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H.

JACQUES-F~LlX

de
f' •

RENE (AILhIE
,
a

Mu-séum National d'Histoire Naturelle


CONTRIBUTION
de

RENÉ CAILLIÉ
à

L'ETHNOBOTANIQUE AFRICAINE
CONTRIBUTION DE RENÉ CAILLIÉ
A L'ETHNOROTANIQUE AFRICAINE

AU COURS DE SES VOYAGES EN MAURITANIE


ET A

TOMBOUCTOU
1819-1828

par

H. JACQUES-FéLIX
Directeur de Recherches
O.R.S.T.O.M.

PARIS
57, rue Cuvier (5 e )
Publié par le Journal d'Agriculture tropicale et de Botanique appliquée
10, 1963 : 287-334; 449-520; 551-602
avec le concours
de l'Office de la Recherche Scientifique et Technique Outre-Mer
24, rue Bayard, Paris (8e )
CONTRIBUTION
DE RENÉ CAILLIÉ AL'ETHNOBOTANIQUE AFRICAINE
AU COURS DE SES VOYAGES El MAURITANIE ET A TOMBOUCTOU
i8i9 - t828
Par H. JACQUES-FÉLIX.


AVANT-PROPOS

Depuis cette époque où le voyage de René CAILLIÉ à Tombouctou


provoquait un retentissement considérable en Europe, un siècle
s'est écoulé et un cycle de l'Histoire africaine s'est achevé.
A la suite de ces premiers voyages de découverte, qui succédaient
eux-mêmes à la sombre période des comptoirs côtiers et de l'escla,..
vagisme, le Continent africain fut sillonné de raids plus précis qui
devaient cerner les zones d'influence que se réservaient quelques
nations d'Europe. Puis celles-ci occupèrent, par des cadres mili-
taires, administratifs et techniques, ces différentes régions qui deve-
naient des territoires dépendants. Enfin c'est la période actuelle de
décolonisation, d'accession à l'indépendance de nations africaines,
encore mal taillées le plus souvent puisque installées dans les
frontières arbitraires des anciennes colonies.
Partant de cette situation nouvelle et remontant jusqu'aux pre-
miers contacts entre les hommes des autres continents et ceux d'A-
frique, les historiens de la colonisation ont maintenant tout loisir
d'étudier ce que furent ces rapports humains, en fonction des indi-
vidus, et surtout leur évolution d'ensemble, en fonction des contin-
gences générales.
Sur le plan des relations individuelles le cas « René Caillié» est
certainement unique en son genre et pourrait fournir matière à
des thèses de grand intérêt. Tel n'est pas notre objet, et si quelques
pages terminales sont consacrées à la personnalité de l'explorateur,
notre devoir ici est de tirer de l'oubli la partie la plus négligée de
son Journal, celle relative aux observations sur la végétation, les
plantes utiles et les plantes cultivées, soit, pour résumer d'un mot,
la partie ethnobotanique de son Ouvrage.
JOURNAL n'AGRIC. TROPICALE ET DE BOTANIQUE APPLIQl.T~E, T. X, NI) 8-9, AOUT-SEPTEMBRE 1963

Les illustrations de ce travail ont été réalisées avec le concours de l'O.R.S.T.O.M.


-- 2 --

On pourrait penser que c'est là une tâche hien inutile. Depuis la


publication du Journal de R. CAILLIÉ, l'agriculture africaine n'a-t-
elle pas subi un bouleversement considérable par le fait même de
la colonisation et n'a-t-elle marqué partout des progrès qui n'ac-
cordent plus qu'un mince intérêt aux rétrospectives? En réalité les
cultures nouvelles, comme celles du café et du cacao, qui furent
développées pour les besoins des marchés européens, et les progrès
techniques touchant certaines autres cultures, n'ont fait que se
superposer à la production autarcique traditionnelle des denrées
de consommation par le paysan africain. Et ridicules étaient les
espoirs des « hommes d'état» qui s'attendaient à de graves crises
alimentaires dans les jeunes républiques par suite du brusque
retrait des services techniques et de la réduction des marchés ex-
térieurs.
C'est également une erreur que de vouloir faire avancer l'agri-
culture de pays sous-développés en ignorant l'œuvre empirique
des siècles antérieurs. A cet égard on peut seulement regretter au-
jourd'hui que l'enseignement de l'Agronomie tropicale, tel qu'il a
toujours été donné officiellement en France pendant la première
moitié du vingtième siècle, ait toujours été aussi étroitement prag-
matique, sans jamais accorder la moindre place à l'histoire de l'a-
griculture africaine d'abord, puis des tentatives, échecs et réussites,
des pionniers de la colonisation.
Alors que, de ce fait, tant de techniciens diplômés sont passés
sans les voir dans les cultures des villageois africains, on ne peut
éprouver que plus d'admiration pour le voyageur R. CAILLIÉ qui,
sans directives ni connaissances préalab,les, dans des conditions
toujours difficiles et souvent dangereuses, sut observer si intelli-
gemment les travaux des champs et s'intéresser si humainement
aux genres de vie des paysans.
La relation en trois volumes du voyage de R. CAILLIÉ ayant con-
servé l'ordre et la forme du Journal de route, on ne peut en extraire
la matière des sujets particuliers sans de sérieux remaniements
de texte. Dans le détail même les phrases modifiées l'ont toujours
été par suppression de passages étrangers à notre sujet mais ja-
mais par addition de parties qui ne soient de l'auteur. Dans l'en-
semble, pour que la suite de ces extraits ne soit trop disparate et
évite les répétitions, j'ai essayé de grouper les sujets en de brefs
paragraphes n'altérant pas trop l'ordre chronologique. Les titres de
ces paragraphes numérotés se retrouvent à la table des matières.
Le texte se répartit ainsi entre 169 paragraphes alors que dans
son travail de références Th. MONOD a relevé 210 citations. C'est
dire qu'en outre du regroupement effectué j'ai aussi négligé la cita-
tion de quelques plantes sans intérêt ethnobotanique.
~3-

Nos commentaires et autres citations, qui accompagnent le texte


de R. CAILLIÉ, sont d'une typographie distincte. Ils ont essentielle-
ment pour objet d'identifier et de compléter, à la faveur de nos
connaissances actuelles, les plantes et les renseignements relatés
dans le Journal. Dictés surtout au gré des réminiscences ils sont
très incomplets ainsi que les références bibliographiques données
en bas de page. Les ouvrages généraux, relatifs au voyage de R.
CAILLIÉ et à l'ethnographie africaine, sont cités à la fin du Mémoire.
Je dois encore un avertissement relatif aux illustrations. Si j'ai
consulté parfois des photos qui ne m'appartiennent pas, ce n'en
sont aucunement des copies. Ce sont des compositions assez libres
où j'ai tenté d'allier des paysages ou scènes champêtres à des
détails botaniques. Cette disparité des échelles est sans importance
pour ceux qui connaissent les objets représentés et je suis per-
suadé que ceux qui ne les connaissent pas sauront, d'eux-mêmes,
rétablir la valeur des proportions.
Je serais heureux si ce travail, qui constitue pour moi un hom-
mage à la mémoire de R. CAILLIÉ, était aussi une source d'intérêt
pour ceux, Africains et autres, qui s'intéressent à l'ethnobotanique
africaine.

INTRODUCTION

Ainsi que l'on s'est plu à reconnaître l'importance des résul-


tats géographiques du voyage de R. CAILLI'É, c'est également dans
une spécialité de cette même discipline, la phytogéographie, que
ses observations sur les végétaux auraient pu présenter un intérêt
scientifique certain si elles avaient été exploitées en leur temps.
Par le développement même de son itinéraire qui couvrait plus
de 25 de latitude, traversait le seul massif montagneux quelque
0

peu important de l'Afrique occidentale, allait des régions tropi-


cales humides aux bords lumineux de la Méditerranée en passant
par le plus vaste désert du monde, ce trajet donnait une « coupe»
presque complète de l'Afrique d'hémisphère Nord.
Sans doute peut-on objecter que le manque des collections qui
auraient permis les déterminations des plantes observées, et l'in-
suffisance des connaissances de R. CAILLIÉ, constituaient un obs-
taCle à la mise en valeur de ses renseignements. Bien que nous
définissions, de nos jours, les territoires géobotaniques d'après
l'ensemble des flores régionales et des facteurs qui les déterminent,
nous n'en revenons pas moins souvent à les typifier par quelques
espèces seulement, choisies en raison de leur physionomie, de leur
abondance, et de leur extension qui coïncide avec la limite moyenne
-4-
d'espèces plus nombreuses. C'est bien cette méthode qu'appliquait
R. CAILLIÉ en ne relevant la présence que de quelques arbres re-
marquables et que leur utilité désignait, par ailleurs, à l'attention
populaire. Point n'eut été besoin, pour tracer approximativement
les zones de végétation des pays traversés, d'être en possession du
nom scientifique des espèces relevées. Ainsi, sans en savoir da-
vantage sur le Koura (§ 43) ("'), il apparaissait nettement aux
citations du Journal, que la limite de cette espèce, cessant vers
l'Est où commence celle du Karité (§ 64), constituait un fait géo-
graphique déjà valable en soi et dont il ne restait plus qu'à recher-
cher la causalité.
Ce qui rendait utilisables les informations géobotaniques de
R. CAILLIÉ, c'était leur imperturbable régularité. Il n'était pas
d'étape sans notation, au moins sommaire, des plantes rencontrées.
Ce sont ces répétitions journalières, que certains ont regrettées
pour la valeur littéraire du récit, qui assurèrent précisément une
valeur scientifique à sa relation, réduisant ainsi à peu d'importance
le manque de remarques sur les faits négatifs. On sait bien, en effet,
qu'à moins de se livrer spécialement à un travail de prospection,
le voyageur a tout naturellement tendance à noter les plantes
nouvellement rencontrées mais, par contre, à ne pas signaler la
disparition des espèces qu'il ne voit plus sur sa route.

LES SAISONS. - Il n'est pas indifférent de savoir en quelles sai-


sons R. 'CAILLIÉ a effectué les différents parcours de ses voyages.
Il est arrivé en Mauritanie à l'époque des orages mais il y est
resté pendant toute la saison sèche, en subissant toutes les ri-
gueurs et suivant les troupeaux à la recherche des points d'eau et
des pâturages.
Il est parti de Boké en fin de saison sèche. Les premiers orages
qu'il essuie dans le Fouta-Djallon font reverdir le tapis herbacé et
jettent une nouvelle parure de feuilles sur la grisaille des arbres.
En mai, alors que les pluies sont bien déclarées, il est dans la val-
lée du Tinkisso, où il assiste aux semailles et plantations. Pendant
son séjour à Kankan, du 16 juin au 16 juillet, les pluies se font de
plus en plus fréquentes et lui font craindre que les rivières gon-
flées n'entravent sa marche. Il arrive à Tiémé en août, mois pen-
dant lequel la pluviométrie y atteint généralement son maximqm.
Cette humidité continuelle lui est funeste, car il est atteint d'ul-
cères phagédéniques, puis il contracte le scorbut. Durant son sé-
jour douloureux dans cette localité, il fit d'excellentes remarques
sur le régime des pluies au cours des saisons.

("') Ces numéros renvoient aux paragraphes du texte.


-5-
Ce n'est que six mois plus tard, avec le retour des vents secs,
qu'il recouvre la santé et qu'il peut reprendre sa route en janvier,
mais: « La campagne avait perdu tout son charme : les herbes
étaient brûlées, les arbres dépouillés d'une partie de leurs feuil-
les... ». Hormis les quelques potagers irrigués auprès des villages,
il n'existait plus de cultures sur pied dans les champs reconnais-
sables seulement aux quelques tiges de sorgo éparses sur le sol
désséché (§ 116).
Pour le trajet de Djenné à Tombouctou, il importe seulement
de savoir qu'en mars et avril le Niger n'était plus en crue et ne
s'étalait pas sur les plaines immenses de la façon que lui décri-
vaient les bateliers.
Il n'y a pas de saison pluvieuse dans le Sahara central où plu-
sieurs années peuvent s'écouler sans aucune précipitation. Si bien
que R. CAILLI'É quittant Tombouctou en mai, alors que la longue
saison sèche d'hiver a tout grillé, arrive en août, en pleine séche-
resse d'été, au Maroc. Les fruits sont mûrs dans les vergers, mais
les campagnes à céréales sont dénudées hors des quelques lopins
irrigués.

Chorologie des palmiers

Dans un travail d'écologie il peut être intéressant de suivre les


différents éléments d'une unité systématique dont les aires se
juxtaposent au gré de leurs exigences respectives. Cette possibi-
lité nous est fournie par les Palmiers dont quatre espèces ont été
successivement observées par R. CAILLIÉ.
Sur la côte chaude et pluvieuse de Guinée, il note l'abondance
du palmier à huile, l'Elaeis guineensis (§ 38) et n'en parle plus
dès les premiers contreforts du Fouta-Djallon. Bien plus loin il
relatera leur présence, entre Tiémé et Djenné, sur des sols frais
(§ 95 et 108); mais «ils ne viennent pas, à beaucoup près, aussi
bien que sur la côte».
Ce sont les palmiers ronniers (Borassus) qui leur succèdent
dans le paysage à partir de Tengréla (§ 95) jusqu'au confluent
du Bani et du Niger (§ 127).
En avançant encore davantage dans la zone sèche c'est le cu-
rieux palmier doum (Hyphaene) qui apparaît. En réalité, R. CAIL-
LIÉ n'en a vu qu'un seul exemplaire à Tombouctou; mais nous
avons fait remarquer (§ 136 b) que cela tenait probablement à ce
que ce trajet s'était effectué par le fleuve dans la zone d'inonda-
tion.
Enfin, après la large interruption du Sahara intégral, encore en
plein désert, à la faveur de maigres puits, quelques palmiers-
-6-
dattiers (Phœnix) annoncent les vastes palmeraies du Drâ et du
Tafilalet (§ 148). Celles-ci, à leur tour, disparaissent dans l'Atlas
et ne se reconstituent pas sur les "ersants atlantique et méditer-
ranéen du Moghreb.
C'est le Chamerops humilis qui leur succède, mais R. CAILLI'É
n'a pas cité ce palmier nain qui aurait si heureusement complété
la série.
Si l'humidité du sol joue un rôle important dans la subsistance
de ces palmiers, il est clair par ailleurs, que ce sont leurs exigences
thermiques, photiques et hygrométriques qui sont à la base de leur
répartition.

Les territoires botaniques

Nous pouvons évoquer rapidement. et suivre sur la carte, le


passage de R. CAILu'É à travers les différents territoires botaniques.

RÉGION GUINÉENNE. - A son départ de Boké il est dans la région


guinéenne: la caravane « marchant à l'ombre des forêts» ne s'a-
percevait « pas de la chaleur excessive du jour ». Il est exact que
partout ailleurs que sur les plateaux latéritiques et en dehors des
défrichements, les essences guinéennes. comme Chlorophora regia,
Parinari excelsa, Parkia biglobosa, Erythrophleum guinel2nse,
Anisophyllea laurina (toujours très fréquente en taillis dans les
jachères interculturales). pouvaient constituer des boisements
importants et donner une ombre appréciable. De plus, à cette
époque, il existait probablement des lambeaux forestiers hygro-
philes, plus étendus que de nos jours et dont nous ne connaissons
plus que de rares exemples relictuels. réfugiés surtout dans les
ravins. Citons: Daniella thurife'ra, Klainedoxa ga.bonensis, Cana-
rium Schweinfurthii, Piptadenia africana, Pycnanthus angolensis,
Alstonia congensis, Antiaris africana, etc...• et on comprend que
R. CAILLIË parle d'une « source ombragée par de grands arbres qui
semblent élever leurs têtes majestueuses jusqu'aux nues». Une
excellente photo, prise au début de ce siècle par H. POBÉGVIN,
montre précisément un coin de la forêt de Bambaya tra,-ersée par
R. CAILLIÉ.
Cependant, le long de cette route des caravanes et surtout auprès
des campements de bergers, la végétation devait être dégradée par
endroits et R. CAILLIÉ dut voir bien souvent aussi ce petit arbre
épineux à jolies inflorescences bicolores que GUILLEMIN et PERROT-
TET devaient lui dédier et que nous connaissons aujourd'hui sous
le nom de Dichrostachys glomerata.
- 7--

Faciès montagnard. En traversant le Fouta Djallon R. CAILLIÉ


n'a guère atteint qu'une altitude de 1000 m, suffisante cependant
pour que les forêts comportent surtout « beaucoup d'arbres à
caura» (§43).

RÉGION SOUDANAISE. - Sur le versant oriental du Fouta Djalion


le changement est brutal. R. CAILLIÉ ne reverra plus ni le Koura
ni la plupart des arbres de la région côtière. Ce n'est toutefois
qu'en arrivant dans la vallée du Tinkisso qu'il atteint la limite
occidentale du Karité pour n'en quitter la limite septentrionale
qu'aux abords de Djenné. Il est à remarquer que le Néré (Parkia
biglobosa et ses variétés) tout en s'étendant aussi loin vers le Nord
que le Karité, le déborde largement vers l'Ouest et R. CAILLIÉ le
signalait depuis la côte (§ 44). Quant au Baobab, il en trouve les
premiers exemplaires à Saraya. En fait, cet élément soudanais,
particulièrement voyant, est propagé par l'homme et gagne ainsi
sur ses limites naturelles.
Entre le Tinkisso et Kouroussa, R. CAILLIÉ nous dit qu' « En
avançant, la campagne continue d'être boisée, mais les arbres ne
sont ni aussi gros, ni aussi élevés que les précédents». Ceci corres-
pond assez bien aux petites forêts sèches que nous connaissons
encore aujourd'hui dans cette région et où domine le Monotes
Kerstingii.
Lorsque, de Kankan, R. CAILLIÉ oblique vers le Sud-Est, il se
rapproche à nouveau de la Région guinéenne. A défaut de l'at-
teindre il évoque, d'après les récits que lui font les villageois, ces
régions du Sud très humides, où le Cani (Xylopia aethiopica), le
Taman (Pentadesma butyracea) et le Colatier, poussent en abon-
dance.
Puis, dans sa route vers le Nord, R. CAILLIÉ traverse toute l'aire
du Karité là où les peuplements sont les plus denses: « La cam-
pagne que nous venions de parcourir était couverte de cés; ce n'é-
tait qu'une forêt immense: c'est l'arbre qui domine dans toute
cette partie ». Cependant, à mesure que se font sentir les influences
sahéliennes, les épineux xérophiles, comme les Balanites, les Ju-
jubiers et les Acacias, se mêlent aux Karités qui deviennent moins
nombreux.
R. CAILLIÉ -n'a pu voir disparaître ces deux espèces fidèles, le
Karité et le Néré, qui agrémentaient sa route depuis Tiémé. Selon
Y. URVOY ("'), qui a tracé avec précision les limites de la végétatioQ

("') Matériaux pour une carte phytogéographique du Bassin Nigérien. Bull.


Corn. Et. Hist. et Sdent., A.O.F., 21, 1938 : 174-176, une carte.
~ 8--

dans cette région, c'est sensiblement à hauteur du confluent Bani-


Niger que s'arrêtent ces deux espèces. En ce point notre voyageur
naviguait sur le fleuve et cette transition lui a échappé. Si bien
qu'en arrivant à Tombouctou le paysage lui est apparu brusque-
ment changé: il se trouvait aux portes du désert.
Domaine sahélien. En réalité, cette zone sahélienne à épineux,
R. CAILLIÉ l'avait bien connue pour en avoir supporté les chaleurs
pendant son séjour en Mauritanie: c'est la zone exclusive des
épineux et en particulier des Acacias.
Domaine saharien. La végétation du désert est d'une éloquente
simplicité. Un acacia (A. raddiana) le plus souvent réduit à de
maigres buissons, le Cornulaca monacantha, le Salvadora persica
et quelques touffes d'Aristida, sont à peu près les seules plantes que
R. CAILLIÉ ait pu observer au cours de ce long et pénible trajet.

RÉGION MÉDITERRANÉENNE. ~ Ce n'est qu'au-delà du 25° de lati-


tude Nord que quelques misérables dattiers autour d'un puits an-
noncent à R. CAILLIÉ que le désert ne sera plus aussi implacable:
«Depuis si longtemps que je n'avais rien vu de pareil en fait de
végétation, je me crus dans un des plus beaux pays du monde ».
(§ 148).

Domaine saharo-septentrional. En réalité le désert s'étend jus-


qu'au pied de l'Atlas et les autres Eléments méditerranéens les
plus marquants aux yeux du voyageur, sont, comme le dattier, des
plantes domestiques, le blé et l'orge cultivés dans les oasis que vi-
vifient les eaux cachées sous le sable des ouadi; puis, plus au Nord,
les premiers arbres fruitiers.
Domaine moghrebin montagnard. Le passage de R. CAILLIÉ au
travers du Moyen-Atlas lui fera sentir en quelques étapes la brus-
que transition entre le Domaine saharien du dattier et le Domaine
méditerranéen de l'olivier. L'aubépine, l'églantier, le buis, accrochés
aux pentes rocailleuses, sont autant d'arbrisseaux familiers qui lui
rappellent les haies de son bocage natal.
Domaine moghrebin atlantique. Enfin, parvenu sur l'autre ver-
sant des monts, R. CAILLIÉ n'a plus guère d'observations à faire
sur la végétation générale: la sécheresse désole les plaines, son
témoignage sur ces régions connues n'importe plus guère, le grave
problème de son rapatriement le préoccupe et son état d'épuise-
ment est aux limites de l'effondrement.
- 9--

Géographie agricole et alimentaire.

C'est en cette matière surtout que R. CAILLIÉ a montré ses excel-


lentes facultés d'observateur. Bien que tourmenté dés son enfance
par les tentations de l'aventure, il n'en était pas moins imprégné
de la vie des paysans toujours préoccupés de labours, de récoltes
et des caprices du temps. II était, sur ce terrain, de plain-pied avec
les villageois africains. Cette question des champs le touche per-
sonnellement: nous le verrons s'indigner là de sarclages bâclés et se
réjouir ailleurs «de voir ces bonnes gens se livrer au travail avec
tant d'ardeur et de soin» (§ 77).
Et plus tard, lorsque la réalisation même de ses rêves en aura
brisé l'enchantement, c'est comme travailleur de la terre qu'il re-
viendra dans son pays natal.
II était également plus facile de suivre quelques dizaines au plus
de plantes cultivées et de converser à leur sujet que d'enquêter
ouvertement sur la végétation spontanée. Enfin R. CAILLIÉ avait pu
faire la connaissance de certaines d'entre elles, tant aux Antilles
qu'à Saint-Louis et à Freetown.
Nous le verrons énumérer le riz au Rio-Numez (§ 41); le fonio
au Fouta-Djallon et dans le Kankanais (§ 61) et il insiste très op-
portunément sur l'importance de cette dernière petite céréale pour
toute cette région. Les ignames occupent l'aire méridionale du
Karité et leur productivité diminue vers le Nord où elles recèdent la
place aux cultures des «mils» : sorgos et pénicillaires (§ 83, 105).
C'est dans ces régions difficiles que l'on fait souvent appel au
ramassage de graines sauvages, comme le aze en Mau ritanie (§ 27).
R. CAILLIÉ ne manque jamais de décrire les modes alimentaires
(§ 84). Dans tous les pays tropicaux les farines extraites des cé-
réales se consomment cuites à l'eau, soit en bouillies claires, soit en
pâtes plus épaisses; ou bien les grains décortiqués, ceux du riz et
parfois du fonio, sont cuits entiers, à l'eau ou à la vapeur. Enfin,
pour l'avoir éprouvée, R. CAILLIÉ fait bien sentir la précarité de
l'alimentation lactée chez les nomades de Mauritanie (§ 25).
La première culture qu'il rencontre au Nord du Sahara est celle
du dattier, car il s'agit bien d'une culture avec toutes ses exigences.
Puis, dans l'ombre de ces oasis s'organisent les petits jardins irri-
gués où l'on trouve encore le péniciIIaire tropical, mais plus fré-
quemment les céréales méditerranéennes: le blé et l'orge. Notre
voyageur montre bien la place prépondérante de la datte sèche dans
l'alimentation des sédentaires et nomades rattachés aux grandes
palmeraies du Sud de l'Atlas.
Puis ce sont brusquement les vergers et potagers qui cachent
jalousement derrière leurs murs, la richesse de leurs arbres frui-
tiers et de leurs melonnières (§ 161). Enfin, dans les plaines, des
-10-

-champs irrigués de maïs et de blé, sont les seules cultures que R.


CAILLIÉ puisse voir en cette fin d'été.
Bien que recevant plus souvent la maigre part du «meskine»
que convié aux repas des notables nous verrons au récit de notre
voyageur que l'alimentation est plus variée au Maroc qu'en
Afrique noire. Les fruits et les légumes y entrent pour une part
plus appréciable dans la composition des repas, tandis qu'en
pays tropical les potages ont surtout pour rôle de faire avaler
le plat de farineux. Enfin, si au Moghreb on consomme couram-
ment semoule et gruau cuits à la vapeur pour le couscous, la
fabrication du pain tend à se généraliser, depuis le fruste procédé
du nomade qui cuit sa pâte sur une pierre chauffée de quelques
brindilles, jusqu'à la panification normale (§ 150, 152).
En dehors des plantes céréalières et à tubercules, qui consti-
tuent la base de l'alimentation, R. CAILLIÉ a également fait des
-observations valables sur les autres cultures et produits ali-
mentaires moins importants : oléagineux, textiles, tabac, etc...
En ce qui concerne les oléagineux, par ex., il ne cite certes pas
toutes les espèces des forêts guinéennes susceptibles de fournir
des matières grasses, mais il a relevé les plus utiles à l'homme:
le palmier à huile (§ 38), le karité (§ 85) et le Penladesma (§ 86).
La question des boissons fermentées était intéressante à cette
-époque, avant qu'elle n'ait subi d'influences extérieures. En Afrique
comme ailleurs les hommes attendent volontiers que la fermen-
tation ait transformé en alcool le sucre des boissons qu'ils tirent
de diverses provenances. Ainsi, pour la seule région du Rio Nunez,
R. CAILLIÉ cite un fruit sucré, la sève d'un palmier et un tuber-
cule, comme source de glucide fermentescible. Ailleurs c'est le
mil malté qui sert à faire de la bière, ou encore le miel dont on
fait de l'hydromel. Enfin, au Moghreb, on retrouve la vinification.
L'interdit islamique est plus ou moins observé par l'ensemble
des populations. Les Nalous et Landamas «non soumis à la loi
du Prophète» consomment ouvertement des boissons alcoolisées
(§ 37); mais les Dialonkés du Baleya «boivent en secret» (§ 66);
à Tengréla l'hôte musulman de R. CAILLIÉ transgresse la loi cora-
nique et puise trop fréquemment dans la calebasse de bière (§ 96) ;
enfin, les juifs du Moghreb préfèrent boire leur vin de ménage
à l'insu de leurs voisins musulmans (§ 159). Par contre les jus
sucrés, comme le potârou (§ 43), ou le sirop de Kondou (§ 129)
sont autorisés à l'état frais.
Les observations de R. CAILLIÉ sur les cotonniers forment un
tableau assez complet de la situation à cette époque. Ainsi il eut
l'occasion de voir, en Mauritanie, un cotonnier spontané, et
d'ailleurs inexploité, le Gossypium anomalum (§ 17); puis, dans
-11-

la vallée du Niger il remarqua un cotonnier herbacé annuel se


rapportant très probablement à une espèce archaïque, typique-
ment africaine, le G. obtusifolium (§ 111); enfin, les cotonniers
plus couramment cultivés, au Sénégal et ailleurs, devaient être
soit des variétés du G. obtusifolium, soit des variétés introduites
anciennement des Indes par l'intérieur du Continent, soit enfin
des cotonniers américains apportés avant les introductions offi-
eielles de variétés améliorées.

Les plantes médicinales..


Ce n'est guère qu'au cours de son séjour chez les Braknas que
R. CAILLIÉ acquit quelques renseignements sur la phytothérapie
locale (§ 16). Ailleurs, là où la flore accordait infiniment plus de
ressources à la médecine populaire, il n'eut guère la possibilité de
s'informer. Par contre il possédait un certain sens de l'utilisation
des «simples ». S'il s'agissait parfois de recettes préalablement
apprises, en d'autres cas il innovait manifestement et il lui arrivait
« d'ordonner» des médicaments en se basant, par analogie, sur
les propriétés des plantes locales: ainsi les cataplasmes de pour-
pier (§ 71), de feuilles de baobab (§ 82), Je gombo pectoral (§ 120),
etc...
Les plantes magiques.

Moins encore que pour les plantes médicinales, il n'était pos-


sible à R. CAILLI'É d'enquêter sur un sujet dont les initiés préfèrent
garder le secret. Au surplus il semblait peu intéressé par ce genre
de question et le seul renseignement qu'il a recueilli est celui con-
eernant l'emploi du tali comme poison d'épreuve. Et encore est-il
probable que ce sont ses informateurs européens, commerçants à
Boké, qui avaient attiré son attention sur cette pratique (§ 36).

Vintn>duction dies espèces cultivées.

Le voyage de R. CAILu'É ne plonge pas assez loin dans le passé


pour apporter des renseignements décisifs sur ce sujet, d'autant
que les omissions du Journal ne correspondent pas nécessairement
à des faits négatifs. Aussi attentif qu'il pouvait être, des renseigne-
ments de cette nature n'étaient qu'accessoires aux yeux de l'auteur
à une époque où on ne s'inquiétait guère de l'origine des plantes
cultivées. Enfin il n'était pas prévenu de certaines ressemblances
trompeuses, comme celle entre le Colocasia et le Xanthosoma et
celle entre le Voandzou africain et l'Arachide américaine.
Il est cependant une omission troublante: c'est celle de la tomate.
Alors que la petite tomate cerise (Lycopersicum cerasiforme) -
- 12-

qui ne serait d'ailleurs que la forme ancestrale et vivace du L. es-


culentum --, existe aujourd'hui dans tous les jardins africains, elle
n'est pas citée une seule fois par R. CAILLIÉ. A cette époque les
deux espèces figuraient dans les jardins de Richard-Toll mais il
est très possible qu'elles n'étaient pas encore largement répandues
dans les campagnes. Bien que fort utile la tomate ne comblait pas
des besoins impératifs. Ainsi, dans nos campagnes, son usage ne
s'est répandu que récemment et R. CAILLIÉ n'en avait probablement
jamais vue dans son pays natal mais il devait la connaître des An-
tilles.
En ce qui concerne certains autres produits vivriers et condi-
mentaires en provenance d'Amérique, beaucoup étaient déjà en
place et avaient atteint leurs limites écologiques: ainsi le Maïs que
R. CAILLIÉ cite près de Djenné et qu'il retrouve au Maroc. Par
contre, après avoir cité le manioc (cassave) dans les jardins du
Fouta-Djallon (§ 49), il n'en parle plus sur la route de Tiémé à
Djenné alors que c'est la seule culture qui pouvait se présenter sur
pied en saison sèche.
On voit, par ce bref aperçu, que si un botaniste se fut penché sur-
Ies notes de R. CAILLIÉ avec la même conscience que JOMARD le fit
pour les relevés de route, il lui eut été possible d'ajouter au Journal
un chapitre très instructif pour l'époque et la région considérées.
La vérité est qu'alors la géographie des plantes n'était pas encore
acceptée comme corps de doctrine. Cela faisait trop peu d'années
que HUMBOLDT en avait posé les principes et Alphonse de CANDOLLE
n'avait pas encore écrit sa «Géographie botanique raisonnée », ni
son « Origine des Plantes Cultivées ».
C'est bien pour cela qu'en ce même temps la méconnaissance des
équivalences écologiques conduisait les autorités à vouloir intro-
duire à Richard-Toli sur les bords du Sénégal, tout aussi bien les
plantes utiles de nos pays tempérés froids que celles des pays hu-
mides. Ainsi, SCHMALTZ, qui fut par ailleurs un homme éminent,
ne craint pas de dire en 1817 : «je pense que le cacaoyer, le giro-
flier, la liane qui produit le poivre, n'y auraient pas moins de suc-
cès. » Par la suite, malgré la compétence plus éclairée du gouver-
neur ROGER et du jardinier RICHARD, ces mêmes errements se pour-
suivirent encore longtemps (>'). On prétendait y produire concur-
remment et les denrées exotiques nécessaires aux importations de
la métropole et les denrées d'Europe nécessaires aux besoins des
colons que l'on espérait voir s'installer définitivement dans le
Ouallo.
(>') RICHARD. - Catalogue des plantes cultivées au Sénégal dans le jardin
du gouvernement à Richard-Toll. Ann. Marit. et Col. 19, 1828-1 : 435-456. Re-
publié par les soins de :
Th. MONOD. - Bull. I.F.A ..V. 1951 : 1281-1298.
PRELUDE

Voyage au Bondou ci la rencontre du Major GrGY

5 février-1ü juin 1819

« On me pardonnera d'entrer dans ces détails, les


seuls qui aient pû se graver dans la mémoire d'un
tout jeune homme, voyageant moins pour observer
que pour chercher des aventures.»
René CAILLIÉ
- 14-

De Gandiolle à Bakel à travera le D jolof et le Ferlo..


A son deuxième voyage au Sénégal, R. CAILLIÉ n'a encore que 19 ans.
Les relations de Mungo PARI<, qu'il a lues pendant son bref séjour à la
Guadeloupe, l'ont certainement éclairé sur les réelles dUficultés de l'ex-
ploration africaine mais ne l'ont point découragé:
«Tout semble possible à mon esprit aventureux, et le hasard
parut servir mes desseins.»
Il put effectivement se joindre à une petite caravane conduite par
A. PARTARRlEU qui, de Saint-Louis devait rejoindre le Major GRAY, dont
l'expédition, partie de la Gambie, n'avait pu dépasser le Bondou.
« La caravane, de soixante à soixante-dix hommes et de trente-
deux chameaux richement chargés », devait traverser le désert du
Ferlo.
L'itinéraire suivi l'année précédente par MOLLIEN évitait cette ré-
gion inhospitalière. Ce jeune voyageur était passé par le Fouta Toro,
puis il avait suivi la vallée du Sénégal, traversé le Bondou et, marchant
au Sud, il avait parcouru le Fouta-Djallon et atteint Timbo, rccoupant
ainsi les sources de la Gambie et du Sénégal.
Le Ferlo se situe au centre de la boucle que forment le Sénégal et la
Gambie. Cettc contrée correspond à une vallée morte, orientée vers le
Nord-Ouest où elle débouche sur le lac de Nguiers vestibc de son estuaire.
Les pluics ne sont plus suffisantes pour en animer l'écoulpment ct seuls
quelques mares et autres points d'eau en jalonnent le cours. Partout
ailleurs la grande profondeur de la nappe phréatique a découragé les
installations humaines permanentes et ce n'est que de cc point de vue
que le Ferlo est un désert, car des forêts sèches, précisément épargnées
par l'abscnce de défricheurs, y subsisten t. M2lgré cette végétation et
les quelques fruits qu'elle peut offrir, le voyageur imprévoyant peut
y périr de soif, car la température et l'évaporation y sont intenses au
cours de la saison sèche. C'est exactement à cette pénible époque de
l'année que Il' jeune R. CAILLIÉ fit son apprentissage d'explorateur, alors
que les arbres sont dénudés, les eaux taries et la chaleur insupportable.
A l'ct âge et livré à lui-même il n'avait pas encore compris la nécessité
de faire œuvre scien tiflque, et il avouera plus tard dans son Journal,
au souvenir de ses souffrances qu'il voyageait
« Moins pour observer que pour chercher des aventures. »
On a donc peu à attendre de ses remarques sur la végétation au cours
de ce premier voyage. Cependant, un incident qu'il rapporte concerne
probablement un problème de botanique qui n'est cneore qu'imparfaite-
ment résolu aujourd'hui.

§ 1. lA traversée du Ferla. Nous partîmes, le 5 février 1819,


de Gandiolle, village du royaume de Cayor, situé à peu de dis-
tance du Sénégal... Arrivés sur les frontières du Cayor, nous trou-
v[',mes un désert qui le sépare du Ghiolof... Peu de temps s'était
écoulé que nous regrettions déjà la généreuse hospitalité des
Ghiolofs. En quittant leur pays, nous entrâmes dans un désert,
- 15-

où pendant cinq jours de marche, nous fûmes exposés à mille·


maux. Nos chameaux étaient si chargés de marchandises, que
nous n'avions pû emporter qu'une très petite quantité d'eau.
Je fus quelquefois à l'extrémité; car, n'ayant pas de monture,
j'étais obligé de suivre à pied: on m'a dit, depuis, que j'avais les
yeux hagards, que j'étais haletant, que ma langue pendait hors
de ma bouche, pour moi, je me rappelle qu'à chaque halte, je tom-
bais par terre, sans force et n'ayant pas même le courage de man-
ger. A la fin, mes souffrances excitèrent la pitié de tous, et M. PAR-
TARIEU eut la bonté de partager avec moi sa portion d'eau, ainsi
qu'un fruit qu'il avait trouvé. Ce fruit ressemble à la pomme de
terre; la pulpe en est blanche et d'une saveur agréable: depuis.
nous en trouvâmes beaucoup; ils nous furent d'un grand secours..
Un matelot, après avoir inutilement employé tous les moyens
pour apaiser sa soif s'étant mis à chercher des fruits, fut trompé
par la ressemblance avec celui que m'avait donné M. PARTARIEU;
il en mangea un qui lui mit la bouche en feu, comme si c'eût été
du piment: aux envies de vomir, et aux tranchées qu'il éprouva,.
on le crut empoisonné; chacun s'empressa de prendre sur sa part
pour lui apporter à boire; mais il parut soulagé si promptement,
que j'ai pensé depuis que cette maladie n'était qu'une feinte pour·
intéresser et se procurer un peu plus d'eau.

§ 2. Le bon et le mDuvœ. Détar. D'abord quel est ce fruit que le


compatissant A. PARTARJEU donna à R. CAILLIÉ pour lui permettre d'a-
paiser sa soif? Th. MONOD, reprenant la phrase du Journal: « Ce fruit
ressemble à une pomme de terre· », ajoute: «évidemment le Parinari
macrophyllum ». En effet, la peau de cc fruit est brunâtre et rugueuse
comme celle d'une pomme de terre et la chair en est plutôt farineuse.
A son propos le R. P. SÉBIRE nous dit : «on a appelé aussi Pomme du
Cayor le fruit du Néou, farineux et assez bon quand il est bien mûr.»
C'est une espèce casamancienne, largement étendue de la Guinée à la
Casamance, puis qui se resserre sur la côte plus au Nord, où elle atteint le
fleuve Sénégal. Nous verrons plus loin que R. CAILLIÉ la signale dans le
Ouallo sous le nom de Parinarius senegalensis (§ 5). Mais son existence
vers l'Est, dans la contrée atteinte par la caravane épuisée, est moins
probable. Selon J. TROC HAIN et Ao AUBRÉVILLE, le Parinari à grosses
feuilles, dont ils donnent l'aire d'extension, ne s'étendrait pas jusqu'au
Ferlo. Go ROBERTY précise même que, vers l'Ouest, «L'apparition du
Néou marque la fin du Ferloo.. » ("'). On peut donc se demander si c'est
bien le Parinari qui soulagea les maux de R. CAILLIÉ, car il ne manque
point d'espèces dont le fruit comestible peut correspondre à la des-
cription faite de mémoire bien longtemps après les faits.
La mésaventure du matelot altéré laisse supposer que le mauvais.
fruit, qui lui valut des désagréments, et les bons fruits qui rafraîchirent

("') La végétation du Ferla. Bull. loF.A.N., 14, 1952 : 777-798.


- 16-

la caravane, étaient, l'un et les autres, ceux d'un Detarium dont il existe
deux espèces au Sénégal: 1°) Le Dan (D. microcarpum) , dont l'aire s'é-
tend profondément au centre du continent et que R. CAILLIÉ retrouvera
plus tard sur la route de Djenné (§ 101). C'est un arbuste dont les fruits,
relativement petits et sucrés, sont toujours comestibles. 2°) Le Détar
(D. senegalense) , dont l'aire plus restreinte s'étend plutôt vers le Sud,
dans la zone forestière humide. C'est un arbre plus élevé, aux fruits plus
gros. Il en existe deux variétés: l'une dont les fruits sont comestibles,
l'autre dont les fruits sont toxiques, sans que l'on puisse les discerner
l'une de l'autre quant à leur aspect et autres caractères botaniques. La
nomenclature de ces Detarium a été éclaircie par A. AUBRÉVIJ.LE et J.
TROCHAIN (o'J') et leurs propriétés chimiques étudiées par PARIS, MOYSE et
MIGNON (Mo), qui ont trouvé, dans les fruits toxiques, un principe amer
peu dangereux mais agissant toutefois sur le système nerveux. Cela cor-
respondrait assez bien avec les troubles éprouvés par le malheureux
matelot que R. CAILLIÉ soupçonna peut-être injustement de simulation.
S. PERROTTET, qui connaissait bien les Detarium et à qui l'on doit la
·distinction du D. microcarpum, ne se devait-il pas, en bon botaniste
qu'il était, d'éprouver lui-même les effets présumés de la variété toxique
du D. senegalense? C'est ce qu'il fit en 1825, alors qu'il explorait la Ca-
samance : « Le Detarium senegalensis et la variété, connue en Sénégam-
bie, sous le nom de niey-patakh, étaient également communs ... ces deux
arbres étaient chargés de fruits remarquables par leur grosseur; le niey-
pata:kh en était tellement garni, que ses rameaux ployaient sous le poids.
La terre, au-dessous en était jonchée, tandis qu'on n'en trouvait jamais
un seul sous le vrai pata:kh ou Detarium senegalensis. Pour s'expliquer
ce singulier phénomène, il faut savoir que le fruit du niey-patakh passe
dans le pays pour être vénéneux et même pour un poison mortel.
Comme aucun caractère extérieur ne fait distinguer ces fruits de celui
du Detarium senegalensis, il faut que celui qui les rencontre, pour la
première fois, les goûte nécessairement s'il veut en connaître la diffé-
rence. Il paraît que les singes, en général si friands et si voraces des
fruits de toutes sortes, reconnaissent celui du niey-patakh et passent
à côté sans même l'effieurer, tandis que celui du Detarium senegalensis,
dont ils se nourrissent presque exclusivement, est dévoré dès qu'il a
atteint son degré de maturité, tant par eux que par les nègres qui le
mangent aussi avec plaisir à cette époque.
Le peu de confiance que m'inspirait l'opinion des nègres sur le fruit
de ce Detarium m'engagea à vérifier leur assertion. Je goûtai donc, non
.sans quelques précautions, quelques-uns de ces fruits choisis parmi les
plus mûrs. Je ne tardai pas à éprouver, sur tout le palais, après avoir
mâché légèrement l'espèce de pulpe farineuse qui le remplit, un goût
d'amertume et de causticité très désagréable: il se prolongea pendant
plus de deux heures. Je n'essayai pas, comme on le pense bien, d'avaler
·cette pulpe, quoique, dans mon opinion, je ne croie point qu'elle soit
réellement vénéneuse ».
Lorsque la caravane eut rejoint la route des puits l'optimisme renaît :
·c'est l'assurance de pouvoir se ravitailler plus facilement en eau et de
rencontrer plus souvent des villages.

(o'J') Le genre Detarium en A.O.F. Bull. Soc. bot. France, 84, 1937 : 487-494.
('J"J') Sur une légumineuse de l'A.O.F. réputée toxique. Ann. Pharm. franç.
'1947.
Fig. 1. - LI' Bnohah (Adansollia digitata, § 65). Arbre en fruits, la base
du tronc, plus claire, correspond à la zone écorcée pour faire des cordes;
extrémité d'un rameau portant une feuille et une fleur longuement pé-
donculée; en bas, un fruit dont l'extrémité brisée montre les graines dans
la pulpe fibreuse.
- 18

R. CAILLIÉ note, pour la première fois, l'usage alimentaire ùu fruit


de Baobab:
« Enfin nous arrivâmes à Boulibala, village habité par des fou-
lahs pasteurs, qui passent une partie de l'année dans les bois. et ne
se nourrissent que de lait assaisonné du fruit du baobab» (§ 109).

§ 3. Le pays du Bondo,u. Sans faire d'observations précises, R.


C.... 1LLlÉ se montre sensible au paysage botanique:
« Les précautions que nous avions prises pour ne pas manquer
d'eau rassuraient nos esprits. Le pays nous parut généralement
beau; nous voyions avec admiration des arbres d'une grande éléva-
tion, d'un feuillage touffu, couverts d'oiseaux de diverses espèces
qui, par leur ramage, animaient ces solitudes. Ce fut sans doute
aux sensations agréables que nous fit éprouver ce spectacle, que
nous dûmes en partie l'oubli de nos fatigues ... »
Cet enthousiasme peut paraître exagéré. En fait R. C.ULLIÉ était arri-
vé dans le Bondou - nous dirions aujourd'hui dans la région de la
Falémé qui est un affiuent du Sénégal - , où les essences de forêt sèche,
en particulier près des points d'cau, peuvent atteindre de belles dimen-
sions. Ainsi, des boisements à Cordyla pinnata, à Celtis integrifolia, ct
surtout à Anogeissus leiocarpus au feuillage frais ct léger, et aussi des
Ficus ùivers recherchés par les perruches bavardes et gourmandes de
figues, pouvaient effectivement impressionner agréablement des voya-
geurs qui venaient de traverser le Ferlo.
Malgré le secours des marchandises, apportées par A. PART.\RlEU, le
major GRAY n'eut pas davantage de succès auprès des autorités locales
qui le refoulèrent vers le Fouta-Toro, au Nord-Ouest, plutôt que de le
laisser poursuivre vers l'Est. Le 10 juin 1819, après diverses péripéties
et abandon des gros bagages, la colonne finit par se réfugier à Bakel,
sur le Sénégal, où se trouvait une garnison française.
« La saison des pluies, dans laquelle nous entrions, me fut aussi
funeste qu'aux autres; j'eus la fièvre: elle prit bientôt un carac-
tère si alarmant, que je quittai l'expédition, et m'embarquai sur
le Sénégal pour descendre à Saint-Louis. J'avais espéré me rétablir
dans cette ville, par les secours de la médecine et sous l'influence
d'un meilleur climat; mais mon mal était si vif, que ma conva-
lescence fut longue et pénible. Pour me rétablir tout-à-fait, je ne
vis d'autre moyen que de retourner en France, et je partis pour
Lorient. »
NOVICIAT

Chez lu Marabouts Braknas de Mauri,fanie

3 août 1824-11 mai 1825

« Le soir, on aperçut la nouvelle lune; c'était celle


du ramadan: le carême allait commencer.... Le vent
d'Est souillait avec force; la chaleur augmentait; ma
soif était insupportable: j'avais la gorge desséchée;
ma langue aride et gercée me faisait l'effet d'une râpe
dans la bouche; je crus que je succomberais. Je ne
souffrais pas seul; tout le monde autour de moi en-
durait les mêmes tourments. »
René CAILLIÉ
- 20-

En route pour l'Escale du Coq.

Depuis les rudes épreuves oc l'expédition GRAY, cinq :ms sont passés
uu cours <lesquels R. CAILLIÉ, employé dl' commerce mais toujOUI'S préoc-
cupé par l'exploration dl' l'Afrique, eut tout loisir d'analyser les causes
d'insuccès de ses devanciers. La conviction que la réussite appartien-
drait à un voyageur solitaire et non à de puissantes expéditions, ranimait
son ambition: mieux que d'être un des memhres suhalternt's d'une mis-
sion officielle, il triompherait seul.
En 1824, je revins au Sénégal pour tenter fortune avec une petite
pacotille... Je n'ai pas besoin de dire qu'au fond du cœur je nourri-
sais toujours mon projet de visiter l'intérieur de l'Afrique; il sem-
blait qu'aucun obstacle ne pouvait plus m'arrêter, en voyant sur-
tout à la tête de la colonie M. le haron ROGER, dont la philanthropie
et l'esprit éclairé me promettaient un protecteur de toutes les entre-
prises grandes et uti les.
Je lui demandai donc l'autorisation de voyager dans l'intérieur,
aYl'C l'appui et sous les auspices du gouvernement du Roi: mais
M. ROGER avec une bonté extrême, chercha à refroidir mon zèle.
J'insistai pour partir, et j'ajoutai que, si le gouvernement n'ac-
cueillait pas mes oifres, je voyagerais plutôt avec mes seuls moyens.
Cette détermination fit impression sur l'esprit du gouverneur, qui
m'accorda quelques marchandises pour aller vivre chez les Brak-
nas y apprendre la langue arabe et les pratiques du culte des
Maures, afin de parvenir plus tard à pénétrer plus facilement dans
l'intérieur de l'Afrique.
R. C.\ILLlÉ avait alors Yingt-quatre ans.

§ 4. La campagne du Ouallo en été. Le mardi a aoÎlt 1824, à


quatre heures du soir, je partis de Saint-Louis, accompagné de
deux hommes et d'une femme, tous trois habitants de N'pûl.
Nous arrivâmes à Gandon à dix heures du matin; ...La campagne
la plus riante s'offrit à nos regards; je vis beaucoup de champs de
cotons, que les nègres cultivent avec succès; l'indigo y croît sans
culture; on trouve peu de mil aux environs du village .....Te me re-
posai environ une heure; puis, me dirigeant à l'Est, je pris seul la
route de N'ghiez. Entre ces deux villages, le voyageur attentif à
saisir les beautés de la nature reste comme en extase à la vue des
groupes de verdure répandus dans la plaine. On voit des mimosas
dont les rameaux vigoureux soutiennent les tiges grêles et flexibles
des asclepias et de différentes espèces de cynanchus qui, après avoir
atteint leur sommet retombent en s'entrelaçant en guirlandes,
et, par la diversité de leurs Heurs, sont d'un effet admirahle. Sou-
vent elles se rencontrent avec d'autres plantes: ces tiges s'em-
- 21-

brassent, s'unissent étroitement par les replis tortueux de leurs


nombreux rameaux, et forment une voûte aérienne, à travers la-
quelle l'œil plonge pour apercevoir dans le lointain d'autres groupes,
quelquefois bizarres, mais toujours merveilleux. La plaine est cou-
verte d'un tapis de verdure dont l'aimable uniformité est rompue
par de nombreux arbrisseaux, tous différemment décorés par les
plantes grimpantes qui croissent autour.

§ 5. Le NéO'U. Le parinarius senegalensis, (exactement Parinari


macrophylla, Sab.) très répandu dans la plaine, vient encore em-
bellir la scène, et rendre le spectacle plus intéressant pour le voya-
geur qui se repose à l'ombre de son épais feuillage (§ 2) ("").
Ces plaines charmantes sont coupées de marécages dans lesquels
croissent une infinité de plantes aquatiques; la route passant à
travers ces marécages, j'avais de l'eau jusqu'aux genoux. J'arrivai
à N'ghiez vers une heure après-midi: je ne m'y reposai qu'un ins-
tant; puis, me dirigeant à l'Est, je traversai quelques champs de
mil; ensuite la route me conduisit dans une plaine déserte, assez
riche en végétation, et j'arrivai à N'pâl au coucher du soleil, bien
fatigué du chemin que je venais de faire pieds nus et portant mon
bagage sur la tête.

§ 6. Repos bien employé à N'pâl. La détermination de R. CAILLIÉ


est étonnante. Cela ne le dérange point d'avancer seul, sans guide, sur
le chemin qui doit le conduire chez les Braknas, mais encore il profite
du moindre repos pour étendre ses connaissances du pays. On pourrait
croire, qu'après la fatigue des étapes précédentes, il va passer la jour-
née à l'ombre d'une véranda? Pas du tout, le voilà parti dans les champs,
visiter les cultures, bavarder avec les villageois, discuter de leurs tra-
vaux. C'est l'intérêt non affecté, la familiarité sincère, qu'il apportait
dans ses rapports avec les populations, qui devaient lui gagner partout
la sympathie.
Le 5, je séjournai. J'employai le jour à visiter les environs du
village, situé dans une belle position, au milieu d'une plaine im-
mense, fertilisée par les pluies du tropique.
Placé entre le pays de Cayor et celui de Ouâlo, ce village, entière-
ment indépendant, est gouverné par un marabout qui en est le
souverain maître. Ce chef perçoit des impôts sur le mil, qui lui
sont payés en nature lors de la récolte, et qui consistent dans la
dixième partie. Les habitants récoltent abondamment tout ce qui
peut suffire à leurs besoins. Les hommes s'occupent de la culture
de leurs champs pendant la saison des pluies, et des défrichements

("") Non seulement la pulpe est comestible mais également les graines. logées
à l'intérieur d'une coque dure et enveloppées de poils. On peut en extraire une
huile siccative inférieure toutefois à celle d'Abrasin. Voir: SOSA (A.), Sur
l'huile siccative de Parinarium macrophy/lum Sab., Rev. Bot. A.ppl., 1945: 19-24.
- 22-

nécessaires à la nouvelle récolte pendant la saison de sécheresse;


les femmes sont chargées des soins du ménage; elles filent le coton;
quelques-unes teignent des pagnes en bleu avec l'indigo que le pays
leur fournit presque sans cultures.

