Vous êtes sur la page 1sur 10

Langue française

Grammaire générative et transformationnelle


M. Jean Dubois

Citer ce document / Cite this document :

Dubois Jean. Grammaire générative et transformationnelle. In: Langue française, n°1, 1969. La syntaxe. pp. 49-57;

doi : https://doi.org/10.3406/lfr.1969.5397

https://www.persee.fr/doc/lfr_0023-8368_1969_num_1_1_5397

Fichier pdf généré le 04/05/2018


GRAMMAIRE GENERATIVE
ET TRANSFORMATIONNELLE

1. Introduction.

La linguistique generative, qui intègre certains aspects de la


linguistique structurale, s'oppose à elle par les principes de base : il s'agit de
rendre compte du fait que. tout sujet parlant peut émettre ou comprendre
un nombre indéfini de phrases inédites, alors que les méthodes distribu-
tionnelles ne peuvent, dans la meilleure des hypothèses, que rendre
compte d'un texte fini (corpus). Mettant l'accent sur des niveaux
qualitativement différents et que relie entre eux une combinatoire isomorphe
d'un niveau à l'autre, la linguistique distributionnelle avait surtout
élaboré un modèle phonologique, minimisant la syntaxe et passant sous
silence ou rejetant comme non linguistique l'interprétation sémantique :
elle aboutissait à une classification des éléments de langue dont les
relations étaient souvent réduites à celles de la partie au tout (phonème
/morphème).
Démontrant que ce modèle est insuffisant quand il s'agit de rendre
compte de la créativité du sujet parlant, N. Chomsky (Syntactic Structures,
Mouton, La Haye, 1957) a élaboré une théorie du langage qui puisse
mieux correspondre au fonctionnement du langage (V. N. Ruwet,
Introduction à la grammaire generative, Pion, 1968).

2. Définition d'une grammaire :

Qu'est-ce que faire une grammaire, c'est-à-dire une description


complète des règles (phonologiques, syntaxiques, lexicales) d'une langue?
C'est construire un modèle capable d'engendrer (d'expliciter) toutes les
phrases d'une langue et rien que celles-ci. Autrement dit, il convient
qu'une grammaire ainsi faite ne décrive pas seulement les phrases obser-

49
LANGUE FRANÇAISE № 1
vées dans un corpus, c'est-à-dire un ensemble de données de fait, mais
qu'elle soit capable de produire des phrases grammaticalement correctes,
quoique non observées, et surtout qu'elle rende compte des jugements
de grammaticalité que le sujet parlant une langue porte sur les
productions verbales. Ainsi lorsque je rencontre un énoncé comme Le danger
redoute les soldats, ma grammaire doit justifier le jugement d'agramma-
ticalité que, en tant que sujet parlant le français, je porte sur cette phrase.
Ma grammaire doit rendre du fait que le verbe aller comme auxiliaire ne
peut être utilisé au futur ou au subjonctif; les énoncés

* // faut que faille venir.


* II ira venir.

sont agrammaticaux, au contraire de :

// faut qu'il aille chercher un taxi.


Il ira chercher un taxi.

Plus encore, il faut que ma grammaire rende compte du fait fondamental


que la même structure de phrase réalisée peut correspondre, selon la
décision du sujet ou la situation, à deux (ou plus de deux) interprétations
sémantiques. Par exemple la phrase : Le magistrat juge les enfants coupables
est structurellement ambiguë, parce qu'elle peut relever de deux
interprétations sémantiques distinctes, soit que le magistrat les juge en tant
que coupables, soit qu'il prenne la décision de les condamner. Il y a deux
structures syntaxiques sous-jacentes différentes. C'est ainsi que les
théoriciens en viennent à distinguer les phrases réalisées et les structures qui
les sous-tendent et en fondent la réalisation : ces structures sont dites
« de surface » parce qu'elles sont issues elles-mêmes d'une succession de
phrases de base, élémentaires, qui constituent la structure profonde
et d'une série de transformations.
Ainsi dans la phrase que nous avons donnée, les structures de surface
sont les suivantes :

Le magistrat juge les enfants qui sont coupables.


Le magistrat juge que les enfants sont coupables.

