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P

et
onctuation

É nonciation
par
Véronique DAHLET

IBIS ROUGE EDITIONS


Presses Universitaires Créoles - GereC
Que signifie la ponctuation ? Par quelles constructions ? Et comment se
les représenter ?
L’étude fait l’hypothèse que la ponctuation contribue certes à la lisibilité
des textes, mais constitue surtout une composante déterminante de la mise en
communauté énonciative du sens. Les dimensions argumentative et pragma-
tique de la ponctuation en sont la manifestation.
Après une synthèse critique des conceptions de la ponctuation et un exa-
men des prises qu’elle offre à la description – quels signes, pour quels
niveaux de structuration ? – , Véronique Dahlet propose une formalisation de
la ponctuation selon deux fonctions majeures : une fonction séquentielle et
une fonction énonciative. Elle montre ensuite combien l’acte de ponctuation
joue sur le croisement et l’hybridation discursive de ces deux fonctions, aussi
bien en contexte monologal que dialogal. Sont éclairés ainsi la vaste gamme
des accomplissements catégoriels et des variations sémantiques impliqués et
réélaborés au fil des processus complexes de la ponctuation.
Centré sur l’organisation du sens dans la communication écrite et appuyé
sur de très nombreux exemples, l’ouvrage s’adresse à tous, enseignants et
étudiants de langue maternelle ou étrangère, préoccupés de mieux intégrer le
jeu de la ponctuation dans la diversification de leurs choix d’écriture.

Véronique Dahlet est maître de conférences en linguistique et langue


françaises à l’Université de São Paulo (USP) au Brésil et professeur invitée
de l’Université des Antilles et de la Guyane où elle est membre du Groupe
d’Etudes et de Recherches en Espaces Créolophone et Francophone
(GEREC-F). Ses travaux sont centrés sur la didactique de l’écrit et plus par-
ticulièrement sur la comparaison du processus de ponctuation dans la pro-
duction du discours écrit en langues maternelle et étrangère.
Ponctuation
et énonciation
véronique Dahlet

Ponctuation
et
Énonciation

IBIS ROUGE EDITIONS


Ouvrage publié avec l’aide du conseil régional de la Martinique

© iBiS RouGE EDitionS, 2003


Guyane - Guadeloupe - Martinique - Réunion
http://www.ibisrouge.fr

ISBN : 2 - 84450 - 178 - 8

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.


La loi du 11 mars 1957 n’autorisant aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part que les
« copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utili-
sation collective », et d’autre part, que les analyses et courtes citations dans un but d’exemple et
d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement
de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite ». (Alinéa 1er de l’article 40).
Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, sans autorisation de l’auteur ou
de l’éditeur constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal.
Je remercie Patrick Dahlet, Jean Ber-
nabé, Raphaël Confiant, Jacques Coursil et
Jean-Louis Chiss pour leur soutien et les pré-
cieuses remarques qu’ils ont apportées à des
moments cruciaux de cette étude.

7
PONCTuATION ET éNONCIATION

SoMMaiRE

Préliminaire 11
Première partie : LA PONCTuATION : QuEL OBJET ? 15
Chapitre 1 : Définir la ponctuation 17

Deuxième partie : LA PONCTuATION DE MOT


FONCTIONS ET OPéRATIONS 39
Chapitre 2 : Essai de description raisonnée 41

Troisième partie : LA PONCTuATION DE SéQuENCE


FONCTIONS ET OPéRATIONS 49
Chapitre 3 : L’alinéa 51
Chapitre 4 : Le point 69
Chapitre 5 : Le point-virgule 73
Chapitre 6 : La virgule 77

Quatrième partie : LA PONCTuATION D’éNONCIATION


FONCTIONS ET OPéRATIONS 85
Chapitre 7 : Contexte monologal et contexte dialogal 87
Chapitre 8 : Contexte monologal 91
Chapitre 9 : Contexte dialogal 111

Cinquième partie : NORME, VARIANTE, PRAGMATIQuE 123


Chapitre 10 : une ponctuation de mot énonciativo-pragmatique 125
Chapitre 11 : une ponctuation séquentielle énonciativo-pragmatique 129

Conclusion 147
Bibliographie 151

9
PONCTuATION ET éNONCIATION

Préliminaire

L’histoire de la ponctuation est faite de toutes les déterminations


constitutives de l’écrit : communicationnelles, techniques, économiques,
politiques, culturelles, sociales et enfin, individuelles.
un des moments forts de son histoire correspond à l’invention de
l’imprimerie, qui a eu pour vocation de rationaliser la ponctuation, mais la
ponctuation de l’imprimé reste subordonnée à la lecture à haute voix. Au
xVIIIe siècle, soit un peu plus de deux siècles plus tard, Beauzée confirme
dans sa Grammaire Générale (1767) le rôle premier de la ponctuation res-
piratoire : « La ponctuation est l’art d’indiquer par des signes reçus la pro-
portion des pauses que l’on doit faire en parlant ». Bien entendu, les pauses
ne se produisent pas de façon aléatoire : « cette proportion dépend de trois
principes fondamentaux : 1° le besoin de respirer; 2° la distinction des
sens partiels qui constituent le discours; 3° la différence de degrés de
subordination qui conviennent à chacun de ces sens partiels dans l’en-
semble du discours » (apud Lorenceau, 1977 : 128 et 132).
Le xIxe siècle marque un autre tournant de l’histoire de la ponctuation.
Si jusqu’alors, la ponctuation restait l’affaire des imprimeurs et des gram-
mairiens, voilà que des écrivains (de Victor Hugo à Gide en passant par
Colette) revendiquent la leur, et exigent des éditeurs qu’ils la respectent.
Ce rapport de force entre gens de plume et professionnels de l’édition est
symptomatique de la substitution de la valeur-usage de l’écriture par la
valeur-travail, pour reprendre les termes de Barthes (1953). La manière de
ponctuer dépasse les fonctions de construction de phrase pour devenir
matière stylistique, opérateur de signifiance. Mais les imprimeurs sont
d’autant moins enclins à admettre une ponctuation individuelle qu’ils
cherchent, dans le même temps, à rationaliser le Code Typographique.
Enfin, le dernier facteur notable renvoie à la lecture dont les modali-
tés commencent très progressivement à changer dès la fin du xIxe siècle.
Sous le double effet de la scolarisation obligatoire et du formidable déve-
loppement de l’écrit (journalistique notamment), la lecture se fait silen-
cieuse. Aussi la ponctuation perd-elle sa notation respiratoire pour gagner
en fonction constructive de l’écrit.
Cependant il serait illusoire de croire aujourd’hui à la stabilisation de
la ponctuation, tant du point de vue de son objet que de ses usages. En
effet, la ponctuation varie :
• dans le temps. Ainsi, la raréfaction, en français, du /;/ s’explique à
la fois par l’abandon des classes de rhétorique (perte progressive de
l’usage de la période) et par la préférence pour la phrase courte qui 11
VéRONIQuE DAHLET

vise, dans nos sociétés dites de communication, la lecture rapide


doublée d’une mémorisation optimale;
• dans son corpus. Selon la perspective fonctionnelle adoptée, le cor-
pus se limite aux signes phrastiques et à l’alinéa, ou peut s’étendre
à l’ensemble des blancs séparateurs de chapitres et de parties;
• dans ses fonctions. On constate des divergences, parfois impor-
tantes, dans l’analyse des fonctions des signes. Elles résultent de
l’hypothèse théorique initiale, telle que par exemple le postulat de sa
relation à l’oral, la définition restreinte ou élargie du signe de ponc-
tuation;
• et enfin, selon le scripteur. La ponctuation ne correspond pas à un
usage strictement réglé; la norme n’épuise certes pas le champ des
pratiques ponctuationnelles, qui sont aussi des postures d’énoncia-
tion. Or, la dimension énonciative, qui n’est pas la moindre, rend
compte à la fois
- de la fréquence (par exemple, celle du point, ce qui conduit à
interroger les déterminations de son occurrence, ou non occur-
rence);
- de la sélection paradigmatique des signes (ainsi, du point-vir-
gule qui peut être substitué, dans certains cas, au point; dans
d’autres, à la virgule);
- et, enfin, du caractère facultatif de certains signes (la virgule
notamment, ce qui conduit à se demander ce que recouvre en
fait la possibilité même du facultatif).

Parler de la ponctuation, au singulier, ne renvoie à d’autre objet que


générique, et le singulier en délimite le domaine. Mais le domaine est
mouvant, à commencer par le corpus des signes qui peut varier. La pre-
mière partie de cette étude se consacrera à cette question à partir de trois
axes : définir, délimiter, combiner.
Dans un premier temps, la ponctuation sera prise comme un ensemble
fermé, séparé de son champ naturel qui est celui de l’écrit. Cette option
m’a paru intéressante par son aspect heuristique. En effet, il s’est agi de
mettre à jour des fonctionnements purement internes, c’est-à-dire indé-
pendamment de toute réalisation scripturale particulière.
Trois composantes principalement – portées, combinaisons et résorp-
tions – forment ce qu’on pourrait considérer comme une esquisse d’un
macro-système unifiant. unifiant, dans la mesure où l’ensemble des signes
y sont intégrés, et macro, dans la mesure où les fonctionnements qu’on
aura dégagés sont mis en oeuvre de façon systématique, quels que soient
par ailleurs les écrits envisagés.
Cette première démarche est complétée par une seconde, de type
déductif, qui s’est appuyée sur des pratiques ponctuationnelles effectives.
12 Lorsque l’observation des processus mis en oeuvre par tel(s) signe(s) mon-
PONCTuATION ET éNONCIATION

trait une capacité de réitération satisfaisante, il devenait alors possible de


les généraliser, sans risque majeur, sous forme d’axiomes. Ainsi par
exemple de la virgule, de la ponctuation argumentativo-pragmatique, ou
de la prévalence de la ponctuation énonciative lorsqu’elle n’est pas en
congruence avec la ponctuation séquentielle.
Enfin, on a cherché à voir dans quelle mesure les signes de ponctua-
tion sont susceptibles de réactiver l’événement que constitue la co-énon-
ciation, et ceci par le constant réglage du sens par la visée argumentative
et pragmatique qu’ils comportent.

Quelques remarques encore sur le choix du corpus de textes.


J’ai délibérément écarté les textes manuscrits car, en même temps que
le répertoire des signes de ponctuation y est plus restreint, la trop grande
diversité des situations de communication (profils de scripteurs et de des-
tinataires, paramètres du lieu, du temps, de la visée, etc.) aurait rendu cette
étude impraticable. Du reste, ce type de corpus intéresse davantage l’ana-
lyse linguistique et psycho-sociologique de pratiques scripturales.
Centré sur l’écrit imprimé, le corpus ne retient que des ouvrages sus-
ceptibles de toucher également des non spécialistes, c’est-à-dire un lecto-
rat le plus large possible. L’intention a été d’éviter des écrits surdéterminés
par des contraintes éditoriales ou des conditions de production, comme
c’est le cas, par exemple, de la presse. En revanche, un certain nombre de
romans intègrent le corpus, et ceci parce que le roman non seulement a
donné lieu à une ponctuation spécifique – celle de la représentation de dia-
logue –, mais encore a produit (bien malgré lui!) des représentations trom-
peuses de certains signes de ponctuation, et sur lesquelles il était
souhaitable de revenir.

Au cours de cette étude, les références au corpus figurent sous forme


abréviative. Mais quand il a été ici et là nécessaire de puiser ailleurs,
l’exemple est aussitôt suivi de la référence complète.
S.H.B.
Bruckner Pascal (1983), Le sanglot de l’homme blanc. Tiers-Monde, culpabilité,
haine de soi. Paris : Seuil, Coll. Points Actualités.
P.L.
Certeau Michel de (1990, présenté par), La possession de Loudun. Paris : Gallimard
Julliard, Coll. Archives [1970, Julliard].
H.M.1 et H.M.2
Nicolas Armand (1996), Histoire de la Martinique. Paris : L’Harmattan, t.1 et t. 2.
P.F.M.A.
Pernoud Régine (1977), Pour en finir avec le Moyen Age. Paris : Seuil, Coll. Points
Histoire.
Math
Roubaud Jacques (1997), Mathématique : (récit). Paris : Seuil, Coll. Fiction & Cie.
M.S.G. 13
VéRONIQuE DAHLET

Confiant Raphaël (1997), Le meurtre du Samedi-Gloria. Paris : Mercure de France,


Folio.
CH.EN.
Forêts Louis-René des (1960), La chambre des enfants. Paris : Gallimard, Coll.
L’imaginaire.

14
PONCTuATION ET éNONCIATION

Première partie

La Ponctuation : QuEL oBJEt ?

15
PONCTuATION ET éNONCIATION

Chapitre 1
Définir la ponctuation

Définir
Définir la ponctuation est un exercice retors et difficile1 puisque,
comme on le verra à l’analyse de propositions de définition, il s’agit tout
à la fois de doter la ponctuation de son statut linguistique, de la démarquer
du matériau alphabétique et enfin, d’indiquer le principe directeur de sa
fonction.
Mais il s’agit au préalable de dégager les différents niveaux concernés
par la ponctuation.

Niveaux
La ponctuation opère à trois niveaux :
- niveau de mot,
- niveau de phrase,
- niveau textuel.

La ponctuation de mot
Son domaine est réputé être celui de l’orthographe. Sans doute est-ce
la raison pour laquelle il n’y a pas, du moins à ma connaissance, d’étude
spécifique sur la ponctuation de mot, qui du reste n’est que rarement évo-
quée dans l’ensemble des travaux sur la ponctuation du français. Qu’elle
relève de la norme orthographique fait trop vite conclure à un objet stable
et fixé à l’avance, à une fonction unique qui se fondrait avec celle de l’or-
thographe. On verra les défauts d’un tel jugement.

La ponctuation de phrase
En principe, les signes phrastiques sont ceux qui de droit s’actualisent
dans l’unité de la phrase2. Mais l’évidence est trompeuse, car si l’on prend

1 On note peu d’essais de définition dans les diverses études, comme si cela allait
de soi.
2 Pour un tour de la question, cf. l’excellente synthèse de J.-P. Jaffré (1991), « La ponc-
tuation du français: études linguistiques contemporaines. » 17
VéRONIQuE DAHLET

en compte les paramètres tels que la nature du signe (par exemple, les cro-
chets et l’astérisque, voire la flèche, sont-ils des signes de ponctuation3 ?)
ou la différenciation entre manuscrit et imprimé (l’imprimé possédant un
plus grand répertoire de signes), il n’est pas sûr que tous les signes non
alphabétiques susceptibles d’apparaître dans une phrase puissent être réfé-
rés à des signes de ponctuation.

La ponctuation de texte
Elle renvoie à l’ensemble des blancs qui donnent au texte sa forme, le
plus petit blanc étant alors l’alinéa. L’intégration des procédures de mise
en page, qui relèvent de la typographie et qui « donne(nt) à lire et à voir »,
produit cette conception élargie de la ponctuation4.

Définitions
On saisira plusieurs définitions pour centrer les questions qu’elles
posent autour de quatre points : délimitation du corpus, morphologie,
fonction, et statut du signe de ponctuation par rapport aux autres compo-
santes du système de l’écrit.
Définition 1 (N. Catach, 1980 : 21)
Ensemble de signes visuels d’organisation et de présentation accompa-
gnant le texte écrit, « intérieurs » au texte et communs aux manuscrits et
aux imprimés; la ponctuation comprend plusieurs classes de signes gra-
phiques discrets et formant système, complétant ou suppléant l’infor-
mation alphabétique.
Définition 2 (J. Anis, 1988 : 246)
graphème ponctuo-typographique, qui contribue à la production du
sens, en tant qu’organisateur de la séquentialité et indicateur syntagma-
tique et énonciatif.
Définition 3 (Cl. Tournier, 1980 : 36)
La ponctuation est l’ensemble des graphèmes purement plérémiques,
non décomposables en unités de rang inférieur, et à caractère discret.

Délimitation du corpus
Si la ponctuation est comprise comme ensemble de signes graphiques
(définitions 1, 2 et 3), ceux-là procèdent d’une manifestation « plus ».
C’est le cas de tous les signes, excepté l’alinéa, dont la singularité repose
sur sa manifestation « moins », puisque sa morphologie est celle du blanc.

3 Ainsi par exemple F. Boch (1998) aurait tendance à assimiler la flèche à un signe de
ponctuation.
4 « Donner à lire et donner à voir, les deux fonctions de la mise en page », Delord
18 (2001 : 13).
PONCTuATION ET éNONCIATION

Cette distinction a son importance, car elle ouvre la voie à une pos-
sible extension du corpus des signes. En effet, à partir du moment où l’on
assimile à un signe de ponctuation le blanc de l’alinéa (recul de plusieurs
espaces par rapport à la marge de gauche), pourquoi ne pas intégrer les
blancs supérieurs, telle la ligne blanche et la surface blanche de fin de cha-
pitre5 ? Se pose ici la question cruciale du (non) recouvrement de ce qui
ressort de la ponctuation et de ce qui revient à la mise en page, qui fait le
partage entre une définition restreinte ou extensionnelle des signes ponc-
tuationnels. Historiquement, on l’a dit, la ponctuation des textes était l’af-
faire des imprimeurs. A mon sens, une définition restreinte me paraît plus
opératoire pour l’analyse fonctionnelle des signes. C’est pourquoi je
rejoins la restriction qu’apporte N. Catach lorsqu’elle spécifie que les
signes de ponctuation sont « intérieurs » au texte, et je place l’alinéa
comme ultime niveau capable d’être intégré au champ interne au texte.

Morphologie
D’un point de vue morphologique, la ponctuation se manifeste soit de
façon non liée – graphème ou blanc alinéaire –, soit de façon liée, à tra-
vers le support alphabétique – gras, italique/soulignement, capitale –.
On reviendra sur la notion de graphème, mais signalons d’entrée de
jeu les trois types de graphème qui caractérisent la ponctuation :
• graphème non alphabétique;
• graphème [moins] manifesté par le blanc alinéaire;
• graphème « de coalescence », dans le cas des ponctuations qui se
manifestent moyennant le support alphabétique (cas de la majuscule
et de l’italique, par exemple).

Fonction
En attribuant aux signes une fonction d’organisation et de présenta-
tion du texte, la définition 1 a l’avantage de montrer la ponctuation de
l’écrit dans ses deux versants de production et de réception. Toutefois, le
rôle d’accompagnateur du texte (accompagnant le texte écrit) gomme le
fait qu’elle est consubstantielle à la mise en texte; elle est elle-même opé-
rateur syntaxique et opérateur sémantique. C’est ce dont rend compte la
définition 2, qui cerne au plus près le faire ponctuationnel.

Statut
Le signe
En français, signe de ponctuation est homonyme de signe au sens lin-
guistique du terme. Cl. Tournier assume pleinement la comparaison
(1980 : 36) :

5 On se limite ici à mentionner ce point, sur lequel on reviendra. 19


VéRONIQuE DAHLET

Ce n’est pas seulement par respect pour la tradition que nous parlons de
« signes » de ponctuation. Comme le signe linguistique, celui-ci est, en
effet, constitué d’un signifiant (le ponctuant), et d’un signifié (la ponc-
tuance), et l’expérience nous montre que le même signifiant (la majus-
cule, par exemple) peut avoir plusieurs signifiés (début de phrase, nom
propre, mise en valeur, etc.).
Reprendre au compte du signe de ponctuation la bipartition signi-
fiant/signifié se fait au prix d’un détournement des deux termes de la
bipartition. Sans doute convient-il de reprendre ici la définition du signe
telle que Saussure l’énonce dans son Cours de linguistique générale (1995
: 98) :
Le signe linguistique unit non une chose et un nom, mais un concept et
une image acoustique. Cette dernière n’est pas le son matériel, chose
purement physique, mais l’empreinte psychique de ce son [...].
Le caractère psychique de nos images acoustiques apparaît bien quand
nous observons notre propre langage. Sans remuer les lèvres ni la
langue, nous pouvons nous parler à nous-mêmes ou nous réciter menta-
lement une pièce de vers. C’est parce que les mots de la langue sont
pour nous des images acoustiques qu’il faut éviter de parler des « pho-
nèmes » dont ils sont composés.
Pour ce qui concerne le signifiant, rappelons que les signes de ponc-
tuation sont « sans correspondance phonémique » (Tournier, 1977 : 225).
De fait, on se rend bien compte qu’en cours de lecture d’un texte, les
signes de ponctuation ne sont pas pourvus d’image acoustique, mais qu’ils
le sont, en revanche, dès lors qu’ils entrent de fait dans le champ du signe
linguistique.

Prenons trois cas qui illustreront cela :


• lorsque je lis un énoncé tel que « Le roman de Clarisse Lispector, Un
apprentissage ou Le livre des plaisirs, commence par une virgule »,
le lexème virgule n’a rien en commun avec le signe lui-même, car
on passe du signe linguistique, alphabétique, à un signe non alpha-
bétique;
• quand on lit à haute voix, les signes de ponctuation sont muets, on
l’a dit. Dans le cas contraire, il y aurait du bruit (dans le sens lin-
guistique du terme). Il existe toutefois une situation, celle de la dic-
tée à l’école primaire, où les signes de ponctuation sont oralisés. Le
fait est que, pour être justement une situation d’oralisation particu-
lièrement artificielle, la prononciation des signes de ponctuation
compense la perte partielle du sens qu’entraîne l’élocution extrême-
ment lente, celle-ci se réglant sur la vitesse du mouvement grapho-
moteur de la main qui écrit sous la dictée;
• le dernier cas qui illustrera ce propos concerne la convention choi-
sie ici-même. En effet, pour référer à un signe de ponctuation, je le
mets entre barres obliques. Le mot virgule apparaîtra par commmo-
dité de la manière suivante : /, /. Mais que l’on s’entende bien sur le
20 fait qu’il s’agit là d’une convention, et qu’à ce titre, la forme /,/ est
PONCTuATION ET éNONCIATION

à convertir alphabétiquement pour le faire fonctionner comme signe


linguistique !
Il ne faudrait pourtant pas inférer que tout signe (mais le mot
convient-il ?) est dépourvu de correspondant phonématique à partir du
moment où il est non alphabétique. Ainsi, on convertit immédiatement en
système alphabétique les chiffres et les symboles mathématiques.
On peut formaliser comme suit ces quelques observations, qui pren-
nent place dans la discussion, plus large, de l’hétérogénéité de l’écrit d’une
part, et d’autre part, des correspondances ou non correspondances phoné-
matiques qui en découlent :

tableau i : Hétérogénéité de l’écrit

réalisation réalisation réalisation


phonématique graphématique graphématique
alphabétique non alphabétique

signe linguistique + +

signe de ponctuation +

chiffres, symboles + +

Ainsi, pour ce qui concerne le signifiant appliqué aux signes de ponc-


tuation, il peut par extension se comprendre dans le sens de signifiant gra-
phique6, matérialité graphique du signe ponctuationnel. C’est en ce sens
que l’emploie Tournier (cf. le même signifiant (la majuscule, par
exemple)). Mais dans ce cas, on gagnerait davantage à s’appuyer sur la
bipartition établie par Hjelmslev dans le plan de l’expression7. En effet, le
plan de l’expression se décompose en substance de l’expression – dans
notre cas : l’encre, la chaîne graphique – et en forme de l’expression – dans
notre cas : le graphème –. S’appuyer, donc, sur la forme de l’expression, et
se limiter à cela, à savoir, au graphème.
Quant au signifié du signe de ponctuation, on a tout intérêt à pour-
suivre dans le cadre de la description théorique du linguiste danois, cette
fois sur le plan du contenu.

6 Titre du n° 59 de Langue Française, septembre 1983, dirigé par J. Anis. Le signifiant


graphique renvoie alors à la disposition spatiale de l’écrit sur la page qui, en poésie
notamment, permet la pluralisation du sens.
7 Les concepts de plan de l’expression et de plan du contenu mis au point par Hjelm-
slev sont présentés notamment dans le chapitre 13, « Expression et contenu » des Pro-
légomènes à une théorie du langage (1968-1971), et approfondis dans plusieurs
chapitres de l’ouvrage, ainsi que dans ses Essais linguistiques (1971). 21
VéRONIQuE DAHLET

Le plan du contenu se subdivise en forme du contenu – qui correspond


à une unité significative – et en substance du contenu – qui correspond aux
significations, à la sémantique –. La forme du contenu correspond au plan
plérématique, dans lequel Hjelmslev distingue (i) les morphèmes et (ii) les
plérèmes. A ce stade, je rejoins tout à fait Tournier lorsqu’il définit les
signes de ponctuation comme « des graphèmes purement plérémiques, non
décomposables en unités de rang inférieur » (définition 3). En revanche, je
ne le rejoins pas sur le plan du signifié. Lorsqu’il évoque le signifiant
majuscule doté de plusieurs signifiés : début de phrase, nom propre, mise
en valeur, etc., on peut se demander si le signifié en question ne recouvre
pas indistinctement la forme du contenu et la substance du contenu.
Pour ma part, je décompose le signe de ponctuation comme suit, pre-
nant pour exemple la majuscule :
• substance de l’expression → encre
• forme de l’expression → graphème : M
• forme du contenu → unité significative : opération
• substance du contenu → début de phrase, nom propre, mise
en valeur, etc.
La question concerne ici le plan du contenu. Je considère que la forme
du contenu de la majuscule, mais aussi de tout signe de ponctuation, est
fournie par l’opération attestée par le graphème8. Ainsi, par exemple, le
graphème de la majuscule indique qu’il y a opération sur le mot qui en est
doté, et que l’on pourrait désigner d’opération de marquage (fraternité vs.
Fraternité). Mais la forme du contenu est identifiable comme telle non seu-
lement grâce à son caractère systémique, mais aussi grâce à son position-
nement (c’est ce qui permet par exemple à Hjemslev d’opérer la
distinction entre plérèmes et morphèmes). Par rapport au positionnement,
on pourrait rétorquer qu’il est invariable, puisque le graphème majuscule
affecte la première lettre d’un mot (c’est d’ailleurs ce critère, ajouté à celui
de la non contiguïté immédiate du même graphème, qui distingue la
majuscule de la capitale : Fraternité vs. FRATERNITé). De fait, il
convient d’envisager le positionnement du graphème ponctuationnel non
seulement par rapport à l’unité qu’il affecte, mais aussi par rapport à la
place qu’occupe l’unité mot dans la séquence de la chaîne graphique. Si
l’on admet cela, on peut alors dire que la substance du contenu (le signifié
pour Tournier), c’est-à-dire la signification du graphème de la majuscule,
ne peut être traitée que par la complémentarité : opération de marquage +
positionnement. En d’autres termes, l’opération de marquage ne suffit pas
à accéder à la substance du contenu, encore faut-il prendre en compte le
positionnement, comme on le verra plus loin pour la majuscule.
A mon sens, cette analyse vaut pour tout signe de ponctuation. La
forme du contenu d’un graphème ponctuationnel est /opération/. Mais, s’il
est vrai que quel que soit le graphème envisagé, la forme du contenu est

22 8 Y compris pour l’alinéa, graphème zéro.


PONCTuATION ET éNONCIATION

/opération/, cela ne suffit pas à constituer pleinement cette forme du


contenu en tant qu’unité significative : il s’agit de le compléter selon le
graphème ponctuationnel retenu. Par exemple, on a vu que pour la majus-
cule, l’opération est de marquage; pour la ponctuation de séquence (alinéa,
point, point-virgule et virgule)9, la forme du contenu est opération de
séquentialité. On pourrait voir une contradiction dans ce que je viens
d’avancer quant à la ponctuation de séquence, car après tout, si une forme
de l’expression (graphème) et une forme de contenu se déterminent
mutuellement, comment se fait-il que plusieurs graphèmes, par définition
différents, peuvent déterminer une et une seule forme de contenu ? C’est
ici, encore une fois, qu’intervient le positionnement, qui pour les signes de
ponctuation me paraît crucial dans la relation entre forme de l’expression
et forme du contenu. Par exemple, le graphème du point entretient une
relation bi-univoque avec sa forme du contenu qui est : opération de
séquentialité de phrase.

Un graphème de quelle nature


S’attachant à décrire les composantes de l’espace graphique, J. Anis
s’appuie sur le « postulat de base » selon lequel (1988 : 85) :
une langue comme le français – mais c’est vrai de toute langue évoluée,
indépendemment de la régularité de ses correspondances grapho-pho-
niques – possède une forme de l’expression phonique et une forme de
l’expression graphique.
Le graphème étant défini comme « unité minimale de la forme gra-
phique, définie par sa fonction dans la communication écrite » (1988 :
245), J. Anis distingue alors trois types de graphèmes :
• l’ alphagramme, « graphème alphabétique, unité purement distinc-
tive » (245), qui relève « de la seconde articulation » (87);
• le topogramme, « graphème ponctuo-typographique, qui contribue
à la production du sens, en tant qu’organisateur de la séquentialité et
indicateur syntagmatique et énonciatif » (245);
• le logogramme, « graphème unique correspondant à une unité signi-
ficative (ex. &, $) ou groupement tendant à un fonctionnement syn-
thétique » (245).
Le préfixe topo- rend compte du fait que les topogrammes « mettent
en place [...] les unités textuelles, fournissent des indications syntagma-
tiques indispensables » (88) ;
Le préfixe logo- rend compte du fait que les logogrammes « forment
généralement des unités globales dotées d’un signifié ou en tout cas ten-
dent à fonctionner synthétiquement et non analytiquement » (139). Il s’agit
donc des logogrammes stricto sensu (& - § - £ - $), des symboles mathé-
matiques ainsi que des abréviations, des sigles, des logos, et enfin, des

9 La ponctuation de séquence sera définie plus loin, p. 25. 23


VéRONIQuE DAHLET

topogrammes « détournés », comme par exemple, dans une réplique de


dialogue ou en marge d’une copie, la succession de / ???!!! / qui court-cir-
cuite le recours aux alphagrammes pour renvoyer à la surprise, l’indigna-
tion, etc. (139-143).
Le double avantage à relier la ponctuation à l’espace graphique
consiste d’une part à spécifier le statut linguistique respectif des diverses
unités graphémiques, qui attestent de l’hétérogénéité graphique de la
langue, et d’autre part, à rattacher la valeur fonctionnelle de la ponctuation
à la matérialité graphique.
Enfin, précisons que je considère comme graphèmes ponctuo-typo-
graphiques aussi bien la ponctuation de mot que la ponctuation de
séquence.

Délimiter
Corpus des signes
Ponctuation de mot
La ponctuation de mot relève traditionnellement de l’orthographe.
C’est pourquoi les grammaires ne la rangent pas dans la subdivision
consacrée à la ponctuation.
Généralement, on retient deux signes de ponctuation de mot : le trait
d’union et l’apostrophe. Cependant, le corpus est bien plus important. Il
comprend les signes suivants :
- point abréviatif
- parenthèses
- points de suspension
- trait d’union
- apostrophe
Quant au blanc inter-mots, il n’est plus ressenti comme une ponctua-
tion, et c’est la raison pour laquelle il n’est pas mentionné en étude syn-
chronique. Dans la genèse de la ponctuation, le blanc dont la fonction
essentielle vise la lisibilité par la séparation des mots, est l’un des premiers
signes apparus. Le xVIIe siècle garde encore des traces résiduelles d’écri-
ture en continu. Le phénomène est donc récent. Mais c’est surtout son
caractère systématique et absolument mécanique (une espace entre deux
mots) qui en a fait une ponctuation non marquée. En effet, le blanc inter-
mots n’est pas ressenti, quand bien même c’est le cas, comme entrant en
système avec les autres signes de même niveau. Par exemple, la relation
d’exclusion mutuelle entre l’espace et l’apostrophe passe inaperçue, alors
qu’elle se remarque immédiatement entre l’apostrophe et le trait d’union
(*aujourd’-hui).

24
PONCTuATION ET éNONCIATION

Ponctuation de phrase
Je m’appuierai ici largement sur la classification de J. Anis (1988), en
y apportant toutefois les modifications suivantes :
• Anis dégage deux grandes classes de signes de ponctuation : les syn-
tagmatiques et les polyphoniques. Je préfère les qualifier respecti-
vement signes de séquence et signes d’énonciation;
• Le /:/ est à mon sens uniquement énonciatif; J. Anis l’intègre dans
les deux classes;
• Enfin, je considère la graisse comme un signe de ponctuation, et
l’insère dans la classe des signes d’énonciation.
On établira le corpus des signes de phrase en les regroupant d’emblée
dans leurs deux fonctions majeures, séquentielle et énonciative.

SIGNES DE SéQuENCE
- l’alinéa
- le point
- le point-virgule
- la virgule
J’appelle séquence un constituant de texte. L’étendue de ce consti-
tuant est variable, ce qui ne devrait pas faire problème si l’on observe que
• cette étendue est délimitée à gauche et à droite par deux signes de
ponctuation, quels qu’ils soient, pourvu qu’ils se soumettent à la
combinatoire (cf. infra);
• une séquence peut en comprendre une ou plusieurs autres. Ainsi, on
appellera séquence le constituant de texte délimité à gauche et à
droite par l’alinéa – séquence d’étendue maximale, au-delà de
laquelle n’intervient plus la ponctuation mais la mise en page – de
la même manière qu’on appellera séquence le constituant délimité à
gauche et à droite par la double virgule de l’incise, par exemple.
Celle-ci est comprise dans celle-là.
Les signes à fonction séquentielle segmentent, pour reprendre Anis
(1988 : passim), le continuum scriptural, délimitent les séquences en les
regroupant/séparant, et enfin, les hiérarchisent en indiquant la nature de
leur relation.

SIGNES D’éNONCIATION
• Hiérarchiseurs discursifs
- le deux-points
- les parenthèses
- le tiret double
25
VéRONIQuE DAHLET

• Marqueurs expressifs
- la capitale
- le soulignement
- l’italique
- le gras
- le tiret
• Marqueurs interactifs
- le point d’interrogation
- le point d’exclamation
- les points de suspension
• Discours cité
- les guillemets
- l’italique
- le tiret de dialogue
Les signes à fonction énonciative, quand ils n’indiquent pas le dis-
cours cité, manifestent un « décrochage énonciatif » (Anis : 1988, 122), qui
consiste à marquer une distanciation par rapport à l’énoncé, d’où la créa-
tion d’un effet de sens.

combiner
Les signes apparaissent linéairement, tantôt en suite relayée, tantôt en
suite contiguë.
Dans ce dernier cas, il arrive que la mise en contact de deux signes
entraîne la disparition de l’un des deux, selon la combinaison envisagée.
Ce phénomène correspond à des lois d’occurrence, selon l’expression de
Cl. Tounier (1980 : 39), qui les ramène à trois :
– Loi générale : exclusion
Certains ponctuants s’excluent mutuellement, c’est-à-dire que même
s’il y a, en un point du discours, plusieurs ponctuances à marquer, un
seul ponctuant est réalisé, et une seule fois.
– Loi de neutralisation
Si en un point du discours plusieurs ponctuances doivent être marquées,
et ne peuvent normalement l’être que par le même ponctuant, celui-ci
n’est réalisé qu’une fois.
– Loi d’absorption
Il existe des signes qui ne peuvent apparaître l’un à côté de l’autre bien
que comportant des ponctuants et des ponctuances différents : dans de
tels cas, un seul ponctuant est réalisé et il se charge alors de sa ponc-
tuance propre et des autres.

26
PONCTuATION ET éNONCIATION

Ponctuation de mot
Exclusion : l’apostrophe et le trait d’union s’excluent mutuelle-
ment. Les incompatibilités des deux signes dans *chef-d’-oeuvre ou *chef-
d-’oeuvre le montrent (exemple donné par Cl. Tournier).
Neutralisation :
- en début de phrase, la majuscule de phrase et celle de nom propre
se neutralisent;
- en fin de phrase, le point abréviatif et le point se neutralisent.

Ponctuation de phrase
Exclusion :
• Le signe final d’une phrase en discours cité prévaut sur le signe final
de la phrase citante :
(1)
Elle m’interrompit : « Vous n’en pensez rien, voilà la vérité ! » et elle
ajouta aussitôt avec une violence imprévue : « Il faut que je le quitte ! »
Elle éprouvait peut-être le besoin de me faire cet aveu [...] .
CH. EN. : 37
(2)
Beausoleil fusilla son adversaire du regard et [...] lui lança :
« Ici, c’est ma mère, de l’autre côté c’est la putaine qui t’a mis au
monde. Regarde ce que je lui fais. »
Et le major de damer le sol du pied [...].
M.S.G. : 148
• un segment apposé se place entre deux /,/. Selon le site de ce seg-
ment sur la chaîne graphique, la /,/ ouvrante ou la /,/ fermante dis-
paraît au profit d’un autre signe. Quelques exemples :
- /,/ ouvrante disparue au profit de la majuscule10 :
(3)
De plus en plus nombreux, les participants vont être pris à ce jeu.
P.L. : 46
- /./ final disparu au profit du /!/ , mais cela fonctionne aussi au
profit du /?/ et des /.../ :
(4)
« Compère Beausoleil ! Ô compère, tu es là ? »
M.S.G. : 250
En réalité, on pourrait relever un à un l’ensemble des cas d’exclusion.
Cependant, dans le souci de rendre compte de la manière dont les signes
de ponctuation se distribuent de façon ordonnée, il est intéressant d’arti-
culer les lois d’occurrence telles qu’elles ont été dégagées par Tournier, à
un système de cohérences plus ample, qui tienne compte

10 En réalité, au profit du /./ qui précède la majuscule, comme on le verra ci-après. 27


VéRONIQuE DAHLET

• du paramètre de la portée;
• de l’analyse des combinatoires des signes de ponctuation, tout
d’abord à l’intérieur de leur champ fonctionnel, où il s’agit de voir
les modes de succession et de résorption des signes séquentiels puis
des signes énonciatifs.
Prenons, par exemple, le répertoire des signes séquentiels. Sa fonction
est une, à savoir de segmenter la chaîne. Sa logique interne est donc toute
autre que celle des signes d’énonciation qui, outre leur morphologie variée
(signes doubles tels que les / « » /, signe continu tel que l’italique, par
exemple), ont comme caractéristique de se combiner aux séquentiels de
façon complémentaire. Disons, provisoirement, que la succession des seg-
mentations s’effectue sur la chaîne de manière horizontale – segmentation
+ segmentation + segmentation, etc. – , et que la succession des signes
d’énonciation s’insère en quelque sorte transversalement à celle-là, c’est-
à-dire de façon quasi autonome.
On dira alors que le mode de succession des signes de ponctuation
dans la chaîne écrite dépend à la fois de leur portée respective et de la
résorption de certains signes par d’autres lorsqu’ils entrent en contact,
qu’ils soient ou non de même dominante fonctionnelle.