§ 7. R. Caillié pédologue. Notre intrépide voyageur n'est pas seu-


lement intéressé par les cultures qu'il traverse ct les façons culturales
qu'il voit pratiquer. Son remarquable sens de l'observation le conduit
à distinguer les différents sols du Ouallo dont la texture varie selon qu'ils
sont diversement recouverts par les crues ou hors de leurs atteintes. Ces
types de sols sont si parfaitement définis et si exactement dénommés
par les cultivateurs wolofs ct autres que ces termes ont toujours été
employés par les agronomes et pédologues. Ils sont à la base d'une clas-
sification qui était déjà adoptée par J. LEMMET ct M. SCORDEL dans leur
Contribution à l'étude agrologique de la Vallée du Bas-Sénégal ("'). De
nos jours, S. BOUYER nous en donne un tableau complet dans sa « Con-
tribution à l'Etude des sols du Sénégal ("""), et des cartes détaillées ont
été dressées par le Service pédologique de l'O.R.S.T.O.M.
Il est à rappeler que déjà, à cette époque, les sols du Ouallo avaient
fait l'objet d'études chimiques en métropole. Des échantillons recueillis
par le directeur de la Station agricole de Richard-Toll, furent analysés
par un chimiste du Muséum de Paris, M. LAUGlER ('-"'), qui conclut que
les terres de bas-fond avaient les mêmes qualités qu'une bonne terre
franche de la région parisienne et pouvaient porter des cultures de céré-
ales, tandis que les sols sablonneux ne pouvaien t convenir qu'à des cul-
tures arbustives peu exigeantes.
A plusieurs reprises R. CAILLIÉ s'étonnera et regrettera précisément
de voir que les terres fortes, des types « fondé» et « ban », sont laissées
incultes au profit des sols sableux, du type « diéri », apparemment moins
fertiles. Il ignorait que les « fondés» peuvent être soumis à des crues
imprévisibles et que le manque de moyens aratoires rendait leur travail
di.fficile. Ultérieurement, au cours de son voyage proprement dit, il no-
tera régulièrement sur son Journal l'aspect, ou la nature, des sols traver-
sés. Mais ce ne sont, le plus souvent, que des descriptions sommaires,
servant surtout à authentifier son itinéraire.
Comme je l'ai déjà dit, la plaine que traverse la route de N'ghiez
à N'pâl n'est pas cultivée, quoique le terrain soit susceptible d'une
grande fertilité. Les bois sont composés principalement de mimosas
et la nombreuse quantité de gramen qui couvre le terrain y attire
abondamment du gibier de toute espèce. Le sol des environs de
N'pâl est de deux natures : on y remarque des bas-fonds où l'eau
des pluies séjourne, ce qui les rend bien sU{lérieurs au reEle de la
plaine; ils sont composés de sable noir, engraissé par le limon que
dépose cette eau, el par les résidus des ':égétaux qui y pourrissent;
ce sont les terrains les plus productifs. L'autre partie du sol, quoi-
que de moindre qualité, est très fertile; elle renferme des champs

("') Bull. Corn. Etude hist. & scient., A.O.F., 1918 : 17-56.
( ) Conf. Afric. des Sols, Goma 1948.
( ) Mém. Mus. Hist. Nat., 10, 1823 : 398-404.
- 23-

d'une étendue considérable, eultivés avec le plus grand soin; ...Les


habitants recueillent ahondamment du mil, du coton, des pas-
tèques, et une sorte de haricots dont ils font une grande consom-
mation (§ 8). Ils ont des troupeaux de bœufs, de moutons, de
chèvres; ils élèvent beaucoup de volaille, des canards sauvages et
domestiques, des pintades, et plusieurs sortes de gibier, dont ils
ramassent les petits dans les champs.
Chez les Braknas, R. CAILLIÉ suivra pendant quelques jours le groupe
du Marabout MOHAMMED-SIDy-MoCTAR qui, avec son troupeau, se dirige
vers le lac Aleg en suivant les pâturages et les points d'eaU.
Le 6 novembre, on leva le camp ; en suivant toujours les bords
du ruisseau, où les pâturages sont abondants.
Les terrains qui environnent el-Hadjar sont partout de très
bonne qualité, couverts d'une riche végétation. Le débordement pé-
riodique du ruis,seau y dépose un limon qui les fertilise, et ils sont
encore engraissés par le séjour des nombreux troupeaux que les
pâturages y attirent. Cette terre vierge n'attend que la main du cul-
tivateur pour produire en abondance toutes plantes qu'on voudrait
y cultiver. A une demi-lieue de ses bords, la nature du terrain
change; le sol de"ient ferrugineux; on ne voit de végétati.on que
sur de petits îlots de sable jaune, fort dur, où les pluies font ger-
mer quelques graminées.
§ 8. Le Niébé. (Vigna unguiculala Walp.). Le « haricot» du Ouallo
dont parle R. CAILLIÉ est un Vigna. C'est une plante d'origine africaine
dont il existe de nombreuses variétés cultivées et des espèces spontanées
voisines. Les graines farineuses constituent un excellent légume; les
gousses sont parfois consommées en « haricot vert» et les feuilles uti-
lisées comme brèdes dans les sauces. Certaines variétés fournissent une
excellente fibre extraite du pédoncule qui soutient les deux gousses.
« Les noirs - dit SÉBIRE -, et surtout les Sérères, sèment ce haricot dans
leurs champs de petit mil vers la fin de l'hivernage. Quand le mil est
mûr, ils abattent les tiges sur lesquelles viennent grimper les haricots.
Les rosées qui suivent l'hivernage suffisent pour faire fleurir et fructifier
les gnébés ».
§ 9. Arrivée et séjour Ci Richard·Toli. Par des chemins toujours
couverts de bois, R. CAILLIÉ atteint Mérima et, la nuit, profitant du départ
de deux guides, il poursuit jusqu'à MalI village établi sur la bordure oc-
cidentale du lac de Nguier :
Une heure avant d'arriver au village, nous entrâmes dans de
très beaux champs Le mil, que nous aperçumes à la faveur de la
lune.
Epuisé par la fatigue, les pieds blessés par les épines il séjourne à
Mailles 11 et 12 août, où il reçoit les soins compatissants d'un bon vieux
marahout. Il atteint Neyré le 13 et Richard-Toll le 14. Il avait donc mis
onze jours pour eff,ectuer le trajet depuis Saint-Louis en suivant toute la
bordure occidentale du lac de Nguier.
24 -

On pourrait s'étonner de cc que R. C.\ILLlÉ ait emprunté cet itinéraire


plutôt que de profiter d'une embarcation qui aurait remonté le Sénégal.
En fait, remonter le fleuve à la voile n'était pas toujours une entreprise
de tout repos: ADAN SON nous explique que « comme les vents nous man-
quaient, les laptots furent obligés de haler le bâtiment à la cordelle» (~).
Et selon PERROTTET: «Pendant plusieurs jours consécutifs, nous ne
pûmes avancer, à cause de la force du vent, qu'en touant le navire d'un
point à un autre. Nous arrivâmes enfin à Richard-ToU le 20 avril 1825...
Pour effectuer ce trajet qui est de quarante lieues au plus, nous avions
employé neuf jours» ('1'-'1').
R. CAILLIÉ est muet sur cc premier séjour qu'il fit à Richard-Toll. Pre-
nait-il déjà ses distances vis-à-vis de ses compatriotes pour mieux accré-
diter, auprès des Maures qui pouvaient l'observer, son projet de conver-
sion? Ou bien n'a-t-il pas cru faire état dans son Journal d'instructions
reçues des jardiniers-botanistes de la Station afin qu'il rapporte des
semences ct autres échantillons botaniques de Mauritanie.

Voyages en Mauritanie avec les nomades.

Apri's avoir remonté le fleuve jusqu'à Podor en bateau, R. CAILLIÉ re-


descend de deux milles, jusqu'à « l'escale du Coq », le mouillage habi-
tuel où se font les relations avec les Maures. Là il traverse le fleuve: le
voici l'hôte des Braknas.

§ 10. Le gOlUl:kié (Acacia scorpioides var. pubescens). Les mares


temporaires qui avoisinent le fleuve, autorisent les dernières formations
ligneuses denses de la zone prédésertique. L'essence caractéristique est
l'Acacia scorpioides, remarquable par son tronc noir et ses gousses moni-
liformes (§ 22).
Notre route traversait un terrain argileux, noir, et engraissé
par les débris des végétaux qui le couvrent, de grands mimosas
forment une futaie épaisse, sous laquelle croît en quantité le Zizy-
phus lotus (§ 30). Ce sol serait susceptible de la plus grande ferti-
lité s'il était cultivé.

§ 11. Les d.unes m,ort·es. En s'éloignant du fleuve, R. C.m.LIÉ arrive


dans la zone des dunes aujourd'hui fixées par la végétation. Végétation
herbacée et saisonnière sur le flanc des dunes c1les-mêmes, arbustive et
permanente dans les creux. A l'époque du voyage c'est la saison dcs
pluies:
Le 2 septembre, à cinq heures du matin, nous nous mîmes en
marche. Notre chemin traversait un pays agréable: le terrain, en-
trecoupé de coteaux couverts de verdure, présentait, avec ses nom-
breuses vallées riches en végétation, un aspect du plus bel effeL

("') Voyage au Sénégal, 1757.


("'~) Voyage de Saint-Louis à Podor en remontant le fleuve (Souuelles An-
nales des Voyages, 1830).
- 25-

Le 8 septembre, nous partîmes pour le camp du roi. Nous mar-


chions au Nord-Est; des roches ferrugineuses s'élevaient dans toute
la plaine: on trouve par intervalles de petites îles de sable remar-
quables par leur verdure; elles sont cultivées par les Maures qui y
cultivent du mil. Je vis quelques esclaves occupés à sarcler; ils se
servaient d'un instrument de la forme d'une raclette de ramoneur,
ayant un manche d'un pied de long; ils se tenaient à genoux pour
travailler.

§ 12. L'Anone du Sénégal. (Annona senegalensis). Ayant re-


pris notre route, nous trouvâmes un terrain solide, couvert de pe-
tits cailloux d'un rouge brillant, qui incommodaient beaucoup
notre marche. Nous aperçûmes plusieurs mares; j'en remarquai
une sur les bords de laquelle étaient six baobabs d'une grosseur
prodigieuse. Le soir, nous avions été plus heureux que le matin;
car l'eau ne manqua pas, et nous trouvâmes en quantité une plante
que je pris pour une anone, haute d'un pied, d'un feuillage très
vert: son fruit est gros comme un .œuf de pigeon, et renferme plu-
sieurs semences; la pulpe, légèrement acide, est très bonne à man-
ger. Les Maures se jetèrent sur ces fruits, et les dévorèrent; je les
imitai, et m'en trouvai très bien: ils rafraichissent et désaltèrent
parfaitement.

§ 13. Les lruits de Grewïa. Plusieurs espèces de ce genre sont con-


nues en Mauritanie: G. t1aveseens, G. vil/osa, G. tenax (= betlllifolia),
G. bieolor, ct fournissent des fruits qui n'intéressent que les enfants et
les voyageurs nécessiteux. L'espèce que rencontrait R. CAILLIÉ est pro-
bablement G. bieolor. Ces plantes, comme beaucoup d'autres Tiliacées,
ont une écorce fibreuse utilisée par les populations pour fabriquer des
cordes et des liens.
Le 3 septembre, à cinq heures, no"s nous mîmes en route. Pen-
dant la journée, la chaleur fut excessive; elle était encore augmen-
tée par un vent d'Est brûlant. Ma soif était insupportable; lorsque
j'apercevais un groupe d'arbres, j'y courais, croyant trouver de
l'eau, mais inutilement; j'aurais infailliblement succombé, si je
n'eusse rencontré sur le chemin beaucoup de grewia, dont le fruit
jaune, de la grosseur d'un pois, est très glutineux: quoiqu'il soit
peu agréable au goût, j'en mâchais constamment, ce qui me soula-
gea beaucoup.

§ 14. Le cram-cram (Cenchrus biflorus). R. CAILLIÉ eut souvent à


souffrir de cette herbe détestable. Les Cenchrlls comptent plusieurs es-
pèces, toujours des régions sèches, caractérisées par des glomérules de
soies qui entourent la semence. A maturité ces glomérules tombent au
sol, s'accrochent aux vêtements, aux toisons, etc. Ceux du C. biflorlls sont
particulièrement piquants, barbelés, et pénètrent dans la peau. Ce n'est
-- 26 -

qu'exceptionnellement que cette espèce est récoltée pour la consom-


mation.
Nous avions fait neuf milles dans notre matinée. A trois heures
on fit la prière, et nous continuâmes notre route.... sur un terrain
assez gras couvert de Zizyphus lotus (§ 78) et d'une espèce de gra-
minée dont les graines hérissées de piquants s'attachent aux habits
et entrent dans les chairs; j'en avais les pieds remplis, et je ressen-
tais des douleurs cuisantes. Cette plante croît abondamment dans
les terres sablonneuses; elle est nommée khakhame par les nègres
du Sénégal. Il n'est personne qui n'ait visité les environs de ce fleuve
sans en avoir été cruellement incommodé. Cependant la fatigue me
fit oublier mes souffrances, et je m'endormis profondément.
R. CAILLIÉ PHYTOTHÉRAPEUTE. Au cours de son long voyage, R. CAILLIÉ
n'a guère eu l'occasion de signaler les simples qu'emploient les popula-
tions en soulagement de leurs maux. Cela tient à ce que, sans être préci-
sément celées. ces pratiques sont moins évidentes pour le voyageur que
les usages alimentaires et aussi à ce que la pharmacopée populaire use
d'espèces très variées que R. CAILLIÉ ne pouvait connaître. On ne peut
qu'en admirer davantage la maitrise dont il fit preuve en ordonnant le
<' basilic» au roi HAMET-Dou.

§ 15. Le basilic (Ocimum americanum L.). Il fallait qu'il soit bien


sûr de ses connaissances, car il devait savoir qu'il ne pouvait risquer la
vie du roi sans mettre la sienne en péril. Th. MONOD pense que le Basilic
de R. CAILLIÉ était un Ocimum. Cela est, en effet, très probable ct on peut
même avancer qu'il s'agissait de l'Ocimum americanum L., le Ngoun-
goune des 'Wolofs, assez répandu en Mauritanie méridionale ,ct bien
connu pour ses qualités fébrifuges.
Le 16 septembre, le roi fut indisposé; il me fit venir auprès de
lui, et me demanda si je connaissais quelques plantes qui pussent
lui procurer du soulagement. Je lui promis de faire un tour dans
la campagne pour en chercher: en effet, je parcourus la plaine, et
j'y trouvai beaucoup de basilic, plante qui croît spontanément dans
un terrain gras; je recueillis aussi beaucoup de graines que je ca-
chai avec soin dans un coin de ma pagne? Je rentrai, et je donnai
du basilic au roi, en lui recommandant d'en faire du thé; il en but
et s'en trouva bien. La propriété de cette plante était tout à fait
inconnue aux Maures; aussi cette grande nouvelle fit-elle beaucoup
de bruit dans le camp. Tous les princes m'appelèrent dans leurs
tentes pour me consulter... Je fus content de cette confiance momen-
tanée; car elle me procura l'avantage de me promener dans la cam-
pagne sans éveiller le soupçon, et sous le prétexte de chercher des
plantes médicinales.

§ 16. PiCI&8e-moi le basilic je te paB8eTai le séné. En contre-


partie de son enseignement sur l'emploi de l'Ocimum, R. CAILLIÉ put
-_. 27 -

apprendre quelques, recettes auprès des Braknas ('l'). Quant au séné c'est
le Cassia ilalica que l'on connaît plus généralement sous le nom, tombé
en synonymie, de C. obovata Col.
L'écorce de mimosa, brûlée et réduite en poudre, sert pour toute
sorte de coupures, brûlures, contusions, etc.; on en fait un onguent
en la mêlant avec du beurre, et l'on en frotte la partie malade deux
fois par jour. Ils traitent les douleurs avec la feuille du bauhinia
pilée, mêlée avec de la gomme réduite en poudre et un peu d'eau :
ils en mettent une couche sur la partie affectée; la gomme en sé-
chant forme une croûte qu'ils laissent tomber d'elle-même.
Les purgatifs sont rarement employés, quoiqu'ils en connaissent
l'usage. Ils ramassent le séné, qu'ils appellent falagé; lorsqu'ils
veulent s'en servir, ils le pilent dans un mortier avec quelques
fruits de Zizyphus lotus, délaient la poudre dans une bonne quan-
tité d'eau, et la donnent à boire au malade.

§ 17. Le cotonnier des rocaille. (Gossy pium anomalum Wawra


& Peyrish). D'après la description de la plante et l'indication de la sta-
tion on peut attribuer ce cotonnier au Gossypium anomalum. R. CAILLIÉ
est peut-être le premier qui ait signalé cette plante, laquelle ne fut
effectivement décrite qu'en 1836. Après avoir été considérée quelque
temps comme un Cienfuegosia après GÜRKE, il est bien admis maintenant
qu'il s'agit d'un Gossypium. D'après A. CHEVALIER (R.B.A., 13, 1933 :
190-195) il s'apparente même aux autres espèces africaines qui étaient
cultivées autrefois avant d'être supplantées par les espèces américaines
à longues soies.
Le 20 septembre, je me mis en route pour aller visiter la chaîne
de montagne; ...Pour m'y rendre, je traversai une plaine dont le
sol très gras était composé de sable noir..., et dont la végétation
était très belle. Je gravis au sommet de la plus haute: je découvris,
parmi les roches, quantité de cotonniers dont les feuilles sont très
découpées; les capsules et les graines sont beaucoup moins grosses
que celles du cotonnier que l'on cultive sur nos établissements du
Ouallo. J'en pris des graines, ainsi que de beaucoup d'autres plantes
que je trouvai à maturité, et les cachai dans un coin de ma pagne:
je ramassai aussi quelques plantes.
En retournant au camp, je parcourus la plaine espérant y trou-
ver du coton semblable à celui qui croît sur les montagnes, mais
je n'en trouvai pas un seul pied.

§ 18. Suspicion à l'égard du collecteur de plantes. Nous rap-


portons l'incident qui survint à R. CAILLIÉ à son retour d'excursion, pour

(4) Consulter: 1) A. LERICHE: Phytothérapie maure. Mém. I.F.A.N., nO 23.


1953 : 265-306.
2) N'D'lAYE JABSA BOURY: Végétaux utilisés dans la médecine africaine,
dans la région de Richard-ToU (Sénégal). Notes africaines, 1962 : 14-16.
- 28-

bien montrer qu'il ne lui aurait pas été possible, ni à cette occasion ni
au cours de son grand voyage, de rapporter ouvertement des échantillons
de plantes et de graines.
Les deux Maures que j'avais rencontrés, arrivés avant moi au
camp, avaient rendu compte de mon excursion: cette nouvelle étant
parvenue au roi, éveilla ses soupçons; et dès qu'il sut que j'étais de
retour, il me fit appeler. Je n'avais pas eu le temps de cacher mes
graines. Plusieurs Maures qui m'entouraient s'aperçurent que j'a-
vais un nœud à ma pagne; ils le saisirent, et me demandèrent ce
qu'il contenait; et sans me donner le temps de répond re, ils le dé-
nouèrent: « Que veux-tu faire de cela? C'est pour porter aux blancs
quand tu retourneras à l'escale?» Et sans me laisser le temps de
dire un mot, ils jetèrent les graines au loin.

§ 19. La pastèq.ue: p.rovidence du voyageur. 1'\ous reverrons


plus loin dans leur ensemble les différentes Cucurbitacées citées par
R. CAILLIÉ (§ 1(7). La pastèque est bien une plante africaine dont les
formes spontanées croissent dans les zones sèches: l'une est ame're et
l'autre douce, tandis que la Coloquinte, espèce voisine, est toujours
amère. La pastèque est bien le meilleur fruit que puisse rencontrer le
voyageur assoiffé.
Le 30 septembre, on leva le camp; nous fîmes neuf milles au
Nord, sur un terrain sablonneux, couvert de khakham. Comme les
Maures, je portais des sandales pour chaussure: je soutIrais extrê-
mement des piqûres de cette plante; j'avais les pieds et les jambes
ensanglantés. Je trouvai sur la route quelques pastèques; j'en man-
geai pou l' me désaltérer.

§ 20. Le Soump (Balanites aegyptiaca Del.). Parmi les multiples pro-


priétés de cette plante ("), la plus valable est la production oléagineuse
des graines. Les justes observations de R. CAILLIÉ sur la valeur de cet
arbre providentiel sont d'autant plus remarquables pour l'époque que
<le temps en temps on en refait la découverte. Cependant, il est juste
d'ajouter que des études récentes apportent des faits nouveaux, comme
la possibilité de tirer parti des protéines du tourteau après extraction
de l'huile (-).
(Le 12 novembre) il était huit heures lorsque le camp se mit en
route. Nous fîmes six milles au Nord - Nord-Ouest, sur un terrain
couvert de pierres ferrugineuses, et trois milles sur un sable jaune.
L'arbre nommé balanites aegyptiaca y croît en abondance; les
nègres du Sénégal l'appellent soump. Les Maures ramassent le

(") P. CRÉACH. - Le Balanites aegyptiaca. Ses multiples applications au


Tchad. Rev. Bot. Appl., 20, 1940 : 578-593.
J. DESPUJOLS. (Thèse), Bordeaux 1944.
(.... ) F. TAY AU, !\I"' FAURE, Mm. S~;CHET-SIRAT. - Etude sllr le Soumpe (Bala-
nites aegyptiacaJ. Valeur alimentaire de ses protéines. J. Agric. Trop. et Bot.
A.ppl., 2, 1955 : 40-49.
Fig. 2. Somnp rI (;rlllll-cram. En haut, rameaux feuillés et en fruits
du Soump (Balanites aefJyptiaca, § 20); au centre, paysage à Balanites ..
en bas épis et glomérules de Cram-cram (Cenchrus biflorus, § 14) sur le
sable.
-- 30-

fruit de cet arbre; et de l'amande qu'il renferme, ils font un sanglé


qu'ils aiment beaucoup, parce qu'il est très gras. Cette amande con-
tient beaucoup d'huile; quelques habitants du Sénégal en font pour
leur consommation, quand l'huile d'oliye est rare. J'en ai mangé à
Saint-Louis, et l'ai trouvée passablement bonne; je pense qu'elle
pourrait être beaucoup meilleure, si l'on apportait plus de soin à
la récolte du fruit et à la fabrication de l'huile. Si le gouvernement
accordait des encouragements à ce genre de culture, ce fruit pour-
rait devenir une branche de commerce importante. Cet arbre croît
dans tous les terrains du Sénégal. Quand les habitants veulent en
extraire l'huile, ils pilent les amandes dans un mortier; lorsqu'elles
sont réduites en pâte, ils font un trou au milieu : l'huile coule
promptement et abondamment dans ce trou; ils la puisent à me-
sure, jusqu'à ce qu'il n'en vienne plus; alors ils pressent la pâte dans
les mains, et elle fournit encore beaucoup d'huile; mais elle est
moins limpide que la première. Deux litres d'amande donnent ordi-
nairement une bouteille d'huile; on peut juger de la quantité qu'on
en retirerait en employant un meilleur procédé. Les nègres mangent
la pulpe du fruit crue, ou cuite sous la cendre; le tronc du balanite
fournit un bois jaune, facile à travailler, et solide; les Laobés (Na-
tion errante de charpentiers et brocanteurs) en font des mortiers,
des pilons, des baganes (grandes sébiles), et divers autres ou-
vrages.

§ 21. Le paya de l'Adrar. Le commerce des Braknas est entre


les mains des marabouts. Ce sont eux qui récoltent toute la gomme,
sans payer aucun droit; lorsqu'ils l'ont livrée aux Européens, ils
vont dans les pays éloignés vendre les fusils et les guinées qu'elle
leur a produits. Ils s'arrêtent souvent à Adrar, à sept journées Nord
du lac Aleg : cette ville donne son nom à un petit royaume; elle est
habitée par les marabouts qui ne s'occupent que de culture et
élèvent de nombreux troupeaux. Le pays fournit beaucoup de
dattes; leurs champs sont entourés de dattiers. Ils ne vivent pas
sous des tentes comme les Braknas; ils ont des maisons construites
en teqe surmontées de terrasses, et qui n'ont que le rez-de-chaus-
sée. Ces marabouts changent leurs dattes et leur mil contre la
guinée et les fusils des Braknas : la guinée leur sert à faire des
vêtements; ils ne cultivent pas le coton. Ils ont beaucoup d'esclaves,
qu'ils emploient à la culture du riz et du mil et à garder leurs
troupeaux. Les pâturages sont peu abondants autour de la ville;
ils sont obligés d'envoyer paître leurs bestiaux fort loin: on dit que
les esclaves qui les gardent sont souvent un mois ou deux absents.
C'est pendant la saison des pluies que les Braknas entreprennent
ce voyage; ils traversent, pour y arriver, un désert de quatre jours
- 31-

de marche. Ces détails m'ont été fournis par des marabouts qui ont
visité plusieurs fois ce pays. Je me proposais de les accompagner
le printemps suivant, si j'étais resté parmi eux.
MANIÈRE DE TANNER LE CUIR. Le cuir joue un rôle important dans la
vie du nomade et c'est une grande occupation des femmes que de le
préparer. R. CAILLIÉ a bien décrit les différentes opérations et les ta-
nins utilisés. En fait la citation du Boscia pourrait être une erreur car
on ne le connaît pas comme tannifère. Par contre, le nem-nem, ou neb-
neb des Volofs est un .4cacia bien connu pour cet usage. Malheureuse-
ment sa nomenclature est d'une instabilité désolante. Cette situation
tient à ce qu'il occupe une aire très étendue, avec des formes géogra-
phiques et stationnelles bien distinctes mais que l'on entend ramener
sous le nom d'une seule espèce avec maintien de variétés.

§ 22. Le neb-neb. C'est le plus communément employé comme tan-


nant; il a des gousses assez larges, aplaties, à marges seulement si-
nueuses, et occupe des sols sains: c'est l'Acacia scorpioides A Chev. var.
astringens A. Chev. Quant au Gonalkié des Volofs c'est l'Acacia scor-
pioides A. Chev. var. pubescens aux gousses étroites moniliformes et qui
forme des peuplements très caractéristiques sur les sols lourds des dé-
pressions et autour des mares de la zone sahélienne et dont il a été parlé
plus haut (§ 10).
Les femmes zénagues, laborieuses par besoin, filent et tissent le
poil de mouton et de chameau, pour faire des tentes; ce sont elles
aussi qui les cousent. Elles tannent le cuir, font les varrois, en un
mot tous les ouvrages, excepté ceux en fer. Voici leur manière de
tanner: si c'est un cuir de bœuf, elles le coupent par le milieu; elles
font un trou en terre, le garnissent de bouse de vache; elles
mouillent le cuir et le frottent avec de la cendre, le mettent dans
la fosse, le recouvrent exactement de cendre; après avoir versé de
l'eau sur la cendre jusqu'à ce qu'elle soit bien délayée, elles ferment
la fosse avec une couche de bouse de vache. On laisse le cuir ainsi
pendant six ou huit jours; au bout de ce temps, on le râcle avec un
couteau pour enlever le poil, puis on le lave bien, afin d'en ôter
toute la cendre. Quand il est nettoyé, on le met dans une grande ca-
lebasse avec l'écorce de boscia et de la graine de mimosa (la même
qui est connue dans le commerce sous le nom de babela, et au
Sénégal sous celui de nem-nem), avec l'attention de bien le frotter
et le mêler; on verse de l'eau dessus jusqu'à ce qu'il trempe bien,
et on le laisse dans cette calebasse pendant quatre jours au plus;
puis on le retire pour le râcler de nouveau, afin d'ôter le poil qui
pourrait être resté à la première opération. Lorsqu'il est bien net-
toyé, on le remet dans la même calebasse, en augmentant la quan-
tité de graine réduite en poudre, et mouillant toujours convenable-
ment. Quatre jours suffisent pour achever de le tanner parfaite-
ment. Alors on le lave bien, et on l'écharne avec des coquilles tran-
- 32 --

chantes, que les Maures se procurent sur les bords de la mer. Les
peaux de chèvres et de mouton se tannent de la même manière, mais
beaucoup plus promptement, étant moins épaisses. Le cuir tanné
de cette manière a exactement la même couleur que le nôtre, et est
d'un bon usage. Ils l'emploient ordinairement sans autre apprêt;
mais lorsque l'usage auquel ils le destinent exige une grande sou-
plesse, ils le graissent avec du beurre avant de s'en servir.
LA GOMME ARABIQUE. Ils m'interrogeaient souvent pour savoir il
quel usage nous employions la gomme; mais ils ont toujours cru
que je les trompais: ils sont persuadés que nous la transformons
en ambre, dont la couleur s'en rapproche un peu et en autres mar-
chandises de grand prix; que nous ne pouvons nous passer de
gomme, et que sans elle nous ne pourrions exister.

~ 23. Récolte de la gomme et gommier (Acacia scnegal Willd.).


Les premiers renseignemen ts valables sur les arbres producteurs de la
gomme du Sénégal furent ceux qU'ADAN SON publia di's 177:i (parus en
1777). Si R. CAILLIÉ n'était pas en mesure d'appol'ler des renseignements
botaniques plus précis, ses pages sur la récolte de la gomme et les
mœurs qui en caractérisaient le commerce, étaient tri's instructives pour
l'époque. Il précise que le vrai gommier n'est pas cc «Mimosa ,qummi-
fera» répandu dans la région de Saint-Louis. Th. MONol> s'est demandé
quelle espèee couvrait cc nom qui désigne exactement aujourd'hui un
Acacia <lu Moghreb (A. gummifera Will<l.) ct il a pensé que ce pouvait
être le Mimosa gummifera Forsk. qui serait synonyme de l'A. seyal Del.
Exactement, l'espèce de Fors,kal, ainsi que A. spirocarpa Hoehst., seraient
plutôt synonymes de A. tortilis Hayne, espèce orientale, dont la vica-
riante occidentale est A. raddiana. En définitive les deux espèces, A. rad-
diana (Sing des Volofs, nom spécifique proposé par GUILLEMIN ct PERROT-
TET) ct A. seyal (Sourour des Volofs) coexistent au Sénégal et il est pro-
hable que c'est bien cette dernière qu'envisageait R. C.\ILLIÉ pour cette
raison qu'elle fournit également une gomme, mais très inférieure à celle
du gommier vrai. Dans son trajet saharien c'est sous le nom d'A. ferru-
!Jinea qu'il (Iésignera l'A. raddiana (~ 141).
Si la question des Acacia reste fort embrouillée, en raison de la réelle
complexité des espèces ct des confusions consécutives <le la nomencla-
ture, il est unanimement admis que c'est l'A. sencgal Willd. qui est le
vrai gommier de Mauritanie et du Kordofan.
L'époque de récolter la gomme était arrivée; chacun s'occupait
de ses préparatifs: je montrai le désir de me joindre à ceux qui de-
vaient y aller, mais je ne pus en obtenir la permission.
Le 13, les esclaves destinés à ce travail partirent sous la conduite
de quelques marabouts ...
On a cru mal à propos jusqu'à ce jour qu'il se trouvait des forêts
de gommiers dans le désert; cette erreur a été accréditée par tous
les voyageurs qui ont écrit sur des renseignements inexacts tirés
des Maures, qui, pour élever leur pays, répondent toujours que tout
s'y trouve en abondance. L'acacia qui fournit la gomme, croît iso-
- 33-

lément dans toutes les parties élevées du désert, jamais dans les
terrains argileux ou d'alluvion, mais sur un sol sablonneux et sec;
il est très rare sur les bords du Sénégal. Ce n'est pas le mimosa gum-
mitera des botanistes, que j'avais appris à connaître sur nos établis-
sements; ses feuilles, également pennées, ont les folioles plus larges
plus épaisses et d'un vert plus foncé: il se rapproche davantage,
par son port et sa forme, de l'acacia cultivé en France.
Des puits creusés dans l'intérieur, où se fait ordinairement la
récolte, donnent leur nom à la contrée où ils se trouvent; telle a
été l'origine des noms qu'on a donnés aux forêts supposées. C'est
près de ces puits que les marabouts s'établissent. Les esclaves
coupent de la paille pour faire des cases: un même marabout sur-
veille les esclaves de toute sa famille ou de plusieurs amis; il les
réunit tous, souvent au nombre de quarante ou cinquante, sous la
même case. Chaque marabout envoie ce qu'il a d'esclaves dispo-
nibles; il s'y joint quelquefois des zénagues malheureux. Le pro-
priétaire donne à chacun de ses esclaves une vache à lait pour le
nourrir, une paire de sandales, ct deux petits sacs en cuir. Le mara-
bout surveillant emmène deux vaches et emporte un sac de mil
pour sa provision.
Lorsqu'il se joint un zénague aux esclaves, il s'adresse à un ma-
rabout, qui lui fournit une vache et ce qui lui est nécessaire; puis,
à la fin de la récolte, il reçoit la moitié de la gomme qu'il a ramas-
sée. Les zénagues ne sont admis à la récolte qu'à cette condition;
s'ils y allaient pour leur compte, ils seraient pillés par les hassanes.
Chaque escouade est munie d'une poulie, d'une corde pour les
puits, et d'un sac en cuir qui sert de seau pour tirer de l'eau. On
m'a assuré que ces puits sont très profonds: les cordes que j'ai
vues avaient de trente à quarante brasses de longueur. On fixe la
poulie à deux piquets plantés de chaque côté du puits et réunis
à leur extrémité: le bout de la corde passé dedans est attaché au
cou d'un âne, qui, chassé par un marabout, enlève le seau; un autre
reste pour le recevoir et le verser dans une auge en bois, où ils
abreuvent leurs vaches. Ce sont les marabouts surveillants qui sont
chargés de cette fonction. Les esclaves, chaque matin, remplissent
d'eau l'un de leurs sacs de cuir, et, armés d'une grande perche
fourchue, vont courir les champs en cherchant de la gomme: les
gommiers étant tous épineux, la perche leur sert à détacher des
branches élevées les boules qu'ils ne pourraient atteindre avec la
main. A mesure qu'ils en ramassent, ils la mettent dans leur se-
cond sac de cuir. Ils passent ainsi toute la journée sans prendre
d'autres aliments qu'un peu d'eau pour se désaltérer. Au coucher
-:34 -

du soleil, ils reviennent à la case; une femme prépare le sanglé


pour le souper du marabout: une autre trait les vaches et chacun
boit le lait de celle qui est destinée à le nourrir. Lorsque la gomme
est abondante, chaque personne en ramasse par jour environ six
livres; ce qui prouve que les gommiers sont isolés, et non réunis
en forêts, comme ils le disent; car alors ayant moins à courir, ils
en ramasseraient davantage.
Le marabout surveillant reçoit une rétribution qu'il prélève sur
la gomme; les esclaves travaillent pendant cinq jours pour leur
maître, et le sixième est au bénéfice du surveillant; de cette ma-
nière, celui-ci se trouve avoir la meilleure part de la récolte. Les
~Iaures n'ont ni vases ni sacs pour emporter la gomme: quand ils
en ont une certaine quantité, les esclaves de chacun font un trou
en terre, et y déposent celle qu'ils ont ramassée. Lorsque les trous
sont pleins, on les recouvre de peaux de bœuf, de paille et de terre:
on a soin, en recouvrant, d'imiter le sol qui est autour; car si la
cachette était découverte, la gomme serait volée par d'autres
Maures. Quand on change de lieu, on fait une marque, soit à un
arbre, soit à une pierre des environs, et la récolte reste là jusqu'à
ce qu'on la transporte aux escales pour la vendre; alors elle est
mise dans de grands sacs de cuir, et chargée sur des bœufs et des
chameaux.
Les gommiers n'ont pas de propriétaires particuliers. Tous les
marabouts ont le droit d'y envoyer autant d'esclaves que bon leur
semble, sans être assujettis à aucune formalité ni à payer aucune
rétribu tion.

§ 24. La traite de la gomme. Avant de quitter l'escale, je vais


indiquer sommairement comment se fait la traite de la gomme.
C'est ordinairement au Illois de janvier que la traite s'ouvre, et elle
se termine le 31 juillet.
A l'époque fixée pour l'ouverture, l'administration de Saint-Louis
envoie à l'escale un navire du roi, sous le commandement d'un
officier de marine: il est chargé de la police de l'escale, en tout ce
(!ui concerne la navigation et le stationnement des bateaux; il
règle aussi les différents qui s'élèvent entre les traitants et les
Maures.
Lorsqu'un bâtiment traitant arrive à l'escale. il reste mouillé au
milieu de la rivière, jusqu'à ce que ses coutumes soient réglées. Ce
n'est qu'après l'accord signé que le bateau peut commencer à trai-
ter; jusque-là, des agents des Maures, nommés aloums, restent
à terre pour empêcher les gommes d'aller à bord. Ce sont ces
mêmes agents qui surveillent les bâtiments dont la traite est sus-
pendue.
- 35-

En général, les marchés se font très lentement; les marabouts


craignant d'être trompés, mesurent leur gomme avant de la mettre
en vente avec une petite mesure dont ils connaissent le poids, afin
d'être fixés sur la quantité de guinée qu'elle doit leur produire. On
convient ordinairement d'un certain poids de gomme pour la valeur
d'une pièce de guinée. Ce prix varie suivant que la récolte est plus
ou moins abondante: lors de mon passage à l'escale du Coq, la
pièce se vendait de cinquante à soixante livres de gomme; on en
obtient quelquefois cent livres, quelquefois aussi seulement trente
et même en-dessous.
Lorsque le prix de la pièce de guinée est convenu, le marché
n'est pas terminé; il faut encore régler les cadeaux qu'on fera au
marabout: ces cadeaux consistent en poudre à tirer, sucre, petites
mallettes, miroirs, couteaux, ciseaux, etc.... ; et cette seconde partie
du marché est quelquefois plus longue à conclure que la pre-
mière; enfin, après la livraison achevée, il reste encore longtemps à
tourmenter le traitant pour en obtenir des cadeaux.
Ces frais, ces cadeaux, joints au prix d'achat, portent la gomme
à un taux exorbitant, et beaucoup au-dessus de ce qu'elle vaut à
Saint-Louis. Les traitants cherchent à se couvrir par miIle ruses
qu'ils inventent pour tromper les Maures. Tous leurs moments de
loisir sont employés à la recherche de quelque nouvelle super-
cherie: quand quelqu'un en a découvert une qui lui a réussi, il la
tient cachée, et, comptant sur son adresse, baisse le prix de sa gui-
née pour attirer les gommes à son bord. Mais ses concurrents l'é-
pient si bien, et leur imagination est tellement exercée, qu'ils ne
tardent pas à découvrir sa ruse, ou à trouver eux-mêmes un moyen
de traiter au même prix. On voit que tout le monde n'est pas propre
à ce genre de commerce.
On rendrait sans doute un grand service aux habitants du Séné-
gal, en ramenant ce commerce à des principes loyaux.
Pendant la traite plusieurs camps de zénagues s'installent aux
environs de l'escale, pour être à portée de vendre le produit de
leurs troupeaux. Chaque matin et chaque soir, les femmes viennent
apporter du lait et du beurre en échange de guinée, poudre, ver-
roterie, etc... : la livre de beurre est évaluée quinze sous environ;
le lait coûte cinq sous la bouteiIle.
Le commerce attirant sur ce point beaucoup de marchands et
de curieux, il en résulte un mouvement continuel. Tant que dure
I~ traite, l'escale offre l'aspect d'une foire tumultueuse; d'un côté,
ce sont les chameaux et les bœufs des caravanes que l'on mène
paître ou que l'on fait boire à la rivière; de l'autre, c'est un trou-
peau de moutons qu'un zénague cherche à vendre; plus loin, des
- 36 -

traitants qui assiègent une caravane arrivant du désert ou qui dis-


cutent entre eux, des laptos (mariniers) qui se battent, et des
femmes qui disputent; enfin des hassanes à cheval ou montés sur
des chameaux qui courent çà-et-là, et mettent par leur turbulence
la confusion dans tous les groupes.
Le 31 juillet au soir, le stationnaire tire un coup de canon; c'est
le signal de la clôture de la traite et du départ des navires. Ceux des
Maures qui n'ont pas encore vendu leur gomme, la remportent, et
font des trous dans la terre, où ils la conservent jusqu'à la traite
prochaine. Le le' août, le stationnaire met à la voile, et ordinaire-
ment tous les navires traitants le suivent.
LA VIE P.\STORALE ET .\GRICOLE .\U NORD DU FLEUVE SÉXÉGAL. Les pages
écrites par René C.\ILLIÉ sur les Braknas, constituaient certainement à
l'époque une information de valeur. Ce n'est pas qu'il procédait à des
enquêtes méthodiques comme l'aurait fait un ethnologue. Mais vivant
leur vie et leur portant un réel intérêt il savait voir l'essentiel ("').
Malgré leur importance sociologique nous n'insisterons pas ici sur
les différentes classes existantes des marabouts, des hasanes, deszé-
nagues ct des esclaves, pour ne retenir que le genre de vie agro-pastorale
avec ses modalités et ses conséquences. R. CAILLIÉ a bien montré que le
nomadisme, que pratique cette population, est articulé sur l'exploitation
des pâturages sahéliens en saison des pluies et sur l'exploitation des
pâturages riverains après retrait des eaux du Sénégal avec culture de
céréales par les zénages et les esclaves (""").
De même, la relation des jours vécus par R. C.\ILLIÉ chez ces nomades,
montre, dans son principe, que leur subsistance est étroitement dépen-
dante de celle de leurs troupeaux. On saisit le mécanisme de ce proces-
sus simple mais précaire selon lequel la vache convertit au jour le jour,
de maigres ressources fourragères en une ration de lait qui doit per-
mettre à son propriétaiI'e de ne pas mourir de faim.
Nous verrons que si R. CAILLIÉ apprécie le lait, pur ou étendu d'eau,
comme boisson, il préférerait se nourrir d'aliments plus substantiels, de
sanglé (§ 26) par exemple. Il lui arrive souvent de faire observer aux
Braknas qu'ils devraient cultiver davantage de mil sur les terrains qui
lui semblent propices et qu'il regrette de voir incultes.
§ 25. Le ch,eni. Il était neuf heures lorsque nous arrivâmes au
camp de Sidy-Mohammed. On nous apporta, pour nous désaltérer,
une grande calebasse de lait aigre, coupé de trois quarts d'eau: cette
boisson agréable et saine est nommée cheni par les Maures, et est en
usage dans toutes les contrées arabes que j'ai visitées.
Je n'étais pas encore habitué au genre de vie des Maures; le peu
de lait que j'avais bu le matin ne pouvait me rassasier; d'ailleurs
il était tard; je souffrais horriblement de la faim. Je me hasardai
donc à demander à manger à ceux qui m'entouraient. L'un d'eux
("') On peut consulter une étude récente sur le sujet: P. DUBIÉ : La vie ma-
térielle des Maures. Mém. I.F.A.N., na 23, 1953 : 111-252.
("'''') BONNET-DUPEYRON (F.). - L'Agriculture en pays nomade. Congrès inter.
Géogr. Lisbonne, 1949, 4 : 9-23.
- 37-

alla le dire au roi, qui me fit appeler de nouveau, me fit répéter une
prière, puis ordonna à un esclave de traire une vache pour moi.
Je m'attendais à un dîner plus succulent; aussi quand on me
présenta le lait, je dis à Hamet-Dou que je mangerais bien
quelque chose avant de boire; que j'étais plus tourmenté de la
faim que de la soif. Mes paroles causèrent un rire inextinguible
à tous ceux qui étaient sous la tente; le roi lui-même rit aux
éclats, puis me dit qu'il ne pouvait offrir autre chose, que lui-
même ne prenait jamais que du lait pour nourriture.
Le 10 septembre, à midi, on me donna du sanglé; c'était la pre-
mière fois que j'en mangeais depuis mon arrivée au camp du roi.
Le 24 septembre, on leva le camp. Depuis trois jours, Fatmé Anted-
Moctar avait cessé de me donner un repas de sanglé, comme elle en
avait l'habitude; je ne recevais plus d'elle qu'un peu de lait soir et
matin; je souffrais horriblement de la faim. Le roi m'avait bien dit
de lui demander tout ce dont j'aurais besoin; mais je n'en obtenais
pas davantage; et ce lait, au lieu de me rassasier, me causait des
coliques et m'affaiblissait beaucoup.
Le soir, à l'heure ordinaire, on fit la distribution du lait pour le
souper. Ayant reçu ma part, je m'informai si je ne pourrais trouver
personne qui voulût me l'échanger pour un peu de sanglé; on me
montra une vieille esclave bambara qui en avait presque toujours.
Elle accepta ma proposition, m'en donna un peu, et me promit de
m'en fournir autant chaque jour. Cette malheureuse allait, quand
ses maîtres n'avaient plus besoin d'elle, ramasser du haze pour sa
nourriture; car elle ne recevait que le lait d'une vache pour ration,
et l'on avait soin de choisir une de celles qui en donnaient le moins.
Cependant, malgré sa misère, elle trouva le moyen d'adoucir mon
sort. Tant il est vrai que les plus malheureux sont les plus compa-
tissants. Pendant sept jours que je restai encore au camp, elle ne
manqua pas une seule fois de m'apporter une petite calebasse de
sanglé.

§ 26 Le sanglé. Le 3 septembre, vers une heure du matin, on me


réveilla pour manger un peu de sanglé, espèce de bouillie faite de
farine de mil ou d'autre graine. Le 4 septembre, nous marchâmes
pour nous rendre à un petit camp occupé par des esclaves d'Hamet-
Dou, qui avaient été envoyés dans cet endroit pour cultiver du mil.
Ils étaient occupés à sarcler; ils effleuraient seulement la terre, qui,
par sa nature argileuse et compacte, eût demandé à être profondé-
ment remuée et divisée. Un vieux marabout ordonna qu'on fit du
sanglé. Chaque famille nous en apporta une petite calebasse; mais
il fallait être affamé autant que nous l'étions pour le manger; car,
outre qu'il n'y avait pas de sel, ces malheureux n'avait pas même
de lait pour l'arroser. Nous continuâmes notre route à l'Est; il était
-:i8 -

onze heures environ quand nous arrivâmes près d'une mare dont
l'eau était assez bonne. On alluma du feu pour faire cuire notre
souper; il était préparé lorsqu'il survint un grand orage. Le mauvais
temps nous ayant empêchés de souper, dès le point du jour nous
déjeunâmes avec beaucoup d'appétit, quoique notre sanglé eût été
exposé à la pluie pendant toute la nuit.
R. C.\lLLIÉ aura souvent l'occasion de citer le sanglé. C'est une des
façons de consommer les farines non panifiables des Sorgos, des Péni-
ciliaires et de certaines graminées de cueillette comme celle dont il est
question ci-après.

§ 27. Le H,aze ou b,akat. (Panicum laelum) R. CAILLIÉ a décrit avec


soin la récolte de cette petite graminée spontanée dont les grains jouent
un rôle important dans l'alimentation, aux périodes de soudure, alors
que les réserves de mil sont épuisées. l'Iotre auteur pense que le haze est
un holCIIs et peut être le holcus sorgum. Il faut dire que pendant un
certain temps le genre Sorgum actuel a été facheusement désigné sous le
nom de Holcus et R. CAILLIÉ n'est pas fautif sur ce point. Toutefois il ne
s'agissait pas d'un Sorgo spontané mais du Panicum laelum bien connu
pour cet usage.
Déjà, en 1822 et les années suivantes, le gouverneur ROGER demandait
à RIC.HARD et aux autres agents de l'Agriculture, de s'intéresser au « Ba-
kat ». A. CHEVALiER le décrit comme une « Espèce très abondante à la
saison des pluies dans la zone sahélienne et pénétrant aussi en plein
désert le long des oueds; elle recherche les lieux sablonneux humides,
les dépressions conservant un peu d'eau après chaque pluie. Elle est
parfois si dense qu'elle constitue souvent des prairies continues éten-
dues. C'est un bon fourrage pour les bovins et les chevaux, mais la
plante est précoce: les graines sont déjà mûres en juillet et les chaumes
se dessèchent· en août. La plupart des peuplades recueillent les graines
pour s'en nourrir» ("').
On comprend que cette faculté de croître en peuplement dense et
pur en facilite beaucoup la récolte ct c'est bien cette espèce qui est la
principale productrice de haze. Car, en réalité, ce terme désigne les
graines comestibles, de plusieUI's espèces de graminées spontanées:
Panicum laelum, P. lurgidum, Brachiaria deflexa, Echinochloa colona,
Cenchrus biflorus, etc... ("'''').
On soupa fort tard; notre repas consista en sanglé, arrosé de lait
doux. Ayant remarqué que les grains qui composaient ce mets
étaient entiers, j'en demandai le motif; on m'apprit que ce n'était
pas du mil mais du haze, (c'est la même chose que le bakat des
nègres du Ouallo; c'est un holcus dont la graine ressemble beaucoup
à notre millet, peut être le holcus sorghum), et que dans cette sai-
son les marabouts emploient leurs esclaves à le ramasser. Ce grain
est très commun et croît naturellement, sans culture. On me montra
des esclaves occupés à cette récolte: c'étaient des femmes; elles

("') R.B.A., 14, 1934 : 23.


("'''') F. POUSSIBET. - Bull. 1.F..·L.\'. 24, 1962 : 265.
"v...

Fig. 3. - Le Aze. Aspect de la plante (Panicum laetum) et grain très grossi


dans la coque des glumelles; scène de récolte du aze (§ 27).
- 40-

étaient munies d'un petit balai et de deux corbeilles; l'une de celles-


ci, plus petite que l'autre, est de forme ovale et surmontée d'une
anse. Lorsque le haze est commun et qu'il n'a pas encore été foulé
par les troupeaux, elles marchent en balançant cette corbeille à
droite et à gauche, de manière à froisser sur les bords l'épi des
graminées en le frappant; de cette mani-ère les graines mûres cè-
dent et tombent au fond; quand elles en ont une certaine quantité,
elles la versent dans la grande, destinée à contenir la récolte. Cette
méthode donne le grain beaucoup plus propre que la seconde, mais
elle en donne moins abondamment, car on conçoit que tout le
grain battu ne tombe pas dans la corbeille. Lorsque l'herbe a été
foulée, ou qu'une première récolte a été faite comme je viens de le
dire, elles coupent la plante avec un couteau dentelé qu'elles ont
à cet efIet, puis balaient le grain par terre, en font de petits tas
qu'elles enlèvent ensuite; et comme, par ce moyen, il se trouve
plus de terre que de grain, elles l'en sépare avec le layot (Petite
bannette en paille... ; on s'en sert pour vanner), ce qui demande
beaucoup de temps. Lorsqu'elles rentrent, elles retirent de leur
récolte (qui peut être évaluée à cinq livres de haze pour une jour-
née) ce qui leur est nécessaire pour leur souper, et déposent le
reste dans la tente de leur maître Le haze ne se pile pas comme le
mil; on l'émonde de sa paille, on le lave plusieurs fois pour en
ôter toute la terre, puis on le fait crever: ce grain gonfle beau-
coup, et fait un sanglé très blanc, mais peu nourrissant. Quand on
veut le réduire en farine, on jette un peu d'eau dessus; on le laisse
tremper un instant, puis quelques coups de pilon suffisent pour le
moudre.
Quelques jours plus tard, René C.\ILLIÉ eut l'occasion de voir récol-
ter du haze de façon hien particulière, après que le feu ait détruit la
plante. Comme chez les autres Panicum la graine de haze est enclose
dans deux glumelles coriaces et il n'est pas étonnant qu'elle ne soit pas
détruite par le feu.
Le 8 (octobre), je partis à six heures du matin, me dirigeant au
Sud-Ouest 1/4 Ouest sur un sol sablonneux, couvert de khakham.
Notre marche fut pénible, à cause de la soif que nous éprouvâmes;
il n'y avait pas d'eau sur la route. En gravissant sur des dunes
de sable mouvant, nous aperçûmes au Sud un ruisseau qui s'éten-
dait de l'Ouest au Sud-Ouest; ses bords étaient garnis de mimosa,
de Zizyphus lotus et de nauclea (§ 30), qui conservaient toute leur
verdure. Mon guide m'apprit que ce ruisseau s'appelait el-Hadjar,
et qu'il inondait la plaine dans la saison des pluies. Je vis s'élever
près des bords du ruisseau des colonnes de fumée; c'étaient des
herbes sèches auxquelles on avait mis le feu. Des oiseaux de proie
voltigeaient autour des flammes, pour attraper les insectes et les
reptiles qui se sauvaient de l'incendie.
-41-
Lorsque nous atteignîmes les bords du ruisseau, nous trouvâmes
des esclaves occupés à ramasser du haze; quelques Maures les sur-
veillaient. .Je m'approchai d'eux, et en obtins un peu d'eau pour
boire. L'un des Maures me prit la main, .. .il me conduisit près d'une
mare qui se trouvait à quelques pas de là, dans le lit du ruisseau,
à sec dans cette saison; elle était ombragée par le feuillage vert et
touffu d'un très bel arbre, qui conserve à l'eau sa fraîcheur.
En partageant le sanglé de ce Maure, j'appris de lui que, quand
l'herbe est trop courte pour la couper, ils y mettent le feu pour
ramasser ensuite le haze.
C'est également la méthode décrite par J. LEMMET et M. SCORDEL telle
qu'elle se pratique dans le Ouallo: «La récolte du bakète a lieu alors
au mois de novembre. On opère de la manière suivante: on met le feu
aux herbes, les graines tombent par terre, ensuite on balaie la surface
du sol et on rassemble le plus de graines possible, on en sépare la pous-
sière par tamisage. Ce sont les femmes et les enfants qui se livrent géné-
ralement à cette occupation »,

§ 28. La c::tlt::rre des Mils. Sorgum et Pennisetum. R. CAILLIÉ dé-


crit très bien et le système agraire qui consiste pour les Braknas pasteurs
nomades à faire faire les cultures par des populations tributaires, et les
techniques de culture sur décrue. Quant au terme de «Mil» il ne dé-
signe rien de précis mais on peut penser que les cultures comprenaient
à la fois des Sorgos (Sorgum) sur les terres fortes de décrue et des Péni-
ciliaires (Pennisetum) sur les sols sablonneux.
Pendant un mois que je suis resté au camp du roi, je ne l'ai pas
vu une seule fois prendre une nourriture solide, mais toujours
boire du lait.
Je représentais quelquefois aux Maures qu'ils pourraient aug-
menter leur nourriture, en faisant ramasser du haze par leurs es-
claves, pour faire du sanglé; mais leur amour-propre en paraissait
blessé; ils me répondaient: «C'est la nourriture ordinaire du
<~ peuple et des esclaves; nous nous croirions humiliés d'en faire
uSflge ».
Ceux qui ont un peu de mil de reste de leur provision, le con-
servent pour le retour de la sécheresse, époque où le lait devient
rare.
C'est à la fin de mai que se fait la récolte du mil; alors les
marabouts reçoivent du grain de leurs esclaves; et les hassanes,
de leurs zénagues ou tributaires. Ce mil les soutient jusqu'au mois
de juillet, époque où commence la saison pluvieuse, et où ils s'é-
loignent des bords du fleuve, pour ne plus vivre que de lait; alors
ceux qui ont du mil de reste, le conservent pour le retour de la
sécheresse.
- 42-

a) Cultl/re de décrl/e.

Au mois de noyembre, quand les eaux du fleuye commencent à


baisser, les Maures envoient leurs esclaves ensemencer les terres
qui ont été submergées par les pluies ou par le débordement du
fleuve. C'est aussi à cette époque que les zénagues se rendent près
du fleuve pour y cultiver le mil. Les esclayes d'un même camp se
réunissent pour le logement, et établissent leurs cultures dans le
même canton; chaque champ est limité, et la récolte de chacun
gardée soigneusement à part. La manière dont ils cultivent est ex-
trêmement vicieuse; mais elle leur donne peu de peine. Ils ont
un grand piquet ayec lequel ils font des trous de six pouces de pro-
fondeur; ils mettent trois ou quatre grains de mil dans chaque
trou, puis le recouvrent d'un peu de sable ou de terre légère. Ils
sarclent l'herbe après que le mil est levé. Pour éYiter le trayail, ils
choisissent un sol maigre, parce que le sol gras, produisant plus
d'herbes, les obligerait à un sarclage de plus... Quand leurs champs
sont ensemencés, ils attendent en repos que le mil soit levé; alors
ils l'éclaircissent et nettoient autour du pied, pour lui donner de
l'air; beaucoup n'y font rien de pl us, et laissent croître l'herbe
entre les rangs.
b) Les mange-mils.

Quand l'épi commence à paraître, ils se tiennent continuelle-


ment dans le champ, pour en chasser les oiseaux, qui dévoreraient
le grain avant sa maturité: cette occupation ne leur laisse pas un
moment de repos; ils vont sans cesse d'un bout du champ à l'autre,
en criant, jetant des pierres, et la nuit ils y couchent pour veiller
aux gazelles, aux porc-épies et aux sangliers, qui leur feraient de
grands dégâts.
Le préjudice causé par ll's «mangl'-mil» a toujours été un gravI'
problème pour la céréaliculture dans celle région. Déjà, M. ADAN SON y
faisait allusion: « Le jour suivant je parcourus, herborisant et chassant,
les brûlantes campagnes qui sont sur la rive opposée du fleuve. Elles
étaient alors toutes couvertes de la grosse espèce de mil appelée guiar-
nait, qui approchait fort de sa maturité, et dont les nègres avaient en-
veloppé les épis avec leurs propres feuilles, pour les mettre à l'ahri des
ullaqul's des moinl'aux qui y font ordinairement de grands ravagl's ».
J. LEMMET et M. SCORDEL on fait la même remarque: «Quand ll's épis,
une fois formés, commencent à mûrir, on les enferme dans des es-
pèces de petits capuchons en paille, de façon à éviter que ll's oiseaux,
extrêmement nombreux ne viennent dévorer sur pied le plus clair de la
récolte ». De nos jours le développement de la riziculture dans la ré-
gion de Richar<l-Toll exige la mise en œuvre de mOYl'ns considérables
pour la destruction de ces prédateurs ("').

