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Abdourahman Barkat God

Abdourahman Barkat God


LE PORTRAIT DU NOUVEL ÊTRE
Réflexion sur l’Homme
dans le contexte djiboutien
LE PORTRAIT DU NOUVEL ÊTRE
Philosopher sérieusement nécessite de réfléchir à partir
d’un lieu et d’un temps précis. C’est ce qui s’opère dans cet Réflexion sur l’Homme
ouvrage. Depuis Djibouti – pays indépendant depuis 1977 dans le contexte djiboutien
après plus d’un siècle de colonisation –, l’auteur s’interroge à
juste titre sur l’humaine condition.
Porté par le moule culturel traditionnel mais le détournant à
son profit, pris par des habitudes nouvelles (comme l’extension
de la consommation du khat), usant de la religion sans
discernement, se laissant manier par une trame socio-politique

LE PORTRAIT DU NOUVEL ÊTRE


qui entretient ses faiblesses : que vaut l’Homme ? Quelle
conscience a-t-il de lui-même et des autres ? Que fait-il et que
veut-il ?

Abdourahman Barkat God, né en 1966 à Djibouti, enseigne d’abord


comme instituteur, puis, après l’obtention d’un DEA en 2003, comme
professeur de français au lycée d’État de Djibouti. Il obtient son doctorat
de lettres en 2010 et travaille alors au département des langues du
Centre d’études et de recherche de Djibouti (CERD).

Préface de Farah Abdillahi Miguil

Illustration de couverture : Patrick Singh POINTS DE VUE


ISBN : 978-2-336-40332-8
25 €
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Le portrait du nouvel être


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Points de vue
Collection dirigée par Denis Pryen

Dernières parutions

Serge Eric MENYE, L’Afrique face au cynisme climatique,


2023.
Alpha Oumar Telli DIALLO, La Guinée-Conakry de janvier
2011 à décembre 2015. Le premier quinquennat de M. PPAC
aux commandes du pays, 2023.
Mamadou Dian DIALLO, Résoudre la crise politique en
Guinée, 2023.
Sisi KAYAN, L’Afrique n’a pas besoin d’aide, La
communication au service d’une Afrique debout, 2023.
Birama DIOP, Ousmane Sonko. Le génie politique, 2023.
Tongele N. TONGELE, Pour la renaissance de la RD Congo.
Des idées pour bâtir l’avenir, 2023.
Patience KABAMBA, En finir avec la crise multiforme en RD
Congo ? (Approche dialectique), 2023.
Wuldath MAMA, Abolition du Franc CFA. La renaissance du
panafricanisme, 2023.
Albert PAHIMI PADACKÉ, L’Afrique empoisonnée,
Pathologie et thérapie des conflits, 2023.
Georges TOUALY, Réflexion sur un exil intérieur, Marcel
Amondji dans le texte, La Côte d’Ivoire au cœur, 2022.
Gaston ZABONDO DYNDO, Démocratie africaine,
démocratie consensuelle, 2022.
Tracy TCHINGOUCHI, Sang-voix. Le règlement des conflits
électoraux dans la sphère CEDEAO : les maux et les remèdes,
2022.
Benoît Kouakou OI KOUAKOU, Le Sursaut. Pour le
développement de l’Afrique et le changement social, 2022.
Cyrien KANAMUGIRE, La création de la richesse de la
révolution industrielle à l’ère du numérique, 2022.
Bernard BAMOGO, L’homme est un remède pour l’homme.
L’humanisme de l’Afrique à l’Europe, 2021.
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Abdourahman Barkat God

Le portrait du nouvel être

Réflexion sur l’Homme


dans le contexte djiboutien

Préface de Farah Abdillahi Miguil


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Du même auteur

Paroles du cœur : le vent de la sagesse, @Les Éditions Khamsin,


2022.

© L’Harmattan, 2023
5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris
http://www.editions-harmattan.fr

ISBN : 978-2-336-40332-8
EAN : 9782336403328
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SOMMAIRE

INTRODUCTION ........................................................... 13
I : SON RAPPORT AVEC LE SORT .............................. 21
II : SON RAPPORT AVEC LE VERBE .......................... 41
III : SON RAPPORT AVEC LE RAISONNEMENT ..... 67
IV : SON RAPPORT AVEC LA FOI.............................. 91
V : SON RAPPORT AVEC LUI-MÊME ET LES
AUTRES ........................................................................ 107
VI : SON RAPPORT AVEC LA CULTURE ................. 121
VII : SON RAPPORT AVEC LE PAYS ET LE MONDE 137
VIII : SON RAPPORT AVEC LE FUTUR .................... 157
IX : L’ORIGINE DE LA DÉSORIENTATION ............. 173
X : ACTION DE RÉHUMANISATION ....................... 205
CONCLUSION .............................................................. 227

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A
Saada, Asma, Assia et Yahya
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Préface

« La grande liberté naît de la grande rigueur » disait le


grand poète et philosophe Paul Valéry. Abdourahman
Barkat God est une vie faite de rigueur, de cohérence et de
sobriété. Par son engagement et par son choix de vie, il
incarne la parole libre qui ne souffre d’aucune concession
pour des intérêts bassement matériels dans un monde où
les consciences s’achètent et se monnaient au su et au vu
de tous. Son leitmotiv « vivre simplement, pour que
d’autres puissent tout simplement vivre ». Cette vie simple
faite de rigueur et de renoncement, reste sa grande liberté.
Jusqu’à présent, les Djiboutiens se sont vus et définis à
travers le regard de l’Autre. Ces Européens en quête de
gloire, de profit et/ou d’aventure. Ces récits ont été
tellement intégrés dans l’imaginaire dès les plus jeunes
âges surtout à l’école qu’ils étaient admis comme une
lettre à la poste.
On définit souvent la citoyenneté comme le partage
d’un territoire, d’une histoire et d’un destin. Dans cet essai
socio-psychologique Abdourahman nous parle de ce
nouvel être Djiboutien, façonné par l’environnement
colonial, l’école coloniale, l’indépendance et l’école
nationale. Mais une interrogation me vient à l’esprit. Ce
Djiboutien est-il représentatif du citoyen d’aujourd’hui
dans le pays ? Le vivre-ensemble, source de citoyenneté,
existe-t-il ? La citoyenneté partagée par un destin commun
ne serait-elle pas une illusion ? Sommes-nous capables de
sortir de l’identité tribale pour construire une communauté
de destin ? Autant des questions qui méritent réflexion.

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Pourquoi lire cet essai ? C’est le regard de l’un de nous


sur l’un des nôtres. La déshumanisation de la colonisation
succède à l’infantilisation et à la répression du système
post-colonisation puis l’engrenage suivi de la déchéance
de ce nouvel être.
À la fin, Abdourahman nous livre des pistes de
réflexions. Comment créer un électrochoc pour réveiller ce
nouvel être ? Le remettre sur pieds. Une forme de
conscientisation et de réhumanisation s’impose. Retrouver
« son appartenance à la communauté humaine » devient
un objectif.
La plume d’Abdourahman reste une écriture au service
de la libération. Conduire l’autre vers le chemin de la
liberté.

Farah Abdillahi Miguil

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INTRODUCTION

Dans la déliquescence, chaque époque a son lot de


tragédies, et en effet, l’impact de la perte est souvent lié à
la gravité de ce qui s’est passé dans le temps à répétition.
Depuis la colonisation, le conquérant a réservé au conquis
la plus mauvaise des conditions. Exactement, « en
prétendant vouloir le bien de l’indigène à sa place,
l’appareil colonial ne cherchait pas seulement à bloquer
son désir de vie. Il visait à atteindre et à diminuer ses
capacités de s’estimer soi-même comme agent moral »1.
Certes, l’histoire enseigne des épisodes où la cruauté a
façonné le genre de personnage qui héritait la suite. De la
démence accentuée à la dépression légère en passant par
les nouvelles pathologies, à l’instar de la maladie de
l’émigré, un phénomène associé à l’exode, la victime d’un
quelconque traumatisme développe des comportements
inhabituels.

Dans ce texte, il est question de psychologie, d’histoire


et de sociologie puisque l’épine dorsale de la
problématique reste généralement l’homme. Il s’agit de sa
perception et de sa réaction par rapport au dommage causé
par celui qui l’a agressé. Sachant que l’esprit scientifique
ordonne de s’éloigner de l’approximation et de laisser la
place à l’objectivité, en même temps, il nous faut un
Albert Memmi et un Al-Kawakibi, des gens décrivant
l’atrocité par ce qu’ils avaient vécu. Cet ouvrage s’inscrit
donc dans ce cadre où l’on examine l’attitude de l’individu
surtout quand l’État se meurt. Quand ce qui apparaît
comme le rôle des institutions s’arrête et quand le citoyen
se sent privé de toute sûreté et que chacun espère
appartenir aux évadés. C’est l’état du sujet durant cette
1
Achille Mbembe, Politiques de l’inimitié, p.20

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période de décadence qui fournit la matière de notre


discussion. Bien entendu, le survivant d’une entité étatique
intégralement disparue n’est pas le champ de notre débat.
Ici, l’on ne parle que d’un citoyen vivant encore dans un
pays où rien ne fonctionne.

Dans le passé, il y a eu des exactions dont les


conséquences résonnent encore dans la mémoire des
rescapés. En général, la narration d’un événement horrible,
mais lointain, interpelle relativement moins en
comparaison à une situation identique actuelle. La
souffrance dont on reçoit le châtiment sans intercession de
temps s’installe plus profondément dans la psychologie de
la victime que celle racontée par un rescapé. En fait, l’effet
direct marque à jamais la psychologie. Mais en même
temps, « quand on raconte un évènement, on ajoute
l’émotion provoquée par le récit à l’émotion provoquée
lors de la survenue du fait », et de cette façon, on réunit
« la mémoire du fait et la mémoire de ce qu’on a dit pour
raconter ce fait »2.

Il n’est pas nouveau que certains accaparent un pays et


sa nation, habituellement, ceux-là adoptent la même
méthode et leur profil garde des traits similaires. Le
despotisme « saute, pour ainsi dire, aux yeux, il est
uniforme partout : mais comme il ne faut que des passions
pour l’établir, tout le monde est bon pour ça »3. En
revanche, la cruauté varie selon leur insensibilité puisque
certains gazent leurs sujets et d’autres les enterrent
vivants. Il y a aussi ceux qui procèdent à l’intimidation et
au musèlement créant un climat de terreur. L’on kidnappe
celui qui laisse afficher le moindre comportement de
dignité et d’autonomie pour couper court à toutes sortes de

2
Cyrunlnik Boris, Des Ames et des saisons – Psycho-écologie, p.25
3
Isaiah Berlin, À contre-courant, p.232

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velléités. Les dictateurs ont souvent la même intention et


les résultats finissent par être les mêmes.

De là, résulte la naissance d’un nouveau personnage,


grandi et façonné dans un monde privé de liberté où ce qui
fait l’essence d’un homme se châtie dans l’œuf. Ici, on
estime qu’un système politique fermé et répressif altère la
formation initiale d’un être. Cela constitue donc une
accusation grave à l’endroit de cette forme de régime
puisqu’il s’agit de tromper le citoyen pour qui il devrait
fonctionner. C’est comme un chef de ménage résolu à
détruire sa progéniture, alors que, naïvement, elle lui
accorde une entière confiance.

L’on aura plus tard l’occasion de traiter cette question


délicate qui détermine la raison réelle d’un être déchu. Il
est bel et bien intéressant de diagnostiquer le phénomène
pour apporter une solution adéquate. Souvent, on met
l’accent sur les symptômes, et à partir de là, on envisage
de remédier aux carences. Il faut concentrer l’acharne-
ment sur le pourquoi et non sur le comment, sur le
véritable mobile derrière les symptômes ce qui facilite le
traitement. Ce genre de méthodologie, faisant appel à la
pertinence, convient d’être considéré afin de mieux
résoudre les problèmes. « Celui qui ramène un phénomène
à sa source, son principe le renforce »4.

Mais à ce niveau de notre débat, on se limite à poser la


problématique comme un simple constat. Il s’agit bien sûr
de soutenir l’hypothèse qu’une dictature a tendance à créer
un individu déstabilisé dans sa manière d’exister. Au lieu
de faire du citoyen une priorité dans sa politique de
développement, elle le combat comme un ennemi à

4
Isaiah Berlin, À Contre-courant, p.223

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abattre. Pour l’instant, gardons cette proposition, et plus


tard, on défendra sa fiabilité.

Enfin, la République de Djibouti sera l’espace qui sert


de laboratoire à notre réflexion, et à ce titre, il faut attirer
l’attention du lecteur sur quelques aspects. D’abord, sur le
terrain en question, la présence de l’observateur valorise
l’analyse par le fait qu’il est un témoin oculaire. Ensuite, il
a l’opportunité d’échanger avec le nouvel être et cela
confère une certaine pertinence à l’examen qui a pour
objet ses propos, ses comportements, sa psychologie, et
bien sûr, son évolution. En fait, il a son objet sous son
regard et sans discontinuité. Enfin, l’observation mène au
parallélisme d’où l’intérêt du contraste.

Cela n’exclut guère l’existence de ce nouvel être dans


d’autres contrées étant donné que les raisons qui ont fait
naître ce personnage s’y trouvent également enracinées.
Raisonnablement, la géographie reste un phénomène
secondaire quand on sait que les mêmes causes produisent
les mêmes effets.

Pourquoi parler d’un nouvel être ?


- Premièrement, le sujet touche un domaine qui interpelle
l’esprit d’un homme dont la curiosité oriente ses pas. Il
est question de réflexion et de comparaison. En fait,
l’opportunité de découvrir d’autres pays agit
directement sur notre mental et démantèle des vérités
toutes figées. Partout où l’on passe, comme voyageur
attentionné et intentionné, on croise des hommes et des
femmes différents de nous. Dans les pays développés,
où le système tient relativement compte de l’humain,
on rencontre des gens qui se portent bien, bien
entretenus, courtois dans la relation, taiseux et réservés,
mais éloquents et combatifs quand il le faut. Un

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habitant de ce monde supporte mal que l’État arrache


un petit bout de ses droits. L’individualité transformée
en organisation se meut et le pouvoir public recule
devant ses limites. En revanche, cela ne doit pas
masquer les problèmes propres à ces citoyens puisque
chaque société a des symptômes dont l’origine est le
mode de vie qu’elle s’est choisi.
- Deuxièmement, l’abondance d’un être atypique, présent
dans chaque foyer et dans plusieurs villes, attire
l’attention en tant que nouveauté humaine. Disséminés
dans cet espace, les individus en question ont le même
profil. De plus, pour souligner le contraste, dans le
même périmètre, l’on croise des gens partageant entre
eux un portrait de citoyenneté. Il s’agit de personnes
qui assument honorablement la condition humaine et
qui donnent pleinement sens à leur vie. Ce tableau
saisissant entre un individu en marge de l’histoire et un
autre tirant le sort de son côté nous sert de raison dans
l’identification d’un nouvel être.
- Troisièmement, la disparition précoce d’une partie de la
population est une alerte et provoque un
questionnement : pourquoi un nombre de jeunes gens
meurent avec des symptômes identiques ? Victimes
d’un arrêt cardiaque ou d’une insuffisance rénale, ils
quittent le monde sans avoir vu grand-chose. Ou
plongés dans une misère où aucune alternative ne
s’annonce à l’horizon, ils se donnent à consommer tout
genre de drogue pour s’absenter pendant leur existence.
Le même désespoir entraine la même tragédie. Il reste à
définir l’origine de ce désenchantement, mais, une
chose est sûre : ces départs dramatiques ont un motif
commun.

