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Le ç o n s s u r les

FO N D A M EN TA U X
DU JEU DE G O

Toshiro Kageyama
7èm e dan
LEÇONS SU R
LES FONDAM ENTAUX
DU JE U DE GO

TOSHIRO K A G E Y A M A 7e dan

traduit par Rém i Vannier

PUBLIÉ DANS LA PAM PA REN NAISE


Publié et édité par
Rémi Vannier
6, rue de TArmor
35760 Saint-Grégoire FRANCE
M a il: reini.vannier@gmail.com

Titre original:

traduit de Tanglais depuis la traduction de James Davies


Lessons in the Fundamentals of Go (1978).
© 2016 Rémi Vannier pour les droits de la traduction française.

Traduction et édition : Rémi Vannier 2e dan


Couverture : May-Soua Ya
Image en première page :
Hasegawa Settei 1878
(source : Wikimedia Commons)

ISBN : 978-2-7466-9027-1
Imprimé en France en Juin 2016

Merci à tous les membres du club de Rennes pour leurs nom­


breuses relectures et surtout à May pour la belle couverture. Un
merci particulier à Tristan pour ses relectures impitoyables, et à
Jonathan pour son aide sur le chapitre 3. Tous les diagrammes ont
été réalisés à l’aide de l’excellent logiciel Go Write 2.
L’auteur

Toshiro Kageyama est né en 1926 dans la préfecture de Shi­


zuoka au Japon. Joueur de go dès la plus jeune enfance, il gagne le
Tournoi National Amateur Honinbo en 1948, devient professionnel
Tannée suivante, puis gravit les échelons professionnels :

Shodan 1949
2e dan 1950
3e dan 1951
4e dan 1953
5e aan 1955
6e dan 1961
7e dan 1977

En 1953, il prend la première place de la seconde division de


TOteai (le tournoi interne servant au classement des professionnels)
et atteint à deux reprises - en 1965 et en 1966 - la finale du tournoi
Kodansha, une compétition entre joueurs professionnels entre 5e et
7e dan. En 1967, il gagne le prix Takamatsu-no-miya.
Il est connu pour son jeu solide et une lecture précise. Resté
actif dans le monde du go amateur jusqu5à sa mort en 1990, il a
écrit de nombreux livres de go dont deux ont été traduits : Lessons
in the Fundamentals of Go (anglais et français), et Kage7s Secret
Chronicles of Handicap Go (anglais seulement).
Préface

« Si vous voulez progresser, lisez ce livre Ce conseil s’adresse


à un spectre très large de joueurs, depuis les débutants venant à
peine de lire les règles aux joueurs en dan. J ’ai rassemblé dans ces
pages Tessentiel de sept années d 5expérience en tant qu^m ateur
puis vingt-deux en tant que professionnel afin de léguer ce savoir
au monde entier.
L’importance des fondamentaux, la philosophie du go, et les
méthodes de travail sont les thèmes principaux abordés dans ce
livre. Tout ce que je vous demande, c5est de ne pas commettre
Terreur de lire cet ouvrage en un jour. Lisez-le posément, pas plus
d ^ n chapitre par jour, pas moins de deux semaines pour le terminer.
Si vous souhaitez prendre une quinzaine de jours supplémentaires
pour le relire et si ce livre continue de vous éclairer comme le ferait
un bon professeur, je vous promets que vous franchirez les barrières
que vous rencontrez aujourd’hui.

Toshiro Kageyama,
Été 1970
L e x iq u e

N ote du traducteur
Bien que le jeu de go ait été inventé en Chine, c^st le Japon qui
a le plus contribué au développement du go français. C ^st pourquoi
la plupart des termes de go utilisés en France sont d^rigine japo­
naise. Alors que les anglophones ont généralement choisi de traduire
ces termes, ce qu?a fait James Davies dans la traduction anglaise, les
francophones ont gardé les termes originaux, sauf quand les traduc­
tions anglaises se sont imposées - cas du snap-back ou du cross-cut.
J ’ai donc choisi d ’utiliser les termes japonais quand ils étaient
courants en français et traduit les termes dont la version japonaise
était moins connue. Si vous êtes habitué aux termes anglais, vous
serez peut-être surpris par la « prise en retour » (snap-back en
anglais), la « prise en é ta u 》(damp) ou par « l’essorage » (sçîzeeze).
Pour les autres termes, vous trouverez leur signification dans ce
lexique. Bonne lecture !

a ji - arrière-goût, potentiel la­


tent. Dans le diagramme ci-contre, la
pierre A ne peut être sauvée, mais
elle a beaucoup d"1aji. Grâce à cet ajz,
Blanc peut sortir en 1 sans craindre
la coupe en a. Si Noir a, Blanc b,
Noir c et Blanc peut capturer les deux
pierres □. 3Ji
a ta ri - situation dans laquelle une ou plusieurs pierres n ^ n t
plus qu^ne liberté et peuvent être capturées au coup suivant.
iv

cross-cu t - situation de double coupe.


fu seki - début de partie. On considère généralement que le
premier combat signe la fin du fuseki.
geta (prononcer [guéta]) - dans le diagramme ci-dessus, Noir 1
capture la pierre A en geta (voir p . 12).
gote [goté] - un coup est gote s?il ne requiert pas de réponse de
Tadversaire et perd Tinitiative. Voir aussi sente.
hane [hané] - coup diagonal au contact d ^ n e pierre adverse (à
comparer avec nobi)
Zionte [Zionn-化] - littéralement, « coup correct ». Plus précisé-
ment, un coup honte est un coup solide, qui ne laisse pas d'aji (voir
p. 143).
hoshi - point 4-4.
jô sek i - séquence locale de début de partie considérée comme
optimale pour les deux joueurs.
keim a - petit saut de cheval.
kikashi - un coup est un kikashi si Tadversaire doit y répondre
et si réchange est favorable à celui qui le joue. À ne pas confondre
avec nozoki.

£9
1.3 ' g

san-san (a), hoshi (b), komoku


keima
(c)
V


ko - éternité, situation impliquant des captures à répétition.
La règle du kô interdit les répétitions pour éviter des parties sans
fin. Dans la situation du aiagramme ci-dessus ou Blanc vient de
capturer, Noir pas le droit de recaoturer immédiatement. Il
doit jouer une menace de ko, c?est à dire jouer ailleurs, avant de
pouvoir le faire.
k o m i - avantage en points donne a Blanc pour compenser le
fait qu’il joue en second.
ko m o ku - point 3-4.
k o su m i - coup en diagonale.
m ia i - se dit de coups équivalents tels que si un joueur joue
l’un, l’autre joueur joue l’autre.
m o yo - vaste zone dlnfluence, potentiel de territoire.
nobi - extension solide au contact d ^ n e pierre adverse (voir
aussi hane).
n o zo ki - menace de coupe (voir p. 2bj.
o io toshi - situation dans laquelle un groupe est mis en atari^
et sera toujours en atari s5il connecte (voir p. 169).
sa n -sa n - point 3-3.
seki - un seki, que Ton pourrait traduire
par « impasse », est une position où aucun des
deux joueurs ne peut tenter de capturer Tautre
sans se faire capturer avant. La figure ci-contre
montre un cas de seki simple. Il en existe de
bien plus compliqués.
servie [serm-fé] —un coup est 5e7?ie si l’ad-
versaire doit y répondre, par opposition à un
coup gote.
vi

—littéralement, un « essorage » (voir p . 169).


shichô - capture en escalier (voir p. 3).
sh im a ri - verrou de coin.
snap-back - prise en retour en français, utte-gaeshi en japonais
te n u k i - « faire tenuki » signifie « jouer ailleurs ».
te su ji - coup brillant, astucieux (voir p. 153).
tobi - saut d ^ n espace.
tsuke [tsouké] - pierre seule jouée au contact d ^n e pierre ad­
verse (voir p. 185).
tsum ego - problème de vie et de mort.
2/ose - fin de partie.

exemples de shimaris
T a b le d es m a tiè re s

1 Shichôs et getas 1

2 Coupe et connexion 21

3 La marche des pierres 37

4 La lutte pour passer en tête 45

5 Territoires et zones d ’influence 63

E ntracte 83

6 V ie et mort 89

7 Com m ent étudier les jd sek is 109

8 B onnes et mauvaises formes 127

9 Coups honte et coups vulgaires 143

10 Tesuji 153

11 Fin de partie 197

A V ictoire contre le M eijin 207

vii
TABLE DES M ATIÈRES
S h ich ô s e t g e ta s

Introduction

Tous les amoureux du go, qi^ils soient amateurs ou profession­


nels et quel que soit leur niveau, ont en commun le désir de progres­
ser, que ce soit d ^n e pierre ou même d^me demi-pierre. C ^st une
manifestation de notre ambition et de notre pugnacité qui perdu­
rera jusqu^ la mort. Cela dit, il y a une différence entre amateurs et
professionnels : alors que les amateurs jouent au go, les profession­
nels y travaillent. Autrefois, on pensait que cela plaçait les amateurs
et les professionnels sur des chemins parallèles qui ne se rencontrent
jamais, que les amateurs ne pouvaient jamais espérer s’approcher
du niveau professionnel. Ces dernières années, le nombre de joueurs
de go a connu une augmentation spectaculaire et ces chemins se
sont progressivement rapprochés au point qu^ls sont devenus tan­
gents. Déjà, il y a parmi les meilleurs joueurs amateurs des joueurs
capables de rivaliser avec les professionnels. Il s’agit là d ’une preuve
que le monde du go prospère.
Mais ces joueurs sont peu nombreux, quelques élus choisis dans
une masse de millions de joueurs. Presque tous les autres semblent
stagner, malgré leurs efforts, bien en dessous du niveau qu^ls sou­
haiteraient atteindre.
Que faut-il faire pour progresser au go? Voilà une question à
laquelle tout passionné du go aimerait trouver une réponse. Je me
rappelle un nombre incalculable de fois où Ton me Ta posée. Peut-
être qu^n réalité, on ne peut pas lui trouver de réponse précise et
unique, mais dire cela revient à ne rien dire du tout. Chaque fois
que je voulais donner une réponse, il me semblait impossible de la

1
CHAPITRE 1 . SHICHOS E T GETAS

formuler en quelques mots. J 5ai donc décidé décrire un livre dont


je pourrais dire : « si tu veux progresser, lis ceci. » Maintenant que
j ’en ai l’opportunité, je suis ravi à l’idée de rassembler en un seul
volume l’ensemble de mon expérience pour l’offrir au monde.
Après avoir appris les règles, la première chose à faire est de
se contenter de jouer quelque temps, et quand j 5écris « quelque
temps », je ne pense pas à une durée précise, mais plutôt à un
certain nombre de parties, disons cinquante ou cent. Durant cette
période, dès que vous voyez une pierre ennemie, tentez de la cap­
turer, de la couper de ses amies. Et concernant vos pierres, tentez
de les sauver et de les connecter entre elles. Concentrez-vous sur
ces principes seulement et construisez votre propre expérience. Un
proverbe dit : « Cent batailles forment un homme ». On ne peut
pas consacrer tout son temps à l5étude et espérer tout apprendre
des livres. Je vous recommande de jouer selon vos propres idées,
en faisant preuve d^uverture d 5esprit, et de choisir autant que pos­
sible des adversaires débutants comme vous. Si vous vous destinez
à apprendre le go,l’ouverture d ’esprit sera votre qualité la plus
importante.
Ensuite, et bien que cela dépende des gens, vous allez rencon­
trer quatre barrières : d^près mon expérience, aux alentours de
12-13 kyu, 8-9 kyu, 4-5 kyu, et 1-2 kyu. On sait qu’on a atteint
un tel palier quand on cesse de progresser et qu’on ne joue plus
que pour le plaisir, pour échanger des idées, que peu vous importe
Tadversaire et quand les livres ne vous apportent plus rien. Selon
les gens, il peut être plus ou moins difficile de franchir ces barrières.
Certains les franchissent facilement, d ’autres non. Certains passent
leurs journées du matin au soir dans des clubs de go et jouent des
dizaines de parties par jour sans pour autant progresser. Et quel
q u ^it pu être leur désir d^pprendre à leurs débuts, si cette situa­
tion persiste durant deux ou trois mois ou même quelques années,
ils abandonneront tout espoir de progrès. Un tel joueur finit par se
considérer comme un « sixième kyu à vie », et Pentourage de ce
joueur finira par penser de même.
Une telle situation est insupportable. Pourtant, combien de
joueurs y sont confrontes r Presque tous ? Si c5est le cas, alors il
serait criminel de les laisser continuer ainsi. C’est pourquoi j ’écris
ce livre, afin d ’expliquer en détail ce dont vous avez besoin pour
1 . 1 . S HICHÔ S 3

franchir ces barrières. Je pense que cet ouvrage sera le bienvenu


pour tous ces joueurs qui ne savent plus quoi étudier, ou comment
l’étudier.
Bien sûr, comme dans toutes les disciplines, on ne peut progres­
ser sans efforts. « Il a pas de plaisir sans douleur. » Le plaisir
vient du progrès et la douleur de Peffort. Mais si Ton étudie de la
mauvaise manière, ce ne sera que douleur sans plaisir. Il est donc
primordial d’apprendre à étudier correctement.

1.1 Shichôs
Quoi? Encore des shichôs? C ^st ridicule! Je suis bien trop
fort pour daigner jeter un coup d ’œil à ce chapitre ! C’est peut-être
vrai, mais même si vous pensez que cela ne vous concerne pas, lisez
encore quelques lignes. Ne négligez pas les fondamentaux. Notre
étude commence par les shichôs.
4 CHAPITRE 1 . SHICHOS E T GETAS

Dia.1

D ia .1 . Un début de partie à égalité. L7issue de de cette partie


sera décidée selon que Noir peut capturer ou pas la pierre de coupe
blanche avec le shichô en 1 .Même parmi les joueurs en dan, beau­
coup d^m ateurs peuvent se montrer paresseux quand il s?agit de
lire de longs shichôs tels que celui-ci et vont recourir à des strata­
gèmes simplistes, comme de se pencher dans le sens de la diagonale,
de dessiner du doigt des zig-zags sur le goban ou, pour les cas les
plus graves, de recourir à la psychologie pour persuader leur adver­
saire que le shichô leur est favorable. Je trouve tout cela un peu
idiot.
Quand les shichôs sont un peu difficiles, beaucoup de joueurs
vont renoncer et se demander s’il n ’existerait pas un « théorème du
triangle », une astuce qu’il suffirait d ’appliquer pour connaître la
réponse en un instant. On peut facilement inventer de telles tech­
niques simplificatrices, mais en définitive, votre jeu en pâtira si vous
les utilisez. La lecture des shichôs nous apprend à lire patiemment,
un coup après Tautre - Noir, Blanc, Noir, Blanc, Noir, Blanc - et
c’est la seule méthode.
1.1. SHICHÔS 5

Certains diront : « Baah, je sais déjà tout ça ; c’est seulement que


je trouve ça trop pénible, alors je ne m ’embête pas à lire », d ’autres :
《 De toute façon, je suis encore trop faible pour m ’embarasser avec
la lecture : c’est bien au delà de mes capacités ! ». Laissons là ces
paresseux ; qu’ils fassent ce qui leur plaît. Ils n ’iront nulle part. Ils
auraient besoin qu’on les prenne par la peau du cou et d ’un peu de
plomb dans la cervelle.

Dia. 2. Et que pensez-vous de ce diagramme? Noir peut-il cap­


turer cette pierre en shichô? Sans poser de pierres sur le goban,
parvenez-vous à le lire - Blanc, Noir, Blanc, Noir - jusqu^u bout,
et seulement avec vos yeux ? Quel est votre verdict ?
Dia. 3. Noir fait atari^ Blanc s5échappe, Noir bloque en face,
Blanc s’échappe, Noir, Blanc, Noir, Blanc, Noir, et tout d ’un coup
Blanc perd sept pierres. Vous voyez ? Vous parvenez à le lire. Re­
gardez à nouveau le diagramme 2 - Noir, Blanc, Noir, Blanc - vous
voyez que vous y arrivez. Encore ! Entraînez-vous en répétant. Et
quand vous vous sentez à Taise, décalez Pensemble des pierres de
gauche d ^ n e ou deux cases en diagonale, et lisez à nouveau. Qui­
conque a les yeux qui piquent ou mal à la tête est atteint d 5astigma-
tie et devrait aller voir un ophtalmologiste sans tarder. Pratiquez
cet exercice tous les jours jusqu5à ce que vous parveniez à lire le shi-
chô du D ia .1 avec facilité et jusqu^u bout. Et dès que vous vous
en sentez capable, réarrangez les pierres noires et blanches dans le
coin en bas à gauche - soyez créatif - et essayez de relire. Voilà
comment faire.
6 CHAPITRE 1 . SHICHOS E T GETAS

Cet exercice vous apportera une belle récompense : la certitude


que vous savez lire n^mporte quel shichô en toute circonstance.
Cette assurance sera la base de vos progrès. De nombreux joueurs
ont franchi les paliers auxquels ils stagnaient en se tenant scrupu­
leusement à cette méthode. C5est effrayant, la force de Thabitude.
Tenez-vous à cette méthode tous les jours, et bientôt ces shichôs
qui empoisonnaient vos parties deviendront ce qu5il y a de plus
facile à lire au monde. Vous n’aurez pas la moindre difficulté à
lire un shichô tel que celui du D ia .1
en quelques secondes - une faculté qui
peut sembler surnaturelle pour qui­
conque ne connaît pas le jeu de go,
mais tout à fait commune chez les pro­
fessionnels. Même un débutant devrait
s5en rendre capable.
Dia. 4. À Noir de jouer. Évidem­
ment, si le shichô fonctionne, il devrait
jouer en a, mais que faire quand le shi­
chô ne fonctionne pas. Cela mérite
réfléchir.
Dia. 5. Dans certaines circonstances, un coup à Tépaule comme
Noir 1 est efficace, mais ici Blanc sort avec la séquence de 2 à 6 et
Noir n’accomplit rien.
Dia. G. Localement, sauter en 1 est le coup intuitif, mais après
la séquence 2-6, les trois pierres noires sont en danger. Ce n ^st pas
bon non plus.

Dia. 5 Dia. 6
1.1. SHICHOS 7

- 各
-<3 r > -
— -< >
— •h

— O


A
w

Dia. 7
Dia. 7. Regardons l’ensemble du goban. Si la position du coin en
haut à droite s5est produite dans ce fuseki^ que devrait faire Noir?
Que dites-vous d ^ n briseur de shichô en 1? Localement au moins,
Blanc doit défendre en 2. À présent, le shichô est-il bon pour Noir?
Qu5en pensez-vous ?
Réponse : grâce à Téchange de Noir 1 contre Blanc 2, Noir peut
capturer la pierre blanche en shichô. Naturellement, avant de jouer
1 , Noir doit avoir anticipé Blanc 2 et lu qu5après cet échange, le
shichô fonctionne.
Ensuite, Blanc joue en 4, ou en tout autre endroit puis Noir
capture en 5. C’est important. J ’imagine qu’il y en a pour penser
que Noir ferait mieux d5attendre un briseur de shichô pour capturer,
mais ce serait un raisonnement d 5amateur. Noir 5 est le moment
idéal pour capturer ; ne pas capturer et s5engager ailleurs serait
comme se lancer dans une entreprise alors qu5on est endetté. En ce
qui me concerne, en tout cas, je ne me sentirais pas à Taise. Bien sûr,
si vous me demandez comment quelqu’un qui a peur de s’endetter
pourrait se lancer dans une entreprise, je devrai reconnaître que j 5ai
très peu d ’expérience en la matière et que je suis mal placé pour en
parler, pourtant...
8 CHAPITRE 1 . SHICHOS E T GETAS

Dia. 8
Dia. 8. Revenons au briseur de (Noir 1 ) . Doit-on s’in­
quiéter que Blanc n ’ignore cette menace et ne résiste en jouant en
2 ? Il faut envisager cette possibilité. Mais dans cette partie, Blanc
ne devrait pas ignorer Noir 1 . En supposant Noir a, Blanc b, Noir
c après Blanc 2 et 4, Noir a clairement une meilleure position.
Et si Noir change d 5avis et décide de répondre à Blanc 2 en d,
laissant ainsi Blanc se consolider en 3, il perd sur tous les fronts, à
la fois dans le coin en haut à droite et dans le coin en bas à gauche.
Au go, Tindécision est un vice.
On pourrait parler encore longtemps des shichôs^ mais le prin­
cipal est de retenir qu5ils n^dm ettent pas de variations, alors ne
soyez pas paresseux et entraînez-vous à les lire jusqu5au bout. De
temps en temps, il arrive qu’un magazine annonce avoir trouvé une
astuce pour lire les shichôs en un clin d ^ il, une histoire sans in­
térêt d5éléphant blanc avec quatre ou cinq diagonales et d^paisses
lignes noires. Quand bien même on comprendrait la méthode, ça
n 5améliorer ait aucunement notre jeu. Ces astuces sont ridicules.
Il est très rare q u ^ n professionnel se trompe en lisant un shichô,
mais c^st arrivé une fois aux alentours de 1925 : un des joueurs a
1.1. SHICHÔS 9

mal lu un shichô^ Ta joué pendant deux ou trois coups, s^st rendu


compte de son erreur et a abandonné la partie alors qu’elle n ’en
était q u ^u trentième coup. Ne prenez pas les shichôs à la légère.
Ceux qui en rient finiront par en pleurer.
Maintenant, j 5aimerais vous montrer une partie surprenante
contenant deux shichôs simultanés.

Dia. 9

Dia. 9. On est en droit de se dire que ce genre de choses ne se


produit jamais dans des parties sérieuses, et de se demander qui
sont les guignols qui ont joué cette partie. Pourtant, cette partie a
été jouée par Fujisawa Hosai 9e dan (Blanc) et Masao Sugiuchi 9e
dan (Noir) pendant la première ligue Meijin, en 1959.
Le jeu en miroir (Blanc 2, etc.) est une spécialité de Fujisawa,
et peut donner lieu à des situations extraordinaires comme celle-
ci, même chez les professionnels de haut niveau. Si Tun des deux
joueurs pouvait à la fois s^chapper et capturer les pierres adverses,
il gagnerait immédiatement, mais les deux joueurs ont tous deux lu
que c’était impossible et c’est ainsi que la partie en est arrivée là.
10 CHAPITRE 1 . SHICHOS E T GETAS

Le raisonnement de Sugiuchi repose sur Tidée que c^st une mau­


vaise idée de pousser un shichô qui ne fonctionne pas. Quand Noir
sort avec le coup 37, Blanc a poussé le shichd un coup plus loin que
Noir puisque Blanc a cessé de jouer en miroir avec Blanc 34. Mais
d ^ n autre côté, Maeda 9e dan, qui observait la partie, fît remar­
quer que Blanc a pu jouer un double atari en premier (en a). Le
résultat n^st donc pas catastrophique pour lui non plus. Quoi qu'il
en soit, cette partie restera vraisemblablement dans les annales du
go professionnel dans la catégorie « insolite ».

D ia.10

D ia .10. La partie suivante montre un joueur poussant un shichô


mauvais pour lui, non pas à cause d ^ n e erreur de lecture, mais dé­
libérément. Cette partie provient des éliminatoires du championnat
de la Nihon Ki-In et date de janvier 1970 : Kudo, 8e dan (Noir),
contre moi-même, Kageyama, 6e dan (Blanc). Mon plan était d ^ ti-
liser les coups 1 à 25 pour vivre sur le bord haut. Suite à une
discussion après la partie avec Rin Kaiho et quelques autres, nous
1.1. SHICHÔS 11

avons conclu qu?a la place de Blanc 1 , la séquence du D ia .11 au­


rait été meilleure pour vivre. J 5ai choisi la séquence avec le shichô
parce que celle-ci était facile à comprendre, ne laissait aucune place
à d^ventuelles variations que Noir aurait pu trouver et me laissait
une chance de gagner. En réalité, peut être que ma capacité à pré­
voir Tissue de la partie était moins claire que Tissue de la partie
elle-même. J ’ai dû abandonner cette partie.

Dia.11

Assurément, pour devenir fort au go, la première condition est


d ’aimer le go, l’aimer plus que manger ou boire, et la seconde est le
désir d’apprendre. Une troisième condition est d ’étudier, en utilisant
des méthodes adaptées, patiemment, petit à petit, sans s’empresser.
Il suffit de demander aux joueurs en dan, et vous verrez qu’ils ne
sont pas devenus forts en se contentant de jouer pour le plaisir.
Chacun d^ntre eux désirait progresser au plus profond de lui-même
et a consacré un temps considérable à étudier. Chacun a une longue
histoire de déceptions à raconter. Rome ne s^st pas faite en un jour.
Je ne dis pas qu’il faut des années d ’étude et mettre de côté tout le
reste, mais il faut des efforts et encore des efforts pour devenir fort
au jeu de go. Les seuls à rester sur le chemin, qu5ils soient doués ou
non, sont ceux qui oublient le sens du mot « effort ».
12 CHAPITRE 1 . SHICHOS E T GETAS

1.2 G e ta s

QuJy a-t-il après les shichôs ? Eh bien, les getas^ bien sûr ! Ces
deux-là sont comme des frères. Ce sont les tactiques de base de cap­
ture. Quand j^nseigne à des débutants, je leur conseille ce principe :
« Quand il semble possible de capturer quelque chose, posez-vous
ces deux questions :( 1 ) Puis-je capturer avec un shichô? (2) Puis-je
capturer avec un getal »
L eterm ejap o n ais« s/ifc/iJ» estim racco u rcip o u r« 5 /u Y 5 ^y o
ni ou », qui signifie « poursuivre inlassablement ». Comprendre
l’origine du terme « 分e h » demande un peu d’imagination. Litté-
râlement, le geta est un sabot de bois, une chausse traditionnelle
japonaise. Si vous imaginez que les quatre pierres du D ia .1 consti­
tuent la base de la chaussure, alors le pied est la pierre blanche A
et Noir 1 est la lanière qui maintient le pied. En jouant Noir 1 ,on
joue ce qu5on appelle un geta. Ces deux étymologies sont de mon
cru. Ne trouvez-vous pas qu’elles conviennent bien?
Je pense que tout le monde joue­
rait Noir 1 dans la situation du D ia .1
afin de capturer la pierre. On pourrait
aussi la capturer en shichô si le shi-
chô est bon pour Noir mais à un mo­
ment ou à un autre, Noir devra ajouter
un coup supplémentaire afin de captu­
rer la pierre complètement ou risquer
que l’adversaire joue un briseur de
chô. En dAutres termes, le geta cap- D ia.1
ture avec une seule pierre, alors qu^l en faut deux avec un shicno.
C’est pourquoi les タ sont généralement meilleurs que les
Maintenant, jlim erais vous montrer un exemple de geta dans
une vraie partie. En 1966, j ?ai reçu le prix Takamatsu-nomiya.
Durant le match décisif, je jouais Blanc contre T. Kajiwara, et ai
tenté de contrer son joseki du taisha avec un coup original.
Dia. 2. Kajiwara joua Tune de ses variations favorites commen­
çant avec Noir 7 jusqu5au nobi Noir 17. J ?y ai répondu en sortant
du joseki (Blanc 18 en a) en jouant Blanc 20, puis mon nouveau
haut en 22. Le jour suivant, je discutai de ce coup avec T. Yamabe,
9e dan.
1.2. GETAS 13

c a
s 没
r{
UV

<1

£
F
LK

Dia. 2

Yamabe : « Comment peut-on être assez stupide pour jouer le


Ziane en 22 et laisser Noir s’étendre en 23 ? Et qu’est-ce qui t ’a pris
d ’ignorer ce coup et de jouer Blanc 24 ? Le moins qu’on puisse dire ,
c^st que tu me surprends. »
Yamabe et moi parlions toujours de manière informelle, et
contrairement à moi, Yamabe ne prenait pas de gants.
Kageyama : « Je trouvais que j Obtenais un résultat satisfaisant
quand j ’ai joué Blanc 26. D’ailleurs, Hashimoto (Utaro, de la Kansai
Ki-In) a trouvé ces coups admirables. »
Yamabe : « Tout ce que ça prouve, c5est que tu es incapable
de déceler l’ironie dans ses propos ; et en ce qui concerne le coup
26, cette extension minuscule est lamentable. Une fois que tu laisses
Noir jouer un coup aussi important que le coup 23,la partie est finie,
c’est incontestable. Je sais que Kajiwara a perdu, mais tu joues des
coups tellement sots que tes adversaires ne se méfient pas, c5est
tout. »
Maintenant que j ’écris ces propos sur le papier et que je les relis,
ils me semblent presque insultants. Permettez-moi de préciser que
14 CHAPITRE 1 . SHICHOS E T GETAS

de tels propos, forts, francs et qui font grande impression, restent


bienvenus quand il s’agit de progresser au go. Bien qu’il ait pu y
avoir une pointe d ’insulte dans ces mots, leur destinataire ne s’est
pas senti insulté.
Quand je demandai leur avis à Kojima 6e dan et Yokoyama 5e
dan, ils s’accordèrent à dire que Blanc 22 était mauvais à cause
de Noir 23. Ce nouveau coup dont je fus fier à Tinstant où je le
jouai suscitait de bien piètres critiques auprès des professionnels.
Pourtant, le lendemain, Sugiuchi 9e dan décrit la séquence 22-26
dans les colonnes goïstiques du journal de Tokyo comme « une idée
nouvelle qui aboutit à un résultat équitable ». Voilà qui me plut
davantage et me remonta le moral.
Comment est-il possible que les professionnels aient des juge­
ments aussi variés ? Il y a deux écoles de pensée au jeu de go : Técole
intuitive, et une école qui jugera un coup en termes de profit réalisé.
Les professionnels en particulier préfèrent rapproche intuitive, ce
qui est tout à fait naturel dans la mesure où ce sont généralement
les joueurs intuitifs qui ont en eux une étincelle de génie. Pour ces
intuitionnistes, les joueurs tels que moi qui ne jurent que par le
kosumi, le hane et la connexion constituent le bas du tableau et ça
aussi, c’est naturel.
Pour je ne sais quelle raison, Sugiuchi a vanté plus d ?une fois
la qualité de mon jeu. Il a chanté mes louanges dans ces termes :
« des ouvertures intéressantes, un jugement puissant et clair, et un
sens artistique du plus haut niveau ». Si ces mots notaient pas de
Sugiuchi, le dieu du go^ jdurais cru à une plaisanterie, mais c7est
un joueur tellement droit et sérieux que je ne sais plus quoi penser.
Écoutons-le encore : « Tu manques d’assurance, Kageyama. Ces
instants où tu perds confiance en toi te perdent. »
Je ne veux pas me rabaisser, mais presque tout le monde, moi
y compris, me considère comme une sorte de joueur amateur, pas
tout à fait professionnel, et un peu lent d 5esprit de surcroît. Penser
qu’au moins un de mes supérieurs croit en moi me redonne courage
et me donne la force de me dépasser.
Mais je m’égare... Revenons au sujet.
1.2. GETAS 15

9 r V
1 r
> U

4%9

へsr
>

Dia. 3
Dia. 3. Le coup Noir 1 est une parfaite illustration d ^ n geta. Ce
coup tue dans Tœuf toute échappatoire des trois pierres blanches.
Pourtant, Y. Nakamatsu 5e dan, un fort joueur amateur, fit ce com-
mentaire : 《 Je ne sais pas ce qu’un débutant penserait, mais en ce
qui me concerne, Noir 1 me semble trop solide. Blanc a des coups
forçants en a, en b, etc. N5est-ce pas un peu dur à supporter ? Noir
devrait au moins jouer 1 en a ».
Noir 1 ,ou Noir a ? Lequel préférez-vous ? Il fut un temps où je
posais cette question à tous les joueurs amateurs que je rencontrais,
et presque tous préféraient a. Qu’en est-il des professionnels? Le
coup 1 leur semble si naturel et évident que la question ne vaut
même pas la peine d 5être discutée. Je trouvai cela très intéressant.
Un joueur débutant jouerait certainement Noir 1 avec fierté,
trop content devoir trouvé un moyen de capturer les trois pierres
blanches. C5est à dire que le coup des débutants est le même que
celui des professionnels, bien que le raisonnement pour y parvenir
soit différent. Un joueur fort amateur jouerait Noir a afin de captu­
rer en plus grand. Les professionnels, cependant, s^nquièteraient de
la menace d5un coup Blanc en c si Noir joue en a, que cette menace
fonctionne immédiatement ou non. Selon eux, le coup 1 est le coup
naturel, le seul coup possible, bref, le coup honte.
16 CHAPITRE 1 . SHICHOS E T GETAS

Noir 1 ,ou Noir a ? Seul un amateur se pose une telle question.


Un professionnel l’écarte sans réflexion. Ni les disciples de l’école
intuitive, ni ceux de Técole du profit ne réfléchissent à la question.
Encore une différence entre amateurs et professionnels.
Je vous dis tout ça aujourd’hui, mais que pensais-je pendant la
partie? Pour être franc, je m’attendais à ce que Noir joue a, ce qui
veux dire qu’à sa place, j ’aurais probablement joué a. À vrai dire,
j ’étais même reconnaissant à Kajiwara d’avoir joué Noir 1 mais avec
le temps, j^ i appris à apprécier les vertus de Noir 1.
Les professionnels ont une foi inébranlable dans les fondamen­
taux. Vous pourrez dire que c^st une affaire d^ntraînement, mais
je suis passé du statut d ’amateur à celui de professionnel à partir
du moment où j ?ai maîtrisé les fondamentaux. Pourtant, me voilà,
vingt ans plus tard, et je n’ai toujours pas acquis ce principe fon­
damental. « L’amateur professionnel » - c’est mon surnom. Je ne
m’en vante pas, et je n’en suis pas particulièrement fier. J ’aimerais
devenir un « professionnel professionnel », quand bien même il me
faudrait y consacrer le reste de ma vie.

< K >
■も
1

r
>

Dia. 4 Dia. 5

Dia. 4. Le shichô déclenché par le coup a est bon pour Noir,


et celui-ci se demande : « Devrais-je capturer la pierre avec a, ou
autrement? » Aidons-le. « Si tu joues a, tu devras en définitive
rajouter un coup en b. Si tu peux capturer la pierre blanche en un
coup, pourquoi aller chercher ailleurs ? »
Dia. 5 (correct). Noir joue le geta avec 1 ,Blanc 2, etc. Blanc ne
peut pas s’échapper. Noir 1 capture avec un seul coup. Ce coup est
donc plus efficace que le coup a du diagramme précédent et c?est la
raison principale pour laquelle il est meilleur.
1.2. GETAS 17

Ce diagramme, ou le Dia. 3, ne ressemblent guère à des sabots


de bois, et mon étymologie pour le terme « geta » commence à
avoir l’air suspect. Assurément, le mot ne provient pas d ’un jeu de
mots anglais, bien qu’il ressemble à « get her » (capture-la). Ceci
dit, K. Kodama, 5e dan, a une théorie astucieuse du même genre
en japonais, et il a probablement raison.
Dia. 6. Problème 1 .À Noir de jouer - que faire?

Dia. 7. Je suppose que la plupart d ’entre vous ont répondu Noir 1.


« Vous voulez dire que ce i^est pas la bonne réponse ?
- En effet, c^st une erreur.
Vous n^llez pas me dire quMl faut capturer cette pierre en
shichô ?
- Regardez le Dia. 8. Il y a aussi cette possibilité. Voilà un coup
à côté duquel il est facile de passer. »
Dia. 8. L 'atari en 1 est la bonne ré­
ponse. Si Blanc sort en a, Noir le cap­
ture avec le geta b. Bien sûr, le coup
Noir 1 du Dia. 7 capturait la pierre
blanche aussi sûrement, mais quand il
y a deux manières de capturer, la plus
solide est la meilleure. Prenez le temps
de considérer les avantages du coup 1
du Dia. 8.
Dia. 8
18 CHAPITRE 1 . SHICHOS E T GETAS

Dia. 9. Problème 2. À Noir de jouer. Doit-il capturer avec a, ou


b ? Ces deux manières capturent en un coup, mais Tune d5elles est
clairement plus solide.

