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Chapitre 5

Théorème du changement de variables

Le but du chapitre est de démontrer


� le résultat
� suivant.�On munit Rd de sa tribu de Lebesgue et de la mesure
de Lebesgue. On désignera par f dm, f (y)dy ou f (x)dx l’intégrale d’une fonction f : Rd → [0, +∞]
E E E
ou C sur une ensemble E ⊂ Rd , par rapport à la mesure de Lebesgue.
Théorème 5.0.1 (du changement de variables). Soient U et V deux ouverts de Rd , ϕ : U → V un
difféomorphisme de classe C 1 . Soit J : U → R le déterminant Jacobien de ϕ. Alors
(1) Pour tout E ⊂ U mesurable, ϕ(E) est mesurable, et

m(ϕ(E)) = |J(x)|dx.
E

(2) Si f : V → [0, +∞] est mesurable, alors f ◦ ϕ(·) × |J(·)| : U → [0, +∞] l’est, et
� �
f (y)dy = f (φ(x))|J(x)|dx.
V U

(3) Pour tout f : V → C mesurable, f est sommable ssi f ◦ ϕ(·) × |J(·)| : U → C est sommable, et si c’est
le cas � �
f (y)dy = f (φ(x))|J(x)|dx.
V U

5.1 Problèmes de mesurabilité


5.1.1 Images Lipschitziennes d’ensembles négligeables
Définition 5.1.1. Soit X ⊂ Rd et ϕ : X → Rd un application. On dit que ϕ est Lipschitzienne sur X si il
existe 0 < C < +∞ telle que
�f (x) − f (y)� ≤ C�x − y�, ∀x, x� ∈ X,
où �·� est l’une quelconque des normes sur Rd .
Remarque : toutes les normes sont équivalentes sur Rd , donc si une fonction est Lipschitzienne pour une
norme, elle l’est pour toute. Dans notre cas on a tout intérrêt à considérer la norme

�x� = max |xi |,


i=1...d

pour laquelle les boules sont des pavés, et même des cubes.

41
42 CHAPITRE 5. THÉORÈME DU CHANGEMENT DE VARIABLES

Lemme 5.1.2. Soit N ⊂ Rd négligeable, et ϕ : N → Rd une application lipschitzienne. L’ensemble ϕ(N ) est
négligeable.

Remarque 1 : résultat faux si les espaces de départ et d’arrivée de ϕ sont de dimension distinctes. par
exemple si F ⊂ R est non mesurable, N = F × {0} ⊂ R2 est négligeable, et ϕ : R2 → R définie par ϕ(x, y) = x
vérifie ϕ(N ) = F ∈/ L(R).
Remarque 2 : le résultat est vrai pour les applications localement Lipschitziennes (exo). En particulier
l’image directe d’un ensemble négligeable par une application de classe C 1 de Rd dans Rd , est négligeable.
Démonstration. Soit C la constante de Lipschitz de ϕ. Soit Q ⊂ Rd un cube borné, de côté r > 0. Pour tout
x, x� ∈ N ∩ Q, on a
�ϕ(x) − ϕ(x� )� ≤ C�x − x� � ≤ Cr.
ϕ(N ∩ Q) est donc inclus dans une boule pour �·� de rayon Cr, c’est-à-dire un cube de côté 2Cr. Donc

m∗ (ϕ(N ∩ Q)) ≤ (2Cr)d = (2C)d m(Q), ∀Q cube. (5.1)

Soit ε > 0. Comme N est négligeable, il existe un ouvert U contenant N tel que m(U ) < ε. C’est ouvert est
une union disjointe de cubes Qn dyadiques. Donc

m∗ (ϕ(N )) = m∗ (ϕ(∪n N ∩ Qn )) = m∗ (∪n ϕ(N ∩ Qn ))


� �
≤ m∗ (ϕ(N ∩ Qn )) ≤ (2C)d m(Qn ) = (2C)d m(U ) < (2C)d ε, cqdf. (5.2)
n n

Corollaire 5.1.3. Tout sous-espace vectoriel strict de Rd est négligeable.

Démonstration. Un tel espace est l’image de Rk × {0}� (k + � = d, k < d) par une application linéaire. Or
Rk × {0}� est un pavé de mesure nulle, et une application linéaire est lipschitzienne, cqfd.

5.1.2 Image d’un borélien par homéomorphisme


Proposition 5.1.4. Soit U, V ⊂ Rd ouverts et ϕ : U → V un homéomorphisme. Pour tout E ⊂ U borélien,
ϕ(E) est un borélien.

Démonstration. Soit ψ = ϕ−1 . Comme ψ est continue, on a ϕ(E) = ψ −1 (E) ∈ B(Rd ).

