12 DOSSIER
Transition énergétique et finance verte
COMMENT LES ACTEURS
FINANCIERS SE PRÉPARENT
AU CHANGEMENT
CLIMATIQUE
PAR DAVINA SIMEN,
ET MAXIME BOMPART, ÉTUDIANTS
MBA 2 DROIT DES AFFAIRES
INTERNATIONALES À L’ESLSCA PARIS
LES ORIGINES
La lutte contre le réchauffement clima-
tique n’est pas une lutte qui vient d’ap-
paraître ces dernières années. En effet,
c’est à partir des années 1980 que les
termes « réchauffement climatique » ont
émergé, notamment du fait des activités
humaines qui en sont à l’origine. Bien
que ce phénomène ait été constaté bien
avant, les années 1980 ont marqué un
tournant dans cette lutte puisque c’est
à cette période que les politiques vont
s’emparer du sujet et prendre au sérieux
les alertes des scientifiques, notamment
au sommet de Rio de 1992 (1).
La première COP1 à Berlin (2) va suivre
rapidement puisqu’elle se déroule
en 1995 et réunit les signataires de la
Convention-cadre des Nations unies
sur les changements climatiques. Cette
conférence n’aboutit pas à des mesures
concrètes ma is les pays présents
prennent conscience de la gravité de la
situation et de la nécessité de réduire
leurs émissions de gaz à effet de serre.
Cependant, ma lg ré cet te prise de
conscience des politiques, les COP qui
vont suivre ne vont pas mener à une
réelle lutte commune et ambitieuse de
tous les États, soit parce que certains
refusent de signer les accords, soit parce
que d’autres en excluent le caractère
contraignant. La réalité est dure mais
la lutte contre le réchauffement clima-
tique s’avère insuffisante et inefficace.
Pour l’illustrer, il n’est que d’observer
le cas des énergies fossiles, qui sont les
principales responsables du réchauffe-
ment climatique et dont la consomma-
tion n’a jamais cessé d’augmenter pour
représenter, en 2020, 83 % de la consom-
mation énergétique mondiale (3).
LES OBJECTIFS DE LA COP21
Dans un contexte d’aggravation de la
situation climatique, la COP21 à Paris
marque un tournant dans la lutte contre
le réchauffement climatique, avec pour
objectif général la limitation de l’aug-
mentation généralisée des températures
à 2 °C, en incitant les États à aller plus
loin et à atteindre 1,5 °C.
Pour remplir cet objectif, le but de la
COP21 est de proposer des actions
concrètes qui puissent convenir à tous
les États, ce qui est le cas puisque, pour
la première fois, ce texte sera accepté
par tous les États présents. S’agissant des
engagements concrets envisagés par les
pays lors de la COP21 (4), on notera prin-
cipalement les suivants :
• 1 000 milliards de dollars pour lutter
contre le réchauffement climatique et
investir dans des énergies propres ;
• un minimum de 100 milliards de dol-
lars par an au titre d’aides des pays
développés en direction des pays en
dé­ve­lop­pement pour les accompagner
dans leur transition à partir de 2020 ;
• un suivi des efforts effectués pour
atteindre les objectifs fixés de réduction
des émissions de gaz à effet de serre et
une transparence dans ce suivi ;
• un bilan de leurs progrès obligatoire
tous les cinq ans et une prévision des
engagements pour la période suivante.
Même si cet Accord de Paris qui découle
de la COP21 est une évolution majeure
dans cette lutte contre le réchauffement
climatique, il reste loin d’être parfait,
son principal inconvénient étant qu’il
n’est pas entièrement juridiquement
contraignant, ce qui signifie que chaque
pays est libre de fixer ses propres objec-
tifs pour ralentir le réchauffement cli-
matique. Malheureusement, à l’heure
du premier bilan de l’Accord de Paris,
le Climate Change Performance Index
a, lors de la COP25 (5) de 2019 à Madrid,
établi un classement duquel il ressort
qu’aucun pays n’a pris les engagements
suffisants pour limiter le réchauffement
climatique à 2 °C. Un an plus tard, le
NOTES
(1) Sommet de Rio, Sommet « Planète Terre »,
Conférence ONU 3-14 juin 1992.
