
Résumés / Abstracts
trois intentions favorables au développement et
à l’accompagnement des formations en situa-
tions de travail, intentions trouvant leur poten-
MATTHIEU CHARNELET

tiel dans une qualité d’attention particulière que


Le développement des compétences,

Le fondateur d’une entreprise de service à la l’article caractérise en trois points, mobilisant


c’est d’abord l’affaire du chef d’entreprise

personne raconte comment, se sentant dépos- des concepts du philosophe François Jullien : la
sédé de son propre projet par des gens qui déci- décoïncidence, le potentiel des situations et la
dent pour les autres, il a choisi de passer à connivence.
l’AFEST pour professionnaliser ses salariés :
« Si nous voulons faire progresser le dévelop-
pement des compétences et la formation
Intentions and attentions to develop

professionnelle, nous devons nous poser la


a culture of accompaniment in work

question de savoir qui est le “client” et The redefinition of continuing vocational trai-
situation-based training

comment nous l’aidons. L’AFEST est dis- ning, understood as a pathway and able to
201
ruptive parce qu’elle part de là : du besoin de draw its pedagogical material from the work
l’entreprise et de celui du salarié. » activity, leads to a profound questioning of the

n° 227/2021-2
ways of intervening. This article does not
propose a new model for AFEST trainers to
follow, but rather characteristics of action
Skills development is first of all

The founder of a personal service company likely to « refresh » the paradigm that frames
he business of the employer

EDuCATIon PErmAnEnTE
tells how, feeling dispossessed of his own their approach. It identifies three intentions
project by people who decide for others, he favorable to the development and support of
chose AFEST to professionalize his em- on-the-job training. These intentions find their
ployees : « If we want to make progress skills potential in a particular quality of attention,
development and vocational training, we need and the article then characterizes it in three
to ask ourselves who the “client” is, and how points, mobilizing concepts of the philosopher
we help them. AFEST is disruptive because it François Jullien : decoincidence, the potential
starts from there : the needs of the company of situations and connivance.
and that of the employee. »
LAURENT DUCLOS, JEAN-YVES KERBOURC’H
EMMANUELLE BEGON, YVON MINVIELLE Régime juridique de l’AFEST : une nouvelle

Depuis la loi du 5 septembre 2018, il est


Intentions et attentions pour développer image du droit de la compétence

La redéfinition de la formation professionnelle possible de réaliser l’action de formation, telle


une culture d’accompagnateur en AFEST

continue, entendue comme parcours et pouvant qu’elle a été définie par le législateur, en situa-
puiser son matériau pédagogique dans l’activité tion de travail. La considération du seul régime
de travail, entraîne une profonde remise en juridique de l’AFEST modifie en profondeur
question des manières d’intervenir. L’article l’image du droit de la formation et la compré-
propose à l’accompagnateur AFEST non pas un hension des règles qui l’organisent autour de la
nouveau modèle à suivre mais des caractéris- notion de compétence. Pour autant, la portée
tiques d’action susceptibles de « rafraîchir » le juridique et pratique des dispositions relatives à
paradigme qui encadre sa démarche. Il identifie l’AFEST reste largement méconnue. Ces dispo-
Résumés / ABSTRACTS

sitions ne déterminent en réalité que les condi- lopment of training actions in the workplace in
tions formelles d’élaboration de la formation ; the context of working meetings related to a
elles ne sont pas un mode d’emploi. Ce sont les commitment to job and skills development and
ressources et les modalités d’organisation in led by a regional association for the improve-
situ de la formation qui conditionnent l’effecti- ment of working conditions. It identifies the stra-
vité et l’efficacité des AFEST en termes de tegies at work to develop these actions and
développement des compétences. analyses the difficulties encountered by advisers
in getting their contacts in the branches or SMEs
to the development of training actions in the
workplace. The paper questions how the change
The legal regime of work situation training : a

Since Law n° 2018-771 concerning the « free- of scale that allows to move from an experiment
new image of skill law

dom to choose one’s professional future », it is to its generalization can be viewed.


possible to carry out the training action, as
defined by the legislator, in a work situation.
Consideration of the legal regime of work situa-
MATHIEU CARRIER

tion-based training (AFEST) alone profoundly L’AFEST interroge l’action des financeurs
La place du financeur dans l’essor de l’AFEST

modifies the image of training law and the publics et parapublics, qui doivent non seule-
understanding of the rules that organize it ment intégrer cette nouvelle modalité dans
around the notion of competence. However, the leurs processus de gestion, mais également la
legal and practical scope of the provisions rela- promouvoir pour répondre à la volonté du
ting to AFEST remains largely unknown. In législateur. Ils sont ainsi invités à se ré-inventer,
reality, these provisions only determine the en assurant un rôle d’influenceur de l’action des
202 formal conditions for the development of trai- entreprises et des particuliers dans le respect du
ning ; they are not an instruction manual. The cadre défini par l’action publique. on peut aller
effectiveness and efficiency of AFESTs in terms of jusqu’à imaginer que le financeur n’aura
n° 227/2021-2

skills development depends on the resources and bientôt plus qu’une place réduite au sein de
methods used to organize the training in situ. l’AFEST, lorsque les entreprises s’en seront
approprié les mécanismes et en auront identifié
les bénéfices, au point qu’il ne sera plus néces-
EDuCATIon PErmAnEnTE

saire de prévoir une incitation financière pour


SALIMA RAIRI, ANNE-LISE ULMANN

les encourager à initier de telles actions.


De l’expérimentation à la généralisation :

Cet article analyse les difficultés évoquées par


les AFEST au milieu du gué ?

les conseillers des oPCo en charge du dévelop-


pement des AFEST dans le cadre de réunions de
The role of the funder in the development

travail liées à un engagement de développe- AFEST questions the action of public and semi-
of work situation training

ment de l’emploi et des compétences et pilotées public funders, who must not only integrate
par l’ArACT IDF. Il identifie les stratégies à this new modality into their management
l’œuvre pour développer ces actions et analyse processes, but also promote it to respond to the
les difficultés rencontrées par les conseillers will expressed by the legislator. They are thus
pour intéresser leurs interlocuteurs des bran- invited to reinvent themselves, by playing the
ches ou des PmE au développement des AFEST. role of influencer for the action of companies
Ce faisant, l’article interroge la manière dont and individuals in accordance with the frame-
peut s’envisager le changement d’échelle qui work defined by public action. We can imagine
permet de passer d’une expérimentation à sa that, shortly, the funder will have only a small
généralisation. place within AFEST, when the companies will
have appropriated the mechanisms and will
have identified the benefits, to the point that it
will no longer be necessary to provide a finan-
From experimentation to generalization :

This article analyses the difficulties raised by cial incentive to encourage them to initiate
the trials of a change of scale

skills operators’ advisors in charge of the deve- such actions.


Résumés / ABSTRACTS

objets, à la fois concepts et modes d’agir, à


partir de textes et de témoignages dans le
champ de la formation professionnelle
MARIE-HÉLÈNE DELOBBE

continue et dans celui de l’apprentissage.


L’AFEST dans la branche des services

L’article relate la manière dont la branche des L’auteure examine le caractère paradoxal du
de l’automobile

services de l’automobile cherche à mettre en défi lancé par le législateur, via l’AFEST, aux
œuvre l’AFEST dans un contexte institutionnel acteurs du travail et de la formation, ainsi que
spécifique issu de la réforme de 2018. L’AnFA, les hypothèses à partir desquelles il serait
existant de longue date, construit des disposi- possible de consolider les liens retrouvés entre
tifs de formation, tandis que l’oPCo Mobilités travail et formation.
assure leur financement et leur déploiement
auprès des entreprises. L’article montre
comment la branche joue de questions institu-
A rediscovered link between work

tionnelles, de conceptions diverses de la forma- The link between work and training is not
and training ?

tion professionnalisante, d’enjeux financiers, straightforward. Will work based training


voire commerciaux, pour mettre en œuvre des succeed in reconciling what obviously should
AFEST inscrites dans la réalité de chacune de be inseparable ? The article attempts to clarify
ses entreprises, développant les compétences what brings together and disunites these two
de ses salariés en favorisant un environnement objects, concepts and modes of acting, from
de travail apprenant. texts and testimonies in the field of continuing
vocational training. The author examines the
paradoxical nature of the challenge launched
by the legislator, via AFEST, to those involved
Work-based learning
203
The article describes how the Automotive in work and training, as well as the hypotheses
in the Automotive services branch

services branch, which has always invested in on which it would be possible to consolidate

n° 227/2021-2
training, seeks to implement the AFEST in the the links found between work and training.
specific institutional context of its own follo-
wing the reform of vocational training in 2018.
The National Association for Automotive
THÉOPHILE BASTIDE

Training (ANFA), which has been in existence

EDuCATIon PErmAnEnTE
La formation en situation de travail,

for a long time, builds training schemes, while


substrat possible de la coopération ?

the Skill Operator mobilités, stemming from une commande de formation à la fonction
Une expérience en service d’urgence

the reform, ensures their financing and deploy- d’infirmière d’accueil dans un service d’ur-
ment to companies. In describing the origin gence hospitalier a conduit à la mise en œuvre
and development of an experiment conducted d’une intervention articulant analyse du travail
by ANFA in collaboration with mobilités, it et actions de formation en situation de travail.
shows how the branch plays institutional ques- L’article montre comment le dispositif a
tions, various conceptions of professionnal contribué à instaurer des espaces dialogiques
training, financial or even commercial issues croisés sur le travail et sur son organisation. Si
to implement AFEST in the reality of each of its le travail de formation réalisé interroge la place
companies, developing the skills of its des savoirs au sein des dynamiques réflexives
employees by promoting a learning work envi- développées, il questionne également les
ronment. conditions de la recomposition des rapports
entre management, professionnels du soin et
CATHERINE BISSEY activité.

Le lien entre travail et formation ne va pas de


Travail et formation, un accord retrouvé ?

soi. La formation en situation de travail


Is work-based training a possible substrate

parviendra-t-elle à réconcilier ce qui, d’évi-


for cooperation ?

dence, devrait être inséparable ? L’article tente The demand for a training as triage nurse in an
An experience in an Emergency ward.

d’éclairer ce qui rassemble et désunit ces deux Emergency ward has led to the implementation
Résumés / ABSTRACTS

of an intervention, mixing ana-lysis of work


and work-based training. This article set out
how the training programm was able to set up
CÉLINE RÖSSLI, OLIVIA BERTHELOT

cross dialogical spaces on work and its organi-


Le pouvoir de l’éprouvé et les limites

zation. The training work queries the place of Les auteures analysent une expérimentation
d’un process expérimental

knowledge whithin the reflective dynamics, but d’AFEST au sein d’une TPE familiale. mobi-
also questions the conditions for the reorgani- lisant l’approche par les capabilités, elles inter-
zation of relations between management, heal- rogent en quoi cette modalité et son in-génierie
thcare professionnals and work activity. particulière ont tantôt promu tantôt freiné les
capacités des acteurs à agir (à apprendre, à
former, à accompagner). Est posée la question
du niveau de formalisme et de l’exigence d’in-
SOPHIE AUBERT

génierie adéquats des AFEST au regard des


Une ingénierie pédagogique et politique pour

L’expérience accumulée dans une entreprise réalités et des possibilités de la TPE, afin que
pérenniser les dispositifs de formation

d’assemblage aéronautique montre la nécessité cette modalité d’apprentissage devienne un


d’un travail préalable à l’élaboration d’un réel levier pour rendre les organisations plus
dispositif de formation. L’analyse de la capacitantes.
demande, de l’existant et de l’activité permet-
tent d’élaborer une ingénierie didactique et
pédagogique, organisationnelle et politique, qui
The power of what is tested and the limits of

assurera la pérennité et la rentabilité du dispo- This contribution analyses an AFEST experi-


an experimental process

sitif. L’article détaille la façon dont le couplage ment within a small familly business. Through
204 entre formations en situation de travail non the capabilities approach, authors question
productives (simulées) et situations productives how this modality and its particular enginee-
(tutorat) élabore des modalités d’apprentissage ring could promote actors’ capabilities to act
n° 227/2021-2

favorables à une performance globale durable, (to learn, to train, to support). Finally, there is
qui englobe les aspects liés au développement the question of the formalism level and the
des compétences des salariés tout autant qu’à la adequate AFEST engineering requirement, in
qualité, à la santé et à la sécurité. view of small familly business realities and
possibilities, to make this learning method a
EDuCATIon PErmAnEnTE

way of making organizations more capacita-


ting.
Educational and political engineering to perpe-

The experience accumulated in an aeronau-


tuate training systems

tical assembly company shows the necessity


and the gains of a work upstream to the elabo-
PAUL SANTELMANN

ration of a training program : the analysis of


Quelles intentions et quelles méthodes

the demand, that of the state-of-the-art and that Les actions de formation en situation de travail
pour les AFEST ?

