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Effet du stress salin sur la germination, la croissance et la production

en grains de quelques variétés maghrébines de bléVolume 12, numéro 3,


Septembre 2001

Auteurs
M'barek Ben Naceur, Chaabane Rahmoune, Hasna Sdiri, Mohamed-Laïd Meddahi, Mohsen
Selmi
Institut national de la recherche agronomique de Tunisie, rue Hedi-Karray, 2049 Ariana-Tunis, Tunisie.
 Mots-clés : Ressources végétales.
 Page(s) : 167-74
 Année de parution : 2001
Cette étude a pour objet de comparer le comportement de quelques variétés de blé cultivées dans les
pays du Maghreb, soumises à des conditions de stress salin, depuis le stade germination jusqu'à la
maturation complète. Elle a montré que le sel a un effet dépressif sur le taux de germination, la
croissance biologique et la production en grains. Cependant, cet effet varie en fonction de l'intensité
du stress et de la variété en question. Les variétés tunisiennes ont montré une sensibilité extrême au
sel ; en revanche, les variétés marocaines se sont montrées les plus tolérantes. Ces dernières
présentent un intérêt certain pour les programmes d'amélioration variétale pour la tolérance au sel.
Elles pourraient valoriser les zones salines et/ou les zones n'ayant que des ressources en eau
saumâtre.

L'étude concerne l'influence du stress salin sur six variétés de blé sélectionnées par les
programmes nationaux des trois pays du Maghreb : Algérie, Maroc et Tunisie. Elle a été menée
au laboratoire et au champ et a permis de mettre en évidence l'influence de taux de salinité
variables sur différents paramètres caractéristiques : taux de germination, longueur de
l'épicotyle, longueur de la racine ainsi que le rendement. Ainsi ont pu être sélectionnées les
variétés susceptibles de mieux valoriser les zones salines ou n'ayant que des ressources en
eau saumâtre.
Dans les zones arides et semi-arides du monde, des ressources hydrauliques importantes sont
disponibles mais elles sont de qualité médiocre (saumâtres) [1]. La salinisation des sols, dans ces
régions, est non seulement liée aux conditions climatiques mais également au recours souvent mal
contrôlé à l'irrigation. Le fort ensoleillement et la faible pluviométrie font accumuler les sels dissous, en
surface.

L'extension des surfaces irriguées engendre l'extension de la salinisation. En Tunisie, les surfaces
irriguées ont connu un accroissement rapide durant les dernières décennies. À titre d'exemple, en
1960, les périmètres irrigués n'étaient que d'environ 60 000 ha, localisés essentiellement dans les
oasis et le Sahel [2]. Actuellement, ils couvrent environ 440 000 ha dont 100 000 ha environ reçoivent
des irrigations de complément [3].

L'eau d'irrigation provenant des barrages présente une charge en sel de 2 à 3 g/l, et celle des puits
titrent de 4 jusqu'à 7 g/l, suite à une surexploitation ou à une intrusion des eaux saumâtres ou de l'eau
de mer [4].

La réponse au sel des espèces végétales dépend de l'espèce même, de sa variété, de la


concentration en sel, des conditions de culture et du stade de développement de la plante [5, 6].
En matière de céréales, les irrigations de complément sont réalisées souvent avec une eau chargée,
sans tenir compte de la tolérance des différentes variétés. En effet, certaines variétés céréalières
tolèrent mieux la sécheresse que l'irrigation à l'eau saumâtre.

L'identification de variétés tolérantes aux sels permettrait certainement d'améliorer la production des
zones à risque ou irriguées à l'eau saumâtre et présenterait un intérêt évident dans l'optique d'aide à
l'amélioration variétale [8].

L'objet de ce travail est donc de caractériser l'effet du stress salin sur six variétés céréalières,
sélectionnées pour leur efficacité d'utilisation de l'eau, et d'identifier celle qui pourrait être cultivée
dans des conditions de stress salin sans que son rendement soit fortement diminué.

Matériel et méthodes
Matériel végétal

La présente étude a porté sur six variétés de blé, choisies dans le programme de recherche Avicenne
pour leur efficacité d'utilisation de l'eau, parmi les variétés sélectionnées par les programmes
nationaux des trois pays du Maghreb : Maroc, Algérie et Tunisie.

