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et
onctuation
É nonciation
par
Véronique DAHLET
Ponctuation
et
Énonciation
7
PONCTuATION ET éNONCIATION
SoMMaiRE
Préliminaire 11
Première partie : LA PONCTuATION : QuEL OBJET ? 15
Chapitre 1 : Définir la ponctuation 17
Conclusion 147
Bibliographie 151
9
PONCTuATION ET éNONCIATION
Préliminaire
14
PONCTuATION ET éNONCIATION
Première partie
15
PONCTuATION ET éNONCIATION
Chapitre 1
Définir la ponctuation
Définir
Définir la ponctuation est un exercice retors et difficile1 puisque,
comme on le verra à l’analyse de propositions de définition, il s’agit tout
à la fois de doter la ponctuation de son statut linguistique, de la démarquer
du matériau alphabétique et enfin, d’indiquer le principe directeur de sa
fonction.
Mais il s’agit au préalable de dégager les différents niveaux concernés
par la ponctuation.
Niveaux
La ponctuation opère à trois niveaux :
- niveau de mot,
- niveau de phrase,
- niveau textuel.
La ponctuation de mot
Son domaine est réputé être celui de l’orthographe. Sans doute est-ce
la raison pour laquelle il n’y a pas, du moins à ma connaissance, d’étude
spécifique sur la ponctuation de mot, qui du reste n’est que rarement évo-
quée dans l’ensemble des travaux sur la ponctuation du français. Qu’elle
relève de la norme orthographique fait trop vite conclure à un objet stable
et fixé à l’avance, à une fonction unique qui se fondrait avec celle de l’or-
thographe. On verra les défauts d’un tel jugement.
La ponctuation de phrase
En principe, les signes phrastiques sont ceux qui de droit s’actualisent
dans l’unité de la phrase2. Mais l’évidence est trompeuse, car si l’on prend
1 On note peu d’essais de définition dans les diverses études, comme si cela allait
de soi.
2 Pour un tour de la question, cf. l’excellente synthèse de J.-P. Jaffré (1991), « La ponc-
tuation du français: études linguistiques contemporaines. » 17
VéRONIQuE DAHLET
en compte les paramètres tels que la nature du signe (par exemple, les cro-
chets et l’astérisque, voire la flèche, sont-ils des signes de ponctuation3 ?)
ou la différenciation entre manuscrit et imprimé (l’imprimé possédant un
plus grand répertoire de signes), il n’est pas sûr que tous les signes non
alphabétiques susceptibles d’apparaître dans une phrase puissent être réfé-
rés à des signes de ponctuation.
La ponctuation de texte
Elle renvoie à l’ensemble des blancs qui donnent au texte sa forme, le
plus petit blanc étant alors l’alinéa. L’intégration des procédures de mise
en page, qui relèvent de la typographie et qui « donne(nt) à lire et à voir »,
produit cette conception élargie de la ponctuation4.
Définitions
On saisira plusieurs définitions pour centrer les questions qu’elles
posent autour de quatre points : délimitation du corpus, morphologie,
fonction, et statut du signe de ponctuation par rapport aux autres compo-
santes du système de l’écrit.
Définition 1 (N. Catach, 1980 : 21)
Ensemble de signes visuels d’organisation et de présentation accompa-
gnant le texte écrit, « intérieurs » au texte et communs aux manuscrits et
aux imprimés; la ponctuation comprend plusieurs classes de signes gra-
phiques discrets et formant système, complétant ou suppléant l’infor-
mation alphabétique.
Définition 2 (J. Anis, 1988 : 246)
graphème ponctuo-typographique, qui contribue à la production du
sens, en tant qu’organisateur de la séquentialité et indicateur syntagma-
tique et énonciatif.
Définition 3 (Cl. Tournier, 1980 : 36)
La ponctuation est l’ensemble des graphèmes purement plérémiques,
non décomposables en unités de rang inférieur, et à caractère discret.
Délimitation du corpus
Si la ponctuation est comprise comme ensemble de signes graphiques
(définitions 1, 2 et 3), ceux-là procèdent d’une manifestation « plus ».
C’est le cas de tous les signes, excepté l’alinéa, dont la singularité repose
sur sa manifestation « moins », puisque sa morphologie est celle du blanc.
3 Ainsi par exemple F. Boch (1998) aurait tendance à assimiler la flèche à un signe de
ponctuation.
4 « Donner à lire et donner à voir, les deux fonctions de la mise en page », Delord
18 (2001 : 13).
PONCTuATION ET éNONCIATION
Cette distinction a son importance, car elle ouvre la voie à une pos-
sible extension du corpus des signes. En effet, à partir du moment où l’on
assimile à un signe de ponctuation le blanc de l’alinéa (recul de plusieurs
espaces par rapport à la marge de gauche), pourquoi ne pas intégrer les
blancs supérieurs, telle la ligne blanche et la surface blanche de fin de cha-
pitre5 ? Se pose ici la question cruciale du (non) recouvrement de ce qui
ressort de la ponctuation et de ce qui revient à la mise en page, qui fait le
partage entre une définition restreinte ou extensionnelle des signes ponc-
tuationnels. Historiquement, on l’a dit, la ponctuation des textes était l’af-
faire des imprimeurs. A mon sens, une définition restreinte me paraît plus
opératoire pour l’analyse fonctionnelle des signes. C’est pourquoi je
rejoins la restriction qu’apporte N. Catach lorsqu’elle spécifie que les
signes de ponctuation sont « intérieurs » au texte, et je place l’alinéa
comme ultime niveau capable d’être intégré au champ interne au texte.
Morphologie
D’un point de vue morphologique, la ponctuation se manifeste soit de
façon non liée – graphème ou blanc alinéaire –, soit de façon liée, à tra-
vers le support alphabétique – gras, italique/soulignement, capitale –.
On reviendra sur la notion de graphème, mais signalons d’entrée de
jeu les trois types de graphème qui caractérisent la ponctuation :
• graphème non alphabétique;
• graphème [moins] manifesté par le blanc alinéaire;
• graphème « de coalescence », dans le cas des ponctuations qui se
manifestent moyennant le support alphabétique (cas de la majuscule
et de l’italique, par exemple).
Fonction
En attribuant aux signes une fonction d’organisation et de présenta-
tion du texte, la définition 1 a l’avantage de montrer la ponctuation de
l’écrit dans ses deux versants de production et de réception. Toutefois, le
rôle d’accompagnateur du texte (accompagnant le texte écrit) gomme le
fait qu’elle est consubstantielle à la mise en texte; elle est elle-même opé-
rateur syntaxique et opérateur sémantique. C’est ce dont rend compte la
définition 2, qui cerne au plus près le faire ponctuationnel.
Statut
Le signe
En français, signe de ponctuation est homonyme de signe au sens lin-
guistique du terme. Cl. Tournier assume pleinement la comparaison
(1980 : 36) :
Ce n’est pas seulement par respect pour la tradition que nous parlons de
« signes » de ponctuation. Comme le signe linguistique, celui-ci est, en
effet, constitué d’un signifiant (le ponctuant), et d’un signifié (la ponc-
tuance), et l’expérience nous montre que le même signifiant (la majus-
cule, par exemple) peut avoir plusieurs signifiés (début de phrase, nom
propre, mise en valeur, etc.).
Reprendre au compte du signe de ponctuation la bipartition signi-
fiant/signifié se fait au prix d’un détournement des deux termes de la
bipartition. Sans doute convient-il de reprendre ici la définition du signe
telle que Saussure l’énonce dans son Cours de linguistique générale (1995
: 98) :
Le signe linguistique unit non une chose et un nom, mais un concept et
une image acoustique. Cette dernière n’est pas le son matériel, chose
purement physique, mais l’empreinte psychique de ce son [...].
Le caractère psychique de nos images acoustiques apparaît bien quand
nous observons notre propre langage. Sans remuer les lèvres ni la
langue, nous pouvons nous parler à nous-mêmes ou nous réciter menta-
lement une pièce de vers. C’est parce que les mots de la langue sont
pour nous des images acoustiques qu’il faut éviter de parler des « pho-
nèmes » dont ils sont composés.
Pour ce qui concerne le signifiant, rappelons que les signes de ponc-
tuation sont « sans correspondance phonémique » (Tournier, 1977 : 225).
De fait, on se rend bien compte qu’en cours de lecture d’un texte, les
signes de ponctuation ne sont pas pourvus d’image acoustique, mais qu’ils
le sont, en revanche, dès lors qu’ils entrent de fait dans le champ du signe
linguistique.
signe linguistique + +
signe de ponctuation +
chiffres, symboles + +
Délimiter
Corpus des signes
Ponctuation de mot
La ponctuation de mot relève traditionnellement de l’orthographe.
C’est pourquoi les grammaires ne la rangent pas dans la subdivision
consacrée à la ponctuation.
Généralement, on retient deux signes de ponctuation de mot : le trait
d’union et l’apostrophe. Cependant, le corpus est bien plus important. Il
comprend les signes suivants :
- point abréviatif
- parenthèses
- points de suspension
- trait d’union
- apostrophe
Quant au blanc inter-mots, il n’est plus ressenti comme une ponctua-
tion, et c’est la raison pour laquelle il n’est pas mentionné en étude syn-
chronique. Dans la genèse de la ponctuation, le blanc dont la fonction
essentielle vise la lisibilité par la séparation des mots, est l’un des premiers
signes apparus. Le xVIIe siècle garde encore des traces résiduelles d’écri-
ture en continu. Le phénomène est donc récent. Mais c’est surtout son
caractère systématique et absolument mécanique (une espace entre deux
mots) qui en a fait une ponctuation non marquée. En effet, le blanc inter-
mots n’est pas ressenti, quand bien même c’est le cas, comme entrant en
système avec les autres signes de même niveau. Par exemple, la relation
d’exclusion mutuelle entre l’espace et l’apostrophe passe inaperçue, alors
qu’elle se remarque immédiatement entre l’apostrophe et le trait d’union
(*aujourd’-hui).
24
PONCTuATION ET éNONCIATION
Ponctuation de phrase
Je m’appuierai ici largement sur la classification de J. Anis (1988), en
y apportant toutefois les modifications suivantes :
• Anis dégage deux grandes classes de signes de ponctuation : les syn-
tagmatiques et les polyphoniques. Je préfère les qualifier respecti-
vement signes de séquence et signes d’énonciation;
• Le /:/ est à mon sens uniquement énonciatif; J. Anis l’intègre dans
les deux classes;
• Enfin, je considère la graisse comme un signe de ponctuation, et
l’insère dans la classe des signes d’énonciation.
On établira le corpus des signes de phrase en les regroupant d’emblée
dans leurs deux fonctions majeures, séquentielle et énonciative.
SIGNES DE SéQuENCE
- l’alinéa
- le point
- le point-virgule
- la virgule
J’appelle séquence un constituant de texte. L’étendue de ce consti-
tuant est variable, ce qui ne devrait pas faire problème si l’on observe que
• cette étendue est délimitée à gauche et à droite par deux signes de
ponctuation, quels qu’ils soient, pourvu qu’ils se soumettent à la
combinatoire (cf. infra);
• une séquence peut en comprendre une ou plusieurs autres. Ainsi, on
appellera séquence le constituant de texte délimité à gauche et à
droite par l’alinéa – séquence d’étendue maximale, au-delà de
laquelle n’intervient plus la ponctuation mais la mise en page – de
la même manière qu’on appellera séquence le constituant délimité à
gauche et à droite par la double virgule de l’incise, par exemple.
Celle-ci est comprise dans celle-là.
Les signes à fonction séquentielle segmentent, pour reprendre Anis
(1988 : passim), le continuum scriptural, délimitent les séquences en les
regroupant/séparant, et enfin, les hiérarchisent en indiquant la nature de
leur relation.
SIGNES D’éNONCIATION
• Hiérarchiseurs discursifs
- le deux-points
- les parenthèses
- le tiret double
25
VéRONIQuE DAHLET
• Marqueurs expressifs
- la capitale
- le soulignement
- l’italique
- le gras
- le tiret
• Marqueurs interactifs
- le point d’interrogation
- le point d’exclamation
- les points de suspension
• Discours cité
- les guillemets
- l’italique
- le tiret de dialogue
Les signes à fonction énonciative, quand ils n’indiquent pas le dis-
cours cité, manifestent un « décrochage énonciatif » (Anis : 1988, 122), qui
consiste à marquer une distanciation par rapport à l’énoncé, d’où la créa-
tion d’un effet de sens.
combiner
Les signes apparaissent linéairement, tantôt en suite relayée, tantôt en
suite contiguë.
Dans ce dernier cas, il arrive que la mise en contact de deux signes
entraîne la disparition de l’un des deux, selon la combinaison envisagée.
Ce phénomène correspond à des lois d’occurrence, selon l’expression de
Cl. Tounier (1980 : 39), qui les ramène à trois :
– Loi générale : exclusion
Certains ponctuants s’excluent mutuellement, c’est-à-dire que même
s’il y a, en un point du discours, plusieurs ponctuances à marquer, un
seul ponctuant est réalisé, et une seule fois.
– Loi de neutralisation
Si en un point du discours plusieurs ponctuances doivent être marquées,
et ne peuvent normalement l’être que par le même ponctuant, celui-ci
n’est réalisé qu’une fois.
– Loi d’absorption
Il existe des signes qui ne peuvent apparaître l’un à côté de l’autre bien
que comportant des ponctuants et des ponctuances différents : dans de
tels cas, un seul ponctuant est réalisé et il se charge alors de sa ponc-
tuance propre et des autres.
26
PONCTuATION ET éNONCIATION
Ponctuation de mot
Exclusion : l’apostrophe et le trait d’union s’excluent mutuelle-
ment. Les incompatibilités des deux signes dans *chef-d’-oeuvre ou *chef-
d-’oeuvre le montrent (exemple donné par Cl. Tournier).
Neutralisation :
- en début de phrase, la majuscule de phrase et celle de nom propre
se neutralisent;
- en fin de phrase, le point abréviatif et le point se neutralisent.
Ponctuation de phrase
Exclusion :
• Le signe final d’une phrase en discours cité prévaut sur le signe final
de la phrase citante :
(1)
Elle m’interrompit : « Vous n’en pensez rien, voilà la vérité ! » et elle
ajouta aussitôt avec une violence imprévue : « Il faut que je le quitte ! »
Elle éprouvait peut-être le besoin de me faire cet aveu [...] .
CH. EN. : 37
(2)
Beausoleil fusilla son adversaire du regard et [...] lui lança :
« Ici, c’est ma mère, de l’autre côté c’est la putaine qui t’a mis au
monde. Regarde ce que je lui fais. »
Et le major de damer le sol du pied [...].
M.S.G. : 148
• un segment apposé se place entre deux /,/. Selon le site de ce seg-
ment sur la chaîne graphique, la /,/ ouvrante ou la /,/ fermante dis-
paraît au profit d’un autre signe. Quelques exemples :
- /,/ ouvrante disparue au profit de la majuscule10 :
(3)
De plus en plus nombreux, les participants vont être pris à ce jeu.
P.L. : 46
- /./ final disparu au profit du /!/ , mais cela fonctionne aussi au
profit du /?/ et des /.../ :
(4)
« Compère Beausoleil ! Ô compère, tu es là ? »
M.S.G. : 250
En réalité, on pourrait relever un à un l’ensemble des cas d’exclusion.
Cependant, dans le souci de rendre compte de la manière dont les signes
de ponctuation se distribuent de façon ordonnée, il est intéressant d’arti-
culer les lois d’occurrence telles qu’elles ont été dégagées par Tournier, à
un système de cohérences plus ample, qui tienne compte
• du paramètre de la portée;
• de l’analyse des combinatoires des signes de ponctuation, tout
d’abord à l’intérieur de leur champ fonctionnel, où il s’agit de voir
les modes de succession et de résorption des signes séquentiels puis
des signes énonciatifs.
Prenons, par exemple, le répertoire des signes séquentiels. Sa fonction
est une, à savoir de segmenter la chaîne. Sa logique interne est donc toute
autre que celle des signes d’énonciation qui, outre leur morphologie variée
(signes doubles tels que les / « » /, signe continu tel que l’italique, par
exemple), ont comme caractéristique de se combiner aux séquentiels de
façon complémentaire. Disons, provisoirement, que la succession des seg-
mentations s’effectue sur la chaîne de manière horizontale – segmentation
+ segmentation + segmentation, etc. – , et que la succession des signes
d’énonciation s’insère en quelque sorte transversalement à celle-là, c’est-
à-dire de façon quasi autonome.
On dira alors que le mode de succession des signes de ponctuation
dans la chaîne écrite dépend à la fois de leur portée respective et de la
résorption de certains signes par d’autres lorsqu’ils entrent en contact,
qu’ils soient ou non de même dominante fonctionnelle.
11 En pratique, on peut en effet considérer les deux termes équivalents. Toutefois, j’em-
ploie préférentiellement le terme segment pour renvoyer à une portion quelconque de
la chaîne écrite, et préférentiellement le terme de séquence lorsque le segment consi-
déré est référé, par rapport aux segments environnants, à une relation d’inclusion/hié-
rarchisation.