Portée des signes


La portée d’un signe est déterminée en fonction du niveau auquel il
opère :
La règle générale est que la portée d’un topogramme s’arrête là où inter-
vient un topogramme de même niveau ou de niveau supérieur
(Anis,1988 : 121).

Portée des signes de séquence


La question de la portée (quel segment est affecté par tel signe ?)
concerne essentiellement les signes de séquence, qui bornent le continuum
scriptural en une suite de segments. Si le signe s’inscrit ponctuellement,
son effet n’affecte pas moins une portion de la chaîne écrite : segmenter
signifie poser les bornes à gauche et à droite de ce qui formera alors une
séquence, que j’apppelle encore segment11. Les segments ne sont pas tous,
loin s’en faut, isovalents. D’où l’intérêt d’établir une échelle de niveaux
des signes séquentiels, car où elle donne à voir le mode de succession des
topogrammes, et par conséquent, l’ordre hiérarchique d’inclusion des seg-
ments dans la chaîne12.

11 En pratique, on peut en effet considérer les deux termes équivalents. Toutefois, j’em-
ploie préférentiellement le terme segment pour renvoyer à une portion quelconque de
la chaîne écrite, et préférentiellement le terme de séquence lorsque le segment consi-
déré est référé, par rapport aux segments environnants, à une relation d’inclusion/hié-
rarchisation.
12 La ponctuation de séquence est donc syntaxique : elle établit les relations d’ordre (ou
relations fonctionnelles) dans la chaîne. On ne s’intéressera pas à l’autre paramètre de
28 la syntaxe, qui concerne les contraintes mises dans cette relation d’ordre.
PONCTuATION ET éNONCIATION

tableau ii : Portée des signes 13

niveau 1 - segment : paragraphe


Portée : [alinéa ............................................................................................alinéa]
niveau 2 - segment : phrase14
Portée : [point ............................................................................... point15]
niveau 3 - segment: sous-phrase
Portée : [point-virgule......................................... point-virgule16]
niveau 4 - segment : inter-proposition
Portée : [virgule..................................... virgule17]
niveau 5 - segment : intra-proposition
Portée : [virgule ....................virgule18]

A partir de l’échelle de portées on peut établir les deux modalités


d’ordonnancement suivantes :
• Les portées sont ordonnées selon le principe hiérarchique d’inclu-
sion. Ainsi, la portée 1 englobe la portée 2, qui englobe la portée 3
et ainsi de suite.
• L’ordre d’inclusion des différentes portées de signes (portées 1-2-3-
4-5) n’implique pas nécessairement les actualisations intermé-
diaires. Par exemple, en aval, un texte peut passer de la portée 2 à la
portée 4, de la portée 2 à la portée 5. Et en amont? L’évitement de
l’alinéa, signe de portée 1, est concevable. Autrement dit, il semble
bien que seul le signe de portée 2 soit, du point de vue séquentiel,
textuellement prioritaire.
Ces modalités d’ordonnancement sont détournées dans certains types
de texte.
Ainsi en littérature, pour ce qui concerne la première modalité, le
retour à la ligne (avec ou sans alinéa, avec ou sans interligne(s) ) peut
intervenir en milieu de phrase (Butor, Glissant), i.e. la portée 1 est sous-
ordonnée à la portée 2 dans la mesure où la portée alinéaire est incluse
dans la portée qui va du /./ au /./ :

13 Le crochet ouvrant représente la borne de gauche; le crochet fermant, celle de droite.


14 La convention grammaticale indique la majuscule comme la borne de gauche de
l’unité phrastique (“la phrase commence par une majuscule et termine par un point”)
mais cette formulation est de commodité, car la majuscule constitue en réalité un ren-
forcement visuel du bornage phrastique effectué par le point.
15 Ou tout signe pouvant le substituer : points d’interrogation, d’exclamation ou de sus-
pension.
16 Ou tout signe de portée 2.
17 Ou le point-virgule, de portée 3.
18 De même portée ou de portée 4. 29
VéRONIQuE DAHLET

(5)
[...] on avait retrouvé celui-ci [un propriétaire de boutique] dans sa bar-
rique de viande salée, le jus en saumure dégouttant de son nez de ses
yeux à mesure qu’on l’avait sorti de là, une queue rose enroulée autour
de son oreille droite, –
après quoi tout le monde devina que Celui-ci était revenu d’au-delà de
l’antan pour faire payer aux habitants (puisqu’il n’avait pu tuer ce béké)
le poids d’on ne savait quoi de trop passé
mais la femme, qui pense à la femme, peut-être innocente ou peut-être
qu’elle voulait bien quand ce béké, elle disparaît dans le jour [...].

Glissant (1975), Malemort . Paris : Seuil, p. 53


Ou encore, la segmentation de « fin » de phrase n’est pas rendue par le
point (ou ses substituts), mais par la virgule suivie de majuscule (Beckett,
Saramago), i.e. la portée 2, bornée à droite et à gauche par le point (ou ses
substituts) est court-circuitée (voir la deuxième modalité). Dans ce cas, la
fonction segmentatrice du point est reportée sur la majuscule :
(6)
Tinha acabado de se sentar a mesa para escrever a receita quando a porta
de comunicação com a Conservatória se abriu, estava fechada apenas no
trinco, e o chefe apareceu, Boa tarde, senhor doutor, Diga antes má
tarde, senhor conservador [...].
Saramago (1997) Todos os nomes. São Paulo: Companhia das Letras,
p. 127
Il venait à peine de s’asseoir à table pour rédiger l’ordonnance quand la
porte qui donnait sur le Conservatoire s’ouvrit, elle n’était pas fermée à
clé, et le chef apparut. Bonjour, monsieur le docteur, Dites plutôt mau-
vais jour, monsieur le conservateur [...]. (je traduis)
Autre détournement de la hiérarchie des portées qui contrevient à la
deuxième modalité : on a vu que seul le /./ était textuellement prioritaire
en perspective séquentielle. Or, cette ponctuation peut être dispensée, au
profit, par exemple, d’une double ligne blanche :
(7)
comment c’était je cite avant Pim avec Pim après Pim c’est trois parties
je le dis comme je l’entends
voix d’abord dehors quaqua de toutes parts puis en moi quand ça cesse
de haleter raconte-moi encore finis de me raconter invocation
instants passés vieux songes qui reviennent ou frais comme ceux qui
passent [...]
Beckett (1961), Comment c’est. Paris : Minuit, p. 9 (incipit)
Si la non application de cette règle vise un effet de sens en littérature,
elle relève de la facilitation du traitement de l’information dans les textes
prescriptifs (règlement, texte de loi). C’est pourquoi chaque article d’un
règlement est souvent borné, à gauche par le retour à la ligne et à droite,
par le point-virgule, i.e. la portée 1 est sous-ordonnée à la portée 319.

19 Voici donc un cas où la primauté donnée à la vi-lisibilité détourne le système de hié-


30 rarchisation des portées.
PONCTuATION ET éNONCIATION

PORTéE ET RéSORPTION
On a vu que la combinatoire des signes, c’est-à-dire leur mode d’ap-
parition, se réalise ou bien de façon relayée – intervient alors le paramètre
des niveaux – ou bien de façon contiguë, ce qui peut déclencher le pro-
cessus de résorption d’un signe par un autre. Il s’agit donc de voir quels
sont les facteurs qui déterminent la prédominance d’un signe sur l’autre.
Considérons les deux cas de figure possibles :
• un signe est résorbé par son identique. Ici, la condition est double :
coïncidence du site sur la chaîne écrite, et concurrence entre signes
de niveaux différents, i.e. de mot et de phrase : /majuscule/ de nom
propre et de début de phrase (8); /. / abréviatif et de fin de phrase (9);
/.../ de mot et point (12) et (13).
(8)
Télesphore avait, en effet, une réputation d’honnêteté à toute épreuve.
M.S.G. : 102
(9)
D’une part, il [le “théâtre”] fait déboucher les rancunes urbaines sur de
grandes et redoutables interrogations : le Malin, Dieu, le monde naturel
ou surnaturel, etc.
P.L. : 45
Il suffit cependant que figure un appel de note pour que les deux /./,
de mot et de phrase, soient rétablis :
(10)
Il n’est guère de région où l’on ne puisse évoquer des procès célèbres,
qu’il s’agisse de Loudun, de Louviers, de Nancy, de l’affaire Méautis en
Normandie, etc.2.
P.F.M.A. : 101
(11)
D’autres médecins sont introduits : Mathieu Fanton et Charles Auger
(de Loudun), Vincent de Fos (de Chatellerault), Alphonse Cosnier (de
Frontevault), François Brion (de Thouars), etc.2.
P.L. : 33
Quant aux /.../, ils se forment par la reduplication du /./, et c’est donc
non seulement parce que la phrase est dépourvue de modalité, mais aussi
pour des raisons de lisibilité, que celui-ci est absorbé par ceux-là :
(12)
- Laisse-moi parler je t’...
- Tu as le mur...tu ent...
Jean-Jacques Schuhl (2000), Ingrid Caven. Paris : Seuil, p. 199
(13)
Qu’il aille se faire f...

31
VéRONIQuE DAHLET

• ou bien un signe est résorbé par un autre, morphologiquement dif-


férent, et en général de portée supérieure. La condition étant la
contiguïté du point d’occurrence sur la chaîne écrite. C’est le cas
des segments détachés à l’avant (14) ou à l’arrière (15), de sorte que
le signe résorbé peut se trouver aussi bien sur la borne de gauche que
sur celle de droite.
(14)
Il me frôla dans la pénombre verte et humide, s’excusa et ne fit rien pour
éviter de me reconnaître ; ni défiant, ni gêné, il avait plutôt l’air content
de me retrouver.
CH. EN. : 53
(15)
On qualifie souvent ce discours d’indécent, dans les procès-verbaux.
P.L. : 71

Portée des signes d’énonciation


Deux parmi les trois hiérarchiseurs discursifs ont une morphologie
double qui d’emblée montre leur portée : les / ( ) / et le / - - / bornent à
gauche par la parenthèse et le tiret ouvrants et à droite par la parenthèse et
le tiret fermants.
Plus délicat est le /:/, dont la portée varie suivant la construction de la
phrase dans laquelle il est inséré.
Prenons le cas le plus simple correspondant à une structure de type :
[ . : . ].
(16)
Voilà ce qui est l’important : ce terrain nouveau, diabolique, découpé sur
la surface du pays et qu’on ne peut ramener à ses antécédents.
P.L. : 71
Si, comme on le verra20, le /:/ a une fonction de topicalisation (répar-
tition en thème/rhème), alors le cas est relativement simple : sa portée
s’étend, de part et d’autre de son site, jusqu’aux /./ qui se trouvent, l’un en
amont, l’autre en aval. De fait, il s’agit du seul signe de l’ensemble du
répertoire à fonctionner d’emblée à la fois rétroactivement et projective-
ment.
un cas intermédiaire correspondrait à une structure de type : [ . ; : .],
où la portée du /:/ s’étend alors du /;/ au /./.
(17)
Il serait indispensable de fouiller non seulement les recueils de cou-
tumes ou les statuts des villes, mais aussi l’énorme masse des actes
notariés, dans le Midi surtout, des cartulaires, des documents judi-
ciaires, ou encore les enquêtes ordonnées par Saint Louis ; on y relève,
pris dans la vie quotidienne, mille petits détails [...] qui nous montrent

32 20 Voir infra, p. 91.


PONCTuATION ET éNONCIATION

hommes et femmes à travers les menus faits de l’existence : ici la plainte


d’une coiffeuse, là d’une saunière [...].
P.F.M.A. : 95.
Mais en réalité, et dès au niveau de ce cas intermédiaire, il devient
indispensable de vérifier la portée du /:/ au cas par cas. Ainsi, par exemple,
de cette structure : [ . ; : .] où l’anaphore résomptive cet enchaînement
mais surtout le parallélisme des segments Prolifération; majoration indi-
quent clairement la portée du /:/ qui va de /./ à /./.
(18)
Prolifération des sexualités par l’extension du pouvoir ; majoration du
pouvoir auquel chacune de ces sexualités régionales donne une surface
d’intervention : cet enchaînement, depuis le xIxe siècle surtout, est
assuré et relayé par les innombrables profits économiques [...]
M. Foucault (1976), La volonté de savoir . Paris : Seuil, p. 66
Enfin, le cas plus complexe concerne sans doute la suite relayée du /:/
de type : [ . : : .] . Ici, la portée respective des deux occurrences se che-
vauche partiellement, dans le segment qui va du /:/ au /:/, et où le rhème 1
devient le thème 2 :
[. : : .]
th1 rh1
← →
← →
th2 rh2
Ainsi,
(19)
[th 1] Ce qui s’est passé depuis le xVIIe siècle peut se déchiffrer ainsi :
[rh 1] le dispositif de sexualité, qui s’était développé d’abord dans les
marges des institutions familiales (dans la direction de conscience, dans
la pédagogie), va se recentrer peu à peu sur la famille [← th 2] : [rh 2]
ce qu’il pouvait comporter d’étranger, d’irréductible, de périlleux peut-
être pour le dispositif d’alliance [...] est repris en compte par la famille
– une famille réorganisée, resserrée sans doute, intensifiée à coup sûr
[...].
M. Foucault (1976), La volonté de savoir. Paris : Seuil, p. 145
mais ce n’est déjà plus le cas dans (20), où la portée des /:/ se limite aux
propositions secondaires (répondant = qui répond, avec des variantes =
qui possède des variantes) :
(20)
L’exemple le plus clair est celui des abbayes, dans lesquelles l’agence-
ment des bâtiments est partout le même, [>répondant aux nécessités de
la vie en commun : chapelle, dortoir, réfectoire, cloître et capitulaire<],
[>avec des variantes qui correspondent aux modes de vie de divers
ordres : maisonnettes des Chartreux, granges et « usines » cisterciennes,
etc. <].
P.F.M.A. : 31
Inutile, donc, de multiplier les exemples. Mais il convient de retenir
que le /:/ , parce qu’il est hiérarchiseur discursif à morphologie non double 33
VéRONIQuE DAHLET

(sans signe ouvrant et fermant), est en ceci unique que sa portée ne peut
être fixée à l’avance. Rappelons que son champ d’action est à la fois rétro-
actif et projectif. En fait, le /:/ peut se limiter à rhématiser un mot seule-
ment :
(21)
Nous schématisons, certes, mais pas plus que ceux qui utilisent le mot
de : renaissance.
P.F.M.A. : 16
Les marqueurs expressifs, en tant que signes liés (ils ont besoin du
support alphabétique pour se manifester), ont leur portée coextensive au
segment caractérisé par la coalescence graphématique. Seule exception, le
tiret / - /. Sa portée est régulière, elle va de son site au /./ .
(22)
[...] la diablerie vire d’une “guerre” contre les sorciers à un spectacle qui
tient à la fois du cirque et de la mission populaire – même si la “fête”
continue à exiger une mise à mort.
P.L. : 11
Le site des marqueurs interactifs ( /?/ /!/ /.../ ) coïncide avec celui du
/./, et leur portée est donc égale à celle qui va du /./ au /./, ou de l’un à
l’autre de ces signes.
Toutefois, lorsque le /?/ et le /!/ portent sur l’ensemble de la phrase, la
délimitation de la portée n’est pas toujours aisée. En effet, les énoncés
complets interrogatifs ou exclamés posent la question de l’ouverture –
voire de la fermeture – du segment : « A la différence de l’espagnol, une
interrogation ou une exclamation dans une phrase longue et complexe en
français peut s’interpréter comme s’ouvrant à différents moments » (Beau-
matin, 1995 : 239).
En revanche, l’amplitude est nettement bornée lorsqu’un mot ou un
segment est interrogatif ou exclamé à l’intérieur d’une phrase :
(23)
Comment être ailleurs ? et où ? Et pourtant, c’était vraiment une vie nou-
velle qui allait m’être donnée.
Math. : 33
(24)
ivresse du hittite; merveilles des distinctions subtiles en tokkarien A et
tokkarien B ! ; ruines de langues [...].
Math. : 50
Si les trois signes interactifs ont la même capacité à s’insérer à un
niveau intra-phrastique, seuls les /?/ et /!/ peuvent figurer entre paren-
thèses (la combinaison / (...) / change l’opération : elle renvoie sauf cas
particulier à une citation tronquée). La portée reste dans ce cas nettement
délimitée :
(25)
Il s’appelait Paul (?) Belgodère.
34 Math. : 34
PONCTuATION ET éNONCIATION

Les /.../ peuvent apparaître en début d’énoncé. En littérature, il est


possible de voir les points de suspension en début absolu de roman, en
début de chapitre ou de paragraphe. La fonction est alors de modifier l’ab-
solu de ce début en début in media res, puisqu’il faut inférer, à partir du
signe de ponctuation, un contexte antérieur21.
Enfin, parmi les marqueurs de discours cité, seul le / - de dialogue /
mérite d’être discuté, les autres étant doubles. Sa portée s’étend jusqu’à
son homologue, ou jusqu’au guillemet fermant – la portée délimitée par les
guillemets est supérieure à celle délimitée par le / - de dialogue /–, ou
encore, jusqu’à l’alinéa qui marque le retour du discours citant. Soit, res-
pectivement :
(26)
« [...].
— Je savais trop de choses...beaucoup trop de choses...
— C’est-à-dire?
— Bétjé-a té ba Karméliz otjipé di na kôk-djenn ki té fiyanzan… (Le
Blanc avait confié à Carmélise un coq de combat mal en point pour
qu’elle le soigne) [...]. Quand la bête a été sur le point de mourir,
Romule l’a confiée à son compère Télesphore, un crieur. »
M.S.G. : 195
(27)
— Prodigieux, monsieur, prodigieux ! J’ai cru que je devenais fou !
C’est une impression du même ordre que ressentiront quelques ins-
tants plus tard tous ceux [...] qui sont au courant de la substitution, et la
même encore celle que certains spectateurs auxquels on apprend que ce
n’est pas le célèbre ténor [...].
CH. EN. : 19

RéSORPTION
On voit donc se dégager ici une constante : de par sa nature même,
aucun signe énonciatif n’a le pouvoir de résorber un de ses homologues
fonctionnels. Par voie de conséquence, les signes énonciatifs présentent un
éventail important de combinatoires possibles.

Combinatoire
On retiendra ici les deux phénomènes les plus remarquables : la conti-
guïté immédiate ou relayée, et la reduplication du signe.
• Contiguïté immédiate ou relayée
Les signes ouvrants et fermants (guillemets, parenthèses) ont la par-
ticularité de pouvoir s’auto-insérer, en suite immédiate ou relayée, créant
ainsi une structure en gigogne. En principe, le tiret double pourrait égale-

21 Le procédé est poussé jusqu’à ses dernières limites dans le roman de Clarice Lispec-
tor, Uma aprendizagem ou O livro dos Prazeres, qui commence par une virgule :
, estando tão ocupada, viera das compras de casa [...]. 35
VéRONIQuE DAHLET

ment être auto-insérant, mais l’usage répugne à cette pratique pour des rai-
sons de lisibilité. La structure en gigogne est alors la suivante :
[« —— « —— » »] et [(—— (——) )]

En typographie soignée, pour des raisons de lisibilité, la suite de


guillemets relayés ou contigus introduit, lorsqu’il y a citation de
« deuxième et troisième rang » (citations-gigognes), une hiérarchisation
qui passe successivement par les guillemets français / « » /, les guillemets
anglais /‘‘ ’’/ et finalement par les guillemets allemands /‘ ’/ (Colignon,
s/d : 113).
Les parenthèses sont également auto-insérantes, au risque d’un cer-
tain degré d’illisibilité :
(28)
Il y a quelques années (au milieu des années quatre-vingts) nous avions,
mon ami Pierre Lusson et moi-même, au département de mathématiques
de l’université Paris-x (Nanterre), une très jolie jeune collègue, une
ATER (assistante transitoire d’enseignement et de recherche, si je ne
m’abuse (mais je m’abuse peut-être : déjà ces noms, ces sigles, ces
images d’un passé pourtant encore si récent se couvrent de buée
(d’ailleurs toutes les images, tous les souvenirs, dès qu’on souffle des-
sus pour les réchauffer, se couvrent de telles buées, s’affaiblissent, péné-
trés partout d’imprécision))).
Math. : 12
• Reduplication
La reduplication concerne notoirement le /?/ et le /!/, contrairement
aux /.../ qui ne peuvent se dupliquer pour des raisons de morphologie (illi-
sibilité).
(29)
Les mouettes indifférentes (?) déchiraient (? ?) la Seine.
Math. : 186
(30)
les heureux élus doivent avoir eu moins de quarante ans au moment de
la découverte qui leur a valu la distinction, ce qui montre (? ? ?) que la
mathématique est éternellement et résolument jeune.
Math. : 89
Mais lorsque la reduplication se fait par des signes d’énonciation dif-
férents, alors, les /.../ peuvent entrer dans la combinaison :
(31)
Fallait-il rayer de Malmaison et son soigneur de la liste des suspects?...
M.S.G. : 171
(32)
Citons, entre tant d’autres, cet historien soviétique qui voit en Pierre
Abélard « un champion de l’indépendance des villes », face à un saint
Bernard qui serait un « défenseur de la féodalité »...!
P.F.M.A. : 70, note 1.
36
PONCTuATION ET éNONCIATION

(33)
Mais ne se trouve-t-on pas beaucoup plus à l’aise pour formuler sem-
blables jugements lorsqu’on bénéficie du recul du temps?...
P.F.M.A. : 150

Signes séquentiels et énonciatifs : combinatoires et résorptions


Le plan énonciatif mis en oeuvre par les signes afférents fonctionne
de façon relativement indépendante au bornage opéré par la ponctuation
séquentielle, de sorte que la portée des signes des plans respectifs n’inter-
fère guère. Excepté pour la ponctuation de citation, comme on va le voir.
Le segment délimité par les / ( ) / et le / - - / peut comporter des signes
séquentiels, qui sont alors soumis à la syntagmatique intégrée au segment
en question, sans interférence avec la syntagmatique intégrante.
(34)
Ayant partagé téléphoniquement mon émotion avec tous ceux que
j’avais réussi à joindre (et certains s’empressèrent de transmettre à leur
tour la nouvelle. Paul Braffort, ainsi, appela Michèle Ignazi à la librai-
rie (elle fut sensible, peut-être moins à la nouvelle elle-même qu’à l’en-
thousiasme juvénil dont Paul (de l’Oulipo) fit preuve (me dit-elle) à
cette occasion. [...] ).)
Math. : 214
En revanche, le signe ouvrant ne peut être précédé d’une /,/ qui se
place alors à droite du signe fermant. Cette combinatoire s’insère logique-
ment dans le réglage des portées, car il s’agit en effet d’indiquer par là que
les segments bornés par les / ( ) / ou le /- -/ sont rapportés au segment anté-
cédent, qui les surordonne :
(35)
D’abord le petit clergé : le chanoine Jean Mignon, nouvel aumônier du
couvent; Antonin de la Charité (prieur de Loudun), [...]. Arrivent ensuite
François de Grillau, gardien des cordeliers; Mathurin Rousseau, cha-
noine de Sainte-Croix – un notable juge déjà que l’affaire vaut le dépla-
cement – , etc.
P.L. : 25
En réalité, c’est dans la combinatoire du discours cité et du discours
citant que l’on trouve le plus de contraintes (d’ordre orthotypographique,
dirait Colignon) :
• la fin de la phrase citante coïncide avec celle de la phrase citée : le
/./ figure alors dans le discours cité.
(36)
Comme l’a écrit Malraux : « On préjugeait que le sculpteur gothique
avait désiré sculpter une statue classique et que s’il n’y était pas par-
venu, c’est qu’il n’avait pas su. »
P.F.M.A. : 22
• Lorsque le discours citant est postposé au discours cité, deux cas de
figure se présentent : la virgule séparatrice se maintient si le discours 37
VéRONIQuE DAHLET

cité est assertif, et disparaît si le discours cité se termine par le /?/, le /!/ ou
les /.../ :
(37)
— Je vois...dit-il en jetant sur la chambre un regard circulaire. [...]
— Vous êtes taquin, dis-je avec reproche.
CH.ENF. : 41
(38)
Pourquoi Carmélise a-t-elle fait ça ? demanda-t-il.
M.S.G. : 194
• Quand la narration reprend après un « dialogue à la suite », c’est-à-
dire encadré par un guillemet ouvrant et un guillemet fermant et où
« les répliques ne sont pas rejetées en alinéa à chaque changement
d’interlocuteur, mais citées à la suite » (Colignon, s/d : 111), alors, la
ponctuation finale à l’intérieur de la citation est maintenue et celle
du discours citant est exclue :
(39)
[...] une voix grave (je la reconnus sur-le-champ) nous informa que
monsieur Molieri n’était pas visible de matin. « Pas visible ? » Anna
éclata de rire : « Dites-lui donc qui vient le voir ! » Il y eut un court
silence. « Mille regrets, madame, reprit la voix avec fermeté. M. Molieri
travaille et il fait interdire sa porte. » Anna se retourna vers moi,
blanche, tremblante : « Quels effrontés ! » dit-elle en haussant les
épaules.
CH. ENF. : 39

38
PONCTuATION ET éNONCIATION

Deuxième partie

La Ponctuation DE Mot
FonctionS Et oPÉRationS

39
PONCTuATION ET éNONCIATION

Chapitre 2
Essai de description raisonnée

A l’écrit, le mot s’appréhende d’abord en tant qu’unité graphique de


sorte qu’il peut être défini comme « le segment de discours compris entre
deux espaces blancs » (Arrivé, 1993 : 29).
La ponctuation de mot regroupe alors l’ensemble des signes qui affec-
tent une unité graphique. Mais les sites d’occurrence varient, d’où la per-
tinence à distinguer deux niveaux de ponctuation de mot : le niveau
intra-mot – à son début, en son milieu ou à sa fin – et le niveau inter-mots,
où la ponctuation tantôt produit une nouvelle unité sémantique, tantôt
détermine les relations fonctionnelles.

Ponctuation intra-mot

tableau iii : corpus et sites d’occurrence

position initiale position médiane position finale

majuscule (1)
(1.1.) Alphonse
(1.2.) Hier, il pleuvait
(1.3.) l’Eglise
(1.4.) l’Amitié

parenthèses (2.1.) parenthèses (2.2.) parenthèses (2.3.)


(in)fidèle expi(r)ation ami(e)(s)

trait d’union (3)


(3.1.) défini-tivement
(3.2.) é-meut
(3.3.) dé-fi-ni-ti-ve-ment
points de suspension (4)
la p...respectueuse

apostrophe (5.1.) apostrophe (5.2.) apostrophe (5.3.)


‘ taine cap’taine Vel d’hiv’

point abréviatif (6)


(6.1.) xxe s.
(6.2.) B.M., âgé de 8 ans 41
VéRONIQuE DAHLET

Position initiale : la majuscule


La majuscule est ponctuation parce qu’elle est marquée par rapport à
la minuscule (bas-de-casse). Or, c’est en l’analysant dans la perspective de
sa conversion potentielle que s’établissent ses fonctions (voir schéma ci-
dessus).
(1.1.) La / M. / de nom propre se maintient quel que soit son site d’oc-
currence dans la chaîne graphique.
(1.2.) La / M. / de nom commun en début de phrase se convertit en
minuscule s’il change de position dans la chaîne.
(1.3.) Cette majuscule se maintient quelle que soit sa position dans la
chaîne. La conversion en minuscule change le sens du mot. une série de
mots entre dans cette répartition majuscule vs. minuscule: Eglise vs. église
- Etat vs. état - Compagnie vs. compagnie. C’est également le cas de cer-
tains noms propres d’individus : Pierre vs. pierre – Véronique vs. véro-
nique – Rose vs. rose.
(1.4.) La majuscule donnée à un nom commun n’en change pas radi-
calement le sens (contrairement à 1.3.), mais le modifie néanmoins en le
faisant accéder à une certaine idéalité, en le dégageant des contingences
spatio-temporelles22.
Contrairement à (1.1.), les autres cas forment une paire contrastée
avec la minuscule; en d’autres termes, la majuscule apparaît sur fond de
variation : changement de place dans la chaîne graphique pour (1.2.),
changement ou déplacement de sens pour (1.3.) et (1.4.).
Or, précisément, on remarque le statut singulier de (1.2.) par rapport
à (1.3.) et (1.4.). Ce n’est pas un hasard si on appelle ce signe de mot
majuscule de phrase. Le paradoxe provient de ce que cette majuscule
affecte un mot alors que sa fonction, qui est de segmentation, est de por-
tée phrastique. En réalité, elle fonctionne ici solidairement au point qui
précède en se chargeant de confirmer la segmentation de la chaîne dans
laquelle, deuxième paradoxe, elle ne figure pas : [ . M ]. Cette majuscule
est donc singulière du point de vue de sa fonction (segmentation), de son
amplitude (phrastique) et de son effet (rétroactif). Notons cependant les
deux cas où cette /M./ assume seule la fonction de segmentation : en début
absolu de texte ou de paragraphe (le /./ étant en réalité absorbé par le
blanc), et en contexte de dialogue à la suite (cf. supra).

Position initiale, médiane ou finale : la parenthèse


Intégrer la parenthèse à la ponctuation de mot peut surprendre, ou
même susciter des controverses. Cependant, l’usage croissant de ce signe

22 Curieusement, l’accès du mot à son sens générique se retrouve à l’oral à l’aide du


42 même procédé: /amitje avEk a maZyskyl/.
PONCTuATION ET éNONCIATION

dans les énoncés les plus divers le fait entrer de plein droit dans ce
registre23. Sa mobilité en fait un signe singulier : début, milieu ou fin de
mot, mais quel que soit son site d’occurrence, sa fonction consiste, à par-
tir du mot qui lui fournit la base, à mettre en co-présence deux mots, deux
sens, de sorte qu’on peut avancer que la parenthèse de mot se fonde sur
l’opération et/ou. En revanche, selon le site d’occurrence, cette opération
coordinative ou alternative porte à chaque fois sur un autre objet :
(2.1.) position initiale : (préfixe antonyme) + mot base = le mot et son
contraire : (in)fidèle
(2.2.) position médiane : mot gigogne = deux sens : expi(r)ation
(2.3.) position finale : mot base + (genre) et/ou (nombre) = deux sens,
deux à trois découpages du référé : ami(e) – ami(s) – ami(e)(s)24.

Position médiane : le trait d’union, simple ou multiple


Trait d’union simple
(3.1.) Le trait d’union de coupure de mot en fin de ligne illustre à mer-
veille la diversité des contingences qui déterminent certains signes. En
effet, dans un souci de lisibilité, il s’est agi de mettre au point une conven-
tion qui résoudrait la difficulté, purement aléatoire puisqu’elle relève de la
limite linéaire du support de l’écrit, qui surgit à chaque fois que la fin de
la ligne ne coïncide pas avec la fin d’un mot.
Si la fin de ligne est aléatoire, le point d’occurrence du trait d’union
ne l’est pas. L’orthographe exige que le mot soit coupé à la frontière inter-
syllabique, et le trait de fin de ligne a alors pour fonction de relier les deux
parties du mot coupé.
Aujourd’hui, le trait d’union de fin de ligne se limite à l’écriture à la
main et à la machine à écrire, car dans l’imprimé, cette difficulté est dépas-
sée grâce à la variation des espaces inter-mots25.
(3.2.) Cependant, le trait d’union peut apparaître à l’intérieur d’un
mot, bien que celui-ci ne se trouve pas en fin de ligne. Tantôt, il s’agit pour

23 La ponctuation évolue, comme la langue et l’orthographe. Des ponctuations tendent


à se raréfier (cas du point-virgule), d’autres ont disparu (cas du guillemettage en
continu, au début de chaque ligne du discours cité), d’autres ont leur morphologie
mise en concurrence (les guillemets dits français [« »] reculent devant les guillemets
dits anglais [“ ”]) ; enfin, des ponctuations se développent : c’était le cas du tiret
double, c’est le cas de la parenthèse de mot.
24 Il n’est pas inintéressant de noter la façon dont ces opérations se présenteraient à
l’oral. Dans le cas de (in)fidèle (2.1.), la verbalisation des deux occurrences est néces-
saire : fidèle/infidèle. De même, sans doute, pour (2.2.). Quant à (2.3.), la réalisation
orale se produit moyennant l’épellation.
25 L’imprimé personnel également, à l’aide de la Publication assistée par ordinateur
(PAO). 43
VéRONIQuE DAHLET

le scripteur de restituer la force étymologique du mot, tantôt, il s’agit de


fournir simultanément deux sens au mot divisé :
(40)
On peut comprendre, par ornement, cet aspect nécessaire de l’oeuvre
utile, qui é-meut – ce qui au sens étymologique signifie : mettre en mou-
vement.
P.F.M.A. : 33
(41)
re-présentation
P.F.M.A. : 34
Dans tous les cas, le trait d’union interne au mot donne à voir et à lire
la tension constitutive du sens, sans l’unité de sa réalisation.

Trait d’union multiple


On dira de l’usage du trait d’union multiple ce qu’on a dit de la paren-
thèse de mot. Cependant, il se limite à certains types de texte : littéraire,
publicitaire, écrits personnels, c’est-à-dire à des textes qui peuvent échap-
per aux conformations stylistiques réglées.
Le trait d’union multiple est un recours graphique chargé de rendre
compte, par convention, d’un mode de diction, auquel peuvent se rattacher
des valeurs diverses selon le contexte (emphase de l’autorité, emphase de
conviction)26.
Comme le trait d’union simple, il apparaît le plus souvent à la fron-
tière inter-syllabique, lorsqu’il s’agit de représenter le débit (dé-fi-ni-ti-ve-
ment); mais il peut également découper une syllabe, ce qui permet la
duplication d’une lettre (consonne ou voyelle), caractérisant par conven-
tion un mode d’élocution :
(42)
Soutiens-gor-r-rge pour tétés-quénettes à dix fr-r-rancs! Entr-r-rez Entr-r-rez!
M.S.G. : 125

Position finale : points de suspension et point abréviatif


Ces deux signes, similaires, ont pour fonction de valider la troncation
du mot : l’élément tronqué est rendu in absentia. Mais, tandis que le point
abréviatif relève d’une routine d’écriture, les points suspensifs rendent
compte d’une censure, feinte (en contexte littéraire, par exemple) ou
légale : dans bien des cas, prohibition de diffuser dans les journaux le nom
d’un mineur.

26 Dans la mesure où le trait d’union multiple est un signe chargé de représenter une
qualité vocale, il est légitime de se demander si l’assimilation de la lettre en tracé
tremblé et en gras surdimensionné, chargée de représenter d’autres qualités vocales
(effroi, fureur et force de la voix respectivement) dans les B.D. et certaines publicités
44 notamment, ne serait pas pertinente. Peut-être n’est-ce qu’une question de temps.
PONCTuATION ET éNONCIATION

Position initiale, médiane et finale : l’apostrophe


L’apostrophe intra-mot ne partage guère les fonctions de son sem-
blable en position inter-mot. En effet, l’amuïssement qu’elle représente en
(5) relie directement à une image de la prononciation qu’on prête au mot.
L’autre différence réside dans le fait que cette apostrophe peut non seule-
ment substituer une voyelle (5.2.), mais aussi toute une syllabe (5.1.) et
(5.3.).

Ponctuation inter-mots
On a vu que la ponctuation de mot touche aussi les modes relationnels
selon lesquels deux mots ou plus sont reliés.

tableau iV : Ponctuation inter-mots. corpus

trait d’union apostrophe

Trait d’union
Trait d’union simple. Base : deux mots
• unité lexicale
Le trait d’union a pour fonction de former une unité lexicale à partir
de mots qui, pris isolément, ne seraient pas acceptables en langue (bric-à-
brac, tohu-bohu), ou qui peuvent apparaître de façon autonome en d’autres
contextes (essuie-main; remonte-charge). Cette nouvelle unité morpho-
lexicale est ce que Martinet appelle un « synthème, c’est-à-dire le com-
plexe formé par les monèmes constitutifs du composé » (1970 : 134).
Ainsi, « une chaise-longue d’une taille inacoutumée n’est pas une chaise-
plus-longue, mais une chaise-longue plus longue que les autres » (133).
La nature grammaticale de ses constituants est variable : substantif-
substantif; verbe-substantif (porte-feuille); adverbe-substantif (mi-phar-
macien, mi-abbé). Le trait d’union est encore requis dans l’écriture des
chiffres (vingt-deux – quarante-cinq – soixante-quinzième), les structures
à élément adverbial (celui-ci – ci-dessus – de-ci, de-là – cet homme-là), ou
la structure fondée sur même (moi-même – eux-mêmes).
• unité morpho-syntaxique
Le trait d’union est de rigueur dans les structures où le sujet est post-
posé au verbe (est-ce possible? – dit-elle) et dans les formes comprenant
le verbe à l’impératif suivi d’un pronom complément (dites-moi – parlez-
en lui)27.

27 J’emprunte plusieurs des exemples à Grévisse (1986). On peut s’y reporter pour
l’énoncé exhaustif des structures appelant le trait d’union simple. 45
VéRONIQuE DAHLET

Trait d’union double. Base : deux mots


Cette composition se produit quand s’insère la lettre -t-, dite eupho-
nique, entre les formes verbales et le pronom sujet à la troisième personne
du singulier. Cette consonne de transition apparaît donc pour éviter l’hia-
tus :
*Louise se porte elle bien ? > Louise se porte-t-elle bien?
* Louise viendra elle ? > Louise viendra-t-elle?
Le -t- euphonique constitue un cas unique dans la langue française en
ce qu’ il ne possède ni fonction syntaxique ni fonction sémantique28.