La bonne réponse est Noir a. Si Blanc tente de sortir, Noir le


capture en geta, et si Blanc persiste à vouloir sortir, Noir le capture
en oiotoshi (solution détaillée p.169). La raison pour laquelle Noir a
est meilleur que Noir b est la même que dans le problème précédent.
D ia .10. Problème 3. À Noir de jouer. Comment capturer les
trois pierres? Si vous trouvez la réponse aux deux premiers pro­
blèmes mais pas à celui-ci, vous n7avez probablement pas bien saisi
les deux premiers, car ce n ’en est qu’une application. La réponse ne
peut être que a ou b. Laquelle des deux ?
La réponse est a. Si Blanc tente de s’échapper avec c, Noir
l’arrête avec d.
D ia .1 1 .Problème 4. Noir peut-il capturer la pierre A ?
D ia .12. Problème 5. À Noir de jouer. Peut-il capturer les trois
pierres blanches?

Dia.1 1 . Problème 4 Dia.12. Problème 5


1.2. GETAS 19

Nous arrivons maintenant dans un terrain difficile, mais il ne


faut pas renoncer même si vous êtes débutant. Lisez coup par coup
jusqu’à la fin. C’est la seule méthode. Et si vous n ’arrivez pas à
deviner le premier coup, eh bien...

<>> _
A
1 J系p-_ 4

cc i
i. j

Dia_ 13• ⑭ en © D ia.14

D ia .13. Noir 1 et 3 sont de jolis coups, mais ce n5est pas la


réponse au problème 4. Dans ce cas particulier, avec la séquence
forcée j u s q u l a connexion blanche en 14, Noir est confronté à la
fois à a et b. Ce résultat n 5est donc pas bon.
D ia .14. Noir 1 , la bonne réponse, est un geta intéressant que
même Blanc pourrait ne pas avoir vu. Si Blanc joue a, Noir recule en
b. Voilà qui contredit le sens com­
mun, qui dicterait de bloquer avec
le coup juste en dessous de a, mais
Noir a lu que ce coup ne fonctionne
pas. Après, si Blanc joue c, Noir
peut capturer avec d.
D ia .15. Noir 1 ,et tous les coups
qui le suivent constituent la bonne
réponse au problème 5. Avant de
jouer une telle séquence, il est es­
sentiel de Tavoir lue entièrement et
précisément. D ia.15
20 CHAPITRE 1 . SHICHOS E T GETAS

D ia .16. Si Blanc persiste à vou­


loir s5échapper, Noir le maintient
enfermé avec la séquence jusqu5à
8. Cette séquence contient presque
vingt coups, mais aboutit à une
défaite totale de Blanc. Êtes-vous
parvenu à la lire jusqu’au bout ?

Dia.16

Quand il vous semble que vous pouvez capturer quelque chose,


levez deux doigts et posez-vous ces deux questions : ( 1 ) Puis-je cap­
turer avec un g e t a l (2) Puis-je capturer avec un shichô? » Il s?agit
d ^ n des premiers conseils que Ton lit dans un manuel pour débu­
tants, ce qui ne veut pas dire qu?un joueur fort peut se permettre
de Toublier. Beaucoup de joueurs négligent ce principe élémentaire
car ils s’imaginent qu’ils sont au-dessus de tout ça. Ces joueurs qui
ne veulent pas entendre parler de lecture tentent de capturer un
groupe incapturable parce qu’il a l’air capturable ou parce qu ils
estiment qu’ils y arriveront d ’une manière ou d ’une autre et ainsi,
ils courent an désastre. Ce sont les mêmes qui, face à un adversaire
plus fort ,n’essaieront pas de capturer le groupe qui peut l’être car
ils ont peur de rater leur coup, qui ajouteront des coups inutiles
à leurs groupes déjà vivants, qui prennent peur sans raison, qui
tremblent devant leur goban, qui jouent leur partie Pair renfrogné,
qui perdent tous les combats et qui finissent par détester le jeu de
go. Je suis désolé pour ces malheureux : ils ont renoncé au jeu le
plus intéressant et le plus divertissant qui soit.
Quel que soit son âge, c^st en faisant fonctionner ses neurones
q u ^ n homme les affûte, et le go est Texercice idéal pour nos mé­
ninges. Voilà qui vaut la peine consacrer une partie de ses loisirs.
Si cela peut vous motiver, dites-vous que le go est un jeu parfait
pour ralentir la dégénérescence du cerveau.
C o u p e e t c o n n e x io n

2.1 Les fondam entaux


Chaque printemps, c’est mie nouvelle saison de baseball qui
commence. C’est mon sport favori en tant que spectateur, mais
chaque année, il y a un détail qui me chiffonne. C5est la manière
avec laquelle les stars semi-professionnelles issues de Tuniversité ou
même du lycée entrent dans le circuit professionnel en montrant
immédiatement des qualités qui dépassent celles de leurs coéqui­
piers vétérans. On dirait presque qu^l a aucune différence entre
amateurs et professionnels. Pourtant, les amateurs jouent seulement
pour le plaisir, alors que les professionnels en vivent. La différence
devrait être plus flagrante.
À chaque confrontation avec une vraie équipe professionnelle
américaine, on constate qu’ils ont beaucoup à nous apprendre.
Outre leur technique, c^st de leur foi envers les principes fonda­
mentaux que nous devons nous inspirer. Cette confiance dans les
fondamentaux semble être une caractéristique commune aux pro­
fessionnels de toutes les disciplines. Si Ton considère les profession­
nels américains comme de vrais professionnels du baseball, alors je
pense que leurs homologues japonais, qui ont tendance à négliger
les fondamentaux, ne sont rien de plus que des amateurs aguerris.
Si le baseball japonais manque de rigueur, c’est probablement
parce que ce sport n5a ete introduit que récemment dans ce pays.
Chaque année, quand des équipes américaines viennent au Japon,
je sens une légère amélioration du niveau japonais, si bien que dans
quelques décennies ou peut-être un siecie, une fois les progrès tech­
niques et psychologiques nécessaires accomplis, j ?ai bon espoir que

21
22 CHAPITRE 2. COUPE E T CONNEXION

le championnat du monde s’étende de notre côté du Pacifique. Je


suis convaincu qu’aucun critère racial ou physique ne peut nous
consigner au second rang.
À Topposé, la différence entre amateurs et professionnels est
bien plus frappante dans le monde des sumos. Là, même les grands
champions universitaires entrent dans l’univers des professionnels
en troisième division, et gravissent les échelons en étant traités
comme le sont toutes les jeunes recrues. Ces champions universi­
taires ne manquent pas de poids, de force, et ont même Tavantage
d ’avoir une tête bien faite. Le potentiel est là, mais il semble qu’il
y ait un fossé immense entre amateurs et professionnels. Ce fossé
s’est creusé grâce à une longue tradition d ’efforts surhumains chez
les professionnels. La force et la carrure ne suffisent pas à devenir
un lutteur sumo professionnel.
De la même manière, dans le monde du go professionnel, une
longue histoire faite de combats intellectuels a permis aux profes­
sionnels japonais d^tteindre un niveau inaccessible aux amateurs.
Tous les professionnels ont sul^i un entraînement délite en compé­
tition depuis leur plus tendre enfance ; ils ont appris à considérer
l’autre comme un adversaire potentiel qu’il faut mettre à terre et
écraser. Ils ont développé au maximum leur force physique, men­
tale et émotionnelle. Un aspirant professionnel qui se laisse un tant
soit peu aller verra ses résultats se dégrader et faillira à Texamen
professionnel. Le monde de la compétition est intransigeant.
Aucun professionnel ne regrette le temps quMl a consacré à étu­
dier. Yamabe, 9e dan a même déclaré : « Je n ^ i pas passé une seule
minute de ma vie à travailler le go ». Pourtant, mettez deux profes­
sionnels autour d ^ n goban et donnez-leur une partie à analyser et
ils ne sauront plus comment s5arrêter, le passage du temps échap­
pera à leurs consciences aveuglées par la passion. Qui oserait dire
quMl ne s?agit pas de travail? La nouvelle génération de profession­
nels a pris le relais de manière terrifiante. Le temps qu^ls passent à
étudier tous les jours dépasse Tentendement. Les professionnels le
font sans se poser de questions. Même les pierres précieuses doivent
être polies. Kano, 9e dan, a dit un jour : « Un homme doit avancer
ou reculer, mais ne doit pas rester sur place. Ce devrait être le credo
de tout joueur de go. Quel que soit son âge, il doit accumuler les
efforts sans arrêt. Il peut être certain quMl progressera toujours. »
2.1. LES FONDAMENTAUX 23

Dia.1
D ia .1 . Dans cette partie, Kano joue Noir. Le coup 1 a retenu
mon attention. En lisant le commentaire qui en a été fait dans
le journal, je remarquai cette réflexion de Bokushintaro, Fauteur :
« ... et Noir 1 sécurise le coin en capturant solidement la pierre
blanche. À la place de Noir, nous aurions probablement joué a pour
capturer la pierre en plus grand. Le commentateur, Sugiuchi 9e dan,
a manifestement lu dans nos pensées, car à ce moment, il fit cette
remarque : « À première vue, Noir joue trop prudemment, mais ce
coup rend la partie serrée, et c5est certainement le coup correct. Si
Noir était en retard, il aurait joué un coup plus ambitieux comme
a. »
Tant que ce coup ne le met pas en retard dans la partie, Noir
préfère jouer le coup correct, le coup honte. Tous les professionnels
raisonnent de cette manière. Mais comme le dit Sugiuchi, il faut
pour jouer un tel coup s’assurer de ne pas se retrouver en retard.
Sinon, la seule solution est de tenter d^largir le moyo en a, que ce
coup soit honte ou non. Retenez de cet exemple que Ton doit consi­
dérer Tensemble du goban pour choisir un coup. Il ne faudrait pas
croire que Noir joue 1 simplement parce que c5est le coup propre et
solide localement. Ce serait mal comprendre Tattitude profession­
nelle.
24 CHAPITRE 2. COUPE E T CONNEXION

Mais que s’est-il vraiment passé dans la tête de Noir quand il


a joué 1? Tout d^bord, Blanc a soixante points de territoire aux­
quels il faut ajouter cinq points de komi. Noir a quinze points avec le
bord gauche et le coin en haut à droite. Il a donc besoin de trouver
cinquante points dans son moyo sans quoi il perdra. À cet instant,
Noir ne peut pas se permettre de perdre un coup, et il aimerait
agrandir son moyo dès qu^l en a Toccasion. Alors comment peut-il
jouer si calmement le coup 1? Il ne jouerait certainement pas ici
s5il n^vait une confiance inébranlable dans son évaluation des ter­
ritoires et dans sa capacité à jouer la fin de partie. Ce coup est une
excellente illustration de la confiance absolue qu’un professionnel a
en lui-même.
Si Noir ne joue pas le coup 1 ,que peut-il se passer exactement
dans le coin en bas à droite? Il y a un mauvais aji dans ce coin :
Blanc peut créer des complications en jouant la séquence Blanc b,
Noir c, Blanc d, Noir e et Blanc 1 . Ici, un fort amateur pourrait
m’interrompre : « D’accord, il y a de l’ajï, mais Noir 1 n’est-il pas
trop solide ? Dans la mesure où les professionnels sont si forts en lec­
ture, Noir a nécessairement lu cette séquence. Ne peut-il pas jouer
f, ou un coup semblable, qui servirait à la fois à défendre le coin
et agrandir un petit peu son m oyol » Vous avez raison. Pourquoi
ne le peut-il pas? La réponse, c’est qu’un coup tel que f n ’enlève
pas complètement les possibilités de Blanc dans le coin, et ne prend
pas efficacement le contrôle de Textérieur. Ce coup serait une demi-
mesure de part et d^utre. Des exemples de ce type sont légion dans
les parties professionnelles. Tout joueur fort, même amateur, a le
droit de douter et de se demander pourquoi les professionnels ne
jouent pas des coups plus ambitieux. On pourrait se demander s^l
arrive même aux professionnels d’être à bout de nerfs, et si c’est
parce qu’ils prennent peur qu’ils jouent ces coups peu ambitieux.
Pourtant, c5est encore une histoire de confiance dans les fondamen­
taux.
Encore les fondamentaux. Je veux être certain que vous com­
preniez à quel point les fondamentaux sont importants. Quand un
débutant apprend à jouer, il doit commencer par les compétences
fondamentales. Et quand il en arrive au point où il commence à se
considérer comme un joueur fort, il doit, pour devenir encore plus
fort, revenir aux bases et aux fondamentaux.
25
2.2. CO UPE E T C O N N E X IO N

2 .2 C o u p e e t C o n n e x io n

D i a . 1 et 2. Noir coupe en 1 . Si c ’e st à N oir d e jo u e r d a n s ces


deux positions, il est inutile de chercher u n a u tr e co u p . L a c o u p e
est le seul coup. La coupe est la ta c tiq u e la p lu s é lé m e n ta ire q u i
soit.

t

そ à
ci c

Dia. 4

Dia. 3. Si c ’est le to u r de B lanc, le seul co u p q u ’il e st n é c e ssa ire


d ’envisager est la connexion en 1 , ou en a . S ’il ne le fa it p a s , N o ir
coupera. Ce n ’est pas plus com pliqué que ça.
Dia. 4. Ici, pour connecter, B lanc 1 est le seul c o u p p o ssib le .
Les coups a et b seraient m oins efficaces p o u r se d é fe n d re c o n tre le
coup Noir c. Avec Blanc 1 , si N oir joue c, B la n c ré p o n d d .
Les coupes et les connexions des D i a . 1 à 4 so n t d es c o u p s p a r ­
ticulièrement im portants dans la m esure où ces p o s itio n s s o n t d e s
situations de com bat rapproché. Ce sont des co u p s u rg e n ts à t o u t
moment de la partie, que ce soit en d é b u t (le fu s e k i) o u a u m ilie u
de partie (le chuban).
26 CHAPITRE 2. COUPE E T CONNEXION

Dia. 5. Ne menacez pas de couper là où vous pouvez couper.


Peut-être vous rappelez-vous une position semblable à celle-ci où
vous avez menacé de couper avec Noir 1 (nozoki en japonais), forcé
Tadversaire à connecter en 2, puis lancé une attaque avec 3 ? Le
nozoki Noir 1 est un mauvais coup classique, car ici, Noir aurait
pu couper. Le nom donné par les japonais à un tel coup est nama-
nozoki^ une menace de coupe vulgaire. Un tel coup n^ppartient pas
aux fondamentaux.

g
19 z
g gh
w
i.j ^wr 厂
V.s

Dia. 6

Dia. 6. Cowpez si vous pouvez couper. Noir doit couper directe­


ment en 1 . Certains joueurs refusent de couper quand bien même
ils sauraient qu’il faut toujours couper parce qu’ils ont peur d ’un
coup Blanc en a ou b, surtout quand Blanc est un joueur plus fort
qu’eux. Ils n’ont pas besoin d’avoir peur. Il faut laisser la suite pour
plus tard. À cet instant, dans cette situation, le meilleur coup est
la coupe en 1 , et si on peut la jouer, alors il ne faut pas se poser
de question. Coupez là où vous pouvez couper. Voilà un principe
simple !
2.2. COUPE E T CONNEXION 27

♦丨
H 卜
Dia. 7

Dia. 7. Un bon nozoki. Ici, Noir ne peut pas couper même s5il
le voulait car Blanc est déjà connecté. L’échange Noir 1 - Blanc 2
est un coup forçant qui ne gâche aucune possibilité - un kikashi en
japonais. Noir 1 est un bon nozoki. Noir 5, qui permet au groupe
Noir de sortir tout en attaquant Blanc est une bonne continuation,
mais pas aussi absolue que le coup Noir 1.
L’important, c’est d ’appréhender la position dans son ensemble
et de trouver le coup qui convient.

H
_r
Y=
Dia. 8 Dia. 9

Dia. 8 et 9. Même les idiots connectent face à un nozoki. Parfois,


Blanc joue le nozoki 1 des diagrammes 8 et 9. Si Noir ne connecte
pas, Blanc coupera. La connexion en 2 est correcte, elle connecte
les pierres sans aucun défaut.
28 CHAPITRE 2. COUPE E T CONNEXION

En partie, il arrive de temps en temps qu’on ne puisse pas se


permettre de connecter de cette manière. C’est une des facettes du
go qui rend ce jeu si intéressant.

Dia.10

D ia .10. Voici une vraie partie à huit pierres de handicap dans


laquelle une bataille de ko a été déclenchée dans le coin en haut à
gauche. Le ko est très gros et, comme le dit le proverbe : « il a
pas de menace de kô en début de partie. » Où que Blanc joue son
coup 5, Noir doit connecter le ko. La différence entre la position
où Noir gagne le kô et celle ou Blanc le gagne est si importante -
que ce soit en termes de territoire, d’influence ou de solidité —que
la partie en dépend. Mais si vous posez votre regard sur le coup 5,
vous aurez envie d 5y répondre. Quand un kô de cette importance se
produit dans une partie informelle, je vous recommande de capturer
le kô en 4, de connecter le kô pendant que votre adversaire réfléchit
à sa menace, puis de Pinviter à jouer deux coups de suite où il le
souhaite afin de se prémunir contre la tentation. Vous comprenez à
présent à quel point ce kô est gros.
2.2. COUPE E T CONNEXION 29

Dia.11

D ia .1 1 .Un problème pour Noir : quand Blanc pousse à travers


le tobi en 1 , comment répondre? Je suis toujours surpris quand
des joueurs de niveau moyen ou même de haut niveau se trompent
dans cette position, ce qui prouve qu’ils n’ont pas saisi les principes
fondamentaux.
D ia .12. Noir peut décider de se concentrer sur le coin et vivre
avec les coups 1 et 3.
D ia .13. Ou alors il peut sacrifier le coin et choisir le bord avec
les coups de 1 à 5, une séquence en sente qui semble cohérente.

Dia.13

D ia .14. Voici un problème tiré d ’un manuel pour débutants : à


Noir de jouer - où jouer? Maintenant, à Blanc de jouer - quel est
le seul coup? Vous voyez où je veux en venir? Les diagrammes 12
et 13 sont tous deux désastreux.
Le D ia .14 est un cas extrême où la réponse est un coup qui
coupe en même temps qu5il connecte. Si Blanc occupe le point-
clé, Noir obtient un résultat semblable aux diagrammes 12 et 13.
Comment est-ce que cela pourrait être bon ?
30 CHAPITRE 2. COUPE E T CONNEXION

D ia .15 (correct). Quoi qu^l advienne, Noir doit bloquer en 1.


Si vous commencez à réfléchir à ce qui se passera si Blanc coupe,
vous risquez de perdre votre sang-froid, alors ne pensez pas trop
et contentez-vous de bloquer. Réfléchissez à la coupe une fois que
Blanc l’aura jouée.

D ia .16. Si Blanc coupe en 2, Noir 3 et 5 donnent un meilleur


résultat que le D ia .13. Vous voyez la différence?
D ia .17. Blanc serait un peu téméraire de couper de Pautre côté :
Blanc n’a plus de bonne réponse après Noir 5. S’il joue 4 en a ,sa
position s’effondre après Noir 5, Blanc b, Noir 4. Ce résultat est
indiscutablement bon pour Noir.
Dans des situations de combat rapproché, quand des pierres
ennemies sont au contact, coupez si vous le pouvez et connectez si
vous le pouvez. Beaucoup de joueurs le savent, mais ne se rendent
pas compte à quel point ce principe est universel.
2.2. COUPE E T CONNEXION 31

Di a. 18

D ia .18. En haut du goban, 011 peut voir un keima noir, une


extension de deux espaces blanche, un tobi noir et un grand saut
de cheval blanc (ogeima). Bref, des formes de base. Chacun voit
dans ces extensions des formes avancées de continuité ,c’est à dire
de connexion.
En bas du goban, Noir et Blanc entourent tous deux du terri­
toire, mais on peut regarder ces positions d ^ n e manière différente
et y voir des chaînes continues de pierres.
D i a . 19. Si Blanc attaque la
position Noire avec les coups 1 ■■■■1
et 3, n’importe qui répondrait 2
et 4, mais la plupart penseraient ニ■ 4
qu’ils défendent leur territoire. Peu
d’entre eux chercheraient avant c>-
tout à assurer une continuité entre
les deux pierres A.

Di a.19
32 CHAPITRE 2. COUPE E T CONNEXION


-• m

Dia. 21

Dia. 20. Cette position se produit régulièrement que ce soit dans


les parties à handicap ou les parties à égalité. La forme de grand
saut de cheval des pierres A est quasi-continue. Si on ne réfléchit
qu?à conserver la continuité entre ces 2 pierres, alors...
Dia. 2 1 .Quand Blanc envahit en 1 ,on essaiera de connecter les
pierres avec le coup au contact 2. C?est naturellement un bon coup.
Mais à quoi peuvent bien penser ceux qui ne jouent pas ce coup ?

Dia. 22. Peut-être convoitent-il le territoire du haut. Ils n ’aiment


pas le coup 2 du diagramme précédent car ce coup laisse Blanc vivre
et ruiner le u r 《 territoire ». Pour minimiser cette perte, ils jouent
deux mauvais coups d ’affilée en 2 et en 4. Et pour couronner le
tout, ils pensent qu’ils s’en sortent bien car ils attaquent les pierres
blanches. « En quoi les coups 2 et 4 sont-ils mauvais ? » demandent-
ils sur un ton offensé.
Leur erreur est devoir complètement raté un principe fonda­
mental. En jouant 2 dans le Dia. 22, Noir s5empêche lui-même de
se connecter. En forçant Blanc à jouer 3 et 5, il se coupe lui-même
en deux. Je suis toujours surpris quand des joueurs prétendûment
experts jouent sans avoir saisi ce principe simple.
2.2. COUPE E T CONNEXION 33

Dia. 23. Tous les joueurs de go ont subi le coup Blanc 1 de cette
position et constaté les dégâts qu’il occasionne. Cette situation est
particulièrement critique pour Noir car Blanc le coupe en deux ; il
rompt la continuité entre ses pierres.
Vous vous demandez peut-être : « Mais comment peut-on conti­
nuer à jouer s^l faut s^rrêter à chaque coup pour réfléchir de cette
manière? » D ’expérience, je sais qu’on ne peut pas jouer si on doit
en permanence se remémorer chacun de ces fondamentaux. En fait,
je dirais que ces fondamentaux doivent être intégrés par votre sub­
conscient. Par exemple, si vous regardez comment une star de ba­
seball se déplace quand il est en réception, vous verrez qu?il va
toujours se placer face à la balle, même quand le rebond est dif­
ficile, même pour des balles basses très rapides. C5est un principe
fondamental du baseball. La balle est sur lui en une fraction de
seconde. La question n^st pas de savoir s^l a acquis les fondamen­
taux de manière consciente et intellectuelle, mais si son corps peut
réagir instantanément. Ce que Ton voit, c5est le résultat de longues
heures d ’entraînement et d ’efforts.
Mais le go, c’est différent, non? Il n’y a pas besoin de jouer
instantanément, on a le temps de réfléchir à chaque coup. C?est
vrai, mais une partie dure deux-cents ou trois-cents coups, et on ne
peut pas s7arrêter à chaque coup pour repenser aux fondamentaux.
Il vous faut absorber les fondamentaux par la pratique, les étudier
jusqu’à ce que vous en soyez imprégné. Tant que les fondamentaux
n ’émergent pas naturellement de votre subconscient, vous ne les
maîtrisez pas.
J ^ i connu un joueur premier kyu qui prétendait être imbattable
à neuf pierres de handicap. « Je me défendrai de manière si solide
que vous n ’aurez aucune chance »,d isait-il.« D ’accord. C’est ce
qu’on va voir », lui répondis-je. C’est ainsi que ce joueur avec qui
je jouais habituellement à six pierres mit neuf pierres sur le goban,
et moi, je m’étais mis dans une situation embarassante à cause de
quelques mots mal sentis. Je notais évidemment pas du tout sûr de
pouvoir gagner.
Dia. 24. Voilà la partie (page suivante). Son principal intérêt est
de montrer de quoi un professionel est capable quand il joue sérieu­
sement. On peut remarquer ici et là quelques coups un peu lents de
la part de Noir, mais il n ’a pas commis de grosse erreur et pourtant,
34 CHAPITRE 2. COUPE E T CONNEXION

dès le coup 8 9 ,la partie est serrée. Au final, j ?ai gagné cette partie
aisément. Mon adversaire était stupéfait. Son opinion sur les profes­
sionnels s^st teintée de respect. J ?ai beaucoup apprécié ce moment
jusqu’à ce qu’il m’accuse de lie pas avoir joué aussi sérieusement
lors des parties précédentes à six pierres de handicap. ^>i je lui avais
donné raison, j durais perdu un élève de valeur. La situation était
grave. Je lui dis : « Il vous semblait impensable de perdre à neuf
pierres alors que d ’habitude nous jouons à six pierres, et pourtant,
c5est arrivé. À cela il y a plusieurs raisons, mais les plus importantes
sont que : ( 1 ) vous pensiez qu5avec les pierres supplémentaires, il
vous suffisait de défendre et de faire vivre chacun de vos groupes. Si
vous aviez joué normalement, vous n^uriez pas perdu aussi facile­
ment. (2) Vous avez complètement négligé le principe fondamental
selon lequel il faut couper et connecter. Il ne s7agit pas seulement
de couper et de connecter dans les combats. Regardez la position
après le coup 89 : Blanc a séparé chacun de vos groupes : le coin
en haut à droite, le bord droit, le coin en bas à droite, le bord du
bas, le coin en bas à gauche, le bord gauche, et le coin en haut
2.2. COUPE E T CONNEXION 35

à gauche. Ils sont tous plus ou moins isolés. En comparaison, les


pierres blanches sont toutes connectées au sens large, et sont donc
fortes. »
« C’est pour ces raisons que vous avez perdu. Voilà ce qui se
passe quand on oublie ou que Ton ignore les fondamentaux. J 5ai
peut être joué avec un peu plus de détermination que d5habitude,
mais cela me semble normal pour quelqu’un qui a osé donner neuf
pierres à un adversaire qui n’en a besoin que de six. »
Mon adversaire hocha la tête pensivement, et je poussai un
énorme soupir, soulagé devoir surmonté cette crise sans perdre Pun
de mes élèves.

Quand il a fallu préparer un texte destiné aux débutants des


cours de go de la Nihon Ki-In qui ont lieu dans TOffice du Tou­
risme de Tokyo, S. Nakagawa, 7e dan, fit cette remarque : « c^st
non seulement vrai dans les parties à handicap, mais aussi dans
les parties à égalité : si vous avez cinq ou six groupes isolés sur le
goban, vous avez vraisemblablement perdu. »

Dia. 25
36 CHAPITRE 2. COUPE E T CONNEXION

Sans insister davantage, j ?aimerais vous montrer un dernier dia­


gramme qui, comme chacun sait, vaut mieux qu5un long discours.
Regardez le Dia. 25. Noir a trois territoires isolés de neuf points
chacun sur le bord droit. Avec un total de 25 pierres, il a entouré 9
+ 9 + 9 = 27 points. Blanc, avec 25 pierres lui aussi, a entouré 45
points au centre et sur le bord du haut.
Comparez les diagrammes 24 et 25. Il semble clair au vu de ces
diagrammes que contrairement à ce que pensait notre 1er kyu, il ne
suffit pas de faire vivre tous ses groupes pour gagner. Notez aussi
que sur le bord gauche, Noir a entouré 75 points de territoire avec
les mêmes 25 pierres.
Au cours de son apprentissage du jeu de go, il arrive qu7un
joueur, concentré sur des tactiques avancées comme les tesujis et les
tsumegos^ oublie les concepts les plus simples et les plus importants.
Je ne serais pas étonné d’apprendre que même les plus forts d’entre
vous seront surpris par la solution du problème suivant. C5est à
Noir de jouer.

— -i c ~ o ■-

Dia. 26

Dia. 26. Inutile de réfléchir : il faut couper en a. Si c’est à Blanc


de jouer, il peut protéger la coupe de différentes manières. Difficile
de déterminer si b ou c est meilleur ; cela dépend essentiellement
de la position des pierres sur le bord droit. C’est d’ailleurs souvent
le cas. Il n’y a qu’une manière de couper, mais plusieurs manières
de protéger, chacune avec ses avantages et ses inconvénients, et si
vous ne prenez pas le temps d ’y réfléchir, votre connexion pourrait
même devenir un mauvais coup.
L a m a rc h e d e s p ie rre s

Le jeu de Go fait partie de ces jeux où Ton peut se considérer


comme un expert quand on parvient à ne jouer que des coups ordi­
naires. Il est inutile de chercher des coups particulièrement brillants.
Les coups des amateurs, au contraire, sont souvent peu classiques.
En fait, j ’ai observé tant de coups absurdes et invraisemblables qu’il
été difficile de déterminer par où commencer mon exposé sur
un sujet aussi vaste que « la marche des pierres ». Dans ce chapitre,
je me limiterai au cas où les pierres entrent en contact dans le début
de partie.
Pour commencer, que signifie « la marche des pierres » ? Prenez-
le au sens litté ra l: les pierres marchent, elles sont en mouvement.
Quand un homme marche, il met un pied devant Tautre - gauche,
droite, gauche, droite - et balance ses bras - gauche, droite, gauche,
droite - sans effort conscient. Pourquoi ? Parce que THomme est fait
pour marcher. Les pierres de go sont elles aussi faites pour marcher.
Tant qu’elles sont éloignées les unes des autres, ce n’est pas grave
si elles ne marchent pas tout à fait en cadence, mais si elles sont
rapprochées et que Tune dalles ne marche pas en rythme, le résultat
n ’est pas beau à voir. Laissez-moi vous montrer comment les pierres
doivent marcher quand elles sont au contact.

37
38 CHAPITRE 3. LA MARCHE DES PIERRES

D i a .1 . Dans cette position de dé­


but de partie à égalité, Blanc a choisi
la séquence 1-7 en réponse à la pince
A. Les pierres ne marchent que pendant
quelques coups ici, mais voyez-vous quoi
que ce soit d’anormal ou qui sorte de
l’ordinaire ? Réfléchissons-y.
Cette situation apparaît fréquem­
ment dans les parties de joueurs 1er ou
2e dan. Aucun des deux joueurs n’a de
raison de se plaindre de ces échanges.
Pourtant, si vous leur demandez qui
semble avoir le meilleur résutat après
Blanc 7 , la réponse quasi universelle
sera : « Blanc, assurément ». Assuré­
ment, dites-vous? Noir s’étend magis­
tralement sur la fameuse « ligne de la
victoire », mais ces joueurs préfèrent le
grand moyo que Blanc construit avec 7.
Le dicton selon lequel « Therbe est tou­
jours plus verte chez le voisin » semble
ne pas s’appliquer qu’aux enfants.
C ^st pourquoi, au lieu du nobi en
6, ils jouent en 7 et interrompent ainsi
le mouvement naturel de leurs pierres.
Le plus grave, c’est qu’ils sont fiers de
cette extension de deux espaces ridicule.
Ils pensent avoir obtenu un résultat sa­
tisfaisant des deux côtés. Ils sont aussi
heureux que s^ls avaient déniché une pé­
pite d ^ r dans le désert.
Ce que je trouve effrayant, c’est que
leur jugement est biaisé au point que le
coup correct leur semble incorrect. Une
telle illusion amène à la suivante, et la
qualité de la partie se détérioré rapide­
ment.
Dia. 2
39

Dia. 2. Immédiatement après la bourde en 1 , Blanc joue le


« hane à la tête de deux pierres » en 2. Noir répond avec le hane en
3, mais le double-/iane Blanc 4 est un coup splendide et très sévère.
Le reste des coups jusqu’à 8 est une marche forcée. Noir obtient un
résultat lamentable.
« La séquence de 2 à 8 est-elle si mauvaise que ça pour Noir ? »
Je m,attendais à cette question et voici ma réponse : « Mau-
vaise ? u Grotesque serait plus approprié. Voyez comme les pierres
Noires sont surconcentrées ; regardez cette magnifique influence ex­
térieure blanche; laissez-vous séduire par la solidité de ce mur
Blanc; rendez-vous compte à quel point ce résultat est bon pour
Blanc. Si vous n’arrivez pas à vous en convaincre, posez donc ces
pierres sur votre goban tous les matins au réveil et répétez ces mots :
“ la force Blanche est supérieure ” •》

Dia. 3
Dia. 3. Cette séquence provient d5une partie pédagogique à six
pierres de handicap que j ?ai jouée récemment contre un joueur 1er
dan. En réponse à l’invasion en 1 , il serait mal avisé de sortir la
pierre A avec un tobi vers le centre : Noir sortirait lui aussi en tobi
et, compte tenu de la solidité du coin nord-est, le combat lui serait
favorable.
Il est plus sage dans ce cas de sacrifier la pierre A. J ’ai donc
joué en 2, à la grande surprise de mon adversaire 1er dan. Après
quelques instants de réflexion, il joua Noir 3, un coup très mou qui
enfreint clairement les règles de la bonne marche des pierres. J ’ai
immédiatement exploité la faiblesse de sa forme en bloquant en 4,
puis je suis sorti en 6. Ce coup me permet de gagner de la force
40 CHAPITRE 3. LA MARCHE DES PIERRES

dans le centre, et menace simultanément de sortir ma pierre A et


d ’envahir le côté droit. J ’avais un coup d ’avance dans cette bataille
à cause de Terreur Noir 3.
Dia. 4. Noir doit absolument pousser en 1 . Blanc fait hane en
2. Quel est le prochain coup Noir?

r
J s ジ
rs
g
•1
g1
1
Dia. 4
Dia. 5. Le hane Noir 1 est une erreur que Blanc exploite immé­
diatement avec 2. Noir est contraint de jouer la mauvaise forme en
3, un coup inefficace. Pour un professionnel, le coup Blanc 2 saute
aux yeux, mais les amateurs ont tendance à le manquer. C’est un
de leurs points aveugles. Comme Noir vient de faire hane vers le
centre en 1 ,il s’attend à ce que Blanc aille dans la même direction
avec a, b ou c ou bien qu’il coupe en 3, mais n’envisage pas que
Blanc fasse machine arrière en 2. En général, c^st une bonne idée
de regarder vers le centre, mais ce cas est une exception.
Dia. 6. Si Noir joue en 1 , Blanc répondra en 2 comme dans le
diagramme précédent. La position après le coup 3 donne Timpres-
sion que Noir s’est soumis.
Dia. 7. Noir 1 est correct. Après Blanc 2 et Noir 3 , la forme
de Noir est devenue indestructible. « Le point vital de Tennemi est
aussi votre point v ita l.»

Dia. 6 Dia. 7
41

Dia. 8

Dia. 8. La réponse ordinaire à l’invasion noire en A serait de


jouer Blanc 1 et 3. À présent, Noir 4 est plutôt un bon coup. « At­
tendez une minute ! Noir 4 n^st-il pas exactement le même coup que
Noir 3 du diagramme 3 ? » Si, mais la position des pierres blanches
aux alentours est très différente. Si vous confondez ces deux coups,
vous aurez de mauvaises surprises. Ici, Noir 2 et Noir 4 sont de
bons coups. « Aaah ! », s’exclama notre 1er dan en se donnant une
tape sur la cuisse. Manifestement, il avait mémorisé cette position
et joué la séquence du diagramme 3 par mimétisme.
Voilà ce qui arrive quand on ne tient pas compte de la posi­
tion environnante : parfois, on vous couvrira d 5éloges, et d^utres
fois de mépris. Prenez le temps détudier la position dans son en­
semble, de considérer les relations entre pierres amies et adverses.
En pratique malheureusement, on n5a pas vraiment le temps d é tu ­
dier et de réfléchir à toutes ces relations. Déjà, quand on réfléchit
trop longtemps, l’adversaire s’impatiente : « Mais qu’est-ce qu’il
attend? » Il vous faut donc acquérir de ^expérience et ne pas né­
gliger les fondamentaux. Etudier les fondamentaux, voilà ce qu5il
faut faire. Etudiez les fondamentaux !

On pourrait parler de « la marche des pierres » à propos de


n5importe quel coup. Le sujet est trop vaste pour être traité dans
son intégralité. Regardons encore quelques exemples élémentaires
de marche naturelle des coups et passons à la suite.
42 CHAPITRE 3. LA MARCHE DES PIERRES

—P # •
— —

LJ

Dia. 9

Dia. 9. Étant donné que le but de Noir est de défendre son coin
en haut à droite, la réponse à un coup comme Blanc 1 devrait être
évidente. Noir 2 est correct, et si Blanc joue 3, Noir doit défendre
en 4. Même les débutants savent faire marcher leurs pierres naturel­
lement. C ^st quand ils ne comprennent pas les intentions de Blanc
quMls jouent une réponse bizarre, et laissent Blanc pousser en 2. La
différence entre Blanc 2 et Noir 2 est trop énorme pour tolérer un
tel coup.

