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REPORTS OF INTERNATIONAL

ARBITRAL AWARDS

RECUEIL DES SENTENCES


ARBITRALES

Responsabilité de l’Allemagne à raison des dommages causés dans les colonies


portugaises du sud de l’Afrique (sentence sur le principe de la responsabilité)
(Portugal contre Allemagne)

31 juillet 1928

VOLUME II pp. 1011-1033

NATIONS UNIES - UNITED NATIONS


Copyright (c) 2006
XXVII a.
RESPONSABILITÉ DE L'ALLEMAGNE A RAISON DES
DOMMAGES CAUSÉS DANS LES COLONIES PORTUGAISES
DU SUD DE L'AFRIQUE
(Sentence sur le principe de la responsabilité.) 1

PARTIES: Portugal contre Allemagne.

COMPROMIS: Traité de Versailles, articles 297 et 298, para-


graphe 4 de l'annexe.

ARBITRES: Alois de Meuron (Suisse), Robert Guex (Suisse),


Robert Fazy (Suisse).

SENTENCE: Lausanne, 31 juillet 1928.

Dommages causés à des personnes ou biens portugais avant l'entrée en


guerre du Portugal. — Traité de Versailles, annexe aux articles 297-298,
paragraphe 4.. — Application du droit des gens général. — Règle de
l'article 38 du Statut de la Cour permanente de Justice internationale. —
Application des principes d'équité et d'analogie. — Preuve en droit des
gens. — Notion des représailles. — Doctrine allemande à ce sujet. —
Notion de proportionnalité. — Droits de l'État neutre. — Violation du
territoire neutre. — Responsabilité pour dommages indirects. — Juris-
prudence internationale à ce sujet.

1
Pour la bibliographie, l'index et les tables, voir volume III.
1013

Compromis.
TRAITÉ DE VERSAILLES, ANNEXE: AUX ARTICLES 2 9 7 - 2 9 8 , ALINÉA 4 .

[Voir arbitrage entre la Roumanie et l'Allemagne, p. 903.]

ARBITRAGE ENTRE LE PORTUGAL ET L'ALLEMAGNE


Sentence arbitrale du 31 juillet 1928 concernant la responsabilité
de l'Allemagne à raison des dommages causés dans les colonies
portugaises du Sud de l'Afrique.
Les arbitres soussignés, désignés en exécution du paragraphe 4 de
l'annexe aux articles 297-298 du Traité de Versailles,
Considérant en fait : I. En date du 15 août 1920, à la requête du Portugal,
M. Gustave Ador a désigné M. Aloïs de Meuron, avocat et conseiller
national, à Lausanne, en qualité d'arbitre chargé de fixer, conformément
au paragraphe 4 de l'annexe aux articles 297-298 du Traité de Versailles,
le montant des réclamations portugaises « introduites pour des actes commis
par le Gouvernement allemand ou par toute autorité allemande posté-
rieurement au 31 juillet 1914 et avant que le Portugal ne participât à la
guerre 1 ».
2. Lors de la réunion préliminaire tenue à Berne le 21 janvier 1921, les
délégués des Gouvernements portugais et allemand sont tombés d'accord
« pour admettre que l'arbitre sera compétent pour statuer aussi bien sur
les principes que sur la quotité des réclamations ».
3. Par ordonnance du 26 avril 1921, un délai a été fixé au Gouvernement
portugais « pour faire parvenir à l'arbitre les réclamations qu'il entend
formuler en son nom et au nom de ses ressortissants •.
4. Après le dépôt du mémoire justificatif de ces réclamations, il y a eu
échange de réponse, réplique et duplique.
De nombreux témoins ont ensuite été entendus par l'arbitre, à Lisbonne
du 2 au 9 juin 1924, à Berlin du 12 au 16 janvier 1925, à Francfort les
12 et 13 octobre 1925, et à Paris le 5 mai 1926. D'autres témoins ont été
entendus hors d'Europe par voie de commissions rogatoires.
5. Les réclamations portugaises se groupent sous les trois chefs suivants:
a) Dommages causés à des ressortissants portugais sur territoire belge
occupé par l'Allemagne.
b) Dommages causés sur mer ou par suite de la guerre navale: navires
portugais coulés, marchandises portugaises sur des navires alliés
qui ont été coulés, marchandises portugaises chargées sur navires
allemands et non arrivés à destination.
c) Dommages causés dans les colonies portugaises.
En ce qui concerne cette dernière catégorie de dommages — de beaucoup
la plus importante — les faits essentiels peuvent être résumés comme suit:

La déclaration de guerre de l'Allemagne au Portugal date du 9 mars 1916.


1014 DOMMAGES COLONIES PORTUGAISES (SENTENCE 31 VF! 2 8 )

Le24août 1914, le détachement allemand du poste allemand de Sasabara1


a attaqué par surprise le poste voisin portugais de Maziua — le commandant
du poste allemand ayant cru, par erreur, que le Portugal était en guerre
avec l'Allemagne.
D'autre part, le 19 octobre 1915, dans des conditions qui seront précisées
dans la suite de la présente sentence, un fonctionnaire allemand et deux
officiers allemands de la colonie du Sud-Ouest africain ont été tués dans le
poste portugais de Naulilaa 2. En représaille de cet incident et sur ordre
du gouverneur de la colonie allemande du Sud-Ouest africain, des forces
allemandes ont attaqué et détruit, dans la région du Bas-Cubango, le fort
de Cuangar, le 31 octobre 1915, les postes de Bunga, Sambio, Dirico et
Mucusso les 4, 8, 12 et 15 novembre. De plus, le gouverneur du Sud-ouest
africain a envoyé, dans la direction de Naulilaa, une expédition militaire
commandée par le major Franck. Cette expédition s'est heurtée, le
18 décembre 1914, sur territoire portugais devant le fort de Naulilaa, aux
troupes portugaises chargées, sous le commandement du colonel Roçadas,
d'assurer la protection de la frontière S. de l'Angola, et, éventuellement,
de soumettre la tribu des Cuanhamas qui n'avait pas encore reconnu
l'autorité portugaise. Après un violent combat, les troupes allemandes se
sont emparées du fort de Naulilaa. Elles sont ensuite demeurées sur leurs
positions, sans franchir le Cunene, puis, le lendemain du combat, elles ont
regagné la colonie allemande. Quant aux troupes portugaises, elles ont battu
en retraite et leur commandant a ordonné l'évacuation des forts de la rive
gauche du Cunene; la ligne défensive a été reportée au nord, à la hauteur
de Gambos. Toute la région au sud-est du nouveau front a ainsi été abandon-
née et elle a été mise au pillage par les indigènes qui se sont soulevés sur
les pas de l'armée portugaise en retraite. Une expédition importante a dû
être envoyée du Portugal, au printemps 1915, pour réprimer la révolte des
nègres, réoccuper le territoire abandonné et soumettre les Cuanhamas.
6. Par ordonnance du 19 juillet 1926, considérant, en ce qui concerne les
dommages causés dans les colonies portugaises, que, « avant d'examiner la
« quotité des indemnités réclamées, il y a lieu de fixer le principe et les limites
« de la responsabilité de l'Allemagne, en élucidant notamment l'incident de
« Naulilaa et en décidant si cet incident était de nature à justifier les mesures
« subséquentes prises par l'Allemagne et si l'Allemagne répond de tous les
« dommages qui se sont produits à la suite de l'exécution de ces mesures ou
« si sa responsabilité se trouve réduite par le fait que des causes concomitantes,
« mais indépendantes de sa volonté, auraient contribué à augmenter ces
« dommages », l'arbitre a décidé de limiter les premiers débats à ces
questions de principe et de renvoyer à des débats ultérieurs les questions
relatives, d'une part, à la quotité des dommages causés dans les colonies
portugaises, d'autre part, au principe et à l'étendue 'de la responsabilité
de l'Allemagne du chef des deux autres catégories de dommages.
Les débats ainsi limités ont eu lieu à Lausanne du 20 au 24 septembre 1926.
7. Se ralliant à une suggestion de l'arbitre unique, les Gouvernements por-
tugais et allemand sont tombés d'accord, le 9 février 1928, pour lui adjoindre
deux autres arbitres, en la personne de MM. Robert Guex, professeur
à l'Université de Lausanne, et Robert Fazy, membre du Tribunal fédéral
suisse, étant spécifié que la mission du Tribunal arbitral ainsi constitué

1
Frontière S. de l'Est africain allemand, à 200 km. environ.E. du Lac
Nyassa.
2
A la frontière S. de la colonie de l'Angola, au S.-O. de Humbe.
DOMMAGES COLONIES PORTUGAISES (SENTENCE 31 Vil 2 8 ) 1015

« sera exactement la même que celle dont M. de Meuron avait été chargé
« comme arbitre unique et que les effets de sa sentence seront les mêmes que
« si elle avait été rendue par l'arbitre unique prévu par le paragraphe 4 de
« l'annexe à l'article 297 du Traité de Versailles », les arbitres restant libres
de statuer sur les questions qui ont fait l'objet des premiers débats sans
«ntendre à nouveau les parties. Les arbitres font usage de cette faculté.

