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Armand Colin

ORIGINE ADVERBIALE DU GÉNITIF INDO-EUROPÉEN, EXTRACTIONS, POSSESSIFS,


ANAPHORE ASSOCIATIVE ET INTERPRÉTATIONS GRAMMATICALISÉES DANS LES GN
FRANÇAIS
Author(s): Anne Daladier
Source: Langue Française, No. 122, Le groupe nominal : contraintes distributionnelles et
hypothèses de descriptions (MAI 1999), pp. 101-125
Published by: Armand Colin
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/41559381
Accessed: 16-02-2023 21:21 UTC

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Anne DALADIER
CNRS, ESA 7023

ORIGINE ADVERBIALE DU GÉNITIF INDO-EUROPÉEN,


EXTRACTIONS, POSSESSIFS, ANAPHORE ASSOCIATIVE ET
INTERPRÉTATIONS GRAMMATICALISÉES DANS LES GN
FRANÇAIS 1

1. Introduction

Cet article propose une description de contraintes dans les groupes nominau
français sur l'extraction, sur la morphologie possessive et sur l'anaphore associa
partir de fonctions grammaticales régulières que je tenterai d'expliquer comme
renouvellements et extensions d'un très ancien génitif indo-européen. Le rôle de
lution des langues indo-européennes dans la morphogenèse des contraintes du f
ne consiste pas en reliquats de vieux éléments qui brouilleraient une syntaxe univ
des énoncés et obscurcirait leur traduction proposi donneile, comme le laissent ent
les philosophes du langage. Tout au contraire, l'évolution de fonctions grammat
sous-jacentes aux renouvellements et supplétions morphologiques me semble perm
de comprendre de façon régulière de nombreuses contraintes du français actuel
tenterai de montrer pour les données concernées que les contraintes morphologiq
syntaxiques ne peuvent être dissociées de contraintes d'interprétation lexic
grammaticalisées .
Au contraire des approches très différentes des auteurs de ce numéro mais
fondent leurs analyses des données sur des formes syntaxiques ou ontologiques un
selles du langage, j'essaierai de défendre une représentation qui cherche à induir
fonctions générales, dans une perspective historique, à l'intérieur de la famille
européenne. Je fais l'hypothèse générale que les langues construisent en partie
catégories ontologiques à partir de valeurs qu'elles grammaticalisent et de leur d
page lexical. Ces valeurs varient historiquement. Je ne tenterai donc pas d'expli
mes contraintes à partir d'hypothèses préalables sur le langage mais cherch
induire et reconnaître, dans les contraintes empiriques, des manifestations de fo
grammaticales ou de structures d'insertion lexicale régulières. Plus précisément
tenterai d'analyser les contraintes sur l'anaphore associative, la pronominali

1 . Merci tout spécialement à Anne Zribi-Hertz pour de longs et nombreux échanges de vue
la prédication nominale qui, je l'espère, m'ont aidée à préciser et enrichir mon point de
remercie tous les participants de ce numéro d'avoir accepté de confronter des points de vu
différents.

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possessive, la cliticisation en en et l'extraction en Qu- à partir de fonctions anciennes ou
renouvelées de cet ancien génitif. Les 'fonctions grammaticales' de ce génitif sont, d'une
part, syntaxiques, le génitif régit d'abord un argument adverbialement par rapport à
un verbe ou un nom piiis peut être grammaticalisé à l'intérieur de la rection d'un
argument par ces opérateurs. Ces fonctions sont, d'autre part, indissociables de
l'interprétation étendue, ou affaiblie, de source d'un procès et de diverses relations
partitives ou d'appartenance. Les contraintes sur l'anaphore associative font en outre
intervenir des hiérarchies de grammaticalisations.

2. Contraintes sur l'anaphore associative : ontologie cognitive des proto-


types 2 ou contraintes lexico-syntaxiques et grammaticalisées en français ?

Habituellement, les grammaires cherchent à décrire les contraintes sur la coréfé-


rence mais pas la coréférence elle-même, en particulier pas la coréférence comme
mécanisme d'identification syntaxique sur des termes 3 lexicaux. Je propose dans
Daladier (1990 et à par.) une telle règle d'identification syntaxique pour le français. On
considère généralement que certains éléments lexicaux peuvent être liés par une rela-
tion anaphorique parce qu'ils réfèrent, co-réfèrent, à la même entité. Je considère au
contraire que la co-assertion et les mécanismes de pronominalisation créent la possibi-
lité d'identification référentielle. Le paradoxe de Kleene-Rosser et les résultats négatifs
des philosophes du langage à propos de l'antinomie de la relation de nom montrent
qu'une définition intensionnelle générale d'identité référentielle pose des problèmes
insurmontables si on l'associe à une notion générale de déduction. Fauconnier (1984) a
montré que les relations anaphoriques, en particulier dans les « donkey sentences »
comme : Si Pedro a un âne , il le bat , ne mettent pas en jeu des identités référentielles au
sens des ontologies des logiciens et des philosophes du langage, le réfère à un âne qui
n'existe qu'au conditionnel. Fauconnier a proposé une autre approche faisant interve-
nir des identifications sur des espaces de représentations mentales interprétant les
termes linguistiques. Mais si les entités de son ontologie sont différentes, on y retrouve
les mêmes difficultés théoriques que celles qu'ont rencontrées les philosophes du

2. Voir cette notion dans les articles de J.-C. Anscombre et G. Kleiber de ce numéro ; je fais
référence à ce dernier article comme : Kleiber (1999) dans ce qui suit.
3. Les terministes et les modistes du Moyen-Age s'opposaient déjà sur la question de la
référentialité du langage. Les terministes construisaient des grammaires à partir des propriétés des
termes (ou encore des noms, d'où leur désignation de 'nominalistes'), les modistes voyaient dans les
propriétés grammaticales une réflexion des propriétés des entités de la réalité auxquelles peuvent
référer les termes (d'où leur désignation de 'réalistes'). Stéfanini (1994 : chapitres 4 et 18) a souligné
le parallélisme des discussions entre distributionnalistes et generati vistes, des années 60 aux années
80, avec les discussions entre nominalistes et réalistes. Une histoire parallèle continue d'opposer des
mathématiciens platoniciens et construct* vistes, les premiers considérant que les êtres mathémati-
ques et leurs propriétés préexistent aux théories des mathématiciens qui les « redécouvrent » et les
seconds soutenant que les êtres mathématiques n'existent qu'à travers les définitions qu'en donnent
les mathématiciens. Les constructivistes considèrent que ce sont les propriétés mathématiques qui
construisent leurs objets.

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langage. A ma connaissance, aucune représentation formelle d'identités universelles
d'entités mentales n'a été proposée et je doute qu'on puisse sérieusement envisager une
telle possibilité parce qu'elle se heurte en définitive aux mêmes limitations internes aux
formalismes (identités extentionnelles ou intensionnelles) et à leurs modèles ensemblis-
tes ou algébriques connus.
Lorsqu'un locuteur co-asserte dans un même énoncé deux termes qui sont dans une
relation : soit d'identité lexicale, soit de métonymie lexicale, exemples (1), (2), soit
appartenant à une relation d'ordre partielle sur les opérateurs lexicaux, lexicale et
syntaxique, exemples (3), (4), (5), le locuteur ouvre la possibilité pour l'interlocuteur
d'identifier ces deux termes. On a par exemple :
(1) J'ai été au marché. Les pêches étaient hors de prix.
On interprète les pêches comme les pêches du marché , le déterminant les provenant de
cette relation métonymique. C'est la présence du déterminant défini qui autorise à faire
une hypothèse d'interprétation métonymique. Le contexte d'assertion permet d'envi-
sager toutes sortes de relations de métonymie. Si on substitue éléphants à pêches ,
l'interlocuteur peut se demander si le marché en question contenait des objets décora-
tifs représentant des éléphants, des légumes ou des fruits d'une espèce 'éléphant' ou
encore des mammifères du même nom, sous forme de viande ou encore sous forme
d'animaux vivants, ce qui déterminera rétrospectivement son interprétation référen-
tielle du mot « marché », mais il commencera par établir la relation anaphorique. On
pourrait substituer n'importe quel nom à pêche , il en serait de même ; à charge pour
l'interlocuteur de construire une interprétation éventuellement métaphorique pour le
nom en question mais aussi pour le « référent » marché :
(2) J'ai été au marché. Les certitudes à la mode étaient légion.
On peut interpréter le marché comme une façon humoristique de désigner un lieu
d'échange et de commerce d'idées, comme un congrès annuel de linguistes !
D'autres reconstructions anaphoriques mettent en jeu la liberté pour le locuteur
d'établir des liens référentiels entre des éléments qui en seraient éventuellement dé-
pourvus dans une autre assertion :
(3) Luc a brûlé un feu rouge. Cette imprudence 0 aurait pu être dramatique.
(4) Luc a bu un verre d'eau. Cette imprudence 0 aurait pu être dramatique.
(5) Luc a bu un verre d'eau et Paul l'a emmené à l'hôpital en brûlant tout les feux
rouges. L'imprudence de (Paul/Luc) aurait pu être dramatique.
A partir d'exemples comme (3), on a imaginé une solution où l'expression figée : brûler
un feu rouge , était interprétée à partir de relations analytiques du type : brûler un feu
rouge est une imprudence. Mais les exemples (4) et (5) montrent le caractère irréaliste
d'une telle solution. La position d'insertion d'un argument phrastique étant une
position d'insertion récursive, la liste des phrases analytiques que devrait comporter le
dictionnaire des expressions figées devrait en fait comporter toutes les phrases d'une
langue indexées à chaque expression figée. Ainsi, dans :
(6) Jean a révélé que Marc est rentré. Cette imprudence 0 aurait pu être drama-
tique.

