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Jurisprudence
PAR CES MOTIFS : Les parents d’intention invoquent une discrimination entre
La cour, les demandeurs en annulation qui ont consenti à la recon-
Vu l’article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l’emploi des naissance et doivent prouver un vice de consentement d’une
langues en matière judiciaire, part, et le père biologique qui peut avoir consenti – fut-ce im-
Statuant contradictoirement, plicitement – à la reconnaissance mensongère et est recevable à
Entendu madame Brigitte GOBLET, substitut du procureur agir en annulation sans devoir rapporter la preuve d’un vice de
général, en son avis verbal donné à l’audience du 12 octobre consentement d’autre part. Relevant que le père biologique n’a
2015, nullement consenti à laisser reconnaître l’enfant qu’il ne savait

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Reçoit l’appel, pas encore être le sien par un tiers, la Cour refuse de poser la
Confirme le jugement entrepris dans toutes ses dispositions; question préjudicielle à la Cour constitutionnelle.
Ordonne le renvoi de la cause devant le premier juge et ré-
serve les dépens.
(…) (…)

Faits et antécédents de la cause

C.C. et J.-M.G. sont en couple depuis plusieurs années.


Liège (1re ch.), 10 février 2017, n° 2015/ Ils n’ont pas d’enfant en commun, J.-M.G. se pensant stérile.
FA/786 Quant à C.C., elle est la mère de deux enfants nés de précé-
dentes unions.
Ca.C., demi-sœur de C.C. et F.J. sont mariés.
Ils ont un enfant en commun, F.J. étant par ailleurs le père
Siège : C. Dumortier
de sept enfants nés d’une précédente union. Ils nourrissent
Plaideurs : Me I. Baldo et Me L. Baudinet c. Me D. Pire, Me F. Giovan-
depuis plusieurs années le projet de concevoir un autre en-
nangeli et Me C. Giet
fant. Malgré divers traitements et une procréation médicale-
ment assistée, ce projet ne pourra se concrétiser.
Dans le courant de l’année 2010, un projet de grossesse est
Filiation – Filiation paternelle – Annulation de recon-
évoqué par les parties, C.C. s’étant proposée de porter un
naissance de paternité – Action 2-en-1 du père biolo-
enfant pour sa demi-sœur, ménopausée prématurément.
gique – Projet parental de gestation pour autrui dans
Les deux demi-sœurs se renseignent auprès du service de
un cadre privé – Paternité biologique du mari de la
procréation médicalement assistée de la Clinique Saint-
gestatrice et non du père d’intention – Délai pour agir –
Vincent de Rocourt, lequel n’accepte pas leur demande pour
Possession d’état – Intérêt de l’enfant – Demande de
des raisons non clairement explicitées à la cour s’agissant
question préjudicielle – Refus
probablement de l’âge de C.C. Ca.C., C.C. et F.J. conviennent
alors que ce projet se réalisera de manière « artisanale »,
La gestatrice accepte de porter un enfant pour sa demi-sœur
C.C., infirmière, pratiquant chaque mois des tests d’ovula-
stérile. L’enfant est conçu en dehors de tout cadre hospitalier
tion et procédant à une insémination « maison » par le biais
par auto-insémination de la gestatrice avec le sperme du mari
d’une seringue contenant le sperme de F.J.
de sa demi-sœur. La gestatrice est à la fois la mère génétique et
En septembre 2011, C.C. est enceinte mais fait une fausse
gestationnelle de l’enfant qui est reconnu à titre prénatal par le
couche quelques semaines plus tard.
père d’intention, mari de la demi-sœur. À la naissance, l’enfant
En décembre 2011, elle est une seconde fois enceinte.
a pour père légal, le père d’intention qui l’a reconnu in utero et
Le 1er août 2012, par un acte numéroté 6001, F.J. reconnaît,
pour mère légale, la gestatrice. Comme convenu entre les par-
devant l’officier de l’état civil de la ville de Liège, être le
ties, la mère d’intention dépose une requête en vue de l’adop-
père du ou des enfants dont est actuellement enceinte C.C.,
tion plénière intrafamiliale de l’enfant de son mari.
laquelle consent à cette reconnaissance.
Le (...) nait L., l’acte de naissance dressé par l’officier de
Alors que l’enfant a 15 mois, un test de paternité pratiqué dans
l’état civil de la ville de Liège (acte 7439) mentionnant
un laboratoire privé conclut à la paternité du compagnon de
qu’elle est la fille de C.C. et de F.J.
la gestatrice (qui n’était pas encore son mari au moment de la
L. sera allaitée par C.C. jusqu’à l’âge de 7 mois.
naissance). Le père biologique introduit une action 2-en-1 en
Les parties sont contraires en fait sur la manière dont L. a été
annulation de la reconnaissance prénatale souscrite par le père
élevée après sa naissance : C.C. affirme que l’enfant a passé
d’intention. Le rapport d’expertise ADN ordonné par le premier
ses nuits chez elle (de 19h00 à 11h00) et les journées chez sa
juge confirme la paternité du mari de la gestatrice.
demi-sœur tandis que Ca.C. prétend que L. a vécu à temps
plein chez elle, dès sa naissance.
Alors que le tuteur ad hoc concluait à la confirmation du juge-
Lorsque C.C. recommence à travailler, le 18 février 2013,
ment entrepris, la Cour d’appel décide de le réformer et déclare
elle affirme que son couple accueille L. deux, voire trois fois
l’action 2-en-1 du père biologique recevable et fondée, annu-
par semaine.
lant la reconnaissance prénatale du père d’intention intervenue
Pour des raisons pour lesquelles les parties sont contraires
à une époque où il pensait être le père biologique de l’enfant
en fait, les relations se rompent entre elles dans le courant
à naître. Le délai d’un an a commencé à courir au moment de
du mois de décembre 2013.
la prise de connaissance par le père biologique des résultats du
Le doute s’est installé lorsque des membres de la famille
test privé. La possession d’état invoquée par le père d’intention
de J.-M.G. ont constaté que L. ressemblait de plus en plus
n’est ni continue ni non équivoque. L’intérêt supérieur de l’en-
à celui-ci.
fant apprécié in concreto est d’avoir une filiation légale en con-
cordance avec sa filiation biologique.