of the activity make it possible to work out a s’inscrivent dans un contexte global de réinter-
didactic and pedagogical engineering as well nalisation des fonctions formatives au sein du
as an organizational and political engineering système productif, qui requiert un investisse-
which will ensure the perenniality and the ment dans l’émergence d’organisations du
profitability of the training program. The travail apprenantes. Elles soulèvent également
article details how the coupling between non- la nécessité d’un équilibre vertueux entre les
productive (simulated) and productive (tuto- apports des organismes de formation et les
red) on-the-job training elaborates learning fonctions formatives des entreprises. Enfin,
modalities favourable to a sustainable global elles ont vocation à pallier les insuffisances de
performance which includes aspects related to notre système de formation professionnelle à
the development of employee’ skills as well as l’égard des moins qualifiés. Pour toutes ces
to quality, deadlines, health and safety. raisons, la mise en œuvre des AFEST nécessite
un réinvestissement méthodologique et didac-
Résumés / ABSTRACTS

tique de l’ingénierie de formation, et un enga-


gement des collectifs de travail et de leurs
représentants.
SANDRA ENLART
La situation de travail, antidote aux écueils

L’auteure décrit quelques-unes des difficultés


de la compétence

apparues lors des deux dernières années d’ex-


What intentions and what methods

Workplace training actions are part of a global périmentation d’AFEST, en insistant sur les
for workplace training actions ?

context of re-internalization of training func- limites méthodologiques et théoriques concer-


tions within the production system, which nant l’utilisation de la notion de compétence.
requires investment in the emergence of lear- Cela la conduit à investiguer une autre notion,
ning work organizations. They also raise the celle de situation de travail. Comment définir et
need for a virtuous balance between the contri- limiter une situation de travail pour qu’elle
butions of training organizations and the trai- devienne un concept opérant ? Car finalement,
ning functions of companies. Finally, they are l’intérêt de l’AFEST réside bien dans sa capa-
intended to compensate for the shortcomings of cité à prendre en considération non pas le
our vocational training system with regard to travail en général mais un certain travail dans
the less qualified. For all these reasons, the un certain contexte avec certains acteurs. D’où
implementation of AFEST requires a methodo- la nécessité de n’évoquer la compétence qu’en
logical and didactic reinvestment in training situation de travail.
engineering, and a commitment from the work
groups and their representatives. The work situation,

The author describes some of the difficulties


antidote to pitfalls of competence
205
encountered during the last two years of expe-
FABIENNE CASER

rimentation, insisting on the limitations both


Les AFEST, véhicules de l’amélioration

n° 227/2021-2
L’article interroge les liens entre les AFEST et methodological and theoretical regarding the
des conditions de travail

les déterminants importants des conditions de use of the notion of competence. This will lead
travail. une première partie rappelle les her to investigate another concept : the work
constats dressés à l’issue de l’expérimentation situation. How to define and limit a work situa-
tion so that it becomes an operating concept ?

EDuCATIon PErmAnEnTE
nationale qui a permis de définir les contours
de cette nouvelle modalité de formation : la Because ultimately, the interest of AFEST lies in
survenue d’effets associés non attendus sur les its ability to take work into consideration: not
conditions de travail. La deuxième partie porte work in general but this work in this context
le point de vue selon lequel ce sont en réalité with these actors. Hence the importance of
les qualités intrinsèques de l’AFEST qui véhi- moving from the concept of competence to the
culent directement cette dimension d’améliora- competence in a work situation.
tion des conditions de travail.
SOLVEIG GRIMAULT
Work-based learning actions (AFEST), L’AFEST comme hypothèse de réingénierie

The article questions the links between AFEST


vehicles for improving working conditions de la fonction accompagnement à la création

and important determinants of working condi- Les parcours d’accompagnement à la création


d’entreprise

tions. The first part recalls the findings drawn accordent une place privilégiée aux apprentis-
up at the end of the national experiment which sages en situation, a fortiori lorsque le créateur
made it possible to define the outlines of this démarre une activité, même modeste. Certai-
new training method, ie the occurrence of nes modalités d’accompagnement – axées sur
unexpected effects on working conditions. The la maîtrise des situations de gestion – s’appro-
second part takes the point of view that it is in chent des pratiques développées dans le cadre
fact the intrinsic qualities of AFEST that convey des AFEST. une enquête auprès de réseaux
this dimension of improving working condi- d’accompagnement montre que ces apprentis-
tions. sages situationnels pourraient intervenir, en
réalité, tout au long du parcours, à partir de expenditure and, therefore, cannot be recorded
situations de gestion réelles, émergentes, ou de on the company's balance sheet and then
situations construites. La référence AFEST depreciated. The article shows that accounting
permet d’imaginer un cadre global et straté- standard-setters have good reason not to over-
gique d’accompagnement de et par l’expé- open up to the activation of training expenses
rience des créateurs, susceptible de renforcer without wishing to deny them their investment
son efficacité en termes de développement des character. As a result, it proposes to take
compétences entrepreneuriales. another path to activate the training invest-
ment. This path presupposes a rethink of trai-
ning situations in order to be able to think these
situations as also management situations.
The AFEST reference : a strategic framework

The creation support programs give a privi-


of support through the experience of creators

leged place to situational learning, especially


when the creator starts an activity, even a
ELSA BONAL

modest one. Certain support methods, focused


Apprendre à agir comme on le fait :

on mastering management situations, are L’AFEST augure la liberté de donner de


un déjà-là travaillé en formation

similar to the practices developed within the nouvelles formes à la formation. L’apprenant
framework of work situation-based training est abordé comme un professionnel, et non pas
actions. A survey of support networks shows comme un exécutant à informer. Autour de lui
that this situational learning could actually s’organise un collectif d’acteurs, aux fonctions
take place throughout the course, based on distribuées, dynamiques et interdépendantes,
real, emerging or constructed management si- pour bâtir son parcours, l’accompagner et
206 tuations. The AFEST reference makes it possible prendre la mesure de ses compétences en
to imagine a global and strategic framework of amont et en aval de la formation. Les pédago-
support from and through the experience of gies transmissives et applicatives cèdent la
n° 227/2021-2

creators, likely to reinforce its effectiveness in place à des pratiques intégratives et situées.
terms of developing entrepreneurial skills. Partir de et revenir à un déjà-là, préexistant à la
situation de formation et renouvelé par elle,
oriente la construction de cet objet éducatif : un
EDuCATIon PErmAnEnTE

collectif coopératif se structure pour soutenir


JEAN-CLAUDE DUPUIS

un professionnel qui cherche à se développer


Activer l’investissement formation en attendant

régulièrement, des acteurs s’étonnent que les en développant son métier.


une nouvelle « révolution » comptable

dépenses de formation ne soient pas reconnues


comme des dépenses d’investissement et, donc,
ne puissent pas être inscrites à l’actif du bilan de Training action in work situation heralds the
Shaping an « already » through training

l’entreprise puis amorties. L’article montre que freedom to give new forms to training. The
les normalisateurs comptables ont de bonnes learner is approached as a socially built
raisons de ne pas s’ouvrir trop à l’activation des professional, not as an executor to be infor-
dépenses de formation sans pour autant vouloir med. A collective of actors is organized around
leur dénier leur caractère d’investissement. him, with distributed, dynamic and interdepen-
Dans le prolongement, l’auteur propose aux dent functions to build his path, to support him
acteurs d’emprunter un autre cheminement and measure his skills upstream and downs-
pour activer l’investissement formation qui tream of the training. Transmissive and appli-
présuppose d’arriver à repenser les situations de cative pedagogies give way to integrative and
formation pour pouvoir les penser également situated practices. This educational purpose
comme des situations de gestion. starts from and returns to an already existing
situation (déjà-là in French) : pre-existing to
the training situation and renewed by it. A
cooperative collective is structured to support
Activate the training investment while waiting

Regularly, some actors are surprised that trai- a professional who seeks to develop himself by
for a new accounting « revolution »

ning expenses are not recognized as capital developing his profession. u


1971
2021

50 e anniversaire de la loi du 16 juillet 1971


Dans le cadre du 50e anniversaire de “la loi de 71”, voici une analyse exceptionnelle de
Jean-Marie Luttringer, expert incontournable du système français de formation continue,
mais surtout témoin et acteur de ses évolutions depuis cinquante ans ! À travers onze
thèses, l’auteur nous fait pénétrer dans les arcanes de l’élaboration de ce système, en nous
faisant osciller en permanence entre le contexte de la loi de 1971, les principaux tournants
législatifs au cours du temps, et la loi de 2018 « pour la liberté de choisir son avenir
professionnel » : un panorama foisonnant et passionnant qui montre comment a pu
émerger et perdurer le système si singulier de formation continue « à la française ».
Damien Brochier.

Le modèle français de formation


professionnelle : un système flexible
en perpétuelle mutation

L
207

n° 227/2021-2
JEAN-MARIE LUTTRINGER 1.

e système français de formation La présente contribution propose de


professionnelle institué par la loi retracer les mutations des principaux

EduCaTioN pErMaNENTE
fondatrice du 16 juillet 1971 a concepts qui ont structuré cet univers au
connu non moins de quinze réformes. cours du demi-siècle qui vient de
Certaines peuvent être qualifiées de s’écouler. « Les mots pour le dire » sont
réforme « de tuyauterie » en raison de principalement empruntés à l’univers
leur objet principal de régulation de du droit. Ni le champ sémantique des
flux financiers ; d’autres, au contraire, sciences de l’éducation ni celui de
ont introduit des concepts nouveaux qui l’économie et de la sociologie de la
ont eu pour effet d’entraîner des muta- formation ne sont sollicités par l’auteur.
tions aussi bien du périmètre que de En revanche, l’expérience acquise au
l’organisation du système. Tel est notam- cours d’une vie professionnelle passée
ment le cas de la loi du 5 septembre dans l’univers de la formation profes-
2018 « pour la liberté de choisir son sionnelle continue de nourrir cette
avenir professionnel ». réflexion qui se construit et s’exprime
dans le champ sémantique juridique.

1. Cf., sur le site de J.-M. Luttringer [www.jml-conseil.fr], les chroniques qui ont nourri cette contribution ainsi que des
informations sur son parcours professionnel effectué dans l’univers de la formation professionnelle.
1971
2021

le chômage structurel et récurrent, de


50 e anniversaire de la loi du 16 juillet 1971

sorte que la finalité de l’éducation


La promesse de la deuxième
permanente a progressivement disparu
chance
La « loi delors » est au confluent de de l’univers de la formation continue.
quatre courants de pensée qui sous- La loi du 5 septembre 2018 n’est pas
tendent les pratiques éducatives desti- porteuse de cette finalité alors que son
nées aux adultes, dont elle fait la intitulé « pour la liberté de choisir son
synthèse (Terrot, 1997) : celui de l’édu- avenir professionnel » pourrait le don-
cation populaire, porté par diverses ner à penser. Les ressources disponibles
associations et par le mouvement syn- sont en effet affectées « au développe-
dical, et coordonné par un ministère en ment des compétences ». Le compte
charge de l’éducation populaire ; celui personnel de formation, dispositif
de la promotion sociale, porté par le emblématique de cette loi, a pour
patronat chrétien et le gaullisme social, objectif la qualification professionnelle
notamment à travers une loi du 31 du titulaire du CpF et ne fait aucune
juillet 1959 ; celui de la formation mention de l’éducation permanente.
208 professionnelle (au sens strict du terme) alors que, au cours des années 1990, la
d’une main-d’œuvre qualifiée dont le notion de compétences est devenue
marché du travail avait le plus grand l’alpha et l’oméga du discours politique
n° 227/2021-2

besoin dans l’après-guerre, porté par les et managérial à propos de la formation


pouvoirs publics, en particulier à travers professionnelle continue (CNpF, 1998),
l’aFpa ; celui de la productivité des il n’en va pas de même du champ sé-
entreprises, financièrement soutenu par mantique juridique. En lieu et place du
EduCaTioN pErMaNENTE

le plan Marshall et promu par une asso- droit à l’éducation permanente, celui-ci
ciation rattachée au Commissariat renvoie explicitement au droit à la quali-
général du plan : le Centre national fication professionnelle, celle-ci étant
d’information pour la productivité des érigée en principale finalité d’une action
entreprises, ancêtre du Centre Inffo... de formation, qui contribue à la
La loi avait pour ambition d’offrir à construire, à l’entretenir et à pourvoir à
chacun une deuxième chance, grâce à son renouvellement. Selon le Code du
sa double finalité de formation profes- travail, le droit à la qualification est
sionnelle continue et d’éducation opposable par toute personne sortie du
permanente. système éducatif sans qualification, soit
au fil des réformes, les ressources aux pouvoirs publics dans le cadre du
allouées par les entreprises et par les service public d’éducation, soit aux
pouvoirs publics ont été affectées en régions dans le cadre du service public
application de politiques adéquation- régional de formation professionnelle.
nistes aux besoins de court terme La loi affirme par ailleurs le droit de
exprimés par le marché du travail, ainsi toute personne d’évoluer au moins d’un
qu’aux formations destinées à endiguer niveau de qualification au cours de sa
1971
2021

vie professionnelle. L’obligation de

50 e anniversaire de la loi du 16 juillet 1971


l’employeur de « veiller à la capacité du
Le droit à la formation :
salarié à occuper un emploi » peut égale-
droit catégoriel et/ou droit
ment s’interpréter comme le droit au
universel ?
maintien de la qualification contrac- Le congé individuel de formation (CiF)
tuelle. Le nouveau compte personnel de institué en 1971 peut être considéré
formation a pour objectif la qualification comme le droit emblématique des
personnelle de ses titulaires. La loi le « travailleurs salariés » à la formation.
prend en compte en allouant des il a été accueilli comme l’avaient été les
ressources supplémentaires au titre du congés payés de 1936. Ses promoteurs,
CpF à diverses catégories de personnes et notamment les organisations syndi-
(personnes sans qualification, personnes cales de salariés, y voyaient la conquête
handicapées, salariés à temps partiel...). d’un espace de liberté dans l’univers du
Ni la finalité de l’éducation perma- travail (abondant à l’époque), réputé
nente, perdue en chemin, ni la promesse aliénant et prédateur. Ce nouveau droit
d’une deuxième chance, à parité avec la était porteur d’une promesse d’émanci-
première chance qui est celle du pation qu’apporterait la pratique de 209
diplôme acquis en formation initiale, ne l’éducation permanente dans le temps
se sont réalisées, à quelques exceptions libéré grâce à la suspension du contrat

n° 227/2021-2
près au cours du demi-siècle qui vient de travail. Certains y voyaient les pré-
de s’écouler. En revanche, la formation mices d’une société autogérée. on
professionnelle a bien été un facteur de remarquera ici que 2018, année de la
productivité des entreprises. Elle a par commémoration du 50e anniversaire de

