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Dubois Jean. Grammaire générative et transformationnelle. In: Langue française, n°1, 1969. La syntaxe. pp. 49-57;
doi : https://doi.org/10.3406/lfr.1969.5397
https://www.persee.fr/doc/lfr_0023-8368_1969_num_1_1_5397
1. Introduction.
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LANGUE FRANÇAISE № 1
vées dans un corpus, c'est-à-dire un ensemble de données de fait, mais
qu'elle soit capable de produire des phrases grammaticalement correctes,
quoique non observées, et surtout qu'elle rende compte des jugements
de grammaticalité que le sujet parlant une langue porte sur les
productions verbales. Ainsi lorsque je rencontre un énoncé comme Le danger
redoute les soldats, ma grammaire doit justifier le jugement d'agramma-
ticalité que, en tant que sujet parlant le français, je porte sur cette phrase.
Ma grammaire doit rendre du fait que le verbe aller comme auxiliaire ne
peut être utilisé au futur ou au subjonctif; les énoncés
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3. Modèle de compétence et modèle de performance.
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structure profonde et une partie transformationnelle qui permet par une
série d'opérations (transformations obligatoires ou facultatives) de passer
de la structure de base à des suites terminales, c'est-à-dire à des phrases
de la structure de surface auxquelles sont appliquées des règles
phonologiques permettant d'aboutir aux phrases effectivement réalisées. Ces
transformations, qui sont en nombre fini et mettent en œuvre des
opérations en nombre fini (réarrangement; permutation, effacement, addition),
permettent de passer des structures de base en nombre fini à l'infini des
phrases réellement produites.
On appelle indicateur syntagmatique la description syntaxique d'une
phrase (représentée par un arbre).
Prenons un exemple. La transformation dite généralisée consiste à
dériver un indicateur syntagmatique unique (une phrase) de deux
indicateurs singuliers (deux phrases de base) par des procédures diverses, celles-ci
pouvant être ordonnées différemment.
Soit les deux phrases :
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Les transformations n'impliquent aucune addition ou modification
de sens. Ceci Veut dire en particulier que l'interprétation sémantique
des phrases de la structure profonde n'est pas modifiée au cours des
transformations généralisées. Une nominalisation ou une relativisation
implique sur le plan du discours une hiérarchisation et une articulation
logique qui modifie le rapport entre les deux propositions, mais chacune
d'entre elles conserve la même interprétation sémantique, une fois la
dérivation opérée. En ce qui concerne les transformations singulières
(interrogative, emphatique et négative), cette considération a conduit à
modifier le premier état de la théorie et à introduire dans les indicateurs
syntagmatiques de base les marqueurs « négation », « emphase », «
interrogation ». Les transformations sont ordonnées. Il s'agit en effet d'une
chaîne longue d'opérations qui permettent de dériver un indicateur
syntagmatique de plusieurs phrases nucléaires (ou phrases-noyaux).
Soit la proposition :
Il faut passer par la phrase passive (des légumes sont achetés par la
ménagère) pour rendre compte de l'apparition de la préposition par.
Or, cet ordre des transformations est significatif puisqu'il permet de
dissocier ainsi plusieurs types d'opérations qui divergent par l'ordre
dans lequel elles sont effectuées et non par leur nature. Les
transformations doivent être expliquées; ceci signifie que des règles doivent rendre
compte de toutes les opérations effectuées. Il en est une par exemple
qui consiste à effacer deux de qui se succèdent. Si le syntagme nominal
sujet qui devient complément du nom est précédé de la préposition de,
il n'en reste pas moins composé de l'article et du substantif. On a donc :
5. L'ambiguïté.
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vient de deux interprétations sémantiques distinctes qui doivent être
données au même énoncé pour des raisons syntaxiques.
Soit la phrase :
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et les relations qu'elles peuvent entretenir entre elles, en raison de la
pauvreté du modèle mis en œuvre.
