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Résumé
L’histoire et les mécanismes de la domestication de la vigne Mots-clés
demeurent énigmatiques en dépit d’un important corpus de Archéobiologie
sources archéologiques, historiques et moléculaires. Depuis Domestication
peu, de nouveaux outils issus de la biologie sont investis par Gaule romaine
l’archéobotanique afin d’accéder à une résolution taxinomique Patrimoine
infra-spécifique au regard de taxinomies établies par l’agronomie biologique
et la génétique. Ces approches méthodologiques sont riches de Vitis vinifera L.
perspectives à la fois en archéologie et en biologie évolutive, tant
les connections entre types variétaux, sociétés, terroirs, pratiques
et usages peuvent être étroites. Certains cépages proposent un
parfait exemple d’un patrimoine biologique constituant l’assise
emblématique, souvent pluriséculaire, des viticultures régionales.
Abstract
The history and mechanisms of grapevine domestication (Vitis Keywords
vinifera L.) remain enigmatic despite a large corpus of avail- Archaeobiology
able archaeological, historical and genetic resources. Domestication
Recently, new tools from biology have been employed by archae- Roman Gaul
obotany in order to reach an infra-specific level on the basis of Biological heritage
classifications provided by agronomy and genetics. These meth- Vitis vinifera L.
odological approaches open new perspectives in both archaeol-
ogy and evolutionary biology because relationships between
varietal types, human societies, landscapes and socio-economic
uses may be intricate. Some varieties offer a perfect example of
a biological heritage constituting from several centuries, the
emblematic roots of winegrowing areas.
Food & History, vol. 11, n° 2 (2013), pp. 11–25 doi: 10.1484/J.FOOD.5.102100
12 Jean-Frédéric Terral & Laurent Bouby
Introduction
I. VAVILOV, “Wild progenitors of the fruit trees of Turkistan and the Caucasus and the problem of
the origin of fruit trees”, in The report and proceedings of the Ninth International Horticultural Congress,
(London, 1930), pp. 271-286 ; Aleksandr M. NEGRUL “Origin and classification of cultivated grape”,
in A.K.Y. BARANOV et al. (ed.) The Ampelography of the USSR, (Moscow, 1946), pp. 159-216 ;
Gaetano FORNI, “The origin of the ‘Old World’ viticulture”, in David MAGHRADZE et al. (ed.)
Caucasus and Northern Black Sea region Ampelography, Vitis special issue (2012), pp. 27-38.
2 Jana EKHVAIA, Maia AKHALKATSI, “Morphological variation and relationships of Georgian
populations of Vitis vinifera L. subsp. sylvestris (C.C. Gmel.) Hegi”, Flora - Morphology, Distribution,
Functional Ecology of Plants, vol. 205 (9) (2010), pp. 608-617 ; Ia PIPIA, Mari GOGNIASHVILI
et al., “Plastid DNA sequence diversity in wild grapevine samples (Vitis vinifera subsp. sylvestris) from
the Caucasus region”. Vitis, vol. 51 (3) (2012), pp. 119-124 ; Tengiz BERIDZE, Ia PIPIA et al., “Plastid
DNA Sequence Diversity in a Worldwide Set of Grapevine Cultivars (Vitis vinifera L. subsp. vinifera)”,
Bulletin of the Georgian National Academy of Sciences, vol. 5 (1) (2011), pp. 98-103 ; Serena IMAZIO,
David MAGHRADZE et al., “From the cradle of grapevine domestication: molecular overview of and
description of Georgian grapevine (Vitis vinifera L.) germplasm”, Tree Genetics & Genomes, vol. 9 (3)
(2013), pp. 641-658.
3 Patrick E. MCGOVERN, Ancient Wine: the Search for the Origins of Viniculture, (Princeton,
2003) ; Hans BARNARD, Alek N. DOOLEY et al. “Chemical evidence for wine production around
4000 BCE in the Late Chalcolithic Near Eastern highlands”, Journal of Archaeological Science, vol. 38 (5)
(2011), pp. 977-984.
4 Sultana M. VALAMOTI, Maria MANGAFA et al. “Grape-pressings from Northern Greece: the
Journal of Mediterranean Archaeology, vol. 16 (2003), pp. 59-78 ; Patrick E. MCGOVERN, Ancient
Wine… ; J ean-Pierre BRUN, Archéologie du vin et de l’huile. De la Préhistoire à l’époque hellénistique,
(Paris, 2004).