Ces variétés sont Khiar, Oum Rabia et Razzak (Tunisie), Mohamed Ben Bechir (Algérie) et Nesma et
Achtar (Maroc).

Caractéristiques des variétés étudiées

* Khiar. C'est une variété de blé dur, caractérisée par une paille mûre blanche, creuse à parois
minces, hauteur moyenne de 80 cm, barbe noirâtre, grain ambré clair, court et étroit. L'épi de cette
variété est fertile, ce qui lui donne l'avantage d'être efficace du point de vue de l'utilisation de l'eau.
Cette variété est résistante aux maladies cryptogamiques, à la verse et elle est productive en terre
fertile [8].
* Razzak. C'est une variété de blé dur, provenant du croisement Karim par la lignée PM x 69 - 331 x
AA « S ». Elle est caractérisée par un épi blanc, presque cylindrique, compact à glumes velues, elle a
une bonne fertilité, une barbe noirâtre et une hauteur moyenne de 70 à 80 cm. Ses caractéristiques
physiologiques montrent qu'elle est moins précoce que Karim (10 à 13 jours). Elle a une très bonne
résistance à la verse, un bon tallage et une bonne résistance aux maladies [9].
* Mohamed Ben Bechir. C'est une variété algérienne de blé dur, très appréciée sur les hauts plateaux
de l'Est algérien. Cette variété est, comparativement aux autres, très précoce, à paille courte
moyennement sensible à la verse, aux maladies et à l'échaudage. Elle a une bonne résistance à la
rouille jaune [10].
* Nesma. C'est une variété marocaine de blé tendre. Elle est précoce et de hauteur moyenne (90 à
110 cm). Les grains sont blancs et gros mais l'épi est lâche (pas très fertile). Cette variété est sensible
à la septoriose, à la rouille brune et à la cécidomyie [11].
* Achtar. C'est aussi une variété marocaine de blé tendre, de même précocité que Nesma. Elle a une
paille courte (80 cm en moyenne), un épi blanc et de fertilité exceptionnelle. Selon Bourhanzour [11],
cette variété a un rendement potentiel de 112 à 118 q/ha en conditions favorables. Achtar est une
variété moyennement résistante aux maladies cryptogamiques et à la verse à cause de sa paille
courte.
* Oum Rabia. C'est une variété demi-précoce, à paille moyenne à haute (100 à 110 cm),
moyennement résistante aux maladies cryptogamiques. Son épi est blanc et à barbe blanche,
cassante à maturité. Elle est productive en conditions favorables. Sa production peut atteindre les 58-
60 q/ha [12]. Elle vient d'être inscrite au catalogue officiel. Elle sera largement cultivée en Tunisie
dans les années à venir.
Protocole expérimental

Les essais ont été conduits au laboratoire et au champ.

Au laboratoire, nous avons testé l'effet du chlorure de sodium (NaCl) sur le taux de germination et sur
les longueurs de l'épicotyle et des racines des différentes variétés de blé étudiées.

Pour chaque variété, nous avons compté 100 graines que nous avons placées dans une boîte de
Pétri. Dans un cas, nous avons ajouté à ces graines 20 ml d'eau distillée (témoin) ; dans un autre cas,
nous avons ajouté 20 ml de solution contenant 5 g/l ou 10 g/l de NaCl (stress salin). Ces
concentrations élevées sont choisies pour pouvoir discriminer les variétés entre elles. Chaque
traitement est répété quatre fois.

Après une semaine d'incubation à 25 °C et à l'obscurité, nous avons compté les graines qui ont germé
et mesuré les longueurs de l'épicotyle et de la racine des différentes variétés de blé.

Les essais au champ ont été conduits dans une zone semi-aride où la pluviométrie annuelle totale
était de 256 mm, dont 166 mm ont été reçus avant le démarrage de l'expérience et 90 mm,
uniquement, durant l'expérimentation.