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Cette imprudence 0 peut être interprété de façon ambiguë comme : l'imprudence de
Jean d'avoir révélé que Marc est rentré ou comme : l'imprudence de Marc d'être
rentré.

Une solution syntaxique très simple est définissable si on observe que imprudence
est un opérateur 4 qui requiert un second argument phrastique (en plus de son premier
argument élémentaire) et que c'est le fait, pour un locuteur, de co-asserter une phrase
et un opérateur à argument phrastique non instancié, qui permet d'interpréter l'argu-
ment manquant comme étant identique à un argument phrastique du contexte. (4) n'est
pas ambiguë, (5) ne le sont pas non plus : une sous-identification soit de Paul , soit de
Luc permet de reconstruire comme interprétation de imprudence , soit : l'imprudence
de Luc d'avoir bu un verre d'eau , soit : l'imprudence de Paul d'avoir emmené Luc à
l'hôpital en brûlant tous les feux rouges. (6) ne serait pas non plus ambiguë si l'argu-
ment élémentaire de imprudence était instancié ( Marc ou Jean). Dans ce genre d'exem-
ple, la reconstruction de l'interprétation d'un mot comme imprudence peut faire
intervenir un nombre non limité a priori de sous-expressions phrastiques. Mais la
présence d'une instanciation partielle d'un opérateur à argument phrastique, comme
l'instanciation de son argument élémentaire, détermine, grâce à une éventuelle possi-
bilité d'identification(8) enchâssée(s), la longueur de l'argument phrastique à recons-
truire. Je conclus des exemples (1) à (6) que l'identification anaphorique et les recons-
tructions de liens métonymiques sont premières et les interprétations référentielles
secondes.

Fradin (1984) et Kleiber (1999) font apparaître de très intéressantes contraintes


sur l'emploi du déterminant défini à la place de la reprise d'un possessif explicitant une
relation métonymique, dans l'anaphore associative. Ces contraintes se manifestent par
des oppositions distributionnelles, comme dans leurs exemples :
(7) Paul a lavé la voiture. Il a oublié le capot.
(8) Nous sommes entrés dans le village. L'église était située sur une butte
(9) ?Paul entra. Les yeux étaient brillants.
(10) Paul entra , les yeux brillants.
(11) ?Paul a exposé son dernier tableau. La beauté est fascinante.
(12) Paul entra. Ses yeux étaient brillants.
(13) Paul a exposé son dernier tableau. Sa beauté est fascinante.

4. Imprudence (Jean, d'avoir révélé quelque chose). Pour décrire l'insertion lexicale, les
constituants syntagmatiques et les nouvelles catégories abstraites des syntaxes génératives sont ici
abandonnées au profit d'un statut applicatif associé directement aux objets lexicaux et à certaines
relations grammaticales comme les auxiliations. Ce statut applicatif est défini de manière à rendre
compte des propriétés d'interprétation des éléments lexicaux et grammaticalisés. Les dépendances
lexico-syntaxiques ne sont plus régies par les dépendances de concaténation qui régissent l'ordre
linéaire des mots et leurs dépendances d'accord morphologique mais par les dépendances applicati-
ves qui régissent les contraintes d'interprétation des énoncés. Les contraintes sur l'ordre des mots
s'obtiennent par linéarisation des dépendances applicatives. Il n'y a pas de dissymétrie entre les
arguments d'un opérateur. Cette conception des dépendances lexico-syntaxiques fait suite à Harris
(1982) mais ici, des opérateurs grammaticalisés constituent un niveau de représentation qui s'appli-
que aux dépendances lexico-syntaxiques; voir Daladier (à par.).

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Kleiber (1999) reprend les nombreuses données de plusieurs sémanticiens sur cette
question et propose une explication fondée sur une extension de la notion ontologique de
'stéréotype' de Fradin (1984). Dans le cas de noms concrets, l'anaphore associative
obéirait à une contrainte cognitive de perception visuelle; l'objet représentant la partie
anaphorique devrait pouvoir se détacher mentalement et visuellement de l'objet repré-
sentant le tout référentiel. Les objets inaliénables comme les parties du corps ne seraient
pas détachables de leur référent, à moins d'apparaître dans un contexte qui les
désaliènent, comme dans :
(14) Le médecin a examiné Paul. Les yeux étaient exorbités, le pouls rapide , le
teint livide.

Pour les noms exprimant des propriétés relationnelles ou des événements, l'anaphore
associative obéirait à un principe de congruence ontologique (une sorte d'inclusion
propositionnelle) que Kleiber (1999) tente de définir.

Il est possible de proposer une toute autre explication à ces contraintes, en ne


faisant intervenir que des propriétés de grammaticalisation du français et des proprié-
tés lexicales. Tout d'abord, il faut remarquer que l'emploi de the en anglais dans
l'anaphore associative est moins contraint qu'en français, ce qui semble gênant pour
l'universalité des contraintes cogniti ves envisagées. Ensuite, comme l'indique Kleiber,
la rupture de phrase 5 dans un même énoncé redonne une certaine autonomie au nom de
la deuxième phrase (même s'il est toujours associé à son antécédent anaphorique).
Comme l'ont remarqué plusieurs auteurs, la reprise par le en anaphore associative de
parties du corps (incluant des termes non concrets comme l'esprit, le cœur, l'âme etc.)
d'un être animé est difficile. Cela peut s'expliquer par une sorte de conflit grammatical.
La formulation linguistique a tendance à éliminer des redondances mais évite des
réductions dans des contextes où elles introduiraient des conflits d'interprétation et
donc des ambiguïtés. Le français grammaticalise l'emploi de le pour exprimer l'aliéna-
tion d'une partie du corps d'un être animé par le possesseur intentionnel de ce corps
comme dans : il a mal à la tête , il a levé la main, il a l'esprit en paix. Cette interprétation
grammaticale de le doit éviter d'être confondue avec l'emploi anaphorique de le (qu'on
pense au subtil effet de sens d'intentionnalisation d'une main dans : la main me
démange de te fesser). Comme Kleiber le remarque lui-même, l'acceptabilité de (10)
provient de l'interprétation adverbiale de les yeux brillants qu'autorise le choix lexical
du verbe. (10) et (16) s'opposent à (15) :
(15) ?? 6 Paul dort les bras velus.
(16) Paul dort les bras repliés.

5. Cette 'rupture' peut s'analyser comme une propriété syntaxique assertive dans la représen-
tation des séquences assertables à l'intérieur de leur contexte d'assertion. Une séquence assertable
ou une combinaison de séquences assertables d'une assertion peuvent subir une 'rupture' si elles
satisfont les conditions de bonne formation des assertions.
6. Dans un contexte d'assertion qui expliciterait le fait que Paul est un admirateur fervent du
Docteur Hyde et qu'il a mis au point un élixir qui procure, chaque fois qu'on le consomme, un
sommeil merveilleux et des bras temporairement velus, l'interprétation adverbiale de : dormir les
bras velus pourrait être assertable comme le sont dormir Vesprit en paix ou dormir le cœur léger. Ce

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Dans le cas des exemples comme (13), un autre phénomène de grammaticalisation
intervient. L'emploi de noms opérateurs, en particulier les noms de qualité en -té, -esse,
-ce comme beauté, gentillesse, intelligence et certains déverbaux, autorisent un emploi
générique du déterminant le lorsqu'ils sont instanciés par des arguments indéfinis (de
formes lexicales ou de forme zéro) : La (beauté! la gentillesse/ Vintelligence) séduit tout
le monde. Cet emploi de le interfère avec la reprise anaphorique et la bloque dans (11).
Pour moi cet exemple est cependant interprétable, précisément si on ne fait pas la
reprise associative, dans une interprétation ironique de (11) où on se moquerait de la
beauté en général en la qualifiant de surprenante car la co-assertion autorise à identifier
cette beauté surprenante au tableau que Paul a accroché. Cette interprétation est
facilitée dans un énoncé comme : Paul a accroché son dernier tableau. De nos jours, la
beauté est parfois surprenante ! On pourrait aeserter sous les mêmes conditions
d'interprétation de la relation anaphorique : Les peintres du cinquième arrondisse-
ment ont exposé leurs œuvres. La beauté n'était pas au rendez-vous (la beauté en
général n'était pas à ce rendez-vous particulier) ou encore : Max déteste Paris . Le bruit
lui fait horreur (le bruit en général lui fait horreur et celui de Paris en particulier).

On observe de nombreux contre-exemples aux deux principes ontologiques de


Kleiber (1999). Certains exemples qu'il rejette comme inacceptables ne me paraissent
pas si mauvais, comme les exemples de Charolle : Il entra et jeta la valise sur le lit. Le
cuir était tout taché, Il enleva doucement la robe de Marie. La laine était douce. On
peut violer encore plus gravement le principe de « détachement scénique » de Kleiber.
On ne peut visualiser un bouquet de fleurs sans ses fleurs ou un collier de perles sans ses
perles, pourtant on peut asserter : Luc a offert des fleurs à Marie. Le bouquet était très
original ou : Luc a offert des perles à Marie. Le collier était magnifique, ou encore : Luc
a offert un collier à Marie. Les perles étaient magnifiques. On trouve également de
nombreux contre-exemples au principe de « congruence ontologique » pour les noms
exprimant des événements ou des relations, en fait pour des noms opérateurs de façon
plus générale, comme dans : Luc a utilisé ce théorème. La démonstration vient d'être
réfutée ou dans : Luc a aimé cette analyse. La conclusion est pourtant sujette à caution
ou encore dans : La décision de Luc les a étonnés. Le renvoi était pourtant prévisible et
aussi : Le renvoi était prévisible. Pourtant, la décision de Luc les a étonnés. On verra
dans les sections suivantes d'autres formes d'expressions grammaticales de relations
partitives entre un nom opérateur et ses arguments.