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- Quatrièmement, en général, la faillite d’un État jette sur


la route de l’exil un bon nombre de jeunes en quête
d’une vie meilleure. Ce voyage périlleux entraine les
plus aventureux capables de résister à la cruauté du
trajet avant d’atteindre la terre promise. Par conséquent,
la population jeune, restée sur place, est dans
l’incapacité d’entreprendre un projet de ce type dans la
mesure où cela exige un engagement de soi. Or, elle a
en commun ce qui constitue l’attentisme, une attitude
fondamentale chez elle. L’entièreté de leur vie semble
être un cumul de moments réservés à ne rien faire. Elle
se sent mal en point dès que l’on évoque un
mouvement qui la conduit hors de son périmètre
d’adaptation. L’émigration devient donc un paramètre
de sélection parce qu’elle déloge les plus acharnés sur
la vie et élimine ceux qui trouvent du plaisir dans
l’attente. Ici, il n’est pas question de positiver l’exil et
d’encourager les gens à rejoindre un Ailleurs supposé
être un Eldorado. Non ! Tout simplement, on décrit une
vérité qui s’ancre davantage dans le réel. Justement, il
faut souligner qu’une partie des populations sous-
développées perçoit l’émigration comme une aventure
dangereuse et que le fait de rester chez soi rend la
personne non aliénée. Pour elle, rester sur place est la
seule façon qu’il faut pour sauvegarder ses valeurs.
- Cinquièmement, le désorienté admet son attitude
inhabituelle vis-à-vis de ce qui engage son sort. Il se
voit comme absent, sonné et meurtri. L’on décide à sa
place et sa capacité se résume à faire un constat. Il
raconte ses déboires et décrit sa situation et cela
représente un témoignage plus qu’authentique parce
qu’il vient de celui qui subit depuis toujours le malheur
des dominants. C’est un aveu qui donne de la vigueur à
l’existence d’un nouvel être ce qui conforte encore une
fois notre position.

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- Sixièmement, il convient d’appeler un nouvel être le


personnage que nous allons décrire dans cet ouvrage
puisque l’humain tel qu’il est défini convenablement
disparaît. Il n’y a que l’apparence comme signe
annonçant la présence d’un être aujourd’hui dissous.
Celui que l’on peut encore appeler le meurtri s’est doté
d’une forme d’existence secondaire où il n’a aucune
similitude avec l’homme si ce n’est l’aspect extérieur.
Peu de valeurs émergent dans ce qu’il dégage comme
attitude.
Cela étant dit, il faut noter que dans la population le
nouvel être représente un large échantillon dont le tronc
commun constitue des spécificités à caractère constant. En
conséquence, c’est un phénomène qui concerne homme et
femme, grand et petit, instruit et inculte. Il dépasse tout
critère en fonction duquel on parvient à classifier une
société. Son profil traverse donc le sexe, l’âge et la
connaissance. Il s’agit d’un état déclenché par un
sentiment d’abus subi depuis très longtemps et dont rien
ne présage la fin. Cela a trop duré, ce qui a généré la
métamorphose de l’homme quittant un état naturel
d’honneur et rejoignant un état final de décadence.
L’apparition de l’homme en question symbolise un
processus très complexe et lent ayant pour effet
l’altération humaine dans une profondeur qui complique
tout acte de remédiation. Aussi, on apprend au lecteur que
la petite élite, formée par le colonisateur, aliénée jusqu’à
perdre son identité, rarement présente dans le pays, ne
rentre pas dans le cadre de notre étude. Notre analyse se
focalise sur le produit de la colonisation et du système
politique en exercice.

Pour mieux décrire notre problématique, on va


introduire l’idée de rapport qui fait penser à deux entités
distinctes dont la corrélation s’amorce et se déroule plus

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ou moins bien. Lorsqu’il s’agit d’un humain et d’une


chose, en général, l’état de la correspondance dépend du
premier puisqu’il appartient à l’homme de gérer son sujet.
Or, si le rapport engage la responsabilité de deux
personnes, à ce moment-là, l’entente se construit
mutuellement. Le choix de la notion de rapport n’est donc
pas anodin dans la mesure où l’on veut illustrer que notre
personnage est en retrait avec soi-même et avec le monde
qui l’entoure. En clair, elle met en exergue la distance
effective accentuant le drame que vit cet individu par le
fait qu’il est coupé de son devenir. Il ne se situe ni au
passé ni au présent ni au futur. Dans toute la temporalité,
rien de ce qui est réel ne le concerne : il finit par péricliter
dans la dépersonnalisation.

Enfin, régulièrement, on appelle l’objet de notre


analyse le nouvel être. Aussi, pour rompre la redondance,
on se permet de le nommer « notre personnage, le meurtri,
le désorienté ».

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I. SON RAPPORT AVEC LE SORT

Un antagonisme oppose le meurtri et sa propre


destinée puisqu’il est à l’extérieur des conditions qui
dessinent la forme de son existence. En effet, le sort est un
amas d’opportunités plurielles dans sa composition. Le
social, l’économie et la politique constituent la trame sur
laquelle est bâtie la destinée d’une nation. Logiquement,
l’État et le citoyen doivent associer leur effort en vue de
créer la dynamique à l’issue de laquelle un destin commun
conditionne le vivre-ensemble. Le citoyen, désormais
appelé nouvel être, parce qu’il a consenti son absence,
subit l’offensive venant du côté des évènements. Ils
marchent sur lui et définissent son sort.

Le rapport entre deux réalités de nature différente, à


savoir l’homme et l’évènement, finit par donner deux cas
de figure. Soit l’humain détermine les règles du jeu et les
résultats deviennent propres à lui. Soit le quotidien prend
le dessus et dicte les lois à son prisonnier. Ici, ce dernier
est battu et le rapport de force profite à l’antagoniste perçu
au départ comme le moins favori. Dans le duel entre
l’homme (le plus estimé des espèces et le plus préparé à
toutes les conditions) et le quotidien (suite d’opportunités
à l’état initial) l’avantage est très vite promis au premier.
Mais le désenchantement s’avère grand et rien de cette
élévation ne convainc les lois naturelles. Les occasions et
les évènements s’en vont et laissent des blessures
mortelles sur le perdant de la partie.

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1. Concrètement, comment se dessine ce rapport ?

Le nouvel être sollicite un poste dont il a le niveau


requis. Il est retenu et l’employeur lui accorde une entière
confiance avec un salaire méritoire. Très tôt, le nouveau
recru déçoit tout le monde. En fait, il veut réussir les
doigts dans le nez et se plaint des horaires qui ne lui
conviennent pas parce qu’il n’a pas l’habitude de se
réveiller le matin. Plus tard, une autre occasion s’invite et
il signe un nouveau contrat. Bizarrement, le comportement
reste le même, et finalement, pour lui, il y a une solution à
ce genre de carence. Il faut s’intégrer à la fonction
publique où l’on est payé sans rendement. Réellement, le
moindre défi se dresse comme un obstacle et notre
personnage fixe des nouvelles lois dans un espace prêt à
l’accepter.

Le nouvel être n’a rien de sophistiqué pour être


embauché. Pourtant, les opportunités viennent frapper à sa
porte parce qu’il se fait fortement pistonner. Il obtient un
salaire au-delà de son niveau et ne vient au travail que
sporadiquement. Tout l’entourage parle de lui et lui
recommande d’au moins assurer la durée légale du travail.
Il raconte qu’il lui est impossible de rester toute la journée
au même endroit et que les gens qui font ce genre de
choses constituent une exception. Le sérieux se banalise et
la paresse s’impose.

Le nouvel être, un entrepreneur de façade, obtient un


projet de construction. Il encaisse l’intégralité de la
somme allouée à cette fin. Il commence les travaux, et peu
de temps après, il disparaît. Il se défend et soutient la
fréquence de ce comportement. Il se félicite d’avoir au
moins exécuté dix pour cent du projet. Sans tarder, il
apparait avec une voiture de luxe et fait litière de la culture

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du gain. Puisqu’il y a moyen d’être riche dans un court


laps de temps, les candidats à ce type de contrat se
comptent en quantité.

Le nouvel être a dépassé la majorité voire la quarantaine


et n’a jamais songé à s’assumer. Tout le monde lui rappelle
la vérité : « Comme tes compères, il faut que tu arrives à te
suffire et à fonder un foyer », lui dit-on. Rien ne perce. Il
habite avec ses parents ou ses proches et n’éprouve aucune
gêne dans la mesure où il est pris en charge. À l’évidence,
sans qu’il ne sache, Tanguy, un héros cinématographique,
devient pour lui un référent dans un nouveau style de vie où
le confort se cherche dans le milieu familial. En matière de
finances et d’affection, l’envie de rester sous le toit parental
se conçoit comme un gage de sécurité. Au-delà même, aux
frais de l’autre, il se permet tous les vices, ce qui aggrave
encore la décadence. Il est coupé du sort en quittant son
statut d’homme pour rejoindre le monde de l’instinct
bestial.

Le nouvel être a un travail, et ipso facto, une


rétribution. Il est père de famille et habite encore chez ses
parents. Heureusement, selon sa logique, il vient d’une
fratrie à majorité féminine. Il consomme son salaire en
vice et la mère oblige ses filles à prendre en charge leur
frère. Tradition oblige et le monsieur vit dans une douceur
matérielle assassine. Son épouse, ses enfants et lui-même
mènent une existence invalide. À cet égard, « l’impact
éducatif est certain, de même que les stimulations
incessantes de notre société de consommation, renforcées
par cette philosophie socioculturelle de la primauté de
l’individu sur son appartenance à l’humanité »5.

5
Didier Pleux, Comment échapper à la dictature du cerveau reptilien ?
p.10

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Le nouvel être n’a ni une besogne ni une adresse ni une


pièce d’identité sur le sol où il a vu le jour. Il n’est tenté par
rien. Glacial jusqu’aux os, il s’est fait un sort à lui où rien
ne l’inquiète. Il est avec les gens et ne montre aucun signe
pouvant le qualifier de malade. Apparemment, il n’a besoin
ni d’un psychologue ni d’un psychiatre. Son état n’alerte
personne parce que ses semblables pullulent dans les
quartiers. Il est toujours couvert par la bienveillance de la
société qui excelle en hospitalité.

Le nouvel être est un analphabète. Un jour, il décide de


devenir un député national. Grâce à la fraude, haut la main,
il brigue un mandat. Il piétine toutes les convenances et
brave la députation comme représentation. À l’hémicycle, il
brille par sa présence formelle et ne produit rien de
législatif. L’accès à ce lieu symbolique, où une poignée
d’hommes et de femmes représentent le peuple, l’éblouit.
La fascination comble son bonheur. À la fin de l’échéance,
tout s’écroule et la réalité jaillit avec sa pesanteur. L’ex-
député ne voit plus comment fixer son sort. Son sort, il
l’avait violé en forçant les barrières légales. Dorénavant,
comme certains, il se jette sur la route de l’exode.

Le nouvel être entend prendre part à un concours


national de haut niveau. Cela débouche sur un stage de
formation puis sur une nomination à un poste clé. Sans y
être, il se voit proclamé le meilleur. À l’étranger, là où il
effectue le stage, la consternation bat son plein étant donné
que le monsieur achoppe sur la consistance du programme
à suivre. Pire, la carence linguistique l’empêche de saisir
les consignes d’orientation générale.

Dans ce face-à-face, entre notre personnage et chaque


nouvelle situation, sa défaite engendre une série
d’observations qui méritent d’être dites. D’abord, le

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concurrent n’est pas un semblable doté des facultés mettant


en difficulté notre personnage. Non ! Il s’agit d’un moment
susceptible d’être exploité à bon escient. En effet, comme
une lame qui se retourne contre un criminel potentiel, une
occasion, ratée à répétition, devient un manque à gagner
irréversible. Le vainqueur, en l’occurrence une nouvelle
opportunité, n’a pas d’adversité. En l’absence d’un
intéressé, elle se présente et s’en va. Ce qu’il faut souligner,
c’est la faiblesse extrême du meurtri qui perd une occasion
à la portée de tous. La fragilité prend de l’ampleur quand
une personne tierce se saisit de l’opportunité et la
transforme en vie. Cela démontre l’état d’incapacité dans
lequel reste plongé notre personnage. Son sort, c’est-à-dire
les conditions de sa vie, lui échappe. En règle générale, rien
n’est plus facile que de se lever le matin et d’appartenir à la
communauté humaine qui puise sa dignité dans ce qu’elle
produit. Ici, c’est comme si on lui demandait d’envoyer la
balle au fond des filets alors que le gardien est à terre.
Assisté à outrance, pourtant incapable de remplir les
obligations les plus élémentaires, il convient de l’appeler un
nouvel être. Ensuite, comme enseigne le développement
personnel, l’inertie est plus gravissime que le fait de rater
une occasion elle-même. En fait, d’après cette science, en
parlant de l’opportunité, il est primordial de se saisir d’elle
dès sa première manifestation. Sinon, elle croise l’esprit vif
de quelqu’un d’autre. Celui-ci la convertit en projet et elle
accouche d’une réalisation. Donc, manquer une occasion
devient irréparable. En réalité, l’attitude qui amène à ce
geste en préconisant le choix d’être inactif en présence de
cette opportunité détermine la prise de décision. La gravité
se situe donc à ce niveau et cela nous conduit à dire qu’il
faut couper le mal à la racine.

Dans la vie, tout est question de méthode. Chaque


objectif fait appel à une démarche jusqu’à sa concrétisation.

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De la décision initiale à l’édification finale en passant par la


révision et la reforme partielles, pas à pas, un projet doit se
soumettre à ce type de méthode. À l’évidence, cette
dernière inclut un choix, un itinéraire et une finalité. Le
désorienté manque donc toute opportunité parce que la
rigueur lui fait défaut. Il est absolument nécessaire d’établir
un plan, pensé et repensé, destiné à s’auto-aider afin de
mieux entreprendre la vie. Chez le nouvel être, la
dépossession, ici en vigueur, naît de l’absence d’une
volonté d’appropriation relative à son sort. L’idée de faire
de son quotidien le sien pour se projeter dans le futur ne lui
est jamais passée par la tête.

2. Comment expliquer cette paresse ?

A priori, à l’origine de la déchéance, il y a des raisons


pouvant nous aider à comprendre l’attitude du désorienté.
On les citera ici. Par ailleurs, une déficience propre au
nouvel être, la colonisation et la dictature apparaissent
comme les principales causes à sa dépersonnalisation. On y
consacrera un chapitre à part entière.

2.1 L’absence d’un État de droit

Un État de droit a comme slogan : « Personne n’est au-


dessus de la loi ». Au sein de cette structure, cela crée un
sentiment d’égalité. De plus, pour donner effet à cette
idée, en termes de juridiction, la hiérarchisation est une
notion capitale. De la constitution des lois internationales
en passant par les lois intermédiaires, chaque litige trouve
une solution. D’où la répartition des compétences entre le
législatif, l’exécutif et le judiciaire, ce qui fait naître à la
fois une certaine autonomie et une forme de

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complémentarité nécessaires au fonctionnement d’un


espace démocratique.

En ce qui nous concerne, le nouvel être profite d’un


milieu propice aux mauvais comportements de l’homme.
L’on a une rémunération mensuelle sans rendre un service,
sans jamais mettre les pieds au bureau. L’on encaisse une
somme colossale sans exécuter un contrat. L’on vole les
voix des électeurs sans jamais être inquiété. Donc, tout le
monde n’est pas égal devant la loi. Il n’y a pas d’équilibre
entre les pouvoirs et chaque institution juridique a les
mains liées. En conséquence, on exploite à outrance
l’impunité et il devient difficile de sanctionner un employé
ou d’annuler un contrat par le biais de la justice. À la fin,
tout se concentre dans les mains d’une entité, ce qui finit
par le règne de l’arbitraire.

En principe, montrer l’exemple passe par les gens qui


dirigent et qui orientent le citoyen par l’action. À travers
leur rectitude se construit un sentiment national, source de
confiance et de responsabilité. En quelque sorte, l’image
qu’ils reflètent doit symboliser le portrait auquel se réfère
tout un chacun, ce qui participe à la communion nationale.
La conduite d’un gouvernant, malintentionné et sans état
d’âme, fait naître un sentiment de rejet chez le citoyen.
Comment exiger la rigueur de la part d’un subordonné
lorsque le supérieur agit contrairement aux valeurs
communes ? Ce genre d’environnement favorise
l’avènement d’un individu en deçà du rôle auquel il était
destiné à assumer.