EduCaTioN pErMaNENTE
ailleurs servi d’amortisseur au chômage Mai-68, verra disparaître ce droit em-
massif non prévu dans le référentiel de blématique institué par « la loi delors ».
la loi de 1971 (stages parking dans les Le concept de « personnalisation » du
années 1970 et 1980). droit à la formation, c’est-à-dire un
À partir de 1992, le référentiel juridique droit attaché à la personne indépendam-
de la formation professionnelle con- ment de son statut, est apparu dans le
tinue devient le droit à la qualification. débat public à l’occasion des travaux
Ce référentiel s’inscrit dans la réforme préparatoires à la négociation d’un
de 2018 à travers le CpF. La question accord interprofessionnel dès 19992. Le
est celle de son effectivité et de sa mise concept conduira à la création du diF en
en concurrence avec le concept 2003, puis du CpF en 2014. L’effectivité
« gestionnaire » de compétence, dé- de ce droit est garantie par son enregis-
pourvu de valeur juridique. trement et sa « consignation » au sein

2. Le rapport (souvent qualifié de Livre blanc), réalisé par le Secrétariat d’État aux droits des femmes et à la forma-
tion professionnelle en 1999, en prévision d’une nouvelle négociation interprofessionnelle sur la formation, propo-
sait 4 axes de modernisation du système de formation, dont le premier était de « développer un droit individuel
transférable et garanti collectivement » (p. 44-47).
1971
2021

d’une institution publique dûment habi- d’adaptation...) n’ont vocation à être


50 e anniversaire de la loi du 16 juillet 1971

litée – la Caisse des dépôts et consigna- financées selon une logique de compte
tions (CdC) – pour la gestion de res- personnel géré par la CdC. Quant aux
sources financières dédiées à la mise en quatre millions de travailleurs non sala-
œuvre des droits consignés. riés titulaires d’un CpF, le financement
au 1er janvier 2021, 29 millions d’actifs de leur formation est assuré pour partie
occupés bénéficient d’un compte par des fonds d’assurance formation, et
personnel de formation (CpF), qui est pour partie seulement dans le cadre d’un
l’une des composantes du compte per- CpF géré par la CdC. Le financement de
sonnel d’activité (Cpa) aux côtés du la formation des demandeurs d’emploi
compte pénibilité et du compte engage- est assuré à titre principal par les
ment citoyen. À cette même date, conseils régionaux et par Pôle emploi, et
55 millions de personnes âgées de à titre complémentaire grâce aux fonds
16 ans et plus sont titulaires d’un Cpa disponibles sur le CpF sous réserve de
jusqu’à leur décès. l’accord de leur titulaire Enfin, toute
L’intention « universaliste » exprime personne qui le souhaite peut s’engager
210 sans ambiguïté la volonté politique de dans une formation à son initiative, à
détacher la formation professionnelle titre personnel, sur ses fonds propres,
tout au long de la vie de la gestion sans recourir à aucune des modalités
n° 227/2021-2

« catégorielle » déléguée, à titre prin- juridiques évoquées ci-dessus.


cipal par la loi fondatrice de 1971, aux À la différence du droit universel à la
partenaires sociaux par l’exercice de la santé, qui a vocation à englober la tota-
gestion paritaire. il demeure que tous lité des situations auxquelles peut être
EduCaTioN pErMaNENTE

les actifs ne sont pas des salariés et que exposée une personne, le droit universel
le pouvoir normatif des partenaires à la formation tout au long de la vie
sociaux ne peut s’exercer que pour le connaît différents régimes juridiques
seul bénéfice de ces derniers. qui ne relèvent pas de ce concept mais
La totalité de 26 milliards que la nation qui coexistent avec le CpF dont c’est la
consacre à la formation professionnelle vocation.
des actifs, soit 1,1 % du piB (loi de plusieurs pays européens et membres
finances pour 2021), n’a certes pas de l’oCdE ont mis en place des
vocation à être inscrite dans des comptes comptes de formation. Toutefois, aucun
personnels dont la gestion serait assurée de ces comptes n’a l’ambition du CpF ;
par la CdC. Ni l’apprentissage ni les aucun pays n’a inventé le Cpa « récep-
formations relevant de la responsabilité tacle de comptes personnels » ni ne dis-
de l’employeur en vertu d’une disposi- pose d’une institution publique telle que
tion d’ordre public (sécurité) ou d’un la CdC capable d’en assurer la gestion.
engagement contractuel (obligation
1971
2021

Cette même vision est relayée par

50 e anniversaire de la loi du 16 juillet 1971


Jacques delors, inspirateur de la
La gouvernance du système
réforme de la formation professionnelle
de formation professionnelle,
en 1971 : « ou bien on donnera du jeu
enjeu de pouvoir hors
aux collectivités et aux organisations
de l’entreprise et en son sein
Le cadre institutionnel du système de professionnelles et sociales, et des pro-
formation professionnelle extérieur à grès seront possibles, ou bien l’État
l’entreprise a été construit, en rupture restera le point de passage obligé de
avec le service public organique qui toute initiative, et les frustrations gran-
caractérise le ministère de l’Éducation diront : on passera à côté de choses
nationale, comme « une obligation extraordinaires. »
nationale » à laquelle sont associés les Cette philosophie politique a conduit les
acteurs économiques et sociaux. Ce pouvoirs publics à reconnaître aux
choix fondateur a été confirmé par partenaires sociaux un rôle de « pré-
toutes les réformes qui ont jalonné le législateur », grâce à la négociation
demi-siècle qui vient de s’écouler, d’accords interprofessionnels, et à leur
jusqu’à celle du 5 septembre 2018. déléguer la gestion paritaire, au sein de 211
Le célèbre discours sur « la nouvelle fonds d’assurance formation et d’opCa,
société » de Jacques Chaban-delmas d’une partie de la contribution fiscale

n° 227/2021-2
exprime la philosophie politique qui, des entreprises due au titre de la forma-
jusqu’à la réforme de 2018, a sous- tion professionnelle.
tendu la gouvernance, externe à l’entre- L’équilibre des pouvoirs entre l’État et
prise, de notre système de formation les partenaires sociaux construit au fil

EduCaTioN pErMaNENTE
professionnelle. Ce projet avait pour des décennies a été mis en cause dans la
ambition de redéfinir le rôle de l’État dernière réforme au profit d’une reprise
dans la Nation : « Tentaculaire car, par en main par l’État, notamment à travers
l’extension indéfinie de sa responsabi- la création d’un établissement public
lité, il a peu à peu mis en tutelle la administratif, France compétences, en
société française tout entière [...] J’ai dit charge de réguler le système de forma-
qu’il nous fallait redéfinir le rôle de tion professionnelle.
l’État. il doit désormais faire mieux son Face à cette rupture historique, le
métier, mais s’en tenir là, et ne pas cher- MEdEF, par la voix de son président, a
cher à faire celui des autres. pour cela, il retrouvé au printemps 2021 l’inspiration
devra donner ou restituer aux collecti- du discours sur « la nouvelle société »
vités locales, aux universités, aux entre- en appelant à « l’autonomie des parte-
prises nationalisées, une autonomie naires sociaux ». Cet appel intervient
véritable et par suite une responsabilité dans un contexte marqué par un mouve-
effective3. » ment de restructuration des branches

3. Jacques Chaban-delmas, « La nouvelle société », déclaration devant le parlement le 16 septembre 1969.


1971
2021

professionnelles4 qui ouvre des perspec- sionnelle ainsi que l’apprentissage


50 e anniversaire de la loi du 16 juillet 1971

tives nouvelles à l’autonomie des parte- restent entre les mains de l’État, déten-
naires sociaux. il y a dix ans encore, on teur du pouvoir législatif, et des parte-
dénombrait sept cents conventions col- naires sociaux, par la voie de la négocia-
lectives contre deux-cent-cinquante tion collective. Les régions sont « chef
aujourd’hui, avec l’espoir de réduire ce de file » pour mettre en œuvre, au
nombre à la centaine. niveau de leur territoire, des orientations
Le mouvement parallèle de restructura- politiques définies par ailleurs. La
tion des opCa, désormais regroupés au dernière réforme de mars 2018 leur a
sein de onze opCo intersectoriels, con- d’ailleurs enlevé l’essentiel des compé-
tribue largement au déplacement du cen- tences en matière d’apprentissage pour
tre de gravité du pilotage des politiques les transférer à France compétences et
de formation par les partenaires sociaux aux branches professionnelles.
du niveau interprofessionnel vers celui S’agissant des enjeux de pouvoir, et
de la branche et de l’interbranche. on donc de gouvernance, au sein de l’entre-
peut faire l’hypothèse que, réduites en prise, la loi du 16 juillet 1971 a repris à
212 nombre et d’une taille critique suffisante son compte et précisé les attributions du
pour générer de l’expertise technique et comité d’entreprise dans le domaine de
de la capacité politique de négociation, la formation professionnelle, déjà
n° 227/2021-2

les branches apporteront un nouveau inscrites dans l’ordonnance du 22 fé-


souffle à l’« autonomie contractuelle ». vrier 1945 et rappelées par le préambule
il demeure que, en toute logique juri- de l’accord interprofessionnel du
dique, la gestion de ressources publiques 9 juillet 1970. En dépit de diverses
EduCaTioN pErMaNENTE

(budget de l’État et contribution fiscale tentatives de rendre obligatoire le plan


des entreprises) destinées à financer un de formation en passant de la délibéra-
droit universel ne peut relever que d’une tion à la codécision, le rubicon n’a
gouvernance publique, à laquelle peu- jamais été franchi. après l’arrivée de la
vent être associés divers partenaires gauche au pouvoir en 1981, Marcel
concernés par cette politique, dont les rigout, ministre communiste de la
partenaires sociaux. formation professionnelle, ne réussit pas
L’arrivée des régions, en 1983, a mis fin davantage à imposer une obligation de
au tête-à-tête entre l’État et les parte- négociation de la formation au sein de
naires sociaux. Toutefois, la décentrali- l’entreprise à l’instar de la négociation
sation à la française ne fait pas de la annuelle sur les salaires instituée par les
France un État fédéral. Le pouvoir nor- lois auroux. Cependant, l'obligation de
matif en matière de formation profes- consultation fut encadrée au fil des

4. philippe denimal, « Vent fort dans les branches », www.metiseurope.eu (décembre 2020). Cet article propose un
état des lieux exhaustif du processus de restructuration des branches professionnelles depuis le rapport de Frédéric
poisson jusqu’au rapport ramain de 2020.
1971
2021

années par un luxe de règles de procé- plusieurs reprises sans jamais être

50 e anniversaire de la loi du 16 juillet 1971


dure. Les réformes récentes du droit du suivie d’effets. En revanche, la réforme
travail (2014/2016) et de la formation de 2014, qui a réduit la contribution
professionnelle (2018) n’ont pas modi- fiscale à 1 % de la masse salariale, a
fié l’équilibre des pouvoirs sur la forma- autorisé les opCa à collecter des contri-
tion dans l’entreprise. En 2021 comme butions conventionnelles complémen-
ce fut le cas en 1971, le pouvoir de déci- taires à la contribution fiscale, ainsi que
sion appartient toujours au chef d’entre- des versements volontaires. La réforme
prise. Charbonnier est maître chez lui... de 2018 a confirmé cette orientation.
sous réserve d’un accord d’entreprise ! Les règles, les institutions et les sanc-
tions de la loi fiscale sont d’essence
Le conflit de logique entre la loi prescriptive et régalienne. L’administra-
fiscale et la loi sociale tion définit, par voie réglementaire et de
circulaires, ce qu’il est convenu de con-
depuis 1971, la loi fiscale a marqué de sidérer comme de la formation profes-
son empreinte aussi bien l’accès des sionnelle (les formations dites « impu-
salariés à la formation que les pratiques tables »). au fil des décennies, la logi- 213
pédagogiques, au détriment de la loi que inhérente à la loi fiscale a modelé le
sociale. La norme juridique issue de ces comportement des professionnels de la

n° 227/2021-2
deux processus est fondamentalement formation. Le reflux de la loi fiscale à
différente. La loi fiscale (fondée sur une partir de la loi du 5 mars 2014 (suppres-
contribution des employeurs au prorata sion du 0,9 %) conduit à réexaminer en
de leur masse salariale) a été adoptée en profondeur ce que l’on nomme « forma-