248 – Act. dr. fam. 2017/10 Actualités du droit de la famille – Wolters Kluwer
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Filiation

Le 8 janvier 2014, les appelants ont reçu le test de paternité Le 24 septembre 2015, les appelants interjettent appel de
effectué sur L. par le biais d’un laboratoire anglais. Ce test a cette décision.
confirmé la paternité de J.-M.G. Par un arrêt rendu le 11 avril 2016, la cour, autrement com-
Le 19 février 2014, J.-M.G. assigne C.C. et F.J., devant le tri- posée :
bunal de première instance de Liège en vue d’obtenir l’an- – rappelle l’exercice conjoint de l’autorité parentale.
nulation de la reconnaissance de L. par F.J. intervenue le – précise que L. restera scolarisée à l’école libre de Deigné.
1er août 2012. – fixe jusqu’au 1er juillet 2016 un hébergement principal
Par conclusions déposées le 28 mars 2014, Ca.C. intervient de L. chez F.J. et un hébergement secondaire chez C.C. les

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volontairement à la cause. semaines paires du calendrier du mercredi de la sortie de
Aux termes du jugement prononcé le 25 juillet 2014, le pre- l’école ou 12h00 au lundi suivant retour à l’école ou 9h00.
mier juge : – à dater du 1er juillet 2016, un hébergement égalitaire des
– constate (en termes de motifs) l’intervention volontaire parents qui s’exercera, à défaut d’accord des parties, de ma-
du tuteur ad hoc. nière alternée chez chacun des parents, le jour pivot étant le
– avant de statuer sur la recevabilité et le fondement de la vendredi sortie de l’école, C.C. débutant ses périodes d’hé-
demande, désigne en qualité d’expert le docteur Angelo bergement le vendredi des semaines paires et F.J. le ven-
ABATI, lequel aura pour mission de procéder à l’analyse dredi des semaines impaires.
ADN des échantillons prélevés sur J.-M.G., C.C. et L. et de – partage par moitié les congés et vacances scolaires.
dire la probabilité de paternité de J.-M.G. à l’égard de l’en- – dit que le droit aux relations personnelles de J.-M.G. et
fant L. Ca.C. s’exercera durant les périodes d’hébergement de leurs
– renvoie la cause au rôle. conjoints.
– réserve les dépens. Par des conclusions datées du 15 novembre 2016, les
Le 30 septembre 2014, l’expert judiciaire dépose son rapport consorts F.J.-C.C. ont ressaisi le tribunal de la famille de
qui conclut au fait que J.-M.G. est le père de l’enfant L. avec Liège en vue d’obtenir une modification de l’hébergement
une probabilité de 99,9999 %. de L., sur la base de l’article 1253ter/7 du Code judiciaire.
Aux termes du jugement entrepris du 13 novembre 2015, le Enfin, une procédure en adoption est également en cours.
premier juge : Le 19 décembre 2012, C.C. donne, par un acte notarié, son
– dit les demandes non fondées. consentement à l’adoption plénière de L. par Ca.C.
– en déboute J.-M.G. et C.C. De son côté, Ca.C. suit la préparation à l’adoption exigée
– les condamne aux dépens liquidés par F.J. et Ca.C. à l’in- par la Communauté française. Elle en recevra le certificat en
demnité de procédure, soit 1.320 euros, et non liquidés à date du 24 juillet 2013.
défaut d’état récapitulatif par le tuteur ad hoc. Le 6 novembre 2013, Ca.C. dépose une requête en adoption