Considérant en droit : Les réclamations du Portugal relatives aux dommages


•causés dans ses colonies africaines se répartissent géographiquement en deux
groupes différents:
d'une part, celles qui se rattachent à la violation de la frontière du
Mozambique: attaque du poste de Maziua;
d'autre part, celles qui se rapportent aux violations de la frontière de
l'Angola: destruction des forts et postes de Cuangar, Bunga, Sambio, Dirico,
Mucusso et Naulilaa.
En ce qui concerne le premier groupe, le Portugal réclame des indemnités
du chef des vies perdues, des lésions corporelles, des destructions et enlève-
ments, de la diminution des recettes de la Compagnie du Nyassa par suite
•de la résistance passive des indigènes, enfin des frais des expéditions mili-
taires envoyées au Mozambique.
L'Allemagne accepte en principe la responsabilité de l'incident de
Maziua, mais conteste toute relation de causalité entre les actes qui lui sont
imputables, d'une part, la diminution des recettes de la Compagnie du
Nyassa et l'envoi des troupes portugaises, d'autre part.
En ce qui concerne le 2 mo groupe, le Portugal réclame :
a) Réparation des dommages immédiats causés par les agressions alle-
mandes.
b) Réparations des dommages subis soit par les colons, soit par l'État,
à la suite de la révolte des nègres qui s'est produite après ces agressions.
c) Remboursements des frais occasionnés par les expéditions militaires
envoyées pour la défense de la colonie et la répression de la, révolte des
noirs.
L'Allemagne décline toute responsabilité en alléguant qu'elle n'a fait
qu'user de représailles légitimes à la suite de l'incident de Naulilaa. Subsi-
•diairement, elle conclut au rejet des réclamations sous b) et c), en soutenant
•qu'il ne s'agit pas là de dommages directs dont la réparation puisse lui être
imposée.

Les questions à trancher sont dès lors les suivantes :

A) Quel est le droit applicable?


B) Quelle est l'étendue de la responsabilité de l'incident de Maziua,
acceptée en principe par l'Allemagne?
C) Comment s'établissent les responsabilités de l'incident de Naulilaa?
D) L'Allemagne avait-elle le droit d'exercer des représailles et a-t-elle
agi conformément aux règles du droit applicable?
E) S'ils ne constituent pas des représailles licites, les actes commis par
les troupes allemandes engagent-ils la responsabilité de l'Allemagne
au sens du § 4 de l'annexe aux articles 297 et 298 TV?
F) Si tel est le cas, quelle est l'étendue de cette responsabilité?
1016 DOMMAGES COLONIES PORTUGAISES (SENTENCE 31 VII 2 8 )

ad A. Droit applicable.
1. Le § 4 de l'annexe aux art. 297 et 298 du Traité de Versailles détermine
la juridiction chargée de connaître des demandes d'indemnités de ressor-
tissants alliés contre l'Allemagne, à raison d'actes commis, avant l'entrée
en guerre de la puissance intéressée, par le Gouvernement allemand ou par
toute autorité subordonnée.
Il s'agit ainsi d'actions dirigées contre un État, à raison de mesures prises
par les autorités dont les actes engagent sa responsabilité. En droit commun,
ces actions sont régies par les règles du droit des gens. Sans ce référer expressif
verbis à ce droit, le Traité de Versailles n'en exclut d'aucune manière l'appli-
cation. Au contraire, l'institution d'une juridiction arbitrale, exclusivement
neutre — par opposition aux tribunaux mixtes, créés pour statuer sur des
différends d'autre nature — et le choix de l'expression • actes commis »,
expression empruntée à la terminologie du droit des gens, font déjà présumer
que le Traité n'a pas entendu substituer un jus traclatus au droit des gens,
généralement appliqué en pareille matière par les Cours arbitrales.
Cette présomption est confirmée par le fait que le Traité n'indique nulle
part suivant quelles règles l'arbitre unique doit déterminer la sanction des
actes qui lui sont soumis. i
L'explication toute naturelle de ce silence est que le Traité admet, sans,
autre, que l'arbitre unique s'en tiendra au droit généralement applicable
à la catégorie de litiges renvoyés devant lui, c'est-à-dire au droit des gens.
C'est ce qui a été admis, jusqu'ici, par les arbitres uniques et par la Cour
de La Haye 1.
Les arbitres ne voient aucun motif d'en décider autrement et admettent,
en conséquence, que le présent litige est régi par les règles du droit des gens.
2. S'en tenant, d'autre part, à la définition contenue dans l'article 38
du Statut de la Cour permanente de justice internationale, les arbitres-
estiment devoir appliquer:
a) les conventions internationales, là où elles établiraient des règles
expressément reconnues par les deux États en litige;
b) la coutume internationale, comme preuve d'une pratique générale,
acceptée comme étant le droit;
c) les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées;
d) les décisions judiciaires et la doctrine, comme moyens auxiliaires de
détermination des règles de droit.
Enfin, à défaut de règles du droit des gens applicables aux faits litigieux, les
arbitres estiment devoir combler la lacune, en statuant suivant les principes
d'équité, tout en restant dans le sens du droit des gens, appliqué par analogie,,
et en tenant compte de son évolution 2.

1
Cf. décision de l'arbitre unique entre l'Angleterre et l'Allemagne, dans
l'affaire Harold Chatterton against the German Government, du 8 novembre
1923, non publiée; — décision du Tribunal mixte germano-grec faisant fonction
d'arbitre unique dans l'affaire D. Karmatzucas contre État allemand, Recueil des
Décisions des Tribunaux arbitraux mixtes, t. VII, p. 21 ; — décision de la Cour de
La Haye, du 12 septembre 1924, au sujet de l'interprétation du § 4 de l'annexe
à l'art. 179 du Traité de Neuilly, Recueil des Décisions des Tribunaux arbitraux
mixtes, t. IV, p. 580, etc.
' Cf. Sur ce point L a m m a s c h dans Handbuch des Vôlkerrechts, 1914,
Die Lehre von der Schiedsgerichtbarkeit, p p . 178-181.
DOMMAGES COLONIES PORTUGAISES (SENTENCE 31 VII 2 8 ) 1017

ad B. Incident de Maziua.
1. La contestation ne portant que sur l'étendue de la responsabilité
acceptée en principe, les arbitres peuvent limiter au strict nécessaire leur
analyse des preuves et résumer très brièvement, comme suit, ce qu'ils
retiennent comme établi :
a) Le 18 août 1914, le Conseil des ministres portugais décréta l'envoi
de renforts dans les deux colonies. L'expédition destinée au Mozam-
bique partit de Lisbonne le 11 septembre 1914, sous les ordres du
lieutenant-colonel Massano d'Amorim.
b) A l'E. du lac Nyassa, la frontière de l'Est africain allemand et du
Mozambique est formée par le Rio Rovenna.
De chaque côté du fleuve se trouvaient, à peu de distance l'un de
l'autre, les postes, allemand et portugais, de Sasabara et de Maziua,
le premier commandé par le docteur Week, le second par le sergent-
infirmier Rodriguez da Cosla.
c) Dans le courant du mois d'août, après l'arrivée du vapeur Président à
Lindi 1 , le bruit d'une déclaration de guerre du Portugal se répandit
dans l'Est africain allemand. Le gouverneur, le Dr Schnee, fit demander
des précisions aux autorités du Mozambique. En attendant leur
réponse, il donna l'ordre aux postes frontières allemands de s'abstenir
provisoirement de tout acte d'hostilité. Cet ordre, transmis par T. S. F.,
ne put atteindre le poste de Sasabara, non muni des installations
nécessaires. Un télégramme ordinaire, adressé au D r Week via Lindi,
arriva trop tard.
d) Se croyant menacé d'une attaque portugaise, le Dr Week voulut la
prévenir.
Le 24 auût 1914, à 5 heures du matin, le détachement allemand
de Sasabara surprit le poste de Maziua. La garnison indigène s'enfuit:
le chef de poste, sorti de sa chambre le revolver à la main, fut tué.
Deux femmes indigènes furent également atteintes par les balles,
l'une mortellement. Le détachement allemand s'empara des armes,
munitions et espèces, mit le feu au poste et aux cases et se retira.
e) Avisé que l'état de guerre n'existait pas entre les deux pays, le gouver-
neur de l'Est africain fit aussitôt exprimer ses regrets aux autorités
portugaises, ordonna la restitution des armes et mimitions et ouvrit
une information contre le D r Week. Ce dernier bénéficia d'un non-lieu.
Une offre de restitution d'armes et de munitions, faite le 6 septembre
à Maziua, fut déclinée.
j) Le poste de Maziua fut réoccupé le 6 septembre: à la fin du mois, il
était remis en bon état de défense.
g) En juillet 1915, les autorités portugaises arrêtèrent un indigène musul-
man revenant de l'Est africain allemand. Cet homme fut trouvé
muni:
1. d'une proclamation du sultan de Constantinople se terminant
par un appel au Djihad (guerre sainte) ;
2. de lettres contenant des incitations à la révolte, adressées à des
sujets musulmans de la colonie portugaise, notamment d'une
lettre du capitaine von Falkenstein;
3. d'un étendard vert avec le croissant et l'étoile et de 120 bombes de
dynamite.
1
Le 8 août 1914 — cf. Der Kriegzur See, Kreuzerkricg, vol. II, p. 130.
1018 DOMMAGES COLONIES PORTUGAISES (SENTENCE 31 VII 2 8 )