Les contraintes distributionnelles sur l'anaphore en général et sur l'anaphore


associative en particulier mettent en jeu une grammaticalisation d'emploi partitif
'étendu' de ie, une hiérarchisation des emplois grammaticalisés, partitif, inaliénable,
générique, de le et des contraintes syntaxiques sur l'identification de termes lexicaux.
Ces propriétés lexicales, syntaxiques et grammaticalisées permettent de condenser de
l'information, en français en l'occurrence, et s'expliquent de façon intra-linguistique.

type d'exemple, tout comme (1) à (6), me semblent illustrer le caractère utopique de contraintes
ontologiques universelles pré-formant les contraintes distributionnelles.

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Les grammaticalisations de le sont marquées dans des états de langue du français tandis
que le mécanisme d'identification linguistique se retrouve dans les identifications de
corrélatives des langues indo-européennes anciennes et s'avère sous-jacent aux méca-
nismes de subordination, des langues classiques au français actuel (voir Daladier 1999).
Les relations d'interprétation partitives et inaliénables sont associées à plusieurs phé-
nomènes de grammaticalisation en français actuel : anaphore, ellipse métonymique,
cliticisation en en. Les relations partitives et inaliénables grammaticalisent des nuances
sensiblement différentes dans des langues anciennes (infra).

3. Structures arguméntales des éléments lexicaux nominaux et préposition-


nels et évolution de la rection casuelle dans les langues indo-européennes

Dans des états de langue anciens des langues indo-européennes, les cas autres que
le nominatif ont une fonction adverbiale et permettent d'associer des éléments sous
différentes interprétations à des éléments lexicaux in transitifs à la voix moyenne 7 . En
particulier, le génitif et le datif peuvent régir un argument qui peut selon le contexte
recevoir une interprétation d'agent ou d'objet d'un élément conjugué ou non. Gonda
(1962) pour le védique et Hettrich (1984) plus généralement pour les langues indo-
européennes ont montré qu'un élément au datif peut recevoir une valeur d'objet ou
d'agent d'un nom d'action moyen (intransitif) lui-même au datif, le nom d'action et cet
élément étant chacun régi par le cas datif. Hettrich (1990) a montré que l'emploi ancien
du génitif grammaticalise une valeur de source du procès, qui peut avoir une valeur
agentive pour un procès exprimé au moyen dans la plupart des langues indo-
européennes. Renou (1952) a montré, pour le sanskrit védique, que le génitif gramma-
ticalise cette valeur de source d'un procès, verbal, nominal ou adjectival. En particu-
lier, ce génitif apparaît avec des noms d'action dans les équivalents védiques de
« l'offrande du soma » et « l'offrande du prêtre » où le soma et le prêtre sont ainsi
exprimés comme étant la source de l'offrande. Dans les équivalents de « la crainte des
démons » et « la crainte du fidèle » , les démons et le fidèle au génitif expriment que le
fidèle est le 'siège' de la crainte, tandis que les démons la font naître. Toujours dans des
états de langues anciens comme le sanskrit védique ou le grec homérique, la valeur du
génitif s'étend et en vient à grammaticaliser différentes valeurs d'appartenance, comme
l'appartenance partitive (Chantraine, Renou, Hettrich). De là, le génitif en est venu
naturellement à grammaticaliser très généralement les valeurs d'auteur et d'objet des
noms d'action dans les langues classiques. Entre-temps, les noms ont acquis des
structures arguméntales aussi complexes que celles des verbes, notamment une rection
transitive, tout en conservant la morphologie génitive agglutinée aux arguments à valeur

7. Dans Daladier (à par.), je m'explique en détail sur l'acquisition de structures transitives par
des éléments conjugués ou non conjugués en relation avec l'évolution des systèmes de conjugaison et
des oppositions de voix, notamment de la différenciation non morphologique de l'opposition de voix
pour les noms et pour les verbes ; également en relation avec la disparition de l'assertion non
conjuguée.

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de sujet et d'objet. Les noms d'action indo-européens, selon leur sens lexical et tout
comme les verbes, en sont venus à régir directement une structure arguméntale transi-
tive, aussi bien que in transitive, aux deux voix. Dans les nominalisations de langues
indo-européennes classiques, par exemple, en grec, sanskrit, avestique, latin, la mar-
que morphologique génitive s'est étendue (en s 'affaiblissant sémantiquement) aux
arguments à valeur d'objet ou de sujet du nom d'action. Ce morphème casuel a donc
différencié ses fonctions syntaxiques. Avec certains éléments lexicaux, il conserve sa
fonction d'opérateur régissant son propre argument, avec d'autres il s'est intégré à
leurs relations arguméntales et n'est plus qu'un marqueur d'argument. Les diverses
valeurs de source et d'appartenance partitive, les valeurs agentives ou d"objet' du
génitif sont conservées par une langue comme le français sous deux fonctions syntaxi-
ques de la préposition de. De s'emploie comme marqueur d'un ou de deux argument(s)
de noms opérateurs. La préposition de est alors grammaticalisée à l'intérieur de la
relation arguméntale. De s'emploie aussi comme opérateur régissant directement un
argument par rapport à un verbe : Luc a téléphoné de Lyon , ou régissant avec les
différentes valeurs du génitif ancien deux arguments non opérateurs : la batte de Luc.
Ces deux fonctions différenciées du génitif continuent à donner lieu à pronominalisation
possessive, par exemple dans : Luc, sa démonstration ; le théorème , sa démonstra-
tion ; le fidèle , sa crainte ; les démons , leur crainte ; le début du monde, son début ;
Limoges, sa porcelaine ; Luc, sa batte.

Chantraine (1953) montre que les prépositions è et 8ÍÇ introduisent généralement


des compléments circonstanciels et qu'elles ont aussi été associées à des génitifs à valeur
d'appartenance ou partitive. Ces prépositions et leur rection casuelle sont employées en
particulier pour désigner la lignée d'une personne, sa maison ou le temple d'un dieu
mais on les retrouve aussi avec des nome communs. La valeur d'appartenance partitive
recouvre également la notion d'appartenance inaliénable, qui continue à jouer dans nos
langues un rôle grammatical très particulier comme on l'a vu dans la section précédente
et comme je le montrerai ci-dessous pour la cliticieation en en.

Dans les langues indo-européennes actuelles, la rection d'arguments par un nom


opérateur peut se faire soit avec une préposition marqueur d'argument comme de en
français, soit avec un cas génitif comme en russe, soit par un système composite de
préposition et de cas possessif comme en anglais, où de subtiles valeurs possessives, en
partie liées au caractère animé du possesseur, sont ainsi grammaticalisées. La fonction
grammaticale 'génitive' de de est d'une part intégrée à la relation opérateur nominal-
arguments. Elle renouvelle, d'autre part, une capacité de rection arguméntale propre et
permet d'exprimer lexicalement différentes relations d'appartenance sur un ou deux
noms dépourvus de structure arguméntale. La genèse historique des valeurs gramma-
ticalisées par le génitif permet de comprendre pourquoi les deux arguments à valeur de
sujet et d'objet d'un nom ou les deux arguments d'une préposition exprimant diverses
relations d'appartenance partitive, agentive, locative, ou objectales peuvent s'expri-
mer pronominalement, de façon aussi générale dans nos langues, par une morphologie
possessive. La relation des noms d'action avec leur premier argument, qui prend une

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forme morphologique en de N ou possessive, peut exprimer une relation agentive
d'auteur ou de siège du procès ou encore une relation causale, qui renouvellent la notion
d'origine d'un procès. La relation des noms d'action transitifs avec leur second argu-
ment, de même forme morphologique, exprime une variété de possession inaliénable
entre le nom à valeur d'objet et le procès dont il fait l'objet. Par exemple, une table
entretient avec sa fabrication, ou un théorème avec sa démonstration ou encore
l'offrande avec le soma, une sorte de relation inaliénable abstraite.