(2) Conférence des Parties de la Convention-
cadre sur les changements climatiques, Berlin,
1995.
(3) Pour l’année 2020, les énergies fossiles ont
exactement compté pour 83,1 % du mix
énergétique mondial (contre 84,3 % en 2019 et
84,7 % en 2018) et pour 61,3 % de la production
mondiale d’électricité en 2020 : https://www.
connaissancedesenergies.org/
bp-statistical-review-world-energy-2021-les-
chiffres-cles-de-lenergie-dans-le-
monde-220218.
(4) Conférence de Paris de 2015 sur les
changements climatiques : https://unfccc.int/
fr/a-propos-des-ndcs/l-accord-de-paris.
(5) Conférence de Madrid de 2019 sur les
changements climatiques : https://www.
climate-chance.org/agenda/cop25/.
DROIT & PATRIMOINE ■ N° 334 ■ avril 2023

rapport de l’ONU pour l’environnement
souligne que les engagements des pays
les plus polluants ne sont pas compa-
tibles avec cet objectif de limitation du
réchauffement climatique. Malgré des
avancées notables, les efforts accomplis
et à prévoir sont loin d’être suffisants
pour lutter contre le réchauffement cli-
matique. À ce propos, le Web Climate
Action Tracker a estimé que si tous les
engagements de la COP26 sont tenus,
l’augmentation généralisée des tem-
pératures devrait atteindre 2,4 °C en
2100, bien au-delà des 1,5 °C promis
dans l’Accord de Paris, ce qui serait une
catastrophe.
LES SANCTIONS POUR
INACTION CLIMATIQUE…
Cette insuffisance dans les actions
menées dans cette lutte cont re le
réchauffement climatique s’illustre à
travers ce qui est appelé « L’Affaire du
siècle » dans laquelle quatre organi-
sations de protection de l’environne-
ment et de protection internationale
(Greenpeace, Oxfam, Fondation Nicolas
Hulot et Notre Affaire à Tous) ont attaqué
en justice l’État français pour inaction
climatique en 2018, no­t amment pour le
manquement à ses engagements car-
bone entre 2015 et 2018 puisque l’État
a émis 15 millions de tonnes de gaz à
effet de serre de plus que ce à quoi il
s’était engagé. Cette action en justice a
abouti à la condamnation de la France
pour inaction climatique par le tribu-
nal administratif de Paris, l’État français
devant réparer les dommages causés par
son inaction avant le 21 décembre 2022.
LE RAPPORT DE L’AMF/
ACPR POUR LA LUTTE
CONTRE LE RÉCHAUFFEMENT
CLIMATIQUE
Sur le territoire français, ce constat d’in-
suffisance est également présent. Qu’on
en juge par la réunion de la Place finan-
cière de Paris du 2 juillet 2019 et la mise
en place par l’Autorité de contrôle pru-
dentiel et de résolution (ACPR) et l’Auto-
rité­des marchés financiers (AMF) d’un
mécanisme de suivi et d’évaluation de
ces engagements dans la lutte contre le
DROIT & PATRIMOINE ■ N° 334 ■ avril 2023
Transition énergétique et finance verte
réchauffement climatique et en faveur de
la neutralité carbone (6).
Pour cela, un ensemble de plus de
400 mesures ont été prises visant à
atteindre ces objectifs, à savoir principa-
lement un déploiement des technologies
énergétiques en accord avec ces objectifs
et un arrêt des investissements dans des
projets contraires à cette neutralité car-
bone en développant l’exploitation des
énergies non fossiles.
À travers ce mécanisme, on observe
une importante prise de conscience des
acteurs de la Place de Paris mais que
les actions mises en place sont insuf-
fisantes et que le cadre n’est pas assez
rigide puisque chacun se fixe ses propres
objectifs de long terme et les actions pour
y parvenir. En effet, les acteurs de la Place
se contentent du minimum.
Pour atteindre ces objectifs, les prin-
cipales préconisations de l’AMF et de
l’ACPR sont les suivantes :
• un rassemblement des différentes poli-
tiques « fossiles » ;
• un périmètre clair et systématique des
opérations financières concernées par
ces politiques ;
• une homogénéisation des critères et des
seuils d’exclusion des énergies fossiles ;
• une réglementation européenne pré-
voyant une méthodologie à suivre pour
la réalisation de ces objectifs ;
• un plan d’action en plusieurs étapes,
en plusieurs objectifs à atteindre à court
et/ou à moyen terme pour suivre l’avan-
cée et l’évolution de cette lutte contre le
réchauffement climatique.