("') L. l\1ALLAMAIRE. - La lutte contre les oiseaux grani\'ares en Afrique


occidentale. J..4.gric. trop. Bot. Opl'/. 8. 1961.
- 43-

Lorsque le mil a atteint sa maturité, on coupe l'épi, on l'égrenne


en frappant dessus avec des bâtons. Le grain est mis dans des
sacs de cuir et transporté dans les camps; ceux qui en récoltent
au-delà de leur consommation probable, portent l'excédant aux
escales et le vendent aux traitants.

TRANSHUMANCES. Les zénagues ont peu de bœufs, mais de nom-


breux troupeaux de moutons et de chèvres, qui leur produisent
beaucoup de lait avec lequel ils font du beurre, qu'ils vont échan-
ger aux escales contre de la guinée. On leur permet la possession de
quelques esclaves, qu'ils emploient à la culture et à garder leurs
troupeaux; mais ils ne peuvent pas les envoyer à la récolte de la
gomme; les hassanes les leur voleraient. Ils s'écartent peu du
fleuve, et campent toujours au milieu d'un bois épais, pour se sous-
traire autant que possible aux visites importunes des hassanes et
des voyageurs. Ils préfèrent habiter les pays marécageux, parce que
leurs troupeaux y trouvent une nourriture plus abondante. Ils ont
beaucoup de lait, mais il est désagréable à boire,. à cause du goût
qu'il retient des herbes fortes que mangent les brebis et les chèvres;
il est si mauvais que quand les hassanes et les marabouts passent
chez eux, ils n'en boivent qu'avec répugnance et quand ils ne
peuvent s'en procurer d'autre.
Aussitôt après la retraite des eaux, ils descendent vers le fleuve
pour semer le mil; ils travaillent à leurs champs avec leurs esclaves.
Les Maures quittent les bords du fleuve au commencement de
la mauvaise saison, c'est-à-dire, au commencement d'août; car,
outre que les inondations les incommoderaient beaucoup, ils y
seraient exposés à toutes les maladies qu'elles occasionnent, et
leurs troupeaux seraient dévorés par les moustiques. Ils vont dans
le Nord-Est, sur les confins du grand désert, où ils trouvent des
pâturages abondants, un climat sain et exempt des incommodités
qu'ils auraient à redouter aux environs des marécages. Ils s'en rap-
prochent à la retraite des eaux, et y passent tout le temps compris
entre les mois de mars et d'août.

§ 29. Les lruits de B08cia. Th. MONOD a justement fait remarquer


que le nom de «Boscia integrifolia» qu'emploie R. CAILLIÉ ne corres-
pond à aucune espèce connue. On peut supposer qu'il s'agit d'une con-
fusion phonétique ou d'écriture avec celui de B. angustifolia qui cor-
respond avec une espèce effectivement présente au Sahel ainsi que le
B. senegalensis, plus commun et assez peu différents l'un de l'autre
pour qu'ils soient désignés sous le même vocable local.
Les Capparidaceae famille à laquelle appartient le Boscia, sont très
représentatives de la zone sahélienne et offrent quelques ressources ali-
mentaires aux populations, par leurs feuilles réduites en poudre et par
leurs fruits.
- 44-

Le 12 décembre, j'allai Yisiter le lac Aleg. Le boscia integrifolia


croît abondamment dans la plaine; on en récolte le fruit qu'on
mange cuit avec de la yiande: les Maures le nomment izé (eze1 d'a-
près J. ADAM). Les bords du lac sont couyerts de mimosa, de zizy-
phus lotus et de nauclea africana. Il déborde périodiquement
comme le fleuve, et inonde les terrains qui l'environnent à un mille·
au large; ces terrains sont très fertiles, et sont cultiyés par les
Maures après la retraite des caux. Le lac est alimenté par le el-
Hadjar, et par une infinité de ravins qui lui apportent les eaux de
pluies dans la mauyaise saison.
Nous séjournâmes sur les bords du lac Aleg jusqu'au 20 janvier.
Les vents du Nord souillaient avec force et étaient très froids:
pendant une partie du temps qu'ils durèrent, .ie fus retenu dans ma
tente par la fièvre. Dans le courant du mois, on envoya des esclaves
à quelque distance ayec une partie des troupeaux, parce que l'herbe
diminuait autour du camp; on ne garda que les vaches à lait indis-
pensablement nécessaires à la nourriture des habitants: ils em-
ploient ce moyen quand ils ne veulent pas encore transporter leurs
tentes ailleurs.
Le 21 janvier 1825, les pâturages étant entièrement épuisés, nous
levâmes le camp, et nous fîmes deux milles à l'Est sur un sol
hérissé de monticules ferrugineux. Le lieu où nous fîmes halte était
de même nature, et cependant couvert d'herbes. On allait chercher
de l'eau au lac; les esclaves partaient le matin et ne revenaient que
le soir.
Le 6 février, nous retournâmes yers l'Ouest: à trois milles
Ouest - Sud-Ouest de là, nous traversâmes le ruisseau et ce ne fut
qu'à neuf milles plus loin que nous campâmes sur un sol sablon-
neux, fort dur, et couvert de fourrages. J'avais remarqué sur les
bords du ruisseau quelque zizyphus lotus .. ici, il ne se trouvait que
des balanites aegyptiaca. On continuait d'envoyer au lac chercher
de l'eau: elle était très rare au camp, à cause de l'éloignement:
souvent elle manquait pour préparer les repas.
Le 19, les hommes et les bagages du camp du roi avaient passé
près de nous pour se rendre sur les bords du Sénégal, et le 21 fé-
vrier nous délogeâmes de nouveau; on avait fait provision d'eau
pour deux jours, car nous devions être cet espace de temps sans en
trouver sur la route.
Nous traversâmes un pays sablonneux, où l'on remarquait (:e
très beaux balanites et quelques mimosas. La provision d'eau
n'était pas abondante; d'ailleurs, la meilleure partie était réservée
pour les veaux: nous souffrîmes horriblement de la soif pendant
les deux jours que nous passâmes en route. Ce même jour, nous·
- 45-

fîmes quinze milles Ouest - Sud-Ouest. Les troupeaux étaient restés


derrière, et tout le monde se passa de souper. Le 22, nous fîmes
douze milles dans la même direction, et nous arrivâmes à trois
heures du soir au lieu marqué pour la halte: nous nous trouvions
à trois milles Sud-Est d'el Awanil, mare où l'on envoya chercher
de l'eau. Le 29, pour me distraire. j'allai visiter cette mare; le sol
qui l'environne est légèrement argileux, et produit beaucoup de
zizyphus lotus, de mimosa et de nauclea.

§ 30. Le{J tT0Î8 maillons des ceintw-fi palustres. Les trois


plantes qui viennent d'être énumérées sont caractéristiques des bords de
mares sahéliennes. R. CAILLIÉ les cite ensemble à plusieurs reprises
pour ce genre de station et aussi pour les bords du lac Aleg. On peut
apprécier au passage la sincérité et l'exactitude des observations de
notre voyageur:
a) Nous avons déjà indiqué au § 10 que le « mimosa» des mares est
exactement l'Acacia scorpioides var. pubescens, qui est l'élément le plus
important de ce groupement.
b) Le Mylragyna inermis, petit arbre très caractéristique, est ce que
l'on appelait alors le Nauclea africana. R. CAILLIÉ le retrouvera dans la
partie soudanaise de son voyage.
c) Nous savons aujourd'hui que le Jujubier d'Afrique du Nord, le
Zizyphus lolus, n'existe pas au Sud du Sahara. C'est une espèce vica-
riante le Z. nummularia Wight & Arn., qui lui succède à côté de quel-
ques autres espèces. Celle que R. CAILLIÉ observait ici en Mauritanie est
probablement le Z. mucronala Willd. dont le fruit n'est pas comestible
mais seulement employé en thérapeutique (§ 16).

§ 31. René Caillié se rend à l',escale. Dans sa recherche de pâ-


turages et de points d'eau, le camp et son troupeau se rapprochent du
Sénégal. R. CAILLIÉ en profite pour demander l'autorisation de se rendre
à l'escale afin d'y obtenir quelques vivres, vêtements et espèces, et aussi
pour faire parvenir une lettre à Saint-Louis
Le 9 mars, à neuf heures du matn, je partis accompagné d'un des
fils de mon marabout. A six milles Ouest, nous rencontrâmes le
marigot de Koundy, que j'avais passé huit mois auparavant avec
Boubou-Fanfale; nous le franchîmes à gué, et continuâmes notre
route à travers un bois épais, en suivant un vallon magnifique par
la végétation des plantes qui le bordaient.
Tous les terrains inondés qui se trouvent entre le marigot et le
fleuve sont ensemencés de mil parmi les arbres, sans que la terre
ait été remuée, et sans même qu'on ait ôté les branches mortes qui
l'obstruent.
Nous sortîmes du vallon pour nous rendre à un camp qui se
trouvait dans un lieu si boisé qu'il y avait à peine de la place pour
tendre les tentes. Nous y passâmes la nuit: on nous donna pour
notre souper du lait de brebis d'un goût détestable; mais il fallut
- 46-

le boire, n'ayant pas autre chose, et nous mourions de faim, car


nous n'avions rien pris de toute la journée. Il nous restait neuf
milles à faire pour nous rendre sur le bord du fleuve; et le lende-
main, dès le point du jour, nous nous remîmes en route.
Le 14, arrivé à l'escale, R. CAILLIÉ rencontre un négociant de Saint-
Louis à bord de la Désirée; lui ayant remis sa lettre et ayant obtenu quel-
ques secours il s'apprête à repartir avec son guide. C'est sur le chemin
de retour qu'il va goûter aux graines de Nymphea.
LES LOTOS ET LES LOTOPHAGES. Les emplois très divers que faisaient
les anciens du nom de « Lotos », ont persisté jusque cians notre nomen-
clature. Nous appelons encore Lotus le Nelumbo qui existait alors jus-
qu'en Egypte et qui est confiné maintenant à l'Orient; le nom est resté
pour désigner une espèce de Nymphaea : le N. lotus. Le « Lotos» s'ap-
pliquait aussi à un Jujubier d'Afrique septentrionale et nous avons
maintenu le Zizyphus lotus. Enfin, chez les Papilionacées le Lotus est
notre lotier; le nom transparaît encore dans Melilotus, Lotononis, etc...
Puisqu'il y avait tellement de Lotos il devait y avoir aussi plusieurs
sortes cie lotophages et DE CANDOLLE, qui avait peu ci'estime pour les
poètes, dit lui-même qu'il n'y a pas à s'attarder pour décider si les Loto-
phages cies auteurs grecs étaient des mangeurs de jujubes ou de nym-
phaea qui sont des ressources végétales comme toutes les autres. En
Afrique, selon les régions considérées, ces deux productions sont mises
à profit par les populations et R. CAILLIÉ n'a pas manqué de les relater
(§ 116 ct 117).

§ 32. Les mDngeurs de Nymphaea (N. lotus). Nous passâmes


la nuit dans un camp de marabouts qui surveillaient la culture de
leurs champs. Je remarquai une grande quantité de graines de
nymphaea que l'on faisait sécher; j'appris que cette graine était
employée comme assaisonnement dans le sanglé : j'en mangeai;
son goût n'a rien de désagréable. Ils se nourrissent aussi de la ra-
cine bulbeuse cuite à l'eau; le goût en est moins bon, et elle est lé-
gèrement astringente. Cette plante, le plus bel ornement des lacs
et des marigots, croît avec profusion dans tous les terrains pro-
fondément inondés, et est d'un très grand secours pour les Maures
qui habitent les bords du fleuve. J'ai su depuis qu'aux environs de
Saint-Louis, les nègres font aussi usage de cette plante: ils en
mangent la racine bouillie, et emploient la graine plus particuliè-
rement à l'assaisonnement du poisson.

§ 33. Retour auprès du roi Hamet-D,ou: La vache sert de


guide. Le 29 mars R. CAILLIÉ retourne à l'escale où il arrive le 31,
espérant y trouver une lettre de Saint·Louis. La péniche est bien cie
retour mais sans la réponse attendue. Après avoir reçu quelques mar-
chandises d'un négociant de Saint-Louis il repart encore une fois vers
le cilmp.
On pourrait s'étonner de ce que les voyageurs se soient égarés dans
les bois. S'il est vrai que les acacias et autres épineux ne sont jamais

-- .-
-
~

""""

Fig. 4. - Les Lotos. Jujubiers en haut: à gauche Zyziphus lotus, § 155),


à droite Z. mauritiana, § 116); en bas le Nymphaea lotus, § 32, dans une
mare sahélienne; au centre un fruit en coupe et, à gauche, une graine
très grossie.
- 48-

en peuplements très denses, ils peuvent l'être suffisamment pour bou-


cher constamment l'horizon et gêner l'orientation dans ces pays plats.
Le 3 avril je retournai au camp.
Nous voulûmes suivre la même route que nous avions tenue en
venant; mais les bois étaient tellement touffus et le chemin si mal
tracé, que nous nous perdîmes. Nous marchions au hasard, lorsque,
sur les dix heures du soir, nous rencontrâmes un marabout qui
gardait un troupeau; nous le priâmes de nous indiquer le chemin
de son camp. Il nous fit des réponses ambiguës, et nous montra
plusieurs directions, ce qui nous laissa encore plus incertains sur
celle que nous devions prendre. Nous souffrions horriblement de
la soif car nous n'avions pas trouvé d'eau sur la route: nous sui-
vîmes le gardien pas à pas pendant longtemps, le suppliant, au nom
de Dieu, de nous indiquer le chemin; mais le saint homme s'amu-
sait à nos dépens, et retardait exprès la marche de son troupeau.
Nous comprîmes qu'il craignait que nous n'allassions descendre
chez lui, parce qu'il aurait été obligé de nous donner à souper; et
bien que nous fussions encore à jeun, nous l'assurâmes que nous
n'avions pas besoin de manger, que nous ne désirions qu'un peu
d'eau pour nous désaltérer. Il hésita encore longtemps; puis cédant
enfin à nos prières, il nous donna une vache pour nous servir de
guide. Dès que cette pauvre bête fut détachée du troupeau, elle se
dirigea vers le camp en beuglant, et bientôt noUs entendîmes son
veau lui répondre; elle se dirigea vers le parc, et nous vers les
tentes, où nous fûmes bien mieux reçus que la conduite du gardien
ne nous permettait de l'espérer.
LA GRANDE COURSE

de Boké à Tanger paT Tombouctou

19 avril 1827-7 septembre 1828

« Pourquoi donc, dans tous les pays, le pauvre


est-il toujours le plus charitable? C'est qu'étant
malheureux il mesure les maux des autres à ceux
qu'il endure. »
René CAILLIÉ.

JOVRNAL OIAGRIC. TRüPIC. ET ilE BOTANIQt.'E A.PPLIQUÉE, T. X, NO 10-11, OCT.-NOVEMBRE 1963


- 50-

Attente au Rio Nunez.

R. CAILLIÉ, qui allendait tant du retour du baron ROGER, fut pratique-


ment éconduit. Profondément déçu mais non découragé, il quitte le
Sénégal où ses chances de pénétration par la Mauritanie sont définiti-
vement compromises. Il passe de Saint-Louis à Gorée, puis embarque
pour la Gambie ct atteint enfin Freetown en Sierra-Leone où, bien
accueilli, il reste deux ans à diriger une fabrique d'indigo afin de se
constituer un petit pécule.
Préparant son voyage de longue main, il se lie avec des Mandingues
de passage; il leur accrédite qu'il est un Egyptien arraché à son pays ct
désireux d'y retourner et qu'il se prépare à traverser l'Afrique. Avec
ses deux mille francs d'économie, il s'embarque sur la goélette « Le
Thomas », qui se rend à Kakondi sur le Rio-Nunez. Ce village, qui se
situait sur la même rive et à quelques kilomètres en aval de Bol,é
(Rebecca d'alors) fut souvent porté sur les cartes sous le nom de Wal-
keria (Wakria par déformation) du fait qu'un nommé WALKER avait un
comptoir en ce lieu.
Là, en attendant le départ d'une caravane pour Kankan, R. CAILLIÉ
eut le temps de s'intéresser aux genres de vie des populations voisines.

LES PLANTES INTRODUITES. Depuis longtemps les comptoirs établis sur


les estuaires des « Rivières du Sud» étaient en relation avec l'Europe,
avec le Nouveau Monde et aussi avec l'Orient par la route maritime du
Cap de Bonne-Espérance. Dès cette époque, des échanges de plantes
utiles entre les zones climatiques correspondantes du Nouveau et de
l'Ancien Mon des, conduisiren t à un en richissemen t considérable du
contingent des plantes cultivées en Afrique. On peut penser que ces
premières introductions furent faites spontanément, par d'obscurs navi-
gants et souvent même fortuitement par le moyen des produits vivriers
eux-mêmes: graines d'arachide ct de maïs, tubercules divers, etc., qui
étaient embarqués comme vivres de bord. Par cela même, elles répon-
daient parfaitement à des besoins réciproques et point n'était néces-
saire de recommandations officielles pour les favoriser.

§ 34. Orangers et Citr.onniers. La diffusion des arbres fruitiers


ne fut pas aussi rapide, soit que la consommation de fruits ne jouît
d'autant de faveur auprès des populations, soit que les délais de pro-
duction masquassent l'intérêt de plantations. Cependant, les Citrus, qui
d'Asie avaient été propagés depuis Ion temps dans la région méditerra-
néenne, furent introduits très tôt sur les côtes occidentales d'Afrique
par les soins des Portugais.
Le 6, nous allâmes à la factorerie de M. BETHMAN, située au bas
de la petite montagne. C'est dans cet endroit que reposent les restes
de l'infortuné major PEDDIE et de quatre de ses compagnons, vic-
times comme lui de l'insalubrité d'un climat brûlant.
-51-

Leurs tombeaux ("), placés sur un joli plateau auprès de la


maison, sont ombragés par deux superbes orangers. A peu de
distance à l'Est se trouve un joli petit ruisseau dont les eaux claires
tombent en cascade, et entretiennent la verdure, qui semble tou-
jours nouvelle. Les environs de ces lieux charmants sont plantés
d'orangers, de citronniers, de bananiers, et de beaux bombax, qui
donnent une fraîcheur très agréable.

§ 35. Pas de ManguieT,s (Mangifera indica) sur la Côte avant


1827. R. CAILLIÉ n'a jamais cité le manguier, arbre communément
planté de nos jours dans cette région, où il est en grande faveur auprès
des populations. Il ne s'agit certainement pas d'une omission. car
R. CAILLIÉ était très attentif aux plantes utiles à l'homme et avait pro-
bablement connu ce fruitier aux Antilles où il était introduit. D'ailleurs,
les observations de PERROTTET, faites en Gambie à peu près à la même
époque (1833). sont pareillement négatives: «Des bananiers, des oran-
gers, des citronniers, des papayers, des acajouyers. des ananas, des gou-
yaviers. des anones, embellissent les environs de ces habitations, et en
rendent l'abord fort agréable.» Par acajouyer, l'auteur désigne l'Anacar-
dium occidentale, dont il décrit un exemplaire quelques lignes plus loin.
Par cette comparaison entre l'Anacardium qui est américain et le Man-
guier qui est de l'Inde, on peut juger que les introductions en provenance
directe d'Asie tropicale se sont produites bien plus tard que celles con-
cernant les espèces du Nouveau Monde. Ainsi, l'Anacardium a été intro-
duit très tôt et M. ADAN SON le signalait déjà au Sénégal en 1750. Le
Manguier, par contre, malgré un intérêt plus immédiat, n'a pénétré que
tardivement en Afrique occidentale. J. M. DALZIIEL dit bien qu'il existait
déjà dans des localités de l'intérieur avant la pénétration européenne.
mais R. MAUNY ne partage pas cette opinion qui. pour le moins, ne peut
ètre généralisée. Ainsi, pour la Guinée, A. CHEVALIER dit que c'est lui-
même qui a introduit le manguier à Dalaba en 1907 (.......).

LES PLANTES DU PAYS DANS L.~ VIE DES POPULATIONS.

§ 36. Le poison d'épreuve (éco.rce de l'Erylhrop1lleum guineense


Don). L'épreuve du poison est une pratique comparable à ceiie liu
Jugement de Dieu par lequel l'innocent devait triompher du coupable
(lans un dUf'1 à mort. Ces procédés barhares, Quand ils n'étaient pas
(lirigés, mettaient les deux protagonistes également à mal. C'est prODa-
blement par l'intermédiaire de ses hôtes européens que R. CAILLIÉ put
en donner la relation suivante.
S'ils soutiennent au contraire qu'ils sont innocents, on leur fait
subir l'épreuve d'un breuvage fait avec une écorce d'arbre qui
donne à l'eau une belle teinte rouge.

(") Ces tombeaux étaient à Rebecca, c'est-à-dire au Boké actuel. un peu en


amont de Kakondy, voir à ce sujet:
Y. ALLAIN:-lAT. _ Note sur l'identification des tombes de CAMPBELL et de
PEDDIE. Bull. I.F.A.N., 3. 1941 : 74-78.
(.....) Rev. Bot. Appt. 1947 : 217.
- 52-

Accusé et accusateur sont contraints de boire cette médecine,


ou plutôt ce poison; ils doiYent être à jeun et entièrement nus;
seulement. on donne à l'accusé une pagne blanche, qu'il se met
autour des reins.
On verse la liqueur dans une petite calebasse, et on la fait boire
par égale portion au délateur et à l'accusé, et toujours on recom-
mence jusqu'à ce que, ne pouvant plus l'avaler, ils la rejettent ou
meurent.
Si le poison est rejeté par en haut, l'accusé est reconnu inno-
cent, et alors il a droit à une réparation; s'il le rend par le bas,
il n'est pas tout à fait innocent; mais s'il ne la rend pas du tout
dans le moment, il est jugé coupable.
On m'a assuré que ces malheureux survivent rarement à cette
épreuve; car on leur fait avaler une si forte dose de ce poison,
qu'ils succombent presque aussitôt. Cependant, si la famille de
l'accusé consent à payer une indemnité, on cesse de faire boire le
pauvre patient; on le met alors dans un bain tiède, et, lui appli-
quant deux pieds sur le nntre, on lui fait rendre le poison qu'il
a avalé.
Cette cruelle épreuve s'emploie pour toute sorte de crimes. Il en
résulte que si la crainte de la subir fait souvent avouer ses torts,
quelquefois aussi on préfère, quoique innocent, se dire coupable
plutôt que de s'y exposer.
En dehors de cette fâcheuse célébrité, l'Erylhrophleum guineense 'est
un fort bel arbre, caractéristique des forêts de la zone guinéenne à sai-
son sèche. Le bois en est très dur, imputrescible, résiste aux attaques des
termites et se recommande donc pour de nombreux usages. L'écorce est
également tannante et ses propriétés ont fait l'objet de nombreuses re-
cherches: selon R. PARIS et M. RIGAL ("'), l'extrait toxique est formé de
quatre alcaloïdes distincts qui existent également à haute dose dans les
graines. La thèse de M. RIGA!. (-) rassemble nos connaissances SUl' les
Erylhrophleum d'Afrique occidentale.

§ 37. Les boissons lerm·entées. Même suns l'interdit religieux isla-


mique les boissons alcoolisées ne tiendraient probablement pus une
grande place duns les mouvements commerciaux et ce sont les ressources
locales qui sont utilisées pur ll's amateurs ("'...."'). Les Landumas et les
l'alous, n'élant pas soumis à lu loi de Mahomet, nous dit R. C\ILLIÉ,
suvl'nt l'xtruire ou fabriquer des boissons alcoolisées à partir de plusieurs
végétaux.

("'1 R. PARIS ('/ ;\1. RIGAL. - Les Eruthrophlel/m : H('cher'ches préliminaires


sur j'écorce et sur I(ls graines d'g guineense G. Don. Bill/. Sc. Pharmacol. 47,
19~O : i9-87.
("'''') ;\1. HIGA!.. --- Heeherehes hotnniques. ehimiques et phUl'mncolol(iqul's
sur les « Erythro[lhleum» de l'Afrique Occidentale. Thèse Doel. Cniver.
(Pharm.) Paris 1941.
("'....'f) H. H'SMl'TH ct C. ;\lf;1\AGE. - Les hoissons alcooliques en A.O.F., Bl/Tl.
I.F.A.:\'. 23B, 1961 : 60-118.
Fig, 5, - V' Palmi.", ù hnilp (Elaeis guillccnsis), A gauche un jeuue pied por-
tant déjà plusieurs régimes (seuls les pieds de plantation ont l'ct aspect,
eal' les pieds sauvages sont plus grêles ct l'estent stériles plus longtemps); à
droite un pied àgé dont seuls des grimpeurs exl'erl'és peuyent atteindre les
fr'uits; en has un fruit dont le péril'arpe fibreux et oléa[(ineux, laisse voir
la noix; une noix de palme dont la l'oque et brisée pour montrer le pal-
miste; l'amande, ou palmiste, qui fournit également une huile (§ 38),
-- 54--

a) Le Cou ra (Parinari exee/sa Sab.) sera cité à plusieurs reprises par


R. C\lLLlÉ au cours de sa traversée du Fouta. Cc grand arbre de la
famille des Rosacées, congénère hygrophile du Néou (§ 5) porte (le
nombreux fruits dont la pulpe, à maturité, est plutôt pâteuse que juteuse,
mais sucrée et de goût agréable.
La prune qu'ils nomment l'aura, qu'ils pilent et font fermenter
avec de l'eau, leur donne aussi une boisson assez agréable, même
enivrante, et qui, m'a-t-on assuré, a quelque rapport avec notre
cidre. Quelquefois ils se nourrissent avec le marc de ces fruits
(§ 43).
b) La bière de djin-djin (J)i.~.~oli.~ grandiflora Benth.). Cc Dissotis est
une plante herbacée dont les belles fleurs voyantes précèdent les feuilles
aux premières pluies; les parties aériennes disparaissent au début de la
saison séche et ne laissent que la souche vivace dont les fortes racines
tubéreuses constituent la partie utile. C'est un fragment de eet1e espèce
de Mélastomacée que R. CAILLIÉ avait l'apporté dans ses carnets.
Ils ont encore une autre boisson qu'ils appellent jin-jin-di, faite
avec la racine d'une plante du même nom; ils la font brûler, la
mêlent avec l'écorce d'un arbre (qu'il m'a été impossible de voir) ;
broyant le tout ensemble, ils y mettent de l'eau, et remuent forte-
ment pendant près de deux heures. Après avoir laissé fermenter
pendant deux ou trois jours cette boisson, ils la soutirent; elle
acquiert ainsi une saveur douce et agréable. Ils en boivent les
jours de fête et de régal, parce qu'elle facilite la digestion. Ils
emploient aussi cette racine de jin-jin-di sans autre mixion, comme
un très bon purgatif.
l') Le vin de palme. Les nombreux palmiers qui croissent en ce
pays leur fournissent en abondance un vin très doux.
II s'agit du palmier à huile, l'E/œis guineensis Jaequ., qui est égaIe-
ment un important producteur d'huile extraite de la pulpe du fruit.
R. CAILLIÉ ne nous dit pas si le palmiste (amande également oléagineuse
du fruit) faisait déjà l'objet d'exportation.

§ 38. L'huile de pttlme. Ce beau et fertile pays produit en quan-


tité des palmiers d'où ils tirent beaucoup d'huile; ces peuples
l'aiment beaucoup, et en mettent dans tous leurs ragoûts.

§ 39. Les arbre8-ruchers. Les abeilles sont très communes dans


ce pays. Ces peuples aiment beaucoup le miel; ils l'obtiennent en
plaçant des ruches dans les arbres. Pour l'en retirer sans accident,
ils descendent la ruche au moyen d'une corde, à une certaine dis-
tance de terre, et allument dessous un grand feu avec des herbes
à moitié mouillées; la fumée chasse les abeilles, et les nègres
restent ainsi maîtres des ruches. La cire qui en provient est vendue
aux Européens.
-- 55 -

Ces insectes sont si abondants, qu'ils n'est pas rare de les voir
s'emparer des cases, et forcer les familles qui y son logées à leur
céder la place; on a alors recours à la fumée pour les chasser.
Le Dr M. "fATHIS ('l'), qui a eu l'occasion d'étudier cette question,
évoque spirituellement l'abondance de la faune apicole en disant que
« Les abeilles de Guinée semblent souffrir d'une grande crise rie loge-
ment; il suffit cie percher une ruche dans un arbre pour la voir se
peupler d'elle-même par un essaim errant, en quelques jours, parfois
en quelques heures ».
Dans les régions tropicales où les colonies d'abeilles n'ont pas à
constituer de réserves importantes pour l'hiver et sont actives toute
l'année, les fonctions génératives sont beaucoup plus actives ct les
essaimages plus nombreux. La Guinée est en outre une région particu-
lièrement propice à une production mellifère par sa végétation mixte
d'arbres clairsemés et d'espèces herbacées florifères. Les ruches, en
forme de cylindre sont posées horizontalement sur les maîtresses
branches des arbres et c'est toujours un spectacle curieux que de voir
ces ruchers aériens pour lesquels les Parinari excelsa (§ 43) et les
Parkia biglobosa (§ 44) sont le plus souvent choisis en raison de leur
puissante ramure ct de leurs fleurs mélittophiles.

§ 40. La mangrove n'intéresse pas R. Caillié. Alors que notre


jeune voyageur a suivi de près toute la côte, de Dakar à Freetown et
remonté l'estuaire du Rio-Nunez sur de petits bâtiments, il ne rlit pas
avoir été frappé par la singularité de la mangrove. Cette partie de
l'Afrique est une côte basse, formée par les dépôts apportés, aux époques
géologiques et actuellc, par les nombreux petits fleuves descendus des
plateaux du Fouta ct chaînons du Kissi. Ces dépôts, drossés par le cou-
rant, tendent à aligner le rivage au niveau des caps les plus avancés,
tandis que le jeu des marées et l'écoulement fluvial y maintiennent un
réseau compliqué de chenaux de type deltaïque dont R. C.\lLLIÉ a
apprécié l'agrément:
Du haut de la montagne, on découvre la campagne à une grande
distance; on aperçoit les diverses sinuosités du Rio-Nunez, dont
les rives pittoresques offrent un coup d'œil délicieux.
Mais il n'a rien dit de cette végétation amphibie que baigne chaque
marée. Les Rhizophora, aux longues racines-échasses recouvertes d'huî-
tres, et aux fruits vivipares qui s'empalent dans la vase, forment la
frange extrême sur le front vaseux, tandis qu'un peu en arrière les Avi-
cennia occupent de plus larges étendues sur les atterrissements. Ce sont
ces boisements que les riverains défrichent au prix d'efforts pénibles
pour y installer les rizières dont R. CAILLIÉ nous entretient.

§ 41. Le Riz et les rizièfles littorales. A cette époque, le riz cul-


tivé par les Africains était exclusivement le Riz glabre (()ryza glaber-
rima) qui est une sélection de formes spontanées, reliées elles-mêmes à
une espèce voisine: le Riz à ligule brève (Oryza breviligulala A. Chev.).

('1') Ruches africaines et techniques apicoles en Guinée française. Bull. Serv.


Elev. Indusir. Anim. .-l..O.F.; 1. 2, fasc. 2-3 : pp. 25-34.
- 5B -

Il existait donc une riziculture africaine qui, pour avoir moins d'impor-
tance qu'en Asie, n'en était pas moins originale ('l').
Les Bagos ont des mœurs bien différentes de celles des Landamas
leurs voisins. Ils sont plus industrieux, et par conséquent plus
heureux; ils habitent un sol très fertile qu'ils travaillent aveC soin;
leur principale récolte est le riz. Ils ont l'art de sillonner leurs
champs comme nous le faisons en Europe; ils se servent, pour cet
usage, d'une pelle en bois, longue de deux pieds, dont le manche
en a six ou sept.
Comme le terrain est très plat, ils ont soin de faire des conduits
pour l'écoulement des eaux. Quand l'inondation est trop forte, ils
savent tirer parti en ménageant adroitement de petits réservoirs
dans leurs champs, pour obvier à la trop grande sécheresse, et
conserver au riz ceUe humidité qu'il aime tant.
Ils ont aussi l'habitude de semer le riz auprès de leurs villages
pour le transplanter dans leurs champs, quand il a aUeint six
pouces d'élévation. Les femmes sont chargées de ce soin, ainsi
que de sarcler. Les hommes seuls font la récolte, toujours très
abondante.

§ 42. Il n'est pas en,core quest,i.on du Café Nunez. R. C.\lLLI~:.


dans sa description assez détaillée du Rio Kunez. ne signale aucun
commerce de café il Kakondy. Cependant, peu d'années après, dès
1835. « C'est surtout le café que les traitants de Gorée allaient cherchel'
au Rio Kunez; il semblait d'excellente qualité, supérieur même au moka.
mais il était frappé il son entrée dans les ports de Fmncc <l'un droit
double, qui équivalait il une prohibition.»
L'arbuste producteur, le Coffea slenophylla G. Don, était donc ahon-
dant dans ces bosquets ct galeries forestièl'cS de ravins que R. C.\lLLl~:
dut traverser ct côtoyer en passant dans les pays de Bambaya, d'Irnankl'
ct de Kakrima.
Kous savons comme'nt cette intéressante ressource sylvestre fut gas-
pillée. « Yers 1850, nous dit A. CHEV.\LIER ('l''''), on songe'a il le cultiver
ct un jardinier fut même envoyé il Boké dans cc but. On se eonte'ntait
de déterrer les jeunes plants dans la forêt pour les transplanter dans
les jardins.» Cette pratique fut plus ou moins régulièrement poursuivie,
car, vingt ans plus tard, LANG ('1''''''1'), agent de culture il Boké, nous rapporte
que, vel'S 1870, près de 50000 pieds environ de caféiers étaient arrachés
chaque année en forêt pour être vendus il des commerçants et plantl'urs
de Boké. Comme cette opération se faisait tardivemcnt en juillet ct que'
les jeunes plants ne surYivaient pas il la saison sèche suivante, toutes ces

(~) R. Portères. - rn problème d'Eth no-botanique : relations entre le riz


flottant du Hio-:'oiunez et l'origine médinigérienne des Baga de la Guinée
Française. .J•.4urie. Trop. Bot.•4ppl. 2, 1955 : 538-542.
('l"') A. CHEVALIER. - Les caféiers sauvages de la Guinée française. C. R.
Amtl. S,'. Paris. 140'. 1905: 1472-1475.
('1''1''1') L,'!'G. -- La culture du café au Hio-:'iunez. Rev. Marit. et Col. 1870 :
228.
Fig. 6. - Le riz (Oryza). Une panicule de riz, puis: un grain entier avec
ses l'dumes et glumellcs: un grain déc,)rtiqué entier avec son embryon et
son tégument rougeâtre: un grain poli sans embryon ni tégument; en bas
une rizière littorale avec, au fond, un cordon littoral où l'on reconnaît des
palmiers à huile et, vers la droite, un Kapokier qui indique la présence
d"un village; en avant une di guette où un cultivateur tient la longue pelle
de hois ferré qui sert à travailler la vase; au premier plan à droite, un
pied de riz (§ 41).
- 58-

plantations périclitèrent, sans bénéfice pour leurs auteurs, mais au grand


dommage des peuplements naturels que L.\NG proposait, plus justement,
d'aménager et <l'enrichir.

Départ pour mon grand voyage, Ile 19 avril 1827.

Je travaillais à mettre en ordre les notes que j'avais prises sur


les Nalous, les Landamas et les Bagos, lorsque M. CASTAGNET revint.
Il eut la complaisance de s'occuper immédiatement de mon voyage,
et me donna des conseils fort sages sur la manière de me conduire
avec les peuples que j'allais visiter.
Le 19 avril 1827, je pris congé de M. CASTAGNET. L'avouerai-je?
je pleurais en quittant mon généreux ami : cependant des regrets,
quoique bien sincères, ne pouvaient altérer la joie que j'éprouvais
d'entreprendre enfin ce voyage, après lequel je soupirais depuis
tant d'années.

La traversée du Fouta-Djallon.

René C.\ILLlÉ pouvait être ému. Quitter le village de Bo1(é, sur la côte
occidentale d'Afrique, seul avec son secret, sans ressources, ni appui,
pour atteindre Tombouctou; puis traverser le désert, soit vers le Maroc,
soit vers l'Egypte, était une entreprise lourde de dangers mortels.
En 1921, presque un siècle après cc voyage, L. J.\CQUIER a eu la curio-
sité de suivre une partie de l'itinéraire djal10nnien de R. CAILLIÉ et s'est
plu à reconnaître l'exactitude du Journal: « ... comment ne pas croire à
la véracité du voyageur qui avait noté jour par jour et ainsi dire heure
par heure, ses marches, la direction suivie, les villages reneontrés, de
sorte que le Journal de route fait un itinéraire complet, sans la moindre
lacune, sans aucune défaillance?» ("').
La route suivie par R. C.\ILLlÉ est bien délaissée aujourd'hui depuis
que les principales voies de pénétration, route et chemin de fer, partent
de Conakry plus au Sud. Cette route passait alors par le pays <l'Irnanké,
plateaux peu élevés mais entaillés en tous sens de profonds ravins, ren-
dant la marche très pénible. Puis elle abordait le Djallon dans sa partie
la plus étroite, par l'ombilic de Bomboli, qui relie le plateau du Labé à
celui de Dalabaet sépare les eaux des Rivières du Sud de celles du
Sénégal.
Malheureusement, comme Th. MOl\"OD le fait remarquer, R. CAILLIÉ ne
connaissait pas les roches et les rapportait à peu près toutes au granit,
alors que, dans la partie djallonnienne de son voyage, il a surtout ren-
contré des grès, des latérites ferrugineuses et, plus rarement, des dolé-
rites. Par contre il a bien décrit l'aspect ruiniforme des montagnes de
grès qui dressent leurs murailles, tourelles et donjons, dans un paysage
à chaque pas renouvelé.

("') En marge du voyage de Ren~ CAILLIÉ. Bull. Comité études hist. scient.
A.O.F., 1921.
Ultérieurement, en 1938. O. DURAND (cf. Bibliographie générale) a également
fait le même cheminement.
- 59-

En ce qui concerne la végétation R. c.\.IJ.L1É ne pouvait pas apporter


des précisions telles que nous puissions nous y référer aujourd'hui, pour
apprécier le recul des forêts, par exemple. Cependant il indique que la
région des Timbis était assez dénudée, ce qui correspond bien à la
situation actuelle due à une occupation humaine très ancienne.
Si R. CAILLIÉ ne pouvait pas davantage se livrer à une étude de la flore,
il savait, par contre, choisir judicieusement quelques espèces caractéris-
tiques dont il notait la présence le long de son itinéraire.

TROIS coMP.\G:-iO:-iS DE ROUTE: LE KOURA, LE NÉRÉ, LE FROMAGER.

§ 43. Le coura (Parillari excelsa Sab.L R. C.\ILLlÉ a déjà cité ce fruit


dont on fait une boisson fermentée au Rio-Nunez (§ 37 a) et il aura
souvent l'occasion ct'en consommer sur la route du Fouta-Djallon.
Le 21, à cinq heures du matin, nous nous mîmes en route. La
campagne est couverte de grands arbres. Marchant à l'ombre des.
forêts, nous ne nous apercevions pas de la chaleur excessive du
jour. .Je vis beaucoup de figuiers sauvages (§ 52), et de pruniers
que les nègres nomment callra. Cet arbre donne un très bon fruit
qui a la forme de la prune; la pellicule est rougeâtre et marquée
de points un peu plus clairs; en levant cette pellicule, on trouve
une pulpe délicieuse au goût, qui n'a pas plus de quatre lignes
d'épaisseur sur un noyau gros comme celui de la pêche. Nous arri-
vâmes, à trois heures après midi, très fatigués, au village de
Daourkiwar, où nous passâmes la nuit: il est situé auprès d'une
mare dont l'eau est très bonne à boire; elle est entourée de bombax,
de pruniers et de quelques nallclea. Nous mangeâmes des prunes
du pays, que je trouvai délicieuses.
Lorsque R. CAILLIÉ parle cte Naue/ea en borùure des marcs soudanaises
et sahéliennes, il s'agit sans aucun ctoute du MitragYlla inermis; mais, en
celle région de la Guinée, en compagnie ctu Koura, cela paraît beaucoup
moins probable ainsi que le fait remarquer Th. MONOD. Il s'agissait peut-
être du Sarcocephalus esculentus, à feuillage beaucoup plus ample mais
ùont les fruits ressemblent à ceux ctu Mitragyna sans en avoir la même
structure.
Le 22, à cinq heures du matin, nous continuâmes notre route ...
La route était plus belle que celle de la matinée; je vis beaucoup
d'arbres à callra ; nous nous amusâmes à ramasser des fruits.
Le 30 avril... Nous descendîmes une petite montagne au pied de
laquelle passe le Cocoulo; nous la passâmes à gué. A peu de dis-
tance de cet endroit, elle se précipite à soixante pieds de profon-
deur, en faisant un bruit épouvantable: je m'arrêtai un instant à
contempler cette cataracte. Cette rivière coule parmi de hautes.
montagnes couvertes de grands arbres; le prunier du pays s'y
trouve en quantité.
Le 8 mai, R. C.\ILLIÉ traverse le Bafing un peu en aval des chutes ct
continue sa route vers Foudédia :
- 60-

Nous marchions dans des gorges de montagnes de cinq à six


cents pieds d'élévation, et couvertes de grands arbres; j'aperçus
le nédé et le caura ou prunier du pays.
Arrivé dans la vallée du Tinkisso, sur le versant continental du Fouta-
DjaJlon, R. CAILLIÉ n'aura plus l'occasion d'observer le koura des Foulas,
le Sougué des Soussous, le Parinari excelsa des botanistes. Cet arbre
magnifique a effectivement une aire restreinte, correspondant à cette
partie de l'Afrique occidentale, qui s'étend de la Gambie à la Côte
d'Ivoire, est exposée aux pluies copieuses de l'été, mais subit par ailleurs
une saison sèche sévère. Cette essence tend même à devenir exelusi\'('
au-dessus de 900 à 1 000 m d'altitude. Elle formait autrefois de belles
forêts montagnardes au Fouta-Djallon et dans la région de Macenta, en
Guinée, puis dans la région dl' Man, en Côte d'Ivoire: il n'l'n reste plus
que des lambeaux. Au Djallon, si les boisements densl's sont den'nus
l'xceptionnels (quelques massifs sur le versant du Konkouré vers Dalaba),
les arbres qui persistl'nt çà pt là atteignent en revanche de majestul'uses
proportions. Le Fouta-Djallon n'occupe donc pas toute l'aire du Parinal'i
excelsa, mais tout le pays est caractérisé par cette essence; ct lorsqul' IPs
anciens Foulbé disaient que !l'ur influencl' s'étendait « dl'puis le pal miel'
à huile de Kakonlli jusqu'au fromager de Sareya », cela correspondait
au fragment djal1onnil'n dl' l'aire du Koura.
Les Peuls sont donc très attachés à cet arbre ct ils disposent d'un
dche vocabulaire pour désigner tout cc qui s'y rapportl'. OUSM.\~E DI.\LLO
nous a eonté comment se fabrique le pôtfirou avl'C le kourarl', fruit du
kourahi ("'). D'un juste mélange de fruits trl's m(\l's (moloho) pt de fruits
encore acides (basi) pilés et brassés avel' dl' l'l'au, on obtient un pôtârou
fort agréable car il est, à la fois, aigreld et doux. Les personnl'S d'un
âge raisonnable ne boivent que le liquide, mais les l'nfants, que la dignité
ou maintien ne retil'nt pas, ont licence de mangl'r la pulpe et de s'en
barbouiller joyeusl'ml'nt la figure.
Les premières rl'marqul'S sur le Parinari macrophylllllJl rl'montl'nt aux
premiers voyages des Portugais sur la côte d'Afrique. Morave Valentin
FER~Al"[)ES dans unl' « Description» de 1506-1507 parle du Mampata :
« de ce fruit on fait aussi du vin et il a le goût des pomllles bayonnai-
Sl'S» ("'''').
Ultérieurl'lIIent S. PERROTTET a eu l'occasion d'admirl'r le koura à la
limite Nord de son aire lors dl' son voyage en Gambie l'n 1829: «Je
rencontrai aussi le mampata (Pal'inarium excelsum). Bel arb,'l' qui
acquiert souvent UIlP hauteur de 80 à 100 pieds, pt étend ses énormes
branchl's à une grande distance; le tronc est assez droit, sans branchl's
ni nœuos apparl'nts jusqu'à la hauteur d'envil'on 20 pieds; ses fleurs
blanches et petites exhalent unl' odcur très suavc, qui embaume l'air;
l'Iles attirent ainsi sur l'arbre lll'S milliers d'abeillps qui s'y forment
souvent en l'ssaims nombreux.»

~ 44. Le Nédé (Parkia biglobosa Benth.). Le Néré, dont !l' nom


générique l'st dédié au célèbre explorateur Mungo P.\RK, dont R. C.\ILLU:
S'l'st beaucoup inspiré, fut un compagnon plus eonstant que le Pm'innri

("') Un produit de cueillette du Fouta-Djallon : le Koura . .Yotes africaines,


1949 : 37-38.
("'''') Th. MONOD, A. TEIXERA DA !\IOTA cl R. !\IAUNY. - Description de la côte
·ocddentale d'Afrique. Ccntro de Estudos, 1951.
61

Fig. 7. - Lll ridèrl' liokoulo. Chutes de Kambadaya au pied desquelles


H. C.UI.LlI~ est passé le 30 avril 1R27 et a observé les arbres à Koura (§ 43).
- G2

sur la longue route qui va de la côte à Djcn né sur le Niger. R. CAILLIÉ


le cite dès sa sortie de Boké; mais alors que dans cette première partie
(lu parcours il l'associe le plus souvent au Koura (Parinari) , il le cite
presque constamment avec le Karité à partir du Tinkisso.
Non seulement cet arbre a des exigences climatériques assez souples,
qui lui permettent une large extension, mais encore il est semi-domes-
tiqué et préservé dans les terrains de culture. La pulpe farineuse des
gousses en est le produit alimentaire essentiel, et les graines ont un
usage condimentaire après fermentation. R. CAILLIÉ en parlera plus
loin sous le nom de zambalas (§ 81). En outre la cosse des gousses est
ichthyotoxique, l'écorce est tannante, etc ...
Nous trouvâmes un sol composé de terre rouge et un peu pier-
reux, mais couvert de la plus belle végétation; le nédé surtout y
est en abondance. Le nédé est une espèce de mimosa dont le fruit
contient une substance féculeuse. Plusieurs des Foulahs que nous
avions joints en route me donnèrent des fruits du nédé : ce fruit
est très commun dans cette partie de l'Afrique, et d'une grande
ressource pour les voyageurs; il est très nourrissant, et leur sert
à économiser le riz qu'ils ont destiné à l'achat du sel.
Quelques jours plus tard, après avoir traversé la Kakrima, R. CAILLIÉ
cite encore le nédé :
Après nous être reposés un moment à l'ombre de grands nédés,
et nous être rafraîchis avec le lait que nous devions à la générosité
des Foulahs, IBRAH lM mon guide et ses camarades s'occupèrent à
acheter un bœuf pour célébrer la fête du ramadan qui arrivait le
lendemain.

§ 45. Le Bombax de R. Caillié est probablement le kapokier


à Heurs blanches: Cl'iba penladra Gaertn. Cet arbre est plusieurs
fois cité sur le parcours de Boké au Fouta, mais il le sera plus régulière-
ment dans la partie soudanaise du voyage. Th. MOl'on accorde à l'auteur
qu'il s'agit hien d'un Bombax, au sens actuel du terme, soit, pour la
région considérée, du B. buonopo;;ense P. Beauv. Cela est bien peu pro-
bable. Cette espèce ne s'impose guère au voyageur profane que lorsqu'elle
est recouverte de ses belles fleurs rouges et ne sc rencontre pas précisé-
ment auprès des agglomérations. Comme par ailleurs R. CAILLIÉ ne
nomme jamais le fromager ("'). dont le nom ancien, synonyme aujourd'hui,
était Bombax pellialldrum, il y a tout lieu de cI'oire que c'est bien cet
arbre géant qu'entendait signaler R. CAILLIÉ.
Nous nous assîmes à l'ombre d'un superbe bomba.r pour prendre
notre modeste repas, qui consistait en riz bouilli, auquel on ajouta
quelques pistaches grillées et pilées, puis un peu d'huile de palmier.
Le 20 avril, à cinq heures du matin, nous nous mîmes en route ...
Nous fîmes vers l'Est sept milles, sur un sol pierreux, montagneux
et couverts de grands arbres; le nédé et le Bomba.r y croissent en
quantité, et embellissent la campagne.

('l') Cet arhre est fâcheusement désigné sous le nom de Fromager en langage--
popu Jaire.
- 63-

Le 29 avril la petite caravane atteint la montagne de Tourna qui


sépare le pays d'!rnanké du Djallon :
Nous nous reposâmes un moment sur son sommet. Je vis aux
environs de très bel indigo et des bombax qui le disputent en
grosseur aux plus énormes baobabs des bords du Sénégal.

PRODUCTIONS VÉGÉTALES ET SYSTÈME AGRO-PASTORAL DU FOUTA-D.I.\L-


I"ON (.y.). R. CAILLIÉ a bien su relever l'existence de deux classes sociales,
ethniquement distinctes, sur lesquelles reposait le système agro-pastoral
de l'époque. D'une part les Foulas, pasteurs et conquérants, qui établirent
leur domination sur les cultivateurs premiers occupants du sol, les
Djallonkés, dont ils firent leur main-d'œuvre servile. En sorte que cette
structure sociale s'est poursuivie dans le système agro-pastoral et s'est
traduite dans l'habitat: «On sait, disait RICHARD-MoLLARD, qu'au Fouta
la population se répartit en paroisses, les missidé, avec un chef-lieu
peuplé de Peul, autour duquels gravitent hameaux peul: les fou/asso,
ct hameaux de serfs: les roundé.» On peut encore ajouter que missi dé
et foulasso occupent plutôt les éminences, tandis que les roundé sont
plutôt dans les vallées. Si les différences ethniques et sociales doivent
rapidement se fondre dans le creuset de la République guinéenne, la
dispersion de l'habitat est peut-être appelée à se maintenir plus long-
temps en relation avec l'élevage. La forme bocagère des clôtures gagne-
rait même à s'étendre pour assurer la rotation du pacage et la protection
du sol.
Nous passâmes près du petit village d'Oréouss, habité par des
Foulahs qui élèvent beaucoup de troupeaux: ce village est situé
sur le penchant d'une haute montagne, couverte de la plus belle
végétation. Le 21, à cinq heures du matin, nous nous mîmes en
route. Nous fîmes sept à huit milles parmi des monticules qui
rendent la marche très pénible; ensuite nous passâmes près d'un
village habité par des esclaves chargés de la culture des terres.
Tous les villages ayant la même destination s'appellent ouround,i ...
J'appris alors que, dans le Fouta-Dhialon, les nègres ont deux
jours de chaque semaine consacrés à travailler à leur champ par-
ticulier, c'est-à-dire destiné à leur subsistance. En continuant
notre route, nous passâmes auprès de Dougué, joli village de trois
à quatre cents habitans Foulahs et Dhialonkés, situé dans une
plaine de sable gris, susceptible des plus belles cultures: cette plaine
est entourée de hautes montagnes, et couverte de très beaux
p'âturages.

§ 46. Le cagnan : nougat de maïs. Plusieurs Foulahs pasteurs,


qui gardaient leurs troupeaux dans notre voisinage, vinrent nous
voir, et nous vendirent ce qu'ils appellent du cagnan, espèces de

(.y.) J. RICHARD-MoLLARD. - Essai sur la vie paysanne au Fouta-Djallon. Le


cadre physique, l'économie rurale, l'habitat. Rev. Géogr. alpine, Grenoble 32,
1944 : 135-240.
64 -

pains qu'ils font avec du maïs et des pistaches grillées et pilées,


dans lesquels ils ajoutent du miel: ces pains font en partie leur
nourriture en voyage.
R. CAILLIÉ est invité par un jeune Foula à boire nu lait dans un camp
de berger:
Ce camp était composé de cinq à six cases en paille, de forme
presque ronde, et très basses; il fallait se mettre en double pour
y entrer: l'ameublement consistait en quelques nattes, peaux de
mouton et calebasses pour mettre le lait... De ce petit camp on
apercevait le village de Mirayé, situé sur le penchant d'une haute
montagne qui m'a paru très boisée; il est habité en partie par des
Foulahs et des Dhialonkés, tous mahométans ... Nous nous ren-
dîmes ensuite à Dongol, petit village d'esclaves.
Le pays Irnanké (entre Boké et la Kakrima) est habité par des
Foulahs pasteurs; ils possèdent de beaux troupeaux qui font leurs
principales richesses, et servent à leur nonrriture. Il y a aussi
dans ces montagnes beaucoup de Dhialonkés, anciens possesseurs
du pays de Fouta-Dhiallon, conquis très antérieurement par les
Foulahs, qui soumirent une partie de ces peuples à la religion de
Mahomet: ceux qui persistèrent à rester dans l'idolâtrie, dcvinrent
les tributaires de l'almamy ou chef du pays; ils paient Icur tribut
en bestiaux.

PLANTES D'AMÉRIQUE DANS LES JARDINS D'AFRIQUE. Les Foulahs


nourrissent beaucoup de bestiaux, bœufs, moutons et cabris; ils
ont des chevaux d'une petite espèce, peu d'ânes, quelques chiens,
et ils élèvent beaucoup de volailles. Ils font fréquemment des
voyages à Sierra-Leone, où ils vont vendre des bœufs pour l'appro-
visionnement de cette colonie. Ils cultivent dans leur montagnes
beaucoup de riz, du gros maïs et du petit mil; le coton, qui leur
sert à fabriquer des étoffes dont les lés n'ont que cinq pouces de
large. Ce pays fournit abondamment tout ce qui est nécessaire à
la vie, riz, mil, ignames, cassaves, choux caraïbes, oranges,
bananes, etc.
II est à remarquer que les premières cultures ainsi inventoriées par
R. CAILLIÉ étaient presque toutes ùes espèces introduites.

~ 47. La pistache: Arachide ou Voandzou? La pistache, ou


pistache de terre, est l'Arachide (Arachis hypogea) espèce américaine
dont le rôle n'a cessé d'augmenter ('n Afrique comme produit oléagineux
ct alimentaire. Toutefois, sous cc fàcheux nom de «pistache» -- qui
dt'\Tait être réservé à l'amande du Pistacia, arbre du ;\Ioyen Orient - ,
il est certainement arrivé à H. CAILLIÉ de eonfonclre ensemble l'arachic\c
ct une plantc assez ressemblante, le Pois bambara, ou Voandzou (Voand-
;:cia sllbterranea) , qui mûrit également ses fruits en terre. Bien que le
Voandzou ait régressé devant l'Arachide, il est toujours cultivé, surtout
Fig. R. - LI' "{'l'{- (l'nrkil! i>iyio/Jnsa, ~ ~~), !lranches il ,!l'oite avec houles
l'elldan!es de fleurs: branches il gauche avec fcui]]es et paquets de gousses;
en dessous une houle rie fleurs et un paquet de gousses; en bas il droite un
l\'él'é sur lequel on a disposé cinq ruehes (§ 39),
- 66-

(lans la région soudanaise ct devait l'être encore davan tage il y a un


siècle. C'est une espèce bien africaine dont ont connaît les formes sau-
vages ("). Lorsque R. CAILLIÉ parle de pistaches grillées, mangées direc-
tement, ct de sauce à la pistache, il s'agit plus probablement de l'Al'a-
chide. Cependant, le grain du Voandzou, beaucoup moins gras que celui
de l'Arachide, est également grillé ct écrasé pour épaissir les sauces ct
confectionner des beignets très appréciés.