D i a .10. Les joueurs faibles craignent les cross-cuts tels que


Blanc 1 et 3, mais œ n’est pas une excuse pour jouer par exemple
Noir 2 en 3, et laisser Blanc jouer en 2. Les dommages causés par ce
coup ne se limiteraient pas à la perte du coin. Comme les variations
sont peu nombreuses, cela vaut la peine d^apprendre à contrer ce
cross-cut. Cependant, ne suivez pas aveuglément le proverbe qui
conseille de jouer nobi face à un cross-cut. Cela ne vous apportera
rien à moins de vraiment le comprendre.
43

D ia .1 1 .Quand Blanc approche votre coin des deux côtés, ou­


bliez Tidée de vivre dans le coin ou de défendre le territoire du coin.
Il est plus important de s^chapper vers le centre et de percer les
mailles du filet Blanc, c^st à dire de couper agressivement les forces
l)lanches en deux. Noir 1 et 3 peuvent paraître lents, mais ils ne le
sont pas. Dans la mesure où ils séparent Blanc en deux groupes, ce
sont les coups les plus sévères.

g
<%
9
f9 fW

D ia.12

D i a .12. Voici maintenant un exemple de mauvaise stratégie.


Normalement, Noir est censé jouer 2 en a, mais ici, Noir décide de
faire Téchange 2-3 afin de renforcer son coin nord-est puis de jouer
4 afin de renforcer le côté gauche. Ce n ’est pas comme ça qu’on fait
marcher ses pierres naturellement. En particulier, je vous saurai gré
de ne plus jamais jouer Noir 2 si c’est pour délaisser cette pierre au
coup suivant. Si vous devez absolument jouer en 2, faites au moins
Féchange Noir b-Blanc c avant de jouer en 4.
44 CHAPITRE 3. LA MARCHE DES PIERRES

Regardez à présent les diagrammes 13 et 14. Vous ne vous at­


tendez certainement pas à ce que je fasse des critiques sur la marche
des pierres Noires ici. « Des critiques? Que pourrait-on trouver à
redire à cette séquence ? Ce sont des jôsekis, n^st-ce pas ? »

Dia.13 Dia.14

D i a .13. Voici un conseil pour les joueurs qui auraient une


confiance aveugle envers les jôsekis : les jôsekis ne sont pas univer­
sels. En particulier, quand Blanc pénètre dans la zone d^nfluence
noire avec A, que ce soit dans une partie à égalité ou à handicap,
Noir serait mal avisé de Taccueillir avec le bon vieux jôseki tsuke-
nobi de Noir 1 à 9.
Pour quelle raison? Car Blanc est déjà sous pression à cause
de la pierre de pince. Noir doit donc saisir cette opportunité et
continuer Tattaque. En jouant la séquence 1-10, il lui facilite la vie.
D ia .14. Le kosumi-tsuke Noir 1 est bien meilleur car il empêche
Blanc de se stabiliser. Après la séquence de 1 à 8, Blanc se sent pris
entre deux feux noirs, à gauche comme à droite.
Permettez-moi d^nsister sur ce dernier conseil: choisissez tou­
jours les jôsekis selon la situation.
L a l u t te p o u r p a s s e r
en tê te

Certains chevaux sont capables de sceller le résultat d ^ n e course


hippique dès la ligne de départ. Ils jaillissent en tête dès les pre­
mières foulées, et quand bien même certains chevaux remonteraient
de temps à temps à sa hauteur, tant que ce cheval reste fidèle à
lui-même, il est inutile de regarder la course pour en connaître le
vainqueur.
Mais quel rapport avec le go, me direz-vous ? À ce que Ton sache,
les pierres ne courent pas à quatre pattes ! Cependant, il faut garder
de cette métaphore l’idée qu’il est très important de se battre pour
passer en tête.
D ia .1 . Dans cette situation où les pierres sont au contact, le
joueur qui passera en tête prendra un avantage décisif dans la partie.
Bien que cette situation soit tout à fait critique, on voit souvent les
débutants laisser cette position telle quelle
et échanger des coups ailleurs sur le goban
en oubliant complètement ces pierres. Re­
gardez les parties de joueurs forts : vous ne
verrez presque jamais de pierres alignées de
la sorte, côte à côte, et momentanément dé­
laissées par les deux joueurs.
Dia.1

45
46 CHAPITRE 4. LA LU TTE POUR PASSER EN TÊ TE

Dia. 2. Que faire pour Noir s’il a


le sente? S'il joue a, il a bien un coup
d’avance, mais alors Blanc joue b, et
si Noir continue devancer tout droit
en c, Blanc d, puis Noir e, Blanc f.
Noir obtient une belle ligne solide de
pierres, mais Blanc aussi. Si les deux
joueurs vont jusqu’au bout du goban,
le résultat sera exactement le même
que si Blanc avait commencé en b puis Noir a, Blanc c, etc. Que
Noir joue en premier ou que ce soit Blanc, cela ne change rien ! Mais
ce n’est pas ainsi que l’on passe en tête.
Il va nous falloir réfléchir un peu différemment. La vraie signifi­
cation de « passer en tête » est « tourner autour de la ligne adverse
pour la faire ployer ». Si Noir comprend cela, il jouera différemment.

Dia. 3. Noir va faire ployer la ligne adverse en jouant 1 . C7est


Pillustration parfaite du proverbe : « il faut jouer hane à la tête
de deux pierres sans même réfléchir. » Dans la séquence allant de
Blanc 2 à Noir 9, Noir joue de manière plutôt conservatrice, mais
même ainsi, à chaque échange, Noir agrandit sa zone d^nfluence
et Blanc recule. Et encore, Blanc a peu de chances de s’en sortir
aussi bien. Noir peut obtenir un résultat encore meilleur en coupant
en a à un moment donné de cette séquence, et la position blanche
explosera.
Dia. 4. Si c5est à Blanc de jouer, il jouera la séquence de 1 à 7.
Noir peut ramper à sa guise sur la deuxième ligne, la ligne de la
défaite, Blanc sera heureux répondre à chaque coup. Comparez
ce diagramme au diagramme précédent. Plus vous les regarderez et
47

plus la différence s’imposera à vous. J ’imagine qu’il n’est pas néces­


saire d ’expliquer davantage la signification de l’expression 《passer
en tête ». Ces deux diagrammes suffisent largement.

Dia. 5

Dia. 5. Noir doit cependant regarder ce qui se passe si Blanc


coupe en 2 en réponse au hane 1 .Blanc 2 est la seule contre-attaque
possible face au hane. Ici, Blanc 2 échoue lamentablement quand
Noir joue 3 et 5, mais ce n ^ st pas toujours aussi simple. Quand
vous jouez hane^ soyez préparé à vous défendre contre la coupe, ou
vous vous mettrez souvent dans des situations dangereuses.

Dia. 6. La formation du Dia. 6 peut se produire en partie quand


Blanc envahit au san-san sous le hoshi Noir. Si Blanc choisit de
résister en coupant en a au lieu de 5, Noir peut répondre en 5 ou en
6 et Blanc va au devant de gros ennuis. La séquence suit son cours
jusqu’au coup Noir 12, Blanc gagne quelques points en échange
d 7une influence extérieure Noire. Qui a le plus gagné dans cette sé­
quence ? Il me semble que cela va de soi : Noir sort gagnant de cette
séquence. Pour cette raison, Blanc n^nvahit jamais immédiatement
au point 3-3 sous une pierre de hoshi sauf dans des circonstances
exceptionnelles.
48 CHAPITRE 4. LA LU TTE POUR PASSER EN TETE

Dia. 7. Les joueurs qui ont un peu


d’expérience connaissent tous la sé­
quence qui suit où Noir pousse en 1
et 3 et Blanc répond en 2 et 4. C’est
un jôseki. En revanche, peu nombreux
sont ceux qui connaissent la significa­
tion de ces coups.
Quelle est Tintention de Noir quand il joue les coups 1 et 3 ?
La réponse est la même que dans la position preceaente : il cherche
à passer devant Blanc, à prendre Tavantage. Prête Toreille, toi qui
joues le coup 4 sans réfléchir juste parce que c^st le jôseki et ap­
prends à le comprendre.
« Pourquoi s’embêter ? Que je connaisse sa signification ou pas,
le coup est le même.
- Bien sûr, mais c^st aussi pour cette raison que tu ne progresses
pas. Essaie de jouer des coups que tu comprends, pour changer. Et
quand bien même ça ne te ferait pas progresser, le jeu en sera deux
fois plus intéressant. »
Noir 3 est en avance sur Blanc 2. Pour ne pas être en reste, Blanc
tente de prendre les devants avec Blanc 4. Si Blanc se contentait
de jouer en a, suivi de Noir b, Blanc 4, Noir c, etc, il ne pourrait
jamais passer devant Noir. Bien sûr, quand il saute en 4, Blanc doit
réfléchir à ce qui se passera si Noir joue la séquence Noir a, Blanc
d, et Noir coupe en e. Mais tant qu’il sait comment répondre à ces
coups, il doit tenter de passer en tête le plus tôt possible, c’est à
dire en 4.
Dia. 8. Voilà ce que Blanc a lu si
Noir coupe avec 1 et 3 : après 3, Blanc
se contente de connecter en 4, et cap­
ture les pierres de coupe avec la sé­
quence jusqu5a 8. Il est essentiel pour
Blanc d ’avoir bien lu cette séquence.
Mais s’il a un doute, il peut aussi se
rabattre sur le diagramme suivant.
Dia. 9. (page suivante) « Est-il acceptable pour Blanc de rampe:
un coup de plus en 1 , puis de sauter en 3? » Non, ça ne Test pas.
Il est essentiel de sauter au plus tôt, dès que c?est possible.
49

- — (3
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YàF
g ■一

O 19

Dia. 9 Dia.10

D ia .10. « Dans ce cas, pourquoi ne pas sauter directement en


2 quand Noir presse en 1? »
Naturellement, il faut penser à ce coup. Ici, tout ce que je peux
dire, c’est que cela dépend des circonstances, ou plutôt qu’on ne
doit pas jouer ce coup au petit bonheur la chance, à Tintuition, sans
avoir bien pris le temps réfléchir. Dans cette position precise,
ce n ’est juste pas possible.
D i a .1 1 .Voilà pourquoi. La séquence initiée par Noir 1 et 3
marche très bien dans ce cas. La position blanche était trop fragile.
Si Blanc joue 4, Noir coupe en 5, et si Blanc connecte en 6, Noir
capture le coin avec 7 puis 9. Cette séquence est désastreuse pour
Blanc. Noir ne doit pas couper en 6 à la place de 5. Sinon, Blanc
sera content de capturer cette pierre de coupe et ainsi obtenir un
ponnuki.
D ia .12. Si Blanc choisit de suivre le proverbe selon lequel on
doit toujours capturer la pierre de coupe dans ce genre de position
en jouant Blanc 6, Noir obtient une influence extérieure en jouant
7 et 9. Ce résultat est incontestablement meilleur pour Noir. Si le
shichd est bon pour Blanc, Noir qu5à jouer un briseur de shichô
avant de jouer cette séquence.

Dia.11 Dia.12
50 CHAPITRE 4. LA LU TTE POUR PASSER EN TE TE

7淡
f■
g
w

ふ —
Dia.13 Dia.14

D ia .13. Par conséquent, Blanc ne peut pas jouer le coup 4 des


D ia .lü et 11 et doit jouer le coup 4 du D ia .13. Noir obtient un
mur extérieur solide, alors que la position l)lanclie est trop ba^se et
manque de potentiel. Ce n^st pas un très bon résultat pour Blanc.
D ia .14. Maintenant que Blanc est arrivé à passer devant Noir
en jouant 1 ,va-t-il conserver son avantage ? À quel résultat peut-on
s^ttendre? Noir pousse en retard en 2 et 4, mais Blanc conserve
un coup devance et tourne en 5 et 7 en jouant un double hane. Ici,
nous commençons à nous intéresser à des coups que les débutants
ne devraient pas imiter à la légère, mais Blanc se développe très
joliment et très efficacement.
Revenons un instant au Dia. 7 de la page 48. Après les coups
Noir 1 et Noir 3, Noir semblait avoir un coup d'avance, mais le
coup Blanc 1 du D ia .14 a renversé la vapeur, et c’est finalement
Blanc qui est en tête. Noir doit donc user du coup 1 du Dia. 7 avec
précaution, car il peut se retrouver à donner énoririément de points
à Blanc sans réelle compensation.
Si Noir pouvait toujours rester devant en jouant le coup 1 du
Dia. 7, tous les joueurs le joueraient plus fréquemment. La raison
pour laquelle on ne le joue pas systématiquement est que Blanc
peut passer devant avec le coup 1 du D ia .14.
D ia .15. (page suivante) Voici une partie jouée lors d ^ n tour­
noi professionnel en mars 1970 entre Kato Masao, qui devait deve­
nir quelques années plus tard une star mondiale, et Reiko Kitani
(connue plus tard sous le nom de Reiko Kobayashi). Cette dernière
jouait Noir dans cette partie et a gagné par abandon. Les coups 1 à 4
peuvent sembler fragiles et dangereux dans la mesure où ils laissent
des faiblesses partout. En réalité, les deux joueurs se battent pour
51

passer devant Tautre et ont pleinement conscience des risques en­


courus. Regardez coinino ils se l)attent pour passer devant jusqi^au
coup 23, et vous aurez une idée de comment réfléchissent les joueurs
professionnels. Après la partie, il a etc décidé (^ue le résultat obtenu
par Noir sur le bord nord n ’était pas satisfaisant.

Dia. IG. De Tavis des deux joueurs, Noir aurait mieux fait de
jouer la séquence de 1 à 7. Ensuite, on peut s’attendre à un combat
difficile commençant par Blanc a, Noir b, Blanc c.
52 CHAPITRE 4. LA LU TTE POUR PASSER EN TÊ TE

D ia .17. Regardez le coup Blanc 1.


Pourquoi les professionnels jouent-ils un
coup aussi soumis, aussi bas, que le
keima en 1 au lieu du tobi en a.
a ケ -
Il n ’y aurait aucun danger immédiat
à sauter en a. Le problème du coup a
b
est un problème de potentiel, et les pro­ — —
• c
fessionnels font très attention à ne pas
laisser de faiblesses à leur adversaire. Si
D ia.17
Blanc joue a, Noir peut pousser et cou­
per, et cette coupe donne à Noir la possibilité de jouer b en sente.
Et à cause de ce défaut, Blanc ne peut espérer sauter en c plus tard.
D ia .18. Le coup à l’épaule Blanc 1
est un coup classique pour réduire un
moyo. Noir pousse alors en 2, et Blanc
répond en 3. Blanc peut être satisfait
devoir réduit sensiblement le potentiel
Noir et tant qu’il reste « devant », il n ’a
pas à sMnquiéter pour ses pierres. En­
suite, Noir joue le keima en 4. Ceux qui
ne comprendraient pas l'importance de
ce coup devraient lire le paragraphe sui­
vant avec attention.
Si Noir joue 5 à la place de 4 et
continue à pousser, il aura toujours un
coup de retard, et Blanc sera toujours en
tête. Dans une telle situation, il est im­
possible pour Noir de repasser en tête.
Le mur qu'il construit en poussant ainsi
est neutralisé par les pierres blanches so­
lides situées en face. Pour cette raison,
Noir ne devrait pas pousser davantage.
Le coup Noir 4 stabilise les pierres noires en leur donnant une
base solide, et prive les pierres blanches d ^ n e base de vie. Si Noir
n’avait pas joué 4 et avait laissé Blanc bloquer en a, les rôles seraient
inversés et Noir serait en mauvaise posture. La séquence allant de
Blanc 丄a Noir 4 constitue un de milieu de partie.
53

4 9
g
1

l
l
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r
-c )
D ia.19

Un joueur 34' kyu : « Je i^aime pas trop jouer un coup comme


Blanc 1 parce qi^un tel coup permet à Noir de construire son ter­
ritoire en jouant la séquence de 2 à 8 du D ia .19. »
Je comprends ce que ressent ce joueur, mais le territoire que Noir
concrétise ne représente pas plus d^ine dizaine de points. Certes,
on ne peut pas déterrriiner précisément la valeur de cette influence
blanche, mais Blanc vraisemblablement rien perdu dans cet
échange. Je constate que les amateurs ont toujours tendance à sur­
estimer la valeur du territoire, mais si Blanc a peur de ce résultat
et laisse la situation telle quelle, Noir va agrandir son moyo en 1
du Dia.20, puis en a, et il sera alors trop tard. Avant que cela n’ar­
rive, Blanc doit prendre son courage à deux mains, tenter le grand
plongeon, et jouer un coup dans le moyo Noir.
54 CHAPITRE 4. LA LU TTE POUR PASSER EN TE TE

Dia. 21 Dia. 22
Dia. 2 1 .LMnvasion directe en 1 est aussi une idée envisageable.
Cela semble risqué, mais en réalité, cela dépend surtout de la situa­
tion globale de la partie. Le tobi 2 est une réponse normale il y a
un proverbe qui dit qu ’ 《un n’est jamais mauvais » - et si les
deux joueurs continuent à sauter à travers le goban, Noir obtient
un résultat acceptable.
Mais attendez! C ^st exactement le cas où Noir doit chercher à
passer devant, non? Où est Tavantage à sauter en premier si Noir
et Blanc se contentent de sauter tranquillement à travers le goban ?
On aurait le même résultat si Blanc jouait en premier. Il faut donc
se battre pour « passer en tête ». Bien sûr, si Blanc ignore Noir 6,
il suffit pour Noir de jouer a et les trois pierres blanches seront en
grand danger, mais il ne faut pas compter sur les erreurs de son
adversaire. Noir doit apprendre à trouver le moyen de profiter de
son avance.
Dia. 22. Le keima 1 est le coup important dans cette lutte pour
passer en tête. Si Blanc joue 2 et 4, alors Noir continue à lui mettre
la pression avec 3 et 5. C’est grâce au coup 1 que Noir passe à
l’offensive et que Blanc doit défendre. C’est à partir de ce coup
55

que l’attaque commence. Si Noir avait laissé Blanc jouer en 1, la


situation serait renversée. Celui des deux joueurs qui est en avance
doit mourir d^nvie de jouer un keima à la première occasion.

Depuis que j ’ai acquis cette merveille de la civilisation qu’on


nomine la television, je vais rarement au cinéma, mais il y a encore
quelques années, y y allais cinq à six fois par mois. Le mieux était
daller dans les salles de première classe à Ginza et Shinjuku, mais
le manque d^rgent de poche n^incitait à préférer passer la journée
dans un de ces cinémas peu chers et mal entretenus de 3e ou 4e
classe situés dans les faubourgs perdus de la villes pour y regarder
trois filins dViffilée. Les enfants y faisaient un vacarme pas possible,
les adultes y fumaient à cœur-joie cigarette sur cigarette et toutes
sortes dOdeurs s^y mêlaient en un bouquet étouffant et déplaisant.
Bref, rien de très agréable. Je plissais les yeux et me mettais un
mouchoir sur le nez tout en me demandant quelle folie me faisait
choisir ce genre d’endroits.
Cependant, une fois hahitué à cette atmosphère, j 7ai commencé
à y prendre un plaisir étrange, presque puéril. Je me demandais ce
qui faisait se lécher les babines mon voisin de devant. Etait-ce une
portion de seiches frites à Tlmile? Pourquoi ne pas aller moi aussi
m’acheter de ces galettes de riz croustillantes à cinq yens l’unité
pour les boulotter durant le spectacle ?
Et qui pouvait donc crier : « Attention, Kinshan (Kinnosuke Na­
kamura), il y a un méchant juste derrière toi ! », alors c^ue ce héros
de films pour pré-ados chargeait comme un chien enragé une mul­
titude d^nnem is? En général, les responsables étaient un groupe
de femmes au foyer du quartier. Je me doute l)ien quelles avaient
conscience que leurs encouragements iravaient aucun impact sur la
suite du film; j ’imagine qu’elles cherchaient simplement à profiter
de Tinstant au maximum. Pardonnez-moi si j^ n ris, mais je trou­
vais ce spectacle désopilant. Mon corps tout entier était pris d ^ n e
hilarité irrépressible. Et bientôt, je me joignais à la foule dans ses
encouragements et je criais : « Bien fait !» Un sentiment diffus de
nostalgie me gagnait alors, et celui-ci ne se dissipait qu?à la fin de
la séance.
Je suis né et j ’ai été élevé dans la pauvreté. Je sais tout du plan
et des détails de la bataille dans laquelle Yasubei Nakayama a occis
56 CHAPITRE 4. LA LU TTE POUR PASSER EN TÊ TE

dix-huit ennemis, ou quand Mataemon Araki en a trucidé trente-


six, mais ya,i gardé intact le plaisir de voir un héros se battre seul
contre une horde de samouraïs quand bien même j durais vu la scène
des dizaines de fois. J ’ai le même plaisir en regardant une pierre
pénétrer dans un grand moyo juste avant que celui-ci ne devienne
vraiment du territoire et survivre aux attaques des ennemis qui se
jettent sur elle.
Il s’agissait d ’une manière un peu étrange d ’al)oi,der le sujet,
mais le simple fait d ’évoquer les manières de contester les zones
d^nfluence adverses a fait resurgir en moi de vieux souvenirs que
je n ^ i pu refouler. Maintenant, nous pouvons revenir au sujet ini­
tial. Passer de la lutte pour passer en tête aux techniques pour
pénétrer dans les zones d influence adverses peut vous sembler un
peu décousu, mais commme les amateurs ont tendance à mal s?y
prendre dans ce dernier cas, je voulais être sûr d^voquer le sujet
avant d ’oublier.
Dia. 23. Blanc pénètre dans la zone d ’influence Noire sm, le bord
droit avec le coup 1 .Cette invasion semble naturelle.

- —

±11
= =T 癱

O
4#¢
一 Y <>- v==>

Dia. 23
57

Les joueurs qui approuvent ce coup appartiennent vraisembla­


blement à Técole selon laquelle il faut, dès qu^pparaît une zone
d ’influence adverse, se jeter dedans sans tarder. C’est le credo de la
secte des jaloux : partout où Tadversaire a une extension suffisam­
ment large, il faut s?y précipiter. On ne peut pas espérer progresser
avec cette philosophie. Le coup Blanc 1 lui garantit de souffrir dans
la sphère d ’influence adverse.
Ces joueurs jaloux, s^ls devaient jouer Noir après le coup Blanc
1, auraient le sentiment qu’une bombe à retardement vient d ’être
amorcée dans leur territoire. Ils se lanceraient frénétiquement dans
une attaque désespérée contre cette invasion, on verrait de la fumée
s^chapper de leurs oreilles et de leurs narines, et en peu de temps
c’en serait fini de leur partie.

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a
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s w A-_r

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Dia. 24

Dia. 24. Voici une partie entre deux amateurs de haut niveau
à mi-chemin entre le fuseki et le milieu de partie. C ^st le tour
de Noir : où doit-il jouer ? Ecoutons les réponses de deux joueurs
amateurs.
58 CHAPITRE 4. LA LU TTE POUR PASSER EN TÊ TE

A (1er dan) : « Je ne sais pas bien ce qui va se passer ensuite,


mais vu la taille du moyo Blanc, je dirais que Noir doit envahir en
a. S’il parvient à vivre où à s’échapper, il a ses chances. Bien sûr,
s’il meurt, il a perdu, mais je pense qu’il devrait s,en sortir.
B (3e dan) : - Il devrait s^n sortir? Voilà qui n 5est guère encou­
rageant. Noir ferait mieux de rester près de ses forces et de pénétrer
doucement dans le moyo de Blanc avec b ou c. C ^st plus sûr et
plus raisonnable. »
Ces deux réponses sont plutôt correctes, mais elles négligent
une donnée importante. Elles ratent l’essentiel. L’important, c’est
d ’évaluer le score de la partie. Il faut penser ainsi : « le score en
est là, je jouerai donc de cette manière », choisir entre prendre
des mesures d^rgence ou assurer la victoire en jouant prudemment
selon le résultat de l’évaluation.
Que ce soit parce qu’il n’ont que faire du score ou parce qu’ils ne
savent pas le compter, les amateurs préfèrent ne pas s^mbarasser
avec l’estimation du score. Certains prétendent qu’ils n ’ont jamais
estimé le score une seule fois dans leur carrière de joueur de go.
Les professionnels, eux, estiment le score en
permanence. Même pour des parties péda­
gogiques informelles, ils Testiment deux ou g
fP
trois fois dans la partie. Cela devient une ha­ g
fW
bitude. Dans des cas extrêmes, et c?est fré­
quent dans les compétitions professionnelles,
les joueurs estiment le score à chaque coup.
Quelle différence! La capacité à éva­
luer précisément le score compte pour beau­
coup dans la force d ^ n joueur professionnel. g■
9
J ’ai constaté que c’est parmi les meilleurs
joueurs que Ton trouve cette capacité au ni­
veau le plus remarquable. Quoi qu^l en soit,
Vパ
votre manière de jouer doit être guidée par Vノ
l’estimation du score.
Dia. 25. À Blanc de jouer. Comment de­ sJ
vrait-il s7y prendre pour contester la sphère
d ’influence noire ?
Dia. 25
59

gf ►1 e
cI I r i
c

U
j
gf 9

-- <> -H O
Dia. 26 Dia. 27

Dia. 2G. Jc suppose que la plupart d^ntre vous ont pensé à a


ou b mais le coup correct est Blanc 1. Les professionnels appellent
un tel coup « yosu-mi ». En jouant ici, Blanc teste les intentions de
Noir. Celui-ci peut répondre en c, cl,e, f ou g. Ce coup surprend les
débutants, et les joueurs plus forts peuvent se demander pourquoi
on ne peut pas se contenter de la capturer.
Dia. 27. Il est vrai que cette pierre peut être capturée. Le plan
de Blanc est de sacrifier cette pierre, et crutiliser ce sacrifice pour
trouver un moyen de pénétrer dans la sphère d^nüuence Noire. On
peut considérer que les coups 2-8 sont forcés, mais le coup Blanc
9 est une nouvelle surprise. Pourquoi Blanc ne connecte-t-il pas en
lü, ou à gauche de 10?
Blanc traite légèrement les trois pierres qi^il a jouées dans le
coin en haut à droite, en partant du principe que ce sont des coups
forçants qui ont fait leur travail et dont il ne faut pas s^mbaras-
ser. Ce concept peut être difficile à appréhender, mais en tant que
Blanc, il faut être prêt quand on rentre dans la sphère d ’influence
de Noir à se battre dans des conditions défavorables. En concédant
un petit sacrifice dans le coin en haut à droite, Blanc a changé le
rapport de force sur le bord droit. La pierre A est maintenant iso­
lée. J 5espère que cette manière de considérer le rôle des pierres vous
aide à comprendre le raisonnement.
60 CHAPITRE 4. LA LU TTE POUR PASSER EN TE TE

Dia. 28. Voyez ce qui se passe si Blanc


connecte en 1 . Ces pierres deviennent lourdes
et tout à coup, c’est Noir qui attaque et Blanc
qui défend. Les coups du Dia. 27 constituent
une technique de haut niveau que les joueurs
plus faillies ne devraient pas imiter aveuglé­
ment, mais si vous comprenez l'idée générale de
ces coups et que vous trouvez vous-mêmes des
coups de ce genre, vous aurez franchi la fron­
tière d ’un nouveau monde, et votre jeu en sera
(rautant plus intéressant. Dia. 28
Les professionnels srefforcent toujours de trouver les moyens de
combattre en terrain favorable. Les amateurs, eux, se contentent de
faire une percée dans le territoire adverse; si le groupe vit, qui se
soucie qiril soit léger ou lourd ? Voilà encore une différence profonde
entre amateurs et professionnels.
Revenons au sujet initial et finissons-en. Les diagrammes qui
suivent montrent des situations classiques, ou même des jôsekis que
vous connaissez certainement, mais regardons-les sous un nouvel
angle en gardant à Tesprit la lutte pour passer en tête.

卜へ
g■ V

: 9
V
%
K
— \
Dia. 30

Noir 1 et Blanc 2 dans le


Dia. 29 ; Blanc 1 ,Noir 2 et Blanc
3 dans le Dia. 30 ; Blanc 1 et Noir
2 dans le Dia. 3 1 : ne dirait-on
pas que ces pierres sont en mou­
vement, quelles luttent pour être
devant ?
Dia. 31
61


9
/
.1
1

i
Dia. 32

Dia. 32. Cette séquence part du coin avec Noir 1 et nous montre
deux joueurs qui se l3attent de toutes leurs forces pour prendre le
contrôle du centre. Cette lutte continuera après Blanc 10. Si ce n 5est
pas une lutte pour passer en tête, je ne sais plus comment Pappeler.

Dia. 33 Dia. 34

Dia. 33. Les pierres sont plus éloignées, et le raisonnement est


très différent, mais on continue à sentir que les joueurs se battent
pour être devant.
Dia. 34. Voici un autre jôseki dans lequel Blanc sécurise un gros
coin pendant que Noir construit une influence extérieure. Là encore,
on sent que chaque joueur lutte d^rrache-pied pour jouer ses pierres
devant celles de Tadversaire.
62 CHAPITRE 4. LA LU TTE POUR PASSER EN TÊ TE

Dia. 35. Une séquence comparable à la précédente.


Dia. 36. Voici une séquence classique qui pourrait apparaître en
début de chuban et où les pierres « marchent » vers le centre. Par
la suite, les deux joueurs continueront leur lutte par une série de
tobis vers le centre.
e T e r r ito ir e s e t zo n es
d ’in flu e n c e

En lisant le journal Tautre jour, je suis tombé sur un article


intitulé : « Tsuke-Aji no Katachi; Jikoryu o Yarnenasai ». Je
commençai à lire Tarticle, persuadé quMl s^girait de go, mais le
titre m^vait induit en erreur. L^rticle parlait en fait de techniques
de cuisine japonaise, et notaininent de Tarômatisation des soupes
mis o ï . Mais il avait capté mon attention, alors je poursuivis ma
lecture. Dans les grandes lignes, il était question de riniportance de
respecter scrupuleusement les proportions de miso et de sel à ajou­
ter au bouillon. Il m ^rrivait régulièrement de préparer ce genre de
soupes quand je ta is étudiant, mais je ne suivais aucune recette et je
ne respectais pas du tout les proportions. Pas étonnant que le résul­
ta t n ^ it jamais été terrible! Une fois de plus, je ta is impressionné
par Timportance des fondamentaux dans tous les domaines.
Une des faiblesses des joueurs amateurs est d ^tre incapable de
faire la différence entre un territoire et une zone d'influence.

*. Littéralement, « Principes de base de Tarômatisation. Ne soyez pas anti­


conformiste », mais tsuke, aji et katachi sont aussi des termes de go.
f. NdT : le miso est une pâte de soja fermentée.

63
64 CHAPITRE 5. TERRITO IRES E T ZONES DINFLUENCE

D ia.1
D i a . 1 . Parfois, une formation telle que celle que Blanc a
construit ici survient en partie. J 7ai constaté qi^il est très difficile
pour de nombreux joueurs dévaluer correcteinent ce type de posi­
tions. Certains diraient : « Blanc aura vraiseinblablcinent quarante
ou cinquante points de territoire sur le bord Nord. » À la place de
Noir, ils se sentiraient déjà dépassés à ce stade de la partie. Avec
un tel raisonnement, il n ^st pas surprenant qi^ils perdent la partie.
En réalité, le l>orcl Nord il’est lien de plus qu’une zone d ’influence
de Blanc. On ne peut pas parler de territoire ici.
Qu7eii est-il de Noir ? On peut lui comp­
ter une dizaine de points dans le coin en g g
haut à droite, mais le bord gauche n’est %y
g ’
quelle zone (rinfluence Noire, et certaine­ 1
ment pas un territoire définitivement ac­ 3
quis. 【 s:J
Dia. 2. Noir a une quinzaine de points 1
de territoire dans le coin en haut à gauche,
■レ1
et une zone d'influence dans le coin en bas c s
à gauche. Quant à Blanc, il n’a rien de plus < J
qu’une zone d ’influence sur le bord gauche.
« Quoi? Même ça, ce n 5est pas du ter­
ritoire ?
- Tout à fait. Noir peut encore envahir. gh
fw
Par exemple, il peut obtenir un ko avec la
séquence Noir a, Blanc b, etc. »

Dia. 2
65

Dia. 3

Dia. 3. Quelle est Topinion du lecteur sur cette position de début


(1e partie ? Est-ce que je l’entends muramrer : « Blanc a entre dix
et vingt points sur le bord Nord, Noir a vingt ou trente points à
droite, et une quinzaine à gauche », et ajouter qu’il n’est peut-être
pas un magicien du Go, mais qu'il a au moins appris à compter? Je
suis toujours étonné de voir combien de joueurs ne savent pas qu’il
est foiidainentaleinent impossible de compter des territoires quand
les pierres sont si éloignées les unes des autres.
Un jour, dans une partie à sept pierres,j ’ai été très surpris
par un joueur 1er dan qui s5était mis à compter les territoires en
hochant mécaniquement de la tête à chaque point alors que la partie
en était à peine au vingtième coup. Même Kano, 9e dan, qui a
désormais acquis le surnom de « tête qui remue », ne commence
pas ses hochements de tête pendant le fuseki. Il ne le fait que dans
le yose, surtout quand il est en avance, afin de déstabiliser son
adversaire. Dans le Dia. 3, il est plus correct de dire que Noir et
Blanc n’ont que des zones d ’infiuenœ. On ne doit pas les considérer
comme du territoire.
Dans une partie à handicap cependant, Blanc peut supposer
qu’il aura plus de territoire que ce qu’il serait en droit d ’espérer
contre un adversaire de son niveau, alors que Noir, face à un ad­
versaire cinq ou six pierres plus fort que lui, ne sait jamais quels
supplices il devra endurer.
66 CHAPITRE 5. TERRITO IRES E T ZONES D ’INFLUENCE

Dia. 4

Dia. 4. Le « territoire » Noir disparaît tout d ^ n coup quand


Blanc joue 1 ,ou tout autre coup classique. Si les conditions le per­
mettent, Blanc peut même plonger en plein dans la formation de
Noir en a ou b, et s^n tirer correctement. Dans le coin en haut à
gauche, Blanc peut très bien réduire le territoire Noir à rien du tout
avec c. Je dirais même qu’il n’est pas exclu que le coin en haut à
gauche devienne du territoire Blanc.
Le bord droit n ^ st pas du territoire Noir. Le coin en haut à
gauche ne peut certainement pas être considéré comme du terri­
toire Blanc - il ne faut pas exagérer. Je veux que vous compreniez
qu?entourer du territoire et le sécuriser demande beaucoup dEf­
forts. Par exemple, si Noir parvient à fermer sa zone avec a avant
que Blanc ne joue 1 ,alors ce sera vraisemblablement son territoire.
Cela dit, Blanc peut toujours envahir : s’il se fait tuer, il n’aura rien
perdu, mais s’il vit, c’est une victoire inespérée! Qu’en penses-tu,
Noir?
Dia. 5. (ci-contre) Si Tinvasion en Blanc 1 vous semble abusive,
sachez que Noir pas vraiment d ^u tre réponse que le coup natu­
rel en 2. Ensuite, le tsuke en 3 est un tesuji classique. « Eh bien, ce
n5est pas grave : Noir est content de répondre en 4 et 6. Et main­
tenant, Noir peut-il enfin considérer que le coin lui appartient ? »
Oui, assurément, mais n ’oubliez pas de prendre en compte tout ce
que Noir a dû offrir à Blanc pour conserver son coin : les coups 3
et 5 l’ont considérablement renforcé.
67

Dia. 6. Et si Noir bloque de l’autre côté en 4? Alors Blanc


vit facilement avec la séquence de 5 à 9. Retenez le coup Noir 10.
Beaucoup de joueurs n’ont pas conscience de l’importance de cette
pierre.
Et maintenant, une question pour vous. Selon vous, lequel des
deux diagrammes est le meilleur pour Noir ? Le Dia. 5, ou le Dia. 6 ?