Aussi, en l’absence des discussions et des débats


publics où le peuple exprime ses positions sur les grandes
lignes de son sort, la société se connaît mal. Jamais,
librement, un échange de points de vue n’a eu lieu

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l’objectif étant de permettre au citoyen la désignation du


mal par ses propres mots. D’où l’intérêt des forums
consacrés au croisement des regards et au partage de ce
que tout le monde vit comme expérience. C’est une
plateforme pour dénoncer les pratiques sociétales néfastes
à l’épanouissement du destin commun. En partie, c’est
dans ce genre de tribunes qu’il faut corriger l’attitude du
désorienté enclin à la paresse.

Hélas, il y a un plan politique contraire à cette idée


d’ouverture qui se méfie des débats dans un espace de
liberté, le risque étant de voir surgir une société en état de
contrôler ses dirigeants. Au moyen de la dénonciation
publique, la prolifération du meurtri paraîtra limitée et cela
lui servira de cure. Apparemment, une société malade dans
son être fait l’affaire des politiques pour qui un peuple
plongé dans une agonie constitue un avantage.

2.2 La culture ambiante

Au cours de son évolution, chaque société développe un


certain nombre de manières spécifiques à elle. Il y a une
façon de parler, de saluer, de s’habiller, de manger,
d’adresser la parole à quelqu’un qui s’installe dans la durée.
Des concepts qui régulent la relation entre les gens se
forgent et s’appliquent comme des normes sociales à
respecter. En gastronomie, quelques recettes jouent les
vedettes. Les fouler aux pieds signifie la trahison des
convenances communes et sera très mal vu par les
anciennes générations. Par exemple, la notion de
miséricorde va s’appliquer à ce nouvel être qui gagne des
appointements mensuels et qui, de surcroit, demande un
secours à la famille. Oui, en général, la mère (du meurtri)
ordonne à ses filles l’assistanat au profit du mâle.
Effectivement, pour une partie de la société, il y a un

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amalgame entre entretenir la paresse et la bonté. Cette


dernière fait l’objet d’un glissement pour devenir un acte
d’obligation alors qu’à l’origine elle se voulait comme un
engagement sincère et spontané. La nouvelle acception de
cette valeur perd son contenu puisque le bénéficiaire n’est
point dans le besoin. Culturellement donc, la société où le
nouvel être s’épanouit s’entend sur un nombre de principes
mal interprétés représentant une aubaine pour lui. Il se plaît
dans un monde où les concepts se falsifient et
s’adoucissent. Un autre exemple, dans le fait de rendre
compte, on y voit de la méchanceté, et par conséquent, cela
bascule dans l’impunité. La rigueur est vue comme un
comportement importé et la personne qui s’entête pour en
faire une discipline se voit taxer d’Occidental. À partir d’un
certain âge, le sport comme loisir se comprend mal étant
donné que cela n’a pas de référence dans la culture locale.
En effet, la notion de jouer reste largement infantile.

C’est dans un milieu où les mentalités gardent une


forme rétrograde que fait son nid le désorienté puisqu’il
est accepté avec son profil. Une société où la logique
intervient et coordonne l’action humaine rejette
catégoriquement notre personnage qui a l’habitude de
s’exalter sur un terrain balisé. En conséquence, il s’attaque
à toute personne douée d’intelligence et susceptible
d’avoir compris son plan qui entend préserver un
environnement désuet et décadent. Puisque l’absence d’un
État de droit conforte sa situation, il use de tous les
moyens, parfois de l’appareil judiciaire, pour s’en prendre
à la société civile dont la mission est de redresser le peuple
en misant sur l’intérêt général. Curieusement, il se peut
que l’on soit poursuivi d’avoir dénoncé un concept vieilli
et que l’on est traduit en justice pour la simple raison
d’inquiéter un ordre culturel anachronique.

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Vis-à-vis de la culture, l’ordre établi « le pouvoir en


place » à une approche identique à celui du désorienté et
s’éloigne de tout ce qui a trait au fonctionnement interne
de la société surtout quand cela lui procure un avantage.
Pour lui, toute pratique qui va dans le sens de la
dégénération sociale doit s’entretenir. En fait, le
pourrissement fait son affaire attendu que le peuple
dédaigne encore la sphère politique. En conséquence, à
plusieurs niveaux, le pouvoir public donne raison au
nouvel être et la réciprocité d’intérêts entre en jeu.

2.3 La tradition

Sans être obligé à se fourvoyer dans une logique de


définition, une tradition est une série de croyances bien
ancrées dans l’existence d’une communauté et dont le
relais, d’une génération à une autre, se déroule avec
fluidité. Doucement et dans le temps, une pratique
traditionnelle dépose son empreinte sur ce qui fortifie son
immortalité. En guise d’illustration, ici, selon la tradition
pastorale, la femme a une place qu’elle n’a jamais choisie.
D’ailleurs, elle n’est pas digne de consultation dans la
mesure où sa mission se résume à reproduire et à se
résigner aux tâches ménagères.

Bien sûr, il faut considérer deux éléments. En premier


lieu, les mentalités évoluent, or, la condition féminine ne
cesse de s’améliorer grâce à l’élévation de la société en
matière d’éducation et le monde se globalise par les réseaux
sociaux qui entraînent un brassage de traditions et de
culture, fut-il virtuel. En deuxième lieu, dans sa généralité,
la tradition n’est pas à bannir parce qu’elle a fait preuve de
sagesse et de maturité tout au long de son histoire.
L’exemple de la paix comme tradition montre bien combien
une part de la civilisation humaine (le maintien de la

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sécurité), récemment activée, juste après la Seconde Guerre


mondiale, était une partie intégrante de sa constitution.

Mais en partie, dans la difficulté d’instaurer un État de


droit, la tradition y est pour quelque chose. Le nouvel être,
né et grandi dans un milieu peu habitué à l’administration,
peine à se conformer à la nouvelle réalité. La répartition de
la durée du travail, l’idée de roulement en fonction
d’équipe, la sanction disciplinaire, le respect de la
hiérarchie apparaissent, aux yeux de notre personnage,
comme étant un nouvel ordre auquel il faut absolument
résister. Une tradition où l’indépendance règne affronte un
univers coercitif à travers un citoyen encore inachevé.
Tiraillé entre un présent collectif complexe (État) et un
passé en résurgence permanente (tradition), le nouvel être
s’accroche aux deux vérités. Justement, « l’indépendance
c’est aussi et surtout un choix entre deux tendances
contradictoires : la première inspirée des considérations
essentiellement subjectives conduit à renier le passé
colonial et implique un retour pur et simple aux
civilisations traditionnelles, la deuxième conduit à rejeter
les institutions traditionnelles au profit d’institutions
nouvelles »6. La première génère un profit et la seconde
autorise le laxisme. Dès qu’une sanction s’abat sur un
salarié pour faute grave, une résistance se lève contre la
décision et tout s’annule. Protégé à chaque instant par la
mentalité traditionnelle, notre personnage ne rendra jamais
compte de son acte. Il se fond dans la masse et continue de
profiter de cette impasse.

En fait, il s’agit de deux forces conciliables, mais à


présent contradictoires, qui se rejoignent dans un même
espace dominé par le pouvoir public. Celui-ci se heurte
donc à un phénomène social qui ne veut point céder les

6
Guy A. Kouassigan, Quelle est ma loi ? p.101

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avantages acquis pendant une longue période.


Traditionnellement, dans le milieu pastoral, un différend
se règle en communauté et aucune entité extérieure au
système ne peut s’immiscer dans les échanges de vues.
C’est dans ce cadre que l’administration intervient et veut
se montrer comme l’unique décideur en collectivité. Notre
personnage creuse la faille entre les deux vérités et fait
perdurer la crise qui fait son affaire.

Il faut souligner aussi que le pouvoir public entend


céder une partie de ses compétences sous l’influence de la
tradition espérant la satisfaction de la société en se montrant
respectueux à son égard. Politiquement, il ferme les yeux
sur ce qui fait remonter le peuple contre le pouvoir public
même si cela entrave le fonctionnement de l’État. Dans
toutes les circonstances, le calcul politique prime sur
l’intérêt général, mais sincèrement, il suffit d’intégrer ce
qu’il y a de bon traditionnellement dans l’administration et
de repousser ce qu’il y a de néfaste.

2.4 L’ignorance

D’une manière universelle, le combat contre elle


démobilise beaucoup d’énergie en âmes et en argent.
Même les pays développés n’arrivent pas à la circonscrire
et à délimiter ses arêtes. Une bonne partie du monde
souffre de ses conséquences parce que la lutte contre ce
mal n’est pas sincère. En même temps, on sera toujours
ignorant vis-à-vis de quelque chose. Parce qu’ignorer,
c’est en fait ne pas connaître une chose, un domaine. Cela
n’a rien à voir avec l’analphabétisme, un phénomène
encore plus grave. Le monde actuel, avec l’avènement de
l’internet et de la nouvelle technologie, rend les réalités
plurielles et on se voit ignorant par rapport à des nouveaux
phénomènes, et parfois, obsolète apparaît notre capacité

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d’adaptation. Dans ce contexte, le citoyen aura du mal à


suivre la marche de l’histoire.

Pour cette raison, le nouvel être méconnaît son milieu et


n’arrive point à apprécier une rétribution méritoire à sa juste
valeur. Pour lui, une promotion s’obtient par des paramètres
généralement sociaux. L’idée d’un cursus universitaire
sanctionné par un diplôme qui offre un poste de
responsabilité dans une entreprise passe mal puisque, chez
lui, la notion de formation et de perfectionnement n’est pas
à l’ordre du jour. Il ignore car il manque la capacité de
saisir le fossé existant entre quelqu’un de sophistiqué et un
autre qui ne l’est pas. Dans sa tête, tout se vaut et rarement
dans sa vie rien de ce qui développe personnellement
l’individu n’a fait l’objet d’un éloge. De là, il y a une
tendance permanente revendiquant la maîtrise de tout en
faisant fi de l’expérience et de la formation.

Être désigné par un électorat convaincu ne rentre pas


dans la logique de notre député issu d’un suffrage
frauduleux. La démocratie et ses principes lui sont
étrangers, de ce fait, il croit plutôt à la cooptation qu’à
l’élection. D’ailleurs, ce personnage fera campagne pour
un candidat afin qu’il reste président à vie. Ici, l’ignorance
conduit à l’aveuglement jusqu’à supprimer toutes les
compétences nationales au profit d’une seule. Il ignore que
chaque citoyen représente un patrimoine, et que par
conséquent, il a une contribution particulière à suggérer. Il
méconnaît qu’en politique le sacrifice de tout à l’un est un
exercice suicidaire. Pour lui, une seule personne reste
habilitée à conduire un pays dans la mesure où, selon lui,
elle porte dans ses gènes les facultés de diriger. Comme si
son élection s’annonce céleste avant qu’elle ne soit
terrestre. Diviniser l’un et diaboliser le tout est une
équation née d’une ignorance touchant un domaine très

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sensible, à savoir le pouvoir public. En vérité, méconnaître


les règles qui opèrent la gestion de la vie publique et son
renvoi à des explications subjectives finit par ce que nous
constatons aujourd’hui comme étant détresse et
décadence. La qualité de la vie d’une nation dépend de la
forme de gouvernance qu’elle se choisit.

2.5 De la tribu au tribalisme

À l’origine, la tribu est une forme d’organisation


sociale dont les membres partagent une parenté ethnique
réelle. L’on se regroupe autour du nom d’un ancêtre, et
grâce à ce lien, on crée un groupement humain censé agir
ensemble dans un esprit d’entraide et de coopération. Il
s’agit d’une structure sociale participant à sauvegarder la
cohésion interne en payant, par exemple, les indemnités
relatives aux préjudices moraux et physiques causés à tort
par un de ses membres. A posteriori, à l’avènement de
l’État-nation, un artifice pour édulcorer la honte qui colle à
la peau de l’occupant, l’action tribale a fait un glissement
pour devenir une association active où la conquête
d’intérêts et la marginalisation des autres tribus occupent
une place importante. Habilement, l’État-nation, une
réalité post-coloniale récente, tente de tirer profit de cette
évolution et se méfie d’entrer en collision avec la tribu
désormais politisée. Effectivement, il y a une collision des
intérêts mais la ruse politique impose ses droits. Il y a un
dérapage manifeste, en effet, on part d’un groupement
social, littéralement identitaire (tribu) et on aboutit à une
appartenance sociale et politique très affirmée (tribalisme).

C’est à ce niveau-là que notre personnage entre en jeu


puisqu’il exploite ce confort, une aubaine inespérée parce
qu’il ne présente rien de consistant pour s’intégrer au
marché du travail. Il sera le premier d’un concours sans

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jamais composer. Le député de la tribu sans jamais être


élu. Le directeur d’un établissement sans jamais avoir le
profil. Le gagnant d’un contrat juteux sans jamais
participer à un appel d’offres. On doit le mérite à
l’influence du tribalisme et non à ce que l’on est.

Comparé aux autres raisons, le tribalisme a-t-il un


impact particulier sur le fonctionnement interne de la
société ? Est-il un obstacle pour l’avènement d’un citoyen
qui joue pleinement son rôle dans la société ? Y-at-il un
moyen d’amoindrir son influence ou de paralyser son effet
sur les institutions de l’État ? Y-a-il un moyen de trouver
une autre forme d’organisation en guise d’alternative ? Ce
sont des interrogations légitimes que beaucoup de gens se
posent et qui méritent un débat public et franc.
À ce titre, parmi les sept raisons évoquées, seuls
l’absence d’un État de droit et le tribalisme possèdent une
autorité influente. En effet, par tous les moyens, les
politiques s’accrochent au pouvoir. À part la répression,
durant leurs mandats respectifs, ils parviennent à tisser des
réseaux d’associations capables de mouvoir un lobbyisme
idéologique, artistique et moral. Un arsenal de choses bien
rodées et synchronisées se mobilise contre un éventuel
pourfendeur des abus. Quant aux tribus, conscientes de
leurs poids sur l’échiquier politique, elles proposent et
défendent leurs candidats. D’ailleurs, pas un parti
politique ne peut se dérober de leur emprise vu que chaque
tribu se voit comme le propriétaire naturel du mouvement
qui porte son nom. Les deux forces s’évertuent à
s’entendre parce que la réciprocité politique engage
chacun à être un partenaire. Mais pour les deux, les choses
se compliquent quand la situation oblige à choisir un allié
de circonstance.

Alors oui, le tribalisme, intégré dans les coulisses de la


politique, espace d’intérêts et d’influences, exerce une

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action très accentuée sur la société. Dorénavant, l’ambition


oblige, et en conséquence, on se rue vers les tribus où il y a
une forte chance d’être nommé quelque part grâce à elle.
Plus les échéances électorales s’enchaînent plus on devient
tribalisé parce que les postes à pouvoir se comptent sur les
doigts d’une main, et au sein d’une même tribu, la
concurrence devient féroce. En clair, la voix tribale est la
seule condition non officielle mais pratique pour être
promu. L’on doit donc convaincre sa propre tribu avant de
rejoindre la sélection nationale, et peut être la plus
mauvaise, à partir du moment où les critères restent biaisés.
De là, la politique tribalisée a une incidence sur la cohésion
sociale dès l’instant où la méfiance des tribus, les unes vis-
à-vis des autres, entache la relation entre elles. La confiance
nourrie par le seul fait que l’on appartient au même peuple
vole en éclats et un sentiment d’animosité s’installe
confortant ainsi les dirigeants intéressés à la désunion. En
effet, la bête noire des hommes politiques est la réunion des
forces contre eux.

Oui, l’on vient de souligner que le tribalisme est une


souillure à l’union nationale, en conséquence, l’avènement
d’un citoyen intègre se dissipe. Et pour cause, le milieu
favorable à cet effet, une ambiance qui va dans le sens de la
communion, n’est pas préparé. Les dirigeants habilités à
créer ce terrain agissent contrairement à cette tendance.
Réellement, un combat sans état d’âme est livré contre tout
individu aspirant à une autonomie et à une éthique d’ordre
politique.