Trait d’union double. Base : trois mots


On distingue deux cas. Le premier cas concerne la construction de
syntagmes comprenant un verbe à l’impératif suivi d’un complément
direct et indirect :
Dites-le-moi Tiens-le-toi pour dit Fais-le-moi lire
Plus rares sont les occurrences lexicalisées, telles que :
face-à-face c’est-à-dire va-et-vient
Dans le deuxième cas, la fonction du trait d’union consiste à créer une
nouvelle unité lexicale, quelle que soit par ailleurs la nature grammaticale
de ses constituants :
Le va-et-vient un je-ne-sais quoi
Cet homme est un m’as-tu-vu Monsieur je-sais-tout.
Ces syntagmes, stabilisés dans les usages, sont certes en nombre res-
treint. En revanche, tout scripteur peut recourir au trait d’union multiple
pour créer une nouvelle unité lexicale. Je peux ainsi caractériser quelqu’un
par un trait saillant : Tiens! Voilà monsieur tout-est-cher.
Enfin, le trait d’union court-circuite la coordination de syntagmes de
même nature. Ce faisant, il établit une implication mutuelle entre les syn-
tagmes ainsi unis :
(43)
Car il [le patron du bistrot] comprit très vite qu’il valait mieux renoncer
à servir un peu de « blancs secs » pas très bons-pas très chers, pour
vendre beaucoup de limonade [...].
Math : 99

Apostrophe
L’apostrophe marque l’élision de la voyelle d’un mot grammatical qui
précède un mot ayant à l’initiale une voyelle ou un -h- muet. Ainsi, comme
pour le -t- euphonique, il faut bien admettre qu’une partie de la ponctua-

46 28 un autre cas malgré tout : jusque prend un –s dans l’expression jusques et y compris.
PONCTuATION ET éNONCIATION

tion inter-mot trouve sa fonction dans la correspondance grapho-pho-


nique29. Ainsi, c’est encore l’euphonie qui explique le fait que l’élision ne
se produise pas dans tous les cas. En effet, il n’y a pas élision dans les syn-
tagmes où intervient le -e- muet :
une_ autre_ épreuve – elle_ arrive_ à temps – même_ alors?30

La voyelle élidée concerne toujours un mot grammatical (Riegel, Pel-


lat et Rioul,1997 : 56-57) :
-a et -e de la, le (article défini ou pronom personnel proclitique);
-e de de (préposition ou déterminant indéfini);
-e de que (conjonctif ou relatif);
-e de ne (adverbe négatif);
-i de si (devant il seulement).
l’autre jour – le livre qu’il m’a emprunté – s’il accepte l’offre
L’élision affecte également des unités plurisyllabiques, parmi les-
quelles la série de mots composés par que :
aujourd’hui – presqu’île – s’entr’aimer
quelque > quelqu’un – lorsque > lorsqu’un – puisque > puisqu’un
quoique > quoiqu’un31.

Enfin, pour des raisons de lisibilité, l’apostrophe ne peut se trouver en


fin de ligne32.

29 La répugnance des voyelles en hiatus est telle qu’elle rétroagit sur le morphème du
genre, ce que l’on voit par exemple dans mon amie.
30 Exemples empruntés à Grévisse, op.cit.
31 Exemples empruntés à Grévisse, op.cit.
32 Le corpus de signes inter-mots s’arrêterait donc au trait d’union et à l’apostrophe.
Mais l’écrit se dote d’autres graphèmes dont la fonction concurrence certains signes.
Ainsi, la barre oblique relie deux mots, soit dans l’alternative (ou), soit dans la coor-
dination (et) : Le leader magnétique combine l’Orient et l’Occident, défait l’opposi-
tion science/religion (S.H.B. : 166). Lorsqu’il relie deux noms propres, le sens de la
barre oblique s’approche de entre : Le commerce Métropole/Antilles n’est plus qu’un
aller et retour, les autres branches (France/Afrique et Afrique/Antilles) ayant été cou-
pées par l’abolition de la traite (H.M.1 : 337). 47
PONCTuATION ET éNONCIATION

Troisième partie

La Ponctuation DE SÉQuEncE
FonctionS Et oPÉRationS

49
PONCTuATION ET éNONCIATION

Chapitre 3
L’alinéa

Parmi les signes syntagmatiques, l’alinéa est le seul dont la portée est
de niveau textuel33.
Signe purement typographique, l’alinéa se manifeste, en début de
ligne, par un blanc de plusieurs espaces34. Signe séquentiel, il borne des
paquets de phrases.
Cependant, plusieurs questions se posent :
1 - Quelle différence y a-t-il entre l’alinéa et le paragraphe ?
2 - Qu’est-ce qui motive l’alinéa, qu’est-ce qui fait sentir la nécessité
de transformer la succession linéaire des phrases en un empaque-
tage ordonné sur l’axe vertical de la feuille, ou sur tout autre sup-
port de l’écrit ?
3 - Quels sont les champs impliqués par l’alinéa ? Celui du para-
graphe, entendu comme partie pleine délimitée entre deux alinéas
(champ intra-alinéaire), et celui de la nature du lien inter-para-
graphes (champ inter-alinéaire). C’est dire la dialectique particu-
lière de ce signe qui segmente mais aussi, par le fait même de
segmenter, interroge les contenus intra-paragraphiques ainsi que le
type de lien qui s’établit d’un paragraphe à l’autre.

alinéa et paragraphe
En concordance avec l’insertion progressive des blancs (inter-mots,
inter-lignes, inter-chapitres) dans le texte, « l’alinéa est un signe de ponc-
tuation qui a commencé à remplacer le signe du paragraphe à partir du xVe
siècle et s’est généralisé avant la fin du xVIIe siècle » (Mitterand, 1985 :
61).
Le para-graphe renvoyait, originellement, à ce qui est écrit à côté
(dans les marges) d’un texte, pour marquer « les diverses parties que l’on
voulait y distinguer » (Châtillon, 1985 : 24). Cette marque paragraphique

33 C’est du reste le double niveau de portée des signes séquentiels, textuel et phrastique,
qui m’a incitée à les qualifier ainsi. On se souvient que J. Anis (1985) les nomme
signes syntagmatiques.
34 A linea, littéralement : en s’écartant (a ablatif) de la ligne. 51
VéRONIQuE DAHLET

avait le plus souvent « la forme d’un gamma majuscule » pour indiquer


l’ouverture de section /  / , et sa forme inversée en indiquait la fin /  /35.
D’abord para-textuel, le paragraphe entre, pour ainsi dire, dans le
texte, sous la forme du pied de mouche ou du graphème /§/, et a pour fonc-
tion de segmenter les divisions de texte. Il vaut la peine de noter le can-
tonnement du signe /§/ aux textes juridiques. Cette marque distinctive
provient de ce que ce signe est passé du statut de logogramme à celui de
topogramme (au sens de J. Anis), dans la mesure où il représentait (Ara-
byan, 1994 : 45)
au départ la formule scripsi (ou subscripsi), j’ai écrit, j’ai souscrit, par
l’image de deux S entrelacés (ScripSi, SubScripsi) formant littérale-
ment, au sens premier du terme, un « paraphe » dans les actes notariaux,
dans les textes juridiques.

Ainsi, le passage d’un signe à un autre chargé de remplir la même


fonction explique l’ambiguïté du mot paragraphe, qui tantôt renvoyait au
signe de segmentation (et dans ce sens, il correspondait à l’alinéa), tantôt,
à la partie pleine de l’écrit bornée entre deux alinéas. Dans ce dernier cas,
le retour à un nouvel alinéa se trouve précédé d’un blanc d’importance alé-
taoire, lorsque la dernière ligne paragraphique n’atteint pas la justification
de la marge de droite.

Raisons de l’alinéa
Il faut chercher les raisons de l’alinéa dans la diachronie certes, mais
surtout dans ce qui fait la spécificité de l’écrit, qui se matérialise sur un
support bidimensionnel (voire, depuis peu, tridimensionnel). Contraire-
ment à la linéarité du langage parlé, l’écrit est donc doté de moyens de
baliser, regrouper/dégrouper et hiérarchiser ses contenus36. D’autre part, le
balisage se fait ici, paradoxalement, par la visibilité du blanc de l’alinéa.
C’est dans ce sens qu’Arabyan a pu dire que l’alinéa est le signe le plus
écrit qui soit.

35 Il est intéressant de remarquer que dans cette longue période où les mots n’étaient pas
séparés par une espace (scriptio continua), le souci premier a été de marquer les divi-
sions du texte, et non des phrases. Ceci s’explique par les activités majeures dont
l’écrit faisait l’objet : la copie (il s’agissait de recopier les textes – notamment la Bible
– et les marques sectionnelles réduisaient les risques d’erreur des copistes), la glose
(commentaires en marge des textes liturgiques par les Pères de l’Eglise), et enfin,
l’enseignement de la scolastique (un système commun de renvois au texte d’une
copie manuscrite à l’autre).
36 « Le blanc, sur lequel les typographes avaient refondé l’esthétique de la page, devient
52 alors ce qui, d’un coup d’oeil, éclaire la construction logique » (Demarcq, 1999 : 94).
PONCTuATION ET éNONCIATION

Reste à savoir ce qui mène à la séquentialisation. Disons, de prime


abord, que tous les paragraphes ne se valent pas. Leur dynamique relève à
la fois du contexte extra-linguistique et du contexte linguistique, mais
selon des équilibrages variables37.

Contexte extra-linguistique
Le patron paragraphique tel qu’il apparaît à la lecture n’est pas tou-
jours celui conçu par l’auteur. Prédomine alors le rôle du « Transmetteur »,
qui « couvre toute la chaîne des intermédiaires du livre, qui réalisent l’ob-
jet, l’éditent et le diffusent » (Catach, 1998 : 32). Il n’est pas rare que le
« Transmetteur » réaménage la disposition en paragraphes, en fonction du
profil présumé du lectorat et/ou de la mise en page (dans les textes média-
tiques – journaux, magazines, revues et dans les manuels de tout type
notamment).
Prenons deux exemples.
Le premier, où il s’agit d’une alinéation strictement indépendante de
l’auteur, renvoie à la multiplication impressionnante de l’alinéa au fil des
rééditions du Petit Poucet de Perrault qui, échelonnées sur 200 ans, sont
passées « de 4 à 98 paragraphes entre 1697 et 1905 » (Arabyan,1994 :14).
Le second exemple renvoie aux contes d’Alphonse Allais (Oeuvres
Anthumes et Posthumes). Si, dans ce cas, c’est l’auteur lui-même qui uti-
lise abondamment l’alinéa (bien au-delà de la fréquence moyenne, écrits
littéraires et non littéraires confondus), ce choix reste pourtant fortement
déterminé par des conditions externes : tout à la fois par l’édition pério-
dique et, dans ce cas précis, plus encore que par le lectorat visé, par le
régime de lecture – rapide – qui en découle et, enfin, par la littérature de
distraction proposée.
Je reproduis ici un large extrait d’un conte, choisi au hasard parmi
ceux qui ne contiennent pas de parties dialoguées38:
(44)
Germes
Le bouillant Achille, comme chacun sait, s’était nourri, dans sa jeu-
nesse, de la moelle des lions. Cette coutumière alimentation lui com-
muniqua un courage dont, par la suite, il donna maintes preuves.

37 En d’autres lieux, la distinction serait donnée par la paire contexte et cotexte. Mais je
préfère ne pas marquer ici cette distinction, qui me semble introduire une opposition
trop radicale, surtout pour ce qui concerne la mise en paragraphe dont on verra qu’elle
est d’abord faite pour l’oeil, et non pour des raisons intra-linguistiques. Le contexte
extra-linguistique renvoie à « l’ensemble des circonstances au milieu desquelles a lieu
une énonciation (écrite ou orale). Il faut entendre par là l’entourage physique et social
où elle prend place [...] », et que Ducrot (1995 : 764) appelle la « situation de dis-
cours ».
38 J’exclus à dessein toute partie dialoguée dont on sait que la mise en forme moderne
entraine très souvent l’alinéation, suivie du tiret de dialogue. 53
VéRONIQuE DAHLET

C’était là le premier pas d’une théorie d’adaptation qui ne deman-


dait qu’à marcher : elle marcha.
L’effarante méthode du papa Brown-Sequard n’est qu’un cas parti-
culier dans cet ordre d’idées.
Le quidam, quotidien mangeur de viande de tigre ou de panthère,
devient à bref délai le plus cruel des êtres.
Repaissez-vous fréquemment de porc suranné, et je ne vous donne
pas vingt minutes pour donner toutes les marques extérieures de la
sénile saligauderie.
un militaire qui s’adonnerait volontiers à la dégustation de coeurs
de lièvres serait vite impropre au métier des armes, mais s’il en man-
geait aussi les pattes (des lièvres, pas des armes), on pourrait l’utiliser à
la communication rapide des dépêches.
Je pourrais multiplier les exemples à l’infini; ce n’est pas que cela
serait sale, mais cela tiendrait de la place, laquelle m’est comptée, farou-
chement.
Pas de règle sans exception pourtant.
Ainsi, moi :
Si on veut me faire plaisir, dans les maisons où on m’invite, on n’a
qu’à m’offrir un joli maquereau sur le gril.
[...]
Allais (1989) « Germes », Œuvres Anthumes, Paris, Robert Lafont, Bou-
quins, p. 203.
L’espace défini par les différents journaux pour lesquels Allais écri-
vait, mais aussi le temps qui lui était imparti pour boucler ses contes, sont
des paramètres qui interviennent directement dans l’alinéation de ses
Œuvres. Et Allais savait en jouer de toutes les manières : « Je pourrais mul-
tiplier les exemples à l’infini; ce n’est pas que cela serait sale, mais cela
tiendrait de la place, laquelle m’est comptée, farouchement ».
En outre, la périodicité des contes conforme d’elle-même le régime de
lecture, qui doit être rapide et de facile assimilation. Le formatage en brefs
paragraphes résulte du régime de lecture attendu. La comparaison entre
alinéation de contes publiés en recueils et alinéation de contes publiés dans
un périodique serait à cet égard éclairante.
Enfin, Allais proposant des contes d’humeur et d’humour, ce serait
aller à contre-courant que de demander à son lectorat tout effort qui serait
évitable. Le soin qu’il porte à faciliter la lecture va jusqu’à démembrer des
parties pourtant solidaires, telles que l’introduction d’un exemple (cf. ci-
dessus : Ainsi, moi : [+ alinéa] Si on veut me faire plaisir...) ou la conces-
sion :
(45)
Vous me direz que ce n’est pas très bien d’être l’amant de la femme
de son ami. Oh ! Certes !
Mais comme c’est plus commode que d’être l’amant de la femme
d’un inconnu ! Et comme ça évite des dérangements !
54 Id. (1989) « Qui perd gagne », Ibid., p. 409.
PONCTuATION ET éNONCIATION

En dernière instance, l’alinéation, chez Alphonse Allais, ressemble


fort à celle de la presse, telle qu’on la rencontre encore aujourd’hui. Il y a
une ergotypographie de l’écrit fortement marquée par le produit commer-
cial, technique et social que représente le journal, mais aussi bien tout
texte mis en circulation.
Cette brève analyse a donc voulu rappeler que la mise en forme ali-
néaire d’un texte ne relève pas toujours d’une détermination qui lui serait
interne et que le contexte externe peut l’infléchir également, voire totale-
ment. Dans ces conditions, il est légitime de se demander dans quelle
mesure on peut « se fier aux paragraphes tels qu’on les trouve imprimés
pour remonter vers des significations linguistiques » (Arabyan, 1994 : 14),
pour ce qui concerne les éditions réalisées à partir d’éditions antérieures
(où les responsables d’édition assez souvent ‘modernisent’ le texte à tra-
vers la ponctuation notamment, y compris l’alinéation), mais surtout pour
ce qui concerne les textes de presse, les textes didactiques et, de façon
générale, l’ensemble des textes à diffusion massive.

Contexte linguistique
Faut-il pour autant renoncer à voir dans l’alinéation une raison
interne ? Les paragraphes d’éditeur et de presse ne maintiennent pas moins
une cohérence textuelle, même si celle-ci n’est pas originale. On peut donc
présumer que la séquentialisation paragraphique, originale ou non, se
fonde sur des scénarios à récurrence suffisante pour permettre à un scrip-
teur/lecteur moyen de produire/reconnaître une cohérence. De sorte que ce
qui différencie les paragraphes d’éditeur et de presse des autres para-
graphes (qu’on supposera donc originaux), c’est la régie dominante sous
laquelle se placera cette cohérence.
On s’attachera maintenant à traiter la question du contexte linguis-
tique dans la mise en paragraphes originale. L’alinéation, dans tous types
de textes confondus, ne correspond à aucun modèle préétabli, elle renvoie
à des unités d’ampleur et de contenu extrêment variées. A partir de ce
constat, deux chemins sont possibles : ou bien on analyse le contexte
comme irréductiblement singulier (du point de vue de l’alinéation, s’en-
tend) mais la méthode est impraticable et inutile, ou bien on cherche à
repérer dans le contexte des procédures d’alinéation récurrentes capables
de rendre compte de tendances, ce qui revient à constituer des types
idéaux, tels que F. François les situe à propos du récit et de ses normes
(1988 : 223) :
[...] on n’est ni au niveau de la généralisation empirique ni à celui de la
déduction mais plutôt à celui de la constitution de types idéaux. On
construit un schéma du récit dramatique ou de l’histoire drôle, pour pou-
voir unifier la diversité empirique rencontrée. Mais on ne peut considé-
rer ce type idéal comme une loi qui s’imposerait nécessairement à la
réalité. Surtout, peut-être, rien n’oblige à penser que les ressemblances
des différentes réalités empiriques entre elles sont plus importantes que
leurs différences (je souligne). 55
VéRONIQuE DAHLET

Le type idéal, qui ne fait pas loi, vaut tout aussi bien pour le récit que
pour l’alinéation. Cette précaution étant prise, on peut maintenant analy-
ser l’alinéation dans son contexte. Le contexte renvoie à la fois :
- aux modes d’établissement d’une série de paragraphes – quelles
opérations déterminent les démarcations alinéaires successives ?
quelle(s) cohérences(s) inter-paragraphique(s)? – ;
- et au paragraphe en tant qu’unité – constitution d’une cohésion
interne, susceptible de fournir au paragraphe une relative autono-
mie –.

La démarcation

En se demandant « de quel changement de régime du texte l’alinéa


peut-il être le signe », Mitterand établit une typologie paragraphique fon-
dée sur les « contraintes spécifiques du découpage en paragraphes ». Ce
faisant, il distingue (1985 : 88-90) :
- des paragraphes thématiques : de quoi parle-t-on? L’alinéa coïnci-
dera alors avec l’abandon du thème, par changement de thème ou
passage à une autre unité de contenu.
- des paragraphes prédicatifs : que dit-on du thème qui a été posé
dans un paragraphe antérieur?
- des paragraphes génériques : l’alinéa coïncide alors avec un chan-
gement de type d’énoncé (passage du narratif au descriptif, du por-
trait à l’action, du récit au dialogue, de la description ou du récit au
commentaire, etc.)
- des paragraphes sémio-narratifs : chacun est consacré à une phase
de l’action, aux conduites successives d’un actant, etc.
- des paragraphes sémio-argumentatifs : l’alinéa marque le passage
d’une section du discours à une autre (exemple : de l’exorde à la
« narration » des faits), d’un argument à un autre, d’un « lieu com-
mun » à un autre, etc.
- des paragraphes énonciatifs : le changement de paragraphe corres-
pond à un changement d’acte de parole, de posture énonciative (de
l’acte constatif à l’acte véridictif, ou à l’acte promissif, et ainsi de
suite).
- des paragraphes marquent le changement d’interlocuteur, dans le
dialogue.
Quelques observations relatives à cette typologie permettront, je
crois, de pointer les questions essentielles que soulève la mise en para-
graphe.
• Il n’est pas aussi trivial que cela pourrait le paraître de remarquer
tout d’abord que, quels que soient les types de paragraphes, ils cor-
56 respondent tous à un changement.
PONCTuATION ET éNONCIATION

• Ce changement, pour Mitterand, concerne ou bien les contenus, ou


bien les postures énonciatives, à partir de deux perspectives :
- perspective textuelle :
les paragraphes thématiques et prédicatifs s’inscrivent dans
le cadre de l’analyse de la progression thématique;
les paragraphes génériques, sémio-narratifs et sémio-argu-
mentatifs relèvent de la typologie textuelle;
les paragraphes énonciatifs se fondent sur le faire de l’énon-
ciateur à travers les actes de parole;
- perspective typographique :
les paragraphes d’interlocution représentée répondent à la
norme orthographique.
Mettant provisoirement de côté la perspective typographique qui rat-
tache davantage l’alinéa au contexte extra-linguistisque39, reste la perspec-
tive textuelle. En réalité, on peut difficilement penser l’enchaînement
paragraphique en-dehors de catégories plus larges, qui concernent la typo-
logie textuelle. En effet, la majorité des textes répondent à des formations
plus ou moins stabilisées, et c’est dans le cadre de ces structures que peu-
vent se reconnaître telle ou telle régie qui commande l’alinéation. Dans
tout texte, le lecteur perçoit un vouloir dire en fonction duquel sera inter-
prété le découpage en paragraphes, lequel s’ajustera au plus près de l’in-
tention de communication40. Ainsi chez Mitterand, les différents régimes
qui appellent l’alinéation coïncident peu ou prou avec les trois aspects de
ce que J.-M. Adam entend par « dimension pragmatique-configuration-
nelle : la composante sémantique-référentielle, la composante énonciative
et enfin, l’orientation argumentative » (1990 : 99), composantes qui sont
« communément admises ». Et de citer F. Jacques, qui « parle ‘des consti-
tuants de contenu propositionnel’ [paragraphes génériques et sémio-nar-
ratifs], des ‘instances du dispositif énonciatif’ [paragraphes énonciatifs] et
des ‘composants de la force illocutoire’ [paragraphes sémio-argumentatifs
et paragraphes énonciatifs] ».
Cependant, les paragraphes ne sont pas nécessairement homogènes du
point de vue de leur genre, ils peuvent être orientés par un régime domi-
nant. Ainsi, par exemple, une série de paragraphes génériques peut
momentanément adopter une sous-partie de régime différent. En d’autres
termes, un texte peut comporter une suite x de séquences paragraphiques,
à l’intérieur de laquelle une ou plusieurs de ces séquences reçoivent un
nouveau régime, congruent à la visée communicative actuelle, locale.

39 Au contexte historique notamment, puisque ce sont les imprimeurs, et non les auteurs,
qui ont été les artisans de la mise en forme des dialogues.
40 un vouloir dire, quand ce n’est pas une recherche d’effet de sens. On pense aux /§/
de Flaubert analysés par Proust; on a ici même le conte d’A. Allais, où la segmenta-
tion de parties solidaires (cf. la concession) vise une empathie maximale du lecteur à
travers l’effet de surprise créé par l’alinéa. 57
VéRONIQuE DAHLET

Paragraphes thématiques
Les deux premiers types de paragraphes (thématiques et prédicatifs)
rendent compte d’un processus identique, qui est celui de la progression
thématique, dont l’agencement est donné à voir par l’alinéation. Les arti-
culer l’un à l’autre permet de montrer que la succession paragraphique ne
se vaut pas nécessairement, car elle peut construire soit une équivalence
entre les paragraphes (paragraphes thématiques), soit une hiérarchie, où le
paragraphe premier fournit l’hyperthème tandis que les paragraphes sub-
séquents (paragraphes prédicatifs) développeront chacun un thème dérivé
de l’hyperthème. Aussi, pour rendre compte de cette hiérarchie inter-para-
graphes, il vaut peut-être mieux ne parler que de paragraphes thématiques,
qui peuvent éventuellement dégager un paragraphe hyperthématique
(hyperthème explicite vs. implicite)41.
(paragraphe hyperthématique)
paragraphes thématiques
paragraphes à thèmes dérivés

Telle est la dynamique de l’alinéation dans l’extrait suivant :


(46)
(§1) Les raisons invoquées par divers religieux pour expliquer les dif-
ficultés de conversion des Caraïbes sont multiples.
(§2) Le Révérend-Père Mathias du Puy écrit : « Je trouve trois causes
qui mettent obstacle à la conversion des sauvages.
(§3) La première est qu’ils ont été maltraités par les Chrétiens, on les
a chassés de leurs habitations et de leurs îles, on leur a fait la guerre...on
leur ôte encore aujourd’hui la liberté, après leur avoir ôté leurs biens.
(§4) La deuxième vient du côté des gouverneurs qui mettent empêche-
ment à une si sainte entreprise, sous prétexte d’une maxime d’Etat : ils
disent qu’ils seraient contraints à la guerre, si la fureur de ces brutaux
passait jusque à cette extrémité de massacrer un Père.
(§5) La troisième cause vient de la nécessité que nous souffrons, outre
que la grâce est fondée sur la nature, nous avons besoin de quelques
commodités pour gagner l’amitié de nos barbares par de petits pré-
sents ».
(§6) Le Révérend-Père Palleprat, lui, n’y va pas par quatre chemins :
« Il est difficile de les convertir à cause de leur libertinage [...]. » Notre
Révérend-Père ne comprit pas qu’il s’agissait principalement de la
résistance de la « culture caraïbe ».
(§7) L’abbé Billet, de son côté, n’hésite pas à mettre en cause les reli-
gieux eux-mêmes.[...]
H.M.1 : 85-86

41 Lorsque l’hyperthème est explicite, celui-ci peut également se rencontrer au bout de


58 la suite paragraphique.
PONCTuATION ET éNONCIATION

Le § 1 contient l’hyperthème (raisons invoquées par divers religieux)


et à ce titre, il régit la série des paragraphes subséquents, qui, d’ailleurs,
développe à son tour la même hiérarchisation paragraphique à partir de
l’hyperthème trois causes mettent obstacle à la conversion des sauvages
(§2).
La strucuture ordonnée de cette série de paragraphes est donc celle-
ci :
§1 – paragraphe hyperthématique : raisons invoquées par divers religieux
§2 – 1er dérivé du §1 : Le Révérend-Père Mathias du Puy
et nouveau paragraphe hyperthématique :
trois causes mettent obstacle à la conversion des sauvages
§3 – 1er dérivé du §2 : La première (cause)
§4 – 2e dérivé du §2 : La seconde (cause)
§5 – 3e et dernier dérivé du §2 : La troisième cause
§6 – 2e dérivé du §1 : Le Révérend-Père Palleprat
§7 – 3e dérivé du §1 : L’Abbé Billet

Les paragraphes hyperthématiques construisent donc une projection


de séquences dont les paragraphes thématiques occupent le champ.

Paragraphes de registres
J’appelle paragraphes de registres (en attente d’une meilleure dési-
gnation; génériques conviendrait assez bien, mais la polysémie qui s’y rat-
tache risque de créer des ambiguïtés) ceux que Mitterand distingue en
génériques, sémio-narratifs, sémio-argumentatifs et, enfin, ceux qui indi-
quent l’alternance en contexte dialogal. L’avantage des les unifier sous la
même régie consiste à faire apparaître les déterminations de l’alinéa, indé-
pendamment du type de texte (narratif, argumentatif, descriptif, injonctif-
instructionnel), ce qui en outre permet de rendre compte de l’alinéation
dans des textes à séquences hétérogènes, qui sont majoritaires. C’est du
reste ce qui ressort de la catégorie de paragraphes désignés comme géné-
riques par Mitterand.
Le problème qui reste à résoudre touche la délimitation de l’ampli-
tude de la suite paragraphique. Ainsi, le passage d’un paragraphe à l’autre
peut être lui-même inséré dans une structure alinéaire subsumante. La
portée alinéaire peut donc varier, et ne pas répondre mécaniquement à la
délimitation telle qu’on l’avait dégagée (cf. chapitre 1) et selon laquelle la
portée alinéaire va de l’alinéa à l’alinéa subséquent. En fait, une hiérarchie
entre portées alinéaires survient le plus souvent, dès lors qu’on situe l’ali-
néation en perspective textuelle (d’où la notion avancée de structure ali-
néaire), ce qui mène à dégager au moins deux portées alinéaires. Il est clair
que cette hiérarchie se manifeste par le matériau verbal : organisateurs tex-
tuels et progression thématique notamment. 59
VéRONIQuE DAHLET

C’est ce qu’on a vu dans (46) pour ce qui concerne les paragraphes


thématiques où un ensemble alinéaire – §§ 3, 4 et 5 – est lui-même sous-
ordonné à un paragraphe lui-même dérivé du paragraphe hyperthématique
initial. C’est ce qu’on voit encore dans le cas des paragraphes sémio-nar-
ratifs et sémio-argumentatifs, mais ceux-là peuvent à leur tour sous-ordon-
ner une suite paragraphique d’un autre registre, ou genre.
L’analyse de l’alinéation dans cet extrait en donne un bon exemple42 :
(47)
§1 Le respect des convictions religieuses fait aujourd’hui partie des
droits de la personne humaine, en tout cas dans les pays d’Occident. Il
est inscrit dans les diverses déclarations des droits de l’Homme. C’est à
n’en pas douter l’un des points sur lesquels le progrès est évident sur un
passé relativement récent; pensons notamment aux poursuites ordon-
nées contre les protestants par Louis xIV – ou en sens inverse aux
diverses formes d’oppression exercées en Irlande par les colons anglais
sur les Irlandais catholiques, ou même en Angleterre contre les Anglais
catholiques soumis à diverses brimades : on sait que par exemple l’en-
trée dans les universités leur fut interdite jusqu’en 1850.
§2 Si nous nous replaçons dans la mentalité des temps féodaux, nous
constatons que la liaison entre profane et sacré est à ce point intime que
les déviations doctrinales prennent une extrême importance jusque dans
la vie quotidienne. Pour prendre un exemple souvent cité, le fait que les
cathares niaient la validité du serment portait atteinte à l’essence même
de la vie féodale [...]. D’où la réprobation générale qu’entraîne alors
l’hérésie; elle rompt un accord profond auquel adhère l’ensemble de la
société, et cette rupture paraît d’une extrême gravité à ceux qui en sont
témoins. tout incident d’ordre spirituel semble dans ce contexte plus
grave qu’un accident physique.
§3 une anecdote vécue est de ce point de vue significative. Joinville
raconte comment, au moment où l’armée du roi de France, dont il fait
partie, est ravagée par l’épidémie sur les rives du Nil, lui-même, rele-
vant de maladie, assiste un jour à la messe de son lit, sous sa tente. Or,
voilà que le prêtre qui célèbre est lui aussi tout à coup atteint par le
fléau; il chancelle. Joinville saute de son lit et court le soutenir : « Ache-
vez votre sacrement », dit-il; puis, poursuivant son récit : « Et il acheva
de chanter sa messe tout entièrement, et jamais plus ne la chanta. » Or,
pour tout le monde aujourd’hui, le geste de Joinville paraîtrait à peine
sensé : [...] tandis que la préoccupation majeure de Joinville et du prêtre
lui-même, autant qu’on puisse en déduire du récit, c’est qu’il « achève
le sacrement ».
§4 or sous bien des rapports, l’Inquisition fut la réaction de défense
d’une société pour laquelle, à tort ou à raison, la préservation de la foi
paraissait aussi importante que de nos jours celle de la santé physique.
On touche ici du doigt ce qui fait la différence d’une époque à l’autre,
c’est-à-dire les différences de critères, d’échelle de valeur. Et il est élé-
mentaire en histoire de commencer à en tenir compte, voire de les res-
pecter, faute de quoi l’historien se transforme en juge.
§5 il n’empêche que l’institution de l’Inquisition est pour nous le trait
le plus choquant de toute l’histoire du Moyen-Age. Son étude nécessi-

60 42 Les éléments en gras serviront à l’analyse de la cohérence.


PONCTuATION ET éNONCIATION

terait une bibliothèque entière. Cette bibliothèque existe d’ailleurs, le


sujet ayant suscité un grand nombre d’ouvrages dont le contenu n’a
pourtant pas réellement atteint le grand public.
§6 Le terme inquisition signifie enquête; au xIIe siècle Abélard proclame
que la vie du chercheur, du logicien, se passe en «inquisition perma-
nente » [...]. Le mot commence à prendre un sens juridique quand, en
1184, le pape Lucius III, à Vérone, exhorte les évêques à rechercher
activement les hérétiques pour évaluer la progression du mal dans leur
diocèse. [...]
[suivent plusieurs paragraphes sur l’Inquisition]
P.F.M.A. : 102-10443.
La teneur argumentative de cette suite de paragraphes est évidente : il
s’agit de construire l’argument pour, paraphrasant l’historienne, faire tou-
cher du doigt ce qui fait la différence d’une époque à l’autre. La mise en
perspective de l’hier et de l’aujourd’hui étant posée, s’engage alors l’ana-
lyse de « l’institution de l’Inquisition ». Mais la teneur argumentative
n’implique évidemment pas une homogénéité au niveau du registre.

Registre dominant et homogénéité


Ainsi, le /§/ 3 constitue un argument soutenant la thèse placée à la clô-
ture du /§/ précédent et selon laquelle l’incident spirituel est plus grave
qu’un accident physique; il comporte un programme narratif « au sens de
Greimas » entier (Joinville raconte comment) qui se compose d’une Situa-
tion Initiale (qui/quand/où), d’une complication (Or, voilà que le prêtre),
d’une Réaction (Joinville: Achevez votre sacrement) et enfin d’une Situa-
tion Finale (jamais plus il ne la chanta). C’est précisément, me semble-t-
il, l’insertion d’une séquence clairement narrative qui détermine le nouvel
alinéa, alors que l’on pourrait s’attendre à ce que la thèse, mise à la clôture
du /§/ 2, et l’argument soient liés dans la même unité paragraphique,
comme cela a été le cas pour le /§/ 1 et en partie pour le /§/ 2, qui présen-
tent en premier lieu la thèse suivie d’un argument étayé à l’aide d’un
exemple (/§/ 1 : pensons notamment – ou en sens inverse; /§/ 2 : Pour
prendre un exemple souvent cité).

43 Il est utile de noter que cette suite de paragraphes constitue un vrai-faux début de cha-
pitre, intitulé « L’index accusateur ».
Faux dans la mesure où cette suite est précédée du récit de la réaction d’une collègue
de l’auteur, elle aussi historienne, au sujet de Galilée. Sur quoi l’auteur resitue le pro-
cès de Galilée par rapport à d’autres événements (plus de 100 ans après la Réforme,
200 ans après l’invention de l’imprimerie, etc.), et rappelle qu’il est contemporain des
procès de sorcellerie, dont elle analyse quelques-uns.
Vrai, dans la mesure où cette suite de paragraphes est séparée du premier texte (abso-
lument autonome) par plusieurs lignes blanches, qui sont renforcées de surcroît par
trois étoiles formant triangle
*
* * 61
VéRONIQuE DAHLET

Les paragraphes de registre n’impliquent donc pas nécessairement


l’adoption d’un unique registre en continu. Dans ce cas, on parlera alors
d’un registre dominant.

Si l’on passe maintenant à la perspective thématique, on voit que le


paragraphe, quel que soit le registre majeur adopté, n’implique pas davan-
tage le maintien d’un et d’un seul thème. Ce même 3e /§/ se termine par la
reprise/continuation de la comparaison entre l’hier et l’aujourd’hui, alors
que la focalisation portait sur l’hier. C’est dire que la mise en paragraphe
trouve sa pertinence dans un contexte élargi dont elle dépend, et qui
s’étend à plusieurs paragraphes antérieurs. Ici, le contexte renvoie aux
deux premiers paragraphes : la clôture réalise la jonction de l’hier et de
l’aujourd’hui qui se trouvaient distribués dans les deux précédents.
Le /§/ 5 présente une hétérogénéité thématique bien plus grande
encore. A le prendre isolément, il frôle l’incohérence, puisqu’il débute en
effet sur une concession (Il n’empêche que) qui porte sur l’Inquisition telle
qu’elle est perçue aujourd’hui, pour ensuite faire le bilan de son étude puis
de la sensibilisation du grand public. Ces deux derniers thèmes sont des
thèmes déviants (au sens propre du terme), dans la mesure où ils ne se
relient pas au contexte antérieur ou subséquent. Toutefois, le sentiment
d’incohérence devient tout relatif si on insère ce /§/ dans la visée générale
de l’ouvrage – c’est-à-dire dans le contexte maximal – qui consiste à jeter
des ponts entre les discours de l’histoire, les représentations qui s’y ratta-
chent et leurs modes de transmission dans les dernières décennies.

Paragraphes en contexte dialogal


On entend par contexte dialogal la représentation scripturale d’un dia-
logue, gérée par le discours citant. L’alinéation concerne la répartition
visuelle par le blanc entre les sources de parole : dans cette perspective,
elle s’est cantonnée à la littérature, puis s’est étendue à la transcription
d’interviews. A la différence de l’alinéation d’autres types de texte, celle-
ci a été pensée et donnée quasi exclusivement en convention par les
typographes, soucieux d’homogénéiser des pratiques, alors encore relati-
vement libres, dans le moule d’une norme. Cela explique la grande régu-
larité de ses conditions d’occurrence. Mais aussi le fait qu’il s’agit d’un
signe perçu aujourd’hui pour la réception uniquement, puisque récurrent
quelles que soient les caractéristiques du contexte pourvu que celles-ci
appartiennent à l’instance narratrice citante.
L’alinéa constitue ainsi un signe de renforcement qui apparaît (a) au
début du discours rapporté, (b) à la frontière de deux répliques en dialogue
représenté, et enfin, (c) au retour du discours citant44 :

44 Je me limite ici aux formes les plus simples. On verra plus loin d’autres mises en
forme typographiques des discours citant et cité dans le texte romanesque (cf. infra
62 p. 115, « Mise en forme du dialogue ».
PONCTuATION ET éNONCIATION

(48)
Quand elle demanda à son homme des nouvelles du volatile, ce dernier
rétorqua, brutal :
« Comment ? C’est pas toi qui ne pouvais pas le souffrir ? Eh ben, je
t’en ai débarassé et maintenant fous-moi la paix ! »
Mis à part cette fâcherie, il n’y avait guère de nuages dans leur
union.
M.S.G. : 154
(49)
[...] puisque c’est précisément pour éclairer la nature de ces scrupules
qu’il porte un intérêt aussi exagéré à ce bavardage d’écoliers en congé.
« Pas maintenant, non! Nous allons rester tranquilles ! »
Insignifiante et pourtant capitale, la première phrase qui ait frappé
son oreille a éveillé en lui une mystérieuse curiosité, elle l’a détournée
de regagner sa chambre.
« Rester tranquilles, oh là là ! Alors on va parler ?
— Rien ne t’y oblige, on te serait quand même reconnaissant de te
taire. Prends exemple sur Georges ! »
Il reconnaît bien la voix de Paul, son neveu, mais qui donc est ce
Georges?
« On pourrait s’amuser à faire parler Georges ?
— Bonne idée! [...] ».
CH.EN. : 66-67

Le paragraphe comme unité sémantique


Qu’est-ce qui fait que le paragraphe, dans sa partie pleine, est ressen-
tie comme faisant unité ? Deux critères principalement entrent en jeu de
façon complémentaire : le sémantique et le traitement de l’information (la
« fin » indique « la saturation d’au moins l’une de ses composantes », Mit-
terand, 1985 : 91) dont la combinaison fournit une unité de signification,
que l’on définit à la fois comme une saisie du sens linéarisé dans le para-
graphe et comme saisie de la pertinence de ce paragraphe dans une suite
supérieure, qu’il s’agisse d’une suite de paragraphes ou même du texte
entier.