EduCaTioN pErMaNENTE
1971, après le constat de l’incapacité des tion professionnelle ». Celle-ci est
partenaires sociaux à proposer, par la désormais financée partiellement sur les
voie de la négociation collective, un fonds propres de l’entreprise et ne peut
financement de la formation profession- plus être qualifiée juridiquement
nelle assuré par des cotisations sociales d’impôt, de taxe ou de cotisation. Elle
comparables à d’autres garanties socia- renvoie à la notion d’« investissement »
les telles que l’assurance-chômage, les dont le régime juridique reste à définir.
retraites complémentaires et la pré- À partir de 2014, le respect de la loi
voyance individuelle et collective. sociale engage la responsabilité des
rappelons que ce mode de financement différentes parties aux contrats collec-
avait été proposé aux partenaires tifs et individuels. C’est à la fois sa
sociaux en 1970/1971, sans succès. force et sa faiblesse. L’effectivité de la
À l’exception de Force ouvrière, ils loi sociale repose sur le pari de la mobi-
n’étaient pas disposés à s’engager dans lisation des acteurs de la démocratie
cette voie. La question de la « trans- sociale, dont la fragilité est par ailleurs
mutation » de la contribution fiscale en un fait avéré. par conséquent, il est
cotisations sociales est réapparue à impératif que l’objectif de renforce-
1971
2021

ment de la légitimité et de l’efficacité duel et collectif) dont la marque est


50 e anniversaire de la loi du 16 juillet 1971

des acteurs de la démocratie sociale soit d’être spécifique et individuel, ainsi


couronné de succès pour gagner le pari qu’au principe constitutionnel de la
de « la loi sociale » : financement de la « liberté d’entreprendre ».
démocratie sociale, réduction du nom- Le droit républicain de l’éducation
bre de branches professionnelles, clari- (formation initiale) est influencé par les
fication de la représentativité des orga- valeurs du catholicisme : la vérité révé-
nisations syndicales de salariés ainsi lée est la même pour tous ; le dogme est
que des organisations professionnelles garanti par l’infaillibilité pontificale ;
d’employeurs l’erreur est une faute. dans le droit de la
formation tout au long de la vie, l’in-
L’encadrement des prestataires fluence protestante l’emporte : ni
de services : liberté vérités révélées, ni dogmatisme, ni
d’entreprendre, profession pape. Cette différence culturelle est
réglementée, qualité sans doute un facteur explicatif du
remarquable taux d’accès à la forma-
214 au cours des années 1970, l’offre de tion tout au long de la vie dans les pays
formation a connu une période « des scandinaves de culture protestante.
1 000 fleurs » suivie d’une longue pé- Le service public d’éducation, quand
n° 227/2021-2

riode de désamour. dans l’idéal de bien même la formation permanente ne


1970, chacun pouvait être tour à tour lui avait pas était rattachée, a bien
formé et formateur dans la société rêvée entendu développé une offre de forma-
après Mai-68, fondée sur l’éducation tion destinée aux adultes engagés dans
EduCaTioN pErMaNENTE

permanente. Le choix stratégique de la la vie active au sein de structures


loi delors en faveur du concept dédiées à cette fin : GrETa et services
d’« obligation nationale » en lieu et de formation continue des universités.
place d’un service public organique Cependant, comparativement à d’autres
(ministère bis de l’éducation perma- systèmes européens de formation pro-
nente) rendait cette utopie possible. fessionnelle (ceux des pays scandinaves
En effet, le service public d’éducation, ou anglo-saxons notamment), la poro-
fondé sur les principes d’égalité et de sité entre formation initiale et formation
gratuité, est régi par la loi de la continue demeure faible (à l’exception
république, impersonnelle et générale notable du CNaM), et les conditions
(même programme, statut uniforme des juridiques du continuum entre forma-
enseignants, statut tutélaire des élèves, tion initiale et formation continue
obligation scolaire, droit disciplinaire demandent à être construites.
interne), alors que les dispensateurs de dès 1978, les 1 000 fleurs furent
formation professionnelle font une soumises à une taille sévère, avec
place grandissante au contrat (indivi- l’adoption d’une loi sur le contrôle du
1971
2021

dispensateur de formation (démar- vent de l’ordre public et qui ne sont pas

50 e anniversaire de la loi du 16 juillet 1971


chage, publicité, prix excessifs...). spécifiques au domaine particulier de la
Celle-ci prévoyait un contrôle et des formation (notamment pour lutter
sanctions administratives pouvant aller contre les dérives sectaires).
jusqu’aux sanctions pénales du bon Les réformes de la dernière période (loi
usage des deniers publics, au nom de la du 5 mars 2014, loi du 5 septembre
protection des usagers et au final de la 2018) n’ont fort heureusement pas
qualité de la formation dispensée. Mais, succombé à la dérive du formalisme
contrairement à une idée communé- juridique. Elles ouvrent au contraire des
ment admise, la qualité de la formation voies nouvelles de nature à approcher
dispensée aux apprenants ne résulte pas l’objectif de « garantir aux apprenants
du statut public (qui serait de qualité par la qualité de la formation ». La
nature...) ou privé (« marchands de première voie est celle du recentrage de
soupe » par nature...) du dispensateur la formation professionnelle sur l’ob-
de formation, ni de celui, réglementé ou jectif de qualification qui suppose la
non, des formateurs et d’autres per- définition préalable d’un référentiel de
sonnes en charge de la transmission de certification dont le respect est de 215
savoirs et de savoir-faire (maître d’ap- nature à garantir la pertinence, la cohé-
prentissage tuteurs...), ni de méca- rence et l’efficience de la formation au

n° 227/2021-2
nismes de contrôle a priori de l’activité regard du projet de la personne. La
de formation (agrément...) mis en place deuxième voie est celle de la mise à la
par l’administration. L’excès de ce type charge des financeurs d’une obligation
de droit, comme le mauvais cholestérol, de « contrôle de la qualité de l’offre de

EduCaTioN pErMaNENTE
« nuit grave... », voire « tue » le droit. Le formation » qui, à terme, engagera leur
contrôle exercé par les financeurs sur responsabilité au plan juridique. La troi-
l’affectation des ressources destinées à sième voie pourrait bien se construire
la formation, pour légitime qu’il soit, au fur et à mesure que se développe
garantit simplement sa conformité au l’usage du CpF. on peut imaginer que
référentiel fixé par les financeurs, mais la personne qui affectera des ressources
ne constitue pas une garantie de la dont elle a la pleine propriété au finan-
qualité de la formation. Là encore, cement d’un projet de formation aura à
l’excès « nuit grave... ». La question de cœur de contrôler la qualité de la pres-
la qualité de la formation, au-delà de la tation qui lui est offerte. Elle pourra
conformité, pose celle de sa pertinence, alors s’appuyer sur le contrat de forma-
de sa cohérence avec le projet de la tion qui, nécessairement, la liera au
personne, et de son efficience, c’est-à- prestataire, en s’appuyant notamment
dire de l’adéquation entre la prestation sur le droit de protection des consom-
délivrée et les ressources engagées. Elle mateurs applicable en la matière.
renvoie également à des règles qui relè-
1971
2021

se développent ; que le continuum entre


50 e anniversaire de la loi du 16 juillet 1971

L’unité d’œuvre d’une formation :


le stage, l’action, le parcours formation initiale et formation continue
devienne une réalité ; qu’au finance-
À l’origine était le stage, transposition ment de l’heure stagiaire se substitue le
dans l’univers du travail du modèle de forfait parcours ; que les entreprises
la salle de classe caractérisé par l’unité fassent vivre les procédures de gestion
de temps, de lieu et d’action, un individuelle des compétences (entretien
programme prédéterminé identique professionnel, bilan de parcours) et que,
pour tous, une durée de formation dans la perspective de l’équilibre des
calculée « en heures stagiaires » – unité temps sociaux, parcours professionnel
d’œuvre pour le financement et la et parcours de vie deviennent compa-
gestion de toutes prestations de forma- tibles. « La responsabilité est la vertu
tion. puis vint l’action de formation, qui d’un être humain libre » (Kant). La
englobe le stage mais prend également dialectique de la liberté et de la respon-
en compte le projet en amont et l’éva- sabilité est au fondement de la loi
luation en aval. depuis la loi du « pour la liberté de choisir son avenir
216 5 septembre 2018, l’action de formation professionnel », dont le concept de
se définit comme un parcours pédago- parcours est un instrument.
gique permettant d’atteindre un objectif
n° 227/2021-2

professionnel. Elle peut être réalisée en Du travail prédateur


tout ou partie à distance. Elle peut éga- au travail émancipateur
lement être réalisée en situation de
travail. L’introduction de la notion de dans la première phase de la société
EduCaTioN pErMaNENTE

parcours comme « unité d’œuvre con- industrielle, au cours de laquelle la


çue pour encadrer, financer et gérer des qualification de l’ouvrier de métier est
processus d’apprentissage », constitue jalousement protégée par les organisa-
une rupture majeure avec le modèle tions syndicales, elles-mêmes organi-
scolaire et contribue à la déscolarisation sées selon une logique de métier (closed
de la formation tout au long de la vie. shop en angleterre, ouvriers du livre en
Si les lois de 2014, 2016 et 2018 ont France...), le pouvoir sur la qualification
ouvert les portes du droit au concept de repose non seulement sur le contrôle du
parcours, le droit au parcours n’est pas processus de production mais aussi sur
comparable à un droit social fonda- le processus d’acquisition et de trans-
mental comme le droit à l’éducation, au mission de savoir-faire qui reproduit ce
travail, à la qualification. C’est un droit pouvoir. En bonne logique, les ouvriers
procédural, dont la fonction est de de métier sont hostiles au développe-
contribuer à l’effectivité des droits ment de la formation professionnelle au
sociaux fondamentaux. Mais il ne le sens d’un enseignement délivré par des
pourra qu’à certaines conditions : que organismes de formation extérieurs au
l’orientation et le conseil professionnel processus de production. Les grands
1971
2021

penseurs socialistes sur l’éducation du de subordination). double aliénation.

50 e anniversaire de la loi du 16 juillet 1971


XiXe siècle, qu’ils soient d’inspiration dans le même temps, se développe
proudhonienne ou marxiste (domman- l’idéologie de l’enseignement gratuit,
get, 1970), arrivent par des chemins laïque, obligatoire. Le corps enseignant
différents à la même conclusion : c’est convainc le mouvement ouvrier dans
dans le travail que la personne humaine son ensemble que la voie du progrès de
se réalise, c’est dans le travail que doit la formation, qu’elle soit générale ou
être organisé le processus de formation professionnelle, est dans la constitution
et de développement des hommes. d’un système éducatif séparé de l’entre-
Toute dissociation entre travail et prise en ce qu’il serait la garantie de son
formation reflète une idéologie bour- indépendance et de son autonomie.
geoise. La combinaison entre l’éduca- Le modèle « séparatiste » de relations
tion et la production matérielle est par entre le système de formation et le
conséquent incompatible avec le déve- système de production, sur lequel est
loppement d’organismes autonomes de fondée la législation sur la formation de
formation professionnelle extérieurs à 1971, est né en France de la conjonction
l’entreprise. Le taylorisme fait voler en de trois facteurs : le taylorisme ; la stra- 217
éclats cette conception du pouvoir des tégie « révolutionnaire » de la majorité
travailleurs sur leur qualification profes- du mouvement ouvrier français à cette

n° 227/2021-2
sionnelle. époque ; les spécificités de notre sys-
La loi delors est imprégnée de taylo- tème d’enseignement fondé sur le prin-
risme. Le stage, produit de l’organisa- cipe républicain d’égalité et sur celui de
tion taylorienne, est érigé par le Code du la centralisation. Si le modèle allemand