Faire disparaître d’un seul trait les méfaits du tribalisme


dans le milieu politique semble être une gageure. Cela
relève même du miracle. Depuis un siècle et plus, depuis
l’arrivée du premier colon jusqu’à l’heure actuelle, dominer
le conquis par l’appartenance sociale était une stratégie.

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Cependant, le démantèlement radical s’annule par lui-


même. D’abord, amoindrir son influence est plutôt la voie
la plus réaliste et cela passe par la création des partis
politiques affiliés non pas aux tribus, mais à la citoyenneté.
Il y a une prise de conscience portée généralement par les
jeunes générations éprises de liberté et fatiguées de la
pratique tribale qui a fait son temps. Certes, le chemin est
long, mais cette idée qui consiste à préconiser un
changement de mentalité graduelle et lent traversant
doucement les turbulences politiques et sociales impose sa
nécessité. Aussi, l’organisation de la société civile en
initiatives nationales apporte un peu de bonne santé à la
situation. Enfin, la sensibilisation, par les personnalités les
plus influentes, à travers les réseaux sociaux, se veut
aujourd’hui incontournable.

Pour terminer, faire du tribalisme un atout politique est


un héritage colonial puisque la puissance dominatrice avait
possédé scientifiquement son sujet avant la conquête. Parce
que « le savoir donne le pouvoir, un pouvoir plus grand
demande plus de savoir »7. Le colon s’est servi d’un
ethnologue le but étant de maîtriser l’indigène dans sa
constitution sociale. Il fallait absolument comprendre le
conquis à l’état brut et dans sa formule la plus comprimée.
En juin 1910, Arthur James Balfour, homme d’État anglais,
fait un discours à la chambre des communes en soulevant
l’autorité du royaume sur l’Égypte et la primauté de la
science dans la domination. Intelligemment, Edward Saïd
analyse les propos du politique : « lorsque Balfour justifie
la nécessité de l’occupation de l’Égypte par les Anglais, la
suprématie est associée dans son esprit à – notre – savoir
sur l’Égypte, elle ne l’est pas principalement à la puissance
militaire et économique. Pour Balfour, savoir signifie
prendre une vue d’ensemble sur une civilisation, de son
7
Edward W. Said, L’Orientalisme, l’Orient créé par l’Occident, p. 51

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origine à son âge et à son déclin et naturellement aussi


avoir les moyens de le faire. Savoir veut dire s’élever au-
dessus des contingences actuelles, sortir de soi pour
atteindre ce qui est étranger et lointain »8. L’aspect dit
scientifique de la conquête a donc révélé une forme
d’organisation réelle pouvant lui servir de tremplin. Selon
Alvin Toffler, le futurologue américain, « La connaissance,
après avoir été un rajout au pouvoir de l’argent et du
muscle, est devenue leur véritable essence »9. Le dominant a
donc fait usage du clan dans l’intention d’asseoir son
autorité. Il a mis en évidence un moyen de dresser les tribus
les unes contre les autres et cela se matérialise à travers
l’ascendance politique. Il choisissait son partenaire selon la
situation et selon ses intérêts.

Depuis le départ du colon, la pratique fait ses preuves


dans la mesure où celui qui s’en sert comprend encore
mieux le mécanisme interne du tribalisme. Avec
l’administration coloniale, afin de stimuler les avantages
du clanisme, le contact avec l’indigène passait par la
traduction et il y avait le risque d’une mésentente
provoquant l’ire d’une tribu. Mais, une fois que le relais a
été passé à l’indigène, toute maladresse s’est dissipée
parce que la communication devient non interférée.
Finalement, quelqu’un de la maison fait très bien ce que le
colon a d’abord étudié comme matière à réflexion et qui a
fini par être son cheval de bataille en politique.

2.6 L’éternelle immaturité

Il y a un problème également majeur à souligner et il


est relatif à l’approche pédagogique des parents vis-à-vis

8
Edward W. Said, op. cit. p. 46
9
Pascal Boniface, Comprendre le monde, p.45

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de la progéniture. De l’enfance à l’adulte, pour la mère


comme pour le père, les filles et les garçons resteront des
éternels enfants puisqu’ils sont traités de la sorte. À titre
d’exemple, après son mariage, si un accouchement a lieu,
avec une présence manifeste, la fille sera assistée par sa
mère. La grand-mère prendra en charge le nouveau-né et
joue désormais le rôle d’une nourrice. Pour elle, sa fille
manque encore de maturité et a besoin d’un secours. Le
même scénario se réitère à chaque fois où la postérité
s’élargit. D’ailleurs, il arrive qu’un jeune homme divorce
parce que les deux parents s’immiscent dans l’intimité
familiale. Attachés à lui, ils éprouvent de la peine et
digèrent très mal son indépendance. De là, en désaccord
avec le traitement de la belle-famille, l’épouse claque la
porte ou vice-versa.

Ici, l’idée d’autonomie fait défaut et devient le premier


sacrifié sous la pression culturelle et surtout parentale qui
infantilise la progéniture parfois à jamais.
Psychologiquement, la tendance déresponsabilise les
descendants, servis et choyés dans toutes les
circonstances. On rencontre un quarantenaire pris en
charge par ses parents et considéré encore comme un
enfant. En conséquence, le désorienté, enclin à la facilité,
voit la situation comme une opportunité et s’y adapte.

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II. SON RAPPORT AVEC LE VERBE

Il y a un héritage linguistique indiscutablement colonial


par le fait que l’indigène n’a pas choisi la langue avec
laquelle il va désormais se construire et construire son futur.
Puisqu’il est comme un objet voire un néant, à sa place,
dorénavant, la métropole arrête son sort culturel. De
manière incontournable, il doit s’exprimer dans la langue de
l’autre et voir le monde à travers un outil qui n’est jamais le
sien. C’est vrai, en soi, acquérir une langue est une richesse,
mais perdre la sienne constitue un drame irréversible.

L’autre fait penser à la différence et cette dernière


varie selon l’entité que représente l’autre. Il y a l’autre
d’une même culture, ce qui amoindrit la distance entre les
extrêmes. Mais ici, l’autre incarne le conquérant ayant
comme projet d’asseoir sa suprématie. La conquête réussit
mal si elle n’est pas accompagnée d’une touche culturelle
offrant un peu de douceur dans sa brutalité. Il faut un
système qui fait croire à l’indigène que le colon apporte du
savoir, et que par conséquent, à travers sa présence, il
rejoint la communauté humaine. À partir de là, la
communication avec le soumis devient primordiale et la
domination passe par la langue de l’autre étant donné que
cela ouvre un espace d’acceptation et de détente. L’autre
se familiarise donc avec la nouvelle situation et se passe
du traducteur, une éventuelle source d’altération.

Évidemment, parler la même langue se présente comme


un atout. En premier lieu, cette opportunité bannit la
distance avec l’autre et fait de lui un compère dans la
mesure où l’indigène s’identifie culturellement à sa
communauté. L’autre devient proche et la méfiance
moindre. En deuxième lieu, le colon explique ses pas et ses

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intentions ce qui rassure l’indigène qui voit le déroulement


de son sort. Au moins, en termes de communication, il est
fixé. Malgré le caractère déplorable de son avenir, il sait où
il va. En troisième lieu, avec le message de l’église, passant
par la nouvelle langue, la déshumanisation prend une
proportion atténuée. L’institution religieuse tente, tant bien
que mal, de faire de la conquête la volonté de Dieu. En
quatrième lieu, l’indigène apparaît comme rétabli en parlant
une langue internationale, structurée et scientifiquement
organisée. En dernier lieu, l’indigène s’approprie la langue,
la manie, et finalement, la défend. C’est exactement
l’objectif du conquérant déterminé à posséder la pensée du
conquis puisque « le champ le plus important sur lequel il
(colonialisme) jeta son emprise fut l’univers mental du
colonisé »10.

Transmettre sa langue au colonisé est donc stratégique,


et pour cela, le dominant conçoit un programme
d’éducation dont le pilier est l’apprentissage de la nouvelle
langue visant à faire de la jeunesse une intelligentsia et un
porte-parole. L’occupant s’installe en terre conquise avec
une institution d’instruction à dessein politique. Ici, c’est
avant tout l’intelligence linguistique qui retient son
attention puisqu’il s’oppose à l’expression d’une identité
indigène entièrement libérée. Et plus que jamais, pour le
conquérant, la volonté de développer l’intelligence du
meurtri par l’acquis et l’expérience devient un projet.
L’enseignement passe donc par elle et c’est là que
s’amorce le formatage du nouvel être en perspective, un
être à la fois mutilé et perdu.

La mutilation trouve ses racines dans la création de


l’école coloniale et se poursuit aujourd’hui à travers son
héritière dite nationale. C’est le cumul des projets
10
Séverine Kodjo-Grandvaux, Écrire l’Afrique-Monde, p.317

42
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d’éducation politiquement orientés qui ont fini par


émerger le nouvel être.

1. Le nouvel être : l’origine du verbe

1.1 L’école coloniale

L’on parle de l’école primaire initiée par


l’administration coloniale et comme son nom l’indique,
elle est le porte-drapeau d’un projet a priori éducatif et
libérateur, mais essentiellement orienté et colonisateur. On
peut résumer sa mission en quelques points :

- faire de la langue étrangère celle de l’indigène et rendre


la sienne obsolète. En fait, elle dépend d’une académie
qui promeut en permanence sa sophistication. Révisée,
enrichie, sauvegardée et donc attirante, elle exerce une
séduction sur l’apprenant qui reste fasciné par sa
régénération. L’autre ne dépend de personne et ne sert
qu’à se dire le minimum. Orpheline comme celui qui
l’incarne, rien de scientifique ne se dit en elle et en ses
structures, et par conséquent, elle s’avère inutile.
Justement, « le bilinguisme colonial n’est ni une
diglossie, où coexistent un idiome populaire et une
langue de puriste, appartenant tous les deux au même
univers affectif, ni une simple richesse polyglotte, qui
bénéficie d’un clavier supplémentaire mais
relativement neutre : c’est un drame linguistique »11.

- Faire d’elle la langue officielle au moyen de laquelle le


maître s’adresse à ses sujets à l’aide des interprètes
formés par elle-même. Elle est le canal de la

11
Albert Memmi, Portrait du colonisé, pp. 136/137

43
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domination ce qui signifie l’élimination certaine de la


langue locale désormais utilisée pour des choses
secondaires. En effet, elle représente l’essentiel parce
que le détenteur se voit comme essentiel.

- Faire d’elle une langue dont le propriétaire est puissant


puisqu’il peut la soumettre à qui il veut. Avec ses
institutions, prêtes à agir, elle donne effet dès qu’elle
installe ses structures sur le territoire conquis.

- Faire d’elle la seule opportunité permettant une


ouverture au monde étant donné que la langue de
l’opprimé devient celle du cantonnement. En clair,
personne ne choisit le cantonnement en lieu et place de
l’éclosion.

- Faire d’elle là où se séparent l’indigène et ses origines.


L’indigène et son devenir. Dès la scolarisation, l’enfant
cesse d’être avec ses parents et vice-versa. En réalité,
l’école entame ici la mission la plus dramatique, à
savoir le fait de dresser un mur irréversible entre le
géniteur et sa postérité. Le premier habite un
Ancien Monde et le deuxième un nouveau. « Dans le
conflit linguistique qui habite le colonisé, sa langue
maternelle est l’humiliée, l’écrasée. Et ce mépris,
objectivement fondé, il finit par le faire sien. De lui-
même, il se met à écarter cette langue infirme, à la
cacher aux yeux des étrangers, à ne paraître à l’aise
que dans la langue du colonisateur »12.

- Faire de la culture étrangère le pivot de l’entreprise


impérialiste quand on sait qu’une langue n’est jamais
enseignée seule puisque son corollaire (son histoire, sa
littérature, ses héros, ses conquêtes et ses gloires) en
12
Albert Memmi, op. cit. p. 136

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fait partie intégrante. Sans filtre, l’indigène doit


assimiler la totalité, et comme un récipient vidé de son
contenu au profit d’un autre, en place et lieu de sa
culture, celle du conquérant s’installe par le biais de sa
langue. Il y a l’assimilation d’une culture autre que la
sienne. L’indigène est refait. Sa pensée et son mental
font l’objet d’une réorganisation, et au total, il finit par
nier l’appartenance à un monde désormais désuet. Être
acculturé prend ici le sens le plus aigu.

- Faire du territoire conquis un monde divisé : une élite


attachée à la métropole n’ayant plus rien à partager
avec les siens et une masse appartenant désormais à un
univers dépassé. Chaque jour, le décalage se creuse
puisque la dynamique scolaire, convaincue de sa
mission, ne cesse de produire un nouvel aliéné.

- Faire de l’indigène un sauvage sans foi ni loi. Sans foi,


parce que l’église n’a pas admis sa religiosité. Ni loi
parce que la démocratie lui fait défaut. Il s’agit donc
d’un programme éducatif censé réhumaniser un être en
perdition.

- Faire de l’école une institution qui sauve de l’abîme un


individu dont l’ignorance constitue la bête noire dans sa
manière de concevoir le monde. En fait, dans son
espace où l’autonomie rythme ses activités, il peut
s’auto-suffire et se passer de l’effet de la civilisation.
De ce fait, elle est chargée de rabattre l’indigène vers le
cercle de l’humanité savante. A priori, le fait d’être
civilisé passe par l’acculturation.

De façon laconique, signalons au passage que certains


ennoblissent la présence de cette école en prenant à la
lettre la mission qu’elle s’est assignée. Pour eux,

45
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l’indigène sort de l’illettrisme, parvient à lire et à écrire,


renoue donc avec le monde livresque et quitte
définitivement l’ignorance en s’adressant directement à
l’occupant. Son identité se reconstitue grâce à l’école
coloniale alors qu’il était dans un néant. Il s’ouvre au
monde et se sent finalement pluriel en rejoignant la
communauté en quête d’émancipation.

En face, il y a ceux qui chargent cette institution de


plusieurs maux. Selon leur position, l’indigène lit et écrit,
mais à longue échéance, sa langue et sa culture finissent par
se perdre. Il est coupé de sa foi ce qui justifie le rejet des
parents qui voyaient que « la nécessité d’envoyer leurs
enfants à l’école n’était pas comprise, et que même, il y
avait une réticence, pour ne pas dire un refus, à l’égard de
cette institution dont les objectifs n’apparaissent pas
clairement aux yeux de la population »13.

A priori, les arguments s’annulent dans la mesure où


chaque camp se cramponne à sa position, et ce face-à-face,
entre les bienfaits et les méfaits de l’école coloniale, nous
amène à une forme d’aporie. Abordons la problématique
sous un autre angle en mettant en exergue deux éléments :
l’intention du dominant et le devenir possible de
l’indigène sans l’école coloniale.

• L’intention du dominant

A la question, « la colonisation est-elle bénéfique pour


l’indigène ? », en partie, il faut aller puiser l’explication à
la volonté originelle du conquérant. En fait, dès le départ,
ce projet avait un but : occuper des nouveaux territoires
riches et stratégiques, en même temps, pour rendre
l’entreprise possible, asservir l’indigène. Et la meilleure
13
Jean-Dominique Pénel, L’École à Djibouti 1884-1992, v1. p.14

46
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façon d’assujettir un sujet est d’agir sur le mental là où


s’élabore et se consolide la conception que l’on se fait de
soi, du monde et du devenir. Effectivement, ici, l’école est
destinée à faire de la tête de l’opprimé un endroit qui
fonctionne conformément au vouloir idéologique de
l’oppresseur. Certes, il sait intelligemment ce qu’il faut y
mettre et comment y mettre. Cette manière de procéder est
plus sûre et plus douce que l’oppression. En général, on
réussit à orienter un individu quand l’autorité d’influencer
son raisonnement vous appartient. Cela exige un travail
principalement éducatif et lent mais allant sûrement vers
son objectif.