Le sémantique
A l’évidence, le seul découpage typographique d’un paquet de phrases
ne suffit pas à donner au paragraphe son unité sémantique. Cependant, le
découpage présuppose un début et une fin, et c’est sur ces sites qu’il faut
s’arrêter.
un début de paragraphe est une coupure par rapport à ce qui précède,
mais il doit également, pour être pertinent, faire lien. Les trois critères
dégagés par Mitterand me semblent tout-à-fait adéquats à cet égard : il
s’agit de la cohésion, de la cohérence et enfin de la progression (1985 :
91-93). 63
VéRONIQuE DAHLET

La cohésion
Elle se manifeste par les articulateurs de discours, les connecteurs et
les temps verbaux notamment. Ainsi, dans (47), le § 4 : Or et le § 5 : Il
n’empêche que. En outre, on a constaté que bien souvent, un /§/ s’ouvre
par une suite de type : démonstratif + anaphore résomptive de type : Cet
incident / Cette situation / Cette rencontre au sommet, etc. Bessonnat
(1988 : 89) note « l’usage privilégié des reprises démonstratives en tête de
paragraphe, en raison de leur valeur reclassifiante ».

La cohérence
Elle est assurée ici par la récurrence thématique. Ainsi, l’extrait (47)
sur l’Inquisition. Les paragraphes 1, 2 et 4, qui se construisent autour de
l’axe aujourd’hui – prédominance de la valeur santé physique /vs./ époque
féodale – prédominance de la santé spirituelle, sont reliés par une série de
lexèmes à récurrence thématique qui construisent l’isotopie :
Première série - §1 :
aujourd’hui → §2 temps féodaux → §4 : l’Inquisition + de nos
jours
Deuxième série - § 1 :
convictions religieuses → §2 : profane et sacré; § 2 : incident
d’ordre spirituel + accident physique → §4 : préservation de la foi
+ santé physique

La progression
La progression thématique (répartition en thèmes et rhèmes) constitue
l’un des points fondamentaux de l’alinéation : le paragraphe doit apporter
une information nouvelle. Dans (46), la procédure de la progression, par-
faitement claire, est renforcée par les connecteurs textuels mis en tête de
chaque paragraphe: Je trouve trois causes... § La première...§ La
deuxième...§ La troisième...
Mais bien souvent, la progression ne suit pas une démarche aussi
claire. Dans la suite paragraphique donnée en (47), le modèle de progres-
sion, qui obéit à la visée argumentative, est chronologiquement inverse à
l’ordre de succession des paragraphes : il s’agit pour l’historienne de four-
nir les conditions optimales pour énoncer sa thèse. En effet, l’hyperthème
apparaît à la fin de ce travail argumentatif : l’historien doit tenir compte
des différences de critères, d’échelle de valeur d’une époque à l’autre (/§/
4). L’hyperthème produit un thème sous-ordonné (§ /4/ : l’Inquisition fut
la défense d’une société pour laquelle [...] la préservation de la foi parais-
sait aussi importante que de nos jours celle de la santé physique), qui à
son tour commande la progression thématique des premiers paragraphes.
Le /§/ 5 comporte une rupture qui est introduite par le second terme
64 de la concession Il n’empêche que.
PONCTuATION ET éNONCIATION

Quant au paragraphe 6, il ouvre une nouvelle suite paragraphique : de


l’argumentation on passe à l’analyse de l’objet, l’Inquisition. L’ouverture
d’une nouvelle suite paragraphique conduit à introduire la notion d’adhé-
rence, sur laquelle je reviendrai.

Le traitement de l’information
Plusieurs auteurs ont analysé le paragraphe du point de vue de la lin-
guistique psycho-cognitive (Dubois & Visser, Denhière, Le Ny : 1985).
C’est alors la co-énonciation qui prime : quels mécanismes s’activent chez
le lecteur pour que le paragraphe soit traité comme unité? En d’autres
termes, outre les mécanismes de traitement de l’information déjà étudiés
et valables pour tout segment de texte, de l’unité minimale (les sèmes) à
l’unité maximale (les textes), il s’agit d’introduire l’unité paragraphique,
jusque-là non prise en compte dans l’ensemble des études en linguistique
cognitive. L’hypothèse avancée par Denhière (1985 : 126) est que « les
individus d’une culture déterminée ont été amené à élaborer [...] des struc-
tures mentales qui, pour une large part, sont semblables »45. Dans cette
perspective, il faut que le lecteur soit « capable d’élaborer une structure
cognitive plus ou moins homologue à celle de l’auteur » pour faire du para-
graphe une unité de traitement de l’information (Id., 1985 : 125).
Complémentaire à l’étude de Denhière, celle de Le Ny se concentre
sur le découpage qui, « exprime [...] les exigences du traitement cognitif au
cours de la lecture » (1985 : 134). Ainsi, le retour à la ligne « vaut comme
une instruction du type « Mettez fin à quelque chose [...] commencez autre
chose » . Ces « deux ‘quelque chose’ [...] ont un rapport étroit avec la struc-
ture du texte, certes, mais de façon plus profonde, surtout avec la structure
de l’état terminal que le locuteur veut créer chez le destinataire pour lequel
il écrit son texte » (131).
La question de la fin d’un paragraphe est particulièrement intéres-
sante : comme pour le point, le point-virgule et dans certains cas la virgule,
la borne fermante/ouvrante indique la fin de l’inférence sur l’amplitude
affectée par le signe en question. Reste à savoir ce qui détermine la fin
d’un paragraphe, en l’absence de connecteurs conclusifs explicites. Ainsi
que le fait observer Le Ny, il n’y a pas de détermination absolue, pas plus

45 Dans une première phase de son exposé, Denhière rappelle les différents « niveaux
d’organisation qui, dans la mémoire sémantique des sujets, permettent de collecter,
de traiter, de conserver et de retrouver l’information [...] :
1. les traits sémantiques (ou sèmes);
2. les signifiés (au sens large, les concepts);
3. les propositions sémantiques (relations entre un prédicat et un ou plusieurs
arguments);
4. les significations de phrase;
5. les significations de textes (ou macrostructures) ». 65
VéRONIQuE DAHLET

que pour ce qui concerne la phrase ou le texte. Il semble bien, par consé-
quent, que ce soit la structure de l’état terminal visée par le scripteur qui
conditionne la fermeture du paragraphe.
On voit donc que si la cohésion, la cohérence et la progression thé-
matique constituent des aides significatives au traitement de l’information,
la base commune des structures mentales est, en amont, le préalable à l’ap-
préhension du paragraphe comme unité sémantique.
Ceci explique la typologie de Mitterand, qui s’appuie sur des forma-
lisations de scénarios fortement stabilisés. En revanche, la réalité empi-
rique du paragraphe est très diversifiée, on l’a dit : il me semble que c’est
encore à partir de la base commune des structures mentales que cette
grande diversité peut être assignée à signification, car c’est en référence à
la représentation de structures textuelles stabilisées, elles-mêmes repré-
sentantes de structures cognitives, qu’il devient possible d’élaborer
d’autres structures textuelles et cognitives. un Flaubert, un Proust ou un
Simon le savent bien.

Hiérarchie et adhérence
Mais, à un niveau plus immédiat, la base commune des structures
mentales est aussi le requis nécessaire pour re-trouver une structuration
satisfaisante dans une suite paragraphique, notamment au niveau de la hié-
rarchie inter-paragraphes et de son corrélat, la question de l’adhérence.
J’emprunte la notion à Stati qui dans son étude sur « L’organisation
textuelle de l’information sémantique » l’applique à la relation entre deux
phrases (1987 : 6) :
Si une information x est indiquée comme dérivant d’une information
antérieure, la phrase qui contient x est appelée « adhérente à gauche ».
Dans le cas inverse : une information est présentée comme annonçant
(préparant) l’occurrence d’une information dans le contexte successif;
ceci rend la phrase « adhérente à droite ». Il y a enfin des phrases adhé-
rentes aussi bien à gauche qu’à droite et des phrases non adhérentes ».
On a déjà vu que si les paragraphes se présentent de façon successive,
ils ne sont pas toujours équivalents : certains sont sous-ordonnés à
d’autres. Il s’agit alors de voir ce qui détermine cette structure hiérarchi-
sante inter-paragraphique.
C’est ici que la notion d’adhérence se prête particulièrement bien à
l’enchaînement paragraphique, dont il ne serait pas juste de dire qu’il se
constitue d’une suite étale de paragraphes 1+1+1+1, etc.
Ainsi, dans l’extrait (47) :
- les /§/ 3 et 5 (Une anecdote vécue est de ce point de vue significa-
tive / Il n’empêche que) dérivent immédiatement du paragraphe qui
les précède. Ils sont donc sous-ordonnés (n’occupent pas la même
place dans l’ensemble de la sur-séquence) et sont adhérents à
66 gauche. Cela signifie qu’un nouveau paragraphe peut se constituer
PONCTuATION ET éNONCIATION

par focalisation d’un propos introduit dans le paragraphe précédent,


auquel il est relié.
- les /§/ 1 et 2 sont adhérents à droite : ils dérivent rétroactivement du
§ 4 (cf. la progression thématique);
- le /§/ 6, en revanche, ouvre une nouvelle suite paragraphique. Il
n’offre donc aucune adhérence à gauche.
Ce qui peut être rendu de la façon suivante46 :

Suite paragraphique 1

§1

§2

§3

§4

§5

Suite paragraphique 2

§6

On peut maintenant reprendre l’alinéation dans son contexte extra-lin-


guistique, dont on avait dit qu’elle n’était pas originale ou, dans le meilleur
des cas, qu’elle était fortement dépendante de paramètres tels que les
astreintes d’édition, de périodicité et le public visé (cf. les contes d’Allais,
la presse périodique, les manuels didactiques), et où la tendance générale
est à l’augmentation sensible des paragraphes. Si on considère le para-
graphe comme une instruction d’aide à la lecture (ouvrez quelque chose de
nouveau/fermez ce quelque chose), en augmenter le nombre et, corrélati-
vement, en réduire la longueur, allège l’activité de lecture en fournissant
autant d’indications que possible sur le mode de traitement des informa-
tions.

46 Le sens des flèches indique l’adhérence. 67


VéRONIQuE DAHLET

Ce redécoupage des paragraphes en contexte extra-linguistique est le


plus apte à montrer la valeur éminemment pragmatique de l’alinéa. En tant
que blanc, il participe d’une tendance plus ample qui tend à diversifier les
ressources graphiques de manière à guider le parcours de lecture. Pour ne
citer que les plus fréquentes : insertion de titres, sous-titres et inter-titres;
ajout de l’italique en continu pour les parties citées alors qu’elles sont
guillemetées; jeu sur les fontes et leur taille et sur le chromatisme devenu
véritable aide au parcours de lecture.

68
PONCTuATION ET éNONCIATION

Chapitre 4
Le point

La phrase commence par une majuscule et termine par un point. Le


point a donc pour fonction d’indiquer la fin de la phrase, ou mieux, le point
est ce qui fait exister la phrase, qui est une unité graphique.
On peut partir de la définition minimale donnée par Hagège (1985 :
276) :
D’abord, elle est l’ensemble de mots (coïncidant éventuellement avec
un seul) que l’usager de naissance accepte comme complet, c’est-à-dire
se suffisant à lui-même et n’exigeant pas d’addition pour être gramma-
ticalement correct et sémantiquement interprétable. Le second critère
est formel : un certain contour intonationnel indique les frontières de la
phrase, quelle que soit la forme matérielle de ce contour d’une langue à
l’autre et au sein d’une même langue.
Pour Hagège, une phrase, pour être telle,
• doit être complète. Cette prescription exclut tous les énoncés où les
points de suspension ne permettent pas de récupérer le sémantisme;
selon le critère de complétude, une proposition indépendante est-elle
ou non à considérer comme une phrase ?
• et donc sémantiquement interprétable. Que faire des phrases
incluant les anaphores (pronominales notamment) et qui ont besoin
de leur référent en amont pour être interprétables47 ? Disons d’em-
blée que la phrase entendue comme unité graphique ne se suffit pas
toujours à elle-même pour être interprétable ;
• et enfin, la notion de phrase peut-elle s’appliquer selon les mêmes
modalités selon qu’il s’agit de l’écrit ou de l’oral ? Au reste, il sem-
blerait que Hagège ne retienne que la phrase réalisée à l’oral : un
certain contour intonationnel.
On sent bien que tout se centre autour de la question de la phrase. La
phrase dans le réel de la langue n’existe pas. C’est un concept élaboré pour
les besoins de la description grammaticale et linguistique : on parle/écrit,
énonce, mais on ne parle ni n’écrit de phrases (hors contexte scolaire où
l’enseignant peut demander à l’enfant de recopier des phrases)48. C’est dire
qu’en analyse du parlé, la notion de phrase est opérationnellement nulle

47 Ininterprétable, cette phrase: De laquelle nous désintéresserons-nous le plus?


(S.H.B. 71).
48 C’est bien pourquoi sont connotés négativement les énoncés comme Il sait faire des
phrases ou C’est un faiseur de phrases. 69
VéRONIQuE DAHLET

tandis qu’en analyse de l’écrit (des écrits), elle ne peut que renvoyer à des
réalisations effectives, mais qui peuvent toutes se résumer à une seule opé-
ration : borner le discours en unités graphiques, appelées phrases.
Si donc on admet que la phrase est une unité graphique, je la défini-
rai comme suit : est phrase ce qui est borné à gauche et à droite par un
point, ou par tout équivalent paradigmatique (i.e. de même niveau : points
d’interrogation, d’exclamation et de suspension).
En dernière instance, cette définition ne se démarque pas excessive-
ment du discours grammatical (commence par une majuscule et termine
par un point), puisque dans les deux cas, les critères sont de délimitation
grahique. Toute l’affaire consiste donc, on l’a dit, à savoir ce qu’il est pos-
sible de mettre entre ces deux bornes.

théorie des trois points de vue


Hagège, après avoir défini la phrase comme on l’a vu, avance ce qu’il
appelle la « théorie des trois points de vue », dont la convergence (ils sont
complémentaires, dit-il) permet une analyse satisfaisante de la phrase
(276) :
- le point de vue morphosyntaxique, rapport entre les termes ainsi que
l’expression de ces rapports;
- le point de vue sémantico-référentiel, rapport entre les phrases et le
monde extérieur dont elles parlent;
- le point de vue énonciatif-hiérarchique, rapports entre la phrase et
celui qui la profère, relié lui-même à un auditeur .
C’est ainsi que, par exemple, un énoncé tel que Pierre chante peut
être analysé, à partir de la théorie des trois points de vue, comme suit (278-
279) :
points de vue → morphosyntaxique sémantico-référentiel énonciatif-hiérarchique
Pierre sujet participant thème
chante prédicat procès rhème

Or, ni la définition de la phrase en tant que notion, ni celle de la phrase


comme unité graphique, n’aident à comprendre/expliquer les opérations
qui appellent le point, c’est-à-dire, les paramètres du bornage à gauche et
à droite, pas plus que les longueurs extrêmement variées de cette unité49.
Il faut donc revenir aux écrits en tant qu’actions langagières globales,
et rapporter la phrase à une action langagière spécifique. L’étude qui va,
selon moi, au plus près et au plus juste du phénomène de la phrase, est
celle de Berrendonner (1993, « La phrase et les articulations du dis-
cours »). Définissant la phrase comme unité de ponctuation, et donc,

49 En revanche, la phrase comme unité graphique acquiert une dimension supplémen-


taire lorsqu’elle est mise en rapport avec la dynamique informationnelle. Cf. chapitre
70 11, « Le point ».
PONCTuATION ET éNONCIATION

comme unité graphique, il la place d’entrée de jeu dans l’écrit, qu’il appré-
hende dans son versant discursivo-communicationnel. Et c’est dans le
réglage de ces deux paramètres (segmentation et production discursivo-
communicationnelle) qu’il devient alors possible de rendre compte de
l’hétérogénéité du phénomène. Je reprends ici les grandes lignes de son
parcours.

Phrase : clause, période


1. « la phrase, unité de ponctuation, est une division hybride» dans la
mesure où « d’un côté, les relations entre ses constituants ne relèvent pas
toutes d’une syntaxe rectionnelle [fondée sur des implications de cooccur-
rence entre des segments] » (Berrendonner, 1989 : 123). Berrendonner
analyse en particulier les constructions détachées (subordonnées circons-
tancielles, gérondifs, appositions, etc.). Voici en exemple un emploi non
rectionnel :
Afin de pouvoir maintenir des prix si avantageux, vous êtes priés de
débarrasser votre vaisselle (Cafétéria, Neuchâtel)
où le segment antéposé, « dépourvu de verbe fini, est utilisé en emploi
« absolu », c’est-à-dire sans lien rectionnel avec « le reste de la phrase »
(118).
une phrase est donc assez souvent un composite, constitué aussi bien
d’éléments in praesentia qui font le liage (par exemple éléments morpho-
syntaxiques et anaphoriques) que de références in absentia qui relient
directement à la mémoire discursive, en faisant l’économie de l’explicite.
2. Aussi y a-t-il tout intérêt à penser la phrase en termes fonctionnels
« d’unités d’action langagière » correspondant à des « clauses » qui se
caractérisent par des énonciations « non décomposables en unités commu-
nicatives plus petites ». Celles-ci apparaissent en se succédant, la totalité
formant une « période ». Les clauses et la période rendent compte de syn-
taxes différentes, « superposées, fonctionnant sur des principes différents »
car (Berrendonner, 1993 : 122) :
la construction interne d’une clause est essentiellement faite de rapports
de rection (sélections, accords), dont les termes sont des segments signi-
ficatifs, et dont les marques sont la morphologie ou l’« ordre des mots »
[tandis que] l’arrangement des énonciations dans la période repose sur
des rapports de présupposition ou de production d’information, dont les
termes sont des actes de langage ou des contenus mentaux.
En s’appuyant sur cette analyse, on peut dire que la segmentation
phrastique comprend au moins une unité communicationnelle, et dans ce
cas, ne peut être décomposée en unité inférieure. La période, segmentation
de point à point, peut donc contenir plusieurs clauses.
Faire apparaître la phrase comme un réglage de deux niveaux -
clauses comme unités d’action langagière et période les totalisant -, qui
fonctionnent sur des principes différents, permet d’intégrer et/ou de rendre
compte d’au moins deux phénomènes observables : 71
VéRONIQuE DAHLET

• intégration d’énoncés sémantiquement non complets qui, à l’écrit,


ne peuvent qu’être intentionnels50. Je pense notamment, outre les
réalisations phrastiques déjà envisagées en regard de la définition
donnée par Hagège, aux énoncés qui construisent l’implicite, soit
sous forme de troncation (points de suspension), soit sous forme
énoncée (du type : vous voyez ce que je veux dire), mais aussi, en
représentation de dialogue, à l’incomplétude sémantique d’une
réplique néanmoins correctement conformée, ou à une suite de
répliques en fondu-enchaîné, dont l’ensemble peut être considéré
comme formant une période plurivocale;
• longueur extrêmement variable des phrases, dans la mesure où l’es-
pace inter-bornes peut comprendre plusieurs unités d’actions langa-
gières (du reste, a priori illimitée).
La phrase est donc « unité d’énonciation, unité d’écriture », on l’a vu,
mais elle est aussi, solidairement, unité « de lecture » (Anis, 1988 : 123).
Le bornage par le point aux deux extrémités de la phrase découpe d’em-
blée le segment sur lequel doit porter l’activité inférentielle, en y assignant
un début et une fin. Mais pour le moment, je ne développerai pas davan-
tage cet aspect, que je reprendrai plus longuement à propos du point argu-
mentatif.

50 Hormis peut-être des cas tout à fait exceptionnels qui relèvent de déterminations exté-
rieures à l’écrit : malaise du scripteur, panne d’électricité, temps imparti épuisé en
72 contexte d’examens, etc.
PONCTuATION ET éNONCIATION

Chapitre 5
Le point-virgule

On dit assez souvent qu’il est un intermédiaire entre le point et la vir-


gule, ainsi que l’indique son nom. Dans cette perspective, le point-virgule
renvoie à sa fonction de segmentation et son site d’occurrence se place à
la frontière inter-clauses. Ce faisant, le /;/ remplit également une fonction
de hiérarchisation par rapport à la /,/ intra-clause dans la mesure où,
comme on va le voir, il bloque l’hésitation temporaire qu’il y aurait en cas
de concurrence des deux types de /,/, inter-clauses et intra-clause.
En somme, le /;/ joue aussi bien par rapport au couplage [/./ – /,/] que
par rapport au couplage [/,/ inter-clauses – /,/ intra-clause].
Aussi peut-on dégager une dominante du point-virgule : dans sa fonc-
tion de segmentation, cette ponctuation fait alors système avec le point et
la virgule. Elle manifeste en surface la manière dont le scripteur traite l’in-
formation (consécution, implication ou opposition des arguments), c’est-
à-dire qu’elle concerne essentiellement l’activité d’écriture, et donc la
production. En revanche, dans sa fonction de hiérarchisation, cette
ponctuation fait système avec seulement la virgule, et se justifie essentiel-
lement dans l’activité de lecture; elle devient alors ponctuation pour la
réception.

Segmentation
Dans sa fonction de segmentation, le /;/ relie les clauses de façon plus
serrée que ne le ferait le /./. Inversement, par rapport à la /,/, ce signe ren-
force la segmentation inter-clauses. En fait, dans son double rapport au /./
et à la /,/, le point-virgule fait clairement apparaître à la surface de l’énoncé
le traitement de l’information tel que l’engage le scripteur, sous l’angle de
l’inter-relation entre les arguments que forme chaque clause. En l’absence
de connecteur ou assimilé, à charge pour le lecteur d’expliciter la nature
de la relation entre arguments.
(50)
D’ailleurs, beaucoup plus qu’une catégorie juridique déterminée, le ser-
vage est un état, lié à un mode de vie essentiellement rural et terrien; il
obéit aux impératifs agricoles et avant tout à cette nécessaire stabilité
qu’implique la culture d’une terre.
P.F.M.A. : 75
(51)
Il entend leurs pas rapides; il se rappelle la voix de l’autre, posée, naïve,
rouillée par la mue; il voit son regard bleu et inflexible; il voit son 73
VéRONIQuE DAHLET

visage avidement touné vers le sien comme pour y déchiffrer l’énigme


qui le tourmente.
CH.ENF. : 108
Dans (50), le /;/ est de paraphrase, la deuxième clause étant la para-
phrase de la première (un outil de paraphrase du type c’est-à-dire pourrait
convenir pour substituer le signe de ponctuation). En effet, si le /./ rem-
plaçait le /;/, la relation paraphrastique serait plus difficile à reconnaître
(outre l’inconvénient que le pronom il dans il obéit changerait de référent,
en passant de servage à mode de vie essentiellement rural et terrien). Dans
(51), le /;/ est typique de séquences successives à structure identique. Dans
les séquences narratives (roman; faits-divers), l’axe est celui de la chrono-
logisation, tandis que dans les autres types de séquences, d’ordre concep-
tuel pourrait-on dire, l’axe est celui de l’argumentation.

Hiérarchisation
Mais le point-virgule joue également son rôle de hiérarchisation des
segments inter-clauses dans l’échelle différentielle qu’il établit en regard
des virgules intra-clauses. Cet établissement différentiel se révèle claire-
ment dans des énoncés tels que celui-ci :
(52)
Aujourd’hui encore, visitez Loudun [...]. Des lieux dispersés reconsti-
tuent, grâce à la voix et aux gestes du guide, le déroulement d’une his-
toire perdue : la salle où fut prononcé l’arrêt de mort; l’endroit d’une
première chute ; le coin de rue où « un moine » frappa Grandier d’un
coup de bâton ; le porche de l’église Saint-Pierre, devant lequel le
condamné dut faire publiquement amende honorable, mais fut secouru
par le Père Grillau, une bonne âme; enfin la place du Marché Sainte-
Croix, car c’est là que, devant le prêtre René Bernier, bon larron repenti,
et sous les yeux de Louis Trincant, le persécuteur insolemment installé
à sa fenêtre, le curé périt dans le feu allumé par ses exorcistes eux-
mêmes.
P.L. : 15
On perçoit que, pris dans sa fonction de hiérarchisation, le /;/ se justi-
fie essentiellement par la lisibilité qu’il construit, d’où sa fonction essen-
tielle dans le traitement de l’information. En effet, du fait même qu’il
marque les bornes à gauche et à droite de son site d’occurrence ( [/./ – /;/]
et [ /;/ – /./ ] ), les virgules sont instantanément identifiées dans leur ampli-
tude respective. En d’autres termes, les différentes amplitudes virgulaires
sont sans ambiguïté interprétées comme insérées dans la portée supérieure
donnée par le /;/.
Ainsi, nous avons pour (52) :
[ . : ; ; ; ; .]
, , , , , , , ,
et non pas cette segmentation (où la /,/ chiffrée 1 correspond au /;/ tan-
dis que la /,/ 2 correspond à la /,/ de l’énoncé original (52) :
[ . : , , , , , , , , , , , , . ]
74 1 1 1 2 2 2 1 2 2 2 2 2
PONCTuATION ET éNONCIATION

En réalité, rien ne s’opposerait à cette ponctuation, mais elle entraî-


nerait un effort de lecture, trop coûteux, qui demanderait à reconnaître le
niveau supérieur de la virgule 1 (qui correspond dans notre réécriture au
/;/) par rapport à ses homomorphes, de niveau moindre51. En d’autres
termes, le /;/ dans sa fonction hiérarchisante permet de repérer instantané-
ment les portées et dans le même élan d’identifier la structure des
ensembles syntaxico-sémantiques.
Il est rare que le point-virgule, dans la même phrase, ait des occur-
rences d’amplitude différente, comme cela arrive fréquemment pour la vir-
gule. Mais lorsque c’est le cas, les outils syntaxiques ou les connecteurs se
chargent d’indiquer la hiérarchisation par fléchage des sous-ordonnance-
ments :
(53)
[La politique] rend ambiguës les positions qui se disent religieuses :
catholiques ou réformés défendent encore leur groupe, soit par la cen-
tralisation, soit contre elle; mais ils attestent peut-être ainsi, simplement,
que l’important n’est plus là; que le pouvoir cesse d’être religieux; que
la décision [...] leur échappe désormais, et que la raison se définit en
termes d’Etat.
P.L.: 43
La hiérarchisation est alors celle-là :
[ . ; .]
; ; ;
Ainsi, de la même manière qu’on a pu dégager deux portés alinéaires,
le /;/ est susceptible de créer deux portées, dont l’une, d’amplitude supé-
rieure, emboîte l’autre.

51 Grévisse note le même phénomène de non hiérarchisation (1986 : 169), qu’il déplore :
« une ponctuation plus forte, point-virgule ou double-point par ex., servirait mieux à
la clarté de l’expression :
Mon grand-père maternel, issu d’une famille alsacienne de maîtres-verriers, le
capitaine Binger, fut explorateur, il explora en 1887-1889 la boucle du Niger
(R. Barthes, dans Tel Quel, automne 1971, p. 89) ».
L’intuition est juste, la hiérarchisation faisant apparaître le mode d’imbrication des
segments, mais sa justification est douteuse, car il est peu probable que la « clarté »
du propos ait fait défaut en production; en revanche, la lecture se trouve en effet ralen-
tie puisqu’elle doit elle-même restituer la hiérarchisation qui n’est pas visible d’em-
blée. 75
PONCTuATION ET éNONCIATION

Chapitre 6
La virgule

La virgule est la ponctuation séquentielle la plus complexe. Cela tient


à trois raisons au moins :
• c’est le seul signe à fonctionner en double (/, ,/) et en simple;
• c’est le seul signe qui, indépendamment de la dimension énoncia-
tive, est capable d’opérer simultanément sur deux portées, inter-
clauses et intra-clause52 ;
• il en découle que la virgule est le signe syntaxique par excellence :
le plus constructeur de syntaxe, le plus apte à fournir et à porter et
distribuer les catégories fonctionnelles, et dans la successivité, et
dans la hiérarchisation (virgule double)53.

opérateur syntaxique et sémantique

La fonction éminemment constructrice de cette ponctuation peut


s’évaluer en manipulant des énoncés « homonymes », dans un jeu d’actua-
lisation/non actualisation ou de déplacement de la virgule54.
(54)
1. Il n’a pas joué comme je le pensais.
2. Il n’a pas joué, comme je le pensais.
(55)
1. Il est mort naturellement.
2. Il est mort, naturellement.
(56)
1. C’est bien ça.
2. C’est bien, ça.
(57)
1. Les élèves qui n’ont pas fait leur devoir resteront en classe.
2. Les élèves, qui n’ont pas fait leur devoir, resteront en classe.

52 Cf. Tableau II, p. 29.


53 On ne traitera ici que de la virgule séquentielle, la virgule à fonction argumentive fera
l’objet d’une analyse ultérieure. Cf. p. 139.
54 Les exemples (54), (55) et (57) sont empruntés à Bessonat (1991 : 16). 77
VéRONIQuE DAHLET

(58)
1. Les femmes-matadors des bas-quartiers arboraient des robes sages de
grand-mères en toile-soussoune-clairé et leurs madras, gris ou noirs
pour la circonstance, semblaient en berne sur leurs cheveux dûment
défrisés au fer chaud.
Raphaël Confiant, La Vierge du Grand Retour. Paris : Grasset, 1996 :
111.
2. Les femmes-matadors des bas-quartiers arboraient des robes sages de
grand-mères en toile-soussoune-clairé et leurs madras gris ou noirs,
pour la circonstance semblaient en berne sur leurs cheveux dûment
défrisés au fer chaud.
(59)
1. Sganarelle en riant, lui, réclamait ses gages [...].
2. Sganarelle en riant lui réclamait ses gages [...].
Baudelaire, Dom Juan aux enfers, édition de 1846 en (1); éditions pos-
térieures en (2), apud Drillon, 1991 : 151
L’épreuve par l’homonymie est en ceci intéressante qu’elle permet de
voir comment la virgule réorganise la séquentialisation, et donc le sens, ce
qui montre bien la double syntagmatique instaurée.
- Dans les énoncés (54.2), (55.2) et (56.2), le segment virgulaire, qui
peut se déplacer sur la chaîne, entraîne un changement de sens :
(54.2) Comme je le pensais, il n’a pas joué (paraphrase : ainsi que je
l’avais prévu, il n’a pas joué)
(55.2) Naturellement, il est mort (ici, l’adverbe est d’énonciation)
(56.2) Ça, c’est bien (la reprise, détachée à l’arrière, peut être rejetée
à l’avant)
- La présence/absence de virgule dans (57) régule, on le sait, la dis-
tinction entre relative déterminative et explicative, d’où la bifurcation
sémantique entre (57.1) où la détermination se charge de ne prélever
qu’une partie des élèves, et (57.2) qui, outre qu’elle donne la raison de la
permanence en classe, prélève la totalité des élèves.
- Le changement du site de segmentation dans (58) fait porter le cir-
constant pour la circonstance sur la couleur des coiffes en (58.1), et sur
leur aspect en (58.2).
- La variante (59) discrimine la catégorie fonctionnelle de la forme
lui : reprise pronominale détachée dans (59.1) référant à Sganarelle; com-
plément d’objet dans (59.2) référant à Dom Juan.
La virgule discrimine également les pronoms toniques de ses homo-
morphes atones. Ainsi que le fait remarquer Grévisse (1986: 176), contrai-
rement aux pronoms des autres personnes qui développent deux
paradigmes (moi/je; toi/tu; lui/il), les pronoms elle(s), nous et vous peu-
vent être ou toniques ou atones. La virgule, dans ce cas, sélectionne le pro-
nom tonique :
(60)
Le prince était ensorcelé. Elle, voyait à travers lui la France et la
capitale.
78 J. Cocteau, Thomas l’imposteur, apud Grévisse, 1986 : 176
PONCTuATION ET éNONCIATION

trois principes majeurs d’occurrence


Dans son Code orthographique et grammatical (1970), R. Thimonier
établit trois principes majeurs d’occurrence de la virgule, que certains tra-
vaux ultérieurs reprennent55: principe d’addition, principe de soustraction
et principe d’inversion (Bessonnat, 1991: 38-39).
• principe d’addition : la virgule apparaît pour séparer des segments
de fonction grammaticale équivalente, lorsque non reliés par un
coordonnant;
• principe de soustraction : « on sépare par une (double) virgule tous
les éléments qu’on pourrait soustraire (apposition, relative apposi-
tive, incise) et on signale par une virgule tous les éléments qu’on a
soustraits (ellipse) » ;
• principe d’inversion : la virgule signale « tout déplacement de seg-
ments de phrase par rapport à l’ordre canonique ».
On peut formaliser ces trois principes comme suit :
- principe d’addition :
————→ , ————→ , ————→ .
- principe de soustraction :
(a) apposition : ————[,——-→ ,] ————→ .
(b) ellipse : ————→ ; ———- , ———→ .
- principe d’inversion :
[————→ ], ————→ , ————→ .

De cela, il ressort que :


• Dans le principe d’addition, les segments de fonction grammaticale
équivalente délimités par la virgule peuvent aller de la proposition
indépendante (cas maximal) au mot (cas minimal), i.e. d’un contenu
propositionnel complet à une unité lexicale unique. Dans l’hypo-
thèse maximale, il est possible de substituer la virgule par un signe
de portée supérieure, alors que dans l’hypothèse minimale, aucun
signe, ni même l’absence de signe, ne peut remplacer la virgule.
• Le principe de soustraction de l’élément apposé concerne la double
virgule, ce qui pousserait à la rapprocher des signes doubles tel que
les parenthèses ou le tiret double56. Mais ce rapprochement ne vaut
que pour les segments que l’on pourraient soustraire, et non pour
ceux qui sont de fait soustraits. Ainsi, la virgule de l’ellipse du

55 Cf. Bessonnat (1991 : 38-39) et Drillon (1991 : 157).


56 Pour autant, la virgule double n’est pas assimilable aux autres signes doubles, car
ceux-là comportent toujours un signe ouvrant et un signe fermant, quel que soit leur
site d’actualisation, ce qui n’est pas le cas de la virgule appositive en début ou en fin
de phrase. 79
VéRONIQuE DAHLET

verbe, dont l’actualisation vaut pour. On sent bien la singularité de cette


virgule :
- signe séparateur mais ici fédérateur des éléments qu’il sépare;
- signe métaphore qui vaut pour le verbe qu’il restitue in absentia
(sachant que le verbe doit figurer en amont).
• Dans son princicipe d’inversion, la virgule est encore singulière par
sa capacité à déplacer des segments sur la chaîne phrastique.
Au xIxe siècle, ——— ←→ ——— au xIxe siècle.
——— , au xIxe siècle.
Lorsqu’il a de la fièvre, il fait des cauchemars.
←→ ———— lorsqu’il a de la fièvre.
———— , lorsqu’il a de la fièvre.

Principes processuels d’occurrence


Analyser la /,/ en regard de la structuration syntaxique des segments
phrastiques me paraît nécessaire, mais il faut encore la comprendre en tant
qu’opérateur syntaxique et sémantique. Il est donc souhaitable, dans un
deuxième temps, de tenter une analyse processuelle de ce signe, qui
intègre :
- d’une part, la relation mutuelle entre segmentation virgulaire et
(non) clôture du sens : y a-t-il coïncidence?
- d’autre part, la direction du sens à clore, dans les cas de non coïnci-
dence entre /,/ et clôture du sens.
On verra que la virgule est aussi la plus syntaxique des ponctuations
de son répertoire parce qu’elle est le signe relationnel par excellence, et
singulièrement, tensif. Pour rendre compte de cette propriété de la virgule,
on distinguera le tensif simple, qui correspond à la coïncidence entre
borne virgulaire et clôture du sens, et le tensif complexe, qui correspond
à leur non-coïncidence. Ce qu’on rendra par le schéma suivant57 :
tensif simple ——————->],

tensif complexe ——— , ——->


ou
<——— , ——-
La distinction entre tensif simple et complexe est utile pour rendre
compte tout d’abord de la structuration séquentielle élaborée par la virgule
(segmentation et hiérarchisation); elle sera encore utile au moment où on
fera des manipulations de substitution paradigmatique des signes séquen-
tiels58. A partir de cette mise au point, on pourra distinguer la /,/ comme
signe relationnel d’identité de la /,/ comme relationnel de non identité.

57 Le crochet fermant (]) indique la fermeture du sens ; la flèche orientée à gauche et à


droite (>), la direction du sens à clore.
80 58 Cf. p. 83-84.
PONCTuATION ET éNONCIATION

Signe relationnel d’identité


La virgule est un relationnel d’identité quand elle borne des segments
de fonction équivalente.

Avec tensif simple


La mise en équivalence se réalise sans mise en dénominateur com-
mun, sans le régime commun, de sorte que chaque segment borné par la /,/
est autonome du point de vue syntaxico-sémantique.
(61)
Le Vietnam s’enfonce dans la poigne de fer de la bureaucratie, Cuba sert
de base à l’impérialisme soviétique, la Chine révèle les atrocités de la
Révolution culturelle, le monde n’a plus une lueur de lumière à dispen-
ser à nos sens affamés.
S.H.B. : 66
(62)
Nous ignorons la sécurité, nous nous tenons sur nos gardes, nous rusons
sans cesse.
CH. ENF. : 82
Dans ce cas, la borne virgulaire correspond à une clause, telle que
Berrendonner la définit, et la totalisation des clauses correspond à la
période (segment borné à droite et à gauche par un /./ ) :
. ————->], ————->], —————>.

Avec tensif complexe


La virgule relationnelle d’identité à tensif complexe concerne les
clauses où une série de segments de même nature fonctionnelle sont mis
en dénominateur commun, sous le régime d’un syntagme.
On distingue les cas où la mise en régime commun est explicite de
ceux où elle est implicite.

RéGIME COMMuN IN PRAESENTIA


Le régime commun est en général soit le syntagme sujet (63), soit le
syntagme sujet + le syntagme verbal (64). Dans les deux cas, la tension se
produit de droite à gauche : il faut à chaque segment inter-virgulaire réac-
tiver le régime commun pour qu’il y ait complétude du sens.
(63)
Ils grognèrent, tapèrent du pied, envoyèrent de la boue, besognèrent au
ralenti-môlocôye mais finirent par se résigner.
V.G.R.: 237
Régime commun : ils. Soit :
.—————->], <————-], ————], <——————-.
. Ils grognèrent , tapèrent, envoyèrent, besognèrent .

