Vous êtes sur la page 1sur 30

LA SAGESSE ET LE NOMBRIL.

Rites de naissance et sages-femmes chez les Embera et les


Afro-Colombiens du Haut-Choco (Colombie)
Author(s): Anne-Marie LOSONCZY
Source: Civilisations, Vol. 36, No. 1/2, Ethnologies d'Europe et d'ailleurs (1986), pp. 259-287
Published by: Institut de Sociologie de l'Université de Bruxelles
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/41229476
Accessed: 05-04-2024 12:16 +00:00

JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide
range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and
facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org.

Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at
https://about.jstor.org/terms

Institut de Sociologie de l'Université de Bruxelles is collaborating with JSTOR to digitize,


preserve and extend access to Civilisations

This content downloaded from 41.243.17.140 on Fri, 05 Apr 2024 12:16:51 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
LA SAGESSE ET LE NOMBRIL

Rites de naissance et sages-femmes chez les Embera et


les Afro-Colombiens du Haut-Choco (Colombie)

Anne-Marie LOSONCZY

Les communautés villageoises noires - peuplées de


descendants d'esclaves africains - et les petites
unités résidentielles labiles et atomisées des Indiens
Embera autochtones de la région du Choco (1)
entretiennent, depuis l'arrivée forcée des premiers
Noirs, des contacts inter-éthniques complexes et
ambigus auxquels la libération des esclaves et leur
établissement progressif en aval des rivières du Choco
ont achevé de donner leur forme structurelle actuelle.
Le système complexe qui alimente les échanges, en même
temps qu'il canalise et limite leur portée, se déploie
à travers un réseau linguistique, langage-compromis
entre l'espagnol fortement dialectal et particularisé
des Noirs et la langue embera, langage que les deux
parties n'utilisent qu'en situation de contact inter-
éthnique. D'autre part, ce système canalise et codifie
également la circulation de biens et de services entre
les deux groupes. Toutefois, l'alliance matrimoniale,
(circulation des femmes) creuse un vide dans ce canevas
d'échange inter-éthnique : elle est radicalement prohi-
bée.

En revanche, l'institution du "compadrazgo"


( "compérage") constitue le fondement d'un lien de pa-
renté rituelle entre couples noirs et embera par
l'intermédiaire d'un nouveau-né embera mâle. En effet,
le père d'un nourrisson embera choisira dans la
communauté noire la plus proche l'homme qui "baptisera"
son enfant et lui donnera son prénom (2). Devenant
ainsi parrain du nouveau-né, il acquiert du mime coup
le statut de "compère" du géniteur. Ce compérage - qui

259 Civilisations

This content downloaded from 41.243.17.140 on Fri, 05 Apr 2024 12:16:51 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
implique aussi dans cette relation les épouses
respectives - engendre entre eux des rapports
privilégiés de respect, d'assistance réciproque et en
cas de besoin, une intensification des échanges de
biens et de services en termes de don et de contre-don.
Si ce "baptême" représente selon l'opinion embera une
protection magique supplémentaire pour l'enfant, le
rapport rituel qu'il instaure concerne bien plus les
deux couples d'adultes que celui des parrains et le
petit Embera.

Il a été donc possible de montrer (3) que cette


institution, en créant un lien de consanguinité rituel-
le (une quasi-consanguinité) entre deux hommes,
métonymies de leur communauté respective, se substitue
symboliquement à l'échange des femmes (qui engendrerait
des rapports d'alliance) et ce, par le biais d'un
enfant mâle. Ainsi elle permet à chaque groupe ethnique
d'inscrire à sa périphérie sociale la figure de
l'Autre, selon un modèle asymétrique qui structure la
relation entre l'un, toujours donneur et l'autre tou-
jours destinataire de nom.

La structuration rituelle des rapports inter-


ethniques apparaît donc ordonnée autour d'un nourrisson
et par une dation de nom. Par ailleurs, l'observation
des rites de naissance embera et afro-chocoéen conduit
à y découvrir des parai lélismes frappants. Ces deux
ordres de faits semblent autoriser à considérer le
champ de la naissance comme étant en partie un enjeu
inter-ethnique et dès lors à interroger les liens sym-
boliques entre les rituels embera et noir par le biais
de la figure et du rôle des sages-femmes qui assurent
ici et là le premier contact entre la société hôte et
le bébé nouveau-venu.

260 Civilisations

This content downloaded from 41.243.17.140 on Fri, 05 Apr 2024 12:16:51 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
Entre le chamane et le Créateur : les "vieilles mères"

Pour la pensée embera la conception d'un enfant


fait partie du mouvement cosmique 'je1, qui a permis le
surgissement primordial de plusieurs éléments du
cosmos. Dans la langue, ce terme désigne aussi bien
l'action de "tomber" qu'un mouvement répété de bas en
haut et de haut en bas. Ainsi le radical 'je' figure en
première place dans de nombreux mots embera à connota-
tion mythique, tels que ' jedeko' (lune, forme actuelle
d'un des jumeaux primordiaux), 'jenené' (arbre mythique
à partir duquel l'eau s'est répandue dans l'univers),
' jepa' (serpent mythique) et 'jea- (fruit du palmier
'chontaduro' , plante alimentaire dont certains mythes
placent l'origine dans le Monde d'En Bas, monde relié à
l'univers des hommes par le fond de la rivière et les
ravins de la forêt).

Faisant donc partie de ce mouvement de


transformation cosmique, la conception d'un humain est
vue comme la captation du sperme masculin par l'utérus
- captation consécutive au mouvement 'je' du coït
pour "faire remonter" l'enfant du Monde d'En Bas. Ce
lieu apparaît dans certains mythes embera (4) peuplé
d'êtres immortels préhumains qui ne mangent, ni ne
défèquent - ils n'ont pas d'anus - et qui tout en ayant
l'apparence d 'Embera du commun, sont des esprits
primordiaux bienveillants ('jai bia'). D'autres récits
mythiques (5) désignent également le Monde d'En Bas
comme l'univers primordial des 'jai bia', mais cela
avant la naissance des jumeaux primordiaux, dont l'un
créa les plantes, les animaux, l'eau et tous les Embera
- avant de monter vers le Haut pour s'y transformer en
soleil - alors que l'autre, premier de tous les
chamanes ('jaibana') fut aussi un héros civilisateur et
protecteur des Embera face à tous les maux. Selon ce
mythe, c'est à la suite d'un affront, infligé par les
Embera à ce second jumeau (appelé Acoré) que celui-ci
les abandonna pour monter vers le haut par le pilier

261 Civilisations

This content downloaded from 41.243.17.140 on Fri, 05 Apr 2024 12:16:51 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
central de sa maison - la f tambo1 embera primordiale,
maison ronde sur pilotis. Mais auparavant, il "détacha"
les esprits malveillants (fjaif) de l'air et de la
forêt, jusque là contrôlés par lui : aussi la maladie
et la mort firent-elles ainsi leur apparition dans le
monde embera et les morts enterrés commencèrent à "des-
cendre" pour peupler désormais le Monde dfEn Bas, en
contiguità avec les f jai biaf.

Dès lors que Caragama, le premier des jumeaux a


crée tous les Embera, personne après lui ne peut plus
en faire de nouveaux. Mais le "chemin d f Acoré"
constitué par le pilier central de la 'tambo' primor-
diale, profondément enfoncé dans la terre d'une part,
et pointant vers le Haut d'autre part -, que le second
jumeau créa en montant vers le ciel, reste désormais
ouvert pour les hommes. En effet, c'est en suivant
ainsi, cet axe cosmique que les morts "remontent" de-
puis lors du Monde d'En Bas sous forme de foetus, quand
le mouvement 'je', se manifestant dans le coït réalisé
au pied de ce pilier central , les y appelle.