Elles renvoient à une structure profonde constituée de deux propositions


de même forme ([1] les enfants sont coupables; [2] le magistrat juge les
enfants/ le magistrat juge ceci). Il peut se faire aussi que les structures
de surface renvoient à deux structures profondes, complètement
différentes. Ainsi dans Jean aime Jeanne autant que Pierre, la deuxième
proposition de base peut être soit Pierre aime Jeanne, soit Jean aime
Pierre; c'est là que se situe l'ambiguïté.

50
3. Modèle de compétence et modèle de performance.

On distingue essentiellement deux modèles en linguistique : la


compétence, proche du concept saussurien de langue, et la performance, proche
de la parole. Le premier modèle est constitué de l'ensemble des règles qui
permettent d'expliciter les règles de grammaire de la langue et rien que
celles-ci. Le second comporte l'ensemble des facteurs comme la mémoire,
l'attention, etc., qui définissent le sujet psychologique et les facteurs
sociaux ou historiques qui définissent la situation.
En quoi ces deux modèles peuvent-ils rendre compte plus facilement
du fonctionnement de la langue? C'est que les règles de grammaire qui
y sont décrites (le mot règles est ici à prendre non dans son sens normatif ,
mais dans sa définition mathématique) ont la propriété essentielle d'être
récursives. Cela signifie que chaque règle ne connaît aucune limitation
théorique dans son application; les limitations effectives que l'on
rencontre ne relèvent plus de ce modèle de grammaire (la compétence du
sujet parlant), mais de facteurs qui lui sont extérieurs (comme la mémoire,
l'attention ou la vigilance, les conditions de la communication, etc.).
Ces facteurs divers, qui sont psychologiques, psycho-sociologiques,
sociologiques, et dont l'étude relève de disciplines diverses, rendent compte
de la production réelle des phrases. Prenons un exemple : si j'introduis
(techniquement, si « j'enchâsse ») une proposition relative dans une
proposition principale (matrice), en appliquant une transformation à
deux phrases élémentaires, j'obtiens :

L'homme que tu as rencontré hier était un de mes amis.

Supposons que cette opération soit indéfiniment recursive, j'obtiens


alors une phrase comme L'homme que tu as rencontré hier à la soirée que
donnait M. X..., dont tu connais le fils, que tu avais comme condisciple...
était un de mes amis. Or, le nombre des enchâssements possibles est, en
fait, variable selon les conditions de la communication, plus grand dans
l'énoncé écrit que dans l'énoncé oral. Il est évident que les propriétés
syntaxiques sont restées les mêmes; ce qui a changé, ce sont les conditions
de la réalisation. Prenons un autre modèle générateur très simple, celui
de la multiplication : le calcul mental est, selon les individus, limité à un,
deux, trois « chiffres »; mais il suffit de poser les opérations par écrit
pour que ces limitations tombent.

4. Les deux parties de la syntaxe :


syntagmatique et transformation.

La grammaire comporte une partie generative (description


syntagmatique) qui est la description syntaxique des phrases de base de la

51
structure profonde et une partie transformationnelle qui permet par une
série d'opérations (transformations obligatoires ou facultatives) de passer
de la structure de base à des suites terminales, c'est-à-dire à des phrases
de la structure de surface auxquelles sont appliquées des règles
phonologiques permettant d'aboutir aux phrases effectivement réalisées. Ces
transformations, qui sont en nombre fini et mettent en œuvre des
opérations en nombre fini (réarrangement; permutation, effacement, addition),
permettent de passer des structures de base en nombre fini à l'infini des
phrases réellement produites.
On appelle indicateur syntagmatique la description syntaxique d'une
phrase (représentée par un arbre).
Prenons un exemple. La transformation dite généralisée consiste à
dériver un indicateur syntagmatique unique (une phrase) de deux
indicateurs singuliers (deux phrases de base) par des procédures diverses, celles-ci
pouvant être ordonnées différemment.
Soit les deux phrases :

(1) L'entrepreneur construit cet immeuble.


(2) Ceci est ralenti.

La première proposition subit une nominalisation qui suit une


transformation passive. Elle est ensuite enchâssée dans la phrase matrice
(phrase « principale ») :

(1) Cet immeuble est construit par l'entrepreneur.