12 La ponctuation de séquence est donc syntaxique : elle établit les relations d’ordre (ou
relations fonctionnelles) dans la chaîne. On ne s’intéressera pas à l’autre paramètre de
28 la syntaxe, qui concerne les contraintes mises dans cette relation d’ordre.
PONCTuATION ET éNONCIATION
(5)
[...] on avait retrouvé celui-ci [un propriétaire de boutique] dans sa bar-
rique de viande salée, le jus en saumure dégouttant de son nez de ses
yeux à mesure qu’on l’avait sorti de là, une queue rose enroulée autour
de son oreille droite, –
après quoi tout le monde devina que Celui-ci était revenu d’au-delà de
l’antan pour faire payer aux habitants (puisqu’il n’avait pu tuer ce béké)
le poids d’on ne savait quoi de trop passé
mais la femme, qui pense à la femme, peut-être innocente ou peut-être
qu’elle voulait bien quand ce béké, elle disparaît dans le jour [...].
PORTéE ET RéSORPTION
On a vu que la combinatoire des signes, c’est-à-dire leur mode d’ap-
parition, se réalise ou bien de façon relayée – intervient alors le paramètre
des niveaux – ou bien de façon contiguë, ce qui peut déclencher le pro-
cessus de résorption d’un signe par un autre. Il s’agit donc de voir quels
sont les facteurs qui déterminent la prédominance d’un signe sur l’autre.
Considérons les deux cas de figure possibles :
• un signe est résorbé par son identique. Ici, la condition est double :
coïncidence du site sur la chaîne écrite, et concurrence entre signes
de niveaux différents, i.e. de mot et de phrase : /majuscule/ de nom
propre et de début de phrase (8); /. / abréviatif et de fin de phrase (9);
/.../ de mot et point (12) et (13).
(8)
Télesphore avait, en effet, une réputation d’honnêteté à toute épreuve.
M.S.G. : 102
(9)
D’une part, il [le “théâtre”] fait déboucher les rancunes urbaines sur de
grandes et redoutables interrogations : le Malin, Dieu, le monde naturel
ou surnaturel, etc.
P.L. : 45
Il suffit cependant que figure un appel de note pour que les deux /./,
de mot et de phrase, soient rétablis :
(10)
Il n’est guère de région où l’on ne puisse évoquer des procès célèbres,
qu’il s’agisse de Loudun, de Louviers, de Nancy, de l’affaire Méautis en
Normandie, etc.2.
P.F.M.A. : 101
(11)
D’autres médecins sont introduits : Mathieu Fanton et Charles Auger
(de Loudun), Vincent de Fos (de Chatellerault), Alphonse Cosnier (de
Frontevault), François Brion (de Thouars), etc.2.
P.L. : 33
Quant aux /.../, ils se forment par la reduplication du /./, et c’est donc
non seulement parce que la phrase est dépourvue de modalité, mais aussi
pour des raisons de lisibilité, que celui-ci est absorbé par ceux-là :
(12)
- Laisse-moi parler je t’...
- Tu as le mur...tu ent...
Jean-Jacques Schuhl (2000), Ingrid Caven. Paris : Seuil, p. 199
(13)
Qu’il aille se faire f...
31
VéRONIQuE DAHLET
(sans signe ouvrant et fermant), est en ceci unique que sa portée ne peut
être fixée à l’avance. Rappelons que son champ d’action est à la fois rétro-
actif et projectif. En fait, le /:/ peut se limiter à rhématiser un mot seule-
ment :
(21)
Nous schématisons, certes, mais pas plus que ceux qui utilisent le mot
de : renaissance.
P.F.M.A. : 16
Les marqueurs expressifs, en tant que signes liés (ils ont besoin du
support alphabétique pour se manifester), ont leur portée coextensive au
segment caractérisé par la coalescence graphématique. Seule exception, le
tiret / - /. Sa portée est régulière, elle va de son site au /./ .
(22)
[...] la diablerie vire d’une “guerre” contre les sorciers à un spectacle qui
tient à la fois du cirque et de la mission populaire – même si la “fête”
continue à exiger une mise à mort.
P.L. : 11
Le site des marqueurs interactifs ( /?/ /!/ /.../ ) coïncide avec celui du
/./, et leur portée est donc égale à celle qui va du /./ au /./, ou de l’un à
l’autre de ces signes.
Toutefois, lorsque le /?/ et le /!/ portent sur l’ensemble de la phrase, la
délimitation de la portée n’est pas toujours aisée. En effet, les énoncés
complets interrogatifs ou exclamés posent la question de l’ouverture –
voire de la fermeture – du segment : « A la différence de l’espagnol, une
interrogation ou une exclamation dans une phrase longue et complexe en
français peut s’interpréter comme s’ouvrant à différents moments » (Beau-
matin, 1995 : 239).
En revanche, l’amplitude est nettement bornée lorsqu’un mot ou un
segment est interrogatif ou exclamé à l’intérieur d’une phrase :
(23)
Comment être ailleurs ? et où ? Et pourtant, c’était vraiment une vie nou-
velle qui allait m’être donnée.
Math. : 33
(24)
ivresse du hittite; merveilles des distinctions subtiles en tokkarien A et
tokkarien B ! ; ruines de langues [...].
Math. : 50
Si les trois signes interactifs ont la même capacité à s’insérer à un
niveau intra-phrastique, seuls les /?/ et /!/ peuvent figurer entre paren-
thèses (la combinaison / (...) / change l’opération : elle renvoie sauf cas
particulier à une citation tronquée). La portée reste dans ce cas nettement
délimitée :
(25)
Il s’appelait Paul (?) Belgodère.
34 Math. : 34
PONCTuATION ET éNONCIATION
RéSORPTION
On voit donc se dégager ici une constante : de par sa nature même,
aucun signe énonciatif n’a le pouvoir de résorber un de ses homologues
fonctionnels. Par voie de conséquence, les signes énonciatifs présentent un
éventail important de combinatoires possibles.
Combinatoire
On retiendra ici les deux phénomènes les plus remarquables : la conti-
guïté immédiate ou relayée, et la reduplication du signe.
• Contiguïté immédiate ou relayée
Les signes ouvrants et fermants (guillemets, parenthèses) ont la par-
ticularité de pouvoir s’auto-insérer, en suite immédiate ou relayée, créant
ainsi une structure en gigogne. En principe, le tiret double pourrait égale-
21 Le procédé est poussé jusqu’à ses dernières limites dans le roman de Clarice Lispec-
tor, Uma aprendizagem ou O livro dos Prazeres, qui commence par une virgule :
, estando tão ocupada, viera das compras de casa [...]. 35
VéRONIQuE DAHLET
ment être auto-insérant, mais l’usage répugne à cette pratique pour des rai-
sons de lisibilité. La structure en gigogne est alors la suivante :
[« —— « —— » »] et [(—— (——) )]
(33)
Mais ne se trouve-t-on pas beaucoup plus à l’aise pour formuler sem-
blables jugements lorsqu’on bénéficie du recul du temps?...
P.F.M.A. : 150
cité est assertif, et disparaît si le discours cité se termine par le /?/, le /!/ ou
les /.../ :
(37)
— Je vois...dit-il en jetant sur la chambre un regard circulaire. [...]
— Vous êtes taquin, dis-je avec reproche.
CH.ENF. : 41
(38)
Pourquoi Carmélise a-t-elle fait ça ? demanda-t-il.
M.S.G. : 194
• Quand la narration reprend après un « dialogue à la suite », c’est-à-
dire encadré par un guillemet ouvrant et un guillemet fermant et où
« les répliques ne sont pas rejetées en alinéa à chaque changement
d’interlocuteur, mais citées à la suite » (Colignon, s/d : 111), alors, la
ponctuation finale à l’intérieur de la citation est maintenue et celle
du discours citant est exclue :
(39)
[...] une voix grave (je la reconnus sur-le-champ) nous informa que
monsieur Molieri n’était pas visible de matin. « Pas visible ? » Anna
éclata de rire : « Dites-lui donc qui vient le voir ! » Il y eut un court
silence. « Mille regrets, madame, reprit la voix avec fermeté. M. Molieri
travaille et il fait interdire sa porte. » Anna se retourna vers moi,
blanche, tremblante : « Quels effrontés ! » dit-elle en haussant les
épaules.
CH. ENF. : 39
38
PONCTuATION ET éNONCIATION
Deuxième partie
La Ponctuation DE Mot
FonctionS Et oPÉRationS
39
PONCTuATION ET éNONCIATION
Chapitre 2
Essai de description raisonnée
Ponctuation intra-mot
majuscule (1)
(1.1.) Alphonse
(1.2.) Hier, il pleuvait
(1.3.) l’Eglise
(1.4.) l’Amitié
dans les énoncés les plus divers le fait entrer de plein droit dans ce
registre23. Sa mobilité en fait un signe singulier : début, milieu ou fin de
mot, mais quel que soit son site d’occurrence, sa fonction consiste, à par-
tir du mot qui lui fournit la base, à mettre en co-présence deux mots, deux
sens, de sorte qu’on peut avancer que la parenthèse de mot se fonde sur
l’opération et/ou. En revanche, selon le site d’occurrence, cette opération
coordinative ou alternative porte à chaque fois sur un autre objet :
(2.1.) position initiale : (préfixe antonyme) + mot base = le mot et son
contraire : (in)fidèle
(2.2.) position médiane : mot gigogne = deux sens : expi(r)ation
(2.3.) position finale : mot base + (genre) et/ou (nombre) = deux sens,
deux à trois découpages du référé : ami(e) – ami(s) – ami(e)(s)24.
26 Dans la mesure où le trait d’union multiple est un signe chargé de représenter une
qualité vocale, il est légitime de se demander si l’assimilation de la lettre en tracé
tremblé et en gras surdimensionné, chargée de représenter d’autres qualités vocales
(effroi, fureur et force de la voix respectivement) dans les B.D. et certaines publicités
44 notamment, ne serait pas pertinente. Peut-être n’est-ce qu’une question de temps.
PONCTuATION ET éNONCIATION
Ponctuation inter-mots
On a vu que la ponctuation de mot touche aussi les modes relationnels
selon lesquels deux mots ou plus sont reliés.
Trait d’union
Trait d’union simple. Base : deux mots
• unité lexicale
Le trait d’union a pour fonction de former une unité lexicale à partir
de mots qui, pris isolément, ne seraient pas acceptables en langue (bric-à-
brac, tohu-bohu), ou qui peuvent apparaître de façon autonome en d’autres
contextes (essuie-main; remonte-charge). Cette nouvelle unité morpho-
lexicale est ce que Martinet appelle un « synthème, c’est-à-dire le com-
plexe formé par les monèmes constitutifs du composé » (1970 : 134).
Ainsi, « une chaise-longue d’une taille inacoutumée n’est pas une chaise-
plus-longue, mais une chaise-longue plus longue que les autres » (133).
La nature grammaticale de ses constituants est variable : substantif-
substantif; verbe-substantif (porte-feuille); adverbe-substantif (mi-phar-
macien, mi-abbé). Le trait d’union est encore requis dans l’écriture des
chiffres (vingt-deux – quarante-cinq – soixante-quinzième), les structures
à élément adverbial (celui-ci – ci-dessus – de-ci, de-là – cet homme-là), ou
la structure fondée sur même (moi-même – eux-mêmes).
• unité morpho-syntaxique
Le trait d’union est de rigueur dans les structures où le sujet est post-
posé au verbe (est-ce possible? – dit-elle) et dans les formes comprenant
le verbe à l’impératif suivi d’un pronom complément (dites-moi – parlez-
en lui)27.
27 J’emprunte plusieurs des exemples à Grévisse (1986). On peut s’y reporter pour
l’énoncé exhaustif des structures appelant le trait d’union simple. 45
VéRONIQuE DAHLET
Apostrophe
L’apostrophe marque l’élision de la voyelle d’un mot grammatical qui
précède un mot ayant à l’initiale une voyelle ou un -h- muet. Ainsi, comme
pour le -t- euphonique, il faut bien admettre qu’une partie de la ponctua-
46 28 un autre cas malgré tout : jusque prend un –s dans l’expression jusques et y compris.
PONCTuATION ET éNONCIATION
29 La répugnance des voyelles en hiatus est telle qu’elle rétroagit sur le morphème du
genre, ce que l’on voit par exemple dans mon amie.
30 Exemples empruntés à Grévisse, op.cit.
31 Exemples empruntés à Grévisse, op.cit.
32 Le corpus de signes inter-mots s’arrêterait donc au trait d’union et à l’apostrophe.
Mais l’écrit se dote d’autres graphèmes dont la fonction concurrence certains signes.
Ainsi, la barre oblique relie deux mots, soit dans l’alternative (ou), soit dans la coor-
dination (et) : Le leader magnétique combine l’Orient et l’Occident, défait l’opposi-
tion science/religion (S.H.B. : 166). Lorsqu’il relie deux noms propres, le sens de la
barre oblique s’approche de entre : Le commerce Métropole/Antilles n’est plus qu’un
aller et retour, les autres branches (France/Afrique et Afrique/Antilles) ayant été cou-
pées par l’abolition de la traite (H.M.1 : 337). 47
PONCTuATION ET éNONCIATION
Troisième partie
La Ponctuation DE SÉQuEncE
FonctionS Et oPÉRationS
49
PONCTuATION ET éNONCIATION
Chapitre 3
L’alinéa
Parmi les signes syntagmatiques, l’alinéa est le seul dont la portée est
de niveau textuel33.
Signe purement typographique, l’alinéa se manifeste, en début de
ligne, par un blanc de plusieurs espaces34. Signe séquentiel, il borne des
paquets de phrases.
Cependant, plusieurs questions se posent :
1 - Quelle différence y a-t-il entre l’alinéa et le paragraphe ?
2 - Qu’est-ce qui motive l’alinéa, qu’est-ce qui fait sentir la nécessité
de transformer la succession linéaire des phrases en un empaque-
tage ordonné sur l’axe vertical de la feuille, ou sur tout autre sup-
port de l’écrit ?
3 - Quels sont les champs impliqués par l’alinéa ? Celui du para-
graphe, entendu comme partie pleine délimitée entre deux alinéas
(champ intra-alinéaire), et celui de la nature du lien inter-para-
graphes (champ inter-alinéaire). C’est dire la dialectique particu-
lière de ce signe qui segmente mais aussi, par le fait même de
segmenter, interroge les contenus intra-paragraphiques ainsi que le
type de lien qui s’établit d’un paragraphe à l’autre.
alinéa et paragraphe
En concordance avec l’insertion progressive des blancs (inter-mots,
inter-lignes, inter-chapitres) dans le texte, « l’alinéa est un signe de ponc-
tuation qui a commencé à remplacer le signe du paragraphe à partir du xVe
siècle et s’est généralisé avant la fin du xVIIe siècle » (Mitterand, 1985 :
61).
Le para-graphe renvoyait, originellement, à ce qui est écrit à côté
(dans les marges) d’un texte, pour marquer « les diverses parties que l’on
voulait y distinguer » (Châtillon, 1985 : 24). Cette marque paragraphique
33 C’est du reste le double niveau de portée des signes séquentiels, textuel et phrastique,
qui m’a incitée à les qualifier ainsi. On se souvient que J. Anis (1985) les nomme
signes syntagmatiques.
34 A linea, littéralement : en s’écartant (a ablatif) de la ligne. 51
VéRONIQuE DAHLET
Raisons de l’alinéa
Il faut chercher les raisons de l’alinéa dans la diachronie certes, mais
surtout dans ce qui fait la spécificité de l’écrit, qui se matérialise sur un
support bidimensionnel (voire, depuis peu, tridimensionnel). Contraire-
ment à la linéarité du langage parlé, l’écrit est donc doté de moyens de
baliser, regrouper/dégrouper et hiérarchiser ses contenus36. D’autre part, le
balisage se fait ici, paradoxalement, par la visibilité du blanc de l’alinéa.
C’est dans ce sens qu’Arabyan a pu dire que l’alinéa est le signe le plus
écrit qui soit.
35 Il est intéressant de remarquer que dans cette longue période où les mots n’étaient pas
séparés par une espace (scriptio continua), le souci premier a été de marquer les divi-
sions du texte, et non des phrases. Ceci s’explique par les activités majeures dont
l’écrit faisait l’objet : la copie (il s’agissait de recopier les textes – notamment la Bible
– et les marques sectionnelles réduisaient les risques d’erreur des copistes), la glose
(commentaires en marge des textes liturgiques par les Pères de l’Eglise), et enfin,
l’enseignement de la scolastique (un système commun de renvois au texte d’une
copie manuscrite à l’autre).
36 « Le blanc, sur lequel les typographes avaient refondé l’esthétique de la page, devient
52 alors ce qui, d’un coup d’oeil, éclaire la construction logique » (Demarcq, 1999 : 94).
PONCTuATION ET éNONCIATION
Contexte extra-linguistique
Le patron paragraphique tel qu’il apparaît à la lecture n’est pas tou-
jours celui conçu par l’auteur. Prédomine alors le rôle du « Transmetteur »,
qui « couvre toute la chaîne des intermédiaires du livre, qui réalisent l’ob-
jet, l’éditent et le diffusent » (Catach, 1998 : 32). Il n’est pas rare que le
« Transmetteur » réaménage la disposition en paragraphes, en fonction du
profil présumé du lectorat et/ou de la mise en page (dans les textes média-
tiques – journaux, magazines, revues et dans les manuels de tout type
notamment).