Parallèlement à cette procédure en filiation, une procédure plénière de L. devant le tribunal de la jeunesse de Liège.
tendant à obtenir l’hébergement de L. est diligentée par les C.C. confirme son accord à l’adoption par une déclaration à
appelants. la police du 27 novembre 2013.
Le 20 janvier 2014, C.C. assigne F.J. devant la chambre des Le 7 janvier 2014, C.C. retire son consentement à cette adop-
référés du tribunal de première instance de Liège, sollicitant tion.
l’autorité parentale exclusive et l’hébergement principal de Cette cause est toujours pendante, l’audience de plaidoiries
L. J.-M.G. et Ca.C. interviennent volontairement à la cause. étant prévue le 21 mars 2017.
Une ordonnance rendue le 30 janvier 2014, sur pied de l’ar-
ticle 584 du Code judiciaire, prévoit que l’hébergement se- Objet de l’appel
condaire – droit aux relations personnelles de C.C. et J.-M.G.
à l’égard de L. s’exercera les samedis des semaines paires de L’objet de l’appel tend à entendre :
l’année de 10h00 à 18h00. – annuler la reconnaissance intervenue le 1er août 2012
Le 27 mai 2014, les appelants ont interjeté appel de l’ordon- sous le numéro 7439 par F.J., lequel a reconnu l’enfant L.,
nance du 30 janvier 2014. née le (...) et dire qu’il n’est pas le père de l’enfant.
Par un arrêt rendu le 20 octobre 2014, la cour dit que l’hé- – dire que L. ne pourra porter son nom.
bergement secondaire et le droit aux relations personnelles – ordonner qu’il soit ensuite procédé conformément à l’ar-
de C.C. et de J.-M.G. à l’égard de L. s’exerceront un week- ticle 330 du Code civil.
end sur deux, des semaines numérotées paires du calendrier – établir la paternité de J.-M.G., lequel est le père de l’en-
annuel par référence au samedi, du samedi à 10h00 au di- fant.
manche à 18h00 ainsi que tous les mercredis de 14h00 à – condamner les intimés aux dépens de la procédure.
19h00. Les intimés sollicitent la confirmation du jugement dont ap-
Concomitamment, le 28 janvier 2014, C.C. diligente une pel et la condamnation des appelants aux dépens des deux
procédure au fond devant le tribunal de la jeunesse (puis instances liquidés à 2.640 euros.
de la famille) par laquelle elle postule l’autorité parentale A titre subsidiaire, ils sollicitent de poser à la Cour constitu-
exclusive de L. et l’hébergement principal de L. Ca.C. et J.- tionnelle la question suivante :
M.G. interviennent volontairement à la cause. « L’article 330 du Code civil dispose que la reconnaissance
Par un jugement rendu le 16 juin 2015, le tribunal de la fa- ne peut être contestée par ceux qui l’ont autorisée confor-
mille de Liège, à titre provisionnel, dit que l’autorité paren- mément à l’article 329bis du même code ou à ceux qui ont
tale est attribuée conjointement aux parties, dit que L. est refusé l’annulation demandée en vertu de cet article ; tou-
hébergée à titre principal chez F.J. et Ca.C. et dit que l’hé- tefois, l’article 330 n’exclut pas que le père biologique, qui
bergement secondaire/droit aux relations personnelles de a implicitement mais certainement marqué son accord à
C.C. et J.-M.G. s’exercera comme mentionné par l’arrêt du la reconnaissance de l’enfant par un tiers, puisse contester
cette reconnaissance, sachant que celle-ci pouvait ne pas
20 octobre 2014.
être conforme à la vérité ; dès lors, dans cette hypothèse,