Il ne faut tout de même pas être pessi-
miste lorsqu’il s’agit de transition éner-
gétique pour les acteurs financiers.
Certains adoptent réellement des poli-
tiques pour lutter contre le réchauffement
climatique (7). Mais comment rendre une
économie plus verte ? Qui sont les acteurs
de ces fonds ? Comment sont-ils animés ?
Avant de répondre à ces interrogations,
il faut remonter à l’origine même des
obligations vertes qui sont une compo-
sante de la finance verte. Par ailleurs, il
convient d’apporter une définition à cette
finance verte et de préciser ses objectifs.
DOSSIER 13
LA FINANCE VERTE
La finance verte et/ou durable se pré-
sente à travers l’ensemble des opé-
rations financières qui concourent à
favoriser la transition énergétique et la
lutte contre le réchauffement climatique.
Concrètement, elle privilégie l’investis-
sement responsable qui ajoute aux cri-
tères purement financiers, des critères
environnementaux, sociaux et de gou-
vernance (ESG) ; elle doit être enca-
drée par les États ; les instruments de la
finance verte sont par exemple les obli-
gations vertes ou les marchés des droits
à polluer (8).
À travers cette définition, il est clair que
les obligations vertes ou les fonds verts
font partie des instruments financiers
qui tendent à promouvoir les projets à
vocation écologique. Ils peuvent se pré-
senter sous forme de titres de dette ou
d’emprunts. À l’origine et précisément
dès 2001, les premières obligations vertes
ont vu le jour aux États-Unis dans la
ville de San Francisco se caractérisant
par un vaste programme de lutte contre
les émissions de gaz à effet de serre et
dans la perspective d’un financement
de l’énergie solaire. Ensuite, la fin 2007
a marqué la création des « Green Bonds »
par la Banque mondiale et la Banque
NOTES
(6) Rapport de l’AMF/ACPR sur l’évaluation des
engagements climatiques des acteurs de la
Place de Paris : https:// www.amf-france.org/
fr/actualites-publications/publications/
rapports-etudes-et-analyses/
troisieme-rapport- commun-amfacpr-sur-le-
suivi-et-levaluation-des-engagements-
climatiques-des-acteurs.
(7) Par exemple, la Société Générale s’est fixé
des objectifs dans certains secteurs cibles.
Pétrole et gaz : réduction de 20 % en termes
d’encours de son exposition à la production du
pétrole d’ici 2025 ; émissions carbone liées à la
production de gaz et pétrole réduites de 30 %
d’ici 2030 ; électricité : objectif d’intensité
d’émissions de CO2 à l’exposition au secteur de
la production d’électricité de 125 g de CO2/
Kwh d’ici 2030 ; charbon : réduction à zéro de
son exposition au charbon d’ici à 2030 dans les
pays de l’UE et de l’OCDE, et en 2040 dans le
reste du monde. [Ici, la formulation globale de
cette note 7 me semblait difficile, je suis
remonté à la source de la Société Générale
pour plus de clarté]
(8) Définition de la « finance verte » par le
ministère de l’Économie et des Finances :
https://www.economie.gouv.fr/facileco/
finance-durable#.
14 DOSSIER
Transition énergétique et finance verte
européenne d’investissement (BEI). Et
au cours de l’année 2015, a été adoptée
une loi sur la transition énergétique pour
la croissance verte par 195 pays dont les
pays de l’Union européenne, avec un
objectif global de limiter le ré­c hauf­
fement climatique à 2 °C (9).
En 2017, non seulement la France a émis
sa première obligation verte mais les obli-
gations vertes représentaient déjà plus
de 180 milliards de dollars sur le marché
mondial. Aujourd’hui, il est estimé à plus
de 1 600 milliards de dollars (10) sur le
marché mondial, avec toujours trois pays
en tête de liste quant à l’émission de ces
obligations : les États-Unis, la Chine et
la France.
