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31 juillet 1928
1
Pour la bibliographie, l'index et les tables, voir volume III.
1013
Compromis.
TRAITÉ DE VERSAILLES, ANNEXE: AUX ARTICLES 2 9 7 - 2 9 8 , ALINÉA 4 .
1
Frontière S. de l'Est africain allemand, à 200 km. environ.E. du Lac
Nyassa.
2
A la frontière S. de la colonie de l'Angola, au S.-O. de Humbe.
DOMMAGES COLONIES PORTUGAISES (SENTENCE 31 Vil 2 8 ) 1015
« sera exactement la même que celle dont M. de Meuron avait été chargé
« comme arbitre unique et que les effets de sa sentence seront les mêmes que
« si elle avait été rendue par l'arbitre unique prévu par le paragraphe 4 de
« l'annexe à l'article 297 du Traité de Versailles », les arbitres restant libres
de statuer sur les questions qui ont fait l'objet des premiers débats sans
«ntendre à nouveau les parties. Les arbitres font usage de cette faculté.
ad A. Droit applicable.
1. Le § 4 de l'annexe aux art. 297 et 298 du Traité de Versailles détermine
la juridiction chargée de connaître des demandes d'indemnités de ressor-
tissants alliés contre l'Allemagne, à raison d'actes commis, avant l'entrée
en guerre de la puissance intéressée, par le Gouvernement allemand ou par
toute autorité subordonnée.
Il s'agit ainsi d'actions dirigées contre un État, à raison de mesures prises
par les autorités dont les actes engagent sa responsabilité. En droit commun,
ces actions sont régies par les règles du droit des gens. Sans ce référer expressif
verbis à ce droit, le Traité de Versailles n'en exclut d'aucune manière l'appli-
cation. Au contraire, l'institution d'une juridiction arbitrale, exclusivement
neutre — par opposition aux tribunaux mixtes, créés pour statuer sur des
différends d'autre nature — et le choix de l'expression • actes commis »,
expression empruntée à la terminologie du droit des gens, font déjà présumer
que le Traité n'a pas entendu substituer un jus traclatus au droit des gens,
généralement appliqué en pareille matière par les Cours arbitrales.
Cette présomption est confirmée par le fait que le Traité n'indique nulle
part suivant quelles règles l'arbitre unique doit déterminer la sanction des
actes qui lui sont soumis. i
L'explication toute naturelle de ce silence est que le Traité admet, sans,
autre, que l'arbitre unique s'en tiendra au droit généralement applicable
à la catégorie de litiges renvoyés devant lui, c'est-à-dire au droit des gens.
C'est ce qui a été admis, jusqu'ici, par les arbitres uniques et par la Cour
de La Haye 1.
Les arbitres ne voient aucun motif d'en décider autrement et admettent,
en conséquence, que le présent litige est régi par les règles du droit des gens.
2. S'en tenant, d'autre part, à la définition contenue dans l'article 38
du Statut de la Cour permanente de justice internationale, les arbitres-
estiment devoir appliquer:
a) les conventions internationales, là où elles établiraient des règles
expressément reconnues par les deux États en litige;
b) la coutume internationale, comme preuve d'une pratique générale,
acceptée comme étant le droit;
c) les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées;
d) les décisions judiciaires et la doctrine, comme moyens auxiliaires de
détermination des règles de droit.
Enfin, à défaut de règles du droit des gens applicables aux faits litigieux, les
arbitres estiment devoir combler la lacune, en statuant suivant les principes
d'équité, tout en restant dans le sens du droit des gens, appliqué par analogie,,
et en tenant compte de son évolution 2.
1
Cf. décision de l'arbitre unique entre l'Angleterre et l'Allemagne, dans
l'affaire Harold Chatterton against the German Government, du 8 novembre
1923, non publiée; — décision du Tribunal mixte germano-grec faisant fonction
d'arbitre unique dans l'affaire D. Karmatzucas contre État allemand, Recueil des
Décisions des Tribunaux arbitraux mixtes, t. VII, p. 21 ; — décision de la Cour de
La Haye, du 12 septembre 1924, au sujet de l'interprétation du § 4 de l'annexe
à l'art. 179 du Traité de Neuilly, Recueil des Décisions des Tribunaux arbitraux
mixtes, t. IV, p. 580, etc.