L'incident n'eut pas de suite. Il n'y eut en tout cas aucun trouble
parmi les musulmans du Mozambique.
h) Le district de Maziua fait partie de la concession de la Compagnie
Nyassa. Cette concession très vaste s'étend, au N. du Mozambique,
de l'Océan Indien au Nyassaland anglais. A partir d'août 1914, la
Compagnie se heurta à une certaine résistance des indigènes. Le
travail et le payement de l'impôt cessèrent par endroits, ce qui se
traduisit par une diminution sensible des recettes.
2. L'étendue de la responsabilité de l'État allemand doit être déterminée
comme suit:
a) II y a rapport évident de cause à effet entre l'agression allemande,
d'une part, les pertes de la garnison de Maziua et les dégâts causés
à la propriété de l'État portugais ou de la Compagnie Nyassa, d'autre
part. L'Allemagne doit, en conséquence, indemniser complètement:
les ayants droit du sergent Rodriguez da Costa et de la femme tuée,
la femme blessée,
l'État portugais et la Compagnie Nyassa, pour tous dommages
causés à leur propriété, pendant ou après l'attaque du poste.
Il n'y a pas lieu de donner au Gouvernement allemand acte des
réserves formulées en ce qui concerne le payement des indemnités
dues aux ayants droit des personnes tuées. Le Gouvernement portugais
est seul juge de la manière dont il répartira les sommes qui lui seront
allouées.
b) Le surplus des réclamations doit être écarté pour les motifs suivants:
a) L'expédition Massano d'Amorim a été décidée plusieurs jours avant
l'attaque du poste de Maziua 1. Il n'y a aucun rapport rde causalité
entre l'envoi de cette expédition et l'acte commis par le D Week.
ji) L'expédition Moura Mendes, en septembre 1915, avait d'abord pour
but la relève réglementaire du détachement Massano d'Amorin. Il
n'y a aucune relation entre l'incident de Maziua et cette relève,
prévue par la législation coloniale portugaise. Pour autant qu'il se
serait agi, non seulement de relève, mais d'envoi de renforts, il est
impossible d'admettre un rapport d'effet à cause entre cette dernière
mesure et les actes imputés à l'Allemagne. En septembre 1915, il
n'y avait, dans la région de Maziua, ni menace militaire allemande,
ni troubles intérieurs. La cause de l'envoi des renforts doit être cher-
chée, beaucoup plus simplement, dans le souci du Gouvernement
portugais de faire respecter la neutralité de la colonie, au cas où les
troupes allemandes de l'Est africain — déjà aux prises avec les
forces anglo-belges — seraient repoussées et chercheraient à se réfugier
sur territoire portugais.
Y) La proclamation de la guerre sainte émanait du Gouvernement
ottoman. La responsabilité de l'Allemagne ne pourrait être engagée
que si les autorités de l'Est africain avaient fait propager l'appel du
sultan dans la colonie portugaise.
Suivant le mémoire de l'État demandeur, la proclamation saisie
en juillet 1915 aurait été contresignée par le D r Schnee. Ce fait n'a
pas été contesté expressément dans la procédure écrite ou orale. Un
fait analogue — concernant, il est vrai, le protectorat anglais du
Nyassaland — est mentionné dans The Times History of the War, tome
X, p. 130. Cet ouvrage reproduit également la lettre du capitaine von
1
Décret ministériel: 18 août — incident: 24 août 1914.
DOMMAGES COLONIES PORTUGAISES (SENTENCE 31 VII 2 8 ) 1019

Falkenstein. Il y a là des présomptions sérieuses. Toutefois, ni la


signature du Dr Schnee, ni l'original de la lettre du capitaine von
Falkenstein, n'ont été produits. Pour élucider complètement la question,
il faudrait ordonner un complément d'instruction, mais cette mesure
apparaît inutile. Il est constant, en effet, que la tentative a échoué.
Fût-il démontré que les autorités de l'Est africain y avaient pris une
part active, leur action aurait pu justifier une protestation par voie
diplomatique, mais elle ne pourrait motiver une réclamation basée
sur le § 4 de l'annexe aux articles 297 et 298, cette disposition ne pré-
voyant de sanctions qu'en cas de dommages. Or, en l'espèce, aucun
dommage n'est invoqué ou, en tout cas, prouvé.
4) La diminution des recettes de la Compagnie Nyassa ne pourrait
être qu'une conséquence indirecte de l'agression du 24 août 1914.
La question de la responsabilité du préjudice indirect, en droit des
gens, sera examinée en détail au sujet des dommages causés par la
révolte des indigènes dans l'Angola. Ici, il suffit de constater qu'aucun
rapport, même indirect, de cause à effet n'a été prouvé, entre l'incident
de Maziua et la résistance passive des indigènes.
Les mémoires portugais se bornent à alléguer que l'incident lui-
même et le fait que le poste était resté longtemps sans 1garnison auraient
« produit une vive impression sur les indigènes » .
Or, Maziua n'était qu'un point peu important d'une concession très
vaste. Le poste fut réoccupé au bout de quelques jours, reconstruit et
bientôt remis en état de défense. Cette constatation — qui s'appuie
sur les mentions précises des rapports Ferreira et Fernandez — fait
tomber le principal argument de la Compagnie Nyassa. D'autre
part, en présence de l'attitude prise par les autorités allemandes, des
regrets exprimés et des restilutions offertes, il ne peut être question
d'une atteinte au prestige des armes portugaises, dont l'attitude des
indigènes aurait été la répercussion. Il est beaucoup plus probable que
ce qui a « produit une vive impression » sur les indigènes, c'est le
fait d'une guerre générale entre blancs dans les colonies allemandes,
anglaises et belges, voisines du Mozambique.
Il n'est donc pas possible de rattacher la diminution des recettes
de la Compagnie Nyassa à l'acte isolé et purement local du Dr Week,
acte qui pourrait seul justifier une action contre l'Allemagne, en vertu
du § 4 de l'annexe.
3. Les arbitres admettent donc, en résumé, que l'Allemagne répond des consé-
quences immédiates de l'attaque des postes de Maziua — pertes de vies,
lésions coporelles et dégâts matériels — mais ne peut être rendue responsable
de la diminution des recettes de la Compagnie Nyassa et du coût des expédi-
tions Massano d'Amorim et Moura Mendes.

ad C Responsabilité de l'incident de Naulilaa.


1. L'incident de Naulilaa a fait l'objet d'une instruction considérable.
Les procès-verbaux d'enquête remplissent plusieurs centaines de pages et
les mémoires ou les plaidoiries lui ont été, en grande partie, consacrés.
Tout en élucidant beaucoup de questions discutées, l'instruction n'a pu
aboutir à une reconstitution certaine. Sur divers points, en effet, les témoins
1
Mémoire, p. 52.
1020 DOMMAGES COLONIES PORTUGAISES (SENTENCE 31 VII 2 8 )

sont en désaccord, et la mort des quatre principaux acteurs a rendu l'enquête


particulièrement difficile.
Pour faire le partage des responsabilités, les arbitres, après avoir apprécié
les témoignages suivant les règles usuelles concernant la répartition du fardeau
de la preuve, doivent suppléer aux lacunes en se basant sur les présomptions
les plus plausibles.
Dans leur appréciation des témoignages, les arbitres ont admis que tous
les témoins avaient déposé sans parti pris, en s'efforçant, de leur mieux, de
rassembler leurs souvenirs d'événements anciens, et que leurs dires méritaient
créance. Ils doivent cependant faire une réserve, sinon sur la sincérité, du
moins sur la force probante de la déposition de l'interprète Jensen, lorsqu'il
s'agit du sens de propos tenus en portugais, ou du texte d'écrits rédigés
dans cette langue. Il est, en effet, établi par de nombreux témoignages —
allemands aussi bien que portugais — que Jensen, bien qu'engagé comme
« interprète » de la mission allemande, savait fort mal le portugais et le
comprenait à peine.
2. Les arbitres retiennent comme établis les faits essentiels suivants:
a) Au commencement de la guerre, des achats de vivres, pour compte
allemand, avaient été faits dans l'Angola. Des dépôts de 50 à 60 tonnes
avaient été constitués dans le district de Benguela. Ces approvisionne-
ments — hors de proportion avec les besoins d'une mission d'études
luso-allemande opérant alors dans la vallée du Caculovar — étaient,
en partie au moins, destinés au ravitaillement du Damaraland.
En septembre 1914, le gouverneur du district de Huila, le colonel
Roçadas, avait fait publier une interdiction d'exportation des denrées
alimentaires. En vertu de cette interdiction, un détachement portugais,
commandé par le lieutenant de cavalerie Sereno, avait saisi à la
frontière un convoi de 11 chariots, destiné à la colonie allemande. Le
14 octobre, le commandant du fort de Naulilaa avait fait arrêter un
membre de la mission d'études, le D r Vageler, au moment où il
introduisait, en contrebande, un wagon de vivres sur territoire
allemand. Le D r Vageler fut envoyé, comme prisonnier, à Humbe.
Dans le courant d'octobre, le gouverneur de Sud-Ouest africain, le
conseiller privé Seitz, apprit qu'un convoi de 24 wagons de vivres
faisait, sur territoire portugais, route vers le Damaraland. Il chargea
le gouverneur d'Outjo, le D r Schultze-Jena, de se rendre à la frontière
et de s'aboucher avec les autorités portugaises, pour obtenir l'auto-
risation d'importer ces vivres et pour tenter d'établir par l'Angola des
relations postales avec l'Allemagne.
b) Le D r Schultze-Jena partit d'Outjo 1 à la tête d'un détachement
d'une vingtaine d'hommes, dont faisaient partie le premier-lieutenant
Loesch et le lieutenant Roeder, l'interprète-guide Jensen et le soldat
de Ire classe Kimmel.
Le 16 octobre, il campait sur la rive S. du Cunene, à Eriksondrift,
à 12 km. environ du fort de Naulilaa. Au S. du lieu de campement,
s'étendait une zone dite neutre, dont la propriété restait à discuter
entre les deux gouvernements. Eriksondrift, sis au N. de la limite
extrême de cette zone, se trouvait sur territoire portugais.
Le D r Schultze-Jena détacha, le 17 octobre, le lieutenant Roeder
et l'interprète Jensen au fort de Dongoena 2 avec une lettre destinée
1
400 km. S. de Humbe.
2
A mi-chemin entre Eriksondrift et Humbe.
DOMMAGES COLONIES PORTUGAISES (SENTENCE 31 VII 2 8 ) 1021