Nous avons semé les différentes variétés, en quatre répétitions. Chaque répétition est représentée par
deux lignes de 2 m linéaires (soit 1,5 m2 par variété et par répétition). Après 2 mois et demi de culture
dans les conditions pluviales, nous avons appliqué des irrigations contenant soit 4 g soit 8 g de NaCl
par litre. Si l'on tient compte de la salinité de l'eau d'irrigation (2 g/l), les concentrations de 4 g et 8 g
de sel par litre que nous avons utilisées au champ correspondent exactement à celles que nous avons
utilisées au laboratoire.
Les apports d'eau sont effectués une fois par semaine à raison de 20 l/m2 ou 50 m3/ha, durant 3 mois.
Mesure de la croissance des plantes
* Mesure de la hauteur des plantes

La hauteur des plantes mesurée à l'aide d'une règle graduée nous renseigne sur l'effet du stress sur la
croissance des plantes stressées comparativement au témoin. Les mesures de la hauteur des plantes
ont débuté 3 semaines après le début de l'irrigation à l'eau salée. Elles ont été effectuées tous les 15
jours, jusqu'à la fin de l'expérience.

* Mesure de la surface foliaire

Pour cerner l'effet de la salinité sur les différentes variétés du blé, la surface foliaire a été déterminée
à l'aide d'un planimètre AM100. Tous les 15 jours, trois feuilles sont prélevées sur chaque variété
(stressée ou non) et leurs surfaces sont déterminées.

Composantes du rendement

* Nombre d'épis par unité de surface

Le comptage du nombre d'épis par unité de surface nous a renseignés sur l'effet du sel sur ce
paramètre.

* Poids moyen des épis


Ce paramètre a été déterminé après prélèvement, au hasard, de six épis de chaque parcelle. Ensuite,
nous avons déterminé le poids moyen des épis, après séchage à l'étuve, à 35 °C, pendant 7 jours.

Analyse statistique

Les résultats sont soumis à l'analyse de la variance à un ou à deux facteurs et les moyennes sont
comparées selon la méthode de Newman et Keuls, basée sur la plus petite amplitude significative.
Chaque moyenne est affectée d'une lettre, les moyennes suivies d'une même lettre ne sont pas
significativement différentes.

Résultats et discussion
Résultats des essais réalisés au laboratoire

* Taux de germination

La figure 1 montre que, quelle que soit la variété, le taux de germination des graines stressées est
réduit comparativement au témoin et ceci pour les deux concentrations utilisées.
Lorsque le stress est modéré (5 g/l), les variétés marocaines Nesma et Achtar et la variété tunisienne
Oum Rabia se distinguent de toutes les autres et montrent un taux de germination peu affecté par
rapport au témoin. Les variétés algérienne Mohamed Ben Bechir et tunisienne Khiar se situent en
position intermédiaire et peuvent être considérées comme variétés moyennement tolérantes au sel.
Au contraire, la variété tunisienne Razzak se montre la plus sensible au stress salin.

Lorsque l'intensité du stress est élevée (10 g/l), toutes les variétés tunisiennes sont fortement
affectées et leur taux de germination ne dépasse guerre les 66 % du témoin. En revanche, les variétés
marocaines et algérienne (Nesma, Achtar et Mohamed Ben Bechir) montrent une plus grande
tolérance au sel, particulièrement la variété Achtar dont le taux de germination n'est que très peu
affecté (~ 82 %).

L'analyse de la variance à un facteur montre une différence significative entre les différents
traitements (0, 5 et 10 g/l) et distribue les variétés en différentes classes comme le montre le tableau I.
Globalement, nos résultats montrent un effet dépressif du sel sur la germination des graines et
concordent avec ceux d'autres études [6, 13, 14].