Domestication de la vigne (Vitis vinifera L.) et origines de cépages en France 13
au-delà seraient le fait des Romains et plus tard des installations monastiques
du Moyen Age. À la lumière des résultats archéologiques de ces dernières
années, cette histoire de la viticulture semble devoir être révisée et apparaît
beaucoup plus complexe.
Les témoins d’une viticulture précoce (vie-iie siècle av. J.-C.) sous la
forme de carporestes et de plantations fossiles, posent la question de pos-
sibles foyers de domestication et de diffusion indigènes, au contact des
sphères étrusques, phénico-puniques, grecques et marseillaises.6 La mise
en évidence sur plusieurs établissements romains (ier-iie siècle ap. J.-C). de
cépages typiquement languedociens permet d’envisager le développement
de vignobles endémiques.7 Cette viticulture locale connait des dynamiques
économiques propres que les vestiges archéologiques permettent de saisir
(culture intensive et/ou extensive, commercialisation à courtes et longues
distances).
Les temps forts de l’économie viticole gallo-romaine pluriséculaire
sont en voie d’être appréhendés mais la dynamique spatio-temporelle de
l’agrobiodiversité et ses mécanismes restent encore à caractériser à l’échelle
de la région et de la microrégion. Par ailleurs, on peut s’interroger sur
l’organisation des structures de productions et de leur diversité selon les
situations géographiques (système domanial sur le littoral et en périphérie des
agglomérations et communauté de viticulteurs dans l’arrière-pays).8
Matériel et méthodes
Pépins archéologiques
Les établissements viticoles sont nombreux au cours des ier-iie siècle AD
dans la partie méditerranéenne de la Narbonnaise, notamment dans le
Biterrois (Hérault, France). La viticulture participe d’une véritable agricul-
ture spéculative, tournée vers l’exportation, qui atteint son apogée à cette
période.9 Distants d’une vingtaine de kms, les sites du Gasquinoy et de Rec
de Ligno (Figure 1) sont tous deux impliqués dans la production viticole
et comportent des puits qui ont livré des ensembles de pépins datés du iie
siècle ap. J.-C.
Au Gasquinoy (Béziers), les fouilles ont mis au jour deux petits établisse-
ments occupés aux ier et iie siècles ap. J.-C.10 Ils comprennent chacun un petit
chai à dolia, un ou deux bassins, un puits et les restes d’un pressoir pour le pre-
mier bâtiment. Tous deux sont séparés de quelques 200 m et entourés de mil-
liers de traces de plantation de vigne (fosses alvéolaires principalement mais
aussi tranchées) qui, au plus fort de leur étendue, couvrent 15 ha sur les 20 ha
appréhendées archéologiquement. Les assemblages carpologiques du puits de
chaque établissement sont dominés par les restes gorgés d’eau appartenant à
la vigne. L’association de pépins, de baies avortées, de fragments d’épicarpes
9 Stéphane MAUNE, Les campagnes de la cité de Béziers dans l’Antiquité. Partie nord orientale
(iie av. J.-C. -vie ap. J.-C). (Montagnac, 1998) ; Jean-Pierre BRUN, Archéologie du vin et de l’huile en
Gaule romaine, (Paris, 2005).
10 Loïc BUFFAT, “L’explotacio vinicola i les seves vinyes : l’exemple de la Gallia Narbonensis”, in
e
ôn
Rh
Nîmes
lt
FRANCE
rau
Hé
Montpellier
Rec de Ligno
Or
b
Béziers
Le Gasquinoy
e
Aud
Mer Méditerranée
Perpignan
100 km
ESPAGNE
11 Isabel FIGUEIRAL, Laurent BOUBY et al., “Archaeobotany, vine growing and wine producing
in Roman Southern France: The site of Gasquinoy (Béziers, Hérault)”, Journal of Archaeological
Science, vol. 37 (2010), pp. 139-149.
12 Isabel FIGUEIRAL, Cécile JUNG et al., “La perception des paysages et des agro-systèmes
Les 179 pépins archéologiques provenant de ces deux sites sont analysés
par analogie à une collection de référence de pépins de formes sauvages et
cultivées modernes.