à l'administrateur de Humbe. Cette lettre fut portée à Humbe par un


cavalier civil, le commerçant Sobial, le lieutenant Roeder et Jensen
ralliant le détachement Schultze-Jena à Eriksondrift.
c) Au reçu de la lettre du D r Schultze-Jena, l'administrateur de Humbe
téléphona au colonel Roçadas. Il signalait qu'une mission allemande,
commandée par le « gouverneur de la colonie » — une erreur due à
l'insuffisance de l'interprète Jensen — était venue camper au Rio
Cunene, à proximité de Dongoena, afin d'avoir une entrevue avec les
autorités portugaises. Il ajoutait: « Ces Allemands se présentent
pacifiquement: je demande des instructions. »
Le colonel Roçadas répondit d'agir avec courtoisie, de faire préciser
aux Allemands leurs intentions et d'exiger la remise des armes et des
munitions, si le détachement voulait entrer sur territoire portugais.
Sur le vu de cette réponse, l'administrateur de Humbe partit
aussitôt pour le Cunene, en emmenant le D r Vageler comme inter-
prète. En arrivant à Eriksondrift, le 19 au matin, il apprit que le
D r Schultze-Jena et les officiers allemands étaient partis une heure plus
tôt pour Naulilaa. Le D r Vageler, inquiet, détacha à leur recherche
le soldat Kimmel, muni d'un sauf-conduit de l'administrateur de
Humbe.
d) Pendant ces faits, le commandant du fort de Naulilaa, le sergent
Gentil, avait appris l'arrivée du détachement Schultze-Jena, à Erik-
sondrift. Il détacha une patrouille pour inviter le commandant alle-
mand à se présenter au fort. Le Dr Schultze-Jena remit au chef de
patrouille une lettre pour le sergent Gentil, auquel il proposait une
entrevue, au lieu et à l'heure qui lui conviendraient.
e) Naulilaa relevait de la « capitainerie mor » de Cuamato l. Le sergent
Gentil envoya la lettre du D r Schultze-Jena à Cuamato, où se trouvait
le capitaine mor. Ce dernier, le capitaine Varao, donna au lieutenant
de cavalerie Sereno, stationné à Otokero, l'ordre écrit de gagner
Naulilaa, d'y faire prendre les mesures de défense nécessaires, puis,
d'aller reconnaître les Allemands, de les désarmer pour les faire interner
au fort Roçadas 2, et, si cela n'était pas possible, de s'informer adroite-
ment de leurs intentions. L'ordre ajoutait que ces instructions laissaient
le lieutenant Sereno libre d'agir de sa propre initiative, suivant les
circonstances.
Le lieutenant Sereno partit, le 18 à 1 heure du matin, avec 15 cava-
liers européens, pour Naulilaa, où il arriva dans la matinée. Sans
qu'il paraisse avoir rien ordonné pour la mise du fort en état de
défense, il repartit pour le camp allemand et l'atteignit vers midi.
Le lieutenant Sereno commença par intimer au D r Schultze-Jena
l'ordre d'évacuer le territoire portugais. Le D r Schultze-Jena voulut
d'abord obtempérer à cette injonction et fit seller les chevaux. Mal-
heureusement, il se ravisa et une discussion courtoise s'engagea au
sujet du lieu du campement. Au cours de cette discussion, le
D r Schultze-Jena expliqua qu'il avait écrit à l'administrateur de
Humbe et voulait attendre sa réponse.
Le lieutenant Sereno l'informa alors qu'il se trouvait dans la juridic-
tion de la capitainerie de Cuamato et le D r Schultze-Jena consentit
à se rendre le lendemain auprès du capitaine mor. Les deux détache-
1
1
50 km. environ de Naulilaa.
10 km. est Humbe.
1022 DOMMAGES COLONIES PORTUGAISES (SENTENCE 31 VII 2 8 )

ments campèrent paisiblement l'un près de l'autre. Le lieutenant


Sereno accepta l'invitation des officiers allemands et les relations
devinrent, en apparence au moins, parfaitement cordiales, bien que
Kimmel conservât certaines inquiétudes, sans pouvoir toutefois les
faire partager à ses chefs.
g) Ne parlant que leur propre langue, le D r Schultze-Jena et ses officiers
et le lieutenant Sereno ne pouvaient s'entretenir que par l'inter-
médiaire de l'interprète Jensen. Ce dernier savait à peine le portugais.
L'insuffisance de cet interprète — déj à cause d'une première confusion
à Humbe — devait provoquer un malentendu plus grave entre le
lieutenant Sereno et le D r Schultze-Jena. Lorsque le lieutenant Sereno
mentionna le capitaine mor de Cuamato, Jensen comprit que cet
officier se trouvait à Naulilaa. Il traduisit dans ce sens, si bien que le
D r Schultze-Jena et ses compagnons, en acceptant de se rendre le
lendemain à Naulilaa, étaient persuadés qu'ils y rencontreraient le
capitaine Varao.
Le lieutenant Sereno, au contraire, avait voulu expliquer que le
capitaine mor se trouvait à Cuamato, où le chef allemand devait
aller le trouver.
h) Le 19, vers 8 h. du matin, le Dr Schultze-Jena, accompagné des
lieutenants Loesch et Roeder, de l'interprète Jensen et d'ordonnances
indigènes, partirent pour Naulilaa, avec le détachement du lieutenant
Sereno.
Ce dernier avait insisté pour que les Allemands emportassent leurs
armes et leurs objets de literie : de fait, pensant rentrer à leur camp le
jour même, ils ne prirent avec eux que leurs armes.
En approchant du fort, l'officier portugais détacha un cavalier avec
ordre de faire préparer un déjeuner.
i) Le D r Schultze-Jena et ses compagnons arrivèrent au fort de Naulilaa
vers 9 heures. Leurs chevaux furent dessellés et attachés à la palissade.
Le lieutenant Sereno fit donner des ordres pour hâter les préparatifs
du déjeuner et revint sans armes auprès du groupe allemand.
Une discussion ne tarda pas à s'engager. Le D r Schultze-Jena
s'étonnait de l'absence du capitaine mor, tandis que le lieutenant
Sereno s'efforçait d'expliquer que son chef était à Cuamato. Produisant
l'ordre du capitaine mor, ordre qu'il s'était fait donner par le sergent
Gentil, le lieutenant Sereno le remit à l'interprète Jensen, en le char-
geant d'expliquer au D r Schultze-Jena qu'il devait se rendre à Cuamato
et que lui avait l'ordre exprès de ne pas le laisser retourner à son camp.
Jensen traduisit dans ce sens, mais en comprenant que l'ordre
produit par le lieutenant Sereno était une prétendue lettre, qui venait
d'arriver du capitaine mor.
Une fois de plus, l'incapacité de Jensen et son ignorance manifeste
du portugais créèrent un grave malentendu :
Le Dr Schultze-Jena, accueillant la prétendue lettre avec un scepti-
cisme compréhensible, protesta, refusant d'aller à Cuamato, et insista
pour rentrer à son camp.
j) Au cours de la discussion, le caporal Gonsalves remarqua que les
ordonnances noires du D r Schultze-Jena sellaient les chevaux. Il en
avertit le lieutenant Sereno, et, sur son ordre, commanda aux indigènes
de desseller. Mais il ne put se faire obéir.
Le Dr Schultze-Jena et ses compagnons se mirent en selle. Le lieute-
nant Sereno saisit alors la bride du chef allemand. A ce moment,
DOMMAGES COLONIES PORTUGAISES (SENTENCE 31 VII 2 8 ) 1023
r
suivant tous les témoins sauf l'interprète Jensen, le D Schultze-Jena
braqua sa carabine sur le lieutenant Sereno, tandis que le lieutenant
Roeder sortait son pistolet.
Le lieutenant Sereno donna à ses hommes l'ordre de faire feu.
Le Dr Schultze-Jena et le lieuienant Roeder furent atteints mortelle-
ment dans le fort même ; le premier-lieutenant Loesch parvint à s'enfuir,
mais tomba pour ne plus se relever à 3 ou 400 mètres de la palissade.
Jensen, légèrement blessé, fut fait prisonnier. Il en fut de même du
soldat Kimmel, qui arriva peu après, venant à la recherche du
D r Schultze-Jena. Ils furent tous deux internés jusqu'à la fin de la
guerre.
Le D r Schultze-Jena avait élé tué sur le coup. Le premier-lieutenant
Loesch fut trouvé mort là où il était tombé. Le lieutenant Roeder
fut transporté à l'intérieur du fort, grièvement blessé, et reçut des soins.
Il mourut avant que les secours médicaux que le lieutenant Sereno
avait demandés à Cuamato fussent arrivés.
Le colonel Roçadas avisa, le 21 octobre, le gouverneur de la colonie.
Ce dernier saisit son gouvernement et ordonna au colonel Roçadas de
faire procéder à une enquête rigoureuse. Cette enquête eut lieu et les
autorités portugaises arrivèrent à la conclusion que le lieutenant
Sereno n'avait fait que son devoir. Le dossier a disparu dans l'incendie
du fort de Naulilaa, après le combat du 18 décembre 1914, combat
au cours duquel le lieutenant Sereno fut tué.
l) Les autorités des deux colonies ne se firent aucune communication
de l'incident. Les postes allemands s'en transmirent la nouvelle par
radiotélégrammes en clair. Ce fait resta ignoré du gouverneur de
l'Angola.
3. La thèse portugaise attribue à la mission du Dr Schultze-Jena le but
caché, sinon de commencer par ses propres moyens l'invasion de l'Angola,
du moins d'en préparer les voies.
La thèse allemande, de son côté, implique, à l'adresse du capitaine mor et
du lieutenant Sereno, le reproche d'avoir attiré la mission Schultze-Jena
dans un guet-apens.
En présence des faits établis, les arbitres ne peuvent retenir ni l'une
ni l'autre de ces accusations:
a) II est prouvé, en effet, que la mission allemande devait assurer le
ravitaillement et les communications postales du Sud-Ouest africain.
Ce but était en lui-même trop important pour n'être qu'un simple
prétexte. La colonie allemande avait le plus grand intérêt au succès
de la mission et ce succès ne pouvait être obtenu qu'en observant
strictement les égards dus aux autorités portugaises.
C'était bien ainsi qu'avait procédé le Dr Schultze-Jena, lorsqu'il
s'était annoncé, non seulement à l'administrateur de Humbe, mais au
commandant du fort de Naulilaa, dès qu'il avait appris l'existence de
ce fort.
Ni la force, ni l'armement de l'expédition ne permettent de lui
supposer un but réel offensif.
La composition du détachement, le choix de son chef et son attitude
excluent, d'autre part, l'hypothèse d'une reconnaissance déguisée,
autrement dit d'espionnage. Semblable tâche aurait été confiée à des
émissaires isolés, parlant le portugais, pouvant passer inaperçus et
désavouables au besoin. Il ne pouvait être sérieusement question de
confier un service de reconnaissance clandestine à un détachement
1024 DOMMAGES COLONIES PORTUGAISES (SENTENCE 31 VII 2 8 )