Dia. 5 Dia. 6

Réponse : le Dia. 6 est meilleur. Cachez-moi cette expression


de surprise coupable. La différence entre la solidité de Blanc sur le
bord du haut dans le Dia. 5 et la faiblesse de sa position dans le
Dia. 6 a plus de valeur que les quelques points que Noir a perdu
dans le coin.
Dia. 7. Dans cette situation,
Noir préférerait ne pas répondre au
coup 1 , et s’il répond, il devrait le
faire en 3. Au lieu de ça, il a re­
culé en 2, puis s^st encore soumis
en 4. Quelle humiliation ! Pourtant,
ce résultat est quasiment identique
à celui du Dia. 5. C’est en observant
les coups quand ils sont joués dans
un ordre différent que Ton prend
conscience de Tironie du jeu de go.
68 CHAPITRE 5. TERRITO IRES E T ZONES D ’INFLUENCE

Dia. 9

Dia. 8. Noir joue la pince basse à un espace en 1 , Blanc saute


en 2, et Noir répond en 3. Si vous trouvez ce coup 3 excellent - c’est
le seul coup, votre intuition est correcte. Celui qui a déclaré : « Je
n’en suis pas si sûr : j ’ai vu une partie dans un journal où un 9e dan
a joué Textension en a à la place de 3. » a été expulsé de Técole de
go de Kageyama. Ne serait-ce que du point de vue de la lutte pour
être en tête, ce coup 3 est parfait. La pince en 8 ne compense pas la
perte occasionnée par les coups 4 et 6. Après avoir tant reçu, Noir
est très content de sacrifier la pierre 1.
Dia. 9. Noir jouera 1 et 3. Les professionnels ne jouent jamais
de coups qui poussent en retard comme les coups A, sauf peut-être
quand il leur faut absolument sauver des pierres, ou quand il y a
une pierre en a qui bloquera l’avancée de Noir. J ’ai peut-être dit
qu^l y a rarement de territoire sûr au fuseki^ mais il y a quelques
exceptions. Ce cas, dans lequel Noir s’étend coup après coup sur la
quatrième ligne, en fait partie. La principale raison pour laquelle les
coups A sont mauvais est qu^ls donnent définitivement à Noir cette
portion de territoire. Ils forcent Noir à jouer sur la quatrième ligne,
la fameuse « ligne de la victoire ». Dans le Dia. 8, Blanc aurait dû
jouer en 7 à la place de 4, ou immédiatement en 8.
Un joueur 2e dan : « Tu avais raison, Kageyama, quand tu di­
sais que face à un adversaire plus fort, les territoires blancs ont
Fair plus gros et ceux de Noir plus petits, ou au moins que Noir a
moins confiance en eux. Le D ia .10, par exemple, montre une ou­
verture équilibrée, mais Blanc envahira un jour en a, en b, en c,
69

D ia.10

etc. Noir sait quMl peut pénétrer en d et en e, mais il sait aussi


dExpérience que ça lui causera des problèmes car Blanc est plus
fort. Compte tenu de cette différence de force, jlim erais savoir ce
que Noir devrait faire pour contrer la zone d’influence de Blanc. »
Certains joueurs ne se laissent pas impressionner par les grands
espaces construits par Blanc, mais la plupart ont le même ressenti
que ce joueur. Si vous ne savez pas comment vous y prendre face
aux grands espaces ennemis, vous devriez renoncer aux stratégies
conventionnelles du fuseki : dans Tordre de priorité, faire un shi-
mari^ une approche de coin, puis une extension sur le bord. Qu^m-
porte ce qu5en disent les autres; le meilleur fuseki est celui dans
lequel vous vous sentez le plus à Taise. Si vous ne savez pas jouer
contre un san-ren-sei , envahissez imédiatement avec le coup Noir
5 du D ia .1 1 (page suivante) pour éviter les ennuis avant qu^ls i^ad-
viennent. Soyez créatifs! Si vos parties tournent au vinaigre dès le
début de partie, où est le plaisir ?
D’autre part, quand Blanc envahit la zone d ’influence Noire
aux points a, b ou c du D ia .10, il offre à Noir une proie à chasser.
*. Stratégie du /u s e f où un joueur - Noir en général- joue ses trois premiers
coups sur les hoshis d ’un même bord
70 CHAPITRE 5. TERRITO IRES E T ZONES D ’INFLUENCE

Noir devrait s’en réjouir. C’est uniquement parce qu’il pensait que
ces zones étaient son territoire que ses plans sont déjoués, que ses
nerfs s’échauffent,qu’il perd son calme et qu’il se lance tête baissée
vers un échec cuisant. Donc, si vous sentez que vous attachez trop
dMmportance à vos zones d^nfluence, choisissez un fuseki dans le­
quel vous ne construisez pas de zone dMnfiuence. Le jeu de go est
censé être divertissant, alors trouvez le /useAi qui vous convient, et
prenez-y du plaisir.
71

D ia.13

Zones (l’influence, ou territoires ? Pour quelle raison devrait-on


construire des zones dMnfiuence au fusekil Pour faire bref, regardez
les D ia .12 et 13. Si Noir joue de manière solide comme dans ces
diagrammes, on peut considérer qi^il a construit du territoire sûr.
Les zones d^nfluence Blanches ne peuvent être comptées comme du
territoire, mais même un débutant sait que la position Blanche est
meilleure que celle de Noir.
Je ne dis pas pour autant que c^st
toujours une bonne idée de construire de
larges zones d^nfluence.
D ia .14. Par exemple, compte tenu de
la solidité de la position Noire en haut
à droite, Blanc a raison de s’en tenir
à un coup solide tel que 1 . S’il tente
de construire une zone d'influence plus
grande avec a, par exemple, Noir Teiiva-
liira en b, et Blanc va au devant de gros
ennuis. Blanc a ignore la règle d’or selon
laquelle « il faut jouer loin de la force ». À
ceux qui pensent qu’après Blanc 1 , Noir
devrait jouer en a ou même une ligne en
dessous, je leur offre une deuxième règle
d ’or : « N Utilisez pas la force pour en­
tourer du territoire. »

D ia.14
72 CHAPITRE 5. TERRITO IRES E T ZONES D ,INFLUENCE

D ia .15. Voici une partie entre deux


joueurs amateurs de niveau 3e dan. Blanc
s’est étendu en 1, Noir chapeaute la pierre
avec 2 et attend le coup 3 pour envahir en
4. Alors que j ’observais la partie, Noir me
dit : « Alors, que penses-tu de ces coups,
Kageyama? Ne montrent-ils pas que je
suis sur le point de me hisser au dessus
du commun des amateurs ?» J ’ai d ’abord
cru à une blague, mais je vis à son expres­
sion qu^l était tout à fait sérieux.
Noir n5est pas le seul à penser que ce
coup 2 puis Tinvasion en tsuke au san-san
sont des coups de niveau professionnel,
mais ils n’en sont qu’une pâle imitation ,
joués sans en avoir compris le sens. La
chose la plus importante à apprendre des
professionnels n^st pas où ils jouent mais
pourquoi ils jouent ces coups.
D ia .16. La pierre A s5est approchée
trop près de la forteresse Noire. Blanc a
aurait été meilleur dans cette situation.
Dans la mesure où Blanc a joué une ex­
tension trop large, Noir doit envahir im­
médiatement en 1 et punir cette erreur.
Le principe est le même que pour les
coups a et b du D i a .14. Je dis sèche­
ment à ces joueurs : « Vous êtes 3e dan et
vous ne comprenez toujours pas ça? » Et
si c’est à Noir de jouer dans la position
du D ia .lb a la place de Blanc A, il doit
s’étendre jusqu’en 1.
D i a . 17. (page suivante) Voici une
partie à égalité à la fin du fuseki. Noir
a mis Taccent sur Pinfluence et la soli­
dité, alors que Blanc a misé sur le profit
au détriment de la solidité.
D ia.16
73

D ia.17
Blanc a beaucoup de territoire sûr et de potentiel de territoire
en plusieurs endroits, alors que Noir ne peut compter que sur une
vingtaine de points dans le coin en bas à droite. Peut-être que cer­
tains joueurs en déduiraient que Noir a raté son fuseki. Les ama­
teurs ne savent généralement pas bien utiliser leurs murs et ont
tendance à ne pas savoir comment jouer ce genre de parties car
ils se voient manquer de territoire. J^im erais vous donner deux ou
trois exemples de parties où Noir a beaucoup plus de solidité que
son adversaire et vous montrer la stratégie à adopter dans le milieu
de partie. Commençons par celle que nous venons de regarder. C5est
à Noir de jouer. Comment faire ?
D ia .18. (page suivante) La plupart des amateurs choisiraient
la stratégie suivante : ils utiliseraient le mur en bas à gauche pour
tenter de construire un gros territoire dans le centre en commençant
par maintenir Blanc sur le bord gauche avec le coup 1 puis en Tem-
pêchant d ’entrer avec 3 et 5. Supposons que la partie continue avec
les coups 6 à 20 et estimons le score. Noir a eu exactement ce quMl
voulait, mais il est en retard aux points. Blanc gagne clairement la
partie même sans le komi.
74 CHAPITRE 5. TERRITO IRES E T ZONES D1NFLUENCE

— 分
チ -
Q
a

---- il—
• - 一
m


c> -- - à
舞 P
D ia.19 - bonne stratégie
75

D ia .19. Noir devrait chercher les faiblesses de Blanc. Il n ’y en


a ni dans le coin en bas à gauche ni en bas à droite. Il ne reste donc
que le coup 1 en haut. En fait, Noir 1 est un coup tellement bon
qu ^n peut le considérer comme une nécessité absolue.
Blanc 2 n ^st pas une mauvaise défense, mais Noir se stabilise
rapidement et avec style avec la séquence de 3 à 9. En plus de s’être
stabilisé, Noir garde un œil sur le groupe Blanc instable en haut à
gauche. À présent, la balance du territoire est plus équilibrée, et la
force de Noir fera le reste.
Il ne faut pas espérer transformer de la force directement en
territoire. La stratégie correcte consiste à laisser cette force observer
rennemi à distance, silencieuse et menaçante.
Enfin, notez qu’à la place du coup 1, Noir aurait pu envahir en a.

Dia. 20

Dia. 20. (une partie à quatre pierres de handicap) À Noir de


jouer. Que joueriez-vous ? Noir a obtenu ce mur magnifique en haut
en se contentant de pousser sur la cinquième ligne après le joseki
standard tsuke-nobi. Blanc vient de tourner avec la pierre A car il ne
veut pas être contraint à défendre son groupe si c5est Noir qui y joue.
76 CHAPITRE 5. TERRITO IRES E T ZONES D ’INFLUENCE

Maintenant, dans la plupart des circonstances, il semblerait naturel


pour Noir de répondre en a ou en b, mais sMl ne se débarasse pas de
cette habitude de toujours répondre aux coups de son adversaire, il
ne progressera pas. S7il décide de ne pas répondre à A, que risque-
t-il ? Noir ne peut-il pas trouver un coup plus gros ailleurs ? Voilà
une occasion idéale pour prendre iinitiative dans cette partie. Il ne
faut pas la laisser passer.

Dia. 2 1 - mauvaise stratégie


Dia. 2 1 .Le coup Noir 1 est pathétique. Là encore, Noir cherche
à faire du territoire avec son mur. La suite du combat après Pinva-
sion en 6 ne se déroulera pas nécessairement de cette manière mais
quoi qu7il en soit, on peut supposer que Noir serait satisfait de ce
résultat puisque c’est celui qu’il cherchait à obtenir. Quand Blanc
joue la réduction tranquille en 22, Noir Tarrête en 23 et achève la
construction de son territoire. Le milieu de partie se déroule comme
prévu.
C’est en estimant objectivement le score que l’on constate à
quel point la stratégie de Noir était mauvaise. Il a un peu plus
d ^ n e trentaine de points dans le centre, et environ trente répartis
77

en plusieurs endroits pour un total d ’un peu plus de soixante. Blanc


a lui aussi un peu plus de soixante points. Et en terme de solidité,
la partie est équilibrée. Ainsi, bien que Noir ait réussi à obtenir ce
quMl désirait, son avantage initial de quatre pierres a disparu. Et
Noir a perdu la partie.

Dia. 22 - stratégie gagnante


Dia. 22. La seule faiblesse de Blanc se trouve sur le bord gauche.
La meilleure stratégie pour Noir consiste donc à attaquer cette fai-
l)lesse en envahissant en 1 .Cependant, toutes les invasions ne fonc­
tionnent pas. Par exemple, sMl joue en a, alors Blanc joue 1 , Noir
b, et Blanc joue la double coupe en 13, un tesuji qui lui permet
d ’esquiver l’attaque de Noir. Il faut donc être vigilant.
Si Blanc répond au coup 1 avec Blanc 2, Noir l’attaque sans
répit jusqu’au coup 13 et, voyant tout d ’un coup une opportunité,
pose une bombe dans le groupe du bas en envahissant en 15. Blanc
va avoir du mal à répondre à ce coup. Les murs de Noir brillent
de toute leur splendeur. La situation est devenue tellement critique
que jlim erais bien savoir ce que Blanc peut jouer maintenant. Voilà
comment utiliser son influence.
78 CHAPITRE 5. TERRITO IRES E T ZONES D W FLU ENCE

Dia. 23

Dia. 23. À Noir de jouer. Où joueriez-vous ? Nous somiiK's


(quelque part entre le fuseki et le milieu de partie et I)bmc. avc'c s('s
quatre coins, est en avance aux points. Les vieux saj;('s disai('iit :
« Si vous avez perdu les quatre coins, abandonnez. » En réalité, si
un joueur a laissé les quatre coins à son adversaire ,c’est qu’il a eu
en échange beaucoup de force et d’influence et la partie devrait lui
être plutôt favorable. C’est seulement parce qu’il ne sait pas utiliser
ses murs qu’il perd.
Si c’est à Noir de jouer, on voit en un coup d ’œil qu’il est en
avance. Mais s^l choisit la mauvaise stratégie au coup suivant, Blanc
neutralisera rapidement son influence et ainsi Noir sera contraint de
jouer une partie de territoire.
Alors Noir, qu’allez-vous faire? Allez-vous attaquer les trois
pierres faibles et sans base de vie du bord droit, ou avez-vous une
meilleure idée ?
79

Dia. 24 - un résultat défavorable

Dia. 24. « D’abord, Noir doit jouer 1 et 3 pour s’assurer que


Blanc ne i)iiisse pas connecter ses pierres. » Ça paraît évident, non?
Pourtant, ce type de strategie où Ton sépare les pierres les unes
des autres sans autre plan i^a pas sa place dans le jeu de go. Blanc
s’enfuit à toutes jambes vers le centre avec 2 et 4 alors que Noir
occupe une zone neutre avec les coui>s 1 et 3. Après ces échanges,
Noir ne peut plus espérer attaquer le groupe Blanc. La séquence
5-11 lui apporte un profit substantiel mais une fois que Blanc a
défendu son groupe avec 12, Noir a laissé passer ses chances de
victoire.
Noir 1 et 3 ne sont pas bons. S^ls vous semblent naturels, il
va vous falloir effectuer un virage à cent quatre-vingts degrés et
questionner votre manière de réfléchir si vous voulez un jour jouer
correctement.
80 CHAPITRE 5. TERRITO IRES E T ZONES D1NFLUENCE

Dia. 25. (stratégie gagnante) Il faut d’abord être capable de


trouver le coup 1 .Blanc se défend astucieusement avec la séquence
de 2 à 10, mais vous l’attaquez de front, tel l’intrépide Matabei
Goto, sans jamais reculer (run pas. Blanc court rejoindre ses amis
vers le haut avec 14 et 18, et vous ne gâchez pas votre énergie à
lui couper la route, car il ne fait que s^nfuir sans gagner un quel­
conque profit. Pendant que lui joue toutes ses pierres dans des zones
neutres, vous fermez le centre avec 11,15 et 17, et vous voilà tout
d ^ n coup avec un joli mur. Ensuite, vous lancez le raid tant attendu
sur le coin en haut à gauche. Avec Noir 25, on peut désormais consi­
dérer que la partie est gagnée. Noir a gagné en force et en territoire.
Il ne pouvait pas espérer meilleur résultat.
81

g
f9
1■
g
9 c ノ
r V g
J

g
f
ニ V
J

Dia. 26

Dia. 2G. Dans ce genre cle position, Blanc ne peut pas se per­
mettre de laisser Noir jouer en a. Si c?est à lui de jouer, il doit
impérativement jouer l’extension en 1 .C’est du bon sens. Personne
n’aumit idée de jouer ailleurs qu’en 1.

Dia. 27

Dia. 27. Cette fois-ci, suivre le « bon sens » et jouer en a serait


connue se taper la tête contre le mur Noir. Développez votre instinct
de sorte à ce quMl vous décourage de jouer de cette manière. Blanc
doit se défendre avec le keima en 1 , ou avec une extension dans
Tautre direction en b. Vous devez ressentir la menace inquiétante
qui émane du mur Noir sur la gauche. Dans de tels cas, Textension
de deux espaces n^st pas automatiquement la meilleure.
82 CHAPITRE 5. TERRITO IRES E T ZONES D ’INFLUENCE
E n tr a c te

Les leçons de N H K -T V

La chaîne NHK-TV* comble chaque année les vicies entre les


diffusions de la coupe NHK avec des cours de go tous les dimanches
midi. Ces derniers temps, ces cours ont rencontré un franc succès.
L’audimat qui ne représentait autrefois qu’une fraction de pour cent
a atteint 1,5% et à chaque cours, nous recevions deux à trois-mille
réponses à nos tsumegos. Un audimat de 1% sur la chaîne NHK
représente environ scpt-cent-mille foyers. Plus d ^ n million de per­
sonnes assistaient donc à chacun de ces cours.
Les quinze premières minutes de rémission étaient consacrées à
un cours élémentaire, « le coin des débutants ». Le présentateur qui
prit en charge ce cours à partir d^vril 1969 (T. Kageyama) reçut de
nombreux éloges vantant la clarté et Futilité de ses commentaires.
Le directeur de la production de la chaîne avait une théorie pour ex­
pliquer cette popularité : « C5est certainement parce que Kageyama
a été un amateur lui-même qu’il sait ce que c’est de rencontrer un
adversaire plus fort. Il peut donc expliquer les choses du point de
vue d’un amateur. » Ces phrases proviennent d’un article à mon
sujet en cinq colonnes, avec une photo de moi, dans la rubrique
télévision d ^ n journal. Maintenant que cette expérience très réus­
sie - si je peux me permettre - de présentateur à la télévision est
derrière moi, j ’aimerais vous en toucher deux mots.
Le jour où Ton donné la responsabilité du « coin des dé­
butants », je me suis d^bord senti tout à fait à ma place. Déjà,
pendant plus de dix ans, au Hall Central et dans d ’autres endroits,
*. NdT : Nippon Hôsô Kyôkai, la chaîne de télévision publique Japonaise

83
84 E ntracte

j ’étais monté sur l’estrade, le micro à la main, devant des publics


de débutants. Je pensais donc maîtriser parfaitement les règles et
les subtilités de cct art. Au moins, je ne craignais pas devoir le trac
mais le jour venu, les conditions étaient un peu différentes. Face
au regard fixe et imperturbable d ^ n e douzaine de grosses caméras
dont les images partaient aux quatre coins du pays, je perdis le
contrôle. Mon cœur battait à tout rompre, ma gorge était sèche,
ma voix me paraissait tonitruante dans le silence de la pièce, et
pour couronner le tout, le compte à rebours commença : « Encore
une minute... Trente secondes." Dix secondes… J ’avais atteint un
stade de panique très avancé. En temps normal, je ne nie démonte
pas si facilement - le décompte des secondes dans le byo-yoïni ne
in’a jamais dérangé —mais ce compte à rebours m ’a fait perdre mes
moyens.
J ?ai passé ces quinze minutes dans un erat tel qu^près coup, je
fus incapable de me rappeler un seul mot de ce que j^vais dit. Et au
moment où je commençais à me sentir plus à Taise, ce fut : « Plus
que trois minutes." Plus que deux minutes." » J ’étais complètement
désempare, tiraillé entre la nécessité de trouver une fin à ce cours
et la peur d ’aller trop vite. Au moins, j ’avais fait (le 111011 mieux.
Les deux sessions suivantes furent du même acabit.
Comme me Tavaient prédit les gens du studio, je mus par m^ia-
bituer à ces conditions et ma gêne disparut progressivement. Une
fois passées les premieres expériences, je retrouvai mon assurance
habituelle et je commençai même à apprécier ces cours télévisés.
L?une des choses qui m ^nt le plus aide a m^méliorer fut de consta­
ter que même Okubo, 9e dan, le présentateur du cours pour le niveau
intermédiaire, restait raide comme un piquet. Je savais exactement
ce qu’il ressentait et cela m’aida à me détendre.
Chacun notre tour, Okubo et moi soumettions un tsumego. Dans
la mesure où c ita it une émission de télévision, nous recevions d o u ­
tant plus de réponses que le problème était facile. Je fus un peu
contrarie de recevoir moins de cinq-cents réponses - une baisse
conséquente - le jour où j ?ai soumis le problème du D i a . 1 (Noir
joue et vit).
Le Dia. 2 montre la solution du problème. Blanc 4 capture trois
pierres, mais doit connecter juste en dessous de Noir 1 avec Blanc
6. S’il ne le fait pas, Noir y joue lui même et capture deux pierres.
85

Noir vit avec 7. Je ne pensais pas que ce pût être un problème de


niveau avancé. Je le trouvais légèrement difficile, certes, à cause du
« jeu sous les pierres », mais il semble que je me sois trompé sur sa
difficulté. Ce constat devint très clair quand je cessai de proposer
des problèmes aussi difficiles et que le nombre de réponses grimpa
à nouveau aux alentours de deux ou trois-mille.
Le concepteur de problèmes devait 11011 seulement faire en sorte
qi^ils soient faciles à résoudre, mais aussi q ir 〇n puisse les mémo­
riser en un coup d ^ il. Le Dia. 3 est un bon exemple de problème
simple. Blanc joue et vit réponse : Blanc a. L’objectif était que le
téléspectateur puisse recopier la position sur le papier en un temps
très court.

Je i^avais que deux minutes d^ntenne pour donner les solutions


des tsumegos. Il n^est arrivé quelques fois de me tromper en par­
courant les différentes variations, et quand bien même je nie rendais
compte de 111011 erreur immédiatement, le signal de la fin du cours
- « Coupez !» - ne me laissait pas le temps de la corriger.
Le plus agaçant, c’était les lettres de réprimande polies que
m’envoyaient les téléspectateurs à qui rien n ’échappe. Leur ré­
pondre à tous me prenait un temps faramineux, mais je ne voulais
pas q u ^n me reproche d^luder la moindre question. Certains ou­
bliaient que le sujet du cours était la vie et la mort et exigeaient
86 E ntracte

qu’on leur expliquât pourquoi tel ou tel coup n’était pas meilleur
dans la mesure où il gagnait un point de territoire. En dépit des
efforts que je consacrais à leur répondre de la manière la plus claire
possible, je ne reçus jamais la moindre lettre de remerciement. Peut-
on me reprocher devoir eu quelques moments de lassitude ? Telle est
cependant la rançon de la gloire, je ne vais donc pas m ^n plaindre.
J 7ai eu du mal à déterminer le niveau des joueurs auxquels je
souhaitais mAdresser. Ce cours était censé être de niveau élémen­
taire, mais le premier présentateur avec lequel je travaillais était 3e
kyu donc rémission se stabilisa autour de ce niveau. J^vais tou­
jours peur de perdre notre audience en parlant de sujets qui les
dépassaient. Malgré ça, le niveau des cours s^leva sans arrêt.
Il se trouve que je ta is aussi un joueur de shogi au niveau 10e
kyu. J ?ai donc essayé de nie mettre à la place de mes téléspectateurs
en regardant les cours élémentaires de shogi présentés par Sekine,
8e dan. Ses réflexions sur « la manière d^tiliser les pions » étaient
pour moi comme un commandement venu du ciel. Comme je ren­
contrais souvent Sekine dans les studios, j 7ai pris un jour la liberté
de lui demander sMl pouvait abaisser la difficulté de ses cours à un
niveau beaucoup plus faible et c’est ce qu’il fit. La leçon « Comment
utiliser ses tours » était accessible même au débutant que jetais,
et je commençais à apprécier les cours de shogi. « Parfois, il vaut
mieux placer votre tour aussi loin que possible car elle a accès à
d ’autant plus de lignes et de colonnes qu’elle est éloignée des pièces
ennemies. » Voilà un raisonnement que je pouvais comprendre.
Cette expérience eut beaucoup d 1influence sur le contenu de
mes cours. Je commençai moi aussi à donner des conseils élémen­
taires accompagnés d^rgum ents logiques, à tout expliquer minu­
tieusement, d ,une voix exagérée, à montrer les séquences jusqu^ la
dernière pierre, à souligner mes paroles par de grands mouvements
et des postures démonstratives, à insister et à répéter les concepts
importants jusqu’à ce que je sois sûr que même un imbécile m’ait
compris. À chaque fois, je me disais : « Peu importe que les télé­
spectateurs les plus forts se détournent de cette émission. Elle ne
leur est pas destinée. » Et pourtant, il s’avéra que même les joueurs
forts furent très intéressés par mes conseils élémentaires. Partout
où j ’allais, on me disait à quel point mes cours étaient captivants.
87

Je gagnais de l’assurance et Kawai et moi étions maintenant


parfaitement en phase, quand une catastrophe se produisit. Ka-
wai fut transféré à Shikoku, et un présentateur du nom de Mikami
prit sa place. C ita it un parfait débutant qui connaissait à peine
la signification du mot « atari » et encore moins les autres termes
techniques. Ses questions étaient complètement hors-sujet et même
si nous faisions une répétition, il oubliait aussitôt tout ce qu^l était
censé dire pendant le cours, comme on pouvait s?y attendre. Nous
avions de sérieux problèmes de communication. « Oh là là! », me
disais-je. Le directeur de la production a même proposé de me laisser
faire le cours seul, mais Mikami fit preuve d ^ n e grande motivation
en s^ménageant des plages dans son emploi du temps déjà chargé
ou devrais-je dire, en ajoutant à son emploi du temps déjà chargé les
cours pour débutants du Hall Central, puis les cours intermédiaires,
etc., et tenta par tous les moyens de créer des opportunités de dis­
cuter avec moi. Petit à petit, notre duo s^méliora, avec lui dans le
rôle du bouffon. Et à partir de ce moment, je pris énormément de
plaisir à ces sessions dEnregistrement.
.Fai beaucoup de bons souvenirs associés à la rubrique « Devinez
le coup suivant », dans laquelle on présentait un problème à notre
invite a chacune de nos émissions. Mon chef d ’œuvre, que j ’avais
préparé pour un conteur comique professionnel du nom de Enraku,
est reproduit dans le Dia. 4 (page suivante). La bonne réponse est
Noir a et le fait qi^il Tait trouvée vous donne une idée de son
niveau. La raison pour laquelle j ’ai choisi ce problème est que la
forme obtenue avec Noir a est la fameuse « tête de cheval ». Or,
Enraku a le visage long et étroit. Imaginez que les pierres A sont
les yeux du cheval et Noir a le l^out de son nez et vous avez Torigine
de ce noin. Cette image devrait vous permettre de vous souvenir de
ce coup. Ce fut le début d’une série de calembours intraduisibles
sur le nom de mon invité qui dut les subir, impuissant.
Rétrospectivement, je suis persuadé que celui qui a le plus appré­
cié cette expérience d ^ n e année, plus que tous les téléspectateurs,
plus que quiconque, ce fut moi.
88 E ntracte

Dia. 4
V ie e t m o r t

Le Japon, perdant de la Seconde Guerre Mondiale, a passé les


vingt années qui ont suivi en paix, mais la Guerre Froide continue
entre les deux puissances qui semblent contrôler le monde, TUnion
Soviéticiue et les Etats-Unis, pendant qu^ine troisième puissance
menace de compliquer la situation au point qi^on pourrait bien ne
plus rien y comprendre. Tout le monde a conscience que si une troi­
sième Guerre Mondiale éclate et que ces puissances ont recours à
Tarsenal de bombes atomiques et de bombes à hydrogène quelles
ont accAimulées durant cet âge cPor de la science, le monde pourrait
cesser (Pexister en un instant et dans un grand « Boum ! » Per­
sonne ne se lancerait dans une telle guerre, du moins personne de
sensé, mais il arrive que les hommes s’emportent. Ils s’emportent
et oublient de se demander à qui cela profitera et qui en souffrira,
qui y gagnera et qui y perdra. Voilà ce qui est à craindre. Si la
guerre éclate, un pays de la taille du Japon pourrait être rayé de la
carte. Quand j ?ai ce genre de pensées, tout le reste me semble vain
et futile. Je me rassure en me disant que je ne suis pas le seul, que
c’est une peur partagée par tous les hommes sur Terre. Et celui qui
se laisser aller au désespoir sous prétexte que la fin du monde est
proche se détruira de lui-même. Il faut craindre le désespoir plus
que tout autre chose.
Tuer ou laisser vivre ? Je crois que je préfère me limiter à ré­
pondre à cette question épineuse avec des pierres sur un goban.

89
90 CHAPITRE 6. VIE E T M ORT

D ia .1 . Problème : Noir joue et tue. Un joueur en dan devrait


trouver la solution au premier coup d’œil. Quelqu’un qui n’arrive-
rait pas du tout à trouver la solution ne devrait pas se faire trop
d^llusions sur son futur de joueur de go.
Dia. 2. Problème : Noir joue et tue. Si vous ratez le premier
coup, vous ratez la solution.
Dia. 3. Problème : Noir joue et tue.
Il existe de nombreuses positions de coin
semblables à celle-ci, mais le coup cjui
tue peut varier d ’une position à l’autre.
Donc, méfiez-vous de Tapprentissage par
cœur. Ici, il y a des points vitaux en a,
b, ou c. Y en a-t-il un qui tue? ^ ^
Dia. 3
Solution du problème 1
Dia. 4. (faux) Noir claque sa pierre sur ce qu’il croit être le point
vital, mais il aurait mieux fait de réfléchir un peu plus. Blanc vit
avec 2 et 4.
Dia. 5. (correct) Noir joue hane pour réduire Tespace vital de
Blanc, et si celui-ci répond en 2, Noir joue le point vital 3. Voilà
qui est mieux. Maintenant, Blanc est mort.

Dia. 4 Dia. 5
91

Dia. 6. Dans cette formation Noire,


quand Blanc envahit en 1 ,le coup qui tue
est le coup Noir 10. Noir peut être tenté
de faire atari à la place de 10 en jouant
à gauche de 10, mais dans ce cas Noir ne
peut plus tuer sans condition.

Solution du problème 2
Dia. 7. (faux) A partir d ’un certain
niveau, il y a des joueurs qui auront la
fâcheuse tendance de tirer au hasard sur
tout ce qui ressemble à un point vital. Le coup Noir 1 donne la vie
à Blanc. La réponse Blanc 2 illustre le principe selon lequel il faut
augmenter son espace vital.
Dia. 8. (correct) Le hane en 1 est le seul coup, le coup fatal.
Blanc ne peut plus vivre.

Dia. 9. Blanc a envahi le coin et


Noir a répondu avec la séquence de 2
à 12. Si Blanc va jouer ailleurs, on ob­
tient la position dont est issue ce pro­
blème après Péchange Noir c - Blanc
a. Noir peut être tenté de jouer le tsuke
a, mais s5il le fait, Blanc vit avec la sé­
quence Blanc b, Noir c, Blanc d.
92 CHAPITRE 6. VIE E T M ORT

Solution du problème 3

D i a .10. (faux) Noir 1 est une fois de plus un tir au hasard


sur un point vital et une fois de plus ,c’est un échec. Avec un calme
olympien, Blanc agrandit son espace vital en 2. La séquence jusqu^
Noir 7 aboutit à un seki^ et donc à la vie.
D ia .1 1 .(faux) Noir 1 est aussi un échec. Noir continue de viser
les points vitaux, mais Blanc vit en écrasant les pierres Noires à
l’intérieur.

D ia .12. (correct) Le hane en 1 est correct. Si Blanc répond en


2, Noir 3 puis Blanc 4 aboutissent à la forme bien connue du « cinq
en pâté . » Noir joue alors au point vital en 5.

*. NdT : « bulky five » dans la littérature anglaise.


93

Les trois problèmes que nous venons de voir sont élémentaires,


et je suis toujours un peu irrité de constater que certains joueurs ne
les trouvent pas dans leurs parties. Il me semble que cela ne prouve
qu’une seule chose : ces joueurs ne connaissent pas les principes
fondamentaux de vie et mort.

Principes fondam entaux de vie et mort

Pour vivre :
1. Agrandir Tespace vital
2. Occuper un point vital à l’intérieur afin de
créer des yeux
Pour tuer :
1. Réduire Tespace vital adverse
2. Occuper un point vital

Le fait que « le hane apporte la mort », comme le dit le pro­


verbe, n ^st qu5une conséquence de la première règle fondamentale.
Retenez que cette règle est la règle fondamentale, puis revenez à la
page 90. Si vous ne saviez pas par où commencer à chercher, vous
avez maintenant un indice. Et si vous avez besoin d’une méthode
universelle pour résoudre les tsumegos^ utilisez celle-ci : commencez
par appliquer la première règle fondamentale. Si elle marche, inutile
de chercher plus loin. Sinon, essayez autre chose, mais n^ubliez ja­
mais que la règle fondamentale passe en premier. Les cas où il suffit
d^ppliquer cette règle pour trouver la solution ne sont pas les plus
fréquents, mais c’est toujours par là qu’il faut commencer.
94 CHAPITRE 6. VIE E T M ORT

Maintenant que nous connaissons les principes fondamentaux,


regardons d ’autres problèmes. Pour certains d ’entre eux, la règle
fondamentale suffira à les résoudre, et pour d’autres non. Essayez
de prévoir les réponses de votre adversaire. Ces problèmes sont de
niveau élémentaire à intermédiaire.

Problèm es élém entaires

Problème 1 . Noir joue et tue Problème 2. Noir joue et tue

Problème 1 .Indice : il faut juste trouver le premier coup.


Problème 2. Indice : attention aux possibilités de ko.

Problème 3. Noir joue et tue

Problème 3. Indice : pas d ’indice.


Problème 4. Indice : pas d ’indice.
95

Problèm es interm édiaires

Les quatre problèmes qui suivent pourront vous sembler plus


difficiles, mais il y a assez peu de variations à envisager, donc même
les débutants ne doivent pas renoncer.

Problème 5. Noir joue et vit Problème 6. Noir joue et vit

Problème 5. Indice : parfois, il vaut mieux sacrifier une ou deux


pierres pour ne pas tout perdre.
Problème 6. Indice : celui-ci n’est pas trop difficile, mais faites
attention au manque de libertés.

Problème 7. Noir joue et tue Problème 8. Noir joue et tue

Problème 7. Indice : raites bien attention à Tordre des coups.


Négligez-le, et vous n^btiendrez q u ^ n ko.
Problème 8. Indice : là encore, Tordre des coups est important,
et la négligence pourrait vous coûter un ko.
96 CHAPITRE 6. VIE E T M ORT

M auvaises réponses

1 . 2 .

1. Blanc 2 est une réponse astucieuse à Noir 1 . Blanc recule à


chaque coup mais en définitive, il vit. Si Noir joue en a à la place
de 1 ,Blanc 2, Noir 4 et Blanc 6 vit.
2. Noir 1 et Blanc 2 sont forcés. L’erreur est en Noir 3. Blanc
obtient un ko en jouant 4. Si Noir décide de capturer au lieu de 5,
Blanc joue 5 et obtient aussi un ko.