Dès lors, l'utérus de la femme enceinte devient


l'habitacle d'un être qui conjugue en lui indissoluble-
ment mort et vie et qui arrive d'un univers préhumain,
devenu également celui des morts; un lieu de passage
circulaire à partir duquel se renouvelle constamment la
même ethnie embera que créa Caragama. Mais ce mouvement
de "retour" qu'est ici la conception n'implique aucune-
ment dans la pensée embera des réincarnations succes-
sives personnalisées. Il s'agit bien plus d'une circu-
lation anonyme et générale des Embera primordiaux entre
deux mondes, sexes, groupes résidentiels, et de filia-
tion confondus, dont la seule limite est constituée par
celle de l'ethnie. En d'autres termes, ceux qui furent
créés Embera "remonteront" toujours comme tels, mais
ils peuvent le faire à n'importe quel lieu du terri-
toire ethnique et passant d'un sexe à l'autre.

262 Civilisations

This content downloaded from 41.243.17.140 on Fri, 05 Apr 2024 12:16:51 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
Aussi le foetus apparaît-il comme la manifestation
du retour incessant du primordial, en mime temps qu'un
être neuf et inconnu; à la fois en-deçà et au-delà du
monde humain du présent. C'est donc à partir de ce
statut doublement "étranger11 qu'il devra progressive-
ment parvenir à la condition humaine socialisée.

* #

Dès les premiers signes de la grossesse, la future


mère et le géniteur devront prendre garde à ne jamais
passer sous un arbre fruitier, à ne toucher ni les
fruits, ni les plantes, à ne pas en semer les grains,
au risque de frapper les végétaux touchés de stérilité.
Tout se passe ici comme si le processus de la grossesse
était lié, sous forme d'une "capture", de fertilité à
celui de la croissance de l'univers végétal, univers
qui semble justement pour les Embera, symboliser le
lien idéal entre les trois étages du cosmos; enracinées
dans la terre (accès au Monde d'En Bas), les plantes
poussent vers le Haut, lieu de retraite des Créateurs,
tout en passant par le monde humain.

Par ailleurs, la femme enceinte doit toujours


dormir à la chaleur et à la lueur du feu de cuisine; le
froid et l'obscurité risqueraient en effet de
compromettre la santé mentale de son enfant. Ce froid
et cette obscurité, un mythe les associe justement au
Monde d'En Bas, opposé à celui des hommes, en ce que
ses habitants sont censés dormir le jour et vivre la
nuit, de même qu'aucun feu de cuisine ne les réchauffe
car ils ne mangent pas. Dès lors, le foetus qui en
vient, apparaît en quelque sorte "cru"; la chaleur du
feu de cuisine, transformatrice du naturel en culturel
(de l'aliment cru en nourriture humaine) doit chauffer

263 Civilisations

This content downloaded from 41.243.17.140 on Fri, 05 Apr 2024 12:16:51 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
progressivement cet être préhumain pour qu'il puisse
parvenir à la capacité pleine de communication et
d'échange dans le monde des hommes qui l'accueillera,
capacité dont le manque pour les Embera est synonyme de
folie. Par ailleurs, l'exigeance de lumière pour la
bonne croissance de l'enfant semble renvoyer encore à
la métaphore végétale : à celle du mûrissement des
plantes, êtres vivants reliant les trois étages de
l'univers Embera, tout comme l'humain mortel apparaît
dans les mythes le produit conjoint de ceux-ci.

Veiller au respect de ces prescriptions est du


ressort des "vieilles mères", belles-soeurs, tantes ou
soeurs plus âgées, ayant déjà procréé des enfants sains
et souvent même de la mère de la femme enceinte. C'est
sous la direction de l'ainée, celle qui par sa
ménopause a définitivement achevé son cycle de
procréation que ce groupe de femmes va ériger une
petite cabane pour l'accouchement à l'intérieur de
l'espace ordinairement voué aux hommes dans la 'tambo'.
Cette cabane sera faite de feuilles de palmier tressées
et de 'paruma' entrelacées des "vieilles mères" (La
'paruma' est une pièce de tissu que l'on enroule autour
de la hanche et qui constitue le seul vêtement des
femmes embera). Le jour venu, la parturiente y sera
assistée pour 'toi', pour 'adaui'. Le premier de ces
termes signifie en embera "naître", "accoucher", "écla-
ter", et le second "naître", "apporter", "mettre à
l'extérieur" et recevoir". Ces deux champs sémantiques
alternatifs recouvrent autant l'acte d'accoucher que
l'acte de naître, la notion d'apporter autant que
celle de recevoir. Mère et enfant apparaissent ici
soudés, en étroite symbiose, non-individués l'un par
rapport à l'autre, tous deux marqués par leur relation
ambigue à l'univers d'origine de l'enfant (le Monde
d'En Bas). Relation que codent en se chevauchant les
termes "apporter" et "recevoir".

264 Civilisations

This content downloaded from 41.243.17.140 on Fri, 05 Apr 2024 12:16:51 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
Aussi est-ce par rapport à cet état de symbiose
totale et à cette relation à l'origine qu'interviennent
les "vieilles mères" de la famille étendue. Une fois la
parturiente installée dans l'isolement de la petite
cabane, elles masseront et presseront son ventre pour
que l'accouchement puisse satisfaire aux critères em be-
ra de sa réussite : la future mère, accroupie ou à
genoux doit accoucher rapidement, sans crier, ni gémir
et en participant elle-même aux massages destinés à
accélérer le travail. Ces gestes et leur trajet sur le
corps de la parturiente sont fondamentalement identi-
ques à ceux qu'emploie le chamane pour "faire remonter"
ou pour "faire descendre" le 'jai' (entité surnaturel-
le malfaisant )ou le projéctil magique létale logés dans
le corps de son malade, lors des cérémonies thérapeuti-
ques. Ce paraléllisme semble suggérer qu'il s'agit là
d'un traitement chamanique du corps de la parturiente,
comme si le groupe des "vieilles mères" et même l'ac-
couchée assumaient là un comportement chamanique face à
la conjonction qu'est la grossesse entre un corps de
femme et un être venu d'ailleurs - l'enfant. Si pour
assurer la guérison le chamane doit opérer une
disjonction entre le corps humain et l'agent du mal,
ici de toute évidence, l'enjeu est également une
disjonction qui doit s'effectuer pour casser une double
symbiose. C'est pourquoi, une fois le nouveau-né appa-
ru, ces gestes seront suivis d'autres qui constituent
ce que nous pourrions appeler le travail sur la sépa-
ration. Seule la plus âgée des "vieilles mères" - la
femme ménopausée - est habilitée à couper le cordon
ombilical avec une machette chauffée à blanc sur le feu
de cuisine ou avec ses propres dents; elle devra pren-
dre soin de le faire à une distance de deux doigts du
nombril s'il s'agit d'un garçon et de trois doigts si
le bébé est une fille. Le non-respect de cette règle
aurait pour conséquence de générer des personnalités
ambiguës et mal-sexuées; des hommes timides, mauvais
chasseurs, stériles ou qui auront des enfants morts-

265 Civilisations

This content downloaded from 41.243.17.140 on Fri, 05 Apr 2024 12:16:51 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
nés, où des femmes autoritaires, soit stériles,
soit trop fertiles, -menaces en symétrie inverse de
l'équilibre du monde culturel embera.