Wolters Kluwer – Actualités du droit de la famille Act. dr. fam. 2017/10 – 249
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l’article 330 du Code civil ne viole-t-il pas : 1° les articles 10 L’action du père, de la mère ou de la personne qui a reconnu
et 11 de la Constitution ; 2° l’article 22 de la Constitution l’enfant doit être intentée dans l’année de la découverte du
combiné à l’article 8 de la Convention européenne de sau- fait que la personne qui a reconnu l’enfant n’est pas le père
vegarde des droits de l’homme et/ou 3° l’article 22bis de la ou la mère; celle de la personne qui revendique la filiation
Constitution combiné à l’article 3 de la Convention interna- doit être intentée dans l’année de la découverte qu’elle est le
tionale des droits de l’enfant du 20 novembre 2008 ? ». père ou la mère de l’enfant; (...)
Le tuteur ad hoc conclut à la confirmation du jugement en- §2. Sans préjudice du § 1er, la reconnaissance est mise à
trepris et à ce qu’il soit statué comme de droit quant aux néant s’il est prouvé par toutes voies de droit que l’intéressé

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dépens qu’il liquide à la somme de 2.640 euros. n’est pas le père ou la mère.
§3. La demande en contestation introduite par la personne
Fondement de l’appel qui se prétend le père ou la mère biologique de l’enfant n’est
fondée que si sa paternité ou sa maternité est établie. La
Contrat de gestation pour autrui décision faisant droit à cette action en contestation entraine
de plein droit l’établissement de la filiation du demandeur.
Ca.C., C.C. et F.J. (il n’est en effet pas démontré que J.-M.G. Le tribunal vérifie que les conditions de l’article 332quin-
aurait été partie à l’accord) semblent s’être accordés sur la quies sont respectées. A défaut, l’action est rejetée. ».
réalisation d’une gestation pour autrui (les conditions de
celle-ci ne sont toutefois pas établies avec certitude), en de- Délai d’action d’un an à dater de la découverte du fait que la
hors de tout encadrement psychologique et médical. personne qui revendique la filiation est le père de l’enfant
On peut parler de « maternité pour autrui », lorsqu’une
femme s’engage, au profit d’un couple hétérosexuel ou Ca.C. et F.J. invoquent le fait que J.-M.G. a connaissance de
homosexuel ou même encore d’une seule personne, à por- sa paternité depuis plus d’un an au moment de l’introduc-
ter un enfant qui aura été conçu soit avec les gamètes des tion de la demande, à savoir depuis le début de la grossesse
deux partenaires du couple soit avec les gamètes d’un des de C.C. puisqu’ils n’ont jamais cessé d’entretenir des rela-
partenaires de ce couple et d’un tiers donneur (donneur tions sexuelles, contrairement à ce à quoi ils s’étaient en-
d’ovocyte ou donneur de sperme) ou de la mère porteuse gagés.
elle-même (Jean-Louis RENCHON, Syllabus de droit de la La preuve selon laquelle C.C. et J.-M.G. s’étaient engagés à
famille, UCL, 2013-2014). ne pas entretenir de relations sexuelles avant ou durant la
A ce jour, la Belgique ne s’est pas encore dotée d’une régle- grossesse de C.C. n’est pas rapportée en l’espèce.
mentation spécifique en matière de gestation pour autrui, la- Les explications de J.-M.G. selon lesquelles il se considérait
quelle n’est ni expressément interdite ni expressément auto- comme stérile sont crédibles.
risée (Géraldine MATHIEU, Alain ROLAND, Régine HAZEE, En effet, d’une part, il n’avait aucun intérêt à faire réaliser
Manuel pratique de la filiation, Kluwer, 2016, p. 113). un spermogramme en mars 2007, alors qu’il est âgé de 37
La convention de gestation pour autrui peut être qualifiée de ans, si ce n’est pour vérifier sa fertilité, n’étant pas encore