81
VéRONIQuE DAHLET

(64)
Je puis fort bien me gaver jusqu’à la nausée des minarets dorés, des tar-
tanes, des palétuviers, des atolls, des pirogues, des odalisques, des bri-
gantines, de ces parures qui deviendront bientôt autant de déchets.
S.H.B.: 305
Régime commun : Je puis fort bien me gaver de. Soit :
.—————>], <———-], <———], <———-], <———],<———.
. Je puis fort bien me gaver des minarets, des tartanes, etc.
RéGIME COMMuN IN ABSENTIA
Le régime commun est implicite. C’est le cas de l’ellipse du verbe;
celui-ci étant le dénominateur commun :
(65)
Déambulatoire, la quête du passé a pris la forme d’une légende; l’itiné-
raire, un caractère initiatique.
P.L.: 15
Régime commun : a pris la forme. Soit :
; ————-> , <————- .

Signe relationnel d’étagement


Elle place un ou plusieurs segments en attente (en stand by), du fait
de la non clôture du sens. On dira, assez trivialement, que la /,/ relation-
nelle d’étagement apparaît dans tous les cas où ne figure pas la /,/ rela-
tionnelle d’identité. Bien que nombreux et variés, on peut ranger ces cas
dans deux types de structure – l’antéposition et la structure détachée – qui
ont en commun de reporter la clôture syntaxico-sémantique. Ainsi, on
relève :
- les segments antéposés : mot, comme par exemple un vocatif; syn-
tagme nominal ou prépositionnel, groupe adjectival; proposition
subordonnée;
- les segments détachés : incises, incidentes, appositions, épithètes,
mais aussi reprises de nature diverse : extraction à l’avant, para-
phrastique et hyperonymique notamment. Et la liste n’est pas close.
- segment antéposé : subordonnée infinitive
(66)
Par souci de reproduire ce colloque dans sa forme originelle, il l’a sou-
mis à d’innombrables variantes [...].
CH.ENF. : 109
- segments (1) antéposés : groupes adjectivaux; (2) détachés : reprise
paraphrastique
(67)
(1) Aveugle à force de clairvoyance, menteur par excès de sincérité, le
tiers-mondiste finit par rejoindre (2) son ennemi, son double, le conser-
vateur autarcique et sûr de lui.
82 S.H.B. : 222
PONCTuATION ET éNONCIATION

- segments détachés: apposition et relative explicative


(68)
Marie Bonnard (épouse de Du Parquet) s’entend avec Yves le Fort,
Enseigne à une Compagnie de la Milice, pour organiser avec La Per-
rière, qui assure l’interim de Du Parquet, un guet-apens en vue de neu-
traliser les mutins.
H.M. : 69
- segment détaché : incise
(69)
- Ecoutez, dit Léonard d’une voix essoufflée, laissons cela, si vous le
permettez!
CH.ENF. :160
- segment détaché : reprise hyperonymique
(70)
Tyranneaux, fanfarons sanglants, Frankensteins tropicaux, tous ceux-là
qui traitent la liberté comme un délit reproduisent les heures les plus
sombres de notre passé [...].
S.H.B. : 259
L’ensemble de cette analyse peut donc se formaliser de la façon sui-
vante :

tableau V : Virgule : tensif simple ou complexe

relationnel d’identité relationnel d’étagement


tensif simple +
tensif complexe + +

Substitutions paradigmatiques
Substituer par le point et/ou le point-virgule vise à récapituler les dif-
férents niveaux auxquels fonctionne la virgule.
Ce n’est que dans les structures de type (61) et (62), i.e. quand la vir-
gule a valeur de relationnel d’identité avec tensif simple qu’il est possible
de lui substituer des signes de niveau supérieur : ou point ou point-virgule.
(71)
Le Vietnam s’enfonce dans la poigne de fer de la bureaucratie. Cuba sert
de base à l’impérialisme soviétique. La Chine révèle les atrocités de la
Révolution culturelle. Le monde n’a plus une lueur de lumière à dis-
penser à nos sens affamés.
(72)
Le Vietnam s’enfonce dans la poigne de fer de la bureaucratie; Cuba sert
de base à l’impérialisme soviétique; la Chine révèle les atrocités de la
Révolution culturelle; le monde n’a plus une lueur de lumière à dispen-
ser à nos sens affamés.
83
VéRONIQuE DAHLET

(73)
Nous ignorons la sécurité. Nous nous tenons sur nos gardes. Nous
rusons sans cesse.
(74)
Nous ignorons la sécurité; nous nous tenons sur nos gardes; nous rusons
sans cesse.
Si l’on passe aux structures de type (63) et (64), seul le point-virgule
peut se substituer à la virgule (à moins qu’il y ait intention manifeste d’ef-
fet de sens) :
(75)
Ils grognèrent; tapèrent du pied; envoyèrent de la boue; besognèrent au
ralenti-môlocôye mais finirent par se résigner.
(76)
Je puis fort bien me gaver jusqu’à la nausée des minarets dorés; des tar-
tanes; des palétuviers; des atolls; des pirogues; des odalisques; des bri-
gantines; de ces parures qui deviendront bientôt autant de déchets.
Dans le cas de (65), la substitution de la virgule elliptique par une
ponctuation de niveau supérieur est impossible (seul signe indiqué par
l’usage pour marquer l’ellipse du verbe).
Ainsi, le jeu de permutation met en lumière les trois modalités de la
/,/.
La première modalité, qui renvoie à la /,/ de niveau 4, peut être sub-
stitué par une ponctuation de portée supérieure. Il concerne donc les cas
où la /,/ est de clause avec tensif simple, comme en (61) et (62).
La deuxième modalité renvoie également à la /,/ de niveau 4. Mais la
différence provient de ce qu’il y a mise en régime commun et que l’élé-
ment commun est in praesentia, d’où la substitution qui n’est possible
qu’avec le point-virgule, comme en (63) et (64).
Enfin, la troisième modalité concerne la /,/ de niveau 5. Parce que la
/,/ est intra-clause, la substitution par un signe de portée supérieure est en
principe impossible. Ainsi, la /,/ de l’ellipse et celle d’étagement : cas de
(56) à (70).

84
PONCTuATION ET éNONCIATION

Quatrième partie

La Ponctuation D’Énonciation
FonctionS Et oPÉRationS

85
PONCTuATION ET éNONCIATION

Chapitre 7
contexte monologal et contexte dialogal

Les ponctuations à fonction énonciative sont d’une grande variété. De


fait, elles couvrent le champ des opérations ponctuationnelles qui, d’une
manière ou d’une autre, induisent du marqué. Cette présence du marqué
renvoie à une posture du scripteur, qu’il introduise du discours d’autrui
dans son discours ou que la ponctuation se manifeste comme intervention
intentionnelle sur le processus de référenciation.
On distinguera deux volets dans la ponctuation énonciative, selon
qu’elle opère, sur le plan formel, en contexte monologal ou en contexte
dialogal. Cette distinction me paraît indispensable, car, comme on le verra,
certains signes énonciatifs fonctionnent sur un plan tout à fait différent
selon qu’ils s’insèrent dans l’un ou l’autre contexte.

contexte monologal vs. contexte dialogal


L’opposition entre contexte monologal et contexte dialogal renvoie
formellement à l’intra-discours et à l’inter-discours respectivement. Pour
être toute formelle, cette opposition ne s’inscrit donc ni dans l’horizon
conceptuel bakhtinien (monologisme/dialogisme), ni dans ses prolonge-
ments ultérieurs (on pense notamment à l’intersubjectivité).

tableau Vi : Ponctuation énonciative. corpus et fonctions

contexte monologal contexte dialogal

1. hiérarchiseurs deux-points ?)(deux-points


discursifs tiret double ?)(tiret double
parenthèses ?)(parenthèses
2. aiguilleurs guillemets autonymiques ?)(guillemets autonymiques
référentiels guillemets de connotation ?)(guillemets de connotation
autonymique autonymique
3. signes de citation guillemets
italique
4. marqueurs tiret simple
expressifs italique / soulignement
capitale
gras 87
VéRONIQuE DAHLET

5. signes point d’interrogation


d’interaction point d’exclamation
points de suspension
6. signes de conduite ?)tiret simple
de dialogue )(italique
)(capitale
)(point d’interrogation
)(point d’exclamation
)(points de suspension
(a) )(de débit
(b) )(d’interruption
tiret de dialogue

Le symbole )( veut d’abord rappeler que les signes qui en sont affec-
tés se donnent comme des représentations graphiques de discours oraux
(qu’ils soient fictifs ou transcrits n’a guère d’importance) et qu’à ce titre,
on les fait immédiatement valoir d’une représentation qualifiante de la
voix : les signes valent pour de la voix.
Le symbole ?)( indique que, si les signes qui en sont affectés se trou-
vent dans le cadre d’une citation, c’est-à-dire en parole représentée, il est
très improbable qu’ils puissent, d’une façon ou d’une autre, être rendus en
oralisation.

Les signes de citation


Les guillemets et l’italique procèdent de manière en quelque sorte
inverse : tandis que les guillemets enchâssent le discours cité, l’italique le
marque visuellement « du dedans ». En principe, les deux signes ne sont
pas cumulables, sauf dans les cas où le discours cité se présente originale-
ment en italique ou lorsque l’instance citante désire le marquer (et il
convient alors de le signaler par un « je souligne »). Remarquons l’usage
assez récent du cumul des deux signes dans la presse, où le marqué continu
de l’italique rappelle à tout moment qu’il s’agit là d’une citation.
Les guillemets apparaissent aussi complémentairement au tiret, signe
de conduite de dialogue : « Le guillemet introduisant une citation, guille-
meter un dialogue, c’est le présenter comme une citation » (Laufer, 1977 :
246). Dans ce cas, les guillemets délimitent l’ensemble des discours de
source différente. Voilà une caractéristique de ce « double système » qui
montre qu’en citation de dialogue, « Le système du tiret est subordonné à
celui du guillemet, que ne quitte pas le narrateur (Laufer, op. cit. : 248).

88
PONCTuATION ET éNONCIATION

Les signes de conduite de dialogue


Généralement confinés à l’écriture romanesque59, les signes de
conduite de dialogue constituent une catégorie à part. On aura noté le sta-
tut particulier du tiret, signe typographique par excellence, et qui fonc-
tionne comme on vient de le voir en système avec les guillemets de
citation. Sa fonction consiste à noter le changement du tour de parole. Les
autres signes de conduite de dialogue ont pour fonction de mettre en voix
les discours cités et sont proches, en ceci, de la fonction des didascalies en
écriture théâtrale.
Or, représenter du parlé par de l’écrit, malgré les apparences, ne va
pas de soi, et ne laisse pas d’être paradoxal. En effet,
• le signe de ponctuation est, avec la mise en page, ce qu’il y a de plus
écrit (rappelons qu’il est sans correspondance phonématique). Or, à
la faveur de l’argument historique selon lequel il y a eu passage de
la lecture oralisée à la lecture visuelle (à partir de quoi on a posé
comme axiome la tentative de récupération de la voix) d’une part et,
d’autre part, suite à la tradition grammaticale qui ne puisait ses
exemples que dans la littérature pour illustrer les fonctions des
signes de ponctuation – et, singulièrement, dans la mise en forme du
dialogue pour illustrer les fonctions des points d’interrogation, d’ex-
clamation et de suspension en dialogue romanesque – , la pseudo-
fonction oralisante de ces signes n’a pas quitté nos représentations
communément partagées.
Il s’agit donc d’insister sur le fait que les signes de conduite de dia-
logue sont donnés, par convention, comme indicateurs de certaines
caractéristiques de l’oral (modalités de l’échange et propriétés
vocales), mais qu’ils restent confinés à l’écriture romanesque.
• D’autre part, si l’on convient avec J. Anis de la similitude – qui n’est
pas assimilation – de fonctions syntaxico-sémantiques entre l’into-
nation de l’oral et la ponctuation de l’écrit, alors, le plus curieux
consiste à faire comme si les signes de conduite de dialogue court-
circuitaient d’emblée leurs fonctions premières d’interaction telles
qu’elles procèdent à l’écrit, qui est leur domaine d’appartenance,
pour se charger d’emblée des fonctions intonatives du parlé,
domaine qui leur est par essence étranger.
Rappeler la correspondance entre « graphie et phonie » telle que
l’énonce Anis (1988 : 154) est sans doute utile :
La solution la plus raisonnable du problème de la relation entre intona-
tion et ponctuation nous paraît de les rapprocher par leur fonction : cha-
cune, dans son domaine, est porteuse d’indications syntaxiques,
thématiques et énonciatives ; quand nous lisons un texte, nous décodons

59 J’exclus la mise en forme typographique du dialogue de théâtre, que du reste les inter-
views journalistiques ont reprise, en l’adaptant. 89
VéRONIQuE DAHLET

les topogrammes [signes de ponctuation] et si nous oralisons, à partir


des significations perçues, nous utilisons des marques intonatives cor-
respondantes60.

Les points d’interrogation, d’exclamation et de suspension


Quand on vise l’illusion référentielle, la représentation par l’écrit d’un
dialogue s’accompagne de tout un dispositif chargé de caractériser le
parlé : outre les verbes de parole (chuchoter, protester, s’écrier, etc.) suivis
ou non d’un circonstant de manière, l’intonation et le débit de la voix sont
représentés par les points d’interrogation et d’exclamation ainsi que les
points de suspension.
Qu’est-ce qui différencie ces signes de ponctuation selon qu’ils opè-
rent en contexte monologal ou dialogal ? En contexte dialogal, ils ne ces-
sent de remplir l’une ou l’autre des fonctions qu’ils remplissent en
contexte monologal (encore que cela passe généralement totalement
inaperçu, tant on est braqué sur la transcodification d’un oral), mais
• la portée pragmatique se déplace sur les partenaires de l’échange
représenté (en gros, sur les personnages cités) alors qu’en contexte
monologal, l’échange engage le lecteur et le scripteur. Sans doute
est-ce également pour cette raison (à savoir que le lecteur d’un dia-
logue romanesque est un tiers exclu tandis que le lecteur de l’écrit
ordinaire est un interlocuteur, donc par définition inclus) que
• ils se doublent d’une valeur qualifiante de la voix, comme si la
parole représentée s’assimilait à une transcription.

60 utile aussi la précision qu’apporte Anis sur l’oralisation : « longtemps confondue


avec la lecture, [elle] est le symétrique de la transcription » (1988 : 150). Oraliser pré-
90 suppose la lecture, mais la lecture ne présuppose pas l’oralisation.
PONCTuATION ET éNONCIATION

Chapitre 8
contexte monologal

En contexte monologal, la ponctuation d’énonciation manifeste le


scripteur dans son activité d’énonciation, et ce, selon diverses modalités :
• par la hiérarchisation discursive moyennant le double point, le tiret
double et les parenthèses ;
• par la réorientation sémantique que produisent les /« »/ autony-
miques ;
• par les marqueurs expressifs qui visualisent la relation marquée du
scripteur à un mot ou un segment;
• enfin, par les signes pragmatiques qui enjoignent le lecteur-destina-
taire à s’engager dans l’acte de communication.
Ainsi, en perspective intra-discursive, les signes énonciatifs opèrent
un décrochage énonciatif, opération « par laquelle le sujet construit un
repère énonciatif « décroché » par rapport au domaine » (Caron-Pargue &
Caron, 1995 : 120).

Les hiérarchiseurs discursifs

Le deux-points
Thème et rhème
Que le site d’occurrence du /:/ soit intrapropositionnel, interproposi-
tionnel ou interphrastique, sa fonction est une et constante : il répartit de
part et d’autre le thème et le rhème. Le thème correspond au « donné »,
défini comme « élément qui, au moment de l’acte d’énonciation, appar-
tient déjà au champ de la conscience », tandis que le rhème correspond au
« nouveau », information introduite à partir du donné (Combettes, 1983 :
18-19).
On représentera la fonction distributrice du /:/ comme suit : [t : R]
En intraproposition
(77)
Par un revirement vicieux, l’immense trésor ethnologique en vient alors
à légitimer, à travers des lectures hâtives sans doute, [t] ce contre quoi
cette discipline s’est dressée dès ses origines : [R] le colonialisme spiri-
tuel, le désintérêt généralisé, le mépris d’autrui.
S.H.B. : 209 91
VéRONIQuE DAHLET

En interproposition
(78)
Remarquons [t] qu’aucune analyse sur les causes du sous-développe-
ment ne fait l’unanimité : [R] quand les uns condamnent les multinatio-
nales, d’autres exaltent leur rôle positif.
S.H.B. : 141, n. 3
Il est rare mais non impossible d’employer deux /:/ à la suite, en inter-
proposition ou en intra-proposition :
(79)
[t1] Racisme à l’envers mais racisme tout de même : [R1>t2] le ravis-
sement apparent de n’être plus soi se paye de la plus grossière réduc-
tion : [R2] on ne bénit chez l’autre que le négatif de notre société, l’alibi
introuvable de nos peurs, le porte-parole de nos hantises.
S.H.B. : 189
(80)
L’exemple le plus clair est celui des abbayes, dans lesquelles [t1]
l’agencement des bâtiments est partout le même, [R1] répondant aux
nécessités de la vie en commun [R1>t2] : [R2] chapelle, dortoir, réfec-
toire, cloître et capitulaire, [t3] avec des variantes qui correspondent
aux modes de vie de divers ordres : [R3] maisonnettes des Chartreux,
granges et « usines » cisterciennes, etc.
P.F.M.A. : 31
La délimitation du thème et du rhème semble être une constante, mais
l’ordre peut changer, et l’on trouve aussi bien l’ordre [T : R] que l’ordre
[R : T] :
(81) [R : t]
Votre Occident radieux a pour socle un cauchemar et pour base une
hécatombe : voilà ce que nous soufflent les indigents du Tiers-Monde.
S.H.B. : 106
(82) [R : t]
La Révolution ou l’oubli : les opprimés étaient soumis à cette alterna-
tive abrupte, acte dévorant au regard duquel rien n’avait d’importance.
S.H.B. : 69
En position interphrastique, le double-point intervient alors en
représentation de dialogue et fonctionne le plus souvent de paire avec le
guillemet et le tiret de citation.
(83)
Philomène entraîna le bonhomme dans sa case et lui lança d’un ton sec :
« Je t’ai trouvé un grand maître du damier. Pa Victor, c’est son nom, il
t’enseignera tout ce que tu dois savoir [...]. »
M.S.G. : 60

Un opérateur logique
La valeur distributionnelle entre thème et rhème peut se doubler de
diverses valeurs dites logiques : cause, conséquence, conclusive, voire de
92 paraphrase.
PONCTuATION ET éNONCIATION

Deux-points de cause (car)61 :


(84)
serf du seigneur sur un domaine, il eût été assuré d’y terminer paisible-
ment sa vie; rien ne lui appartenait en propre, mais l’usage ne pouvait
lui en être retiré. Et, de ce point de vue, il avait avec la terre la même
relation que le seigneur lui-même : celui-ci ne possède jamais en pleine
propriété comme nous l’entendrions aujourd’hui; c’est sa lignée qui est
propriétaire [...].
P.F.M.A. : 79
Deux-points de conséquence (donc) :
(85)
Rimbaud est de la génération de Freud, Buffalo Bill, Pétain : il aurait dû
mourir après 1914.
Apud Anis, 1988 : 135
Deux-points paraphrastique (c’est-à-dire) :
(86) [t + R : R]
Il y a eu, sous son impulsion [de Charlemagne], ce que nombre d’uni-
versitaires, heureusement surpris, ont qualifié de « première renais-
sance » : un essai de retour aux formes antiques.
P.F.M.A. : 45

Parenthèses et tiret double


Signes morphologiquement doubles (parenthèses et tirets ouvrants et
fermants), leur fonction est d’insérer un segment dans un énoncé récep-
teur, qui est syntaxiquement autonome, tandis que le segment délimité par
les / ( ) / ou le / - - / varie de l’autonomie nulle à l’autonomie maximale.
Dans (87) et (88), l’autonomie du segment parenthétique est nulle :
(87)
C’est par une mesure bien significative que le pape Boniface VIII, en
1298, décide pour les moniales (chartreuses, cisterciennes) la clôture
totale et rigoureuse qu’elles ont connue depuis lors.
P.F.M.A. : 94
(88)
[l’épée achetée à Tolède] était légèrement plus lourde que celles qu’on
utilisait pour l’escrime – discipline qu’il pratiquait de temps à autre –
mais, face à un bougre inexpérimenté tel que Beausoleil, cela suffirait.
M.S.G. : 266

61 Le /:/ de cause dispense de mettre la conjonction. C’est pourquoi, un énoncé tel que
celui-ci serait redondant si la topicalisation ne servait expressément à des fins argu-
mentatives :
la misère vous prend au piège : car démultipliée par la démographie, elle se perd
ici aux frontières inexplorées du fantastique et de l’incroyable. S.H.B. : 102 93
VéRONIQuE DAHLET

Parenthèses et tiret double ne sont pourtant pas interchangeables :


• tout d’abord, leur différence réside dans la nature même de l’infor-
mation : « la valeur de base [du tiret parenthétique] semble être plus
d’apporter un supplément qu’un complément d’information –
comme la parenthèse » (Anis, 1988 : 136-137)62 ;
• en outre, le / - - / peut fournir au segment un poids informationnel
supérieur, faisant prévaloir l’argument inséré sur l’argument donné
dans l’énoncé récepteur ;
• les / ( ) /, quant à elles, peuvent borner un segment qui va du mini-
mal (un mot, une abréviation, un signe de ponctuation même) au
maximal (un paragraphe, voire plusieurs).
un segment parenthétique minimal peut renvoyer à un signe d’inter-
action : (?), (!) ou (...). Si ces trois signes ont la même capacité à s’insérer
à un niveau intra-phrastique, seuls les /?/ et /!/ peuvent figurer entre paren-
thèses en entraînant un changement d’opération par addition. Parce qu’ils
sont mis entre parenthèses, ils deviennent en effet signes méta-énonciatifs,
en ce qu’ils produisent une distanciation du scripteur par rapport à son
énonciation. Le (?) introduit un doute sur le prédiqué, et le (!) l’affecte
d’un supplément de degré. En revanche, (...) entraîne un changement
d’opération par soustraction puisqu’il indique une citation incomplète. Les
/.../ indiquent par substitution un segment tronqué, et agissent par défaut
sur l’orientation sémantique du segment cité63.
Dans notre corpus, le bornage maximal de l’insertion parenthétique
s’étend à un paragraphe :
(89)
L’idée d’atteindre à la compréhension du monde par la mathématique
fut certainement pour moi cela [une idée soudaine], mais je dois à la
maîtresse exigeante de mon entreprise, la véracité, de reconnaître
qu’elle n’était pas entièrement neuve.
(Je désigne par « exigence de véracité » la maxime impérieuse qui gou-
verne mon attitude [...]; la maxime vaut pour moi seul et, de nouveau,
le lecteur qui la rencontre peut ou non me faire confiance sur ce point.)
Il me faut pour cela retourner quelques années en arrière [...].
Math. : 111

aiguilleurs référentiels
Les guillemets en contexte monologal bloquent l’interprétation litté-
rale du segment et fournissent ainsi des consignes d’interprétation particu-
lières. C’est pourquoi on les appelle aiguilleurs référentiels.

62 Différenciation reprise par Bessonnat : « Abrité dans les parenthèses, le commentaire


est donné comme complément d’information avec mise en sourdine; détaché entre
tirets, il est donné comme supplément d’information avec mise en relief » (1991 : 43).
63 Aujourd’hui, les /.../ mis entre parenthèses se cantonnent au manuscrit – (...) – , alors
que les crochets se sont généralisés dans le tapuscrit, par référence à la convention
94 éditoriale : […].
PONCTuATION ET éNONCIATION

On en relève deux principalement : guillemets d’autonymie et guille-


mets de connotation autonymique.

Guillemets autonymiques
Lorsqu’un mot est utilisé en mention, il est placé entre guillemets :
(90)
Même le mot « urbanité » est un souvenir de l’urbs antique.
P.F.M.A. : 61
Dans cette fonction encore, les /« »/ sont concurrencés par l’italique :
(91)
Le terme inquisition signifie enquête; au xIIe siècle Abélard proclame
que la vie du chercheur, du logicien, se passe en « inquisition perma-
nente » [...].
P.F.M.A. : 104

Guillemets de connotation autonymique


Les /« »/ de connotation autonymique signalent une distanciation de
l’énonciateur, qui se met en situation de « dire et ne pas dire » (J. Rey-
Debove, 1978 : 264). Le mot guillemeté, qui est le sien, est néanmoins pré-
senté comme n’étant pas idéalement le sien propre, et peut être paraphrasé
par : « pour ainsi dire » ou « comme dirait x » (Id. : 267), c’est-à-dire que
x me capte par ses mots : « comme moi-même ne le dirais pas, quand bien
même je le dis ». Dans tous les cas, ces guillemets apparaissent comme par
défaut d’un mieux à dire, quelle que soit par ailleurs la nature du défaut :
- imprécision
(92)
A la phobie du « divers », caractéristique de la phase expansionniste,
s’est substituée une toquade pour le primitif, à qui l’on accorde d’em-
blée toute la générosité, toute la pureté que l’on se refuse.
S.H.B. : 188
- impropre
(93)
Semble-t-il, les Caraïbes auraient été les seuls anthropophages des îles
antillaises. Mais il n’y a rien là d’extraordinaire : le sacrifice et la
« consommation » des prisonniers de guerre sont des pratiques com-
munes à presque toutes les populations néolithiques de par le monde.
H.M. 1 : 31
- métaphore
(94)
les médecins utilisent leurs thérapeutiques comme des preuves. Aussi
les pratiques sont-elles destinées à « faire parler » le corps, à faire avouer
ce qui est su à ce qui est vu.
P.L. : 189

95
VéRONIQuE DAHLET

- rupture de registre
(95)
Le chauvinisme « pantouflardement » cocardier des occidentalistes à
tout crin vaut bien les réductions sommaires des tiers-mondistes.
S.H.B. : 267

Les marqueurs expressifs


À la différence du tiret simple, l’italique (ainsi que le soulignement en
manuscrit) et la capitale sont des signes liés parce qu’ils ont besoin du sup-
port alphabétique pour se manifester. Marqueurs expressifs, leur champ
d’opération varie cependant.
• la capitale peut également avoir fonction de hiérarchisation textuelle
(dans le corps d’un texte : titres et inter-titres), qui s’accompagne
éventuellement d’une variation petite capitale vs. capitale, et de dif-
férentes épaisseurs de graisse;
• capitale et italique se trouvent dans les deux contextes, monologal et
dialogal. D’un contexte à l’autre, ils maintiennent leur fonction de
marqueur expressif, mais avec délégation de responsabilité en
contexte dialogal. L’italique y reçoit en outre une fonction de mar-
queur de citation;
• l’italique peut s’étendre à une phrase, voire plusieurs, c’est-à-dire
que son amplitude varie du mot à un paquet de phrases.

L’italique
L’italique a été chargée depuis quelques décennies de marquer l’ex-
pressivité, mais la valeur du segment marqué possède des nuances, que le
contexte se charge à chaque fois de caractériser : valeur superlative en
(96), contrastive en (97), marque de l’argument fort en (98) et (99) :
(96)
[...] plus loin encore l’idée que l’Histoire puisse apporter une solution
aux problèmes du jour : si l’on peut tirer une conclusion de l’Histoire,
c’est au contraire que la solution de la veille n’est jamais celle du jour.
P.F.M.A. : 150
(97)
Et l’on peut se demander si ces jeunes qui voyaient dans l’oeuvre d’art
un moment d’extase [...] n’étaient pas [...] plus proches des conceptions
pré-classiques – à cela près toutefois qu’ils confondaient le présent avec
l’instant.
P.F.M.A. : 30
(98)
Aime tes ennemis : jamais notre temps d’incroyance n’a, dans les
années 70, suivi aussi fidèlement la parole christique. A cette nuance,
toutefois, que dans l’ennemi ce n’est pas la réconciliation future que
l’on vénère, c’est notre propre abolition que l’on cultive.
S.H.B. : 41
96
PONCTuATION ET éNONCIATION

(99)
Le grand traumatisme de la dernière décennie, c’est que les persécutés
ont eux aussi perdu leur innocence [...]. Il faut en prendre son parti :
l’ancien esclave vaut bien le maître dans sa capacité d’asservir d’autres
esclaves à ses ambitions. La terrible vérité que nous affrontons depuis
peu, c’est que tous les hommes sont pécheurs, même ceux-là que des
siècles de souffrance avaient désignés à la tâche exaltante de racheter
le genre humain.
S.H.B. : 242

La capitale
La capitale, dans les textes ordinaires, n’a jamais connu beaucoup de
vigueur. On trouve, ça et là, quelques occurrences, qui toutes cherchent à
drainer – par la mise en relief pour l’œil – le poids de l’information sur le
segment capitalisé (mot ou plus) :
(100)
[...] Beauzée, qui sera donc ici majoritairement cité. Il est d’ailleurs aux
yeux de ses contemporains LE spécialiste de la ponctuation [...].
F. Douay, « unité de sens et ponctuation », Travaux 13, Cercle Linguis-
tique d’Aix-en-Provence, PuP, 1995 : 44.
(101)
Mais c’était la mathématique seule, LA MATHéMATIQuE, qui avait
droit à cette presque-divination.
Math. : 77
Elle est concurrencée par l’italique, et si elle était assez prisée pour les
titres et sous-titres, elle tend aujourd’hui à être supplantée par le bas-de-
casse surdimensionné64. En revanche, pour des raisons de visibilité, elle est
volontiers utilisée dans des textes spécialisés, publicitaires notamment, et
des textes affichés dans des lieux ouverts.

Le gras
Très bien représentée dans les textes médiatiques, les manuels et les
monographies, son emploi reste marginalisé dans les autres types d’écrit.
Sa fonction est identique à celle de l’italique et de la capitale : elle met en
vedette le segment gras :
(102)
Cette caractéristique gestuelle oubliée de quelqu’un que nous avions
beaucoup vu [...], demeurée présente et immédiatement évocable dans
les souvenirs de Pierre alors qu’elle avait disparu des miens (et j’ai la
conviction que son souvenir est exact, je me souviens maintenant moi
aussi de ce mouvement, je le vois) [...].
Math. : 95

64 Le recul de l’écriture manuscrite mais surtout de la mécanique qui ne disposent que


de la capitale, n’est peut-être pas étranger à cette tendance. 97
VéRONIQuE DAHLET

Le tiret simple
(103)
La représentation du pouvoir est d’autant plus spectaculaire qu’elle tra-
hit davantage l’angoisse de le perdre – ou de l’avoir perdu.
P.L. : 221
(104)
Et l’on peut se demander si ces jeunes qui voyaient dans l’œuvre d’art
un moment d’extase, un happening, qu’on provoque et qu’on détruit au
besoin une fois passé l’émoi, n’étaient pas, somme toute, plus proches
des conceptions classiques – à cela près toutefois qu’ils confondaient le
présent avec l’instant.
P.F.M.A. : 30
L’opération de mise en valeur du segment devient perceptible lors-
qu’on fait jouer la permutation. Si on se rappelle que le segment est déli-
mité à gauche par le tiret et à droite par le point, alors on constate, à partir
des exemples ci-dessus, que
• le tiret simple peut toujours être remplacé par une virgule. Sa parti-
cularité provient donc de ce qu’il mise, plus que pour d’autres
signes, sur sa visibilité, sur le détachement spatial du segment
concerné;
• le tiret n’entre en combinaison qu’avec le point. Les autres signes du
même paradigme ( /?/ - /!/ - /.../) produiraient un effet contradictoire,
ou pour le moins curieux66. On pourra dire que ces signes créeraient
une indétermination quant à leur portée : la borne de gauche se loca-
liserait aussi bien en début d’énoncé que sur le site du tiret. Mais
cela ne suffit pas à expliquer la prévalence du point. En réalité, le
tiret simple transforme la valeur déclarative du segment en plus-
value affirmative, et le fiduciaire s’accommode mal des /?/, des /!/
ou des /.../.

Les signes d’interaction


Pour rendre compte des opérations mises en jeu par l’ensemble des
trois signes interactifs, points d’interrogation, d’exclamation et de suspen-
sion, il est nécessaire de distinguer leur contexte d’actualisation. En effet,
les fonctions diffèrent, parfois de façon importante, selon qu’il s’agit d’un
contexte monologal ou dialogal.

66 On trouve cependant une occurrence / tiret simple – point d’exclamation/ dans notre
corpus : [les habitants de Counozouls avaient pu conserver, encore au début du xxe
siècle, les droits d’usage qu’ils possédaient de temps immémorial sur les bois envi-
ronnant la commune]. Aujourd’hui encore on peut dire des habitants de Counozouls
qu’ils vivent en plein Moyen-Age – cette fois sans abuser du terme ! P.F.M.A. : 80. Le
/!/ établit ici une véritable complicité avec le lecteur, qui a déjà pris connaissance, au
fil des pages, des nombreux stéréotypes et idées fausses sur le Moyen-Age analysés
par l’historienne. En d’autres termes, le couplage /tiret – point d’exclamation/ valide,
ici, la formation d’une mémoire discursive partagée (auteur et lectorat) qui se consti-
98 tue en cours de lecture.
PONCTuATION ET éNONCIATION

On se rappelle que le contexte monologal renvoie à toute séquence


textuelle formellement gérée par un seul et même scripteur et le contexte
dialogal, à toute séquence qui intègre une citation ou un dialogue. On per-
çoit le glissement de l’entité scripteur à celle de voix : c’est que le contexte
dialogal, à l’écrit, produit une représentation d’un échange qui présuppo-
serait une antécédence orale dont la mise par écrit aurait alors pour fonc-
tion de la représenter, de la transcrire. Que cette antécédence orale ait eu
lieu ou non – ce qui différencie par exemple l’interview transcrite d’un
dialogue romanesque – ne nous importe guère dans la mesure où dans les
deux cas, la ponctuation modalisante récupère par convention la fonction
intonatoire de l’oralisation.
En somme, si les points d’interrogation, d’exclamation et de suspen-
sion sont des signes par excellence interactifs, l’interaction, en contexte
monologal, se produit entre scripteur et lecteur, alors qu’en contexte dia-
logal, elle se produit entre les partenaires de l’échange scripturalement
représenté, le lecteur prenant alors la place du tiers exclu, celle de témoin
de l’échange.

Le point d’exclamation
Le point d’exclamation porte aussi bien sur l’interjection que sur
l’apostrophe, l’impératif et l’exclamation.

Le haut degré
S’agissant d’écrits monologaux, la structure qui se présente est celle
d’un /assertif complet + modalité !/. La question est donc de savoir ce
qu’apporte à un énoncé syntaxiquement et sémantiquement complet le
point d’exclamation. On peut avancer comme règle générale que le point
d’exclamation octroie à l’énoncé son haut degré : « que fait l’énonciateur
qui produit une exclamative ? Il entend signifier le ‘haut degré d’une pro-
priété’ » (Culioli, 1974 : 7).
(105)
Ne me jugez pas, dit l’islam, car il faut être mulsuman pour me com-
prendre. Ne me jugez pas, dit l’Africain, car il faut être noir pour m’en-
tendre. Ce sont curieusement les mêmes arguments dont Sören
Kierkegaard se servait pour défendre le christianisme lorsqu’il déclarait
que, pour le comprendre, il faut d’abord se convertir à la religion du
Christ!
S.H.B. : 246
(106)
Beaucoup plus discutable, un Walter Scott imposant une image de Louis
xI qui n’avait rien à voir avec le Louis xI de l’histoire – même si cette
image a pu se glisser jusque dans les manuels scolaires!
P.F.M.A. : 123
Le haut degré fourni par le point d’exclamation densifie le contenu
sémantique à des fins argumentatives, lesquelles passent par la construc-
tion d’un espace de conjonction consensuelle : 99
VéRONIQuE DAHLET

- dans (105), l’adverbe d’énonciation curieusement (Ce sont curieuse-


ment les mêmes arguments) n’est plus, avec le point d’exclamation,
du seul ressort du scripteur : le lecteur est lui-même appelé à le
prendre en charge, de sorte qu’il y a ici véritablement instauration
d’une co-énonciation, avec responsabilité partagée du prédiqué.
- dans (106), l’opération argumentative, qui porte sur le prédiqué,
introduit par Beaucoup plus discutable, est identique : le point d’ex-
clamation fait que le lecteur ne peut se contenter d’enregistrer l’avis
du scripteur, il lui faut encore s’approprier le haut degré de la contre-
façon.

Mot exclamé
Lorsque le /!/ porte sur un mot seulement, il y a opération de topica-
lisation, de sorte qu’est atteint, si l’on peut dire, le degré superlatif. Degré
superlatif de la dysphorie dans (107) et degré superlatif de la question du
sens dans (108) :
(107)
Enfin, ce qu’on voit tous les jours : emprunter les noms de personnages
historiques pour faire passer des productions qui n’ont plus rien à voir
hélas! avec les oeuvres de Shakespeare ou même de Walter Scott, n’est
plus que pitoyable contre-façon [...].
P.F.M.A. : 123.
(108)
Le sens! C’est bien la hantise, assumée ou refoulée, de toute linguis-
tique.
C.Hagège, L’homme de paroles, Fayard/Folio 1985, p. 352.