§ 48. Le gros maïs. Lorsque R. CAILLIÉ connaissait une plante, il ne


s'informait pas du nom local. C'est le cas pour le « gros maïs» qu'il cite
avec le « petit mil ». Cc dernier l'st probablement un Pénicillaire par
opposition au « gros mil », qui est un sorgho. Quant au maïs c'est, bien
entendu, une introduction (.....). Malgré quelques tentatives récentes pour
faire prévaloir l'idée d'une origine africaine, il n'est pas douteux
que le maïs est américain ct il n'est lié à aucune espèce spontanée dl'
la flore d'Afrique. A l'époque Ile R. c.\ILLI~; l'extension du maïs en
Afrique occidentale devait déjà atteindre ses limites écologiques. En
fait, dans beaucoup de régions, il reste une culture de case et une pro-
duction d'appoint.

§ 49. La cassave désigne le Manioc (ll'lanihol Illilissima) , également


d'origine américaine, ct qui a pris une large place, concurremment aux
ignames africaines plus exigean tes. On a cru un temps que le manioc
doux dit « Aipi », était africain; cette opinion était inexacte ct ne tenait
qu'à cc que cette forme avait été introduite antérieurement aux formes
ami'res (Iont la toxicité exige des macérations préalables pour débar-
rasser le tubercule de son excès d'acide eyanhydrique.

§ 50. Les I l choux caraïbes" de R. CAILLIÉ englobent probablement


deux espèces distinctes: a) le Colocasia anliqllorllm, à feuilles peltées ct
dont on ne peut dire qu'il ait été introduit. Car bien qu'il soit d'origine
orientale, il était connu de l'ancienne Egypte ct on peut penser qu'il
s'est étendu à l'Afrique tropicale en sc propageant lentement par la
vallée du Nil, ou à travers le Sahara, à une époque où cette région n'était
pas aussi intégralement désertique.

h) Le Xanlhosoma sagillifolia, à feuilles sagittées, d'origine amencaine


et r1'introduction plus récente. On sait que cc sont les rhizomes tubéreux
de ces deux plantes qui constituent la partie comestible. De plus les
feuilles encore jeunes peuvent être consommées comme brèdes avant
qu'elles n'aient trop de raphides d'oxalate de calcium.

§ 51. Le g~llé, ou enclos des foulasso et rloundé. Les hameaux


foulbés sont protégés de l'intrusion du bétail qui pâture librement à
l'extérieur, par des clôtures ct haies vives que l'on franchit par des
échaliers. Le Jalropha Cllrcas, ou purghère, espèce (l'origine américaine,
sert souvent aujourd'hui à leur confection: on plante des branches qui
font palissade, puis elles reprennent de bouture et deviennent haie vive.
Malheureusement, R. CAILLIÉ n'indique pas si cette plante était déjà

(") H. JACQUES-FÉLIX. - Remarques sur l'origine et la géocarpie du Voand-


zeia subterranea. Bull. Soc. Bot. France 93, 1946 : 360-362.
(....... ) R. PORTÈRES. - L'introduction du Maïs en Afrique J. Agric Trop. Bot.
Appl. 2, 1955 : 221-231.
- 67-

répan<lue au Djallon en 1827. Ces clôtures compartimentent de petits


champs potagers attenant aux habitations: c'est une réplique réduite du
bocage vendéen que R. CAILLIÉ avait bien connu dans sa jeunesse. Ces
potagers sont le domaine des ménagères qui ont ainsi sous la main les
légumes destinées à agrémenter ou compléter le plat de résistance.
Le 26 avril, nous séjournâmes à Lantégué. Je passai une partie
du jour à visiter le village et ses habitants, qui sont au nombre de
cent cinquante. Je vis autour de leurs cases de belles plantations
de bananiers, ananas, cassaves, ignames, et mille autres plantes
utiles, le tout bien soigné: ce sont les femmes qui sont chargées
du soin de les cultiver; les hommes travaillent dans les champs de
riz, etc.
Le 29 avril, ... je vis une petite chaîne de montagnes aplaties au
sommet, à chaque extrémité de laquelle s'élève un pic ressemblant
aux tourelles d'un vieux château; elles sont sans aucune végétation.
Nous arrivâmes, vers trois heures du soir, à Comi-Sourignan, joli
village d'environ cent cinquante habitants,. situé sur un beau
coteau: la campagne variée offre un coup d'œil magnifique; elle
est entrecoupée de jolies collines, couvertes de la plus belle ver-
dure; la terre est jaune et très productive. Le village est défendu
par une haie vive; il Y règne la plus grande propreté; les cases
sont entourées de belles cultures de pistaches, cassaves, choux
caraïbes, et diverses autres productions: ces cultures, soignées
par les femmes ou les enfants, sont tenues dans le meilleur état;
ils ont même soin de balayer les allées qui conduisent à leurs cases.
Le 30 avril, à cinq heures et demi du matin, nous fîmes route
dans la direction du Sud-Est, en traversant une grande plaine sus-
ceptible des plus belles cultures. Nous tournâmes, en descendant,
un petit plateau qui se trouve dans la province de Timbi: la plaine,
dans cet endroit, est couverte de roches rouges à fleur de terre; le
pays est généralement très découvert; à environ 7 à 8 milles à la
ronde, on aperçoit plusieurs monticules ... Nous arrivâmes auprès
de Bouma-Filasso (exactement «foulasso»), petit village sur le
penchant d'une montagne, où j'ai remarqué beaucoup d'indigo qui
croît spontanément et sans culture; j'ai vu aussi quelques planta-
tions de coton. La campagne, couverte d'une superbe végétation,
offre un très beau coup d'œil; je remarquai plusieurs endroits
nouvellement défrichés pour la culture.

§ 52. Figues, Figues-baru;;.nes, Bananf:s et Anano·s. En Fouta-


Djallon, R. CAILLIÉ a eu quelques occasions de manger <les bananes qui
lui étaient offertes ou qu'il achetait. A deux reprises il associe la figue
<le façon assez équivoque à ses citations. Lui a-t-on réellement proposé
<les figues, ou voulait-il parler des bananes à fruits petits et sucrés dont
le langage créole a fait les «figues-bananes », pour les opposer aux
grosses «èananes-plantain », qui se mangent cuites? Par ailleurs il
- 68-

existe effectivement quelques Fic/ls dont on peut consommel' les figues;


mais ce ne sont que des « fruits de brousse» qui n'étaient probablement
ni offerts ni vendus.
Nous arrivâmes bien fatigués, à cinq heures du soir, à Cossotami.
joli petit village situé sur un coteau. On nous apporta des bananes.
que nous achetâmes pour quelques grains de verroterie.
A Comi-Sourignan, la femme du chef vint s'asseoir avec nous;
puis elle alla chercher quelques figues et bananes qu'elle mit dans
une calebasse bien propre, et nous les donna à mon guide et à moi.
Dans la province de Timbi, nous nous arrêtâmes un moment sous
de grands arbres pour attendre nos compagnons restés en arrière.
Plusieurs femmes nous apportèrent des bananes ou figues, j'en
achetai quatorze pour trois grains de verre.
Les bananiers à fruits pulpeux ont leur origine en Asie. Dépourvus
de graines ils ne peuvent se multiplil'r que par rejets et n'ont pu être
transportés que par l'homme. Leur introduction en Afrique occidentale
se serait faite à troi,s époques. Celle du bananier «plantain» (Musa
paradisiaca) se serait produite il y a deux mille ans par l'intérieur du
continent; celle du bananier «figue» serait beaucoup plus récente ct
due aux navigateurs portugais; enfin, le bananier nain, ou bananier de
Chine (Musa nana = M. sinensis), n'est introduit que du début du pré-
sent siècle: d'une part, TEYSSONl':IER, Directeur du Jardin de Camayenne
il Conakry, en avait rapporté des pieds qui lui avaient été confiés par
:\1. CORNU du :\Iuséum de Paris; d'autre part, le Gouverneur B.\LLEY en
avait fait venir des Canaries ("').
Ajoutons que la flore africaine compte plusieurs bananiers à graines:
en Guinée même on peut rencontrer l'Ensele Gillelii E. E. Cheeslll. (""").
Le fougné des Soussous, l'Ananas comosus Merril, dont R. CAILLIÉ a
relevé la présence dans les jardins, est encore un exemple typique de
plante introduite. Sa venue sur la Côte d'Afrique a dû se produire très
tôt et la facilité de son acclimatation a fait qu'il s'est répandu trl's faci-
lement sans avoir le même intérêt économique que les autres introduc-
tions. En effet, il est aujourd'hui à demi-naturalisé ct il n'est pas rare
<l'en voir des fourrés le long des sentiers forestiers aux abords des
villages. II a suffi qu'une « couronne» ait été jetée là, après consomma-
tion sommaire du fruit, pour que la plante ait repris racine et se soit
propagée par ses rejets. Il s'agit évidemment de formes rustiques, à
feuilles très épineuses et fruits peu développés. Cc n'est qu'à une époque
récente que des variétés améliorées sont cultivées en Guinée pour le
commerce des fruits ct des jus.
La pharmacopée populaire a cu le temps de trouver plusieurs autres
vertus aux différentes parties de cette plante étrangère.
§ 53. Les oranger.s du Djallon. Les Citrus qui, à part le pample-
mousse ct le citron limette, s'aceommoden t mal d'un climat chaud et
nébuleux, trom'ent sur les plateaux djallonniens des conditions qui !l'ur

("') A. CHEVALIER. - Contribution ... à l'historique de la culture hananière


dans les Colonies françaises. Rel). Bol Appl. 24, 1944 : 116-127.
(""") H. JACQUES-FÉLIX. -- Note sur le Bananier séminifère de l'Ouest africain.
J .•4gric. Trop. Bol. Appl. 2, 1955 : 94-96.
- H9-

sont plus favorables. C'est pourquoi les orangers qui avaient été intro-
duits sur la côte (§ 34) y ont été propagés depuis longtemps et chaque
village compte quelques beaux arbres.
Le 1" mai, à six heures du matin, nous quittâmes le joli village
de Gnéré-temilé (exactement Niellé-Téliré) ... La pluie de la veille
avait rafraîchi l'atmosphère, et donnait un nouveau charme à la
nature. Nous marchâmes gaiement à l'E.S.E. : je vis un ourondé
(ou village d'escla"es) entouré d'une belle plantation de bananiers,
cotonniers, cassa"es et ignames. Des nègres du "illage de Bourovel
(exactement Broual-Tapé) nous apportèrent des oranges; je les
trouvai délicieuses.
Popoco, situé dans une plaine de sable noir de la plus grande
fertilité, est un grand et joli village; il contient de deux cent cin-
quante à trois cents esclaves qui ne s'occupent que de culture. Je
vis aux environs des cassaves, ignames et pistaches très bien soi-
gnées; ils cultivent aussi beaucoup de riz et de mil : à peu de dis-
tance du village, il y a quelques beaux orangers.
Dans la matinée du 6, il fit de l'orage; il plut un peu. Nous vîmes
quantité d'esclaves occupés à préparer la terre pour les semences
de riz et autres graminées qui servent à leur nourriture ... Nous
arrivâmes à cinq heures du soir à Doudé. Le chef vint nous recevoir
à l'entrée de la palissade dont sa propriété était entourée. Je remar-
quai du coton très mal soigné; ils le sèment à la volée, comme
nous semons les graminées, en sorte qu'il vient trop près l'un de
l'autre, ce qui gêne beaucoup sa croissance.
SOURCES DU B.\Fl~G. Le 7 mai, R. CAILLIÉ franchit la crête du Foula-
Djallon et descend sur le versant oriental vers la vallée du Bafing. De
l'un des contreforts, l'ensemble du massif, de Dalaba à Pila, s'offre à
ses regards:
Nous nous trou"ions sur un plateau d'où l'on découvre une chaîne
de montagnes très éle"ées qui s'étend à perte de "ue; elles parais-
saient cou"ertes d'une belle "égétation: le Bâ-Fing y prend sa
source. Ces montagnes donnent naissance à de grosses rivières et
plusieurs ruisseaux, qui fertilisent ces belles campagnes, et les
couvrent d'une verdure toujours renaissante. Sur le penchant, on
aperçoit beaucoup de petits villages d'escla"es, entourés de belles
plantations de coton, et des fruits que l'on trouve dans nos colonies.
Ces lieux charmants et pittoresques enchantent la vue, et rompent
la monotonie du voyage. On y culti\"(' du riz et beaucoup d'autres
productions.

§ 54. Hospitalité; le couscous de fonio. Il s'éléva un "iolent


orage dans la partie de l'Est. Nous entrâmes dans la case d'une
bonne vieille qui s'empressa de nous donner l'hospitalité. Sa petite
- 70 ---

habitation était entourée de cassaves, de choux caraïbes, giraumons,


pistaches de terre, et de quelques gombos; je vis aussi beaucoup
d'herbages que je ne connaissais pas. Dès que la pluie eut cessé,
je sortis pour faire le tour du jardin... Je retournai près de l'humble
habitation, où je vis la bonne femme occupée à cueillir des herbes
pour faire le souper de sa famille.
La bonne mère fit cuire un peu de foigné (graminée qui croît en
abondance dans ces montagnes) pour le souper de la famille; elle
mit un autre petit pot à côté du grand, dans lequel elle fit bouillir
les herbes qu'elle avait cueillies dans la soirée; je reconnus la
calebasse, le giraumon, le piment, la brette, le sésame, et beaucoup
d'autres; elle y ajouta un peu de gombo.
§ 55. Brettes ou Brèdes. Ce sont les herbes il soupe que les villa-
geois consomment avec leurs plats de tubercules ou de grains. Les
nutritionnistes nous ont appris que l'es légumes apportent à la ration
les éléments minl'raux et les vitamines qui manquent aux farineux. Mais
l'empirisme recherche surtout dans ces potées d'herbes les «vertus
exonérantes» qui assurent l'heureux transit des féeulents (lans leur
trajet digestif. C'est pour cela que les plantes à mucilage sont souvent
choisies. Par commodité on prélève également les feuilles de légumes
cultivés pour d'autres usages plus essentiels: manioc, coloeases, pa-
tate, ete ...
R. C.\ILU}; parle d'une « hrette » proprement dite, e'('st-à-dire eultivée
spécialt'IlH'nt pour l'et usage. Th. MONOD pt'nse que e'est un Solanum.
Plusieurs Morelles sont effeetivement cultivées il cet effet: Solanum ano-
malulll, S. 1l0diflorum, S. aelhiopicum, ete ... ; l't on pourrait en ajouter
eneore hien d'autres: les Amarantes (Amaran/hus cau da/us) , le jute-
légume (Corchorus oli/orius) , etc ... F. R. IRVINE ("') estime il 150 au
moins le nombre des espèces dont le feuillage peut être employé dans
les soupes par les ruraux d'Afrique oecidentale. Trente d'entre elles
sont régulièJ'emcnt cultivées; vingt-cinq environ sont sellli-cultivées;
une centaine sont des plantes spontanées dont quelques-unes sont ré-
coltées couramment et les autres ne le sont qu'accidelltellement.
§ 56. Le gombo et autres Hibiscus. Le gombo (H. esculen/us) est
une cspèce cultivée depuis des temps immémoriaux dans la région
indo-africaine. Il se rattache à des Hibiscus africains spontanés dont il
est issu par sélection et culture. C'est le fruit, cylindro-conique, qui est
consommé avant maturité alors qu'il est encore turgescent et riehe en
matières pectiques.
L'oseille de Guinée (H. sabdarifl'a) est également la création d'une
culture anccstrale. Mais c'est le calice, très développé et charnu, qui
représente en ce cas la partie utile et qui apporte une note acidulée aux
mets pt boissons auxquels il participe.
Ces Hibiscus et quelques autres ont encore de multiples emplois:
l'II. abelmoschus donne des graines odorantes, les feuilles des uns et des
autres sont cueillies comme bri'des, les graines contiennent de l'huile
ct, enfin, les tiges peuvent fournir des fibres (§ 115).

(.v.) The cdiblc Cllitivatcd and scmi-clIltivatcd Teaves of \Vest africa. Mate-
riae l'eueiabiles 2, 1956 : 35-42.
Fig. 9. - Le IŒllokier blanc (Ceiba pentandra, § 45). Basc d'un tronc avec les
contreforts caractéristiques; aspect de l'arbre auprès d'un village; une cap-
sule laissant échapper le kapok (le fruit n'est pas très différent du Baobab
(Fig. 1) mais ici il n'y a pas de pulpe et seulement des fibres cellulo-
siqucs. Ce l'Upok ne provicnt pas de la graine eomme dans le coton
(Fig. 15), mais de la paroi interne du fruit. Tombé en couche légère sur
le sol, il peut brûler comme une traînée de poudre); feuilles étalées sur le
sol.
-72-
§ 57. Le sésame. L'espèce à fleurs ct à semences blanches est le
Sesanllllll indicum, connue depuis longtemps de la région indo-africaine
pour st's graines oléagineust's l't alimentaires. Mais R. CAILLI~: dit ici
que ct' sont les feuilles qui sont utilisét's comme brèdes; à cc même titre
on emploie également d'autres sésames, à fleurs mauves ct graines tein-
tées, qui appartiennent à la flore africaine. La façon même dont le
S. indiclllllest cultivé, laisse supposer que c'était à l'origine une mau-
vaise hcrbe dont on a reconnu l'intérêt. Il est rare, en effet, que cette
plante fasse l'objet, en Afrique, d'une culture exclusive: on sc contente
de jeter quclqut's graint's parmi IPs champs de riz.

§ 58. Le bouquet de la cUl~inièTe. En définitive, maIgri> leur


composition variée, tous ct's potages seraient plutôt insipides si la cui-
sinièrt' n'en acllt'vait l'élaboration par quelque condiment de haut
goût, flattant l'appétit ct stimulant la digestion. R. CAILLIÉ en cite
quelques-uns.
L'oignon qu'il a vu cultivé dans toute la région soudanienne et, bien
entcndu, au Maroc, est trop connu pour que nous y insistions.
Le soumbara est bit'n davantage une spécialité africaine. Très elll-
ployé sur place, il ne fait cept'ndant l'objet d'aucune exportation: ses
qualités, qu'une ft'nnt'ntation développe, demandent une longue accou-
tumance pour être appréciées. C'est exactement la graine du Néré ou
Parkill biglobosa (§ 81).
Le cani, ou poivrt' long (Xylopia aelhiopica) est bien une épice au
sens que nous t'ntendons. Et certainement qu'à cc titre, il a cu, autre-
fois, une grande importance t'n Afrique. D'abord l'arbre producteur est
largement répandu dans toute la région guinéenne ct, de plus, il faisait
l'objet d'un trafic régulit'r vers les villes du Soudan. La caravane chargée
de colas que suivit R. CAILLIÉ, de Timé à Djenné, transportait aussi du
cani destiné au marché de cctte ville ct à celui de Tombouctou (§ 91).
Malheureusement c'est un produit de cueillette dont il faut faire provi-
sion ou acheter au marché. Finalement, la solution (lu condiment il
portée dl' main de la cuisinière a été fournie pal' l'Amériqut' avec le
piment.
Le petit piment, ou piment enragé, du Capsiculll frulescens, a t'n effct
ct't avantagt' d'être un arbrisseau domcstique, à fructification précoce ct
sc cultivant aisémt'nt auprès de la case. C'est lui qui est aujourd'hui le
plus couramment employé, parfois jusqu'à l'abus.

§ 59. R. CCljlllié traverse le Bafing et subit encore un or,age.


Le 8 mai, à six heures du matin, après avoir mangé un morceau de
cassave bouillie de la veille, nous prîmes congé de l'hôtesse.
L'orage ayant cessé nous nous mîmes en route vers neuf heures;
la campagne, ranimée par la pluie de la matinée, offrait le plus
beau coup d'œil. J'apercevais dans l'éloignement de jolis hameaux,
arrosés par une infinité de petits ruisseaux. Les hameaux sont
habités par des esclaves cultivateurs... Un peu à l'Est-Sud Est, on
voit, dans le lointain, de jolis villages qui embellissent la cam-
pagne; elle est couverte de pâturages, qui, arrosés par de petits
ruisseaux, croissent avec vigueur.
-73-
Le 9 mai, à six heures du matin, nous fîmes route dans la
direction de l'Est - Sud-Est. Je remarquai plusieurs tamariniers.
Nous passâmes à Dimaraya, premier village de Fouta-Dhiallon,
habité par des Mandingues: il peut contenir de sept à huit cents
habitants. Je passai près d'un énorme rocher de granit noir, d'une
élévation de cent à cent vingt-cinq brasses, sans aucune espèce de
végétation, à l'exception du sommet, où l'on aperçoit quelques
frêles bambous: ce rocher est au milieu d'une plaine de sable gris,
très fertile et bien cultivée en riz, maïs, mil, pistaches, ignames,
ognons et giraumons. Nous passâmes près de Kouroufi : c'est un
gros village de cinq à six cents habitants Foulahs et Mandingues.
A cinq heures du soir nous arrivâmes à Sanguessa. Nous avions
toujours marché sur un sol très uni, composé de sable gris. Vers
dix heures de la nuit, nos deux protecteurs nous envoyèrent un
soupé auquel je fis honneur; car je n'avais mangé dans la journée
que quelques pistaches et un peu de fruit de nédé délayé dans de
l'eau.
Le 10 mai nous arrivâmes auprès du Tankisso.
Nous pouvons arrêter ici la partie <Ijallonnienne du voyage de R.
CAILLIÉ. Ses remarques, au cours des journées des 8-9 et 10 mai, montrent
bien le passage d'une région à une autre. Il a définitivement laissé
derrière lui les vastes massifs de grès tabulaires pour entr,er dans les
plaines et plateaux des bassins supérieurs du Sénégal et du Niger, d'où
surgissent de puissants dômes rocheux, granitiques cette fois. Le 8 mai,
il enregistre encore la' présence de nombreux petits hameaux sur les
pentes; le 9, il passe dans de gros villages de plusieurs centaines d'habi-
tants dont il précise qu'ils sont en partie Mandingues. Il ne rencontrera
plus le Koura, mais dès le Tinkisso il va noter la présence d'un élément
nouveau: le Karité, qui l'accompagnera sensiblement jusqu'à Djenné.
Ses observations sur le Fouta-Djallon sont absolument rigoureuses
dans les faits, mais ses appréciations sur la richesse du pays sont très
exagérées. A l'époque de son passage les premières pluies faisaient re-
naître partout les herbages et un frais manteau de verdure jetait un voile
pudique sur l'indigence des sols de grès et de latérites. Ce n'est pas là
une situation exceptionnelle pour un pays de montagne: le drame est
qu'une enclave d'altitude, en zone tropicale, réalise des conditions de
salubrité favorable à une forte densité humaine qui devient vite exces-
sive si elle s'adonne à l'élevage plutôt qu'à un maraîchage intensif et
s'il n'est d'autres concentrations urbaines que quelques bourgs ruraux.

Les plaines eIt plateaux du Haut-Nig,er.

En arrivant sur le Tinkisso à Cambaya, R. CAILLIÉ est entré dans le


bassin du Niger, dont il recoupera la plupart des affluents dans sa route
à l'Est jusqu'à Tiémé. Région de plateaux et de plaines dont Kankan
était le centre commercial le plus important, servant au trafic entre les
provinces plus humides du Sud, les provinces soudanaises du Nord et
]a région aurifère du Bouré (Siguiri).
-74-
§ HO. PrépclY'ation des Semailles à Cam baya. A t'elle époque de
l'année les pluies sont bien établies ct c'est le moment des gros travaux
dans les champs. Selon son habitude, R. C.\ILLlÉ ne manque point de s'y
in téresser.
Kankan-Fodéa, dont Cambaya fait partie... est situé dans une
plaine immense, composée de sable gris un peu graveleux; elle est
fertilisée par les débordements du Tankisso, qui fait mille sinuo-
sités dans cette belle campagne.
Le 14 mai, après notre déjeuner, IBRAHIM et moi nous allâmes
nous promener à l'ourondé, voir les esclaves occupés à préparer
la terre pour recevoir les semences. Les pauvres esclaves travaillent
sans relâche, tout nus, à l'ardeur d'un soleil brûlant. Les femmes
à moitié nues, leurs enfants attachés sur le dos, ramassaient les
herbes sèches, les mettaient en tas pour les brûler; genre d'engrais
qui fertilise le sol; on n'en donne d'aucune autre espèce. IBRAHnl
m'assura que le riz croissait dans cette plaine à la hauteur de
quatre pieds. Les terres les plus élevées, privées de l'inondation,
sont destinées aux cultures d'ignames, de cassaves, de maïs, de
petit mil et du foigné, autre espèce de petite graminée que l'on
cultive beaucoup.

§ 61. Le F,oigné ou Fon~o (Diyitaria exilis Stapf). Cette petite


céréale joue un rôle considérable dans l'alimentation en Afrique occi-
dentale (...). Son peu d'exigence et la rapidité de son développement per-
mettent de la cultiver sur des sols déshérités et de la récolter bien avant
les autres cultures. Les nombreuses citations qu'en fait R. CAILLIÉ
montrent que les notes de son Journal étaient scrupuleusement enre-
gistrées au jour le jour, n'apportant de précisions qu'à mesure des obser-
vations. Ainsi nos connaissances sur les stades culturaux du fonio pro-
gressent avec les étapes de notre voyag.eur. n parle une première fois du
fonio au passage de la Kakrima dans le Djallon occidental:
Le manque de riz nous obligea à plier bagage, et à nous rendre
à Pandeya, petit village habité par des Foulahs pasteurs. En chemin
nous rencontrâmes deux nègres portant sur leur tête chacun une
calebasse de foigné (petite espèce de graminée), qu'ils ne voulurent
pas nous vendre.
Puis il en parle au passage du Djallon, comme produit alimentaire;
il décrit la préparation des semailles à Cambaya sur le Tinkisso au
début ùe mai; le 17 juin, en arrivant à Kankan,
le foigné était déjà très bien avancé;
enfin, dans le Ouassoulo, en juillet, il assiste à la récolte.
On sème le foigné dans le courant de mai, et on le récolte dans-
le mois de juillet, lorsque le riz n'est pas encore à quatre pouces

("') H. PORTÈRES. - Les céréales mineures du I(enre Diflitaria en Afrique et


en Europe. J. A.gril'. Trop. Bot. Appl. 2, 1955 : 349-386; 477-520; 620-675
- 75-

au-dessus du sol: on peut en faire deux récoltes par année. Sans


cette graminée, qui croît avec beaucoup de rapidité, ce pays serait
souvent exposé aux plus grandes disettes; car ces peuples ont
l'habitude de ne semer que très juste ce qui leur est nécessaire:
souvent même ils ne sèment point assez; alors ils ont recours au
foigné. Je m'assis un moment à l'ombre d'un arbre, pour voir tra-
vailler les esclaves; je remarquai qu'ils s'en acquittaient beaucoup
mieux que les nègres employés chez les Européens qui habitent
la côte occidentale. Ils n'ont cependant qu'un seul instrument ara-
toire; c'est une pioche, fabriquée dans le pays; elle est longue de
six pouces, et large de quatre; le manche, de dix-h uit à vingt
pouces, est très incliné. Ils remuent la terre à un pied de profon-
deur pour les semences du riz; mais pour celles du foigné, ils ne
prennent pas autant de précaution; ils ne font que couper les
herbes, et jettent le grain à la volée, avant que la terre soit pré-
parée; lHlis, en tirant les herbes il se trouve couvert: ce sont les
femmes qui sont chargées de cette opération assez simple. On ne
prend même pas la peine, quand le foigné est levé, d'arracher les
mauvaises herbes qui gênent sa croissance. Le riz est traité avec
plus de précaution: on a soin de le sarcler, et de le dégager des
mauvaises herbes, sans le transplanter.

§ fi2. La p.ratique du mouki. C'est une forme d'écobuuge que l'on


prutique sur les sols peu perméables des pluteuux du Djallon. Les mottes
d'herbes sont levées à lu houe, mises en meule avec des bouses de vache
et brûlées. J. u matière orgunique du sol est ainsi en grunde purtie
minéralisée (").
J'avais remarqué que, dans le Fouta, les Foulahs ont soin de
faire brûler du crottin dans leurs champs, et de bien l'étendre sur
la terre qu'ils veulent ensemencer; ils font aussi brûler toutes les
racines et les herbes.
Je rejoignis IBRAHIM, et nous allâmes ensemble visiter les cases
des esclaves. Une bonne vieille femme était occupée à faire le dîner
des cultivateurs (car ils sont obligés de pourvoir eux-mêmes à leur
nourriture). On voit, derrière leurs cases, de petites plantations
de cassave et de choux caraïbes, que les femmes cultivent.

§ 63. Le gingembre. En sa quulité de « savant» étranger, R. CAILLU';


a souvent reçu les confidences de malheureux aflligés qui venaient lui
demander une intercession religieuse ou le secours des puissants re-
mèdes qu'il était supposé détenir. Le gingembre, qu'il « ordonne» à un

(~) J. RlcIIARn-\IoLI..um. .. Une forme particulière d'écobuage au Fouta-


Djaiion. Soles Africaines nO 36. 1947 : 25-26.
H. JACQL'E,S-F~;LlX et H. B(:TRÉMIEUX. - Etude d'un sol écobué des hauts
plateaux du Fouta-Djaiion. Contér. Afric. des Sols. Goma 1948, Communie.
nO 27 : 186-192.
- 7fl _0-

villageois qui se plaignait de défaillance génésique, est une espèce asia-


tique, répandue depuis très longtemps par l'intérieur du continent et
qui existe dans la plupart des villages sans jamais se naturaliser.
Le 24 mai, un Mandingue me demanda une médecine, et me dit
que depuis qu'il était marit\ un obstacle l'arrêtait auprès de sa
femme. Comme le gingembre croît dans les environs, je lui con-
seillai d'en manger beaucoup, et l'assurai qu'il s'en trouverai mieux.

~ 64. Varbre ci beurre du Soudan: le Cé 'ou Karité. C'est d'a-


boni par son fruit que R. CAILLIÉ en fit la connaissance à Cambaya, mais
il n'allait cesser, par la suite, de le rencontrer sur sa route et ses cita-
tions reviennent comme un l'drain. C'est il Tiémé qu'il développera ses
observations SUl' cet arbre et ses produits (~ 85).
La plaine de Kankan-Fodéa est entourée de hautes montagnes
de cent brasses 'd'élévation à peu près: elles sont habitées par
quelques FouJahs pasteurs, qui nourrissent de nombreux trou-
peaux. L'arbre à beurre y croît, ainsi que dans la plaine; on m'en
apporta du fruit que je trouvai assez bon: mais comme le beurre
animal est commun dans le pays, ils le mangent de préférence. Ils
emploient ce "égétal pour les douleurs et pour les plaies; ils en
'-endent un peu sur les établissements européens de la côte.

BOIS, CUI~TURES ET VILLAGES, DE CA~IRAYA A KANKAN. Le 30 mai


1827, nous nous mîmes en route, vers dix heures du matin. Nous
arrivâmes de bonne heure à Bagaraya : la route est couverte de cés
(Cé, le shea de Park, arbre à beurre). Le l or juin, à six heures du
matin, nous fîmes quatre milles dans des gorges de montagne en
granit et peu élevées. Nous continuâmes pendant trois milles sur
un sol couvert de grands arbres et de la plus belle végétation. Le
cé ou arbre à beurre y est très répandu; l'indigo et le nédé s'y
trouvent aussi.
L'endroit où nous étions campés se nomme Sokodatakha, nom
qui lui vient des arbres dont il est ombragé; c'est une grande plaine
de sable couverte d'arbres, et d'une belle verdure; elle est entourée
de montagnes de granit qui ont à peu près trois cents pieds d'élé-
vation; elles sont sans végétation.
Le 2 juin, vers six heures et demie du matin, nous nous mîmes
en route gaiement, quoique nos habits fussent tout mouillés. La
campagne est très boisée, et la route un peu graveleuse; l'arbre de
cé et l'indigo sont abondants dans ceUe contrée... En avançant, la
campagne continue d'être boisée, mais les arbres n'y sont ni aussi
gros ni aussi élevés que les précédens... Nous fîmes halte sous des
cahutes semblables à celles de la veille. Le terrain où nous étions
campés est de très bonne terre noire dans quelques endroits, et
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~ ~~ hyp)Og~;Oarigine
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le AVoandzou
s. ( VoandzelU su bterranea
l , (Arachis
h'de afri-
mériealne,
a , e (~" (7) ..
cam
- 78-

rouge dans d'autres, comme celle de Sierra-Leone, avec des pierres


de même nature. Il y croît quelques palmiers.
Le 3 juin, à sept heures du matin, nous fîmes route à l'Est, le
chemin étant uni et la campagne très découverte; il Y croît cepen-
dant dans la partie du Nord, de gros bombax, des cés, mimosas (go-
llatiers), nédés, .\'alle/ea africana et de l'indigo. Nous fîmes halte
auprès d'un ruisseau ... Le lieu de notre campement était peu boisé;
on apercevait quelques buissons de naucléa; le sol était couvert
d'herbe sèche, dont la feuille était coupante comme la rouche. Il me
parut devoir être inondé, dans la saison des pluies, par le déborde-
ment du Ba-ndiégué, dont les rives sont très boisées.
Le 4 juin, à six heures du matin, nous quittâmes les bords du
Ba-ndiégué, et nous trouvfUlles la plaine couverte de belles amaryl-
lis à fleurs blanches. Nous fîmes halte vers huit heures du matin,
pour déjeuner; nous nous assîmes sous un gros bombax. Je vis
beaucoup de cés dans les environs. Nous arrivâmes à Sa raya vers
trois heures du soir. Dans la plaine où ce village est situé, je vis des
esclaves qui travaillaient à la préparation des terres: ils avaient
avec eux un tambour pour les encourager, car dans quelques par-
ties de ce vaste pays on ne fait rien qu'au son de la musique.
~ 05. Le Baobab: (Adansonia dillitala L-l. C'est l\lichel AD.\:-;SON
qui, dl'S 1750, fit connaître au monde savant d'Europe, cet arbre très
remarquable que Ll:-::NÉ devait ensuite lui dédier. Dans l'esprit du
public, cet arbre, au trone énorme, est devenu le symbole ml'me de la
flore des pays chauds d'Afrique. Il faut dire que le Baobab a bien
d'autres mérites que sa place imposante dans le décor des paysages sou-
danais, car la plupart de ses parties sont utiles à l'homme. Les feuilles,
réduites en poudre, servent à confectionner des sauces mueilagineuses
(~ 124); la pulpe du fruit est acidulée et s'ajoute à des buvées réconfor-
tantes (~ 114); les graines contiennent de l'huile; enfin, l'écorce, décou-
pée en lanières, donne une filasse pour la corderie (§ 115) ("').
C'est à Saraya que R. C\ILLlÉ cite les premiers baobabs depuis son
départ du Rio-N'unez, et c'est surtout au cours de son trajet de Tiémé à
Djenné qu'il en parlera (§ 99,109, etc ...).
Le 5 juin, nous séjournâmes pour nous remettre un peu de nos
fatigues. Je visitai le village et ses environs. Ce village, frontière
de Baleya, est situé dans une belle plaine de sable très unie, décou-
\"t'rte et fertile; j'ai vu de gros bombax, baobabs, nédés et cés :
l'indigo y croît spontanément et sans culture; ils se servent de sa
feuille pour teindre leurs étoffes; je parlerai plus loin de la manière
de l'employer. Aux environs du village, j'ai Hl des pierres ferru-

("') J. ADAM. - Le Baobab (A<lansonia <ligi/a/a L.l. Sa/cs africaines 1962: 33·
44.
M. R. PARIS, ~I"" H. MOYSE-l\IIGNON. - A propos des feuilles de baobab
Ltdansonia diai/a/a L.) Composition chimique et action physiologique. Tra-
/)(lUX des Labora/oires de matière médicale de la Fac de Pharm. de Paris,
1951.
79 -

gineuses : j'en cassai une, elle contenait beaucoup de particules


de fer. Ces pierres se trouvent à la surface du sol, qui est très uni;
les indigènes les fondent pour en fabriquer des instruments ara-
toires (§ 110). Nous allâmes, mon guide et moi, faire visite au
chef: il nous reçut très bien. La porte de sa cour est ombragée par
deux bombax. Dans la soirée, il nous envoya un assez bon souper
de riz au gombo.
Le 6 juin nous passâmes près de Fausimoulaya; la route est cou-
verte de nédés et de cés.
Le 7 juin nous continuâmes notre route à l'Est sur un sol de gra-
vier et de pierres volcaniques, noires, cassantes et poreuses ("').
Nous avions fait deux milles, lorsque nous arrivâmes à neuf heures
et dcmie du matin à Courouman-Cambaya. Je trouvais les habi-
tants très doux et hospitaliers: tous les soirs, ils dansaient au clair
de la lune assemblés sous un bombax.
Lc 10 juin, à sept heures du matin, nous prîmes congé de notre
hôte. Nous passâmes à Siraléa. Les environs de ce village sont
bien cultivés. En chemin nous vîmes plusieurs jolis petits ourondés
entourés de haies vives, qui embellissent la campagne. Nous fîmes
trois milles au Sud-Est sur de belles terres unies et bien cultivées.
Nous arrivâmes à trois heures du soir, bien fatigués, à Bacocouda.
Le chef nous envoya à souper, et un habitant nous donna des
igames blanches bouillies.
§ 66. Description du Baleya. Sur cette route <lu Tinkisso à Baco-
couda, dernier village du Baleya vers l'Est, la petite caravane a <lû cam-
per à plusieurs reprises dans les bois. Il existait donc à cette époque,
même sur cette grande piste commerciale, un territoire inhabité.
Nous fûmes obligés de rester à Bagaraya toute la journée du 31
mai, pour attendre quelques marchands mandingues qui se propo-
saient de faire route avec nous. Nous avions des bois à traverser
pour arriver à Baleya; il est nécessaire de n'y passer qu'en nombre
suffisant pour se défendre; on y trouve des brigands qui dévalisent
les voyageurs. Le Baleya est situé sur un sol composé de sable ar-
gileux, uni, mais de la plus grande fertilité; il produit en abondance
tout ce qui est nécessaire à la vie.
Il a pour limites, à l'Ouest, le Fouta; au Sud, le Sangaran, où
passe le Dhioliba; à l'Est, le petit pays d' Amana; et au Nord, des
forêts. Les habitants me dirent que le village de Foha, résidence du
chef de Baleya, se trouvait à un jour à l'Est -Nord-Est du village
(de Saraya). Les habitants du Baleya furent soumis au lois du pro-
phète par les Foulahs; et depuis, ils font quelques présents en bes-

C"') Probablement des blocs de latérite caverneuse, en surface sur les pla-
teaux et recuits par le soleil.
- 80-

tiaux à l'ahnamy du Fouta. Ils vivent dans l'abondance du néces-


saire, qu'ils se procurent en cultivant la terre; leurs bestiaux leur
fournissent du beurre et du lait: ils fabriquent des toiles blanches
qu'ils échangent avec leurs voisins, pour du sel. Les habitants du
Baleya sont Dhialonkés; ils boivent en secret une espèce de bière
faite awc du mil et du miel. LAMFIA me dit qu'anciennement ils
étaient possesseurs du pays de Fouta-Dhialion.

§ 6i. Arrivée BUr les bOTds du Dhioliba: COUT\oussa. Le Il


juin, nous nous mîmes en route au Sud-Est. Le sol est un peu
boisé; le nédé et le cé y sont en abondance. Vers deux heures
du soir, nous arrivâmes à Couroussa, village d'Amana, situé sur
la rive gauche du Dhioliba. Le 12, nous séjournâmes. On entre à
Couroussa par plusieurs portes étroites et basses; elles ferment
avec une planche faite d'un seul arbre. La ville est ombragée par des
gros bombax et des baobas. Je remarquai, dans l'intérieur, plu-
sieurs gros bombax à l'ombre desquels les vieillards se rassemblent,
pour passer une partie de la journée à converser. Les habitans sont
Dhialonkés : ils ne voyagent pas; ils vivent paisiblement en culti-
vant leurs petits champs que fertilisent les débordements du fleuve.

§ 68. Le tau. La nourriture habituelle des habitants est du riz


cuit à l'cau, sans sel, auquel il ajoutent une sauce faite avec du
poisson sec pilé; ils en mangent aussi du frais: avec le foigné ils
font une bouillie très épaisse, qu'ils nomment fau (sanglé du Séné-
gal); ils mangent leur tau avec une sauce aux herbes ou aux pis-
taches, fruit qu'ils cultivent beaucoup. Ils récoltent beaucoup de
nédés, et des fruits de cés avec lesquels ils font du beurre; je re-
marquai des tas de ces graines fraîchement récoltées, exposées à
la pluie, et qui commençaient déjà à germer.
Le 13 juin, nous traversâmes le fleuve dans des pirogues de vingt-
cinq pieds de long sur trois de large et un de profondeur: il y avait
beaucoup de monde au passage. Je fus obligé de rester au soleil
toute la matinée; car il n'y avait sur la rive gauche qu'un seul arbre,
un gros bombax; mais il y avait tant de monde dessous, que je ne
llUS m'y placer. Il était près de onze heures lorsque nous fûmes
tous sur la rive droite. Nous passâmes auprès de Sambarala, village
situé sur les bords du fleuve; il est entouré de nédés ct de cés. Nous
continuâmes ensuite à marcher sur un sol sablonneux couvert
d'une belle végétation; je vis beaucoup de tamariniers. Nous arri-
vâmes vers trois heures à Counancodo, où je vis de beaux orangers.

§ 69. Fièvre et Tamarin (Tamarindus indica). J'avais té-


moigné à LAMFIA le désir d'avoir du tamarin pour traiter ma
-- 81 -

fièvre: il s'empressa d'envoyer son frère en chercher dans le bois


voisin; mais celui-ci me rapporta des feuilles au lieu du fruit, qui
eût été plus efl1cace.
La route de la journée (14 juin) était partie sablonneuse et partie
couverte de pierres rouges et poreuses; la campagne est garnie de
grands arbres qui la rendent très agréable. Les environs de Fessa-
dougou sont boisés de nédés et de cés; on ne laisse dans les cam-
pagnes cultivées que ces deux espèces d'arbres, qui y sont d'une
très grande utilité: je vis aux environs du village des terres très
bien soignées.
Le 17 juin, je vis, dans la campagne, de beaux champs d'ignames
cultivés avec beaucoup de soin, de pistaches et de maïs; le foigné
était déjà bien avancé. Dans quelques endroits, la terre est rouge,
très producti\"(', et mêlée d'un peu de gravier; la campagne est cou-
verte de cés et de nédés. Nous traversâmes un petit ruisseau, et
nous arrivâmes, vers dix heures, à la ville chef-lieu de Kankan.
SÉJOUR A KANKAN (16 juin-16 juillet). R. CAILLIÉ est resté un mois à
Kankan avant <le trouver des compagnons se dirigeant vers Sambatikila.
Ses relations avec LAM FIA, qui l'avait accompagné depuis Cambaya,
furent (l'abord excellentes:
«II avait de moi un soin tout particulier; nous mangions en-
semble, et deux fois par jour on nous donnait de très bon riz avec
une sauce aux pistaches dans laquelle il y avait beaucoup d'ognons,
qui viennent très bien dans le pays. »
Puis ces bonnes relations se dégradèdent et R. CAILLIÉ fut hébergé-
par le chef local, l\L\MADI-SAl'ICI, qui le fit profiter de ses ressources ali-
mentaires.

§ iD. Le déguet (ou dégué). C'est une pâte plutôt consistante, cuite
à ébullition, mais que l'on consomme sucrée avec du laitage et non avec
une sauce potagère.
J'étais très bien chez mon nouvel hête; il était fort riche et
beaucoup plus généreux que ne le sont ordinairement les Man-
dingues; il possédait de nombreux troupeaux de bœufs et de
vaches qui lui fournissaient en abondance de très bon lait; il m'en
envoyait souvent, avec du déguet (espèce de couscous), attention
qu'aucun Mandingue n'avait encore eue pour moi.

§ il. Le pourpier (Portulnca alcracea). Cette plante rudérale, aussi


commune chez nous en été que dans les pays tropicaux, semblerait avoir
toutes les qualités d'une bonne herbe à potage et n'est cependant guère
employée à cet usage. R. CAILLIÉ, qui n'était jamais à court de recettes,
le recommande en cataplasme.
MAMADI-SANICI me nt demander un remède pour les yeux d'une'
de ses femmes. Le mansa profita de cette occasion pour me de-
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mander des médicaments pour un mal de pied qu'il avait depuis
plusieurs années: j'ordonnai des cataplasmes de pourpier, qui
croît spontanément dans tout le pays.

~ 72. Le pap'CZ1ye,. (Carica papalla). Ce n'est qu'à Kankan que


R. CAILLIÉ cite cet arbuste fruitier pour la première fois. Il est pourtant
probable qu'il existait aussi dans les villages précédemment traversés.
Son introduction d'Amérique, d'où il est originaire, ne s'est pas faite
dès l'époque colombienne, car il n'y avait aucune raison pour que s-on
fruit, charnu ct périssable, figure parmi les denrées de bord. Il a donc
fallu que son introduction soit préméditée. Par contre, une fois parvenu
en Afrique, il s'est répandu rapidement en raison de sa multiplication
faeile ct dl' ses nombreux usages.

§ 73. La vill.e d,e Kankan et son marché. Kankan, chef-lieu


,d'un canton du même nom, est entourée d'une belle haie vive, très
épaisse, qui la défend mieux qu'un mur en terre. Les rues sont
assez larges et tenues proprement; le village est ombragé par quan-
tité de dattiers, papayers, bombax et baobabs.
'Chaque famille a son petit entourage en paille ou en épines;
dans l'intérieur, il y a des cases pour la loger, et au dehors un petit
jardin cultivé par les femmes et les enfants; on y cultive ordi-
nairement du maïs et un peu de tabac.
Elle est située dans une belle plaine de sable gris, de la plus
grande fertilité. On voit dans toutes les directions de jolis petits
villages qu'ils nomment onrondés : ces habitations embellissent
la campagne et sont entourées des plus belles cultures; l'igname,
le maïs, le riz, le foigné, l'ognon, la pistache, le gombo, y viennent
en abondance.
J'allai plusieurs fois visiter le marché. Il est toujours bien garni
de marchandises d'Europe, apportées de la côte par les marchands
mandingues. J'ai vu beaucoup de toiles blanches, tissées dans le
Ouassoulo; toute espèce de comestibles, tels que riz, foigné,
ignames, cassaves, etc. On vend aussi à ce marché du bois de
chauffage. Je remarquai beaucoup d'étrangers dn Ouassonlo, dn
Sangaran et du Toron, qui viennent faire le commerce dans cette
ville; ils apportent des toiles du pays, du miel, de la cire qni est
transportée sur nos établissements de la côte, du coton, des bes-
tiaux et de l'or.

§ 74. Les environs de Kankan. A trois jours an Sud de Kankan,


on trouve le premier village du Sangaran : en continuant six jours
dans la même direction, on arrive dans le joli pays de Kissi. LAMFIA
me dit que ce pays est hérissé de montagnes et arrosé par une
- 83-

infinité de ruisseaux: le sol y est très fertile, et les habitants cul-


tivent beaucoup de riz, des ignames, du foigné, et tout ce qui est
nécessaire à la vie.
A un jour et demi au Sud-Sud Est de Kankan, se trouve le Toron.
Les habitants sont souvent en guerre avec ceux de Kankan. Leur
pays montagneux leur fournit du miel, qu'ils aiment beaucoup, et
qu'ils viennent vendre au marché; leur sol, fertile, produit tout ce
qui est nécessaire à la vie; on m'assura que leurs cultures sont
très soignées: ils récoltent du riz, des ignames, de la cassave, des
pistaches, du foigné, du maïs et un peu de mil.
DÉPART DE KANKAN. La saison s'avançait; nous étions au milieu
de juillet, et en août il est presque impossible de voyager, attendu
que le pays est entièrement couvert par les inondations: j'étais
dans le plus grand embarras, lorsque je trouvai une occasion
pour Sambatikila. Notre départ fut fixé au 16 juillet.

§ 75. Le pays du OuaS8ou"O. Le 16 juillet, vers neuf heures du


matin, nous nous disposâmes à partir. Nous fîmes environ un
mille à l'Est en traversant la plaine, où nous vîmes plusieurs ou-
roundés entourés de belles cultures de maïs. Nous arrivâmes sur
les bords du Milo. Nous passâmes, avec notre bagage, dans une
pirogue longue de 15 pieds environ. Nous quittâmes les bords de
la rivière; et nous nous dirigeâmes à l'Est, en traversant de belles
cultures. Nous fîmes halte à Sofino : la campagne est en général
couverte de nédés et de cés; les environs de ce village sont très
bien cultivés; les cultures y sont mieux soignées que celles de
Rankan. Nous fîmes griller quelques pistaches, que nous man-
geâmes en attendant l'heure du départ; car on voulait profiter de
l'obscurité de la nuit pour traverser les bois. Nous nous enfon-
çâmes dans les bois, marchant dans des herbes si hautes, qu'elles
passaient par dessus nos têtes. Nous vîmes les habitations de
quelques Foulahs. Ce sont des familles isolées qui cultivent du
riz, des ignames, du foigné et des pistaches: la terre y est noire,
très bonne, et de la plus grande fertilité. Nous achetâmes de ces
Foulahs quelques ignames pour notre souper.
Le 17 juillet, dans le cours de la journée, nous traversâmes huit
gros ruisseaux, qui tous paient tribut au Dhioliba. Je remarquai
beaucoup de cés et de nédés. Nous arrivâmes à six heures du soir
bien fatigués à Diécoura, premier village du Ouassoulo.
En arrivant à Diécoura, je m'assis sur une peau de bœuf que
l'on avait étendue sous un oranger devant notre case. Les habitants
me parurent très curieux; ils s'informèrent qui j'étais, et où j'allais,
- 84-

mais cependant sans m'importuner. Ils sont naturellement très


gais, et se divertissent sous de grands bombax, où je vis la jeunesse
rassemblée.
Notre hôte nous donna pour notre souper une portion de foigné
houilli, avec une sauce aux herbes, que l'absence du sel et du
beurre rendait mauvaise; cependant nous mangeâmes avec beau-
coup d'appétit, car nous n'avions pris dans la journée qu'un mor-
ceau d'igname et quelques pistaches. Les saracolets achetèrent du
lait, et firent cuire du riz; ils m'invitèrent à en prendre ma part.
Le 18 juillet, nous traversâmes le Lin. Nous fîmes encore un
mille dans la même direction, en traversant une belle plaine bien
cultivée: je voyais beaucoup d'ouvriers répandus dans la cam-
pagne, qui piochaient la terre, et la remuaient aussi bien que nos
vignerons en France; ce ne sont plus les nègres esclaves des Man-
dingues, qui ne font que retourner la superficie du sol à deux ou
trois pouces pour détruire les herbes; ce sont de vrais laboureurs
qui travaillent pour avoir une belle et abondante récolte. Ils en sont
hien récompensés, car leur riz, et tout ce qu'ils cultiYent, croît plus
vite et produit davantage que dans tout le Kankan.

§ 76. Récolte du ItiNlio. Je les ai vus récolter le foigné : ils se


servent d'une faucille pour le couper, et ont l'habitude, dans bien
des endroits, de le laisser dans la campagne, exposé à la pluie; ils
mettent en terre des piquets sur deux rangs, et placent artistement
entre eux leurs graminées: ainsi arrangées, elles ressemblent à
une palissade; le dessus est couvert de paille, qui empêche la pluie
de pénétrer; à mesure qu'ils ont besoin de foigné, ils viennent en
prendre, et jamais personne ne se permet de voler ces espèces de
magasins.

§ 77. Travaux champêJ:res. J'ai vu les nègres labourer le


champ c:ui venait d'être récolté tout récemment, pour l'ensemencer
de nouveau d'un autre grain. Les femmes étaient occupées à arra-
cher les herbes et à sarcler les beaux champs de riz dont la cam-
pagne est couYerte. Ce peuple est industrieux; il ne voyage pas;
mais il s'adonne aux travaux des champs, et je fus étonné de
trouver dans l'intérieur de l'Afrique l'agriculture à un tel degré
d'avancement: leurs champs sont aussi bien soignés que les nôtres,
soit en sillons, soit à plat, suivant que la position du sol le permet
par rapport à l'inondation.
Je me promenai autour de l'habitation, et je prenais un bien
grand plaisir à regarder leurs belles cultures: ils font de petits tas
de terre pour mettre les pistaches et les ignames; ils les arrangent
avec goût, tous à la même hauteur, et bien alignés. Le riz et le
Fig. 11. - J_c gaU~, enclos potager du Fouta-.Djallon (§ 5~) . .name~u el
fruits du Koura (l'arinari excefsa, § 43); collme avec habItatIons dlsper-
sé{'s; enclos où l'on reconnait : des bananiers (§ 52); deux Jlapayer~ (§ 72),
une calebasse grimpant sur le chaume d'une case (§ 107); au prcmIer plan,
dc gauche à droite, Xanthosoma sagittifolia (§ 50), manioc (§ 49), Cola.
casia antiquorum (§ 50).
- 86-

petit mil sont ensemencés dans des terres labourées en sillons; lors
des premières pluies, ils sèment autour de leurs petites habitations,
et lorsque le maïs est en fleur, ils mettent du coton parmi les tiges.
Le maïs se trouve mûr de très bonne heure; alors ils l'arrachent
pour donner jour à l'autre plante. Si l'on n'y met pas de coton, on
donne un labour à la terre qui a déjà produit le maïs, puis on y
transplante du petit mil; habitude que je n'ai pas remarquée dans
le Kankan. J'étais émerveillé de voir ces bonnes gens se livrer au
travail avec tant d'ardeur et de soin: dans la campagne, de tous les
côtés, je voyais des laboureurs et des femmes occupées à sarcler
les champs. Ils font deux récoltes par année sur le même terrain :
je remarquai du riz en épis, et d'autre à côté ne faisant que de
sortir de terre. La campagne y est généralement très découverte;
les cultivateurs ne conservent parmi les grands végétaux que les
arbres de cés et les nédés, qui sont très répandus ct de la plus
grande utilité pour les habitants; je n'ai pas vu, comme dans le
Fouta et le Baleya, des arbres coupés à quatre ou cinq pieds de
terre; les Foulahs du Ouassoulo ont soin d'arracher le pied, et ne
laissent dans leurs champs rien qui puisse leur nuire. Enfin, je le
répète, ils sont en général aussi bien soignés que les nôtres.
Le 19 juillet, à neuf heures du matin, nous partîmes de Kimha.
La campagne, très hien cu ltivée, est inondée et couverte de nédés
et decés; on voit le riz en herbe qui élève sa tête au-dessus de
l'inondation. Nous fîmes halte auprès d'un joli hameau, où nous
achet[unes du lait et de la fécule de nédé, que nous mîmes dedans
pour notre dîner. Je vis de très beaux champs de riz en épis, ct
de jeunes bergers aux environs gardant des troupeaux de bœufs;
ils avaient des flageolets en bambou, desquels ils tiraient des sons
très harmonieux. Nous arrivâmes à Mauracé un peu avant le
coucher du soleil, et le chef hospitalier nous envoya un souper de
foigné, ave.c un mauvais ragoût d'herbes, sans sel.
Le 20 juillet, à huit heures du matin, nous prîmes congé de
notre hôte. Dans toute cette campagne, qui est très découverte,
on voit de petits hameaux de dix à douze cases; ils sont ombragés
par le nédé et le cé; les environs en sont hien cultivés: je vis de
beaux champs de coton; c'est la culture la moins soignée dans le
pays; ils le sèment à la volée, et les pieds sont si rapprochés les
uns des autres, qu'ils sont gênés dans leur croissance. Nous fîmes
halte à l'ombre des nédés, auprès d'un hameau, dont les habitants
vinrent nous vendre du lait et du fruit de cet arbre, que nous
mangeâmes à la hâte. Nous traversâmes un gros ruisseau, et je
vis quelques bombax et baobabs qui font diversion avec le nédé et
le cé.
- 87-

§ 78. Les premiers Jujubiers au Soudan. En Mauritanie R. CAILLIÉ


a souvent observé des Jujubiers qu'il nommait Ziziphus lotus (§ 30);
en revoyant ce même genre de plante dans le Ouassoulo, il emprunte
la désignation de Mungo PARK qui l'avait signalée sous le nom de
Rhamnus lotus. Il s'agit d'un Zizyphus et probablement du Z. mauritiana
Lam.
Le 21 juillet, à deux heures du soir, nous fîmes halte à Sigala,
petit village où reste le chef du Ouassoulo. Les environs de ce petit
hameau sont très bien cultivés en pistaches, riz, ignames, maïs, et
mille autres productions utiles. Je vis, pour la première fois depuis
mon départ de la côte, quelques rhamnus lotus dont parle MUNGO-
PARK.
Le 22 juillet, nous fîmes route en nous dirigeant au Sud-Est: le
sol, quoique couvert de petit gravier, est très bien cultivé; le cé
et le nédé sont très répandus. Nous fîmes halte à cinq heures du
soir, à Fila-Dougou; ce petit hameau est le dernier du Ouassoulo,
du côté de l'Est.