EduCaTioN pErMaNENTE
travail en « unité d’œuvre » de la forma- n’a pas connu la même évolution, alors
tion professionnelle. il sert de support que le taylorisme était un facteur com-
aussi bien à l’ouverture de droits pour mun aux deux systèmes de production,
les salariés qu’au financement de la la raison tient d’une part à l’orientation
formation. avec l’introduction de l’obli- majoritairement réformiste du mouve-
gation de financement à la charge des ment ouvrier allemand, après 1918 et
entreprises à partir de 1971, le stage après 1945, qui a conduit à un partage
deviendra marchandise. pour le mouve- du pouvoir sur la formation, et d’autre
ment ouvrier, l’entreprise devient le lieu part au caractère décentralisé du sys-
du pouvoir patronal sur la formation. tème d’éducation et de formation liée à
des espaces de liberté sont en dehors de l’organisation fédérale de ce pays.
l’entreprise. C’est d’ailleurs tout le sens La volonté affichée par les pouvoirs
du congé individuel de formation publics français depuis des décennies de
institué en 1971. Se former dans l’entre- développer diverses formes de forma-
prise, c’est donner à l’employeur le tion en alternance suppose au préalable
pouvoir sur la formation qui vient de dépasser les causes profondes du
doubler son pouvoir sur le travail (lien modèle « séparatiste » sur lequel repo-
1971
2021

sent les rapports entre système productif La définition juridique du temps


50 e anniversaire de la loi du 16 juillet 1971

et système éducatif en France. il aura échappe à la métaphysique, alors même


fallu attendre la fin des années 1970 et le que saint augustin reconnaît son incapa-
développement du chômage massif cité à donner une définition du temps :
récurrent des jeunes pour que la forma- « Qu’est-ce que le temps ? Qui saurait
tion professionnelle en alternance de- en donner avec aisance et brièveté les
vienne un axe des politiques publiques explications ? Si personne ne me pose la
et des partenaires sociaux. il aura fallu question, je le sais ; si quelqu’un pose la
attendre également que la gauche, question et que je veuille expliquer, je
arrivée au pouvoir en 1981, accepte ne sais plus » (Confessions XL, 14,17).
avec beaucoup de mal à considérer que En 1971, à l’instar de la valse, la forma-
l’entreprise puisse être formatrice et non tion obéissait à trois temps :
seulement prédatrice. dès lors, toutes – la formation prescrite par l’employeur
les réformes ont connu un volet forma- s’analyse comme une mission profes-
tion en alternance (apprentissage, sionnelle, elle est assimilée à un temps
contrats de qualification et de profes- de travail effectif rémunéré comme tel ;
218 sionnalisation, etc.). La loi du 5 sep- – le congé individuel de formation
tembre 2018 amplifie le mouvement par s’analyse comme une suspension du
une libéralisation de l’apprentissage et contrat de travail qui libère provisoire-
n° 227/2021-2

par une reconnaissance de l’expérimen- ment le salarié de l’obligation de


tation engagée il y a quelques années travailler pour suivre une formation
dans le domaine des actions de forma- librement choisie, et lui garantit de
tion en situation de travail (aFEST). retrouver son emploi ;
EduCaTioN pErMaNENTE

– toute personne physique, indépen-


Le temps de formation : damment de son statut, peut, sur son
1971, une valse à trois temps, temps personnel et sur ses fonds
2018, cinquante nuances du temps propres, suivre une action de formation
en application des article L. 6353 – 3 et
L’enjeu de la définition du temps de suivants du Code du travail (les « cours
formation est certes économique du fait du soir » du CNaM par exemple). Ce
que, dans le système français de forma- texte est applicable à toute personne qui
tion professionnelle, la rémunération suit une formation en dehors de tout
représente près de la moitié du coût. statut particulier. À défaut des garanties
Mais il est également culturel en ce et des protections résultant du régime
qu’il renvoie à l’équilibre des temps so- juridique du travail effectif, celui du
ciaux (travail, loisirs, vie privée) ainsi contrat de travail, « l’apprenant » lié au
« qu’à la liberté de toute personne de prestataire de formation par une
disposer de son temps5 ». convention de formation bénéficie d’un

5. Sur la problématique du temps choisi, voir notamment Jacques delors (1992).


1971
2021

régime juridique spécifique inspiré du attendre de leur part qu’ils s’attaquent à

50 e anniversaire de la loi du 16 juillet 1971


droit de protection des consommateurs. plusieurs obstacles culturels au déve-
Le législateur de 2018 s’est lancé, à sa loppement de la VaE. Le premier réside
manière, « à la recherche du temps [de dans l’intérêt économique des presta-
formation] perdu » en en réduisant le taires de formation aussi bien publics
volume et en invitant au partage du coût que privés à promouvoir des cycles de
entre les financeurs et les apprenants, formation longue débouchant sur des
notamment sous la forme du « co- titres et diplômes, plus lucratifs que la
investissement » entre l’employeur et le VaE. Le deuxième obstacle est celui de
salarié par la place accordée au CpF. la grande réticence des titulaires de ces
La nouvelle définition de l’action de mêmes titres et diplômes à reconnaître
formation, qui valorise les formations une valeur identique à ceux acquis par
en situation de travail, ouvertes, à la voie de la VaE. Quant à l’entreprise,
distance et asynchrones, qui se déve- la VaE renvoie à la question de la
loppent dans le domaine du numérique, reconnaissance de la qualification, et
devrait également avoir pour effet de par conséquent à la question salariale,
réduire la durée des formations et, qui sont bien les thèmes centraux de la 219
partant, leur coût. il en va de même de négociation collective d’entreprise et de
la possibilité offerte par cette loi d’orga- branche que les récentes réformes de

n° 227/2021-2
niser les certifications en blocs de droit du travail entendent promouvoir.
compétences, en les inscrivant dans un La réflexion sur « la révolution du
parcours d’évolution professionnelle, et temps choisi », engagée en 1990 par
de permettre la rémunération au forfait Jacques delors, mériterait d’être ré-

EduCaTioN pErMaNENTE
en lieu et place de l’heure stagiaire. actualisée dans le prolongement de la
Classée dans la catégorie des actions de loi « pour la liberté de choisir son avenir
formation, la VaE mérite une mention professionnel ». au plan juridique, cette
particulière. En effet les « acquis de réflexion pourrait aisément déboucher
l’expérience », faisant l’objet d’une sur une adaptation du compte épargne
procédure de validation, résultent au temps (CET), en orientant les ressources
moins pour partie d’un travail effectif, épargnées, notamment par des incita-
rémunéré comme tel, qui a permis l’ac- tions fiscales, vers le financement du
quisition de cette expérience. Ce qui est revenu de remplacement et des frais de
pris en compte peut s’analyser comme formation. Ce dispositif à la main des
du temps de travail effectif amorti au salariés compléterait utilement le dispo-
sens comptable du terme. il faut sitif du CpF de transition profession-
souhaiter que les partenaires sociaux se nelle et celui de la Pro-A qui échappent
saisissent de ce dispositif dans le cadre tous les deux au droit d’initiative du
de futures négociations de branche et salarié, le premier étant fondé sur une
d’entreprise, plus qu’ils ne l’ont fait prescription paritaire en fonction des
jusqu’à présent. on peut en effet besoins du marché du travail régional,
1971
2021

le deuxième sur une prescription déli- cation reconnue. peu à peu, la vision
50 e anniversaire de la loi du 16 juillet 1971

vrée par l’employeur en fonction des « humaniste » d’une formation non


besoins de l’entreprise. validée par référence aux besoins du
marché du travail va laisser place à
Diplômes, titres, certifications différentes modalités de reconnaissance
de la qualification acquise dans le cadre
« L’objectif premier de la formation d’une formation professionnelle.
continue est de permettre le développe- Cette préoccupation fut notamment
ment personnel et de faciliter ainsi prise en compte par une autre loi du 16
l’adaptation des hommes dans un mon- juillet 1971 relative à l’enseignement
de en changement qui exige plus de technologique, qui introduit une procé-
chacun d’entre nous. C’est un huma- dure d’homologation. Selon cette loi,
nisme. il ne faudrait pas que la finalité « les titres ou diplômes de l’enseigne-
de la formation ne soit réduite à la ment technologique sont acquis par les
conquête de titres et de diplômes. » Cet voies scolaires et universitaires, par
extrait d’un article publié en 1971 par l’apprentissage ou la formation profes-
220 Guy Métais, l’un des conseillers de sionnelle continue. La pédagogie et le
Jacques delors avant de devenir direc- contrôle des aptitudes et de l’acquisition
teur de l’agence pour le développement des connaissances peuvent différer
n° 227/2021-2

de l’éducation permanente, traduit la selon les caractéristiques spécifiques de


philosophie qui inspirait le législateur en chacune de ces voies [...] Ces titres ou
1971. de fait, la grande majorité des diplômes sont inscrits sur une liste
formations d’adaptation à l’emploi ou d’homologation ». En dépit de son
EduCaTioN pErMaNENTE

d’entretien et de perfectionnement des caractère interministériel, cette procé-


connaissances n’exigeait pas de recon- dure publique d’homologation reconnaît
naissance officielle. une place déterminante au ministère de
Toutefois, dans la mesure où la loi de l’Éducation nationale ainsi qu’à d’autres
1971 prévoyait des stages de promotion ministères certificateurs, et par consé-
professionnelle permettant d’accéder à quent, aux titres et diplômes acquis dans
une qualification plus élevée et des la logique de la formation initiale.
stages de conversion permettant de Certaines branches professionnelles qui
changer de qualification ou de métier, souhaitaient développer les contrats de
une reconnaissance officielle devenait qualification (en premier lieu le secteur
nécessaire. Cette exigence devint de la métallurgie) ont pris l’initiative de
encore plus pressante avec le dévelop- créer, par la voie de la négociation col-
pement des formations professionnelles lective, des certificats de qualification
en alternance, sous la forme du contrat professionnelle (CQp). Cette initiative a
de qualification accessible aux jeunes été suivie par d’autres branches profes-
sortis du système scolaire sans qualifi- sionnelles de sorte que notre système de
1971
2021

certification professionnelle, désormais

50 e anniversaire de la loi du 16 juillet 1971


Personnalisation, judiciarisation :
partagé entre les partenaires sociaux et le regard des juges sur
plusieurs ministères certificateurs, est la formation
devenu de plus en plus illisible.
Le concept de certification profession- au cours des cinq dernières décennies,
nelle s’est progressivement imposé à le regard des juges, à l’occasion de
partir de 2002. il traduit le passage litiges qui leur étaient soumis, a mis en
d’une validation de la formation, basée lumière la question de la responsabilité
sur un programme et des connais- contractuelle des différents acteurs du
sances, à une certification des compé- système de formation professionnelle :
tences, au sens de capacité à exercer employeurs, salariés et prestataires de
une activité professionnelle. Le change- services de formation.
ment de terminologie renvoie à un dans les années 1970, la Cour de cassa-
changement de nature et de finalité : là tion considérait qu’un contrat de travail,
où le diplôme sanctionnait un niveau dès lors qu’il ne s’agissait pas d’un
d’étude et un niveau de connaissances, contrat d’apprentissage, ne mettait
la certification professionnelle a pour aucune obligation de formation à la 221
objectif de garantir la capacité à exercer charge de l’employeur. dans le même
une activité. Les titres et diplômes, temps les premières décisions de

n° 227/2021-2
historiquement ancrés dans le monde de conseils de prud’hommes mettaient à sa
l’éducation, se trouvent entraînés vers charge une obligation d’adaptation du
le monde du travail. La loi du 5 sep- salarié à l’emploi, dès lors que cette
tembre 2018 a entériné cette évolution adaptation était rendue nécessaire en

EduCaTioN pErMaNENTE
en transposant l’essentiel du droit de la raison d’une décision d’organisation du
certification professionnelle du Code de travail relevant du seul pouvoir de
l’éducation au Code du travail. direction de l’employeur. au fil du
À vrai dire, par son ambition et sa tech- temps, cette jurisprudence prud’homale
nicité, la certification professionnelle a prospéré. depuis les années 1990, la
est une réforme dans la réforme de la Cour de cassation l’a adoptée. Elle a
formation tout au long de la vie. Elle fondé ses arrêts sur le principe civiliste
traduit la volonté du législateur de de « la bonne foi contractuelle », appli-
mettre chaque personne en capacité de cable à tous les contrats, y compris le
construire son parcours professionnel, contrat de travail. Cette jurisprudence,
grâce au repère que constitue une certi- qui aurait pu se suffire à elle-même, a
fication professionnelle souple, évolu- été confirmée par la loi du 5 mars 2014
tive, accessible tout au long de la vie et qui la prolonge par l’institution d’un
monnayable sur le marché du travail... entretien professionnel. Celui-ci s’ana-
lyse au plan juridique comme un droit
procédural de nature à permettre à l’em-
1971
2021

ployeur de favoriser l’adaptation du compris pour les salariés envoyés en


50 e anniversaire de la loi du 16 juillet 1971

salarié à l’emploi « et de veiller à la formation par l’employeur. Le presta-


capacité à occuper un emploi ». Le non- taire de formation n’est pas un em-
respect de ces procédures (obligation de ployeur. C’est tout le paradoxe et l’am-
moyens) et le non-respect de la capacité biguïté du droit de la formation profes-
à occuper un emploi (obligation de sionnelle, ancré dans le droit du travail
résultat) relèvent de la compétence du protecteur du salarié, mais consubstan-
juge judiciaire et peuvent déboucher sur tiel à la notion de liberté et d’émancipa-
diverses sanctions : « abondement cor- tion personnelle.
rectif » du CpF (qui est en réalité une Le contrat par lequel l’apprenant et le
pénalité) afin de permettre au salarié de prestataire de formation sont liés s’ana-
prendre en charge la prévenance du lyse comme un contrat de prestation de
risque d’inemployabilité ; indemnité service intellectuel. Le prestataire de
liée à un licenciement sans cause réelle formation peut s’engager sur la mobili-
et sérieuse ; le cas échéant, dommages sation de ressources pédagogiques
et intérêts pour « perte d’une chance », (respectant des normes de qualité, y
222 celle de rester employable en conser- compris la mise à disposition de forma-
vant sa qualification. teurs qualifiés), sur le respect d’une
dans le même temps, en instituant le méthode d’apprentissage obéissant elle
n° 227/2021-2