(2) Ceci/Que cet immeuble est construit par Г entrepreneur /est ralenti.
(3) Ceci/la construction de cet immeuble par Г entrepreneur /est ralenti.
(4) La construction de cet immeuble par l'entrepreneur est ralentie.

Les opérations sont plus complexes que le résumé pédagogique que


nous venons d'en donner en réalisant les symboles ici manipulés; mais
on a ainsi une idée de la possibilité d'obtenir un nombre infini de phrases
avec un modèle transformationnel.
On peut opposer à ces transformations binaires les transformations
unaires qui font dériver une seule phrase d'un seul indicateur de base.
Il en est ainsi pour le passif. La phrase :

Une voiture renverse le passant


devient :

Le passant est renversé par une voiture.

Cette transformation est définie par une succession d'opérations :


addition de l'auxiliaire, formation du participe passé, permutation des
syntagmes nominaux, addition de la préposition par.

52
Les transformations n'impliquent aucune addition ou modification
de sens. Ceci Veut dire en particulier que l'interprétation sémantique
des phrases de la structure profonde n'est pas modifiée au cours des
transformations généralisées. Une nominalisation ou une relativisation
implique sur le plan du discours une hiérarchisation et une articulation
logique qui modifie le rapport entre les deux propositions, mais chacune
d'entre elles conserve la même interprétation sémantique, une fois la
dérivation opérée. En ce qui concerne les transformations singulières
(interrogative, emphatique et négative), cette considération a conduit à
modifier le premier état de la théorie et à introduire dans les indicateurs
syntagmatiques de base les marqueurs « négation », « emphase », «
interrogation ». Les transformations sont ordonnées. Il s'agit en effet d'une
chaîne longue d'opérations qui permettent de dériver un indicateur
syntagmatique de plusieurs phrases nucléaires (ou phrases-noyaux).
Soit la proposition :

Les achats de légumes par la ménagère.

Celle-ci ne peut pas être dérivée directement de :

La ménagère achète des légumes.

qui, au contraire, est à la source de

Les achats de la ménagère en légumes.

Il faut passer par la phrase passive (des légumes sont achetés par la
ménagère) pour rendre compte de l'apparition de la préposition par.
Or, cet ordre des transformations est significatif puisqu'il permet de
dissocier ainsi plusieurs types d'opérations qui divergent par l'ordre
dans lequel elles sont effectuées et non par leur nature. Les
transformations doivent être expliquées; ceci signifie que des règles doivent rendre
compte de toutes les opérations effectuées. Il en est une par exemple
qui consiste à effacer deux de qui se succèdent. Si le syntagme nominal
sujet qui devient complément du nom est précédé de la préposition de,
il n'en reste pas moins composé de l'article et du substantif. On a donc :

Des légumes sont achetés * Les achats de des légumes.

Les opérations consistent alors à effacer un des deux de pour obtenir la


suite terminale (Gross, Langages, 7, 1967).

5. L'ambiguïté.

L'ambiguïté résulte de ce que la même structure de surface peut


être dérivée de deux structures profondes différentes. L'ambiguïté pro-

53
vient de deux interprétations sémantiques distinctes qui doivent être
données au même énoncé pour des raisons syntaxiques.
Soit la phrase :

La peur des ennemis bouleversa nos plans.

Le syntagme nominal sujet résulte de la nominalisation de deux


phrases de la structure profonde fondamentalement différentes, puisque
l'une comporte pour syntagme sujet les ennemis (ceux-ci ont peur), et
l'autre pour syntagme sujet nous (nous avons peur des ennemis). En ce
cas, les procédures mises en œuvre par les nominalisations sont telles
que les deux suites terminales ont la même forme et reçoivent la même
interprétation phonologique.
De même une phrase comme :

J'achète un livre à mon fils.

est susceptible de deux interprétations sémantiques :

(1) j'achète un livre pour mon fils


(2) j'achète un livre à mon fils (qui est libraire).