Prenons deux exemples.
Le premier, où il s’agit d’une alinéation strictement indépendante de
l’auteur, renvoie à la multiplication impressionnante de l’alinéa au fil des
rééditions du Petit Poucet de Perrault qui, échelonnées sur 200 ans, sont
passées « de 4 à 98 paragraphes entre 1697 et 1905 » (Arabyan,1994 :14).
Le second exemple renvoie aux contes d’Alphonse Allais (Oeuvres
Anthumes et Posthumes). Si, dans ce cas, c’est l’auteur lui-même qui uti-
lise abondamment l’alinéa (bien au-delà de la fréquence moyenne, écrits
littéraires et non littéraires confondus), ce choix reste pourtant fortement
déterminé par des conditions externes : tout à la fois par l’édition pério-
dique et, dans ce cas précis, plus encore que par le lectorat visé, par le
régime de lecture – rapide – qui en découle et, enfin, par la littérature de
distraction proposée.
Je reproduis ici un large extrait d’un conte, choisi au hasard parmi
ceux qui ne contiennent pas de parties dialoguées38:
(44)
Germes
Le bouillant Achille, comme chacun sait, s’était nourri, dans sa jeu-
nesse, de la moelle des lions. Cette coutumière alimentation lui com-
muniqua un courage dont, par la suite, il donna maintes preuves.
37 En d’autres lieux, la distinction serait donnée par la paire contexte et cotexte. Mais je
préfère ne pas marquer ici cette distinction, qui me semble introduire une opposition
trop radicale, surtout pour ce qui concerne la mise en paragraphe dont on verra qu’elle
est d’abord faite pour l’oeil, et non pour des raisons intra-linguistiques. Le contexte
extra-linguistique renvoie à « l’ensemble des circonstances au milieu desquelles a lieu
une énonciation (écrite ou orale). Il faut entendre par là l’entourage physique et social
où elle prend place [...] », et que Ducrot (1995 : 764) appelle la « situation de dis-
cours ».
38 J’exclus à dessein toute partie dialoguée dont on sait que la mise en forme moderne
entraine très souvent l’alinéation, suivie du tiret de dialogue. 53
VéRONIQuE DAHLET
Contexte linguistique
Faut-il pour autant renoncer à voir dans l’alinéation une raison
interne ? Les paragraphes d’éditeur et de presse ne maintiennent pas moins
une cohérence textuelle, même si celle-ci n’est pas originale. On peut donc
présumer que la séquentialisation paragraphique, originale ou non, se
fonde sur des scénarios à récurrence suffisante pour permettre à un scrip-
teur/lecteur moyen de produire/reconnaître une cohérence. De sorte que ce
qui différencie les paragraphes d’éditeur et de presse des autres para-
graphes (qu’on supposera donc originaux), c’est la régie dominante sous
laquelle se placera cette cohérence.
On s’attachera maintenant à traiter la question du contexte linguis-
tique dans la mise en paragraphes originale. L’alinéation, dans tous types
de textes confondus, ne correspond à aucun modèle préétabli, elle renvoie
à des unités d’ampleur et de contenu extrêment variées. A partir de ce
constat, deux chemins sont possibles : ou bien on analyse le contexte
comme irréductiblement singulier (du point de vue de l’alinéation, s’en-
tend) mais la méthode est impraticable et inutile, ou bien on cherche à
repérer dans le contexte des procédures d’alinéation récurrentes capables
de rendre compte de tendances, ce qui revient à constituer des types
idéaux, tels que F. François les situe à propos du récit et de ses normes
(1988 : 223) :
[...] on n’est ni au niveau de la généralisation empirique ni à celui de la
déduction mais plutôt à celui de la constitution de types idéaux. On
construit un schéma du récit dramatique ou de l’histoire drôle, pour pou-
voir unifier la diversité empirique rencontrée. Mais on ne peut considé-
rer ce type idéal comme une loi qui s’imposerait nécessairement à la
réalité. Surtout, peut-être, rien n’oblige à penser que les ressemblances
des différentes réalités empiriques entre elles sont plus importantes que
leurs différences (je souligne). 55
VéRONIQuE DAHLET
Le type idéal, qui ne fait pas loi, vaut tout aussi bien pour le récit que
pour l’alinéation. Cette précaution étant prise, on peut maintenant analy-
ser l’alinéation dans son contexte. Le contexte renvoie à la fois :
- aux modes d’établissement d’une série de paragraphes – quelles
opérations déterminent les démarcations alinéaires successives ?
quelle(s) cohérences(s) inter-paragraphique(s)? – ;
- et au paragraphe en tant qu’unité – constitution d’une cohésion
interne, susceptible de fournir au paragraphe une relative autono-
mie –.
La démarcation
39 Au contexte historique notamment, puisque ce sont les imprimeurs, et non les auteurs,
qui ont été les artisans de la mise en forme des dialogues.
40 un vouloir dire, quand ce n’est pas une recherche d’effet de sens. On pense aux /§/
de Flaubert analysés par Proust; on a ici même le conte d’A. Allais, où la segmenta-
tion de parties solidaires (cf. la concession) vise une empathie maximale du lecteur à
travers l’effet de surprise créé par l’alinéa. 57
VéRONIQuE DAHLET
Paragraphes thématiques
Les deux premiers types de paragraphes (thématiques et prédicatifs)
rendent compte d’un processus identique, qui est celui de la progression
thématique, dont l’agencement est donné à voir par l’alinéation. Les arti-
culer l’un à l’autre permet de montrer que la succession paragraphique ne
se vaut pas nécessairement, car elle peut construire soit une équivalence
entre les paragraphes (paragraphes thématiques), soit une hiérarchie, où le
paragraphe premier fournit l’hyperthème tandis que les paragraphes sub-
séquents (paragraphes prédicatifs) développeront chacun un thème dérivé
de l’hyperthème. Aussi, pour rendre compte de cette hiérarchie inter-para-
graphes, il vaut peut-être mieux ne parler que de paragraphes thématiques,
qui peuvent éventuellement dégager un paragraphe hyperthématique
(hyperthème explicite vs. implicite)41.
(paragraphe hyperthématique)
paragraphes thématiques
paragraphes à thèmes dérivés
Paragraphes de registres
J’appelle paragraphes de registres (en attente d’une meilleure dési-
gnation; génériques conviendrait assez bien, mais la polysémie qui s’y rat-
tache risque de créer des ambiguïtés) ceux que Mitterand distingue en
génériques, sémio-narratifs, sémio-argumentatifs et, enfin, ceux qui indi-
quent l’alternance en contexte dialogal. L’avantage des les unifier sous la
même régie consiste à faire apparaître les déterminations de l’alinéa, indé-
pendamment du type de texte (narratif, argumentatif, descriptif, injonctif-
instructionnel), ce qui en outre permet de rendre compte de l’alinéation
dans des textes à séquences hétérogènes, qui sont majoritaires. C’est du
reste ce qui ressort de la catégorie de paragraphes désignés comme géné-
riques par Mitterand.
Le problème qui reste à résoudre touche la délimitation de l’ampli-
tude de la suite paragraphique. Ainsi, le passage d’un paragraphe à l’autre
peut être lui-même inséré dans une structure alinéaire subsumante. La
portée alinéaire peut donc varier, et ne pas répondre mécaniquement à la
délimitation telle qu’on l’avait dégagée (cf. chapitre 1) et selon laquelle la
portée alinéaire va de l’alinéa à l’alinéa subséquent. En fait, une hiérarchie
entre portées alinéaires survient le plus souvent, dès lors qu’on situe l’ali-
néation en perspective textuelle (d’où la notion avancée de structure ali-
néaire), ce qui mène à dégager au moins deux portées alinéaires. Il est clair
que cette hiérarchie se manifeste par le matériau verbal : organisateurs tex-
tuels et progression thématique notamment. 59
VéRONIQuE DAHLET
43 Il est utile de noter que cette suite de paragraphes constitue un vrai-faux début de cha-
pitre, intitulé « L’index accusateur ».
Faux dans la mesure où cette suite est précédée du récit de la réaction d’une collègue
de l’auteur, elle aussi historienne, au sujet de Galilée. Sur quoi l’auteur resitue le pro-
cès de Galilée par rapport à d’autres événements (plus de 100 ans après la Réforme,
200 ans après l’invention de l’imprimerie, etc.), et rappelle qu’il est contemporain des
procès de sorcellerie, dont elle analyse quelques-uns.
Vrai, dans la mesure où cette suite de paragraphes est séparée du premier texte (abso-
lument autonome) par plusieurs lignes blanches, qui sont renforcées de surcroît par
trois étoiles formant triangle
*
* * 61
VéRONIQuE DAHLET
44 Je me limite ici aux formes les plus simples. On verra plus loin d’autres mises en
forme typographiques des discours citant et cité dans le texte romanesque (cf. infra
62 p. 115, « Mise en forme du dialogue ».
PONCTuATION ET éNONCIATION
(48)
Quand elle demanda à son homme des nouvelles du volatile, ce dernier
rétorqua, brutal :
« Comment ? C’est pas toi qui ne pouvais pas le souffrir ? Eh ben, je
t’en ai débarassé et maintenant fous-moi la paix ! »
Mis à part cette fâcherie, il n’y avait guère de nuages dans leur
union.
M.S.G. : 154
(49)
[...] puisque c’est précisément pour éclairer la nature de ces scrupules
qu’il porte un intérêt aussi exagéré à ce bavardage d’écoliers en congé.
« Pas maintenant, non! Nous allons rester tranquilles ! »
Insignifiante et pourtant capitale, la première phrase qui ait frappé
son oreille a éveillé en lui une mystérieuse curiosité, elle l’a détournée
de regagner sa chambre.
« Rester tranquilles, oh là là ! Alors on va parler ?
— Rien ne t’y oblige, on te serait quand même reconnaissant de te
taire. Prends exemple sur Georges ! »
Il reconnaît bien la voix de Paul, son neveu, mais qui donc est ce
Georges?
« On pourrait s’amuser à faire parler Georges ?
— Bonne idée! [...] ».
CH.EN. : 66-67
Le sémantique
A l’évidence, le seul découpage typographique d’un paquet de phrases
ne suffit pas à donner au paragraphe son unité sémantique. Cependant, le
découpage présuppose un début et une fin, et c’est sur ces sites qu’il faut
s’arrêter.
un début de paragraphe est une coupure par rapport à ce qui précède,
mais il doit également, pour être pertinent, faire lien. Les trois critères
dégagés par Mitterand me semblent tout-à-fait adéquats à cet égard : il
s’agit de la cohésion, de la cohérence et enfin de la progression (1985 :
91-93). 63
VéRONIQuE DAHLET
La cohésion
Elle se manifeste par les articulateurs de discours, les connecteurs et
les temps verbaux notamment. Ainsi, dans (47), le § 4 : Or et le § 5 : Il
n’empêche que. En outre, on a constaté que bien souvent, un /§/ s’ouvre
par une suite de type : démonstratif + anaphore résomptive de type : Cet
incident / Cette situation / Cette rencontre au sommet, etc. Bessonnat
(1988 : 89) note « l’usage privilégié des reprises démonstratives en tête de
paragraphe, en raison de leur valeur reclassifiante ».
La cohérence
Elle est assurée ici par la récurrence thématique. Ainsi, l’extrait (47)
sur l’Inquisition. Les paragraphes 1, 2 et 4, qui se construisent autour de
l’axe aujourd’hui – prédominance de la valeur santé physique /vs./ époque
féodale – prédominance de la santé spirituelle, sont reliés par une série de
lexèmes à récurrence thématique qui construisent l’isotopie :
Première série - §1 :
aujourd’hui → §2 temps féodaux → §4 : l’Inquisition + de nos
jours
Deuxième série - § 1 :
convictions religieuses → §2 : profane et sacré; § 2 : incident
d’ordre spirituel + accident physique → §4 : préservation de la foi
+ santé physique
La progression
La progression thématique (répartition en thèmes et rhèmes) constitue
l’un des points fondamentaux de l’alinéation : le paragraphe doit apporter
une information nouvelle. Dans (46), la procédure de la progression, par-
faitement claire, est renforcée par les connecteurs textuels mis en tête de
chaque paragraphe: Je trouve trois causes... § La première...§ La
deuxième...§ La troisième...
Mais bien souvent, la progression ne suit pas une démarche aussi
claire. Dans la suite paragraphique donnée en (47), le modèle de progres-
sion, qui obéit à la visée argumentative, est chronologiquement inverse à
l’ordre de succession des paragraphes : il s’agit pour l’historienne de four-
nir les conditions optimales pour énoncer sa thèse. En effet, l’hyperthème
apparaît à la fin de ce travail argumentatif : l’historien doit tenir compte
des différences de critères, d’échelle de valeur d’une époque à l’autre (/§/
4). L’hyperthème produit un thème sous-ordonné (§ /4/ : l’Inquisition fut
la défense d’une société pour laquelle [...] la préservation de la foi parais-
sait aussi importante que de nos jours celle de la santé physique), qui à
son tour commande la progression thématique des premiers paragraphes.
Le /§/ 5 comporte une rupture qui est introduite par le second terme
64 de la concession Il n’empêche que.
PONCTuATION ET éNONCIATION
Le traitement de l’information
Plusieurs auteurs ont analysé le paragraphe du point de vue de la lin-
guistique psycho-cognitive (Dubois & Visser, Denhière, Le Ny : 1985).
C’est alors la co-énonciation qui prime : quels mécanismes s’activent chez
le lecteur pour que le paragraphe soit traité comme unité? En d’autres
termes, outre les mécanismes de traitement de l’information déjà étudiés
et valables pour tout segment de texte, de l’unité minimale (les sèmes) à
l’unité maximale (les textes), il s’agit d’introduire l’unité paragraphique,
jusque-là non prise en compte dans l’ensemble des études en linguistique
cognitive. L’hypothèse avancée par Denhière (1985 : 126) est que « les
individus d’une culture déterminée ont été amené à élaborer [...] des struc-
tures mentales qui, pour une large part, sont semblables »45. Dans cette
perspective, il faut que le lecteur soit « capable d’élaborer une structure
cognitive plus ou moins homologue à celle de l’auteur » pour faire du para-
graphe une unité de traitement de l’information (Id., 1985 : 125).
Complémentaire à l’étude de Denhière, celle de Le Ny se concentre
sur le découpage qui, « exprime [...] les exigences du traitement cognitif au
cours de la lecture » (1985 : 134). Ainsi, le retour à la ligne « vaut comme
une instruction du type « Mettez fin à quelque chose [...] commencez autre
chose » . Ces « deux ‘quelque chose’ [...] ont un rapport étroit avec la struc-
ture du texte, certes, mais de façon plus profonde, surtout avec la structure
de l’état terminal que le locuteur veut créer chez le destinataire pour lequel
il écrit son texte » (131).
La question de la fin d’un paragraphe est particulièrement intéres-
sante : comme pour le point, le point-virgule et dans certains cas la virgule,
la borne fermante/ouvrante indique la fin de l’inférence sur l’amplitude
affectée par le signe en question. Reste à savoir ce qui détermine la fin
d’un paragraphe, en l’absence de connecteurs conclusifs explicites. Ainsi
que le fait observer Le Ny, il n’y a pas de détermination absolue, pas plus
45 Dans une première phase de son exposé, Denhière rappelle les différents « niveaux
d’organisation qui, dans la mémoire sémantique des sujets, permettent de collecter,
de traiter, de conserver et de retrouver l’information [...] :
1. les traits sémantiques (ou sèmes);
2. les signifiés (au sens large, les concepts);
3. les propositions sémantiques (relations entre un prédicat et un ou plusieurs
arguments);
4. les significations de phrase;
5. les significations de textes (ou macrostructures) ». 65
VéRONIQuE DAHLET
que pour ce qui concerne la phrase ou le texte. Il semble bien, par consé-
quent, que ce soit la structure de l’état terminal visée par le scripteur qui
conditionne la fermeture du paragraphe.
On voit donc que si la cohésion, la cohérence et la progression thé-
matique constituent des aides significatives au traitement de l’information,
la base commune des structures mentales est, en amont, le préalable à l’ap-
préhension du paragraphe comme unité sémantique.
Ceci explique la typologie de Mitterand, qui s’appuie sur des forma-
lisations de scénarios fortement stabilisés. En revanche, la réalité empi-
rique du paragraphe est très diversifiée, on l’a dit : il me semble que c’est
encore à partir de la base commune des structures mentales que cette
grande diversité peut être assignée à signification, car c’est en référence à
la représentation de structures textuelles stabilisées, elles-mêmes repré-
sentantes de structures cognitives, qu’il devient possible d’élaborer
d’autres structures textuelles et cognitives. un Flaubert, un Proust ou un
Simon le savent bien.
Hiérarchie et adhérence
Mais, à un niveau plus immédiat, la base commune des structures
mentales est aussi le requis nécessaire pour re-trouver une structuration
satisfaisante dans une suite paragraphique, notamment au niveau de la hié-
rarchie inter-paragraphes et de son corrélat, la question de l’adhérence.