5.1.3 Image d’un ensemble mesurable par difféomorphisme


Proposition 5.1.5. Soit U, V ⊂ Rd ouverts et ϕ : U → V un difféomorphisme de classe C 1 . Pour tout
E ⊂ U mesurable, ϕ(E) est mesurable.

Démonstration. On écrit E = B ∪ N , où B est borélien et N négligeable. On a

ϕ(E) = ϕ(B) ∪ ϕ(N ).

Comme ϕ est un homéomorphisme, ϕ(B) est un borélien. Il suffit donc de montrer que ϕ(N ) est de mesure
nulle.
Soit P ⊂ U un cube relativement compact. Comme dϕ est continue sur le compact P , elle est bornée.
Par l’inégalité des accroissements finis, ϕ est Lipschitzienne sur P . En particulier, ϕ(N ∩ P ) est négligeable.
Comme U est une union dénombrable de tels cubes P , ϕ(N ) est négligeable.
5.2. CHANGEMENTS DE VARIABLES LINÉAIRES 43

5.1.4 Mesurabilité de f ◦ ϕ
Proposition 5.1.6. Soient U et V deux ouverts de Rd et ϕ : U → V un difféomorphisme de classe C 1 . Si
f : V → [0, +∞] ou C est mesurable, alors f ◦ ϕ l’est.

Démonstration. Il s’agit de voir que l’image réciproque d’un ensemble mesurable par ϕ est mesurable. Soit
E ⊂ V mesurable. Écrivons E = B ∪ N avec B borélien et N négligeable. On a

ϕ−1 (E) = ϕ−1 (B) ∪ ϕ−1 (N ).

Le premier ensemble est un borélien puisque ϕ est continue. Le second est négligeable puisque ϕ −1 est de
classe C 1 .

5.2 Changements de variables linéaires


Théorème 5.2.1 (de changement de variables linéaire pour les ensembles). Soit A : Rd → Rd une application
linéaire inversible. Pour tout E ∈ L(Rd ), m(A(E)) = | det A|m(E).

Remarque : le résultat est trivialement vrai si A n’est pas inversible. Dans ce cas A(E) ⊂ Im(A), qui est un
sous-espace vectoriel strict, donc de mesure nulle.

Démonstration. Pour tout E ∈ L(Rd ) on pose

µ(E) := m(A(E)).

Ceci est bien défini puisque A est en particulier un difféomorphisme de classe C 1 , donc A(E) est bien mesurable.
µ est bien une mesure : c’est la mesure image de m par A−1 .
Pour tout x ∈ Rd , pour tout E ∈ L(Rd ), A(x + E) = A(x) + A(E), puisque A est linéaire. Donc

µ(x + E) = m(A(x) + A(E)) = m(A(E)) = µ(E),

ce qui prouve que µ est invariante par translation.


Enfin, A(K) est compact si K l’est, puisque A est continue. Donc µ(K) = m(A(K)) < +∞ pour tout K
compact.
Par le théorème d’unicité de la mesure de lebesgue, il existe c(A) ≥ 0 telle que

m(A(E)) = c(A)m(E) ∀E ∈ L(Rd ).

Si A et B sont deux applications linéaires inversibles sur Rd on a donc

m(AB(E)) = c(AB)m(E) = c(A)m(B(E)) = c(A)c(B)m(E), ∀E ∈ L(Rd ),

ce qui prouve que c(AB) = c(A)c(B).


Utilisons la décomposition polaire et écrivons A = P DQ, avec P et Q othogonales et D diagonale à
coefficients strictement positifs. En choisissant pour E la boule euclidienne unité, et en remarquant que
P (E) = Q(E) = E, on voit que c(P ) = c(Q) = 1. Si λ1 , . . . , λd > 0 sont les coefficients diagonaux de D, on a

c(A) = c(D) = m(D([0, 1]d )) = m([0, λ1 ] × · · · [0, λd ]) = λ1 · · · λd = det(D) = | det(A)|, cqfd.


44 CHAPITRE 5. THÉORÈME DU CHANGEMENT DE VARIABLES

5.3 Changements de variables non linéaires


On fixe U, V ouverts de Rd , ϕ : U → V un difféomorphisme de classe C 1 .

5.3.1 Réduction du problème


Proposition 5.3.1. Il suffit de montrer (1) pour tout cube dyadique relativement compact dans U .

Démonstration. Pour tout E ⊂ U mesurable posons



µ(E) = m(ϕ(E)), ν(E) = |J(x)|dx.
E

Ce sont des mesures sur (U, B(U )) (la première est une mesure image, la seconde une mesure à densité).
On sait donc que µ et ν coı̈ncident sur les ouverts de U (lemme de Whitney). Donc elles sont égale sur les
Boréliens (théorème d’unicité des mesures). Or on a déjà vu qu’elles coı̈ncident sur les ensembles négligeables,
cqfd.