Personne donc ne peut altérer l’intention du


conquérant déterminé à posséder à la fois l’esprit et les
richesses de l’opprimé. Comment le désorienté parvient-il
à intervenir dans l’action intelligente et militaire du
conquérant ? Par ailleurs, la conquête étant scellée depuis
les capitales occidentales, il n’est ni considéré ni consulté.
Pourquoi accorder une marge au néant, au non-être ? Les
partisans des résultats positifs de cette école construisent
leur raisonnement selon une sincérité de la part du colon
qui aurait accepté un deal entre sa victime et lui-même.
C’est-à-dire un pacte qui permettrait que chaque camp soit
gagnant à la fin de la conquête. En termes de rapport de
force, cela nous amène à démentir l’égalité entre les deux
parties alors que l’évidence nous enseigne l’inverse. Bien
que leurs propos soient justes dans un cadre où l’entente
régule l’acte des protagonistes, ici, il y a un maître qui
s’est fixé un objectif et un meurtri qui encaisse un
programme avilissant.

47
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• Le devenir de l’indigène sans l’école coloniale

Le groupe qui atténue l’aspect dramatique de la


colonisation attache une importance à la scolarisation de
l’indigène dont l’instruction serait l’avènement d’une
nouvelle ère pour tout un peuple. Grâce à cette nouvelle
situation, dorénavant, le conquis aurait la capacité
d’organiser son sort autrement. « Qu’allait-il devenir donc
sans l’école du dominant ? », disent les défenseurs du
bénéfice colonial.

Premièrement, la réponse se révèle difficile pour la


simple raison que l’on se situe dans le domaine de la
supposition. Par conséquent, on est proche de la fiction,
mais en ce qui nous concerne, on est dans le réel, et de plus,
dans le réel le plus tragique. Il faut cependant s’éloigner de
tout ce qui donne à notre débat l’image d’un lieu où
l’imagination écrase le concret.
Deuxièmement, malgré la remarque, l’on ne manquera
pas de souligner la trajectoire possible qu’aurait suivie
l’indigène. En effet, avant que le colon n’arrive, le
désorienté avait la parfaite conviction de s’auto-suffire et
n’avait pas imaginé, qu’un jour, une armée étrangère
procède à l’invasion de son territoire.
Troisièmement, on pourrait imaginer l’arrivée de l’école
au moyen de la mondialisation et donc d’une manière
relativement pacifique. L’on estime que le capitalisme
s’introduirait dans les régions du monde dans un souci de
profit, et que parallèlement, l’humanité changerait d’aspect
en mal comme en bien. De surcroît, avec l’avènement de
l’internet, les choses prendraient une tournure moins
dramatique contrairement à l’invasion territoriale.

Bref, pour répondre à la question liée au devenir de


l’opprimé sans l’école coloniale, on pense qu’il avait les

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moyens d’exister indépendamment d’elle. Ou qu’il y


aurait, dans des conditions différentes, une probabilité de
voir d’autres alternatives plus apaisées.

1.2 L’école nationale

Elle devrait changer de cap et d’orientation au profit


de l’indigène qui attend d’elle des réparations.
Malheureusement, elle manque de quatre choses :

• de philosophie

En effet, l’école de la puissance coloniale agissait en


fonction de quelques exigences. D’abord, elle s’appuyait
sur une idéologie militaire parce qu’elle arrive en même
temps que le colon. Elle adhère à l’expansionnisme
territorial et parraine l’acte de l’agresseur. Ce n’est point
une institution qui s’invite dans un climat de concordance
où les parties se valent et s’entendent. Ensuite,
l’établissement de l’Église catholique coïncide avec son
installation et prêche son dogme en partenariat avec elle,
ce qui « reflète l’inquiétude sur les visées du système
scolaire en liaison avec la colonisation, tant sous l’aspect
proprement colonial (former des auxiliaires de
l’administration) que sous l’aspect religieux même si ces
deux composantes coloniales pouvaient avoir des rapports
conflictuels »14. Active dans le prosélytisme, elle confirme
encore une fois son engagement idéologique. Et enfin, elle
incarne l’aspect culturel de la présence étrangère en terre
conquise, ce qui entraine, à la longue, la perte graduelle de
l’identité du conquis. De ce fait, elle s’acharne sur les
résultats, et en peu de temps, elle a formé une entité plus
ou moins fidèle à la cause de la métropole. Sans répit, elle

14
Jean-Dominique Pénel, L’École à Djibouti 1884-1922, v1. p.14

49
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s’est fixé une fin et cette ambition reste nourrie par le fait
que la politique expansionniste la soutient.

Quant à l’école nationale, très vite, elle montre des


signes de faiblesse témoignant de la léthargie due à
l’absence intégrale d’une mission à réaliser. Oui, il y a
certes une finalité à laquelle elle a pensé arriver. Mais elle
a manqué d’âme et d’esprit alors que « les empires de
l’avenir sont les empires de l’esprit 15». Le pourquoi de
son être n’a pas fait l’objet d’un vrai débat. Comme déjà
évoqué, l’indigène était la cible de l’école coloniale.
L’héritière devrait concentrer son effort sur la même cible
afin de restaurer les réels dégâts. Elle manque
d’inspiration et de dessein. Dans la vie, ce qui donne corps
à un projet est la dose de résolution et d’intention qu’il
faut mobiliser. La différence se révèle donc capitale : il
s’agit d’avoir foi en ce projet. Elle n’a donc rien de
national étant donné que l’idée de nation n’implique pas
un engagement au service du pays et du citoyen. Ici, la
notion de collectivité devrait servir d’idéologie et de
tremplin afin de créer une dynamique éducative
indispensable au développement de tout un chacun. En
vérité, la léthargie dont il est question s’éclipserait
facilement devant une inspiration ayant pour stimulus la
cause nationale.

Encore, l’école coloniale misait sur la pensée de


l’indigène, le but étant de s’approprier son soutien
intellectuel dans un contexte d’animosité où le peuple est
remonté contre l’occupation. Pour l’envahisseur, il fallait
détourner les gens des avanies du projet et faire émerger
son aspect civilisationnel, et pour cette fin, l’école
représentait le lieu par excellence où la capacité de
raisonner juste s’enlève. L’écolier se sent proche de
15
Pascal Boniface, Comprendre le monde.

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l’enseignant qui, chaque matin, lui apprend des bonnes


choses. La confiance s’établit entre l’institution scolaire et
l’apprenant, et finalement, le décervelage se montre
concret. Par conséquent, la résistance contre l’occupant
prend la tournure d’une barbarie qui n’est pas en mesure
de comprendre le sens du secours étranger. Dorénavant, au
service de la domination, des indigènes prennent sa
défense en rendant sublime l’action qu’elle mène dans le
territoire. Le tour est joué. La raison indigène, victime
d’un ensorcellement scientifique, élaboré par les meilleurs
des spécialistes, change de camp et tourne les armes contre
les siens.

Quant à l’école nationale, au lieu de restaurer les


dégâts en rétablissant la pensée indigène, elle s’engage
dans une voie un peu identique à celle du colon. Identique
dans le sens où les deux visent la désorganisation de la
raison du meurtri. En fait, l’école étrangère active tout le
potentiel intellectuel du désorienté en sa faveur alors que
l’école nationale œuvre pour interrompre toute intelligence
en mouvement. Pour toute dictature en service après le
départ du dominant, un esprit critique né d’un cerveau
bien fait se déclare comme l’ennemi numéro un d’un
système. Et le meurtri, censé apporter la contradiction
parce qu’il est sensé, sa neutralisation s’annonce sûre.
L’on aura l’occasion de développer cet aspect plus loin.

• De programme

Comme elle a manqué de vision éducative, l’école


nationale a échoué aussi dans la conception d’un
programme propre à elle et apte à former le citoyen de
l’espoir « en réformant le système hérité de la colonisation
et en le déconstruisant totalement »16. En fait, à part
16
Felwin Sarr, Afrotopia, p. 121

51
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quelques disciplines, en général scientifiques, celui de


l’occupant était destiné à « d’inscrire l’autre dans sa
narration dans une position d’infériorité, le convainquant
de la nécessité des liens de dépendance qu’elle établissait
avec lui, et cela, en lui renvoyant une image mystifiée de
soi et dévalorisée de lui au travers d’une lecture tronquée
de son histoire et de ses cultures »17. Avec raison, le Frère
Brice, directeur de l’école de garçons à Djibouti-ville
écrit : « à tous ces élèves, nous faisons aimer la France et
nous leur faisons étudier l’histoire et la géographie »,
également, Pierre Pascal, créateur de l’école pour
indigènes précise : « peu de mois après son ouverture,
j’avais pu constater les progrès remarquables des jeunes
enfants, au nombre de vingt-cinq environ, qui suivaient les
cours de français, d’écriture et de calculs institués
spécialement pour eux »18. C’est bien un enseignement qui
repose sur l’orientation à l’issue de laquelle le dominé,
désormais déstructuré, doit apprendre l’essentiel de
l’occupant.

En général, dans ses péripéties afin de se doter d’une


approche pédagogique appropriée et d’un programme
conforme à ses objectifs, l’école à Djibouti, depuis sa
fondation jusqu’à maintenant, a connu plusieurs tentatives
d’ordres didactiques. A Obock comme à Djibouti-ville, à
ses débuts, l’enseignement peut être qualifié d’artisanal la
raison étant l’inexistence d’un projet pédagogique,
proprement dit. En revanche, dans les années quarante
apparaissent les premiers manuels servant de guide au
maître et la politique éducative mise sur un apprentissage
quantitatif. En science de l’éducation, à tous les niveaux,
les recherches ne cessent de se multiplier et l’école passe
d’une approche à une autre sans jamais se créer quelque

17
Felwin Sarr, op. cit. p. 120
18
Jean-Dominique Pénel, L’École à Djibouti 1884-1922, p.116

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chose de typiquement national. La pédagogie par Objectif


cède la place au Nouvel Ensemble Didactique (NED)
accordant la priorité à la contextualisation de
l’apprentissage, en d’autres mots, l’élève doit se connaître
à travers ce qu’il apprend et capter la réalité sans barrière
aucune. Puis, en 1976, vient le tour de la méthodologie
structuro-globale audio-visuelle (SGAV) faisant de la
communication verbale un choix dans l’apprentissage aux
dépens de l’écriture. Selon cette méthode, au moyen d’un
support sonore et matériel, impliquant le quotidien de
l’apprenant, l’instituteur mise globalement sur la maîtrise
de la parole en mettant de côté l’aspect technique de la
langue. En effet, il faut créer une situation similaire à celle
où l’enfant apprend sa langue d’une manière assez
naturelle et concrète. Finalement, suite à un constat
unanime, d’après lequel l’éducation nationale est dans une
impasse, les états généraux de l’éducation ouvrent ses
portes et débouchent sur une réforme demeurant jusqu’à
présent lettre morte. Au premier examen, la dictature se
méfie d’un enseignement de qualité le risque étant de
produire un citoyen libre dans sa façon d’exister.

En Afrique de l’Est, il convient de souligner le cas de la


Somalie qui a réussi la restauration de la langue nationale
comme outil d’enseignement et a établi un programme
scolaire s’appuyant sur la traduction du curriculum. Pour
ne mettre personne à l’écart de cette révolution culturelle,
une campagne d’alphabétisation d’envergure a été
entreprise et une large population en a profité. Hélas, dans
les années quatre-vingt-dix, par la chute de l’État somali et
la guerre civile qui en découle, cette expérience se termine
dans la tragédie.

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• D’enseignant

Oui, il faut le dire. Pendant la première décennie, juste


après l’indépendance, à titre d’exemple, la formation que
l’instituteur a suivie reste imprimée dans la mémoire de
ceux qui sont passés par l’institution chargée de façonner
le maître d’école. Durant deux ans, avec une rétribution
mensuelle considérable à l’époque, dans un cadre
pédagogique de haut niveau, il bénéficiait d’un
apprentissage pluriel où l’intéressé finissait le parcours en
ayant le sentiment d’être disposé à la contribution
nationale. Déjà, l’accès à cet établissement était
sanctionné par un concours transparent et dense.
Effectivement, on retenait les meilleurs sans prendre en
considération d’autres subjectivités. Une fois titularisé,
l’enseignant se voyait encore redresser en obtenant un
logement de fonction mieux adapté à ses conditions de
travail. En fait, il était valorisé par la tâche qu’il exerçait
au nom de la nation qui avait besoin d’une orientation
saine dès les premiers pas de son indépendance.

Après dix ans, le tour du désenchantement a sonné. A


posteriori, la prépondérance politique a pris le dessus et la
volonté d’accéder au pouvoir a détruit tout sur son
passage. Il fallait neutraliser les syndicats des enseignants
qui constituaient une force majeure de la société civile.
Donc, une guerre a été livrée contre le statut de
l’enseignant, et par une simple loi, le décideur politique a
défait l’âme de celui qui incarnait dorénavant l’exemple.
Depuis ce jour, l’éducation nationale connaît des
difficultés énormes dont l’élément déclencheur paraît être
la destitution de l’enseignant. Aujourd’hui, rarissimes sont
les candidats à cette profession puisqu’à la pénibilité
s’ajoutent les mauvaises conditions dans lesquelles on
travaille ce qui explique l’apparition d’une série de

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dépressions dans ce milieu. Il était noble, impénétrable et


exemplaire, mais il finit par incarner la déchéance de
l’éducation nationale. Il est un enseignant, parallèlement,
un conducteur de bus, un taximan ou un chauffeur de tuk-
tuk, et parmi ses clients, il se peut qu’il y ait certains de
ses élèves. Arrondir les fins de mois se positionne en tête
de ses priorités et instruire les élèves s’éclipse sous la
pression de ses besoins vitaux.

• De bibliothèque

Dans l’éducation, plus on avance plus la lecture prend


de l’ampleur. Au commencement, on déchiffre pour
apprendre à lire, au fur et à mesure de l’apprentissage, on
lit pour consolider la lecture et connaître le monde. C’est
un moyen, bien évidemment, efficace qui épaule
l’enseignant à former un citoyen culturellement large. Ici,
le livre fait tout son sens parce qu’il joint l’expression et
l’idée dans des structures syntaxiques aidant l’élève à
organiser sa pensée et à orienter sa réflexion d’où l’intérêt
de créer une série de librairies qui répondent aux
exigences nationales.

À ce sujet, la France a érigé un centre culturel


polyvalent toujours à une fin qui lui est propre : la
promotion de la langue française. La bibliothèque,
intégrée à cette institution, a servi de référence à beaucoup
de gens. Récemment, voient le jour quelques institutions
culturelles dont il faut retenir la Bibliothèque nationale et
les Archives nationales. A priori, jamais le politique n’a
voulu une société cultivée allant intellectuellement au-delà
de la frontière nationale.

En résumé, l’école nationale souffre donc d’une


carence fondamentale, d’ailleurs, les résultats confirment

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la tendance. Cependant, pour pallier ce handicap, des


écoles privées se montrent présentes et tentent de couvrir
un besoin sans limite. Réellement, l’espoir d’une école
nationale au point d’assurer sa mission initiale n’est plus
et seuls les enfants issus des familles défavorisées la
fréquentent encore.

1.3 Le produit de l’école

• Coloniale

L’on avait dit que l’école du dominant était une partie


intégrante de la conquête, et que par conséquent, elle a agi
pour que cette dernière réussisse. Il fallait faire de
l’indigène un de ses produits, et ce, par le moyen de la
langue et de la culture. Tiré du néant et installé dans
l’effervescence d’un monde francophone, il se sent
appartenir à une nouvelle ère. Il peut être décrit de la façon
suivante :

- Désormais, la langue de sa culture devient le français. Il


la revendique et la défend avec fierté. La langue dite
maternelle devient démodée, archaïque et sans écriture.
Sans contour, on la parle avec approximation. Elle
n’existe qu’à travers le parler ce qui prouve son
absence dans le concret. Elle n’est pas admise à la
sphère des langues qui s’étudient, s’améliorent et
s’étoffent. En clair, elle est morte puisqu’elle ne donne
pas vie à la tête. Par son biais, rien de scientifique ne se
dit. « En outre, la langue maternelle du colonisé, celle
qui est nourrie de ses sensations, ses passions et ses
rêves, celle dans laquelle se libèrent sa tendresse et ses
étonnements, celle enfin qui recèle la plus grande
charge affective, celle-là, précisément est la moins

56
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valorisée. Elle n’a aucune dignité dans le pays ou dans


le concert des peuples »19.