contrat sui generis. père.
Elle est dénuée de toute valeur juridique, une telle conven- D’autre part, c’est le laboratoire qui a réalisé l’analyse qui
tion étant nulle en raison de l’illicéité de son objet et de sa conclut à une asthénozoospermie. Il est dès lors normal que
cause, conformément aux articles 6, 1128 et 1133 du Code J.-M.G. se soit fié à cette conclusion médicale.
civil. Les considérations des consorts C.C.-F.J. sur ce point sont
Toutefois, ce n’est pas la question qui se pose en l’espèce dès dès lors irrelevantes.
lors qu’en l’absence de réglementation spécifique, ce sont C’est donc à partir du moment où J.-M.G. a reçu les résultats
les règles de droit commun de la filiation qui s’appliquent à du test ADN pratiqué par un laboratoire en Angleterre qu’il
la naissance de l’enfant et qu’il revient à la cour d’examiner, a découvert qu’il était le père de L. et que court le délai d’ac-
en l’espèce. tion d’un an.
Le droit à l’identité et à la filiation est en effet consacré par Les résultats lui ayant été communiqué le 8 janvier 2014 et
l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des la citation ayant été signifiée le 19 février 2014, l’action est
droits de l’homme et des libertés fondamentales. recevable quant au délai.
Surabondamment, se pose la question de savoir s’il s’agit,
en l’espèce, d’un contrat de gestation pour autrui dès lors Possession d’état
que le projet des parties mentionnées ci-avant consistait à
concevoir et à donner un enfant issu des gamètes de F.J., ce Les consorts C.C.-F.J. invoquent un second moyen d’irrece-
qui ne sera finalement pas le cas, le « contrat » des parties vabilité tiré du fait que F.J. a la possession d’état à l’égard
n’ayant pas été exécuté puisque L. est née des gamètes de J.- de L.
M.G., compagnon puis époux de la mère biologique, lequel L’article 331nonies du Code civil mentionne :
n’avait pas marqué son accord pour faire don de son enfant. « La possession d’état doit être continue.
Elle s’établit par des faits qui, ensemble ou séparément, in-
Action en contestation de la reconnaissance diquent le rapport de filiation.
Ces faits sont entre autres :
L’article 330 du Code civil, tel que libellé au moment de – que l’enfant a toujours porté le nom de celui dont on le
l’introduction du présent litige, prévoit : dit issu ;
« §1. (…) A moins que l’enfant ait la possession d’état à – que celui-ci l’a traité comme son enfant ;
l’égard de celui qui l’a reconnu, la reconnaissance pater- – qu’il a, en qualité de père ou de mère, pourvu à son entre-
nelle peut être contestée par la mère, l’enfant, l’auteur de tien et à son éducation ;
la reconnaissance et l’homme qui revendique la paternité. – que l’enfant l’a traité comme son père ou sa mère ;
(...)

250 – Act. dr. fam. 2017/10 Actualités du droit de la famille – Wolters Kluwer
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– qu’il est reconnu comme son enfant par la famille et dans consorts C.C.-J.-M.G. les quinze premiers jours de sa vie (du
la société ; 17 septembre 2012 au 2 octobre 2012). J.-M.G. était présent
– que l’autorité publique le considère comme tel. ». aux côtés de C.C. pour l’épauler et s’occuper de L.
La possession d’état doit revêtir certaines qualités pour pro- – le suivi ONE de l’enfant a eu lieu dans les deux milieux
duire ses effets. Elle doit être : de vie de l’enfant.
– continue, ce qui suppose une durée suffisante, appréciée – Ca.C. et F.J. ont permis à C.C. et J.-M.G. de nourrir un lien
en fait et souverainement par le juge dans chaque cas d’es- privilégié avec l’enfant, laquelle est hébergée régulièrement
pèce (Nicole GALLUS, « La filiation », R.P.D.B., Bruylant, par C.C. et J.-M.G. depuis sa naissance jusqu’en décembre