§ 79. Conclusions sur le OlUlssoulo. Le Ouassoulo est un pays


habité par des Foulahs idolâtres, pasteurs et cultivateurs; ils élè-
vent de nombreux troupeaux de bœufs, quelques moutons et des
cabris. Ils élèvent aussi des volailles, auxquelles ils mettent beau-
coup de valeur; on ne peut s'en procurer qu'avec de la poudre, du
tabac, du sel et des verroteries. Ils ont de leurs petits poulets un
soin tout particulier: tous les soirs ils les rassemblent dans une
espèce de panier rond, et les rapportent dans leurs cases pour les
mettre à l'abri du froid; tous les matins, un peu avant le lever du
soleil, ils les laissent courir dans les environs de l'habitation;
rarement ils leur donnent du grain; ils ne mangent que des insectes,
de l'herbe, et le grain qui sort des mortiers quand on pile le riz ou
le mil.
Ce pays est généralement découvert, entrecoupé de quelques
petits coteaux; le sol est d'une très grande fertilité, et composé en
partie de terre noire et grasse, mêlée de petit gravier. Le pays est
arrosé par la rivière du Sarano, et plusieurs gros ruisseaux qui fer-
tilisent la terre; elle produit en abondance tout ce qui est nécessaire
à la vie de l'homme sobre. Leur nourriture est très simple: ils
mangent du riz, du tau et du foigné sans être pilé; ils ajoutent à
ces mets une sauce faite avec des feuilles d'herbe ou des pistaches
grillées; ils mettent dans leurs sauces, ainsi que le gombo, la
feuille de baobab séchée et pilée (§ 124); ils mangent aussi le fruit
de cet arbre, en le délayant dans de l'eau ou dans du lait; ce fruit,
comme celui du nédé, est très doux et très nourrissant.
Chaque hameau se compose de douze à quatorze cases; elles
sont entourées d'une palissade en bois, mal faite, et sans goùt. Le
- 88-

milieu de ce petit groupe d'habitations forme une cour où donnent


les portes des cases : on y fait coucher les bestiaux. Il y a ordi-
nairement deux portes pour entrer dans cette cour; on met à ces
entrées un morceau de bois fourchu que l'on est obligé d'enjamber;
souvent même le corps a peine à passer.
Dans toute la campagne, on n'aperçoit que de petits hameaux à
une courte distance les uns des autres. Ils cultivent beaucoup de
coton, avec lequel ils fabriquent les toiles que les marchands
viennent acheter dans leur pays et vont vendre à Kankan. Ils
cultivent beaucoup de tabac; lorsqu'il est en graine, ils en récoltent
les feuilles, les font sécher au soleil, puis en réduisent une partie
en poudre, dont ils font une grande consommation; le surplus est
réservé pour la pipe: ils ont pour mettre du feu dans celle-ci, de
grandes pinces semblables à celles d'un forgeron, longues d'un pied.

§ 80. Le pays du Foulou. Le 23 juillet, nous nous dirigeâmes à


l'Est-Sud Est. Nous passâmes à Banankodo, gros village du Foulou;
il est ombragé par de gros bombax et baobabs. Nous fîmes halte à
Yonmouso. Plusieurs habitants me donnèrent du lait, et, à l'entrée
de la nuit, un assez bon souper d'ignames bouillies et pilées avec
une sauce au gombo; on y avait joint une sauce aux pistaches
grillées. Le 24 juillet, nous séjournâmes parmi ces bonnes gens,
pour nous reposer de nos fatigues.
Le 25 juillet, il était huit heures lorsque nous fîmes route; la
campagne est généralement découverte, mais produit beaucoup de
nédés et de cés; le sol est plein de petit gravier, et, dans plusieurs
endroits, de pierres volcaniques. Nous traversâmes des ruisseaux
dont les rives étaient bien boisées; il y avait sur les bords de jolies
cabanes de hambaras qui cultivent paisiblement leurs petits
champs d'ignames: le pays n'est pas aussi bien peuplé que celui
du Ouassoulo.
Le 26 .i ui llet nous traversâmes une plaine inondée, couverte d'in-
digo qui vient spontanément. Je vis quelques cultures, mais bien
loin d'être aussi soignées que celles du pays que je ycnais de quit-
ter. Les cultivateurs m'aient apporté avec eux leurs petits poulets
pour leur faire Illanger des insectes. Nous continuâmes notre route
au Sud-Est: la campagne me parut unie, couverte de gravier, et
mieux. boisée que celle que j'avais suivie les jours précédents.
Nous arrivâmes ycrs 4 heures du soir, bien fatigués, à Tangouro-
man; le village est ombragé par de gros bombax et baobabs. Les
misérables habitants eurent de la peine à nous trouver un souper;
ils nous donnèrent un plat de foigné avec une sauce aux herbes,
qu'ils avaient préparé pour eux, et ils mangèrent un morceau d'i-
gname bouillie. Je remarquai dans la cour de notre hôte plusieurs
- 89-

petits magasins en paille supportés sur des piquets ou sur de


grosses pierres, pour les préserver de l'humidité, qui est très
grande dans ce pays: c'est dans ces magasins qu'ils serrent leurs
récoltes de riz, mil, pistaches et ignames; ils ne sont jamais volés.
Le 27 juillet nous nous dirigeâmes au Sud - Sud-Est: je n'aper-
çus sur ma route que quelques tristes cultures de foigné. d'ignames
et de pistaches très mal soignées; je n'ai pas vu de maïs, qui leur
serait d'une si grande utilité. La majeure partie des terres y sont
de. nature noire, mêlées de gravier; elles ne sont que peu cultivées.
Il était près de neuf heures du matin, lorsque nous fîmes notre
entrée dans le village de Sambatikila (exactement Samatiguila).

§ 81. Le soumbara. R. CAILLIÉ a eu souvent l'occasion de citer la


consommation de la pulpe farineuse contenue dans les gousses du
Parkia ou Néré, mais il n'avait jamais eu à parler de la graine qui,
après préparation, sert d'assaisonnement. Malgré une odeur peu enga-
geante pour les odorats non habitués, ce condiment possède de solides
vertus organoleptiques.
Le 28 juillet, l'almamy, se rappelant sans doute qu'il avait des
étrangers que son devoir était de nourrir, nous envoya pour dé-
jeuner un plat de riz sans sel, avec une sauce aux zambalas (Zam-
bala, grain de nédé bouilli et séché; ils le pilent pour le mettre dans
les sauces), et un souper d'ignames, avec une sauce pareille. On
nous prévint que les provisions étaient rares, qu'il n'yen avait
pas assez pour attendre la récolte, et que cette disette était la même
dans tous les environs.
Le 2 août, vers dix heures du matin, nous nous mîmes en route.
Je n'aperçus que quelques tristes champs de foigné, qui n'était pas
même encore en fleur, tandis que dans le Ouassoulo il était déjà
récolté. Vers trois heures, nous fîmes halte, bien fatigués, à Tini-
coro, petit village bambara. Les environs sont très boisés et cou-
verts de grande paille; les cultures sont éloignées des cases de cinq
à six milles; je ne sais pas si c'est pour choisir un terrain plus
<:onvenable à la culture, ou pour préserver les grains des dégâ!ts
que pourraient y faire les chèvres et les volailles.
Le 3 août, le matin, mon guide fit cuire une petite igname sur
les charbons; je fis griller de mon côté des pistaches que nous man-
geâmes de compagnie; et... nous nous mîmes en route. Il pleuvait
encore beaucoup; mon parapluie ne put m'être utile, car les
grandes herbes et les buissons qui couvraient le chemin me mouil-
laient autant que la pluie. Je vis quelques tristes champs de foigné
et d'ignames, le tout mal cultivé; on ne s'était même pas donné
la peine d'arracher les buissons. Ensuite, en traversant quelques
champs de foigné et d'autres de haricots, les premiers que je "\'0-
- 90-

yais depuis mon départ de la côte, nous arnvames, au joli petit


village de Timé : il est ombragé par une quantité d'énormes bom-
bax ct par quelques baobabs.

Séjour à Tiémé.
3 aoM 1827-9 janvier 1828.

Le village <le Tiémé, en Haute Côte (l'Ivoire, sc situe à 30 km environ,


à l'Est d'Odienné. On y a édifié un monument à la mémoire de R.
CAILLIÉ qui y a séjourné du 3 août 1827 au 9 janvier 1828.
Il dut aux hasards de guides disponibles, de descendre aussi loin
dans le sud, pour venir rattraper la route des caravanes qui, des fo-
rêts de Côte d'Ivoire, remontaient à Djenné porter des colas et en rap-
porter principalement du sel.
A son arrivée dans cc village, R. CAILLIÉ souffrait d'une plaie au pied,
très probablement un ulcère phagédénique, ct il ne put se joindre au
groupe qui partait le 6 août. Non seulement ces plaies persistèrent
longtemps, mais encore il fut atteint de scorbut. A défaut de compétence
ct de moyens, il fut soigné avec beaucoup de dévouement par son hô-
tesse, la vieille MAN~.1AN. et par une guérisseus(' de village, tandis que
sa charge commençait à indisposer son hôte, HABA, qui lui avait servi
de guide depuis Kankan.
Engagé dans sa propre légende, R. CAILLIÉ nI' pouvait envisager son
retour vers la côte, ct au sortir de cette épreuve douloureuse ct démora-
lisante, c'est sans aucune hésitation qu'il fît en chancelant ses premiers
pas vers l'Est.

§ 82. Maux et remèdes. Cependant la plaie de mon pied, loin


de guérir, s'accroissait encore. Le mois d'août continua d'être ora-
geux : jour et nuit la pluie ne cessait de tomber; le soleil ne parais-
sait que rarement.
Je me proposais de partir vers la fin d'août; mais, à cette époque,
une nom'elle plaie se déclara au même pied, et bien plus large que
la première; elle me faisait beaucoup souffrir; j'avais le pied telle-
ment enflé, que je ne pouvais marcher. Je priai la bonne vieille
négresse de me procurer des feuilles de baobab, qu'elle fit bouillir;
j'en mis un cataplasme sur la partie malade pour apaiser l'in-
flammation : au bout de deux jours je me trouvai beaucoup mieux.
Mon pied fut bientôt désenflé par l'efficacité des feuilles de baobab;
mais la plaie était encore large comme deux fois un écu de six
francs. Mon hôte, qui paraissait sensible à mon malheur, fit cher-
cher une racine que je reconnus pour avoir une vertu caustique;
il la fit bouillir dans de l'eau et bien réduire; puis il en frotta un
morceau sur un caillou, pour en obtenir une pommade. Le premier
jour, il me soigna lui-même; avec l'eau de décoction, il lava la plaie,
qu'il couvrit de la pâte onctueuse fournie par la racine, puis il mit
-91-
par dessus une feuille d'herbe d'une odeur aromatique très forte.
Les jours suivants, ce fut la bonne vieille qui fut chargée de me
soigner soir et matin; souvent elle me consolait par l'espoir d'une
prompte guérison.
Le mois de septembre semblait nous promettre le retour de la
belle saison; mais je me trompais: les pluies, à la vérité, ne
furent plus aussi continuelles; toutefois nous en eûmes tous les
jours, jusqu'au commencement d'octobre. Elles arrivaient avec les
orages, et tombaient par torrents: ces orages venaient de la partie
de l'Est et du Sud-Est, et toujours accompagnés du même vent. A
mesure que les pluies cessèrent, les chaleurs augmentèrent: l'air
devint plus sain; mon pied allait beaucoup mieux. Malgré les soins
de la bonne vieille et toute sa complaisance pour moi, je désirais
vivement de prendre congé d'elle.
Vers la fin d'octobre, les pluies cessèrent tout à fait; les chaleurs
devinrent très fortes; les nuits froides. Vers le 10 novembre, la
plaie de mon pied était presque fermée; hélas, à cette même époque,
de violentes douleurs dans la mâchoire m'apprirent que j'étais
atteint du scorbut. Mon palais fut entièrement dépouillé, une partie
des os se détachèrent et tombèrent; mes dents semblaient ne plus
tenir dans leurs alvéoles : mes souffrances étaient aft'reuses. Pour
mettre le comble à mes maux, la plaie de mon pied se rouvrit, et
je voyais s'évanouir tout espoir de partir. Que l'on s'imagine ma
situation! sans médicaments, sans personne pour me soigner que
la bonne vieille mère de BABA, qui, deux fois par jour, m'apportait
un peu d'cau de riz qu'elle me forçait de boire, car je ne pouvais
rien manger. J'avais perdu toute mon énergie; les souffrances
absorbaient mes idées.
Enfin, après six semaines de souffrances aiguës, je commençai à
me trouver mieux, et à réfléchir à ce qui se passait autour de moi.
Je voyais avec peine la belle saison s'écouler; les chemins étaient
praticables, les marais desséchés; enfin tout contribuait à me faire
regretter le temps que je perdais à Timé. BABA, saisi d'un mouve-
ment de compassion, revint me voir; il me dit qu'il allait faire
venir une vieille femme qui connaissait ma maladie. La vieille
vint; elle m'examina attentivement, puis elle me rassura en me
disant qu'elle allait me donner une médecine qui me ferait beau-
coup de bien; elle ajouta que cette maladie était commune dans
le pays, et que, si l'on n'y faisait pas de remède prompt, on
perdait toutes ses dents.
Dans la soirée, elle m'apporta des morceaux de bois rouge qu'elle
fit bouillir dans de l'eau; elle m'ordonna de m'en laver la bouche
plusieurs fois par jour; ce que j'eus bien soin d'observer. Je trouvai
- 92 --

eette eau très âcre; elle remplaçait un fort astringent; ma guérison


me paraissait bien lente: la convalescence ne commença que vers
le 15 décembre. La plaie de mon pied guérit avec le scorbut. La
saison était devenue belle, les vents de Nord-Est régnaient souvent,
quelquefois au Nord. Je m'aperçus que dans cette saison les arbres
perdent leurs feuilles, et les nègres font brûler les herbes sèches
qui entourent leurs habitations.
DESCRIPTION DE LA RÉGION DE TIÉMÉ. Notre départ fut fixé au 9
du mois (de janvier). Le jour tant désiré arriva enfin; mais avant
de quitter ce beau pays, je vais en faire la description. Le village
de Timé est situé à deux jours au Sud de Sambatikila (exactement
Samatiguila) à quinze au Nord de Teuté et Cani, et à dix à l'Ouest
de Tangrera (exactement TangreIa). A trois ou quatre milles
environ, à l'Est du village, se trouve une chaîne de montagnes oil,
dans la saison pluvieuse, s'amoncellent les nuages, en sorte que,
pendant cinq mois et demi, il pleut presque continuellement.
On n'a pas dans ce village de grandes jarres en terre pour serrer
le grain, comme dans le Kankan et le Fouta; ce qui prouve qu'ils
ne cultivent pas autant. Le peu de productions du sol qu'ils récol-
tent, ils les laissent dans les champs, y mettent un petit morceau
de papier écrit pour éloigner les voleurs, et jamais on n'y touche.
Les Mandingues de cette partie de l'Afrique ont beaucoup plus
de ressources que les nègres qui habitent les environs du Sénégal,
qui n'ont que du mil : leurs mets sont mieux préparés; et au sel
près, qui leur coûte beaucoup de peine à aller chercher, ils ont tout
ce qui est nécessaire à la vie: ignames, maïs, riz, mil, foigné,
haricots, giraumons et pistaches croissent en abondance dans cet
heureux pays, au lieu que les Sénégalais, qui ont la facilité de se
pl'ocurer du sel n'ont pas toutes ces ressources. Les frais de
culture ne leur coûtent pas beaucoup: les esclaves qu'ils y em-
ploient ne font que remuer la surface du terrain pour détruire les
herbes, et, sans autre travail, ils lui confient les semences.
Tout ce qu'ils sèment croît avec beaucoup de rapidité: leur sol,
composé d'excellente terre noire et sablonneuse, est encore fécondé
tour ù tour par les pluies et les chaleurs des tropiques.
Le foigné, qui se sème dans le courant de mai, est récolté en
juillet; cette graminée est d'une grande ressource pour les nègres,
car souvent leurs provisions ne peuvent atteindre jusqu'à l'année
suivante.
§ 83. Les ignames (Dioscorea divers). En Afrique, la culture des
ignames s'est manifestement développée .mr place il partir d'espèces
spontanées qui sont encore recherchèes parfois, en périod(~ de disette,
malgré la toxicité de leur tubercule. Par la suite, il s'cst fait des
Fig. 12. - Le Fonio (Digitaria e:rilis). Plante entière, graine à grosseur
normale et très grossie à droite; ehamp de fonio et moissonneurs; au pre-
mier plan on met les gerbes en meule (§ 61, § ï6).
- 94-

échangcs d'cspèces avce les autres continents. Le tubercule peut être


pérennant ct atteindre des dimensions considérables, ou bien il est
annuel et sc renouvelle à chaque saison pluvieuse. Chcz beaucoup de
variétés il est pivotant et exige des terres profondes. La culture de
l'igname est surtout étendue dans la région subforestière ct R. CAILLIÉ
a parfaitement noté (§ 105) que plus au Nord, en zone plus sèche, l'igname
ne produit plus guère. C'est précisément dans ces dernières régions que
le manioc a pris dl' l'extension.
Cependant, pour la culture des ignames, ils mettent la terre en
sillons; car, sur un sol uni, cette racine ne viendrait que très petite.
J'allai avec mon hôte voir un champ d'ignames qu'il faisait culti-
ver; il avait plusieurs Bambaras libres qui travaillaient pour lui
à remuer la terre, pour y mettre ces plantes. Ils font, comme je
l'ai dit, de petits tas de terre, sans se donner la peine d'arracher
les jeunes arbres; et quand les ignames germent, elles grimpent
dedans, ce qui leur sert de rames. Nous nous assîmes auprès d'un
gros tas d'ignames que BABA avait fait acheter pour du sel chez
les Bambaras ses voisins, pour les planter dans son champ. Pendant
que plusieurs personnes étaient à choisir celles qui seraient meil-
leures pour la semence, on en fit cuire plusieurs sur des charbons,
que nous mangeâmes pour notre dîner. Lorsque I\"s propriétaires
viennent aux champs, ils n'ont pas d'autre espèce de nourriture;
ct leurs esclaves ont bien soin d'en voler quelques-unes ct de les
cacher sous terre pour les manger en secret. Les jeunes gens
portent sur la tête des paniers d'ignames, pour les donner aux
hommes qui sont chargés de les planter. Quand la journée fut
finie, je m'aperçus que BABA payait ses ouvriers en nature: les
bons Bambaras me donnèrent en me quittant chacun une igname.

§ 84. La cuisine à Tiémé. Durant sa convalescence à Tiémé, alors


qu'il s'aidait d'un bâton pour parcourir le village, R. CAILLIÉ eut le
loisir d'observer comment les femmes préparaient la nourriture à partir
des aliments de base: fonio, ignames, riz.
a) Le tau de fonio. Le foigné est très répandu dans tout le Sud;
les nègres en font leur principale nourriture: les femmes prennent
beaucoup de peine pour le nettoyer; elles exposent ce grain au
soleil, puis elles le mettent dans un pilon, en séparent la paille, ce
qui demande beaucoup de temps et de travail, ensuite, pour en
extraire le son, elles se servent, comme au Sénégal, d'un layot;
elles le pilent une seconde fois et quand le grain est bien nettoyé,
il devient blanc et gros comme des grains de poudre à canon :
alors elles le lavent, puis le mettent dans une corbeille, pour le
faire égoutter, et le laissent reposer pour qu'il gonfle un peu; enfin
elles le remettent de nouveau dans un mortier, et quelques coups
de pilon suffisent pour le réduire en farine: s'il n'était pas humecté,
il faudrait beaucoup plus de temps pour la trituration.
95 -

C'est avec cette farine qu'ils font une bouillie qu'ils nomment
tau)' c'est le sanglé du Sénégal. Quand cette bouillie est cuite, on
la met par cuillerée dans une calebasse, et on l'assaisonne d'une
sauce faite de feuilles de giraumon et quantité d'autres herbes, de
piment, et enfin d'un peu de gombo pour la rendre gluante: cette
sauce est toujours sans sel et sans beurre.
b) La purée d'ignames. Les ignames se préparent d'une autre
manière: on les fait d'abord bouillir, puis on les pile, et on leur
fait une sauce avec du poisson sec réduit en poudre, un peu de
gombo, de piment et de zambala (grains de nédé bouillis, séchés
et réduits en poudre); cela donne un assez bon goût. Les sauces
sont en général très pimentées.
c) Le riz en grains. Quand le riz est bien nettoyé et bouilli à
l'eau, la ménagère y joint une sauce aux pistaches et aux feuilles
d'oseille de Guinée.
§ 85. Le Karité (Blllyrospermllm Parkii Kotschy). C'est au célèbre
Mungo PARK que l'on doit les premiers renseignements précis (1799)
qui ne servirent que bien plus tard (1839) à DON pour f·aire la descrip-
tion botanqiue du Karité sous le nom de Bassia Parkii. Et ce n'est encore
qu'ultérieurement que KOTSCHY en a fait un genre particulier sous le
nom de Blllyrospernwm. En fait, un autre binôme avait déjà été donné,
Vi/el/aria parae/oxa, par GAERTNER fils, en 1805, sur le seul vu d'une
graine. On peut espérer que le binôme usuel sera conservé contre celui
de GAERTNER et contre la combinaison de HEPPER: Blllyrospermllm
parae/oxllm.
C'est l'arbre que R. CAILLIÉ a le plus longuement décrit, soit qu'il en
avait le loisir pendant son séjour forcé à Tiémé, soit qu'il se soit inspiré
de Mungo PARK. En tout cas il en a toujours soigneusement noté l'exis-
tence tout le long de son itinéraire, donnant ainsi l'exacte extension
latitudinale de cette essence en Afrique occidentale.
L'arbre à beurre ou cé est très répandu dans les environs de
Timé; il Y croît spontanément et vient à la hauteur du poirier,
dont il a le port. Quand l'arbre est jeune, ses feuilles sont longues
de six pouces; elles viennent par touffes, et sont supportées par
un pétiole très court; elles sont terminées en rond : l'arbre ayant
atteint une certaine vieillesse, les feuilles deviennent plus petites,
et ressemblent à celles du poirier de Saint-Jean. Il fleurit à l'extré-
mité des branches, et les fleurs, réunies en bouquet et supportées
par un pédicelle très court, sont très petites; elles ont des pétales
blancs et beaucoup d'étamines à peine perceptibles à l'œil nu. Le
fruit, venu à maturité, est gros comme un œuf de pintade, un peu
ovale et égal des deux bouts, il est recouvert d'une pellicule de
couleur vert pâle; en ôtant cette pellicule, on trouve une pulpe de
trois lignes d'épaisseur, verdâtre, farineuse, et très agréable au
goût: les nègres l'aiment beaucoup; j'en mangeais aussi avec
- 96-

plaisir. Sous cette pulpe, il y a une seconde pellicule très mince,


ressemblant à la peau blanche qui tapisse intérieurement la
coquille de l'œuf; elle couvre l'amande, qui est couleur de café
au lait clair: le fruit, ainsi dégagé des deux pellicules et de la
pulpe, est couvert d'une coque aussi mince que celle de l'œuf;
l'amande seule est grosse comme un œuf de pigeon. On expose ce
fruit au soleil pendant plusieurs jours pour le faire sécher; puis
on le pile dans un mortier; réduit en farine, il devient couleur de
son de froment. Quand il est pilé, on le met dans unc grande cale-
basse; puis on jette de l'cau tant soit peu tiède par dessus, jusqu'à
consistance d'une pâte claire que l'on pétrit avec les mains. Quand
on veut connaître si elle est assez manipulée, on y jette un peu
d'eau tiède: si l'on voit les parties grasses se détacher du son et
monter sur l'eau, on y met à plusieurs reprises de l'eau tiède; il
faut qu'il y en ait assez pour que le beurre, détaché du son, puisse
Hotter. On le ramasse avec une cuiller en bois pour le mettre dans
une calebasse; puis on le fait cuire sur un grand feu: on l'écume
bien pour séparer le son qui y était resté attaché; quand il est bien
cuit, on le verse dans une calebasse avec un peu d'eau au fond,
pour le rendre plus facile à enlever; quand il est ainsi préparé, on
l'enveloppe dans des feuilles de l'arbre, et il se conserve deux ans
sans se gâter. Ce beurre est d'un blanc cendré, ct a la consistance
du suif. Les nègres en font commerce; ils en mangent et s'en
frottent le corps; ils en font aussi brûler pour leur éclairage: ils
m'assurèrent que c'était un remède salutaire pour les douleurs et
les plaies. J'ai trouvé le fruit du cé bien plus gros dans les pays
de Baleya et d'Amana qu'à Timé. La graine de cet arbre, qui est
d'une si grande ressource pour les habitants de Ce pays, ne peut
se transporter en Europe pour produire qu'en la mettant dans de
petits vases en terre; autrement elle perd sa vertu germinative,
qui ne se conserve pas longtemps ("').

~ 86. Le Taman: aut~e arbre à beurre (Pentadesma butyracea


Sab.). Du R io ~unez au Fauta, lorsque R. CAILLIÉ côtoyait quelque ga-
lerie forestière, il aurait pu déjà remarquer ce bel arbre, le lami des
Soussous, à frondaison très particulière, si on lui en avait signalé les
mérites. Mais, dans cette région, le palmier suffisait am~ besoins en
huile et le lami était négligé.
J'ai vu dans le pays (à Tiémé) un arbre qui, comme le cé, donne
une substance butireuse; les naturels le nomment taman: le
beurre de cet arbre conserve une couleur jaune, comme le nôtre;
il a une consistance très dure, quoique le pa~'s soit chaud, et il ne

("') Sur la question du I{arité au ~Iali: B. RUYSSEN. Le Karité au Soudan.


L'Ayr. trop. 12, 1957.
- 97-

contracte aucun goût. Je le mangeais avec plus de plaisir que celui


du cé, qui n'est pas aussi ferme, et qui a une couleur cendrée.
Cependant les naturels m'assurent que le cé est plus sain que le
taman, et j'en ai vu beaucoup qui ne voulait pas manger de ce
dernier, prétendant qu'il les incommodait. Quant à moi j'en man-
geai souvent, et ne m'aperçus jamais qu'il me causât la moindre
indisposition. On l'emploierait en Europe avec succès pour l'éclai-
rage.
On obtient ce corps gras, que les habitants nomment laman-
loulou, par le même procédé que l'on emploie pour le cé. L'arbre
qui produit le taman croît sur les bords des ruisseaux; il est très
commun dans tout le Sud. A Cani et Teuté, ces deux espèces sont
si abondantes, que les naturels de ces pays, qui, m'a-t-on dit, ont
beaucoup de vaches, ne font pas de beurre; ils ne mangent que
celui qu'ils récoltent sur ces arbres. Ils ont aussi un peu d'huile
de palme. L'amande du taman a la forme d'un très gros marron
un peu allongé, d'une belle couleur rose en dedans et un peu plus
foncée par dessus; il est très dur: les femmes, pour l'employer, le
passent sur le feu, dans des pots en terre, et le cassent entre deux
cailloux avant de le piler dans le mortier.

§ 87. L'Indigo et les Indigole:ra. Au début du XIX' siècle, l'industrie


européenne de la teinture ne disposait guère que de colorants naturels,
surtout d'origine végétale. Le bleu d'indigo, fourni par l'Jndigofera
tinctoria 1.., provenait essentiellement des Indes. Aussi chilrchait-on à
se libérer de ce monopole en encourageant la production de l'indigo
sur la côte occidentale d'Afrique, où l'on avait reconnu des espèces
productrices. Au Sénégal, par exemple, ce fut un des principaux soucis
du gouverneur ROGER qui fit introduire les espèces des autres conti-
nents; encouragea la culture des espèces locales ou naturalisées,
J. arrecta Hochst., J. suffruticosa Mill., et fit venir des ouvriers et chi-
mistes spécialisés pour améliorer la préparation du produit. Nous
voyons également que R. CAILJ,lÉ citait toujours très soigneusement
l'existence d'indigotiers flans les cultures et villages traversés.
Dans tous les environs de Timé, l'indigo croît spontanément et
sans culture: les femmes s'en servent avantageusement pour
teindre leurs fils de coton, que les hommes tissent pour faire des
étoffes de couleur. Le procédé qu'elles emploient est très simple:
sans se donner la peine de couper la plante, elles arrachent les
feuilles, puis elles les pilent, les mettent en petits pains, les expo-
sent au soleil pour les faire sécher; elles se conservent de cette
manière très longtemps. Quand on veut les employer, on écrase
les petits pains, puis on les met dans un grand pot en terre, fait
pour cet usage; on le remplit d'eau fraîche, et on le couvre pour
laisser tremper les feuilles: on les laisse fermenter pendant vingt-
quatre heures; puis on y ajoute de l'eau de lessive, faite à froid
- 98-

.avec de la cendre de paille de foigné; cette eau a la propriété de


dissoudre l'indigo. La teinture ainsi préparée, on met dans le pot
les objets à teindre; on laisse le coton une nuit entière, et même
quelques heures de plus. On ajoute de l'eau à mesure qu'elle
diminue. Les mêmes feuilles servent à teindre pendant une se-
maine entière: la première teinte est toujours la plus belle. Les
jeunes femmes ne se mêlent pas de teindre les fils de coton; il n'y
a que les vieilles qui s'en occupent.
§ 88. L'Indigo du Lonch,ocarpus c:yanesc:ens. Dans la zone fores-
tière cl' Afrique occidentale l'indigo est plus couramment fourni par le
l.onchocarpus cyanescens, dont on emploie le:; feuilles ct autres organes
encore jeun{'s. Malheureusement la récolte n'est pas toujours aisée, car
il s'agit d'une liane qui prend appui sur les arbres et dont les feuilles
sont difficilement accessibles.
J'ai vu, dans ce pays, une plante grimpante qui a la feuille très
large et donne beaucoup de bleu: il y en a beaucoup à Sierra-Leone.
Malheureuscment, R. CAILI.iÉ ne précise pas quelle espèce il traitait
dans l'indigoteric dont il avait la charge dans ce dernier pays. Il ne
parle aussi que de la teinture du coton en écheveau, alors que les tein-
turiers, du moins de nos jours, traitent également les étoffes entières ct
obtiennent des effets très élégants par le moyen de coutures, ou même
de nœuds, préalables, qui empêchent que la teinture soit uniforme.
§ 89. Tabac pétiolé (Nicoliana ruslica L.). Tous les tabacs sont
d'origine américaine; ce que R. CAILLIÉ veut dire par « tabac d'Europe »,
est le tabac à fleurs roses, le Nicotiana labacum L., le plus couramment
cultivé comme tabac à fumer, tandis que le N. rllslica, à fleurs jaune
verdâtre, mieux adapté aux cultures sommaires et aux pays secs, est
plu.> corsé, se consume mal et est plutôt réservé comme tabac à priser et
à mâcher.
Autour de leurs cases, il y a un petit jardin où croissent plusieurs
sortes d'herbes pour leurs sauces. Il y a aussi du tabac, que l'on
sème dans le mois de septembre et qu'on transplante en octobre;
on ne lui donne aucun soin: celui que j'ai vu à Timé et aux envi-
rons est d'une petite espèce; on ne le récolte que quand il est tout
à fait en graine. Les feuilles, séchées au soleil, sont réduites en
poudre pour la consommation: les habitants n'en prennent pas
d'autre, car je n'ai pas vu à Timé de tabac d'Europe.
~ 90. Le niébé (Vigna llnguieulala Walp.). Le «haricot» observé à
Timé par R. CAILLIÉ est vraisemblablement le Vigna. Evidemment c'est
le grain frais qu'il faut consommer pour l'apprécier (§ 8).
Ils récoltent des haricots d'une couleur grise, petits, et très durs
à cuire. Ils ont le giraumon, qui croît très bien dans le pays; ils
en font des ragoûts, en y joignant des pistaches et du piment. Cette
dernière plante, si commune dans les pays chauds, ne croît que
très imparfaitement dans celui-ci; ils en achètent dans leurs vo-
yages au Sud.
Fig. 13. - Le KUI'Hé. (Rutyrospcrmum par/âi § 85). Rameau feuillé à
gauche, rameau fleuri à droite; en haut de gauche à droite: fruit entier,
graine avec sa coque, amande brune recouverte d'une arille blanehâtre;
en bas scène de préparation du beurre de Karité: fours à sécher les
j(raines, meule dormante, rr.ortier il pilonner, I:1armite à décantation,
fosse à fermentation, etc...
-- 100

§ 91. Le Cani ou poivre long (Xylopia aelhiopica A. Rich.).


R. CAILLIÉ fait le rapprochement entre le nom hambara de cc fruit et
celui d'un village situé à quelques journées de marche au Sud de Tiémé.
En fait le nom de Cani ùésigne aussi <l'autres épices ct s'il y a un
rapport avec le village, ce serait plutôt ee dernier qui aurait pris le nom
ùe l'arbre en raison de son abondance en cc lieu.
Ils se procurent de même (dans leurs voyages au Sud) un poivre
long qu'ils estiment beaucoup; ils le nomment l'ani, nom du lieu
d'où ils le tirent. II y a des marchands qui portent cc poivre à
.Jenné pour l'échanger contre du sel.

§ 92. Noix de coU;, et colatier (Cola nilida A. Chev.). R. CAILLIÉ


avait eu déjà l'occasion d'évoquer le rôle de la noix de cola comme
offrande dans les échanges de politesses; mais cc n'est qu'à Timé qu'il
donne des détails sur sa production. Pour cette région de l'Afrique,
l'espèce productrice est le Cola nilida A. Chev., alors que, plus au sud,
ce son t les C. aCllminala Schott et Endl. et C. verlicillala Stapf. La noix
<le cola est un aliment masticatoire, possédant des vertus toniques, ct
très recherché jusqu'en Afrique saharienne où son échange contre du
sel est une pratique très ancienne.
L'arbre à colats vient à la hauteur d'un prunier, et en a le port;
les feuilles sont alternes et larges deux fois comme celles du pru-
nier; la fleur en est petite, blanche, à corolle polypétale. Le fruit
est couvert d'une première enveloppe couleur jaune de rouille;
après l'avoir enlevée, on trouve une pulpe rose, ou d'un blanc qui
devient verdâtre en acquérant sa parfaite maturité: le même arbre
porte des fruits des deux couleurs. La noix de colat a la grosseur
du marron, et la même consistance: elle paraît d'abord très amère
au goût; mais après qu'on l'a mangée, elle laisse une saveur très
douce qui plaît beaucoup; en buvant un verre d'eau par dessus,
il semble que l'on ait pris soin de le sucrer. La noix se sépare
facilement, sans se casser ni changer de couleur; mais si l'on
brise une des deux moitiés, et qu'on la laisse à l'air un instant,
on s'aperçoit que la pulpe, de rose ou blanche qu'elle était, devient
couleur de rouille.
L'arbre à colats est très répandu dans la partie du Sud: il y en a
beaucoup dans le Kissi, le Couranco, la Sangal'an et le Kissi-Kissi.
Ce commerce est généralement répandu dans l'intérieur; car les
habitants, presque privés de toute espèce de fruits, attachent un
très grand prix à celui-ci et mettent une sorte de luxe à en avoir.
Les vieillards qui n'ont plus de dents, se servent, pour le réduire
en poudre, d'une petite râpe, qui est tout uniment un morceau de
fer-blanc auquel ils font des trous très rapprochés. Les Bambaras
aiment beaucoup cc fruit; mais comme ils n'ont pas la facilité d'aI-
ler dans le pays où on le récolte, ils en achètent pour du coton ct
autres produits de leur industrie agricole.
,- 101 -

Le 5 août, les marchands mandingues destinés à faire le voyage


de Jenné, mirent des feuilles fraîches à leurs colats, pour les tenir
dans l'hum idité; ils les visitèrent tous ct les comptèrent; ils ont
coutume de les humecter avec un peu d'eau, pour les conserver.
Les voyageurs étaient au nombre de quinze à vingt, hommes et
femmes, emportant chacun sur la tête une charge de trois mille cinq
cents colats, fardeau que je soulevais à peine: ils apportent en re-
tour du sel en brique et en planche. Mais le bénéfice, comme j'ai pu
en juger plus tard, n'est pas considérable, parce qu'ils sont obligés
de faire de grandes dépenses sur la route, non seulement pour sub-
venir à leur subsistance, mais encore pour payer les droits de passe.
La vente de leurs colats varie beaucoup, comme je l'ai vu par la
suite. Au retour de leurs voyages, ils vont bien loin dans le Sud,
en acheter pour du sel et pour des étoffes qu'ils fabriquent avec
le coton acheté des Bambaras et filé par leurs femmes.
Les habitants de Timé font tous les voyages à Jenné. Je m'infor-
mai auprès d'eux de la distance d'une ville à l'autre: tous me répon-
dirent qu'il fallait deux mois pour aller et autant pour revenir;
mais qu'ils ne pouvaient faire que deux voyages par année, parce
qu'ils sont obligés d'aller à Teuté et à Cani, situés à quinze jours
au Sud pour acheter leurs colats. Ils me dirent que les habitants de
ces villages vont eux-mêmes bien loin au Sud dans un pays appelé
Toman, pour se les procurer. A leur retour, ils enfouissent ces
calats, les recouvrent de feuilles, puis de terre, pour les conserver.
Ce fruit a la propriété de se maintenir frais pendant neuf à dix mois
en prenant la précaution de renouveler les feuilles.

La route du Cola.

De Tiémé à Djenné.
La route que R. CAILLIÉ est venu rejoindre il Tiémé est celle qu'elll-
pruntaient les commerçants amhulants qui a:;suraient le trafic entre
les régions forestières et Djenné. En réalité, la cola elle-même n'était
pas une denrée aussi vitale que le sel, et sa valeul' d'échange, assez
faible, r·ouvait causer des soucis, d'autant que les marchands de Djenné
ne manquaient pas de spéculer sur les difficultés de sa conservation
tandis que leurs planches de sel pouvaient attendre indéfiniment (~ 123).
R, CAILLIÉ nous montre les péripéties de Cc comrnef('p ainsi que la vic
de la caravane, Pour ces colporteurs, chaque village traversé était aussi
l'occasion de faire des échanges: à l'étape, pendant que les hommes
troquaient, selon le sen.;; du voyage, soit le sel, soit la cola, contre les
produits locaux tels que coton ct aliments, Ips femmes préparaipnt les
j'epas, filaient le coton. Et le soir, sur la place, c'était les danses joyeuses,
au clair de lune ou aux lueurs mouvantes des feux de bois.
- 102-

§ 93. Le départ. Le 1"' janvier 1828, j'cus la satisfaction de voir


arriver le frère dc BABA, venant de Teuté, où il avait acheté des
colats; il devait partir sous peu pour aller les vendre à Jenné. Notre
départ fut fixé au 9 du mois: nous quittâmes le village vers neuf
heures du matin.
Le 10 janvier, vers neuf heures du matin, la caravane se dis-
posait déjà à partir: les fcmmes, avec une lourde charge de colats
sur la tête, prirent les devants; elles furent suivies par des hommes
également chargés; ils avaient chacun une sonnette à la ceinture,
et plusieurs en avaient une douzaine attachécs à toutes les par-
ties de leur vêtement; cet attirail produit un tintamarre étourdis-
sant qui leur plaît beaucoup. Ils étaient tous armés d'arcs et de
flèches; les chefs et les propriétaires de marchandises fermaient
la marche en conduisant les ânes.

§ 94. A l'étape. A leur arrivée dans un village, les femmes


vont puiser de l'eau, et pilent le mil pour préparer le dîner de tout
lc monde; en suite elle recommencent à piler le mil pour le sou-
per. Elles sont aussi chargées de laver les vêtements des hommes.
Ceux-ci, après s'être reposés, s'occupent à visiter les charges de
colats, surtout celles qui pendant la route, sont tombées de dessus
les ânes; ils garnissent ces fruits de nouvelles feuilles pour les
tenir frais et mieux les conserver; ils vont ensuite se promener et
vendre des étoffes fabriquées dans leur village. Ils s'occupent
aussi de régler les droits de passe, car tous les marchands étrangers
sont obligés solidairement de payer une petite rétribution com-
munément fixée à vingt colats par charge.
Le 13 janvier, à quatre heures du matin, pour profiter de la
fraîcheur, nous nous mîmes en route. La campagne, assez unie,
est couverte de cés; le nédé devient beaucoup moins commun. Les
environs du village de Cacorou sont couverts de cés et de quelques
nédés; les habitants récoltent beaucoup de beurre qu'ils vendent
aux étrangers. Je n'ai jamais vu de peuples aussi gais que les Bam-
baras; dès le coucher du soleil, ils se réunissent sous de gros bom-
bax situés à l'entrée du village, et dansent toute la nuit au son d'une
musique assez agréable.
Le 14 janvier nous fîmes halte, \'Crs neuf heures du matin, à Tis-
so-Soman. Il y a au milieu du village plusieurs puits de sept à huit
pieds de profondeur. Les femmes s'établirent autour pour nettoyer
leur mil. Après avoir fait un léger déjeuner de tau avec une mau-
vaise sauce aux herbes, nous quittâmes le village.
Le 15 janvier, nous fîmes environ sept milles, parmi des roches
de granit, sur un sol très fertile, composé de sable dur. La campagne
- 103

était bien boisée; le cé et le nédé y étaient très répandus, et la


culture bien soignée. Je vis aussi quelques cultures de tabac.

§ 95. Quelques palmiers à huile et rôniers. Le 16 janvier, en


sortant (du village de Dhio), j'aperçus dans quelques endroits un
peu frais, plusieurs palmiers, de ceux dont le fruit donne de l'huile;
ils ne viennent pas, à beaucoup près, aussi bien que sur la côte. La
campagne est toujours très boisée. Je remarquai quelques tama-
riniers, et beaucoup de cés. Vers neuf heures du matin nous étions
à Niourot. Nous nous procurâmes un peu de mil pour notre souper;
on le paya de quelques noix de colats.
Le 17 janvier nous fîmes halte à Talé. Les habitants de ce vil-
lage sont doux, affables et hospitaliers. Ils cultivent du riz et beau-
coup d'ignames: leur récolte reste habituellement dans les champs
tout le temps de la sécheresse; et à l'arrivée des pluies, ils la ren-
ferment dans de petits magasins en paille placés au milieu de leur
cours.
A quelque distance du village de Borandou, dans la plaine, on voit
beaucoup de grands ronniers ou rondiers (§ 127); le cé y est très
répandu.

§ 96. Le marché de Tengréla. Le 19 janvier nous nous trou-


vions sur la route au moins trois cents personnes allant au marché
de Tangrera (exactement Tangrela), où nous arrivâmes vers neuf
heures du matin. Il m'arriva à Tangrera une contrariété que je n'a-
vais pu prévoir. Mon guide, à son arrivée, s'était empressé de s'in-
former du cours des marchandises: il apprit qu'à Jenné les noix
de colats n'avaient que très peu de valeur; il se décida, en consé-
quence, à prendre la route de Sansanding. Je résolus donc de rester
à Tangrera pour attendre une occasion d'aller à Jenné. Mon hôte
vint me conduire au marché, où je vis un grand concours d'étran-
gers; il était assez bien garni de toutes les choses nécessaires à la
vie: riz, ignames, foigné, lait, beurre animal et végétal, sel, pots,
tabac en poudre, étoffes, colats, poissons secs, calebasses, etc ... Il
y avait aussi quelques marchandises d'Europe, verroteries, poudre,
pierres à feu, etc...

§ 97. Galettes à la poêle. Je trouvai beaucoup de femmes éta-


blies sur le marché :wec de petits plats en terre, dans lesquels elles
font des galettes frites au beurre végétal; on les appelle mallmies
(variante orthographique de ouomi 7). Depuis Tangrera jusqu'à
.Jenné, il y a dans tous (les marchés) des femmes qui vendent de
(ces) petites galettes à la poêle, qui sont pour les voyageurs d'une
très grande ressource; elles coûtent un ou deux cauris la pièce:
- 104-

les marchands, à peine arrivés à un lieu de station, envoient une


de leurs femmes au marché, pour acheter de ces galettes, qu'ils
mangent en attendant l'heure du repas.
Cette expression de «galette à la poêle» est une réminiscence de
jeunesse de R. CAILLIÉ. A cette époque, et plus récemment encore, dans
beaucoup de fermes du pays de R. CAILLIÉ, on boulangeait une fois par
semaine; et il arrivait que le pain manquât ce jour-là pour le repas de
midi. Alors, on réservait de la pâte dont on faisait d'épaisses galettes
que l'on pouvait manger sans délai, après une rapide cuisson dans une
poêle à peine graissée. Cc n'était donc pus des beignets mais des
« galettes à la poêle» ou tourteau.

§ 98. Marchand de tabac. Nous nous arrêtâmes, mon hôte et


moi, chez un parent du chef; il était assis sur une peau de bœuf,
veillant à la manipulation du tabac. Il employait à ce travail six
esclaves, tenant chacun un gros pilon; ils broyaient dans un grand
mortier ce tabac qui avait très bonne odeur et une couleur beau-
coup plus claire que le nôtre. Ce marchand faisait de grands béné-
fices; sa case ne désemplissait pas d'acheteurs; il voulut me donner
un peu de tabac; je le remerciai, et lui dis que je n'en usais pas;
il en parut très étonné, car dans ce village toute le monde en prend.
Le tabac qu'ils cultivent dans le pays est d'une petite espèce,
comme celui de Timé; les feuilles en sont courtes et étroites. Ils
donnent à cette culture très peu de soin; ils n'ont pas comme nous
l'habitude d'étêter la plante. A Tangrera, on fait sécher les feuilles
à l'ombre; puis on les met en carottes: elles acquièrent ainsi une
couleur de marron clair.
J'ai vu dans le village quelques figuiers sauvages; il est ombra-
gé par de gros bombax et baobabs. Les habitants sont commerçants
et cultivateurs; ils fabriquent beaucoup d'étoffes de coton, et ont
des communications fréquentes avec les villes situées sur les bords
du Dhioliba. Ils ne connaissent d'autre monnaie que les cauris.

§ 99. Baobabs et Fromagers: a.rbres domestiques. Le 21 jan-


vier nous quittâmes le village de Fara. La route était très unie et
boisée comme tous les jours précédents; je n'ai pas vu d'arbres
très élevés; ils ne dépassent pas la hauteur du poirier ou du P0111-
mier. Les bombax et les baobabs, géants de la végétation de cette
partie du globe, ne croissent qu'aux environs des villages; je n'en
ai pas vu dans les forêts. Notre caravane s'était prodigieusement
augmentée; nous étions au nombre de cinq à six cents personnes,
portant des fardeaux; il y avait aussi près de quatre-vingts ânes.
Nous fîmes halte à Bangoro. Autour de la ville, je vis quelques
roniers très élevés et plusieurs palmiers.
- 105-

Le 22 janvier nous fîmes halte à Débéna. Cette ville est composée


de plusieurs petits hameaux très rapprochés : le marché avait lieu
sous de gros bombax. Dans tous les lieux habités situés sur notre
route, nous trouvions des marchés assez bien garnis des produc-
tions du pays.
§ 100. Ficus à racines adventives. Le 23 janvier nous fîmes
route au Nord-Nord Est; on ne voit dans la campagne, qui est assez
découyerte, que des cés et des nédés. Nous fîmes halte à Tiara. Ce
village est ombragé par quelques bombax et baobabs; on y cultive
du tabac aux environs des cases. J'ai vu dans ce village un arbre
très gros, dont les branches étaient toutes garnies de petites racines.
J'ai trouvé le semblable à Trangrera, et il en vient dans l'île de
Saint-Louis du Sénégal. Cet arbre, espèce de ficus indica, est laiteux
et gluant.
Le 24 janvier, la majeure partie de nos compagnons se dirigèrent
au Nord-Ouest pour aller à Sansanding, et nous prîmes la route
de Jenné. Je ne saurais exprimer la joie que je ressentis à cette
heureuse nouvelle.
§ 101. Detarium mierocarpum Guill. et Perr. La végétation est
toujours la même; j'ai cependant remarqué un arbre qui croît
communément aux environs du Sénégal: il porte un fruit rond, un
peu plat, de la grosseur d'une pomme de reinette; il est recouvert
d'une pellicule grise et la pulpe, que les nègres aiment beaucoup,
est d'une couleur verdâtre; le noyau est filamenteux; les feuilles
de l'arbre sont pinnées et larges comme celles du frêne. Les nègres
font usage de l'écorce de cet arbre dans les maladies; ils l'emploient
comme caustique (§ 2).

§ 102. Les ruches d'écorce. Dans toute cette partie de l'Afrique,


même depuis le Baleya, les nègres mettent des ruches dans les
arbres pour que les abeilles viennent s'y loger; ils récoltent beau-
coup de miel, dont ils sont très amateurs. Les ruches sont faites
en écorce d'arbre, et recouvertes de paille; j'ai vu heaucoup d'arbres
encore verts entièrement dépouillés pour cet objet de leurs écorces
par les habitants.
L'arbre le plus communément employé pour cct usage dans la zone
guinéenne est le Daniella Oliveri Hutch. et Dalz. qui atteint de bonne.>
dimensions et dont l'écorce épaisse se lève facilement.
Le 25 janvier, à six heures du matin, nous fîmes route vers le
Nord, d'abord sur un sol sablonneux ct très bien cultivé; ensuite
sur un sol composé de terre rouge couverte de gravier, et ayant à
sa surface des pierres ferrugineuses. Cette campagne est couverte
de cés et de nédés.
- 106-

§ 103. Lu peuplements de karité. Le 26 janvier nous arri-


vàmes, vers une heure du soir, à Fara, où nous fîmes halte. La
campagne que nous venions de parcourir était couverte de cés; ce
n'était qu'une forêt immense: c'est l'arbre qui domine dans toute
cette partie; aussi les natu reis font-ils un grand commerce du
beurre qu'ils en retirent; ils le portent à Jenné, ou le vendent aux
caravanes qui s'y rendent. Dans tous les lieux habités où je passais,
je voyais des femmes portant de ce beurre dans des calebasses;
j'en achetais souvent pour mettre dans mes aliments. Une livre
coûte dans le pays quarante cauris (quatre sous de France).
Le 27 janvier nous arrivâmes sur les bords du Bagoé. Nous
traversâmes cette rivière dans une grande pirogue, et nous arri-
vâmes, un peu avant la nuit, à Missabougou. Le sol parcouru pen-
dant la journée était semblable à celui des jours précédents, et
très bien cultivé en mil, pistaches, etc.

§ 104. Marché à Badiaran.a. Nous fîmes halte, vers neuf heures


du matin, à Badiarana. Je m'empressai, aussitôt après notre arri-
vée, d'aller au marché, où j'achetai quelques maumies et du lait
aigre. Ce marché était bien tenu: les marchandes, placées sur deux
rangs, étaient habillées proprement et paraissaient très affables
envers ceux qui achetaient leurs marchandises, composées de pro-
duits du pays; leurs boutiques étaient garnies d'étoffe, coton, sel,
mil, piment, poivre long, pistaches, zambalas, fruits du baobab, et
de feuilles sèches de cet arbre, qui s'emploient pour mettre dans
les ragoûts.
Le 30 janvier nous fîmes halte à Touriat. Les environs de ce
village sont très découverts; le sol est très uni, et les arbres les
plus répandus sont le cé et le nédé.
Le 31 janvier nous arrivâmes à Magna-Gnouan. Aux environs,
il y a de jolis petits potagers <l'ognons et de haricots que les
habitants soignent très bien: ils se servent des feuilles pour faire
leurs sauces. Je vis aussi quelques champs de tabac: ils ne le
cultiycnt pas mieux qu'à Timé, mais il est d'une plus belle espèce;
les feuilles sont larges et très longues; et s'il était bien soigné, il
serait aussi beau et aussi bon que celui que l'on cultive en Europe.
Les environs sont boisés de quelques mimosas et de gros baobabs.
.Je vis aussi plusieurs champs de coton mal soignés. Je m'assis,
hors du village, il l'ombre d'Un baobab, et je fis griller des l)istaches
llOur 1110n déjeuner, que je partageai avec quelques-uns de mes
compagnons. Après l1Yoir dîné, nous fimes six milles sur un sol
couvert de pierres ferrugineuses et de gravier. L'arbre il beurre
continue d'être aussi commun. Un peu avant le coucher du solcil,
- 108 --

nous fîmes halte à Khoukhola. Ce joli village est ombragé par une
infinité de baobabs: les habitants en récoltent avec soin les fruits
et les feuilles, dont ils font commerce.

§ 105. Limite nord de la culture des ignames. Nous arrivâmes


à Sérasso, vers dix ou onze heures du matin, et y passâmes le reste
de la journée. Ce joli village est situé dans une belle plaine cou-
verte de cés, nédés, bombax, baobabs et de quelques mimosas; cette
plaine est bien cultivée. En avançant dans cette direction, depuis
le dernier village de Fara, les ignames et le riz deviennent très
rares : on en cultive peu, ce qui tient sans doute à la sécheresse du
terrain; car les pluies n'y sont pas aussi communes que plus au
Sud. On y cultive beaucoup de mil des deux espèces et un peu de
maïs.

§ 106. Cultures d'ognons. Le 2 février, vers neuf heures du


matin, nous fîmes halte à Mouriosso. Peu avant d'entrer dans ce
village, dont les maisons sont surmontées de terrasses construites
en briques cuites au soleil, nous traversâmes un joli ruisseau, sur
les bords duquel je vis des jardins où croissaient de beaux ognons:
ce sont les femmes qui les soignent; elles étaient occupées à sar-
cler; elles ont soin d'arroser souvent. On trouve, à des distances
rapprochées, des puits de deux pieds environ de profondeur, dans
lesquels ces femmes puisent avec des calebasses, sans corde. La
terre de ces jardins est d'une couleur noire; elle est grasse et
très productive. Ils sont entourés d'une haie d'épines sèches, pour
les garantir des poules. Plusieurs de ces femmes vinrent nous
vendre des feuilles d'ognon s, pour mettre dans notre sauce; nous
les payâmes de quelques cauris.
A notre arrivée, le marché s'installa de suite sous un gros arbrc
dont les branches étaient couvertes de racines, comme celui que
j'ai décrit plus haut (§ 99). Ce marché était approvisionné de mil,
d'un peu de riz, de pistaches, ognons et zambalas. Il s'y établit
aussi des marchandises de maumies : nous en achetâmes en atten-
dant notre mauvais dîner.