Dans certains sous-groupes embera, après avoir


coupé le cordon, la "vieille mère" le moud et le donne
à boire à la parturiente "pour faciliter la descente
des enfants à venir". Tout se passe comme si cette
pratique rituelle tissait de cordon ombilical à cordon
ombilical un lien supplémentaire de consanguinité entre
tous les enfants à l'intérieur de l'utérus maternel. De
plus, elle ce lieu - considéré par les Embera comme
potentiellement dangereux et sauvage, échappant en
grande partie au contrôle culturel des hommes - comme
plaque tournante symbolique entre le Monde d'En Bas des
morts, origine des enfants et l'univers de leur arri-
vée, le groupe humain d'accueil, entre lesquels le lien
à la fois charnel et symbolique serait ce cordon ombi-
lical qui fait toujours retour vers l'intérieur du
corps maternel.

C'est également la femme la plus âgée qui reçoit


le placenta, mais son enterrement dans le fin fond de
la forêt sera du ressort de tout le groupe féminin des
"vieilles mères". Cet espace sauvage, ici destination
ultime du placenta est associé au chamane ('jaibana')
et est censé lui "appartenir"; c'est là que dans la
solitude il poursuit souvent ses dialogues et
négociations oniriques avec les fjai', en vue
d'identifier une maladie, pour la guérir ou encore pour
en causer une à un ennemi. Par ailleurs, ce lieu diffus
est également considéré, comme une des voies d'ouver-
ture vers le Monde d'En Bas. L'on peut donc dire que le
corps placentaire est ainsi renvoyé là d'où il est
censé être venu avec l'enfant : dans l'univers d'enti-
tés surnaturelles et d'êtres qui sont en-deçà de la
séparation vie/mort. Y faire retourner le placenta en
l'enterrant, équivaut à traiter celui-ci comme un cada-
vre; en d'autres termes, à mettre à mort cette partie

266 Civilisations

This content downloaded from 41.243.17.140 on Fri, 05 Apr 2024 12:16:51 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
de l'enfant, qui signait sa différence d'avec les hu-
mains du commun, ainsi que son appartenance à ce
monde primordial de l'origine. L'enterrement du placen-
ta permet donc d'en détacher définitivement l'enfant,
de manière à ce que son origine ne laisse pas la moin-
dre trace dans le territoire culturel qu'est l'espace
d'habitation. En même temps cet acte constitue aussi un
prolongement du comportement chamanique des "vieilles
mères", par cette intrusion dans ce lieu d'ouverture
vers le Monde d'En Bas, totalement prohibée aux non-
chamanes, en dehors de ce contexte rituel.

Mais avant ce départ avec le placenta ce groupe de


femmes a encore à s'occuper du corps du nouveau-né.
Immédiatement après la coupe du cordon ombilical la
plus âgée doit procéder à un rite, appelé
' 1' ombligado' . Il consiste à frotter la tête, les yeux,
la bouche où les extrémités du bébé avec des yeux,
griffes, oreilles, pattes, ou dents réduits en poudre
d'un animal sauvage où à le lui donner à boire. Le même
procédé s'effectue sur le corps de la petite fille avec
de la poudre d'une plante sauvage, choisie également
par la mère pendant sa grossesse, en collaboration avec
les "vieilles mères",

L'introduction rituelle de ces substances, repré-


sentations métonymiques d'animaux ou de plantes, est
source d'identité à deux titres pour le nouveau-né.
S'il s'agit d'un garçon, son destin le rattachera à
l'univers des animaux de chasse auxquels il doit deve-
nir en quelque sorte semblable en acquérant par ce
premier corps-à-corps partiel leur "force" : la vertu
spécifique qui permet à chaque espèce de défier, d'at-
taquer où d'esquiver le chasseur et qui est onsidérée
d'ordre masculin. S'il s'agit d'une fille, elle sera
liée au règne végétal, participant de sa "force" te-
nace, d'ordre féminin selon les Embera. Par ailleurs,
le choix spécifique de l'espèce animal ou végétale -
qui est du ressort exclusif des femmes - sélectionne

267 Civilisations

This content downloaded from 41.243.17.140 on Fri, 05 Apr 2024 12:16:51 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
des caractéristiques, dont la transmission au nouveau-
né par ce contact rituel métonymique crée la base de
son identité individuelle, par laquelle il se distin-
guera d'autres garçons ou filles embera. Ce choix peut
aussi influencer dans une certaine mesure celui que
feront plus tard les hommes de l'unité résidentielle :
l'attribution d'un nom d'animal au garçon et d'un nom
de plante à la fille, nom qui fera passer au niveau du
langage ce lien constitutif avec le monde animal ou
végétal que leur corps a reçu préalablement de la main
de la "vieille femme".

Ce rapport implique l'ensemble du corps de l'en-


fant; pourtant le nom du rituel - le plus souvent
évoqué en espagnol ('ombligado') - renvoie uniquement à
l'ombilic, champ par excellence du lien, où doit adve-
nir la coupure. Celle-ci met fin à la symbiose mère-
enfant et à celle de ce couple avec le monde de l'ori-
gine pour inaugurant ainsi la voie sociale de l'indivi-
duation pour le nourrisson. 'L' ombligado' signe donc
l'arrachement de l'enfant à sa condition pré-humaine
symbiotique, mais ce pour le relier aussitôt - avec
tous ses organes de sens et de locomotion - au règne de
la nature qui pour les Embera, est sexué.

Ensuite, c'est à nouveau l'aînée des femmes qui


prend le nouveau-né pour l'emmener vers le feu de
cuisine qui est cette fois alimenté avec des bois
précieux - notamment ceux dont on fabrique les piliers
des maisons et les pirogues. Elle va le maintenir au-
dessus du feu, "l'enfumer", "pour qu'il soit plus
fort". Ainsi l'enfant "cru", encore insufisamment hu-
main, qui vient d'être lié à la nature sauvage, semble
devoir passer par la "cuisson" du feu domestique, feu
de la famille étendue, pour être inscrit dans l'espace
culturel de la maisonnée, celle de son lignage paternel
ou maternel, mais aussi, plus généralement, dans l'or-
dre culturel du monde, celui de la cuisson des ali-
ments, du refus du cru sauvage. Cependant le feu

268 Civilisations

This content downloaded from 41.243.17.140 on Fri, 05 Apr 2024 12:16:51 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
constitue une manière féminine de transformer la nature
en culture, le non-humain en humain; de même que le
premier lien tendu vers la nature, celui-ci, son intro-
duction dans l'ordre culturel sera encore tissé pour le
nouveau-né par l'univers féminin. Mais le groupe des
"vieilles mères" en représente justement les limites,
condensées dans la figure de l'ainée à laquelle la
ménopause a permis d'accéder à un statut-charnière
entre le féminin et le masculin. C'est donc un univers-
limite entre les sexes, (bien qu'enraciné dans le fémi-
nin) qui l'accueillera au monde, jusqu'au moment plus
tardif de l'attribution du nom par le groupe masculin
qui l'installera dans son identité sexuelle univoque.