5.3.2 Lemme technique


Soit P ⊂ U un cube dyadique relativement compact. Soit || · || la norme du sup. Pour Q ⊂ P cube dyadique,
soit xQ le centre et �(Q) le côté de Q.

Lemme 5.3.2. Pour tout ε > 0, il existe η > 0 tel que pour tout Q ⊂ P dyadique tel que �(Q) ≤ η,

m(ϕ(Q))
(1 + ε)−1 |J(xQ )| ≤ ≤ (1 + ε)|J(xQ )|
m(Q)

Démonstration. L’uniforme continuité de dϕ sur P permet de trouver η > 0 tel que pour tout x, x� ∈ P
vérifiant ||x − x� || < η,
ϕ(x) = ϕ(x� ) + dϕ(x� ) · (x − x� ) + ε(x, x� )||x − x� ||,

avec ||ε(x, x� )|| < ε. En effet, la formule de Taylor avec reste donne
� 1
� � �
ϕ(x) = ϕ(x ) + dϕ(x ) · (x − x ) + (dϕ((1 − t)x� + tx) − dϕ(x� )) · (x − x� )dt.
0

Soit R est le cube pour �·� de centre 0, de côté (1 + Cε)l(Q), où C est la borne sup de �dϕ−1 � sur P . On a
pour tout cube Q ⊂ P dyadique de côté ≤ η,

ϕ(Q) ⊂ ϕ(xQ ) + dϕ(xQ )(R),

donc
m(ϕ(Q)) ≤ m(ϕ(xQ ) + dϕ(xQ )(R)) = |det(J(xQ )|m(R) = (1 + Cε)d |J(xQ )|m(Q).

On obtient l’autre inégalité en utilisant l’uniforme continuité de dϕ−1 .


5.4. PREUVE DU THÉORÈME DE CHANGEMENT DE VARIABLES 45

5.3.3 Conclusion
Soit 2−N le côté de P . Pour tout n ≥ N soit Fn la famille (finie) des cubes dyadiques de côté 2−n partitionnant
P . Soit
� m(ϕ(Q))
fn = 1Q .
Q∈F
m(Q)
n

Le lemme donne que fn converge simplement vers |J| sur P . De plus comme ϕ est Lipschitzienne sur P , les
d
fn sont uniformément
� bornés (par
� C , si C est� la constante de Lipschitz). Par le théorème de convergence
dominée, fn dm converge vers |J|dm. Or fn dm est constante puisque
P P P
� �
fn dm = m(ϕ(Q)) = m(ϕ(P )), cqfd.
P Q∈Fn

5.4 Preuve du théorème de changement de variables


Nous venons d’établir (1).
(1) ⇒ (2) : (1) est équivalent à (2) pour les fonctions indicatrices. Par linéarité, (2) est donc vraie pour les
fonctions étagées, et on conclut par convergence monotone.
(2) ⇒ (3) : d’après (2), � �
|f (y)dy = |f (ϕ(x))J(x)|dx,
V U

ce qui prouve que ϕ est sommable sur V ssi f ◦ ϕ(·)|J(·)| l’est sur U . En appliquant alors (2) aux parties
positives et négatives des parties réelles et imaginaires de f on obtient (3).
Exemple 1 : le changement de variable classique en dimension 1. soient I =]a, b[ et J =]c, d[ deux interalles
ouverts et ϕ : I → J un difféomorphisme de classe C 1 . C’est une application continue et bijective de I dans
J, donc strictement monotone (théorème des valeurs intermédiaires). Soit f : J → C sommable sur J. On a
� d � b
f (y)dy = f (ϕ(x))ϕ� (x)dx
c a

si ϕ est croissante, et � �
d b
f (y)dy = − f (ϕ(x))ϕ� (x)dx
c a
si elle est décroissante.
Exemple 2 : Soit f : R → [0, +∞] mesurable. On a
� �
f (x)dx = f (x − 1/x)dx.
R R∗

L’équation y = x − 1/x (y ∈ R) a deux racines qui sont


� �
y + y2 + 4 y − y2 + 4
x+ = , x− = .
2 2
La fonction x+ est un difféo. de classe C 1 de R dans ]0, +∞[, strictement croissant, donc
� � � � �
1 y
f (x − 1/x)dx = f (y)x�+ (y)dy = f (y) 1+ � dy.
]0,+∞[ R R 2 2
y +4
46 CHAPITRE 5. THÉORÈME DU CHANGEMENT DE VARIABLES

La fonction X− est un difféo. de classe C 1 strictement croissant de R dans ] − ∞, 0[ donc


� � � � �
1 y
f (x − 1/x)dx = f (y)x�− (y)dy = f (y) 1− � dy.
]−∞,0[ R R 2 y2 + 4

En combinant les deux équations on a le résultat.

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