CpF, la loi, tout en dotant le salarié de aussi à des critères de qualité, mais non
ressources pour sa formation, lui sur un résultat, car ce dernier dépend de
signifie qu’il est coresponsable du main- l’implication de l’apprenant dans le
tien de son employabilité. d’ailleurs, processus d’apprentissage, celui-ci
EduCaTioN pErMaNENTE

l’architecture du CpF, constituée d’un étant partie au contrat (acteur de sa


socle de ressources apportées de plein propre formation nous disent les spécia-
droit par l’entreprise et d’abondements listes des sciences de l’éducation). dit
issus de la négociation mais également autrement par Bertrand Schwartz, « on
d’une possible contribution directe de ne forme pas une personne, elle se
l’employeur et du salarié lui-même, forme si elle y trouve un intérêt ». Le
ouvre la voie au co-investissement fait de ne pas obtenir un titre, un
alors que, par principe, la subordination diplôme ou une certification, voire de
juridique exclut la responsabilité du ne pas bénéficier d’une évolution pro-
salarié qui exécute un travail prescrit, sa fessionnelle à l’issue du processus de
responsabilité demeure entière dans la formation, ne pourra être opposé par
relation pédagogique qui ne saurait se l’apprenant au formateur, dès lors que
déployer que dans un espace de liberté, celui-ci démontre avoir respecté « les
à la différence du travail prescrit. En obligations de moyens » stipulées au
effet, le « contrat de formation » n’est contrat, le cas échéant conformes à des
pas assimilable à un contrat de travail, y normes de qualité. La nécessaire impli-
1971
2021

cation de l’apprenant dans ce processus celui de travailleur salarié. il a été

50 e anniversaire de la loi du 16 juillet 1971


représente un aléa qui constitue le inventé dans les années 1950 pour
critère distinctif entre l’obligation de assurer aux stagiaires de l’aFpa une
moyens et l’obligation de résultats. Le indemnisation et une protection sociale
glissement progressif de la responsabi- pendant la durée de la formation. il est
lité sans faute vers la responsabilité aujourd’hui régi par le Code du travail et
contractuelle, imputable à l’employeur donne accès à une rémunération et à la
d’une part et au prestataire de formation protection sociale, ainsi qu’à l’organisa-
d’autre part, pourrait conduire à un tion de relations entre le stagiaire et le
développement de la judiciarisation prestataire de formation, qui n’est pas à
dans le domaine de la formation profes- confondre avec un employeur, comme
sionnelle tout au long de la vie. les juges ont pu l’affirmer à de nom-
breuses reprises à l’occasion de litiges
Chômage et formation : stages opposant des stagiaires aux prestataires
parking, droit de l’insertion, droit de formation. Sa gestion est aujourd’hui
de la transition professionnelle assurée par les conseils régionaux.
En période de chômage frictionnel, ce 223
La typologie des actions de formation statut est parfaitement adapté pour faci-
de la loi du 16 juillet 1971 comportait liter les transitions professionnelles. En

n° 227/2021-2
des stages de préparation à l’emploi revanche, en période de chômage struc-
pour les jeunes sortis du système turel récurrent, il peut donner lieu à des
éducatif, des stages de prévention pour difficultés et contribuer à la dévalorisa-
les salariés menacés de licenciement, et tion de la formation en multipliant des

EduCaTioN pErMaNENTE
des stages de conversion pour les sala- stages sans perspective d’emploi. Ce fut
riés ayant perdu leur emploi. de la le cas lorsque les pouvoirs publics ont
même manière qu’un « joint de dilata- imaginé un foisonnement de dispositifs
tion » intégré entre les composantes éphémères ad hoc, sans réelles perspec-
d’un pont d’une grande amplitude tives d’emploi et souvent peu forma-
donne de la souplesse qui contribue à sa teurs (SiVp, stages pratiques en entre-
stabilité, la formation professionnelle prise, TuC, contrats aidés...). ils ont
organise la transition entre le système néanmoins rempli une fonction non
éducatif et le système productif pour les négligeable d’amortisseur social, en
jeunes sortis du système scolaire et d’un apportant des revenus de remplacement
emploi à un autre pour les salariés dont et une insertion sociale provisoire, sans
le contrat de travail est rompu. pour autant construire ou renforcer le
Sur le plan juridique, cette transition est socle de connaissances de base des
assurée grâce au statut de stagiaire de la personnes concernées.
formation professionnelle, intermédiaire au fil des décennies, ce statut intermé-
entre le statut d’élève et d’étudiant et diaire a servi de support juridique à des
1971
2021

dispositifs plus élaborés tels que le d’obligation nationale à laquelle sont


50 e anniversaire de la loi du 16 juillet 1971

contrat de sécurisation professionnelle associés les acteurs économiques et


(CSp), ainsi qu’à différents dispositifs sociaux concernés par la mise en œuvre
conçus pour favoriser l’insertion de la formation professionnelle tout au
professionnelle et sociale des jeunes. il long de la vie, a résisté à l’épreuve du
représente l’un des outils dont disposent temps. Le rôle respectif des acteurs
les missions locales dont l’architecture impliqués a certes connu des adapta-
été construite par Bertrand Schwartz tions au fil des réformes mais ils demeu-
dans son célèbre rapport sur l’insertion rent tous parties prenantes du système.
professionnelle et sociale des jeunes de La dernière réforme s’est traduite par le
1982. il en a également assuré la mise renforcement du rôle de l’État dans la
en place opérationnelle. régulation du système de formation pro-
Le statut de stagiaire de la formation fessionnelle confié à un établissement
régi par le Code du travail ainsi que les public administratif (France compéten-
missions locales sont aujourd’hui les ces) et par un recentrage les partenaires
supports juridiques d’un droit à l’inser- sociaux sur leur cœur de métier : la
224 tion pour les jeunes et à la transition négociation collective, notamment au
professionnelle pour les adultes. La loi niveau des branches professionnelles.
du 5 septembre 2018 a repris à son
n° 227/2021-2

compte ces deux dispositifs. La promesse. La formation profession-


La problématique de l’insertion dans nelle continue dans le cadre de l’éduca-
l’emploi et de la transition profession- tion permanente était porteuse de la
nelle demeure plus que jamais d’actua- promesse d’une deuxième chance d’ob-
EduCaTioN pErMaNENTE

lité, comme le montrent les initiatives tenir un diplôme et une qualification qui
développées par le Haut-Commissariat n’avaient pas été acquis en formation
à l’investissement dans les compétences initiale, et la promesse d’une émancipa-
en partenariat avec les conseils régio- tion sociale et culturelle grâce à l’accès à
naux. Vont dans le même sens les initia- l’éducation permanente. Ni l’une ni
tives récentes prises par les partenaires l’autre n’ont été tenues. au fil des
sociaux en concertation avec le minis- décennies, la promesse a changé de
tère du travail pour créer le dispositif des nature : à la flexibilité croissante du
transitions collectives destiné à favoriser marché du travail répond la sécurisation
les reconversions lourdes rendues des parcours professionnels.
incontournables par les mutations
économiques que nous connaissons. La dynamique. La dernière réforme a
amplifié la place et le rôle des personnes
Conclusions concernées au premier titre par l’acqui-
sition, l’entretien et le développement de
L’architecture. Le système de formation leur qualification professionnelle grâce à
professionnelle, fondé sur le concept la formation. La gestion, par la Caisse
1971
2021

des dépôts et consignations, du compte 1971. Elle rend crédible la perspective

50 e anniversaire de la loi du 16 juillet 1971


personnel de formation peut sans doute d’un droit universel effectif de la forma-
être considérée comme le fait majeur tion professionnelle tout au long de la
enregistré par le système de formation vie. u
professionnelle depuis la loi de juillet

Bibliographie

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dans la formation des travailleurs : 1789-1971. Paris, L’Harmattan.
EduCaTioN pErMaNENTE n° 227/2021-2

226
LECTURES
détecter et faire reconnaître les acquis?
Loin de s’émousser, sa créativité se dé-
Puissance de la reconnaissance. ploierait-elle avec l’âge ? Ses acquis ren-
Claire Héber-Suffrin

Chemin d’humanisation réciproque. forceraient-ils son ouverture au présent


Lyon, Chronique sociale, février 2021, pour en faire un tremplin vers l’avenir ?
204 p. Incarnerait-elle cette triple fonction de
conjugaison de la reconnaissance pour
L’ouvrage se situe entre la mise en cul- conquérir son temps : éprouver le passé,
ture d’un puissant concept philoso- intensifier le présent, ouvrir l’avenir ? 227
phique (La reconnaissance, histoire Triple fonction que développe magnifi-
européenne d’une idée [Honneth]) – et quement la troisième partie de son livre.

n° 227/2021-2
celle de pratiques émergentes et effer- Celui-ci ne serait-il pas le chef-d’œuvre,
vescentes (Pratiquer la reconnaissance le produit éprouvé, l’accomplissement
des acquis de l’expérience [Liétard d’une ex-périence pacifiée de reconnais-
et al.]). L’originalité de l’ouvrage est le sance mutuelle ? «L’alternative à l’idée

EduCaTIon pERManEnTE
rapprochement entre reconnaissance et de lutte dans le procès de reconnaissance
réciprocité. Ces deux notions seraient mutuelle est à chercher dans des expé-
non pas semblables, mais différentes et riences pacifiées de reconnaissance
complémentaires. La puissance de la mutuelle, reposant sur des médiations
reconnaissance ne s’actualiserait que par symboliques soustraites tant à l’ordre
une réciprocité humanisante ; le chemin juridique qu’à celui des échanges mar-
de cette réciprocité humanisante ne chands ; le caractère exceptionnel de ces
s’ouvrirait que grâce au pouvoir de la expériences, loin de les disqualifier, en
reconnaissance. souligne la gravité, et par là même en
À quel voyage étonnant et détonnant assure la force d’irradiation et d’irriga-
Claire Héber-Suffrin nous invite-t-elle tion au cœur même des transactions
encore ? Continue-t-elle à lever des hori- marquées du sceau de la lutte» (Ricœur,
zons nouveaux, après cinquante ans Parcours de la reconnaissance, p. 319).
d’histoire de vie intense et féconde du Le caractère exceptionnel des expé-
Mouvement des réseaux d’échange réci- riences d’humanisation cocitoyenne qui
proque de savoirs et la production de nourrissent Claire fait passer d’une dis-
plus d’une vingtaine d’ouvrages pour en symétrie sociale à une reconnaissance
réciproque grâce à des médiations sym- riences solitaires de fond à des expres-
boliques vitales de base. Ces médiations sions sociales de pointe. donc attention
symboliques mettent ensemble, en sens, à ce qu’elle délivre dans ce livre, surtout
en formes humanisantes des énergies qu’il semble avoir été beaucoup tra-
profondes, infralinguistiques, transindi- vaillé.
viduelles, à la fois unificatrices et uni- Elle invite à un voyage aérien et accom-
versalisantes. Ces unifications micro et pagné (chap. 1), mais aussi singulier et
macrosociales pacifient et donnent à ces coopératif (chap. 11) pour « cerner les
expériences cocitoyennes une force d’ir- dimensions » (partie 1), « comprendre
radiation et d’irrigation unique qui les effets» (partie 2), «s’interroger sur
actualise la puissance de cette recon- les fonctions» (partie 3) de la reconnais-
naissance, à travers et au-delà les luttes sance. Et en «faire une exigence éthique
sociopersonnelles d’ordre juridique et et politique» (partie 4). Chaque partie
marchand. Mais identifier, nommer, alterne narration expérientielle et forma-
connaître et faire reconnaître ces expé- lisation conceptuelle de façon intégrée et
riences pacifiantes de reconnaissance éclairante. Le chapitre 9, « Chemine-
mutuelle pose un problème de traduc- ment en réciprocité », s’enracine dans
228 tion culturelle quasi paradigmatique. quatre terrains (p. 151-164) : la recon-
Les énonciations se balbutient principa- naissance dans les classes coopératives ;
lement avec le ternaire complexe don- réciprocité et reconnaissance dans les
n° 227/2021-2

ner-recevoir-rendre, peu programmé réseaux d’échanges réciproques de


dans les algorithmes des sociétés ges- savoirs ; reconnaissance des acquis de
tionnaires et marchandes. Rares sont les l’expérience (RaE) de « différent et
personnes capables de passer d’une compétent réseau » ; réciprocité et
EduCaTIon pERManEnTE

prise de conscience tâtonnante des reconnaissance dans le projet des


acquis de ces expériences fondatrices « badges ouverts de reconnaissance».
exceptionnelles, à la fois unifiantes et Chaque partie se termine par un schéma
universalisantes, à une expression socia- modélisant l’essentiel de façon très
le suffisamment formulée pour une pédagogique. ainsi, le schéma 4 modé-
reconnaissance formelle institutionnel- lise de façon triangulaire et interactive
le. Il faut pouvoir prendre la parole à la les relations complexes entre réciprocité
première personne du singulier et percer et reconnaissance : «Les dimensions de
la croute des langages dominants, la réciprocité renforcent la puissance de
conceptuels et institutionnels. par les la reconnaissance. La reconnaissance
acquis de ses expériences multiples, enracine, que ce soit au niveau des per-
Claire Héber-Suffrin est une de ces sonnes ou des collectifs, la puissance de
éclaireuses-traductrices, capables à la la réciprocité » (p. 168). Le chapitre
fois de prendre et de donner la parole final éclaire la reconnaissance comme
pour briser les silences d’émission et les chemin/mouvement d’humanisation
difficultés de réception. Elle est une réciproque : «La reconnaissance, com-
médiatrice-clé pour relier ces expé- me fondement de coéducation et de
coévolution; la reconnaissance, force
d’humanisation commune et récipro-
que » (p. 183-186). Brise le silence.
Melkior Capitolin

Si vous n’avez que peu de temps et si Histoire de vie régénérante.


vous voulez cependant intuitionner la paris, L’Harmattan, novembre 2020,
puissance transformatrice de la recon- 138 p.
naissance, je vous conseille les huit der-
nières pages d’échanges de lettres entre J’ai lu et relu Brise le silence, dont
Cindy et Claire (p. 187-195). Elles sont Gaston pineau a écrit la préface, en sou-
intitulées «Envoi» mais ce pourrait être lignant l’originalité de la contribution de
«envol» : «La reconnaissance fait partie l’auteur au courant des histoires de vie.
de la relation comme le battement L’ouvrage de Melkior, dit-il, «retentit de
d’ailes du papillon fait partie du mouve- corps, de cris, de bégaiements, de silen-
ment de la nature et met toute la nature ce, de blancs et de noirs. non seulement
en mouvement» (p. 188). il va jusqu’à la mort, mais il est plein de
Les battements de cœur de Claire et des morts vivant en lui. » Martine Lani-
personnes aux prises avec la reconnais- Bayle, dans sa postface, décèle dans le
sance de chemins déjà engagés d’huma- texte de Melkior les éléments d’une his- 229
nisation cocitoyenne, libèrent la puis- toire de vie générante, établissant une
sance d’esprit enfouie d’autant plus pro- correspondance symbolique entre des

n° 227/2021-2
fondément dans les mots que ces der- générations séparées par le temps et
niers concentrent du sens. Ces batte- dévoilant l’histoire comme régénérante.
ments m’ont fait revivre le « re » de Elle demande au lecteur quel réveil il a
reconnaissance comme préfixe produc- ressenti à la lecture de ces pages.