Dans d'autres sous-groupes embera du Haut et du


Moyen-Choco, cordon ombilical et placenta ont une autre
destination. En effet, ici, après avoir réalisé "l'om-
bligado" dans l'intimité de la petite cabane
d'accouchement, et après avoir passé l'enfant
du feu de cuisine, l'aînée des femmes (souvent la mère
ou la belle-mère de la parturiente), descend vers la
rivière, en le tenant dans ses bras et en portant
également le cordon et le placenta cachés dans une de
ses 'paruma'. Au bord de la rivière, éloignée, mais
néanmoins visible, pour le groupe des hommes qui y est
rassemblé, elle jette cordon et placenta au milieu du
courant, lave soigneusement la 'paruma' qui les conte-
nait, puis, revenue au bord de l'eau, elle y submerge
le nouveau-né. C'est le moment où le groupe masculin,
avec le géniteur au centre, entre également dans l'eau.
La "vieille mère" remonte ensuite vers la 'tambo' avec
l'enfant, en évitant la rencontre avec la génitrice
qui, aidée par le groupe féminin, descend à son tour à
la rivière pour y être lavée.

Là encore, l'espace qui accueille les délivres -


l'eau et le fond de la rivière -est par excellence un
lieu chamanique ; il est la demeure d'esprits ('jai')
de nature ambivalente dont le déplacement et la nuisan-

269 Civilisations

This content downloaded from 41.243.17.140 on Fri, 05 Apr 2024 12:16:51 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
ce sont plus foudroyants pour l'être humain que ceux
des entités attachées aux espaces de la forêt. Le
chamane mobilise souvent les premiers, soit pour "fer-
mer" le passage sur la rivière, le rendre dangereux,
soit pour lflfouvrir!l, en accélérer le courant, en vue
de retourner une agression, issue des agissements d'un
confrère. Par ailleurs, l'eau elle-même apparaît pour
les Embera comme une substance des plus ambivalentes.
Véhicule privilégié de maléfices létaux, elle est aussi
une substance revitalisante d'une grande puissance;
ceux qui sont dans un état comateux y sont longuement
immergés par le chamane pour retrouver instantanément
leur conscience. Par ailleurs le fond de la rivière,
lui, constitue également une voie d'accès au Monde
d 'En-Bas, un autre espace-limite entre ce dernier et le
monde culturel du territoire.

Lieu de passage entre les mondes, véhiculant une


substance de transformation de nature ambigue, le
courant de la rivière semble encore emporter cordon et
placenta dans un mouvement de retour vers le Monde
d 'En-Bas, dont ces délivres constituent la marque sur
le corps de l'enfant et dans celui de sa mère. En les
jetant dans l'eau, la "vieille mère" fait, là encore,
une intrusion dans le domaine des agissements chamani-
ques, seuls capables de lever et de rétablir continuel-
lement les limites entre les mondes. Ainsi, ce traite-
ment rituel des délivres semble viser le même but
symbolique que celui que nous avons dégagé précédemment
à propos de l'enterrement du placenta : effacer par le
renvoi, les traces de cet ailleurs, lieu de vie et mort
confondus, du territoire culturel de l'habitation embe-
ra.

Les bains - celui du nouveau-né, celui, simultané,


des hommes, puis celui de la génitrice - semblent ex-
ploiter rituellement l'autre volet de la capacité
transformatrice reconnue à l'eau. Si l'immersion du
nourrisson peut être vue comme parachevant sa sépara-

270 Civilisations

This content downloaded from 41.243.17.140 on Fri, 05 Apr 2024 12:16:51 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
tion d'avec son origine, celle de la mère la détache
également des traces de ses liens, ceux qu'elle entre-
tenait avec le Monde d 'En-Bas d'une part, et les liens
symbiotiques qui l'attachaient à son foetus d'autre
part. Mère et enfant se baigneront donc séparément. Par
contre, tout se passe comme si le bain des hommes avait
une visée opposée : par le biais de cette eau partagée,
ils sont rattachés à l'enfant, parvenu à la séparation
d'avec l'univers foetal mis en contact (encore distant)
avec cet être qui vient d'arriver au monde social. Le
courant de la rivière sépare et relie ainsi à la fois
les points d'espace où le nouveau-né, sa génitrice et
son géniteur adviennent, par la vertu transformatrice
de l'eau, à leur nouvelle condition.

De retour à l'espace domestique de la 'tambo', le


corps du nourrisson et celui de sa mère, sont repris en
charge par le groupe des "vieilles mères", pour les
enduire chacun de la teinture végétale noire de la
'jagua' (genipa americana). Cette teinture est
considérée comme celle de l'auto-défense contre les
dangers venant de l'extérieur. Les Embera adultes -
hommes et femmes - l'utilisent aussi bien avant les
expéditions de chasse ou de cueillette que pour
assister à une cérémonie chamanique, voyager à
l'extérieur de l'unité résidentielle, séduire un membre
de l'autre sexe, ou encore pour leur dernier voyage :
la mort. Elle apparaît donc comme instrument d'une
protection de soi quand il faut affronter un extérieur
ou une transformation; elle constitue une défense con-
tre la "contagion" de l'Autre, de l'Ailleurs, en
"cachant le visage", comme disent les Embera. C'est
donc la couleur de l'anonymat qui fond l'individu dans
le groupe ethnique. Ainsi, "coupé" de sa génitrice et
de son origine, relié individuellement à une espèce de
la nature, "cuit" sur le feu du lignage, et couvert de
la teinture de 'jagua', l'enfant peut, sans danger pour
son destin autonome futur, retrouver le contact corpo-
rel avec sa mère. Le groupe des "vieilles femmes" a

271 Civilisations

This content downloaded from 41.243.17.140 on Fri, 05 Apr 2024 12:16:51 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
cassé sa double symbiose avec elle et avec le monde
pré-humain de son origine : le voilà devenu individu
social.

Un mythe raconte que Caragabi-Caragama le Créa-


teur, fabriqua les premiers Embera en produisant à
partir de rien, des gouttes d'eau qu'il mit chacune
durant une nuit, en-dessous d'une calebasse neuve d'où
il vit surgir le lendemain les premiers humains. Mais
quand il voulut en faire des guerriers, il ne s'arrêta
pas là; il frotta leur corps d'yeux de jaguar et de
chat sauvage pulvérisés pour qu'ils voient dans
l'obscurité et aient l'agilité silencieuse de ces ani-
maux. Ensuite, il leur apprit à faire de même sur leur
propre corps; ainsi leur donna-t-il la victoire sur les
Cuna (6).

Interrogés sur les pouvoirs agressifs du chamane,


les Embera mentionnent souvent l'un de ses méfaits, en
le référant également à un récit mythique; pour augmen-
ter sa "force", face à l'hostilité des humains, le
chamane peut "prendre 1' ombligado" d'une personne, en
touchant subrepticement sorjbras. La victime de ce pro-
cédé devient vulnérable, sans défense devant les ani-
maux qui le blesseront mortellement à la première expé-
dition de chasse alors que la "force", énergie vitale
résultant du lien rituel avec un animal inscrit sur son
corps à sa naissance passe à enrichir le pouvoir
chamanique. Cette agression est réputée incurable, car
si tous les chamanes sont censés pouvoir prendre "1! om-
bligado" d'une victime, aucun n'est capable de le
redonner : le don de ce lien-force est inaccessible au
pouvoir chamanique, il appartient exclusivement aux
"vieilles mères" et à l'espace-temps de la naissance.