* Longueur de l'épicotyle

Sur le plan élongation de la partie aérienne et dans nos conditions de travail, le stress salin modéré
n'affecte pas sérieusement la longueur de l'épicotyle des variétés de blé testées (figure 2). Des
observations similaires ont été rapportées [7, 15-17] chez d'autres céréales (triticale, orge et maïs).
Cependant, lorsque le stress est sévère, la discrimination entre variétés est très nette. Cette
discrimination est appuyée par une analyse de variance à un facteur dont le résultat est illustré dans
le tableau II.
Cette analyse montre des différences significatives entre les trois traitements (témoin, 5 et 10 g/l). Par
ailleurs, l'examen de la longueur de l'épicotyle figure 2, sous stress sévère, montre que les variétés
Mohamed Ben Bechir et Nesma sont significativement les meilleures de toutes les variétés (tableau
III). Elles sont suivies des variétés Achtar et Oum Rabia qui constituent une classe homogène
différente des autres. En revanche, les variétés Khiar et Razzak ne montrent aucune différence
significative entre elles et se situent en bas de l'échelle.
Nos résultats sont en accord avec ceux de Allah et Garcia-Legaz et al. [18, 19] qui ont montré un effet
variable du stress salin sur la croissance de la partie aérienne de nombreuses espèces végétales.
* Longueur de la racine
Le résultat de l'étude du système racinaire est illustré par la figure 3. Cette figure montre que, en
conditions du stress salin modéré (5 g/l) et à l'exception de la variété Oum Rabia, toutes les autres
variétés sont significativement affectées. Ce comportement particulier de Oum Rabia serait une forme
de tolérance au stress salin modéré. Ce même comportement a été signalé [6] lors de l'étude de
quelques variétés céréalières dont la variété Oum Rabia.
Lorsque le stress est sévère (10 g/l), toutes les variétés répondent négativement et de la même
manière. Cependant, la variété marocaine Nesma se montre significativement la plus tolérante au
stress, comparativement aux autres variétés.

* Conclusion

L'étude effectuée au laboratoire montre un effet variable du stress salin sur le taux de germination et
la croissance de la partie aérienne et souterraine des différentes variétés de blé étudiées, confirmant
ainsi d'autres travaux [6, 18, 19] qui ont montré un effet similaire du stress salin sur la croissance de
nombreuses espèces végétales.

Les trois paramètres combinés (taux de germination, longueur de l'épicotyle et de la racine) font
ressortir Nesma comme une variété particulièrement tolérante au sel, les variétés Achtar, Oum Rabia
et Mohamed Ben Bechir comme variétés moyennement tolérantes, et Khiar et Razzak comme
variétés sensibles. Ce sont les variétés tunisiennes qui sont les plus sensibles, aux stades
germination et plantule.

Nos résultats montrent un effet dépressif du sel sur les différents paramètres de croissance et
concordent avec ceux de Allah [18] qui a montré, lui aussi, que la croissance des tiges, des feuilles et
des racines est significativement diminuée quand la salinité dépasse 4 g/l. Ils confirment ceux de
Houchi et Coudret [20] qui ont montré la supériorité des variétés marocaines Nesma et Achtar sur
d'autres variétés céréalières. L'action du sel, dans notre travail, est d'autant plus marquée que la
concentration saline est élevée, confortant ainsi les résultats d'autres auteurs [13].

Résultats des essais réalisés au champ


* Effet du stress salin sur la croissance des plantes

Croissance en hauteur
La salinité affecte tous les processus physiologiques de la plante. Son effet se traduit, notamment, par
une réduction de la croissance en hauteur (figure 4). Cependant, certaines variétés supportent mieux
que d'autres l'eau légèrement saumâtre (Oum Rabia et Mohamed Ben Bechir).
Lorsqu'on irrigue à l'eau fortement salée (8 g/l), toutes les variétés subissent une chute de croissance
par rapport au témoin. L'analyse de la variance (tableau IV), suivie du test de Newman-Keuls, montre
une différence significative entre Oum Rabia et les autres variétés. Cependant, à l'exception des
variétés tunisiennes Khiar et Razzak, les différences entre 4 g et 8 g/l ne sont pas significatives. Ce
résultat confirme le comportement observé au laboratoire et montre la supériorité des variétés
marocaines et des variétés Mohamed Ben Bechir et Oum Rabia sur les autres. Par ailleurs, la
pluviométrie enregistrée durant l'expérimentation était faible et mal répartie (cf. Matériel et méthodes)
et ne semble pas influencer l'effet du sel sur les paramètres de croissance.
Croissance de la surface foliaire
La surface foliaire est également affectée par le sel (tableau V). À l'exception de la variété Nesma qui
ne montre aucun signe de souffrance lorsqu'elle est arrosée à l'eau salée, toutes les autres variétés
réagissent au stress salin par une réduction de leur surface foliaire. Cette réduction est confirmée par
l'analyse de la variance. Cependant, la différence entre stress modéré et stress sévère n'est pas
significative.
Il est à signaler que la variété Razzak présente toujours les surfaces les plus réduites en conditions de
stress salin. Le pourcentage de réduction par rapport au témoin est de 49 %, matérialisant une
sensibilité accrue de cette variété vis-à-vis du stress.