L'uniformité de l'expression morphologique et la conservation ou l'extension des


valeurs 'génitives' ne doit pas masquer sa différenciation syntaxique. Le renouvelle-
ment du génitif et de ses valeurs partitives et d'appartenance par des groupes nomi-
naux, dorénavant GN, de forme morphologique N de N alternant avec une forme
possessive en son N, concerne les arguments des noms d'action et les arguments de
divers nom opérateurs exprimant des états et des qualités comme la sagesse de Luc / sa
sagesse , la dureté du diamanti sa dureté ainsi que des propriétés relationnelles le père
de Luc! son père , le voisin de Luc / son voisin. Ce renouvellement concerne aussi des GN
de forme N de N / son N qui ne contiennent pas de nom opérateur comme dans les GN :

(17) cette chemise , sa manche ; le blé, ses épis ; Luc, sa main ; Vermeer, son
jaune ; Farina, sa voiture ; Luc, sa voiture ; Robinson, son île ; Ikea, leur
fauteuils ; Breuer, ses fauteuils ; Limoges, sa porcelaine ; Vensemble des
parties, leur ensemble ; les parties d9un ensemble, ses parties ; la première
page de cette démonstration, sa première page.
J'analyse ces GN à partir d'un opérateur lexical de opérant sur deux noms élémentaires
dans l'ordre linéaire des éléments, voir ci-dessous (19)b à (21)b. Cet opérateur de peut
exprimer toutes les relations d'appartenance grammaticalisées par un pronom- adjectif
possessif. Son sens lexical dépend dans chaque GN de son couple ordonné d'arguments,
ainsi : de (ensemble, parties) Ф de (parties, ensemble) (l'ensemble des parties ^ les
parties d'un ensemble).
Un GN de la forme : NYde N2de N3... de Ni4 où ces noms sont de statut élémentaire
(i.e. n'apparaissent dans aucun contexte comme opérateur) est interprétable indépen-
damment d'une connaissance du monde extra-linguistique, en faisant l'hypothèse que
la ou les prépositions de lexicalisent différentes interprétations possessives. Le contexte
ou notre connaissance ou absence de connaissance extra-linguistique des référents des
noms nous permet ensuite de préciser ou non l'interprétation du GN parmi les valeurs
que peuvent exprimer lexicalement les occurrences de son ou de , comme dans les
exemples (18) 8 :

8. Ces GN mettent en défaut les hiérarchies de possesseurs, qui ont pu être proposées dans les
cadres générativistes minimalistes ou lexicalistes, notamment celles qui utilisent des hiérarchies de
rôles thématiques comme possession d'auteur, possession juridique, possession permanente ou
possession temporaire (voir 7.), comme celles qu'ont proposées Grimshaw (1990), Bartning (1996),
Godard (1996), Kupferman (1996). La notion syntaxique générative de 'sujet' syntaxique d'un GN
s'avère également non pertinente pour analyser les propriétés d'extraction (infra) et injustifiable
théoriquement, du fait notamment de la possibilité 'd'adjoindre' à un nom plusieurs éléments à

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(18) Le Corbusier, sa maison de Poissy , de lui, a été transformée en musée , sa
maison de famille a été détruite. Mon Dom Juan, celui de Cédibidache, pas
celui de Karajan, a été réédité. Breuer, ses fauteuils d'Habitat ne valent pas
ceux de Knoll. Mon fauteuil favori de Breuer est en vente uniquement chez
Knott. Knoll, leurs fauteuils de Breuer font leur réputation. L'Ombrie est
célèbre pour ses villas de Palladio.
J'analyse ces GN à partir d'appositions de GN de la forme : N1 de Nz, N1 de iV3, Nx de
que j 'interprète formellement à partir d'applications d'opérateurs lexicaux
(de (Ni, Лу... (de (TVl9 NJ...). Par exemple, Le fauteuil de Luc de Breuer est confor-
table, sera analysé à partir d'une double prédication prépositionnelle mettant en jeu
une apposition morphologiquement (mais non syntaxiquement) réduite : le fauteuil de
Luc, le fauteuil de Breuer, est confortable - » le fauteuil de Luc, celui de Breuer est
confortable - > le fauteuil de Luc, 0 de Breuer est confortable. Pour une analyse
détaillée de ces formes d'identification ou d'apposition réduites, voir Daladier (1990,
1998, 1999, à par.). Les GN : (19)a la démonstration de Luc de ce théorème, (20)a
Marie, la mère de Luc, (21)a la porte du frigidaire, (22)a la porcelaine de Limoges,
(23)a le fauteuil de Luc de Breuer, ont une structure applicative qu'on peut illustrer à
partir des schémas suivants :

(19)b démonstration -de -de (20)b mère -de

Luc théorème Marie Luc

(23)b^^

(21)b de (22)bde^
porte frigidaire porcelaine Limoges fauteuil Luc 0[fauteuil] Breuer

interprétation agentive ou à morphologie possessive. J'utilise donc les notions syntaxiques de


premier et second argument d'un opérateur lexical. Le premier argument d'un opérateur lexical n'a
pas nécessairement une interprétation agentive (en particulier quand il s'agit d'un argument phras-
tique : Que Luc soit venu m'a étonné). Dans : sa maison , sa peut désigner le concepteur, le
propriétaire ou le résidant de la maison. Les relations possessives peuvent aussi se superposer selon
le schéma d'insertion lexicale (21)b à partir de l'insertion de plusieurs opérateurs de. On observe
également ce phénomène de superposition de relations possessives avec des noms opérateurs qui
peuvent se construire avec leurs arguments possessivablee comme dans (17)b et avec une préposition
de opérateur introduisant son propre argument où sa/ son peut désigner de façon ambiguë les
différentes relations partitives, d'utilisateur ou de possesseur juridique. Certaines relations 'agen-
tives' peuvent se construire ensemble et donner Heu à ambiguïté : Luc a donné en cours la démons-
tration de Kleene de ce théorème. Sa démonstration était belle. Dans : Ma démonstration favorite de
Kleene est celle qu 'il utilise dans son deuxième théorème de récursion , Kleene est le premier argument
de démonstration et ma est introduit par une préposition de dépendante de favorite : la démonstra-
tion de Kleene qui est ma favorite de celles de Kleene. Les opérateurs de peuvent, avec les restrictions
de sélection lexicales de tout opérateur lexical, être co-insérés plusieurs fois dans un GN où figure un
nom opérateur : la première page de ma démonstration favorite de Fermat de Bill Gates. (Cet
exemple induit que Bill Gates possède plusieurs démonstrations de Fermat). L'intégration de la
relation génitive dans une relation arguméntale n'est pas sans limitations. Les noms relationnels
comme père , mère , ami , voisin ne grammaticalisent pas cette relation génitive pour leur premier
argument, comme Marie dans (20)b. Le second argument de certains noms n'est pas possessivable.

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4. Contraintes de double extraction à partir d'énoncés non ambigus :
tentatives d'explication 'fonctionnelle' discursive de la double extraction
versus propriétés d'interprétations partitives grammaticalisées

Une controverse d'une quinzaine d'années a opposé des syntacticiens et sémanti-


ciens de différentes obédiences à propos de l'explication à donner aux phénomènes de
double extraction de GN dans certains énoncés non ambigus. L'extraction en QU- dans
(26) ou l'extraction en en dans (27) dépend du choix lexical du verbe (je ne reviens pas
sur l'extraction en dont d'un complément de nom, qui est très peu contrainte, voir
Daladier (1978)) :
(24) Luc a (donné/fourni /publié/ critiqué/ analysé) une démonstration de ce théo-
rème

(25) La démonstration de ce théorème que Luc a (donnée/ fournie/ critiquée) nous


a étonnés

(26) La démonstration qu'il en a ( donnée/ esquissée/ fournie/ publiée) nous a éton-


nés

(27) #La démonstration qu'il ena ( critiquée/ analysée/ oubliée) nous a étonnés
(28) La démonstration qu'il a ( donnée/ #critiquéel iïoubliée) de ce théorème , nous
a étonnés

A la fin de cette controverse, Kuno (1987) conclut que ce ne sont pas les principes
de constituance de la syntaxe générative, ni des principes ontologiques généraux comme
certains types sémantiques ('iconiques') de noms ou des phénomènes de transparence et
d'opacité référentielle qui sont en cause dans la double extraction de GN mais des
phénomènes discursifs liés à ce qu'il appelle des principes fonctionnels. Ces derniers
concernent la mise en relief ou topicalisation, et relèveraient en dernière analyse de
principes d'empathie entre le locuteur et l'interlocuteur. Ces principes fonctionnels
opèrent indépendamment d'une syntaxe, dont Kuno ne remet pas en cause les bases
génératives. Il oppose donc un sens lexical et un sens contextuel, qui seraient organisés
respectivement selon des structures syntaxiques de constituants syntagmatiques et selon
des structures discursives obéissant à des lois d'empathie. Il reprend en partie l'analyse
de Erteschik (1977) qui tentait d'expliquer sémantiquement ces phénomènes à partir de
listes de verbes 'ponts' exprimant notamment l'implication d'un 'sujet' dans une action
dénotée par un nom comme dans : La description de cet événement/ La description qu'il
a ( entreprise! proposée/ faite ) de cet événement , et tente de généraliser cette explication
à l'intérieur de ses principes discursifs. A partir de quelques exemples, Kuno montre
que les différentes contraintes universelles de la grammaire générative, 'sujet spécifié'
et 'sous-jacence', peuvent aisément être violées :
(29) This is the story that I haven't been able to get Mary's version of
(30) This is the event that I liked CBS ' s reporting best of all.