- Sa nouvelle langue le porte loin de son pays étant


donné qu’il s’ouvre au francophone où qu’il soit. Elle
permet de rêver à travers la lecture et de découvrir un
univers autrement inaccessible. Le désorienté
s’internationalise en sortant de la petite enclave signe
d’un néant culturel. Dans sa tête, grâce à ses lectures, se
croisent des communautés et une multitude d’idées
d’où la volonté « de sortir de la vie de la caverne et de
la tribu »20.

- Par certains aspects, il se désolidarise formellement de


son identité et change de nom. Il n’a plus l’envie de
porter quelque chose dont l’orthographe n’a jamais été
fixée. Il veut sortir du flou, et dès lors, il s’appelle
Jacques. Le nom sonne très français d’où
l’applaudissement de ses nouveaux compères charmés
par cette allégeance. Par erreur, si le nom indigène
surgit de quelqu’un part, la consternation le rend
malade. Entendre un signe qui fait référence au passé
provoque une révolte parce qu’il se sent encore menacé
par les réminiscences.

- Il veut tout gommer. Cette histoire d’un indigène


analphabète habitant dans un coin éloigné du monde où
l’on ignorait son existence jusqu’à la conquête bénie le
tourmente. Le conquérant l’a libéré d’un passé dont il
faut formater la mémoire. « C’était une honte de mener
un sort de ce genre », estime-t-il. Pour lui, c’était une
existence bestiale.

19
Albert Memmi, Portrait du colonisé, p. 136
20
Mario Vargas Llosa, L’Appel de la tribu, p. 42

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- Il assume une personnalité métamorphosée. En effet,


tout petit, il fréquente cette école et tombe sous le
charme de la nouveauté. En adepte, il reçoit tout ce
qu’elle porte en elle comme contenu. Il grandit au sein
de son action culturelle et militaire. Il s’y voit et
s’identifie à elle. Il juge et se positionne en fonction de
ce qu’il a appris grâce à elle. Il a une culture et une
civilisation portées par « une langue, comparable à la
musique de fond de supermarché, amollissant le
cerveau et l’amenant en douceur à l’acceptation
passive d’idées et de sentiments qu’il n’a pas
examinés »21.

- Il va encore de l’avant et pense que sa foi représentait


un handicap à son éclosion, par conséquent, il faut
changer de religion et accorder espoir et confiance à
l’église. Il se mue intégralement en quelqu’un d’autre et
se lave de son être pour devenir un autre sans jamais
réussir à être autre.

- Et enfin, il prêche ce qu’il vient d’être et devient le


porte-flambeau d’une culture qui passe mal auprès de la
société indigène. Il a abdiqué ce qu’il était sans jamais
habiter ce qu’il devient. Il a perdu la « possibilité de
dire -je-, d’agir soi-même, de se doter d’une volonté
citoyenne et de participer, ce faisant, à la création du
monde »22.

• Nationale

L’on attendait d’elle une réhabilitation de l’indigène


passant par un programme propre à lui et contenant ce
qu’il y avait de meilleur dans le programme de l’école

21
Edward W. Said, Des intellectuels et du Pouvoir, p. 43
22
Achille Mbembe, Sortir de la grande nuit, p.100

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coloniale. Jamais, la politique de cette dernière n’a


définitivement pas quitté la sphère éducative puisque sa
présence reste effective jusqu’à maintenant. En fait, la
continuité s’applique à travers un partenariat qui porte très
mal son nom. Cette coopération se justifie par un nombre
de conseillers dont la rentabilité mérite d’être révisée. A
posteriori, rien de sérieux n’a été tenté, et en conséquence,
le produit de l’école nationale peut se dessiner de la sorte :

- L’indigène ne parle convenablement ni sa langue ni le


français. En fait, la première sombre dans l’oubli et n’est
point comptabilisée dans le monde des sciences. Il se
sert d’elle pour les affaires privées. Elle s’emploie donc
d’une manière anarchique et désordonnée. Personne ne
l’enseigne parce qu’elle ne la mérite pas. Elle permet de
se faire comprendre sans chercher la justesse de ses
structures. Quant à l’autre, elle a une rigueur interne en
perpétuelle évolution, mais ici, elle est très mal
enseignée. Personne ne se donne la peine de corriger les
imperfections pédagogiques constatées si ce n’est d’une
manière superficielle. Les quelques irréductibles
éléments convaincus d’une solution possible pour
remédier les lacunes ont fini par baisser les bras.

- Il est dans l’incapacité de produire un message correct.


« Son langage fonctionne sans souci du concret et sa
parole existe en électron libre, pour elle-même »23.
Parfois, les grandes personnes ont recours à un
interprète afin de mieux comprendre un propos énoncé
dans sa langue maternelle. Finalement, ses capacités
linguistiques étant très rudimentaires, il ne peut que
raconter des choses très élémentaires. De fois, pour
solutionner ce handicap, il lui arrive de créer un

23
Michel Onfray, Rendre la raison populaire, p.49

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nouveau langage : un mélange de deux langues (sa


langue maternelle et le français).

- Il ne lit ni l’une ni l’autre. A la rigueur, la sienne n’a pas


fait l’objet d’un enseignement régulier. Le colonisateur
comme l’héritier ont adopté une approche de dédain à
son égard. Mais en français, être incapable de lire au
lycée signifie un drame dont les conséquences se
trouvent incommensurables surtout quand on sait que
quelques générations sont concernées.

- Il ne pense ni dans sa langue ni dans l’autre. En effet,


sur le plan conceptuel, penser fait appel à une certaine
organisation d’idées qui finiront par être dites au
moyen du langage. Réellement, en amont, ce travail
d’agencement ne peut se faire sans l’intervention d’une
langue et ne peut s’extérioriser, en aval, sans cet outil
appelé langage. En conséquence, la pensée annonce son
néant et le nouvel être manque de substance
intellectuelle.

- Il reste tiraillé entre deux cultures dont chacune échappe à


sa maîtrise. Il habite entre deux mondes où chacun ne
s’ouvre pas complètement à lui. De ce fait, il se sent perdu
et décide de se déconnecter des deux et de se créer un
monde à lui. Il plonge donc dans un désespoir qui trouve
sa tranquillité souvent dans des vices. Dans sa crise, il n’y
a rien d’intellectuel puisque la porte de la pensée lui est
fermée, et justement, « Karl Kraus avait raison de lier la
décadence d’un monde et celle de sa langue :
l’amphigouri qui règne dans tant de publications de
philosophie contemporaine prouve, si besoin est, l’état de
délabrement dans lequel nous nous trouvons »24.

24
Michel Onfray, Rendre la raison populaire, p.48

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- Il est complexé à partir du moment où l’image d’un


individu inachevé lui colle à la peau et ce cliché
s’intensifie quand, à l’entretien d’une embauche, il se
plante dans quelque chose d’assez banal. Par la suite,
tellement les cas abondent, le constat rentre dans la
norme, et finalement, à tort, la société qui couvrait cette
personne d’opprobre lègue maintenant l’échec au
système éducatif.

- Il est frustré parce qu’il n’est plus rien et n’a plus rien.
Par son appartenance à un monde à lui, sa
dépossession, il manque de statut et n’arrive point à se
faire une place dans la société. Incompris et pas écouté,
il s’enfonce souvent dans un esseulement qui débouche
sur un suicide moral. C’est un non-être.

1.4 Le produit du système

Ce qui aggrave la situation du meurtri, incapable de


s’affirmer, est l’absence d’un espace public où il a les
moyens de reconquérir son dépouillement. Hélas, le
régime enfonce le clou et participe à la dégradation de son
état en lui enlevant la capacité de se raconter. Comment
l’ordre établi a-t-il contribué à cette descente aux enfers
qu’est la méconnaissance de soi ?

- Il a fait en sorte que la prise de la parole ne soit jamais


possible et aucune plateforme ne propose un moyen de
discussion destiné à une libération psychologique où le
soulagement est prévu comme objectif. À l’évidence,
en guise de cure, pendant longtemps, le désorienté n’a
pas eu l’opportunité de partager ses souffrances avec
des semblables. Les entrailles bien remplies, il garde
les secrets de sa mésaventure.

61
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- Il a tout fait pour que le meurtri n’apprenne pas à parler


puisque cela représente un danger pour un système qui
se méfie d’un citoyen sorti de sa torpeur. A l’égard de la
dictature, dire son mal avec les mots qui conviennent
signifie une réprobation qu’il faut absolument étouffer.
En fait, elle interprète cet acte comme une offense
pointant du doigt la source du drame.

- Il crée un sentiment de peur qui pousse le nouvel être,


déjà entamé, à devenir taciturne, et à la longue,
l’habitude de dire le réel se perd. À l’origine de ce
silence, il y a la répression dont le résultat immédiat est
l’éloignement de l’opprimé du centre des décisions.
Son existence effective, marquée par l’expression de
soi, paraît comme une gêne censée être combattue.

- Il organise son abrutissement et sa « débilité » par le


fait que le désorienté n’est point sollicité pour quelque
chose ayant un rapport avec la pensée. L’on invite lors
des cérémonies officielles et son intervention se résume
à quelques slogans à l’adresse d’un dirigeant.
Sincèrement, pour deux raisons, il ne peut aller au-delà
d’un discours à l’exemple d’un apophtegme : il y a
l’incapacité de dire et la peur de dire.

2. Quel est donc le rapport du meurtri avec le verbe ?

Ici, en général, on met en exergue l’expression de la


pensée au moyen du langage pour la simple raison que
l’écriture représente encore un domaine inaccessible au
nouvel être. À noter aussi que le verbe passe par les
langues nationales (non écrites) ou par la langue du
colonisateur puisque l’on estime que l’approche du
désorienté pour les deux reste la même. L’état de « son
intelligence linguistique – compétence intellectuelle – qui

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semble la plus largement et la plus démocratiquement


partagée au sein de l’espèce humaine »25 laisse apparaître
une dégénérescence très avancée.

Comment le nouvel être s’énonce-t-il au moyen du


langage ?

2.1 Le meurtri de l’école coloniale et le verbe

- En général, à Djibouti, contrairement à d’autres colonies,


où, la perte, en termes des langues maternelles, est
presque totale, le nouvel être parle relativement le
français et sa langue. En fait, la majorité des élèves se
rendaient à l’école en parlant déjà leurs langues et le
programme proposé par cette institution manquait
d’acharnement pour déposséder l’indigène de sa langue.
Surtout, le manque de budget obligeait les gouverneurs
respectifs à se contenter du minimum puisque
« l’insuffisance générale de la maîtrise du français
requiert donc, aux yeux de l’inspecteur, qu’on ne
s’occupe plus que du français »26.

- Il a bénéficié d’un programme scolaire relativement


élaboré et l’expression de sa pensée témoigne d’une
formation non négligeable. Ses propos sont dotés de
sens et ses références montrent la portée de sa culture
parce que « les premières lectures deviennent quelque
chose de vécu et de senti »27.

25
Howard Gardner, Les Formes de l’intelligence, p.86
26
Jean-Dominique Pénel, L’École à Djibouti 1884-1922, v1. p. 261
27
Alberto Manguel, Une Histoire de la lecture, p.27

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2.2 Le meurtri de l’école nationale et le verbe

- Il n’a rien à annoncer étant donné que la matière, en


l’occurrence l’idée, qui sert de substance au langage
s’annonce absente dans son raisonnement. En fait,
l’intellectualité lui fait défaut et parler pour ne rien dire
est un signe révélateur de sa légèreté. Il a raté
« l’aptitude du langage à créer une infinité de pensée
avec un stock limité de mots et d’expressions parce que
le mot se renouvelle par son contexte »28.

- Il ne s’est pas approprié une langue pour « bâtir un


monde intérieur »29)), c’est-à-dire pour raisonner et
générer des idées grâce à elle. De facto, en partie, la
séparation entre notre personnage et la capacité de
penser dans ce qu’il y a de fondamental dans la vie est
consommée. Bien sûr, il a l’intelligence de la routine,
mais en matière de méditation, les lacunes
s’approfondissent et le cerveau finit par s’atrophier.

- Il souffre d’un vide intellectuel, en conséquence, par


peur d’être jugé, il préfère sombrer dans le silence. A
l’inverse, dans un public averti, s’il s’aventure à dire du
non-sens, il provoque la risée. La notion de vide nous
amène alors à illustrer le rapport distant que le meurtri
manifeste avec l’idée qui est l’essence du langage.

- Il emploie la langue d’une manière approximative et ne


convainc point son interlocuteur, de ce fait, il demeure
dans la confusion. « Il manque une aptitude (la
connaissance linguistique) que les dirigeants politiques
et les avocats ont développée au plus haut degré, mais
que tout enfant de trois ans désireux d’une seconde part
28
François Chenique, Éléments de logique classique, p.2
29
Josef Shovanec, Nos Intelligences multiples, p.98

64
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de gâteau a déjà commencé à cultiver »30. Il est


caractérisé par une imprécision linguistique rendant fade
sa personnalité. Effectivement, le moyen de dresser son
portrait lui échappe, par suite, rien ne peut égaler comme
handicap le fait de ne pas parvenir à exprimer son
vouloir. Se manifester par le verbe et donner une identité
à sa volonté semble être le plus beau fleuron pour fuir
une déréliction.

- Il tergiverse dans son intervention et décide, en général,


de passer par quelqu’un d’autre qu’il estime avoir le
verbe. En sa présence, il a un traducteur qui parle la
même langue que lui. À sa place, quelqu’un d’autre
construit sa pensée et la transforme en langage. En
principe, un traducteur tente de dire en ses mots une
pensée propre à la personne assistée. Ici, la pensée
comme l’expression lui sont étrangères. « La narration
d’une aventure personnelle sert à montrer comment tel
ou tel a construit sa subjectivité, elle invite ensuite
chacun à entamer un long processus de construction de
soi, de structuration existentielle31 ».
- Il souffre encore quand son incapacité à se défendre
relève de ses droits en tant que citoyen. Là, il s’agit de se
prononcer sur un réel qui l’étouffe et qu’il n’a ni le
courage ni le verbe pour dénoncer. C’est très compliqué
puisque la revendication fait appel à la structuration de la
pensée, à l’argumentaire et à l’éloquence qui permettent
souvent de convaincre l’opinion publique. Ici, la défaite
face à une réalité historique l’accable et le met dans une
situation irréversible.

Le désorienté traverse une crise relative à sa capacité de


peindre son être, sa volonté et son devenir. En effet, en

30
Howard Gardner, Les Formes de l’intelligence, p.86
31
Michel Onfray, Rendre la raison populaire, p.51

65
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amont, se raconter passe par une opération intellectuelle où


la méditation constitue un exercice majeur et qui finit, en
aval, par l’expression destinée à se manifester.
L’intelligence linguistique (le mécanisme cérébral et le fait
de le transformer en propos) pose problème à notre
personnage qui se perd dans la complexité de la pensée et
qui n’a aucune solution si ce n’est le silence. Il vit un drame
parce qu’il peine à se définir, à s’assumer et à s’imposer par
ses propres mots, ce qui rend floue sa personnalité.
D’abord, à l’origine de ce dysfonctionnement, il y a l’école
coloniale qui a produit un être enclin à sa culture et à sa
civilisation dédaignant son identité. Puis, il y a l’école
nationale, héritière de cette dernière, non indépendante,
sans ambition ni projet, qui a fini par former un être
complètement raté. Jamais, un programme ayant pour
finalité la constitution d’un citoyen conscient de son sort et
revendiquant son statut d’homme n’a été élaboré. Enfin, la
politique locale a participé à l’avènement d’un désorienté
incapable de se décrire et à se faire comprendre. Il est
dépossédé du meilleur outil au moyen duquel il pourrait
s’entendre avec l’autre : sa langue.