' Cf. Sur ce point L a m m a s c h dans Handbuch des Vôlkerrechts, 1914,
Die Lehre von der Schiedsgerichtbarkeit, p p . 178-181.
DOMMAGES COLONIES PORTUGAISES (SENTENCE 31 VII 2 8 ) 1017
ad B. Incident de Maziua.
1. La contestation ne portant que sur l'étendue de la responsabilité
acceptée en principe, les arbitres peuvent limiter au strict nécessaire leur
analyse des preuves et résumer très brièvement, comme suit, ce qu'ils
retiennent comme établi :
a) Le 18 août 1914, le Conseil des ministres portugais décréta l'envoi
de renforts dans les deux colonies. L'expédition destinée au Mozam-
bique partit de Lisbonne le 11 septembre 1914, sous les ordres du
lieutenant-colonel Massano d'Amorim.
b) A l'E. du lac Nyassa, la frontière de l'Est africain allemand et du
Mozambique est formée par le Rio Rovenna.
De chaque côté du fleuve se trouvaient, à peu de distance l'un de
l'autre, les postes, allemand et portugais, de Sasabara et de Maziua,
le premier commandé par le docteur Week, le second par le sergent-
infirmier Rodriguez da Cosla.
c) Dans le courant du mois d'août, après l'arrivée du vapeur Président à
Lindi 1 , le bruit d'une déclaration de guerre du Portugal se répandit
dans l'Est africain allemand. Le gouverneur, le Dr Schnee, fit demander
des précisions aux autorités du Mozambique. En attendant leur
réponse, il donna l'ordre aux postes frontières allemands de s'abstenir
provisoirement de tout acte d'hostilité. Cet ordre, transmis par T. S. F.,
ne put atteindre le poste de Sasabara, non muni des installations
nécessaires. Un télégramme ordinaire, adressé au D r Week via Lindi,
arriva trop tard.
d) Se croyant menacé d'une attaque portugaise, le Dr Week voulut la
prévenir.
Le 24 auût 1914, à 5 heures du matin, le détachement allemand
de Sasabara surprit le poste de Maziua. La garnison indigène s'enfuit:
le chef de poste, sorti de sa chambre le revolver à la main, fut tué.
Deux femmes indigènes furent également atteintes par les balles,
l'une mortellement. Le détachement allemand s'empara des armes,
munitions et espèces, mit le feu au poste et aux cases et se retira.
e) Avisé que l'état de guerre n'existait pas entre les deux pays, le gouver-
neur de l'Est africain fit aussitôt exprimer ses regrets aux autorités
portugaises, ordonna la restitution des armes et mimitions et ouvrit
une information contre le D r Week. Ce dernier bénéficia d'un non-lieu.
Une offre de restitution d'armes et de munitions, faite le 6 septembre
à Maziua, fut déclinée.
j) Le poste de Maziua fut réoccupé le 6 septembre: à la fin du mois, il
était remis en bon état de défense.
g) En juillet 1915, les autorités portugaises arrêtèrent un indigène musul-
man revenant de l'Est africain allemand. Cet homme fut trouvé
muni:
1. d'une proclamation du sultan de Constantinople se terminant
par un appel au Djihad (guerre sainte) ;
2. de lettres contenant des incitations à la révolte, adressées à des
sujets musulmans de la colonie portugaise, notamment d'une
lettre du capitaine von Falkenstein;
3. d'un étendard vert avec le croissant et l'étoile et de 120 bombes de
dynamite.
1
Le 8 août 1914 — cf. Der Kriegzur See, Kreuzerkricg, vol. II, p. 130.