§ 107. Pastèques, Calebasses, CitrouilieIB et Giraumons,


M€:lons. Le village se compose de plusieurs petites enceintes,
occupées chacune par une seule famille; ils cultivent, autour de
leurs habitations, des citrouilles, des giraumons et des calebasses
dont ils font grimper les tiges jusque sur les toits: les champs
~nvironnants sont ensemencés de petit mil.
Ces précieuses Cucurbitacées sont souvent citées par R. CAILLIÉ: en
Mauritanie il put apaiser sa soif en mangeant une pastèque sauvage;
- 109-

dans son trajet guinéo-.,oudanien il observa couramment la culture et


l'utilisation des eitrouilles et des ealebasses; enfin, au Maroe, il vit et
eonsomma des melons vrais.
a) Les Cîtru/lus sont les pastèques (C. vulgaris) et le.;; eoloquintes
(C. colocynlhys). Cc sont des plantes afrieaines des zones sèehes. La
première est eomestible ct a donné les différentes variétés de « melons
d'eau» : e'est avee ce fruit rafraîehissant que R. CAILI.IÉ rompait son
jeûne du Ramadan durant son séjour à Djenné (§ 125). Les seeondes
sont tt'ès amères ct violemment purgatives.
La nomenclature de ees deux plantes a fait eouler beaueoup d'enere
et le nom de genre s'est porté alternativement sur Colocynlhys Mill.
1754 ct sur Cîtr!lllus Sehrad (1836). L'inseription de ee dernier sur
b lisle dcs noms conservés n'a pas dos le débat ct des discussions
subsistent eneore. En fait, la eonservation est sans appel et c'est bien le
nom de Cîtru/lus qui doit être employé. Enfin la pastèque devrait s'ap-
pelel' exactement Cîtrul/us lanaills (Thumb.) Mansfeld ("').
h) Le Lagenaria (1.. siceraria) est la plante à gourde. Le fruit, rétréei
à sa base en un faux pédoncule, affeete des formes assez variées quc
l'on peut diriger au eours du développement. Encore jeune il est eomcs-
tible à la façon des courges mais à maturité son péricarpe ùevien t dur
et il est alors employé à la fabrication de réeipients et ustensiles de
toutes sortes, y rompris des pipes qui fUrent fort à la moùe au début
de cc siècle en Europe.
La patrie du Lagenaria est incertaine car il existait dans l'Ancien
et le l'\ouvpau Monde avant les voyages de Christophe COLOMB; ses
fruits sont d'excellents flotteurs qui ont pu passer d'une rive à l'autre
des continents. On le reconnaît à ses fleurs blanehes et au fait qu'il est
souvent eultivé dans les villages où on le fait grimper :mr les eases.
e) Les Cucurbita sont les potirons et courges. Inversement aux pas-
tèques elle sont un don du Nouveau Monde. Le C. maxima donne les
gros potirons qui, à maturité, peuvent fournir les grandes calebasses;
Je C. pepo donne les fruits les plus petits de la catégorie de;; courges.
Lorsque, pour des usages divers, R. CAILLIÉ cite la calebasse, par ex.
pour l'emploi des feuilles dans les potages, ce pouvait être aussi bien
le potiron (C. maxima) que la gourde (Lagenaria). Th MONOD s'est étonné
de ce que R. CAILLIÉ eite concurremment citrouilles et giraumons qui
sont synonymes. En principe le nom de giraumon est réservé aux
variétés dites « turban» ou « bonnet de turc », dont le fruit est formé
de deux hémisphères inégales. Mais il n'est pas du tout certain que
c'est là ce qu'envisageait R. CAILLIÉ. Peut-être désignait-il tout ;;imple-
ment les gl'Osses formes du nom de « citrouilles» et les petites formes
par celui de « giraumon ». Au Maroc, ce dernier nom s'appliquait peut-
être à la courge berbère ou courge musquée (C. moschala).
d) J,es Cucumis sont les melon;; vrais et les concombres. Le « melon
de bonne espèce» que H. CAILLIÉ vit sur les marchés du Maroc, est une
amélioration culturale du Cllcumis melo var. agreslis, spontané dans
la zone sahélienne.
Toutes ces Cucurbitacées, et encore quelques autres, fournissent des
graines oléagineuses ou médicamenteuses (anthelminthiques); de sorte

("') Die Kulturpflanze, 1959.


- 110-

qu'elles sont utiles par toutes leurs parties. R. CAILLIÉ n'a pas cité le
Luffa cylindrica qui fournit l'éponge végétale.

§ 108. Dernière palmeraie d'Elaeill. Alors que R. CAILLIÉ 3e


trouvait à peu près dans la région de Sikasso, il eut une dernière oc-
easion de voir des palmiers à huile qui poussaient là à la faveur d'Un
sol frais, alors que la végétation zonale est caractérisée par le Karité.
Vers deux heures du soir nous fîmes route en nous dirigeant à
l'Est-Nord Est. Nous fîmes halte à Oulasso. Nous joignîmes dans
ce village une caravane de marchands mandingues venant d'ache-
ter au Sud des noix de colats qu'ils allaient ,-endre à Jenné. Au
dernier gîte, on avait eu soin de se procurer du mil pour le souper
de tout le monde; bien nous en avait pris, car nous ne trouvâmes
rien à Oulasso.
Le 3 février, à six heures du matin, nous nous mîmes en route
au Nord-Est. La campagne est bien boisée en cés et nédés. Nous
traversâmes trois gros ruisseaux. Les bords en sont très boisés,
et il croît dans les endroits frais des palmiers en quantité. Les
naturels ne connaissent pas la propriété de cet arbre, de fournir
une liqueur enivrante; ils font, avec le fruit, de l'huile qu'ils
aiment beaucoup, et avec ils se graissent le corps. Cet arbre est
bien loin d'être aussi répandu que sur la côte.

§ 109. Commerce des feuillell et /ruifll de baobab. Vers dix


heures du matin, nous arrivâmes à Facibrisso, où se tient un grand
marché de colats, piment, poivre long, qu'ils tirent du Sud;
d'étoffes qu'ils fabriquent dans le pays, et de sel qui vient des
bars du Dhioliba; de beaucoup de mil, coton, pistaches, et autres
productions du pays. Les cabanes sont à terrasse, n'ont qu'un
rez-de-chaussée, et sont construites en briques cuites au soleil.
Tous les villages, jusqu'à Jenné, sont bâtis dans le même genre,
et en général ombragés par une infinité de bombax et de baobabs:
leurs habitants récoltent principalement les fruits de ces derniers;
ils en font un commerce avec les caravanes; ils en portent même
ù Jenné, où il y en a peu, et de Jenné on les exporte à Tombouctou.
Le cé ct le nédé sont répandus d'une manière étonnante dans toute
cette partie. En avançant Yl'rs le Nord, les baobabs de,icnnent
moins communs, et le bombax les surpasse en grosseur; le ronnier
est abondant dans quelques endroits.
Le 4 février, nous atteignîmes Toumané, où sc trouvaient une
nOllibreuse caravane venant de Jenné. Les nouveaux venus déso-
lèrent mes compagnons en leur apprenant que les colats y étaient
très communs et ù très bas prix: cette nouH'lle déconcerta les
pauvres marchands de Timé. ~lon guide se décida une seconde
fois à faire route pour Sansanding. Le ;) féYrier, ù sept heures
- 111 --

du matin, nous nous séparâmes; KARAMO-OSILA fit route au Nord-


Nord-Est, et nous à l'Est. A une petite distance du village, nous
passâmes un ruisseau sur un pont assez solide; il Y avait à ce
passage six à sept cents personnes, et trente ou quarante ânes.
Notre caravane s'était augmentée d'une quantité d'individus, mar-
chands de toile du pays, de piment et de poivre long. Sur la rive
droite la campagne était découverte, parsemée de cés et de nédés.
Nous traversâmes un marais desséché, couvert de gras pâturages,
où les naturels mettent leurs bestiaux.
Le 6 février nous fîmes six milles au Nord-Est. La campagne
est couverte de bombax et de baobabs. Nous fîmes halte à Chesso.
Ce village est formé de plusieurs petites enceintes assez proches
les unes des autres: les environs en sont assez découverts; il s'y
trouve un marais sur les bords duquel les naturels cultivent des
ognons, des haricots, des giraumons, etc... Il y a aussi, dans l'in-
térieur du village, beaucoup de bombax et de baobabs.
Le 7 février nous fîmes route dans la direction du Nord-Est; la
végétation est semblable à celle des jours précédents: je vis, de
plus, quelques Rhamnus lotus.

§ 110. Fabrique d'instr.uments aratoires. Nous arnvames, vers


neuf heures du matin, à Pala. J'aperçus aux environs plusieurs
fourneaux pour la fonte du fer; ce métal se trouve sur la surface
du sol. Je vis aussi l'instrument aratoire dont les habitants se
servent pour leur culture, le seul, je crois, qu'ils connaissent, car
je n'en ai pas vu d'autres: c'est une pioche d'un pied de long sur
huit pouces de large; le manche peut avoir seize pouces de long;
il est très incliné sur la pioche. Pour leur récolte, ils se servent
aussi d'une faucille sans dents, comme dans le Ouassoulo.
Le 8 février nous nous dirigeâmes au Nord-Est. La campagne
est très découverte; on y voit quelques mimosas et beaucoup de cés.
Cet arbre-ci qui, comme je l'ai dit plus haut, fournit du beurre en
quantité, croît spontanément dans tout l'intérieur de l'Afrique; il
viendrait parfaitement dans nos colonies d'Amérique, et ce serait
un bien grand service à rendre à l'humanité que de l'y introduire;
le don d'une plante aussi utile serait plus précieux pour les habi-
tants de ce pays qu'une mine d'or.
Le 9 février, nous rencontrâmes une caravane de marchands
venant de Jenné, où ils avaient acheté du sel. Vers neuf heures
du matin, nous fîmes halte à Couara (exactement Cou oro ), joli
village où l'on trouve en abondance tout ce qui est nécessaire à
la vie: on y cultive beaucoup de coton, de mil. Le 10, à huit heures
du matin, nous nous disposâmes à traverser la rivière appelée
Koraba (exactement le Banifing). Des femmes du village s'étaient
- 112-

établies sur la rive gauche: elles faisaient des maumies qu'elles


vendaient aux marchands; j'en achetai quelques-unes pour mon
déjeuner. Il était près de midi, lorsque nous nous éloignàmes de
la rivière. La campagne en général est très découverte; j'aperçus
quelques Nauclea africana. Vers deux heures et demi du soir,
nous fîmes halte à Douasso, village ombragé par une infinité de
baobabs et de bombax. Les environs sont unis et couverts de nédés.
Le 12, nous nous dirigeâmes au Nord. La campagne est généra-
lement très découverte; il Y a cependant quelques cés, nédés,
Rhamnus lotus et Nauclea. Nous fîmes rencontre d'une grande-
caravane chargée de sel, venant de Jenné; elle était composée
d'environ deux cents hommes, soixante femmes et vingt-cinq ânes.
Vers neuf heures du matin, nous fîmes halte à Sanasso. Ce village
est ombragé de hombax et de baobabs.
Le 15, nous fîmes halte à Niblakhasso. Les Mandingues étalèrent
leurs boutiques de colats et en vendirent beaucoup aux joyeux
Bambaras: je vendis aussi ceux que j'avais depuis Tangrera; ils
les achetèrent de préférence.
Le 16, nous fîmes quatre milles, sur un sol composé de sable et
de gravier, où il croît beaucoup de nédés et de cés, quelques mi-
mosas, figuiers sauvages, rf1amnus lotus et bombax. Nous rencon-
trâmes une caravane de marchands venant de Jenné : ils nous ap-
prirent que les noix de colats, à Jenné, n'avaient aucune valeur.
l\'ous arrivâmes à onze heures du matin à Ouattouro. Le marché
se tient à l'ombre des bombax; il est bien fourni en poisson sec,
mil, un peu de riz, et viande de boucherie.
Le 17, nous fîmes route au Nord. La caravane, intimidée par
les bruits anticipés de la guerre de Ségo (Ségou), se mit sur ses
gardes. Vers onze heures on s'arrêta à Saraclé. Il y a dans la
campagne quelques mimosas, beaucoup de cés et de nédés.

~ 111. Coton herbacé ou ann,uet Le 1H février nous fîmes


halte à Sanço. Il y a, aux environs de cc village, beaucoup de cul-
tures de coton d'une espèce que je n'ai jamais vue sur les bords
du Sénégal ni aux environs du Sierra-Leone; il est herbacé, et ne
croît qu'à cinq ou six pouces au-dessus du sol; il ne jette que très
peu de branches; la plante a le même port que le grand coton.
Parveml ù sa crue, il produit; mais sa laine est d'une qualité
hien inférieure; elle est très courte et pas d'lm beau blanc. Ils
ont aussi un cotonnier qui croît à quatre ou cinq pieds; il est
en petite quantité autour de leu rs habitations. Le coton nain est
cultivé dans des terrains éloignés des villages; il est très répandu:
ils le sèment à la volée parmi leurs champs de mil comme
dans le Ouassoulo : ce coton l'st annuel. Ils en vendent beaucoup
- 113-

aux femmes des caravanes qui continuellement passent dans leur


pays: ils en font aussi des toiles étroites, comme dans tout l'in-
térieur; car, à mesure que j'avançais vers les bords du Dhioliba,
j'apercevais un grand changement dans l'industrie des naturels.
Ici ils sont beaucoup mieux habillés; ils s'adonnent au commerce;
leurs marchés sont mieux approvisionnés, leurs cultures mieux
soignées. Tous les comestibles y sont très chers; souvent on a bien
de la peine à s'en procurer, ce qui vient de la grande quantité
d'étrangers qui passent, et qui font une forte consommation.
Dans cette partie du Bambara, ils n'ont pour nourriture que le
gros et le petit mil. Le riz n'y vient qu'en très petite quantité. Les
ignames, d'un si grand secours dans le Sud, sont dans cette partie
si petite et d'une qualité si inférieure, qu'on en cultive très peu :
dans les marchés, j'en voyais quelquefois une douzaine au plus;
elles étaient extrêmement chères (§ 105). Les voyageurs en achè-
tent, et les font griller sur des charbons, pour les manger le matin
de leur départ, ou en route lorsqu'ils se reposent. Les environs de
ce village sont boisés en cés et en nédés; on récolte beaucoup de
fruits des premiers, dont on extrait le corps gras, qui est vendu
ensuite à Jenné, ou aux caravanes qui passent. La plus grande
partie des habitants ne brûlent que le chaume de mil; le bois est
si rare, que ceux qui en ont vont le vendre au marché.

~ 112. Les pistaches bouillies. ~ous avons dit antérieurement


(§ 47) que R. CAILLIÉ avait confonrlu l'arachide et le voandzou sous le
nom de pistache. :'\ous pouvons supposer que lorsqu'il était question de
« pistaches grillées» et de «sauces à la pistache », il s'agissait plus
probablement de l'arachide. Mais ici, en plein pays soudanais, la « pis-
tache bouillie '> est plus vraisemblablement le Voandzou.
C'est sur cette confusion des premiers voyageurs que certains auteurs
se sont basés pour croire à lïndigénat africain de l'arachide. Bien que
la discussion soit définitivement close sur ce point, il eut été intéressant
de savoir si, à l'époque de R. CAILLIÉ, l'arachide était aussi répandue
qu'elle l'est aujourd'hui dans la région du karité ct de la culture tradi-
tionnelle du Voandzou.
Le 21 février nous fîmes route vers le Nord-Est. La campagne est
bien cultivée en mil. Je vis quelques Rhamnus lutus. Nous arri-
vâmes à dix heures du matin à Coloni, joli petit village situé dans
llne grande et belle plaine fertile et bien cultivée: il est entouré
d'une infinité de gros bombax. A mon arrivée, j'allai m'asseoir par
terre, à l'ombre d'un arbre où il y avait quelques marchandes;
j'achetai des pistaches bouillies pour mon déjeuner, et j'y joignis
quelques galettes.
Le 27 février, nous nOllS mîmes en route au Nord - Nord-Est; le
sol est couvert de petit gravier; les cés et les nédés comnwncent
114

à n'être plus aussi communs; il Y croît quelques bombax et mi-


mosas. Il était près de onze heures, lorsque nous fîmes halte à
Nenesso, village dont les environs sont bien cultivés en mil, coton,
etc. : il y a aussi quelques baobabs.

§ 113. Irrigation du tabac. Le 28, nous fîmes halte à Nomou,


situé dans une belle et grande plaine, où l'on aperçoit beaucoup
de belles cultures de coton, ainsi que de beau tabac dont les feuilles
sont très longues et se terminent en pointe; il ne manque aux
habitants que la manière de le bien préparer pour qu'il soit aussi
bon que le nôtre. Il donnent à cette culture des soins particuliers:
ils sèment la graine sur couche; et lorsque la plante a acquis un\'
croissance convenable, ils préparent leur terre, en lui donnant
deux labours, la divisent en petits carrés, et y transplantent les
pieds de tabac à dix-huit pouces les uns des autres. Ils ont soin
de les arroser deux fois par jour; ils creusent, pour cet effet, des
puits près de leurs plantations. Ils ne récoltent les feuilles de ta-
bac que lorsque la plante est en graine, car ils ne connaissent pas
l'usage de l'étêter. Ils font de cette substance une grande consom-
mation; ils en prennent en poudre, fument beaucoup; c'est la
seule distraction des vieillards: ils ont des pipes aussi grandes
et de même forme que celles des peuples du Ouassoulo; pour le
prendre par le nez, ils se servent d'un petit pinceau.

§ 114. Le dokhnou. C'est surtout au cours de son voyage transsaha-


rien que R. CAILLIÉ cite le dokhnou. C'est une buvée que l'on prépare
en délayant un mélange de farine ct de miel dans de l'eaU. Ces buvées
sc font aussi avec des fécules naturellement sucrées comme celles que
fournissent les fruits du Néré (§ 44) ct (lu Baobab. Ccs breuvages ont
l'avantage dl' ne pas exiger de cuisson. Ils sont le premier réconfort
de celui qui observe le jeûne du Ramadan (§ 124) ct du nomade assoiffe"
(§ 126-145); ils aident encore à rendre moins détestables les eaux sau-
mfltres de la région désertique.
Le 29 février, nous marchâmes pendant quatre milles sur le
même sol que la veille, toujours aussi découvert. Nous fîmes halte
à Tamero. Le village est composé, comme tous les autres, de plu-
sieurs enclos murés, il est ombragé par une infinité de baobabs.
On recueille avec soin le fruit et les feuilles de cet arbre, dont les
habitants font un grand commerce. Le 1rr mars nous avions tra-
versé, un I;CU après le village, un grand marais inondé.. Après,
nous marchâmes sur du sable. Il y croît des tamariniers, des
soumps (Balanites, § 20) en quantité, des Rhamnus lotus (§ 78),
le cé, le nédé et quelques baobabs. Vers neuf heures nous fîmes
halte à Syenco; les habitants étaient occupés à serrer les fruits du
baobab. Ils en cassent la coque avec un gros morceau de bois,
- 115-

retirent la pulpe qu'ils font bien sécher au soleil, puis la pilent lé-
gèrement pour en extraire la fécule, qui est très estimée dans le
pays; ils en mettent dans leurs sauces, et s'en servent à la place
du miel, pour préparer leur dokhnou ou provision de campagne.

§ 115. Le Dâ (Hibiscus cannabinus L.). On fait dans ce vil-


lage beaucoup de cordes avec le chanvre (hibiscus cannabinus)
découvert à Gambie par un français du nom de BAUDRY, et qui
s'emploie au même usage dans le Sénégal. Ici on ne se sert pas de
métier pour fabriquer ces cordes; on les tord à la main; aussi ne
sont-elles pas fortes; ce qui peut venir encore de ce que le chanvre
n'a pas été mis à l'eau avant d'être employé, et qu'il est récolté
trop sec. J'achetai deux de ces cordes, qui pouvaient avoir trois
brasses de long et un pouce de grosseur; je les payai quinze cauris
pièce, valeur de six liards.
Kirina, joli village environné d'une infinité de bombax et de
baobabs peut contenir cinq ou six cents habitants: la majeure
partie sont cordiers; ils vendent leurs cordes aux caravanes
qui passent dans le pays; ils en portent aussi à Jenné; on s'en
sert pour la construction des pirogues qui font le voyage de Tom-
bouctou. Quelques-unes de ces cordes étaient faites de chanvre;
mais la plus grande partie était en écorce d'arbre et en feuilles de
ronnier.
Il ne manque point, en effet, d'écorces d'arbres et de lianes ainsi
employées, soit à l'état brut soit plus ou moins préparées. Il est sur-
prenant que R. CAILLIÉ ne cite pas spécialement le baobab, car les
arbres qui sont ainsi écorcés de la façon dont le sont les chênes-liège,
sont tout à fait reconnaissables.
Victor BAUDRY, dont parle R. CAILLIÉ, était un Français établi en
Gambie, alors possession anglaise, où il avait amélioré la production
du Dâ ct surtout la préparation de ses fibres qui ont à peu près les
qualités du jute. ROGER, alors gouverneur du Sénégal, avait essayé de
l'attirer à Saint-Louis pour lui faire organiser la culture du dâ dans le
Ouallo.

§ 116. Le pain de lotus. C'est ce nom de pain qui est fâcheux; car
il ne s'agit pas d'une denrée panifiée, servant d'aliment de base et dont
de grandes quantités seraient nécessaires, mais d'une pâte de fruit, que
l'on peut effectivement conserver et transporter et dont on use parci-
monieusement pour tromper la fatigue et la faim. Ici, dans cette partie
de l'Afrique, ce n'est pas le Zizyphus lotus qui est l'espèce productrice
mais le Zizypltus mauritiana Lamk.

A. CHEVALIER. - Les Jujubiers ou ZiZI/ph us de l'Ancien l\londe ct l'utili-


sation de leurs fruits. Reu. Bot. Appl. 1947 : 470-483.
- 116-

Le 2 mars nous fîmes halte à Somou, village situé dans une


plaine très découverte et bien cultivée. En visitant le marché j'a-
chetai de petits pains de lotus, qui me parurent avoir un fort bon
goût; ils ressemblaient par la couleur au pain d'épice, mais étaient
un peu acide: on les fait avec les fruits du rlwmnus lotus, dont
parle Mungo-Park. A Médina, le marché est petit, mais assez four-
ni. Il y avait à ce marché beaucoup de pain de lotus, pain qui a un
goût un peu sucré et acide, ce qui provient du fruit, qui n'est ja-
mais récolté en maturité: il est très commun dans cette partie
du Soudan, les habitants vont en wndre à Jenné, d'où on le trans-
porte à Tombouctou.
Le 3 mars, il pouvait être midi lorsque nous arrivâmes bien fa-
tigués à Kinina, village contenant environ deux cents habitants,
et qui est entouré d'une infinité de ronniers. Le 5, nous fîmes halte
à Foudouca, autre village ombragé par quelques nédés et baobabs.
Les vivres y sont très chers. Le 6, au lever du soleil, nous nous
mîmes en route. Le sol est toujours le même, mais la campagne
plus découverte que les jours précédents. Je remarquai beaucoup
de champs de mil, qui avaient été cultivés dans la saison des
pluies: une partie du chaume restait encore sur le sol. Le 8, nous
traversâmes, dans sa partie la plus étroite un marais qui là était
à sec, mais inondé du côté du Nord. Les endroits un peu élevés de
ce marais sont cultivés en riz; les négres y font des chaussées
pour maîtriser l'inondation. Apr~s l'avoir traversé, nous fîmes
encore cinq milles au Nord - Nord-Est; le sol est composé de sable
dur, et couvert de rhamnus lotus, de mimosas, de cés et de nédés.
Nous fîmes halte à Manianan. Il croît aux environs du village beau-
coup de ronniers.

§ 117. Nymphaea. Le 10, nous traversâmes un marais inondé,


où nous avions de l'eau jusqu'à la ceinture; je remarquai le nym-
phaea bleu (N. rufescens?) et le blanc (N. lotus?). Les naturels
récoltent la graine de cette plante, qu'ils emploient à leur nourri-
ture, ainsi que sa racine (§ 32).
Vers onze heures du matin, nous arrivâmes bien fatigués à Ga-
lia (ou Cougalia), situé sur le bord du Dhioloba; il y a beaucoup
de ronniers, et, sur le bord du fleuve, deux gros tamariniers, qui
font diversion à l'uniformité de la campagne.

~ 118. Arrivée à Djenné. R. CAILLIÉ, ayant traversé le Niger (Dhio-


liba) à Kouroussa, ne pouvait, certes, le retrouver que par sa rive droite.
En outre, par son large détour au Sud-Est, il avait eu à traverser plusieurs
rivières qu'il supposait être des af1luents directs du Niger. En fait elles
se rassemblent en un cours commun le Bani qui suit d'abord parallèle-
ment le Niger, avant de se confonllre avec lui en aval de Djenné. C'est
Fig. 15. --- Le coton (Gossypium). Un rameau de cotonnier portant: une
capsule développée, une fleur épanouie ct un bouton floral, entre ces deux
derniers une graine dont les fibres sont étalées; à gauche une capsule
mûre libérant le coton; en bas scène villageoise de filage à gauche, et de
tissage, à droite ( § 111).
- 118-
donc exactement le Bani ct non le Niger que R. CAILLIE eut à lraverser
pour atteindre Djenné. Comme Mungo PARK avait rapporté antérieure-
ITlcnt que cette ville élait située sur la rive droite, l'observation de
H. CAILLIÉ eut porté le comble à la perplexité des géographes s'il n'avait
apcl'çu le Nigcr proprement dit, assez à l'Ouesl du haut d'une terrasse.
Sa conclusion fut, qu'en ccl endroit, le Niger se divisail en plusieurs
branches et que Djenné occupait une des îles. Cette opinion était d'au-
tant plus plausible qu'il existe effectivement plusieurs anastomoses qui
préc&dent la confluence principale.
Le Il mars au matin nous traversâmes le fleuve dans de frêles
pirogues de trente pieds de long environ, mais très étroites; elles
étaient faites d'un seul tronc d'arbre (bombax), mais de la plus
grande incommodité (§ 45).

§ 119. La sensitive rugueuse (Mimosa asperata L.) Il était midi


Lorsque nous eûmes passé sur la rive gauche. II faisait une chaleur
très forte : je me promenai un peu sur cette rive, où je vis beau-
coup de mimosas, la même espèce qui croît dans l'eau sur les bords
du Sénégal et en grande quantité dans l'intérieur; toutefois, dans
les terres inondées, il ne vient pas à plus de cinq pieds d'élévation.
Il est épineux, les branches en sont très minces et la gousse en
est veloutée; l'attouchement fait contracter ses feuilles.
Nous quittâmes les bords du Dhioliba, et nous fîmes six milles
à l'Ouest-Nord Ouest. Nous traversâmes un marais à sec, sans
trouver un seul arbre pour nous mettre à l'ombre. Lors de l'inon-
dation, ce marais ~cultivé en riz. J'examinai plusieurs esclaves
occupés à y labourer; ils se servent de grandes pioches, comme
dans le Ouassoulo.
SÉJOUR A D.IEI\' 1\' 1\. Dans cette importante ville soudanaise R. CAILLIÉ
fut bien accueilli par les notables religieux.

§ 120. Le gombo pectoral. Le HAGGI-MoHAMMED vint s'informer


de ma santé. Comme j'étais très enrhumé, il fit acheter du gombo
sec, sur le désir que j'en témoignai; il le fit bouillir et ajouta
beaucoup de miel: c'était un très bon remède pour ce rhume que
j'avais depuis un mois, ct qui m'était tombé sur la poitrine; j'avais
une extinction de voix, ce qui me fatiguait beaucoup, étant obligé
de répond re à une foule de questions.

§ 121. Le marché à Djenné. J'allai me promener au marché


pour l'examiner: je fus étonné de la grande quantité de monde
que j'y trouvai; il Y a un concours continuel d'étrangers, et
d'habitants des villages environnants, qui viennent vendre leurs
denrées. acheter du sel et d'autres marchandises. On voit dans les
rues une infinité de marchands portant leurs marchandises. et les
- 119-

criant comme on fait en Europe: ce sont des étoffes du pays, des


effets confectionnés, noix de colats, miel, beurre végétal et animal,
lait, bois à brûler. Ce dernier article est ici très rare. Le chaume
de mil se vend aussi au marché. Les Maures établis à Djenné n'éta-
lent jamais de boutiques, ce sont des négociants, qui ont des per-
sonnes affidées, ou même des esclaves, qui vendent en détail pour
leur compte. Les nègres de Jenné sont aussi négociants; mais leur
commerce est moins considérable: ils trafiquent peu en objets
de grande valeur, mais beaucoup en zambalas, tamarins, piment,
poivre long, feuilles et fruits du baobab, gombos, feuilles et fruits
de l'oseille de Guinée, pistaches, haricots, et une foule de menus
articles.

§ 122. Légu.mes de la zone tempérée. A cette époque, par l'in-


termédiaire de Tombouctou, l'influence moghrebine était trés sensible
jusqu'à Djenné. L'information de R. CAILLIÉ, relative à la culture des
légumes, est intéressante, car elle montre que ces plantes ne s'accli-
matent pas et que l'on doit se réapprovisionner de semences chaque
année.
La ville est ombragée de quelques baobabs, mimosas, dattiers et
ronniers; j'ai remarqué une autre espèce d'arbre dont je ne connais
pas le nom. Les environs sont marécageux, et entièrement dénués
d'arbres. On aperçoit cependant, à des distances très éloignées, sur
de petites élévations, des bouquets de ronniers. Les plaines sont
labourées un peu avant les pluies, et toutes ensemencées en riz,
qui croît avec les eaux du fleuve; les esclaves sont chargés de la
culture; sur les bords du fleuve ils récoltent un peu de gombo, de
tabac, et des giraumons: on m'a dit que, dans la saison des pluies,
ils recueillent aussi le chou, la carotte, le navet d'Europe; les
graines de ces légumes leur viennent de Tafilet. Ils coupent dans
les marais une espèce de fourrage qu'ils font sécher pour nourrir
leurs bestiaux (borgou, § 129).

§ 123. La mévente des colas. Les marchands de colats se


tiennent à une extrémité du marché, placés sur deux rangs, ayant
devant eux chacun un petit panier de colats qu'ils vendent au
détail, à huit ou dix cauris pièce; la modicité de ce prix provenait
de la grande quantité de ces fruits qui se trouvaient dans le pays;
mais ils valent ordinairement de quinze à vingt cauris.
Les malheureux marchands mandingues, après avoir fait deux
mois de marche avec une charge de colats sur la tête, sont obligés
de les promener dans les rues pour les vendre; ils ont beaucoup de
peine à s'en défaire, car ce n'est qu'une marchandise de luxe: à
la vérité, on en consomme beaucoup dans les environs de Jenné,
sur les bords du fleuve jusqu'à Tombouctou; mais la quantité que
-- 120 -

les marchands l'Il apportent du Sud est immense; aussi sont-ils


obligés de les donner il huit ou dix cauris pièce. Certes, à cc prix,
ils n'y gagnent pas: comme je l'ai dit, les dépenses qu'ils sont
obligés de [ai re en route, le temps qu'ils restent à Jenné, le passage
des rivières, les droits de passe dans tous les villages, ct les cadeaux
exigés, absorbent tous leurs bénéfices. Les cauris provenant de la
vente des colats, sont destinés à l'achat du sel; car, avec cette sorte
de marchandise, ils ne pourraient pas en acheter.

§ 124. Le lalo. Depuis son premier voyage à travers le Ferlo (§ 2b),


R. CAILLIÉ a souvent cité l'utilisation des fruits ct feuilles de Baobab. Cc
n'est cependant qu'à Djenné, à l'occasion d'uu couscous un peu sec,
qu'i! donne le nom de « lalo» sous lequel on désigne, dans une grande
partie du Soudan occidental, la feuille de baobab réduite en poudre,
mais aussi les autres produits remplissant de semblables fonctions dans
les sauces; c'est-à-dire donnant de l'onctuosité ct apportant des éléments
minéraux. Les auteurs se sont souvent étonnés de la richesse en calcium
des feuilles du baobab qui, le plus souvent, pousse sur des sols dépourvus
de cet élément. C'est que l'arhre, ct le baobab ne doit pas être tellement
exceptionnel à ce point de vue, explore, p~ll' son systi'me racinaire, un
volume considérable de terre <l'où il extrait des éléments à l'état de
traces pour les concentrer dans ses tissus soit, pour le cas du calcium,
dans ses feuilles.
Mon guide et moi nous allâmes avec notre hôte rl'ndre visite
aux Maures ... Ils vinrent nous inviter à entrer, et uous donnèrent
à chacun une moitié de colats; puis ils nous montrèrent une cale-
basse de couscous à la viande, que ces messieurs avaient eu la
complaisance de mettre de côté pour nous; l'absence de lalo, feuille
de baobab pilée que l'on met dans le couscous, le rendait détestable.

§ 125. Jeûne du ramadan. Ce jeÎlne 111e fut bien moins pénible


que celui que j'avais supporté en ]824, car alors je n'avais d'autre
abri qu'une tente, au lieu qu'ici j'étais dans une maison de la plus
grande fraîcheur et oil le soleil ne pénétrait jamais: aussi n'éprou-
vais-je pas une soif très pressante. Au coucher du soleil, on
m'apporta un breuvage de tamarin, puis un second fait avec du
miel et du lait aigre égouttés et séchés au soleil, espèce de fromage
très dur, que les Maures, qui l'aiment beaucoup, apportent dans le
pays: on le met cn poudre pour le mêler dans la boisson. Les jours
suivants, on y ajouta une bouillie de farine très claire, mêlée
avec un peu de tamarin, pour me faire attendre plus patiemment
le souper. Au coucher du soleil, OllLAD-MARMOU me donna une
poignée de dattes et un très beau melon d'cau que je trouvai déli-
cieux, et il continua à m'en donner un tous les soirs jusqu'au
moment de mon départ.
Sur le N ig,er.

De Djenné à Tomboudou.

C'est encore sur le Bani que R. CAILLIÉ fit ses premiers milles de
navigation. Et ce n'est qu'au village d'Isaca, le Mopti actuel, qu'il passa
sur le Niger:
Ce bras, qui vient de l'Ouest est très large et paraît navigable
pour de grandes embarcations.
Sur ce parcours fluvial, et aux approches du désert, il ne put faire
beaucoup d'observations sur la végétation, les cultures ct l'alimentation
végétale.

§ 126. ProvÎ8Ï.ons de route. Le 23 au matin (le chérif) prépara


devant moi une bonne quantité de farine de mil, dans laquelle il
mit beaucoup de miel; cette préparation était destinée à être mise
dans l'eau que je devais boire; elle me fit beaucoup de plaisir dans
le trajet. Le jeune Maure me donna une bonne provision de pain
de froment séché au four; il m'enseigna aussi la manière de le
manger: ils le font tremper dans un peu d'eau, et y mêlent beau-
coup de beurre et de miel. Enfin, vers neuf heures, nous quittâmes
le port.

§ 127. Le ronler (Borassus aetlIiopllm). Depuis la reglOn de Ten-


gréla (§ 95) R. C'ILLlÉ a fréquemment noté l'existence du rônier. Cet
imposant palmier forme assez souvent des peuplements dans les ter-
rains frais de la zone soudanaise. Le tronc entre dans la construction
des maisons à terrasse; et les larges feuilles en éventail servent en spar-
terie. On peut en extraire un excellent vin de palme et les différentes
parties du fruit, la pulpe en particulier, sont comestibles. Le jeune
Michel ADANSON, envoyant des graines en France, recommande aux
DE JUSSIEU ct à ses parents (j'y goûter: « Vous trouverez deux fruits d'un
Palmier que l'on nomme ici Rondier... Vous pourrez goûter de ce fruit

JOURNAL D'AGRICULTURE TROPICALE ET DE nOTANIQVE APPLIQUÉE, NO 12, DÉCEMBRE 1963


- 122-

s'il vous alTive hien, comme je l'espère. Si vous voulez bien en faire
goûteI' à mon cher Pl're ct à ma chère Mère par curiosité vous me ferez
plaisir »,
De tous côtés s'offrent des plaines immenses dont l'uniformité
n'est rompue que par quelques ronniers qui s'élèvent majestueu-
sement à plus quatre-vingts pieds dans les airs, et servent de
bornes à l'horizon. Les habitants de Jenné sont très industrieux:
on s'y sert, pour emballer les marchandises, de nattes faites en
feuilles de ronnier; cc sont les habitants des villages voisins qui
les fabriquent ct les apportent au marché.

~ 128. Transit à Couna. Les marchandises venues de Djenné sur


une petite pirogue, sont transbordées sur une plus granùe embarcation:
Le village est situé su r une petite élévation; il est ombragé par
quelques ronniers et un mimosa, qui procurent peu d'ombrage·
J'allai visiter le marché, que je trouvai assez mal fourni, sans doute
parce que nous étions dans le ramadan. La campagne dans tous les
environs est très unie; elle n'offre pas un seul petit arbuste; cc
sont des marais immenses inondés lors de la crue des eaux. Je fis
rencontre, dans ce village, d'un marchand maure; je l'engageai à
venir à bord de notre embarcation, pou r sc rafraîchir d'un peu de
dokhnou et d'cau. Le dokhnou est, comme je l'ai dit plus haut
(§ 114), un mélange de farine de mil et de miel que l'on délaie
pour ensuite le boire.
Le 30 mars, vers neuf heures du matin, le vent Nord-Est soufflait
avec violence, ct nous obligea de faire halte devant le village de
Sançan : le flpuve est toujours aussi large, mais les rives sont gar-
nies de quelques mimosas, qui réjouissent la vue fatiguée par l'ab-
sence si longue de toute végétation.
Le 3 avril, vers une heure du soir, nous fîmes halte dans un en-
droit où il y avait quelques buissons, pour y faire du bois à brûler.
Je descendis à terre avec les esclaves; la campagne, sujette aux
inondations, est couverte de quelque végétation, de mimosas de
12 pieds d'élévation ct de naucléas.
Le 6 avril, nous passftmes devant Garfola. Les environs de ce
village sont un peu élevés; quelques baobabs, bombax, tamariniers,
soumps, mimosas et naucléas, ornent ses environs.
§ 129. Le sirop de Borgou (Echinochloa sta[]nina P. Beauv.) R.
CAILLI~: est probablement le premier qui ait donné une relation écrite de
cette technique d'extraction du sucre à partir des tiges de cette grami-
née, le 'koundou des som'aï, que BARTH devait aussi observer vingt ans
plus tard et que A. CHEVALIER devait enfin décrire plus longuement en
1900. R. CAILLIÉ n'a été informé que de la fabrication du sirop consom-
mé immédiatement en boisson, mais on peut aussi en faire du sucre:
« si l'on concentre par la chaleur le Koundou-lzari, on obtient un sucre
Fig. 16. - Les bOI'!IOulit'-I'es du Ni!le/'. Panicule de Borgou (Ecllinoc1l1oa stag-
nina) à gauche, et peuplements palustres sur les hauts fonds du Niger en
crue (§ 129); à droite, rameaux, feuilles et gousses de Mimosa asperata.
buisson des berges du Niger (§ 119).
- 12-1 -

brun, un peu mou, nommé Katoll qui se vend sur le marché, découpé en
petits cubes comme le nougat. Les enfants som'aïs en sont friands, mais
il est surtout utilisé à Tombouctou ))OUl' fabriquer des pâtisseries ct en
particulier les Alouala, sortes de berlingots» (A. CHEVALIER).
Je vis, dans les marais environnants, beaucoup de nègres oc-
cupés à récolter une grande herbe qui ne croît que dans les lieux
marécageux; ils nomment cette plante kondou; ils la font sécher
au soleil, puis la passent légèrement à la flamme pour brûler les
feuilles; ils ne réservent que les tiges; ils en font de gros paquets
qu'ils emportent sur leur tête jusque dans leurs habitations; je
vis aussi plusieurs ânes qui en étaient chargés. Je demandai à
mes compagnons quel usage on faisait de cette herbe: ils me
dirent qu'étant bien luvée par les femmes, et séchée, on la réduit
en poudre aussi fine que possible; ainsi réduite, on la met dans
un grand vase en terre fait exprès, avec de petits trous au fond;
on jette par dessus de l'cau chaude: en filtrant, l'eau emporte tout
le suc de la plante; ce suc est très sucré; l'eau prend une couleur
violette un peu claire. Cette boisson est très estimée des naturels
qui la savourent avec plaisir; mais elle produit l'elfet d'un purgatif
pour les personnes qui n'y sont pas habituées, ct elle conserve
presque toujours un petit goût de fumée qui la rend désagréable
à boire. Les mahométans se permettent sans scrupule d'en faire
usage: les Maures en boivent aussi; mais ils la coupent toujours
avec du lait aigre. La tige du kondou est grosse comme un roseau,
longue de huit à dix pieds et rampante; les feuilles sont étroites et
longues de six à sept pouces; elles ont les bords dentelés en scie.
Les rives du Dhioliba en sont couvertes. Les Dirmans et quelques
Foulahs habitants de Tircy vinrent nous vendre de cette boisson,
du lait aigre, du beurre frais, du poisson sec, et des nattes; pour
une valeur de cinq cauris, on avait environ un verre de lait: je
crois que les vivres étaient rares dans ce village, car ils promenaient
leurs marchandises sur le rivage, et ne voulaient pour la plupart,
que du mil en paiement. Un vase quelconque, plein de mil, sc donne
pour deux fois le même vase rempli de lait; c'est le taux fixé dans
le pays.

§ 130. Borgoutières et tran$humance. Lorsque dans la zone sahé-


lienne les pâturages sont desséchés et les points d'eau taris, les trou-
peaux desrendent dans la vallée du Niger à l'époque où la décrue dé-
eouvre les peuplements de borgou. Les bergers doivent accoutumer pro-
gressivement le bétail à cette soudaine abondanee d'herbe et d'cau. C'est
en cette saison que R. CAILLIÉ descendait le fleuve et il put observer ces
troupeaux sur les rives.
Ces marais s'étendent à perte de vue, sont couverts de pâtu-
rages, et peuplés d'une infinité d'oiseaux aquatiques; de nombreux
- 125-

troupeaux de bœufs, de moutons, et quelques chevaux, inter-


rompent, par leurs cris divers, le silence de ces solitudes. Ces trou-
peaux appartiennent à des Foulahs pasteurs qui vinrent sur le bord
du rivage pour nous vendre du lait: ils ne voulaient en échange
que du tabac, marchandise que nous n'avions pas; en sorte que
nous fûmes privés de lait, car ils refusèrent nos cauris.
Lors du débordement du fleuve, tous les marais sont couverts
de huit à dix pieds d'eau, et même davantage, au-dessus des herbes;
alors cette immense plaine ne forme plus qu'un grand lac. Toutes
les peuplades de foulahs pasteurs qui ont leurs cases dans les 'en-
virons, sont obligées de se retirer dans l'intérieur des terres, où les
pâturages sont abondants pendant la saison des pluies.

§ 131. Haie de célane (EupllOrbia balsamifera Ait.) R. CAILLIÉ s'est


souvenu de cette Euphorbe crassulescente vue autrefois au Sénégal et a
pu lui appliquer le nom volof de «célane» ou «sâlan» : c'est l'Eu-
phorbe du Cayor.
Vers onze heures du matin, nous passâmes devant Salacona, vil-
lage de Foulahs nomades, situé sur la rive droite: ils ont construit
leurs cases sur des dunes de sable mouvant· Je visitai leurs petites
habitations. Sept à huit de ces cases sont entourées d'une petite
haie vive de la plante appelée cétane, euphorbiacée qui croît spon-
tanément dans les endroits sablonneux du Sénégal. Les cases que
j'ai vues étaient très propres et bien tenues.

§ 132. Nymphéas bleus. Le nénufar nymphaea caerutea (exac-


tement N. rufescens Guill. & Perrot.), croît en abondance dans les
immenses marais qui entourent Salacoïla : la plus grande partie
de ces plantes ont une jolie fleur bleue, simple; les habitants en
récoltent la graine, qu'ils font sécher, et qui leur est d'une très
grande ressource, car ils cultivent peu. Ils se procurent du grain
par les embarcations qui viennent de Jenné.

§ 133. Les Touariks pasteurs et pillards. Les Touariks sont


riches en bestiaux; ils ont de nombreux troupeaux de moutons,
bœufs et chèvres; le lait et la viande suffisent à leur nourriture.
Leurs esclaves recueillent la graine du nénufar, qui est très com-
mun dans tous les marais environnants; ils la font sécher et la
vannent: elle est si fine, qu'elle n'a pas besoin d'être pilée; ils la
font cuire avec leur poisson. Ces peuples nomades ne cultivent
point; leurs esclaves ne sont occupés qu'à soigner leurs troupeaux;
ils n'ont pour leur consommation d'autre grain que celui qu'ils
tirent des flotilles venant de Jenné à Tombouctou. Au moment de
la crue des eaux, les Touariks se retirent un peu dans l'intérieur,
12!i

où ils trouvent de bons pâturages; ils ont de nombreux troupeaux


de chameaux, dont le lait est une ressource toujours certaine.
§ 134. A Cabra, port de T.ombouctou. Le 19 avril nous pas-
sùmes auprès d'une grande île, en face de laquelle nous fîme~ halte
jusqu'à huit heures. Cette île est très plate et sablonneuse; j'y
aperçus cependant quelques mimosas, des balanites aegyptiaca et
d'::nrtres arbuste~ rahougris.
,"ers une heure de l'après-midi, nous arrinhues au port de Ca-
bra. Je n'aperçus autour de moi que des marais inondés et cou-
verts d'oiseaux aquatiques. De ces immenses marais, la vue se
porle sur le village de Cabra, situé sur une petite montagne qui le
préserve de l'inondation: on m'assura que, dans la saison des
pluies, ces marais étaient couverts de dix pieds d'eau, ce qui me
parut uue hauteur énorme pour un espace aussi grand.
Il y a journellement à Cabra un marché approvisionné de toute
sorte de marchandises venant du Soudan. A l'Ouest du village, il
J a quelques balanites acgyptiaca, ct de petits jardins de tabac,
plante qui y réussit assez mal, ct parvient à peine à la hau-
teur de six à sept pouces. Du côté de l'Est, il y a quelques dattiers
qlle l'on aperçoit de très loin sur la route. L'inondation continuelle
des marais qui avoisinent le village de Cabra, ne permet pas aux
habitants de cultiver le riz; le sol sablonneux dont ils sont entou-
rés dans la partie du Nord, s'oppose à la culture du mil; il est
d'une trop grande aridité.
~ la:>. Pain de froment. ,J'allai me prollwner dans l'intérieur
de la ville pour la visiter. Je vis beaucoup de marchandes, ct j'ache-
tai à l'une d'elles un peu de lait et un pain de farine de froment,
qui me cOÎlta vingt cauris; je fis avec cela un assez bon déjefmer,
car je n'avais rien pris de tout le jour.
Le 20 :l\Til, nous nous mîmes en route pour Tombouctou. Près
de CaLra, nous trouvâ'mes deux grandes mares, dont les bords sont
couverts de (Juelques mimosas de cinq à six pieds de hauteur: à
une certaine distance, on retrouve avec plaisir quelques traces de
végétation. La moitié du chemin offre le même aspect; l'au tre par-
tie de la l'OU te est plus découverte et le sable plus mouvant, ce qui
rend la marche très pénible.
TOMBoccTou. Cette ville mystérieuse, qui, depuis des siècles, oc-
cupait les savants, et sur la population de laquelle on se formait
des idées si exagérées, est située dans une immense plaine de sable
blanc et mouvant, sur lequel il ne croît que de frêles arbrisseaux
rabougris, tels le Mimosa ferruginea, qui ne vient qu'à la hauteur
de trois ou quatre pieds (§ 141).
- 127 -

Fig. 17. .-Le palmier Douill (Hyphacnc thebaïca. § 136 hl, figure cxtraite et
a~randie de la eélè·IJle gravure (1'1. 6 de l'atlas) du .Journal, montrant Ic
pied de palmicr Doum au eentrc d'un quartier de Tombouctou.
- 128-

J'étais surpris du peu d'activité, je dirais même de l'inertie qui


régnait dans la ville. Quelques marchands de noix de colats criaient
leur marchandise comme à Jenné.
Tombouctou, quoique l'une des plus grandes villes que j'aie
vues en Afrique, n'a d'autres ressources que son commerce de sel,
son sol n'étant aucunement propre à la culture. C'est de Jenné
qu'elle tire tout ce qui est nécessaire à son approvisionnement, le
mil, le riz, le beurre végétal, le miel, le coton, les étoffes du Soudan,
les effets confectionnés, les bougies, le savon, le piment, les oignons,
le poisson sec, les pistaches, etc...

§ 136. La flore de Tombouctou. En plus de quelques misérables


cultures de tabac et de quelques graminées anonymes, R. CAILLIÉ cite
quatre espèces dans la ville de Tombouctou: le Balanites, le Ricin, le
Saluadora, et le palmier Doum. Il est intéressant de remarquer qu'il a
représenté deux de ces plantes sur l'esquisse mémorable qu'il a faite de
Tombouctou. Sans doute le Balanites est-il simplement figuratif, encore
qu'un examen minutieux montre que l'on a tenté d'y inscrire le carac-
tère de l'espèce par les feuilles souvent réunies par paires. Mais le Doum,
lui, est parfaitement représenté et reconnaissable au centre de la gravure
(voir Fig. 17).
(La ville) n'est fermée par aucune clôture; on peut y entrer de
tous côtés. On remarque dans son enceinte et autour quelques bala-
nites aegyptiaca. Au milieu de la ville, on voit une espèce de place
entourée de cases rondes; on y trouve quelques palma christi et
un palmier doum le seul que j'aie vu dans le pays.
Une troisième mosquée, un peu remarquable, se trouve à peu
près au centre de la ville. Une cour très grande se trouve dans la
partie de l'Est: il y a au milieu un balanites aegyptiaca qui en
fait l'ornement. DErrière la mosquée, à l'Ouest, il croît quelques
pieds de saluadora (§ 142).
a) Le Ricin (Ricinus communis 1..) R. CAILLIÉ a aisément identifié
le Ricin qu'il devait connaître du Sénégal. Mais il le désigne par le
terme de «Palma-Christi» lequel, dit DE CANDOLLE, est un dr~ nom-
breux noms absurdes donnés à cette plante. Sa patrie exacte dans)'An-
cien Monde est incertaine; mais il est subspontané, dans les oasis, vil-
lages, bords de routes, ouadi, etc... de l'Afrique tropicale et subtropi-
cale de l'hémisphère Nord.
b) Le Pal.mier~oum (Hyphaene thebaica MarL). Ce palmier, ty-
pique de la zone sahélienne et remarquable par sa faculté de se ramifier,
rend par ailleurs les plus grands services aux populations de ces régions.
Le fruit donne une farine sucrée et l'albumen corné fournit un ivoire
végétal; le tronc sert à plafonner les terrasses; les feuilles sont utilisées
en sparterie, corderie, etc... R. CAILLIÉ ne le mentionne qu'une fois et
encore dans la ville de Tombouctou. Cela tient probablement à ce que le
trajet sahélien, Djenné-Tombouctou, ayant été fait en pirogue, le voya-
geur ne pouvait gm\re voir que la zone d'inondation. Toutefois, lorsqu'il
- 129-
parle de certains usages dcs feuilles et troncs de « ronniers» (Borassus)
il est probable qu'il s'agissait aussi parfois du Doum.

§ 137. Matériau de construction et combustible. Le toit de la


mosquée est en terrasse. Des troncs de ronnier fendus en quatre
soutiennent le toit de l'édifice; ces poutres sont à un pied de dis-
tance les unes des autres: des morceaux de bois de salvadora,
qu'on apporte de Cabra, où ce Yégétal croît en quantité, coupés à
la longueur de la distance des poutres, sont posés obliquement à
double rang et en croix; des nattes de feuilles de ronnier sont
placées dessus et recouvertes de terre.
Le bois à brûler est d'une grande rareté aux environs; on va
très près de Cabra pour s'en procurer; on en fait un objet de com-
merce, et les femmes le vendent au marché. Les riches seules en
brûlent; les pauvres font usage de fiente de chameau.

§ 138. Fourrages. Comme les environs de Tombouctou sont


tous dépourvus de pâturages (puisque les chameaux y trouvent à
peine de quoi paître), on tire de Cabra beaucoup de fourrage, que
les habitants de ce village récoltent dans les marais, et qu'ils font
sécher pour le vendre aux personnes de la ville qui ont des bestiaux
à nourrir, tels que chevaux, bœufs, moutons ou cabris; ce fourrage
est serré sur le toit des maisons. Tombouctou et ses environs offrent
l'aspect le plus monotone, le plus aride que j'aie jamais vu : cepen-
dant j'aperçus à peu de distance hors de la ville, un troupeau de
chameaux dispersés dans la campagne, paissant çà et là quelques
chardons desséchés par le vent brûlant de l'Est, et de jeunes
branches de mimosa ferruginea (exactement Acacia raddiana Savi,
voir § 141), dont les longues épines, ressemblant à celles de l'aubé-
pine, n'empêchaient pas ces animaux de les dévorer. On me dit
qu'ils appartenaient aux Maures qui font les voyages à travers
le grand désert.

§ 139. Culture du tabac. 11 y a quelques petits champs de


tabac: cette plante ne croît qu'à la hauteur de cinq à six pouces, et
ne vient qu'à force d'être arrosée: c'est la seule culture que j'ai
vue dans le pays. Les nègres étaient occupés à le récolter; je re-
marquai qu'il était déjà en grains; ils font sécher les feuilles, et
les pilent au mortier. Ils le prennent ainsi en poudre, sans autre
préparation; ce n'est qu'une poussière verte qui n'a pas même l'o-
deur du tabac. On le vend au marché; mais les personnes riches ne
prennent que celui qui vient de rtlaroc, qui est de bien meilleure
qualité.
- 130-

La traversée du Sahara.
Cette partie du voyage fut la plus douloureuse pour R. CAILLIÉ. Car
si les conditions du désert étaient également impitoyables pour tous les
passagers de la caravane, il eut à souffrir en outre de l'hostilité ouverte
du chamelier aupn"s de l]ui le bienveillant Sl-ABD.\LL.\HI l'avait cepen-
dant recommandé au départ de Tombouctou.
Davantage que la pauvreté floristique du désert c'est de n'avoir pu
établir le contact avec ses compagnons, qui fît que les renseignements
botaniques furent médiocres sur cc trajet. Car si les plantes y sont rares,
n'ont-elles pas toutes une importance vitale pour la caravane? Ne sont-
elles pas toutes exactement connues ct nommées par n'importe quel cha-
melier? R. CAlLLI~:, là moins qu'ailleurs, ne pouvait interroger, ct les
conversations confiantes et instructives ne se produisirent pas. Et puis
l'agitation d'U11l' caravane nombreuse, la difficulté de s'isoler de jour cl
de nuit, compliquaient l'enregistrement de notes qu'il dut réduire à
l'essentiel.