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III. SON RAPPORT AVEC LE RAISONNEMENT

Comme on l’a déjà souligné, la notion de rapport


implique une distance entre deux réalités qui coexistent,
en l’occurrence, ici, le désorienté et la faculté d’émettre ou
de recevoir un jugement rationnel. En fait, concrètement,
cela signifie que le nouvel être éprouve des difficultés
l’empêchant d’énoncer le soi avec raison. L’écart n’est
donc point physique mais plutôt idéel et discursif. La
déficience se situe essentiellement au niveau des idées, de
la façon dont il faut les organiser et les présenter pour
qu’elles constituent finalement une production sujette à
l’appréciation. Réellement, il est privé de ces possibilités
d’où l’idée de fossé et de rapport.

1. Le meurtri et le raisonnement

• La création du rationnel

Le raisonnement est le fait de mettre la pensée en


mouvement et « ce mouvement s’effectue entre deux
termes, l’antécédent et le conséquent. On appelle
antécédent l’ensemble des vérités admises au préalable, et
conséquent la vérité nouvelle exprimée à partir de
l’antécédent au moyen d’une relation de causalité, et non
d’une simple juxtaposition »32. À partir de là, le
raisonnement se précise comme la capacité de comprendre
le réel en l’analysant et en créant des liens entre les objets
ou les êtres. C’est grâce à la raison que l’on parvient à
connaître, à juger et à convaincre.

32
François Chenique, Éléments de logique classique, p.204

67
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Il faut noter que la pensée comme activité mentale a


intérêt à intégrer dans son sillage deux outils lui
permettant d’aboutir concrètement. En fait, avoir recours à
la raison nécessite la maitrise d’une langue dans la mesure
où, en son absence, la pensée ne se met pas en exercice.
Autrement dit, elle est le réceptacle de la matière à
réflexion. Et pour passer de l’abstrait au concret, le
langage prend le relais et s’approprie l’acte de convertir
cette production en communication.

Pour mesurer la capacité de raisonner du nouvel être, il


est intéressant de faire appel à la théorie de Robert
Sternberg, professeur de l’université de Yale, sur
l’intelligence. Selon lui, l’intelligence n’est point une
exclusivité du raisonnement abstrait et conceptuel. Il
préconise donc l’existence d’une argumentation à trois
possibilités : analytique, empirique et pratique. La première
est, conformément aux théories traditionnelles, l’équivalent
de l’intelligence ayant trait à l’attitude scientifique d’un
chercheur mettant en pratique les différentes modalités du
raisonnement abstrait, à savoir élaborer et tester une
hypothèse. La deuxième fait référence à la manière de
réagir d’un individu face à une nouvelle situation et sa
capacité d’adaptation à ce réel jusqu’à l’améliorer et le
maitriser totalement. Enfin, la troisième concerne
l’approche de la personne à aménager ses comportements
selon les circonstances et par rapport aux conditions socio-
culturelles en parvenant par exemple à changer de travail
selon sa personnalité et ses compétences.

À la lumière de la théorie de Sternberg, sur le plan


rationnel, le désorienté s’illustre de la manière suivante.
Premièrement, il n’a pas un esprit analytique qui débouche
sur la découverte d’une théorie scientifique donnant accès
plus tard à l’innovation. L’on est loin de cette intelligence

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pointue faisant appel à des connaissances largement


étendues. Il s’agit de mettre en exercice la force de la
logique et de l’argumentation le but étant de convaincre
l’autre. Ce genre de raisonnement provient de l’école et le
meurtri est bien évidemment le produit de l’école dont on
a décrit l’état. Dans une discussion, si on l’interrompt pour
lui demander son argumentaire, sa réponse se résume en
« ne cherche pas au-delà et prends ça comme ça ». Étayer
ses propos par des preuves n’a pas sa place dans sa
logique et la faculté d’y accéder se perd dans la nuit des
temps. Deuxièmement, la raison empirique donnant la
capacité de gérer les aléas lui fait défaut. Totalement, son
sort lui échappe. Il assiste au déroulement des évènements
qui démantèlent son être sans pouvoir y apporter la
moindre influence. Tout l’éclipse et il devient carrément
obsolète. C’est le cas du meurtri dont les amis obtiennent
le permis de conduire parce qu’il facilite l’accès à
l’embauche et qui reste inerte au point d’être seul dans
cette situation. Troisièmement, le raisonnement pratique se
caractérise par la faculté de l’être de changer un
environnement social et culturel inadéquat en faisant
preuve de caractère. En fait, il souffre d’inactivité, liée
bien sûr à la raison, et décuplée d’une crise de
dépersonnalisation. Ici, on pense à notre personnage se
satisfaisant d’une rétribution très étriquée alors qu’il a, des
fois, la possibilité de changer d’emploi avec une
rémunération relativement élevée. En fait, son adaptation à
un milieu où l’engagement en intelligence s’avère nul
arrange son affaire.

Il convient aussi d’examiner les « processus mentaux »


du nouvel être relativement à la théorie de Howard
Gardner sur le potentiel humain selon laquelle
l’intelligence n’est pas une faculté unique sujette à être
mesurée grâce au quotient intellectuel, mais qu’elle

69
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possède bel et bien des formes différentes les unes des


autres. Pour lui, il y a sept intelligences : la linguistique, la
musicale, la logico-mathématique, la spatiale, la
kinesthésique, l’intrapersonnelle et l’interpersonnelle.

L’intelligence linguistique a été légèrement évoquée


lors de notre débat sur le nouvel être et son approche avec
l’expression. L’intrapersonnelle et l’interpersonnelle
seront traitées dans le chapitre : « Son rapport avec lui-
même et avec l’autre ».

Cependant, on va définir les quatre formes de


l’intelligence en vérifiant à chaque fois si, oui ou non, le
désorienté s’identifie à l’une d’entre elles. Selon Gardner
donc, « la musique a en général une place restreinte dans
notre culture et on accepte très bien que des individus
soient illettrés en matière musicale »33. En revanche, il
avance qu’une « habileté musicale exceptionnelle peut
parfois aller de pair avec certaines anomalies comme
l’autisme »34, néanmoins, il soutient que la faculté musicale
varie selon les cultures. Il cite l’exemple des Anang du
Nigéria où « les mères présentent de la musique et de la
danse aux nouveau-nés d’à peine une semaine »35. Bien
entendu, le chercheur admet que raisonner en mode musical
est faiblement scolaire mais plutôt génétique et culturel. À
Djibouti, le meurtri n’est ni naturellement compositeur ni
culturellement interprète. La faculté d’extérioriser son
intelligence à travers la musique reste muette.

Là où le nouvel être se voit entièrement exclu est le


domaine purement rationnel étant donné que l’individu
« évolue vers des systèmes formels de plus en plus abstraits,

33
Howard Gardner, Les Formes de l’intelligence, p.118
34
Howard Gardner, op. cit. p.128
35
Howard Gardner, op. cit p.118

70
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dont les interconnexions deviennent des matières de la


logique plutôt que de l’observation empirique »36. De
surcroît, la logique comme les mathématiques s’acquièrent
à l’école la logique étant « la jeunesse des mathématiques et
les mathématiques étant l’âge viril de la logique »37. « Tant
que l’on a affaire aux mathématiques pures, on est dans le
domaine de l’abstraction complète et absolue » et le meurtri
subit l’interdiction de s’aventurer hors des sentiers battus
que sont les choses intelligemment basses. Le meurtri
trouve son confort dans l’illogisme et ne pourra jamais
démontrer pourquoi il soutient telle opinion. Pour lui, il
« aime ça et c’est comme ça ». « L’abstraction étant
l’opération de l’intelligence par laquelle nous considérons
séparément des choses qui sont unies par nature »38, de ce
fait, elle se situe hors de son champ de pensée.

Chez notre personnage, « l’aptitude à reconnaître le


même élément sous différents angles, l’aptitude à
transformer ou reconnaître une transformation d’un élément
dans un autre, la capacité à évoquer une imagerie mentale et
à la transformer ensuite, la capacité à produire une
représentation graphique ressemblante d’une information
spatiale, et ainsi de suite » 39dépassent son imagination dans
le cadre de l’intelligence spatiale. Pour lui, ce niveau de
réflexion s’apparente à une folie et la personne qui s’y
intéresse rentre dans l’ordre de l’irrationnel.

Enfin, pour finir avec le potentiel humain du chercheur


américain, le désorienté est inapte « à utiliser son corps de
manière hautement différenciée et talentueuse »40, aussi,

36
Howard Gardner, op. cit. p.145
37
Howard Gardner, op. cit. p.144
38
François Chenique, Éléments de logique classique, p.52
39
Howard Gardner, Les Formes de l’intelligence, pp.186/187
40
Howard Gardner, Les Formes de l’intelligence, p.218

71
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« il est incapable de manipuler des objets avec talents, à


la fois les objets qui impliquent des mouvements moteurs
fins des doigts et des mains, et ceux qui requièrent
d’importants mouvements moteurs du corps »41.
Réellement, exploiter son intelligence kinesthésique (ou
corporelle) afin de créer un message rationnel et ludique
sort du possible intellectuel du meurtri. D’après sa
conception, le mime est un personnage sans intérêt destiné
à distraire les enfants.

Pour mieux comprendre aussi la façon dont raisonne


notre personnage, il convient de faire appel aux processus
de raisonnement mis en évidence par les psychologues
cognitivistes en répartissant les activités mentales en trois :
inductive, déductive et analogique. La première part d’une
multitude des cas particuliers pour dégager des règles
générales et cela s’applique dans la recherche scientifique
comme dans l’activité quotidienne. La deuxième, quant à
elle, mise sur le fait de tirer une conclusion à partir des
informations disponibles et considérées comme étant
vraies. A travers ces deux modes, en psychologie, les
chercheurs tentent de mettre en lumière ce qui conduit une
personne à admettre une conclusion erronée. Enfin, la
dernière, appelée analogique, procède à la résolution des
problèmes en fonction des similitudes entre les cas
présentés.

Par rapport à ces formes de raisonnement (inductif,


déductif, analogique), souvent héritées de l’apprentissage
scolaire, le désorienté accuse un handicap majeur puisqu’il
avait raté son enseignement et ces modes de pensée font
de l’observation, de l’analyse et de la conclusion des
principes inhérents à leurs processus. Bien que ces
modalités de réflexion puissent être employées dans la vie
41
Howard Gardner, op. cit. p.218

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courante, néanmoins, l’aspect abstrait, c’est-à-dire


purement analytique, domine la tendance. À méditer sur
son langage, il parle souvent de football, d’un différend
entre deux individus, du mariage d’une voisine, d’un
accident de la route ayant fait quelques victimes. Bref, le
meurtri raconte et relaie, à sa manière, des faits divers sans
connexion avec la faculté de raisonner.

Chez le meurtri, on aperçoit la disette de logique et de


démonstration. Bizarrement, ce phénomène se répercute
généralement sur les discussions où la pauvreté en idées y
domine. Rarissime est de voir un désorienté qui transmet
une information structurée ou qui défend une idée et fait
appel à une série d’arguments. Ou qui réfute une thèse et
dresse quelques preuves qui la met en déséquilibre.
Exprimer une idée, pourtant très ordinaire, met en
difficulté ses capacités de communication.

Selon les interlocuteurs, le « discours imparfait »


(Socrate) du nouvel être se reçoit de deux manières. En
effet, pour la grande majorité, la réception d’une
information, mal formulée et dénuée de sens, ne provoque
pas ou peu l’étonnement tant que parler s’exerce et se
maintient. La capacité d’apprécier un discours et de porter
un jugement critique à son endroit s’avère absente. Sur le
plan rationnel donc la masse partage les symptômes du
meurtri puisqu’il arrive à la convaincre au moyen d’un
esprit terre à terre. Tout ce qui intéresse la foule et capte
son attention est le fait d’occuper l’espace par le verbe. Ici,
on met l’accent sur le langage non sur le contenu et la
façon dont il est construit. Le désorienté, comme la masse
qui se satisfait de son discours ont, en commun, un
problème dans leur façon de s’extérioriser.

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Quant à la minorité instruite, les propos du nouvel être


sont dépourvus de perspicacité et ne constituent qu’une
logorrhée portant en elle des éléments tout à fait
contradictoires. Selon cette minorité, ce n’est point une
émanation de la raison, mais plutôt une personnification
du non-sens. En effet, la logique, fonction clé du cerveau,
permettant à l’individu de se mettre en valeur, en tant que
personne pensante, est à l’arrêt en restant coupée du
langage au moyen duquel on parvient à nouer un lien
intellectuel avec son entourage. Le lien avec l’autre prend
de l’ampleur dès qu’il se pourvoit d’une dose
d’intelligence passant par le langage et la relation qui se
crée entre les partenaires gagne de la solidité. À ce
moment-là, la communication a une portée rationnelle
parce que l’échange mise sur l’argumentation et la
démonstration. En conséquence, la réciprocité en
intelligence participe à l’édification d’une collaboration et
d’une coopération objectives.

2. La réception du rationnel

2.1 Le meurtri et l’énoncé rationnel

Le nouvel être n’a pas le niveau d’écrire ou de lire, car


cela relève d’une activité intellectuelle de bon niveau.
D’ailleurs, au-delà de lui, peu de gens s’ingénient à trouver
leur satisfaction dans ce genre de domaine où l’on se
réconcilie avec la fraicheur de l’esprit. En effet, la lecture
comme aventure est un moyen de se mettre dans un
carrefour où se croisent des données riches en imagination,
en sagesse et en science. Ce comportement exige un mental
raffiné et apte à l’endurance par le fait que lire s’interrompt
le jour où le monde s’interrompt. Ici, la réception en
question concerne le message verbal et l’image.

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De toute évidence, écouter est un comportement auquel


l’homme ne peut en aucun se soustraire. On y prend plaisir
lorsque l’on entend quelque chose d’agréable. De la
musique à la poésie en passant par l’humour, chacun se
choisit un genre afin de rester en contact avec l’autre. Bien
sûr, la communication verbale et sa réception représentent
des signes de la sociabilité de l’homme. En fait, notre
nouvel être ne manque pas d’envie d’écouter, mais dès le
départ, il élimine l’énoncé rationnel qui constitue pour lui
une catégorie impénétrable.

Cet énoncé subtil obéit à un schéma principiel


commun : il inclut des faits pertinents et l’harmonie incarne
une charpente pour le raisonnement. Un plan rigoureux
désigne l’organisation interne, en même temps, il adopte un
style adapté aux circonstances, et enfin, l’énonciation
s’exécute avec dynamisme, manière de donner de l’âme à
ce discours. L’auteur de ce type de message construit ses
propos dans le but de transmettre des propos clairs et
touchants espérant après tout convaincre son auditoire. De
plus, il a l’intention de voir que le public sent la façon dont
il procède pour s’adresser à lui.

Pour le meurtri, suivre les étapes de ce discours et


apprécier chaque partie à sa juste valeur s’avère comme
une mission impossible. Effectivement, pour lui, tout n’est
que parole. A la question, si oui ou non, il a saisi un petit
discours simple, bien fait et bien dit, il admet que oui. En
revanche, dès qu’il est question de reprendre l’essentiel de
ce qui a été dit, il répète maladroitement des bribes
d’informations sans tête ni queue. Tout ce qu’il retient se
résume à des propos épars qui ne reflètent jamais
l’intention de l’auteur.

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Très souvent, le désorienté suit l’actualité à travers des


stations de radio traditionnelles telles que la BBC et la
VOA ou à travers des sites sur les réseaux sociaux diffusant
leurs maigres programmes en langues nationales. Par
exemple, s’il tombe sur une information relatant un attentat
meurtrier sur un coin du monde, il ne faut pas s’attendre à
ce qu’il restitue le déroulement de l’évènement comme il a
eu lieu. Pour lui, restera simplement dans sa mémoire « il y
a eu beaucoup de morts ». Ni l’auteur du crime ni le
pourquoi ni le choix du moment et de l’endroit ne feront
l’objet de son attention alors que l’information qu’il a suivie
a traité la plupart de ces points.