J’emprunte la notion à Stati qui dans son étude sur « L’organisation
textuelle de l’information sémantique » l’applique à la relation entre deux
phrases (1987 : 6) :
Si une information x est indiquée comme dérivant d’une information
antérieure, la phrase qui contient x est appelée « adhérente à gauche ».
Dans le cas inverse : une information est présentée comme annonçant
(préparant) l’occurrence d’une information dans le contexte successif;
ceci rend la phrase « adhérente à droite ». Il y a enfin des phrases adhé-
rentes aussi bien à gauche qu’à droite et des phrases non adhérentes ».
On a déjà vu que si les paragraphes se présentent de façon successive,
ils ne sont pas toujours équivalents : certains sont sous-ordonnés à
d’autres. Il s’agit alors de voir ce qui détermine cette structure hiérarchi-
sante inter-paragraphique.
C’est ici que la notion d’adhérence se prête particulièrement bien à
l’enchaînement paragraphique, dont il ne serait pas juste de dire qu’il se
constitue d’une suite étale de paragraphes 1+1+1+1, etc.
Ainsi, dans l’extrait (47) :
- les /§/ 3 et 5 (Une anecdote vécue est de ce point de vue significa-
tive / Il n’empêche que) dérivent immédiatement du paragraphe qui
les précède. Ils sont donc sous-ordonnés (n’occupent pas la même
place dans l’ensemble de la sur-séquence) et sont adhérents à
66 gauche. Cela signifie qu’un nouveau paragraphe peut se constituer
PONCTuATION ET éNONCIATION
Suite paragraphique 1
§1
§2
§3
§4
§5
Suite paragraphique 2
§6
68
PONCTuATION ET éNONCIATION
Chapitre 4
Le point
tandis qu’en analyse de l’écrit (des écrits), elle ne peut que renvoyer à des
réalisations effectives, mais qui peuvent toutes se résumer à une seule opé-
ration : borner le discours en unités graphiques, appelées phrases.
Si donc on admet que la phrase est une unité graphique, je la défini-
rai comme suit : est phrase ce qui est borné à gauche et à droite par un
point, ou par tout équivalent paradigmatique (i.e. de même niveau : points
d’interrogation, d’exclamation et de suspension).
En dernière instance, cette définition ne se démarque pas excessive-
ment du discours grammatical (commence par une majuscule et termine
par un point), puisque dans les deux cas, les critères sont de délimitation
grahique. Toute l’affaire consiste donc, on l’a dit, à savoir ce qu’il est pos-
sible de mettre entre ces deux bornes.
comme unité graphique, il la place d’entrée de jeu dans l’écrit, qu’il appré-
hende dans son versant discursivo-communicationnel. Et c’est dans le
réglage de ces deux paramètres (segmentation et production discursivo-
communicationnelle) qu’il devient alors possible de rendre compte de
l’hétérogénéité du phénomène. Je reprends ici les grandes lignes de son
parcours.
50 Hormis peut-être des cas tout à fait exceptionnels qui relèvent de déterminations exté-
rieures à l’écrit : malaise du scripteur, panne d’électricité, temps imparti épuisé en
72 contexte d’examens, etc.
PONCTuATION ET éNONCIATION
Chapitre 5
Le point-virgule
Segmentation
Dans sa fonction de segmentation, le /;/ relie les clauses de façon plus
serrée que ne le ferait le /./. Inversement, par rapport à la /,/, ce signe ren-
force la segmentation inter-clauses. En fait, dans son double rapport au /./
et à la /,/, le point-virgule fait clairement apparaître à la surface de l’énoncé
le traitement de l’information tel que l’engage le scripteur, sous l’angle de
l’inter-relation entre les arguments que forme chaque clause. En l’absence
de connecteur ou assimilé, à charge pour le lecteur d’expliciter la nature
de la relation entre arguments.
(50)
D’ailleurs, beaucoup plus qu’une catégorie juridique déterminée, le ser-
vage est un état, lié à un mode de vie essentiellement rural et terrien; il
obéit aux impératifs agricoles et avant tout à cette nécessaire stabilité
qu’implique la culture d’une terre.
P.F.M.A. : 75
(51)
Il entend leurs pas rapides; il se rappelle la voix de l’autre, posée, naïve,
rouillée par la mue; il voit son regard bleu et inflexible; il voit son 73
VéRONIQuE DAHLET
Hiérarchisation
Mais le point-virgule joue également son rôle de hiérarchisation des
segments inter-clauses dans l’échelle différentielle qu’il établit en regard
des virgules intra-clauses. Cet établissement différentiel se révèle claire-
ment dans des énoncés tels que celui-ci :
(52)
Aujourd’hui encore, visitez Loudun [...]. Des lieux dispersés reconsti-
tuent, grâce à la voix et aux gestes du guide, le déroulement d’une his-
toire perdue : la salle où fut prononcé l’arrêt de mort; l’endroit d’une
première chute ; le coin de rue où « un moine » frappa Grandier d’un
coup de bâton ; le porche de l’église Saint-Pierre, devant lequel le
condamné dut faire publiquement amende honorable, mais fut secouru
par le Père Grillau, une bonne âme; enfin la place du Marché Sainte-
Croix, car c’est là que, devant le prêtre René Bernier, bon larron repenti,
et sous les yeux de Louis Trincant, le persécuteur insolemment installé
à sa fenêtre, le curé périt dans le feu allumé par ses exorcistes eux-
mêmes.
P.L. : 15
On perçoit que, pris dans sa fonction de hiérarchisation, le /;/ se justi-
fie essentiellement par la lisibilité qu’il construit, d’où sa fonction essen-
tielle dans le traitement de l’information. En effet, du fait même qu’il
marque les bornes à gauche et à droite de son site d’occurrence ( [/./ – /;/]
et [ /;/ – /./ ] ), les virgules sont instantanément identifiées dans leur ampli-
tude respective. En d’autres termes, les différentes amplitudes virgulaires
sont sans ambiguïté interprétées comme insérées dans la portée supérieure
donnée par le /;/.
Ainsi, nous avons pour (52) :
[ . : ; ; ; ; .]
, , , , , , , ,
et non pas cette segmentation (où la /,/ chiffrée 1 correspond au /;/ tan-
dis que la /,/ 2 correspond à la /,/ de l’énoncé original (52) :
[ . : , , , , , , , , , , , , . ]
74 1 1 1 2 2 2 1 2 2 2 2 2
PONCTuATION ET éNONCIATION
51 Grévisse note le même phénomène de non hiérarchisation (1986 : 169), qu’il déplore :
« une ponctuation plus forte, point-virgule ou double-point par ex., servirait mieux à
la clarté de l’expression :
Mon grand-père maternel, issu d’une famille alsacienne de maîtres-verriers, le
capitaine Binger, fut explorateur, il explora en 1887-1889 la boucle du Niger
(R. Barthes, dans Tel Quel, automne 1971, p. 89) ».
L’intuition est juste, la hiérarchisation faisant apparaître le mode d’imbrication des
segments, mais sa justification est douteuse, car il est peu probable que la « clarté »
du propos ait fait défaut en production; en revanche, la lecture se trouve en effet ralen-
tie puisqu’elle doit elle-même restituer la hiérarchisation qui n’est pas visible d’em-
blée. 75
PONCTuATION ET éNONCIATION
Chapitre 6
La virgule
(58)
1. Les femmes-matadors des bas-quartiers arboraient des robes sages de
grand-mères en toile-soussoune-clairé et leurs madras, gris ou noirs
pour la circonstance, semblaient en berne sur leurs cheveux dûment
défrisés au fer chaud.
Raphaël Confiant, La Vierge du Grand Retour. Paris : Grasset, 1996 :
111.
2. Les femmes-matadors des bas-quartiers arboraient des robes sages de
grand-mères en toile-soussoune-clairé et leurs madras gris ou noirs,
pour la circonstance semblaient en berne sur leurs cheveux dûment
défrisés au fer chaud.
(59)
1. Sganarelle en riant, lui, réclamait ses gages [...].
2. Sganarelle en riant lui réclamait ses gages [...].
Baudelaire, Dom Juan aux enfers, édition de 1846 en (1); éditions pos-
térieures en (2), apud Drillon, 1991 : 151
L’épreuve par l’homonymie est en ceci intéressante qu’elle permet de
voir comment la virgule réorganise la séquentialisation, et donc le sens, ce
qui montre bien la double syntagmatique instaurée.
- Dans les énoncés (54.2), (55.2) et (56.2), le segment virgulaire, qui
peut se déplacer sur la chaîne, entraîne un changement de sens :
(54.2) Comme je le pensais, il n’a pas joué (paraphrase : ainsi que je
l’avais prévu, il n’a pas joué)
(55.2) Naturellement, il est mort (ici, l’adverbe est d’énonciation)
(56.2) Ça, c’est bien (la reprise, détachée à l’arrière, peut être rejetée
à l’avant)
- La présence/absence de virgule dans (57) régule, on le sait, la dis-
tinction entre relative déterminative et explicative, d’où la bifurcation
sémantique entre (57.1) où la détermination se charge de ne prélever
qu’une partie des élèves, et (57.2) qui, outre qu’elle donne la raison de la
permanence en classe, prélève la totalité des élèves.
- Le changement du site de segmentation dans (58) fait porter le cir-
constant pour la circonstance sur la couleur des coiffes en (58.1), et sur
leur aspect en (58.2).
- La variante (59) discrimine la catégorie fonctionnelle de la forme
lui : reprise pronominale détachée dans (59.1) référant à Sganarelle; com-
plément d’objet dans (59.2) référant à Dom Juan.
La virgule discrimine également les pronoms toniques de ses homo-
morphes atones. Ainsi que le fait remarquer Grévisse (1986: 176), contrai-
rement aux pronoms des autres personnes qui développent deux
paradigmes (moi/je; toi/tu; lui/il), les pronoms elle(s), nous et vous peu-
vent être ou toniques ou atones. La virgule, dans ce cas, sélectionne le pro-
nom tonique :
(60)
Le prince était ensorcelé. Elle, voyait à travers lui la France et la
capitale.
78 J. Cocteau, Thomas l’imposteur, apud Grévisse, 1986 : 176
PONCTuATION ET éNONCIATION
81
VéRONIQuE DAHLET
(64)
Je puis fort bien me gaver jusqu’à la nausée des minarets dorés, des tar-
tanes, des palétuviers, des atolls, des pirogues, des odalisques, des bri-
gantines, de ces parures qui deviendront bientôt autant de déchets.
S.H.B.: 305
Régime commun : Je puis fort bien me gaver de. Soit :
.—————>], <———-], <———], <———-], <———],<———.
. Je puis fort bien me gaver des minarets, des tartanes, etc.
RéGIME COMMuN IN ABSENTIA
Le régime commun est implicite. C’est le cas de l’ellipse du verbe;
celui-ci étant le dénominateur commun :
(65)
Déambulatoire, la quête du passé a pris la forme d’une légende; l’itiné-
raire, un caractère initiatique.
P.L.: 15
Régime commun : a pris la forme. Soit :
; ————-> , <————- .
Substitutions paradigmatiques
Substituer par le point et/ou le point-virgule vise à récapituler les dif-
férents niveaux auxquels fonctionne la virgule.
Ce n’est que dans les structures de type (61) et (62), i.e. quand la vir-
gule a valeur de relationnel d’identité avec tensif simple qu’il est possible
de lui substituer des signes de niveau supérieur : ou point ou point-virgule.
(71)
Le Vietnam s’enfonce dans la poigne de fer de la bureaucratie. Cuba sert
de base à l’impérialisme soviétique. La Chine révèle les atrocités de la
Révolution culturelle. Le monde n’a plus une lueur de lumière à dis-
penser à nos sens affamés.
(72)
Le Vietnam s’enfonce dans la poigne de fer de la bureaucratie; Cuba sert
de base à l’impérialisme soviétique; la Chine révèle les atrocités de la
Révolution culturelle; le monde n’a plus une lueur de lumière à dispen-
ser à nos sens affamés.
83
VéRONIQuE DAHLET
(73)
Nous ignorons la sécurité. Nous nous tenons sur nos gardes. Nous
rusons sans cesse.
(74)
Nous ignorons la sécurité; nous nous tenons sur nos gardes; nous rusons
sans cesse.
Si l’on passe aux structures de type (63) et (64), seul le point-virgule
peut se substituer à la virgule (à moins qu’il y ait intention manifeste d’ef-
fet de sens) :
(75)
Ils grognèrent; tapèrent du pied; envoyèrent de la boue; besognèrent au
ralenti-môlocôye mais finirent par se résigner.
(76)
Je puis fort bien me gaver jusqu’à la nausée des minarets dorés; des tar-
tanes; des palétuviers; des atolls; des pirogues; des odalisques; des bri-
gantines; de ces parures qui deviendront bientôt autant de déchets.
Dans le cas de (65), la substitution de la virgule elliptique par une
ponctuation de niveau supérieur est impossible (seul signe indiqué par
l’usage pour marquer l’ellipse du verbe).
Ainsi, le jeu de permutation met en lumière les trois modalités de la
/,/.
La première modalité, qui renvoie à la /,/ de niveau 4, peut être sub-
stitué par une ponctuation de portée supérieure. Il concerne donc les cas
où la /,/ est de clause avec tensif simple, comme en (61) et (62).
La deuxième modalité renvoie également à la /,/ de niveau 4. Mais la
différence provient de ce qu’il y a mise en régime commun et que l’élé-
ment commun est in praesentia, d’où la substitution qui n’est possible
qu’avec le point-virgule, comme en (63) et (64).
Enfin, la troisième modalité concerne la /,/ de niveau 5. Parce que la
/,/ est intra-clause, la substitution par un signe de portée supérieure est en
principe impossible. Ainsi, la /,/ de l’ellipse et celle d’étagement : cas de
(56) à (70).
84
PONCTuATION ET éNONCIATION
Quatrième partie
La Ponctuation D’Énonciation
FonctionS Et oPÉRationS
85
PONCTuATION ET éNONCIATION
Chapitre 7
contexte monologal et contexte dialogal
Le symbole )( veut d’abord rappeler que les signes qui en sont affec-
tés se donnent comme des représentations graphiques de discours oraux
(qu’ils soient fictifs ou transcrits n’a guère d’importance) et qu’à ce titre,
on les fait immédiatement valoir d’une représentation qualifiante de la
voix : les signes valent pour de la voix.
Le symbole ?)( indique que, si les signes qui en sont affectés se trou-
vent dans le cadre d’une citation, c’est-à-dire en parole représentée, il est
très improbable qu’ils puissent, d’une façon ou d’une autre, être rendus en
oralisation.
88
PONCTuATION ET éNONCIATION
59 J’exclus la mise en forme typographique du dialogue de théâtre, que du reste les inter-
views journalistiques ont reprise, en l’adaptant. 89
VéRONIQuE DAHLET
Chapitre 8
contexte monologal
Le deux-points
Thème et rhème
Que le site d’occurrence du /:/ soit intrapropositionnel, interproposi-
tionnel ou interphrastique, sa fonction est une et constante : il répartit de
part et d’autre le thème et le rhème. Le thème correspond au « donné »,
défini comme « élément qui, au moment de l’acte d’énonciation, appar-
tient déjà au champ de la conscience », tandis que le rhème correspond au
« nouveau », information introduite à partir du donné (Combettes, 1983 :
18-19).
On représentera la fonction distributrice du /:/ comme suit : [t : R]
En intraproposition
(77)
Par un revirement vicieux, l’immense trésor ethnologique en vient alors
à légitimer, à travers des lectures hâtives sans doute, [t] ce contre quoi
cette discipline s’est dressée dès ses origines : [R] le colonialisme spiri-
tuel, le désintérêt généralisé, le mépris d’autrui.
S.H.B. : 209 91
VéRONIQuE DAHLET
En interproposition
(78)
Remarquons [t] qu’aucune analyse sur les causes du sous-développe-
ment ne fait l’unanimité : [R] quand les uns condamnent les multinatio-
nales, d’autres exaltent leur rôle positif.
S.H.B. : 141, n. 3
Il est rare mais non impossible d’employer deux /:/ à la suite, en inter-
proposition ou en intra-proposition :
(79)
[t1] Racisme à l’envers mais racisme tout de même : [R1>t2] le ravis-
sement apparent de n’être plus soi se paye de la plus grossière réduc-
tion : [R2] on ne bénit chez l’autre que le négatif de notre société, l’alibi
introuvable de nos peurs, le porte-parole de nos hantises.
S.H.B. : 189
(80)
L’exemple le plus clair est celui des abbayes, dans lesquelles [t1]
l’agencement des bâtiments est partout le même, [R1] répondant aux
nécessités de la vie en commun [R1>t2] : [R2] chapelle, dortoir, réfec-
toire, cloître et capitulaire, [t3] avec des variantes qui correspondent
aux modes de vie de divers ordres : [R3] maisonnettes des Chartreux,
granges et « usines » cisterciennes, etc.
P.F.M.A. : 31
La délimitation du thème et du rhème semble être une constante, mais
l’ordre peut changer, et l’on trouve aussi bien l’ordre [T : R] que l’ordre
[R : T] :
(81) [R : t]
Votre Occident radieux a pour socle un cauchemar et pour base une
hécatombe : voilà ce que nous soufflent les indigents du Tiers-Monde.
