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X Phys.

I V France 10 (2000)
O EDP Sciences, Les Ulis

Turbines à vapeur : principes, problèmes et perspectives


C. Bonhomme

ALSTOM- LCA, 141rue Rateau, 93126 La Courneuve cedex, France

Résumé : Le rendement du cycle thermodynamique d'une centrale électrique thermique augmente avec la température
à l'admission de la turbine à vapeur, mais sa valeur est limitée par la résistance des matériaux.
En nous appuyant s u une turbine à hautes caractéristiques en exploitation aujourd'hui, nous passerons en revue
rapidement les différents principes de fonctionnement d'une turbine à vapeur, ensuite nous nous concentrerons sur les
problèmes rencontrés par les différents composants (fluage, cyclage, relaxation, ténacité ...) ainsi que sur les
matériaux utilisés et enfin nous envisagerons les perspectives à plus ou moins long terme (matériaux base Ni ...).

1. PRESENTATION DE LA TURBINE A VAPEUR DANS SON ENVIRONNEMENT

La puissance des grandes îurbines à vapeur d'ALSTOM s'échelonne de 100 MW (Méga Watts) à 1500
MW, puissance atteinte dans les dernières centrales nucléaires en France. Le cycle thennodynamique
classique d'une centrale électrique comporte une source chaude, la chaudière, une source froide, eau
de mer, eau de rivière . .. par l'intermédiaire du condenseur, des réchauffeurs, une pompe et ce qui
nous intéresse plus particulièrement ici une turbine à vapeur qui détend la vapeur d'eau d'un état à

Article published online by EDP Sciences and available at http://dx.doi.org/10.1051/jp4:2000404


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haute pression et haute température ( = 180bar, 540°C) vers un état à basse pression et basse
température ( * 50mbar, 35°C) en récupérant du travail sur l'arbre pour faire tourner un alternateur et
ainsi produire de l'électricité.

Les conditions énumérées ci-dessus correspondent à une centrale thermique classique et conduisent à
un rendement d'environ 40 %.

11 est toujours intéressant d'augmenter ce dernier afm de diminuer la consommation de combustible et


les émanations de COz ; ceci est réalisé par augmentation des conditions amont. Ces cycles sont
appelés supercritiques car la pression dépasse la pression du point critique de l'eau 221 bar.

ALSTOM a réalisé dernièrement 2 centrales de ce type à Skaerbaek et Nordjylland au Danemark, les


conditions en amont de la turbine sont 285 bar et 580°C et le rendement a atteint 49 % ([Il).

Dans la suite de cet article et dans une optique matériau, nous allons, dans un premier temps,
expliquer les problèmes classiques de conception des turbines à vapeur et les solutions mises en
œuvre pour y remédier, et dans un deuxième temps exposer les perspectives envisagées à plus ou
moins long terme.

PROBLEMES RENCONTRES ET MATERIAUX UTILISES

Avant de passer en revue les différents composants de la turbine attardons-nous quelques instants sur
les phénomènes physiques principaux qui gèrent le comportement mécanique de nos pièces :

Dans le domaine chaud : fluage, relaxation, cyclage thermique et grippage


Le fluage se manifeste dans une pièce soumise à une contrainte constante et à une
température élevée ( > 450 OC pour les aciers) par un allongement qui croit en permanence
avec le temps jusqu'à rupture.
La relaxation procède du même phénomène physique que le fluage. Elle se manifeste sur
une pièce soumise à un allongement constant et à une température élevée ( > 450 OC pour
les aciers) par une diminution de la contrainte dans le temps.
Le cyclage thermique est la variation cyclique d'allongement des pièces par dilatation
thermique lors de chaque démarrage et arrêt.

Dans le domaine froid :ténacité, fatigue, corrosion sous tension, érosion.


La ténacité est l'aptitude à éviter la propagation rapide des fissures.
La fatigue correspond au cyclage.
La corrosion sous tension se manifeste sur des pièces soumises à une contrainte suffisante
dans un milieu de vapeur d'eau de condition environ 100°C et 3 % d'humidité.
L'érosion se manifeste dans des zones à fort taux d'humidité et vitesse de l'écoulement
élevée.

2.1. Les organes d'admission

Ce sont les "robinets" du système, ils permettent d'arrêter l'arrivée de la vapeur ou d'en régler le débit
en faisant varier la section de passage offerte à la vapeur.
Ces organes sont composés essentiellement d'un corps qui reçoit la pleine pression et la pleine
température ,et d'un élément mobile naturellement environné par un écoulement très énergétique et
donc source d'excitations dynamiques.
42e COLLOQUE DE MÉTALLURGIE

Ils doivent tenir convenablement au fluage et la pièce coulissante ne doit pas gripper.
Pour cela l'acier 1 % CrMoV est utilisé jusqu'à 565°C et ensuite un acier à 9 % CrMoV.
Au dessus de 580 / 590°C l'oxydation qui apparaît impose l'utilisation d'un acier à 12 % Cr (dont les
caractéristiques au fluage sont un peu moins bonnes qu'un acier à 9 % Cr.
Pour un guidage correct sans grippage un dépôt à base de Cobalt est effectué sur toutes les faces de
contact.

