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I.

Définition générale
II. Anaphores nominales
II.1. Anaphore fidèle
II.2. Anaphore infidèle
II.3. Anaphore conceptuelle
II.4. Anaphore associative
III. Anaphore pronominales
IV. Conclusion et bibliographie

I. Définition générale

Qu’appelle-t-on l’anaphore en grammaire de texte ?

La notion de texte s’appuie généralement sur trois éléments définitoires,


dont le repérage permet d’établir, à proprement parler, une unité de sens
ou, du moins, une continuité symbolique perçue comme une entité unique
:

• Tout d’abord, la notion de cohérence textuelle, et notamment


l’apport d’informations nouvelles.
• Ensuite, la notion de cohésion textuelle, qui établit des liens de
continuité entre les unités de rangs inférieurs, phrases ou
périodes.
• Enfin, la notion de connexité textuelle, qui établit le plan
argumentatif, temporel ou rhétorique du texte, au moyen de
différents connecteurs.

L’anaphore, dans un premier temps, agit au niveau de la cohésion


textuelle. Si la cohésion n’est pas uniquement le fait de l’anaphore, celle-
ci en demeure néanmoins un aspect déterminant de son identité. Par
exemple, en (1a), le pronom il s’interprète comme renvoyant à Jean, et le
pronom pourrait donc être substitué sans mal avec le nom propre sans
engager le sens de l’énoncé.

(1a) Jean est travailleur. Il est boulanger.

Au niveau de la conduite du texte, il se crée donc une relation entre une


expression « source » (dite encore antécédent) et une expression
« cible », ce qui favorise dès lors la poursuite du propos en établissant un
lien cohésif, appelé aussi anaphore. L’anaphore participe donc à la
« texture du texte », à son tissage (rappelons que texte appartient à la
même famille étymologique que textile), et permet ainsi de relier les
propositions et les phrases entre elles par la répétition de certains de ses
éléments de sens.
Aussi, on appelle anaphore, en grammaire, une expression linguistique
dont l’interprétation sémantique et référentielle dépend d’une autre
expression, généralement offerte auparavant. Plus largement, la
dynamique anaphorique s’intéresse aux conditions de reprise de
l’anaphore, la distance entre les expressions, si la reprise est totale ou
partielle, et ainsi de suite.

La répétition d’éléments communs entre plusieurs unités textuelles créent


ce qu’on appelle des chaînes de référence. Chaque élément participant à
la dynamique anaphorique s’assimile ainsi au maillon d’une chaîne dont
la relation avec le maillon antécédent assure la cohésion textuelle,
éventuellement en enrichissant le sens de l’élément initial. Si nous
reprenons notre exemple précédent, et que nous le compliquons :

(1b) Jean est travailleur. Il est boulanger. Il a repris l’échoppe de son père. Cet
enfant du pays est la fierté du village.

L’on peut repérer plusieurs types d’éléments participant directement à la


chaîne de référence initiée par l’expression référentielle source Jean :

• Les pronoms sujets Il, qui s’interprètent comme des reprises


parfaites du nom propre Jean ;
• Le groupe nominal son père, puisque le déterminant possessif
implique une référence extérieure explicitant le lien d’aliénation
(le GN peut se paraphraser comme le père de lui / de Jean, ce qui
fait bien remonter l’anaphore) ;
• Le groupe nominal Cet enfant du pays, puisque le déterminant
démonstratif implique une désignation (plutôt qu’une
« démonstration ») d’un élément du contexte gauche, et
s’interprète donc en conséquence de l’antécédent Jean.

Comme nous le voyons, la dynamique anaphorique est transversale quant


aux catégories grammaticales, si ce n’est qu’elle agit non sur le plan
du sens mais bien sur celui de la référence ou de l’interprétation. Il suffit
effectivement de remplacer l’antécédent Jean par Paul pour conserver le
sens de l’énoncé, mais non la relation entre les mots et l’univers du
discours, à proprement parler sa dynamique référentielle. Ce calcul
particulier, au cœur de la dynamique textuelle, peut dès lors être modulé
de différentes façons, selon la catégorie grammaticale des éléments
concernés, leurs fonctions syntaxiques, la nature de la relation même et
son interprétation, la sélection de l’antécédent. Dans ce billet inaugural
cependant, nous opèrerons une première répartition, permettant
d’aborder les principales problématiques liées à ce sujet et
opposerons anaphores nominales et anaphores pronominales, celles-ci
pouvant être vues comme des variations de certaines sous-catégories des
premières.