EduCaTIon pERManEnTE
teur de «deux chefs-d’œuvre morpho- C’est bien un réveil qui me surprend en
génétiques de l’organisation vivante : entendant les résonances de cet ouvrage,
l’autoproduction de la qualité de sujet et avec ce qui, dans ma propre histoire, est
la production d’un autre être» (Morin, resté dans le silence. Résonnent toutes
La vie de la vie, p. 346). La re-connais- les questions qui ont surgi, sous des
sance produit non seulement des formes variées, au long de mon histoire,
connaissances nouvelles et des sens dans mes rêveries et mes croyances, se
nouveaux, mais aussi la naissance de rapportant à ce que René Girard a écrit
sujets nouveaux. Le redoublement de sur Les choses cachées depuis la fonda-
cette puissance générée par une recon- tion du monde. des questions sans
naissance réciproquante crée de nou- réponse sur les sources du monde et de
veaux chemins de vie, ou de «valorisa- la vie, plus particulièrement sur celles de
tion infinie de l’existence » (VIE), s’il ma vie et de ses transformations, sur
faut créer des sigles pour concentrer du celles des divers lieux et des personnes
sens. Merci Claire de nous faire partager qui m’ont accueilli. au plus profond de
ce voyage de VIE. moi, des questions sur mon âme et sur
Gaston Pineau. celle des autres autour de moi. La lectu-
re des pages de Melkior me surprend qu’est Christian Bobin. des citations
dans le réveil d’une spiritualité assoupie. jalonnant tout l’ouvrage comme pour
Les échos de son âme en quête de lui- indiquer un cheminement spirituel.
même résonnent avec les mouvements Je me sens tellement concerné par cette
spirituels de mon âme façonnant mon forme d’histoire de vie exposée dans
histoire. des morceaux épars d’existen- Brise le silence que je ne manquerai pas
ce viennent, par instants, en éclairer la de la relire. Cette histoire de vie résonne
trajectoire en en décelant le sens. et rayonne de la force inouïe d’une âme
Il s’agit non pas d’une histoire de vie universelle en création.
chronologique racontant une succession Bernard Honoré.
d’événements et de situations se rappor-
tant à lui-même et à ses ancêtres, mais de Enjeux de l’explicitation
l’histoire d’un bruissement de sensa- et de ses pratiques dans la formation.
tions, d’émotions, de sentiments qui les Chemins de formation,
accompagnent dans le silence inquiétant n° 23, janvier 2021.
de l’inconnu. un bruissement qui révèle
l’historialité du parcours vital et spirituel La référence à l’explicitation dans les
230 de l’auteur depuis le fond de cale de l’es- pratiques de formation se présente un
clave jusqu’à la régénération humaine à enjeu déterminant de l’apprentissage. En
l’approche de la mort. par la succession formation des adultes, l’usage de l’expli-
n° 227/2021-2

des mots qui lui viennent à l’esprit, citation a notamment été popularisé par
Melkior me parle de l’élaboration du les travaux de Vermersch. par rapport à
sens de sa vie par-delà tous les silences l’expérience vécue, une part importante
qui la bordent. des mots qui s’enchaî- des connaissances et des procédures
EduCaTIon pERManEnTE

nent hors de tout système de pensée et mises en jeu reste implicite ; tirer la
dont la mise en présence me rappelle ce leçon d’une expérience, c’est expliciter
que Kierkegaard a cherché à exprimer par la verbalisation ce qui la constitue,
dans Crainte et tremblement – un texte en donnant une description détaillée de
qu’il signe Johannes de Silentio (Jean le ces connaissances et de ces procédures
Silencieux) – dans sa méditation sur la « en acte ». Mais de quoi s’agit-il au
foi au stade religieux de l’existence. fond ? Qu’est-ce qui caractérise une telle
dans le texte de Melkior, je ne trouve démarche à travers ses différents
pas de mots se rapportant au sens reli- champs d’application, ses référentiels
gieux de son existence. Juste une rapide théoriques ou méthodologiques contras-
évocation de sa fréquentation de la tés ? En quoi et pourquoi peut-elle
messe avec un ami, et du Cercle, asso- constituer un enjeu de formation initiale
ciation pour adolescents chrétiens de la ou continue ? Quels sont les acteurs de
ville. Silence sur ce que la foi lui fait l’explicitation ? Sur quels objets la font-
éprouver. Mais un silence comblé par les ils porter ? Selon quelle méthodologie ?
citations de ce penseur-poète chrétien
de l’apprenant et de ses motivations aux
Sébastien Fleuriel et al. (dir. publ.). dispositifs et techniques pédagogiques,
Ce qu’incorporer veut dire. mais aussi au travers des modalités pré-
Lille, presses universitaires cises d’action. Comment aider les autres
du Septentrion, février 2021, 284 p. à apprendre et se développer ? destiné
aux formateurs, animateurs et ensei-
La notion d’incorporation se réfère à gnants pour adultes, mais aussi à toute
l’idée d’une inscription du social dans personne engagée dans une action de
les corps. Bien qu’introduisant une rup- développement des autres, ce guide pro-
ture fondamentale avec les théories clas- pose un ensemble de théories et de
siques de l’action, elle a paradoxalement concepts éclairants pour la pratique for-
été peu discutée dans ses soubassements mative ainsi que des méthodologies et
philo-sophiques, comme dans ses impli- outils applicables en situation. Le tout
cations méthodologiques et empiriques. est illustré par des exemples concrets
Cet ouvrage à plusieurs voix entend puisés dans des formations aux théma-
explorer ce qu’incorporer veut dire en tiques psychosociales, techniques ou
envisageant la question à différentes sportives. Cette nouvelle édition présen-
échelles d’analyse et d’instanciation. Il te de nouveaux développements concer- 231
s’agit d’abord de revenir sur la genèse nant la question de l’hétérogénéité des
du concept d’incorporation en le situant groupes et les raisons d’être en groupe,

n° 227/2021-2
dans l’espace des théories de l’action, les rythmes en formation ainsi que les
avec et contre lesquelles il s’est dispositifs qui mélangent travail et for-
construit. Il s’agit ensuite d’avancer mation. Elle s’est enrichie également de
dans la saisie des contextes et média- nouveaux exemples et fiches outils.

EduCaTIon pERManEnTE
tions qui conduisent concrètement à
incorporer le monde social. C’est en
tenant ensemble ce double mouvement
Hervé Prévost, Marie-Claude Bernard,

de réflexion que l’ouvrage propose un Histoires de vie et récits en formation.


Davide Lago

horizon d’investigation permettant de Pratiques sociales et démarches personnelles.


mieux appréhender la façon dont le Lyon, Chronique sociale, mars 2021.
social habite les corps, s’incarne en eux.
Clarifier les nuances entre l’histoire de
vie et les différentes formes possibles de
Comment favoriser l’apprentissage récits doit permettre de mieux com-
Cédric Danse, Daniel Faulx

et la formation des adultes ? prendre les enjeux et les ressorts de


paris, de Boeck, février 2021, 352 p. démarches encore mal connues. Si les
dimensions épistémologiques des
Ce guide fournit des clés de référence et termes renseignent sur les nuances, les
d’approfondissement pour toutes les objets et les recherches associés, elles
questions soulevées par l’organisation cachent aussi la diversité des finalités
d’une formation : de la compréhension axologiques et éthiques des démarches
interpellant l’existence. Cet ouvrage
présente les usages contemporains des
récits de vie en formation d’adultes en Lettre aux professeurs
François Héran

situant leurs ancrages théoriques. par sur la liberté d’expression.


l’exposition de pratiques réfléchies pro- paris, La découverte, mars 2021, 252 p.
venant des champs de l’éducation, de la
formation et de l’intervention sociale, deux semaines après l’assassinat de
les auteurs proposent de caractériser et Samuel paty, François Héran publiait,
de mettre au jour les dispositifs de for- dans La vie des idées, une «lettre aux
mation et de recherche-action qui mobi- professeurs». Ce texte ayant beaucoup
lisent les récits de vie dans une visée circulé, et suscité quelques vives réac-
compréhensive et émancipatoire. tions, l’auteur en développe ici les argu-
ments. Les caricatures qui désacralisent
L’expérience dans les pratiques le religieux sont-elles sacrées ? La diffu-
d’accompagnement et de conseil sion des caricatures est-elle indépendan-
des adultes. te de l’État ? Comment la liberté de con-
L’orientation scolaire et professionnelle, science et la liberté d’expression ont-
232 n° 50, mars 2021. elles évolué depuis 1789 ? peut-on
outrager les croyances sans outrager les
au carrefour entre travail, formation, croyants ? Qu’en est-il au sein des éta-
n° 227/2021-2

développement des personnes et des blissements scolaires ? dans son hom-


parcours de vie, les pratiques d’accom- mage à l’enseignant, Emmanuel Ma-
pagnement et de conseil destinées aux cron défendait les caricatures, tout en
adultes ont fait de l’expérience une appelant à revoir l’enseignement de
EduCaTIon pERManEnTE

notion centrale. depuis une vingtaine l’histoire, à combattre les discrimina-


d’années, cette notion s’est retrouvée tions, à pratiquer le respect mutuel.
sur le devant de la scène avec la promo- François Héran le prend au mot et s’at-
tion de dispositifs tels que la validation taque, avec des arguments percutants, à
des acquis de l’expérience, le conseil en ceux qui nient l’existence de l’islamo-
évolution professionnelle et, plus phobie, du racisme structurel et des dis-
récemment, l’action de formation en criminations systémiques. C’est dans ce
situation de travail. dans les pratiques déni que se loge la véritable cancel cul-
de gestion des ressources humai-nes, ture, note-t-il avec malice. Implacable et
d’accompagnement à l’emploi, d’orien- vif, pédagogique et précis, cet essai
tation et d’accompagnement des par- récuse les tentations extrêmes. Sa
cours professionnels, mais également méthode : mettre en balance les grands
dans les pratiques de formation, la prise principes avec discernement. Sa philo-
en compte de l’expérience semble liée à sophie : recréer le lien social autour de la
l’émergence d’un nouveau paradigme... règle d’or du respect réciproque.
les syndicats peinent à se saisir des ques-
Hervé Breton (dir. publ.). tions essentielles pour l’avenir : transi-
Narrer l’expérience pour accompa- tion écologique, intensification numé-
gner les parcours d’apprentissage. rique, nouveaux statuts d’emploi... Face
paris, Téraèdre, mars 2021. à ce constat de faillite, la démocratie a
besoin d’une refondation de l’action
Cet ouvrage est destiné aux chercheurs, syndicale qui permette de conjuguer
formateurs et décideurs engagés dans le efficacité économique et justice sociale.
portage et la structuration de dispositifs au terme d’une expérience de quarante
de formation et qui souhaitent intégrer années en tant qu’acteur des politiques
les approches narratives dans les dispo- d’emploi, d’insertion et de formation
sitifs et les pratiques d’accompagne- professionnelle, paul Santelmann analy-
ment mis en œuvre dans le domaine de se sans langue de bois les causes de l’as-
la formation par alternance. Il résulte sèchement syndical et pose les jalons de
d’une recherche-action-formation avec ce que devra être une action syndicale
les formateurs, ingénieurs de formation reprenant sens et légitimité pour mettre
et cadres du Campus des métiers et de le travail au cœur d’une nouvelle ambi-
l’artisanat d’Indre-et-Loire. tion sociale. 233

n° 227/2021-2
Travail et ambition sociale.
Paul Santelmann Yves Clot, Jean-Yves Bonnefond,

Le prix du travail bien fait.