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L'incident n'eut pas de suite. Il n'y eut en tout cas aucun trouble
parmi les musulmans du Mozambique.
h) Le district de Maziua fait partie de la concession de la Compagnie
Nyassa. Cette concession très vaste s'étend, au N. du Mozambique,
de l'Océan Indien au Nyassaland anglais. A partir d'août 1914, la
Compagnie se heurta à une certaine résistance des indigènes. Le
travail et le payement de l'impôt cessèrent par endroits, ce qui se
traduisit par une diminution sensible des recettes.
2. L'étendue de la responsabilité de l'État allemand doit être déterminée
comme suit:
a) II y a rapport évident de cause à effet entre l'agression allemande,
d'une part, les pertes de la garnison de Maziua et les dégâts causés
à la propriété de l'État portugais ou de la Compagnie Nyassa, d'autre
part. L'Allemagne doit, en conséquence, indemniser complètement:
les ayants droit du sergent Rodriguez da Costa et de la femme tuée,
la femme blessée,
l'État portugais et la Compagnie Nyassa, pour tous dommages
causés à leur propriété, pendant ou après l'attaque du poste.
Il n'y a pas lieu de donner au Gouvernement allemand acte des
réserves formulées en ce qui concerne le payement des indemnités
dues aux ayants droit des personnes tuées. Le Gouvernement portugais
est seul juge de la manière dont il répartira les sommes qui lui seront
allouées.
b) Le surplus des réclamations doit être écarté pour les motifs suivants:
a) L'expédition Massano d'Amorim a été décidée plusieurs jours avant
l'attaque du poste de Maziua 1. Il n'y a aucun rapport rde causalité
entre l'envoi de cette expédition et l'acte commis par le D Week.
ji) L'expédition Moura Mendes, en septembre 1915, avait d'abord pour
but la relève réglementaire du détachement Massano d'Amorin. Il
n'y a aucune relation entre l'incident de Maziua et cette relève,
prévue par la législation coloniale portugaise. Pour autant qu'il se
serait agi, non seulement de relève, mais d'envoi de renforts, il est
impossible d'admettre un rapport d'effet à cause entre cette dernière
mesure et les actes imputés à l'Allemagne. En septembre 1915, il
n'y avait, dans la région de Maziua, ni menace militaire allemande,
ni troubles intérieurs. La cause de l'envoi des renforts doit être cher-
chée, beaucoup plus simplement, dans le souci du Gouvernement
portugais de faire respecter la neutralité de la colonie, au cas où les
troupes allemandes de l'Est africain — déjà aux prises avec les
forces anglo-belges — seraient repoussées et chercheraient à se réfugier
sur territoire portugais.
Y) La proclamation de la guerre sainte émanait du Gouvernement
ottoman. La responsabilité de l'Allemagne ne pourrait être engagée
que si les autorités de l'Est africain avaient fait propager l'appel du
sultan dans la colonie portugaise.
Suivant le mémoire de l'État demandeur, la proclamation saisie
en juillet 1915 aurait été contresignée par le D r Schnee. Ce fait n'a
pas été contesté expressément dans la procédure écrite ou orale. Un
fait analogue — concernant, il est vrai, le protectorat anglais du
Nyassaland — est mentionné dans The Times History of the War, tome
X, p. 130. Cet ouvrage reproduit également la lettre du capitaine von
1
Décret ministériel: 18 août — incident: 24 août 1914.
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1
Cf. Hershey, Essential of International Law, 1912, p. 344; Oppenheim,
International Law, 3 m e éd., 1920, p. 48; Despagnet, Cours de droit international public,
4me éd., 1910, p. 781 ; Fauchille, Traité, I, 3m<= partie, n° 978; Rolin, Le droit
moderne de la guerre, 1920, I, 116, 311; de Louter, Droit international positif, 1920,
II, p. 201 ; Diena, Principi di dir. int., 2meed., 1914, p. 483; Art. 70 du Projet de
Bruxelles, 1874; Art. 86 des Décisions de l'Institut, Oxford, 1888, Ann. V.,
p. 157.
2
Cf. Hatschek, Volkerrechtt, 1923, p. 405, a; Anzilotti, Corso, III, p. 167.