§ 140. Le viatique de l'amitié. La caravane destinée pour el-


Araouan et dont je faisais partie, devait se mettre en route le 4 mai
au lever du soleil. Mon hôte fut debout de si bonne heu re qu'il eut
le temps, avant le départ, de m'emmener déjeûner chez lui, avec
du thé, du pain frais et du beurre. Enfin il n'épargna rien pour
rendre mon voyage supportable: je reçus encore de lui deux outres
en cuir pour garder ma provision d'eau pendant la route, du dokh-
nou, du pain de froment cuit au four comme notre biscuit, du
beurre animal fondu, et une bonne quantité de riz.
DÉPART DE TOMBOUCTOU LE 4 MAI 1828.
A huit heures du matin, nous faisions route au Nord, sur un sable
presque mouvant, très uni, et entièrement aride. Mais, à deux
milles de la ville, nous vîmes quelques arbustes semblables aux
génévriers, et des bouquets de Mimosa {erruginea, assez hauts,
donnant un peu de gomme de mauvaise qualité. Les habitants de
Tombouctou envoient des esclaves jusque là pour couper du bois
à brûler. La chaleur était accablante, et la marche des chameaux
fort lente, parce qu'ils broutaient, en cheminant, des chardons et
quelques herbes flétries éparses çà et là.
Les « arbustes semblables aux génévriers» sont probablement <les
Tamarix, comme R. G\ILLIÉ en observera ultérieurement en les désignant
correctement. Du moins on peut assurer que ce ne pouvait être, ni un
Juniperus, car cc genre n'existe pas au Sahara, ni le Cyprès de Du PREZ
qui est une espi'ce rarissime dont il ne subsiste que quelques individus
dans les rocs des hautes montagnes sahariennes.

§ 141. Le Talha. L'Acacia que R. CAILLIÉ rapportait à cette époque


au Mimosa {erruginea (Acacia (erruginea, espèce de l'Inde) est exacte-
ment l'A. raddiana Sad. Cependant, GUILLEMAIN et PERROTTET, dans La
Floral' Senegambiae Tentatem, p. 248, supposent qu'il s'agit de l'A. seyal,
Fig. 18. -- Drinn, Had et Talha. A droite, une toulTe de Drinn (.4ristil1a pun-
gens, § 144) et un épillet plumeux grossi; à gauche et à l'horizon le Talha
(.4cacia raddiana, § 141) et un glomérule de gousses; au premier plan des
toulTes de Had (Cornu/aca monacantha, § 147); au centre, puisage de l'eau:
l'outre est remontée par une corde que tire un chameau.
- 132-
remarquable par ses rameaux couleur de rouille: «C'est cette espèce
que R. CAILLIÉ a trouvée fréquemment dans son voyage à travers l'A-
frique, et qu'il a désignée, dans sa Relation, sous le nom de Mimosa fer-
ruginea» (voir § 23). Très remarquable par ses longues épines dro:tej,
il compte parmi les ressources les plus .sûres des chameaux au désert.
C'est en effet le plus saharien des Acacia, en ce sens qu'il existe du Sou-
dan jusqu'au pied de l'Atlas. Effectivement R. CAILLIÉ le citera tout le
long de cet itinéraire, dans les lieux privilégiés bien entendu, et souvent
réduit à de simples buissons.
Quant au chardon il s'agit de la même plante que R. CAILLIÉ désignera
plus loin sous le nom d'Hedysarum alhagi (Vol. III du Journal: p. 350,
note 1).
§ 142. Le Salvadora perllica L. Plante typique du Sahara méridio-
nal et particulièrement précieuse pour les troupeaux et les nomades.
Le 5 mai, on continua à marcher au Nord, sur un terrain sem-
blable à celui que nous avions trouvé la veille; seulement, de dis-
tance en distance, on apercevait de chétifs buissons tout rabougris,
et quelques pieds de salvadora que les chameaux dévoraient.
Le 6 mai, la caravane partit à trois heures du matin, et continua
à se diriger au Nord: même sol, même aridité, même uniformité
que les jours précédents.
A mesure que nous nous éloignions du Sud, nous trouvions des
contrées mille fois plus arides; nous n'apercevions même plus ces
chardons et ces salvadores, tristes consolations au milieu d'une
nature aussi affreuse.

§ 143. Balta diurnes; marcheB nocturnes. A onze heures du


matin, nous fîmes halte. La chaleur était insupportable: nous
nous assîmes auprès de quelques mimosas très rabougris, sur les-
quels nous étendîmes nos couvertures, car ces arbustes dépouillés
de feuilles n'offraient aucun ombrage. A l'abri de ces tentes, on
nous distribua une calebasse d'eau; selon notre habitude, nous y
jetâmes quelques poignées de dokhnou; enfin, pour nous débaras-
ser de tout soin, un esclave fut envoyé pour garder les chameaux
qui se délassaient en broutant quelques herbes desséchées.
Lorsque la nuit fut venue, nous fîmes notre souper ordinaire,
avec de l'eau, du pain, du beurre et du miel. Vers onze heures du
soir, nous nous mîmes en route, toujours pour le Nord, nous diri-
geant sur l'étoile polaire.
§ 144. Cordes el! natt,ell de Drinn (Aristida pungens Desf.). Cette
graminée est typique de la zone désertique ("'). Ses feuilles sont à limbe

("') A propos de la limite entre l'Afrique blanche ct l'Afrique noire, Bou


Haqq indique: «le 18" de latitude Nord représente à peu près la ligne de
séparation entre le pays sahélien ct le pays saharien: au Sud, pays du crarn-
crarn (Cenchrus biflorus); au Nord, pays du sbot ou drinn (A.ristida pungens),
Bull. Comité Et. llist. Scient ..4.0.F., 21, 1938.
- 133-

étroit et replié et sont ainsi cylindriques comme un jonc; elles sont en


outre très fibreuses et ont les qualités de l'alfa (Stipa tenacissima), mais
cette dernière plante n'existe pas au Sahara méridional.
Les planches de sel sont liées ensemble avec de mauvaises cordes
faites d'une herbe qui croît dans les environs de Tandaye : cette
herbe est déjà sèche quand on la cueille; pour l'employer, on la
mouille, puis on l'enterre pour la défendre du soleil et du vent
d'Est, qui la sécheraient trop promptement; quand elle est impré-
gnée d'humidité, on la retire et l'on tresse les cordes à la main; les
Maures les emploient à différents usages.
Le Il et les jours suivants, je visitai la ville d'el-Araouan. Les
toits sont en terrasse, mais les petits morceaux de bois qui entrent
dans la construction de ceux de Tombouctou, sont remplacés ici
par des couvertures faites avec les tiges d'un jonc très dur et pi-
quant qui croît dans les environs de la ville; de faibles chevrons
en bois de ronnier (plus probablement de palmier doum, § 136)
supportent ces tiges qui sont couvertes légèrement de sable.
Les Maures vont à la recherche de leurs chameaux tous les six
jours, pour les mener boire aux puits qui sont dans les environs
de la ville (El Araouan) et qui ont soixante pas ordinaires de pro-
fondeur; ils se servent d'un chameau pour tirer le seau, qui est en
cuir; il font usage d'une poulie et emploient une corde faite en
paille, qui ne subit d'autre préparation que celle d'être mouillée et
un peu battue avant de la tordre.

§ 145. DéJHlrt d'el ANJouan. Les caravanes réunies à el Araou-


an se disposaient à partir sous peu de jours; je voyais avec plaisir
arriver le moment heureux où je quitterais cet horrible pays. Mon
hôte, faisait préparer les provisions pour ma route. Ces provisions
consistaient en un sac de riz pesant environ cinquante livres, un
sac de dokhnou du même poids, et environ dix livres de beurre
fondu; elles étaient plus que suffisantes pour me nourrir pendant
deux mois.
Un Maure établi à el-Araouan, et avec lequel je m'entretenais
souvent, me fit cadeau d'une outre pour augmenter la provision
d'eau: il me prévint que je souffrirai beaucoup de la soif sur cette
route; qu'on y était sept à huit jours sans trouver de puits.
Nous partîmes d'el-Araouan le 19 mai 1828, à six heures du
matin. Après avoir fait six milles, nous arrivâmes à Mourat. On y
trouve des puits assez profonds et remplis d'eau saumâtre; on s'y
arrêta pour boire encore une fois à longs traits; car en quittant ces
lieux, on allait entrer dans une partie du désert où pendant huit
- 134-

jours on devait marcher sans trouver d'eau. Au milieu de ces vastes


solitudes les puits de Mourat, entourés de quatorze cents chameaux
et des quatre cents hommes de notre caravane, offraient le tableau
mouvant d'une ville populeuse; c'était un vacarme affreux d'hom-
mes et d'animaux.
Vers cinq heures et demie, nous fîmes halte; aussitôt on nous
donna à boire une grande calebasse d'eau, mêlée de dokhnou. Nous
n'avions rien mangé de la journée, et cependant nous ne sentions
aucun besoin de prendre de la nourriture: c'est que le dokhnou
est une substance très nourrissante, et que la soif ardente dont
nous étions dévorés nous ôtait l'appétit. On envoya un Maure gar-
der les chameaux, qui s'écartaient pour chercher çà et là quelques
brins d'herbe.
Le 20, à cinq heures du matin, nous fîmes route au Nord. Vers
dix heures nous fîmes halte. On nous donna à chacun une cale-
basse d'eau, que nous avalâmes d'un seul trait. Vers cinq heures,
on nous donna une calebasse de dokhnou; puis nous nous repo-
sâmes jusqu'à neuf heures du soir, que nous nous mîmes en route.
Nous marchâmes toute la nuit.
Le 21, à dix heures du matin, nous fîmes halte. On campa sous
des tentes; on nous distribua de l'eau tiède, qui cependant fut trou-
vée délicieuse. A quatre heures et demie, SlDl-ALY jeta quelques
poignées de dokhnou dans une grande calebasse, versa de l'eau
dessus, et mêla le tout avec ses mains. A cinq heures du soir, nous
fîmes route au Nord.
Le 22 mai, à neuf heures du matin, la caravane, épuisée par la
soif, fit halte.
L'Ex FER DU SEL. Tout au long de son voyage R. CAILLIÉ s'est plaint à
propos du sel. Soit qu'il en manquait dans les aliments et qu'il fallait
être affamé pour avaler des bouillies aussi fades; soit, au contraire, qu'i!
y en avait trop dans l'eau des puits sahariens et qu'il fallait y ajouter du
miel pour pouvoir la supporter; ses compagnons de route étaient (les
colporteurs qui transportaient cette denrée des pays où elle est en excès
dans ceux où elle manque: c'est toute l'histoire du sel pour cette région
de l'Afrique ("').
Curieux prohlème que celui du chlorure de sodium. Nos besoins sont-
ils couverts par nos aliments naturels et le supplément condimentaire
n'est-il qu'une recherche gustative, une manie humaine comme il en est
beaucoup d'autres, ou l'addition de sel est-elle réellement utile à notre
économie? Selon certains physiologistes c'est cette dernière opinion qui
prévaut: le chlorure de sodium normalement contenu dans nos aliments
ne suffit plus à combler les pertes dues à des transpirations intenses,
consécutives à un travail physique important ou à un climat sec ct chaud.
La révélation empirique de ces besoins a conduit l'homme à aller cher-
cher ce sel là où il s'est accumulé: dans les océans et les salines natu-
relles des déserts, actuels ou fossiles, où des fleuves viennent ou sont

('1') L. PALES. __ Problèmes des sels alimentaires en A.O.F. Dakar, 1950.


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Fig. 19. - L'enfe\' du sel (§ 146). Sous un soleil de feu et de l'eau saumâtre à
boire, des hommes arrachent au désert le sel qui ira, au prix de bien des
souffrances encore, porter la saveur de la mer aux peuples des forêts et
savanes de l'Afrique noire.
136

venus, s'évaporer. Dans d'autres circonstances il l'obtient en concentrant


les teneurs relativement élevées de certains végétaux en lessivant leurs
cendres obtenues par incinération; mais alors il s'agit le plus souvent
d'un sel de potasse. Bien que cette source végétale constitue un chapitre
important de l'ethnobotanique africaine (01') R. CAILLIÉ n'en fait pas état
et il signale seulement l'usage de cendres pour le tannage des cuirs (§ 22)
et la teinture à l'indigo (§ 87). Par contre il a constamment suivi les
routes du sel et il est passé à proximité de l'enfer de Taoudéni, en plein
Sahara, d'où sont arrachées les massives pierres de sel dont le commt>rcc
fait la fortune de Tombouctou.

§ 146. Les puilB de Télig et les mines de sel du Taoudéni.


Nous trouvâmes comblés par les sables ces puits tant désirés; les
Maures se mirent aussitôt à les déblayer, et l'on fit boire enfin les
pauvres chameaux, qui, sentant le voisinage de l'eau étaient in-
domptables. Lorsque l'eau fut potable, j'allai mettre ma tête entre
celles des chameaux, pour me désaltérer avec eux : un Maure me
donna à boire dans son seau de cuir, car on n'avait pas pris le
temps de déballer les calebasses dans lesquelles on buvait ordi-
nairement.
Tout le jour fut employé à faire boire les chameaux. L'eau étant
commune, on fit cuire un peu de riz, que nous mangeâmes avec du
beurre, c'était le premier repas que nous faisions depuis le 19 au
soir.
Le 27 mai, plusieurs personnes allèrent à Toudeyni, qui se
trouve selon les gens de la caravane, à moins d'une demi-journée
à l'Ouest des puits de Télig. C'est de cette petite ville que l'on tire
tous les sels qui s'importent de Tombouctou à Jenné, et de cette
ville dans le Soudan. Les mines de sel, m'a-t-on dit, y sont à trois
pieds et demi ou quatre pieds de profondeur au-dessous du sol, et
par couches. Ces mines font la richesse du pays: elles sont exploi-
tées par des esclaves nègres surveillés par des Maures, et qui n'ont,
pour se nourrir, que du riz et du mil apportés de Tombouctou, cuits
avec de la viande de chameau séchée au soleil. L'eau qu'ils boivent
filtre au-dessous des mines de sel; elle est extrêmement saumâtre:
pour la rendre potable, ils y mettent du dokhnou avec du miel; ils
corrigent aussi cette détestable boisson en y mélangeant une es-
pèce de fromage réduit en poudre et qui n'est autre chose que du
lait caillé séché aussi au soleil.
Vers trois heures du soir, après avoir rempli nos outres d'eau,
nous levâmes le camp, et nous fîmes route espérant trouver de
l'herbe pour les pauvres chameaux, qui sentaient davantage le be-

('1') R. PORTÈRES. ~ Les sels alimentaires. Cendres d'origine végétale et cata-


logue des plantes salifères. Dakar, 1950.
- 137-

soin de manger, depuis qu'ils avaient bu. Vers cinq heures du soir,
nous fîmes halte sur une veine de sable mouvant: nous y trouvâmes
quelques pieds d'herbe très éloignés les uns des autres; quoique
cette herbe fût très dure, ces animaux la broutèrent avec avidité:
ils n'avaient presque rien mangé depuis sept jours.

§ 147. Le chardon du désert: Agoul ou Rad? Dans son trajet


saharien R. CAILLIÉ a surtout cité une plante basse, épineuse, que les
chameaux consomment et que les caravaniers emploient comme bois de
feu. Il n'en donne malheureusement pas le nom arabe, mais après l'avoir
décrite (vol. 2 : 406) il ajoute en bas de page: « Sans doute \' hedysarum
alhagi ». Selon Th. MONOD il s'agirait plus probablement du Had, le Cor-
nulaca monacanlha Del. (Chénopod.) en raison même des caractères que
R. CAILLIÉ en donne. On peut faire confiance dans la solide expérience
saharienne de Th. MONOD et admettre que c'est bien le Had que R. CAILLIÉ
a le plus souvent rencontré sur sa route. Mais pourquoi ce nom bien pré-
cis d'lledysarum alhagi sous lequel nous connaissons maintenant plu-
sieurs espèces: Alhagi camelorum d'Asie centrale; A. maurorum d'Asie
mineure, Arabie et Sahara oriental? Nous savons que R. CAILLIÉ' n'a pu
rapporter d'autres échantillons botaniques que quelques fragments récol-
tés en Guinée vers Boké. Ce serait d'après ses descriptions verbales qu'un
botaniste (KUNTH peut-être?) aurait suggéré que le « chardon du désert»
(note l, p. 350, vol. 3) pouvait être l'Alhagi connu du désert égyptien. En
réalité cette espèce n'a jamais été trouvée au Sahara occidental et il n'y
a pas lieu de croire qu'elle se trouvait à cette époque sur la route suivie
par notre explorateur et qu'elle ait été détruite depuis.
Le 28, au lever du soleil, nous fîmes route paisiblement au Nord-
Ouest, il croissait çà et là des végétaux herbacés presque secs que
les chameaux broutaient en marchant.
A dix heures et demie, nous fîmes halte pour faire reposer les
chameaux, tous très fatigués: heureusement ils trouvèrent quelques
plantes épineuses (sans doute l'hedysarum alhagi) qu'ils s'amu-
sèrent à manger. Ces plantes ont les feuilles très courtes et flexibles;
le piquant est assez court, mais très dur: par une sage prévoyance
de la nature, cette plante, seule ressource des animaux dans le
désert, a la propriété de se conserver verte toute l'année, malgré les
vents brûlants de l'Est qui se font sentir si souvent; les chameaux
quoique peu délicats, ne mangeraient pas la feuille desséchée. Cette
plante est vivace; elle pousse de longues racines à fleur de terre, et
ne s'élève pas à plus de dix-huit pouces au-dessus du sol: elle croît
dans les endroits sablonneux; je l'ai toujours vue plus abondante
sur la partie occidentale des dunes de sable, qu'à d'autres exposi-
tions. Les racines sont grosses et remplacent le bois à brûler; les
Maures s'en servent pour faire leur cuisine: au coucher du soleil,
les esclaves allèrent en ramasser pour faire cuire un peu de riz à
l'eau et au sel, auquel on ajouta, pour le rendre meilleur, un peu de
beurre fondu; ce fut notre frugal souper.
- 138-

Le 2, au matin, AL y envoya deux Maures de sa suite, avec un cha-


meau, pour chercher du fourrage; ils allèrent très loin, et revinrent
dans la soirée avec deux petits paquets de paille, que l'on donna aux
animaux, qui les dévorèrent aussitôt. Le 3, nous fîmes halte, vers
onze heures et demie, dans une plaine où il y avait quelques plantes
épineuses que les chameaux dévorèrent. Le 4, vers deux heures du
soir, nous fîmes halte, bien fatigués; car il nous avait fallu gravir
des dunes de sable mouvant, parmi lesquelles nous étions campés,
J'ai remarqué que, dans ces endroits montueux, le fourrage est plus
commun qu'ailleurs. Le 5 juin, à trois heures du matin, nous conti-
nuâmes de gravir de hautes dunes de sable mouvant: la partie oc-
cidentale de ces dunes était couverte de plantes épineuses que man-
geaient les chameaux. Le 6, nous fîmes halte auprès des puits d'A-
moul-Gragim; toute la journée fut employée à faire boire les cha-
meaux; on leur procura quelques tiges d'lledysarum alllagi et des
branches de tamarix, arbrisseau qui croît dans la plaine, à quelque
distance des puits: ils les eurent bientôt dévorées. Le 10, vers
neuf heures du matin, nous descendîmes dans une plaine où nous
trouvâmes un peu d'herbe et quelques mimosa ferruginea très
rabougris. Nous y fîmes halte, pour laisser paître les chameaux.
Nous marchions constamment au Nord. Plus nous avancions dans
cette direction, plus les chaleurs diminuaient; la soif devenait
dès lors plus supportable.
§ 148. La première palmeraie-datteraie: les dattier", d'Ech
Chech. Depuis son départ de la côte, R. CAILLIÉ avait eu plusieurs occa-
sions d'obscrvcr d('s dattiers. II a signalé le premi('f à Kankan en Guinée.
C('s dattiers <ks villag('s soudanais, sont des souvenirs de pékrins qui en
ont rapporté \('S s('menc('s ('n revenant de la M('cquc. Contrair('m('nt à
une opinion couramment répandue. l('s fruits obt('nus dans c('s dernièr('s
régions sont parfaitement acccptab\('s. PcrsonneII('ment j'en ai mangés
qui avaient été récoltés dans la région de Kindia ('n Guiné(' pt qui étaicnt
fort appréciables. Dans ks régions où croît k Doum, une mauvaise datte
est encore meilleur(' que le fruit ligneux dc cet autre palmier. P. l\Iu-
GNIER ("') a récemment fait justice de cette idée trop absolue que le dattier
ne peut s'acclimater valablement au Sud du Sahara. Il reste cependant,
que le dattier, au moins quant il ses origines, est bien un palmier de la
zone subtropicale pt non intertropicale. Et les quelques exemplaires
commémoratifs, dispersés dans les villages du Soudan méridional ne sont
aueunemcnt comparables aux palmeraies du Sahara septentrional. Au
sortir de la désolation du Djouf, les fiers panaches des dattiers cou-
ronnant les puits d'Ech-Chech, purent apparaître à R. CAILLIÉ comme
une promcsse de salul.
Le 12, il était dix heures du matin, lorsque nous fîmes halte aux
puits d'el-Ekseif. Ces puits ou sources sont ombragés par un joli

("') La culture du palmier-dattier, facteur de mise en valeur des territoires


sahara-soudanais. Encyclop. mens. O.M. 1957.
- 139-

bosquet de dattiers, d'un aspect enchanteur: c'est du moins l'im-


pre~sion que produit le contraste du lieu, avec tout ce qui l'en-
toure et avec les plages dépouillées et arides qu'on vient de par-
courir; il croît aussi autour quelques roseaux et quelques joncs.
Cette verdure, encadrée au milieu d'énormes roches de granit,
présente quelque chose de riant et de sauvage en même temps ("").
Le 26, nous fîmes route entre deux côtes élevées: dans cette gorge,
il croît beaucoup de mimosas et d'hedysarum alhagi. Depuis si long-
temps que je n'avais rien vu de pareil en fait de végétation, je me
crus dans un des plus beaux pays du monde. Vers huit heures du
matin, nous entrâmes dans une plaine, où l'on aperçoit des espèces
de petites îles couvertes de verdure et de mimosas. A mesure qu'on
approche des limites de ce désert, la nature paraît moins désolée. A
neuf heures du matin, le 27, nous nous arrêtâmes aux puits de Sibi-
cia, environnés d'un joli bosquet de dattiers, dont la verdure faisait
un contraste agréable avec le reste du sol.

§ 149. B,onnes et mauvaises datt,es. A cette époque, alors que les


moyens de communication ne permettaient guère les échanges, la datte
tenait une place prépondérante dans l'alimentation des peuples du Saha-
ra septentrional. Mais quand le nomade part avec quelques poignées de
dattes dans son sac de cuir, il ne s'agit pas de ces fruits mielleux, que
nous trouvons dans les confiseries, couchés dans leur boite. Pour cette
alimentation de base ce sont les dattes sèches qui sont préférées, tandis
que les meilleures sortes, à pulpe molle et gorgée de sucre, sont consom-
mées comme dessert ou friandise. R. CAILLIÉ a mangé des deux et plus
souvent des premières que des secondes. Venant du Sud il a vu la con-
sommation des dattes s'accroître jusque clans le Tafilalet, puis diminuer
ensuite et disparaître dans l'Atlas avec les palmeraies elles-mêmes.
A EL HARIB. SIDI-SALAH me fit donner quelques dattes pour mon
déjeûner; mais je les trouvai si dures, que je n'en mangeai que
très peu; et cependant elles renouvelèrent mes douleurs dans la
mâchoire. Les jours suivants on ne me donna que des dattes: j'ob-
jectai à SIDI-ALY qu'elles m'incommodaient, et je lui en donnai
pour raison la faiblesse de mes dents qui ne me permettait pas de
les broyer sans éprouver des douleurs aiguës. ALY répondit qu'il
en était bien fâché, mais que dans le pays on ne mangeait que des
dattes pendant le jour, et le soir un couscous: le reste du riz qui
m'avait été donné à el-Araouan (§ 145), fut mis dans sa tente, et
ils le mangèrent en famille sans m'en offrir jamais. Enfin, ne pou-
vant mieux faire, il fallut bien se conformer à ne vivre que de
dattes: mais combien j'avais à en souffrir.

(.. ) R. CAILLIÉ écrit el-Ekseif; il s'agit probablement de l'crg Chech et le-


puits est Ain (source, œil) Chech, désignation qui convient particulièrement
à ce miraculeux petit miroir d'eau perdu dans l'immensité de roc ct de sable.
- 140-

Les habitants néanmoins sont si pauvres, qu'ils ne peuvent ache-


ter que des provisions de qualités inférieures, principalement les
dattes; celles qui tombent avant d'être parvenues à parfaite matu-
rité, sont ramassées soigneusement par les propriétaires, qui les
mettent au soleil pour les faire sécher; après quoi ils les renferment
dans des sacs en cuir, où elles acquièrent une dureté inconcevable;
il faut avoir de très bonnes dents pour les manger sans souffrir.
Ils les font, à la vérité, casser dans un mortier en bois, et boivent
par-dessus un peu de cheni (§ 25).
A EL DRA. A Mincina, au sortir de la prière, on m'apporta une
grande quantité de dattes; un âne en avait sa charge; malheureu-
sement elles étaient dures: ces braves gens poussèrent la com-
plaisance jusqu'à les porter à notre camp: toutes mauvaises qu'elles
étaient, ALY, le cupide ALY, les reçut avec plaisir; ce jour-là il me
fit meilleure mine qu'à l'ordinaire.
Au TAFILALET. Arrivés à Ghourland vers neuf heures du matin,
je suivis mon guide chez le vieux Haggi le Mekké, chef de Ghour-
land. Notre hôte nous fit donner pour notre déjeuner de très bonnes
dattes, si mûres qu'elles ressemblaient à des confitures; on y joignit
un petit morceau de pain frais de froment: j'aurais trouvé ce régal
excellent, si l'eau que l'on nous donna à boire n'avait pas été salée.
A M-Dayara, je vis que nous ne partirions que dans la soirée;
je me décidai, quoique avec répugnance, à aller dans la ville de-
mander quelques dattes, fruit si commun dans le pays. Je m'adres-
sai d'abord à un vieux Maure qui affichait tous les dehors de la
dévotion, mais il fut peu sensible à ma misère; un second à qui je
m'adressai m'apporta une poignée de dattes pourries, que je ne pus
manger; enfin un troisième m'en donna une assez grande quan-
tité, mais elles étaient encore plus mauvaises et plus dures que
celles que l'on mange à el-Harib. Je perdis alors courage, et je
retournai auprès de notre bagage: je présentai les fruits de ma
quête aux ânes, qui n'en voulurent pas.
DANS L'ATLAS. Comme les dattes que mon hôte de Boheim m'avait
données étaient finies, et que je n'avais plus rien à manger, je me
décidai à en demander, non aux habitants du village, car elles y
étaient très chères, parce que le dattier n'y vient pas, mais à un
jeune Maure de notre caravane, qui m'en donna très obligeamment.
Quand nous étions rencontrés par des bergers, ils venaient tendre
une pagne sur le bord de la route, pOlIr qu'on leur jetât quelques
dattes: plusieurs nous apportaient de l'eau en échange. Ce fruit est
très rare et très cher dans les campagnes.

~ 150. P,anilica·ti·on à EI·Harib. La première agglomération hu-


maine rencontrée par R. CAILLIÉ depuis son départ d'El-Araouan n'était,
- 141-

en fait, qu'un campement de chameliers nomades. Ce sont ces tribus qui


assuraient les grandes caravanes transsahariennes, se livrant exclusive-
ment par ailleurs à l'élevage des chameaux sans pratiquer aucune cul-
ture. Ils étaient donc tributaires, pour leur nourriture, des oasis du Drâ
et du Tafilalet. Le mode alimentaire n'y est plus celui de la zone tropi-
cale et devient celui de la région méditerranéenne: les dattes sèches
tiennent une grande place dans l'alimentation, le sorgo disparaît au
profit de l'orge et du blé. De plus, si l'on fait toujours des bouillies de
farine, souvent la pâte est cuite à feu sec.
Les habitants (d'el-Harib) sont divisés en plusieurs tribus no-
mades. Ils élèvent une grande quantité de chameaux qui, dans la
saison des pluies, leur fournissent beaucoup de lait, dont ils se nour-
rissent; c'est en quoi consiste leur principale richesse. Ces peuples
nomades, n'étant pas cultivateurs, sont obligés d'aller souvent à
el-Drah acheter de l'orge et des dattes pour leur nourriture. C'est
avec ces dattes que les Maures d'el-Harib se nourrissent pendant
le juur. Rarement ils font pour eux du sanglé durant cet intervalle;
ce n'est que dans des cas particuliers.
Le soir, vers huit ou neuf heures, ils mangent, pour leur souper
un couscous d'orge trempé le plus souvent avec de l'eau chaude,
dans laquelle ils ont fait bouillir une poignée d'herbe qu'ils se
procurent dans les environs de leurs camps.
Le 30 juin, les femmes se mirent de bonne heure à moudre du
froment pour faire le déjeûner des Tajacantes. Voici le moyen
qu'elles emploient pour obtenir la farine bien dégagée du son: elles
ont deux pierres de granit, rondes et plates, qui se posent l'une sur
l'autre, et s'emboîtent au moyen d'un morceau de bois adapté au
-centre de la partie inférieure; celle du dessus a une ouverture par
laquelle on entre le grain; puis on la tourne avec une manivelle:
les femmes se mettent deux pour la faire marcher, quoiqu'elle ne
soit ni lourde ni difficile à mettre en mouvement.
Quand cette farine fut bien tamisée à plusieurs reprises, sur un
tamis fait de canevas très clair, les deux filles de Sidi-Aly se mirent
à pétrir la farine pour faire une galette sans levain: l'une d'elles
fit un grand feu, avec du bois de tamarix, afin de chauffer le sol à
l'endroit choisi pour faire cuire cette galette; lorsqu'on jugea que
le terrain était assez chaud, on nettoya un peu la place et on posa la
pièce de pâte par terre; puis on remit par-dessus, de la braise et du
sable mouvant, que l'on avait fait chauffer exprès: étant à moitié
cuite, elle fut lavée, cassée par morceaux, et jetée dans une cale-
basse pleine de graisse, reste du souper qu'on avait mangé la veille;
on versa par-dessus une espèce de longue sauce, avec un morceau
-du mouton nouvellement tué.
- 142-

DÉPART o'EL-HARlB. Le 12 juillet, je partis à cinq heures du


matin, après avoir pris un peu de lait de chameau. Vers deux heures
après midi, nous fîmes halte sur un sable très dur, sur lequel il se
trouvait quelques zizyphus lotus. A la nuit tombante, nous eûmes
la visite d'un Maure marabout dont le camp était dans le voisinage
de notre halte. Nous lui donnâmes un peu de farine d'orge pour nous
faire faire à souper par sa femme. Il nous l'envoya vers dix heures
de la nuit; il eut la complaisance d'y mettre un peu de lait de ses
brebis, et ne voulut pas par réserve, souper avec nous.
Le 13 juillet, il était midi lorsque nous passâmes près du nouveau
village de Zaouât, faisant partie du pays d'el Drah. Nous traver-
sâmes quelques champs qui avaient été cultivés, et vers midi et
demie nous fîmes halte dans un bois de dattiers, près d'un joli
village nommé el-Hamit. Dans toutes les directions, on ne voit que
des forêts de dattiers qui élèvent majestueusement leur sommet
dans les nues: sous ces arbres, les habitants d'el-Drah cultivent du
froment, de l'orge et quelques légumes. Ils distribuent leurs terres,
qui sont d'un sable très fin, mais fertile, en petits carrés et font au-
tour une chaussée pour y faire séjourner l'eau des pluies; quand ils
jugent qu'elle n'y est plus nécessaire, ils la mènent par des conduits
au pied de leurs dattiers.
§ 151. Puisage de l'eau au khottara (chadouf). Chaque pro-
priétaire a au milieu de son champ un puits dont l'eau est claire et
bonne à boire. De chaque côté, les habitants mettent deux piliers de
quinze pieds de haut, ils y attachent une traverse en bois, à laquelle
est adaptée une grande perche qui porte à son extrémité postérieure
quelque chose de lourd pour faire contre-poids au seau qui est at-
taché à l'autre extrémité par un bout de corde: en tirant avec peu
d'efforts, ils amènent l'eau qui sert à arroser leurs plantations. Le
bois est très rare dans ce pays; on ne brûle que les feuilles sèches
des dattiers et les troncs des arbres morts: le dattier est employé
comme bois de charpente pour la construction des maisons. Dans
ce pays, on fait usage d'e la charrue, à laquelle on attelle le mulet
ou le chameau.

§ 152. Galette d'orge. Vers le coucher du soleil, les Berbers


allèrent ramasser quelques petits cailloux qu'ils arrangèrent symé-
triquement sur le sable; puis ils prirent des feuilles de dattier pour
faire du feu et chauffer ces cailloux; ils pétrirent un peu de farine
d'orge, avec laquelle ils firent une galette pour notre souper; afin de
la rendre meilleure, ils y mirent de petits morceaux de graisse de
mouton, bien rance; quand elle fut cuite, on la distribua à chacun
de nous. Aly m'en donna un petit morceau que je trouvai délicieux.-
quoique mal cuit et très compact.
Fig. 20. - Irrigation des cultures sous dattiers (§ 151). «Chaque propriétaire
a au milieu de son champ un puits dont l'eau est bonne à boire.»
- 144-

Le Maghreb.

En arrivant aux palmeraies du Drâ, R. CAILLIÉ est encore dans le do-


maine subtropical. Du moins le Sahara est-il traversé et même si la
route est encore pénible pour atteindre le Tafilalet, la hantise de l'eau
est écartée avec la fréquence des puits. Mais ce n'est qu'en gravissant les
cols de l'Atlas que R. CAILLIÉ changera de monde végétal en laissant
derrière lui les dattiers pour voir apparaître les vergers à noyers,
figuiers, oliviers, etc ...
PALMERAIE D'EL DRA. Le 14, vers huit heures du matin, nous
passâmes devant un gros village nommé Bounou, entouré de
beaux dattiers. Vers midi, nous fîmes halte dan$ les champs, à
l'ombre des dattiers et assez près de Mincina, grande ville d'el-
Drah, habitée par des Berbers et des Maures cultivateurs. Les
habitants ont peu de bestiaux, presque pas de bœufs; ils nourrissent
quelques moutons à laine, des chèvres et des volailles; ils sont
grands cultivateurs, et ont beaucoup de dattiers, dont ils tirent
leur principal revenu.
§ 153. Le plat de couscous. Le matin ils mangent du pain, un
peu de bouillie de farine d'orge, et à souper du couscous. Vers sept
heures du soir, on envoya à Sidi-Aly un copieux couscous au
mouton: après avoir mangé avec trois ou quatre personnes qu'il
regardait comme ses égaux, il nous donna le reste, à moi d à six
chameliers qui ne mangeaient pas avec lui. Nous nous couchâmes
ensuite sous les palmiers, qui couvraient nos têtes de leurs larges
feuilles; je dormis assez bien, contre mon habitude.
C'est dans un sens extensif que R. CAILLIÉ a déjà cmployé ce nom de
« couscous» en Afrique tropicale pour désigner des préparations culi-
nairt's rappelant ce plat traditionnel des peuples moghrébins (§ 54).
Cette designation implique l'emploi, non d'une farine pulvérulente, mais
d'un gruau, ou d'une semoule obtenue soit par mouture mélangée de blé
dur, soit par trituration de la pâte, ou bien encore des grains entiers
seulement débarrassés de leurs enveloppes. C'est ce dernier cas qui est
le plus général en Afrique tropicale où l'on se sert de riz ou de fonio se
prêtant bien au décorticage. La cuisson se fait alors généralement à la
vapeur. Enfin ce plat de féculent s'accompagne de sauces diverses avec
viande, ou poisson, et légumes. Les peuples d'Afrique tropicale ont évi-
demment des noms particuliers pour ces différentes recettes et c'est nous
qui nous servons de ce nom entré dans la langue française.
Le 15, à trois heures matin, nous quittâmes la ville et les ha-
bitants de Mincina. Nous arrivâ'Ines auprès des puits de Yénégué-
dei, où nous fîmes halte; on y voit un seul mimosa ferruginea lan-
guissant sous lequel je m'étendis. Les Berbers firent cuire sous la
cendre une galette d'orge pour notre souper; après ce léger repas,
chacun but un verre d'eau fraîche, et l'on se coucha sur le sol
pierreux pour passer la nuit.
- 145-

Le 16, vers dix heures du matin, nous fîmes halte auprès des.
puits de Faratissa, agréablement ombragés par de beaux dattiers;
on y voit aussi des mimosas rabougris. Nous passâmes la nuit sous
les dattiers; la fraîcheur du feuillage nous engageait au sommeil.
Les chameaux et les mulets n'ayant pu boire tous ce jour-là, on
séjourna le 17 jusqu'à trois heures du soir.

§ 154. Le. Berberes cultivateur. et! petit. nomades de B,OM-


yara. La forte chaleur étant alors tombée, nous fîmes route au
Nord. Vers six heures et demie, on s'arrêta, et nous soupâmes cha-
cun avec un petit morceau de galette d'orge eit des dattes. Après
ce maigre repas, nous nous étendîmes sur le sol pierreux, où je
dormis d'un profond sommeil jusque vers trois heures du 18, que
nous partîmes. Vers neuf heures du matin, nous fîmes halte aux
puits de Bohayara, autour desquels il y a beaucoup de végétation.
Ils sont à la proximité d'un camp de Berbers, qui viennent y abreu-
ver leurs troupeaux de brebis et de chèvres; ces hommes habitent
dans les gorges de montagnes; ils cultivent un peu d'orge et de
froment: ils sont nomades, mais ne changent pas aussi souvent de
place que les Maures; quand ils s'éloignent de leurs petits champs~
ils laissent toujours quelqu'un pour les garder. Ces peuples no-
mades et cultivateurs se nourrissent, comme les Maures, de dattes.
et de sanglé d'orge; ils font souvent leur souper avec du cous-
cous ou de la galette d'orge cuite sous la cendre: dans la saison des
pluies, comme le lait de leurs troupeaux est plus abondant, il fait
une partie de leur nourriture.

§ 155. Jujubiers et Tamaris. Aux approches de l'Atlas, les pluies


d'hiver sont plus régulières et les eaux qui s'écoulent sous les sables.
alimentent de nombreux «puits» et réaniment la végétation environ-
nante.
a) Le Lotus (Zizyphus lotus). C'est bien le vrai Jujubier «Lotos"
que R. ('..AILUÉ rencontre maintenant autour des points d'eau et non plus.
les espèces tropicales de Mauritanie (§ 30 c) et du Soudan (§ 116).
b) Les Tamaris (Tamarix sp.). Les tamaris sont encore plus réguliè-
rement présents que les jujubiers dans ces lieux frais. Il en existe plu-
sieurs espèces de distinction difficile en dehors des deux espèces clas-
siques : T. Gallica et T. articulata (P. OZENDA).
Le 19 juillet, à quatre heures du matin, nous quittâmes les puits
délicieux de Bohayara. Vers dix heures, nous fîmes haUe aux puits.
de Goud-Zénéga. Nous trouvâmes auprès les Berbers d'un camp
voisin, qui abreuvaient leurs troupeaux. Le 20, vers onze heures du
matin, nous fîmes halte aux puits de Zénatyia. Le sol, aux environs,
offre un assez bel aspect de végétation; il Y a quelques mimosas, des.
- 146-

zizyphus lotus, et beaucoup de tamarix très élevés. Nous nous mîmes


à l'ombre de ces arbustes, où nous mangeâmes quelques dattes
en attendant le souper. Le 21, vers dix heures du matin, nous fîmes
halte auprès des puits de Chanérou; nous y trouvâmes des Berbers
faisant boire leurs troupeaux de moutons.

§ 156. Le raisin et le pain. Nous fûmes joints dans la matinée


par un Maure du Tafilet, venant au-devant de son père, qui depuis
longtemps habitait Tombouctou. Son fils lui apportait quelques
raisins noirs pour le rafraîchir, et il m'en donna une grappe avec
un petit morceau de pain de froment, que j'acceptai avec plaisir.
Certes, je ne m'étais guère attendu à manger du pain et du raisin
frais, dans un pays aussi aride.
Le 22, vers dix heures du matin, nous fîmes halte aux puits de
Nyéla (ou Aïn-Yéla), dont l'eau est abondante et bonne. La chaleur
fut très forte, et nous n'avions pour nous mettre à l'ombre que
quelques zizyp/lUs lotus.

§ 157. Le Tafilalet. Le 23, j'étais encore à moitié endormi,


lorsque nous partîmes. Laissant les montagnes arides, nous des-
cendîmes dans une plaine de sable gris, susceptible d'être cultivée.
De cette plaine, on voit les beaux et majestueux dattiers du pays
du Tafilet, qui enchantent la vue: ils me rendirent la gaieté, car
ils m'annonçaient quc bientôt mes maux allaient être allégés. Nous
longeâmes des champs entourés les uns de murs faits en pisé, les
autres de petits fossés seulement: la campagne était belle, mais
désséchée par l'ardeur brûlante du soleil; on n'y voyait d'autre
verdure que les feuilles toujours vertes du palmier. Arrivés à
Ghourland vers neuf heures du matin, nous fûmes bientôt entou-
rés d'une foule d'enfants qu'attirait la curiosité: nous campâmes
à l'ombre des dattiers, à la porte de la ville.

§ 158. Bouillie d'org,e et daUes. Le 24, à huit heures du matin,


j'allai à la maison de mon hôte chercher mon déjeûner; je m'assis,
comme la veille, à la porte, en attendant qu'on m'invitât. Bientôt le
plus jeune des fils de la maison vint et me demanda avec bonté si
j'avais déjeîmé; sur ma réponse négative, il ordonna à un esclave
de me donner des dattes et de la bouillie faite avec de la farine
d'orge: cette bouillie, qui est très claire, sert de breuvage en man-
geant ces fruits; quand on a du pain ou du couscous, on ne boit que
de l'eau. C'est avec l'cstomac aussi légèrement repu qu'il fallut at-
tendre jusqu'à dix heures du soir, pour manger un peu de cous-
cous; voilà la nourriture qu'ils donnent aux étrangers qui deman-
dent l'hospitalité: elle est la même pour les esclaves. Les maîtres ont
- 147 -

une bouillie de farine de froment très claire, qu'ils boivent à leur


déjeûner, et ils font leur dîner avec un morceau de pain frais et
des fruits de la saison; ils ont en quantité de beaux melons, qu'ils
aiment beaucoup; les plus riches habitants du Tafilet déjeûnent
avec du thé, du pain et quelques figues. A dix heures du soir, heure
habituelle du souper, ils mangent du couscous fait de farine de
froment, cuit avec du mouton ou de la volaille; car ils élèvent quel-
ques oiseaux domestiques.

§ 159. Hospitalité: noix et mel,on. Le 26, je propOSai a un


pauvre juif nommé Jacob, de m'acheter au poids un shilling, pièce
qui n'avait pas cours de monnaie dans le pays; comme il était for-
geron et bijoutier en or et en argent, il pouvait l'utiliser dans son
commerce: j'entrai donc dans l'humble demeure du juif. Jacob
me fit asseoir par terre, car il n'avait pas de natte; il ouvrit un petit
magasin et alla chercher quelques noix qu'il m'offrit, avec une
belle tranche de melon et un gros morceau de pain de froment,
cuit de la veille. Le juif Jacob me dit de revenir le lendemain, et
qu'il me changerait ma pièce de monnaie; car le jour de ma vi-
site était un samedi et par conséquent consacré à la prière. Le
28, dans la soirée, le juif Jacob me changea mon shilling, et je pus,
les jours suivants, acheter un peu de pain.

§ 160. Le marché de Boheim. Le 27, j'allai, accompagné de


Sidi-Boubacar, visiter le marché, qui se tient trois fois la semaine,
auprès d'un petit village nommé Boheim.
Ce marché est établi dans un bel emplacement entouré de dat-
tiers. Les Berbers et les Arabes habitants des villages voisins
viennent y vendre leurs denrées; ils y amènent des bestiaux, des
grains et diverses espèces de légumes et de fruits; ils achètent en
retour des étoffes. Je fus étonné de la variété des objets qui appro-
visionnaient ce marché : j'y vis en quantité de beaux légumes, choux,
navets, oignons, haricots secs, pois et lentilles; il Y avait aussi
abondance de fruits indigènes, tels que raisins, figues blanches et
noires, pommes, noix, calebasses, giraumons, melons de belle es-
pèce; de la luzerne verte pour les chevaux... J'achetai du raisin et
quelques figues, pour me rafraîchir; j'y joignis un petit pain de
froment, de la valeur d'un sou. Après une si longue traversée dans
le désert, privé de tout ce qui est nécessaire à la vie, j'éprouvais
une jouissance inexprimable à me promener dans ce marché si ri-
chement pourvu.
Le 28 au matin, Sidi-Boubacar, qui m'a\'ait pris en affection, me
fit appeler chez lui, où il m'attendait: il me fit asseoir sur un assez
- 148-

beau tapis, tendu dans sa cour, sous un petit hangar. Peu après,
une esclave apporta un gâteau de froment à la viande, cuit à la
poêle, avec du beurre, et à côté de ce mets un gros morceau de me-
lon, acheté la veille au marché de Boheim : Sidi-Boubacar cassa le
gâteau, et son ami et moi nous y fîmes honneur avec lui.
DÉPART POUR FEZ. Du Tafilalet, la caravane qu'accompagne R. CAILLIÉ
ne se dirige pas directement sur Azrou et Meknès par les cols du Haut
Atlas, mais passe plus à l'Est par la route moins difficile de Fez.
Le 2 août, vers quatre heures et demie du soir, la caravane se mit
en route. Chemin faisant, nous rencontrâmes beaucoup de Maures
des campagnes, conduisant des ânes chargés de toute sorte de
productions, comme des melons, des giraumons, des raisins, des
figues et d'autres fruits et légumes; ils allaient dans un marché
voisin.
§ 161. Les jardins moghrébins; sieste SOUIJ un laurier-Tose
(Nerium oleander). Le 3 août, à cinq heures et demie du matin, nous
nous mîmes en route au Nord, parmi des plantations toutes entou-
rées de murs en pisé, par-dessus lesquels j'apercevais de beaux
arbres fruitiers, tels que poiriers, figuiers, abricotiers, vigne, et
quelques rosiers: ces campagnes charmantes, quoique un peu des-
séchées, me rappelaient le souvenir enchanteur de nos jardins d'Eu-
rope. L'aridité du Sahara était encore si présente à mon imagina-
tion, que les campagnes de Tafilet me parurent un paradis terrestre.
Vers dix heures du matin, nous passâmes devant Tannéyara, pe-
tit village situé à un mille à l'Est de notre route, et ombragé par une
énorme quantité de dattiers. Vers une heure après-midi, nous arri-
vâmes à Marca. Je rencontrai, par le plus grand des hasards, un
Berber que j'avais vu à el-Harib; il me fit un assez bon accueil et
m'engagea assez poliment à visiter son humble cabane: il me fit
asseoir sur une natte très propre, et sa femme apporta quelques
dattes que je mangeai avec lui. Lorsque nous eûmes fini, le Berher
m'emmena à la mosquée, et me fit faire connaissance avec deux
chérifs.
Comme il y avait autour du village de jolis jardins entourés de
murs, je témoignai le désir de voir les leurs: aussitôt le plus jeune
me prit par la main, et nous allâmes nous y promener. Il fit cueillir
des figues et du raisin, que le jeune chérif m'offrit de très bonne
grâce. Je vis dans ce jardin, des melons, des gombos et divers
arbres fruitiers.
Le 4, à cinq heures et demie du matin, nous partîmes parmi des
montagnes où coule un joli ruisseau qui fertilise les terres qui
l'avoisinent: les habitants propriétaires savent tirer parti de cette
ressource; ils forment des dérivations et arrosent à volonté leurs
- 149-

petits héritages; par ce moyen, ils cultivent du blé et du maïs dans


la saison de la plus grande sécheresse, et ont en abondance de
beaux melons. Sur les bords de ce joli ruisseau, il croît quelques
dattiers et beaucoup de figuiers.
Le 6 août, vers une heure après midi, nous fîmes halte à Tama-
roc, pour laisser diminuer la chaleur, qui était excessive: j'allai
me coucher sur le gazon, à l'ombre d'un beau laurier rose agréa-
blement situé sur les bords du ruisseau, dont la fraîcheur et le
doux murmure m'engagèrent au sommeil. Vers trois heures du soir,
nous fîmes route en suivant toujours le cours du même ruisseau.
En sortant de ce chemin pierreux, nous entrâmes dans une vallée
bien cultivée en blé et en maïs; cet aspect de verdure au milieu de
montagnes aridcs avait quelque chose de ravissant.

§ 162. Pas84ge du dattier à l'olivier. Vers sept heures du soir,


nous fîmes halte à Kars, où nous passâmes la nuit. Depuis Tama-
roc jusque-là on ne trouve plus de dattiers. Le 8 août, vers deux
heures du soir, nous arrivâmes bien fatigués à L-Eksebi (Ksabi),
où nous fîmes halte; il est situé dans une grande plaine entourée
de hautes montagnes entièrement dénuées de végétation; elle est
bien cultivée; il y croît même quelques oliviers qui embellissent la
montagne. A notre arrivée, les habitants établirent un marché où
nous trouvâmes en abondance du pain, de la viande, du raisin et
des figues; le tout se vendait au poids.
Comme les dattes que mon hôte de Boheim m'avait données
étaient finies, et que je n'avais plus rien à manger, je me décidai à
en demander, non aux habitants du village, car elles y étaient
chères, parce que le dattier n'y vient pas, mais à un jeune Maure
de notre caravane, qui m'en donna très obligeamment.

§ 163. Le chêne.liège (Quercus suber). Le 9, vers sept heures,


nous tournâmes à l'Ouest - Nord-Ouest, en gravissant sur des col-
lines de cent à cent vingt-cinq brasses au-dessus du niveau du sol,
et où il croît quelques lièges. Exténué de fatigue, je craignis d'être
forcé de rester en chemin: mes jambes ployaient sous moi; j'étais
obligé de m'asseoir à tout instant; mon courage semblait près de
m'abandonner: enfin cc trajet fut terrible pour moi. Vers trois
heures du soir, nous arrivâmes à L-Guim (Enjil), petit village
maure, où il y a quelques cultures et un peu de fourrage; mais
malgré ces traces de végétation, l'aspect général du pays est très
aride; on ne voit pas un seul arbre. Je fis mon souper avec plu-
sieurs petits morceaux de pain d'orge séchés au four, que je fis
tremper dans un peu d'eau. Après ce repas, je me couchai près
d'un champ de maïs, dont l'un des sillons me servit d'oreiller.
- 150-

§ 164. La Il garrigue" de Sélroa. Arrivé dans l'étage montagnard


de Séfrou, R. CAILLIÉ a pu citer, à l'espèce près, plusieurs arbustes qui
appartiennent à la flore de l'Europe atlantique et méridionale. C'est bien
pour cette raison qu'il put les identifier à celles qu'il connaissait de
son pays: l'aubépine et l'églantier dans les haies, le chêne-vert près de
la côte, le buis planté près des maisons pour son caractère religieux. En
réalité, selon une aimable information de J. VINDT, le buis des garrigues
marocaines est celui des Baléares et non le buis sempervirent qui n'est
connu, au Maroc, que du Haut Atlas (voir aussi EMBERGER à la
bibliographie) .
Par contre il n'a pas cité les autres arbustes caractéristiques de ces
garrigues, le Thuya de Barbarie, le Genévriel' rouge, etc...
Le 10, à cinq heures du matin, nous nous mîmes en route; vers
sept heures, nous tournâmes au Nord, à travers les gorges de mon-
tagnes arides et pierreuses. La campagne, hérissée de hautes
éminences, offre l'aspect le plus triste: sur quelques-unes seu-
lement il croît beaucoup de buis (Buxus balearica) dont les tiges ont
à peu près dix-huit pouces d'élévation; les feuilles en étaient sèches
et jaunes. Nous vîmes dans les endroits unis quelques tentes d'A-
rabes dont les enfants vinrent nous demander des dattes, Vers trois
heures du soir, nous arrivâmes à Guigo, petit village habité par des
Berbers : les environs du pays sont nus; on n'y voit aucune trace de
culture. Les puits sont très éloignés du village, et il est difficile de
se procurer de l'eau sans la payer avec des dattes: comme je n'en
avais plus, je fus obligé de recourir pour boire à l'assistance d'au-
trui.
Le 11, à trois heures du matin, nous quittâmes Guigo, par une
route très pierreuse: cependant on voyait dans la campagne beau-
coup de petits arbrisseaux, des mûriers sauvages, des roses de
buisson (Rosa canina?) , l'aubépine (Crataegus monogyna), l'oli-
vier, le chêne (Quercus ilex), qui croît en arbuste, et plusieurs
autres végétaux arrosés par le cours sinueux d'un petit ruisseau,
sans doute le Guigo dont les eaux claires et délicieuses servirent à
nous désaltérer.

§ 165. Les verg-ers de Sélrou. Vers deux heures de l'après-midi,


nous arrivâmes à Soforo (Séfrou), située dans une grande et belle
plaine, très pierreuse, mais fertile: la campagne est cu ltivée en maïs
et en beaux oliviers. Près de la ville, on voit de très jolis jardins
entourés de haies vives, qui renferment beaucoup d'arbres fruitiers;
de nombreux ceps de vigne grimpent dan les arbres et donnent de
beaux raisins. Je visitai cette ville, la plus belle que j'eusse vue
jusque-là. On y tient marché tous les jours de la semaine. J'y ai
vu de très beaux melons.
- 151-

Le 12 août, à cinq heures du matin, nous quittâmes Soforo; en


sortant, nous cotoyâmes plusieurs jolis jardins. La route, ombragée
par des treilles et des figuier!:, est pavée de cailloux jusqu'à près de
trois-quarts de mille hors de la ville. Nous rencontrâmes beaucoup
de Juifs allant au marché à Fez, où nous arrivâmes vers midi.

§ 166. Le marché de Fez. Ce marché se tient dans une rue cou-


verte par des treilles et de la paille. Personne ne fit attention à moi
j'achetai un petit pain pour trois félusses, et un peu de raisin, dont
je fis mon dîner.
El-Fez est située dans une sorte d'entonnoir, formé par de hautes
montagnes, bien boisées, d'où descendent plusieurs gros ruisseaux
qui arrosent la campagne et fournissent la ville de très bonne eau.
Les environs de la ville, à deux ou trois milles à la ronde, sont bien
cultivés; il y croît beaucoup d'oliviers, de figuiers, des cactus (Opun-
tia {icus-indica, d'origine américaine), des vignes, des poiriers et
des pommiers; près de ses murs sont des mûriers qui s'élèvent très
haut. J'ai vu des jardiniers-fleuristes qui vendaient au marché plu-
sieurs espèces des mêmes fleurs qui ornent nos parterres en France.

§ 167. Meknès. Le 15 août, à six heures du matin, ayant hâte


de sortir de cette ville, je me mis en route à pied, avec mon sac
sur le dos, pour aller à Rabat, n'ayant que très peu de provisions
pour me soutenir en chemin. En sortant de la ville, je cotoyai
quelques jardins et plusieurs carrés de chanvre assez bien cultivés.
Je ne tardai pas à m'apercevoir qu'il me serait impossible de mar-
cher jusqu'à Rabat. Je m'arrêtai un moment auprès d'un mur, pour
réfléchir au parti que j'avais à prendre; ce fut celui de retourner
à la ville. J'y rencontrai un homme du Tafilet, qui me proposa de
me louer un âne pour me porter à Rabat.
Le 16 août, à six heures du matin, je montai sur mon âne, non
sans le secours de mon guide, car j'étais si faible que je ne pouvais
monter seul. Vers deux heures, nous fîmes halte à l'ombre d'un
Zizyphus lotus pour laisser passer la grande chaleur: à trois
heures nous nous remîmes en route. Au coucher du soleil, après
avoir mangé quelques figues que nous donnèrent les Berbers, nous
continuâmes notre route.
Le 17, à onze heures, la chaleur étant très forte, nous fîmes en-
core halte sous une belle touffe de figuiers, où se trouvaient plu-
sieurs voyageurs endormis; nous y restâmes jusque vers midi.