Certes, le mot fils peut impliquer la préférence pour une solution de


l'ambiguïté en faveur de (1), mais ceci dépend de facteurs qui relèvent
de la performance et non de la compétence. De plus, rien dans les structures
de surface et les indicateurs syntagmatiques dont dérive l'interprétation
phonologique ne peut les distinguer. Il faut remonter à la structure
profonde pour constater que les deux phrases réalisées sont issues de la
transformation de propositions nucléaires distinctes. On peut les
apercevoir si on explicite les phrases :

j'achète un livre qui sera à mon fils


j'achète un livre qui est à mon fils (libraire)

la différence est entre :


тол fils a un livre
mon fils aura un livre.
De même :
L'enseignement de l'histoire (on enseigne l'histoire /l'histoire enseigne)
ou
Pierre voyait aussi souvent Jeanne que Paul (Pierre voit Jeanne,
Paul voit Jeanne /Pierre voit Jeanne, Pierre voit Paul).
Or, la linguistique distributionnelle ne peut rendre compte des
ambiguïtés syntaxiques autrement que par le recours à la situation.
Encore moins peut-elle définir les divers types d'ambiguïté syntaxique

54
et les relations qu'elles peuvent entretenir entre elles, en raison de la
pauvreté du modèle mis en œuvre.

6. Lexique et syntaxe.

Lorsque l'on présente les règles syntagmatiques dans la grammaire


generative, l'introduction des morphèmes lexicaux se fait sous cette
forme :
N -» garçon, livre, etc.

La première analyse qui a été faite du lexique s'est contentée de


considérer qu'il existait des sous-catégorisations du même type que
celles qui permettaient de distinguer les deux classes de transitif et d'in-
transitif parmi les verbes. Aussi a-t-on divisé les noms en animés et
non-animés, et on a alors écrit :

N animé
N
N non-animé
Mais la difficulté inhérente à ce type de règle est qu'ensuite on se
trouve placé devant le problème de diviser les animés en masculins et
féminins, en considérant que cette subdivision est hiérarchiquement
subordonnée à la première, ce qui est évidemment arbitraire. Cette
constatation, ainsi que la forme donnée à la représentation phonologique, ont
mis sur la voie d'une seconde solution qui ne consiste pas à représenter le
lexique sous la forme d'un arbre taxinomique, mais à considérer que
chaque morphème lexical possède une matrice de représentation
comportant plusieurs composantes.
1. Une composante phonologique, qui consiste à représenter un
morphème lexical par la séquence des traits distinctifs phonologiques. Ainsi
ce ne sont plus les phonèmes qui représentent le morphème, mais chacun
des phonèmes étant constitué par un faisceau d'oppositions, ce sont ces
traits qui sont donnés. Ainsi pour garçon /garso/, la représentation se
présentera sous la forme d'une matrice où les traits seront par exemple
ceux de l'analyse de Halle-Jakobson (consonantique, compact, etc.).
2. Une composante syntaxique et sémantique qui est représentée
pour chaque morphème par une série de rubriques lexicales qui comporte
aussi une suite de traits combinés distinctifs. Ainsi un terme comme
garçon présentera les traits distinctifs de animé + humain + mâle..
+ jeune, etc. Ces rubriques permettent de faire jouer des redondances
puisque a humain » implique « animé » et qu'en conséquence dans la
représentation ci-dessus on pourra faire l'économie du trait animé.
Les traits contenus dans la matrice lexicale seront de deux ordres :
a) Traits syntaxiques : ainsi « transitif » pour les verbes. Ce trait

55
contextuel (défini par l'environnement et dépendant du contexte)
permet de « sélectionner » un verbe dans un cadre donné.
b) Traits sémantiques : ainsi « objet manufacturé /objet non-manu-
facturé ». Ce dernier trait d'ailleurs peut être réduit à : objet ± humain.
Ce trait est dit indépendant du contexte.
Ces deux types de traits permettent de rendre compte d'un aspect
souvent mal compris de la grammaire generative : les phrases agram-
maticales et les phrases anomales. Toute grammaire doit être en effet
capable d'engendrer toutes les phrases grammaticales d'une langue et
elles seules. Or, si l'on distingue les traits syntaxiques et les traits
sémantiques, on fait ainsi la différence entre les degrés de grammaticalité et les
degrés d'acceptabilité. Les premiers sont définis aux nœuds de la
représentation syntagmatique de la phrase :
Si transitif est un trait syntaxique, en ce cas une phrase comme :

le garçon dort la soupe est agrammaticale


le garçon lit la soupe est anomale.