encombré d'impedimenta, composé d'officiers et de soldats réduits aux


services d'un interprète, détachement commandé par surcroît par
un haut fonctionnaire, chargé d'une mission qui l'obligeait à
s'annoncer à toute autorité portugaise.
Il est même invraisemblable que le Dr Schultze-Jena, ou les officiers
qui l'accompagnaient, aient eu la mission accessoire de profiter de
l'accès qui leur serait accordé sur territoire portugais, pour recueillir
des renseignements militaires. Si tel avait été le cas, bien loin de refuser
de s'éloigner de la frontière, ils auraient accepté avec empressement
l'occasion de pénétrer le plus avant possible dans la zone où ils pou-
vaient faire des observations utiles.
b) D'autre part, la thèse allemande oppose, à tort, l'attitude du capitaine
mor de Cuamato à celle de l'administrateur de Humbe. Ce dernier,
simple fonctionnaire civil partiellement renseigné, du reste, sur le
but de la mission allemande par la lettre du D r Schultze-Jena, n'avait
qu'à faire rapport au gouverneur de la province et à suivre ses
instructions.
Le capitaine mor du Cuamato, par contre, était un chef militaire,
responsable de la sécurité de son secteur. Un détachement de belligé-
rants pénétrant en armes sur territoire neutre doit être, en principe,
ou désarmé et interné 1 ou refoulé, au besoin par la force. L'ordre du
capitaine mor était d'autant moins excessif que le précédent de Maziua
pouvait justifier certaines craintes et que le capitaine Varao avait pris
soin de laisser, à son subordonné, toute liberté d'agir suivant les
circonstances.
L'hypothèse d'un guet-apens tendu par le lieutenant Sereno,
hypothèse déjà bien difficilement conciliable avec les renseignements
recueillis sur cet officier, très estimé de ses chefs et courageusement
mort à l'ennemi, repose tout entière sur deux affirmations de Jensen :
Le lieutenant Sereno aurait fait croire au D r Schultze-Jena que le
capitaine mor était à Naulilaa. Puis — au moment où sa supercherie
allait se découvrir — il se serait fait remettre et aurait communiqué à
ses hôtes une lettre fictive du capitaine Varao.
La première supposition se heurte notamment au fait que le lieute-
nant Sereno avait insisté pour que les officiers allemands emportassent
leurs objets de literie, ce qui n'aurait eu aucun sens s'il les avait
invités à se rendre seulement à Naulilaa, soit à une heure à peine
d'Eriksondrift.
Quant au prétendu faux, les arbitres, se référant à leur réserve sur
la force probante de la déposition de Jensen, lorsqu'il s'agit de textes
rédigés en portugais ou de propos tenus dans cette langue, ne peuvent
admettre l'explication, en elle-même déjà invraisemblable, de l'inter-
prète. Ils s'en tiennent à la version plausible du sergent Gentil,
confirmée par le rapport du capitaine Varao, version suivant laquelle
le document dont le lieutenant Sereno a fait état à Naulilaa, était tout
simplement l'ordre du capitaine mor. On doit admettre que le lieute-
nant Sereno voulait, comme c'était son devoir, faire exécuter l'ordre
de son supérieur, en lui amenant le chef du détachement allemand.
4. La cause première du déplorable incident survenu au fort de Naulilaa
doit être cherchée, d'abord dans un malentendu initial, dû au fait que les
acteurs ne se comprenaient pas et que leur interprète était incapable;
1
Convention internationale de 1899, art. 57; Convention de 1907, art. 11.
DOMMAGES COLONIES PORTUGAISES (SENTENCE 31 VII 2 8 ) 1025

ensuite, dans une erreur, suivie d'une imprudence, commise par le


D r Schultze-Jena.
Ce dernier avait, sans doute sans le savoir, car il cherchait manifestement
à mettre toute correction de son côté, pénétré en armes sur territoire portugais
et se trouvait ainsi dans une situation fausse. Dès qu'il en fut avisé, la
prudence lui commandait de se relirer sur territoire allemand, comme le
lieutenant Sereno l'en sommait et comme lui même a d'abord voulu le faire.
Étant resté sur place, et ayant accepté d'aller s'expliquer auprès du capitaine
mor, le Dr Schultze-Jena, alors indiscutablement sur territoire portugais,
devait se conformer aux instructions du représentant de l'autorité militaire
portugaise, sauf à protester, auprès de cette autorité. Sereno produisant
l'ordre du capitaine mor, il y avait, de la part du D' Schultze-Jena, impru-
dence à refuser de déférer aux injonctions d'un subalterne, tenu d'exécuter
les instructions de son supérieur. En voulant quitter Naulilaa, malgré les
représentations du lieutenant Sereno, le D r Schultze-Jena s'exposait à
y être retenu de force.
La cause finale a été un geste malheureux — et peut-être mal interprété
— du Dr Schultze-Jena et sans doute aussi du lieutenant Roeder.
Sur ce point, les arbitres s'en tiennent au témoignage unanime des témoins
oculaires portugais, plutôt qu'à la déposition isolée de Jensen. L'hypothèse,
suivant laquelle le lieutenant Sereno aurait fait tuer de propos délibéré
le D r Schultze-Jena et ses compagnons, supposerait celle, déjà écartée,
d'un guet-apens. Cette hypothèse est du reste inconciliable avec l'attitude
observée par l'officier portugais et avec les sentiments qui peuvent lui être
raisonnablement prêtés. Si le lieutenant Sereno avait voulu détruire ou
capturer la mission allemande, il n'aurait pas cherché d'abord à lui faire
repasser la frontière. En faisant tuer sans nécessité le D r Schultze-Jena et
ses compagnons, alors qu'il devait les conduire auprès du capitaine mor,
il aurait engagé lourdement sa responsabilité et se serait exposé à être
désavoué et traduit en conseil de guerre. Il est évident que, interprétant
comme une menace le geste du D r Schultze-Jena et celui du lieutenant
Roeder, le lieutenant Sereno, lui-même sans armes, a cru agir en état de
légitime défense.
5. Les arbitres arrivent dès lors aux conclusions suivantes:
a) L'incident de Naulilaa n'est pas la conséquence d'actes contraires
au droit des gens imputables aux organes civils ou militaires allemands
ou portugais. En particulier, il faut exclure, de la part de la mission
Schultze-Jena, toute pénétration calculée sur territoire portugais,
avec le but clandestin d'en commencer ou préparer l'invasion, et de
la part des autorités militaires régionales portugaises, toute intention
préméditée d'attirer à Naulilaa le détachement allemand, pour le
détruire ou le capturer.
b) Le déplorable événement, survenu au fort même, a un caractère nette-
ment fortuit. Il a été le résultat, d'abord d'une série de malentendus
dus à l'insuffisance de l'interprète Jensen, puis d'une certaine impru-
dence de la part du D r Schultze-Jena, enfin, d'un geste malheureux,
peut-être mal interprété, mais qui pouvait faire croire au lieutenant
Sereno qu'il était menacé et se trouvait en état de légitime défense.

ad D. Question des représailles.