S.H.B. : 106
(82) [R : t]
La Révolution ou l’oubli : les opprimés étaient soumis à cette alterna-
tive abrupte, acte dévorant au regard duquel rien n’avait d’importance.
S.H.B. : 69
En position interphrastique, le double-point intervient alors en
représentation de dialogue et fonctionne le plus souvent de paire avec le
guillemet et le tiret de citation.
(83)
Philomène entraîna le bonhomme dans sa case et lui lança d’un ton sec :
« Je t’ai trouvé un grand maître du damier. Pa Victor, c’est son nom, il
t’enseignera tout ce que tu dois savoir [...]. »
M.S.G. : 60
Un opérateur logique
La valeur distributionnelle entre thème et rhème peut se doubler de
diverses valeurs dites logiques : cause, conséquence, conclusive, voire de
92 paraphrase.
PONCTuATION ET éNONCIATION
61 Le /:/ de cause dispense de mettre la conjonction. C’est pourquoi, un énoncé tel que
celui-ci serait redondant si la topicalisation ne servait expressément à des fins argu-
mentatives :
la misère vous prend au piège : car démultipliée par la démographie, elle se perd
ici aux frontières inexplorées du fantastique et de l’incroyable. S.H.B. : 102 93
VéRONIQuE DAHLET
aiguilleurs référentiels
Les guillemets en contexte monologal bloquent l’interprétation litté-
rale du segment et fournissent ainsi des consignes d’interprétation particu-
lières. C’est pourquoi on les appelle aiguilleurs référentiels.
Guillemets autonymiques
Lorsqu’un mot est utilisé en mention, il est placé entre guillemets :
(90)
Même le mot « urbanité » est un souvenir de l’urbs antique.
P.F.M.A. : 61
Dans cette fonction encore, les /« »/ sont concurrencés par l’italique :
(91)
Le terme inquisition signifie enquête; au xIIe siècle Abélard proclame
que la vie du chercheur, du logicien, se passe en « inquisition perma-
nente » [...].
P.F.M.A. : 104
95
VéRONIQuE DAHLET
- rupture de registre
(95)
Le chauvinisme « pantouflardement » cocardier des occidentalistes à
tout crin vaut bien les réductions sommaires des tiers-mondistes.
S.H.B. : 267
L’italique
L’italique a été chargée depuis quelques décennies de marquer l’ex-
pressivité, mais la valeur du segment marqué possède des nuances, que le
contexte se charge à chaque fois de caractériser : valeur superlative en
(96), contrastive en (97), marque de l’argument fort en (98) et (99) :
(96)
[...] plus loin encore l’idée que l’Histoire puisse apporter une solution
aux problèmes du jour : si l’on peut tirer une conclusion de l’Histoire,
c’est au contraire que la solution de la veille n’est jamais celle du jour.
P.F.M.A. : 150
(97)
Et l’on peut se demander si ces jeunes qui voyaient dans l’oeuvre d’art
un moment d’extase [...] n’étaient pas [...] plus proches des conceptions
pré-classiques – à cela près toutefois qu’ils confondaient le présent avec
l’instant.
P.F.M.A. : 30
(98)
Aime tes ennemis : jamais notre temps d’incroyance n’a, dans les
années 70, suivi aussi fidèlement la parole christique. A cette nuance,
toutefois, que dans l’ennemi ce n’est pas la réconciliation future que
l’on vénère, c’est notre propre abolition que l’on cultive.
S.H.B. : 41
96
PONCTuATION ET éNONCIATION
(99)
Le grand traumatisme de la dernière décennie, c’est que les persécutés
ont eux aussi perdu leur innocence [...]. Il faut en prendre son parti :
l’ancien esclave vaut bien le maître dans sa capacité d’asservir d’autres
esclaves à ses ambitions. La terrible vérité que nous affrontons depuis
peu, c’est que tous les hommes sont pécheurs, même ceux-là que des
siècles de souffrance avaient désignés à la tâche exaltante de racheter
le genre humain.
S.H.B. : 242
La capitale
La capitale, dans les textes ordinaires, n’a jamais connu beaucoup de
vigueur. On trouve, ça et là, quelques occurrences, qui toutes cherchent à
drainer – par la mise en relief pour l’œil – le poids de l’information sur le
segment capitalisé (mot ou plus) :
(100)
[...] Beauzée, qui sera donc ici majoritairement cité. Il est d’ailleurs aux
yeux de ses contemporains LE spécialiste de la ponctuation [...].
F. Douay, « unité de sens et ponctuation », Travaux 13, Cercle Linguis-
tique d’Aix-en-Provence, PuP, 1995 : 44.
(101)
Mais c’était la mathématique seule, LA MATHéMATIQuE, qui avait
droit à cette presque-divination.
Math. : 77
Elle est concurrencée par l’italique, et si elle était assez prisée pour les
titres et sous-titres, elle tend aujourd’hui à être supplantée par le bas-de-
casse surdimensionné64. En revanche, pour des raisons de visibilité, elle est
volontiers utilisée dans des textes spécialisés, publicitaires notamment, et
des textes affichés dans des lieux ouverts.
Le gras
Très bien représentée dans les textes médiatiques, les manuels et les
monographies, son emploi reste marginalisé dans les autres types d’écrit.
Sa fonction est identique à celle de l’italique et de la capitale : elle met en
vedette le segment gras :
(102)
Cette caractéristique gestuelle oubliée de quelqu’un que nous avions
beaucoup vu [...], demeurée présente et immédiatement évocable dans
les souvenirs de Pierre alors qu’elle avait disparu des miens (et j’ai la
conviction que son souvenir est exact, je me souviens maintenant moi
aussi de ce mouvement, je le vois) [...].
Math. : 95
Le tiret simple
(103)
La représentation du pouvoir est d’autant plus spectaculaire qu’elle tra-
hit davantage l’angoisse de le perdre – ou de l’avoir perdu.
P.L. : 221
(104)
Et l’on peut se demander si ces jeunes qui voyaient dans l’œuvre d’art
un moment d’extase, un happening, qu’on provoque et qu’on détruit au
besoin une fois passé l’émoi, n’étaient pas, somme toute, plus proches
des conceptions classiques – à cela près toutefois qu’ils confondaient le
présent avec l’instant.
P.F.M.A. : 30
L’opération de mise en valeur du segment devient perceptible lors-
qu’on fait jouer la permutation. Si on se rappelle que le segment est déli-
mité à gauche par le tiret et à droite par le point, alors on constate, à partir
des exemples ci-dessus, que
• le tiret simple peut toujours être remplacé par une virgule. Sa parti-
cularité provient donc de ce qu’il mise, plus que pour d’autres
signes, sur sa visibilité, sur le détachement spatial du segment
concerné;
• le tiret n’entre en combinaison qu’avec le point. Les autres signes du
même paradigme ( /?/ - /!/ - /.../) produiraient un effet contradictoire,
ou pour le moins curieux66. On pourra dire que ces signes créeraient
une indétermination quant à leur portée : la borne de gauche se loca-
liserait aussi bien en début d’énoncé que sur le site du tiret. Mais
cela ne suffit pas à expliquer la prévalence du point. En réalité, le
tiret simple transforme la valeur déclarative du segment en plus-
value affirmative, et le fiduciaire s’accommode mal des /?/, des /!/
ou des /.../.
66 On trouve cependant une occurrence / tiret simple – point d’exclamation/ dans notre
corpus : [les habitants de Counozouls avaient pu conserver, encore au début du xxe
siècle, les droits d’usage qu’ils possédaient de temps immémorial sur les bois envi-
ronnant la commune]. Aujourd’hui encore on peut dire des habitants de Counozouls
qu’ils vivent en plein Moyen-Age – cette fois sans abuser du terme ! P.F.M.A. : 80. Le
/!/ établit ici une véritable complicité avec le lecteur, qui a déjà pris connaissance, au
fil des pages, des nombreux stéréotypes et idées fausses sur le Moyen-Age analysés
par l’historienne. En d’autres termes, le couplage /tiret – point d’exclamation/ valide,
ici, la formation d’une mémoire discursive partagée (auteur et lectorat) qui se consti-
98 tue en cours de lecture.
PONCTuATION ET éNONCIATION
Le point d’exclamation
Le point d’exclamation porte aussi bien sur l’interjection que sur
l’apostrophe, l’impératif et l’exclamation.
Le haut degré
S’agissant d’écrits monologaux, la structure qui se présente est celle
d’un /assertif complet + modalité !/. La question est donc de savoir ce
qu’apporte à un énoncé syntaxiquement et sémantiquement complet le
point d’exclamation. On peut avancer comme règle générale que le point
d’exclamation octroie à l’énoncé son haut degré : « que fait l’énonciateur
qui produit une exclamative ? Il entend signifier le ‘haut degré d’une pro-
priété’ » (Culioli, 1974 : 7).
(105)
Ne me jugez pas, dit l’islam, car il faut être mulsuman pour me com-
prendre. Ne me jugez pas, dit l’Africain, car il faut être noir pour m’en-
tendre. Ce sont curieusement les mêmes arguments dont Sören
Kierkegaard se servait pour défendre le christianisme lorsqu’il déclarait
que, pour le comprendre, il faut d’abord se convertir à la religion du
Christ!
S.H.B. : 246
(106)
Beaucoup plus discutable, un Walter Scott imposant une image de Louis
xI qui n’avait rien à voir avec le Louis xI de l’histoire – même si cette
image a pu se glisser jusque dans les manuels scolaires!
P.F.M.A. : 123
Le haut degré fourni par le point d’exclamation densifie le contenu
sémantique à des fins argumentatives, lesquelles passent par la construc-
tion d’un espace de conjonction consensuelle : 99
VéRONIQuE DAHLET
Mot exclamé
Lorsque le /!/ porte sur un mot seulement, il y a opération de topica-
lisation, de sorte qu’est atteint, si l’on peut dire, le degré superlatif. Degré
superlatif de la dysphorie dans (107) et degré superlatif de la question du
sens dans (108) :
(107)
Enfin, ce qu’on voit tous les jours : emprunter les noms de personnages
historiques pour faire passer des productions qui n’ont plus rien à voir
hélas! avec les oeuvres de Shakespeare ou même de Walter Scott, n’est
plus que pitoyable contre-façon [...].
P.F.M.A. : 123.
(108)
Le sens! C’est bien la hantise, assumée ou refoulée, de toute linguis-
tique.
C.Hagège, L’homme de paroles, Fayard/Folio 1985, p. 352.
Le point d’interrogation
Traditionnellement, on distingue l’interrogation, qui est une demande
d’information, de l’interrogation dite rhétorique, qui n’en demande pas.
On maintiendra cette bipartition, car on voit bien qu’elle est centrale. En
effet, dans la grande masse des écrits monologaux, l’énoncé interrogatif ne
constitue jamais une demande d’information66. On constate tout d’abord
que notre corpus de textes ne présente aucune interrogation totale, c’est-à-
dire de type est-ce que p ?, qui demande « à l’interlocuteur si tel contenu
est vrai ou non » moyennant une réponse oui/non. Le corpus ne contient
pas davantage d’interrogations partielles « qui demandent à l’interlocuteur
de compléter, sur un point particulier, les indications données par le locu-
66 Il faut bien sûr préciser davantage le sens que j’ai donné à contexte monologal, car
l’analyse qui suivra exclut la lettre qui, prise de façon indépendante, pourrait égale-
ment être perçue comme discours monologal. Mais précisément, il s’agit de replacer
la lettre, en tant que genre, dans son économie qui est celle de l’échange. De sorte que
poser une question y est tout à fait possible, qui mette le destinataire dans l’obliga-
tion de donner l’information demandée (exemple : est-ce que tu arriveras par le train
100 de 14 heures ?).
PONCTuATION ET éNONCIATION
teur (cf. « Qui est venu hier » ?, « Quand Pierre est-il venu ? ») » (Ducrot,
1981 : 80).
Ecartons d’emblée l’hypothèse selon laquelle l’énoncé interrogatif,
quand il n’est pas demande de réponse adressée à autrui, est une question
auto-adressée67. Reste enfin la question dite rhétorique, dont on sait le pou-
voir coercitif sur l’interlocuteur. Il faut donc voir quels mécanismes sont
mis en jeu par l’énoncé interrogatif dans les énoncés monologaux.
Dans son bel article sur « La valeur argumentative de la phrase inter-
rogative », Ducrot (1981) avance que les interrogations (totales et par-
tielles) « ont une orientation argumentative intrinsèque, et cette orientation
est négative » (81). Pour fonder cette hypothèse, Ducrot s’appuie sur ce
qu’il appelle des « coordinations argumentatives » (87), dont l’une vise à
la même conclusion que l’autre, donnée par l’interrogation. Ainsi, (E) et
(F) dans des énoncés tels que ceux-ci, où (F) interrogatif comporte une
proposition négative sous-jacente, qui de ce fait est argumentative en ce
qu’elle est en concordance avec la proposition (E) :
Il faudrait réfléchir avant d’abandonner ton poste (E). Est-ce que tu te
plairais mieux dans le nouveau ?(F) (85)
Tu es bien incapable de conduire (E), et d’ailleurs, en as-tu besoin pour
ton travail ? (F) (86)
À la suite de quoi, Ducrot distingue et démontre les trois actes élé-
mentaires qui s’accomplissent dans l’interrogation :
• l’assertion préalable, assertion de contenu : « En disant « Pierre est-
il venu ? », je mets en scène quelqu’un, différent de moi, qui asser-
terait la venue de Pierre » (89) ;
• l’expression d’une incertitude : « C’est le producteur de l’énoncé
qui, après avoir envisagé la proposition positive objet de l’assertion
préalable, montre qu’il hésite, en ce qui le concerne personnelle-
ment, à y adhérer, et il donne son énoncé comme le produit même
de son incertitude » (95). « Et c’est cette incertitude qui détermine
[...] l’aspect argumentatif de l’interrogation » (94);
• la création d’une obligation de réponse (99).
L’analyse de Ducrot nous intéresse à plusieurs titres.Tout d’abord, en
ce qu’elle montre l’opération argumentative, et ce, même dans les ques-
tions demandant véritablement une information.
67 Par définition, serait exclu d’emblée l’ensemble des écrits destiné à un tiers singulier
ou collectif (la question auto-adressée serait ressentie dans tous les sens du terme
comme déplacée); dans les écrits adressés à soi, comme le journal intime, la question
auto-adressée fonctionne comme un véritable leurre, car du fait qu’il s’agit d’écrit, le
scripteur ne cesse d’éprouver les représentations qui s’y rattachent et d’en reproduire
les mécanismes internes, quand bien même il se trouve dans la plus intime solitude.
En somme, la question auto-adressée n’existe pas à l’écrit. 101
VéRONIQuE DAHLET
Appel au consensus
L’interro-négative, elle, fournit à la fois la forme de la réponse et la
matière. En réalité, c’est une quasi assertion, à ceci près qu’elle auto-légi-
time l’asserté en faisant appel au consensus, voire à la coercition.
(112)
Mais posons qu’il n’y ait point de fourbe ni de fiction en cette affaire.
S’ensuit-il pour cela que ces filles soient possédées? Ne se peut-il pas
faire que, par folie ou erreur d’imagination, elles croient être possédées,
ne l’étant point?
Marc Ducan, in P.L. : 201
(113)
Entre les êtres célestes et la bête, ou entre les éléments combinés du cos-
102 mologique et du « vital », on constate une ellipse de l’homme.
PONCTuATION ET éNONCIATION
Fiction de dialogue
AVEC LE LECTEuR
La fiction du dialogue en contexte monologal consiste à construire
une image d’interlocuteur et à lui prêter la parole. Si l’interlocuteur imagé
peut endosser des identités diverses, la visée argumentative au moyen de
la mise en scène d’un dialogue ne change pas.
(115)
A quel autre critère, sinon à l’agrément d’une vie nouvelle, mesurer la
légitimité d’une patrie élective? Pays en voie de développement, dites-
vous ? Peut-être, mais d’abord pays en voie d’enveloppement.
S.H.B. : 281
La fiction du dialogue est double : elle se fonde sur l’oubli volontaire
des conditions qui caractérisent l’écrit (on fait comme si, sur le mode ima-
ginaire), ce qui permet alors d’instaurer un échange question-réponse; elle
sert à masquer la force de la prise de position sous couvert d’une conces-
sion attribuée au lecteur, désigné et montré interlocuteur dans la mise en
scène du procédé question-réponse, mais interlocuteur authentique si
rendu à la justesse de l’argument.
L’insertion explicite du co-énonciateur n’est pas indispensable : toute
structure comportant une concession suffit à l’opération, en vertu même de
la concession dont on sait qu’elle n’est jamais qu’un argument mineur qui
sert de fondement à l’argument majeur. Mais précisément, la concession
sous forme interrogative interpellante rabat encore plus nettement le lec-
teur sur l’argument prévalent.