3
Cf. Redslob, Histoire des grands principes du droit des gens, 1923, pp. 466 et
suiv.; Waldkirch, Volkerrecht, 1926, p. 328; Nippold, Die Gestaltung desVôlker-
rechts nach dem Weltkriege, 1917, p. 85; S. d. N., Travaux récents du Comité
d'arbitrage et de sécurité.
4
Réponse allemande, p. 49.
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3. Les arbitres ne peuvent admettre cette thèse, pour les motifs suivants:
a) Suivant la décision de principe prise plus haut au sujet de l'incident
de Naulilaa, la mort du Dr Schultze-Jena et des deux officiers qui
l'accompagnaient, n'a pas été la conséquence d'un acte contraire au
droit des gens des autorités portugaises.
b) Un État neutre a le droit de désarmer et d'interner les belligérants qui
pénètrent, en armes, sur son territoire 1 . L'internement de l'interprète
Jensen et du soldat Kimmel était donc, en principe, autorisé par le
droit des gens positif. La légitimité de cet internement aurait pu être
discutée, s'il avait été prouvé que les deux internés se trouvaient encore
sur territoire allemand lors de l'intervention du lieutenant Sereno. Si
tel avait été le cas, Jensen serait entré en territoire portugais sur l'invi-
tation d'un officier portugais. Quant à Kimmel, il y aurait pénétré
avec l'autorisation de l'administrateur de Humbe et la question d'un
internement illicite se serait posée. Mais le fait que la mission dont
Jensen et Kimmel faisaient partie, se trouvait, au camp d'Erikson-
drift, encore sur territoire allemand, n'a jamais été établi, ni avant les
représailles, ni même devant les arbitres. Les autorités allemandes
auraient pu invoquer le doute et insister pour un règlement courtois
de la question d'internement. Elles ne pouvaient, par contre, voir
dans cet internement ou dans son maintien, un acte contraire au
droit des gens, leur donnant un juste motif d'exercer des représailles
à main armée.
c) Le vice-consul Schoess était encore en fonctions, à Lubango, le
28 novembre 1914. L'attaque du fort de Cuangar, le 31 octobre, la
destruction des postes du bas Cubango, du 4 au 15 novembre, et
l'expédition Franck, décidée le 28 octobre, ne peuvent avoir été motivées
par son expulsion. Au surplus, l'expulsion d'un agent consulaire,
dont un État estime avoir à se plaindre, peut constituer un acte « peu
amical », donnant lieu à, des représentations par voie diplomatique 2,
mais il ne peut y avoir, dans semblable exercice du droit de souveraineté
de l'État neutre, un acte contraire au droit des gens, justifiant, à
titre de représailles, une attaque accompagnée de toutes les rigueurs
de la guerre.
d) La première condition — sine qua non — du droit d'exercer des repré-
sailles est un motif fourni par un acte préalable, contraire au droit des
gens. Cette condition — dont la thèse allemande reconnaît la nécessité3
— manque, ce qui suffirait pour faire écarter le moyen invoqué
par le Gouvernement allemand.
e) Même si les arbitres avaient retenu, à la charge des autorités portu-
gaises, un acte contraire au droit des gens pouvant, en principe,motiver
des représailles, la thèse allemande devrait néanmoins être écartée
pour deux autres motifs, l'un et l'autre décisifs:
1. La représaille n'est licite que lorsqu'elle a été précédée d'une sommation
restée infructueuse. L'emploi de la force ne se justifie, en effet, que par
son caractère de nécessité 4. Or, il est impossible de considérer comme
une sommation d'État à État, le fait par les autorités de l'État offensé
de se communiquer, les unes aux autres, la nouvelle de la prétendue
1
8
Convention internationale, 1899, art. 57; 1907, art. II.
Comme cela fut le cas, en janvier 1915, lors de l'expulsion des consuls et
vice-consuls
3
allemands de Loanda et de Benguela, « Livre blanc », n° 223.
Cf. Réponse allemande, p. 50.
* Fauchille, Traité, I, 3mr partie, n° 978.
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