1. La doctrine la plus récente, notamment la doctrine allemande, définit


la représaille en ces termes:
65
1026 DOMMAGES COLONIES PORTUGAISES (SENTENCE 31 VII 2 8 )

La représaille est un acte de propre justice (Selbsthilfehandlung) de l'État


lésé, acte répondant — après sommation restée infructueuse — à un acte contraire
au droit des gens de l'État offenseur. Elle a pour effet de suspendre momen-
tanément, dans les rapports des deux États, l'observation de telle ou telle
règle du droit des gens. Elle est limitée par les expériences de l'humanité et
les règles de la bonne foi, applicables dans les rapports d'État à État. Elle
serait illégale si un acte préalable, contraire au droit des gens, n'en avait fourni le
motif. Elle tend à imposer, à l'État offenseur, la réparation de l'offense ou
le retour à la légalité, en évitation de nouvelles offenses.
Cette définition n'exige pas que la représaille reste proportionnée à l'offense.
Sur ce point, les auteurs, unanimes jusqu'il y a quelques années, commencent
à être divisés d'opinion. La plupart voient, dans une certaine proportion
entre offense et représaille, une condition nécessaire de la légitimité de la
seconde1. D'autres auteurs a , parmi les plus modernes, n'exigent plus
cette condition. Quant au droit international, actuellement en formation
à la suite des expériences de la dernière guerre, il tend certainement à
restreindre la notion de représaille légitime et à prohiber l'excès3.
2. La thèse allemande se résume comme suit:
a) La destruction ou la capture de la mission Schultze-Jena, à Naulilaa,
constituait un acte contraire au droit des gens, acte donnant au
Gouvernement du Sud-Ouest africain un juste motif d'exercer des
représailles.
b) Sitôt informé de l'incident de Naulilaa, le gouverneur Seitz fit, durant
plusieurs nuits, transmettre — en clair — à tous les postes radiotélé-
graphiques allemands, la nouvelle de «l'assassinat » duD r Schultze-Jena
et de ses compagnons. Cette communication, qui s'adressait aussi au
Gouvernement de l'Angola, valait sommation aux autorités portu-
gaises de fournir des explications et de rendre les deux prisonniers,
Jensen et Kimmel. Aucune réponse n'ayant été faite, «on en était
réduit, du côté allemand, à se faire justice à soi-même 4 ».
c) Y eût-il eu excès dans les représailles, cet excès, certainement excusable,
n'engagerait pas la responsabilité de l'Allemagne. En fait, il n'y eut
pas excès. La mort du D r Schultze-Jena et de ses compagnons justifiait
l'attaque du fort de Cuangar. Malgré cet avertissement, non seulement
les autorités portugaises ne libérèrent pas les deux prisonniers illégale-
ment internés, mais elles firent expulser de Lubango le vice-consul
allemand Schoess.
d) En conséquence, les actes commis par les troupes allemandes sur
différents points de la frontière de l'Angola n'engagent pas la responsa-
bilité de l'Allemagne.

1
Cf. Hershey, Essential of International Law, 1912, p. 344; Oppenheim,
International Law, 3 m e éd., 1920, p. 48; Despagnet, Cours de droit international public,
4me éd., 1910, p. 781 ; Fauchille, Traité, I, 3m<= partie, n° 978; Rolin, Le droit
moderne de la guerre, 1920, I, 116, 311; de Louter, Droit international positif, 1920,
II, p. 201 ; Diena, Principi di dir. int., 2meed., 1914, p. 483; Art. 70 du Projet de
Bruxelles, 1874; Art. 86 des Décisions de l'Institut, Oxford, 1888, Ann. V.,
p. 157.
2
Cf. Hatschek, Volkerrechtt, 1923, p. 405, a; Anzilotti, Corso, III, p. 167.
3
Cf. Redslob, Histoire des grands principes du droit des gens, 1923, pp. 466 et
suiv.; Waldkirch, Volkerrecht, 1926, p. 328; Nippold, Die Gestaltung desVôlker-
rechts nach dem Weltkriege, 1917, p. 85; S. d. N., Travaux récents du Comité
d'arbitrage et de sécurité.
4
Réponse allemande, p. 49.
DOMMAGES COLONIES PORTUGAISES (SENTENCE 31 VII 2 8 ) 1027

3. Les arbitres ne peuvent admettre cette thèse, pour les motifs suivants:
a) Suivant la décision de principe prise plus haut au sujet de l'incident
de Naulilaa, la mort du Dr Schultze-Jena et des deux officiers qui
l'accompagnaient, n'a pas été la conséquence d'un acte contraire au
droit des gens des autorités portugaises.
b) Un État neutre a le droit de désarmer et d'interner les belligérants qui
pénètrent, en armes, sur son territoire 1 . L'internement de l'interprète
Jensen et du soldat Kimmel était donc, en principe, autorisé par le
droit des gens positif. La légitimité de cet internement aurait pu être
discutée, s'il avait été prouvé que les deux internés se trouvaient encore
sur territoire allemand lors de l'intervention du lieutenant Sereno. Si
tel avait été le cas, Jensen serait entré en territoire portugais sur l'invi-
tation d'un officier portugais. Quant à Kimmel, il y aurait pénétré
avec l'autorisation de l'administrateur de Humbe et la question d'un
internement illicite se serait posée. Mais le fait que la mission dont
Jensen et Kimmel faisaient partie, se trouvait, au camp d'Erikson-
drift, encore sur territoire allemand, n'a jamais été établi, ni avant les
représailles, ni même devant les arbitres. Les autorités allemandes
auraient pu invoquer le doute et insister pour un règlement courtois
de la question d'internement. Elles ne pouvaient, par contre, voir
dans cet internement ou dans son maintien, un acte contraire au
droit des gens, leur donnant un juste motif d'exercer des représailles
à main armée.
c) Le vice-consul Schoess était encore en fonctions, à Lubango, le
28 novembre 1914. L'attaque du fort de Cuangar, le 31 octobre, la
destruction des postes du bas Cubango, du 4 au 15 novembre, et
l'expédition Franck, décidée le 28 octobre, ne peuvent avoir été motivées
par son expulsion. Au surplus, l'expulsion d'un agent consulaire,
dont un État estime avoir à se plaindre, peut constituer un acte « peu
amical », donnant lieu à, des représentations par voie diplomatique 2,
mais il ne peut y avoir, dans semblable exercice du droit de souveraineté
de l'État neutre, un acte contraire au droit des gens, justifiant, à
titre de représailles, une attaque accompagnée de toutes les rigueurs
de la guerre.
d) La première condition — sine qua non — du droit d'exercer des repré-
sailles est un motif fourni par un acte préalable, contraire au droit des
gens. Cette condition — dont la thèse allemande reconnaît la nécessité3
— manque, ce qui suffirait pour faire écarter le moyen invoqué
par le Gouvernement allemand.
e) Même si les arbitres avaient retenu, à la charge des autorités portu-
gaises, un acte contraire au droit des gens pouvant, en principe,motiver
des représailles, la thèse allemande devrait néanmoins être écartée
pour deux autres motifs, l'un et l'autre décisifs:
1. La représaille n'est licite que lorsqu'elle a été précédée d'une sommation
restée infructueuse. L'emploi de la force ne se justifie, en effet, que par
son caractère de nécessité 4. Or, il est impossible de considérer comme
une sommation d'État à État, le fait par les autorités de l'État offensé
de se communiquer, les unes aux autres, la nouvelle de la prétendue
1
8
Convention internationale, 1899, art. 57; 1907, art. II.
Comme cela fut le cas, en janvier 1915, lors de l'expulsion des consuls et
vice-consuls
3
allemands de Loanda et de Benguela, « Livre blanc », n° 223.
Cf. Réponse allemande, p. 50.
* Fauchille, Traité, I, 3mr partie, n° 978.
1028 DOMMAGES COLONIES PORTUGAISES (SENTENCE 31 VII 28)

offense. En fait, les messages transmis de Windhoek aux postes alle-


mands, paraissent avoir été ignorés des autorités portugaises. Même
captés, du reste, ces messages n'eussent impliqué aucune sommation.
Suivant le gouverneur Seitz, les autorités allemandes avaient dû
renoncer à l'envoi de parlementaires, dans la crainte que ces derniers
ne fussent tués ou faits prisonniers. Les arbitres ne peuvent, toutefois,
admettre cette explication. La personne d'un parlementaire, se présen-
tant comme tel, est, en principe, inviolable. Au surplus les événements
de Cuangar, pour ne citer que ceux-là, démontrent qu'il eût été
facile, aux postes-frontière allemands, de faire escorter et au besoin
respecter un parlementaire, chargé de la simple remise d'un pli à
l'un des postes portugais. Il y a donc eu, de la part des autorités du
Sud-Ouest africain, recours à la force, sans essai préalable d'obtenir
satisfaction par les voies légales, ce qui exclut de nouveau la légitimité
des représailles exercées.
2. La nécessité d'une proportion entre la représaille et l'offense, paraît
être reconnue dans la réponse allemande *. Même si l'on admettait
que le droit des gens n'exige pas que la représaille se mesure approxi-
mativement à l'offense, on devrait certainement considérer, comme
excessives et partant illicites, des représailles hors de toute proportion
avec l'acte qui les a motivées. Or, en l'espèce, — même sans tirer
argument du précédent de Maziua, à raison duquel une certaine
modération s'imposait, — il y a eu disproportion évidente entre
l'incident de Naulilaa et les 6 actes de représailles qui l'ont suivi.
Les arbitres arrivent donc à la conclusion que les agressions allemandes
d'octobre, novembre et décembre 1914, à la frontière de l'Angola,
ne peuvent être considérées comme représailles licites de l'incident de
Naulilaa ou d'actes postérieurs des autorités portugaises, ce faute de
motif suffisant, de sommation préalable et d'une proportion admissible
entre l'offense alléguée et les représailles exercées.