DIALOGuE TIERCéRISé
On apelle dialogue tiercérisé toute parole que le scripteur délègue à
un tiers virtuel, en mettant dans sa bouche (tout aussi virtuelle) des mots
qui sont les siens. Ce procédé consiste donc à créer un tiers fictif, dont la
présentification suscite un effet fédérateur favorable à l’argumentation.
(116)
[Mais ces misérables à l’estomac vide] se moquent de vos théories. Cha-
cun semble protester: pourquoi est-ce moi qui meurs de faim?
S.H.B. : 100 -101 103
VéRONIQuE DAHLET
Ici, une pseudo-citation (116); là, une forme proche du discours direct
de pseudo-citation : dans (117), le jeu de questions, virtuellement assu-
mées par les affranchis, construit une mimesis qui produit un effet d’em-
pathie, puisque le lecteur devient spectateur d’une mise en scène
plurilogue de la parole.
(117)
Pour beaucoup d’affranchis, la liberté c’était d’abord sortir du cadre
ancestral de la servitude, de l’habitation. Mais les choses n’étaient pas
simples. Aller où? Sur les terres des particuliers? Impossible. Sur les
terres du domaine public? Oui, sans doute, avec la tolérance des autori-
tés. Vers les villes? Dans une certaine mesure, surtout s’il a un métier.
H.M. 2 : 40
C’est un jeu de questions, mais aussi, éventuellement, de réponses, au
prix d’un glissement, car si celles-là peuvent dans un premier temps être
interprétées comme relevant de la parole du tiers (l’affranchi), la dernière
réponse est clairement prise en charge par le scripteur : « surtout s’il a un
métier ». Cet extrait est du même effet que le discours indirect libre en
contexte littéraire.
Ainsi, on le voit, l’interrogation en contexte monologal rend compte,
le plus souvent, ou bien d’une modalité de traitement de l’information
(focalisation sur le rhème), ou bien d’un appel au consensus, ou encore,
d’une intervention directe et directive sur le quoi penser du lecteur. C’est
bien à « un aveu, à une reconnaissance que [le locuteur] prétend
contraindre la personne à qui il parle » (Ducrot, 1981 : 101). Aussi, quel
que soit le cas de figure, l’ensemble des fonctionnements de l’interroga-
tion dans les écrits à contexte monologal relève d’une stratégie argumen-
tative.
En début d’énoncé
En tout état de cause, les points de suspension en début d’énoncé
répondent à une convention qui se limite quasi exclusivement aux textes
littéraires : à l’incipit ou en début de paragraphe, ils mettent en oeuvre le
présupposé selon lequel un avant-texte a été écrit tout en n’ayant jamais
été écrit : c’est le bien connu début in media res.
Pour être de convention littéraire, ces /.../ ne demandent pas une res-
titution du dire, mais une restitution situationnelle.
En milieu d’énoncé
Les points de suspension, en contexte monologal, peuvent créer un
effet d’attente – de suspense en quelque sorte – destiné à préparer le lec-
teur à intégrer une nouvelle donne d’emblée ressentie comme imprévi-
sible, soit parce qu’elle rompt l’isotopie, soit parce qu’elle déstabilise une
représentation communément partagée. La complétude de l’énoncé est
alors reportée :
(118)
A celles-ci [aux femmes Caraïbes] étaient réservés la cuisine, la poterie,
le tissage du coton, le soin des enfants... et des maris dans certaines cir-
constances.
H.M.1 : 20
(119)
[...] aux municipales de 1912, il y eut une scission parmi les radicaux.
Ce qui permit à Victor Sévère d’obtenir le soutien de ...Fernand Clerc,
l’ennemi d’hier!
H.M.2 : 183
Dans l’ensemble peu fréquent, ce procédé se trouve néanmoins assez
bien représenté dans les textes journalistiques :
(120)
un gazole «vert» à … l’eau
Le Nouvel Observateur, 11-17 mai 1995
(121)
Pour être l’heureux titulaire [d’une carte d’identité infalsifiable], il faut
montrer patte blanche… française!
(Ibid.)
(122)
Rêver? Contempler? C’est en effet ce à quoi [l’être humain] est le plus
apte. Et sans doute serait-ce dans ses rêveries que se forgeraient de nou-
velles idées... de machines à communiquer [...].
« L’homme paresseux », Le Monde Diplomatique, avril 2001
L’effet d’attente restitue pleinement la fonction de mise en suspens
momentanée de cette ponctuation – mise en suspens de l’énoncé, mise en
attente pour le lecteur –. Pure théâtralisation d’une interaction qui se donne
à voir, ostensiblement, et qui légitime le report du travail inférentiel. 105
VéRONIQuE DAHLET
En fin d’énoncé
ETC.
Synonymes d’etc., les /.../ apparaissent alors dans l’énumération, et
uniquement dans ce cas de figure. En effet, tout autre contexte induit une
fonction différente de celle-ci.
- énoncé parenthétique
(123)
Il y a aussi les fruits du pays : ananas, papaye, corrosol, etc. Certes ils
ont tenté d’introduire les arbres fruitiers de France (pommier, poirier,
vigne...) mais là aussi, ce fut l’échec.
H.M.1 : 57
- énoncé phrastique
(124)
Certaines abesses étaient des seigneurs féodaux dont le pouvoir était
respecté à l’égal de celui des autres seigneurs [...]; elles administraient
souvent de vastes territoires avec des villages, des paroisses...
P.F.M.A. : 91
Qu’aujourd’hui, la concurrence entre les deux formes tend à s’affai-
blir au profit d’etc., s’explique par la meilleure lisibilité (évitement de
l’ambiguïté sur l’interprétation du signe en fin d’énoncé).
ESPACE DE L’INTERPRéTATION
Hormis l’équivalent de l’etc., les /.../ en fin d’énoncé apparaissent sys-
tématiquement dans des énoncés complets. En effet, tous les énoncés
recensés pourraient se clore par le /./. Par là, on voit la fonction de ce
signe, qui déclenche un dire à venir dans la subséquence du dit, qui
indique un dire in absentia. Sur ce site, les /.../ sont signe de coopération
par excellence.
(125)
Il faut certes des émissions de plateau mais point trop n’en faut. Il y a
les bonnes et les autres...
« La télé trop bavarde tue le docu », Libération, 7 janvier 2002
106
PONCTuATION ET éNONCIATION
(126)
[une salle de jeux en réseau] Le clocher de l’église de Fontaine-le-Port
sonne 8 heures. Derrière les ordinateurs, les têtes vaillantes se font plus
rares. [...] Tirs de snippers. Alice sera des leurs : elle a veillé. Elle par-
tage une couverture avec son copain, chacun devant son écran, pour tuer
en choeur...
« Tendance réseaux », Libération, 7 janvier 2002
(127)
Pour interroger les croyances de la religion, encore fait-il les connaître...
« La parole aux lecteurs », Le Nouvel Observateur, 4-10 janvier 2001
Les points de suspension fonctionnent d’abord comme une consigne
d’interprétation donnée par le scripteur (laquelle ne pourrait pas être per-
çue avec le point). L’interprétation est guidée par le prédiqué, qui à tous
les coups devient, par les points suspensifs, la prémisse d’un raisonnement
de type syllogistique. C’est sur la base de ce raisonnement que les /.../
deviennent signe d’adhésion à des valeurs partagées contre le sens com-
mun.
Ainsi,
• dans (125), les /.../ font inférer que la majorité des émissions de pla-
teau sont médiocres;
• dans (126), que ces adolescents sont pris dans une situation para-
doxale (solidarité dans le partage de la couverture vs. sauvagerie
dans la tuerie virtuelle);
• et dans (127), que peu de gens qui s’expriment sur les croyances
d’une religion s’y connaissent véritablement.
APPEL Au CONSENSuS
L’ appel au consensus est une stratégie répandue en visée argumen -
tative.
(128)
L’image du petit sculpteur bourguignon s’appliquant à imiter les Perses
sassanides peut assez bien résumer les erreurs qu’entraînait l’attitude
des historiens d’art s’obstinant à étudier, non pas les oeuvres en elles-
mêmes, dans la société qui les avait vu naître, répondant à ses besoins,
à sa mentalité, mais dans les rapports qu’elles pouvaient avoir avec des
archétypes supposés, qu’on allait parfois chercher très loin...
P.F.M.A. : 25
(129)
De telles constatations [...] peuvent [...] nous amener à souhaiter que ce
monde féodal soit un peu mieux connu de celles qui croient de bonne
foi que la femme « sort enfin du Moyen-Age »: elles ont beaucoup à
faire pour retrouver la place qui fut la sienne au temps de la reine Alié-
nor ou de la reine Blanche...
P.F.M.A. : 98
107
VéRONIQuE DAHLET
108
PONCTuATION ET éNONCIATION
109
PONCTuATION ET éNONCIATION
Chapitre 9
contexte dialogal
Le deux-points
En contexte dialogal, le deux-points conserve sa fonction de réparti-
tion entre thème et rhème :
(131)
Mais Philomène prit son protégé à part et lui dit :
« Pâques n’est pas loin, Romule. Je sais que tu es un maître du damier
et je ne doute pas de ta victoire [...].
M.S.G. : 150
111
VéRONIQuE DAHLET
Signes de citation
Guillemets
Les guillemets ont la propriété de différencier le segment qu’ils déli-
mitent : différenciation qui va du changement de statut au changement de
sens. On entend par citation tout énoncé qui reprend une parole d’autrui
(cas le plus clair : le discours rapporté), mais aussi la désignation, qui est
un identificateur : nom propre (titre d’un ouvrage, d’un journal, nom de
baptême d’un objet comme d’un navire, par exemple). Dans le cas de la
citation–désignation, la tendance aujourd’hui consiste à préférer l’italique
aux guillemets, et cela, pour des raisons de lisibilité, car l’italique est une
ponctuation en continu tandis que les guillemets ne sont que délimita-
teurs69. Toutefois, il n’y a pas de règle absolue observable dans les pra-
tiques éditoriales, car on trouve tout aussi bien l’italique pour certaines
modalités de la citation.
(135)
Dans l’émergence de la « Négritude », il importe de souligner la place
primordiale du Guyanais, Léon Gontrand Damas, très lié d’ailleurs aux
rédacteurs de « Légitime Défense » ou de « L’Etudiant Noir ». Son
recueil de poèmes, « Pigments » (1937), cri de révolte contre la domina-
tion coloniale et le racisme, revendication véhémente de l’identité
nègre, peut être considérée comme « le moment littéraire initial de la
négritude».
H.M.2 : 250
Discours rapporté
Les guillemets ouvrant et fermant délimitent et bornent visuellement
le discours rapporté :
(136)
Pour exprimer l’admiration qu’il éprouvait envers les philosophes
antiques, un Saint Bernard de Chartres, au xIIe siècle, s’était écrié :
« Nous sommes des nains montés sur les épaules de géants. » Il n’en
concluait pas moins qu’ainsi porté par les Anciens, il pouvait voir « plus
loin qu’eux ».
P.F.M.A : 18
Dans les cas où le discours cité se limite à un syntagme, une expres-
sion, voire à un mot, et en l’absence de verbe introducteur de discours rap-
porté, la référence explicite à la source citée constitue le seul élément
indiquant la valeur citationnelle, et non celle de connotation autonymique,
des guillemets. Dans (137), l’appel de note en est l’indice (les théoriciens
ont beau forger restant trop imprécis) :
(137)
Les théoriciens ont eu beau forger le concept d’« impérialisme sans
colonie70 », de « pillage du Tiers-Monde71 », il n’empêche qu’aucune
métropole européenne, sauf exception, n’intervient directement dans
ces pays.
S.H.B. : 46-47
Citation de titre
Inséré dans le texte, le titre d’un ouvrage, d’un périodique, d’un jour-
nal ou d’une œuvre est mis entre guillemets. Mais dans ce cas, l’italique
concurrence les guillemets :
(138)
il importe de souligner la place primordiale du Guyanais, Léon Gon-
trand Damas, très lié d’ailleurs aux rédacteurs de « Légitime Défense »
ou de « L’Etudiant Noir ». Son recueil de poèmes, « Pigments » (1937)
[...].
H.M. 2 : 250
(139)
« Les pays de la faim nous font vivre », titrait [...] une émission d’An-
tenne 2 diffusée le 25 février 1982.
S.H.B. : 128
L’italique
Quand le corps du texte est en italiques, alors la citation est en bas de
casse, et devient la forme marquée.
(140)
Pour Claude Quillet, le diagnostic est simple : Hystéromanie. [...]
Pour lui, au dire de Naudé, Il vaudrait mieux dire Hystéromanie, ou
bien Erotomanie...
P.L. : 199-200
La citation peut aller d’un mot à un titre72 :
(141)
- Je n’aime guère vos si : ils ont l’air bêtes et désoeuvrés.
CH.ENF. : 57
(142)
Ce sentiment d’une dette impossible à éponger, nul mieux que Sartre,
dans sa préface aux Damnés de la terre de Frantz Fanon, ne devait le
susciter et le fonder en droit.
S.H.B. : 27
(143)
Le programme de la formation en tournée à laquelle il [Molieri] appar-
tient comporte, outre une série de concerts, les représentations alternes
de Don Juan et de La Flûte Enchantée.
CH. ENF. : 14
72 Excepté ces cas, il est peu fréquent de trouver l’italique de citation, qui renverrait
alors à du discours direct rapporté. En effet, les unités plus amples mises en italiques
sont préférentiellement réservées à une mise en valeur par l’énonciateur de son propre
114 énoncé (contexte monologal).
PONCTuATION ET éNONCIATION
73 J’ai introduit le tiret simple dans le corpus des signes de conduite de dialogue. De fait,
rien ne s’oppose à ce qu’il apparaisse dans le discours d’un personnage. Néanmoins,
l’occurrence est rare – l’indication par le tiret d’un certain débit n’ayant pas charge
mimétique suffisante – et elle est inexistante dans notre corpus. Je n’y reviendrai donc
pas dans l’analyse qui suit.
Je ne reviendrai pas davantage sur certaines valeurs des /.../ analysées en contexte
monologal et qui peuvent évidemment se retrouver dans la parole de personnage.
Dans ce cas, la seule différence, rappelons-le, concerne le statut du lecteur, qui se
trouve ici exclu, là, impliqué.
74 Rappelons néanmoins que la ponctuation de mise en forme du dialogue, telle qu’elle
apparaît au lecteur, n’est pas toujours celle choisie par l’auteur : il arrive que l’éditeur
fasse prévaloir ses propres normes. 115
VéRONIQuE DAHLET
— Et cependant il faut nous mettre dans le cas d’être punis, car obser-
ver le règlement, ce serait comme l’annuler [...].
— [...]
— [...]
— Cessez donc de vous quereller! Alors, Paul, et ce règlement?
— J’y arrive! »
CH. ENF. : 71-73.
• Le dialogue alinéaire comporte des sous-séquences guillemetées,
lorsqu’alternent non plus les voix citées, mais la voix citante et une
voix citée :
(146)
— Pardonnez-moi, mais vous avez su en profiter au moins une fois. Et
qui vous le reprocherait?
Il me regarda avec étonnement : « une fois ? Vous faites allusion à ce
qu’un imbécile a appelé la divine chance de mes débuts ? » Il se mit à
rire : « Non, croyez-moi, ce n’était pas une situation fortuite, une occa-
sion qu’il fallait saisir aux cheveux, non, non! répéta-t-il en riant. [...] ».
CH. ENF .: 55-56
• Le dialogue avec tiret à la suite encadre chaque réplique par les
guillemets :
(147)
« Jusqu’à quand vas-tu...Ecoute, je voulais te dire que tu as tort de... » –
« Continue. N’aie pas peur. Oh ! Vas-y ! » – « Prends garde. Ils sont très
forts, très rusés, ils ne te laisseront pas en paix. » – « Mais tu te trompes.
Ils sont mal à l’aise, et je vois que tu l’es toi-même, sinon, pourquoi
m’aurais-tu abordé, pourquoi me questionnerais-tu en leur nom ? » –
« En leur nom ? Mais je suis avec toi ! » – « Avec moi contre eux et aussi
contre moi ».
CH. ENF. : 108-109
Connotation de l’expressivité
La capitale
En contexte dialogal, la capitale rend compte de la même fonction de
mise en valeur du segment marqué qu’en contexte monologal, à ceci près
que l’on passe de la fonction énonciative à la fonction de simulation
vocale, par démarcation typographique. Il s’agit certes d’une convention,
mais elle ne doit pas faire oublier l’ingéniosité du procédé, qui consiste à
attribuer une qualité vocale par le seul recours visuel :
(148)
Et trois mille francs de rente, sais-tu combien ça représente par jour ?
— Mais, mon ami...
— Ça représente neuf francs cinquante. Tu entends, NEuF-FRANCS-
CIN-QuANTE-CEN-TIMES!
Allais (1990), Œuvres posthumes. Paris : Robert Lafont, p. 281
116
PONCTuATION ET éNONCIATION
L’italique
En contexte dialogal, l’italique reste un marqueur expressif, encore
que l’opération ne demeure pas identique selon qu’elle apparaît en citation
ou en représentation de dialogue.