3. Trop sûr de lui, Noir s’attendait à ce que Blanc connecte à


gauche de 1 , après quoi Noir 2 tue en donnant à Blanc une forme
de « cinq en pâté », mais comme on peut le voir ici, Blanc peut
vivre en jouant 2.
4. Noir 1 échoue. Blanc s34é5chappe avec 2, etc., se connecte, et
Noir n’a alors pas d ’œil. Et si Noir joue en 2 à la place de 1 , Blanc
a le tue.
97

5. Blanc répond à Noir 1 en faisant atari en 2 puis en jouant le


point vital en 4. Je vous laisse le soin de vérifier que la coupe en 8
empêche Noir de faire son second œil.
6. À première vue, on dirait qu?il suffit de jouer en 1 pour vivre,
mais Blanc poursuit obstinément Toffensive et quand Blanc joue
6, Noir manque de libertés et ne peut jouer en 8 pour obtenir son
second œil.78

7. Noir 1 ne marche pas. Noir a dù lire la séquence Blanc 2,


Noir 3, Blanc a, Noir b, et Blanc meurt, mais ici, Blanc joue en 4
et obtient un ko à une étape.
8. Noir 1 est un tesuji, mais ça n ^ n fait pas automatiquement
un bon coup. Quand Blanc joue 2, il obtient un ko.
98 CHAPITRE 6. VIE E T M ORT

S olutions

1. La séquence de 1 à 5 aboutit à la forme du « quatre courbé


dans le coin ». Il ne s'agit pas d ^ n seki ; Blanc est mort sans condi­
tion . Si Blanc joue 4 en 5, Noir sacrifie une pierre en 4.
2. Le coup 3 est un coup calme et mortel. Blanc parvient à
capturer les trois pierres, mais meurt de toute façon.

3. Blanc meurt

3. Noir 1 tue Blanc de l’extérieur. Si Blanc joue en 2, Noir 3


ne lui laisse aucun autre choix que Blanc 4, et ainsi, Noir créé une
forme de « cinq en pâté ».
4. Noir 1 n’est peut-être pas très subtil, mais c’est le seul qui
marche. Grace à Téchange 1-2, Blanc doit répondre à Noir 3 en 4,
et Noir peut donc vivre avec 5 et 7.

*. NdT : en règle Française, c’est un peu plus su b til: on considère que Noir
doit quand même jouer le ko à la fin de la partie pour tuer définitivement.
99

5. Noir vit 6. Noir vit

5. Noir recule en 1 ,et peut vivre en jouant 2 ou 3.


6. Noir agrandit au maximum son espace vital avec 1 , et Blanc
ne peut pas obtenir mieux qu5un seki avec la séquence 2-4. Bien
que ce soit seki, Noir est satisfait de ce résultat puisqu5il est vivant.

7. Blanc meurt 8. Blanc meurt

7. Noir frappe de Tintérieur, en contradiction avec les principes


fondamentaux car il a lu qu^l peut tuer Blanc avec la séquence 3-7.
En revanche, s^l joue le coup 5 en 7, Blanc vit en a. La négligence
ne pardonne pas.
8. Noir a prévu soigneusement Tattaque 1-3-5 dans les moindres
détails. Quand Blanc capture deux pierres avec le coup 8, Noir
recapture en jouant juste au-dessous de 8 et Blanc est mort.
100 CHAPITRE 6. VIE E T MORT

D ia .1 .Voici le début d ’une partie à égalité. Les coups Blancs 1


et 3 sont jouables ; c’est un style de jeu lent et calme. Noir met la
pression sur les pierres blanches en espérant occuper le point idéal
en 5 si Blanc répond en a. Si Noir jouait son coup 4 en 5, Blanc
répondrait en 4 et le territoire Noir sur le bord droit serait un peu
trop plat et ramassé.
Blanc choisit cependant de contrecarrer les plans de Noir en
jouant en 5 lui-même. Si vous étiez Noir dans cette partie, le sang
vous monterait-il à la tête ? Je crois avoir vu un jour un poster de
la sécurité routière sur lequel était écrit : « la colère peut provo­
quer des accidents. » Conduire et jouer au go sont deux activités
humaines, donc ce qui s’applique à l’ime doit pouvoir s’appliquer à
Tautre. Comment Noir devrait-il attaquer les pierres blanches 1 et
3 ? Prenons le temps de réfléchir au prochain coup.
Ne croyez pas que je digresse encore sur un sujet qui n’a rien à
voir avec la vie et la mort. Cette question est tout à fait à propos.
Ayez davantage confiance en moi. Les joueurs de go professionnels
ne sont pas du genre frivoles. Donc, comment Noir devrait-il s’at-
taquer à ces deux pierres sur le bord haut ?
101

Dia. 2. La plupart des joueurs


autour du niveau 1er ou 2e dan
joueraient le coup 1 ,une attaque
violente qui vise à ôter à Blanc sa
base de vie. Je ne vais pas rejeter
ce coup immédiatement dans la
mesure où il peut être très efficace
dans certaines situations. Mais
ce coup est-il adapté aux cir­
constances? Après, on peut s5at-
tendre à Blanc a, Noir b, Blanc c, et Blanc semble plus ou moins
sorti d’affaire. Non, ce choix n ’est pas pertinent.
Il vaut mieux enfermer les deux pierres blanches dans un filet de
pierres noires. Noir obtiendrait alors une influence considérable vers
l’ext知ieur. L’objectif principal du jeu de go ii’est-il pas d ’encercler
les pierres adverses? D'ailleurs, Tun des deux caractères Japonais
utilisés pour écrire le nom du jeu signifie « entourer ». Si Noir peut
entourer Blanc et y gagner de l’irifluence extérieure, c’est bien assez.
Et si en même temps il parvient à faire en sorte que la vie du groupe
Blanc soit incertaine, alors c^st un triomphe.

g _c g鼬
f
g■
1F 1

Dia. 3

Dia. 3. La bonne strategie pour Noir est d^ntourer Blanc dou­


cement avec le coup 1 . Naturellement, Blanc va tenter de passer à
travers les mailles du filet en jouant 2, mais ce coup laisse un trou
béant dans lequel Noir se jette avec 3. Blanc est dans le pétrin. S’il
joue 4, Noir 5 coupe la pierre 2 et Blanc est encercle. Blanc ne peut
accepter un tel résultat.
102 CHAPITRE 6. VIE E T M ORT

纖 :
Dia. 4

Dia. 4. Mais si Blanc s’échappe avec 4, Noir 5 est insupportable


pour Blanc. Pour Noir, ce serait le coup id é a l: c5est un coup qui
gagne des points tout en attaquant.

Dia. 5. Alors Blanc devrait-il se contenter de jouer en 2? Dans


ce cas, Noir renferme joliment avec le coup 3. Jouer en a à la place
de 3 serait mou ; le tsuke 3 est le coup idéal.
Dia. 6. « Idéal ou pas, Blanc ne peut-il pas traverser le mur avec
la séquence 1—5? » C’est vrai, mais dans ce cas, Noir joue 6. S’il
était satisfait du Dia. 4, je ne vois pas pourquoi il se plaindrait de
ce résultat.
« Mais en quoi est-ce mauvais de stopper Blanc plus calmement
avec le coup a du Dia. 5 ? » En un mot, Noir a est un coup d7ama-
teur. S5il existe un coup sévère comme le coup 3, il est toujours
meilleur. Le coup 3 est un coup de professionnel, sans concessions.
103

Dia. 7. Si Blanc joue direc­


tement le tsuke en 2, Noir peut
renfermer avec 3 et 5. Blanc vi­
vra sans problème, mais le mur
qu5il offre ainsi à Noir est très so­
lide et rayonnera sur Tensemble
du goban. Blanc peut s’attendre
à souffrir pendant le reste de
la partie. Jouées au début du
chuban^ ce genre de manœuvres
peut avoir une grande importance.
Je ne prétends pas que le keima 1 des diagrammes 3 et 7 est
toujours le bon coup. Cet exemple me permet simplement d’expli-
quer la philosophie de renfermement. Il y a peut-être un meilleur
coup, ou peut-être pas. L^mportant, c5est la manière de penser de
Noir quand il joue 1 . Je ne dis pas quMl faut jouer de telle ou telle
manière, car le meilleur coup peut dépendre de la capacité de Noir
à exécuter la manœuvre. En définitive, je suppose que chacun doit
trouver le coup qui correspond le mieux à sa force et qui exprime
au mieux sa philosophie.

Dia.

Dia. 8. Si Noir sait ce qu^l fait, un coup comme le coup 1 peut


aussi être un bon coup - et s’il ne le sait pas, ça se sentira dans la
suite. Noir doit surtout éviter d^miter aveuglément les coups des
professionnels, de jouer un coup car il a vu un professionnel le jouer
dans une situation semblable. Blanc jouerait dans l’œil d ’éléphant
et Noir ne saurait plus quoi faire après.
104 CHAPITRE 6. VIE E T M ORT

Dia. 9

Dia. 9. J lim erais revenir maintenant à la position du Dia. 5.


Les coups 1 ,3 et 5 ne sont pas très élégants, mais dans la logique
d ’augmenter l’espace vital, ce sont de bons coups. C’est le genre de
coups que Ton est contraint de jouer quand il faut vivre. On peut
imaginer des coups un peu plus élaborés comme de jouer le coup 3
en 4, par exemple, afin de maximiser Pespace vital, mais Tidée reste
la même.
Cela dit, jouer Noir 6 à la droite du coup 5 afin de le bloquer
serait une erreur dans la mesure où Blanc est aeja vivant. Il devrait
plutôt laisser telle quelle cette partie du goban et prendre le sente
pour jouer ailleurs. C?est extrêmement important. On voit souvent
Noir répondre diligemment à tous les coups de Blanc, de sorte que
Blanc peut vivre en sente.
D ia .10. Si Blanc laisse la situation telle quelle après Péchange
1-2 du diagramme 9 en espérant que Noir réponde aux coups qu’il
joue ailleurs, Noir a Topportunité de tuer Blanc. La manière la plus
simple de tuer consiste à réduire Pespace vital de Tadversaire. Noir

D ia.10
105

joue donc 1 et 3, et quand bien même il ne parviendrait pas à tuer


Blanc, cette manière de jouer ne lui coûte rien. Je suppose que vous
voyez maintenant où je veux en venir.
D i a . 1 1 .Voici un exemple de
mauvaise strategie de la part de
Noir que Ton peut souvent obser­
ver dans les parties à fort handi­ g £ g1
fw K9 f 9
cap (de six à neuf pierres). Avec
la séquence de Noir 6 à 22, Noir J
cherche à prendre le territoire du |く—
bord droit et à s?y stabiliser rapide­ e%
\
ment. Cette séquence est une ma­
nière pathétique de contrer Touver- < y %
ture classique de Blanc en 1 ,3 et
5. Regardez Texpression du visage
de Noir. Il est soulagé de constater
que tout s’est passé comme il l’avait
prévu jusqu5à Noir 22. Il ne se rend
11
gà g
pas compte à quel point sa stratégie f w E) < 9 f w
est fondamentalement erronée. En
gros, il a aidé Blanc à l’entourer. En
théorie, dans une partie à fort han­
dicap, ses pierres supplémentaires D ia.11
devraient l’aider à bien s’en sorti] au fuseki et à ne pas se faire
enfermer de la sorte.
Celui des deux joueurs qui parvient à entourer Tautre, comme
le fait Blanc avec la séquence 1-23, gagne une influence extérieure
et finit avec une position avantageuse. La force qu5il obtient aura
une influence dans toutes les directions. Pour commencer, Blanc
peut causer des soucis à Noir en envahissant en a ou en b. Il n ^
aurait rien de surprenant à ce que Noir perde cette partie avec une
telle mentalité. Remémorez-vous le Dia. 24 de la page 34. Du seul
point de vue de la survie, les coups noirs sont corrects, mais il ne
devrait se résoudre à vivre effectivement que dans le cas où il est
complètement enfermé par Blanc.
106 CHAPITRE 6. VIE E T M ORT

D i a . 12. À l’opposé, voici un


exemple de bonne stratégie. Le
coup Noir 1 n’est pas le seul coup
possible, mais quoi qu’il joue, ce
n ^st pas la perfection de la ma­
nœuvre qui compte. L7important,
c^st de faire le bon choix stra­
tégique. Les experts s^chapperont
avec finesse et les joueurs mal­
adroits avec maladresse, mais le
plus important est de sortir d ’une
manière ou d ’une autre, de passer
à travers les mailles du filet Blanc.
Ne l’oubliez jamais.
Dans la première partie de la
séquence (de Noir 1 à Blanc 12),
Noir fait sortir ses pierres. Si Noir
décide de protéger la pierre 5 avec
son coup 9 , le combat pourrait de­
venir si compliqué qu?il pourrait en perdre le fil et oublier quelles
pierres sont importantes. En premier lieu, il doit faire sortir ses
pierres vers le centre.
La séquence qui suit - à partir de Noir 13 - montre une séquence
possible pour Noir. Le combat devient très difficile pour Blanc.
Pendant qu’il se défend contre cette attaque, Blanc n’a pas le temps
de créer des complications. Noir a pris le contrôle de la partie. Ce
n 5est pas si difficile de jouer de cette manière et si Noir peut rester
dans cet état d’esprit, il inversera les rôles. D’habitude, c’est Noir
qui fuit et qui doit faire attention à chacun de ses coups, toujours
sur la défensive.
Efforcez-vous de ne pas vous faire enfermer et faites prendre Pair
à vos pierres, et vous n ’aurez jamais à vous soucier de problèmes
de vie et de mort. Les deux diagrammes précédents sont comme le
jour et la nuit. J 5espère que maintenant, vous comprenez pourquoi
il sont si différents.
107

Parfois cependant, il ne suffit pas d 5être déterminé à ne pas se


laisser enfermer. Contre un adversaire plus fort, il arrivera que vous
vous sentiez contraint, à tort ou à raison, de vous laisser enfermer.
Pour ceux qui détestent les bî/me分05, c’est la situation la plus ter­
rifiante qui soit. Finalement, il vaut peut être mieux travailler les
tsumegos.
Si Blanc parvient à établir une position telle que celles des dia­
grammes 13 et 14 et que vous n 5arrivez pas à vous decider à y pé­
nétrer, alors il faudra vous resigner à considérer cette zone comme
appartenant à Blanc. Ou alors vous pouvez envahir en 1 en partant
du principe que même si vous mourez, vous n ’avez rien à perdre,
mais vous ne pourrez pas empêcher Blanc de vous enfermer. Ce
genre de situation se produit régulièrement, donc vous ne pouvez
pas partir du principe aue vous ne vous laisserez jamais enfermer et
que vous pouvez donc vous passer d5étudier les tsumegos. D^illeurs,
si Noir parvient à vivre en jouant en 1 , il fera perdre à Blanc un
grand nombre de points.
108 CHAPITRE 6. VIE E T M ORT
C o m m e n t é tu d ie r les
jô se k is
Un matin ensoleillé, j ’ai entendu quelqu’un faire cette remarque :
« Je vais suivre mon jôseki et sortir le chien. » Une conversation
entendue dans la foule à la sortie du cinéma : « Tout était arrangé
pour que le film se finisse bien. - Oui, un peu comme un jôseki^
mais c ita it un bon film malgré tout. » Un commentateur sportif à
la télévision décrivant un match de baseball:« Ici, le jôseki pour
le batteur serait de jouer un amorti pour permettre au coureur de
rejoindre la deuxième base, en espérant qu’il termine son tour de
circuit au batteur suivant. Voyons ce qu'il choisit. »
De nos jours, le mot jôseki est utilisé pour décrire un comporte­
ment normal et habituel. Peu de gens ignorent ce qu7est un jôseki,
mais regardons tout de même ce qu^n dit le dictionnaire : « Au
jeu de go, suite de coups joués selon un schéma fixé. »
Certains joueurs s^maginent qu^ls progresseront au go en ap­
prenant quarante ou cinquante jôsekis par cœur. Je ne dis pas que
vous ne devriez pas le faire : après tout, tout ce que vous appren­
drez s?ajoutera à votre expérience. En même temps, je ne vois pas
bien Tinteret d^pprendre quarante ou cinquante jôsekis alors qu?il
en existe des dizaines de milliers.
Imaginons qu5un joueur doué d5une très bonne mémoire dé­
cide qu^l faut au moins connaître les jôsekis les plus populaires
et mémorise tous les jôsekis issus de la pince haute à deux espaces.
Regardons-le passer à Tépreuve pratique.

*. NdT : inutile de le chercher dans un dictionnaire français...

109
110 CHAPITRE 7. COMMENT ÉTUDIER LES JÔ SE K IS

D ia .1 .Il joue la pince haute à deux


espaces avec Noir 1 ,et son adversaire
répond en 2 . 《 Aha! », dit Noir, et
il pousse en 3 et coupe en 5 comme il
Ta appris. Blanc, lui, ne connaît aucun
jôseki et bloque en 6, tout en murmu­
rant quelque chose du style : « on verra

Il- pF )-
1

bien qui mourra le premier. » Noir est


décontenancé : ce coup n’est pas dans D ia.1
le livre. Complètement perdu, il joue
un coup idiot et se fait capturer le coin en moins de temps qu’il n’en
faut pour le dire. Pour couronner le tout, il insulte son adversaire :
« J ^ n ai marre de jouer contre des abrutis qui ne suivent pas les
jôsekisl » Une conclusion affligeante.
La remarque « Je ne sais pas jouer contre ceux qui ne suivent
pas les jôsekis » suggère que les joueurs ignorant les jôsekis seraient
plus forts que ceux qui les connaissent. Ces derniers deviennent
dépendants de schémas fixés et leur jeu en pâtit. Ce sont des proies
faciles pour les premiers qui, eux, ne peuvent compter que sur leur
capacité de lecture.
C?est tout de même fondamentalement étrange de mieux s5en
sortir lorsque Tadversaire suit les jôsekis que lorsqu5il les ignore.
Les jôsekis sont censés être des séquences de coups idéaux pour les
deux joueurs qui aboutissent à un résultat équitable. En général,
les coups qui sortent du jôseki sont mauvais et doivent être punis.
Blanc 6 est déraisonnable et il suffit de jouer en a pour le punir :
Blanc est alors coupé en deux, et la pierre de coupe 5 resplendit.
C’est pourquoi il vaut mieux jouer le coup 6 en b et s’efforcer de
sortir les pierres 6 et A vers le centre.
Dia. 2. Voilà le jôseki. Si Noir ré­
pond en 2, Blanc 3 et 5 achèvent le
jôseki.
La plupart des joueurs ne savent
pas comment répondre aux coups qui
sortent des jôsekis. En fait, ils se
concentrent tellement sur les jôsekis
qu5une fois arrivés au milieu de par­
tie, au moment le plus important, ils Dia. 2
Ill

sont trop exténués pour combattre et gagner la partie. Tous les ef­
forts qu5ils ont consacrés à apprendre les jôsekis ne leur apportent
finalement rien du tout. Pire, leur jeu en est affaibli. Nombreux sont
ceux qui ont pu faire ce constat décourageant. On en arrive donc
au théorème suivant :

Etude scolaire des jôsekis ^ Faiblesse


Confiance en soi => Force

Il reste donc une grande question. Pourquoi y a-t-il tant de livres


de jôsekis! SMls ont été écrits pour faire progresser les joueurs de
go, par quoi ont-ils été corrompus au point d ^tre relégués au statut
de décoration d,intérieur prenant la poussière sur une étagère? Il
faut chercher la réponse dans la manière douteuse avec laquelle on
les étudie.
En ce qui me concerne, je considère quétudier les jôsekis est une
des premières étapes nécessaires à la progression. Voilà pourquoi il
existe tant de livres de jôsekis. Maintenant, apprenons à les étudier
correctement.

Comment étudier les jôsekis ?

1 . Il ne suffit pas d ’apprendre les coups par cœur. Ce n ’est pas


ça, étudier un jôseki.
2. Chaque coup d ^ n jôseki est optimal. L^mportant, c5est de
comprendre pourquoi il est optimal, quel est son but, sa
signification. Si vous parvenez à vous convaincre qu5un coup
est joué à tel endroit pour telle raison et que c?est un bon
coup, alors on peut dire que vous avez étudié.
3. Les coups des jôsekis sont toujours optimaux localement,
mais ils peuvent devenir des mauvais coups selon la situation,
selon la position des pierres environnantes. Sans ça, le go
serait un jeu bien ennuyeux.
Ce qui précède peut être résumé en une phrase : « Il ne faut pas
apprendre les jôsekis^ il faut les réinventer. » Assurez-vous de bien
avoir mesuré la portée de cette phrase.
Comme on pourrait s5y attendre, les professionnels ont une
connaissance très détaillée des jôsekis^ mais ça ne veut pas dire
112 CHAPITRE 7. COMMENT ÉTUDIER LES JOSEKIS

qu’ils connaissent toutes les subtilités des dizaines de milliers de


jôsekis existants. De temps en temps, ils rencontrent un jôseki qu^l
ne connaissent pas, et consacrent toute leur énergie à le réinventer.
Parfois, ils reproduisent la séquence existante et parfois, ils Tamé-
liorent et créent un nouveau jôseki. Ce dernier cas est loin d'être
rare.
Dia. 3. Voilà un jôseki que n im ­
porte qui peut apprendre rapidement,
mais ne le mémorisez pas. Réfléchis­
sez au sens de chacun de ces coups.
Pourquoi Blanc saute-t-il en 2 ? Pour
se protéger contre le danger d^me at­
taque en a ou en b, légèrement et en
sente. Pourquoi Noir joue-t-il en 3?
Pour éviter de se faire enfermer dans
le coin. Bien sûr, d 5autres coups sont possibles, mais regardons déjà
celui-ci. Localement, on peut considérer que cette séquence est ter­
minée mais parfois, elle peut se développer davantage. Jouer naïve­
ment cette séquence par mimétisme, sans avoir compris ce niiiiimuin
fondamental, est tout à fait ridicule.
Maintenant, observons le saut de deux espaces de Blanc en ac­
tion.

Dia. 4 - bon pour Blanc


Dia. 4. Échanger Blanc 1 contre Noir 2 puis Blanc 3 contre
Noir 4 serait excellent dans cette position. Blanc 3 est à la fois une
extension du coin en haut à gauche et une pince sur la pierre noire
A. Blanc fait d ’une pierre deux coups. Brillant !
Noir 4 est un point vital d ’attaque qui menace de séparer Blanc
1 de Blanc A. Les coups 5 et 7 ne sont pas vraiment souhaitables
113

localement mais leur signification est claire. Blanc 5 : « tu ne me


sépareras pas ! » et Blanc 7 : « tu ne m^nfermeras pas ! » Mainte­
nant que Blanc a sécurisé son groupe en le sortant vers le centre, il
peut contre-attaquer les deux pierres noires à gauche.

Dia. 5 - mauvais pour Blanc


Dia. 5. Supposons maintenant que le shimari à gauche soit Noir.
Quand je vois quelqu’un jouei. Blanc 1 et Blanc 3 sans tenir compte
de la position du coin en face, il m ^st difficile de contenir ma colère.
Alors j^clate de rire. Noir joue en 4 comme dans le diagramme
précédent, et Blanc a déjà des problèmes. Il fallait s5y attendre.
Blanc joue habilement la séquence de 5 à 15, mais Noir se
contente de jouer en 16 puis de sauter en 18 et par rapport au
diagramme précédent, les rôles sont inversés. Les pierres de Blanc
sont en danger des deux côtés et il doit combattre avec en prime
le fardeau d^m groupe sans le moindre œil. Localement, cette sé­
quence est jôseki^ mais globalement, c5est un désastre pour Blanc.

Dia. 6 - une meilleure stratégie pour Blanc


114 CHAPITRE 7. COMMENT ÉTUDIER LES JÔSEKIS

Dia. 6. Dans la mesure où le saut de deux espaces du diagramme


précédent aboutit à un résultat douteux, Blanc commence par s’as-
surer une base de vie avec 1 et 3. Ensuite, il envahit en 5. La sé­
quence 1-4 est aussi joseki ; essayez de comprendre le sens de cha­
cun de ces coups. Par rapport au Dia. 5, Blanc a beaucoup plus de
liberté d ’action.

Dia. 7 - une autre idée

Dia. 7. Blanc 1 aussi est jdseki. Les amateurs forts connaissent


ce jôseki allant jusqu?a la coupe en 9. Mais s^ls ne comprennent pas
la signification de chacun de ces coups et commettent une erreur
en chemin, le résultat pourrait devenir catastrophique car c^st une
situation de combat rapproché.
Dia. 8. Pour revenir au saut de deux espaces, les coups 2 et
4 ne sont clairement pas jdseki. Cela dit, vous tomberez un jour
contre un de ces adeptes des méthodes brutales qui jouent des coups
de ce genre chaque fois que la forme
le permet, juste pour lancer un
combat. Il faut être prêt à affronter
la force par la force. Récemment,
j ?ai observé une partie dans laquelle
un joueur assez fort n ’a pas réussi
à punir Noir pour sa brutalité. Il a
joué les coups 3 et 5.
Dia. 8
115

Dia. 9. Ensuite, Noir a coupé et


coupé encore avec 1 et 3, comme
guidé par un besoin obsessionel
de destruction. À Tissue du com­
bat, seul Blanc était détruit. Si ces
coups cavaliers marchaient, alors ils
deviendraient joseki^ Textension de
deux espaces Noir 3 du Dia. 3 serait
alors un coup mou, et le saut Blanc
1 du Dia. 8 serait une erreur. Mais ce n ’est pas le cas, donc il doit
y avoir un défaut dans la séquence de Noir. Si Blanc ne le trouve
pas, il lui faudra admettre qu’il n ’est pas assez fort pour punir Noir
de son erreur.
D ia .10. Problème : à Blanc de
jouer. Quand j 5ai posé ce problème
lors des cours du vendredi au Hall
Central à un auditoire d ^ n e cen­
taine de joueurs de 5e kyu à 5e dan,
quasiment personne n ’a trouvé la
bonne réponse.

Même en restreignant le choix aux quatre points a, b, c et d


(les chances étaient donc d ’une sur quatre), il n’y eut que quelques
personnes éparpillées dans la salle pour deviner la bonne réponse.
Je fus emplis de tristesse de constater l’incapacité des amateurs
à concentrer leur force dans la bonne direction. Je commençai à
comprendre comment Técole brutale des gangsters du go parvenait à
tant prospérer. Ceux qui ne trouvent pas la bonne réponse dans une
position qui n’est pas si difficile que ça méritent qu’on les bouscule
un peu. Le go amateur semble être un monde où la raison doit fuir
face à la déraison.
Blanc a est mauvais. Noir répond b.
Blanc b est mauvais. Noir répond c.
Blanc c est mauvais. Noir bloque Blanc en jouant juste au des­
sous de c.
116 CHAPITRE 7. COMMENT ÉTUDIER LES JÔSEKIS

Une fois débarassé de ces trois coups, il ne reste que Blanc d.


Je demandai alors à un des joueurs qui avait correctement choisi la
réponse d : « Comment Blanc devrait-il jouer si Noir sort sa pierre
en atari? », ce à quoi il me répondit : « Il doit connecter ses pierres
en jouant juste au-dessus de d », ce qui démontrait qu’en réalité, il
n’avait pas du tout résolu le problème.

%
ci9

D ia.11

D ia .1 1 .Le coup Blanc 1 est correct, mais les coups suivants


sont aussi importants. Ici, Blanc 3 est une erreur : Noir répond en
4 puis en 6. Dans la mesure où la pierre de coupe A est toujours
active, le résultat est plutôt bon pour Noir.

y, V
£
S f9
g
9

D ia.12

D ia .12. Les coups Blancs 1 ,3 et 5 sont corrects. Quand on


connaît la solution, elle devient évidente. Cela me rappelle Thistoire
de Christophe Colomb qui prétendait savoir faire tenir un œuf sur
son bout le plus étroit : dans un premier temps, Passistance restait
perplexe, mais dès qu5il eût dévoilé son astuce, celle-ci fut plutôt
déçue, voire vexée.
117

C’est alors qu’un joueur assis au premier rang posa une question
sur le coup 4.

D ia.13

D ia .13. « Plutôt que de répondre à Y atari ^ Noir ne peut-il pas


tourner en 1 , puis capturer les deux pierres avec Noir 3 si Blanc
capture la pierre de coupe avec Blanc 2 ? »
Je lui répondis : « Si vous laissez Blanc faire un pormîxfcz* aussi
important que celui du D ia .13,la partie est terminée. » L’ensemble
de Tauditoire approuva gravement. Comparez ce résultat avec le
mauvais résultat du Dia. il.
Le D ia .11 m’inspire quelques réflexions supplémentaires :

D ia.14 - © en @ en © D ia.15

D ia .14. Si Blanc joue le hane en 1 , Noir peut le capturer avec


Noir 2. Avec le coup 12, Noir sacrifie une pierre en 4, que Blanc
capture en jouant Blanc 13 en 8. Noir 18 capture quatre pierres.
D ia .15. À moins que Noir ne préfère capturer de cette manière ?
118 CHAPITRE 7. COMMENT ÉTUDIER LES JÛ S E K IS

r 、
へ 穴
w

3
-
-

P
D ia.16 D ia.17

D ia .16. Si Noir répond au coup Blanc 1 en 2, Blanc capture


une pierre avec 3, et obtient une position solide, donc...
D ia .17. Noir doit résister en jouant 2 ici avant de jouer 4. Noir
4 est le seul coup. S’il joue en a à la place, Blanc pourra jouer b en
sente.
Il faut un peu dEntraînement pour arriver à visualiser toutes
ces séquences à partir du D ia .1 1 .Je suppose que seul un joueur
amateur top-niveau serait capable de lire tout ceci. Cela dit, n ’im-
porte quel joueur, s’il a un peu d ’ambition, doit au moins s’attendre
à ces éventualités.
D ia .18. La séquence de Noir 1
à Noir 5 constitue une variation po­
pulaire du jdseki de la pince haute à
deux espaces. Comme je Tai dit pré­
cédemment, ces coups sont faciles à
retenir, mais il ne sert à rien de les
mémoriser si vous n^n comprenez
pas le sens. Pourquoi Blanc joue-t-
il le kosumi en 2 ? Pourquoi est-il
si pressé de plonger dans le coin?
Blanc 4 sur la deuxième ligne n5est-il pas un peu trop bas? Quelle
réflexion, quel objectif se cache derrière le keima Noir 3? Noir 5
est-il nécessaire? Chaque pierre a un sens, et on ne peut Tignorer.
Etudiez ce jôseki jusqu^ ce que vous compreniez précisément le
sens de chacun des coups qui le compose. Dès que vous maîtrise­
rez ce jdseki^ vous aurez la clé pour en comprendre des centaines
d’autres.
119

D ia .19. Si vous étudiez ce jdseki superficiellement, comment


allez-vous faire quand Tun de ces saboteurs de jdseki vous jouera
Blanc 1? Et si vous ne savez pas que faire, vous saurez que vous
n^vez pas suffisamment étudié le jdseki. Ici, apprendre par cœur
ne vous sera d ’aucune utilité.
La raison pour laquelle j 5insiste sur ce point est que vous vous
trouverez tout le temps confronté à ce genre de situations en partie.

Dia. 20

Dia. 20. Si vous avez réellement compris ce jôseki: il est impos­


sible que vous passiez à côté d ^ n coup aussi bon que Noir 1 . Ce
coup assure une base de vie pour le groupe Noir, et ôte à Blanc
la sienne. Qui ne donnerait pas tout pour jouer ce coup ? Mainte­
nant, nous savons pourquoi Blanc joue la glissade sur la deuxième
ligne du D ia .18 (Blanc 4). Ce coup était une nécessité absolue pour
obtenir une base de vie.
120 CHAPITRE 7. COMMENT ÉTUDIER LES JÛ S E K IS

nK ê% * \j
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y
g
w X,y
s
.

Dia. 21

Dia. 2 1 .Dans cette position, si Blanc décide de jouer le jôseki


1-4 sans but précis, Noir 4 sera à la fois une extension du coin en
haut à droite et une pince contre la pierre A, un coup parfait qui
remplit deux objectifs à la fois. Ce faseki serait idéal pour Noir et
catastropliique pour Blanc.
Plutôt que de jouer en 1 ,Blanc devrait pincer la pierre du coin
en haut à gauche avec Blanc a, et lancer un combat dans cette zone.
Et sMl doit absolument jouer dans le coin en haut à droite, il peut
aussi jouer une contre-pince en b ou c. En fait, il peut jouer à peu
près n’importe quoi tant qu’il ne s’aventure pas dans une ouverture
aussi peu inspirée que celle qu?il obtient avec Blanc 1.
Il est extrênieinent important de choisir un jdsehi qui fonctionne
bien avec le reste du goban. Les professionnels utilisent plus de la
moitié de leur temps dans le fuseki parce qiril réfléchissent à ce
genre de considérations. Ne croyez pas qu'ils se tournent les pouces
en attendant que le temps passe, bien au contraire. Un jôseki n^st
pas seulement un problème local; c^st un problème qui concerne le
goban entier. Je suis surpris de constater que beaucoup d^mateurs,
même parmi les plus forts, n ^n ont pas conscience.
Dia. 22. (page suivante) Si les pierres sont placées différemment
dans le coin en haut à gauche, Peffet du jôseki en haut à droite
change encore. Noir 1 est la pince habituelle, et le jôseki continue
avec 2—5. Cette fois, c’est Noir qui obtient un résultat médiocre.
121

g £ k g
£
\
% 1b A
rs
<J _^2V]J
T
À

Dia. 22 : Noir ® connecte

Blanc 6 est une tactique de haut niveau dont le but est de donner
à Noir une position surconcentrée. La séquence continue jusqu’à la
connexion en Noir 17 et cette fois, c7est Noir que Ton peut accuser
de ne pas avoir été très inspiré. À la place de Noir 3...

Dia. 23

Dia. 23. Noir choisit un jôseki dans lequel il récupère Tinitiative


avec le coup 1 .Blanc ne peut pas se permettre dém ettre Blanc 10.
S’il laisse Noir y jouer, son groupe n’aura plus de base de vie. Après
Blanc 10, Noir peut jouer dans le coin en haut à gauche. Le tsuke
Noir 13 est une idée astucieuse. On commence à prendre du plaisir
au fuseki quand on arrive à trouver des idées comme celle-ci. Les
jôsekis sont inséparables du fuseki dans son ensemble.
Les amateurs finissent tous par connaître au moins quelques
jôsekis de base, mais ils les choisissent avec maladresse. C ^st une
de leurs faiblesses.
122 CHAPITRE 7. COMMENT ÉTUDIER LES JO SE K IS


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Dia. 24

Dia. 24. Voici une de mes parties pédagogiques. Le jôseki 8-14,


aussi appelé joseki tsuke-nobi^ était inapproprié dans cette partie.
Ecoutons les arguments que mon adversaire 3e dan a donné pour
sa défense.
« Noir est faible sur le bord du haut à cause de Blanc 5. Il
devrait donc se stabiliser rapidement. C7est pourquoi j 7ai choisi de
jouer solidement avec le coup 8 et les coups suivants. »
Bon. Au moins, il a réfléchi. Le seul défaut de ce raisonnement,
c’est qu’il est erroné. Certains joueurs beaucoup plus faibles s’ima-
ginent qu5ils attaquent Blanc 7 en jouant le tsuke Noir 8. C5est une
idée saugrenue : ce tsuke n^ttaque pas le moins du monde. Certes,
Noir se consolide, mais remarquez que Blanc aussi.
Même d ^ n point de vue local, le résultat après le jôseki tsuke-
noüi jusqu5au coup 14 est défavorable à Noir. Noir a joué cinq pierres
alors que Blanc en a joué quatre, mais Tavantage local que Noir a
obtenu ne compense pas l’utilisation d ’une pierre supplémentaire.
123

On comprend aisément les avantages de ce jôseki : Blanc peut


difficilement y trouver des complications et surtout, ce jôseki peut
fonctionner très bien pour construire un moyo sur le bord du haut.
Mais d ^ n point de vue strictement local, ce jôseki n5est pas très
attirant.
Désormais, Terreur de jugement de Noir concernant le bord du
haut doit vous sembler évidente. Pour couronner le tout, ce jô ­
seki donné r 〇pportunité de m^nstaller sur le l)〇rd gauche avec
Blanc 13, un point-clé que Noir aurait du occuper lui-même. Pour
une partie à quatre pierres, ce début de partie jusqu’au coup 19
est insatisfaisant. La faute incombe en partie au jôseki démarré par

Dia. 25. À la place de Noir 8,


il aurait mieux valu jouer en 1 ici.
Dans cette position, c^st le seul
coup, à la fois pince et extension,
im coup magnifique.
Beaucoup (le joueurs il’aiment
pas les conséquences de ce choix,
notamment la double approche
Blanc 2, et pensent que cela com­
plique la partie pour Noir, mais
supposons que Noir choisisse le jô ­
seki le plus simple avec le kosumi
Noir 3 puis la séquence jusqu’à 7.
Qu’est-ce qu’ils n ’aiment pas dans
ce choix r J lim erais leur deman­
der ce quMl y a de conii)liqué là-
dedans. Comparez ce résultat avec
le Dia. 24. On peut dire en un mot à
quel point ce résultat est meilleur :
Dia. 25
infiniment.
124 CHAPITRE 7. COMMENT ÉTUDIER LES JÔ SE K IS

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Dia. 26 Dia. 27

Dia. 26. Voici ce à quoi on peut s’attendre après le Dia. 25.