ad E. Responsabilité de principe du Gouvernement allemand à


raison des agressions à la frontière de l'Angola.
Les faits invoqués ne sont contestés que sur des questions de détails. Ces
questions pourront avoir leur importance, lorsqu'il s'agira de déterminer
la quotité d'indemnités dues: leur solution ne peut influer sur le principe de
la responsabilité. Il est, dès lors, superflu d'analyser ici les témoignages. Il
suffit de constater que, du 31 octobre au 18 décembre 1914, les forces alle-
mandes ont assailli et détruit plusieurs forts ou postes-frontière portugais.
A côté des dégâts matériels, de fortes pertes, en tués, blessés ou prisonniers,
ont été infligées aux garnisons portugaises. Enfin, la retraite des garnisons
a entraîné la destruction volontaire d'autres installations militaires et
elle a été suivie d'une révolte des indigènes. Cette révolte a causé des dom-
mages considérables dans la province d'Huila, et n'a pu être réprimée
qu'à la suite d'une expédition meurtrière et coûteuse.
Les agressions ont eu lieu longtemps avant la déclaration de guerre,
survenue le 9 mars 1916. Il s'agit donc de violations délibérées de la frontière
1
Cf. Réponse, p. 59: « Celui qui use de représailles, ne faisant autre chose
que de répondre à un acte contraire au droit des gens par un autre acte, il est
évident que le mal causé par le second des actes doit être proportionné au mal
causé par le premier. »
DOMMAGES COLONIES PORTUGAISES (SENTENCE 31 VII 28) 1029
1
d'un État neutu. Le territoire neutre étant inviolable , l'action des forces
allemandes était, en principe, contraire au droit des gens. Cette action ne
pouvant se justifier à titre de représailles, il faut admettre que les autorités
du Sud-Ouest africain ont contrevenu à l'une des règles expresses du droit
des gens positif. Il s'agit, dès lors, indiscutablement, d'actes visés par le
§ 4 de l'annexe aux articles 297 et 298, même si l'on interprète les termes
« actes commis » dans le sens le plus restrictif. L'Allemagne répondant,
suivant le Traité, des actes •< de toute autorité allemande », sa responsa-
bilité se trouve, en principe, engagée; par les mesures prises par les autorités
militaires pu civiles du Sud-Ouest africain.
ad F. Étendue de la responsabilité de l'Allemagne.
Certains des dommages dont le Portugal demande réparation sont la
conséquence immédiate des actes injustifiés d'agression commis par l'Alle-
magne: soldats ou civils tués ou blessés dans les combats avec les troupes
allemandes, destruction par le feu ennemi des forts ou postes et de tout ce
qu'ils contenaient, approvisionnements, matériel de guerre, etc. Il est
évident que — conformément à ce qui a été décidé au sujet de l'incident de
Maziua — l'Allemagne répond de tous ces dommages, mais il incombera
au Portugal d'en donner la liste précise et détaillée.
Pour le surplus, les réclamations portugaises se rapportent à des dommages
dont les agressions allemandes ne sont dans tous les cas pas la cause unique.
Les troupes portugaises ayant battu en retraite après le combat de Naulilaa
et les forts et postes de la ligne du Cunene ayant été évacués, les indigènes
se sont soulevés. Cette révolte a pr;s une très grande extension, elle a été
compliquée par des luttes entre les différentes tribus, toute une immense
région très fertile a été mise au pillage, les populations indigènes les plus
paisibles ont été massacrées, la famine due à une exceptionnelle sécheresse
a aggravé le désastre. Pour réduire la rébellion, pour réoccuper le territoire
abandonné, pour soumettre la peuplade des Cuanhamas qui n'avait jamais
reconnu la domination portugaise, une expédition militaire importante
a été nécessaire et elle a dû livrer des combats violents avant d'atteindre son
objectif. Au total, un pays ravagé, une population indigène décimée, une
campagne coûteuse et meurtrière, tels sont les éléments du dommage qui,
d'après le Portugal, doit être répart; par l'Allemagne.
L'État défendeur décline toute responsabilité en faisant observer que ce
dommage a été causé, non par les actes qu'il a commis, mais par la révolte
des nègres à laquelle il est resté étranger. Le Portugal, au contraire, s'est
attaché à démontrer que la révolte était le résultat d'une propagande anti-
portugaise exercée auprès des indigènes par des agents allemands et que ce
sont également les Allemands qui ont poussé les Cuanhamas à la résistance
et les ont armés et instruits.
En ce qui concerne la prétendue propagande, les arbitres ne peuvent
c*isidérer que des preuves suffisantes en aient été rapportées. Dès le commen-
cement de la guerre, le bruit a couru dans la colonie de l'Angola que des
agents allemands se livraient à l'espionnage, préparaient l'invasion de la
colonie et excitaient les indigènes contre la domination portugaise. Ces
rumeurs trouvaient d'autant plus facilement créance qu'une grande effer-
vescence régnait dans la colonie, que la position que le Portugal prendrait
dans le conflict mondial n'était pas encore définie et qu'enfin, depuis long-

Cf. Convention internationale de La Haye, 1907, art. I.


1030 DOMMAGES COLONIES PORTUGAISES (SENTENCE 31 VII 28)

temps, il était question de visées allemandes sur l'empire colonial portugais.


Les autorités ne sont pas restées inactives. Elles ont enquêté, elles ont voué
une attention particulière à la conduite du vice-consul allemand à Lubango,
Schoess, qui passait pour l'organisateur de la propagande, elles ont fait
surveiller les membres allemands d'une Commission d'études qui était
réputée poursuivre des buts politiques sous le couvert d'une activité purement
économique1, elles ont opéré l'arrestation de l'un des membres de cette
commission, l'ingénieur Schubert. Armées de tous les pouvoirs que leur
conférait l'état de siège, elles n'ont rien pu établir de précis: l'instruction
ouverte contre Schubert s'est terminée par un non-lieu et l'on s'est borné
à expulser, comme indésirables, les Allemands de la colonie, sans les inquiéter
autrement. Si, déjà à l'époque même, on n'est pas parvenu à réunir des
charges suffisantes contre ces prétendus agents de la propagande allemande,
il est naturel que, dix ans plus tard, l'instruction du présent procès n'ait pas
donné des résultats plus positifs. Une seule chose est certaine, c'est que,
contrairement aux ordonnances rendues, le vice-consul Schoess s'est efforcé
de faire passer dea vivres dans la colonie allemande dont le ravitaillement
était mal assuré, qu'il a correspondu à cet effet avec les autorités de cette
colonie, notamment par l'intermédiaire d'un boer Du Plessis, et que les
membres de la Commission d'études lui ont prêté leur concours. Mais que
cette contrebande ait été accompagnée d'un travail d'agitation parmi les
boers et les indigènes, il n'est pas possible de l'affirmer et il paraît bien peu
vraisemblable que les autorités allemandes aient conçu le projet de provo-
quer une révolte destinée à leur permettre l'invasion de la colonie portu-
gaise, alors qu'on constate qu'arrivé à pied d^œuvre, après le combat de
Naulilaa, le commandant allemand s'est abstenu de profiter du soulèvement
des noirs et qu'il a cherché, au contraire, à se mettre en communication
avec le commandant portugais pour prévenir ou réprimer la révolte commen-
çante.
Quant aux Cuanhamas, peuplade belliqueuse soumise aux caprices
d'un chef sanguinaire, les preuves de la participation d'agents allemands
à sa résistance à l'autorité portugaise font complètement défaut. Les
graves accusations portées à cet égard contre les missionnaires allemands
de la Mission évangélique rhénane ne reposent que sur des suppositions
sans consistance. La prétendue visite que le major Franck leur aurait
rendue peu avant l'expédition de Naulilaa, en vue de préparer la lutte contre
le Portugal, remonte en réalité à l'année 1908 et ne présente aucun caractère
suspect. S'il est constant qu'en 1915, les troupes portugaises ont dû livrer
de durs combats avant de briser la résistance des Cuanhamas, on ne peut
naturellement pas en induire qu'ils avaient dû être armés et instruits par
les Allemands. On sait, au contraire, que les autorités allemandes inter-
disaient strictement l'accès de la contrée qu'ils occupaient et qui était en
partie sur territoire allemand, en partie sur territoire portugais. Elles
redoutaient la survenance de troubles qui auraient privé la colonie de la
main-d'œuvre fournie aux mines du Damaraland par les Cuanhamas et
elles se seraient gardées de fournir des armes qui pouvaient être tournées
aussi facilement contre les Allemands que contre les Portugais. La contre-
bande des armes, si répandue en Afrique, suffit parfaitement à expliquer
que les Cuanhamas possédassent néanmoins d'assez nombreux fusils.
Ce n'est donc pas comme instigatrice de la révolte des noirs que l'Alle-
magne pourrait être tenue de réparer les dommages causés par cette révolte.