En effet, la surface foliaire est le siège de l'activité photosynthétique et pourrait être considérée
comme un critère de tolérance au sel plus fiable que la hauteur des tiges. Une variété dont la surface
foliaire n'est pas affectée contribuerait mieux au transfert des assimilats des feuilles vers les épis, et
donc au remplissage des grains, qu'une variété dont les feuilles sont réduites sous l'effet du stress. Ce
résultat concorde avec celui de Garcia-Legaz et al. [19] qui ont montré que la réduction de la
photosynthèse est due essentiellement à la diminution de la surface foliaire, la fermeture des stomates
et la déficience de la fixation du gaz carbonique, par suite d'une accumulation excessive de sodium
dans les feuilles des plantes.
Effet du stress salin sur les composantes du rendement

* Effet sur le nombre d'épis/m2


L'examen du tableau VI montre que le stress salin induit une réduction du nombre d'épis par unité de
surface. Cette réduction varie d'une variété à une autre et d'une intensité à une autre. Cependant,
dans certains cas (stress modéré), on observe une augmentation du nombre d'épi/m2 (cas de
Mohamed Ben Bechir et Nesma). Cette augmentation est probablement due à ce que ces deux
variétés s'accommodent mieux que les autres aux faibles doses de sel et donc continuent à former
des nouvelles tiges épiées en conditions de stress.
Plusieurs hypothèses pourraient expliquer le comportement de ces deux variétés :

- les deux variétés utilisent les ions sodium comme osmoticum engendrant un potentiel osmotique et,
par conséquent, un potentiel hydrique bas leur permettant de continuer l'absorption d'eau, comme l'ont
montré d'autres auteurs [15] ;

- les deux variétés réduisent le transport actif des ions sodium vers la partie aérienne, évitent ainsi leur
toxicité et continuent leur croissance.

Bien qu'un nombre élevé d'épis ne veut pas dire automatiquement un rendement en grains élevé, car
on peut avoir des épis de petite taille ou même des épis ayant un nombre de grains et un poids
faibles, ce critère pourrait être utilisé comme critère de sélection dans le criblage des variétés
tolérantes aux sels.

* Effet sur le poids moyen des épis


L'examen du tableau VII montre que, globalement, le stress salin réduit le poids moyen des épis, chez
toutes les variétés sauf chez Nesma. La différence entre témoin et stress modéré est significative au
seuil 5 % chez toutes les variétés, sauf Nesma et Achtar. Cependant, seules les variétés Razzak et
Khiar montrent une différence significative entre le traitement modéré (4 g/l) et le traitement sévère (8
g/l) témoignant de leur extrême sensibilité aux sels.
* Effet sur le rendement estimé
Le rendement estimé a été obtenu en multipliant le nombre d'épi/m2 par le poids moyen des épis.
Le tableau VIII montre que les variétés témoins (irriguées à l'eau douce) donnent des rendements
variant de 63 à 94 q/ha. Comparativement aux rendements moyens tunisiens (Nord + Centre et Sud)
obtenus en culture pluviale et qui ne dépassent guère les 11 q/ha [3], ces rendements témoignent de
l'importance de l'irrigation chez les céréales et de l'importance du choix des variétés les plus
productives en irrigué (Razzak et Oum Rabia par rapport aux autres variétés étudiées).
L'analyse de la variance des rendements estimés montre une différence significative entre le témoin et
le stress sévère, pour toutes les variétés sauf Achtar et Nesma. Bien qu'elles soient les plus
productives en conditions normales, les variétés tunisiennes sont les plus sensibles au stress sévère.
L'examen des données concernant le nombre d'épi/m2, le poids moyen des épis et le rendement
montre une corrélation entre ces trois paramètres.
D'après nos résultats, il ressort que le stress salin réduit le nombre d'épis par unité de surface, bien
que certaines variétés tolérantes continuent à former des tiges épiées en conditions de stress
(Mohamed Ben Bechir et Nesma). Cependant, le poids moyen des épis est réduit chez la plupart des
variétés. L'effet du stress sur ces deux paramètres combinés (nombre et poids) influence fortement le
rendement final [5, 13, 14]. Ainsi, on voit que le stress salin réduit le rendement de toutes les variétés
mais avec des degrés très variés en fonction de la variété. Ceci est en accord avec le résultat de
certains auteurs [22, 23] qui ont montré que, dans un milieu salin, les plantes ne répondent pas de la
même manière à la salinité. D'après nos résultats, les variétés Achtar, Mohamed Ben Bechir et
Nesma se montrent les plus tolérantes au sel.