Noir n 5a pas de difficulté à répondre aux coups Blanc 1 à 5. Si vous
n^imez pas la coupe en a, vous pouvez choisir de jouer Vatari en 5
avant de connecter en 2. Il faut cependant faire attention à Blanc
b. La bonne réponse est Noir c. Si Noir répond f, Blanc peut jouer
d, Noir c, Blanc e.
Dia. 27. Quiconque bloquerait de l’autre côté en Noir 1 n ’a pas
compris le jeu de go. Blanc joue la séquence de 2 à 12 et s5amuse
de ne jamais avoir eu une partie aussi facile.
125

Dia. 28. Avec la pierre A en place, le jôseki tsuke-nobi brille de


tout son éclat. De plus, les positions du bord gauche et du coin en
bas à gauche sont idéales pour Noir. Ce diagramme devrait vous
servir de référence.

Maintenant, allez chercher votre livre de jdsekis qui traîne sur


votre étagère, ouvrez-le, et étudiez-le à nouveau en utilisant la mé­
thode que je vous ai prescrite.
126 CHAPITRE 7. COMMENT ÉTUDIER LES JÔSEKIS
( 8 ノ B o n n e s e t m a u v a ise s
fo rm e s
Tous les hommes sont sensibles à ce qui est beau. La beauté
les transporte, ils Tadmirent avec envie. Le go aussi a ses critères
esthétiques. Quand on observe une partie de joueurs professionnels,
on peut ressentir de la beauté dans leur jeu et de la beauté dans
les formes qu’ils créent. Le go amateur est très loin d ’atteindre ce
niveau d ’estliétisme.
Les joueurs faillies ne devraient pas attacher trop d^mportance
à la beauté de leurs formes. Il ne suffit pas de jouer de belles formes
pour être un joueur fort. Les parties des disciples de « Técole des
belles formes » ne dégagent pas cette impression de puissance que
Ton ressent dans les parties professionnelles. Ces joueurs imitent su­
perficiellement la l>eauté des formes des professionnels mais passent
à côté du contenu et du sens de leurs coups.
Il serait hâtif de penser que les belles formes sont toujours cor­
rectes. Les mauvaises formes ont elles aussi leurs avantages et leur
caractère propre. Et parfois, elles sont meilleures. Je vous décon­
seille cependant d^gnorer complètement Testhétique des formes.
J ’ai choisi d ’écrire ce chapitre pour développer chez mes lecteurs
la capacité de discerner les bonnes formes des mauvaises.

127
128 CHAPITRE 8. BONNES E T MAUVAISES FORMES

Dia.1 Dia. 2

D ia .1 .Noir 1 et Noir 3 sont les premiers coups du jôseki « tsuke-


nobi ». En revanche, Blanc 4 est une sortie de jôseki assez inatten­
due, un très mauvais coup, une bourde monumentale. La réponse
de Noir devrait être sur le goban en un instant, sans la moindre
hesitation.
Dia. 2. Noir bloque en 1 , évidemment. Inutile de réfléchir à
ce que Blanc jouera après. Seul un faible d 7esprit serait pris de
doute dans cette position : « Non, pas ici. Ici non plus. Devrais-je
laisser la position telle quelle ? » La main de Noir devrait trembler
d’excitation à l’idée de pouvoir jouer Noir 1 . Il devrait se sentir
submergé par Témotion.
Dia. 3. Problème : à Blanc de jouer. S^l fait tenuki^ Noir règle
tous ses problèmes en jouant a.

« Vous voulez dire qu^l faut connecter en a?


- Non, ce serait une mauvaise forme, un coup inefficace.
- Alors, Blanc b ?
129

- Quoi ? Incroyable ! Ce serait le comble de la mauvaise forme.


Si Blanc joue b, Noir fait atari en c. Épargnez-moi cette vision
d ’horreur. »
Dia. 4. « Ah, j ?ai compris. Blanc 1 ,comme dans le Dia. 2. Ma­
gnifique ! »

Dia. 5. Magnifique? Pas si vite. Ce diagramme n ’est qu’une


contrefaçon du Dia. 2. Après Blanc 1 ,Noir occupe le point vital en
Noir 2. Avec Noir 4, Noir a une bonne avance dans la lutte pour
passer en tête. Il prend l’initiative.
Dia. 6. Blanc 1 est le seul coup. Même un amateur, si c’est un
joueur en dan, le sait. La forme est jolie, et c’est un coup crucial
grâce auquel Blanc passe en tête. Il suffit de comparer ce diagramme
avec le précédent pour se convaincre
de l’importance de passer en tête. Le
contraste est frappant : la seule connais­
sance des bonnes formes peut faire
la différence entre un désastre et un
triomphe.
Dia. 7. Problème : c’est à Blanc de
jouer. Les confrontations de ce type sont
fréquentes en partie et ce problème a de
nombreuses applications pratiques.
Dia. 7
130 CHAPITRE 8. BONNES E T MAUVAISES FORMES

Dia. 8 Dia. 9

Dia. 8. Le tobi en 1 est le même tesuji que Blanc 1 dans le Dia. 6.


Les joueurs débutants jouent parfois à gauche de 1 ,et perdent deux
pierres de manière tragi-comique. Blanc 1 est le seul coup correct
ici.
Dia. 9. Certains joueurs savent que Blanc 1 est correct, mais
ont des réticences à le jouer. Ils voient que Noir peut pousser avec
2 etc., et n ’aiment pas l’idée de se faire capturer la pierre qu’ils
viennent de jouer. Permettez-moi de vous faire remarquer que le
résultat final après la séquence 1-9 est bon pour Blanc.
D ia .10. Un joueur qui a de telles réticences est trahi par des
coups du genre de Blanc 1 . La forme que Blanc obtient est loin
d’être idéale pour lancer un combat.
D ia .1 1 .Blanc obtient une belle forme avec 1 , et la séquence
continue jusqu^ Blanc 5. Et si Blanc a le shichô, il a un coup
meilleur que le coup 3.

Dia.10 Dia.11
131

D ia .12. Blanc peut bloquer Noir en 1 .Le shichô apparaît avec


le coup Noir 14, mais si Blanc peut s’échapper avec Blanc 1 5 ,la
position de Noir explose.
D ia .13. Chaque règle a cependant ses exceptions. Si Blanc joue
1 dans cette position, Noir a un contre-
D i a .14. La séquence 1-13 forme
ce qu’on appelle un shichô à deux
libertés. Noir doit s’assurer de bien
lire la séquence jusqu’au bout avant
de la jouer. S’il ne le fait pas —s’il
la joue par imitation ou parce qu’il
rejoue une position semblable qu’il
avait mémorisée - il risque la catas­
trophe. Rappelez-vous les mots de Yu-
kichi Fukuzawa : « La force engendre
la confiance, et la confiance engendre D ia.14
la force. »
D i a .15. Ce n ’est pas le moment
d ’ergoter avec des histoires de bonne
ou de mauvaise forme. Blanc 1 est une
mauvaise forme et c’est le seul coup. Il
n 5y en a pas d 7autres. Un profession­
nel ferait cependant tout son possible
pour éviter de se retrouver dans la si­
tuation de Blanc. Dia.15
132 CHAPITRE 8. BONNES E T MAUVAISES FORMES

D ia .16. D’habitude, cette séquence s’arrête avec le coup Noir


16, mais ici, Blanc a les pierres A en renfort tout autour.
D ia .17. Il se lance donc avec audace dans la séquence 1-16.
Noir joue les meilleures réponses possibles et force Blanc à jouer
de mauvaises formes, mais Blanc, qui avait prévu ce résultat, est
déterminé à diviser les forces de Noir et à combattre malgré sa
mauvaise forme.
Vous devez certainement vous dire qi^ancun professionnel ne
jouerait de la sorte, et pourtant, cette position s5est produite dans
une partie entre deux professionnels respectables. Des profession­
nels ? Vous semblez en douter. Pourtant, ce genre de séquence peut
survenir quand la position environnante est propice au combat.
D ia .18. Noir 2 est mauvais. Après Blanc 13, Noir se retrouve
dans une position difficile.
133

Dia.19

D ia .19. Problème : à Blanc de jouer. Doit-il renforcer son groupe


au centre, ou attaquer les trois pierres Noires? Il hésite entre ces
deux possibilités.
Dia. 20. N’hésite pas, Blanc. Joue en 1 . C’est une belle forme;
c^st le coup honte. Avant toute chose, Blanc doit renforcer son
groupe. Ce coup sécurise ses pierres, et lui apporte un bonheur im­
médiat. Il peut maintenant envisager d^ttaquer Noir. Quiconque
n ^st pas instantanément attiré par Blanc 1 attache trop peu d^m-
portance aux belles formes. Vous devez tomber sous le charme
des belles formes. Blanc 丄aoit vous venir
en tête à Tinstant où vous posez vos yeux
sur le D ia .19. Si à la vue de cette forme,
vous n ’êtes pas aussi ému que lorsque
vous fermez les yeux et imaginez le vi­
sage de celui ou celle que vous aimez,
vous n ’aimez pas suffisamment les belles
formes.
Dia. 2 1 .Problème : à Noir de jouer.
Il aimerait jouer en a, mais Blanc b
ne risque-t-il pas de lui causer des pro­
blèmes ?
Dia. 21
134 CHAPITRE 8. BONNES E T MAUVAISES FORMES

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Dia. 22 Dia. 23

Dia. 22. « Dans ce cas, pourquoi ne pas jouer le hane en 1?


—Non, ce n ’est pas suffisant : Blanc répond en 2.
- Alors Noir a ?
- Blanc répondrait avec le tsuke en 2. Après, Noir peut jouer b,
Blanc c, Noir d, Blanc e, mais ce n5est pas un bon résultat pour
Noir. »
Dia. 23. « Aha ! Noir doit d ’abord se renforcer en L Comme
dit le proverbe, “ la meilleure attaque, c’est la défense ’’• 》 En effet,
mais Noir toujours pas compris. Blanc répond en 2 et lui coupe
Pherbe sous le pied.
Toutes ces réponses sont incroyables. Mais de quoi Noir a-t-il
peur?
Dia. 24. Quelle alternative pourrait-
il y avoir au coup 1? Blanc joue sa ré­
ponse désagréable, mais Noir ne se laisse
pas impressionner : il a prévu de répondre
en 3 puis en 5. Blanc n’a jamais l’op­
portunité de contre-attaquer et doit re-
venir à un moment donné à la connexion
en 8, pour prévenir une coupe Noire. Sa
forme est d ^ n e laideur insoutenable. Dé­
sormais, plus rien ne peut arrêter Tat-
taque Noire. Celui-ci doit son succès au
coup 1.
Dia. 24
135

Dia. 25. Permettez-moi de vous


montrer encore une ou deux varia­
tions. Si Blanc connecte en 2, Noir
attaque sans relâche avec les coups
3 et 5.
Blanc ne peut pas contre-atta-
quer en jouant le coup 2 en a car
Noir peut couper en b, après quoi
Blanc n ’a pas de bonne réponse.
C’était un exemple d ’applica-
tion de la règle d ’or : « Le point
vital de Tennemi est mon point vi­
tal. » Noir doit jouer en 1 sans hé­
sitation. Si vous ne voyez pas ce coup en un clin d ^ il, il vous faut
pratiquer encore et encore.
La première récompense de cet entraînement sera de voir immé­
diatement les points raibles de positions comme celles des Dia. 26,
27 et 2 8 ,là où d ’autres ne sauraient où commencer.

Dia. 26 : Problème 1 Dia. 27 : Problème 2

Dia. 26. Ce serait dommage que Blanc joue son yose en a. Blanc
a un coup plus incisif. Le coin Noir ne va pas mourir, mais Blanc
peut réduire son territoire d ’une grosse dizaine de points au strict
minimum. Et si Blanc se trompe de réponse, une mauvaise surprise
Tattend. Quel est ce tesuji de fin de partie?
Dia. 27. Même ceux qui connaissent la forme de cinq en pâté
n ^ n t jamais entendu parler du sept en pâté^ mais le voici, et Blanc
peut le tuer.
Dia. 28. (page suivante) Ce groupe Noir n5a pas Pair tuable, et
pourtant il Test. Blanc joue et tue.
136 CHAPITRE 8. BONNES E T MAUVAISES FORMES

Solution du problème 1
Dia. 29. En frappant au point vital il peut pénétrer profondé­
ment dans le territoire Noir et finir en sente. Noir parvient à peine
à sécuriser deux yeux dans ce qui semblait être un grand territoire.
Dia. 30. Ivre de colère, Noir décide de résister avec Noir 2, mais
il ne va pas s^n sortir gratuitement. Blanc joue le kosumi 3 et après
Blanc 15, il obtient un ko à une étape. Pour Blanc, ce ko est gratuit,
c’est un Zianamüô : s’il le perd, c’est presque comme s’il n’avait
pas joué dans le coin, mais si Noir le perd, c5est grave.

Solution du problème 2
Dia. 3 1 .Blanc frappe au centre de
la forme, et Noir est déjà mort. Si Noir
joue en 3 plutôt que 2, il ne peut plus
rien faire après Blanc a. Si Blanc joue
en 3 à la place de 1 ,alors Noir 1 ,Blanc
2 et Noir a provoque un kô : c^st un
échec pour Blanc.
Dia. 31

*. NdT : littéralement, un ko sous les fleurs.


137

Dia. 32 Dia. 33

Solution du problème 3
Dia. 32. Le point que Blanc vise est le coup 3. Après Blanc
15, Noir est mort. Si vous avez lu cette séquence jusqu^u kosumi
Blanc 5, vous avez trouvé la réponse. Je montre la suite par acquit
de conscience. Le coup 5 était celui auquel il fallait faire attention.
Si Blanc se contente de jouer le hane en 12 à la place, alors après
que Noir a été réduit à un œil avec la séquence 6-11, Noir peut
vivre en jouant en 5.
Ces trois problèmes sont des exemples typiques de positions où
il suffit ae connaître la forme pour les résoudre un un coup d ’œil.

Dia. 34

Dia. 33, 34 et 35. Ces trois diagram­


mes montrent pour chaque situation la
meilleure défense pour Noir en prenant
en compte le yose.
Dia. 36. Problème d’application : à
Noir de jouer. Sa position est sur le point
de s’effondrer. Quel est le seul coup qui
peut le sauver ?

Dia. 36
138 CHAPITRE 8. BONNES E T MAUVAISES FORMES

Sans Taide des leçons précédentes, la


plupart des joueurs de niveau faible ou
moyen sécheraient sur ce problème si on
le leur posait à brûle-pourpoint. Bien
que ce problème soit difficile, la solu­
tion devient évidente quand on connaît
les bonnes formes. C’est déjà une grande
réussite, mais je pense que tous les lec­
teurs y sont désormais parvenus.
Dia. 37. Noir 1 est facile à... « Qui
a (lit ça? Tu dis que tu t ’attendais au
coup a ? Comment peux-tu proposer un tel einti-tesujz r » Je peux
garantir à tous les autres, qui ont trouvé Noir 1 immédiatement,
qu’on vous admirera pour la beauté de vos formes. De plus, ne
trouvez-vous pas que Noir 1 est élégant, qu^l ne fait pas du tout
« amateur » ? Si c5est à Blanc de jouer, il jouera lui-même en 1 pour
capturer les pierres noires avec une belle forme.
Dia. 38. Noir joue. Cette séquence revient très souvent dans les
parties à handicap. Jusque là, il n5y a rien de compliqué. La suite est
plus difficile à trouver. Je suis sûr que 111es lecteurs les plus brillants
ont déjà deviné le coup que j ’aimerais voir joué, mais n’oublions pas
que Noir a un point de coupe en a et aussi que Blanc b pourrait
être gênant. Beaucoup de joueurs savent quel est le bon coup mais
n7arrivent pas à se résoudre à le jouer.
Dia. 39. La connexion en Noir 1 est un coup de froussard. Blanc
répare sa forme en jouant en 2. Noir a laissé Blanc s5en sortir trop
facilement.
139

Dia. 40. Noir trouve le courage


de se confronter à Blanc et joue
Noir 1 .Blanc fait un bond de côté
en 2, et il se retrouve encore avec
une bonne forme. Arrête de tour­
ner autour du pot, Noir.
Dia. 4 1 .Noir 1 , le point vital,
est le meilleur moyen de mettre la
pression à Blanc. Blanc 2 ne fait
rien d ’autre que connecter. Ce coup n’a aucun effet sur Noir. C’est
une mauvaise forme, Tinfâme « angle vide ».
Dia. 42. Si Blanc joue en 1 , Noir ne se plaint pas de devoir
connecter en 2. Blanc doit jouer en 3 pour ne pas être coupé, et
Noir lance Tattaque en bonne forme avec Noir 4. Le contraste entre
la mauvaise forme de Blanc et la bonne forme de Noir est saisissant.

Dia. 41 Dia. 42

Les diagrammes 43 et 44 sont une sorte de jeu dissociations


cPidées. La position du premier vous donne-t-elle envie de déformer
Blanc avec le coup 1 du second ?

Dia. 44
140 CHAPITRE 8. BONNES E T MAUVAISES FORMES

Dia. 45. Noir a joué le tsuke en 1 puis Pextension en 3. Où Blanc


doit-il placer sa prochaine pierre ?
Dia. 46. Jouer Blanc 1 par analogie avec lejôseki serait incorrect.
Noir répond en 2, et si Blanc pousse avec 3-7, Noir est content
d^mpocher un profit substantiel. Les amateurs font très souvent ce
genre d ’erreurs.

Dia. 47 Dia. 48

Dia. 47. Ce coup est correct. Noir sait bien quMl fait une mau­
vaise forme avec le coup 2, mais il n?a pas le choix. S^l ne le joue
pas, il sera coupé. Blanc s^st stabilisé avec une bonne forme, et
les pierres noires sont à la dérive avec une mauvaise forme. Cette
position devrait vous rappeler...
Dia. 48. ... Blanc 1 ,avec les pierres A en
plus.
Dia. 49. Ici, Noir 1 ne fait pas un « angle
vide ». Au contraire, c5est une forme bonne
et solide. Assurez-vous de bien avoir compris
la différence.
Dia. 49
141

Dia. 50. Ce Blanc est la hantise des joueurs faibles.


Noir 4 suit le proverbe qui recommande de « s’étendre face à un
cross-cut », mais Blanc lance effrontément un combat avec 5 et 7.
Dia. 5 1 .Noir n’est pas du genre à refuser un défi. Noir s’agite
dans tous les sens avec la séquence 1-5. « Napoléon et moi avons
effacé le mot “sacrifice” de notre dictionnaire ! », lance-t-il alors
qu’il claque la pierre 7. Le moment est mal choisi pour invoquer
Napoléon. Blanc 8 prend Noir au dépourvu et ne lui laisse aucune
porte de sortie.
Dia. 52. La séquence 1-7 est une très belle manœuvre de sacri­
fice, une tactique qui mérite d ^tre retenue. Cette séquence atteint
son acmé avec le coup Noir 7, un coup d ^ n e rare beauté.

Dia. 53. Après Blanc 1 et Noir 2, Blanc est censé jouer une
extension en a d ’après le jâsefcz'. Il est cependant nécessaire d’envi­
sager le cas où Blanc décide d ’omettre ce coup. Dans ce cas, Noir
4 est une pince sévère.
Dia. 54. Une des réponses possibles pour Blanc est le kosumi-
tsuke en 1 .Que doit jouer Noir ensuite?
142 CHAPITRE 8. BONNES E T MAUVAISES FORMES

Dia. 55 Dia. 56

Dia. 55. Noir 1 est la bonne réponse. Comment est-il possible


qu^ine forme aussi laide soit correcte ?
Dia. 56. Si Noir lance Toffensive avec Noir 1 , Blanc peut jouer
2 et 4 et obtient rapidement une bonne forme. Noir a joué le gu-
zumi 1 du diagramme précédent dans le seul l)ut d^mpêcher cette
séquence.

*. NdT : guzumi : coup formant un angle vide quand cet angle vide est
correct. Plus généralement, il se dit aussi d ^ n coup mauvais du point de vue
de la forme, mais bon dans une situation particulière.
O C oups h o n t e et coups
v u lg a ire s

Un philosophe de Tère Meiji a dit un jour : « Sans amour, le


savoir sonne creux. Pour prêcher un sermon sur le grain et le bétail,
aucun érudit, aucun saint ne saurait remplacer le fermier qui les
chérit. » Si nous autres professionnels aimons le go, nous pouvons
peut être donner vie à notre savoir et être une source d^nspiration
pour les autres. Gardons ceci en tête, et reprenons.
D i a .1 . Quelque temps après avoir acquis mon titre de pro­
fessionnel à Tautomne de Tannée 1949, je suis tombé sur une
partie entre deux joueurs de haut niveau dans laquelle Blanc a
joué rapproche du coin en 1 . Je n^ublierai jamais la réponse de
Noir. Il prenait son temps pour
y réfléchir et j ’ai donc commencé
à réfléchir avec lui. Jouerait-il le
tsuke en 2, ou alors un coup plus
solide en a ? Jeta is persuadé que ce
serait Tun de ces deux coups, mais
j ’avais tort. Posez-vous la question :
où auriez vous joué à la place de
Noir ? Ce problème pourrait être
plus facile pour un débutant.

143
144 CHAPITRE 9. COUPS H O N T E E T COUPS VULGAIRES

Dia. 2. Noir a connecté solide­


ment en 1 . C’était le coup le plus
sûr pour immobiliser définitivement
la pierre A mais sur le moment, je
me suis dit : « Que ces joueurs pro­
fessionnels peuvent être mous ! Com­
—<> - < >
k
ment peut-on espérer remporter une
partie âpreinent disputée avec des
coups aussi lents que le coup 1? — n------------ — — 介 一

C ^st donc ça, un professionnel de


haut niveau? » Dia. 2
Quelques années plus tard, je tombai sur une partie où une
position quasiment identique apparut. Le professionnel qui la jouait
répondit de la même manière, en connectant en Noir 1 . C ^st à cet
instant que je compris que c ita it exactement le genre de coups
beaux et calmes dont les professionnels raffolent. Noir 1 était le
coup honte^ solide, ferme. Il n 7y avait pas moyen que ce coup tourne
au vinaigre par la suite. Plus tard, Noir pourrait s5attaquer aux
faiblesses de la position Blanche sur le bord et y comlmttre sans
entraves. Il faut savoir marcher avant dApprendre à courir. Noir
1 marche. Je rougis intérieurement en me rappelant les pensées
ignorantes qui avaient traversé mon esprit auparavant, quand je
n ’avais pas pris la pleine mesure de la qualité de Noir 1.
Les dix problèmes suivants vous permettront de vérifier que
vous avez compris le sens du mot « Zionfe ». Jouez le jeu : prenez
un bout de papier et notez-y vos
réponses avant de regarder les so­
lutions de la page 148. La solu­
tion tient en un coup. Rappelez-vous
qu5on cherche le coup honte^ et pas
une demi-mesure.
Problème 1
Dia. 3. Noir joue. Lequel de ces
coups est le coup honte : a, b, c ou
d?
Dia. 3
145

Problème 2
Dia. 4. La séquence 1-11 constitue un jôseki. Où Noir devrait-il
jouer le coup suivant ?
Dia. 5. Choisissez parmi a, b, c et d.

Dans ces dix problèmes, on ne s’intéresse qu’à un coin dans le


fuseki. Ne vous encombrez pas avec des considérations de milieu ou
de fin de partie.

Pivblème 3
Dia. 6. Le coup Blanc 1 est un coup
classique face au shimari Noir dont le
but est de sonder ses intentions. Avec C b
Noir 2, Noir choisit de mettre Taccent d
sur Textérieur. Que faire si Blanc dé­ — •

cide de jouer ailleurs ? Noir devrait-il
restreindre ses ambitions avec un coup

comme a ou b ou jouer plus largement
en c ou en d ? L’un de œs quatre coups
est la bonne réponse. Dia. 6

Problème 4
Dia. 7. (page suivante) Voici un des jôsekis partant de rapproche
haute Blanc 2. Que répondre au hane Blanc 14?
Dia. 8. Noir joue. Faites votre choix parmi les coups a à e.
146 CHAPITRE 9. COUPS HONTE E T COUPS VULGAIRES

Dia. 7

Problème 5
Dia. 9. Comment Noir doit-il ré­ a
pondre au nozoki Blanc 1? Devrait-il —11---------------------
b
se concentrer sur le coin avec a ou b,
connecter en c, ou résister avec d ? c|)
Problème 6
— —
D ia .10. La séquence 1-18 consti­

tue un des jôsekis issus de la pince
haute à deux espaces. Au coup 19,... Dia. 9
D ia .11.... Noir devrait-il jouer en a pour capturer les deux
pierres proprement mais en gote^ ou devrait-n ramper avec Noir b,
Blanc c, Noir d, Blanc e afin de prendre Tinitiative et jouer ailleurs ?

D ia.10 D ia.11
147

Problème 7
D ia .12. Noir joue, a, b ou c?

Problème 8
D ia .13. Noir joue. Si Noir ne règle
pas le problème de la pierre A,
Blanc peut créer des complications
dans la zone. Faut-il jouer en a, b,
c ou d ?
Problème 9
D ia .14. Noir joue. Lequel de ces

Dia.13 Dia.14

Problème 10
D ia .15. Noir joue. Vous avez une chance sur quatre.

V v à M
\ 丫 y
E r
J 1w tW
ci t)

Dia.15
148 CHAPITRE 9. COUPS BONTE E T COUPS VULGAIRES

Solution du problème 1

D ia .16. En apparence, Noir 1 donne une forme jolie et bien


équilibrée. En réalité, c^st un coup vulgaire. Au minimum, Blanc
peut facilement limiter Tinfiuence de Noir vers le centre avec les
coups forçants 2 et 4.
D ia .17. Noir 1 ne marche pas bien avec la pierre A et Blanc a
un tesuji en b. Jouer Noir 1 en a serait téméraire, voire inconscient.
C’est le pire de tous : Blanc répond en coupant en c.

D ia .18. Il faut capturer solidement avec Noir 1 . C’est le coup


honte.
149

Solution du problème 2
D ia .19. Noir 1 est correct. En enfermant solidement la pierre
blanche, Noir peut viser des coups comme b, ou le tsuke en c. At­
tendez une minute : Noir a est lui aussi honte. Je n^rrive pas à
décider lequel des deux est le meilleur.
Noir d et e s’avèrent mauvais quand Blanc répond en c. Je tiens
surtout à mettre en garde les lecteurs qui sont tentés de jouer en
e. Certes, un tel coup est sente^ mais Téchange e -c reste une perte
pour Noir. Rappelez-vous cet avertissement chaque fois que Tenvie
de jouer ce coup vous démange.

l) c
£
美 U¥ g%

Dia. 20
D ia.19

Solution du problème 3
Dia. 20. Noir 1 est le coup honte. Après ce coup, Noir peut
combattre le cœur léger sur le bord du haut sans se soucier du coin.
Noir 1 est un coup solide.
Noir a serait une demi-mesure. Ce coup laisse des possibilités à
Blanc dans le coin.

Solution du problème 4
La réponse était b.

Solution du problème 5
Le coup honte est c.
150 CHAPITRE 9. COUPS H O N T E E T COUPS VULGAIRES

Dia. 2 1 .Noir 1 est le coup honte. À moins d ’avoir un coup


excellent à jouer ailleurs, Noir ne devrait pas tenter de prendre
Tinitiative avec Noir a, Blanc b, Noir c, Blanc d. Ramper ainsi
sur la deuxième ligne (la ligne de la défaite) pendant que le mur
Blanc se renforce à chaque coup coûte très cher. En jouant le coup
honte^ Noir se laisse la possibilité de rentrer sur la deuxième ligne
ou d ’attaquer en e. Quoi qu’il en soit, il ne veut pas aider Blanc à
solidifier son mur.
Solution du problème 7

Dia. 22. Noir 1 est une forme astucieuse et légère, mais ce coup
a le défaut de donner à Blanc la possibilité de se connecter par en
dessous avec la séquence 2-4 dans le cas où Noir voudrait attaquer
la pierre A.
Dia. 23. En apparence, Noir 1 manque d ’imagination, mais c’est
le coup honte. Les autres choix sont inenvisageables.
151

11 1
b3 c

Dia. 24 Dia. 25

Solution du problème 8
Dia. 24. Noir 1 est le coup honte. S7il ne le joue pas, Blanc
dispose quand il veut de la séquence Blanc a, Noir b, Blanc c en
sente et peut élaborer ses plans en conséquence.

Solution du problème 9
Dia. 25. C5est le coup honte. Tous les autres coups sont inap­
propriés.

Solution du problème 10
Dia. 26. Noir 1 est le coup honte. En réalité, Noir a pourrait
aussi être bon selon la disposition du reste du goban, mais alors il
faut s’attendre à ce que Blanc saute en b. Noir 1 en c laisse des
faiblesses, alors que Noir d est une invitation à la coupe en Blanc
a et à la catastrophe.

-V fl

da b-

—c

Dia. 26
152 CHAPITRE 9. COUPS H O N T E E T COUPS VULGAIRES

Le professionnalisme est inséparable du concept de honte. L5at-


trait des professionnels pour les coups honte est un aspect de leur
foi inébranlable dans les principes fondamentaux. Il y a cependant
des situations où Ton ne peut plus se permettre de se défendre avec
le coup honte quand, pour avoir une chance de gagner, il est néces­
saire de se libérer de cette contrainte et d^nvisager aussi les coups
d’amateurs et les coups vulgaires. Le fait d’avoir appris les coups
honte peut donner la sensation de se rapprocher du niveau profes­
sionnel mais il serait ridicule d irig er en loi universelle que les coups
honte sont toujours bons et que les autres ne le sont pas.
En définitive, on ne peut compter que sur sa force et son ex­
périence pour savoir connnent jouer dans telle ou telle situation.
Cela ne veut pas dire non plus q u ^n peut mettre les coups honte
et les coups vulgaires dans le même sac. Les amateurs de niveau
moyen ou fort, à mesure qu^ls progressent, cherchent à obtenir le
maximum de leurs coups : leur puissance de calcul se développe. Ce
faisant, il leur est de plus en plus difficile de jouer le coup honte.
Je leur recommande de revenir aux coups honte de leurs débuts, de
les regarder avec un œil neuf afin d'apprécier à nouveau leur valeur
réelle.
J ?ai choisi les dix problèmes de ce chapitre pour illustrer la diffé­
rence entre coups honte et coups vulgaires en i)renant des cas où le
coup honte était meilleur. J ,espère que vous avez désormais compris
clairement ce qi^est un coup honte.
10 T esu ji

La nature du tesu ji

〇n entend souvent dire d’un joueur qu ’ 《il va bientôt progresser


car il a une bonne intuition pour les tesujis. » Mais qu^st-ce q u ^ n
« tesuji » ?
En premier lieu, il faut veiller à ne pas assimiler technique et
tesujis. Certes, il est indéniable qu^me bonne intuition pour les
tesujis promet à un bel avenir. Mais je ne pourrai pas vous trans­
mettre cette intuition en me contentant d^ffleurer la surface de
riinmense science des tesujis. Il me faudra déjà un certain nombre
de pages pour vous présenter les tesujis les plus représentatifs. Si
je devais traiter convenablement le sujet, il me faudrait un livre en­
tier, voire plusieurs volumes pour y parvenir. Compte tenu du peu
d ’espace qui m’est donné, j ’essaierai d ’être aussi concis que possible
et me concentrerai sur les concepts essentiels.

10.1 La prise en retour


Un jour, quelqu5un a décrit la prise en retour comme « le tesuji
brillant comme Taube. » Il avait raison : c^st un tesuji. En progres­
sant, on a pourtant tendance à le considérer comme une technique
de base et à en oublier la signification. Comme nous en avons main­
tenant Thabitude, nous allons donc commencer par reconsidérer ce
tesuji de base que tout le monde connaît.

153
154 CHAPITRE 10. TESUJI

D ia .1 . Les coups 1 à 14 constituent un jôseki d^nvasion du


shimari Noir. Le coup 14, qui permet à Noir de capturer solidement
la pierre l)lanche et de finir la construction de son mur extérieur, est
le coup honte. Toutefois, dans certaines parties, il arrive que Noir
ne puisse pas se permettre de jouer ce coup honte. Que se passe-t-il
s’il décide (le jouer ailleurs?
Dia. 2. Pour Blanc, le coup naturel pour lancer le combat est
le coup 1 . Du point de vue de la forme, Noir 2 semble également
n a tu re l: comparez cette position à celle où il laisse Blanc jouer en
2. Et pourtant, chasser Blanc avec Noir 2 est une très mauvaise
idée, mais aucun des deux joueurs n^n a conscience.
Dia. 3. Par rélexe, Blanc pourrait être tenté de jouer le tobi en
1 ,mais les coups Noirs 2 et 4 déjouent les plans de Blanc. Même le
flatteur le plus zélé ne pourrait affirmer que Noir a été puni pour
son erreur précédente en A. Blanc aurait du être plus attentif à la
forme de Noir.
Dia. 4. Certains joueurs pourraient penser en premier à Blanc 1.
Le moins qu’on puisse (lire, c’est que ces joueurs n’ont pas une bonne
intuition pour les tesujis et quMl leur faudra étudier ce chapitre avec
davantage dAttention.

Dia. 3 Dia. 4
1 0 .1 .LA PRISE EN RETOUR 155

Heureusement, le manque d^ntuition pour les tesujis n 5est pas


une maladie hereaitaire incurable. Lisez ce chapitre tranquillement
et voyez si cela suffit à surprendre vos adversaires, si ceux-ci re­
marquent que votre style s^st amélioré.
Dia. 5. Ceux qui pensent immé­
diatement à jouer Blanc 1 puis 3
pour alourdir la forme Noire ont une
meilleure intuition pour les tesujis,
mais ils devraient anticiper davantage
la suite de la séquence avant de s?y en­
gager. Elle aboutit à une position as­
sez semblable à celle du Dia. 3. Bien
que les coups 1 et 3 soient tesuji^ ils
révèlent la négligence de leur auteur.
Dia. 6. Le Blanc 1 menace
une prise en retour et c5est le meilleur coup. Quand Noir connecte
en 2, Blanc 3 l’enferme avec subtilité. Noir est pris au piège. S’il
continue en a, Blanc bloque en b. Quoi qu’il joue, Noir ne peut plus
échapper à la capture à moins que Blanc ne Taide avec une grosse
erreur.
Dia. 7. La différence entre le résultat du Dia. 6 et celui du
Dia. 7, où Blanc a joué un coup maladroit, est considérable. Il
suffit de déplacer Blanc 1 d 5une intersection pour changer le ré­
sultat de manière dramatique. Comparez attentivement ces deux
diagrammes, ouvrez les yeux, et débarassez-vous de ces erreurs lors
de vos prochaines parties. Faites changer d’opinion ceux qui vous
considéraient comme un cas désespéré.

Dia. 7
156 CHAPITRE 10. TESUJI

Dia. 8. Revenons à la position initiale. Quand Blanc joue 1,


Noir doit absolument répondre en 2 : « le point vital de Pennemi
est aussi mon point v ita l.» Les amateurs s imaginent quHin tel coup
est inefficace, qu’il est peu inspiré. Mais en cherchant l’efficacité à
tout prix, on joue ses pierres le plus loin possible les unes des autres,
et c’est ainsi qu’on rate ces points vitaux.
Il arrive que Noir a soit une réponse sévère au coup Blanc 1.
Mais ici, si Noir joue a, comment va-t-il répondre à Blanc 2 ? Après
Blanc 3 ,la suite du combat va dépendre de la position environnante.
Quoi qu’il en soit, les coups 1 à 3 sont obligatoires.
Dia. 9. Cette forme apparaît dans d ’autres positions : on la
trouve aussi dans ce jôseki du komoku. Le coup Blanc 11 revient
encore. Cette forme peut aussi apparaître en milieu ou en fin de
partie et pas seulement dans le coin.
Problème
D i a .10. Noir joue et capture les
quatre pierres blanches. Ce problème
n’est pas difficile quand on le présente
sous cette forme, et je présume que
vous le résoudrez tous aisément. Mais
le trouveriez-vous dans une vraie par­
tie ? N^st-il pas étrange que beaucoup
de joueurs ne voient pas dans leurs
parties la solution qu’ils trouveraient
sous la forme d’un problème ? Dia.10 : Problème 1
1 0 .1 .LA PRISE EN RETOUR 157

Problème 2
D ia .1 1 .Blanc joue, coupe Noir en deux, et capture quelques
pierres sur le bord droit.