§ 168. Rabat. Le 18, nous arrivâmes auprès d'un bras de mer


qu'il nous fallut traverser pour arriver à Rabat. Les environs ont
des champs cultivés et beaucoup de vignes.
- 152-

Le 2 septembre, je partis de Rabat avec le propriétaire de ma


modeste monture. La pauvre bête qui devait me recevoir sur son
dos, ployait déjà sous le faix d'une lourde charge; marchant sur
un sable mouv<.lnt, au bord de la mer, elle enfonçait jusqu'au jarret,
et j'étais obligé de descendre: je fis ainsi la moitié de la route à
pied. La fatigue et l'épuisement me donnèrent la fièvre.

§ 169. Tanger. Les montagnes qui avoisinent Tanger me furent


pénibles à gravir; enfin, malade et exténué de fatigue, j'arrivai dans
cette ville le 7 septembre à la nuit tombante.

C'était I,e Cinq cent quatre vingt dix septième jour de voyage
de René Caillié, depuis son départ de Boké, le 19 avril 1827.

Fig. 21 (ci-contre). - René Caillié, d'après un portrait, avec cadre de Cui/lie/lu,


plante africaine dédiée à l'explorateur.
RENÉ CAILLIÉ
19 novembre 1799-17 mai 1838

L'Homme et le Voyageur

«Jamais l'on ne vit une telle faiblesse entre-


prendre et réussir une si prodigieuse entreprise. ~
A. LAMANDÉ et J. NANTEUIL.
154 -

§ 170. La vie de R. Caillié. Ses origines modestes et un père ba-


gnard; son enfance I1êveuse dans une petite bourgade rurale; sa jeunesse
consacrée à des emplois subalternes coupés d'obscures tentatives
<l'exploration; sa gloire soudaine lorsqu'il surgit du centre inviolé du
Continent africain après six cents jours de voyage, alors qu'il était
pleuré par sa famille et ignoré des pouvoirs publics; d'âpres con testa-
tions sur la réalité de son exploit; et, enfin, une vie abrégée par l'ingra-
titude ofIicielle, la misère et la maladie, tout contribuait à faire de
René CAILLIÉ une figure de légende.
Ce n'est cependant qu'à l'occasion du centenaire de son voyage
qu'une biographie fondamentale lui fut consacrée par A. LAMANDÉ et
J. NANTEUIL ('l'). Ces deux auteurs ont retracé avec émotion la vie dou-
loureuse de cet homme qui ne put déployer ses hautes qualités de cou-
rage et d'intelligence que dans une lutte épuisante contre l'indifférence
de ceux qui eussent dû l'aider de leur savoir et le soutenir de leur auto-
rité.
Son père n'était certainement ni méchant ni malhonnête homme, mais
il était peu sérieux et préférait faire la ribote dans les cabarets que de
travailler à son fournil. Pour un vol, sinon incertain du moins insigni-
fiant et commis sous l'empire de l'ivresse, il fut condamné au bagne le
9 décembre 1799 (18 frimaire An VIII), peu de jours après la naissance
de René, le 19 novembre 1799 (28 brumaire, An VIII), à Mauzé, dans
les Deux-Sèvres.
Tout jeune enfant encore, R. CAILLIÉ, que sa mère avait emmené
vivre à Rochefort, pouvait parfois apercevoir ce père enchaîné comme
une bête de somme et haler les bateaux qui remontaient la Charente.
Ces pénibles entrevues développèrent en lui le sentiment de la dignité
blessée et l'amour de la justice, car sa mère lui inculquait certainement
te respect de ce malheureux frappé par un jugement inique.
Ses parents morts, il revint à Mauzé où il passa, auprès de sa grand·
mère LÉPINE et de sa sœur aînée Céleste, une enfance studieuse et taci-
turne. Car si ses amis étaient bienveillants et sa famille affectueuse, ils
ne pouvaient le suivre sur les ailes du rêve qui l'emmenait vers les pays
lointains où le merveilleux ne laisse point de place aux méchancetés
humaines.
A 16 ans, grâce à une recommandation de J. SAVARY, officier de
marine dont la famille était de Mauzé, il s'embarque comme domes-
tique de l'enseigne DEBESSÉ sur le bâtiment la « Loire », qui lève l'ancre
le 17 juin 1816 à destination du Sénégal. C'est au cours de ce séjour qu'il
voulut rejoindre l'expédition du major GRAY qui, partant de la Gambie,
devait relever l'échec des majors PEDDIE et CAMPBELL morts peu avant
au Rio-Nunez. Epuisé par une marche forcée qu'il fit de Saint-Louis à
Dakar, il dut quitter le Sénégal pour les Antilles et l'Europe.
Cependant, il revint sur la côte d'Afrique peu après et suffisamment
tôt cncore pour rattraper la fameuse mission qu'il avait tenté de
joindre en Gambie. Le major GRAY se trouvait toujours à l'Ouest du fleuve
Sénégal, où il était bloqué par les exigences du roi de Bondou. Cette
fois-ci R. CAILLIÉ, âgé de 20 ans, est atimis dans la petite colonne diri gée
par A. PARTARRlEU et le 5 avril 1819 il s'enfonce dans le Ferlo. C'est

('1') Il y a eu bien d'autres écrits, mais c'est celui-ci Qui apporte le plus de
renseignements sur la jeunesse et la retraite de R. CAILLIÉ.
- 155-

ce voyage qui fait l'objet du premier chapitre de notre récit. Nous avons
vu que l'expédition s'était terminée par un échec et R. CAILLIÉ, éprouvé
dans sa santé dut reprendre le bateau pour Lorient.
Ce dernier intermède hors d'Afrique fut plus long. Employé chez
M. SOURGET, négociant bordelais, il fit de fréquents voyages et séjours
aux Antilles. Il lut tout ce qu'il put trouvcr sur les voyages de décou-
verte et, en particulier, les relations de Mungo PARK. Lorsqu'il retourne
pour la troisième fois au Sénégal, nanti d'une petite pacotille que lui
a confiée son protecteur M. SOURGET, il a 25 ans. Son opinion s'est faite
que les expéditions armées ou à gros effectif ne s'ouvriront jamais la
route de Tombouctou par la force ou par des présents aux chefs locaux.
tandis qu'un homme seul, vivant de l'hospitalité des populations, pour-
rait y parvenir.
Ce fut ce point de vue qu'il soutint hardiment devant le gouverneur
ROGER. Son intention exacte, à cette époque, était d'adopter le genre de
de vie des Maures, de les accompagner dans leurs voyages vers l'est,
puis, à une occasion favorable, atteindre Tombouctou et sortir par
l'Egypte. Le séjour d'initiation qu'il fit ('hez les Braknas, et au cours
duquel il commença à faire des observations et à les noter régulière-
ment, fait l'objet de notre deuxième chapitre. Mais le projet n'eut au-
cune suite par le refus du Gouverneur d'accorder à R. CAILLIÉ les sub-
sides nécessaires à l'achat du troupeau qui lui aurait permis de revenil"
parmi les nomades avec tout le prestige désirable.
Cependant notre jeune entêté ne revint pas en France: il séjourna
deux ans à Freetown puis vint à Boké pour amorcer son voyage sous
l'apparence d'un jeune Egyptien désireux de regagner son pays. Ce fut
cette fois la réussite. Recommandé par le commerçant CASTAGNET auprès
de colporteurs se dirigeant vers Kankan, il quitte Boké le 19 avril 1827
et parvient à Tanger le 7 septembre 1828, soit après 597, jours de voyage,
en passant par Tombouctou. C'est ce trajet qui fait l'objet de notre
troisième chapitre, naturellement le plus important.
Ce n'est pas à Tanger qu'il courut les moindres dangers lorsqu'il lui
fallut se faire reconnaître du consul de France sans se démasquer aux
yeux des habitants. Par bonheur il fut immédiatement compris pal"
M. DELAPORTE qui le cacha pendant 20 jours. Le 27 septembre il quitte
définitivement l'Afrique, après un ,embarquement clandestin sur la
goélette la Légère à destination de Toulon.
EntIe temps, M. JOMARD, Membre de l'Institut et de la Société de
Géographie, alerté par M. DELAPORTE, avait immédiatement reconnu la
valeur des premiers renseignements du voyageur. Le 30 novembre, sur
rapport d'une commission dont JOMARD est président et où figurent aussi
MOLLIEN et ROGER, la Société de Géographie décide d'attribuer à
R. CAILLIÉ le prix de 10.000 francs « offert au premier voyageur qui par-
viendrait à Tombouctou en venant de la Sénégambie»; et la remise en
est faite en séance solennelle, sous la présidence de G. CUVIER, le
5 décembre 1825.
La consécration officielle ne vint qu'ensuite sous forme de la Légion
d'Honneur et de pensions versées par certains ministères. Le triomphe
pourtant modeste de R. CAILLIÉ fut assombri par quelques attaques
émanant de certains milieux anglais et des ultras français; les premiers.
insinuant que l'explorateur n'était pas allé à Tombouctou et tenait ses
renseignements des papiers de G. LAING; les seconds l'accusant d'avoil"
changé de religion à chaque étape.
- 156-

En 1829, pendant que JOMARD met en œuvre les relevés du carnet de


route, retrace l'itinéraire parcouru et situe enfin Tombouctou avec une
('xactitude qui s'est révélée remarquable eu égard aux moyens rudimen-
taires employés, R. CAILLIÉ rédige son Journal qui est publié en 1830 aux
frais du Gouvernement.
Retiré en banlieue pour raison de santé, il rencontre la femme avec
laquelle il s'unit le 7 août 1830. Puis il revient à Mauzé, son pays natal,
avant de s'installer comme agriculteur sur deux terres successives dont
la dernière était un domaine assez vaste, situé dans les marais charentais,
peu salubre et qu'il se proposait d'assainir.
Si cette retraite campagnarde fut éclairée par les joies du foyer et
quelques solides amitiés, elle ne fut cependant pas un repos pour
R. CAILLIÉ. Il eut à subir les tracasseries des ministères qui lui dispu-
taient ses modiques pensions accordées dans un moment d'enthousiasme,
et il eut surtout la douleur de voir ses forces le trahir dans ses devoirs
de chef de famille.
Dans des moments d'exaltation fiévreuse il revenait parfois à ses rêves
-de jeunesse et entretenait ses amis de projets grandioses qui ne pou-
vaient plus être que chimères. C'est ainsi qu'est mort ce lutteur solitaire,
le 15 mai 1838, à demi-oublié par le Pouvoir, pour être parvenu seul où
cavaient échoué les entreprises officielles, et à demi-oublié par l'opinion
pour avoir apporté la vérité où régnaient d'aimables illusions.

§ 171. René Caillé et la botanique. Cet explorateur, qui nous a


-donné des pages si intéressantes sur la végétation et les plantes utiles
d'Afrique, n'était pas un botaniste. Curieux de toute chose dès sa jeu-
nesse, il avait seulement cette connaissance visuelle des plantes qu'ont
les familiers de la nature et C!ui le prédisposait à cette discipline lors-
qu'il en comprit l'intérêt pour ajouter à la valeur scientifique de son
voyage.
Sa mémoire aussi était fid~le. Le rapprochement judicieux qu'il fit
entre quelques plantes de l'Atlas (§ 264) et celles de son pays, prouve
qu'il ne faisait pas que lire et rêver dans sa jeunesse, mais aussi qu'il
courait les bois et les haies et qu'il en connaissaidiN assez les espèces
pour se les remémorer après plusieurs années passées dans les pays
-exotiques.
Ayant le souci de se documenter sur les productions végétales des pays
qu'il aurait à parcourir, quel était. alors, l'état de nos connaissances?
Bien auparavant, la flore du Sénégal avait fait l'objet de recherches par
Michel ADAN SON au cours de son mémorable séjour de 1749 à 1753.
Malheureusement, en dehors des notes parues en introduction à
1'« Histoire naturelle du Sénégal» et des études sur les Gommiers et le
Baobab, ce savant n'avait laissé aucun ouvrage de floristique consacrant
sa connaissance des plantes de cette région.
Après une longue période pendant laquelle seuls quelques fonction-
naires constituèrent de petites collections (gouverneur J. B. DURAND,
Dr ROUSSILLON, etc ...), les études régulières reprirent en 1824 avec
LEPRIEUR, pharmacien de la marine, et PERROTTET, naturaliste-voyageur
de la marine et des colonies, qui séjournèrent jusqu'en 1829. Le jardi-
nier-botaniste Cl. RICHARD, qui était déjà là depuis 1816, s'occupait
surtout de l'acclimatation de plantes utiles à la Station agricole de
Dagana, laquelle allait être nommée Richard-Toll en son honneur. Le
gouverneur ROGlèR, bien qu'il ait parfois critiqué les botanistes, aimait
- 157-

herboriser et on lui doit quelques découvertes (Il'). Quant au botaniste


ROGERY, arrivé aussi en 1816, il semble n'avoir pas laissé plus de résul-
tats que ses autres collègues explorateurs de la Société coloniale
africaine.
Malgré cette brillante représentation contemporaine, R. CAILLIÉ ne
cite aucun de ces botanistes dans son Journal. Lorsqu'il était passé à
Richard-Toll en allant chez les Braknas (§ 9), PERROTTET s'y trouvait
peut-être, RICHARD certainement et c'est probablement à leur intention
qu'il devait rapporter des graines diverses de son séjour en Mauritanie
(§ 18). Puis, lorsqu'il y est revenu comme employé, en attendant le
retour de ROGER, il était nécessairement placé sous les ordres du direc-
teur RICHARD, mais il n'en parle toujours pas. On peut supposer que
ce RICHARD, « qui a été vraiment le pivot de l'œuvre agricole de ROGER,
en même temps qu'un technicien d'une remarquable conscience et un
homme d'un dévouement à toute épreuve (M) n'appréciait guère les
histoires d'exploration de R. CAILLIÉ qui s'est souvenu de la froideur
de l'accueil.
C'est bien cependant à ce séjour que R. CAILLIÉ fit son apprentissage
de botaniste, grâce à l'obligeance de LELIÈVRE (Mil') qui sut aussi le ré-
conforter après les rebuffades des bureaux de Saint-Louis: «A mon
arrivée dans cet établissement j'y trouvai les consolations de l'amitié
auprès de M. LELIÈVRE, jardinier, qui eut la bonté d'ajouter quelque
chose de ses provisions à la ration de soldat à laquelle seulement me
donnait droit mon emploi. Je me mis à herboriser pour acquérir quel-
ques connaissances botaniques.» Mais dès qu'il apprend le retour de
France du gouverneur ROGER, il abandonne brusquement l'herborisa-
tion : «Je courus de tous côtés pour trouver une embarcation qui me
descendit à Saint-Louis; si je l'avais pu, j'y serais allé à la nage.:Il
Après la déconvenue que l'on sait et pendant son séjour à Freetown,
R. CAILLIÉ ne semble pas s'être livré à des observations botaniques,
alors qu'il s'empresse de prendre des notes dès son arrivée au Rio-
Nunez. Cette même attitude en des circonstances diverses, montre bien
qu'il n'a toujours considéré le renseignement botanique que comme un
moyen strictement subordonné à la découverte géographique. Cela est
bien dommage, car quelques exemples nous montrent qu'il eut pu faire
un excellent collecteur, si cela eut été dans ses intentions, pendant les
périodes de préparation à son voyage clandestin. Car, au cours de
celui-ci, non seulement il ne pouvait rapporter d'échantillons valables
pour les raisons que nous avons indiquées (§ 18), mais guère davan-
tage de descriptions, dessins, menus fragments glissés dans le carnet.
Ce sont des notes de ce genre qui figurent en annexe, volume III, du
Journal. De plus, les originaux de quelques croquis ont été conservés
avec le manuscrit déposé à la Bibliothèque Nationale.
On y voit le dessin d'un Gardenia (un rameau avec feuilles, fleur et
fruit) et quelques remarques: « J'ai pris cette fleur pour celle du Cale-
bassier d'Amérique. La fleur nouvellement éclose est blanche, mais
passée ellc est jaune elle exhale une odeur très agréable. L'arbrisseau
ou arbuste qui la produit a 9 ou 10 pieds d'élévation. » Si la comparaison

(Il') Une Pédalaciée d'Afrique occidentale lui a été dédiée: Rogeria.


(..... ) G. HARDY. - Voir bibliographie.
( - ) Le R. P. BERHAUT a décrit un Echinochloa Lelievrei, voir bibliographie.
- 158-

n'est vraie qu'en ce qui concerne l'aspect de ces deux plantes, cela
indique que R. CAILI.IÉ avait bien observé le curieux Crescentia cujeie
aux Antilles ou à Freetown.
Le meilleur dessin est probablement celui du Cassia (sieberiana?)
dont toute une grappe est représentée: «Je ne sais si cette fleur est
connue mais elle m'a semblé si belle qu'elle paraît mériter quelque
attention. La plante qui la produit vient d'un buisson de la hauteur
de 8 à 10 pieds. Elle exhale une odeur douce et agréable. Cette fleur
d'un jaune un peu clair le pistil en est vert, elle ornerait bien nos jar-
dins. Ci-joint un échantillon des étamines. Je regrette de n'avoir pas
trouvé de fruits.»
Enfin il a encore dessiné le Dissotis grandiflora: «Plante qui res-
semble à une mélastome. Les feuilles velues, fleurs idem, etc... Cette
plante est herbacée, c'est avec la racine que les Landamas font la bois-
son purgative qu'ils nomment gingindhi, cette racine est comme de la
petite cassave. Les pétales de cette fleur sont bleus. Ci-joint une éta-
mine. » Sur ce dessin la zigomorphie des étamines est assez bien esquis-
sée mais elle a entraîné celle de la corolle ce qui est inexact. Sa com-
paraison avec une «mélastome» était très juste, cette plante étant ef-
fectivement une Mélastomacée (Fig. 22).
On peut regretter que pendant son séjour au Sénégal il n'ait pas tra-
vaillé avec des botanistes qualifiés, comme PERROTTET par exemple. Il
faut dire que si celui-ci a ignoré, délibérément ou non, l'explorateur
vagabond de Saint-Louis, il a su rendre hommage au voyageur que le
succès venait de consacrer. Dès 1830, il proposait avec GUILLEMIN, un
nouveau genre de mimosée« sous le nom de Cailliea, en l'honneur du
voyageur CAILLIÉ, qui le premier de tous les Européens a pénétré à
Tombouctou, et qui, dans son voyage au travers de l'Afrique, en a ob-
servé les productions naturelles, et nous a fourni des renseignements
sur quelques végétaux de ces contrées.» Il est fâcheux que le nom de
Cailliea n'ait pas prévalu et soit devenu synonyme de celui de Dichros-
iachys qui figure maintenant sur la liste des noms conservés.
En 1938, dans l'intention de maintenir le nom de l'exporateur en
floristique africaine, j'ai proposé l'établissement du genre Cailliella pour
une plante de Guinée, de la même famille que le DissoUs qu'il avait
observé et dessiné à Kakondy.
En 1943, Oswald DURAND a insisté dans un petit ouvrage sur la con-
tribution botanique et agricole de R. CAILLIÉ: « Mais sa principale préoc-
cupation est l'agriculture avec toutes les branches qui s'y rattachent;
terres, botanique, procédés de culture, instruments, récoltes ... parfois
même hydraulique agricole. Tout l'intéresse. Son œil de terrien ne laisse
rien échapper ».
En 1960, sous le titre de « R. Caillié botaniste» propre à attirer l'atten-
tion sur un aspect méconnu de l'explorateur, Th. MONOD a publié un re-
levé complet de toutes les citations de plantes du Journal.
Enfin, en 1962, dans une note préparatoire «R. Caillié et la Bota-
nique », j'ai voulu montrer la progression constante des idées de ce
« tout jeune homme, voyageant moins pour observer que pour chercher
des aventures:. qui parvint à la qualité du voyageur scientifique par
son esprit de découverte, ses facultés d'observation et son respect absolu
de la vérite.
- 159-

Fig. 22. - l'n CI'Ol(uis de R. C<lil!iè rcprésentant un Dissolis grandiflora (d'aprës


l'original de la Hihliothéque Nalionale : ~lanuscrits, N.A.F., nO 2621).
(GO -
§ 172. Le8 circon8fance. du voyage. Libérées de la hantise napo-
léonnienne, les nations d'Europe reprenaient, en cette première moitié
du XIX· siècle, la découverte des terres lointaines. Tandis que les navi-
gateurs devaient pousser leurs vaisseaux de plus en plus loin et jusqu'aux
terres polaires pour découvrir encore quelque îlot inconnu où planter
leur pavillon, le continent africain tout proche restait en blanc sur les
cartes scolaires devant lesquelles rêvait le jeune R. CAILLIÉ.
C'est à un événement historique plus précis qu'il dut d'échapper au
destin de cordonnier que lui réservait son tuteur. Le bateau la Loire, sur
lequel il prit place, faisait partie (l'un convoi qui comprenait l'Argus,
l'Echo et aussi la Méduse dont la fin tragique sur le banc d'Arguin fit
oublier que ces bâtiments allaient, sous les ordres du colonel SCHMALTZ,
reprendre possession de Saint-Louis du Sénégal que le Traité de Paris
rendait à la France. Parmi «le personnel très bigarré» de l'expédition
figuraient, outre R. CAILLIÉ humble domestique d'un officier, le jeune
MOLLIEN, le jardinier Cl. RICHARD, etc ... A côté de bien d'autres per-
sonnes de qualité se trouvaient aussi des recrues moins recomman-
dables ("").
La politique prudente de Louis XVIII et de Charles X, désireux de ne
pas inquiéter les anciens coalisés, interdisait les tentatives d'explora-
tion profonne de l'Afrique à partir du Sénégal. R. CAILLIÉ, que rien ne
recommandait à première vue pour de telles entreprises, n'avait donc
aucune chance d'obtenir une mission officielle et il lui fallut toute la cha-
leur et la justesse de ses convictions pour intéresser temporairement le
gouverneur ROGER à son projet.
Au contraire, l'Angleterre multipliait les missions de pénétration et,
devant l'insuccès de celles tentées à partir des côtes occidentales, en-
voyait le major Gordon LAING à travers le Sahara avec les recommanda-
tions du Pacha de Tripoli.
Cependant, la Société française de Géographie lançait un appel à
l'initiative privée et créait un prix de 10000 francs à attribuer à qui
rapporterait de Tombouctou des renseignements propres à faire pro-
gresser les connaissances. C'est ce programme «jeté sur les côtes d'A-
frique» et plus exactement envoyé à R. CAILLIÉ, sous forme d'une cou-
pure de journal, par sa sœur Céleste, qui déclancha son départ de
Freetown.
Ayant emprunté, comme nous avons vu, la personnalité d'un jeune
Egyptien il basa sur l'occupation de l'Egypte par le général BONAPARTE,
la fiction de son enlèvement de ce pays. Il s'attirait ainsi le préjugé favo-
rable nes populations musulmanes et rendait plausible sa connaissance
imparfaite de la langue arabe. Cette question religieuse constituait
réellement la pierre d'achoppement de toute pénétration européenne en
Afriquc. Alors que, selon R. CAILLIÉ lui-même, le déguisement n'eut
pas été nécessaire parmi les Bambaras, il était indispensable auprès
de certaines populations islamisées. Les exemples de G. LAING et de

("") CORRÉARD et SAVIGl\;Y, rescapés du naufrage laissent entendre que beau-


coup des soldats étaient d'anciens bagnards marqués au fer rouge: «Lorsque,
par mesure de santé on les fit baigner à la mer..., tout l'équipage put se
convainere par ses yeux que c'était ailleurs que sur la poitrine que ces héros
portaient la décoration réservée aux exploits qui les avaient eonduits à servir
l'Etat dans les ports de Toulon, de Brest ou de Rocbefort.» (Naufrage de la
Frégate La Méduse, Paris, 1821.)
- 161 -

R. CAILLIÉ, dont les destins se sont recoupés dans la regIOn de Tom-


bouctou, en sont une tragique illustration. C'est ainsi que le même EL-
HABIB qui, pense-t-on ("'), avait couvert l'assassinat de G. LAING refu-
sant d'abjurer la foi chrétienne devant quelques nomades, recevait peu
après le jeune R. CAILLIÉ à Araouan et le fournissait obligeamment d~
vivres pour sa traversée du désert (§ 135). On a bien dit que les hôtes de
R. CAILLIÉ à Tombouctou étaient au courant de son subterfuge, faute
d'avoir laisser une preuve de son passage à Djenné sous forme d'un pa-
pier caché dans la mosquée et d'être réclamé, de ce fait, par les chefs de
cette ville (il'). La tolérance religieuse des notables de Tombouctou, at-
testée par le séjour qu'y fit G. LAING avant d'être attaqué au désert par
des nomades, n'avait pas besoin de cette fable concernant R. CAILLIÉ qui
avait trop le sens de l'opportunité pour se compromettre par un sem-
blable enfantillage.
C'est surtout au Maroc que l'Islam, s'identifiant plus étroitement avec
le sentiment national, servait de bouclier aux pénétrations étrangères ct
de prétexte pour châtier les intrus clandestins et simulateurs. Ce n'est pas
que des chrétiens ne pouvaient y séjourner, puisque beaucoup de nations.
d'Europe y avaient une représentation ct que Eugène DELACROIX y fit un
voyage célèbre peu après le passage de R. CAILLIÉ.
Au Fouta-Djallon, deux prétendants, YAYA et BOUBAKAR, se livraient
à des jeux de princes pour prendre le pouvoir lors du passage de R.
CAILLIÉ qui a noté l'information mais s'est prudemment gardé de se
rendre à Timbo, capitale où se trouvait l'Almami en exercice. Il eut en-
core à tirer prétexte de guérillas entre les gens de Sansanding ct de Sé-
gou pour éviter ces dernières villes dont il craignait surtout que le souve-
nir du passage de Mungo PARK n'aggravât la suspicion à son égard.
En dehors de ces quelques incidents politiques locaux, l'organisation
sociale, que R. CAILLIÉ savait être favorable à ses desseins de voyageut""
clandestin, reposait sur l'éparpillement de l'autorité. Son trait de génie
fut de se confier à des guides responsables de sa sécurité ct de se laisser
porter par ces caravanes de colporteurs dont la route passerait bien un
jour à Tombouctou. Même lorsque la rigueur de la vie au désert durcit
le cœur des chameliers, le principe de cette responsabilité évitera le
pire.
Si çà ct là quelques brigands rançonnent les marchands, partout ail-
leurs le voyageur et ses biens sont respectés. R. CAILLIÉ avait un cadenas
à son sac de cuir! Précaution efficace peut-être contre les curieux mais
qui n'aurait pu empêcher que son sac cadenassé lui soit volé. L'intran-
sigeance qu'il montre à l'endroit du guide qui lui a subtilisé quelques
objets, est un hommage admirable à l'esprit d'équité des « sages» de
Kankan. Et il sait si bien que l'hospitalité est un devoir sacré qu'il s'in-
digne naïvement un jour de ce que le chef d'un village du Ouassoulo
mette si longtemps à apporter le dîner des voyageurs.
Au Maroc, où l'administration est plus efficace, une expérience, qui
aurait pu être fâcheuse, lui apprend qu'il est préférable de ne pas sol-
liciter la bienveillance des puissan ts; heureusement le peuple des rues.
est assez dense pour qu'il puisse y disparaître et reprendre son chemin
seul.

(il') CASTAGNEZ (P.). - Tradition inédite sur le passage de rt CAIJ.I.IÉ ft


Tombouctou.
162 -

On peut conclure enfin que R. CAILLIÉ fut la victime de la politique


de son propre pays. Bien que pour satisfaire aux exigences mêmes du
programme établi par la Société de Géographie il ait étayé son Journal de
renseignements susceptibles d'intéresser l'expansion du commerce fran-
,<,ais, le caractère personnel de son exploration ne permettait guère d'en
faire une option valable dans les chancelleries. A cette époque de la
conquête de l'Algérie, on devait estimer, dans les sphères gouvernemen-
tales, que le ruban inventé par Napoléon suffisait bien à récompenser
la découverte de Tombouctou tandis qu'il était impérieux de faire l'écono-
mie d'une petite pension pour financer la guerre.

§ 173. Les rapports humains. Peu de personnes, ayant atteint la


célébrité, l'ont dû autant que R. CAILLIÉ à leurs relations directes avec les
hommes dont dépendaient le succès de leur entreprise et leur propre
salu t.
En dehors de ses emplois de jeunesse, sans liaison avec sa carrière
d'explorateur, il a toujours eu le choix de son attitude. Aucun lien admi-
nistratif n'est venu lui assurer des droits ni, réciproquement, lui impo-
ser des servitudes; aucune hiérarchie n'est venue lui indiquer que là il
devait obéir et que là il pouvait commander. Indépendance magnifique
et terrible. Simple petit boutiquier, il est libre de demander une mission
nu gouvernement, libre d'en refuser les conditions, libre aussi de dila-
pider son bien ... et de quémander son pain.
C'est à titre personnel qu'il vient à bout de son exploration: le gou-
vernement ne lui doit rien. Et c'est personnellement encore qu'il devra
faire valoir des droits moraux dont on se moque bien.
Une règle cependant a toujours été le guide de R. CAILLIÉ dans son
comportement avec son prochain: le respect de la dignité humaine. En
Mauritanie il est pour le tributaire travailleur contre le hassane querel-
leur; au Soudan il est pour l'insouciant Bambara contre le bigot inquisi-
teur. Lui même a parcouru l'Afrique sous le signe de l'humilité, préfé-
rant subir la violence que de l'employer.
Toutefois, blessé dans sa fierté il était parfaitement capable de ran-
cune. Lorsqu'après sa victoire il retrouve ROGER dans la commission qui
doit faire à la Société de Géographie le rapport sur son voyage, il ne
trouve pas un mot pour relater le fait dans son Journal. Il en voulait à
l'ancien gouverneur d'avoir déçu les espoirs qu'il avait placés en lui; et
on n'est pas surpris <l'apprendre qu'il existe, dans les archives, une lettre
assez violente à son endroit.
Seul en Afrique avec son secret, R. CAILLIÉ était plus que'jamais comp-
table de sa propre personne. De sa faculté d'adapter son attitude à celle
de tous ses interlocuteurs dépendaient et la possibilité de poursuivre
sa route el sa sauvegarde. Joyeux garçon lorsque la sympathie peut
s'établir, alors il rit volontiers, au besoin à ses dépens comme lorsque
les Bambaras s'amusent de la longueur de son nez. Mais il peut être
dangereux de sourire d'un sot (il en est partout) qui fait semblant de
lire de l'arabe. dont il tient le texte à l'envers. II faut faire la sourde-
oreille devant l'ânier qui menace de laisser le bagage à terre. II faut être
généreux avec son hôte et ne l'être pas trop avec ses voisins, sous peine
(le vider du coup les maigres réserves du sac. II faut se résigner enfin
aux mauvais traitements, lorsque la loi de l'hospitalité cède la place à
celle de la pcrsécùtion.
Fig. 23. - YOllssollf Sylla, petit-fils de ~Iadion Bal(ayoko, à Tiémé (Cliché Cou-
libaly i\Iamadou, 19(3).
- lf)4 -

Car la règle selon laquelle les plus malheureux sont toujours les plus
compatissants souffre bien des exceptions. Si la vieille esclave des
Braknas partage avec R. C.\ILLlÉ sa maigre pitance de sanglé, le piro-
guier du Niger lui mène la vic dure pour en obtenir quelques poignées
de cauris. Et pourquoi le chamelier ALI est-il aussi impitoyable pour
l'étranger qui lui est confié? Peut-être estime-t-il, comme beaucoup
d'hommes de sa condition, que ceux qui empruntent leur genre de vie,
doivent en éprouver toutes les duretés et « faire leurs classes ». Et aussi
et surtout (R. CAILLIÉ a probablement raison lorsqu'il dit «le cupide
ALI) il pense que brimer l'intrus, en faire quelque chose d'étranger au
groupe et de méprisable, donne le droit de le spolier des vivres qu'un
naïf lui a inconsidérément donnés.
Inversement il est beaucoup de notables qui ont grandement facilité
le voyage de R. CAlI"LIÉ en lui accordant généreusement les vivres néces-
saires aux longues traversées: de Djcnné à Tombouctou, de Tombouc-
tou à Araouan, et, enfin, de cette ville au Maroc. Et il serait injuste
de restreindre la portée de leur geste en disant qu'ils l'ont fait par
charité religieuse en faveur d'un coreligionnaire méritant et déshérité;
car ils auraient aussi bien pu mettre leur conscience en paix, comme
d'autres l'ont fait, en accablant R. CAILLIÉ dc généreuses paroles.
Mais le plus bel exemple de dévouemenl est celui de cette humble
femme de Tiémé qui, sans rien attendre de cc marchand peu chargé,
sans être guidée par des prineipes religieux, animée seulement d'une
infatigable bienveillance maternelle, a sauvé de la mort cet étrange
voyageur, venu de lointains pays inconnus, allant vers de lointains
pays inconnus et que le hasard avait amené chez elle.
Jusqu'alors nous n'avions d'autres renseignements que ceux du Jour-
nal sur eette femme admirable. M'étant adressé réeemment à la préfecture
d'Odienné, ville proehc de Tiémé, j'ai rcçu dc Monsieur lc Secrétaire
administratif Louis DINGOU ASSIND.JO dc précicux documents, dus à
Monsieur MAMADOU COUUnALY, Présidcnt du Conscil Economique et
Social de Côte d'Ivoire, originain' d'Odienné. Qu'ils en soient ici cha-
leureusemcn t remerciés.

Nous apprenons ainsi:


Le nom exaet de la fem'mc qui « aecueillit René CAILLIÉ ct le soigna
de la dysenterie don t il sou !frait »;
qu' « à ce jour, il existe encore à Tiémé de ses descendants dont M.
YOUSSOUFFOU SYLLA est le plus âgé. »;
que le souvenir de eet événement lointain persiste dans le pays:
« Le voyageur... s'est présenté au village de Tiémé sous un déguisement
arabe. Une fois guéri, il reprit son chemin en direction de Tengréla,
traversant les villages Moronou ct Koroumba.»

Madion Bakayoko. C'est un plaisir pour les yeux et un supplice


pour les pieds que de circuler en brousse quand fleurissent les marais
et verdissent les plateaux, et que l'on patauge dans l'eau à longueur
d'étape. Alors, la moindre écorchure au pied devient plaie béante et
purulente: c'est l'ulcère phagédénique, le craw-craw. R. CAILLIÉ en fut
atteint et c'est en s'appuyant sur un bâton qu'il parvint à Tiémé, où son
guide BADA, le confia à sa vieille mère, MADION BAKAYOKO du quartier de
Baradougoula.
- 165

Le pied fut long à sc cicatriser..., puis cc fut le scorbut..., puis la


plaie se rouvrit encore. C'est une éternité que cinq mois en pays étranger,
sur une couverture à même le sol d'une case humide à subir les souf-
frances qui vous font souhaiter la mort. C'est long aussi, pense BABA, pas
méchant homme mais jouissant d'une excellente santé et que cela agace
d'avoir chez soi cet homme qui n'en finit pas de guérir. Et ce sont les
femmes du village qui, heureuses peut-être de prendre leur revanche
d'avanies subies chez elles, harcèlent de leurs moqueries cet homme
sans défense.
Mais une qui ne s'impatiente pas, qui, avec les misérables moyens dont
elle dispose, apporte régulièrement le bouillon qui nourrit ct le médi-
cament qui guérit, c'est la vieille Manman. La vieille Manman qui pen-
dant cinq mois a soigné comme un fils cet homme étranger à sa race, l'a
arraché à la mort pour le voir ensuite repartir en titubant vers l'Est.

Souvenirs. Le passage de ce blanc solitaire à cette époque était une


chose assez insolite pour laisser des souvenirs qui se sont transmis à
travers les générations. Ceux qui persistent en Mauritanie sont tellement
embellis par la légende que nous leur préférons la froide vérité du Jour-
nal. A Tombouctou ils ont conduit à cette opinion que la véritable na-
ture du voyageur aurait été découverte pendant son séjour.
A Tiémé un Baobab centenaire étend sa puissante ramure là où se
trou vait le quartier de Baradougoula et le plus ancien représen tan t vi-
vant de la famille de MADlON BAKAYOJW est aujourd'hui un vénérable
vieillal'd, M. YOUSSOUFFOU SYLLA, petit-fils, ou petit-neveu, de BABA fils
de MADION (Fig. 23).
Il existe aussi à Tiémé une sorte de maçonnerie badigeonnée à la
chaux, dépourvue de caractère, ct qui fut édifiée pour marquer le pas-
sage et le séjour de R. C.\ILLIÉ en ce lieu. Nous voudrions que sur une
plaque de bronze, scellée dans un bloc de rocher arraché à la montagne
voisine, fussent gravés les noms de R. CAILLIÉ ct de MADION BAKAYOKO,
commémorant ainsi le passage d'un homme courageux de France et
l'acte humanitaire d'une femme d'Afrique.
10'
ITINIRAIRES DE
RENI CAILLII
A TRAVERS LES
RIGIONS BOTANIOUES
ALGÉRIE
1,,;.1 sellég.1 1819
Tfajel Mauritanie 1824.1825
Troie' Bokt Tombou(touTangtr 1821·1828
~ Domain. 1II000t....ord

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Fig. 2·1. - Hinpr'aÏJ'('s de fi. Caillié en rapport avec les zones de végétation.
Carte dr'essée par le Scrvice cartographique de l'Oflice dl' la Hccherehc Scien-
tifique ct Techniquc Outre-l\ler, d'aprt·s l'Atlas annexé au Journal dl'
Il. CA!I.I.I~; et d'après Th. l\loNon pour lèS divisions ehorologiqucs.
- 167-

BIllLIOGRAPHIE

I. SUR RENÉ CAILLIÉ ET LE VOYAGE.

BOULENGER (Jacques). - Le voyage de René Caillié à Tombouctou et à


travers l'Afrique. Paris, 1932, XXIII + 239 p. Edition analytique du
Journal.
L'auteur critique sévèrement le style de H. CAILLIÉ et le manque d'ordon-
nance du texte: «Caillié se croit obligé à un style officiel et cruellement
endimanché. Il n'a d'ailleurs ni gaieté, ni verve, ni pittoresque: son livre est
pauvre comme un journal de bord. Fort désordonné en outre: l'auteur aborde
un sujet, le quitte, le reprend, le quitte encore.»
BRIAULT (Maurice). - La prodigieuse vie de R. CAILLIÉ ou la découverte
de Tombouctou. Paris 1930, 164 p.; dessins originaux de l'auteur.
CAILLIÉ (René). - Journal d'un voyage à Tombouctou ct à Djenné dans
l'Afrique Centrale, précédé d'observations faites chez les Maures Brak-
nas, les Nalous et d'autres peuples pendant les années 1824-1825-1826-
1827-1828. Paris, 1830, 3 vol. + Atlas. Une importante partie du troi-
sième volume est consacrée aux « remarques ct recherches géogra-
phiques, Itinéraire, etc ... » de JOMARD.
DEMOUGEOT (Antoine). - René CAILLIÉ, Paris 1948. Collee!. « Les grands
Coloniaux ». Le frontispice représente le buste de R. Caillié par Au-
guste BIAGGI; photo.
DURAND (Oswald). René CAILLIÉ à Tombouctou. Tours 1945, 128 p.
Livre destiné à la jeunesse mais très alertement ct judicieusement
abrégé; photo.
JACQUES-FÉLIX (Henri). - Sur quelques Mélastomacées africaines. Bul/.
Mus. Rist. Nat., 1933. Description du genre Cail/iel/a.
- René CAILLIÉ ct la Botanique. Poitiers, 1962, 8 c Congrès des Sociétés
Savantes.
LAMANDÉ (André) et NANTEUIL (Jacques). - La vie de René CAILLIÉ,
vainqueur de Tombouctou. Paris 1928, 284 p. La meilleure biographie
de R. CAILLIÉ.
MONOD (Théodore). - René CAILLIÉ, botaniste. Bul/. /nst. franç. Afrique
noire, série A, 22 : 1960. Relevé de toutes les citations de plantes
du Journal.
TOMBOUCTOU, ville interdite. Paris 1961, 261 p. (Club des Editeurs).
Réédition intégrale du Journal de R. Caillié, sans les annexes.

II. OUVRAGES DE BOT.\NIQUE.

ADAM (J.-G.). - Flore et Végétation d'hiver de la Mauritanie Occidentale


J. Agric. Trop. et Bot. appl. 9, 1962.
ADANSON (M.). - Histoire naturelle du Sénégal, avec la relation abré-
gée d'un voyage fail en ce pays pendant les années, 1949-50-51-52-53.
Paris 1957.
AUBRÉVILLE (A,). - Flore forestière Soudano-guinéenne. Paris 1950.
BERHAUT (R. P.). - Flore du Sénégal. Dakar 1954.
CHEVALIER (A.). - Flore vivante de l'Afrique Occidentale Française.
Paris 1938. Premier vol. sans suite; intéressant pour l'historique de
la prospection botanique ct les zones de végétation.
DALZIEL (J. M.). - The Uscful Plants of West tropical Africa. Londres
1937.
-- l(i~ -

DE CANDOLLE (A.). - Origine des plantes cultivées. Paris 1883.


EMRERGER IL.). -- Les arbres du Maroc. Paris 1938.
GUILLEMIN, pERROTTET et A RICHAIID. - Floral' Senegambiae Tentatem.
Paris 1830-3:J. Un seul yol. paru; plusieurs allusions à R. Caillié et
description du genre Cail/iea = Dichrostachys. Le troisième auteur est
Achille RICHARD et non IC' fonoatC'ur de Richard-Toll Claude RICHARD.
HARDY (G.). - La mise en valeur du Sénégal de 1817 à 1854. Paris
1921. Ouvrage indis]JC'nsablc pour l'histoire de l'agriculture en Afrique
occiden tale.
HUTCHINSON (J.) et DALZIEI. (J. M.). - Flora of West tropical Africa.
Londres 1927-36. Deuxil'me édition en cours depuis 1954.
HAUDRIcoURT lA. G.) ct HÉDIN (L.). - L'homme et les plantes cultivées.
Paris 1943
KEAY (R W. J.). - Botanical Collee tors in West Arrica prior to 1860.
C. R IV· réunion plénière oe l'AETFAT, Lisbonne 1961.
MAUNY (R) - Notes historiques autour <!C's principales plantes culti-
vées d'Afrique Occidentale. Bul/. Jnst. Fr. Afr. noire, 15, 1953.
MONOD (Th.). - Les grandes divisions chorologiques oe l'Afrique.
Yangambi 1956; Public. CSA. Il'' 24.
MONTEIL IV.) & SAUVAGE (Ch.). --- Contribution à l'Huoe de la Flore du
Sahara oceidental. Paris, J, 1949; Il, 1953.
OZENDA (P.). - Flore ou Sahara septentrional et central. Paris.
PALES (1..). -- L'alimentation en A.O.F. Dakar 1954.
pIERRET (R). -- Etude du dialecte maure des régions sahariennes et
sahéliennes de l'Afrique occidentale française. Paris 1948.
pORÉGUIN (H.). -- Essai sur la Flore de la Guinée française. Paris 1906.
Une excellente photographie montre un coin de la forêt de Bam-
baya traversée par R Caillié.
pORTÈRES R - Les appellations des Céréales en Afrique. J.A.T.B.A.,
1958-59.
POUSSIBET (F.). -- I\'otes sur le yoeabulaire botanique des Brabich et
Kounta Regagda. Bull. JFAN, 24, 1962.
NOTE. - Les travaux de l'IE.RRET, l'ORTÈRES et POUSSIBET ont été spécialement
consultés pour chercher une explication linlluistique au mot « aze» (voir § 27)
qui désijtne en commun la jtraine récoltée pour la consommation de plusieurs
graminées sauvages qui ont, par ailleurs, des appellations particulières. En
raison du mode particulier de récolte de ces graines, j'avais pensé à l'action
haze = secouer; mais Pierret orthojtraphie êaze et indique: « petites graines
ressemblant à de la semoule. que les nomades obtiennent en battant les épis
de plusieurs graminées de la brousse» (p. 138).
l'ORTÈRES. ne parlant que des eéréales cultivées, ne cite pas le aze au sens
mauritanien, mais on y trouve des coïncidences curieuses: azi, hazi, haze,
signifiant en basque, graine, semence. nourriture.
l'OUSSIBET orthojtraphie comme l'IERRET et il rapporte un dicton des
Bràbîch : « Az Habbet fi Alazzâz» pour dire que les semences ne germent
qu'en terrain frais.
ROBERTY (G.). -- Hypothèse sur l'origine et les migrations des coton-
niers cultivés ct notes sur les cotonniers sauvages. Candol/ea, 7, 1938.
Sf:HNELL (R). - Plantes alimentaires ct Vie agricole de l'Afrique noire.
Paris 1957.
SÉBIRE (R P. A.). - Les PlantC's Utiles du Sénégal. Paris 1899.
TROCHAIN (J.). - La Végétation du Sénégal. Mém. JFAN, Dakar 1940.
VALLOT (J.). - Etudes sur la Flore du Sénégal. Paris 1883. Un seul fasci-
cule sans suite; intéressant pour l'historique de l'exploration bota-
nique du Sénégal.
TABLE DES MATIÈRES,

AYANT-PROPOS 1
INTRODUCTION 3
Chorologie des palmiers; Les terriloires IJotaniques; Géo-
graphie agricole et alimentaire; Les plantes médicinales;
Les plantes magiques; L'introduction des espèces cultivées.

1. PRELUDE
Voyage au Bondou à la rencontre du Major Gray

De Candiolle à Bakel à travers le Djolof et le Ferlo 14


1, La trayersée du Ferlo; 2, Le bon et le mauvais Détar;
3, Le pays de Bondou ('f).

II. NOVICIAT
Chez les Marabouts Braknas de Mauritanie

En route pour l'escale du Coq . . , " .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . 20


4, La campagne du Ouallo en été; 5, Le Néou (Parinari
macrophylla); 6, Repos bien employé à N'pâI; 7, R. Cail-
lié pédologue; 8, Le Niébé (Vigna unguiculata); 9, Arrivée
et séjour à Richard-Toll.

Voyages en Mauritanie av,ec les nomades 24


10, Le Gonakié (Acacia scorpioides var. pubescens); 11,
Les dunes mortes; 12, L'Anone du Sénégal (Annona senega-
lensis); 13, Les fruits du Grewia; 14, Le cram-cram (Cen-
chrus biflorus); R. Caillié phytothérapeute; 15, Le basilic
(Ocimum americanum) ; 16, Passe-moi le basilic je te passerai
le séné; 17, Le cotonnier des rocailles (Gossypium anoma-
lum); 18, Suspicion à l'égard du collecteur de plantes; 19,
La pastèque: providence du voyageur; 20, Le Soump (Ba-
lanites aegyptiaca); 21, Le pays d'Atar; Manière de tanner
le cuir; 22, Le neb-neb (Acacia scorpioides Yar. aslringens) ;
23, Récolte de la gomme et gommier (Acacia senegal); 24,
La traite de la gomme; La vie pastorale et agricole au Nord
du fleuve Sénégal; 25, Le cheni; 26, Le Sanglé; 27, Le Haze
ou Bakat (Panicum laelum); 28, La culture des Mils (Sor-
gum et Penniselum); Transhumances; 29, Les fruits de Bos-
cia; 30, Les trois maillons des ceintures palustres; 31, R.
Caillié se rend à l'escale; 32, les mangeurs de Nymphaea
(N. lolus); 33, Retour auprès du roi Hamet-Dou : la vache
sert de guide.

('J) Les numéros sont ceux des paragraphes du texte.


- 170-

III. LA GRANDE COURSE


De Boké à Tanger par Tombouctou

Attente au Rio-Nunez· . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
Les plantes introduites; 34, Orangers et Citronniers; 35,
Pas de manguiers (Mangifera indica) sur la Côte avant 1827;
Les plantes du pays dans la vie des populations; 3(j, Le poi-
son d'épreuve (écorce de l'Erythroph/eum gllineense); 37, Les
boissons fermentées; 38, L'huile de palme; 39, Les arbres-
ruchers; 40, La mangrove n'intéresse pas R. Caillié; 41, Le
riz et les rizières littorales; 42, Il n'est pas encore question
du Café Nunez.

Départ pour le Grand Voyage, I,e 19 avril 1827. La tra-


versée du Fouta-Djallon. 58
Trois compagnons de route; 43, Le Coura (Parinari exee/-
sa); 44, Le t\éré (Parkia big/obosa); 45, Le Bombax de R.
Caillié est probablement le Kapokier (Ceiba pentandra).
Productions végétales et système agro-pastoral du Fouta-
Djallon; 4(i, Le cagnan, nougat de maïs; Plantes d'Amérique
dans les jardins d'Afrique; 47, La pistache: arachide ou
voandzou?; 48, Le gros maïs; 49, La cassave; 50, Les choux
caraïbes (C%easia et XantllOsoma); Le gallé, ou enclos des
foulas, ct le roundé; 51, Le fougné des Soussous (Ananas
comosus); 52, Figues et bananes ou Figues-bananes?; 53,
Les orangers du Fouta-Djallon; Sources du Bafing; 54, Hos-
pitalité : le couscous de fonio; 55, Les brèdes; 5fi, Le gombo
et autres Hibiscus; 57, Le sésame (Sesamum); 58, Le bou-
quet de la cuisinière; 59. R. Caillié traverse le Bafing.

Les plaines et plateaux du Haut-Nig·er 73


fiO, Préparation des semailles à Cambaya; 61, Le foigné ou
fonio (Digitaria cxilis) ; 62, La pratique du mou.ki; (j3, Le gin-
gembre (Zingibcr officinale) ; 64, Le karité, arbre à beurre du
Soudan; 65, Le baobab (Adansonia digitata); 6(j, Descrip-
tion du pays de Baleya; 67, Arrivée à Kouroussa sur les
bords du Dhiolibn; fi8, Le tau; fi9, Fièvre ct tamarin (Tama-
l'indus indiea); 70, Le déguet (ou dégué); 71, Le Pourpier
(Portu/aea o/eraeea); 72, Le Papayer (Carica papaya); 73.
Ln ville de Kankan et son marché; 74, Les environs de
Knnkan: Dépnrt de Kankan; 75, Le pays du Ouassoulo;
76, Récolte du fonio; 77, Travaux champêtres; 78, Les pre-
miers Jujubiers du Soudan (ZizipllUs mauritiana); 79, Con-
clusions sur le pays de Ouassoulo; 80, Le pays du Foulou;
81, Le soumbara.

Séjour à Tiémé: 4 août 1827-9 janvier 1828 90


82, Maux et remèdes; Description de la région de Tiémé;
83, Les Ignames (Dioseorea); 84, La cuisine à Tiémé; 85,
Description du Karité (Blllyrospermum Parkii); 8fi, Le Ta-
- 171-

man, autre arbre à beurre (Pentadesma butyracea); 87, Vin-


digo et les Indigotiers llndigofera); 88, L'indigo de liane
(Lonchocarpus cyanescens); 89, Le Tabac pétiolé (Nicotiana
rustica); 90, Le Niébé (VigllU unguiculata); 91, Le Cani ou
poivre long (Xylopia aethiopica); 92, Noix de cola et Cola-
tier (Cola nitida).

La route du cola: de Tiémé à Djenné . .... o... .. .. ..... 101


93, Le départ; 94, A l'étape; 95, Quelques palmiers à huile
et Rôniers; 96, Le marché de Tengréla; 97, Galette à la
poêle; 98, Marchand de Tabac; 99, Baobabs et Fromagers,
arbres domestiques; 100, Ficus à racines adventives; 101,
Detarium microcarpum; 102, Les ruches d'écorce; 103, Les
peuplements de Karité; 104, Marché à Badiarana; 105, Li-
mite Nord de la culture des ignames; 106, Cultures d'oi-
gnons; 107, Les Cucurbites: Pastèques; Calebasses; Ci-
trouilles; Giraumons; Melons; 108, Dernière palmeraie d'E-
laeis; 109, Commerce des feuilles et fruits du Baobab; 110,
Fabrique d'instruments aratoires; 111, Coton herbacé ou an-
nuel; 112, Les pistaches bouillies; 113, Irrigation du tabac;
114, Le (Iokhnou; 115, Le Dâ (Hibiscus cannabinus); 116,
Le pain de lotus; 117, Nymplweas; 118, Arrivée à Djenné;
119, La sensitive rugueuse (Mimosa asperata); Séjour à Djen-
né; 120, Le gombo pectoral; 121, Le marché à Djenné; 122,
Légumes de la zone tempérée; 123, La mévente des colas;
124, Le lalo; 125, Jeûne (lu Ramadan.

Sur le Niger, de Djenné à TomIbo·uctou 121


126, Provisions de route; 127, Le Rônier (Borassus ae-
thiopum); 128, Transit à Couna; 129, Le sirop de Borgou
(Echinochloa stagnina); 130, Borgoutières et transhumance;
131, Haie de Célane (Euphorbia balsamifera); 132, Le Nénu-
far bleu; 133, Les Touariks pasteurs et pillards; 134, A Cabra,
port de Tombouctou; 135, Pain de froment; Tombouctou;
136, La flore de Tombouctou; 137, Matériau de construction
et combustible; 138, Fourrages; 139, Culture de tabac.

Traversée du Sahara. o. o' o ••••••••••••••••• o ••••••••• o. • 130


140, Le viatique de l'amitié; Départ de Tombouctou le 4
mai 1828; 141, Le TaIlla (Acacia raddiana); 142, Le Salva-
dora persica; 143, Haltes diurnes; marches nocturnes; 144,
Cordes ct nattes de Drinn (Aristida pllngens); 145, Départ
d'el Araouan; L'enfer du sel; 146, Les puits de Télig et les
mines de sel de Taoudéni; 147, Le chardon du désert: Agoul
ou Had?; 148, La première palmeraie-datteraie : les dattiers
d'el Chcch; 149, Bonnes et mauvaises dattes; 150, Panifi-
cation à el Harib; Départ d'el Harib; 151, Puisage de l'eau au
Khottara (Chadouf); 152, Galette d'orge.

Le Moghreb . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144
Palmeraie d'el Drâ; 153, Le plat de couscous; 154, Les Ber-
bi'res cultivateurs et petits nomades de Bohayara; 155, Juju-
- 172-

biers et Tamaris; 15G, Le raisin et le pain; 157, Le pays du


Tafilalet; 158, Bouillie d'orge et dattes; 159, Hospitalité:
noix et melon; 160, Le marché de Boheim; 1G1, Les jardins
moghrébins, sieste sous un laurier-rose; lIi2, Passage du
dattier il l'olivier; 16:~, Le Chêne-liège (Quercus suber);
164, La garrigue de Séfrou; 165, Les vergers de Séfrou;
166, Le man'hé de Fez; 167, Meknès; 168, Rabat; lfi9, Tanger.

IV. RENE CAILLIE

L'Homme et le Voyageur.............................. 153


170, La vic de R. C\lLLIÉ; 171, R. CAILLIÉ et la Botanique;
172, Les circonstances du voyage; 173, Les rapports hu-
mains; Madion Bakayoko; Souvenirs.

CARTE 166

BIBLIOGRAPHIE 1G7
IMP. MONNOYER LE MANS

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