Wild and Cultivated Charred Grape Seeds”, Journal of Archaeological Science, vol. 23 (1998),
pp. 409-418 ; Laurent BOUBY, Jean-Frédéric TERRAL et al., “Vers une approche bio-
archéologique…”, p. 65
14 Maria MANGAFA, Kostas KOTSAKIS, “A New Method for the Identification…”, p. 409 ;
Christiane JACQUAT, David MARTINOLI. “Vitis vinifera L. : wild or cultivated? Study of the
grape pips found at Petra, Jordan ; 150 B.C. – A.D. 40”, Vegetation History and Archaeobotany, vol. 8
(1999), pp. 25-30 ; Laurent BOUBY, Philippe MARINVAL, “La vigne et les débuts de la viticulture
en France…”, pp. 16-17.
15 Laurent BOUBY, Jean-Frédéric TERRAL et al., “Vers une approche bio-archéologique…”, p. 63.
Domestication de la vigne (Vitis vinifera L.) et origines de cépages en France 17
Bec
Morphométrie traditionnelle
X
B
Y
Vue latérale
S
PCH
LS
X
Figure 3 : Structure morphologique d’un pépin de raisin et approche méthodologique des études
morphométriques, traditionnelle et géométrique.
16 James S. CRAMPTON, “Elliptic Fourier shape analysis of fossil bivalves: some practical
pp. 446-449.
18 James S. CRAMPTON, “Elliptic Fourier shape analysis of fossil bivalves…”, p. 182.
18 Jean-Frédéric Terral & Laurent Bouby
19 F. James ROHLF, James W. ARCHIE, “A comparison of Fourier methods for the description of
Wing shape in Mosquitoes (Diptera: Culicidae)”, vol. 33, n°3 (1984), pp. 302-217.
20 A. John HAINES, James S. CRAMPTON, “Improvements to the method of Fourier shape
analysis as applied in morphometric studies”, vol. 43, n°4 (2000), pp. 765-783.
21 Laurent BOUBY, Jean-Frédéric TERRAL et al., “Vers une approche bio-archéologique…”, p.
64 ; Laurent BOUBY, Agriculture dans le bassin du Rhône… ; Jean-Frédéric TERRAL, Elidie TABARD
et al. “Evolution and history of grapevine…”, p. 449 ; Laurent BOUBY, Isabel FIGUEIRAL et al.
Domestication de la vigne (Vitis vinifera L.) et origines de cépages en France 19
-4 -2 0 2 4 6
2
1 A
1
Clairette blanche
Scores canoniques 2 (13,5%)
-1
-2
-8 -6 -4 -2 0 2 4 6
B 4
2
2
Clairette blanche
Scores canoniques 2 (13,6%)
-2
-4
-6
Vitis vinifera subsp. sylvestris prélevées in natura
Vitis vinifera subsp. sylvestris cultivées en collection
Vitis vinifera subsp. vinifera - cépages
-8
Scores canoniques 1 (24,3 %)
Figure 4 : Résultats de l’Analyse Factorielle Discriminante (représentation des plans 1-2 décrivant
respectivement 88,5% et 37,9% de la variation morphologique totale) pratiquées sur les descrip-
teurs morphométriques traditionnels (1) et géométriques (2).
“Bioarchaeological Insights into the process of domestication of grapevine (Vitis vinifera L.) during
Roman Times in Southern France”, PLoS ONE vol. 8(5), e63195. doi:10.1371/journal.pone.0063195.
20 Jean-Frédéric Terral & Laurent Bouby
Résultats
Les analyses ont porté sur 179 pépins archéologiques provenant des deux
puits du Gasquinoy et de celui de Rec de Ligno (Tableau 1). Dans tous les
cas une proportion importante de graines est attribuée au type sauvage.
Celle-ci est parfois équivalente à la proportion affectée au compartiment
cultivé. Le nombre de pépins attribués au type sauvage est comparable
Domestication de la vigne (Vitis vinifera L.) et origines de cépages en France 21
Discussion
Un des moyens privilégiés avec succès ces dernières années en France pour
affiner notre résolution taxinomique dans l’identification des fruits est la
morphométrie et, plus particulièrement, la morphométrie géométrique qui
s’attache à une analyse de la structuration géométrique des objets en associant
ou en distinguant, selon les approches, les informations relatives à la taille et