Mais il existe là un problème : certains traits doivent-ils être placés


dans la rubrique des traits syntaxiques ou dans les rubriques
sémantiques?
Si, comme il semble acquis, la distinction animé-humain et non-animé
doit être intégrée à la description des traits syntaxiques, alors une phrase
comme :
le garçon lit la soupe

est agrammaticale et non anomale.


c) Un autre problème, et très important pour la représentation
lexicale, est de savoir si toutes les catégories seront définies par des
traits indépendants du contexte. Ainsi pour N. Chomsky les substantifs
seront seuls définis par des traits indépendants du contexte (ex. : objet
manufacturé ou non), mais les verbes et les adjectifs (parfois chez les linguistes
transformationnels assimilés à des verbes) seront définis par des traits
contextuels : un verbe sera dit « à sujet animé ». La phrase :

Le danger redoute les soldats

comporte un verbe qui est « à sujet animé » et la phrase est syntaxique.

7. Les universaux.

Le modèle syntaxique ainsi constitué ne peut être celui d'une seule


langue; les langues diverses se différencient par les règles d'application,
mais les parties generative et transformationnelle doivent reposer sur des

56
universaux. Si ceux-ci ont fait couler beaucoup d'encre et si les
souvenirs livresques ont pu en déformer le sens, un exemple permettra de
comprendre le problème. Est-il une preuve plus manifeste d'un certain
nombre d'universaux linguistiques que le fait que tout texte d'une langue
quelconque est traduisible dans une autre langue? On avait jusqu'à
maintenant insisté sur le fait, réel, que les traductions ne peuvent être
parfaites; et c'est la conséquence de la différence structurelle des règles
d'application, mais on n'insistait pas sur ce fait autrement essentiel que
n'importe quel texte peut être « traduit », et on ne peut en rendre compte
que si l'on pose que toutes les langues ont en commun des règles
universelles qui sont loin d'être réduites à l'hypothèse d'une double articulation
en « phonèmes » et en « morphèmes » comme le supposait la linguistique
structurale; mais il y a, depuis la relation sujet-prédicat jusqu'au réfléchi,
un certain nombre de constantes syntaxiques. Or, si l'on suppose que la
description linguistique repose ainsi sur des universaux qui caractérisent
le langage en tant que propriété de l'homme, on en vient naturellement à
poser le problème psychologique de la constitution du modèle de
compétence. Celui-ci ressortit alors aux propriétés de l'espèce humaine. Et les
études psychologiques sur le langage ont été ainsi profondément
transformées par l'apparition de la théorie generative : le modèle de
compétence reposant sur des structures inhérentes à l'espèce est très tôt constitué
chez l'enfant, non par l'imitation, mais essentiellement à partir d'une
prédisposition à recueillir des données sélectionnées.

8. L'intuition du sujet parlant et le linguiste.

Et, dernière conséquence qui modifie finalement la personne du


linguiste : pouvoir décrire une langue implique, chez celui qui entreprend
cette tâche, de la connaître comme sujet parlant; car à tout moment il
doit faire appel à l'intuition du sujet qu'il est, non pas seulement pour
soutenir sa description, mais pour en rendre compte. Et la théorie
generative implique que le linguiste étudie une langue qu'il connaît en tant que
sujet; les beaux jours des rapprochements arbitraires entre des langues
que l'on ne connaît que de seconde main ou les comparaisons parcellaires
et hasardeuses sont du passé. On ne connaît une langue que de l'intérieur
et le linguiste comme le mathématicien élabore sa description par une
référence constante à une langue qui est la sienne, commune, dans son
essence, à la langue de la communauté linguistique dans laquelle il vit.
Et l'on voit que la linguistique generative dépasse, comme naguère le
structuralisme, le cadre étroit de la discipline linguistique.

Jean Dubois
Paris

57

Vous aimerez peut-être aussi