II. Anaphores nominales

II.1. Anaphore fidèle

Nous parlerons d’anaphore fidèle lorsque la reprise anaphorique reprend,


outre la composante référentielle de la source, son identité sémantique :
par excellence, il s’agit de reprendre un groupe nominal antécédent
avec ses potentielles expansions, éventuellement avec un changement de
déterminant (2)

(2) Une petite fille jouait près de la balançoire. Cette petite fille s’appelait
Nadia.

Ce type de reprise est, vraisemblablement, la plus simple et la plus facile


à mettre en œuvre dans le cadre de la dynamique anaphorique. Le jeu des
déterminants, en français tout du moins, facilite l’identification de la
source de l’anaphore, du moins, crée des schémas de repérage :
traditionnellement, l’antécédent est identifié par un déterminant indéfini
comme un ou une, tandis que sa reprise sera signalée par un déterminant
défini, possessif ou démonstratif qui présuppose, du moins dans leurs
emplois les plus courants, que la source est déjà connue du locuteur ou
de la locutrice.

II.2. Anaphore infidèle

À l’inverse de l’anaphore fidèle, l’anaphore infidèle ne reprend dans le lien


entre les expressions linguistiques que la composante référentielle.
L’anaphore s’établit alors, par exemple, grâce à une relation d’ordre
(para)synonymique, hyper- ou hyponymique, ou d’autre ordre encore.

(3) Une petite fille jouait près de la balançoire. La fillette/La chipie/La chérie de
ses parents…

On notera cependant que dans le cadre de cette relation anaphorique, la


relation entre l’anaphore et sa source n’est pas nécessairement codée en
langue : pour reprendre un exemple inspiré de Corblin (1987) :

(4) Deux arbres encadraient l’entrée et ces sentinelles dormaient, étendant


leurs bras feuillus sur les visiteurs.
Ces sentinelles sera ici interprété comme une anaphore infidèle de deux
arbres, alors qu’il s’agit de deux groupes nominaux profondément
distincts. La relation s’établit partie grâce à plusieurs informations
contextuelles, et notamment la mention des « bras feuillus » qui oriente
l’interprétation, mais également grâce à une continuité de connaissances
et un savoir partagé entre les participants de l’énonciation. Notamment,
l’idée que les arbres, comme des sentinelles, partagent une apparence
d’immobilité favorise le rapprochement en contexte de ces expressions,
qui peut être le fondement d’un déplacement d’ordre métaphorique. Cet
exemple implique que l’anaphore ne saurait être considérée comme une
simple répétition ; ou, du moins, que cette répétition s’accompagne
toujours d’une évaluation spécifique des critères sémantiques ou
référentiels que portent ces éléments de sens.

II.3. Anaphore conceptuelle

Cette évaluation, plus ou moins complexe, se lit d’autant plus dans le


cadre des anaphores dites conceptuelles, ou résomptives, qui ne
s’indexent pas sur une expression référentielle particulière mais sur un
ensemble de celles-ci ou, encore, sur une interprétation, d’ordre
attributive ou prédicative existentielle. Ainsi, l’on peut réunir plusieurs
antécédents grâce à un nom collectif, comme équipe :

(5) Pierre, Jean et Marie partent en ville. La fine équipe fera régner la terreur.

Mais l’on peut également subsumer l’intégralité d’un extrait au moyen


d’un GN :

(6) Heureusement, des citoyens et des citoyennes se ligueront pour arrêter les
exactions commises par ces malfrats. Cette victoire marquera à jamais les
esprits.

Le GN Cette victoire, ne pouvant s’interpréter référentiellement qu’en


prenant en compte le contexte antécédent, est bien une expression
anaphorique. Comme on le voit cependant, elle laisse la place à une
interprétation de la dynamique anaphorique, et de l’orientation
sémantique et/ou rhétorique de la reprise : en effet, il suffit de remplacer
dans l’exemple (6) Cette victoire par Cet événement ou Cette
catastrophepour influencer notablement l’interprétation. Ainsi, il n’y a pas
dans l’anaphore qu’une sélection d’ordre morpho-syntaxique, mais
également une sélection d’ordre interprétatif qui influence la perception
des évènements. Pour ainsi dire, l’anaphore ne fait pas « que » répéter,
mais répète en modifiant, en choisissant de mettre en avant, ou de taire,
certaines propriétés de l’antécédent à des fins rhétoriques, poétiques,
argumentatives, ou d’autre sorte encore.

II.4. Anaphore associative

Enfin, il est possible d’identifier une anaphore associative, où le lien


s’établit entre deux expressions référentielles distinctes, mais réunies
selon notre connaissance du monde. Par exemple, en (7) :

(7) Le village était charmant. L’église était grande et belle.