Selon nos expériences et en conditions hydriques normales, le potentiel de production de la variété


Razzak dépasse celui de toutes les autres variétés testées, confirmant ainsi des travaux antérieurs [9,
12]. En conditions de stress modéré, bien que son rendement reste plus élevé que celui de Khiar,
Mohamed Ben Bechir et Achtar, il est réduit de 29 % par rapport au témoin. En revanche, en
conditions de stress sévère, la réduction atteint 69 % et le rendement obtenu est le plus bas de toutes
les variétés (29,26 contre 66,5 q/ha pour Achtar).

CONCLUSION
Notre travail comporte deux volets. Le premier a été réalisé au laboratoire et a permis de montrer que
les variétés étudiées se classent en trois groupes significativement différents. Le premier groupe est
formé de Nesma et Mohamed Ben Bechir, variétés les plus tolérantes au sel, le deuxième groupe
regroupe les variétés moyennement tolérantes : Achtar et Oum Rabia, et le troisième groupe
comporte les variétés sensibles : Khiar et Razzak.

Le second volet a été réalisé au champ. Les résultats obtenus ont permis de noter un certain nombre
de différences dans le comportement des variétés étudiées.

Il ressort que l'irrigation des variétés de blé à l'eau légèrement salée (4 g/l) n'affecte pas
significativement la croissance en hauteur, confirmant les travaux de Bouraoui et al. [7] mais que la
surface foliaire est réduite chez la plupart des variétés, à l'exception de Nesma.
Des irrigations avec une eau contenant 8 g/l de sel provoque également une réduction de la biomasse
aérienne (hauteur et surface foliaire) des variétés de blé, les variétés Nesma, Achtar et Oum Rabia
étant les moins affectées.

Concernant le rendement en grains, nos résultats montrent que l'effet du stress salin est étroitement
lié, à la fois, au poids moyen et au nombre d'épis par unité de surface. En effet, on pourrait avoir un
nombre de grains par épi important, avec des petits grains ou avec des grains mal remplis, ce qui
n'influence pas positivement les rendements. En revanche, un poids moyen par épi important non
seulement détermine les rendements mais renseigne aussi sur la grosseur des grains et sur leur
remplissage.

Il ressort donc que, dans des conditions d'irrigation avec l'eau salée, dans nos expérimentations, les
variétés Achtar, Mohamed Ben Bechir et Nesma ont donné les meilleurs rendements estimés (nombre
d'épis par unité de surface x poids moyen des épis).

Finalement, bien que Nesma, Achtar et Oum Rabia sont les moins affectées du point de vue
biologique (tige et feuille), seules Nesma et Achtar se montrent parmi les variétés les moins affectées
du point de vue production en grains. Ces deux variétés ont montré, dès le départ, des taux de
germination élevés, même sous stress sévère, indiquant que le taux de germination pourrait être
retenu comme critère précoce de sélection des espèces végétales tolérantes aux sels, comme cela a
déjà été signalé par d'autres auteurs [13, 24, 25].

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Figure 1. Variation du taux de germination chez les différentes variétés de blé en fonction du
stress salin.
Figure 2. Variation de la longueur de l'épicotyle, chez différentes variétés du blé en fonction du
stress salin.
Figure 3. Variation de la longueur des racines des différentes variétés de blé en fonction du
stress salin.
Figure 4. Variation de la hauteur des tiges, en fonction de l'intensité du stress salin, chez les
différentes variétés de blé étudiées.

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