Aussi voit-on la figure de ces femmes chevaucher


les champs de pouvoir de deux personnages masculins
puissants, opposés à plus d'un titre. Dans le mythe,
nous voyons Caragabi-Caragama, le Créateur, achever

272 Civilisations

This content downloaded from 41.243.17.140 on Fri, 05 Apr 2024 12:16:51 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
ses propres créatures (toutes masculines), les parfaire
par le premier 'ombligado', puis leur transmettre son
savoir. Aucun mythe embera connu ne rend compte du
passage de ce savoir rituel de lflf ombligado" à partir
de la masculinité guerrière du mythe à l'univers rituel
des femmes qui en est aujourd'hui le seul détenteur. En
somme, ces "vieilles mères", héritières du Créateur,
font plus que lui : elles "achèvent" les enfants (des
deux sexes) des autres et c'est là justement leur rôle
fondamental: en coupant le lien symbiotique autarci-
que et anti-social entre la mère et l'enfant, leur
médiation permet d'implanter à sa place un lien à la
nature, puis au lignage et à son territoire, liens qui
ouvrent le petit homme à la règle humaine de l'échange
et de l'interdépendance. En passant dans l'univers des
femmes, accomplies à travers des maternités réussies,
ce pouvoir humanisateur du pré-humain d'origine mythi-
que masculine et qui y fonctionne en circuit fermé, se
déploie toujours ici comme tiers sur les enfants des
autres. Ce rôle médiateur entre l'univers des morts et
des esprits (d'où viennent les enfants), d'une part et
celui de la nature et de la maisonnée, d'autre part
apparaît ainsi comme donneur de liens qui remplacent
celui, unique et duel du cordon ombilical.

Pourtant nous l'avons vu : pendant l'accouchement,


les "vieilles mères" assument des gestes de chamane et
ensuite, font une intrusion dans l'espace de ce dernier
en y portant le placenta; elles endossent donc les
traits identitaires de leur adversaire rituel, de celui
qui seul peut "voler" le lien constitutif d'identité,
dont à l'image de Caragabi, elles font don aux petits
humains. A considérer de plus près la succession des
séquences rituelles que président les "vieilles mères",
il apparaît que les actes qu'elles posent autour de la
mise au monde et en rapport avec les matières symbioti-
ques foetales (cordon et placenta), les placent dans
l'univers chamanique, alors que le traitement rituel du
corps du nouveau-né les situe dans le sillage mythique

273 Civilisations

This content downloaded from 41.243.17.140 on Fri, 05 Apr 2024 12:16:51 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
du Créateur. Tout se passe comme si le travail de
l'accouchement, de même que le surgissement du cordon
et du placenta faisaient apparaître, dans l'espace
domestiqué de la maisonnée et de l'unité résidentielle,
l'univers sauvage, pré-humain et puissant du Monde
d 'En-Bas et comme si la seule façon de couper cette
conjonction dangereuse et de tuer en quelque sorte dans
le nouveau-né l'étrangeté de cette origine primordiale,
était d'empiéter sur le pouvoir chamanique, seul capa-
ble de maîtriser et de repousser l'invasion de cet
univers sans en être affecté. Après ce travail de
coupure et de renvoi radical qui est de l'ordre de la
prise (couper, enlever), caractéristique de l'activité
chamanique, l'implantation, le don de liens qui substi-
tuent symboliquement la symbiose a-humaine avec 1' Ail-
leurs semble commander l'opposition radicale au chama-
nique, (lié au Monde d'En-Bas), par le déploiement de
gestes rituels, associés, eux, a Caragabi, le Créateur
et à son monde, celui du Haut.

Après l'onction rituelle des corps de la mère et


de l'enfant par la 'jagua', les "vieilles mères" procè-
dent au démontage de la petite cabane d'accouchement,
permettant ainsi aux hommes de réintégrer la 'tambo' et
à la nouvelle mère d'occuper avec son bébé sa place
habituelle à l'arrière de la maison. Ainsi s'achève le
processus symbolique ď individuation du couple mère-
enfant et le travail rituel des "vieilles mères". Elles
retrouvent leur maisonnée et leurs occupations quoti-
diennes; leur pouvoir de "sage-femme" ne leur offre
aucun statut particulier, en dehors de l'espace-temps
des naissances. Cette puissance est liée à une étape de
leur vie de femme et ne relève d'aucun apprentissage.
Si leurs agissements "chamaniques" autour de la mise au
monde les constituent comme groupe, seule la plus âgée
que sa ménopause et son statut maternel par rapport à
l'accouchée marque d'un pouvoir rituel particulier peut
effectuer le rite de 1' "ombligado' et celui du feu qui
marquent le corp de l'enfant. Elle émerge ainsi comme

274 Civilisations

This content downloaded from 41.243.17.140 on Fri, 05 Apr 2024 12:16:51 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
individu; au-delà de sa capacité de séparer (qu'elle
partage avec le groupe), elle peut également unir,
établir et donner les liens, étant elle-même un être-
charnière entre une féminité déjà accomplie et l'uni-
vers des hommes.

La "sage-femme" noire : du nombril à la communauté

Pour les Afro-Colombiens du Choco, si l'acte


sexuel est une "affaire humaine" , qui admet et suppose
l'utilisation de procédés magiques de séduction,
correspondant à une manipulation du corps d 'autrui par
le biais d'une de ses parties (cheveux, sécrétions,
ongles, vêtements), la conception, par contre, est
considérée comme une "affaire divine" , qui vient du
Haut" et introduit donc Dieu comme médiateur entre
l'homme et la femme. Cette pensée place également l'o-
rigine des enfants dans un ailleurs extra-humain, mais
celui-ci est censé être un espace "en Haut", entière-
ment positivisé, celui même de la création divine des
premiers hommes. Ici, l'enfant surgit dans le triangle
formé par Dieu et ses géniteurs et son arrivée sera
considérée comme une "descente" du Haut où avant sa
conception il fait partie de la multiplicité des "pe-
tits anges sans sexe" que sont les futurs enfants. Mais
si ce lieu de son origine est le même que celui où
peuvent retourner après leur mort, ceux qui ont satis-
fait, aux critères éthiques de la "bonne vie" et de la
"bonne mort", la seule acco intance qui est pensée ici
entre les morts et la conception s'exprime dans le cas
d'enfants décédés en bas âge (jusqu'à trois ans à peu
près) qui sont censés redevenir des "petits anges" et
par conséquent peuvent être "renvoyés" vers le même
couple sous une autre forme et un autre sexe.

La grossesse est censée changer la nature


thermique fondamentale de la femme, qui, dans la
conception afro-colombienne, caractérise et définit
tout être vivant et même inanimé; elle la rend "chaude"

275 Civilisations

This content downloaded from 41.243.17.140 on Fri, 05 Apr 2024 12:16:51 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
dans la mesure où elle ne perd plus de sang - de même
que ses règles sont supposées la rendre "froide11.
L'état de grossesse l'approche donc du corps masculin,
considéré comme "chaud" et "fermé" (sans écoulement
périodique de substances corporelles). Mais, pour
éviter un "échauf fernen t" excessif et pathologique, la
femme enceinte ne doit consommer que des aliments de la
catégorie "froide" ou "tiède". Pendant le dernier mois
de sa grossesse, elle a soin de prendre chaque jour une
infusion de plantes "tièdes", destinée à "ouvrir" son
corps et le préparer au "refroidissement" consécutif à
l'accouchement et à l'allaitement; ainsi que des purges
d'huile de palmier censés laver la "saleté" de l'enfant
à naître. Ces breuvages sont préparés par ses soeurs
aînées, ses tantes, ou même par sa mère, qui veillent
également à ce qu'elle ne dorme pas trop et qu'elle
réalise normalement toutes ses activités jusqu'au
dernier moment, car dans le cas contraire l'enfant
pousserait trop dans son ventre et risquerait de donner
des complications lors de l'accouchement, de même
qu'une fois né, il deviendrait paresseux.