Au-delà de ses remarques sur l'insuffisance de la syntaxe générative, l'argumenta-


tion de Kuno ne me paraît pas convaincante pour plusieurs raisons. Les contraintes de
sujet spécifié et de sous-jacence sont violées par les phénomènes de double extraction

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sans avoir à invoquer les phénomènes de thématisation, voir par exemple Daladier
(1980). Ces phénomènes de double extraction à partir de GN non ambigus concernent
des noms opérateurs comme les noms d'action, ou des noms intransitifs de qualité (32)
mais concernent aussi des groupes nominaux contenant l'opérateur prépositionnel de à
interprétation d'appartenance partitive comme (31). La cliticisation en en peut gram-
maticaliser une relation entre un opérateur et un premier argument à valeur agentive,
comme dans (33), ou un second argument comme dans (34) La version de Marie de cette
histoire. La non-coréférence du premier argument du nom et du verbe peut bloquer
dans certains cas la relation génitive grammaticalisée par en. Je reviendrai, section 6,
sur le contraste entre (37) et (28) :
(31) Luc a vu une branche de cet arbre/ La branche de cet arbre qu'il a vue / La
branche qu'il a vue cet arbre! Cet arbre , il en a vu une branche.
(32) Cette étoffe, Luc en a ( aimé/ constaté/ contesté) la douceur.
(33) Cette foule, Luc en a (décrit/ déploré) l'inquiétude.
Cet enregistrement , le bruit en a ( altéré ! produit) l'intérêt.
(34) Cette histoire, Luc en a (obtenu! aimé! publié/ saboté! critiqué! plaisanté!
dénigré! oublié! mimé! acheté) la version de Marie.
(35) # Cette situation, Luc en a (critiqué! oublié! censuré! aimé! interdit) le
souvenir.

# Ce paysage, Luc en a (critiqué! vendu) la description.


(36) Cette situation, Luc en ( retrouvé! fait jaiUir) le souveniré
Ce paysage, Luc en a ( imaginé / esquissé! entrepris! abandonné) la descrip-
tion.

(37) Ce théorème, Luc en a (donné! oublié! publié! fait durer! contesté ) la démons-
tration.

Comme Selkirk (1976) l'a remarqué pour l'anglais, la double extraction est sou-
mise à des contraintes sur la détermination du « génitif partitif » : lia vu une branche
d'arbre.! # La branche qu'il a vue d'arbre. . . / Les démonstrations qu'il a données de ces
théorèmes... /# Les démonstrations qu'il a données de théorèmes... Ces contraintes
d'extraction s'appliquent à des groupes nominaux où l'interprétation partitive est
étendue dans un sens métaphorique ou abstrait. La douceur et l'inquiétude sont des
qualités qui appartiennent à cette étoffe ou à cette foule de façon aussi « inaliénable »
que l'appartenance de la branche à l'arbre. La version d'une histoire peut grammati-
caliser une extension de la relation partitive comme le montre (34), le souvenir d'une
situation le peut aussi, quoique plus faiblement (les verbes autorisant la cliticisation en
en sont restreints).

Ces différents phénomènes de double extraction concernent des énoncés et des GN


de structures syntaxiques différentes, quelle que soit l'approche théorique choisie.
Selon l'analyse proposée ci-dessus, La branche de cet arbre contient deux noms
élémentaires co-arguments de la préposition de à interprétation partitive tandis que la
douceur de cette étoffe, l'inquiétude de cette foule, l'intérêt d'un enregistrement
contiennent un nom opérateur intransitif avec la préposition de comme marqueur

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d'argument interne à cette relation. De nombreux noms d'action transitifs autorisent
une interprétation 'partitive abstraite étendue' avec leur objet, ou plus précisément,
entre l'opérateur et son second argument, comme dans : la version de Marie de cette
histoire. Ces différents groupes nominaux mettent en jeu un phénomène d'interpréta-
tion lexicale 'partitive', abstraite ou concrète, forte, que cette interprétation soit portée
par l'opérateur lexical prépositionnel de ou par la relation lexicale entre un nom
opérateur et son second argument. Ces groupes nominaux autorisent la cliticisation
dans des énoncés où peuvent figurer toutes sortes de verbes, sans que les contrainte de
'pont' opèrent. Un GN comme le souvenir de cette situation a une cliticisation en en
beaucoup plus restreinte (i.e. dépendante du choix lexical du verbe) que la démonstra-
tion de ce théorème. Intuitivement, il existe une relation plus inaliénable entre un
théorème et sa démonstration qu'entre une situation et son souvenir. La part que
quelqu'un prend dans le procès du souvenir, comme son évocation, sa production etc.
renforce évidemment cette relation. La relation de dépendance entre deux noms, par
exemple entre théorème et démonstration ou entre la première page et livre ou démons-
tration, exprime suffisamment fortement une relation partitive pour se conserver avec
un verbe réputé non 'pont' : (la première pagel ce théorème ), la démonstration en a été
(critiquée/ falsifiée/ plagiée / publiée).

Il existe par ailleurs des restrictions lexicales bien connues à l'extraction partitive
avec le clitique en, qui s'applique mal à certains animés, noms propres ou noms d'agents
en -eur versus l'animé collectif foule dans (31). Cette contrainte lexicale sur ces noms
d'animés est cependant relative. Elle est relative au choix lexical des autres éléments du
groupe nominal ; elle dépend de la relation lexicale entre un nom opérateur et son
argument. Elle est également relative à une opposition de nombre, le pluriel peut
autoriser une interprétation 'chosifiée' où un groupe de personnes devient par exemple
le Heu d'une constatation générale (d'où les propriétés particulières d'animé collectifs
comme foule ou les gens) :
(38) #(Marc/ cet acteur), Luc en a (décrit/ déploré) (l'inquiétude/ les petites
manies ) .
Les grands acteurs , Luc en a décrit les petites manies.
(39) #Lue, la peur en avait altéré le jugement.
(40) ( Cet acteur/ ce paysage), je n'en ai pas ( aimé/publié) les photos.

La cliticisation en en grammaticalise une relation partitive concrète ou abstraite


qui peut revêtir un caractère plus ou moins faible, également dans le cas d'un GN à
préposition opérateur. Ainsi, il existe une relation partitive forte entre une voiture et ses
enjoliveurs (grammaticalisé comme inaliénable dans ma voiture a les enjoliveurs chro-
més ), mais pas entre une voiture et une personne quelconque qui se trouve dedans, bien
que cette relation d'appartenance locative soit 'lexicalisable' par de :
(41) Jean a (aimé! reconnu) (les enjoliveurs/ la fille) de la voiture qui vient de
doubler.

(42) Cette voiture, Jean en (a aimé / a reconnu) (les enjoliveurs/ Ша fille).

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En revanche, il existe une relation privilégiée, voire inaliénable, entre une voiture et son
conducteur ou le passager explicité comme tel (43). Les relations d'interprétation
partitive donnant lieu à cliticisation en en peuvent être de nature très diverses, là aussi :
(43) Cette voiture, Jean en a reconnu le (conducteur/ passager).
(44) Ce crayon , Jean en a aime (la couleur/ la gomme! le prix! la conception/ le
logo).

Le GN à partir duquel on observe les propriétés de cliticisation en en peut occuper


une position syntaxique de second argument du verbe principal (i.e. une position
d'objet dans d'autres approches), mais, comme cela a été souvent constaté, plus
difficilement une position de premier argument. Cela se justifie étant donné l'explica-
tion de la double extraction proposée plus bas, par l'ancien caractère oblique des cas
non sujet, en particulier l'accusatif et le génitif partitif. Cependant cette contrainte
n'est pas absolue contrairement à ce qu'affirme Godard (1996) et l'extraction partitive
s'observe en particulier à partir de GN premiers arguments de statifs, qu'ils comportent
un nom opérateur ou la préposition de opérateur :
(45) Ce théorème , la démonstration en est aisée.
(46) Fais attention à ta roue arrière , le pneu en est dégonflé.
(47) J'ai retrouvé ton livre mais la couverture en est toute abîmée.
(48) Ce frigidaire, la porte en a été mal fermée.

5. Interprétations adverbiales et cliticisations en en


Les contraintes sur la double extraction à partir d'un GN relèvent de plusieurs
phénomènes grammaticaux. Deux situations doivent être distinguées : d'une part, les
contextes qui autorisent une interprétation de génitif 'partitif', concrète ou étendue,
plus ou moins forte et donc plus ou moins dépendante du choix lexical d'un verbe de
niveau supérieur. D'autre part, certains verbes autorisent une interprétation adver-
biale d'éléments qui peuvent également être interprétés comme compléments de nom. Je
ne distingue pas l'interprétation adverbiale et circonstancielle du point de vue des
structures syntaxiques. Le fait qu'on puisse interpréter certaines formes d'extraction
comme étant topicalisées n'est qu'un aspect particulier d'une propriété beaucoup plus
générale de portée variable d'un grand nombre d'opérateurs lexicaux selon les dépen-
dances lexico-syntaxique de l'énoncé : adverbes, prépositions opérant sur leur argu-
ment élémentaire, (51) à (56), et adjectifs épithètes, (49) et (50). Dans certaines
propriétés de double extraction, la topicalisation n'est qu'un aspect de l'ambiguïté des
interprétations adverbiales de certains compléments de nom (voir le test de super-
topicalisation dans Daladier (1978)) et le fait que seule l'interprétation adverbiale
autorise la cliticisation en le :

(49) Luc ( aime! tricote ) ses chandails trop grands, (ambiguë) Il les ( aime! tricote)
trop grands.
(50) Luc a lavé ses chandails trop grands, (non ambiguë) # Il les a lavés trop
grands

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(51) Il (aime! tricote) ses chandails en laine. Il les (aime/ tricote) en laine
(52) Il a lavé ses chandails en laine. # Luc les a lavés en laine
(53) Luc a mentionné cette attaque contre Max (ambiguë) Il Га mentionnée contre
Max.

(54) Luc a oublié cette attaque contre Max. (non ambiguë) # Il l'a oubliée contre
Max

(55) Luc a écrit un livre sur Nixon. Luc l9a écrit sur Nixon.
(56) Luc a acheté un livre sur Nixon. # Luc Га acheté sur Nixon.