Antoine Bonnemain, Mylène Zittoun
Plaidoyer pour une refondation
du syndicalisme. La coopération conflictuelle dans
Rouen, L’autre face, avril 2021.

EduCaTIon pERManEnTE
les organisations.
paris, La découverte, avril 2021.
pourquoi le syndicalisme français s’est-
il divisé à ce point ? pourquoi est-il si Réhabiliter le conflit pour améliorer la
éloigné des salariés et des chômeurs les qualité du travail : la proposition n’est
moins qualifiés ? pourquoi les syndicats contradictoire qu’en apparence. Yves
sont-ils si peu influents dans les poli- Clot et ses collègues montrent, à partir
tiques d’emploi ou de formation profes- de l’action, comment le conflit autour
sionnelle ? pourquoi ne parviennent-ils de la qualité du travail peut devenir une
pas à faire valoir le point de vue des méthode de coopération dans les orga-
salariés dans les mutations du travail ? nisations. C’est à ce prix que le travail
pourquoi sont-ils assimilés à la sphère bien fait est possible, à ce prix aussi
institutionnelle et confrontés à la défian- qu’une écologie du travail devient cré-
ce des jeunes ou des gilets jaunes ?... dible. on peut rendre sa souveraineté au
avec 8,5 % d’adhérents dans le secteur travail contre tout ce qui mine la fierté
privé et moins de 20 % dans le secteur de l’acte professionnel en l’écartant de
public, le désaveu est manifeste. la boucle de décision. Ce livre explique
Englués dans des divisions mortifères, comment s’y essayer en instituant la
coopération conflictuelle entre les sala- crit dans une dynamique qui voit
riés et avec leur hiérarchie. C’est la qua- poindre sous les conduites à projet des
lité du travail qui rassemble. dans un cultures de projet. Jean-pierre Boutinet
monde saturé de conflits, le conflit de définit ce qu’il faut entendre par ces
critères autour de la qualité du travail deux notions. Il explicite ce qu’il en est
n’a pourtant pas droit de cité, laissant le de la méthodologie du projet et de ses
travail « ni fait ni à faire » nous abîmer dérives, de l’élaboration de celui-ci jus-
et abîmer la planète. qu’à son évaluation, en passant par sa
réalisation, sans oublier de prendre en
compte les trois paramètres essentiels,
Les compétences psychosociales. constitutifs de toute situation à projet :
Béatrice Lamboy

Grenoble, presses universitaires, l’espace, le temps et les acteurs.


mars 2021, 102 p.
Anne-Marie Costalat-Founeau (dir. publ.).
Les compétences psychosociales sont La capacité d’action, un moteur
reconnues aujourd’hui comme un déter- de la transition professionnelle.
minant majeur de la santé, du bien-être Toulouse, érès, mai 2021, 200 p.
234 et de la réussite éducative. Mais que
sont-elles réellement ? Quelles sont À partir de situations concrètes et de
celles qui sont validées par les spécia- réflexions théoriques, l’ouvrage illustre
n° 227/2021-2

listes ? pourquoi sont-elles si impor- le concept de « capacité d’action »,


tantes ? Grâce à l’analyse des pro- puissant régulateur de l’identité profes-
grammes admis par la recherche scienti- sionnelle et de ses évolutions dans une
fique et l’apport des derniers modèles société en constant changement. Les
EduCaTIon pERManEnTE

théoriques en psychologie, onze compé- auteurs montrent l’importance de la


tences-clés ont pu être identifiées. dynamique identitaire et de la capacité
présentées dans cet ouvrage, elles favo- d’action pour (re)construire un projet
risent le développement harmonieux de professionnel, quel que soit le contexte
la personne, à tous les âges de la vie. personnel ou social des sujets. L’action
met en relation la connaissance et les
capacités propres, les valeurs et les aspi-
Psychologie des conduites à projet. rations, les représentations, les émotions
Jean-Pierre Boutinet

paris, puf, mars 2021, 128 p. et la possibilité de reconnaissance indi-


viduelle et sociale. Les études présen-
Comment pense-t-on son devenir ou tées restituent une réalité vivante de
celui d’une collectivité ? par le projet, à situations complexes. des perspectives
travers lequel nous concrétisons nos nouvelles se trouvent dessinées pour
intentions et les communiquons à notre l’accompagnement et la formation des
environnement, que nous laissons juge personnes amenées à vivre des transi-
de leur contenu. Ce recours obligé au tions sociales et/ou professionnelles,
projet dans nos vies quotidiennes s’ins- contraintes ou choisies. u
AG E N DA

Faire et se faire Neurosciences : faire collaborer

22 au 25 septembre 2021
enseignants et chercheurs
25 et 26 octobre 2021
Lieu : ICP, 21 rue d’Assas, 75006 Paris.
Lieu : Angers, Palais des Congrès.
L’édition 2021 de la Biennale de l’éduca-
Organisé par le Groupe de recherche en
tion, de la formation et des pratiques pro-
neurosciences cognitives et éducation , le
fessionnelles donnera à voir des recherches
colloque a pour objectif de faire dialoguer
et des expériences liant ce qui se passe du
conférenciers et praticiens de l’apprentissa-
côté de la construction des sujets en activité
235
ge et de présenter les premières expé-
et du côté de la construction de leurs activi-
riences de collaboration entre les cher-
tés. Elle s’intéressera notamment à la cons-

n° 227/2021-2
cheurs et les praticiens, entre neurosciences
truction des expériences, des gestes, des
cognitives, pédagogie et didactique.
arts de faire, des habitudes d’activité, des
tours de main, de toutes les formes d’ap-
https://colloqueinternationalneuros-

EDUCATION PERMANENTE
prentissage par et dans l’action, et plus lar-
ciences.site.calypso-event.net/
gement à la construction des identités
dans/par les champs de pratiques. Les
expériences et les recherches présentées
relèveront de tous les métiers de l’humain
11e Conférence de psychologie

et, sur le plan disciplinaire, des sciences de


ergonomique
l’éducation, des sciences de l’information 6 au 9 juillet 2021
et de la communication, de la psychosocio-
logie, de la psychologie et de la sociologie Lieu : Université de Lille.
clinique, des sciences des activités phy-
Le colloque ambitionne de rassembler la
siques et sportives, des sciences de gestion,
communauté des praticiens, des chercheurs
des travaux philosophiques centrés sur les
et des enseignants/formateurs en ergono-
champs de pratiques.
mie, mais aussi en psychologie du travail,
Informations : médecine, ingénierie et toute autre discipli-
www.labiennale-education.eu ne concernée par l’adaptation des moyens,
Contact : des méthodes et des milieux de travail et de
contact@labiennale-education.eu vie, ainsi que par la conception de systèmes
qui puissent être utilisés avec le maximum Après Dijon (2009), Nantes (2012), Caen
de confort, de sécurité et d’efficacité par le (2014), Lille (2017) et Montréal (2019), la
plus grand nombre. Ces colloques ont pour 6e édition du Colloque international de
objectif de favoriser les échanges, la recon- didactique professionnelle sera hébergée
naissance et la diffusion de travaux de par la Haute école de travail social et de la
recherche, de connaissances, mais aussi de santé, à Lausanne, en partenariat avec
pratiques professionnelles et d’expériences l’équipe Interaction et formation de l’Uni-
de terrain portant sur le travail, la santé des versité de Genève et l’association Recher-
personnes, et l’amélioration des outils et che et pratiques en didactique profession-
des organisations, ainsi que sur les activités nelle. Le colloque rendra hommage aux
extraprofessionnelles. pionniers de la didactique professionnelle à
l’occasion du trentième anniversaire de sa
http://epique2021.sciencesconf.org création, de questionner les interfaces de la
didactique professionnelle avec d’autres
approches, d’apporter de la visibilité aux
réalités locales de la formation profession-
Entre travail et formation :
nelle et de favoriser la présence et les
regards croisés sur les questions
contributions des professionnels engagés
actuelles de la formation
dans les divers environnements de la for-
236 professionnelle
mation.
15 au 17 juin 2022
n° 227/2021-2

https://www.hetsl.ch/evenements/detail/
Lieu : Lausanne, Haute école de travail 6e-colloque-international-de-didactique-
social et de la santé. professionnelle/
EDUCATION PERMANENTE
DERNIERS DOSSIERS PARUS
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N° DATE TITRE DU DOSSIER

196 2013-3 Réflexivité et pratique professionnelle (Construire l’expérience, 1)


197 2013-4 Travail et développement professionnel (Construire l’expérience, 2)
198 2014-1 Formation expérientielle et intelligence en action (Construire l’expérience, 3)
199 2014-2 Education non formelle et apprentissages tout au long de la vie
200 2014-3 S’étonner pour apprendre
201 2014-4 Education permanente et utopie éducative
202 2015-1 Travail et créativité
203 2015-2 Repenser la pédagogie en formation d’adultes
204 2015-3 Conception et activité du formateur
205 2015-4 Accompagnement, réciprocité et agir collectif
206 2016-1 Le tutorat : quelles pratiques pour quels enjeux ?

n° 227/2021-2
207 2016-2 Autour de l’apprenance
208 2016-3 Apprendre à évaluer
209 2016-4 Transmettre

Education pErmanEntE
210 2017-1 Commencements et recommencements
211 2017-2 Voyage, mobilité et formation de soi
212 2017-3 Les dynamiques identitaires à l’épreuve des transitions
213 2017-4 Politiques de l’emploi et formation
214 2018-1 Actualité de l’intervention
215 2018-2 Autoformation et société de l’accélération
216 2018-3 Apprendre et se former en situations de travail
217 2018-4 Rythmes et temporalités en formation
218 2019-1 Quelle reconnaissance des compétences transversales ?
219 2019-2 Le numérique, une illusion pédagogique ?
220/221 2019-3/4 Former demain : utopies, tendances, enjeux (spécial 50 e anniversaire)
222 2020-1 Narration du vécu et savoirs expérientiels
223 2020-2 L’introuvable qualité en formation
224 2020-3 Formation et prévention des risques au travail
225 2020-4 Croisement des savoirs et recherches coopératives
226 2021-1 Questions en revue : travail, numérique, accompagnement
Dossiers thématiques en préparation :

Didactiques des disciplines


et didactique professionnelle
(dir. : raquel Becerril-ortega, Jean François métral, Lucie Vadcard)

Actualité de l’analyse institutionnelle


(dir. : Gilles monceau)

Aller voir le travail


(dir. : Joris thievenaz)

care et formation
238
(dir. : michel parlier, pascale molinier)
n° 227/2021-2
Education pErmanEntE
BULLETIN D’ABONNEMENT

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r
r
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règlement à réception de facture (joindre un bon de commande)

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EDUCATION PERMANENTE
est publiée en partenariat avec le Conservatoire national des arts et métiers.

Directeur de la publication : Guy Jobert – Achevé d'imprimer en juin 2021 – Corlet


Imprimeur SA , 14110 Condé-sur-Noireau – Numéro d'imprimeur : 78729 ISSN :
0339-7513 – CPPAP : 1223G85820 – Dépôt légal : 2e trimestre 2021
MATTHIEU CHARNELET
Le développement des compétences, c’est d’abord l’affaire du chef d’entreprise
EMMANUELLE BEGON, YVON MINVIELLE
Intentions et attentions pour développer une culture d’accompagnateur en AFEST
LAURENT DUCLOS, JEAN-YVES KERBOURC’H
Régime juridique de l’AFEST : une nouvelle image du droit de la compétence
SALIMA RAIRI, ANNE-LISE ULMANN
De l’expérimentation à la généralisation : les AFEST au milieu du gué ?
MATHIEU CARRIER
La place du financeur dans l’essor de l’AFEST
MARIE-HÉLÈNE DELOBBE
L’AFEST dans la branche des services de l’automobile
CATHERINE BISSEY
Travail et formation : un accord retrouvé autour de la FEST ?
THÉOPHILE BASTIDE
La formation en situation de travail, substrat possible de la coopération ?
SOPHIE AUBERT
Une ingénierie pédagogique et politique pour pérenniser les dispositifs de formation
CÉLINE RÖSSLI, OLIVIA BERTHELOT
Le pouvoir de l’éprouvé et les limites d’un process expérimental
PAUL SANTELMANN
Quelles intentions et quelles méthodes pour les AFEST ?
CATHERINE BACARRÈRE
Trans’Faire, ou le transfert des savoir-faire chez Thales
FABIENNE CASER
Les AFEST, véhicules de l’amélioration des conditions de travail
SANDRA ENLART
La situation de travail, antidote aux écueils de la compétence
SOLVEIG GRIMAULT
L’AFEST comme hypothèse de réingénierie de la fonction accompagnement
à la création d’entreprise
JEAN-CLAUDE DUPUIS
Activer l’investissement formation en attendant une nouvelle « révolution » comptable
ELSA BONAL
Apprendre à agir comme on le fait : un déjà-là travaillé en formation

JEAN-MARIE LUTTRINGER
Le modèle français de formation professionnelle : un système flexible
en perpétuelle mutation
revue publiée en
partenariat avec

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