La liste de ces quelques chiffres prouve
à suffisance que la finance verte a une
place importante dans l’économie mon-
diale. Elle joue, à travers les obligations
vertes et les fonds verts, un rôle impor-
tant pour promouvoir des économies plus
écologiques et garantir des investisse-
ments responsables.
LES OUTILS DE LA FINANCE
VERTE
D’ailleurs, pour garantir les investisse-
ments français, il existe plusieurs outils et
mécanismes tels que le label « Greenfin »,
qui apporte un gage de crédibilité pour
les fonds verts investis ; le label « inves-
tissement socialement responsable »
(ISR), qui accompagne les entreprises
ainsi que tous les autres secteurs dans
leurs objectifs liés au développement
durable ; enfin, le financement partici-
patif, qui accompagne les entreprises
dans la maturation des projets verts et
encourage à poursuivre la transition éco-
logique. Au-delà des objectifs de rentabi-
lité propres aux entreprises, l’ensemble
de ces labels ont pour objectif commun
de les accompagner vers des politiques
de décarbonisation de leurs activités et
de contribuer efficacement au ralentisse-
ment du réchauffement climatique.
À travers tous ces éléments, il faut donc
admettre que la finance verte n’est pas
seulement une question de motiva-
tion, mais elle englobe un ensemble
d’activités, en l’occurrence des activités et institutions. Mais il faut aussi noter
financières, des projections financières l’urgence climatique qui nécessite une
qui ont vocation à promouvoir, à dyna- réponse assez rapide et suffisamment
miser la transition énergétique et plus efficace.
globalement le développement durable.
Cet enthousiasme est également partagé L’objectif final est d’entraîner tous les
par les autorités bancaires, qui, à travers acteurs financiers à se saisir de ce sujet,
des recommandations, accompagnent les de les encourager à poursuivre leurs
entreprises vers la transition énergétique objectifs environnementaux, sociaux et
et qui participent plus généralement au de gouvernance, et à créer de l’innova-
développement d’une économie durable tion dans une économie durable pour
pour l’environnement. tendre vers un modèle économique plus
vertueux.
LES SOLUTIONS APPORTÉES
PAR LES AUTORITÉS
BANCAIRES
Pour la transformation progressive de
nos économies, les autorités bancaires
tentent d’apporter des solutions. C’est le
cas de l’ACPR qui propose, via un rap-
port de 2022 (11), des instruments alter-
natifs comme les « Sustainability-Linked
Bonds » (SLB). Ces instruments sont
considérés aujourd’hui comme un outil
d’amélioration de la performance clima-
tique des entreprises et correspondent
à des titres obligataires assortis d’une
contrainte ESG. Concrètement, elles per-
mettent de concilier perspectives finan-
cières et engagements ESG à travers une
politique de décarbonisation des activités
à émission de gaz à effet de serre via la
diminution de ces émissions par scope et
la tenue d’un reporting climatique pour
l’émetteur.
EN CONCLUSION…
« Le réchauffement climatique n’est pas
uniquement une affaire de comporte-
ments. C’est toute l’organisation de notre
société qui est en cause » (12).
Le chemin est long pour arriver à une
véritable intégration de la transition NOTES
énergétique au sein des États, des entre- (9) Rapport du GIEC sur la limitation du
prises, du capital humain, qui va sans réchauffement climatique à 1,5 °C ou 2 °C :
https://www.natura-sciences.com/
doute nécessiter des moyens finan- comprendre/rapport-giec-inverser-emissions-
ciers mais également une volonté forte mondiales-2025.html.
(10) Rapport 2022 sur l’investissement dans le
et infaillible de toutes les parties pre- monde publié par la CNUCED : https://unctad.
nantes. Effectivement, il faut apprécier les org/fr/news/en-2021.
(11) ACPR, « Finance verte, développement
efforts qui sont déjà fournis par certains durable, transition énergétique », mars 2023,
acteurs financiers. Des efforts qui corres- https://acpr.banque-france.fr/taxonomy/
term/555792/all.
pondent à une adaptation face aux nou- (12) Citation de Philippe Squarzoni, auteur et
velles recommandations des autorités scénariste lyonnais de bande dessinée.
DROIT & PATRIMOINE ■ N° 334 ■ avril 2023