Le point d’interrogation
Traditionnellement, on distingue l’interrogation, qui est une demande
d’information, de l’interrogation dite rhétorique, qui n’en demande pas.
On maintiendra cette bipartition, car on voit bien qu’elle est centrale. En
effet, dans la grande masse des écrits monologaux, l’énoncé interrogatif ne
constitue jamais une demande d’information66. On constate tout d’abord
que notre corpus de textes ne présente aucune interrogation totale, c’est-à-
dire de type est-ce que p ?, qui demande « à l’interlocuteur si tel contenu
est vrai ou non » moyennant une réponse oui/non. Le corpus ne contient
pas davantage d’interrogations partielles « qui demandent à l’interlocuteur
de compléter, sur un point particulier, les indications données par le locu-

66 Il faut bien sûr préciser davantage le sens que j’ai donné à contexte monologal, car
l’analyse qui suivra exclut la lettre qui, prise de façon indépendante, pourrait égale-
ment être perçue comme discours monologal. Mais précisément, il s’agit de replacer
la lettre, en tant que genre, dans son économie qui est celle de l’échange. De sorte que
poser une question y est tout à fait possible, qui mette le destinataire dans l’obliga-
tion de donner l’information demandée (exemple : est-ce que tu arriveras par le train
100 de 14 heures ?).
PONCTuATION ET éNONCIATION

teur (cf. « Qui est venu hier » ?, « Quand Pierre est-il venu ? ») » (Ducrot,
1981 : 80).
Ecartons d’emblée l’hypothèse selon laquelle l’énoncé interrogatif,
quand il n’est pas demande de réponse adressée à autrui, est une question
auto-adressée67. Reste enfin la question dite rhétorique, dont on sait le pou-
voir coercitif sur l’interlocuteur. Il faut donc voir quels mécanismes sont
mis en jeu par l’énoncé interrogatif dans les énoncés monologaux.
Dans son bel article sur « La valeur argumentative de la phrase inter-
rogative », Ducrot (1981) avance que les interrogations (totales et par-
tielles) « ont une orientation argumentative intrinsèque, et cette orientation
est négative » (81). Pour fonder cette hypothèse, Ducrot s’appuie sur ce
qu’il appelle des « coordinations argumentatives » (87), dont l’une vise à
la même conclusion que l’autre, donnée par l’interrogation. Ainsi, (E) et
(F) dans des énoncés tels que ceux-ci, où (F) interrogatif comporte une
proposition négative sous-jacente, qui de ce fait est argumentative en ce
qu’elle est en concordance avec la proposition (E) :
Il faudrait réfléchir avant d’abandonner ton poste (E). Est-ce que tu te
plairais mieux dans le nouveau ?(F) (85)
Tu es bien incapable de conduire (E), et d’ailleurs, en as-tu besoin pour
ton travail ? (F) (86)
À la suite de quoi, Ducrot distingue et démontre les trois actes élé-
mentaires qui s’accomplissent dans l’interrogation :
• l’assertion préalable, assertion de contenu : « En disant « Pierre est-
il venu ? », je mets en scène quelqu’un, différent de moi, qui asser-
terait la venue de Pierre » (89) ;
• l’expression d’une incertitude : « C’est le producteur de l’énoncé
qui, après avoir envisagé la proposition positive objet de l’assertion
préalable, montre qu’il hésite, en ce qui le concerne personnelle-
ment, à y adhérer, et il donne son énoncé comme le produit même
de son incertitude » (95). « Et c’est cette incertitude qui détermine
[...] l’aspect argumentatif de l’interrogation » (94);
• la création d’une obligation de réponse (99).
L’analyse de Ducrot nous intéresse à plusieurs titres.Tout d’abord, en
ce qu’elle montre l’opération argumentative, et ce, même dans les ques-
tions demandant véritablement une information.

67 Par définition, serait exclu d’emblée l’ensemble des écrits destiné à un tiers singulier
ou collectif (la question auto-adressée serait ressentie dans tous les sens du terme
comme déplacée); dans les écrits adressés à soi, comme le journal intime, la question
auto-adressée fonctionne comme un véritable leurre, car du fait qu’il s’agit d’écrit, le
scripteur ne cesse d’éprouver les représentations qui s’y rattachent et d’en reproduire
les mécanismes internes, quand bien même il se trouve dans la plus intime solitude.
En somme, la question auto-adressée n’existe pas à l’écrit. 101
VéRONIQuE DAHLET

Ensuite, en ce qu’elle s’intéresse également à la question dite rhéto-


rique qui « possède une affinité particulière avec la négation – je veux dire
par là que la réponse dont le locuteur présuppose l’évidence est la néga-
tion de la proposition servant de base à la question : l’interrogation « Est-
ce que p ? », énoncée de façon rhétorique, s’appuie sur l’évidence d’une
réponse « non p », et de même, par la double négation, l’interrogation
« Est-ce que non p ? » prend pour allant de soi la réponse « p » » (83-84).
Enfin, sur fond de l’analyse de Ducrot, on dira que toutes les interro-
gations en contexte monologal sont certes rhétoriques, mais qu’elles
empruntent des cheminements complexes, proches parfois de véritables
mises en scène.

Mise en vedette du rhème


L’énoncé interrogatif affecte le thème, qui joue le rôle d’annonce du
rhème (d’une prédication à venir), d’où la prégnance argumentative qu’il
reçoit :
(109)
Rêver ? Contempler ? C’est en effet ce à quoi [l’être humain] est le plus
apte.
« L’homme paresseux », Le Monde Diplomatique, avril 2001
(110)
Trotski ? Il [Malraux] imagina même un commando littéraire pour aller
l’enlever au Kazakhstan, où il était exilé.
[...]
De Gaulle ? La première rencontre eut lieu le 5 ou 6 août 1954... et elle
ne dura qu’une demi-heure aussi !
« L’esboufreur officiel », Le Canard enchaîné, 25 avril 2001
(111)
Jeannette ? Mais il ne reconnaît pas sa voix et quant à celle de Paul, elle
répond aux propos tenus par lui avec la voix d’un autre.
CH. EN. : 68

Appel au consensus
L’interro-négative, elle, fournit à la fois la forme de la réponse et la
matière. En réalité, c’est une quasi assertion, à ceci près qu’elle auto-légi-
time l’asserté en faisant appel au consensus, voire à la coercition.
(112)
Mais posons qu’il n’y ait point de fourbe ni de fiction en cette affaire.
S’ensuit-il pour cela que ces filles soient possédées? Ne se peut-il pas
faire que, par folie ou erreur d’imagination, elles croient être possédées,
ne l’étant point?
Marc Ducan, in P.L. : 201
(113)
Entre les êtres célestes et la bête, ou entre les éléments combinés du cos-
102 mologique et du « vital », on constate une ellipse de l’homme.
PONCTuATION ET éNONCIATION

Mais ne s’agit-il pas, précisément, de définir ce qui est humain?


P.L. : 184
(114)
Que conclure de ces portraits? Sinon qu’aussi honnêtes et ingénieux
soient-ils, ce sont avant tout des clichés.
S.H.B. : 138
Dans cet énoncé, la mise en vedette du rhème est en quelque sorte ren-
due plus dense par anticipation, car le point d’interrogation isole le thème
conclure alors que celui-ci est syntaxiquement rattaché au rhème par la
locution sinon que : que + verbe, sinon que?

Fiction de dialogue
AVEC LE LECTEuR
La fiction du dialogue en contexte monologal consiste à construire
une image d’interlocuteur et à lui prêter la parole. Si l’interlocuteur imagé
peut endosser des identités diverses, la visée argumentative au moyen de
la mise en scène d’un dialogue ne change pas.
(115)
A quel autre critère, sinon à l’agrément d’une vie nouvelle, mesurer la
légitimité d’une patrie élective? Pays en voie de développement, dites-
vous ? Peut-être, mais d’abord pays en voie d’enveloppement.
S.H.B. : 281
La fiction du dialogue est double : elle se fonde sur l’oubli volontaire
des conditions qui caractérisent l’écrit (on fait comme si, sur le mode ima-
ginaire), ce qui permet alors d’instaurer un échange question-réponse; elle
sert à masquer la force de la prise de position sous couvert d’une conces-
sion attribuée au lecteur, désigné et montré interlocuteur dans la mise en
scène du procédé question-réponse, mais interlocuteur authentique si
rendu à la justesse de l’argument.
L’insertion explicite du co-énonciateur n’est pas indispensable : toute
structure comportant une concession suffit à l’opération, en vertu même de
la concession dont on sait qu’elle n’est jamais qu’un argument mineur qui
sert de fondement à l’argument majeur. Mais précisément, la concession
sous forme interrogative interpellante rabat encore plus nettement le lec-
teur sur l’argument prévalent.

DIALOGuE TIERCéRISé
On apelle dialogue tiercérisé toute parole que le scripteur délègue à
un tiers virtuel, en mettant dans sa bouche (tout aussi virtuelle) des mots
qui sont les siens. Ce procédé consiste donc à créer un tiers fictif, dont la
présentification suscite un effet fédérateur favorable à l’argumentation.
(116)
[Mais ces misérables à l’estomac vide] se moquent de vos théories. Cha-
cun semble protester: pourquoi est-ce moi qui meurs de faim?
S.H.B. : 100 -101 103
VéRONIQuE DAHLET

Ici, une pseudo-citation (116); là, une forme proche du discours direct
de pseudo-citation : dans (117), le jeu de questions, virtuellement assu-
mées par les affranchis, construit une mimesis qui produit un effet d’em-
pathie, puisque le lecteur devient spectateur d’une mise en scène
plurilogue de la parole.
(117)
Pour beaucoup d’affranchis, la liberté c’était d’abord sortir du cadre
ancestral de la servitude, de l’habitation. Mais les choses n’étaient pas
simples. Aller où? Sur les terres des particuliers? Impossible. Sur les
terres du domaine public? Oui, sans doute, avec la tolérance des autori-
tés. Vers les villes? Dans une certaine mesure, surtout s’il a un métier.
H.M. 2 : 40
C’est un jeu de questions, mais aussi, éventuellement, de réponses, au
prix d’un glissement, car si celles-là peuvent dans un premier temps être
interprétées comme relevant de la parole du tiers (l’affranchi), la dernière
réponse est clairement prise en charge par le scripteur : « surtout s’il a un
métier ». Cet extrait est du même effet que le discours indirect libre en
contexte littéraire.
Ainsi, on le voit, l’interrogation en contexte monologal rend compte,
le plus souvent, ou bien d’une modalité de traitement de l’information
(focalisation sur le rhème), ou bien d’un appel au consensus, ou encore,
d’une intervention directe et directive sur le quoi penser du lecteur. C’est
bien à « un aveu, à une reconnaissance que [le locuteur] prétend
contraindre la personne à qui il parle » (Ducrot, 1981 : 101). Aussi, quel
que soit le cas de figure, l’ensemble des fonctionnements de l’interroga-
tion dans les écrits à contexte monologal relève d’une stratégie argumen-
tative.

Les points de suspension


Des trois signes pragmatiques, les points de suspension sont certaine-
ment les plus ostensiblement interactifs. Cela, parce que l’appel au
consensus est hautement coercitif. Si, dans – presque – tous les cas, les
points de suspension se substituent (ou, ce qui revient au même, feignent
de se substituer) à du dit, il s’agit pour le lecteur de restituer ce dit, ou en
d’autres termes, de le dire/lire68. De sorte que le scripteur donne le relais
au lecteur, qui devient alors énonciateur du dit originellement manquant.
Le recul de l’énonciateur-scripteur est inversement proportionnel à l’avan-
cée du lecteur co-énonciateur.
L’ensemble des contextes d’actualisation des points de suspension, en
contexte monologal, ramènent à une et une seule fonction, celle de l’ap-
pel à la poursuite de l’inférence.

104 68 Ou mieux : de se le dire, de se le lire.


PONCTuATION ET éNONCIATION

En début d’énoncé
En tout état de cause, les points de suspension en début d’énoncé
répondent à une convention qui se limite quasi exclusivement aux textes
littéraires : à l’incipit ou en début de paragraphe, ils mettent en oeuvre le
présupposé selon lequel un avant-texte a été écrit tout en n’ayant jamais
été écrit : c’est le bien connu début in media res.
Pour être de convention littéraire, ces /.../ ne demandent pas une res-
titution du dire, mais une restitution situationnelle.

En milieu d’énoncé
Les points de suspension, en contexte monologal, peuvent créer un
effet d’attente – de suspense en quelque sorte – destiné à préparer le lec-
teur à intégrer une nouvelle donne d’emblée ressentie comme imprévi-
sible, soit parce qu’elle rompt l’isotopie, soit parce qu’elle déstabilise une
représentation communément partagée. La complétude de l’énoncé est
alors reportée :
(118)
A celles-ci [aux femmes Caraïbes] étaient réservés la cuisine, la poterie,
le tissage du coton, le soin des enfants... et des maris dans certaines cir-
constances.
H.M.1 : 20
(119)
[...] aux municipales de 1912, il y eut une scission parmi les radicaux.
Ce qui permit à Victor Sévère d’obtenir le soutien de ...Fernand Clerc,
l’ennemi d’hier!
H.M.2 : 183
Dans l’ensemble peu fréquent, ce procédé se trouve néanmoins assez
bien représenté dans les textes journalistiques :
(120)
un gazole «vert» à … l’eau
Le Nouvel Observateur, 11-17 mai 1995
(121)
Pour être l’heureux titulaire [d’une carte d’identité infalsifiable], il faut
montrer patte blanche… française!
(Ibid.)
(122)
Rêver? Contempler? C’est en effet ce à quoi [l’être humain] est le plus
apte. Et sans doute serait-ce dans ses rêveries que se forgeraient de nou-
velles idées... de machines à communiquer [...].
« L’homme paresseux », Le Monde Diplomatique, avril 2001
L’effet d’attente restitue pleinement la fonction de mise en suspens
momentanée de cette ponctuation – mise en suspens de l’énoncé, mise en
attente pour le lecteur –. Pure théâtralisation d’une interaction qui se donne
à voir, ostensiblement, et qui légitime le report du travail inférentiel. 105
VéRONIQuE DAHLET

En effet, dans ce contexte d’ocurrence, les /.../ exécutent invariable-


ment les procédures suivantes :
• ils reportent l’opération d’identification;
• ils caractérisent par avance l’argument qui suivra comme insolite et
inattendu;
• ils incitent le lecteur à parcourir la potentialité des termes suspendus
à cet endroit;
• et enfin, le scripteur s’engage à satisfaire la curiosité du lecteur en
lui fournissant le « bon » argument.

En fin d’énoncé
ETC.
Synonymes d’etc., les /.../ apparaissent alors dans l’énumération, et
uniquement dans ce cas de figure. En effet, tout autre contexte induit une
fonction différente de celle-ci.
- énoncé parenthétique
(123)
Il y a aussi les fruits du pays : ananas, papaye, corrosol, etc. Certes ils
ont tenté d’introduire les arbres fruitiers de France (pommier, poirier,
vigne...) mais là aussi, ce fut l’échec.
H.M.1 : 57
- énoncé phrastique
(124)
Certaines abesses étaient des seigneurs féodaux dont le pouvoir était
respecté à l’égal de celui des autres seigneurs [...]; elles administraient
souvent de vastes territoires avec des villages, des paroisses...
P.F.M.A. : 91
Qu’aujourd’hui, la concurrence entre les deux formes tend à s’affai-
blir au profit d’etc., s’explique par la meilleure lisibilité (évitement de
l’ambiguïté sur l’interprétation du signe en fin d’énoncé).

ESPACE DE L’INTERPRéTATION
Hormis l’équivalent de l’etc., les /.../ en fin d’énoncé apparaissent sys-
tématiquement dans des énoncés complets. En effet, tous les énoncés
recensés pourraient se clore par le /./. Par là, on voit la fonction de ce
signe, qui déclenche un dire à venir dans la subséquence du dit, qui
indique un dire in absentia. Sur ce site, les /.../ sont signe de coopération
par excellence.
(125)
Il faut certes des émissions de plateau mais point trop n’en faut. Il y a
les bonnes et les autres...
« La télé trop bavarde tue le docu », Libération, 7 janvier 2002

106
PONCTuATION ET éNONCIATION

(126)
[une salle de jeux en réseau] Le clocher de l’église de Fontaine-le-Port
sonne 8 heures. Derrière les ordinateurs, les têtes vaillantes se font plus
rares. [...] Tirs de snippers. Alice sera des leurs : elle a veillé. Elle par-
tage une couverture avec son copain, chacun devant son écran, pour tuer
en choeur...
« Tendance réseaux », Libération, 7 janvier 2002
(127)
Pour interroger les croyances de la religion, encore fait-il les connaître...
« La parole aux lecteurs », Le Nouvel Observateur, 4-10 janvier 2001
Les points de suspension fonctionnent d’abord comme une consigne
d’interprétation donnée par le scripteur (laquelle ne pourrait pas être per-
çue avec le point). L’interprétation est guidée par le prédiqué, qui à tous
les coups devient, par les points suspensifs, la prémisse d’un raisonnement
de type syllogistique. C’est sur la base de ce raisonnement que les /.../
deviennent signe d’adhésion à des valeurs partagées contre le sens com-
mun.
Ainsi,
• dans (125), les /.../ font inférer que la majorité des émissions de pla-
teau sont médiocres;
• dans (126), que ces adolescents sont pris dans une situation para-
doxale (solidarité dans le partage de la couverture vs. sauvagerie
dans la tuerie virtuelle);
• et dans (127), que peu de gens qui s’expriment sur les croyances
d’une religion s’y connaissent véritablement.

APPEL Au CONSENSuS
L’ appel au consensus est une stratégie répandue en visée argumen -
tative.
(128)
L’image du petit sculpteur bourguignon s’appliquant à imiter les Perses
sassanides peut assez bien résumer les erreurs qu’entraînait l’attitude
des historiens d’art s’obstinant à étudier, non pas les oeuvres en elles-
mêmes, dans la société qui les avait vu naître, répondant à ses besoins,
à sa mentalité, mais dans les rapports qu’elles pouvaient avoir avec des
archétypes supposés, qu’on allait parfois chercher très loin...
P.F.M.A. : 25
(129)
De telles constatations [...] peuvent [...] nous amener à souhaiter que ce
monde féodal soit un peu mieux connu de celles qui croient de bonne
foi que la femme « sort enfin du Moyen-Age »: elles ont beaucoup à
faire pour retrouver la place qui fut la sienne au temps de la reine Alié-
nor ou de la reine Blanche...
P.F.M.A. : 98
107
VéRONIQuE DAHLET

Dans cette perspective, mettre des points de suspension confère à


l’élément du contenu propositionnel un surplus de densité sémantique,
parce qu’elle excède sa verbalisation possible: chercher très loin > cher-
cher trop loin ; elles ont beaucoup à faire > une tâche quasi impossible. En
somme, en visée argumentative, les points de suspension induisent,
pareillement au point exclamatif, l’expression du haut degré.

ARRêT SuR INFéRENCE


Notons enfin cette autre fonction des points de suspension – à mon
sens spécifique au texte littéraire et par conséquent au type particulier de
lecture qu’elle suscite – qui consiste à influer sur le processus de lecture,
en ce que le lecteur est amené à faire un arrêt sur l’inférence, comme s’il
s’agissait moins de prendre la mesure exacte du formulé que de prendre la
mesure de ce que l’enchaînement des mots, aussi loin qu’on les poursuive,
ne suffirait pas à dire :
(130)
Des larmes coulent de ses joues, non celles de l’humiliation ou de la
peur, mais d’une joie orgueilleuse, excessive, presque illimitée...
[...] Le soin qu’il a de sécher ses larmes trahit sa faiblesse : revenu à
l’état de réprouvé, il lui faut dissimuler sa honte, faire bonne figure sous
les railleries et, après tant de gloire entrevue, souffrir en affectant de
sourire qu’on le déchire, qu’on le salisse...
CH.EN. : 100 -101
Ainsi donc, la variation des sites d’occurrence – début, milieu et fin
d’énoncé – détermine les opérations que les points suspensifs mettent en
oeuvre, ainsi que leur action, qui est ou prospective, ou rétrospective.

tableau Vii : Points de suspension. Sites et fonctions

Début d’énoncé Milieu d’énoncé Fin d’énoncé


(a) effet rétrospectif (b,c) effet prospectif (d,e,f) effet prospectif

In media res (b) complétude reportée : (d) sans complétude: etc.


effet de suspens (e) appel à la poursuite
(c) sans complétude : etc. de l’inférence :
(e.1) ouverture de l’espace
interprétatif
(e.2) appel au consensus
(f) appel à arrêt sur inférence

108
PONCTuATION ET éNONCIATION

On peut donc étendre à l’ensemble des signes d’interaction ce que


Caron-Pargue & Caron (1995 : 112) disent du /!/ : en contexte monologal,
ils ont ceci en partage qu’ils sont des « signaux pour l’interlocuteur dans la
construction d’une référence commune ».
En contexte dialogal, leur fonction parfois se rapproche de celles que
l’on vient d’analyser, mais en diffèrent le plus souvent. Du reste, on le
constatera pour l’ensemble des signes énonciatifs.

109
PONCTuATION ET éNONCIATION

Chapitre 9
contexte dialogal

La ponctuation énonciative, en contexte dialogal, met en co-présence


au moins deux discours de source différente.

Des signes interdiscursifs


Lorsque le discours cité est présenté comme complet, c’est-à-dire à
concurrence d’un acte énonciatif au moins, un deux-point, une virgule,
un point d’interrogation ou d’exclamation qu’on appellera interdiscur-
sifs, suffisent à départager les discours citant et cité. Ils se singularisent par
rapport à leurs homomorphes, dans la mesure où ce sont des signes dont le
réglage typographique prévaut sur le linguistique. Par exemple, est-ce que
la virgule et le deux-points sont signes de niveau phrastique, ou de niveau
interphrastique ? Tout dépend, bien sûr, du statut linguistique qu’on don-
nera aux discours citant et cité respectivement. Il ne convient pas d’en
débattre ici, mais voici tout de même un beau cas de réflexion sur la
phrase, où la contiguïté de deux sources de parole s’effectue par la mise en
commun ponctuationnelle.
Le deux-point se démarque néanmoins par une convention typogra-
phique particulière : à la frontière du discours citant et du discours cité, il
peut être suivi ou non d’un alinéa, mais dans tous les cas, il est suivi d’un
signe de citation : guillemet ouvrant ou tiret de dialogue. De même, le dis-
cours cité qu’il introduit est toujours marqué d’une majuscule, ce qui lui
attribue un statut relativement autonome. En revanche, la virgule et les
points d’interrogation et d’exclamation interdiscursifs apparaissent en cas
de postposition du discours citant, et la minuscule est de rigueur.

Le deux-points
En contexte dialogal, le deux-points conserve sa fonction de réparti-
tion entre thème et rhème :
(131)
Mais Philomène prit son protégé à part et lui dit :
« Pâques n’est pas loin, Romule. Je sais que tu es un maître du damier
et je ne doute pas de ta victoire [...].
M.S.G. : 150

111
VéRONIQuE DAHLET

Virgule, points d’interrogation et d’exclamation


Ces signes apparaissent lorsque le discours cité précède le discours
citant.
La virgule, parce qu’elle est interdiscursive, résorbe le point censé
borner à droite le discours cité. En revanche, les points d’interrogation et
d’exclamation prévalent sur la virgule, mais on ne manquera pas de noter
la curiosité de ce paradigme, où l’initiale du discours citant, en bas-de-
casse (minuscule), montre visuellement la soudure interdiscursive :
(132)
— Mais vous, vous ne dites rien, observai-je avec amertume.
CH. ENF. : 56
(133)
— Vous ne voulez pas me répondre? m’écriai-je avec colère.
CH. ENF. : 57
(134)
— Comme vous y allez! s’écria-t-il avec enjouement.
CH. ENF. : 58

Signes de citation
Guillemets
Les guillemets ont la propriété de différencier le segment qu’ils déli-
mitent : différenciation qui va du changement de statut au changement de
sens. On entend par citation tout énoncé qui reprend une parole d’autrui
(cas le plus clair : le discours rapporté), mais aussi la désignation, qui est
un identificateur : nom propre (titre d’un ouvrage, d’un journal, nom de
baptême d’un objet comme d’un navire, par exemple). Dans le cas de la
citation–désignation, la tendance aujourd’hui consiste à préférer l’italique
aux guillemets, et cela, pour des raisons de lisibilité, car l’italique est une
ponctuation en continu tandis que les guillemets ne sont que délimita-
teurs69. Toutefois, il n’y a pas de règle absolue observable dans les pra-
tiques éditoriales, car on trouve tout aussi bien l’italique pour certaines
modalités de la citation.
(135)
Dans l’émergence de la « Négritude », il importe de souligner la place
primordiale du Guyanais, Léon Gontrand Damas, très lié d’ailleurs aux
rédacteurs de « Légitime Défense » ou de « L’Etudiant Noir ». Son
recueil de poèmes, « Pigments » (1937), cri de révolte contre la domina-
tion coloniale et le racisme, revendication véhémente de l’identité
nègre, peut être considérée comme « le moment littéraire initial de la
négritude».
H.M.2 : 250

112 69 En écriture manuscrite, le soulignement remplace l’italique.


PONCTuATION ET éNONCIATION

Discours rapporté
Les guillemets ouvrant et fermant délimitent et bornent visuellement
le discours rapporté :
(136)
Pour exprimer l’admiration qu’il éprouvait envers les philosophes
antiques, un Saint Bernard de Chartres, au xIIe siècle, s’était écrié :
« Nous sommes des nains montés sur les épaules de géants. » Il n’en
concluait pas moins qu’ainsi porté par les Anciens, il pouvait voir « plus
loin qu’eux ».
P.F.M.A : 18
Dans les cas où le discours cité se limite à un syntagme, une expres-
sion, voire à un mot, et en l’absence de verbe introducteur de discours rap-
porté, la référence explicite à la source citée constitue le seul élément
indiquant la valeur citationnelle, et non celle de connotation autonymique,
des guillemets. Dans (137), l’appel de note en est l’indice (les théoriciens
ont beau forger restant trop imprécis) :
(137)
Les théoriciens ont eu beau forger le concept d’« impérialisme sans
colonie70 », de « pillage du Tiers-Monde71 », il n’empêche qu’aucune
métropole européenne, sauf exception, n’intervient directement dans
ces pays.
S.H.B. : 46-47

Citation de titre
Inséré dans le texte, le titre d’un ouvrage, d’un périodique, d’un jour-
nal ou d’une œuvre est mis entre guillemets. Mais dans ce cas, l’italique
concurrence les guillemets :
(138)
il importe de souligner la place primordiale du Guyanais, Léon Gon-
trand Damas, très lié d’ailleurs aux rédacteurs de « Légitime Défense »
ou de « L’Etudiant Noir ». Son recueil de poèmes, « Pigments » (1937)
[...].
H.M. 2 : 250
(139)
« Les pays de la faim nous font vivre », titrait [...] une émission d’An-
tenne 2 diffusée le 25 février 1982.
S.H.B. : 128

L’italique
Quand le corps du texte est en italiques, alors la citation est en bas de
casse, et devient la forme marquée.

70 Harry Magdoff, L’Impérialisme, Maspero, 1979.


71 Pierre Jalée, L’Échange inégal, Maspero, 1964. 113
VéRONIQuE DAHLET

(140)
Pour Claude Quillet, le diagnostic est simple : Hystéromanie. [...]
Pour lui, au dire de Naudé, Il vaudrait mieux dire Hystéromanie, ou
bien Erotomanie...
P.L. : 199-200
La citation peut aller d’un mot à un titre72 :
(141)
- Je n’aime guère vos si : ils ont l’air bêtes et désoeuvrés.
CH.ENF. : 57
(142)
Ce sentiment d’une dette impossible à éponger, nul mieux que Sartre,
dans sa préface aux Damnés de la terre de Frantz Fanon, ne devait le
susciter et le fonder en droit.
S.H.B. : 27
(143)
Le programme de la formation en tournée à laquelle il [Molieri] appar-
tient comporte, outre une série de concerts, les représentations alternes
de Don Juan et de La Flûte Enchantée.
CH. ENF. : 14

L’italique de mot étranger


Le mot étranger mis en italique est en réalité une variante de l’italique
de citation. En effet, s’il est ainsi marqué, c’est pour montrer son origine
exogène, et que je ne peux pas me l’approprier totalement, bien que je gère
la co-présence de deux langues dans un discours :
(144)
il vous aurait fallu plonger dans la misère, vivre dans un slum pour en
épouser tout le cauchemar.
[...]
Les relations inégales existaient avant votre arrivée et ce sont elles qui
déterminent a priori votre place et celle de l’indigène.
S.H.B. : 104

Signes de conduite de dialogue


On appelle signes de conduite de dialogue :
• le dispositif typographique de mise en forme du dialogue, tiret, et
/.../ d’interruption, ainsi que
• les signes qui ont pris la fonction conventionnelle de renvoyer, par
connotation, à certaines modalités d’un parlé, lui-même jamais

72 Excepté ces cas, il est peu fréquent de trouver l’italique de citation, qui renverrait
alors à du discours direct rapporté. En effet, les unités plus amples mises en italiques
sont préférentiellement réservées à une mise en valeur par l’énonciateur de son propre
114 énoncé (contexte monologal).
PONCTuATION ET éNONCIATION

advenu : intensité de la voix (capitale), changement de hauteur (ita-


lique), intonation (points d’exclamation et d’interrogation), débit
(tiret et /.../)73.
L’écrit envisagé ici est celui du roman, qui a été le grand inventeur et
expérimentateur de ces signes. Cela n’exclut pas que les retranscriptions
d’interviews recourent ici et là au même procédé. Cependant, les journa-
listes préfèrent recourir à l’écriture théâtrale, par la didascalie mise entre
parenthèses. D’une manière générale, le procédé reste marginal dans ce
type de texte.

Mise en forme du dialogue


En écriture romanesque, la mise en forme du dialogue comprend la
voix des deux personnages interlocuteurs, à laquelle s’ajoute souvent celle
du narrateur. Ce démarquage entre voix peut entraîner le double appa-
reillage tiret de dialogue/guillemets74. Deux formes se rencontrent : dia-
logue en alinéa et dialogue « à la suite » (Colignon, 1993: 81). La
préférence d’une forme sur l’autre reste assez libre, semble-t-il. Choix de
l’auteur et/ou de l’éditeur. On constate tout de même une préférence pour
la mise en alinéa lorsque le dialogue comprend plusieurs répliques suc-
cessives : le renforcement visuel du changement d’interlocuteur guide plus
sûrement le lecteur, et s’inscrit d’ailleurs dans la tendance générale à dif-
férencier typographiquement et spatialement les différents plans textuels
(au niveau énonciatif comme au niveau de la structuration en titre, sous-
titres, inter-titres).
Plusieurs cas de figure se présentent :
• L’ensemble du dialogue alinéaire est encadré par les guillemets (le
guillemet ouvrant entraîne l’effacement du tiret de la première
réplique) :
(145)
« Le règlement du collège tel qu’il a été formulé jadis par son fondateur
en quatre-vingt et quelques articles, ce n’est pas de celui-là évidemment
que je m’en vais vous parler [...].
— Mais, Paul, tu te fais ainsi le complice des maîtres.

73 J’ai introduit le tiret simple dans le corpus des signes de conduite de dialogue. De fait,
rien ne s’oppose à ce qu’il apparaisse dans le discours d’un personnage. Néanmoins,
l’occurrence est rare – l’indication par le tiret d’un certain débit n’ayant pas charge
mimétique suffisante – et elle est inexistante dans notre corpus. Je n’y reviendrai donc
pas dans l’analyse qui suit.
Je ne reviendrai pas davantage sur certaines valeurs des /.../ analysées en contexte
monologal et qui peuvent évidemment se retrouver dans la parole de personnage.
Dans ce cas, la seule différence, rappelons-le, concerne le statut du lecteur, qui se
trouve ici exclu, là, impliqué.
74 Rappelons néanmoins que la ponctuation de mise en forme du dialogue, telle qu’elle
apparaît au lecteur, n’est pas toujours celle choisie par l’auteur : il arrive que l’éditeur
fasse prévaloir ses propres normes. 115
VéRONIQuE DAHLET

— Et cependant il faut nous mettre dans le cas d’être punis, car obser-
ver le règlement, ce serait comme l’annuler [...].
— [...]
— [...]
— Cessez donc de vous quereller! Alors, Paul, et ce règlement?
— J’y arrive! »
CH. ENF. : 71-73.
• Le dialogue alinéaire comporte des sous-séquences guillemetées,
lorsqu’alternent non plus les voix citées, mais la voix citante et une
voix citée :
(146)
— Pardonnez-moi, mais vous avez su en profiter au moins une fois. Et
qui vous le reprocherait?
Il me regarda avec étonnement : « une fois ? Vous faites allusion à ce
qu’un imbécile a appelé la divine chance de mes débuts ? » Il se mit à
rire : « Non, croyez-moi, ce n’était pas une situation fortuite, une occa-
sion qu’il fallait saisir aux cheveux, non, non! répéta-t-il en riant. [...] ».
CH. ENF .: 55-56
• Le dialogue avec tiret à la suite encadre chaque réplique par les
guillemets :
(147)
« Jusqu’à quand vas-tu...Ecoute, je voulais te dire que tu as tort de... » –
« Continue. N’aie pas peur. Oh ! Vas-y ! » – « Prends garde. Ils sont très
forts, très rusés, ils ne te laisseront pas en paix. » – « Mais tu te trompes.
Ils sont mal à l’aise, et je vois que tu l’es toi-même, sinon, pourquoi
m’aurais-tu abordé, pourquoi me questionnerais-tu en leur nom ? » –
« En leur nom ? Mais je suis avec toi ! » – « Avec moi contre eux et aussi
contre moi ».
CH. ENF. : 108-109

Connotation de l’expressivité
La capitale
En contexte dialogal, la capitale rend compte de la même fonction de
mise en valeur du segment marqué qu’en contexte monologal, à ceci près
que l’on passe de la fonction énonciative à la fonction de simulation
vocale, par démarcation typographique. Il s’agit certes d’une convention,
mais elle ne doit pas faire oublier l’ingéniosité du procédé, qui consiste à
attribuer une qualité vocale par le seul recours visuel :
(148)
Et trois mille francs de rente, sais-tu combien ça représente par jour ?
— Mais, mon ami...
— Ça représente neuf francs cinquante. Tu entends, NEuF-FRANCS-
CIN-QuANTE-CEN-TIMES!
Allais (1990), Œuvres posthumes. Paris : Robert Lafont, p. 281
116
PONCTuATION ET éNONCIATION

En outre, la dilatation des caractères que constitue la capitale conver-


tit l’énoncé en acte de langage, de l’ordre de l’injonction à entendre. La
ponctuation inter et intra-mot, qui prend fonction, pour ainsi dire, de topi-
calisation non plus d’un segment mais de chacune des syllabes qui le
constituent, renforce bien entendu l’injonction, sans pour autant lui être
indispensable (de fait, l’acte de langage se maintiendrait sans le tiret inter-
syllabique : Tu entends, NEUF FRANCS CINQUANTE CENTIMES).

De façon complémentaire, le recours visuel de la capitale peut ren-


voyer à du visuel, et non plus à du vocal, par une référenciation mimétique
d’une réalité extra-linguistique supposée. Dans ce cas, la citation est à la
fois linguistique et visuelle, proche de l’iconique :
(149)
Au beau milieu [du tableau rempli d’une équation], en surimpression
noire de grandes lettres grasses couvrant presque trois lignes du tableau
en épaisseur, on lisait:
tHE FinaL
FRontiER
Math. : 184
(150)
Et sur une zone blanche était inscrit : NE QuITTEZ PAS LA ROuTE
PRINCIPALE POuR LES ROuTES Du DéSERT SANS VOuS REN-
SEIGNER.
Jean-Jacques Schuhl (2000), Ingrid Caven. Paris, Gallimard, L’Infini,
p. 233

L’italique
En contexte dialogal, l’italique reste un marqueur expressif, encore
que l’opération ne demeure pas identique selon qu’elle apparaît en citation
ou en représentation de dialogue.
En citation d’un tiers, l’italique représente un cas intéressant d’im-
mixion de l’instance citante dans le discours cité, en principe réputé pour
sa fidélité. En effet, prélever un segment du discours cité au moyen de
l’italique réoriente le propos, quand bien même la citation est littérale, ce
qui, on en conviendra, dote la matérialité graphique et singulièrement
ponctuationnelle d’un moyen remarquable. Le locuteur prend alors en
charge cette réorientation du contenu cité par un je souligne (en principe
explicité entre parenthèses) qui réinvestit le segment marqué du poids de
ses mots :
(151)
Le Gouverneur de Pondichéry écrit à son collègue de Martinique :
« Leur traversée a été des plus pénibles et soixante sont morts ne pou-
vant supporter les fatigues du voyage...La source du mal ne peut donc
être attribuée qu’à l’état d’anémie de la plupart de ces Indiens à
l’époque de leur embarquement ».
H.M.2 : 60 117
VéRONIQuE DAHLET

En représentation de dialogue, le segment marqué s’effectue par délé-


gation, car s’il est évident que l’italique constitue une marque de l’ins-
tance narratrice pour le lecteur, elle a comme valeur conventionnelle de
mimer la voix du personnage, en l’occurrence, un changement de ton. En
somme, l’italique se caractérise dans ce contexte par le détour d’une
pseudo mise en scène de la voix, tandis qu’en contexte monologal, l’im-
pression visuelle joue seule et directement, de scripteur à lecteur.
(152)
LéONARD. – C’est-à-dire que je dois renoncer à presque tout ?
LOuISE. – À tout ce qu’il ne voudra pas vous donner.
LéONARD. – Et vous laisser le reste?
LOuISE. – Et lui laisser le reste!
CH.EN. : 148-149
(153)
Nous marchâmes quelque temps en silence, le gravier de l’allée crissant
sous nos pas. Puis elle me demanda à brûle-pourpoint : « Qu’est-ce que
vous pensez de Molieri, au fond ? »
CH.ENF. : 36
L’italique en citation d’une tierce parole se présente donc comme le
cas de figure inverse à celui de l’italique en représentation de dialogue :
ici, l’instance narratrice délègue à son personnage l’initiative du segment
marqué tandis que là, l’instance citante prend l’initiative de marquer un
discours qui appartient à autrui.

Connotation de l’interaction
L’exclamation et l’interrogation
En contexte dialogal, l’énoncé exclamé et interrogatif peut contenir
les mêmes opérations qu’en contexte monologal, mais, là encore, avec
cette différence qu’elles sont données par le détour de l’oral scripturale-
ment représenté (fictionnellement ou non). On se souvient que l’intonation
de l’oral et une certaine ponctuation de l’écrit remplissent, chacune dans
son domaine, des fonctions syntaxico-sémantiques similaires. Or, le
contexte dialogal écrit modifie cette bipartition du fait de la représentation
transcrite d’un échange oral, qui oblige le lecteur à « entendre » l’intona-
tion des voix représentées. Il s’agit d’un codage qui, par un effet d’illusion,
tire le canal écrit vers un extérieur à lui-même, sans que cela se réalise
pour autant : mimésis d’un parlé, et donc d’une intonation et d’un débit
dont on présuppose par convention qu’ils ont été effectivement réalisés.
L’extrait suivant rend compte à la fois de cette convention qui
incombe à la ponctuation, et des fonctions syntaxico-sémantiques simi-
laires pour l’intonation à l’oral et la ponctuation à l’écrit (on y verra
qu’une interprétation erronée de l’intonation poussera de façon plaisante
l’un des personnages à s’appuyer sur les signes de ponctuation pour lever
l’ambiguïté intonationnelle) :
118
PONCTuATION ET éNONCIATION

(154)
— Tu ne me laisses pas par...
— Tu arrêtes pas...Tu écoutes...
— Hein? quoi?
— ...pas, jamais...
— Quoi? Moi?
— [...]
— Bon. Alors chante ce que tu as à me dire.
— Si tu veux faire un monologue, prends le mur.
— Je ne fais pas de monologue, c’est toi qui me coupes.
— Non, c’est toi.
— On ne sait jamais qui coupe qui, il y avait...enfin...je...j’avais mis une
virgule, pas un point...Tu as cru que c’était un point, alors tu as parlé, or
c’était une virgule, donc tu m’as coupé. Moi alors j’ai continué, et tu as
cru que je te coupais.
– Je ne comprends rien à ce que tu racontes. Ponctue avec tes pieds pen-
dant que tu parles, comme ça, on saura si c’est un point ou une virgule.
Jean-Jacques Schuhl (2000), Ingrid Caven. Paris : Gallimard, L’Infini,
p. 199
Cependant, sauf cas exceptionnel, certains énoncés exclamés ne se
trouvent qu’en contexte dialogal. C’est le cas de l’interjection, et de la
mise en écriture du rire. Voilà du reste les deux manifestations les plus
claires de la mimésis construite à partir d’un modèle de l’oral. Si l’excla-
mation s’interprète comme « échappée » à son auteur » (Ducrot, 1984 :
186), a fortiori de l’interjection, qui appartient par nature à l’interaction en
face à face et qui se caractérise comme un « élément réactif » (Barbéris,
1995 : 95). Et l’on voit bien que le rire écrit concentre toutes les caracté-
ristiques de l’interjection, mais à un degré supérieur, pour ainsi dire. Le
rire n’apparaît non plus comme « échappé » mais « arraché » par l’irrésis-
tible de la situation, il est réactif absolument, puisqu’il est en principe pure
vocalisation. Or, ce n’est que pour les besoins de transcription qu’il est
convenu de lui distribuer des formes graphémiques (ah ah ah! évoque le
rire franc, hi hi hi! le rire retenu ou gêné, hé hé hé! le rire insidieux, ho ho
hoh! le rire moqueur75), et sur ce point, la transcription du rire est assez
proche de l’onomatopée.