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2016, p. 34, nr. 20). 2013. Cela ressort notamment de l’audition de C.C. par la
– non équivoque. police en date du 27 novembre 2013 dans laquelle elle men-
Lorsqu’une partie invoque une possession d’état, le juge tionne qu’elle garde beaucoup de contacts avec sa sœur et
doit analyser les faits qui lui sont soumis pour conclure à l’enfant. J.-M.G. est toujours présent à ses côtés et auprès de
l’existence – ou non – d’un faisceau d’indices convergents L. Le fait que J.-M.G. et C.C. aient connu des difficultés de
révélateur d’un rapport de filiation suffisamment continue couple ayant conduit à une séparation durant une période
et non équivoque. La preuve des faits peut être rapportée indéterminée est irrelevant et témoigne bien des consé-
par toutes voies de droit (Nicole GALLUS, « La filiation », quences néfastes du projet totalement irréfléchi mené par
R.P.D.B., Bruylant, 2016, p. 34, nr. 20). les parties.
Dans son arrêt n° 96/2013 du 9 juillet 2013 (Mon.b., 14 oc- – Dès qu’il a eu connaissance de sa paternité biologique,
tobre 2013), la Cour Constitutionnelle a dit que l’article 330 J.-M.G. a réalisé toutes les démarches juridiques possibles
§ 1er alinéa 1, deuxième phrase du Code civil, viole l’ar- pour faire reconnaître ce fait.
ticle 22 de la Constitution, combiné avec l’article 8 de la – L. appelle J.-M.G. « Papou » et non « J.-M. ».
Convention européenne des droits de l’homme, en ce que – Aux yeux de tous, L. est, depuis les différentes décisions
l’action en contestation de la reconnaissance de paternité, judiciaires, élevée tant par J.-M.G. que F.J.
intentée par l’homme qui revendique la paternité de l’en- Les attestations écrites de « témoins » produites en grand
fant, est irrecevable si l’enfant a la possession d’état à l’égard nombre par les parties ne seront pas retenues par la cour,
de l’auteur de la reconnaissance. n’étant pas objectives, certains témoins ayant manifeste-
La Cour constitutionnelle expose qu’en érigeant la posses- ment pris fait et cause pour l’une ou l’autre des sœurs C.
sion d’état en fin de non-recevoir absolue de l’action en et ces différentes personnes ne pouvant attester de la ma-
contestation de la reconnaissance de paternité, le législateur nière dont L. a été élevée par les parties depuis sa naissance,
a fait prévaloir, dans tous les cas, la réalité socio-affective n’étant pas constamment présentes chez les parties.
de la paternité sur la réalité biologique. Du fait de cette fin
de non-recevoir absolue, l’homme qui revendique la pater- Etablissement de la paternité de J.-M.G.
nité est totalement privé de la possibilité de contester la
reconnaissance de paternité par un autre homme, à l’égard En application de l’article 330 § 3 du Code civil, la demande
duquel l’enfant a la possession d’état. Il n’existe, dès lors, en contestation introduite par la personne qui se prétend le
pour le juge, aucune possibilité de tenir compte des intérêts père biologique de l’enfant n’est fondée que si sa paternité