En citation d’un tiers, l’italique représente un cas intéressant d’im-
mixion de l’instance citante dans le discours cité, en principe réputé pour
sa fidélité. En effet, prélever un segment du discours cité au moyen de
l’italique réoriente le propos, quand bien même la citation est littérale, ce
qui, on en conviendra, dote la matérialité graphique et singulièrement
ponctuationnelle d’un moyen remarquable. Le locuteur prend alors en
charge cette réorientation du contenu cité par un je souligne (en principe
explicité entre parenthèses) qui réinvestit le segment marqué du poids de
ses mots :
(151)
Le Gouverneur de Pondichéry écrit à son collègue de Martinique :
« Leur traversée a été des plus pénibles et soixante sont morts ne pou-
vant supporter les fatigues du voyage...La source du mal ne peut donc
être attribuée qu’à l’état d’anémie de la plupart de ces Indiens à
l’époque de leur embarquement ».
H.M.2 : 60 117
VéRONIQuE DAHLET
Connotation de l’interaction
L’exclamation et l’interrogation
En contexte dialogal, l’énoncé exclamé et interrogatif peut contenir
les mêmes opérations qu’en contexte monologal, mais, là encore, avec
cette différence qu’elles sont données par le détour de l’oral scripturale-
ment représenté (fictionnellement ou non). On se souvient que l’intonation
de l’oral et une certaine ponctuation de l’écrit remplissent, chacune dans
son domaine, des fonctions syntaxico-sémantiques similaires. Or, le
contexte dialogal écrit modifie cette bipartition du fait de la représentation
transcrite d’un échange oral, qui oblige le lecteur à « entendre » l’intona-
tion des voix représentées. Il s’agit d’un codage qui, par un effet d’illusion,
tire le canal écrit vers un extérieur à lui-même, sans que cela se réalise
pour autant : mimésis d’un parlé, et donc d’une intonation et d’un débit
dont on présuppose par convention qu’ils ont été effectivement réalisés.
L’extrait suivant rend compte à la fois de cette convention qui
incombe à la ponctuation, et des fonctions syntaxico-sémantiques simi-
laires pour l’intonation à l’oral et la ponctuation à l’écrit (on y verra
qu’une interprétation erronée de l’intonation poussera de façon plaisante
l’un des personnages à s’appuyer sur les signes de ponctuation pour lever
l’ambiguïté intonationnelle) :
118
PONCTuATION ET éNONCIATION
(154)
— Tu ne me laisses pas par...
— Tu arrêtes pas...Tu écoutes...
— Hein? quoi?
— ...pas, jamais...
— Quoi? Moi?
— [...]
— Bon. Alors chante ce que tu as à me dire.
— Si tu veux faire un monologue, prends le mur.
— Je ne fais pas de monologue, c’est toi qui me coupes.
— Non, c’est toi.
— On ne sait jamais qui coupe qui, il y avait...enfin...je...j’avais mis une
virgule, pas un point...Tu as cru que c’était un point, alors tu as parlé, or
c’était une virgule, donc tu m’as coupé. Moi alors j’ai continué, et tu as
cru que je te coupais.
– Je ne comprends rien à ce que tu racontes. Ponctue avec tes pieds pen-
dant que tu parles, comme ça, on saura si c’est un point ou une virgule.
Jean-Jacques Schuhl (2000), Ingrid Caven. Paris : Gallimard, L’Infini,
p. 199
Cependant, sauf cas exceptionnel, certains énoncés exclamés ne se
trouvent qu’en contexte dialogal. C’est le cas de l’interjection, et de la
mise en écriture du rire. Voilà du reste les deux manifestations les plus
claires de la mimésis construite à partir d’un modèle de l’oral. Si l’excla-
mation s’interprète comme « échappée » à son auteur » (Ducrot, 1984 :
186), a fortiori de l’interjection, qui appartient par nature à l’interaction en
face à face et qui se caractérise comme un « élément réactif » (Barbéris,
1995 : 95). Et l’on voit bien que le rire écrit concentre toutes les caracté-
ristiques de l’interjection, mais à un degré supérieur, pour ainsi dire. Le
rire n’apparaît non plus comme « échappé » mais « arraché » par l’irrésis-
tible de la situation, il est réactif absolument, puisqu’il est en principe pure
vocalisation. Or, ce n’est que pour les besoins de transcription qu’il est
convenu de lui distribuer des formes graphémiques (ah ah ah! évoque le
rire franc, hi hi hi! le rire retenu ou gêné, hé hé hé! le rire insidieux, ho ho
hoh! le rire moqueur75), et sur ce point, la transcription du rire est assez
proche de l’onomatopée.
(155)
Tandis que ces vols, ces crimes, ces viols, toutes ces saloperies que nous
devons nous coltiner du soir au matin, moi, ça m’a bouffé la santé. Ah
la-la la-la!
M.S.G. : 282
(156)
Accrochez-vous à vos sièges, messieurs. Devinez qui me l’a ramenée?
Je vous le donne en mille. Ha-ha-ha! Eh bien figurez-vous que c’est un
fidèle lieutenant de Fils-du-diable-en-personne.
M.S.G. : 289
On remarquera que eh bien se passe du point d’exclamation lorsqu’il
est inséré dans un énoncé : c’est qu’il n’est plus interjection, mais mot
d’ouverture de réplique76.
Quant au point d’interrogation, prédomine massivement sa fonction
d’indicateur de question; les autres fonctions relevées en contexte mono-
logal sont à peu près inexistantes.
(157)
— Vous pensez donc que c’est pour bientôt?
— Pour bientôt en effet! confirme-t-il sans hésitation.
— Et pourquoi pas dès maintenant? insiste-t-elle.
CH. EN. : 157
Points de suspension
Le contexte dialogal est ici considéré comme tel dès lors que le dis-
cours entre en relation dialogique avec un autre discours, qu’il s’agisse
d’un dialogue formellement représenté ou d’une relation dialogique plus
lâche.
Les /.../ peuvent alors recevoir trois fonctions : fonction d’interruption
d’un locuteur 1 par un locuteur 2, fonction de l’implicite, et enfin fonction
du sous-entendu.
Suite de la note 75
Il convient alors de s’interroger sur les raisons possibles qui ont mené à contrevenir
à ce qu’on pourrait appeler (assez maladroitement, j’en conviens) l’esprit orthogra-
phique. une hypothèse : la position finale de la consonne h ne se justifie que par le
rallongement qu’il procure à la voyelle précédente, restituant ainsi par mimétisme la
longueur vocalique perceptible, quand c’est le cas, à l’oral. Si on admet cette hypo-
thèse, on est face à un phénomène de correspondance grapho-phonique qui se situe
en-deçà de l’unité graphématique, au niveau de la lettre. une création proche se
trouve dans la duplication de la voyelle, par exemple, dans haaa! . Mais elle n’est pas
similaire, car ici, c’est la dilatation graphique qui convertit la dilatation temporelle de
l’oral. C’est pourquoi, pour ce qui concerne l’orthographe, on peut la ressentir comme
moins perturbante que la première.
76 En général absent dans les interjections mises en suite, le trait d’union semble systé-
matique chez le romancier Raphaël Confiant : comme pour d’autres types d’occur-
rences – désignation : doudou-chérie; phatème: bon-bon –, il a pour fonction
120 d’agréger les interjections en un seul groupe ryhtmique (débit enchaîné).
PONCTuATION ET éNONCIATION
HéTéRO-INTERRuPTION
En hétéro-interruption, les points suspensifs indiquent, à la manière
d’une didascalie, que le locuteur 2 interrompt le locuteur 1 :
(158)
— [...] sans la séquelle des punitions qu’en cas d’infraction à la disci-
pline ils nous infligent, le réglement perdrait jusqu’à son nom, et du fait
que nous ne saurions même plus le nommer...
— Il cesserait d’exister, n’est-ce pas?
CH.ENF. : 84
Les points de suspension d’interruption sont de jonction : ils régulent,
en somme, l’interaction verbale représentée, tout en légitimant la tronca-
tion syntaxique de l’énoncé du locuteur 1.
HOMO-INTERRuPTION
En reproduction (comme on l’a déjà dit, le plus souvent fictive) de la
voix parlée (elle aussi fictive), les points suspensifs ont pour fonction d’in-
diquer les pauses de la voix.
(159)
Carmélise, vous vous rappelez...elle connaissait un amateur de combats
de coqs... Romule Beausoleil, c’est son nom, eh ben ce nègre-là a pré-
tendu être capable de soigner le coq. Elle lui a fait confiance...
M.S.G. : 275
FONDu-ENCHAîNé
En représentation écrite d’un dialogue, les points de suspension peu-
vent apparaître en début de réplique :
(160)
LéONARD. – Mais ce fameux remède que vous me suggériez...
LOuISE. – ...aura servi du moins à alléger vos rapports en dissipant
dans votre esprit ce rêve naïf d’une intimité accessible par la seule
77 Par extension, les points de suspension ayant cette fonction se trouvent parfois dans
des retranscriptions d’interviews. 121
VéRONIQuE DAHLET
Substitution
En situation dialogale, les /.../ peuvent se substituer à l’alphabétique,
en se combinant ou non au /?/ ou au /!/. Dans ce contexte, les trois signes
deviennent iconiques, car ils renvoient directement au contexte en court-
circuitant le verbalisable.
(161)
[ je et elle renvoient à la même personne : Ingrid Caven, célèbre chan-
teuse]
Et elle, un jour : « Charles, tu ne t’occupes plus de moi, je ne t’intéresse
plus, tu ne t’occupes plus que d’elle! – ...? ! – Ingrid Caven !
Jean-Jacques Schuhl (2000), Ingrid Caven. Paris, Gallimard, L’Infini, p.
261
(162)
[l’historienne, Régine Pernoud, reçoit « un coup de téléphone d’une
documentaliste de la TV » dont elle transcrit le contenu] :
— Il paraît, disait-elle, que vous avez des diapositives. Est-ce que vous
en avez qui représentent le Moyen-Age ?
— ???
— Oui, qui donnent une idée du Moyen-Age en général : des tueries,
des massacres, des scènes de violences, de famine [...].
P.F.M.A. : 7
122
PONCTuATION ET éNONCIATION
Cinquième partie
noRME, VaRiantE,
PRaGMatiQuE
Chapitre 10
une ponctuation de mot énonciativo-pragmatique
Parenthèses
Quel que soit leur site d’occurence dans le mot, les parenthèses ren-
voient à l’activité du sujet scripteur qui met le lecteur en position d’inter-
prète de ce que j’ai appelé l’opération et/ou82. Les parenthèses, en
ponctuation de mot, ont comme propriété constante de couper l’unité lexi-
cale en l’ouvrant à deux sens simultanément. Ceci, par la co-présence du
syntagmatique et du paradigmatique83. La coupure porte sur le découpage
référentiel d’un objet : découpage sur le genre et sur le nombre dans
ami(e)(s) (2.3.), et sur le découpage sémantique, où les parenthèses font
coexister les contraires : (in)fidèle (2.1.) et les différents : expi(r)ation
(2.2.).
trait d’union
En (3.1.), il indique la coupure d’un mot en fin de ligne. Il est donc
soumis au paramètre prévalent de vi-lisibilité en ce qu’il gère directement
l’activité de lecture84. Les deux autres types d’occurrence relèvent, en
revanche, de l’intention de communication. Dans le cas de é-meut (3.2.),
le trait d’union fait refluer le sens par réactivation de son étymon, qui lui
donne prégnance (paraphrase possible : é-meut = émeut, et donc meut, a
pouvoir de faire bouger les représentations, de les mouvoir hors de). La
référenciation double est ici proche de celle donnée par les parenthèses
(2.3.), à ceci près qu’elle opère au sein du mot lui-même et qu’elle procède
de la motivation graphique du sens. Enfin, dans dé-fi-ni-ti-ve-ment (3.3.),
la séparation intersyllabique multiple dote le mot ponctué d’une insistance
appuyée, en contexte monologal ou dialogal85.
Points de suspension
La réticence feinte (p...respectueuse) fait bien entendu partie de l’in-
tention de communication, qui consiste à dire et ne pas dire, mais pour
faire entendre.
apostrophe
Signe de l’apocope (elle substitue la voyelle absente), le paramètre
qui la régit est celui de l’intention de communication en ce qu’elle
démarque le mot de la convention écrite pour le tirer du côté du parlé, mais
par connotation. Elle montre donc à la fois un rapport à la langue et un
ancrage social de l’échange.
Point abréviatif
Signe de vi-lisibilité dans xxe s. (6.1.), il relève de l’intention de com-
munication dans B.M. (6.2.), à cette différence près qu’elle peut être impo-
sée par la loi86.
84 Il s’agit donc d’un signe qui aujourd’hui se cantonne à l’écrit manuscrit, les machines
à écrire ayant quasiment disparues et les ordinateurs étant dotés d’un réglage auto-
matique des espaces qui évite les coupures de mot.
85 On a vu qu’en contexte dialogal, le trait d’union multiple signale par convention une
caractéristique vocale qui alors indique une modalité articulatoire.
86 En littérature des xVIIe et xVIIIe siècles notamment, les *** induisent le même rapport
juridique du scripteur, mais fictionnellement. 127
VéRONIQuE DAHLET
128
PONCTuATION ET éNONCIATION
Chapitre 11
une ponctuation séquentielle énonciativo-pragmatique
alinéa + +
point +
point-virgule +
virgule + +
norme
Contrairement à ce que l’on pourrait attendre, le paramètre de la
norme intervient de façon minimale dans la ponctuation syntagmatique.
Rappelons que la norme cherche à répondre à la question : quand faut-il
89 C’est pourquoi les grammairiens sont confrontés à une tâche redoutable, voire impos-
sible. D’où l’unique issue (?) qui consiste à mettre en regard structures de phrase et
130 signes de ponctuation, sous forme d’énumération.
PONCTuATION ET éNONCIATION
La rhématisation
Je pose comme hypothèse que dès qu’il y a évitement d’une ponctua-
tion au profit d’une autre de rang supérieur, il y a travail sur la rhématisa-
tion.
Le point
On se souvient que le point borne à gauche et à droite une unité gra-
phique appelée phrase. Pour être une segmentation de niveau 2 (amplitude
immédiatement inférieure à celle de l’alinéa), le point annonce que là s’ar-
rête quelque chose, et que commence quelque chose de nouveau. Cette
propriété, qu’il partage avec l’alinéa, constitue donc une instruction de lec-
ture, que l’on peut paraphraser ainsi : vous pouvez maintenant traiter l’in-
formation qui se trouve insérée dans le segment qui va du point au point,
comme un tout. En d’autres termes, le point annonce le lieu où l’on pro-
cède à la totalisation inférentielle : on procède, en lecture, à la complé-
mentation et aux derniers ajustements nécessaires à l’interprétation, afin
de boucler l’unité informationnelle du segment délimité de point à point90.
Or, il n’est pas rare que le point, alors qu’il borne la période, appa-
raisse sans qu’il y ait totalisation inférentielle. Ou mieux, il arrive que le
point annonce une totalisation inférentielle qui se défausse rétroactive-
ment en tant que totalisation, du fait que s’ajoute, à droite du signe, un seg-
ment qui se rattache à l’information qui précède.
Ainsi, dans (163), ce qui deviendra les deux termes de la comparaison
et dans (164), ce qui se transformera en raccord, au moyen du verbe intro-
ducteur du discours cité puis du discours rapporté (avoir l’honnêteté de
reconnaître que) :
(163)
Il n’y a pas d’espace poétique, typographique, qui soit neutre. Pas plus
qu’il n’y a de langage neutre, d’observateur neutre.
Henri Meschonnic (1982), Critique du rythme. Lagrasse : Verdier,
p. 307
(164)
L’homme [Jean Dumas, psychologue] a l’honnêteté de reconnaître qu’il
« n’a jamais réparé un seul enfant ». Qu’un enfant violent ne peut pas
changer tout seul, grandir tout seul, qu’il s’agit là d’un travail d’équipe.
« Soigner les enfants ‘impossibles’ », Le Monde de l’Education, avril
2001
Dans tous les cas, le point pourrait être substitué par un signe de por-
tée inférieure : point-virgule ou virgule. Convient-il pour autant d’évoquer
une variante libre ? On voit bien que s’il y a en effet variante, celle-ci
n’est pas libre dans la mesure où elle se régule en fonction directe de l’in-
tention de communication; ici, de la visée argumentative.
(165)
[L’écriture est un artisanat.] Elle peut sembler n’avoir rien en commun
avec la théorie. Rien qui y prédispose. L’activité théorique est suspecte.
De contemplation.
H. Meschonnic (1982), Critique du rythme. Lagrasse : Verdier, p. 307
(166)
Il devait en coûter à Corneille d’avoir écrit le Cid et Polyeucte. Et de
n’avoir pas respecté la sacro-sainte « règle des trois unités » qu’au prix
d’acrobaties parfaitement invraisemblables dans le Cid.
P.F.M.A. : 37
Le point peut donc intervenir sur les sites non seulement inter-
nucléaires, mais aussi intra-nucléaires, c’est-à-dire aux niveaux les plus
bas, ceux réputés être non segmentables. On appelle site inter-nucléaire
celui qui s’insère dans une structure à dénominateur commun (par
exemple, ici : Elle peut sembler n’avoir est le dénominateur commun de
rien en commun avec la théorie + Rien qui y prédispose), et site intra-
nucléaire, celui qui s’insère dans une unité minimale sur le plan syntaxico-
sémantique (par exemple, ici : suspecte. De contemplation). Par
commodité, on les dénommera respectivement site 1 et site 2.