75 La transcription du rire et de plusieurs interjections pose un problème orthographique


particulièrement intéressant qui, à ma connaissance, n’a pas encore été envisagé dans
les débats sur les correspondances phono-graphiques. On sait en effet que l’alterna-
tive orthographique est possible : ha ha ha / ah ah ah – ho ho ho / oh oh oh, etc., que
l’on considère alors comme des syllabes. Or, du point de vue orthographique, la com-
binaison syllabique : consonne + voyelle telle qu’elle apparaît dans ha ou ho existe
en français en tant que syllabe (habitude; homicide), mais non la combinaison inverse
avec voyelle + consonne : ah; oh, si ce n’est précisément dans la transcription des
interjections ou du rire dont on notera en passant l’homologie orthographique. Il faut
donc en déduire qu’il a été nécessaire de créer ex nihilo un patron syllabique. Mais
l’étonnant est que cette conformation va envers et contre toutes les accomodations
spontanées et les justifications accompagnant les décrets successifs qui ont ensemble
abouti à l’orthographe moderne du français. Suite de la note page 120 119
VéRONIQuE DAHLET

(155)
Tandis que ces vols, ces crimes, ces viols, toutes ces saloperies que nous
devons nous coltiner du soir au matin, moi, ça m’a bouffé la santé. Ah
la-la la-la!
M.S.G. : 282
(156)
Accrochez-vous à vos sièges, messieurs. Devinez qui me l’a ramenée?
Je vous le donne en mille. Ha-ha-ha! Eh bien figurez-vous que c’est un
fidèle lieutenant de Fils-du-diable-en-personne.
M.S.G. : 289
On remarquera que eh bien se passe du point d’exclamation lorsqu’il
est inséré dans un énoncé : c’est qu’il n’est plus interjection, mais mot
d’ouverture de réplique76.
Quant au point d’interrogation, prédomine massivement sa fonction
d’indicateur de question; les autres fonctions relevées en contexte mono-
logal sont à peu près inexistantes.
(157)
— Vous pensez donc que c’est pour bientôt?
— Pour bientôt en effet! confirme-t-il sans hésitation.
— Et pourquoi pas dès maintenant? insiste-t-elle.
CH. EN. : 157

Points de suspension
Le contexte dialogal est ici considéré comme tel dès lors que le dis-
cours entre en relation dialogique avec un autre discours, qu’il s’agisse
d’un dialogue formellement représenté ou d’une relation dialogique plus
lâche.
Les /.../ peuvent alors recevoir trois fonctions : fonction d’interruption
d’un locuteur 1 par un locuteur 2, fonction de l’implicite, et enfin fonction
du sous-entendu.

Suite de la note 75
Il convient alors de s’interroger sur les raisons possibles qui ont mené à contrevenir
à ce qu’on pourrait appeler (assez maladroitement, j’en conviens) l’esprit orthogra-
phique. une hypothèse : la position finale de la consonne h ne se justifie que par le
rallongement qu’il procure à la voyelle précédente, restituant ainsi par mimétisme la
longueur vocalique perceptible, quand c’est le cas, à l’oral. Si on admet cette hypo-
thèse, on est face à un phénomène de correspondance grapho-phonique qui se situe
en-deçà de l’unité graphématique, au niveau de la lettre. une création proche se
trouve dans la duplication de la voyelle, par exemple, dans haaa! . Mais elle n’est pas
similaire, car ici, c’est la dilatation graphique qui convertit la dilatation temporelle de
l’oral. C’est pourquoi, pour ce qui concerne l’orthographe, on peut la ressentir comme
moins perturbante que la première.
76 En général absent dans les interjections mises en suite, le trait d’union semble systé-
matique chez le romancier Raphaël Confiant : comme pour d’autres types d’occur-
rences – désignation : doudou-chérie; phatème: bon-bon –, il a pour fonction
120 d’agréger les interjections en un seul groupe ryhtmique (débit enchaîné).
PONCTuATION ET éNONCIATION

En contexte de représentation formelle d’un dialogue par de l’écrit –


c’est-à-dire dans un contexte presque excusivement littéraire77 –, les points
de suspension renvoient à l’interruption d’un locuteur 1 par un locuteur 2
(hétéro-interruption), ou à un arrêt provisoire de la parole énonçante
(homo-interruption). Cette fonction est conventionnelle et répond au
besoin de représenter de l’oral par écrit. De là, ce fonctionnement singu-
lier qui consiste pour ce signe de ponctuation à ne pas porter directement
sur l’énoncé, mais sur une de ses modalités de production : les points de
suspension construisent une circonstance attenante à l’énoncé, ils quali-
fient en quelque sorte l’une de ses modalités de production.

HéTéRO-INTERRuPTION
En hétéro-interruption, les points suspensifs indiquent, à la manière
d’une didascalie, que le locuteur 2 interrompt le locuteur 1 :
(158)
— [...] sans la séquelle des punitions qu’en cas d’infraction à la disci-
pline ils nous infligent, le réglement perdrait jusqu’à son nom, et du fait
que nous ne saurions même plus le nommer...
— Il cesserait d’exister, n’est-ce pas?
CH.ENF. : 84
Les points de suspension d’interruption sont de jonction : ils régulent,
en somme, l’interaction verbale représentée, tout en légitimant la tronca-
tion syntaxique de l’énoncé du locuteur 1.

HOMO-INTERRuPTION
En reproduction (comme on l’a déjà dit, le plus souvent fictive) de la
voix parlée (elle aussi fictive), les points suspensifs ont pour fonction d’in-
diquer les pauses de la voix.
(159)
Carmélise, vous vous rappelez...elle connaissait un amateur de combats
de coqs... Romule Beausoleil, c’est son nom, eh ben ce nègre-là a pré-
tendu être capable de soigner le coq. Elle lui a fait confiance...
M.S.G. : 275

FONDu-ENCHAîNé
En représentation écrite d’un dialogue, les points de suspension peu-
vent apparaître en début de réplique :
(160)
LéONARD. – Mais ce fameux remède que vous me suggériez...
LOuISE. – ...aura servi du moins à alléger vos rapports en dissipant
dans votre esprit ce rêve naïf d’une intimité accessible par la seule

77 Par extension, les points de suspension ayant cette fonction se trouvent parfois dans
des retranscriptions d’interviews. 121
VéRONIQuE DAHLET

médiation du langage, et dans le sien ce qui en serait plustôt comme le


cauchemar.
LéONARD. –...ou inversement à démontrer que sans elle aucune inti-
mité ne saurait s’établir entre nous?
CH.EN. : 148
Mais précisément parce qu’introduits par les points suspensifs, ces
débuts ne sont plus interprétables comme débuts absolus : ils marquent les
coutures d’un discours unique construit sur le mode du fondu-enchaîné.

Substitution
En situation dialogale, les /.../ peuvent se substituer à l’alphabétique,
en se combinant ou non au /?/ ou au /!/. Dans ce contexte, les trois signes
deviennent iconiques, car ils renvoient directement au contexte en court-
circuitant le verbalisable.
(161)
[ je et elle renvoient à la même personne : Ingrid Caven, célèbre chan-
teuse]
Et elle, un jour : « Charles, tu ne t’occupes plus de moi, je ne t’intéresse
plus, tu ne t’occupes plus que d’elle! – ...? ! – Ingrid Caven !
Jean-Jacques Schuhl (2000), Ingrid Caven. Paris, Gallimard, L’Infini, p.
261
(162)
[l’historienne, Régine Pernoud, reçoit « un coup de téléphone d’une
documentaliste de la TV » dont elle transcrit le contenu] :
— Il paraît, disait-elle, que vous avez des diapositives. Est-ce que vous
en avez qui représentent le Moyen-Age ?
— ???
— Oui, qui donnent une idée du Moyen-Age en général : des tueries,
des massacres, des scènes de violences, de famine [...].
P.F.M.A. : 7

122
PONCTuATION ET éNONCIATION

Cinquième partie

noRME, VaRiantE,
PRaGMatiQuE

une question hante, de façon plus ou moins pregnante, l’ensemble des


études sur la ponctuation : qu’est-ce qui relève de la langue – de son sys-
tème – et qu’est-ce qui relève de l’activité du sujet scripteur ? Et ceci, dans
les démarches les plus diverses. Des essais aux déclarations les plus déci-
dées (Colette : « la ponctuation, c’est l’homme ») jusqu’aux traités dont le
propos normatif assumé constitue le plus clair symptôme (cf. Drillon, qui
ne manque pas d’ouvrir la liste des emplois d’un signe par un « il faut »),
en passant par les scripteurs ordinaires ou experts et les écrivains, qui
affectionnent tel(s) signe(s) et en détestent d’autres78.
Imaginons qu’un même texte soit écrit par plusieurs scripteurs. A
coup sûr, la ponctuation ne se retrouvera pas à l’identique d’un texte à
l’autre. Pour autant, il n’est pas raisonnable de penser que les scripteurs
ponctuent de façon aléatoire. Bref, il s’agit de savoir quels paramètres
régulent cette marge de variation ponctuationnelle qui se situe précisément
entre le pas tout à fait le même et le pas tout à fait différent.

78 La ponctuation, comme l’orthographe, sait susciter des prises de position passion-


nées. Je cite. Bazin (1966, Plumons l’oiseau. Diverstissement. Paris, Grasset, p. 141-
143), qui propose l’intégration de six points d’intonation (points d’amour, de
conviction, d’autorité, d’ironie, d’acclamation, de doute); Cavanna (1989, Mignonne,
allons voir si la rose... Paris, Belfont) : « Il est périodiquement question d’introduire
un nouveau signe de ponctuation : le point d’ironie. Faut-il vous dire que je suis
contre? Le point d’ironie, c’est comme les rires pré-enregistrés : ça flanque tout par-
terre »; Valéry (1973, Cahiers, I. Paris, Gallimard, Pléiade, p.473 - 474) : « On critique
mon usage (ou l’abus que je fais) – des mots soulignés, des tirets, des guillemets. Cela
n’est, en somme, que dire ou manifester que je trouve insuffisante la ponctuation ordi-
naire [...]. – Pourquoi pas des signes comme en musique? ». En réalité, il n’y a pas
d’écrivain d’hier et d’aujourd’hui qui ne se soit prononcé sur sa ponctuation, il n’y a
que peu d’éditeurs qui n’aient pas obligé tel romancier à reponctuer son oeuvre dès
lors qu’elle était jugée compliquée et donc peu vendable, peu d’auteurs de traité qui
n’estiment farfelue ou pur effet de mode la ponctuation de tel écrivain. 123
VéRONIQuE DAHLET

Le premier paramètre, et finalement le seul, est bien sûr celui du sens :


la ponctuation, en tant qu’opérateur syntaxico-sémantique et énonciatif,
cherchera idéalement à lui être congruente. Mais il convient de préciser ici
les deux composantes du sens que l’on retiendra. Pour cela, on distinguera
le sens référé (grosso modo, qui concerne la construction référentielle et
ne demande au lecteur que des compétences linguistiques), et le sens visé
(qui renvoie à l’intention de communication et qui peut infléchir le sens
référé – en général, par un effet de renforcement –).
Les autres paramètres découlent du premier. On en dégage principa-
lement trois :
1. la norme. C’est presque un truisme de dire que la ponctuation par-
ticipe de l’ensemble des routines stabilisées – traduisons : fixées
suite à l’usage par des règles et des conventions – indispensables
aux conditions d’existence de l’écrit;
2. l’intention de communication, qui rend compte des modalités d’in-
terprétation telles que le scripteur cherche à les préfigurer;
3. la lisibilité, et son corrélat, la visibilité, paramètres qui relèvent en
premier lieu de la matérialité de l’écrit, et que l’on a redécouverts
assez récemment pour en rappeler le rôle de facilitation dans le trai-
tement de l’information.
Si donc on admet que ces trois paramètres, dans tel texte donné, régis-
sent le réglage de la ponctuation dans sa sélection, son site et sa fré-
quence79, on peut maintenant tenter de prendre la mesure de ce qui, en
ponctuation, relève de son système et de l’activité du sujet scripteur. Pré-
cisons pourtant que le fait de séparer les trois paramètres ne correspond
pas à une pratique attestée, mais à un choix méthodologique et expéri-
mental, qui devrait permettre de dégager le paramètre qui prévaut pour tel
ou tel signe.

79 Je rappelle pourtant d’autres paramètres, externes au triangle texte – scripteur – lec-


teur et évoqués ici et là dans ce volume, qui jouent diversement mais de façon
constante dans le résultat du produit imprimé : ingérence des éditeurs, profil du lec-
124 torat ciblé, types de lecture induits par la périodicité de l’ écrit.
PONCTuATION ET éNONCIATION

Chapitre 10
une ponctuation de mot énonciativo-pragmatique

On rappellera d’abord que la ponctuation de mot est réputée faire par-


tie de l’orthographe. Voici donc un domaine de l’écrit intégralement cou-
vert par la norme (toute déviation est considérée comme fautive, hormis
des cas exceptionnels80). Par définition contraignante, son système exclut
préalablement l’alternative, le choix ou la fantaisie81. L’orthographe a donc
a priori pour axiome le rejet de toute initiative du scripteur.
Or, à y regarder de plus près, on s’aperçoit que cet axiome perd de son
caractère catégorique, pour ce qui concerne la ponctuation, et notoirement,
la ponctuation intra-mots.

tableau Viii : Prévalence des paramètres en ponctuation intra-mot

paramètres norme intention de vi-lisibilité


signes communication

majuscule (1.1.) Alphonse (1.3.) l’Eglise (1.2.) Hier, il pleuvait


(1.4.) l’Amitié
parenthèses (2.1.) (in)fidèle
(2.2.) expi(r)ation
(2.3.) ami(e)(s)
trait d’union (3.2.) é-meut (3.1.) Définiti-vement
(3.3.) Dé-fi-ni-ti-
ve-ment
points de suspension (4) la p...respectueuse
apostrophe (5.1.) ‘taine
(5.2.) cap’taine
(5.3.) Vel d’hiv’
point abréviatif (6.2.) B.M., âgé (6.1.) xxe s.
de 8 ans

80 Pensons, par exemple, à la différance de J. Derrida.


81 Et les réformes de l’orthographe ne sont ratifiées que suite à des analyses exhaustives
et pointilleuses. Pour « Les rectifications du 6 décembre 1990 », cf. Arrivé (1993). 125
VéRONIQuE DAHLET

En effet, la ponctuation inter-mots – apostrophe et trait d’union –


relève de fait de l’orthographe. C’est pourquoi, on n’observe qu’un cas
isolé de ponctuation comportant une intention de communication : il s’agit
du trait d’union multiple, qui a pour effet de produire le point de vue du
scripteur, en général négatif, sur l’objet référé (exemple : J’ai rencontré ce
matin monsieur-tout-est-cher).
En revanche, la ponctuation intra-mot, contrairement à ce que l’on
pourrait attendre, représente un terrain particulièrement favorable à la
visée communicative. C’est ce que l’analyse qui suit cherchera à démon-
trer.
Majuscule
Pour discriminer les paramètres prévalents de la majuscule, le critère
retenu est celui de la permanence ou de l’effacement du signe selon la
place du mot dans la phrase.
Ainsi, (1.1.) répond strictement à la norme, tandis que (1.2.), parce
qu’elle se convertit en non signe aussitôt qu’elle perd la position de début
de phrase, obéit au premier chef au paramètre de la vi-lisibilité. En
revanche, (1.3.) et (1.4.) sont des signes qui véhiculent l’intention de com-
munication, laquelle porte sur le sémantique. En effet, la majuscule tire ici
le sens premier du mot vers un autre sens : vers une collectivité humaine
(et non plus un édifice) dans Église, et vers un état d’excellence pour Ami-
tié, qui renvoie à l’amitié avec un grand A, l’amitié par excellence telle
que je me la représente et te demande de te la représenter.

Parenthèses
Quel que soit leur site d’occurence dans le mot, les parenthèses ren-
voient à l’activité du sujet scripteur qui met le lecteur en position d’inter-
prète de ce que j’ai appelé l’opération et/ou82. Les parenthèses, en
ponctuation de mot, ont comme propriété constante de couper l’unité lexi-
cale en l’ouvrant à deux sens simultanément. Ceci, par la co-présence du
syntagmatique et du paradigmatique83. La coupure porte sur le découpage
référentiel d’un objet : découpage sur le genre et sur le nombre dans
ami(e)(s) (2.3.), et sur le découpage sémantique, où les parenthèses font
coexister les contraires : (in)fidèle (2.1.) et les différents : expi(r)ation
(2.2.).

82 Cf. supra, p. 43.


83 Le paradigmatique est donc rabattu sur le syntagmatique. un procédé d’effet similaire
consiste à insérer le paradigme verticalement à la linéarité graphique, mais il est vrai
que l’audace typographique cantonne le procédé au poème :
due
« À peine per en apprécier la qualité »
çue
126 (M. Roche, Circus, apud Demarcq, 1999 : 99).
PONCTuATION ET éNONCIATION

trait d’union
En (3.1.), il indique la coupure d’un mot en fin de ligne. Il est donc
soumis au paramètre prévalent de vi-lisibilité en ce qu’il gère directement
l’activité de lecture84. Les deux autres types d’occurrence relèvent, en
revanche, de l’intention de communication. Dans le cas de é-meut (3.2.),
le trait d’union fait refluer le sens par réactivation de son étymon, qui lui
donne prégnance (paraphrase possible : é-meut = émeut, et donc meut, a
pouvoir de faire bouger les représentations, de les mouvoir hors de). La
référenciation double est ici proche de celle donnée par les parenthèses
(2.3.), à ceci près qu’elle opère au sein du mot lui-même et qu’elle procède
de la motivation graphique du sens. Enfin, dans dé-fi-ni-ti-ve-ment (3.3.),
la séparation intersyllabique multiple dote le mot ponctué d’une insistance
appuyée, en contexte monologal ou dialogal85.

Points de suspension
La réticence feinte (p...respectueuse) fait bien entendu partie de l’in-
tention de communication, qui consiste à dire et ne pas dire, mais pour
faire entendre.

apostrophe
Signe de l’apocope (elle substitue la voyelle absente), le paramètre
qui la régit est celui de l’intention de communication en ce qu’elle
démarque le mot de la convention écrite pour le tirer du côté du parlé, mais
par connotation. Elle montre donc à la fois un rapport à la langue et un
ancrage social de l’échange.

Point abréviatif
Signe de vi-lisibilité dans xxe s. (6.1.), il relève de l’intention de com-
munication dans B.M. (6.2.), à cette différence près qu’elle peut être impo-
sée par la loi86.

84 Il s’agit donc d’un signe qui aujourd’hui se cantonne à l’écrit manuscrit, les machines
à écrire ayant quasiment disparues et les ordinateurs étant dotés d’un réglage auto-
matique des espaces qui évite les coupures de mot.
85 On a vu qu’en contexte dialogal, le trait d’union multiple signale par convention une
caractéristique vocale qui alors indique une modalité articulatoire.
86 En littérature des xVIIe et xVIIIe siècles notamment, les *** induisent le même rapport
juridique du scripteur, mais fictionnellement. 127
VéRONIQuE DAHLET

Ainsi, la prévalence du type de paramètres d’occurrence montre qu’en


proportion, la ponctuation de mot – au niveau intra-mot – est massive-
ment une ponctuation énonciative. Voilà donc une propriété étonnante, car
le mot, considéré spontanément comme unité non décomposable sur le
plan graphique et non modifiable sur le plan orthographique, peut recevoir
un nombre significatif de variables énonciatives.
Il convient à présent de voir ce qui revient respectivement à la norme
et à l’activité du sujet-scripteur en ponctuation textuelle et phrastique.

128
PONCTuATION ET éNONCIATION

Chapitre 11
une ponctuation séquentielle énonciativo-pragmatique

On a vu dans un premier temps que les signes de phrase et de texte


(alinéa) se classent en deux grandes classes fonctionnelles prédominantes :
ponctuation séquentielle et ponctuation énonciative87. Bien entendu, la dis-
tinction entre les deux fonctions majeures n’est pas absolue. Que nombre
de signes énonciatifs se doublent de la fonction segmentatrice est assez
connu. Pour ne prendre qu’un exemple, les signes d’interaction (points
d’interrogation, d’exclamation et de suspension) se doublent de la fonction
segmentatrice pour des raisons d’économie mais surtout de lisibilité (d’où
les phénomènes d’absorption de certains signes mis en contact)88.
En revanche, que les signes séquentiels puissent se doubler d’une
fonction énonciativo-pragmatique l’est beaucoup moins. On dira que les
signes séquentiels possèdent un fonctionnement syntaxique constitué et
acquièrent un fonctionnement énonciativo-pragmatique constituant.

tableau iX : Prévalence des paramètres en ponctuation séquentielle

paramètres norme intention de vi-lisibilité


signes communication

alinéa + +
point +
point-virgule +
virgule + +

norme
Contrairement à ce que l’on pourrait attendre, le paramètre de la
norme intervient de façon minimale dans la ponctuation syntagmatique.
Rappelons que la norme cherche à répondre à la question : quand faut-il

87 Voir la troisième et la quatrième partie.


88 N. Catach (1994 : 52) note à juste titre que « Le souci d’économie crée [...] impérati-
vement, dans la langue, l’homonymie (même apparence) et la polyvalence (plusieurs
valeurs différentes », d’où « plusieurs types de « virgule », « de majuscules », par
exemple. Mais au souci d’économie, il faut ajouter celui de lisibilité, qui a été mise
au point par les imprimeurs principalement. 129
VéRONIQuE DAHLET

mettre tel signe? En l’occurrence, quelles conditions précises doivent être


réunies qui demandent impérativement à segmenter? Et à supposer que
l’on puisse établir l’ensemble des conditions : quelle échelle de segmenta-
tion est concernée par ces conditions impératives?
On voit bien que, dans la grande majorité des cas, il y a impossibilité
à énoncer par avance un ensemble fermé de conditions qui entrainent auto-
matiquement (entendons : sous l’effet de la norme) tel signe syntagma-
tique particulier89.
Voyons maintenant plus précisément.
Le tableau ci-dessus montre qu’en dernière instance, un seul signe
phrastique – la virgule – est soumis à l’adéquation normative, et dans le
cas seulement où la virgule est un tensif complexe, c’est-à-dire lorsqu’elle
ne peut être substituée par un signe de portée supérieure. Il s’agit notoire-
ment de la virgule intra-clause, celle de l’ellipse et celle d’étagement.
Il est intéressant de noter que
• c’est la virgule qui accapare l’impératif de la norme. Cela s’explique
par le fait qu’elle est le signe syntaxique par excellence, comme on
l’a vu;
• c’est précisément aux niveaux les plus bas que s’applique la norme
– virgule d’antéposition (niveau 4); virgule d’incise, d’attribut et
d’ellipse (niveau 5) – , c’est-à-dire au niveau où la virgule opère au
plus près avec la syntaxe.
Si l’on s’accorde sur le fait que seule la virgule intra-clause relève
pleinement de la norme en ceci que ses conditions d’occurrence peuvent
être énoncées préalablement et indépendamment de l’activité d’écriture, il
reste à savoir quel est le statut des autres signes séquentiels. Car, si d’un
côté, ce sont des opérateurs syntaxiques, de l’autre, leurs conditions d’oc-
currence ne sont pas réductibles à une préprogrammation normative.

intention de communication et argumentation


L’intention de communication se manifeste d’elle-même, c’est-à-dire
par le simple fait qu’il y a acte de communication (écrit ou oral). Ce qui
m’intéresse ici est de voir comment la ponctuation séquentielle peut servir
à déclarer une intention de communication orientée vers l’argumentation.
En d’autres termes, comment une intention jugée sémantiquement infor-
mative se transforme, sous l’effet d’une certaine ponctuation, en intention
argumentative.
La visée argumentative transite par deux opérations :
• la rhématisation;
• et l’actualisation d’un signe, quand il est réputé facultatif.

89 C’est pourquoi les grammairiens sont confrontés à une tâche redoutable, voire impos-
sible. D’où l’unique issue (?) qui consiste à mettre en regard structures de phrase et
130 signes de ponctuation, sous forme d’énumération.
PONCTuATION ET éNONCIATION

La rhématisation
Je pose comme hypothèse que dès qu’il y a évitement d’une ponctua-
tion au profit d’une autre de rang supérieur, il y a travail sur la rhématisa-
tion.

Le point
On se souvient que le point borne à gauche et à droite une unité gra-
phique appelée phrase. Pour être une segmentation de niveau 2 (amplitude
immédiatement inférieure à celle de l’alinéa), le point annonce que là s’ar-
rête quelque chose, et que commence quelque chose de nouveau. Cette
propriété, qu’il partage avec l’alinéa, constitue donc une instruction de lec-
ture, que l’on peut paraphraser ainsi : vous pouvez maintenant traiter l’in-
formation qui se trouve insérée dans le segment qui va du point au point,
comme un tout. En d’autres termes, le point annonce le lieu où l’on pro-
cède à la totalisation inférentielle : on procède, en lecture, à la complé-
mentation et aux derniers ajustements nécessaires à l’interprétation, afin
de boucler l’unité informationnelle du segment délimité de point à point90.
Or, il n’est pas rare que le point, alors qu’il borne la période, appa-
raisse sans qu’il y ait totalisation inférentielle. Ou mieux, il arrive que le
point annonce une totalisation inférentielle qui se défausse rétroactive-
ment en tant que totalisation, du fait que s’ajoute, à droite du signe, un seg-
ment qui se rattache à l’information qui précède.
Ainsi, dans (163), ce qui deviendra les deux termes de la comparaison
et dans (164), ce qui se transformera en raccord, au moyen du verbe intro-
ducteur du discours cité puis du discours rapporté (avoir l’honnêteté de
reconnaître que) :
(163)
Il n’y a pas d’espace poétique, typographique, qui soit neutre. Pas plus
qu’il n’y a de langage neutre, d’observateur neutre.
Henri Meschonnic (1982), Critique du rythme. Lagrasse : Verdier,
p. 307
(164)
L’homme [Jean Dumas, psychologue] a l’honnêteté de reconnaître qu’il
« n’a jamais réparé un seul enfant ». Qu’un enfant violent ne peut pas
changer tout seul, grandir tout seul, qu’il s’agit là d’un travail d’équipe.
« Soigner les enfants ‘impossibles’ », Le Monde de l’Education, avril
2001
Dans tous les cas, le point pourrait être substitué par un signe de por-
tée inférieure : point-virgule ou virgule. Convient-il pour autant d’évoquer
une variante libre ? On voit bien que s’il y a en effet variante, celle-ci
n’est pas libre dans la mesure où elle se régule en fonction directe de l’in-
tention de communication; ici, de la visée argumentative.

90 C’est d’ailleurs pourquoi diverses définitions de la phrase font systématiquement


valoir le paramètre de complétude du sens. 131
VéRONIQuE DAHLET

Celle-ci peut se décrire comme suit : soit des contenus propositionnels


qui correspondent respectivement à un argument (x), et un argument (y).
La visée argumentative affleure à partir du moment où l’un des arguments
est doté d’une prégnance remarquable. Cette prégnance est la résultante du
mouvement d’inférence, qui s’effectue en trois temps :
1- mouvement de totalisation :
[. (x) ←.]
Ex. : L’homme [Jean Dumas, psychologue] a l’honnêteté de
reconnaître qu’il « n’a jamais réparé un seul enfant ».
2- puis de réouverture et poursuite :
[. (x) ← .] --→ (y) .] 91
Ex.: Qu’un enfant violent ne peut pas changer tout seul, grandir
tout seul, qu’il s’agit là d’un travail d’équipe
3- et enfin de totalisation confirmée de l’inférence :
[. (x) ← .]-- → (y) ←.]
Ex.: la totalité T, où (y) est plus fort que (x).

C’est le mouvement de réouverture de l’inférence puis de la confir-


mation de la totalisation inférentielle qui entraîne la rhématisation de l’ar-
gument (y), de sorte que le poids de l’information, et donc de l’argument,
se porte massivement sur celui-ci.
On pourrait opposer que, puisque toute occurrence du point s’équi-
vaut du fait même que sa portée reste toujours de même niveau, tout indi-
querait que les segments respectifs s’équivalent en l’absence de
connecteurs ou assimilés, qui déclareraient sémantiquement la primauté de
l’argument (y) sur l’argument (x). A cela, je répondrai, sans recherche de
paradoxe, que c’est précisément le point qui se charge de jouer un rôle
identique à celui d’un connecteur. De fait, si le point a pour fonction de
segmenter, son rôle s’apparente à celui d’un connecteur du point de vue du
sens. Il reste cependant entendu que d’un cas à l’autre, les modalités de
l’interprétation changent, car avec le point, l’effort d’interprétation est
bien plus coûteux que s’il y avait un connecteur.
Cette première observation en implique une seconde, à savoir que le
point ne suffit pas à bloquer la poursuite d’une seule et même unité séman-
tique et communicationnelle.

DEux SITES Du POINT D’ARGuMENTATION


En attestent des énoncés tels que ceux-ci, où la structure nucléaire être
suspect de + N et lui en coûter de + V, est segmentée par le point.

132 91 Dans ← .]-- →, les pointillés représentent la réouverture du travail d’inférence.


PONCTuATION ET éNONCIATION

(165)
[L’écriture est un artisanat.] Elle peut sembler n’avoir rien en commun
avec la théorie. Rien qui y prédispose. L’activité théorique est suspecte.
De contemplation.
H. Meschonnic (1982), Critique du rythme. Lagrasse : Verdier, p. 307
(166)
Il devait en coûter à Corneille d’avoir écrit le Cid et Polyeucte. Et de
n’avoir pas respecté la sacro-sainte « règle des trois unités » qu’au prix
d’acrobaties parfaitement invraisemblables dans le Cid.
P.F.M.A. : 37
Le point peut donc intervenir sur les sites non seulement inter-
nucléaires, mais aussi intra-nucléaires, c’est-à-dire aux niveaux les plus
bas, ceux réputés être non segmentables. On appelle site inter-nucléaire
celui qui s’insère dans une structure à dénominateur commun (par
exemple, ici : Elle peut sembler n’avoir est le dénominateur commun de
rien en commun avec la théorie + Rien qui y prédispose), et site intra-
nucléaire, celui qui s’insère dans une unité minimale sur le plan syntaxico-
sémantique (par exemple, ici : suspecte. De contemplation). Par
commodité, on les dénommera respectivement site 1 et site 2.
La segmentation aux niveaux les plus bas est un phénomène encore
plus remarquable, qui contrevient aussi bien aux pratiques attendues
qu’aux opérations cognitives au sujet desquelles il a été démontré qu’on
met ensemble ce qui est interprété comme unité non segmentable. Aussi,
le fait même de segmenter au cœur de l’unité syntaxico-sémantique, en
isolant graphiquement et en donnant une relative autonomie au segment
borné à gauche (alors qu’il est attendu qu’il ne le soit que sur sa droite), le
met en avant-plan : le poids de l’information est rabattu sur le segment en
question, qui est alors rhématisé.
Voilà, à mon sens, une claire démonstration d’une sujétion de la ponc-
tuation séquentielle à l’intention de communication. Sujétion réglée bien
entendu(e), et dosée de sorte qu’elle n’est ni hors représentation (risque
d’incohérence voire de non sens), ni dans les normes attendues (risque de
perte de prégnance argumentative).
Si le point d’argumentation possède une seule fonction, qui est de rhé-
matisation, son fonctionnement diffère pourtant selon qu’il apparaît sur le
site de type 1 ou de type 2. On s’en rend compte par l’épreuve de substi-
tution des signes, séquentiels d’abord, énonciatifs ensuite.

LE POINT EN SITE 1 ET 2 : QuELS AuTRES SIGNES SéQuENTIELS


On a noté que le point argumentatif remplace une ponctuation séquen-
tielle de portée moindre : point-virgule ou le plus souvent virgule. Il s’agit
maintenant de compléter cette remarque en précisant que ce paradigme de
substitutions ne concerne que le point placé en site 1.
Que l’on en juge :
133
VéRONIQuE DAHLET

(167)
[L’écriture est un artisanat.]
Elle peut sembler n’avoir rien en commun avec la théorie; rien qui y
prédispose.
Elle peut sembler n’avoir rien en commun avec la théorie, rien qui y
prédispose.
Sur le site 2, ce paradigme est difficilement recevable:
(168)
? L’activité théorique est suspecte; de contemplation.
? L’activité théorique est suspecte, de contemplation.
Alors que le site 1, inter-nucléaire, admet les signes de portée infé-
rieure, le site 2, intra-nucléaire et donc en principe non segmentable, ne les
accepte pas, et passe directement de 0 au /./.
Et c’est bien là l’étonnant. Car si l’on se replace dans la perspective
de l’activité inférentielle, seul le point parmi les trois signes envisagés en
indique le bouclage, et c’est précisément ce signe-ci qui est recevable tan-
dis que, au risque de se répéter, le site 2 est réputé a priori insegmentable.
De ceci, il faut donc présumer que le /;/ et la /,/ sont irrecevables précisé-
ment parce qu’ils n’impliquent pas la clôture inférentielle, ce qui signifie
qu’elle est la condition indispensable pour que se produise la rhématisa-
tion92.
Si l’on poursuit le jeu de substitutions possibles du point argumenta-
tif en site 1 et 2 par des signes énonciatifs, on s’aperçoit que l’équivalence
d’un répertoire de signes au profit de l’autre répertoire ne fonctionne pas
davantage.

Les points de suspension : clôture vs. poursuite de l’inférence


Les /.../ fonctionnent comme le double inversé du point argumentatif.
J’ai en effet montré qu’ils se ramènent en contexte monologal à une seule
fonction : celle d’appel à la poursuite de l’inférence93. En cela ils s’oppo-
sent au point, qui au contraire enjoint à sa clôture. Dans le premier cas,
l’effet est de coopération; dans le deuxième, il est d’interpellation. Mais
les deux signes entraînent, de façon similaire, la rhématisation.
Les /.../ peuvent substituer le point sur les deux sites.
site 1 :
(169)
En fait, le choix entre le cours magistral à 500 personnes et le petit sémi-
naire de quelques individus, dialoguant en permanence, dépend à la fois

92 Cf. supra le mouvement inférentiel en trois temps, p. 132.


Cela dit, en l’état actuel des choses, on ne peut raisonnablement que présenter ce qui
est un constat. C’est insuffisant, et des analyses ultérieures seraient nécessaires pour
comprendre les opérations qui sous-tendent ici la recevabilité, là, l’irrecevabilité.
134 93 Voir p. 104.
PONCTuATION ET éNONCIATION

du sujet, de la matière... et de la notoriété ou du savoir-faire de l’ensei-


gnant.
« Risques et promesses de l’e-éducation », Sciences Humaines, mars-
avril-mai 2001
vs.
En fait, le choix entre le cours magistral à 500 personnes et le petit sémi-
naire de quelques individus, dialoguant en permanence, dépend à la fois
du sujet [et] de la matière. Et de la notoriété ou du savoir-faire de l’en-
seignant.
sites 1 et 2 :
(170)
[L’écriture est un artisanat.] Elle peut sembler n’avoir rien en commun
avec la théorie...rien qui y prédispose. L’activité théorique est sus-
pecte...de contemplation.

Le double-points
Ainsi qu’on l’a vu, sa fonction consiste dès le départ à structurer l’in-
formation en thème et rhème [T/R]94. Mais délimiter le rhème par le
double-points n’implique pas nécessairement une visée argumentative,
celle-ci transitant alors par les contenus linguistiques.
Notre hypothèse est donc la suivante. Le double-points devient signe
argumentatif selon son site d’occurrence :
• signe de rhématisation non argumentatif quand il apparaît sur les
sites inter-propositionnels sans mots coordonnants ou subordon-
nants, tandis que les propositions qu’il répartit de part et d’autre pos-
sèdent leur propre expansion, se composant chacune d’un SN sujet
+ SV. Ainsi, par exemple :
(171)
le serf a tous les droits de l’homme libre : il peut se marier, fonder une
famille, sa terre passera à ses enfants à sa mort, ainsi que les biens qu’il
a pu acquérir.
P.F.M.A. : 76
• signe de rhématisation argumentatif, dès lors qu’il apparaît
- sur des sites inter-propositionnels conjointement à des mots
coordonnants ou subordonnants. La substitution par le point
argumentatif est alors possible :
(172)
C’est qu’il [Benveniste] faisait une linguistique du discours, et que,
peut-être, il y fallait une poétique du discours : qui analyse le poème
comme révélateur du fonctionnement du rythme dans le discours.
Henri Meschonnic (1982), Critique du rythme. Lagrasse : Verdier, p.
307
vs.