Ici, le GN L’église est à analyser comme une anaphore : il ne s’agit pas de


« n’importe quelle église », mais bien de celle présente dans le village.
Nous avons compris cela intuitivement, alors que rien n’est explicitement
dit dans l’exemple : nous avons simplement palier cette absence par notre
connaissance du monde réel, et notamment que les villages, en Europe
par exemple, contiennent généralement des églises. L’anaphore
associative ne peut donc fonctionner que dans le cadre d’une
connaissance partagée entre l’auteur, ou l’autrice, et la personne qui
reçoit l’énoncé. Partant, cette anaphore peut être un obstacle à la
compréhension selon les publics auquel elle s’adresse.

Les anaphores associatives permettent cependant parfois de faciliter la


transition d’un référent à l’autre lorsque celui-ci subit des modifications
fortes de son identité du fait de la continuité textuelle. C’est ce que nous
avons par exemple dans le cadre des « référents évolutifs » : par exemple,
dans une recette de cuisine, les ingrédients subissent des transformations
liées aux changements chimiques :

(8) Prenez quatre pommes. Rincez-les, coupez-les en morceaux puis faites-


les cuire pendant trente minutes. Votre compote est prête !

Votre compote est bien à analyser comme une anaphore associative, dans
la mesure où c’est notre connaissance du monde qui nous permet d’établir
une relation entre les ingrédients (quatre pommes) et le résultat final,
alors qu’il n’y a pas de transformation explicite d’un référent à l’autre dans
ce court paragraphe.

III. Anaphores pronominales

Les anaphores pronominales se répartissent en deux grandes catégories :

• Les anaphores dites totales, qui sont proches des anaphores


fidèles évoquées plus haut. Un pronom comme elle dans l’exemple
(9) reprendra ainsi la totalité du référent antécédent, dans toutes
ses dimensions, sans faire une sélection ou une interprétation
particulière de ses traits.
(9) Marie est arrivée. Elle est institutrice.
• Les anaphores partielles, qui se rapprochent des anaphores
conceptuelles dans la mesure où elles ne sont pas indexées sur un
référent antécédent particulier, mais plutôt sur un segment textuel
plus ou moins étendu. En (10) ainsi, le pronom le reprend un
antécédent plus ou moins flou, lié à l’événement décrit dans la
phrase antécédente. Ces anaphores sont généralement employées
dans une perspective résomptives, pour reprendre efficacement
des éléments textuels d’une certaine longueur.
(10) Marie est arrivée hier. Tu le sais.

IV. Conclusion & bibliographie

Comme ce rapide parcours l’a montré, le choix d’une anaphore n’est pas
seulement déterminé par une contrainte textuelle, fût-elle l’envie de ne
pas répéter un référent précédemment donnée ou d’assurer la continuité
de la chaîne référentielle. Si ces éléments pèsent dans nos choix, ils ne
doivent pas occulter les autres mécanismes interprétatifs à l’œuvre et qui
dessinent des orientations, des négociations voire des contradictions,
dans la mesure où aucun terme n’est véritablement neutre en langue.
Chaque anaphore modifie, même légèrement, le référent antécédent, le
charge d’éléments complémentaires qui pouvaient être initialement
absents, ou non-dits. Ce sont des « copies de copies », qui peuvent tant
corrompre la beauté originale que dessiner des lignes jadis invisibles.

Également, nous voyons que l’anaphore est un processus dynamique, et


non statique, dans la mesure où même les reprises les plus immédiates,
anaphores fidèles ou totales, exigent une participation active de la lectrice
ou du lecteur, et un partage d’informations, parfois implicites. Nous ne
sommes donc pas toujours sur un pied d’égalité : et un calcul anaphorique
défaillant peut entraver notablement la compréhension textuelle, voire
bloquer l’accès à des pans entiers d’un texte. Pour ne donner qu’une
anecdote personnelle, j’ai eu, au commencement, bien du mal à
comprendre Les Frères Karamazov de Dostoïevski, car les personnages ont
plusieurs surnoms (Mitia, Mitka, Mitenka pour Dimitri, par exemple), dont
l’emploi détermine une certaine disposition de l’auteur à leur égard.

Quoi qu’il en soit, nous terminerons nos réflexions ici, et reviendrons


ultérieurement sur l’anaphore. En attendant, voici quelques éléments de
bibliographie. Notons que depuis les années 80, les ressources sur
l’anaphore et ses rôles se sont multipliées ; je ne donnerai ici que les
ouvrages que je juge les plus pertinents

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