La future mère doit accoucher dans sa propre


maison, désertée pour la circonstance par le géniteur
et les autres enfants; seules l'entourent ses soeurs
aînées, tantes et belle-mère (très rarement sa propre
mère) et elle accouche en présence d'une accoucheuse-
guérisseuse du village. C'est cette dernière qui coupe
le cordon ombilical et reçoit le placenta; par ces deux
actes, commence la constitution de la personne du
nouveau-né. Ici, tout comme chez les Embera voisins,
l'accoucheuse doit, couper le cordon à deux doigts de
longueur si l'enfant est un garçon et à trois doigts
s'il s'agit d'une fille. Il est fondamental de
respecter rigoureusement cette règle; une négligeance
aurait pour conséquence de faire surgir des
personnalités ambiguës : garçons efféminés qui
parleront trop et d'une voix aiguë; qui ne chasseront
pas et n'auront pas (ou peu) d'enfants, ou filles

276 Civilisations

This content downloaded from 41.243.17.140 on Fri, 05 Apr 2024 12:16:51 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
masculinisées, se désintéressant de la maison,
violentes et stériles, ou dont les enfants mourront
jeunes.

Ainsi, pour les Noirs de même que pour les Embera


du Choco, l'identité sexuelle apparaît insuffisamment
conditionnée par la conception et la grossesse identité
sexuée dont la labiate semble être liée à l'origine
• extra-humaine mime de l'enfant. Cette conception semble
considérer le sexe définitif comme attribut distinctif
du seul être humain (déjà né), attribut dont cette
première représentante de la société d'accueil, la
"sage-femme", peut et doit lui faire don, en en respec-
tant la marque corporelle visible, et en "l'achevant"
en quelque sorte par la bonne longueur du cordon.

Ce role de "donneuse de sexe" de l'accoucheuse se


prolonge ici, au-delà du moment de la naissance propre-
ment dite : c'est elle qui ira seule et sans que
personne ne la voie, enterrer le placenta et le cordon,
soit en-dessous de la maison, entre ses pilotis, soit à
l'orée de la forêt, de préférence sous un arbre dont
les fruits ont des vertus a stringe ante s, arbre qui
deviendrait ainsi la propriété de l'enfant. Laisser le
cordon ou le placenta en possession de la mère serait
donner à celle-ci des pouvoirs magiques exorbitants sur
son enfant, par lesquels elle lui ôterait toute
indépendance, l'empêcherait de se marier et d'avoir à
son tour des enfants; en d'autres termes, elle coupe-
rait son accès au destin d'adulte et de membre de la
communauté. Au contraire, le fait d'enterrer le placen-
ta et le cordon dans la terre sous la maison (au lieu
qui correspond à l'emplacement de la tête de la partu-
riente) enracine l'enfant dans le territoire de sa
famille nucléaire qui est partie intégrante de celui de
la communauté villageoise. En les enterrant sous un
arbre, aux confins du village et de la forêt, un rap-
port de possession se noue entre l'enfant et ce terri-
toire-limite, rapport censé engendrer une familiarité

277 Civilisations

This content downloaded from 41.243.17.140 on Fri, 05 Apr 2024 12:16:51 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
(excluant les égarements) avec l'intérieur de la forêt
qui devient ainsi un prolongement du village pour le
futur chasseur. C'est pourquoi l'on préfère le plus
souvent enterrer les délivres sous la maison, lorsque
le nouveau-né est une fille, et sous un arbre lorsqu'il
s'agit d'un garçon. De toute manière, leur enterrement
revêt également une extrême importance, en raison d'un
autre danger qui guette l'enfant par l'intermédiaire
des délivres. En effet, les sorciers, toujours en quête
de "familiers", risqueraient de s'en emparer et acqué-
rir dès lors un pouvoir absolu sur l'âme de l'enfant,
en anéantissant les effets du futur baptême. Cependant,
si la mère a, dans sa famille étendue, un guérisseur ou
une guérisseuse, elle peut - par le biais de l'accou-
cheuse - lui donner un bout du cordon ombilical du
bébé; réduit en poudre par un guérisseur "accompagné de
Dieu", il a des propriétés curatives puissantes contre
toutes sortes de maladies infantiles.

L'ensemble rituel qui vient d'être décrit fait


encore apparaître la "sage-femme" comme "maîtresse de
la coupure" (7); elle détache l'enfant de l'univers
d'où il vient, mais aussi de l'état de symbiose avec le
corps maternel. Seulement, le destin ultérieur réservé
au placenta et au cordon semble sous-tendre pour le
nouveau-né noir un autre rapport au monde que pour le
petit Embera. Ici placenta et cordon seront enterrés
dans la terre-territoire domestiquée du village et non
pas comme chez les Emberas à l'intérieur du corps de la
mère, ou en forêt, ni encore moins emportés par le
courant de la rivière; ils ne sont donc pas expulsés
vers les espaces extra-territoriaux par rapport au
social. Car si l'enfant et son double foetal, le
placenta, sont censés, ici aussi, venir d'un ailleurs,
celui-ci n'est pas un espace pré-humain sauvage, mais
un espace sur-humain de création et de recréation
constante de l'humain : l'espace divin positivisé. Et
si, comme le dit un mythe afro-colombien, le prix de la
condition humaine au sens plein (surgissement d'une

278 Civilisations

This content downloaded from 41.243.17.140 on Fri, 05 Apr 2024 12:16:51 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
différence irréductible entre hommes et animaux, appa-
rition de la mort et de la procréation, de mime que
celle des outils) a été lf éloignement de Dieu par
rapport aux premiers hommes, c'est-à-dire le détache-
ment de ces derniers de l'univers de la création origi-
nelle, il ne s'agit pas ici d'expulser les délivres -
signes de l'altérité de l'enfant, marque de son rapport
proche avec son origine divine - mais au contraire
d'incorporer leur puissance positive dans le territoire
culturalisé du village, ou en cas de naissance mascu-
line, étendre ce territoire par ce biais symbolique
vers la sauvagerie de la forêt. Au lieu de couper
radicalement le contact entre l'enfant et l'univers de
son origine en renvoyant les délivres vers un monde
pré-culturel comme chez les Embera, le traitement noir
des matières symbiotiques semble viser au contraire à
garder les traces de l'origine sur-humaine de l'enfant
dans l'espace culturel, mais en les soustrayant radica-
lement à la manipulation individuelle dont le danger
s'incarne dans le couple mère-sorcier; deux figures au-
delà de la règle culturelle de l'échange, par le pou-
voir qu'ils ont d'enfermer un être humain dans une
relation close, duelle, sans médiation d'un tiers : de
le posséder.