Les deux situations grammaticales autorisant la double extraction d'un GN ne sont


donc en réalité pas totalement indépendantes. L'explication du phénomène grammati-
cal de double extraction dans les contextes autorisant une interprétation partitive,
comme une conservation de l'ancien caractère adverbial du génitif partitif des langues
indo-européennes anciennes, est corroborée par un comportement grammatical syn-
chronique. Ces cliticisations en le ou en en correspondent à deux formes d'interpréta-
tion adverbiale de l'élément non cliticisé. Dans : Cette table, j'en ai cassé le pied , ce
livre, j'en ai critiqué l'introduction, cet arbre, j'en ai vu une branche, on dit aussi d'une
certaine façon qu'on a cassé la table en partie (« en son pied »), qu'on a critiqué le livre
en partie « en son introduction », qu'on a vu un arbre en partie, (« en sa branche »).
Dans : cette voiture j'en ai reconnu le conducteur, on reconnaît également la voiture à
travers, « en », son conducteur.

La cliticisation en en reprend aussi un autre aspect, complémentaire, du rôle


adverbial de l'ancien génitif indo-européen. Les langues indo-européennes anciennes
opposent l'accusatif, qui introduit un élément totalement concerné par le procès, et le
génitif, qui introduit un élément partiellement concerné par le procès. En français, cette
opposition ne concerne plus qu'un nombre restreint de verbes et ce pour une sélection
de noms admettant le déterminant-préposition partitif, comme : J'ai bu l'eau de ce
verrei J'ai bu de cette eau, J'ai mangé ce gâteaulj'ai mangé de ce gâteau mais : # J'ai
lu de ce livre. En revanche, dans : J'ai lu un chapitre de ce livre, chapitre réintroduit
une interprétation génitive partitive de livre pour lire. Les exemples précédents de
cliticisation en en avec casser, voir, reconnaître et un GN objet partitif grammaticalisent
une interprétation dont on perçoit de façon diffuse une parenté adverbiale. Les pro-
priétés de cliticisation en en de GN à partir d'énoncés non ambigus peuvent s'expliquer
comme le renouvellement d'interprétations entretenant une certaine parenté avec
l'origine adverbiale du génitif à valeur d'origine ou d'appartenance partitive.

Ces extractions partitives concernent aussi les GN, sans nom opérateurs, de la
forme Ni de N2 , dans des constructions où Ni s'interprète comme quantifieur par
rapport au nom qui a le véritable rôle grammatical d'argument du verbe, selon le choix
lexical, ici aussi contraint, du verbe. Par exemple bouteille est un quantifieur de vin qui
est le véritable objet de a bu dans : Ila( acheté / bu/ jeté ) une demi-bouteille de ce vin. Ce
vin, il en a (bu/ jeté! acheté) une demi-bouteille. Ces exemples s'interprètent aussi de
façon voisine de la formulation adverbiale : Il a (bu/ acheté / jeté ) du vin en quantité

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d'une demi-bouteille. Par opposition, on a : lia cassé une demi-bouteille de ce vin / # Ce
vin, il en a cassé une demi-bouteille et la formulation adverbiale est impossible : #11 a
cassé du vin en quantité d'une bouteille.

Pour résumer 3. , 4. et 5. , les fonctions adverbiale et adnominale de l'ancien génitif


indo-européen se sont renouvelées et s'expriment syntaxiquement de façon différen-
ciée : statut de marqueur d'argument ou d'opérateur de de. Mais leurs interprétations
conservent une parenté, ce que grammaticalisent les contraintes distributionnelles sur
la cliticisation en en.

6. Le cas particulier des propriétés d'extraction en Qu- et en en dans les


constructions à verbes supports

Les constructions à verbes 'supports' 9 de noms opérateurs admettent la double


extraction en Qu- ainsi que la pronominalisation en en de l'objet, même si ce dernier est
un animé, du nom d'action opérateur :
(57) Vuillard a fait un portrait de sa grand-mère. Luc a donné une description du
(voleur/ de ce paysage)! Il en a fait le portrait. Il en a donné la description.
(58) le portrait qu'il a fait de sa grand-mère. . ./ la description qu'il a donnée de ce
paysage...

La propriété de double extraction des nominalisations avec leurs verbe


dans les langues romanes et germaniques actuelles s'avère constituer un cas
de l'extraction génitive partitive singulièrement intéressant. Le verbe sup
premier argument du nom d'action donnent à ce dernier une interprétati
par rapport au second argument.
J'ai montré dans 5. que la double extraction en Qu- ou la cliticisation en
des nominalisations est possible avec des verbes plus ou moins contraints lex
qui peuvent varier selon chaque nominalisation. L'extraction en Qu- et la c
en en sont soumises à des contraintes différentes. Avec analyse de la s
démonstration de ce théorème , les verbes comme donner , construire, élab
voir, oublier, contester, critiquer, aimer, détester autorisent une cliticisation
oublier, contester, critiquer, aimer, détester n'autorisent pas une extraction

9. J'analyse les constructions à verbes supports non pas comme des constructions
ou semi-figées comme le font, dans des cadres théoriques différents, M. Gross (198
(1996) ou Catell (1984) et Marantz (1997) mais comme un système d'assertion et d'aux
opérateurs lexicaux non conjugués. Ce système d'auxiliation grammaticalise des valeur
et de 'mode d'action' complémentaires des valeurs de temps/aspect/voix/mode de
verbale et sert en outre à 'porter' les valeurs de temps/ aspect/voix/mode de la con
verbes supports sont issus dans les langues romanes, germaniques et indiennes actue
anciens verbes grammaticalisés. Ces verbes ont constitués des formes supplétives
s'agglutinant à des statifs (noms et adjectifs) et ont également constitué des auxiliaires d
noms en conservant une autonomie morphologique, dans différents états de lan
européennes, voir Daladier (1996, 1999 et à par.).

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(59) Ce théorème , il en a (oublié/ contestei aimél donné/ construit) la démonstra-
tion.

(60) La démonstration qu'il en a ( donnée / construite/ conçue/ publiée) nous a


étonnés.

(61) #La démonstration qu'il en a (critiqué/ aimé/ contesté /oublié ) nous a étonnés.
La cliticisation en en à partir d'une nominalisation figurant comme premier argument
d'un verbe conjugué (et pas seulement d'un statif asserté avec la copule) est possible
selon le choix lexical de ce dernier :

(62) Cette conjecture , une démonstration en (étonnerait/ amuserait/ intéresse-


rait) Luc.
Les verbes supports sont des verbes grammaticalisés qui auxilient des noms,
comme faire, donner , porter, prendre, avoir, poser, mettre, pousser, tenir. Parmi eux,
faire a par ailleurs un emploi grammaticalisant une sorte de fonction de pro- verbe,
comme dans : Luc est monté sur la table, Marc Га fait aussi. On remarquera que dans
cette fonction faire ne réalise pas totalement la fonction de « pro-verbalisation »
puisque figure aussi le pronom Г. On peut considérer que le verbe support, en plus
d'une information aspectuelle et/ou de 'mode d'action' « pro-verbalise » un verbe
morphologiquement apparenté au nom d'action, s'il existe, ou sinon un verbe lexicale-
ment approprié (au sens de Harris), par exemple :
Jean a (peint/ fait) un portrait de ma grand-mère.
Jean a (démontré/ donné) la démonstration de ce théorème.
Le nom d'action opérant sur son ou ses arguments devient sous cette hypothèse un
objet interne de ce « pro- verbe » et le verbe support ou lexicalement plein « appro-
prié » répète en quelque sorte l'information du nom opérateur sur l'objet de ce dernier.
De ce point de vue, ces constructions autorisent une interprétation partitive de la
relation nom opérateur/second argument. Ce n'est pas parce qu'ils sont des verbes
« iconiques » que peindre, dessiner, filmer, photographier, mimer) ont 'en soi' une
propriété de 'pont', c'est plus simplement que lorsqu'ils se construisent avec un nom
comme portrait, celui-ci constitue une sorte d'écho informatif, de 'qualifieur' par
rapport à son argument, qui s'interprète également comme argument du verbe. Cette
interprétation de qualifieur du nom opérateur dans ces énoncés permet d'étendre
l'interprétation partitive abstraite. Autrement dit, il existe une relation d'interpréta-
tion partitive particulière entre un nom d'action, son second argument à valeur d'objet
et les verbes qui, se construisant avec le même premier argument à valeur de 'sujet' que
le nom d'action, actualisent ce procès dans le temps ou donnent des informations
additionnelles sur son procès. J'ai vérifié cette hypothèse pour les listes de verbes
supports mentionnées ci-dessus et les quelques milliers de noms qu'ils auxilient. La
double extraction de la nominalisation s'observe pour toute la famille de verbes
lexicalement appropriés à la sélection du nom opérateur comme objet interne et à son
second argument. Par exemple : établir, constituer, dresser, faire, donner, égrener,
énumérer sont appropriés à : La description de Luc de ces propriétés. En revanche
égrener et énumérer ne sont pas appropriés à : la description de Luc de ce paysage.