Dia.1 1 : Problème 2

Solution du problème 1
D ia .12. Noir i^a-t-il pas trouvé mieux que 1? Allez, faites un
effort.
D ia .13. S’il commence par 1, Noir obtient une très jolie prise
en retour. Quoi que Blanc fasse de son coup 2, Noir le capture.
Vérifiez-le.

Dia.12. Incorrect. Dia.13. Correct.


158 CHAPITRE 10. TESUJI

Solution du problème 2
D ia .14. Les coups Blanc 1 et Blanc 3 ne mènent nulle part.
Blanc peut jouer en 4 à la place de 3, mais tout cela pas Pair
très tesuji.
D ia .15. Blanc 1 est le tesuji. Noir ne peut pas se défendre à la
fois contre la coupe a et la prise en retour b. N^st-ce pas admirable ?

Dia.14. Incorrect. Dia.15. Correct.


La leçon à retenir de ces deux problèmes, c^st que les tesujis ne
se trouvent pas en lisant laborieusement toutes les séquences, une
pierre après Tautre. Il faut être capable de flairer les tesujis tels que
Noir 1 et Blanc 1 des D ia .13 et 15 et avoir Taudace de jouer ces
coups en apparence risqués. Bien sûr, trouver le premier coup ne
suffit pas, puisqu’il faut avoir lu la suite de la séquence, mais vous
devez apprendre à voir ces tesujis instantanément. Sinon, votre jeu
restera grossier et manquera de raffineinent.
Comment apprendre à voir ces tesujis instantanément ? Il n^y a
qu^ine méthode : il vous faut étudier les ouvrages sur le sujet et
vous en imprégner. Restez attentif aux tesujis dans vos parties et
un jour, même les plus surprenants d^ntre eux vous apparaîtront
naturellement.
Cependant, ne soyez pas obnubilé par les tesujis. Si vous ne
trouvez pas de bonne continuation, c’est peut-être qu’il n’y a pas
de bonne continuation. Quand cela vous arrive, il est peut-être pré­
férable de revenir à des coups simples que vous comprenez. Vous
saurez que vous maîtrisez un tesuji quand vous serez capable de
le voir instantanément et de lire la séquence qui suit. Lim itation
superficielle, ça ne marche pas.
1 0 .1 .LA PRISE EN RETOUR 159

Et maintenant, voilà d^utres problèmes avec des prises en re­


tour.

Dia.16 : Problème 3
Problème 3
D ia .16. À Noir de jouer dans le territoire Blanc. Si vous bloquez
sur celui-là, que le Ciel vous vienne en aide pour les suivants.
Problème 4
D ia .17. Noir joue et tue Blanc. Un coup d ^ i l devrait suffire.
Problème 5
D ia .18. Noir joue et tue Blanc. Grâce à un coup surprenant,
il peut tuer tout le groupe Blanc mais le terme « surprenant » est
peut-être exagéré. En réalité, ce problème n ^st pas très difficile.
Problème 6
D ia .19. Noir joue et capture les huit pierres blanches à gauche.
Si vous avez trouvé le prol)lème précédent, celui-là ne devrait pré­
senter aucune difficulté.

Dia.18 : Problème 5
l(i( ) CHAPITRE 10. TESUJI

Problème 7
Dia. 20. Noir joue. Il y a beaucoup de fail>lesses à exploiter dans
le territoire de Blanc, mais rien de très compliqué. On pourrait
même dire que c5est un problème facile.

Problème 8
Dia. 2 1 .Noir joue et trouve le meilleur yose. Ce problème fait
intervenir un A:ô, mais la solution n ^st pas Noir a, Blanc b, Noir c,
car si Noir joue a, Blanc répondra en c.

Solutions des problèmes


Dia. 22. Problème 3. Si Blanc répond a au coup 5, Noir joue b
et capture trois pierres avec une prise en retour. Et si Blanc répond
c à la place, Noir fait atari en a et Blanc ne peut pas connecter.
Dia. 23. Problème 4- Après Noir 1 et Noir 3, Blanc a une forme
morte de « quatre courbé dans le coin ». Attention, ce n ^st pas un
seki. Noir peut même se permettre de jouer ailleurs après Blanc 4
car Blanc est déjà mort.

Dia. 22 Dia. 23
10.1• LA PRISE EN RETOUR 161

Dia. 24. Problème 5. Noir avance en 1 . Si Blanc connecte en 2,


Noir 3 le tue. Si Noir joue a mécaniquement, Blanc 1 vit.
Dia. 25. Problème 6. Noir 1 est le bon coup, et il n 5y a rien à
dire de plus. Pourtant ce tesuji semble difficile à trouver en cours
de partie. La plupart des amateurs auraient joué en a.

Dia. 26. Problème 7. La séquence 1-9 aboutit à un désastre pour


Blanc. Il aurait du jouer 2 en 5 ou tenter un ko en jouant a à la
place de 4, mais ces deux résultats sont eux aussi bons pour Noir.
Dia. 27. Problème 8. Noir 1 , une prise en étau, est le coup cor­
rect. Si Blanc joue en 2, Noir joue un ko en 3. Tout le monde s5est
déjà fait avoir deux ou trois fois en jouant Blanc 2 en 3, auquel Noir
répond en a, Blanc 2, Noir b, et Blanc est capturé avec une prise
en retour.
162 CHAPITRE 10. TESUJI

10.2 Exploiter le manque de libertés


En japonais, on appelle parfois ce tesuji « ton-ton » ou « bata-
bata ». Les débutants rapprennent facilement, mais les joueurs forts
ne devraient pas pour autant s^n désintéresser. On lui trouve des
applications avancées et je pense que même les joueurs forts gagne­
ront à lire ce qui suit.

D ia .1 . Noir joue. Peut-il capturer les trois pierres blanches?


Ce problème est le plus élémentaire des prol)lèmes élémentaires, et
pourtant un brin de négligence suffit à commettre une bourde. On
ne peut pas compenser un manque de rigueur par d^utres qualités.
Dia. 2. Noir jette une pierre en 1 .Blanc connecte en 2. Noir laisse
échapper un gémissement, mais il est trop tard. Ici commence une
dispute : « Laisse-moi reprendre ce coup. — Reprendre ton coup ?
Tu n5y penses pas ! » La faute appartient toujours à celui qui veut
reprendre son coup.
Pourquoi certains joueurs commettent-ils des erreurs d ’inatten-
tion telles que Noir 1 , alors qu’elles sont si faciles à éviter? Par
excès de confiance en eux : « Comment pourrais-je me tromper
ici? » C’est avec ce genre de raisonnement qu’on tombe dans les
erreurs les plus inattendues. Ils font des jugements hâtifs : « Il me
suffit de sacrifier une pierre en 1 , et Blanc est capturé. » Ils ne
prennent pas le temps de réfléchir. Comme le dit le proverbe : « le
lion ne se ménage jamais, même quand il chasse le lapin. »
Dia. 3. Noir doit d^bord sacrifier une pierre en 1 , puis en 3,
et enfin il descend patiemment en 5, et Blanc est capturé. C’est
la bonne réponse. Pour les débutants, notez que Blanc ne pourra
connecter à cause de la faiblesse en a.
10.2. EXPLOITER LE MANQUE DE LIBERTÉS 163

Dia. 4. Problème : Noir doit sauver ses pierres en capturant celles


de Blanc. Il est complètement enfermé derrière les lignes ennemies,
mais il est encore trop tôt pour perdre espoir : il y a un tesuji qui
tire parti du manque de libertés de Blanc.

Dia. 5. Cette séquence est un fiasco. Noir ne lit rien du tout.


Dia. 6. Correct. Noir joue la séquence de 1 à 9. Si Blanc connecte
en 10, Noir fait atari juste au-dessus de 6. Si Ton compte la
connexion puis Vatari^ Noir capture Blanc en onze coups. Onze
coups seulement. Sauriez-vous lire cette séquence sans poser de
pierres? Sinon, il vaut peut-être mieux ne pas jouer Noir 1 . Mais
ne renoncez pas. Lisez !
« Quoi ? Me faire lire onze coups ! Mais comment le pourrais-
je? » Celui qui dit cela est 15e kyu. « Un 15e kyu? Même un 20e
kyu peut lire onze coups. Un débutant venant à peine d ’apprendre
les règles peut lire un shichô de trente ou quarante coups. » On
peut difficilement imaginer une séquence qui contienne aussi peu
de variations que celle-ci. C ^st donc une occasion idéale pour com­
mencer à s^ntraîner. Lisez cette séquence, elle ne se lira pas toute
seule. Lisez-là, visualisez la position finale, et savourez le plaisir de
constater que vous savez lire onze coups à Tavance. Et en prenant
confiance en vous, vous progresserez.
Mil CHAPITRE 10. TESUJI

Vous connaissez maintenant la réponse, mais revenez au Dia. 4


et entraînez vous à lire ces onze coups une fois de plus. Et quand
vous y parviendrez, lisez les problèmes qui suivent de la même ma­
nière. Résolvez-les par vous-mêmes avant de regarder les solutions.
Problèmes avancés
Voici maintenant une sélection de prol^lèmes particulièrement diffi­
ciles et plus tordus que précéderninent. Certains de mes lecteurs les
trouveront peut-être trop ardus.

Dia. 7 Dia. 8
Problème 1
Dia. 7. Noir joue. Peut-il capturer les cinq pierres blanches ?
Problème 2
Dia. 8. Noir joue et capture les pierres A en plus des trois pierres
du coin.
Problème 3
Dia. 9. Noir joue et vit.
Problème 4
D ia .10. Noir joue. Peut-il capturer les quatre pierres blanches?

Dia. 9
Dia.10
10.2. EXPLOITER LE MANQUE DE LIBERTÉS 165

D ia.11 D ia.12

Solution du problème 1
Dia. i l . Le liane en 1 est une erreur. Blanc connecte en 2 et
cY'st fini. Noir ne peut plus rien faire.
D ia .12. Par conséquent, Noir doit commencer par le sacrifice
en 1 .On ne peut pas s’attendre à a ttrapper de poisson sans appât.
LVippât, c^st Noir 1 ,et Blanc y mord avec 2. Ce qui est bien avec les
pierres de go, c^st qi^à la différence des poissons, elles ne peuvent
pas se sauver en refusant, do mordre à riiameçon. En revanche, elles
sont, coniine le poisson dans le sens que si Tappât n ^st pas le bon,
on ne les attrappe jamais.
Ensuite, Noir descend méthodiquement en 3. Il s’attend à ce
que Blanc conecte en 6 à la place de 4, auquel cas Noir a capture­
rait Blanc à cause crun maiKiue de libertés, mais ce raisonnement
est liâtif. Blanc contre-attaque avec 4, et après Téchange 5-6, Noir
découvre avec dépit que c7est lui qui manque de libertés.
Ca ne va pas. Noir a un coup bien meilleur que 3. Il y a peu de
possibilités donc vous devriez le trouver à présent, mais il se peut
aussi que la solution soit cachée par un de vos points aveugles.
D ia .13. (correct) La bonne ré­
ponse est le coup Noir 3. Elle
peut être difficile à trouver. Blanc
connecte en 4 et Noir 5 lance un
kô. « Un kô? Vous voulez dire que
Noir ne peut pas capturer Blanc
sans condition? » S’il le pouvait,
je serais heureux d^pprendre com-
ment. D ia.13
166 CHAPITRE 10. TESUJI

Dia.14 Dia.15
Solution du problème 2
D ia .14. Les coups 1 et 3 ne mènent nulle part. Un tel manque
de planification s^pparente selon moi au délit de négligence. Noir
doit corriger ses mauvaises habitudes sans quoi il ne progressera
jamais.
D ia .15. Un résultat semt^lable au diagramme précédent.
« Regardez : je suis nul. N^st-il pas vrai quMl ne faut pas ap­
prendre trop tôt les tactiques avancées ? Je ne pourrai jamais jouer
de tesujis. » On ne peut pas progresser avec une telle mentalité.
D ia .16. (correct) Le coup 1 est un
éclair de génie, une variante de la prise
en étau. Il faut ensuite lire la suite
de la séquence qui aboutit à la cap­
ture de Blanc, mais vous devriez être

tTTTTT
fier devoir ne serait-ce que pensé à
un coui) aussi astucieux. Cette posi-
tion apparaît fréquemment en partie. Dia.16
De temps à autre, oubliez les coups
vulgaires tels que ceux des diagrammes 14 et 15 et essayez de trou­
ver des coups élégants comme celui-ci. Qi^est-ce qu^in tesuji7 Noir
1 en est un parfait exemple.

Dia.17 Dia.18
10.2. EXPLOITER LE MANQUE DE LIBERTÉS 167

D ia .17. Et quelle est la continuation? Blanc 2 et les coups qui


suivent sont forcés. Accepter de sacrifier deux pierres en jouant 5
est une éventualité que les novices oublient de considérer.
D ia .18. Ensuite, Noir sacrifie une pierre supplémentaire et finit
de capturer avec 3.

Solution du problème 3
D ia .19. Noir 1 ne marche pas. On dirait que Noir obtient un
seki avec la séquence 1 7 , niais Blanc 8 tue le groupe Noir.
Dia. 20. Ce coup 1 est correct, mais la continuation n ^st pas la
bonne, et Noir meurt encore de ne pas avoir lu assez loin.

Dia. 21 Dia. 22

Dia. 2 1 .(correct) La différence avec la séquence précédente se


situe au coup 5. Pour trouver ce coup, Noir doit mettre de côté Tidée
quMl lui faut nécessairement couper la pierre 4 et envisager de laisser
Blanc se connecter en 6 pour pouvoir le capturer en grand avec le
coup suivant. Noir sacrifie une pierre en 7, et Blanc est capturé. En
capturant trois pierres, Noir fait son second œil.
Dia. 22. Cette variation aboutit à un résultat semblable.
168 CHAPITRE 10. TESUJI

Solution du problème 4
Dia. 23. Noir se jette sur Pennemi avec le hane en 1 . Si Blanc
joue en 2, Noir 5 sonne le glas pour les quatre pierres blanches.
Dia. 24. Et si Blanc joue 2 ici, il perd encore. Notez que Noir
ne doit pas jouer 5 en a. Cela ferait gagner une liberté à Blanc.

Dia. 25. C5est encore la même histoire si Blanc joue ce coup 2.


A partir de là, on est en droit de penser que le coup Noir 1 capture
les quatre pierres, et c5est ce que je croyais. Pourtant, ...
Dia. 26. Blanc peut sauver ses pierres avec ce coup 2. Si Noir
joue le coup 3 en 4, Blanc se connecte par en dessous avec le coup
a. Finalement, la réponse à ce problème est que Noir ne peut pas
capturer les pierres blanches. Pardonnez-moi pour cette gaffe.
10.3. LE SH IC H O EN SPIRALE 169

10.3 Le sh ichô en spirale


Un rien suffit à détourner l’attention d ’un bébé. Un petit objet
qui tourne ou qui se balance fait TafFaire. Utiliser la même astuce
pour surprendre un adversaire est un des plaisirs du go que même les
débutants peuvent apprécier. Voici un exemple de cette technique,
vous apprendrez le reste avec les problèmes. Une fois que vous en
aurez résolu un, vous trouverez les autres sans effort.

Dia.1 Dia. 2

D ia .1 . Noir 1 et 3 capturent la pierre de coupe blanche. La


preuve...
Dia. 2. Blanc essaie de sortir en 3 après avoir fait atari en 1 :
il tombe dans le piège que Noir lui a tendu. Noir 4 lance une ma­
nœuvre de shibori - littéralement, il essore les pierres Blanches -
pour leur donner une forme lourde et inefficace. Blanc croit un bref
instant qu’il s’est évadé, mais Noir 6 capture ses pierres. Comme
pour le tesuji de la partie précédente,
Noir doit être prêt à sacrifier une
pierre en appât, sans quoi le poisson
s’échappe.

Problème 1
Dia. 3. Noir joue et capture la
pierre de coupe A. Indice : c’est une
application directe du principe précé­
dent. Dia. 3
170 CHAPITRE 10. TESUJI

Problème 2
Dia. 4. Blanc joue. Il semble que
ses trois pierres n ^ n t aucune échappa­
toire, mais une inspection minutieuse
devrait révéler une faille dans la posi­
tion Noire.

Dia. 4

Problème 3
Dia. 5. Noir joue et capture les i>ierres A. On peut rapidement
s’embourber dans ce problème si l’on ne connaît pas le

Problème 4
Dia. 6. Noir joue et capture la pierre A. Dans un combat comme
celui-ci, il est facile d ’oublier quelles sont les pierres importantes.
Ici, la pierre importante est la pierre A car elle coupe Noir en deux
groupes. La capturer lui permettrait de connecter toutes ses pierres.
On ne peut donc pas se satisfaire de Noir a, Blanc b, Noir c.

Dia. 5 Dia. 6
10.3. LE SHICHO EN SPIRALE 171

Problème 5
Dia. 7. Noir joue et capture les pierres A.
Problème 6
Dia. 8. Noir joue et connecte ses groupes. Ce problème n 5est pas
évident à première vue. On perd facilement de vue Tobjectif qui est
seulement de connecter ses groupes. Lisez cette séquence lentement
et sûrement et vous y parviendrez.

Solution du problème 1
Dia. 9. Cette tentative (renfermement échoue rapidement. Après
Noir 1 , Blanc 2, Noir 3, Blanc 4, Noir est capturé.
D i a .10. (correct) La solution utilise à la fois un geta et un
shichô. C7est une coml)inaison des deux techniques élémentaires de
capture. Capturer les pierres de coupe avec un shichô classique en
jouant Noir 3 en 4 n5est pas suffisant même si le shichô est bon pour
lui. Noir doit capturer les pierres localement. Et après Blanc 10...

Dia. 9 Dia.10
172 CHAPITRE 10. TESUJI

D ia .1 1 .Noir 1 et 3 terminent le
travail. Le jour où vous trouverez ce
genre de séquence dans vos parties, je
vous promets que vous y éprouverez
un plaisir immense.

Solution du problème 2
D ia .12. Jouer au hasard des coups
qui ont Fair tesuji comme le coup 1 ne
Dia.11 mène nulle part. Après Noir 6, Blanc
ne peut plus rien faire.

Dia.12 Dia.13

D ia .13. Si Blanc connecte aveuglé­


ment en 3 parce que sa pierre est en
atari, il gâche Tidée initiale 1 qui était
pourtant correcte.
D ia .14. (correct) Blanc coupe en
1 puis en 3 et emmène Noir dans
une séquence forcée qui lui permet de
s’échapper avec brio. Si vous ne l’aviez
pas trouvée, essayez de lire cette sé­
quence jusqu5au bout au moins une
fois, juste pour éprouver la satisfaction
d’y parvenir. Plaisir => Assurance 4 Dia.14. 〇 connecte en ①
Progrès.
10.3. LE SH IC H O EN SPIRALE 173

Solution du problème 3
D ia .15. (correct) Noir 1 est le seul
coup. Le plus difficile est de lire la
suite de la séquence. La réponse Blanc
2 est la plus facile à lire. La forme que
Ton obtient après la séquence 3-7 mé­
rite d ^tre connue. Cette forme est ap­
pelée le « nid de grue ».
D ia .16. La question se complique
quand Blanc répond avec 2. Noir fait
faire un pâté à Blanc avec la séquence
de 3 à 8, mais s’il perd un temps à
connecter en 9, Blanc s’échappe avec
le coup lü. Noir doit persévérer.
D ia .17. Noir joue le geta en 1 ,Tenferme solidement, et le balade
avec la séquence jusqu^ 15. Le plaisir que cette séquence me procure
est à peine supportable. Cette séquence comporte vingt-trois coups,
mais aucune variation. Revenez au Dia. 5 et entraînez-vous à la
lire une fois de plus.

D ia .l ô .⑥ connecte en 〇 Dia.1了.⑧ connecte en ©

. « craned nest » dans la littérature anglophone.


174 CHAPITRE 10. TESUJI

Solution du problème 4

D ia .18. Forcer Blanc à connecter une pierre sans importance à


la pierre importante pour alourdir le tout n’est pas une mauvaise
idée en soi. Mais ici, Noir avait un moyen de capturer la pierre
importante (la pierre A) et tout le reste est voue a Téchec.
D ia .19. Noir commet une erreur
en tentant de capturer Blanc en 5たi-
chô. Attention, Noir ! Le shichô ne
marche pas ! Même un débutant voit
que Noir court à sa perte s5il continue
de pousser ce shichô.
Dia. 20. (correct) Noir joue 1 et 3
pour lancer un shibori^ puis capture
avec un shichô en spirale. Lisez avec
précision l’ensemble de la séquence
jusqu’à 2 1 .Il ne suffit pas de vérifier
approximativement quelle marche.
10.3. LE SH IC H O EN SPIRALE 175

Solution du problème 5

Dia. 21

Dia. 2 1 .Si Noir joue 1 et 3 et commence à réfléchir mainte­


nant, il est déjà trop tard. De nombreux joueurs jouent aveuglément
ces coups qui leur semblent être la seule séquence envisageable et
finissent par un « Aïe, ça ne marche pas ! ». Mais pourquoi ne
prennent-ils pas le temps de prévoir les séquences qu5ils jouent ?
Dia. 22. (correct) Si Blanc répond au geta 3 avec ce coup 4, Noir
écrase les pierres blanches et les emmène sur le bord avec les coups
5 et 7.
Dia. 23. Et si Blanc sort avec
4 , la séquence 5-9 aboutit à une
version plus grande de la forme du
« nid de grue ».
Le tesuji du shichô en spirale
est semblable à l’essorage d ’une
serpillère dans le sens qu’on at-
trappe les pierres, qu’on les roule
en un gros boudin, puis qu’on les
essore pour en extraire ce qu’il leur
reste de vie. Que pensez-vous de la
métaphore ?
176 CHAPITRE 10. TESUJI

Solution du problème 6
Dia. 24. Noir doit couper en 1,
mais s?il lance le shibori trop tôt
avec Noir 3, c5est un échec. Certes,
les pierres blanches forment un
beau pâté, mais un pâté connecté,
et son groupe en haut est aussi
mort qu’une vieille souche.
Dia. 25. Noir joue 1 et 3 et es­
sore les pierres avec 5 et 7 - fin de
la première étape. Noir se tourne
maintenant vers la pierre A, mais
Dia. 24.⑥ en 〇,⑭ en ô
joue 9, et Blanc s’échappe avec 10
et 12. Deuxième étape ratée.
Dia. 26. (correct) C ^st ici que rentre en jeu la technique du
shichô en spirale avec les coups 1 et 3. Noir joue avec les pierres
l)lanches comme un chat avec une souris. Avez-vous lu jusque la :
Dans ces problèmes, les principes tactiques sous-jacents sont tou-
jours les mêmes, mais pour les résoudre, seule la profondeur (le
lecture compte.

Dia. 25.⑧ connecte en 0 Dia. 26. @ en 〇


10.4. JOUER AU PO INT VITAL 177

1 0 .4 J o u er au p o in t v ita l

D ia .1 .Noir joue et tue Blanc. Il peut sembler déraisonnable de


penser qu’un groupe avec sept ou huit points de territoire puisse
être tué. Pourtant, c5est possible de temps en temps. Si Noir est dé­
pourvu dMntuition pour les tesujis, difficile de savoir où commencer.
Mais s’il connaît le point vital, il peut mettre Blanc à genoux d ’un
coup. C’est un problème simple. Si vous ne voyez pas la réponse,
c^st seulement que vous ne connaissez pas encore ce point vital.
Dia. 2. Le point vital est Noir 1 . Seul ce coup tue. Après Noir
7, Blanc a une forme de « quatre courbé dans le coin » et il est
donc mort. Si Blanc joue 2 en 4 ,la séquence Noir 5, Blanc 6, Noir 7
aboutit au même résultat. Dès que Noir joue au point vital, Blanc
ne peut plus rien faire.

Dia. 3

Dia. 3. À Noir de jouer. Cette fois-ci, le groupe Blanc est beau­


coup trop grand pour qi^on puisse espérer le tuer. Mais on peut
faire beaucoup mieux que ce à quoi beaucoup d^m ateurs pensent
en premier.
178 CHAPITRE 10. TESUJI

Dia. 4. Je suppose qu,en


jouant la prise en étau en Noir
1, ces amateurs pensent que la
coupe en 2 et la connexion par
en-dessous sont mmz, ou peut-être
pensent-ils que Noir 1 est un tesuji
classique de fin de partie ? Non, on
ne peut pas vraiment parler de te­
Dia. 4
suji ici. D^illeurs, Noir finit en gote.

Dia. 5. Le hane en 1 est déjà meilleur du point de vue du y ose, et


cette fois, Noir finit sente^ mais ce résultat est un tantinet décevant.
Dia. 6. Les joueurs forts raisonnent de cette manière : « Je ne
peux probablement pas tuer le groupe Blanc, mais je vais tenter de
jouer au point vital en 1 , et on verra bien ce qui arrivera. » Et tout
d’un coup, le groupe Blanc ressent une douleur aiguë à l’estomac.

Dia. 7. La réponse 2 est la réponse classique, mais Noir, qui a lu


précisément, a prévu de répondre les coups 3 et 5. Après Noir 11,
Blanc ne peut faire atari d^ucun côté et perd donc huit pierres.
Dia. 8. Il pense donc à jouer simplement 1 ,mais le résultat reste
le même que si Blanc avait fait Vatari en 8 du Dia. 7.
10.4. JOUER AU PO INT VITAL 179

Dia. 9. Permettons à Blanc de reprendre son coup et de jouer


en 2 à la place. Devoir se soumettre avec Blanc 4 est douloureux.
Pourtant, même ce coup en apparence solide est déraisonnable. Noir
obtient au moins un seki.
Blanc a d ’autres réponses possibles mais quoi qu’il fasse, le coup
1 reste une épine dans le pied que Noir lui a enfoncée profondément
au point vital. Maintenant que vous connaissez ce point vital, vous
allez vous rendre compte avec plaisir qu’il peut être utilisé très
souvent en partie.
D ia .10. Auparavant, il vous arrivait de concéder à Blanc de
grands territoires comme celui-ci, mais maintenant que vous con­
naissez ce point vital, vous allez semer la destruction dans les terri­
toires adverses avec des coups comme 1 et 3. Que vous y parveniez
ou non, votre adversaire se demandera où vous avez appris de tels
coups.

D ia .11.Après Touverture classique 1-3-5 des parties à fort han­


dicap, il y a un jôseki qui continue avec la séquence 6-27. Si Noir
répond immédiatement en a, Blanc vit facilement. C5est le coup
que la plupart des joueurs choisiraient, alors qu5il existe un coup
très contrariant pour Blanc. Sauriez-vous trouver le coup 28 et sa
continuation ?
180 CHAPITRE 10. TESUJI

D ia .12. Noir 1 joue au point vital et laisse Blanc sans voix.


Blanc ne peut répondre que 2. Il pense alors que a et b sont miai
et qu’il est donc vivant, mais Noir répond 3. Blanc capture en 4, à la
fois soulagé et amusé de constater que son adversaire est incapable
de voir quMl s^st mis tout seul en atari. Laissons-le rire. Noir rira
le dernier.

D ia .13. Noir rejoue alors en 1 , et si Blanc capture en 2, tout le


groupe meurt avec la séquence jusqu’à 7. Alors, qui est-ce qui rit
maintenant ?
D ia .14. Blanc doit répondre en 2 pour jouer un kô. C ^st un kô
à sens unique où Noir n 5a rien à perdre. Noir est content de laisser
Blanc jouer deux coups où il veut en échange de ce kô. Blanc est
médusé ; même dans ses pires cauchemars, Noir ne joue jamais des
coups comme Noir 1.
10.4. JOUER AU PO INT VITAL 181

4

>
b -< 3 d (l)

< > -

Dia.15

D ia .15. Voici une position qui peut arriver dans une partie à
égalité. Noir répond au coup 1 en jouant un coup bas et solide parce
qu^l veut garder la menace de coupe en a. Par exemple, si Blanc
joue b, Noir jouera en a immédiatement. Après Blanc c, Noir d,
Blanc e et Noir f , le combat sera favorable à Noir.

Dia.16 Dia.17

Dia. lt>. Blanc n’a pas envie de défendre en 1 car après l’échange
2-3, Noir peut prendre l’initiative et jouer ailleurs.
D ia .17. Ce coup Blanc 1 n ^st pas passionnant non plus pour les
mêmes raisons. Alors, que peut faire Blanc pour protéger la coupe ?
182 CHAPITRE 10. TESUJI

Dia.18 Dia.19

D ia .18. En jouant le point v ita l1 , Blanc teste la réaction de


son adversaire. S’il répond en 2, Blanc peut protéger la coupe a en
sente avec le coup 3.
D ia .19. Et si Noir répond en 2 ici, Blanc protège avec ce coup
3. Le coup Blanc 1 est un sacrifice.
Jouer ce point vital n^st pas toujours une lionne idée car il ren­
force Noir considéral)lement. Parfois c^st un l)〇n coup et parfois
le sacrifice n’est pas nécessaire. C’est un peu comme au baseball
(juand il y a déjà un courcMir en première base alors qi^un batteur
précédent a déjà été éliminé et que le batteur hésite entre se sacri­
fier eii jouant un amorti pour pennetti.e mi œiirem. (l’avancer en
seconde base ou de frapper la balle au loin et de courir lui aussi.

Dia. 20

Dia. 20. Blanc ne peut pas se permettre de sauver la pierre de


sacrifice à la place du coup 3 du D ia .18. Noir serait trop content
d’enfenner Blanc et de couper les deux pierres du centre.
10.4. JOUER AU PO INT VITAL 183

Dia. 21 Dia. 22

Problème 1
Dia. 2 1 .Noir joue. Corninent faire vivre les pierres du coin?
Oubliez les coups a et b : ce sont des coups de débutants. Noir c
est un peu plus élaboré, mais Blanc répond en d, Noir e, Blanc a
et Noir est mort.

Problème 2
Dia. 22. Noir joue et vit. Noir a et Noir b ne donnent rien.

Problème 3
Dia. 23. Noir joue et vit dans le
coin. Cette forme en « L » ne suffit
pas pour faire deux yeux. Il doit donc
exploiter les faiblesses des pierres qui
Tentourent. Les ataris en a ou en b ne
marchent pas. Noir c ressemble à un
tesuji^ mais il y a mieux.
184 CHAPITRE 10. TESUJI

Solution du problème 1
Dia. 24. Noir joue au point vital. Blanc n?a pas de meilleure
réponse que le coup 2. Noir pas le temps de connecter en a,
mais il est vivant.

Solution du problème 2
Dia. 25. Noir joue encore au point vital. Blanc peut tenter de
résister avec le coup 2, mais Noir sacrifie habilement trois pierres
pour faire un œil en sente avec 9 puis vit avec 11.

Solution du problème 3
Dia. 26. Toujours le point vital. La
résistance de Blanc en 2 est futile :
les coups 3 et 5 capturent le groupe
entier. Les autres réponses possibles
pour Blanc 2 laissent Noir vivre en
capturant quelques pierres.

Dia 26
10.5. L E T S U K E 185

10.5 Le tsuke
On appelle tsuke (prononcer tsou-ké) un coup qui est joué au
contact d ’une pierre adverse mais qui ne touche aucune pierre amie.
Les tesujis à base de coups au contact sont fréquents et ils vous
seront très utiles en partie.

Dia.1 Dia. 2

D ia .1 . La séquence de 1 à 11 constitue un jôseki bien connu.


Intéressons-nous à ce qui se passe après. Peu dOuvrages parlent de
ce que Ton peut jouer après un jôseki^ alors chacun joue comme il
le sent, mais pas toujours à bon escient.
Dia. 2. Stop ! Trop de joueurs poussent avec Noir 1 ,en pensant
qi^un coup sente est donc un coup gratuit. Beaucoup ne prennent
pas le temps de considérer ce que Téchange leur apporte et ce qu^l
leur coûte, comme si leur main était animée par un désir subcons­
cient et quMls jouaient en 1 sans prendre conscience de ce qui leur
arrive. Cet échange est mauvais pour Noir pour trois raisons :
1 . Noir pousse en retard.
2. Blanc se consolide.
3. Noir gâche des opportunités.
Pour progresser au go, il vous faut apprendre à contrôler les pul­
sions qui vous font jouer des coups comme le coup 1 .Bref, éliminez
ces coups de votre vocabulaire.
Dia. 3. (page suivante) Si Noir veut un mur extérieur, il devrait
au moins sauter en tobi pour passer devant Blanc afin que Blanc
soit celui qui pousse en retard. Du point de vue de la lutte pour
passer en tête, Noir 1 est un bon coup.
186 CHAPITRE 10. TESUJI

Dia. 4. Si Noir est très solide sur le bord du haut, il peut en­
visager de prendre d^ssaut le bord droit avec le tsuke 1 . Si Blanc
traverse en 2, Noir tourne en 3. Avec 5, Noir obtient rapidement
une position acceptable.
Si Blanc joue 2 en a, Noir est plus que satisfait de jouer 4,
Blanc b, Noir 2, Blanc 3 et Noir c.

Dia. 5. Noir peut aussi jouer une approche un peu plus lointaine
avec le coup 1 .Si Blanc joue 2, Noir a un joli tsuke en 3. Vous voyez
pourquoi il marche?
Dia. 6. La séquence de 1 à 8 peut apparaître dans une partie à
égalité. Intéressons-nous au coup suivant.
Dia. 7. (page suivante) Blanc n ’a pas de bonne réponse contre le
tsuke 1 .S5il coupe en 2, il devra connecter en 4, et après 7 ,la pierre
A est idéalement placée sur le point vital de la forme blanche. C’est
un excellent résultat pour Noir.
10.5. L E T S U K E 187

Dia. 7

Dia. 8. Si Blanc joue ce coup 2, Noir recule en 3. Blanc 4 et


Blanc 6 occupent des points neutres alors que les pierres noires
sont idéalement placées pour Tattaque comme pour la défense. Noir
enchaîne les bons coups et obtient un très bon résultat.

Dia. 9. À Noir de jouer. Comment se sortir de ce mauvais pas?


En général, dans ce genre de position, on saute en a. Ici, Noir peut
tirer parti des faiblesses de la forme blanche pour améliorer sa po­
sition localement.
D ia .10. Pourquoi ne pas menacer de couper en 1? Blanc répond
en 2, et quand Blanc joue 4 - c’est aussi une menace de coupe -
il devient clair que le coup 3 était un mauvais coup. Contraint à
perdre Tinitiative en jouant 5, Noir va au devant de gros ennuis sur
son groupe du bord droit.
188 CHAPITRE 10. TESUJI

Dia.11

D ia .11.Le tsuke en 1 est un tesuji bien trouvé. Si Blanc répond


a, Noir le coupe en deux en sente avec la séquence Noir b, Blanc c,
Noir d. Blanc ne peut donc pas jouer en a, ce qui signifie qu*il i^a
plus de base de vie alors que Noir est quasiment vivant.
Cela dit, il ne serait pas mauvais pour Noir de jouer 1 en f sMl
a Tintention de jouer le tsuke juste après.