à la forme.23 Ces travaux s’appuient sur d’importants référentiels biologiques
modernes comprenant de nombreuses populations sauvages et/ou variétés
cultivées pour une même espèce fruitière. Les espèces concernées sont pour
l’heure l’olivier,24 la vigne,25 récemment le cerisier (Prunus avium/cerasus)26
et enfin le palmier dattier et ses espèces affines (Phoenix spp.).27
22 Jean-Frédéric TERRAL, Elidie TABARD et al. “Evolution and history of grapevine…”, p. 452.
23 Miriam L. ZELDIRCH, Donald L. SWIDERSKI et al., “Geometric Morphometrics for
domestication (Olea europaea L.) as revealed by geometrical morphometry applied to Biological and
Archaeological material”, Journal of Biogeography, vol. 31 (2004), pp. 63-77 ; Claire NEWTON,
Jean-Frédéric TERRAL et al., “The Egyptian olive (Olea europaea subsp. europaea) in the later first
millennium BC: origins and history using the morphometric analysis of olive stones”, Antiquity, vol.
80 (2006), pp. 405-414.
25 Laurent BOUBY, Jean-Frédéric TERRAL et al., “Vers une approche bio-archéologique…”,
avium L. (Rosaceae) and related cherry species: focus on the stones from the Hôtel-Dieu archaeological
site (16th c., Tours, France) using morphometrics”, Vegetation History and Archaeobotany, vol. 20 (5)
(2011), pp. 447-458.
27 Jean-Frédéric TERRAL, Claire NEWTON et al. “Insights into the complex historical
biogeography of date palm agrobiodiversity (Phoenix dactylifera L.) using geometric morphometrical
analysis of modern seeds from various origins and Egyptian ancient material”, Journal of Biogeography,
22 Jean-Frédéric Terral & Laurent Bouby
pp. 137-172.
29 Philippe MARINVAL, L’alimentation végétale en France du Mésolithique jusqu’à l’âge du
Fer, (Paris, 1988). Ramon BUXO I CAPDEVILA “Evidence for vines and ancient cultivation from
an urban area, Lattes (Hérault), Southern France”, Antiquity, vol. 70 (1996), pp. 393-407. Laurent
BOUBY, Jean-Frédéric TERRAL et al., “Vers une approche bio-archéologique…”, pp. 66-67. Laurent
BOUBY, Agriculture dans le bassin du Rhône…
30 Daniel ZOHARY, Maria HOPF et al. Domestication of plants in the old world, (Oxford, 2012
th
– 4 edition).
31 Patrice THIS, Thierry LACOMBE et al. “Historical origins and genetic diversity of wine
grapes”, Trends in Genetics, vol. 22 (2006), pp. 511-519 ; Sandrine PICQ Diversité et évolution
chez Vitis vinifera L. de traits impliqués dans le syndrome de domestication et dans la biologie de la
reproduction, Thèse de Doctorat (Université Montpellier 2).
Domestication de la vigne (Vitis vinifera L.) et origines de cépages en France 23
32 Louis LEVADOUX, “Les populations sauvages et cultivées de Vitis vinifera L.”, Annales de
Frédéric TERRAL, Elidie TABARD et al. “Evolution and history of grapevine…”, pp. 452-453.
24 Jean-Frédéric Terral & Laurent Bouby
Remerciements
34 Ibid., pp. 452-453 ; Laurent BOUBY, Jean-Frédéric TERRAL et al., “La vigne sauvage (Vitis
vinifera subsp. sylvestris) : une plante cultivée dans les établissements viticoles de la Narbonnaise?”, in
C. DELHON, I. THERY-PARISOT, S. THIEBAULT (ed.), Exploitation du milieu….
35 Laurent BOUBY, Jean-Frédéric TERRAL et al., “Vers une approche bio-archéologique…”, pp.
67-68 ; Laurent BOUBY, Jean-Frédéric TERRAL et al., “La vigne sauvage…”, p. 134.
36 Laurent BOUBY, Jean-Frédéric TERRAL et al., “La vigne sauvage…”, pp. 135-136.
37 Serena IMAZIO S., Massimo LABRA et al. “Chloroplast microsatellites to investigate the
origin of grapevine”, Genetic Resources and Crop Evolution, vol. 53 (2006), pp. 1003-1011.
38 Louis LEVADOUX “Les populations sauvages et cultivées de Vitis vinifera L.”, Annales de
Chardonnay, Gamay, and other wine grapes of northeastern France”, Science, vol. 285, 5433 (1999),
pp. 1562-1565.
40 Ibn AL-AWWÂM, Livre de l’agriculture, VII, pp. 45-46.
Domestication de la vigne (Vitis vinifera L.) et origines de cépages en France 25