de toutes les parties concernées. Une telle mesure n’est pas est établie.
proportionnée aux buts légitimes poursuivis par le législa- En l’espèce, il résulte du rapport d’expertise que la proba-
teur et n’est dès lors pas compatible avec l’article 22 de la bilité de paternité de J.-M.G. à l’égard de l’enfant L. s’élève
Constitution, combiné avec l’article 8 de la Convention eu- à 99,9999 %.
ropéenne des droits de l’homme.
Il résulte de cet arrêt que la Cour Constitutionnelle consi- Intérêt de l’enfant
dère que la possession d’état est un élément, parmi d’autres,
qu’il appartient à cette cour d’examiner. Conformément au prescrit de l’article 330 § 3 du Code civil,
En l’espèce, la possession d’état de F.J. à l’égard de L. n’est le juge vérifie que les conditions de l’article 332quinquies
ni continue ni non équivoque, ainsi qu’en attestent les élé- sont respectées. A défaut, l’action est rejetée.
ments suivants : L’article 332quinquies mentionne :
– F.J. n’est pas présent aux visites prénatales, ni à l’accou- « §2. Si l’opposition à l’action émane d’un enfant mineur
chement, ainsi qu’il résulte de l’attestation du docteur Mar- non émancipé qui a douze ans accomplis, ou de celui des
tin du 23 janvier 2014. Seule Ca.C. est présente. auteurs de l’enfant à l’égard duquel la filiation est établie,
– Le consentement de C.C. à la reconnaissance par F.J. de le tribunal ne rejette la demande, sans préjudice du §3, que
l’enfant à naître est vicié puisqu’elle a donné son consente- si elle concerne un enfant âgé d’au moins un an au moment
ment à la reconnaissance par F.J. de l’enfant dont il devait de l’introduction de la demande, et si l’établissement de la
être le père. Or, il s’avère que c’est J.-M.G., son compagnon, filiation est manifestement contraire à l’intérêt de l’enfant.
qui est le père de L. (…)
– C.C. a allaité l’enfant durant de nombreux mois (cela ré- §3. Le tribunal rejette en toute hypothèse la demande s’il
sulte de nombreux documents médicaux déposés par C.C.) est prouvé que celui ou celle dont la filiation est recherchée
et n’a pas uniquement tiré son lait comme l’affirment de n’est pas le mère ou la mère biologique de l’enfant. ».
mauvaise foi les consorts C.C.-F.J. au vu des photographies Dans un arrêt n° 30/2013 du 7 mars 2013 (Mon.b., 5 juin
produites par les appelants. J.-M.G. est présent à ses côtés et 2013), la Cour constitutionnelle a dit qu’en disposant que le
s’occupe également de l’enfant. tribunal ne rejette la demande que si l’établissement de la fi-
– Au vu de cet allaitement, les dires des consorts C.C.-J.- liation est « manifestement contraire à l’intérêt de l’enfant »,
M.G. selon lesquels L. a passé ses nuits chez eux à son retour l’article 332quinquies § 2 alinéa 1er du Code civil, interprété
de la maternité sont tout à fait crédibles, l’allaitement se en ce sens qu’il autorise le juge à n’opérer qu’un contrôle
réalisant à la demande. L. a d’ailleurs été domiciliée chez les