Cependant, le nombril du nouveau-né ne reste pas


longtemps vide : la "sage-femme" veille immédiatement à
y introduire une substance, a "1' ombligar" . Cette
substance peut être d'origine animale : ongles de
tapir, araignée cuite, salive séchée d'anguille,
ossement d'écureuil, d'animaux à corne, plumes brûlées
d'oiseaux, patte de lapin, ossements de cerf sauvage.
Elle peut aussi être d'origine végétale et provenir
alors nécessairement d'une plante curative qui fait
généralement partie de la catégorie classificatoire
"chaud" : dans les deux cas, la substance doit être
réduite en poudre par la guérisseuse-accoucheuse (8).
On peut également 'ombligar' un enfant avec de l'or,
avec l'eau de la rivière, voire avec la propre sueur de

279 Civilisations

This content downloaded from 41.243.17.140 on Fri, 05 Apr 2024 12:16:51 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
la "sage-femme" ou encore avec une plante sauvage de
nature thermique ambigue, la 'yerba del carpintero1
(l'herbe du pic) qui est censée transmettre une capaci-
té spéciale d'ordre masculin permettant de s'en sortir
sans dommage de situations conflictuelles.

Qu'est-ce qui est en jeu dans ce rituel ? Il


s'agit de choisir une propriété, une caractéristique,
associée au porteur de la substance que l'on transfère
alors par un procédé rituel métaphorique dans le corps
de l'enfant, ce qui a pour effet d'établir un rapport
privilégié entre ce dernier et le porteur de la
substance, ou la substance elle-même (l'eau par exem-
ple). Dans le cas de l'or, ou de la sueur de la guéris-
seuse-sage-femme, le rituel de transfert a un caractère
plus métonymique; la substance représente une partie,
censée être médiatrice d'un rapport positif entre l'en-
fant et le tout évoqué par cette partie. Ce sont la
mère et la sage-femme qui opèrent le choix dans la
série classificatoire associant certaines capacités,
caractères, ou forces aux différents éléments du règne
animal, végétal, ou minéral. On estime ces capacités
efficaces dans l'existence humaine individuelle, et le
transfert de celle qui est choisie pour le bébé va
constituer le noyau de son caractère futur qui par le
jeu des compatibilités et des incompatibilités est
censé orienter une grande partie des traits physiques
et psychiques de sa personnalité. Ces substances ani-
males, végétales ou minérales pulvérisées et intro-
duites dans le nombril de l'enfant (lieu de liaison par
excellence) remplacent, dès la naissance, le lien sym-
biotique à la mère et à l'univers surnaturel divin de
son origine. En fait, ce procédé, peut être considéré
comme un discours objectivé, magiquement efficace, tenu
par la sage-femme pour la série métaphorique des
substances précitées qui pourrait être traduit par des
injonctions imperatives fondées sur le principe de
similitude : "Que le garçon soit fort et indomptable
comme le tapir, ou voyageur comme l'eau, obstiné comme

280 Civilisations

This content downloaded from 41.243.17.140 on Fri, 05 Apr 2024 12:16:51 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
l'araignée, rapide et fertile, comme le lapin, aventu-
rier et partout chez lui comme les oiseaux; que la
fille soit soigneuse avec ses enfants comme la poule,
fertile et bienveillante comme les plantes curatives"
etc. Dans d'autres cas, le discours, impératif est
plutôt métonymique : "Que la poudre d'or dans son
nombril attire vers lui l'or du fond des rivières;
qu'il ait la "chance minière", que la sueur de la
guérisseuse transfère en lui son "entendement", lui
facilitant ainsi l'apprentissage du savoir guérisseur".
Il faut remarquer que l'acquisition de caractéristiques
précises, délimitées et quotidiennes paraît se situer
plutôt du côté de la série métaphorique, alors que les
capacités-forces plus diffuses, plus obscures, concer-
nant des domaines de nature ambigue qui ne sont que
partiellement controlables par l'humain (la "chance
minière" et la condition de guérisseur qui supposent
toutes deux un rapport privilégié avec des univers non-
humains) se placeraient plutôt dans la série à prédomi-
nance métonymique.

Les substances qui relèvent du règne animal sau-


vage servent exclusivement à "ombligar" des garçons,
exception faite de l'araignée et du lapin sauvage dont
on souhaite transmettre les caractéristiques de rapidi-
té, ténacité et de fertilité facile dans les personna-
lités féminines. La poudre des plantes (plus souvent de
la série "chaude", mais parfois aussi de celle des
"tièdes") constitue également le lot des filles. Les
plantes choisies sont presque toujours des plantes
curatives, domestiquées à partir d'une variante semi-
sauvage de celles qui poussent hors du village, à
l'orée de la forêt mais non pas à l'intérieur de celle-
ci, et se trouvent près de l'eau. Elles sont sensées
transmettre leur caractère chaud (lié à la grossesse
chez la femme), inoffensif, facile à multiplier, de
même que leur capacité "d'être chez elles" aussi bien
dans le village (dans les petites plantations de plan-
tes curatives et aromatiques cultivées par les femmes

281 Civilisations

This content downloaded from 41.243.17.140 on Fri, 05 Apr 2024 12:16:51 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
derrière chaque maison, près du domaine féminin de la
cuisine) que dans ces espaces de voyage et de transit
que sont les berges solitaires près du village aux
limites de la forêt qui correspondent aussi aux espaces
de la mine aurifère féminine.

L'eau douce de la rivière, la poudre de certains


poissons rapides, mais non dangereux, et la sueur de la
guérisseuse servent indifféremment pour les garçons, et
les filles. Toutefois, il arrive que l'on utilise la
sueur d'un guérisseur-homme (cependant absent à
l'accouchement) pour les garçons, ce qui ne peut jamais
se faire pour les filles. Dans ces cas, le guérisseur
(ou la guérisseuse) en cause devient plus tard
l'initiateur privilégié sinon unique de celui ou de
celle en qui il a métonymiquement transféré son
"entendement". Par contre, il ne saurait devenir
parrain de cet enfant, donneur de son nom par le biais
du rituel du baptême : ce cumul de dons, la coexistence
d'un lien de nature magique et centré sur le corps avec
celui d'une nature religieuse de l'ordre du langage
apparaît inconcevable pour la pensée noire, car elle
court-circuiterait l'un par l'autre.

Quel est, dès lors, le rapport qu'instaure la


sage-femme entre le nouveau-né et les porteurs de ces
substances par le biais de ce rituel ? Ici, tout comme
chez les Embera, il n'existe pour l'enfant aucune
prohibition de manger l'espèce porteuse de la substance
"ombligada". Au contraire, il s'agit dans les deux cas,
d'un rapport privilégié de familiarité, de contiguité
entre le porteur et la personne "ombligada", rapport
déployé pour chaque sexe dans la logique culturelle de
leur être : les garçons chasseront (mettront à mort)
plus souvent que d'autres, l'animal dont ils possèdent
la substance, alors que les filles domestiqueront et
multiplieront "leur plante" avec plus de succès que
d'autres. Ils amasseront plus d'or que d'autres et
maîtriseront mieux que d'autres l'eau tourbillonante

282 Civilisations

This content downloaded from 41.243.17.140 on Fri, 05 Apr 2024 12:16:51 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
des rivières, s'ils portent ses substances en eux. En
même temps, la vertu transférée les rend également
moins vulnérables face a l'ensemble du règne animal ou
végétal ("plus familiers" comme le disent les Noirs),
en les dotant aussi d'une "force" spécifique, face aux
aléas de la vie sociale.