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Les verbes supports et les classes de verbes appropriés « ď effectuation » varient
selon les noms opérateurs et parfois selon leur sélection lexicale d'arguments.
(60) et (62) montrent que la cliticisation en en est possible avec des verbes dont le
premier argument n'est pas identique au premier argument de démonstration. Cette
identité est une condition ni nécessaire, ni suffisante à l'extraction en Qu- (publier).
Cependant, les verbes qui la bloquent ont un premier argument distinct de celui du nom
opérateur. Cette situation rejoint celle des GN comme le souvenir de cet événement à
interprétation partitive abstraite faible. J'en conclurai que l'extraction en Qu-, suivie
d'une cliticisation ou non (contraste (28)/(36)), grammatic alise une interprétation
partitive plus faible que la cliticisation directe en en. L'extraction en Qu- d'un nom
opérateur ou d'un argument de l'opérateur de est plus contrainte que l'extraction en en
du fait de ce qu'exprime la grammaticalisation de cette dernière. L'extraction en Qu-
s' applique aux verbes supports et aux verbes lexicaux qui admettent un déterminant
partitif et elle renouvelle, quoique plus faiblement que e/i, la fonction d'objet partiel-
lement affecté par le procès de l'ancien génitif, que n'ont pas, ou qu'ont perdu, en
français actuel de nombreux verbes transitifs directs :
(63) # Luc a publié de quelque chose! La version qu 41 a publiée de cette histoire. La
version qu 'il en a publiée. . . ? La version qu 'il a critiquée de cette histoire. . . ?
La version qu'il en a critiqué.../ # La validité qu'il a contestée de cet argu-
ment...

Le caractère douteux de nombreux exemples d'extraction en Qu


l'extension de ce phénomène n'est pas stabilisée en français actuel,
le cas de verbes qui sélectionnent une nominalisation comme premie
erreur, le souvenir m'en a échappé

7. Les propriétés syntaxiques des noms frança


phr as tique, intransivité, extractions, possessiva
valeurs mais ne dépendent pas des ontologies u
des approches non constructives
♦ De nombreux noms transitifs 9 comme tolérance
interprétation psychologique , qui ne les empêche рал
de leur second argument , contrairement à de nombr
(64) La souffrance physique, sa tolérance chez les en
nant.

(65) Les orages, (leur crainte / leur vénération) remonte à l'antiq


(66) (L'annonce de cette nouvelle/ le comportement de Luc /Luc)
parents.
#Sa satisfaction de ses parents fait plaisir à voir. Leur satisfaction fait plaisir
à voir.

La sélection d'une complétive en position d'argument de rang un est rarement conservée


dans les nominalisations 'actives', qui imposent souvent des contraintes d'intentionna-

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lité à leur premier argument (voir Daladier 1998). Or, un grand nombre de verbes ayant
un premier argument phrastique expriment des verbes psychologiques. Certains lin-
guistes ont confondu les deux propriétés. Bon nombre des noms correspondant à des
verbes transitifs à premier argument phrastique sont des in transitifs, comme angoisse ,
désespoir , satisfaction. Ces noms admettent en réalité la possessivation de leur second
argument (à valeur d'objet) et non pas la possessivation d'un premier argument à valeur
de 'sujet' qu'ils n'ont pas. Leur unique argument se prête à une interprétation « agen-
tive » car il exprime le siège du procès. Les noms de cette classe distributionnelle ont des
valeurs que grammaticalis aient les anciens Moyens (noms ou verbes) a-intentionnels et
permettent, comme eux, l'expression oblique d'un nom à valeur agentive, en français
par l'intermédiaire de diverses prépositions opérateurs comme devant dans : La satis-
faction de Marc devant le comportement de Luc. D'une façon plus générale, l'intran-
sitivité et la transitivité grammaticalisent des propriétés, en particulier agentives,
(intentionnelles ou causatives), différentes pour les noms et pour les verbes en français.

♦ L'interprétation aspee tuelle des noms est toujours relative à leur contexte
d'assertion.

L'interprétation aspectuelle d'un GN dépend d'une part du choix syntaxique et


éventuellement lexical du verbe de niveau supérieur, et d'autre part de sa voix, en plu
des facteurs de détermination communs aux GN (selon l'hypothèse d'une voix nomina
que je propose dans Daladier (1996, 1998 a et b et à par.). De façon générale, l
interprétations processives ou événementielles des nominalisations impliquent un verb
de niveau supérieur à argument non élémentaire (i.e. autorisant une complétive). Le
interprétations de résultats de l'action sont sélectionnées par des verbes à argument(s
élémentaire(s) ou à argument phrastique réductible (Daladier 1996 et 1998b). Le
classifications aspectuelles de verbes ou de noms en dehors de leurs arguments et de
leurs opérateurs ont donc une signification très relative. Certaines affirmations génér
les sur les nominalisations 'actives' et 'passives', qui auraient respectivement d
interprétations statives non prédicatives et processives, sont infondées. Les interprét
tions de procès, de résultat du procès ou d'événement dépendent du choix lexical de
noms opérateurs mais aussi du choix syntaxique de leur opérateur, verbe ou nom, d
niveau supérieur. Démonstration a dans (67) une interprétation processive, dans (68)
une interprétation événementielle, dans (69) de résultat concret, dans (70) une inter
prétation stative événementielle :
(67) (La démonstration de Post / donner la démonstration de Post) se fait en dix
minutes.

(68) (La démonstration de Posti Le fait que Post ait donné cette démonstration) a
créé la surprise pour les logiciens
(69) Luc m'a envoyé (lu démonstration de Post / # Le fait que Post ait donné cette
démonstration / #de donner la démonstration de Post)
(70) (La paralysie de Paris par les voitures! Le fait que Paris soit constamment
paralysée par les voitures ) est souvent déploré.

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Une description lexico-syntaxique des conditions d'insertion et des principales proprié-
tés d'interprétation aspectuelles des nominalisations 'actives' et 'passives' en français
est proposée dans Daladier (1996 et 1998b). Des noms syntaxiquement élémentaires, qui
n'ont donc pas d'interprétation processive, peuvent en acquérir une dans le contexte de
nombreuses constructions à supports :
(71) Il fait du ( vélo/violon ) depuis une heure . Il donne un coup de balai depuis une
heure.

♦ Les noms opérateurs (i.e. à structure argumentóle) expriment en français des


propriétés tout aussi complexes et variées que les verbes et notamment admettent
des arguments phrastiques.

Stowell (1981) et Grimshaw (1990) affirment qu'un nom ne peut avoir un argument
portant un temps. Godard (1996 : 309) et Godard et Sag (1996) ont analysé les
propriétés d'extraction à partir de GN d'un point de vue à la fois ontologique et
syntaxique universel. S 'inscrivant dans la lignée de Erteschik (1977) et Grimshaw
(1990), ils argumentent qu'un nom ne peut avoir d'argument phrastique du fait de la
nature référentielle des objets de noms qui dénoteraient universellement des entités
cogniti ves élémentaires et non des propriétés cogniti ves. Les noms seraient 'conceptuel-
lement simples', par rapport aux verbes et aux adjectifs. Pour les mêmes raisons
philosophiques (les catégories grammaticales, les catégories de la pensée et les catégories
objectivables de la Réalité constitueraient un même objet), ils argumentent que les
relations d'extraction à partir d'un GN sont déterminées par des relations « thémati-
ques » universelles. Leurs généralisations pour l'anglais et le français semblent cepen-
dant fondées sur des données très limitées. Une complétive peut être insérée, soit
directement sous un nom d'action, soit par l'intermédiaire d'un autre nom, comme/ait,
argument du premier :
(72) Notre espoir que les choses pourraient s'arranger a pris forme petit à petit.
Leur supposition que les impôts allaient augmenter s9est révélée juste. La
mise en évidence (du fait que / de ce que) Luc était absent ce jour là a pris
quelques minutes. Luc a procédé à la démonstration (du fait que/ de ce que)
Max était absent ce jour là. La prise en considération (du fait que/ de ce que)
Luc n9était pas majeur a tout changé. L 9 acceptation par Luc du fait que sa
femme ne reviendrait plus a pris quelque temps.
Plusieurs centaines de noms sélectionnent un argument phrastique. Les enchâssements
de noms prédicatifs, exprimant des propriétés de propriétés, sont particulièrement
productifs dans les langues romanes et germaniques actuelles :
(73) La dfficulté de la démonstration de cette propriété tient à son caractère peu
intuitif. Le choix d9un emplacement pour la construction de cette maison pose
quelques problèmes. L9 éventualité d9une baisse des taux de la Bundesbank
n9a pas eu les effets escomptés.
On peut construire, sans aucune limitation ontologique, des GN dénotant des propriétés
de propriétés plus abstraites encore que celles qu'on pourrait exprimer avec des verbes,

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du fait de la concision de leurs enchâssements. Les noms à argument phrastique ont
généralement une interprétation événementielle mais ils peuvent aussi avoir une inter-
prétation processive :
(74) La vérification par Luc (de cel du fait) que Jean était absent hier, a pris une
heure.

♦ Les contraintes d'extraction ne sont pas gouvernées par des propriétés


aspectueUes temporaires ou permanentes ou une position syntaxique de 6 sujet ' de
prédicat.