6. Lexique et syntaxe.
N animé
N
N non-animé
Mais la difficulté inhérente à ce type de règle est qu'ensuite on se
trouve placé devant le problème de diviser les animés en masculins et
féminins, en considérant que cette subdivision est hiérarchiquement
subordonnée à la première, ce qui est évidemment arbitraire. Cette
constatation, ainsi que la forme donnée à la représentation phonologique, ont
mis sur la voie d'une seconde solution qui ne consiste pas à représenter le
lexique sous la forme d'un arbre taxinomique, mais à considérer que
chaque morphème lexical possède une matrice de représentation
comportant plusieurs composantes.
1. Une composante phonologique, qui consiste à représenter un
morphème lexical par la séquence des traits distinctifs phonologiques. Ainsi
ce ne sont plus les phonèmes qui représentent le morphème, mais chacun
des phonèmes étant constitué par un faisceau d'oppositions, ce sont ces
traits qui sont donnés. Ainsi pour garçon /garso/, la représentation se
présentera sous la forme d'une matrice où les traits seront par exemple
ceux de l'analyse de Halle-Jakobson (consonantique, compact, etc.).
2. Une composante syntaxique et sémantique qui est représentée
pour chaque morphème par une série de rubriques lexicales qui comporte
aussi une suite de traits combinés distinctifs. Ainsi un terme comme
garçon présentera les traits distinctifs de animé + humain + mâle..
+ jeune, etc. Ces rubriques permettent de faire jouer des redondances
puisque a humain » implique « animé » et qu'en conséquence dans la
représentation ci-dessus on pourra faire l'économie du trait animé.
Les traits contenus dans la matrice lexicale seront de deux ordres :
a) Traits syntaxiques : ainsi « transitif » pour les verbes. Ce trait
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contextuel (défini par l'environnement et dépendant du contexte)
permet de « sélectionner » un verbe dans un cadre donné.
b) Traits sémantiques : ainsi « objet manufacturé /objet non-manu-
facturé ». Ce dernier trait d'ailleurs peut être réduit à : objet ± humain.
Ce trait est dit indépendant du contexte.
Ces deux types de traits permettent de rendre compte d'un aspect
souvent mal compris de la grammaire generative : les phrases agram-
maticales et les phrases anomales. Toute grammaire doit être en effet
capable d'engendrer toutes les phrases grammaticales d'une langue et
elles seules. Or, si l'on distingue les traits syntaxiques et les traits
sémantiques, on fait ainsi la différence entre les degrés de grammaticalité et les
degrés d'acceptabilité. Les premiers sont définis aux nœuds de la
représentation syntagmatique de la phrase :
Si transitif est un trait syntaxique, en ce cas une phrase comme :
7. Les universaux.
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universaux. Si ceux-ci ont fait couler beaucoup d'encre et si les
souvenirs livresques ont pu en déformer le sens, un exemple permettra de
comprendre le problème. Est-il une preuve plus manifeste d'un certain
nombre d'universaux linguistiques que le fait que tout texte d'une langue
quelconque est traduisible dans une autre langue? On avait jusqu'à
maintenant insisté sur le fait, réel, que les traductions ne peuvent être
parfaites; et c'est la conséquence de la différence structurelle des règles
d'application, mais on n'insistait pas sur ce fait autrement essentiel que
n'importe quel texte peut être « traduit », et on ne peut en rendre compte
que si l'on pose que toutes les langues ont en commun des règles
universelles qui sont loin d'être réduites à l'hypothèse d'une double articulation
en « phonèmes » et en « morphèmes » comme le supposait la linguistique
structurale; mais il y a, depuis la relation sujet-prédicat jusqu'au réfléchi,
un certain nombre de constantes syntaxiques. Or, si l'on suppose que la
description linguistique repose ainsi sur des universaux qui caractérisent
le langage en tant que propriété de l'homme, on en vient naturellement à
poser le problème psychologique de la constitution du modèle de
compétence. Celui-ci ressortit alors aux propriétés de l'espèce humaine. Et les
études psychologiques sur le langage ont été ainsi profondément
transformées par l'apparition de la théorie generative : le modèle de
compétence reposant sur des structures inhérentes à l'espèce est très tôt constitué
chez l'enfant, non par l'imitation, mais essentiellement à partir d'une
prédisposition à recueillir des données sélectionnées.
Jean Dubois
Paris
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