Tout se passe comme si pour ces deux sociétés,


être "un peu" animal ou plante était constitutif d'une
condition humaine accomplie, alors que la disjonction
de l'être humain par rapport à l'univers surnaturel
d'où il vient apparaît, elle, comme la condition même
de sa survie. C'est ce travail de coupure et d'union,
de constitution d'une identité sexuelle univoque
qu'effectuent les "vieilles mères" embera, avec des
gestes enracinés dans le mythe, de même que la
guérisseuse-sage-femme noire dont aucun mythe afro-
colombien connu ne sous-tend l'agissement rituel. Ce-
lui-ci est pourtant parallèle aux pratiques embera,
mais non pas identique. La sage-femme noire, par l'en-
terrement conjoint du placenta et du cordon, lie l'en-
fant au territoire communautaire en y incorporant quel-
que chose de détaché de l'enfant. Par contre, en don-
nant à boire à la génitrice le cordon réduit en poudre,
l'aînée des "vieilles mères" embera lie l'enfant, à
l'intérieur du corps maternel, aux membres déjà venus
ou à venir de sa fratrie, alors qu'elle expulse le
placenta hors du territoire culturel; puis par la
fumée du feu domestique, elle enracine encore l'enfant
dans sa famille étendue. Les Embera, ethnie tradition-
nellement itinérante, aux unités résidentielles atomi-
sées, instables et d'une dissolution facile, semblent
penser ce travail d'attachement de l'enfant par quelque
chose de détaché de son corps, non pas en termes de
territoire communautaire ethnique, mais en termes de
maisonnée, de consanguinité, seule unité stable de la
vie sociale actuelle des Embera.

283 Civilisations

This content downloaded from 41.243.17.140 on Fri, 05 Apr 2024 12:16:51 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
Par contre, la "vieille mère" embera et la sage-
femme noire vont, toutes deux, remplir le vide d'un
nombril en y implantant par la médiation d'une substan-
ce un lien au règne naturel qui incarne culturellement
le destin et le génie de chaque sexe; par un procédé
rituel symétriquement inverse, par rapport au traite-
ment des délivres, elles y introduisent, elles y
attachent quelque chose - une partie détachée du corps
animal ou végétal. Seulement, chez les Noirs, le seul
lieu corporel ainsi investi est le nombril - il s'agit
là vraiment d'une substitution symbolique de lien. En
revanche, le rituel implique le corps tout entier chez
l'enfant embera, alors que le nombril n'y existe qu'au
niveau du langage (connotant le rituel). Tout se passe
comme si, faute d'un territoire communautaire stable,
le nouveau-né embera devait s'enraciner davantage dans
la nature, espace intermédiaire entre le monde humain
et l'univers surnaturel.

Derrière la richesse et l'importance symbolique du


rituel autour de la naissance - où se trouve codée leur
fonction fondamentale - émergent ici en creux deux
figures de "sage-femme". L'une est détentrice d'un
pouvoir féminin, fait de coupure et d'attachement, sur
le corps double, symbiotique du couple mère-enfant,
puis sur celui de l'enfant seul; mais ce pouvoir n'est
pas appris : il est lié a une étape de sa féminité
culturellement accomplie. En revanche, si la guérisseu-
se-sage-femme noire est également toujours mère d'une
progéniture multiple, cela n'en fait pas une sage-
femme. Son statut se trouve dans les prolongements de
sa maternité accomplie et de son savoir guérisseur
appris; contrairement à la "vieille mère" embera, elle
ne fait pas partie de la famille étendue de la partu-
riente, elle représente la communauté villageoise plus
vaste, dans laquelle son travail rituel va enraciner
l'enfant.

284 Civilisations

This content downloaded from 41.243.17.140 on Fri, 05 Apr 2024 12:16:51 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
Toutes deux sont issues et représentantes de
l'espace social qui accueille le nouveau-né, mais ni
l'une, ni l'autre ne semblent être présentes à l'accou-
chement pour "aider" la jeune mère, ou calmer son
angoisse. Aucune de ces deux sociétés ne considère en
effet qu'une parturiente doive être "aidée" à réaliser
la mise au monde, signe distinctif de son sexe, pouvoir
inné des femmes "normales", pouvoir sur lequel l'exté-
rieur social ne consent à intervenir qu'en cas de
complications graves qui en constituent la défaillance.
Ce ne semble pas être là, la fonction de ces femmes-
mères qui assistent à l'accouchement .Ces "sages-femmes"
ont un tout autre rôle, d'un enjeu culturel bien plus
important et ambigu : il s'agit d'accueillir cet étran-
ger, messager d'un ailleurs ambivalent pour le monde
humain, et d'atténuer pour celui-ci le danger et la
question posée par sa venue en le dépouillant de ce
caractère d'étranger, pour en faire un être humain,
individu sexué, capable d'échange, membre de sa commu-
nauté ethnique. Elles apparaissent donc au carrefour
des rapports d'une société avec son "ailleurs", son
origine mythique d'avant l'avènement de l'humain :
relais fondamentaux sur le chemin symbolique de l'huma-
nisation.

285 Civilisations

This content downloaded from 41.243.17.140 on Fri, 05 Apr 2024 12:16:51 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
NOTES

( 1 ) La région du Choco - couverte d'une forêt tropicale


pluvieuse dense fait partie de l'Occident colombien
et s'ouvre sur la côte Pacifique. Le nombre de ses
habitants Noirs ou Mulâtres est estimé à
approximativement 320.000, alors que celui des
autochtones Embera - ethnie mobile et atomisée en
petites unités résidentielles isolées en amont des
rivières, dont la langue est issue de la famille
linguistique caraïbe - oscille autour d'une
vingtaine de mille.

(2) Ce prénom espagnol ne sera utilisé par 1' Embera


"baptisé" que lors des contacts extra-ethniques; il
réservera jalousement l'usage de son prénom embera
à l'intérieur de son ethnie.

(3) Voir LOSONCZY, Anne-Marie, Libres et Cholos,


Relations inter-éthniques au Choco (Colombie) in
Pluriel, No 9, Paris, 1980.

(4) VASCO, Luis Guillermo, Los jaibanás, los verd


ros hombres, Ed. Banco Popular, Bogota, 1984.

(5) Recueillis par nous même, contés par le chaman e


Italiano Dumasa et par Jairo M. Guerra.

(6) PINTO-GARCIA, Constancio, Los Indios Katios, vol I.


Medellin, 1979.

(7) Selon l'heureuse formule de Philippe JESPERS


(communicatbion personnelle) .

(8) VELASQUEZ, Rogelio, Ritos funerarios en el Alto


Choco, in Revista Colombiana del Folclor, vol. IV.
No 10, Bogota 196 3 et VELASQUEZ, Rogelio, Cuentos y
leyendas de la raza negra in Revista Colombiana del
Folclor, Bogota, 1959.

286 Civilisations

This content downloaded from 41.243.17.140 on Fri, 05 Apr 2024 12:16:51 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
SUMMARY

The system of inter-tribal relations between the


Afro-Colombian communities in Upper Choco and the small
neighbouring groups of sedentary native Em bera Indians
has its ritual structure in the institution of
'compadrazgo1, i.e. around the child and through the
act of name-giving. In addition, the observation of the
Embera and Negro birth rites has led to the discovery
of some striking parallels, parallels which can justify
our considering everything connected with birth as
deriving in part from ground common to the two groups
and, consequently, our examining the symbolic links
between the two sets of rituals via the persons and
roles of the fmidwivesf who, in both cases, represent
the first point of contact between a new-born baby and
its host society.

287 Civilisations

This content downloaded from 41.243.17.140 on Fri, 05 Apr 2024 12:16:51 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms

Vous aimerez peut-être aussi