La segmentation aux niveaux les plus bas est un phénomène encore
plus remarquable, qui contrevient aussi bien aux pratiques attendues
qu’aux opérations cognitives au sujet desquelles il a été démontré qu’on
met ensemble ce qui est interprété comme unité non segmentable. Aussi,
le fait même de segmenter au cœur de l’unité syntaxico-sémantique, en
isolant graphiquement et en donnant une relative autonomie au segment
borné à gauche (alors qu’il est attendu qu’il ne le soit que sur sa droite), le
met en avant-plan : le poids de l’information est rabattu sur le segment en
question, qui est alors rhématisé.
Voilà, à mon sens, une claire démonstration d’une sujétion de la ponc-
tuation séquentielle à l’intention de communication. Sujétion réglée bien
entendu(e), et dosée de sorte qu’elle n’est ni hors représentation (risque
d’incohérence voire de non sens), ni dans les normes attendues (risque de
perte de prégnance argumentative).
Si le point d’argumentation possède une seule fonction, qui est de rhé-
matisation, son fonctionnement diffère pourtant selon qu’il apparaît sur le
site de type 1 ou de type 2. On s’en rend compte par l’épreuve de substi-
tution des signes, séquentiels d’abord, énonciatifs ensuite.
(167)
[L’écriture est un artisanat.]
Elle peut sembler n’avoir rien en commun avec la théorie; rien qui y
prédispose.
Elle peut sembler n’avoir rien en commun avec la théorie, rien qui y
prédispose.
Sur le site 2, ce paradigme est difficilement recevable:
(168)
? L’activité théorique est suspecte; de contemplation.
? L’activité théorique est suspecte, de contemplation.
Alors que le site 1, inter-nucléaire, admet les signes de portée infé-
rieure, le site 2, intra-nucléaire et donc en principe non segmentable, ne les
accepte pas, et passe directement de 0 au /./.
Et c’est bien là l’étonnant. Car si l’on se replace dans la perspective
de l’activité inférentielle, seul le point parmi les trois signes envisagés en
indique le bouclage, et c’est précisément ce signe-ci qui est recevable tan-
dis que, au risque de se répéter, le site 2 est réputé a priori insegmentable.
De ceci, il faut donc présumer que le /;/ et la /,/ sont irrecevables précisé-
ment parce qu’ils n’impliquent pas la clôture inférentielle, ce qui signifie
qu’elle est la condition indispensable pour que se produise la rhématisa-
tion92.
Si l’on poursuit le jeu de substitutions possibles du point argumenta-
tif en site 1 et 2 par des signes énonciatifs, on s’aperçoit que l’équivalence
d’un répertoire de signes au profit de l’autre répertoire ne fonctionne pas
davantage.
Le double-points
Ainsi qu’on l’a vu, sa fonction consiste dès le départ à structurer l’in-
formation en thème et rhème [T/R]94. Mais délimiter le rhème par le
double-points n’implique pas nécessairement une visée argumentative,
celle-ci transitant alors par les contenus linguistiques.
Notre hypothèse est donc la suivante. Le double-points devient signe
argumentatif selon son site d’occurrence :
• signe de rhématisation non argumentatif quand il apparaît sur les
sites inter-propositionnels sans mots coordonnants ou subordon-
nants, tandis que les propositions qu’il répartit de part et d’autre pos-
sèdent leur propre expansion, se composant chacune d’un SN sujet
+ SV. Ainsi, par exemple :
(171)
le serf a tous les droits de l’homme libre : il peut se marier, fonder une
famille, sa terre passera à ses enfants à sa mort, ainsi que les biens qu’il
a pu acquérir.
P.F.M.A. : 76
• signe de rhématisation argumentatif, dès lors qu’il apparaît
- sur des sites inter-propositionnels conjointement à des mots
coordonnants ou subordonnants. La substitution par le point
argumentatif est alors possible :
(172)
C’est qu’il [Benveniste] faisait une linguistique du discours, et que,
peut-être, il y fallait une poétique du discours : qui analyse le poème
comme révélateur du fonctionnement du rythme dans le discours.
Henri Meschonnic (1982), Critique du rythme. Lagrasse : Verdier, p.
307
vs.
136
PONCTuATION ET éNONCIATION
Le point-virgule
Le /;/ possède une double fonction : celle de segmentation, et celle de
hiérarchisation quand il entre en combinaison avec la /,/.
Puisque les signes séquentiels rhématisent par la segmentation, il est
clair que le /;/ ne peut rhématiser quand sa fonction est de hiérarchisation.
(174)
[sur l’opinion publique, analysée depuis la notion de souveraineté du
peuple en 1790-1791 par l’historien Rosanvallon] Sublime et fragile
abstraction [...] l’opinion publique s’offre d’emblée à tous les usurpa-
teurs. En fait, la féconde imagination des révolutionnaires ne sera
jamais dépassée; et les problèmes posés jamais résolus.
« L’Histoire sans fin de Rosanvallon », Politis, 21 septembre 2000
Ici, sa singularité provient davantage de ce qu’il se substitue à la /,/ de
l’ellipse. Introduire un signe de portée supérieure, on l’a déjà vu, rend
compte de la remise en vedette du second segment (et les problèmes posés
jamais résolus), d’où sa rhématisation.
Dans le cadre de l’énumération, le /;/ a pour fonction de maintenir la
prégnance de chacun des éléments énumérés, ce qui contre-balance l’effet
diluant de l’énumération.
(175)
Les archives nous ouvrent encore les mines d’une histoire plus secrète
et plus officielle : rapports adressés à Richelieu ou à Louis xIII; corres-
pondance du père général des jésuites (Rome) avec Paris, Bordeaux et
Loudun; lettres de Laubardemont; dépositions de médecins; consulta-
tions théologiques; avertissements provenant des administrations pari-
siennes ou poitevines; etc.
P.L. : 17
(176)
Dix-huit personnalités du monde entier [...] auront donc à statuer sur la
« valeur exceptionnelle » du patrimoine soumis à leur approbation : ins-
truments de musique traditionnelle; manifestations carnavalesques;
expression culturelle liée à des phénomènes religieux; traditions orales
des pays africains; costumes et masques du théâtre asiatique; droit cou-
tumier d’Afrique; opéra de marionnettes; langues....
« Contes, rites, danses, langues... L’unesco se bat pour l’intangible », Le
Monde de l’éducation, avril 2001
137
VéRONIQuE DAHLET
Proscription
Quand il y a proscription, la structure envisagée est du type Il est beau
et intelligent /Pierre et Paul s’amusent / Il vend des fruits et des légumes /
Il ne sait pas jouer ni chanter101.
Cette proscription me paraît être un coup de force, même si l’on se
place dans la perspective de la norme102. En effet, de la même manière que
rien n’empêche une ponctuation de portée supérieure de se susbtituer à une
autre de portée inférieure, la suite [ , et ] se substitue à [ 0 et ] pour effec-
tuer la rhématisation sur l’élément introduit par la conjonction.
95 Doppagne , 1984 : 17 ; Drillon, 1991 : 171 ; Popin, 1998 : 42 ; Colignon, s/d : 18.
96 Colignon, s/d : 18.
97 Colignon, s/d : 19.
98 Colignon, s/d : 19.
99 Drillon, 1991 : 181 ; Grévisse, 1986 : 171.
100 Colignon, s/d : 19 ; Doppagne, 1984 : 18-19 ; Drillon, 1991 : 172.
101 exemples empruntés à Popin (1998 : 42) , dont il dit qu’il n’y a « aucune possibilité
d’insertion de la virgule. »
102 Si l’établissement de la norme est indispensable, elle ne doit pas être confondue avec
le pouvoir symbolique et social auquel elle est associée. Si l’on considère qu’une
norme se fonde et émane de l’ensemble des pratiques partagées, on pourrait légiti-
mement s’attendre à ce que les divers rédacteurs ne considèrent plus comme non ave-
nue une pratique aujourd’hui répandue dans de nombreux textes, médiatiques
notamment. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Colignon, dans son guide de forma-
tion et de perfectionnement des journalistes (s/d), après avoir présenté la non virgule,
la réintroduit pour l’énumération quand «on veut faire ressortir le dernier terme de
138 l’énumération » (p. 18). Cf. infra, la virgule facultative, p. 141-142.
PONCTuATION ET éNONCIATION
et logico-sémantique et argumentatif TH / RH
Yves est chétif + Yves / est chétif
et sans charme et sans charme
Reprenons maintenant au cas par cas les phrases que donne Popin
comme exemples de proscription. Outre Il est beau et intelligent identique
à la phrase de mon analyse, Il vend des fruits et des légumes / Il ne sait pas
jouer ni chanter procèdent de la même manière, car les SN objets ont pour
dénominateur commun le SN sujet + SV (il vend / il ne sait). En revanche,
dans Pierre et Paul s’amusent ce sont les SN sujets qui ont pour dénomi- 139
VéRONIQuE DAHLET
Facultative
La notion de facultatif provient du champ grammatical. Le présup-
posé est encore celui de la variante libre, et lorsque le caractère facultatif
ou préférentiel est invoqué, cela signifie simplement que l’effacement de
la /,/ ne met pas en danger la recevabilité de l’énoncé.
PORTéE DE NIVEAu 5
Parmi les auteurs étudiés, Grévisse et Colignon relèvent la possibilité
d’introduire une /,/ de niveau 5 dans une structure que d’autres études nor-
matives déclarent ne pas accepter. Il s’agit de la suite de plusieurs éléments
de même fonction (SN sujets ou objets) séparés par la virgule, excepté
pour le dernier qui est introduit par et. Voici le commentaire destiné par
Colignon aux journalistes (s/d : 18) :
(181)
Hinault, Boyer, Indurain, et Kelly, passèrent en tête au sommet...
Ou :
(182)
« Au sommet on vit passer Hinault, Boyer, Indurain, et Kelly ». Cette
ponctuation veut faire comprendre qu’il est étonnant de retrouver avec
les meilleurs grimpeurs un sprinter comme l’Irlandais Kelly. – Cela sera
mieux exprimé par les tirets ou par les points de suspension : « Hinault,
Boyer, Indurain... et Kelly passèrent [...]» ; « Hinault, Boyer, Indurain
– et Kelly – passèrent [...] ».
La rhématisation par la /,/ correspond ici à ce qui ailleurs est proscrit :
telle est la ligne de partage entre l’inclusion et l’exclusion de l’intention de
communication (Cette ponctuation veut faire comprendre). Malgré tout,
Colignon fait porter la préférence sur les signes d’énonciation ( / – – / ou
/.../ ), censés mieux exprimer le commentaire interprétatif que suscite la
rhématisation. En réalité, il s’agit moins d’un mieux exprimé qu’un
exprimé différemment, car les / - - / et les /.../ sont déclarativement rhé-
matisants, avec intervention directive du scripteur, ce qui réduit à la fois
les risques de déviation interprétative et le temps de lecture, tandis que la
/,/, parce qu’elle est d’abord perçue comme séquentielle, oblige à un tra-
vail d’interprétation plus important103.
103 Mais il est vrai que, Colignon adressant son guide à des journalistes, la communica-
tion est envisagée dans son efficacité immédiate, d’où les deux paramètres de réfé-
rence : tout mettre en oeuvre en vue d’une réussite communicationnelle maximale en
un temps minimal. 141
VéRONIQuE DAHLET
PORTéE DE NIVEAu 4
En site inter-propositionnel, la nature du facultatif change de para-
digme, et du trait de grammaticalité on passe à celui de la longueur. La lon-
gueur est une notion récurrente dans les traités et les grammaires, sans que
l’on sache véritablement ce qu’elle recouvre. Sorte de fourre-tout, elle
mérite pourtant qu’on s’y arrête, en cherchant notamment quels sont les
domaines de référence auxquels elle renvoie.
Drillon (1991 : 181) admet que « Dans le cas de deux propositions
entières que joignent ‘et’ », « la virgule ne s’impose pas » (souligné dans le
texte). « Pourtant, poursuit-il curieusement, le mot qui précède immédiate-
ment la conjonction n’a pas la même fonction grammaticale que celui qui
la suit ». Le facultatif le remporte donc pour des questions de longueur :
« C’est affaire de longueur : si les deux propositions sont courtes (surtout
la seconde), aucune ambiguïté ne peut s’installer, et l’on peut se passer de
virgule :
(183)
La volupté m’appelle et l’Amour me couronne!
Charles Baudelaire, [Les fleurs du mal] »
L’analyse proposée par Drillon est intéressante pour deux raisons
essentiellement :
• pour l’indistinction entre les niveaux 4 et 5 de la /,/ qui, rapportée à
la suite [ , et ], empêche de percevoir le glissement sémantique de et
coordonnant vers le et de consécution (on reviendra sur ce point);
• pour le rapport établi entre longueur et ambiguïté.
Je commencerai par ce deuxième point, mais à partir de Grévisse, qui
donne alors la /,/ comme nécessaire.
Prescription
Grévisse (1986 : 171) reprend une règle bien établie dans grammaires
et traités : quand et ne se trouve « que devant le dernier terme (ce qui est
le tour ordinaire), on ne met pas de virgule habituellement, quel que soit
le nombre des termes :
(184)
une manière commode de faire la connaissance d’une ville est de cher-
cher comment on y travaille, comment on y aime et comment on y
meurt (A. Camus, Peste, p. 14) ».
Suit une série de conditions qui restreignent considérablement la règle
première. Je ne retiendrai ici que celles qui concernent la /,/ de niveau 4
(de fait, Grévisse ne distingue pas davantage les deux niveaux) : « la vir-
gule est utilisée si le dernier terme est précédé d’une pause, ce qui arrive
notamment » :
i « pour la clarté, quand les termes [?] sont longs et complexes » ;
ii « quand leur construction est fort dissemblable (par ex. si ce sont
142 des phrases à sujets différents ou à modes différents ».
PONCTuATION ET éNONCIATION
105 Il faut reconnaître que la condition (i.) de Grévisse reste peu précise, et peut se com-
prendre diversement. C’est pourquoi il est préférable de ne pas chercher à l’illustrer
par des exemples. 143
VéRONIQuE DAHLET
(191)
C’est l’une des définitions de la possession que d’être ce moment
144 instable, de le symboliser en un langage qui lui fournit une expression
PONCTuATION ET éNONCIATION
On le voit : la variante libre n’existe pas. Elle n’est guère libre, puis-
qu’elle est au contraire conditionnée par l’intention de communication, et
dans ce cas, il ne s’agit pas d’une variante, mais d’une réalisation langa-
gière écrite qui tire forme, sens et légitimité de cette intention de commu-
nication dont elle est l’attestation.
Ce qui pour les écrits ordinaires est appelé variante libre devient, en
littérature, une composante du style.
106 Ce n’est pas le lieu ici d’entrer plus avant dans le débat sur la langue de la grammaire
(c’est-à-dire sur les critères de prescription, la méthodologie et l’idéologie qui la tra-
verse ) descriptive ou normative, ni sur la grammaire de la langue, dans sa relation à
l’activité de langage. On se reportera avec profit à l’Introduction à une science du
langage, de J.-C. Milner (1995), et notamment au « solide de référence » (chap. 5,
Première partie), où l’on trouve ceci : « on a pensé la langue comme une activité
146 résultant de manière causale de l’application d’une règle » (p. 92).
PONCTuATION ET éNONCIATION
conclusion
représentante représentée
contexte monologal contexte dialogal
149
PONCTuATION ET éNONCIATION
BiBLioGRaPHiE
153
PONCTuATION ET éNONCIATION
Préliminaire 11
Première partie : La Ponctuation : QuEL oBJEt ? 15
chapitre 1 : Définir la ponctuation 17
Définir 17
Niveaux 17
La ponctuation de mot 17
La ponctuation de phrase 17
La ponctuation de texte 18
Définitions 18
Délimitation du corpus 18
Morphologie 19
Fonction 19
Statut 19
Le signe 19
un graphème de quelle nature 23
Délimiter 24
Corpus des signes 24
Ponctuation de mot 24
Ponctuation de phrase 25
Signes de séquence 25
Signes d’énonciation 25
Combiner 26
Ponctuation de mot 27
Ponctuation de phrase 27
Portée des signes 28
Portée des signes de séquence 28
Portée et résorption 31
Portée des signes d’énonciation 32
Résorption 35
Combinatoire 35
Signes syntagmatiques et énonciatifs : combinatoires et résorptions 37
conclusion 147
Bibliographie 151
I. Hétérogénéité de l’écrit 21
II. Portée des signes 29
III. Ponctuation intra-mot. Corpus et sites d’occurrence 41
IV. Ponctuation inter-mots. Corpus 45
V. Virgule : tensif simple ou complexe 83
VI. Ponctuation énonciative. Corpus et fonctions 87
VII. Points de suspension. Sites et fonctions 108
VIII. Prévalence des paramètres en ponctuation intra-mot 127
Ix. Prévalence des paramètres en ponctuation séquentielle 129
x. Virgule proscrite, facultative, prescrite 138
159