Projet de construction de chemins de fer au S. de l'Angola.


DOMMAGES COLONIES PORTUGAISES (SENTENCE 31 VII 2 8 ) 1031

Mais on doit encore se demander si elle en répond peut-être parce que,


sans les agressions dont elle s'est rendue coupable, le soulèvement ne se
serait pas produit. A ce point de vue, le cas des Cuanhamas est tout spécial :
dès avant la guerre, cette peuplade était en état de rebellion, les frais des
expéditions portugaises destinées à la soumettre * ne peuvent donc natu-
rellement être mis à la charge de l'Allemagne. Par contre, il est des plus
probable que le soulèvement des autres indigènes, qui a suivi immédiatement
le combat de, Naulilaa, est en relation avec ce combat, les noirs ayant
profité de la défaite portugaise pour se révolter. La question qui se pose est
celle de savoir si, dans le calcul de l'indemnité due à raison de l'agression
allemande, on peut tenir compte des dommages que cette agression a entraî-
nés indirectement en fournissant à des auteurs indépendants — les noirs —
l'occasion de commettre les actes qui les ont directement causés.
Le problème de la responsabilité des dommages indirects a été souvent
abordé dans la jurisprudence et la doctrine du droit des gens 2. Dans
l'affaire célèbre de PAlabama, les arbitres ont déclaré faire abstraction
de ce genre de dommages. Cette décision a été critiquée 3 et, dans des
affaires ultérieures, les arbitres ont assez fréquemment indemnisé pour des
dommages qui n'étaient pas directs *. Et, en effet, il ne serait pas équitable
de laisser à la charge de la victime les dommages que l'auteur de l'acte
illicite initial a prévus et peut-être même voulus, sous le seul prétexte que,
dans la chaîne qui les relie à son acte, il y a des anneaux intermédiaires. Mais
par contre tout le monde est d'accord que, si même on abandonne le prin-
cipe rigoureux que seuls les dommages directs donnent droit à réparation,
on n'en doit pas moins nécessairement exclure, sous peine d'aboutir à une
extension inadmissible de la responsabilité, les dommages qui ne se rattachent
à l'acte initial que par un enchaînement imprévu de circonstances excep-
tionnelles et qui n'ont pu se produire que grâce au concours de causes
étrangères à l'auteur et échappant à toute prévision de sa part. C'est ainsi
que, malgré le texte du traité du 25 août 1921, entre les États-Unis d'Amé-
rique et l'Allemagne, qui oblige l'Allemagne à réparer les dommages
causés aux citoyens américains « directement ou indirectement » (directly
or indirectly), les arbitres 5 chargés d'appliquer ce traité n'ont pas hésité
à refuser toute indemnité du chef de préjudices qui, bien qu'en relation de
causalité avec les actes commis par l'Allemagne, dérivaient en même temps
d'autres causes plus rapprochées6. Aussi bien, le Portugal lui-même '
a-t-il déclaré expressément renoncer à la réparation des dommages indirects
qu'il a soufferts. Si néanmoins il réclame des indemnités du chef des dom-
mages causés par la révolte des nègres, c'est en soutenant, d'une part,
que cette révolte a été préparée par l'Allemagne et, d'autre part, qu'elle
était la conséquence naturelle et nécessaire des agressions commises. Les
1
2
Expéditions Roçadas et d'Eça.
Voir un résumé dans Hauriou, Revue générale du droit international public,
tome XXXI, pp. 203 et suiv.
3
Voir De Lapradelle et Politis, Recueil des arbitrages internationaux, tome II,
note doctrinale page 977.
4
Cf. Ralston, The Law and Procedure of International Tribunals, pp. 241
et suiv.
1
8
Mixed Claims Commission.
Notamment de la libre détermination du lésé; cf. Mixed Claims Commis-
sion,
7
I, pp. 11 et suiv. et pp. 33 et suiv.
Mémoire, pp. 94 et 95.
1032 DOMMAGES COLONIES PORTUGAISES (SENTENCE 31 VII 28)

arbitres ont examiné ci-dessus le premier de ces moyens et l'ont rejeté


faute de preuve. Et quant au second, il y a lieu d'observer ce qui suit:
L'expédition Franck avait pour seul but d'exercer — sans droit, comme
on l'a dit — des représailles en détruisant le fort même où trois Allemands
avaient perdu la vie. Cet objectif n'était accompagné d'aucune idée d'inva-
sion ou de conquête de la colonie portugaise. Aussitôt après le combat
et l'incendie du fort, la colonne allemande s'est retirée, sans esquisser le
moindre mouvement de poursuite des forces portugaises. Mais, se méprenant
à la fois sur les effectifs et sur les intentions de son adversaire, le commande-
ment portugais a jugé à propos de se replier au N.-O. en faisant évacuer
les forts de la rive gauche du Cunene. Ce repli s'est poursuivi bien au-delà de
la ligne primitivement envisagée et ce qui a, plus que tout, contribué à
l'accentuer, c'est le bruit de l'explosion du fort Roçadas qui a fait croire
que les Allemands menaçaient les communications portugaises, alors que
c'était la garnison même du fort qui, conformément aux instructions reçues,
l'avait fait sauter *. Au lieu de s'arrêter à Humbe, l'armée portugaise s'est
retirée jusqu'à Cahama-Gambos, abandonnant la riche contrée qui s'étend
au S.-E. de ces localités, ce qui permit à la révolte des nègres de prendre
une extension qui, sans cela, n'aurait pas été possible. Les arbitres n'enten-
dent ni critiquer ni juger, du point de vue militaire, les disposition ainsi
prises par le commandement portugais, pas plus qu'ils n'ont à apprécier son
refus d'entrer en communication avec le commandement allemand qui,
après le combat, a tenté de se mettre en rapport avec lui pour empêcher
le soulèvement menaçant des noirs. Mais ils doivent constater que, s'il
a cru devoir repousser ces ouvertures et sacrifier la vaste région qu'a em-
brasée immédiatement la révolte indigène, il l'a fait dans la plénitude de sa
responsabilité, qu'il n'a pas agi sous la pression de l'armée allemande et
que par conséquent l'Allemagne ne peut être rendue responsable des suites
dommageables de la détermination librement prise par le commandement
portugais.
Toutefois, il est certain qu'en elle-même l'agression allemande était de
nature à amener des troubles, dans la population indigène, qu'il était dans
l'ordre naturel des choses que les noirs, soumis depuis bien peu d'années,
en profitassent pour se révolter. Sans doute, les Allemands ne pouvaient
prévoir l'extension que cette révolte a prise en raison des circonstances
particulières qui viennent d'être rappelées, mais ils devaient compter que
leur action militaire, dans une contrée tout récemment pacifiée, entraînerait
des conséquences redoutables pour l'autorité portugaise. Il ne serait donc
pas juste de limiter la responsabilité de l'Allemagne strictement aux
dommages que les troupes allemandes ont causés elles-mêmee et elles seules,
et il y a lieu d'accorder au Portugal, en sus de la réparation de ces dommages,
une indemnité dont les arbitres arrêteront équitablement le chiffre, en tenant
compte de toutes les circonstances, mais sans qu'il soit nécessaire d'entrer
dans le détail des réclamations.

En résumé, il faut distinguer deux catégories de dommages: les dommages


immédiats causés par les agressions allemandes que l'État défendeur est
tenu de réparer entièrement, mais que le Portugal devra tout d'abofd établir
et chiffrer — et les autres dommages dont les pièces déjà produites permet-
tent, sans nouvelle instruction, d'évaluer l'importance et dont les arbitres
tiendront compte, dans une mesure très limitée, par la fixation d'une indem-
1
Voir rapport Roçadas, pp. 207 et suiv.
DOMMAGES COLONIES PORTUGAISES (SENTENCE 31 VII 28) 1033

nité supplémentaire équitable, en prenant en considération la pré-


pondérance des causes concomitantes étrangères à l'Allemagne.
Par ces motifs,
Disent que l'Allemagne doit réparer les dommages causés par les agressions de
Maziua, Cuangar, Bunga, Sambio, Dirico, Mucusso et Naulilaa.
Réservent la quotité des dommages-intérêts qui seront fixés ultérieurement en confor-
mité des considérants qui précèdent, et après instruction complémentaire, suivant
ordonnance notifiée aux parties en même temps que la présente sentence,
Réservent les frais.

Lausanne, le 31 juillet, 1928.


Aloïs de Meuron,
Robert Fazy, Robert Guex.

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