94 Voir, p. 94. 135


VéRONIQuE DAHLET

C’est qu’il [Benveniste] faisait une linguistique du discours, et que,


peut-être, il y fallait une poétique du discours. Qui analyse le poème
comme révélateur du fonctionnement du rythme dans le discours.
- dans des unités syntaxiques de bas niveau. Et dans ce cas, il peut
se substituer au point argumentatif :
(173)
[L’écriture est un artisanat.] Elle peut sembler n’avoir rien en commun
avec la théorie : rien qui y prédispose.
L’activité théorique est suspecte : de contemplation.
Ainsi, le /:/ devient argumentatif à partir du moment où il rhématise
un segment syntaxiquement dépendant (subordination ou coordination,
comme : qui analyse le poème...) ou sur un élément d’unité nucléaire (sus-
pecte : de contemplation). Il peut donc substituer le point argumentatif en
site 1 comme en site 2, de la même manière que les /.../.
Reprenons les résultats de cette analyse du point argumentatif :
• Signe séquentiel, le point devient argumentatif lorsqu’il entraîne la
fermeture puis la réouverture de l’inférence;
• Les /.../ et le /:/, parce qu’ils sont énonciatifs, peuvent le substituer
en site 1 ou en site 2;
• Signes séquentiels, le /;/ et la /,/ ne peuvent le substituer qu’en site
1. Comme le point, ils ont alors la propriété de rhématiser, et donc
de porter l’argumentation, mais en proportion moindre car ils consti-
tuent le lieu d’un bouclage inférentiel partiel et non totalisant;
• Si on dégage une échelle de prégnance argumentative, celle-ci
s’évaluerait :
- à l’aune de la portée des signes séquentiels : /./ - /;/ - /,/. La fer-
meture du travail inférentiel est proportionnelle à la portée du
signe. C’est pourquoi le point est le signe le plus apte à donner
prégnance argumentative;
- dans l’axe de substitution du point par les /.../ et le /:/, la diffé-
rence est dans la relation pragmatique : interpellation avec le /./,
coopération avec les /.../, et indication de surdétermination de la
rhématisation avec le /:/.
Le /./ argumentatif constitue sans doute la pratique la plus avancée du
signe en tant qu’opération discursive et communicationnelle, et la plus
voyante aussi. À lui seul, le point constitue pleinement un acte de langage,
c’est-à-dire qu’il est déclaré en tant que tel par le seul recours typogra-
phique.
Les signes de portée inférieure – /;/ et /,/ – ne procèdent pas autre-
ment, même si la rhématisation paraît plus discrète du fait qu’ils n’impli-
quent pas, contrairement au point, la totalisation inférentielle.

136
PONCTuATION ET éNONCIATION

Le point-virgule
Le /;/ possède une double fonction : celle de segmentation, et celle de
hiérarchisation quand il entre en combinaison avec la /,/.
Puisque les signes séquentiels rhématisent par la segmentation, il est
clair que le /;/ ne peut rhématiser quand sa fonction est de hiérarchisation.
(174)
[sur l’opinion publique, analysée depuis la notion de souveraineté du
peuple en 1790-1791 par l’historien Rosanvallon] Sublime et fragile
abstraction [...] l’opinion publique s’offre d’emblée à tous les usurpa-
teurs. En fait, la féconde imagination des révolutionnaires ne sera
jamais dépassée; et les problèmes posés jamais résolus.
« L’Histoire sans fin de Rosanvallon », Politis, 21 septembre 2000
Ici, sa singularité provient davantage de ce qu’il se substitue à la /,/ de
l’ellipse. Introduire un signe de portée supérieure, on l’a déjà vu, rend
compte de la remise en vedette du second segment (et les problèmes posés
jamais résolus), d’où sa rhématisation.
Dans le cadre de l’énumération, le /;/ a pour fonction de maintenir la
prégnance de chacun des éléments énumérés, ce qui contre-balance l’effet
diluant de l’énumération.
(175)
Les archives nous ouvrent encore les mines d’une histoire plus secrète
et plus officielle : rapports adressés à Richelieu ou à Louis xIII; corres-
pondance du père général des jésuites (Rome) avec Paris, Bordeaux et
Loudun; lettres de Laubardemont; dépositions de médecins; consulta-
tions théologiques; avertissements provenant des administrations pari-
siennes ou poitevines; etc.
P.L. : 17
(176)
Dix-huit personnalités du monde entier [...] auront donc à statuer sur la
« valeur exceptionnelle » du patrimoine soumis à leur approbation : ins-
truments de musique traditionnelle; manifestations carnavalesques;
expression culturelle liée à des phénomènes religieux; traditions orales
des pays africains; costumes et masques du théâtre asiatique; droit cou-
tumier d’Afrique; opéra de marionnettes; langues....
« Contes, rites, danses, langues... L’unesco se bat pour l’intangible », Le
Monde de l’éducation, avril 2001

La virgule proscrite, facultative, prescrite


Je voudrais ici me concentrer sur un phénomène qui ne manque pas
d’être une pierre angulaire dans la grammaire de Grévisse et les divers
traités de ponctuation. Il s’agit de la suite [ , et ] qui selon les cas de figure
envisagés est ou proscrite, ou donnée comme facultative, ou encore pres-
crite (en général pour raison de longueur). Le tableau qui suit fait la syn-
thèse des cas de figure envisagés.

137
VéRONIQuE DAHLET

tableau X : Virgule proscrite, facultative, prescrite

, et proscrite facultative prescrite


/,/ intra- quand relie deux termes • quand relie deux termes quand répétition de et
propositionnelle, de fonction identique95. de fonctions identiques96. devant chacun des SN
de niveau 5 Pierre et Paul s’amusent Hinault, Boyer, Indurain, en position détachée,
et Kelly, passèrent en tête régis par une cataphore
au sommet. générique98.
• quand répétition de et Tout s’acquitte,
devant chacun des SN et le mal par le bien,
reliés et en position sujet97 et le bien par le mal.
Et le vent et la mer
accordaient leurs voix en
un duo farouche.
Et le vent, et la mer,
accordaient leurs voix en
un duo farouche

/,/ inter- quand intervient le quand intervient le


propositionnelle, paramètre de la longueur99. paramètre de la longueur100.
de niveau 4

Proscription
Quand il y a proscription, la structure envisagée est du type Il est beau
et intelligent /Pierre et Paul s’amusent / Il vend des fruits et des légumes /
Il ne sait pas jouer ni chanter101.
Cette proscription me paraît être un coup de force, même si l’on se
place dans la perspective de la norme102. En effet, de la même manière que
rien n’empêche une ponctuation de portée supérieure de se susbtituer à une
autre de portée inférieure, la suite [ , et ] se substitue à [ 0 et ] pour effec-
tuer la rhématisation sur l’élément introduit par la conjonction.

95 Doppagne , 1984 : 17 ; Drillon, 1991 : 171 ; Popin, 1998 : 42 ; Colignon, s/d : 18.
96 Colignon, s/d : 18.
97 Colignon, s/d : 19.
98 Colignon, s/d : 19.
99 Drillon, 1991 : 181 ; Grévisse, 1986 : 171.
100 Colignon, s/d : 19 ; Doppagne, 1984 : 18-19 ; Drillon, 1991 : 172.
101 exemples empruntés à Popin (1998 : 42) , dont il dit qu’il n’y a « aucune possibilité
d’insertion de la virgule. »
102 Si l’établissement de la norme est indispensable, elle ne doit pas être confondue avec
le pouvoir symbolique et social auquel elle est associée. Si l’on considère qu’une
norme se fonde et émane de l’ensemble des pratiques partagées, on pourrait légiti-
mement s’attendre à ce que les divers rédacteurs ne considèrent plus comme non ave-
nue une pratique aujourd’hui répandue dans de nombreux textes, médiatiques
notamment. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Colignon, dans son guide de forma-
tion et de perfectionnement des journalistes (s/d), après avoir présenté la non virgule,
la réintroduit pour l’énumération quand «on veut faire ressortir le dernier terme de
138 l’énumération » (p. 18). Cf. infra, la virgule facultative, p. 141-142.
PONCTuATION ET éNONCIATION

En réalité, et accepte à sa gauche non seulement la virgule, mais toute


ponctuation syntagmatique, quelle que soit sa portée, car prédomine le
déplacement de sa valeur de coordination sur sa valeur argumentative.
Que l’on compare :
(177)
Yves est chétif et sans charme vs.
(178)
Yves est chétif, et sans charme vs.
(179)
Yves est chétif. Et sans charme.
Dans (177), chétif et sans charme sont certes coordonnés, mais selon
la loi qui veut qu’en français le poids informatif porte davantage sur les
éléments de droite, chétif est argumentativement moins fort que sans
charme.
Dans (178), la conformité au code voudrait qu’il n’y ait pas de /,/
séparant les deux attributs reliés par le coordonnant. En réalité, dans ce
type de structure, la conjonction de coordination (valeur sémantico-
logique, la seule apparemment retenue dans les grammaires et les traités
en contexte intra-propositionnel) perd en fonction grammaticale ce qu’elle
gagne en fonction argumentative, de sorte que sans charme acquiert un
poids argumentatif supérieur par rapport à chétif et à son homologue dans
(177).
Cela est également vrai pour (179). Mais, parce que le /./ disjoint à
son maximum les deux attributs, c’est cette fois la structure en [T/R] qui
est modifiée, de sorte que le rhème reflue massivement sur Et sans
charme.

et logico-sémantique et argumentatif TH / RH
Yves est chétif + Yves / est chétif
et sans charme et sans charme

Yves est chétif, + Yves / est chétif


et sans charme /et sans charme

Yves est chétif. + Yves / est chétif


Et sans charme > Th de :
Et sans charme

Reprenons maintenant au cas par cas les phrases que donne Popin
comme exemples de proscription. Outre Il est beau et intelligent identique
à la phrase de mon analyse, Il vend des fruits et des légumes / Il ne sait pas
jouer ni chanter procèdent de la même manière, car les SN objets ont pour
dénominateur commun le SN sujet + SV (il vend / il ne sait). En revanche,
dans Pierre et Paul s’amusent ce sont les SN sujets qui ont pour dénomi- 139
VéRONIQuE DAHLET

nateur commun (Pierre s’amuse et Paul s’amuse). D’où la double actuali-


sation de la /,/, ainsi que l’impossibilité de substituer par le /./. (cf. (180)).
Les potentialités ponctuationnelles se partagent donc très nettement
selon que le dénominateur commun se porte sur les SN objets ou sur les
SN sujets :
(180)
dénominateur commun : Sn sujet + SV dénominateur commun : SV
Il ne sait pas jouer, ni chanter * Pierre, et Paul s’amusent
vs. Pierre, et Paul, s’amusent

Il ne sait pas jouer. Ni chanter * Pierre. Et Paul s’amusent


A partir de là, on voit :
• se dessiner la ligne de partage entre le facultatif (entendons : l’in-
tention de communication) et le prescriptif (entendons : qui est
indispensable au traitement de l’information). En effet, dans Pierre,
et Paul, s’amusent, la première /,/ est d’ordre communicationnel :
ainsi que pour les autres énoncés, elle produit la rhématisation.
Cependant, la virgule rhématisante associée à un verbe qui est déno-
minateur commun exige l’insertion d’une autre virgule, purement
séquentielle celle-là, et dont le bornage d’une part empêche d’inter-
préter Paul comme sujet unique de s’amuser et d’autre part évite
l’incohérence produite par l’interprétation qui sélectionne le singu-
lier alors que le verbe donne le morphème du pluriel.
• que dans la ponctuation séquentielle, les signes à fonction énoncia-
tive et ceux à fonction exclusivement séquentielle se gèrent selon
deux systèmes différents, mais non autonomes. On peut donc provi-
soirement accepter cet axiome :
- quand il y a intention de communication manifestée par la ponc-
tuation, les signes communicationnels sont premiers dans la pré-
figuration de l’énoncé; les signes séquentiels se réorganisant, si
nécessaire, en fonction de ceux-là.
La question qui se pose alors est de savoir dans quelles conditions il
est ou non nécessaire aux signes séquentiels de se réorganiser. D’où
ce second axiome :
- quand il y a coïncidence de site entre signe communicationel et
signe séquentiel, il n’y a naturellement pas lieu à réorganisation.
L’intention de communication subsume alors la fonction séquen-
tielle.
On constate que les cas de coïncidence correspondent en général aux
sites inter-propositionnels où les signes du répertoire /./ - /; / /,/ peu-
vent se substituer les uns aux autres (cf. supra, le point en site 1).
- Quand il n’y a pas coïncidence de site entre signe communica-
tionel et signe séquentiel et que le signe communicationnel
140 modifie pour adéquation les regroupements syntagmatiques,
PONCTuATION ET éNONCIATION

alors, le signe séquentiel intervient pour restituer autrement les


bornes.
La non coïncidence du signe communicationnel et du signe séquentiel
correspond toujours aux sites intra-propositionnels (cf. supra, la suite
[, et ]).

Facultative
La notion de facultatif provient du champ grammatical. Le présup-
posé est encore celui de la variante libre, et lorsque le caractère facultatif
ou préférentiel est invoqué, cela signifie simplement que l’effacement de
la /,/ ne met pas en danger la recevabilité de l’énoncé.

PORTéE DE NIVEAu 5
Parmi les auteurs étudiés, Grévisse et Colignon relèvent la possibilité
d’introduire une /,/ de niveau 5 dans une structure que d’autres études nor-
matives déclarent ne pas accepter. Il s’agit de la suite de plusieurs éléments
de même fonction (SN sujets ou objets) séparés par la virgule, excepté
pour le dernier qui est introduit par et. Voici le commentaire destiné par
Colignon aux journalistes (s/d : 18) :
(181)
Hinault, Boyer, Indurain, et Kelly, passèrent en tête au sommet...
Ou :
(182)
« Au sommet on vit passer Hinault, Boyer, Indurain, et Kelly ». Cette
ponctuation veut faire comprendre qu’il est étonnant de retrouver avec
les meilleurs grimpeurs un sprinter comme l’Irlandais Kelly. – Cela sera
mieux exprimé par les tirets ou par les points de suspension : « Hinault,
Boyer, Indurain... et Kelly passèrent [...]» ; « Hinault, Boyer, Indurain
– et Kelly – passèrent [...] ».
La rhématisation par la /,/ correspond ici à ce qui ailleurs est proscrit :
telle est la ligne de partage entre l’inclusion et l’exclusion de l’intention de
communication (Cette ponctuation veut faire comprendre). Malgré tout,
Colignon fait porter la préférence sur les signes d’énonciation ( / – – / ou
/.../ ), censés mieux exprimer le commentaire interprétatif que suscite la
rhématisation. En réalité, il s’agit moins d’un mieux exprimé qu’un
exprimé différemment, car les / - - / et les /.../ sont déclarativement rhé-
matisants, avec intervention directive du scripteur, ce qui réduit à la fois
les risques de déviation interprétative et le temps de lecture, tandis que la
/,/, parce qu’elle est d’abord perçue comme séquentielle, oblige à un tra-
vail d’interprétation plus important103.

103 Mais il est vrai que, Colignon adressant son guide à des journalistes, la communica-
tion est envisagée dans son efficacité immédiate, d’où les deux paramètres de réfé-
rence : tout mettre en oeuvre en vue d’une réussite communicationnelle maximale en
un temps minimal. 141
VéRONIQuE DAHLET

PORTéE DE NIVEAu 4
En site inter-propositionnel, la nature du facultatif change de para-
digme, et du trait de grammaticalité on passe à celui de la longueur. La lon-
gueur est une notion récurrente dans les traités et les grammaires, sans que
l’on sache véritablement ce qu’elle recouvre. Sorte de fourre-tout, elle
mérite pourtant qu’on s’y arrête, en cherchant notamment quels sont les
domaines de référence auxquels elle renvoie.
Drillon (1991 : 181) admet que « Dans le cas de deux propositions
entières que joignent ‘et’ », « la virgule ne s’impose pas » (souligné dans le
texte). « Pourtant, poursuit-il curieusement, le mot qui précède immédiate-
ment la conjonction n’a pas la même fonction grammaticale que celui qui
la suit ». Le facultatif le remporte donc pour des questions de longueur :
« C’est affaire de longueur : si les deux propositions sont courtes (surtout
la seconde), aucune ambiguïté ne peut s’installer, et l’on peut se passer de
virgule :
(183)
La volupté m’appelle et l’Amour me couronne!
Charles Baudelaire, [Les fleurs du mal] »
L’analyse proposée par Drillon est intéressante pour deux raisons
essentiellement :
• pour l’indistinction entre les niveaux 4 et 5 de la /,/ qui, rapportée à
la suite [ , et ], empêche de percevoir le glissement sémantique de et
coordonnant vers le et de consécution (on reviendra sur ce point);
• pour le rapport établi entre longueur et ambiguïté.
Je commencerai par ce deuxième point, mais à partir de Grévisse, qui
donne alors la /,/ comme nécessaire.

Prescription
Grévisse (1986 : 171) reprend une règle bien établie dans grammaires
et traités : quand et ne se trouve « que devant le dernier terme (ce qui est
le tour ordinaire), on ne met pas de virgule habituellement, quel que soit
le nombre des termes :
(184)
une manière commode de faire la connaissance d’une ville est de cher-
cher comment on y travaille, comment on y aime et comment on y
meurt (A. Camus, Peste, p. 14) ».
Suit une série de conditions qui restreignent considérablement la règle
première. Je ne retiendrai ici que celles qui concernent la /,/ de niveau 4
(de fait, Grévisse ne distingue pas davantage les deux niveaux) : « la vir-
gule est utilisée si le dernier terme est précédé d’une pause, ce qui arrive
notamment » :
i « pour la clarté, quand les termes [?] sont longs et complexes » ;
ii « quand leur construction est fort dissemblable (par ex. si ce sont
142 des phrases à sujets différents ou à modes différents ».
PONCTuATION ET éNONCIATION

En (i.) comme en (ii.), la /,/ n’apparaît pas pour raison de syntaxe,


dans la mesure où la conjonction et suffit à garantir la bonne formation.
Ici, la /,/ est d’abord un signe qui facilite le travail d’interprétation en cours
de lecture (cf. (i.) « pour la clarté » et (ii.) « quand leur construction est fort
dissemblable »). L’instruction donnée par la suite [ , et ] peut se paraphra-
ser de la façon suivante : si les deux propositions sont prises ensemble et
comprises dans l’unité graphique bornée à doite et à gauche par le /./, elles
ne fonctionnent pourtant pas de façon appariée. Pour deux raisons princi-
palement :
- la coordination par et ne coordonne pas du référé, mais des actes
d’énonciation. Et cesse d’être cumulatif (et il n’est cumulatif que
dans la perspective logico-sémantique) pour devenir distributif (et il
ne l’est que dans la perspective de l’activité énonciative) ;
- la seconde raison découle de la première : la proposition constitue
une clause, c’est-à-dire, selon les termes de Berrendonner, une unité
d’action langagière105, qui par conséquent peut fournir à son gré
n’importe quel type d’expansion syntagmatique, tant du point de vue
de la cohésion que du point de vue référentiel.
Aussi la /,/ opère en convergence avec et, elle constitue un renfort
dans la délimitation co-ordonnée des deux clauses (ou unités d’énoncia-
tion) bornées de part et d’autre par le /./.
Ainsi, pour exemples, le type (ii.) de Grévisse105 :
(185)
Constatant qu’autour de Charlemagne on cultivait assidûment les
auteurs latins et grecs, ils [des érudits de notre siècle] ont parlé de
« Renaissance Carolingienne », et le terme est communément admis.
P.F.M.A. : 17
(186)
[Les hommes, quelle que soit l’époque ou la latitude, expriment le Sacré
à travers l’art]. Ainsi chaque génération a-t-elle eu, à travers les temps
et l’espace, son visage propre, et les facilités actuelles de déplacement
et de reproduction nous permettent de retrouver ce visage.
P.F.M.A. : 30
(187)
De binaire (juges-sorciers), la structure devient ternaire, et c’est le troi-
sième terme, les possédées, qui retient de plus en plus l’attention
publique : autrement dit, ce sont les victimes et non plus les coupables.
P.L. : 11
Cela dit, cette /,/ est prescrite mais n’est pas donnée comme ayant
force de norme, et pour cause : l’introduire ou non relève du calcul du
scripteur quant à l’adéquation entre son propos et la manière dont celui-ci

105 Il faut reconnaître que la condition (i.) de Grévisse reste peu précise, et peut se com-
prendre diversement. C’est pourquoi il est préférable de ne pas chercher à l’illustrer
par des exemples. 143
VéRONIQuE DAHLET

sera reçu (calcul du reste continu, mais de façon plus ou moins


consciente). C’est bien pourquoi se trouve en concurrence la suite [ 0 et ] :
(188)
[à la sorcellerie succède la possession; celle-ci n’est plus rurale mais
urbaine] Le milieu social atteint s’élève et s’homogénéise; les person-
nages en sont de milieu plus « moyen » et il y a une moindre différence
sociale entre juges et accusés qui désormais s’entendent et circulent
dans le même type de discours.
P.L. : 11
Laissons à présent grammaires et traités, pour signaler que la même
valeur de et dans la suite [ , et ] se retrouve quand il précède le premier
segment coordonné. Il l’anticipe alors par la cataphore. Or, ce type de
structure serait tout-à-fait impossible avec et à valeur sémantique de coor-
dination. Si le segment introduit par et précède le segment qu’il coor-
donne, c’est à la condition expresse de coordonner deux unités
langagières. Les structures de ce genre ne sont pas rares (les italiques
signalent les pronoms cataphoriques) :
(189)
D’une part, et cela dans un contexte d’analyse des textes qui ne pouvait
que l’accepter, la sémantique instructionnelle laisse ouverte la question
de l’unicité [...].
D’autre part, et cela ne pouvait que redonner un statut linguistique dans
les disciplines exégétiques, le rôle du linguiste est crucial pour détermi-
ner les paramètres « constants » [...].
A. Reboul & J. Moeschler (1998), Pragmatique du discours. Paris :
Armand Colin, p. 83
De ceci, il ressort que l’analyse de la suite [ , et ] doit être analysée à
la lumière de deux critères, qui se déterminent mutuellement : critère du
niveau auquel apparaît la /,/ et critère sémantique ou discursif de et.
Aussi peut-on avancer que la conjonction et a valeur :
- de véritable coordination quand les séquences coordonnées sont
mises sous régime commun. Dans ce cas, la norme proscrit la /,/
quand et se trouve en position intra-propositionnelle (niveau 5), et la
prescrit quand elle se trouve en position inter-propositionnelle
(niveau 4). C’est avec cette valeur qu’il y a, le cas échéant, ponc-
tuation rhématisante: /,/ pour le niveau 5, et signe de portée supé-
rieure pour le niveau 4.
(190)
Dans des systèmes sociaux spécifiques, la sorcellerie et la possession
manifestent une faille qui s’aggrave soudain, mais sous une forme sau-
vage et spectaculaire.
P.L. : 9

(191)
C’est l’une des définitions de la possession que d’être ce moment
144 instable, de le symboliser en un langage qui lui fournit une expression
PONCTuATION ET éNONCIATION

tout à la fois archaïque et neuve, et, au sens chimique du terme, de « pré-


cipiter » ainsi un processus avec des prises de position.
P.L. : 45
- de consécution. Cette valeur est toujours celle-là quand et coor-
donne deux propositions; elle l’est moins quand la conjonction se
trouve en intra-proposition, où c’est le contexte qui discriminera la
coordination pure de la consécution (ex. : j’aime les pommes et les
abricots vs. j’ai mangé des pommes et des abricots). La consécution
peut être d’ordre chronologique, de cause à effet, ou encore d’oppo-
sition :
- valeur chronologique. J’ai vendu ma maison et j’ai voyagé. On
pourrait difficilement interpréter que le voyage ait eu lieu avant la
vente de la maison.
- valeur de cause à effet. La Volupté m’appelle et l’Amour me cou-
ronne!
Charles Baudelaire, [Les fleurs du mal]
La valeur de cause à effet serait annulée avec l’introduction de la /,/.
Dans le vers de Baudelaire, c’est précisément parce que la Volupté appelle
que l’Amour couronne.
- valeur adversative (mais). Pierre te l’avait dit et tu ne l’as pas
écouté.
- enfin, le dernier et a valeur d’articulation d’actes d’énonciation.
un test formel, qui permet de le reconnaître, consiste à lui adjoindre
des mots tels que d’autres articulateurs (et cela, et surtout, et encore,
et finalement, etc.), des relatifs (et dont, etc.) ou le que complétif (et
que). C’est alors une conjonction qui articule non plus le référé, mais
le discours. Dans ce contexte, la /,/ appareillée à la conjonction faci-
lite l’activité de lecture en ce qu’elle renforce le processus engagé
par le et énonciatif. Cette /,/ dépend donc de la représentation que se
fait le scripteur de son lecteur.

En somme, l’expression variante libre s’avère être plus une expres-


sion de commodité qu’une réalité éprouvée. Mais elle fonctionne aussi
comme notion, qui comporte ses présupposés, ce qui écarte ou minimise
la prise en compte de l’ajustement de la ponctuation sur l’intention de
communication.
Les présupposés sont faciles à reconnaître :
- il existe une norme pour la ponctuation. Or, on s’est aperçu qu’en
réalité cette norme n’a de prise que très réduite sur celle-là;
- la reconnaissance confiante de la norme projette une représentation
mi-spontanée, mi-apprise, des faire ponctuationnels en terme de
moyenne fréquentielle, au-delà et en-deçà de laquelle on considère
qu’il y a variante libre. La question se situe bien là : dans l’assimi-
lation trop rapide, certes souvent dénoncée mais extrêmement résis- 145
VéRONIQuE DAHLET

tante, entre la norme qui préexisterait à l’acte langagier, et l’acte lan-


gagier lui-même qui ne passerait que par une application/réactiva-
tion de la norme106. Cette assimilation fait alors croire qu’on écrit,
non pas coopérativement avec la norme considérée comme condi-
tion préalable à la bonne formation/interprétation du sens – ce qui
laisse une bonne marge de manoeuvre au scripteur –, mais sous sa
dictée continue et omniprésente, et comme suffisante à elle seule à
construire le sens qui serait finalement préprogrammé, – ce qui
donne du scripteur la représentation d’un simple exécutant – .
- enfin, la variante libre sécrète une image de périphérie par rapport à
un centre, qui n’est autre que la représentation mi-spontanée, mi-
apprise dont on vient de parler.

On le voit : la variante libre n’existe pas. Elle n’est guère libre, puis-
qu’elle est au contraire conditionnée par l’intention de communication, et
dans ce cas, il ne s’agit pas d’une variante, mais d’une réalisation langa-
gière écrite qui tire forme, sens et légitimité de cette intention de commu-
nication dont elle est l’attestation.
Ce qui pour les écrits ordinaires est appelé variante libre devient, en
littérature, une composante du style.

106 Ce n’est pas le lieu ici d’entrer plus avant dans le débat sur la langue de la grammaire
(c’est-à-dire sur les critères de prescription, la méthodologie et l’idéologie qui la tra-
verse ) descriptive ou normative, ni sur la grammaire de la langue, dans sa relation à
l’activité de langage. On se reportera avec profit à l’Introduction à une science du
langage, de J.-C. Milner (1995), et notamment au « solide de référence » (chap. 5,
Première partie), où l’on trouve ceci : « on a pensé la langue comme une activité
146 résultant de manière causale de l’application d’une règle » (p. 92).
PONCTuATION ET éNONCIATION

conclusion

Il s’est agi de montrer la ponctuation, d’abord en tant qu’ensemble


fermé, puis dans les réalisations singulières de chaque signe, sous l’angle
des réglages des systèmes qui la composent.
En tant qu’ensemble fermé, la ponctuation fonctionne principalement
sur les deux axes de la portée et de la combinatoire, et peut être appréhen-
dée indépendamment d’une production écrite donnée.
En revanche, dès que l’on passe aux réalisations singulières de tel
signe de ponctuation, l’angle d’approche change, et si portée et combina-
toire ne laissent pas de cadrer l’analyse, c’est l’écrit qui prévaut en tant
qu’acte de communication fondé en co-énonciation. De là la primauté des
significations produites par les opérations mises en oeuvre par chacun des
signes du répertoire ponctuationnel.
Cela ne signifie pas pour autant qu’ils ont été analysés en simple suite.
On a tout d’abord voulu donner à la ponctuation de mot la place qui
lui revient. Le corpus tel qu’il est établi dans les grammaires et tel qu’il est
repris dans les analyses peu nombreuses qui s’y consacrent à l’occasion,
ne se soutient que par fidélité à la tradition, pour laquelle la ponctuation de
mot n’est qu’affaire d’orthographe. Or, l’usage contredit formellement ce
découpage, de sorte qu’il a fallu procéder à un nouvel établissement du
corpus des signes de mot, qui soit à même d’intégrer les opérations de
signification qu’ils produisent.
Quant à la ponctuation de phrase et textuelle, elle a d’emblée été
regroupée dans ses deux fonctions majeures – de séquence et d’énoncia-
tion – . L’analyse de tel signe spécifique a cherché autant que possible à le
relier à l’environnement propositionnel et ponctuationnel dans lequel il
apparaissait, ou encore, à l’ouvrir au paradigme des substitutions poten-
tielles. Ce sont là deux démarches qui m’ont semblé propres à faire res-
sortir les significations mises en jeu dans tel ou tel signe.
La cinquième et dernière partie reprend le tout à partir d’une question
initiale : qu’est-ce qui en ponctuation revient à la norme, qu’est-ce qui
revient au scripteur énonciateur ? On a montré, je l’espère du moins, que
loin de se cantonner aux signes d’énonciation, la dimension énonciative
gagne l’ensemble de la ponctuation, et singulièrement par l’orientation
pragmatique qu’elle indique.
Ainsi, en ponctuation de mot, on a pu observer une ligne de partage
très nette entre les ponctuations inter-mots et intra-mot. Si les premières
appartiennent clairement à la norme orthographique – hors l’unique possi- 147
VéRONIQuE DAHLET

bilité qui consiste à multiplier le trait d’union –, les secondes en revanche


relèvent massivement des réglages co-énonciatifs.
De la même manière que la ponctuation de mot a été désenclavée du
domaine orthographique auquel elle est réputée appartenir, la ponctuation
de séquence déborde de sa catégorisation première. De sorte qu’à la bipar-
tition fonctionnelle initialement donnée entre signes de séquence et signes
d’énonciation, il convient d’adjoindre un second tiroir pour chacun des
deux ensembles en question, ce que l’on peut représenter comme suit :

deux classes fonctionnelles premières

ponctuation de séquence ponctuation d’énonciation

représentante représentée
contexte monologal contexte dialogal

deux classes fonctionnelles secondes

ponctuation de séquence ponctuation énonciative


énonciativo-pragmatique séquentielle

En effet, la perspective argumentative a été jaugée à l’aune des sub-


stitutions de signes séquentiels, substitutions qui s’effectuaient ou bien sur
l’axe du 0-1 (non signe vs. signe), ou bien sur l’axe des portées.
On a enfin choisi de se concentrer sur la paire /signe séquentiel + et /,
en premier lieu par référence à la norme. Je songe aux débats passionnés
que cette combinaison a suscités pendant des décennies, sans qu’ils aient
pour autant donné lieu à un essai d’analyse, qui à mon sens est à situer
d’emblée dans la perspective des classes fonctionnelles premières et
secondes de la ponctuation séquentielle.
On a donc changé de procédure, en prélevant cette fois un mot du
lexique – le connecteur et – (a priori, une donnée stable), à partir de quoi
on a observé, suivant la combinaison dans laquelle il entrait avec tel signe
séquentiel, d’abord la variation des comportements pragmatiques des
énoncés, puis les glissements sémantiques qui affectent cette unité lexi-
cale.
Cette dernière étape concernant la paire /signe séquentiel + et / ne
constitue qu’une amorce de ce qui pourrait donner lieu à une étude plus
ample sur la relation entre ponctuation et sémantique, et qui pourrait tout
148 d’abord concerner les connecteurs. En effet, les connecteurs ont beaucoup
PONCTuATION ET éNONCIATION

intéressé la grammaire de texte (cf. par exemple, J.-M. Adam) ou l’argu-


mentation (cf. notamment Ducrot), ou encore l’analyse de discours, mais
il reste encore à faire l’étude sur la paire /signes séquentiels + connec-
teurs/, aussi bien du point de vue des variations sémantiques qu’elle peut
produire sur le connecteur étudié que du point de vue de son rôle dans le
texte (sites privilégiés d’intégration textuelle des contenus proposition-
nels, gestion des positions énonciatives et gestion de l’argumentation,
entre autres).

149
PONCTuATION ET éNONCIATION

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153
PONCTuATION ET éNONCIATION

table des matières

Préliminaire 11
Première partie : La Ponctuation : QuEL oBJEt ? 15
chapitre 1 : Définir la ponctuation 17
Définir 17
Niveaux 17
La ponctuation de mot 17
La ponctuation de phrase 17
La ponctuation de texte 18
Définitions 18
Délimitation du corpus 18
Morphologie 19
Fonction 19
Statut 19
Le signe 19
un graphème de quelle nature 23
Délimiter 24
Corpus des signes 24
Ponctuation de mot 24
Ponctuation de phrase 25
Signes de séquence 25
Signes d’énonciation 25
Combiner 26
Ponctuation de mot 27
Ponctuation de phrase 27
Portée des signes 28
Portée des signes de séquence 28
Portée et résorption 31
Portée des signes d’énonciation 32
Résorption 35
Combinatoire 35
Signes syntagmatiques et énonciatifs : combinatoires et résorptions 37

Deuxième partie : La Ponctuation DE Mot.


FonctionS Et oPÉRationS 39
chapitre 2 : Essai de description raisonnée 41
Ponctuation intra-mot 41
Position initiale : la majuscule 42
Position initiale, médiane ou finale : la parenthèse 42 155
VéRONIQuE DAHLET

Position médiane : le trait d’union, simple ou multiple 43


Trait d’union simple 43
Trait d’union multiple 44
Position finale : points de suspension et point abréviatif 44
Position initiale, médiane et finale : l’apostrophe 45
Ponctuation inter-mots 45
Trait d’union 45
Trait d’union simple. Base : deux mots 45
Trait d’union double. Base : deux mots 46
Trait d’union double. Base : trois mots 46
Apostrophe 46

troisième partie : La Ponctuation DE SÉQuEncE.


FonctionS Et oPÉRationS 49
chapitre 3 : L’alinéa 51
Alinéa et paragraphe 51
Raisons de l’alinéa 52
Contexte extralinguistique 53
Contexte linguistique 55
La démarcation 56
Paragraphes thématiques 58
Paragraphes de registres 59
Registre dominant et homogénéité 61
Paragraphes en contexte dialogal 62
Le paragraphe comme unité sémantique 63
Le sémantique 63
La cohésion 64
La cohérence 64
La progression 64
Le traitement de l’information 65
Hiérarchie et adhérence 66
chapitre 4 : Le point 69
Théorie des trois points de vue 70
Phrase : clause, période 71
chapitre 5 : Le point-virgule 73
Segmentation 73
Hiérarchisation 74
chapitre 6 : La virgule 77
Opérateur syntaxique et sémantique 77
Trois principes majeurs d’occurrence 79
Principes processuels d’occurrence 80
Signe relationnel d’identité 81
Avec tensif simple 81
156 Avec tensif complexe 81
PONCTuATION ET éNONCIATION

Régime commun in praesentia 81


Régime commun in absentia 82
Signe relationnel d’étagement 82
Substitutions paradigmatiques 83

Quatrième partie : La Ponctuation D’Énonciation.


FonctionS Et oPÉRationS 85
chapitre 7 : contexte monologal et contexte dialogal 87
Contexte monologal vs. contexte dialogal 87
Les signes de citation 88
Les signes de conduite de dialogue 89
Les points d’interrogation, d’exclamation et de suspension 90
chapitre 8 : contexte monologal 91
Les hiérarchiseurs discursifs 91
Le deux-points 91
Thème et rhème 91
un opérateur logique 92
Parenthèses et tiret double 93
Aiguilleurs référentiels 94
Guillemets autonymiques 95
Guillemets de connotation autonymique 95
Les marqueurs expressifs 96
L’italique 96
La capitale 97
Le gras 97
Le tiret simple 98
Les signes d’interaction 98
Le point d’exclamation 99
Le haut degré 99
Mot exclamé 100
Le point d’interrogation 100
Mise en vedette du rhème 102
Appel au consensus 102
Fiction de dialogue 103
Avec le lecteur 103
Dialogue tiercérisé 103
Les points de suspension 104
En début d’énoncé 105
En milieu d’énoncé 105
En fin d’énoncé 106
Etc. 106
Espace de l’interprétation 106
Appel au consensus 107
Arrêt sur inférence 108 157
VéRONIQuE DAHLET

chapitre 9 : contexte dialogal 111


Des signes interdiscursifs 111
Le deux-points 111
Virgule, points d’interrogation et d’exclamation 112
Signes de citation 112
Guillemets 112
Discours rapporté 113
Citation de titre 113
L’italique 113
L’italique de mot étranger 114
Signes de conduite de dialogue 114
Mise en forme du dialogue 115
Connotation de l’expressivité 116
La capitale 116
L’italique 117
Connotation de l’interaction 118
L’exclamation et l’interrogation 118
Points de suspension 120
Hétéro-interruption 121
Homo-interruption 121
Fondu-enchaîné 121
Substitution 122

cinquième partie : noRME, VaRiantE, PRaGMatiQuE 123


chapitre 10 : une ponctuation de mot énonciativo-pragmatique 125
Majuscule 126
Parenthèses 126
Trait d’union 127
Points de suspension 127
Apostrophe 127
Point abréviatif 128
chapitre 11 : une ponctuation séquentielle énonciativo-pragmatique 129
Norme 129
Intention de communication et argumentation 130
La rhématisation 131
Le point 131
Deux sites du point d’argumentation 132
Le point en site 1 et 2 : quels autres signes séquentiels 133
Les points de suspension : clôture vs. poursuite de l’inférence 134
Le double-points 135
Le point-virgule 137
La virgule proscrite, facultative, prescrite 137
Proscription 138
158 Facultative 141
PONCTuATION ET éNONCIATION

Portée de niveau 5 141


Portée de niveau 4 142
Prescription 142

conclusion 147
Bibliographie 151

SoMMaiRE DES taBLEauX

I. Hétérogénéité de l’écrit 21
II. Portée des signes 29
III. Ponctuation intra-mot. Corpus et sites d’occurrence 41
IV. Ponctuation inter-mots. Corpus 45
V. Virgule : tensif simple ou complexe 83
VI. Ponctuation énonciative. Corpus et fonctions 87
VII. Points de suspension. Sites et fonctions 108
VIII. Prévalence des paramètres en ponctuation intra-mot 127
Ix. Prévalence des paramètres en ponctuation séquentielle 129
x. Virgule proscrite, facultative, prescrite 138

159

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