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marginal de l’intérêt de l’enfant, viole l’article 22bis, alinéa Question préjudicielle
4, de la Constitution.
Il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des La question préjudicielle que les intimés demandent à la
droits de l’homme que lorsqu’il s’agit de familles, les autori- cour de poser est irrelevante dès lors que :
tés doivent, dans leur évaluation de la proportionnalité, te- – J.-M.G. n’a pas donné son accord (et n’avait d’ailleurs pas
nir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. A cet égard, la à le donner) pour que C.C. dispose de son corps.
cour européenne souligne qu’il existe actuellement un large – J.-M.G. n’a, à aucun moment, accepté de faire don aux in-
consensus – y compris en droit international – autour de timés d’un enfant dont il serait le père.

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l’idée que dans toutes les décisions concernant les enfants, – J.-M.G. n’avait pas connaissance du fait qu’il était le père
leur intérêt supérieur doit primer. La convention interna- de L. au moment où F.J. a reconnu celle-ci, de sorte qu’il n’a
tionale relative aux droits de l’enfant préconise que l’in- donc pas donné son consentement à la reconnaissance.
térêt supérieur des enfants soit une considération primor-
diale dans toute décisions les concernant (C.E.D.H., Popov Frais et dépens
c. France, 19 janvier 2012, §§ 140 et 141).
Le juge doit donc pouvoir faire la balance des intérêts de Les consorts Ca.C.-F.J. succombant, ils seront condamnés
toutes les parties en présence en accordant une place pré- aux frais et dépens des deux instances, non liquidés, dans
pondérante à l’intérêt de l’enfant, sans être restreint en au- le chef des consorts C.C.-J.-M.G. et liquidés, dans le chef du
cune manière dans cette appréciation. tuteur ad hoc, à la somme de 2.640 euros.
La réponse à la question de savoir si l’enfant a davantage in- Compte tenu des motifs qui précèdent, tous autres moyens
térêt à la reconnaissance par le père biologique qu’à la recon- invoqués par les parties apparaissent inutiles ou non perti-
naissance par un tiers dépend des circonstances concrètes nents pour la solution à donner au litige.
de chaque cas (C.C., arrêt n° 54/2011 du 6 avril 2011, p. 8).
En l’espèce, rien ne s’oppose à l’établissement de la pater- PAR CES MOTIFS,
nité de J.-M.G. à l’égard de l’enfant L., ne résultant pas des LA COUR, chambre de la famille, statuant contradictoire-
dossiers de pièces déposés par les intimés qu’il n’est pas de ment,
l’intérêt de l’enfant de voir sa filiation paternelle établie à Vu l’article 24 de la loi du 15 juin 1935.
l’égard de J.-M.G., lequel a souhaité s’impliquer dans la vie Entendu Brigitte GOBLET, Substitut du Procureur général,
de L., dès sa naissance, ayant entouré C.C. durant sa gros- en son avis à l’audience du 16 novembre 2016.
sesse et les premiers mois de la vie de L. mais encore plus Reçoit l’appel et le dit fondé.
depuis qu’il a eu connaissance du fait qu’il est le père de Réforme le jugement entrepris :
cet enfant. Dit la demande originaire recevable et fondée :
Eu égard à l’équilibre à ménager entre les intérêts concur- Met à néant la reconnaissance effectuée par F.J., né à Huy le
rents : ceux de l’enfant, ceux des parties et ceux de l’ordre (…), sur l’enfant L., née à Liège, le (...), par acte dressé par
public, le fait que l’établissement de cette filiation entraî- l’officier de l’état civil de la ville de Liège le 1er août 2012
nera un bouleversement de la stabilité de la cellule familiale sous le numéro 6001.
de l’enfant L. est inévitable, au vu de son mode d’héberge- Constate que J.-M.G. est le père de l’enfant L.
ment actuel, et n’est pas de nature, en l’espèce, à énerver la Dit que le dispositif du présent arrêt, coulé en force de chose
considération qui précède. jugée, sera transcrit dans les registres de l’état civil de la
Trois adultes ont pris la décision de mener un projet irrai- ville de Liège aux conditions et selon les modalités de l’ar-
sonné et déraisonnable dans le but de concevoir et de don- ticle 333 du Code civil et que mention en sera faite en marge
ner un enfant, à tout prix, à un couple qui était déjà parents, de l’acte de naissance de l’enfant concerné.
sans réfléchir aux conséquences désastreuses que ce projet Fait interdiction à tout officier de l’état civil de délivrer ex-
« bricolé » en dehors de tout accompagnement médical et pédition ou copie de l’acte de naissance de l’enfant concerné
psychologique aurait nécessairement pour l’enfant à naître, sans faire mention de la rectification marginale dont ques-
L. tion ci-dessus, le tout sous réserve de dommages et intérêts.
Ces adultes n’ont à présent d’autre choix que de supporter Condamne F.J. et Ca.C. aux frais et dépens de première ins-
les conséquences du chaos qu’ils ont engendré. tance et d’appel liquidés, dans le chef du tuteur ad hoc, à la
L’intérêt supérieur de L., qui doit constituer la considéra- somme de 2.640 euros et non liquidés, dans le chef de C.C.
tion déterminante, est qu’elle connaisse un développement et de J.-M.G.
le plus harmonieux possible, en bénéficiant d’une identité (…)
structurante qui passe par le rétablissement de la vérité sur
sa naissance et ses origines c’est-à-dire la juxtaposition de
sa filiation génétique et biologique avec sa filiation légale. Note de la rédaction : sur cette problématique,
La cour considère donc qu’il est de l’intérêt supérieur de L. consultez : N. MASSAGER, « Gestation pour autrui,
d’avoir comme père légal son père biologique, J.-M.G., avec uniparenté et coparentalité en droit belge », in Pro-
lequel elle entretient déjà par ailleurs des liens affectifs très création médicalement assistée et gestation pour au-
étroits. trui, Anthemis, 2017, pp. 153 à 178. Dans la même
Il convient, partant, d’annuler la reconnaissance réalisée par cause, voir également : Liège (1re ch.), 20 octobre
F.J. le 1er août 2012. 2014, Act. dr. fam., 2016/7, p. 166.

252 – Act. dr. fam. 2017/10 Actualités du droit de la famille – Wolters Kluwer

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