2.2. Les corps moulés

Au dessus de 100 bar et 510°C, les modules chauds sont composés de 2 enveloppes qu'on appelle
corps interne et corps externe parce que 2 parois fines sont beaucoup plus performantes qu'une paroi
épaisse en terme d'inertie thermique et donc de souplesse de fonctionnement.
Ces corps sont montés en libre dilatation et guidés précisément de sorte à toujours garder la
concentricité entre le stator et le rotor.
Ces corps étant moulés les matériaux utilisés nécessitent une bonne soudabilité pour les réparations
par le fondeur après la sortie du moule. Les matériaux mis en œuvre sont les suivants :
Pour le corps interne : acier 1,25 % CrMoV, ou acier 9 % CrMoV (pour les applications vers
580°C) ou encore l'acier 12,25 % CrMo pour les machines nucléaires (température faible et forte
humidité).
Pour le corps externe : acier 2,25 % CrMo (meilleure trempabilité et soudabilité que l'acier 1,25 %
CrMoV).

2.3. Le boulonnage

Les goujons des corps chauds sont les garants de l'étanchéité de ces modules. La relaxation est la
principale difficulté, d'autant plus qu'il n'y a pas de resserrage avant au moins 50000 heures.
Jusqu'à 480°C on a recours à des g o u j ~ en s acier 1 % CrMoV ensuite et jusqu'à 550°C l'acier 11 %
CrMoVNbN est utilisé, et au-delà l'alliage base nickel Nimonic 80.

Du côté froid ( >300 OC) une limite d'élasticité et une ténacité élevées sont recherchées, pour cela un
matériau plus riche en nickel est employé : 1,5 % CrNiMo.

Les accouplements entre rotors nécessitent également un boulonnage performant pour le passage du
couple qui est réalisé avec un acier 4 % NiCrMo.

2.4. Les rotors

Les rotors portent les aubages mobiles sur lesquels s'exercent les efforts aérodynamiques à l'origine
du couple moteur. Ils sont chez ALSTOM du type à disques de par la technique dite à action, et
doivent avant tout pouvoir résister aux efforts centrifuges de ces ailettes.
Outre le fluage, les rotors chauds sont le siège de contraintes thermiques importantes durant les
transitoires (démarrages, variations de charge) qui nécessitent des petits diamètres de fût et des grands
congés de raccordement.
Leur géométrie est également largement tributaire des critères de bon comportement dynamique tant
en flexion qu'en torsion.
Enfin une grande ténacité est demandée pour les rotors BP dont la force centrifuge d'une dernière
ailette classique est de l'ordre de 300 tonnes.
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Matériaux utilisés :

Rotors chauds :
Acier 1 % CrMoV jusqu'à 540°C
Acier 10 % CrMoVNbN à température supérieure

Rotors froids :
Acier 3,s % NiCrMoV en monobloc
Acier 3,5 % NiCrMoV super propre pour éviter la fragilisation quand les conditions d'emploi
dépassent 360°C.
Acier 1,s % CrNiMo ou 3 % NiCrMoV (meilleure ténacité pour les rotors soudés.

2.5. Les ailettes mobiles

Installés à la périphérie des rotors, les rangées d'ailettes mobiles sont directement soumises aux efforts
aérodynamiques qui engendrent la totalité du couple moteur et une part importante de la poussée
axiale sur les rotors.
Les singularités des écoulements et leur caractère instationnaire plus ou marqué seront autant de
sources d'excitation dynamique exposant tout particulièrement les ailetages à des ruptures par fatigue.
Les aubages doivent résister à la force centrifuge. La partie la plus sollicitée est très souvent l'attache.
Sa tenue dans le temps, dans les parties chaudes, est difficile à assurer (fluage).
Dans les parties froides, la longueur des ailettes est limitée par le niveau des contraintes qui lui-même
limite le nombre de démarrages (fatigue oligocyclique) et l'amplitude des contraintes vibratoires que
l'ailetage peut supporter sans dommage (fatigue à grand nombre de cycles).

La veine vapeur utilise des aciers à haute teneur en chrome afin d'éviter toute oxydation sur les parois
rencontrées par l'écoulement.
Jusqu'à 370°C les ailettes mobiles sont réalisées en acier 12 % CrMoV, ensuite et jusqu'à 580°C en
acier 11 % CrMoVNbN puis dans les cas encore plus difficiles en alliage de Nickel, Nimonic 80 (Ni
20 % CrTiAl).
Pour les grandes ailettes basse pression (BP) les matériaux utilisés sont l'acier 12 % CrNiMoV ou
l'acier 14 % CrNiCuMo dans les cas difficiles.
Le recours au titane, dont les caractéristiques mécaniques sont voisines de celles de l'acier 12 % Cr
mais qui a une faible masse volumique (4,43 kg/dm3 soit 60 % de celle d'un acier), permet
d'envisager des ailettes plus grandes pour une même contrainte dans l'ailetage et le rotor, mais son
prix limite son emploi.
Compte tenu de la grande vitesse périphérique des dernières ailettes et du taux d'humidité
environnant, le bord d'attaque en sommet est souvent protégé soit par trempe locale soit par soudage
d'une plaquette de stellite (alliage à base de cobalt).