Kupferman (1991) fait l'hypothèse que l'extraction de en serait contrainte par


l'interprétation aspectuelle du GN et considère que : (a) la porte du réfrigérateur
autorise l'extraction parce que la possession inaliénable serait une relation non événe-
mentielle. L'extraction serait bloquée dans : (b) la viande du réfrigérateur du fait
d'une relation possessive contingente événementielle. Cette typologie ontologique fait
suite aux hypothèses critiquées précédemment et ne me paraît pas pertinente. En
particulier, l'extraction en en est possible à partir de GN événementiels comme (75),
(78), (79), (82) :
(75) Les jeux vidéo, le goût en est très répandu chez les jeunes français.
Comme je l'ai montré plus haut, l'extraction dépend d'une interprétation partitive
concrète ou abstraite du GN et du choix lexical du verbe de niveau supérieur, qui est
susceptible de renforcer ou de bloquer cette relation. En particulier l'extraction de (a)
n'est plus possible dans (76) tandis que celle de (b) devient possible dans (77) :
(76) # Le réfrigérateur, la porte en est verte.
(77) Ce grossiste stocke la viande et la charcuterie dans quatre réfrigérateurs. Ce
réfrigérateur-ci, la viande en a été vendue ce matin, et sa charcuterie sera
vendue demain.

Les noms événementiels peuvent donner lieu à cliticisation en en selon le choix du verbe
de niveau supérieur qui peut autoriser une interprétation partitive abstraite compara-
ble à celle qu'on a observée dans (34) pour la version d'une histoire. Celle-ci peut être
contrainte ou non par une relation de coréférence entre le premier argument du verbe
et celui du nom opérateur :
(78) Luc est parti et Jean¿ en a (signalé / dépeint) (le 0¿ ¡ton) regret.
(79) Que plusieurs postes se libèrent cette année, Luct en a (envisagé/ évoqué /
savouré / imaginé/ abandonné) V0i hypothèse.
(80) # Que plusieurs postes se libèrent cette année, Luc en a envisagé ton hypo-
thèse.

(81) Que Papon ait été présent ce jour là, la démonstration en a été
(acquise! ??interrompue)
(82) Que Jean vienne, Luc en a (annoncé/ envisagé/ critiqué/ oublié ) l'éventualité.
Les GN événementiels qui autorisent une cliticisation en en expriment, soit isolé-
ment, soit avec un verbe de niveau supérieur, des relations d'appartenance abstraites

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qui peuvent être, là aussi, très diverses. Cette relation d'appartenance peut exprimer
une relation passagère mais ce point ne me semble pas pertinent (que dire du caractère
temporaire ou éternel d'une hypothèse ou d'un regret ?).
Bartning (1996) expose une conception aspectuelle de l'extraction complémentaire
de celle de Kupferman (1991 et 1996) et ses généralisations tombent sous le coup des
remarques précédentes. Cependant leur conception contient aussi une intuition inté-
ressante, qui me semble confirmer l'hypothèse de cet article. Les roses du jardin peut
grammaticaliser une relation d'appartenance partitive qui n'existe pas dans les roses du
salon . Le français grammaticalise cette interprétation partitive par la possibilité
d'avoir ou non pronominalisation possessive et d'avoir ou non cliticisation :
(83) Ton jardin , ses roses sont fanées. I # Ton salon , ses roses sont fanées.
(84) Le jardin, j9en ai remplacé les rosiers. #Le salon j'en ai remplacé les roses.
Dans certains GN, le caractère temporaire peut être une propriété constitutive d'un des
deux noms et autoriser la cliticisation. Ainsi, on a (85) mais pas (86), comme (42) et (43) :
(85) On a appréhendé (les gens / les passagers )dece paquebot . Ce paquebot , on en
a appréhendé les passagers clandestins / on a appréhendé ses passagers
clandestins

(86) #Ce paquebot , (on a appréhendé ses gens / on en a appréhendé les gens).
La porte d'un frigidaire est une partie inaliénable de ce frigidaire. La viande n'a pas
hors contexte cette propriété mais acquiert une forme d'appartence particulière dans
un énoncé où elle en constitue la destination habituelle. De la même façon, une relation
entre une chaise (ou n'importe quel objet) et une personne peut devenir une relation
d'appartenance en fonction de relations de dépendance lexicales construites par le
contexte : Le cancre, sa chaise près du radiateur ; mon Dom Juan, celui de Cédibida-
che, pas celui de Karayan ; Robinson, son île ; Vermeer, son jaune.
Dans : le jardin, ses roses vs. #íe salon, ses roses ou Limoges, sa porcelaine vs. ?le
placard, sa porcelaine, le possessif étend une notion particulière d'appartenance,
toutefois distincte de ce que grammaticalise l'appartenance inaliénable.

8. Conclusion

Divers pronoms ( en , possessifs, relatifs, le) grammaticalisent et étendent


configurations syntaxiques différentes les valeurs du génitif indo-européen
valeurs de sources concrètes étendues à des sources abstraites : auteur d'une action ou
du résultat de cette action ou concepteur d'un objet, origine locative spécifique à un
objet ; b) les relations partitives et inaliénables, étendues, là aussi, à des relations
d'usage ou d'utilisateur, ou de siège du procès ou encore à des propriétés constitutives
de noms de propriété de plus en plus abstraites. Ces valeurs et leurs moyens morpho-
logiques et syntaxiques d'expression renouvellent, tout en les différenciant, les valeurs
et les propriétés syntaxiques d'un très ancien génitif. Ces valeurs grammaticalisées en
français n'étaient pas prédictibles dans une ontologie universelle et éternelle. Il serait
intéressant de les comparer à ce que d'autres langues actuelles grammaticalisent à
travers des morphème pronominaux analogues.

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La cliticisation en en, l'extraction en Qu- et la pronominalisation possessive ne sont
pas régies par une interprétation lexicale ou sémantique inhérente à un nom, ou par une
interprétation agentive, mais par une relation de dépendance souvent complexe. Elle
peut faire intervenir simultanément 5 termes : les deux noms d'un GN, un déterminant,
le choix d'un verbe et l'identité du premier argument du verbe et d'un nom opérateur.
Une telle relation de dépendance ne peut être formellement représentée dans les
syntaxes formelles actuelles. De plus, les valeurs que grammaticalisent ces contraintes
ne peuvent être découvertes qu'indue tivement, à partir de l'observation empirique.
A partir de différentes données distributionnelles sur les relations génitives en
français, le but de cette étude était de souligner un point de vue nouveau sur le rapport
entre morphologie, syntaxe, sémantique, histoire et ontologie. Dans la plupart des
différents courants, en syntaxe et en sémantique, de la « linguistique générale » ac-
tuelle, les chercheurs tentent de justifier leurs hypothèses théoriques par des propriétés
cognitives, c'est-à-dire par des entités ontologiques supposées 'naturelles' d'une philo-
sophie de l'esprit telle que différentes philosophies du langage et les phénoménologies
ont tenté de la définir, ou encore par des propriétés formelles entre catégories de
constituance abstraites câblant directement nos neurones. Les données présentées ici
montrent que ce n'est ni un principe discursif, ni une notion syntaxique universelle de
sujet de prédicat, ni un principe ontologique universel, ni ces facteurs combinés, qui
sont en cause dans les propriétés de pronominalisations d'un GN, mais une très
ancienne fonction adverbiale du génitif indo-européen. Cette fonction se différencie
syntaxiquement et sémantiquement dans les langues classiques où les noms acquièrent
des structures transitives. Ces nouvelles fonctions s'expriment syntaxiquement en
français, soit par un opérateur lexical de qui régit deux arguments, soit par une
préposition de simple marqueur d'argument d'un nom opérateur, où la fonction géni-
tive est grammaticalisée à l'intérieur de la relation arguméntale entre le nom opérateur
et ses arguments. Ces deux éléments syntaxiques de , de même morphologie, renouvel-
lent les deux fonctions associées à la morphologie génitive dans les langues indo-
européennes classiques et peuvent aussi s'exprimer par une morphologie possessive
commune. La morphologie de la préposition de cache donc des relations syntaxiques
très différentes : d'un morphème discontinu d'un opérateur lexical à un opérateur
lexical. Pour les mêmes raisons, la morphologie uniforme du possessif et sa dépendance
d'accord cache des relations syntaxiques diverses. La fonction adverbiale du génitif
archaïque indo-européen s'est renouvelée et différenciée à travers les propriétés extrac-
tion en Qu- ou de cliticisation en en à partir d'énoncés non ambigus.
L'alternance le/son grammatic alise par ailleurs une relation d'appartenance par-
titive et des contraintes sur l'anaphore associative observées par Kleiber (1999). Elles
sont ici analysées à partir de la grammaticalisation de valeurs partitives renforcées et de
hiérarchies d'autres grammaticalisations. Finalement, l'emploi de différentes formes
morphologiques de pronominalisation à l'intérieur d'oppositions distributionnelles :
possessivation de certaines formes en de N, extraction en Qu- de certaines formes
admettant une cliticisation en en, anaphore associative en le de certaines formes
admettant une reprise en son iV, étendent abstraitement les valeurs de source et

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d'appartenance du génitif indo-européen tout en discriminant très finement ces nouvel-
les valeurs. Ces extensions et différenciations de valeurs grammaticalisées prennent
place à l'intérieur de l'extension syntaxique des emplois de de.
Les données présentées montrent donc comment une très ancienne fonction gram-
maticale indo-européenne génitive (syntaxiquement adverbiale et morphologiquement
pronominale) perdure à l'évolution et à ses supplétions morphologiques, tout en renou-
velant et en différenciant les valeurs qu'elle grammaticalise avec ses moyens syntaxiques
d'expression. A travers les contraintes distributionnelles et les valeurs qu'elles gram-
maticalisent, une langue comme le français construit des représentations ontologiques
différentes de celles construites dans sa famille indo-européenne au cours de l'évolu-
tion.

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