D ia .12. À Noir de jouer et de faire sortir ses pierres vers le


centre avec une belle forme. Ceux qui auront reconnu une variation
du jôseki de la pince haute à deux espaces ont bien fait leurs devoirs
du soir.
D ia .13. Noir peut être d^bord tenté de faire atari en 1 pour
sortir en sente) mais il plus de bon coup après Blanc 6. On dit
que Noir 1 est un coup « grossier » ou « vulgaire ».
10.5. L E T S U K E 189

i ■
r<
_4
t!
1
n
Dia.14 Dia.15

D ia .14. En général, il est plus astucieux de faire atari dans


Pautre direction avec Noir 1 . C7est un résultat difficile à accepter
car les pierres A et 1 se retrouvent dans une position précaire, mais
c^st grâce à ce sacrifice que Noir sort joliment avec la séquence 3-9.
Vous devez apprendre à raisonner de
cette manière. Le résultat obtenu est in­
contestablement meilleur que celui du
D ia .13. Et pourtant, il y a mieux.
D ia .15. Le tsuke 1 est le tesuji. C?est
en partant de la séquence précédente
qi^on peut imaginer ce coup. Si Blanc ré­
siste en 2 , le résultat après la séquence
3 9 est fantastique pour Noir.
D i a . 16. Si Blanc choisit de jouer
hane en 2, Noir essore magnifiquement la
pierre de coupe avec la séquence 5-11, et
obtient encore un excellent résultat.
D ia .17. Revenons au jdseki du début. £
%
Compte tenu des résultats désastreux des
diagrammes précédents, Blanc refuse de
répondre au tesuji 1 et joue solidement en

2, mais Noir peut être satisfait de captu­
rer le coin en grand. Chacun a contrecarré %
le plan de l’adversaire.

Dia.17
190 CHAPITRE 10. TESUJI

Prv blême 1
D ia .18. À Noir de jouer. Il ne peut pas capturer les trois pierres
l)lanches, mais il peut au moins connecter le groupe de droite à celui
de gauche.

Problème 2
D ia .19. Noir joue. Ses trois pierres semblent perdues. Peut-il
les sauver ?

Problème 3
Dia. 20. Noir joue et envahit le coin de Blanc.

Problème 4
Dia. 2 1 .Noir joue. Comment envahir le territoire Blanc? La
séquence Noir a, Blanc b, Noir c, Blanc d, Noir e, Blanc f n ,avance
à rien.

供f
c b

Dia. 20 : Problème 3 Dia. 2 1 : Problème 4


10.5. L E T S U K E 191

Solution du problème 1
Dia. 22. Le coup 1 est le tesuji. Dans la littérature anglophone,
on Tappelle « nose tesuji » ou « nose attachment », qui peut se
traduire par « tsuke sur le nez ». Le coup 1 tape sur le nez des trois
pierres. Blanc capture deux pierres, mais Noir est connecté.
Solution du problème 2
Dia. 23. Noir s^chappe avec un autre tsuke sur le nez. Si Blanc
joue 2 en 5, alors Noir 4, Blanc 3, et Noir a.
Solution du problème 3
Dia. 24. Noir joue le tsuke en 1 ,vit avec la séquence jusqu^ 15,
et Blanc se retrouve avec un groupe sans yeux ni territoire. Cette
position arrive fréquemment en partie.

Solution du problème 4
Dia. 25. Le coup 1 est un tesuji d^ n e rare beauté. Les variations
sont nombreuses, mais vous pouvez vérifier que dans chacune d ’elles,
Noir vit dans le coin ou parvient à pénétrer dans le territoire Blanc
en se connectant à A.

Dia. 24 Dia. 25
192 CHAPITRE 10. TESUJI

10.6 Le jeu sous les pierres


Le « jeu sous les pierres » consiste à rejouer dans le vide créé
par la capture de pierres sacrifiées. Il s’agit assurément de la plus
élaborée de toutes les techniques de sacrifice. Ce tesuji trouve peu
d 5applications pratiques et il figure au rayon des curiosités parmi les
bizarreries qu’il faut s’attendre à rencontrer de temps en temps en
partie. J Espère que vous trouverez ce tesuji intéressant ou amusant
à défaut de Tutiliser régulièrement.

D ia .1 .Noir joue et vit. Si Noir a, alors Blanc b tue.


Dia. 2. Cela peut sembler incroyable, mais la bonne réponse
est Noir 1 . Blanc joue 2 et 4, sacrifie les deux pierres et rejoue à
l’intérieur.
Dia. 3. Blanc 6, Noir 7, Blanc 8, et Noir est mort. Cette séquence
n’admet pas de variation, semble-t-il. Ce qui est amusant, c’est que
cette séquence en apparence limpide est erronée.
Dia. 4. Le coup Noir 7 du
diagramme précédent semblait
naturel, et pourtant ce Noir 7
est meilleur. Blanc joue 8 et
capture quatre pierres, mais ce
n’est pas fini pour autant. Il
faut lire plus loin.
Dia. 5. La position en est
là, et Noir vit tout simplement
en coupant en 9. Si ces coups
sont difficiles à imaginer, c’est qu’on visualise mal la forme résultant
de la capture de pierres.
10.6• LE JEU SOUS LES PIERRES 193

Dia. 6. Noir joue et tue.


Dia. 7. Noir 1 est correct. Blanc résiste avec la séquence de 2 à
6, mais le coup 7 prépare le terrain pour un tesuji sous les pierres.
Ne croyez pas qu^l suffise de capturer quatre pierres en ligne pour
vivre. Noir recoupe en 5 et Blanc meurt.

Dia. 8 Dia. 9

Dia. 8. Noir joue et tue. Blanc 1 est un coup astucieux, mais


Noir peut toujours tuer Blanc à condition de lire avec precision.
Dia. 9. Noir s’imagine-t-il qu’il suffit de connecter en 1 pour
tuer? Blanc vit facilement en jouant 2 et 4.
D ia .10. Il ne reste donc que 1.
On peut espérer que Noir joue ce
coup non pas parce qu5il ne reste que
celui-là, mais plutôt parce qu’il a lu
la suite jusqu^u bout. Noir 1 est cor­
rect et Noir 3 capture deux pierres ...
Dia.10
194 CHAPITRE 10. TESUJI

Dia.11.⑤ capture en ①

D ia .1 1 .Blanc replonge en 1 et jul^ile alors qi^il capture six


pierres avec le coup 5. Sa victoire semble être sans appel.
D ia .12. Mais Noir coupe « sous les pierres » en 1 et Blanc ne
peut plus faire deux yeux. Le cri de joie du diagramme précédent
sonne tout à coup comme le chant du cygne avant la mort.

Dia.13 Dia.14

D ia .13. Noir joue et tue (ce problème-ci est une œuvre originale
de T. Kagevama). Blanc a plus d ^ n tour dans son sac, donc Noir
ne peut pas se permettre de commencer n^mporte où.
D ia .14. Noir 1 ne marche pas. Noir gagne la course aux libertés
et efface six pierres blanches du goban, mais...
10.6. LE JEU SOUS LES PIERRES 195

Dia.15 Dia.16

D ia .15. Blanc recoupe en 1 et capture sept pierres noires. Le


diagramme suivant montre le résultat de cette série de captures.
D ia.1b. Avec cette forme, Blanc ne peut pas mourir. Il est vi­
vant, et ce n^st donc pas la solution du problème. Cette variation
devenait difficile à visualiser avec toutes ces captures et recaptures,
donc je voulais m ^n débarasser en premier.

Dia.17 Dia.18

D ia . 17. Le coup 1 est correct. Cette fois, c5est Blanc qui gagne la
premiere bataille en capturant six pierres, mais dans Tespace laissé
vide ...
D ia .18. Non, Noir, pas ici! Noir
a joué trop vite. Comme dit le pro­
verbe, « Qui va lentement va sûre­
ment ». Blanc vit en 2 et Noir doit
se contenter de quatre pierres.
D i a . 19. Voilà qui est mieux.
Maintenant, Blanc est mort.
Dia.19
196 CHAPITRE 10. TESUJI

Dia. 20. À Noir de jouer. Que peut-il faire? Noir voudrait, tuer
Blanc, mais ce ne sera pas facile. La pierre A est pénible.
Dia. 2 1 .Noir joue 1 et 3 avec l'intention de sacrifier les quatre
pierres pour recapturer sous les pierres. L’approche Blanc 4 est
normale, mais c’est une erreur. Après Blanc 8, Noir recapture les
trois pierres en jouant sous les pierres juste au-dessous de 3, et
Blanc meurt.

Dia. 22•⑤ prend le /cô en ① Dia. 23

Dia. 22. Au lieu du coup 4 du diagramme précédent, la seule


solution pour Blanc est de sacrifier une pierre en 1 et de déclencher
un ko. Si Noir refuse de jouer le ko avec Tintent ion de se laisser
capturer puis de jouer sous les pierres...
Dia. 23. Alors à la différence du Dia.21, Blanc vit. Donc, Noir
n 5a pas le choix et doit jouer le ko (Noir doit prendre le A;ô en 2 à
la place de 6 dans le Dia. 22). C’est la solution du problème.
F in d e p a r tie

Nous approchons iiiaintenant de la fin de cet ouvrage. Il est


donc temps de s^ttaquer au yose. On a toujours tendance à gar­
der ce sujet pour la fin et donc à le traiter sommairement, comme
si la technique du yose devait s’apprendre sur le tas, comme s’il
n o tait pas utile (rétudier spécifiquement la fin de partie. Pourtant,
quand je vois Timportance du yose dans le résultat d 5une partie, je
me dis qiril mériterait qir 〇n le traite de manière approfondie. Au
minimum, chacun devrait apprendre la valeur des coups les plus
classiques et surtout comprendre Timportance de Pinitiative.
D ia .1 . (page suivante) Dans cette partie à cinc^ pierres de han­
dicap, tous les groupes sont désormais stables : le yose peut com­
mencer. De plus, Blanc et Noir sont à peu près aussi solides Tun
que Tautre, donc seule la taille des territoires compte. À peu de
choses près, Noir contrôle soixante-dix points de territoire alors que
Blanc en a environ cinquante. Noir est clairement en avance, mais
sachant que c^st une partie à cinq pierres de handicap, on peut
dire que Blanc a ses chances. Peut-être que la différence de niveau
entre les deux joueurs explique à elle seule la remontée fulgurante
de Blanc dans les coups à venir. Quoi qu’il en soit, je vous souhaite
de ne pas jouer des coups aussi lamentables que ceux de Noir dans
le diagramme qui suit. Celui-ci vraisemblablement même pas
conscience qu’il commet des erreurs.

197
198 CHAPITRE IL FIN DE PARTIE

Dia. 2
199

Dia. 2. Recomptons le score après les coups 1 à 38. C5est difficile


à croire, mais Noir est passé à soixante points, et Blanc à soixante-
dix. Noir a perdu trente points et Blanc a réussi à renverser la
partie.
Ce qui est tragique, c’est que Noir n’a pas conscience des erreurs
qu’il a commises. On comprend pourquoi Noir préfère protéger son
coin avec 2, sans quoi Blanc envahirait le coin et le groupe Noir
ndurait plus deux yeux localement. Mais pourquoi Noir répond-il
à Blanc en 4, 6 ,1 4 et 16? Comme s’il était son serviteur, Noir
répond docilement à tous les coups de Blanc.

Dia. 3
Dia. 3. Voila comment Noir aurait dû jouer. Quand Blanc joue
le kosumi en 3, Noir doit faire de même en 4 dans le coin en haut
à gauche. Si Blanc saute en 5, Noir fait de même en 6 : « œil pour
œil, dent pour dent. »
C’est ainsi qu’il devrait jouer, mais quand Blanc joue en 3, Noir
a peur de perdre le territoire du bord droit qu’il avait jusqu’ici
soigneusement défendu. Il pense qu7il ne peut pas se permettre de
laisser Blanc envahir en 5. Et donc il défend. Et comme il défend,
Blanc peut se payer le luxe de jouer en 4.
200 CHAPITRE IL FIN DE PARTIE

Noir : « Dès le début du Blanc prend l’initiative, et je n’ai


jamais le temps de faire quoi que ce soit. »
Vous reconnaissez-vous dans cette remarque ? « Les joueurs forts
sont prompts à faire tenuki », dit le proverbe. Noir, si c^st un joueur
fort, doit donc prendre Tinitiative et jouer les coups 4 et 6 du Dia. 3.
Si Blanc répond au coup 4 en a, Noir peut alors revenir en b. Ainsi,
il gagne sur les deux tableaux.
De la même manière, Noir pas besoin de répondre aux coups
Blanc 13 et Blanc 15 du Dia. 2. La raison pour laquelle il répond
systématiquement aux coups de Blanc est qi^il a les yeux rivés sur la
zone où Blanc vient de jouer. Il doit apprendre à regarder Tensemble
du goban, à envisager dMgnorer les coups de son adversaire tant que
les conséquences ne sont pas trop graves.

Dia. 4. Comparons ce qui se passe selon que Blanc ou Noir joue


en premier dans la zone. Ici, Blanc joue 1 et garde le sente.
Dia. 5. Ici, Noir joue 1 en sente lui aussi. On peut compter une
différence de six points entre ces deux diagrammes. Si Noir répond
docilement à Blanc en cinq endroits de ce type, il perd 6 x 5 = 30
points.
On peut savoir tout cela et perdre malgré tout la bataille psy­
chologique. Une fois que Ton se sait en avance, on devient natu­
rellement plus prudent et plus timide. C ^st ainsi que Tadversaire
rattrappe son retard. On ne cesse de défendre et l’instant d ’après ,
l’avance s’est envolée. C,est ce qui s’est passé dans le Dia. 2, et ce
qui se passe régulièrement sur tous les gobans du monde.
201

Dia. 6 Dia. 7

Dia. 6. Le coin en haut à droite.


Dia. 7. Le coin en bas à gauche. Prenons ces deux positions
ensemble. Quand Blanc joue 1 dans le Dia. 7 , le coup correct est le
coup 2 du Dia. 6. Les coups 1 et 2 sont les points les plus importants
du gol)an et Noir perdra ces deux points sMl se défend contre Blanc
1 . Noir doit se dire : « Suis ta route et je suivrai la mienne ».
Supposons que Blanc réponde en a après le coup Noir 2. Alors
Noir pourrait répondre au coup initial de Blanc en bas à gauche.
Blanc ne ferait jamais quelque chose d^ussi ridicule. Et bien Noir
doit prendre conscience que répondre au coup 1 de Blanc en jouant
b est tout aussi ridicule.
En revanche, Noir doit répondre à Blanc 3. S5il ignore ce coup,
c5est tout son groupe qui sera menacé et qui devra chercher des yeux
dans le centre. Après Noir 6, a et b sont miai. Il est aussi important
de défendre quand c’est nécessaire que de ne pas défendre quand
on peut s’en passer.
Dia. 8. Le hane 1 et la con­
nexion 3 sont souvent des coups im­
portants en fin de partie. Plus tard,
quand Noir jouera hane en a, Blanc
ne pourra pas bloquer en b. Sinon,
il risque un ko avec Noir c. Blanc
va donc généralement reculer en c,
suivi de Noir b, Blanc d, Noir e et
Blanc f.
Dia. 9. (page suivante) On peut dire la même chose des coups
1 et 3. La différence entre ces deux diagrammes est de quatorze
points, ce qui est assez gros. Pour arriver à cette valeur, il suffit
202 CHAPITRE IL FIN DE PARTIE

de compter de combien de points les territoires sont agrandis ou


réduits. Ici, on compte sept points de chaque côté, pour un total
de quatorze. Si les professionnels ignorent des coups en apparence
très gros au centre du goban et leur préfèrent des coups sur les
bords ,c’est parce que c’est généralement là qu’on trouve les plus
gros coups. Par exemple, le coup 1 du D ia .lü vaut douze points.
Le coup 1 du Dia. 8 est plus gros.
Les diagrammes 8, 9 et 10 ne montraient que des coups gote
pour les deux joueurs, mais dans le yose^ les coups sente passent en
premier. Ceux qui adorent les grosses captures coininc le coup 1 du
D ia .10 seront peut-être déçus de l’apprendre.

D ia .1 1 .(quatre points double sente) Le haut 1 et la connexion


3 sur le bord sont des coups que Ton peut jouer même en milieu
de partie. À condition que le coup Blanc 4 soit suffisamment gros
pour être indispensable, Noir conserve l’initiative.
203

D ia .12. Si Blanc joue en premier en 1 et 3 et que Noir ne peut


se permettre de ne pas répondre en 4, Blanc garde l'initiative. Bref,
Noir et Blanc peuvent tous deux y jouer en 5en亡 e, et la différence est
de quatre points. La question est de savoir qui y jouera en premier.
Quatre points, cela peut sembler peu, mais c^st presque la valeur
du komi , ce qui explique pourquoi les professionnels attachent tant
dim portance à ces coups.
Tout est question de timing. En milieu de partie, Noir (ou Blanc
dans le D ia .1 1 )peuvent ne pas répondre en 2. En revanche, le yose
approchant, les deux joueurs devraient se bousculer pour être le
premier à jouer le hane.

Dia.13

D ia .13. Les coups Blanc 1 et 3, encore un hane et une connexion,


sont gote^ mais ils cachent un tesuji.
D i a .14. Le tesuji caché est la
« prise en étau^ » en 3. Si Noir
répond en 5, Blanc coupe en 6 et
c’est une catastrophe pour Noir.
Noir doit donc jouer 4 puis 6 et
Blanc conserve l’initiative. L’une
des questions récurrentes du yose
est de déterminer si ce genre de
prise en étau fonctionne ou pas.
D ia .15. Ici, la prise en étau en D ia.15
a ne marche pas car Noir peut couper en b.

*. NdT : le komi était de cinq points et demi en 1979.


f. NdT : « clamping tesuji » ou « clamp » dans la littérature anglaise
204 CHAPITRE IL FIN DE PARTIE

D ia .16. Dans cette configuration, il vaut mieux jouer les coups


1 à 6 en sente.
D ia .17. Du point de vue de Noir, la descente en 1 , bien que
gote^ est correcte. Si Blanc répond en 2, Noir aura empêché Blanc
de jouer le hane et la connexion, et ceci en sente. Et si Blanc ignore
Noir 1 , Noir peut se consoler avec le diagramme suivant.

_r
V

'少1 Z u し

\
4f ■
1 ぐ

f <

Dia.18
Dia.19

D ia .18. Noir peut jouer la glissade du singe et gagner ainsi neuf


points en sente. C ^st gros.
D ia .19. Le tsuke Blanc 1 ,suivi de Blanc 3, peut être joué très
tôt dans le yose. Ce sont de bons coups à la fois pour renforcer son
bord et pour viser la prise en étau en a. Blanc peut jouer a, Noir b,
Blanc c, Noir d en sente et même continuer en e, etc., pendant que
Noir voit son territoire se réduire comme peau de chagrin. Si Noir
répond 4 en f afin d^mpêcher cette séquence, alors Blanc aura pu
jouer les coups 1 et 3 en sente.
205


♦ • -24'22 0 ■ ♦ •

Dia. 20
Dia. 21
Dia. 20. Voici une dernière position de fin de partie. Blanc joue
1 pour éviter l’invasion Noir 1 ,bien sûr, mais…
Dia. 2 1 .... Blanc vise aussi la séquence 2, etc., qui rendrait
inutile le coup Noir 1 .Si le shichô est défavorable, Blanc peut jouer
un briseur de shichô avant 2.

Dia. 22 Dia. 23
Dia. 22. Noir 1 n ?a pas Pair très efficace, mais c5est le coup honte,
et il prépare une invasion surprise dans le coin. Même dans le yose,
il faut penser a la solidité de ses groupes. Le coup de yose idéal est
solide, sente et rapporte beaucoup de points.
Dia. 23. En tant que Noir, la plupart des joueurs choisiraient la
séquence 丄一8 qu’on ne peut pas qualifier de maladroite, mais qui
n’est pas très astucieuse non plus.
206 CHAPITRE 1 1 . FIN DE PARTIE

Dia. 24. Le coup astucieux, à condition de Tavoir lu, est le tsuke


en 3. Si Blanc résiste en 4, Noir obtient un kô gratuit et un profit
certain.
Dia. 25. Si Blanc connecte en 4, il i^a pas de bonne réponse aux
coups 5 et 7. SMI joue 4 en 5 ou en 7, Noir a capture les pierres
du coin. Et s?il joue 4 en a, Noir peut connecter par en dessous ou
obtient un kô. Noir 3 est un tesuji machiavélique, mais tellement
élégant.
U n e v icto ire con tre
le M e ijin

C o m m en taire de p a rtie : V ictoire c o n tre le M eijin

Blanc : Rin Kaiho, Meijin


Noir : Toshiro Kageyama, 6e dan
Coupe du Premier Ministre, demi-finale
Komi : 4 points l/2

Il n ’est pas concevable de s’arrêter de jouer au go après avoir


vécu une telle expérience. C’était en 1965 —laissez-moi le temps
de me replonger dans le passé. J ’avais atteint les demi-finales de la
Coupe du Premier Ministre et au cours de ces demi-finales, j ’ai
gagne une partie contre Rm Kaiho, le Meijin de Tépoque. Cette
partie bouleversa mon existence. Aujourd^iui, ce souvenir est si en­
ivrant que je me demande à quoi ressemblera ce commentaire, mais
qu’importe. Cette partie est le chef-d’œuvre d ’une vie. Poursuivez
votre lecture !
Les jours précédant cette partie, on souvent questionné sur
mon état d^sprit. Je repondai sincèrement que la question de savoir
qui allait gagner ne se posait pas ; je m’attendais à perdre, mais
j ’espérais perdre honorablement. Je n’avais cependant pas perdu
tout espoir. Jusque-là, je ne m ^n étais pas mal sorti avec Noir en
jouant une stratégie risquée du type « Je m^chappe ou je meurs »,
et je songeais que si j ’avais Noir, alors peut-être…
*. aussi connue sous le nom de Tournoi Kodansha

207
208 AN NEXE A. VICTOIRE CONTRE LE MEIJIN

Quoi qu?il en soit, je ne pouvais en aucun cas égaler le Meijin


que ce soit en technique, en endurance ou en détermination. Le seul
domaine dans lequel je pouvais me battre à armes égales avec lui
était le nigiri^ la phase préliminaire où Ton décide qui jouera Noir
ou Blanc en devinant si le nombre de pierres dans la main de Tad-
versaire est pair ou impair. J ’ai donc décidé de parier que j ’aurais
Noir, et je me mis à travailler jour et nuit les ouvertures avec Noir.
C’était ma seule chance. Je m’étais résigne a perdre si le sort m’at-
tribuait les Blancs.

R g .1(1-38)

Figure 1(1-38)
Le Meijin prit une poignée de pierres dans sa main et je dis
« Pair »• Les mots me manquent pour décrire mes sentiments quand
je découvris que j ’avais deviné correctement, mais je me souviens
que j ’étais en excellente forme et que je me suis dit : « Ok, Rin,
prends garde à toi ! »
209

Cependant, je me gardai bien de révéler au Meijin mon état


d^sprit pour ne pas susciter sa méfiance. Je feignais de lui être re­
connaissant pour cette partie pédagogique à égalité qu^l m^ffrait.
Je jouais rapidement, sans réfléchir, comme si c’était un blitz. J ’es-
pérais secrètement que cette indifférence feinte - pourquoi réfléchir
puisque je perdrai de toute façon ? - lui fasse baisser sa garde et
me donne une chance de lui porter une attaque traîtresse quand il
ne s?y attendrait pas. Je me demande comment le jeune Meijin a
interprété ce comportement. Je n ^ i aucun moyen de le savoir, mais
sur le goban lui-même, je jouais de toutes mes forces.
Par deux fois, en 5 et en 23, jApprochai un coin adverse au lieu
de fermer le mien. Par deux fois, en 7 et en 25, je jouai la pince la
plus sévère, sans jamais reculer.
Le coup 31 est une de mes inventions. Dans ce fuseki^ ce coup
était particulièrement bon car il me permettait de jouer le coup
idéal en 33 sur le bord droit. Je ta is récompensé pour les efforts que
j^vais consacrés à étudier les ouvertures, et tout se passait comme
prévu. C’était mon jour de chance.
Si je m’étais arrêté pour défendre le bord droit après le coup 34,
je me serais peut être mis en retard. Ma main se dirigea vers le coup
35 dans le coin en haut à gauche. J 5étais prêt, et même déterminé,
à prendre des risques. Je voulais conserver l’initiative à tout prix.
J ’étais convaincu que c’était ma seule chance de remporter la partie.
Mon plan allait-il fonctionner?
Blanc fit alors irruption en 36. Et alors? Ce n ^st qu^ne inva­
sion. Peut-on jouer au go si on a peur des invasions? Je répondis
automatiquement en 37. Je réfléchirais après, me dis-je.
Blanc 38 était une erreur de la part du Meijin. Sans aucun doute,
il avait prévu le shichô que Ton verra dans la figure suivante, mais
l’autopsie montra qu’il aurait mieux valu jouer une extension en a,
suivie par Noir 38 et une autre extension en b.
210 AN N EXE A. VICTOIRE CONTRE LE M E IJIN

F ig u re 2 (39-51)
Blanc 46 était un coup élégant, puisquMl permet à Blanc de
capturer une pierre de coupe en shichô au coup suivant. À ce stade,
il peut sembler naturel de capturer la pierre 42 et d ’accepter un
échange, mais j ’estimai qu’un coup Blanc en 47 serait insupportable.
De plus, quand Noir connecte en 4 7 , le coup Blanc 46 apparaît
comme une menace de coupe vulgaire. Si Blanc était prêt à accepter
une telle perte, je ta is prêt à lui laisser le shichô en échange.
Noir 49 est obligatoire, à la fois pour stabiliser mon groupe et
pour attaquer celui de Blanc. Et comme Blanc s’est défendu so­
lidement en 50, je conservai le sen 亡 e et consolidai mon avance en
prenant les points en 51.

F ig u re 3 (52-72)
Blanc doit se défendre en 52. S’il omet ce coup, Noir 52 est trop
douloureux. C’est ainsi que j ’ai pu jouer le dernier gros coup du
fuseki en Noir 53 tout en mettant la pression sur le groupe Blanc
dans le coin. Quoi qu5on en dise, ce fuseKi est sans aucun doute
211

favorable à Noir. Même Yasunaga, mon ancien professeur - qui a


pourtant la critique sévère dans le fuseki - ne trouva rien à redire
à mes coups quand je lui montrai la partie par la suite.
Au coup 63, j ’ai liésité à glisser en 70, mais j ’avais peur qu’après
réchange Blanc 72 contre Noir a, Blanc ne trouvât une réponse in­
attendue. Qi^aurait-il bien pu trouver? Après la partie, le Meijin
et moi-même avons étudié les variations que ce coup aurait pu dé­
clencher, mais plus nous cherchions, et moins nous trouvions de
résultat favorable à Blanc. En fait, notre conclusion fut que Noir
aurait du sauter dans le coin de cette manière, et Blanc aurait été
en difficulté. J ’ai eu peur pour rien. C’est mon amateurisme qui a
ressurgi.
Les coups Blancs 64 et 66 sont des coups forçants sans conces­
sion. Les amateurs sont réticents à jouer ce genre de coups sur la
5e ligne, mais si Blanc entre plus profondément, il s’expose à une
attaque sévère et s^l ne fait rien, Noir peut agrandir considérable­
ment son territoire en jouant b, après quoi Blanc ne peut plus jouer
ces coups forçants.
212 AN N EXE A. VICTOIRE CONTRE LE M E IJIN

Fig. 4 (73-85)
Figure 4 (73-85)
Le coup Noir 73 assure quelques points tout en attaquant le
groupe Blanc, le contraignant à courir vers le centre en 74, et le
coup 75 empêche Blanc de se connecter au groupe en haut à gauche.
Tout allait bien. Jusqu5à présent, je continuais à agir comme si
je n^vais aucune chance de gagner en jouant mes coups le plus
rapidement possible. Mais avec une telle avance, je décidai alors que
la victoire était à ma portée, je me redressai, et à partir du coup
77, je commençai à prendre mon temps et à jouer sérieusement.
Yasunaga : « Noir 77 est trop lent et gote. À la place, tu aurais
du jouer le nozoki à gauche de 78. Si Blanc connecte, tu aurais pu
lui bloquer Taccès au centre. Un coup au contact à la gauche du
coup 76 me semble envisageable ». Les critiques de Yasunaga sont
toujours justes et très utiles.
Blanc 80 est un exemple frappant de la confiance que le Meijin a
en lui-même. Même les estimations les plus conservatrices me voient
avec une bonne dizaine de points d ’avance. Pensait-il vraiment rat-
trapper son retard avec un coup aussi lent ? En voyant Tassurance
avec laquelle il jouait, je commençai à douter de mon avance de dix
points, à me sentir comme Noir dans une partie à quatre ou cinq
213

pierres de handicap. L5aura du Meijm commençait à peser sur moi.


Sa stature imposante ne cessait de grandir à mes yeux. Voilà qui
devenait dangereux.
À la place du coup 83, il eut été plus naturel de jouer en a pour
s^cheminer rapidement vers un yose de hanes et de connexions (le
y ose que je préfère), mais on ne joue pas de cette manière contre le
Meijin. Jetais déterminé à montrer mon courage, à ne pas reculer
d^in pas, et je jouai le cross-cut avec 83 et 85.

Fig. 5 (86-100) - © et @ prennent le ko


F ig u re 5 (86-100)
Si Blanc avait joué son coup 86 en a, la séquence Noir b, Blanc
90 puis Noir c aurait conduit à un ko. Après la partie, nous avons
étudié cette possibilité, mais il semble qu’il n’y ait en fait aucune
bonne réponse pour Blanc.
J 5avais déjà préparé ce que je croyais être une bonne menace
de ko en 95, mais la réponse Blanc 96 me saisit comme une piqûre
de guêpe. J ’en frémis encore aujourd’hui. Je me trouvai là en train
de compliquer la partie tout seul; j ’en faisais trop. Si j ’avais perdu
cette partie, le coup Noir 95 aurait été le coup de la défaite.
214 AN N EXE A. VICTOIRE CONTRE LE M E IJIN

Fig. 6 (101-112)
⑥ , © et ⑫ prennent le /cô

F ig u re 6 (101-112)
Je pris mon temps pour jouer les coups 5 et 9. J 5étais toujours
sous le choc du coup 96. À la place du coup 9, jEnvisageais de
jouer a, de laisser Blanc fermer le ko puis Noir b, Blanc c et Noir
d. L’échange 4—5 deviendrait alors un joli cadeau de la part de
Blanc. Cette idée était séduisante, mais en comptant la partie, je
me rendis compte quelle me conduirait à une partie serrée, et plus
probablement perdante. Il me fallait donc jouer le ko et accepter de
répondre en 11 après le coup 10.
À ce stade, je commençais à perdre espoir. Je manquais de me­
naces de A;ô, et chaque coup que je jouais en bas me iaisait perdre
des points. C5en est nm de ma « meilleure partie », me disais-je.
Tout ce que je voyais, c’est que la partie serait terminée si Blanc
gagnait le ko du haut. J 7ai donc mis toute mon énergie dans cette
bataille de ko. Aujourd^ui, je me remémore ce moment avec plaisir.
215

------------------------------------28--------------
Rg. 7 (113-138)
(20), (32), @ et @ prennent le kô

F ig u re 7 (113-138)
Après la coupe Blanche en 16, je devais en plus me préoccuper
de la vie du groupe en bas à droite, mais le coup 20 est une erreur
de la part du Meijin. S’il avait bloqué en 22 plutôt que de reprendre
le kô^ la partie lui aurait été favorable. Même les Meijms sont des
êtres humains et peuvent faire des erreurs par excès de confiance.
Pourrais-je punir cette erreur? Oui, je le pouvais : la séquence 21-
25 me permit de faire un œil tout en réduisant le territoire Blanc.
Après avoir été découpé en pièces en bas, je recouvrai mes pertes
en un coup. Je pus revenir au kô avec Noir 29 après avoir obtenu
un profit substantiel dans le coin en bas à droite. Avec Noir 31 et
3 へje refuse de ceder d ’un pouce. Il suffit d’un mauvais coup…
216 AN N EXE A. VICTOIRE CONTRE LE M E IJIN

Fig. 8 (139-145)
@ prend le ko

F igure 8 (139-145)
La bataille de kô continua avec acharnement jusqi^au coup 44,
jusqu^ ce qu5il me faille céder. Il me restait encore trois menaces
de kô contre le groupe du bas, en commençant par a, Mais Blanc
avait aussi trois menaces contre mon groupe. Après ces trois me­
naces, il m ourait fallu en chercher ailleurs, mais rien sur le goban ne
semblait assez gros. Je marchais au bord du précipice. Ma dernière
chance était de connecter en 45. C ita it une humiliation, mais je
ne pouvais Téviter car la partie se terminerait immédiatement si je
laissais Blanc capturer. En général, quand un joueur est contraint
de jouer ce genre de coups, c’est que la défaite n’est pas loin. Ici,
j ’étais plutôt chanceux car le coup 45 fonctionna assez bien.

F igure 9 (146-169)
Je pensais que Blanc ne pouvait pas couper en 46 et pourtant
il l’a fait. Peut-être était-ce un coup désespéré. Je n ’avais pas envie
de jouer Téchange 49-50 car il supprime le potentiel de la pierre de
217

Fig. 9 (146-169)
@> et © prennent le ko

coupe, mais je ne trouvai aucun autre moyen malgré tous les efforts
que j ’y consacrai.
Blanc n^vait pas besoin de jouer le coup 60 pour faire vivre
son groupe. La raison pour laquelle il a joué en 60 et pas en 61
par exemple est qu’il voulait éviter de me laisser des menaces de
kô contre son groupe dans Téventualité où je lancerais le ko avec la
coupe en 63. Avec courage, je choisis de jouer le ko en 63 de toute
manière. Si Blanc avait connecté le kô après Noir 65, un coup Noir
en 66 111durait garanti la victoire. Voilà qui montre à quel point la
balance était désormais en ma faveur.
Le coup 69 est celui auquel j 5ai consacré le plus de temps. Je ne
pensais pas que mon groupe dans le coin en haut à droite puisse
mourir si je ne répondais pas à la menace, mais mon adversaire
était le Meijin. C ita it à sa menace que je me proposais de ne pas
répondre. Si mon groupe survivait, j ’étais sûr de gagner, mais s’il
mourait, la partie était assurément perdue. C ^st à ce moment que
la route se sépare en deux, un chemin menant vers la victoire et
218 AN N EXE A. VICTOIRE CONTRE LE MEIJIN

Tautre vers la défaite. Le Meijin pouvait-il avoir joué une fausse


menace de k ô l Aurais-je raté un tesuji qui dépasse mes capacités
de lecture, une pierre glissante qui me ferait dégringoler du sommet
de ma félicité aux abîmes du désespoir ?
Et si je répondais à 68, d^utres menaces de kô viendraient.
Blanc en avait au moins sept ou huit dans ce seul coin. Beaucoup
trop. Tout ce qui me restait, e sta it de lire et relire cette séquence, de
vérifier le statut du groupe en haut à droite. À Blanc de jouer. Noir
vit. J ?ai lu méticuleusement toutes les possibilités, tesuji ou non.
C’était bon. Aucune mauvaise surprise n ’était possible. J ’avais tout
lu. Mon groupe ne pouvait pas être tué inconditionnellement. J ^ n
étais absolument certain.
Maintenant que j^ n étais convaincu, toute cette angoisse et ces
doutes qui m ,avaient habités auparavant me semblèrent tout à coup
un peu stupides. De quoi etais-je effrayé? Ce n o tait qu5un tsumego^
et rien de plus. Mon adversaire ne Pavait pas lu. Je jouai 69, et le
résultat de la partie était scellé. J 5accédai à la ronde finale contre
Otake Hideo. Malheureusement, le miracle ne se reproduisit pas.
Otake m’a battu.

F ig u re 10 (170-199)
Ma lecture était correcte. Le coin devint un kô mais j^vais
de nombreuses menaces internes et la bataille de ko était courue
d5avance. Mon avance dans cette partie était telle que même Rin,
connu pour sa ténacité, fut contraint d ’abandonner précocement.
À peine avait-il abanonné qu?il commença à me donner ses im­
pressions sur la partie. Il avait vingt-trois ans à Tépoque, et pour un
Meijin, il était absurde qu^l perdît contre un joueur faible comme
moi. Je l’aurais excusé s’il était sorti de la salle d ’un pas contrarié,
mais il est resté assis calmement à discuter les avantages et inconvé­
nients de nos coups respectifs. Rares sont ceux qui peuvent en faire
autant. Ce jeune homme avait au fond de lui une maturité d ’une
profondeur infinie.
Les coups suivants ont été omis. Noir gagne par abandon.
219

F ig.10 (170-199)
© prend le k o

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