2.6. Les diaphragmes

Ils sont la partie statorique de la veine vapeur qui donne le moment cinétique à la vapeur.
Ils sont constitués de deux demi parties en général boulonnées à la périphérie et sont maintenus par
une face d'appui usinée dans le corps, une suspension du plan de joint et un centrage dans le plan
vertical.
Les problèmes mécaniques posés par les diaphragmes chauds sont essentiellement les contraintes dans
les aubes et les contraintes et la flèche dans le centre. Le fluage et la nécessité d'avoir des jeux faibles
pour le rendement imposent de limiter le niveau des contraintes.
La tenue mécanique des diaphragmes froids ne pose pas de grandes difficultés.
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Les aubes font partie de la veine vapeur, leur matériau a donc une forte teneur en chrome et on
trouvera selon la température et le mode d'accrochage un acier 12 % CrMo, 9 % CrMoVNbN, ou 12
% CrMoAl. ..
Selon l'utilisation, les couronnes seront en acier C- Mn, 1 % CrMoV, ou 9 % CrMoVNbN (quand le
rotor est fortement allié).

2.7. Les corps Basse Pression

Les pressions et températures à l'admission sont modérées (< 100 bar, < 300°C). Le débit volume
important impose de grandes dimensions, on a donc recours à une constructionmécanosoudée.
L'enveloppe externe conduit l'écoulement vers le condenseur, l'intérieur est soumis au vide et
l'extérieur à l'atmosphère (10 t par m2).Pour résister à ces efforts, elle est rigidifiée par un système de
tirants.
Les tôles utilisées sont en acier C-Mn.

2.8. Corrosion sous tension

Corrosion sous tension dans les rotors BP.

Les rotors BP sont en acier faiblement allié à 3 ou 3,5 % de nickel. En service ils sont recouverts d'un
film d'oxyde qui joue un rôle de barrière sans être toutefois une couche de passivation.
Dans la zone humide des rotors BP de la première génération de centrale nucléaire, il a été découvert
des fissures associées à un phénomène de corrosion sous tension (progression intergranulaire des
fissures).
Le mécanisme est le suivant :
- il y a une formation de piqûres.
- au fond de certaines de ces piqûres, il y a formation de microfissures (longueur inférieure à
250 pm).
- Certaines de ces microfissures n'évoluent pas, d'autres évoluent pour devenir des macrofissures.

Le comportement des matériaux suit les tendances suivantes :

- Plus le matériau a une limite d'élasticité élevée plus la vitesse de propagation de la fissure est
grande.
- Cette vitesse évolue de façon similaire avec l'élévation de la température dans le domaine 100 1
150°C.
- Pour une limite d'élasticité donnée et une température d'essais fixée il existe une contrainte en
dessous de laquelle il n'y aura pas d'apparition de macrofissure. Cette contrainte varie avec la
nuance de l'acier.

Ceci explique que le phénomène soit apparu dans les centrales B ou PWR et non dans les centrales
conventionnelles. Dans ces dernières la ligne de WILSON (début de la zone humide) se situe aux
alentours de 70 1 90°C alors qu'elle est vers 125OC dans les centrales PWR françaises. En outre pour
des raisons de construction (utilisation de rotors frettés) il avait été fait usage de matériau ayant des
caractéristiques de traction élevées.

La solution a été un changement de conception du rotor : utilisation de rotors soudés conduisant à


l'emploi de matériau à caractéristiques de traction plus basses autorisées par des sollicitations en
traction également diminuées.
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3. PERSPECTIVES A PLUS OU MOINS LONG TERME

Au niveau des hautes températures, ALSTOM est impliqué dans le programme européen THERMIE
(1995 - 2012) qui étudie des turbines de température et pression admission de 700 - 720°C et 350 -
375 bar. Ces conditions extrêmes imposent l'utilisation de matériaux à base de nickel comme en
turbines à gaz. Le principal problème provient des dimensions beaucoup plus imposantes des
composants des turbines à vapeur.

En interne, nous étudions la possibilité d'employer l'acier 10 % Cr pour les ailettes (gain en fluage),
nous déterminons plus finement les contraintes admissibles pour la corrosion sous tension, nous
travaillons sur le couplage fatigue / fluage ainsi que sur la fatigue oligocyclique.

Référence

[l] GEC ALSTOM NEW No 4 SUMMER 1993

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