Dans un discours, en général, on distingue trois styles


selon Jean-Pierre Van Eslande (La Mise en scène du
discours). Le plus élevé convient aux sujets graves et
laisse afficher ses marques dans la conclusion où l’objectif
est de marquer le public. Le moyen intervient dans la
narration et dans la confirmation « puisqu’il s’agit de
relater des faits et de présenter des arguments » Quant au
style bas ou simple, il est souvent plaisant et détend le
public à l’aide de « l’humour et de l’anecdote ».

Dans son échange avec l’autre, à priori, le désorienté


se sent à l’aise avec le style le plus simple. Surtout, il est
émerveillé par l’anecdote qui fait rire aussitôt qu’elle est
dite. En fait, il y a deux sortes d’humour : celui qui est
subtil suscitant la réflexion et celui qui pousse
immédiatement à s’esclaffer. Dès lors que l’humour est
hors de sa portée, notre personnage se contente d’un long
sourire pour montrer qu’il est dans le contexte.

Normalement, plus ou moins, un énoncé apporte une


série de données qui représentent une nouveauté à celui qui
les reçoit. D’ailleurs, écouter sert à s’enrichir et à se munir

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d’expériences aptes à utiliser dans les résolutions des


problèmes. « Si l’homme a deux oreilles et une bouche,
c’est pour écouter deux fois plus qu’il ne parle », disait
Confucius. L’on insiste donc à dire qu’écouter signifie la
réception intelligente d’une quantité d’informations
pouvant orienter les connaissances et la vie de l’intéressé.
En revanche, le nouvel être écoute tout simplement pour
écouter, et dans le meilleur des cas, il le fait pour rire dans
l’insouciance la plus totale.

Il s’intéresse donc seulement à la parole plate, sans


distinction et sans élévation. Il s’identifie à la communication
verbale sans caractère correspondant bien à son profil et
mettant en relief une banalité rationnelle qui exclut tout
message à connotation cérébrale. Parce que son cerveau n’est
point habitué à repérer les séquences d’un petit discours
structuré sujet à l’analyse du destinataire. En effet, cela
implique de séparer les idées des arguments et les arguments
des illustrations et les illustrations des analogies. Enfin, pour
lui, la conclusion vient un peu tard étant donné qu’il a lâché
la concentration dès les premiers instants de l’énoncé. En
réalité, il ne résiste pas à la durée et à la délicatesse de la
démonstration et sa pensée se perd facilement dans ses
labyrinthes. Face à ce genre d’énoncé, il avoue très vite sa
disqualification et quitte les lieux pour consommer son ennui
ailleurs, là où l’ambiance satisfait son appétit à toute
platitude.

Après l’énoncé, vient l’image qui a aujourd’hui une


place inédite dans la communication. En termes de qualité,
il y a d’abord la caricature intégrant à la fois l’information
et l’intelligence. En un dessin, l’image parle d’elle-même et
transmet une information verbalement digressive. Il
appartient donc au destinataire d’interpréter le message et
de déceler l’intention de l’auteur. C’est en fait une activité

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d’observation et d’analyse faisant appel à la clairvoyance et


au sens de discernement du lecteur. L’auteur délègue une
part de l’activité intellectuelle à la personne qui le lit. Par sa
finesse, cette dernière doit compléter l’œuvre du
dessinateur, mais le désorienté ne fait pas l’effort d’attendre
jusqu’à la recomposition intégrale du message du
journaliste. D’abord, l’image renferme une série de données
qu’il faut reconstituer afin d’obtenir l’énoncé entier.
Manifestement, cela exige un moment de réflexion où
l’endurance et la sérénité doivent dominer la lecture. Pour
lui, l’attente, surtout lorsqu’il s’agit d’un exercice cérébral,
signifie un calvaire. Puis, la caricature étant un message
codé, le nouvel être n’est pas disposé à chercher la clef qui
permet de démystifier l’information. Face à ses capacités de
jugement, il y a un mur géant qui se dresse et qui rend
inaccessible l’intention de l’auteur. Enfin, le caractère muet
du dessin le met mal en point puisqu’il préfère le langage
dans son aspect le plus extérieur possible, le plus
littéralement possible.

Quant au cinéma, le choix du meurtri est vite fait et il a


tendance à magnifier les films d’action où la succession
des scènes spectaculaires tiennent la personne en haleine.
La course-poursuite, la chute, la bagarre et l’explosion de
tout genre comblent l’envie de s’exalter du nouvel être. En
fait, il ne pense plus à assouvir son esprit étant donné que
le besoin cérébral a cessé son existence, il y a bien
longtemps. Le mécanisme s’est rouillé et la machine peine
à entamer la relance d’une activité intellectuelle. Comme
tout domaine, le maintien de la répétition revigore le
cerveau afin qu’il remplisse ses fonctions originelles, à
savoir la réflexion. Mais le désorienté retient facilement le
chemin d’une action sensationnelle : le début, le
déroulement et la fin. Ce schéma basique où le héros

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traque l’injuste pour le punir convient à l’état de son


cerveau habitué à s’assouvir par le minimum.

À l’avènement de l’internet et du smartphone, l’image


explose en quantité et en diversité à tel point que chaque
individu devient un réalisateur. Révolu le temps où
l’exclusivité de l’image faisait l’apanage de la télévision et
du cinéma. Cette prolifération de l’audio-visuel arrange le
nouvel être dans sa volonté de trouver quelque chose qui
lui correspond, mais qui tue essentiellement, à petit feu,
ses facultés de jugement. Justement, un nouvel être
youtubeur, omniprésent sur les réseaux sociaux, rassasie
son envie de voir, d’écouter et de rire. Il le comble de
bonheur car il est le seul cuisinier à lui proposer le plat de
sa préférence. Gary Small, professeur de psychiatrie à
l’université de Californie, souligne que « l’explosion
actuelle de la technologie numérique, non seulement,
change notre façon de vivre et de communiquer, mais elle
altère notre cerveau rapidement et profondément »42. Pour
plusieurs raisons, le meurtri s’attache à l’image :

- Premièrement, elle autorise l’instantané. Avec son


objet, il passe un laps de temps rendant possible le
visionnement d’une multitude d’images généralement
sans grand intérêt. L’attitude du nouvel être de ne
jamais supporter l’attente va de pair avec cette
immédiateté qui détermine l’écran.

- Deuxièmement, rien d’impénétrable n’intercepte le


visionnage tant que la banalité reste le choix de notre
personnage, et de ce fait, entre toutes les vidéos, il
sélectionne celle qui rassasie la légèreté de son appétit.

42
Marc Dugain et Christophe Labbé, L’Homme nu, pp.102/103

79
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- Troisièmement, loin du réel auquel il préfère se dérober, il


s’installe durablement dans l’utopie. À travers l’allégorie
de la caverne, Platon nous explique que l’illusion se
substitue à la réalité et que l’homme est sujet à supprimer
la vérité au profit de la chimère. « Le reflet de la réalité
est devenu, dans nos têtes, plus important que la réalité
elle-même »43. Évidemment, la caserne représente
l’ignorance de l’homme et elle constitue cependant une
barrière pour avoir accès à la science, à la liberté et enfin à
la réalité. Pour le désorienté, l’image devient donc la
caverne de Platon. Selon lui, il a la chance d’obtenir un
monde d’images qui défilent sans lui créer des crève-
cœur. Sous le joug de l’hypnotisation, « ce qui prime est
donc l’hologramme de la vie. L’image du réel prend le
pas sur le vécu. Le mode des selfies renvoie de manière
saisissante aux ombres projetées sur les parois de la
caverne de Platon »44. Ici, selon le sociologue Dominique
Wolton, on assiste à « un aliéné du branchement »,
« puisque ces individus sont incapables de vivre en
dehors de ce moment virtuel »45. Effectivement, aux
antipodes de l’image qui ne demande qu’un regard
émerveillé, la vie questionne et soumet ses lois qui
exigent souvent une conduite imprégnée de raison.

De surcroît, l’effet de l’image, caractérisé par


l’obnubilation, se voit décupler par la consommation du
khat. En fait, il s’agit d’un arbuste de la famille des
célastracées, cultivé en général, en Éthiopie, au Kenya et
au Yémen. Le consommateur « broute » longuement ses
feuilles et en tire une substance hallucinogène qui l’enivre
et le place dans un état psychologique où l’inespéré se vit
dans le rêve. À vrai dire, cette plante aide le meurtri à

43
Marc Dugain et Christophe Labbé, op. cit. p.31
44
Marc Dugain et Christophe Labbé, op. cit. p.32
45
Marc Dugain et Christophe, op.cit. p.39

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éluder une réalité dont les désagréments ne cessent de se


multiplier. Dans un mabraze46, une séance de khat dure
pendant tout l’après-midi jusqu’au soir et parfois jusqu’au
petit matin. À part la fin de la matinée, où il opère les
prouesses de se procurer de quoi acheter sa dose, puisque
cela engage un budget conséquent, dans le reste du temps,
il est sous l’effet du khat. Ici, le danger est double : à
l’ivresse de l’image s’ajoute celle de la « drogue ».

Disons-le encore une fois, notre personnage fuit la


raison en esquivant toute image ayant un aspect intelligent
et se réfugie dans le visionnement des objets banals. Pour
lui, cette insignifiance devient une norme qui procure une
tranquillité, en même temps qu’elle éclipse le réel tel qu’il
devrait l’affronter.

2.2 Le meurtri et l’autre rationnel

L’on dit que « chaque oiseau vole avec les oiseaux de


son espèce ». Le désorienté n’est pas prêt à fréquenter
celui qui fait de la rationalité un critère de sociabilité.
Comme il se montre récalcitrant à l’égard de son discours
ardu, également, il manifeste une gêne lorsqu’il qu’il est
confronté à sa présence. Une personne rationnelle
représente son opposé, et à travers lui, le meurtri imagine
son éventuel devenir s’il avait entrepris les choses
autrement. Il pose des questions qui fâchent et qui
secouent sa conscience ce qui démantèle l’illusion précaire
dont notre personnage fait un antre. Sa rencontre avec
quelqu’un pourvu d’intelligence risque de le soustraire de
son asile où il se sent préservé de la rigueur de la logique.
« C’est l’harmonisation de deux cerveaux qui donne à

46
C’est un petit salon aménagé à la consommation du khat où les
« brouteurs » se retrouvent entre eux selon les affinités.

81
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chacun la santé, la sensation d’évènement qui structure


une personnalité »47. En réalité, il évite des questions du
genre : « Pourquoi as-tu perdu ton travail ? Pourquoi n’es-
tu jamais présent à ton poste de travail ? Sais-tu que tu
touches un salaire non mérité ? Marié et père d’enfants,
pourquoi, avec ta famille, tu habites toujours chez tes
parents ? Pourquoi dilapides-tu ton argent dans le khat ?
Dans l’alcool ? Fais-toi un peu d’économie ! Au moins,
une petite somme pour ton linceul ! Où est passée ta tête ?
Tu as la quarantaine et au-delà, il ne te reste plus de temps
à jouer ? Lève-toi tôt le matin et trouve-toi un emploi !
Rien ne sert de passer des nuits blanches et de dormir
toute la journée ! Ça suffit ! Tu as trop joué » Ou bien,
selon les cas : « Marie-toi ! Tu as la cinquantaine ! Fais-toi
une progéniture ! Cesse de se conduire comme un gamin !
Dans ce bas monde, tu es sur le point de finir ton séjour !
Observe ce qui se passe à ton entourage ! Fais comme
notre voisin ! Il est de ta génération ! Il mène une vie
digne d’être saluée ! ».

Le nouvel être escamote plutôt ce raisonnement et


adhère à un public qui a l’irrationnel comme profil. Dans
cette optique, retenons quatre catégories des désorientés.
La première, nantie, se permet d’aménager le mabraze à
son domicile où des « personnalités de marque » s’y
rendent pour partager avec elle des moments d’euphories.
Au local qu’elle a loué pour le khat, la deuxième passe
ensemble une bonne partie de son temps. En effet,
relativement aisée, elle cotise un budget le but étant de
pratiquer en groupe le retranchement virtuel et
hallucinogène. La troisième, habituée au chômage à vie,
élit domicile au grand dehors, devant les maisons, où, en
commun, elle mastique le khat dans une rêverie qui
annonce une fin tragique. Concrètement, ce drame
47
Boris Cyrulnik, Des Ames et des saisons – Psycho-écologie, p.51

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s’explique par la disparition précoce du désorienté parce


que l’aspect nocif de l’arbrisseau entame profondément les
organes vitaux. Quant à la quatrième, comme par hasard,
elle n’est pas versée dans la consommation de cette drogue
et entreprend, d’un quartier à un autre, une errance qui ne
dit point son nom. La flânerie emplit leurs journées
comme leurs soirées et elle ne songe guère à un lendemain
meilleur. À la fin de la péripétie, elle raconte tous les faits
auxquels elle a assisté durant sa tournée. Insouciante et
absente, elle se comporte comme un groupe non concerné
par ce qui touche profondément son être.
Sur le plan culturel, les catégories ne se valent pas,
comme dans chaque groupe, les désorientés ne se valent
pas. Mais curieusement, dans les quatre catégories, les
discussions contiennent les mêmes éléments et manquent
de substance sachant que l’on évoque les rumeurs qui
circulent en ville et dans les réseaux sociaux. Vu leurs
conversations, on relève deux défauts majeurs. D’abord, le
meurtri n’a rien à démontrer puisqu’il n’a pas le niveau,
d’ailleurs, personne ne demande le bien-fondé de ses
propos. Il raconte comme bon lui semble, et en pleine
discussion, il s’arrête sans aller au bout du récit pour
passer à autre chose. Ensuite, personne ne s’intéresse à la
qualité de l’expression et au choix des mots, pourtant,
souvent, dans ce milieu, le niveau linguistique manque de
soin et exhibe une défectuosité accentuée. Malgré l’état
déplorable du dialogue, personne, dans un groupe de
désorientés, n’est en mesure d’alerter les autres afin de
déclencher la moindre curiosité.

Ces lacunes, relatives à la logique, au contenu du


dialogue et à l’emploi défectueux de toutes les langues,
mêmes maternelles, sont mises en relief par la diaspora.
En effet, il arrive que cette dernière, de retour au pays,
pendant un court séjour, s’étonne de l’état des discussions

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entre les gens. Facilement, elle remarque une


communication privée de forme et de fond d’où leurs
interrogations incessantes : « Qu’est-ce qui arrive à ces
gens-là ? L’on n’arrive pas à suivre leurs dialogues ! L’on
dirait qu’ils commencent à apprendre à parler ! Où est
passé le raisonnement ?»

En fait, avant qu’elle ne se rende à l’étranger, la


diaspora se trouvait dans la même situation que le nouvel
être, mais son immersion dans la culture occidentale,
caractérisée par la fréquence du débat, a forgé son
approche dans les échanges de vues. Aussi, le fait que la
diaspora djiboutienne côtoie, là-bas, des communautés
issues de la région (la Somalie, le Somaliland et
l’Éthiopie), parlant les mêmes langues nationales, a éveillé
sa conscience en compétence linguistique. A posteriori, à
l’origine, les membres de ces populations ont bénéficié
d’un enseignement dispensé en leurs langues maternelles,
d’où, chez elles, l’élégance de l’expression, en
conséquence, la cohabitation a amélioré le rapport des
Djiboutiens au langage. Cela justifie la stupéfaction et le
sentiment d’abasourdissement chez la diaspora lors de
chaque visite dans le pays.

Souvent, chez le désorienté, l’observation et la logique


d’une personnelle sensée, provoquent l’ire et le
mécontentement. À son adresse, la pertinence des
questions et des remarques se traduit par une sorte
d’attaque destinée à sa destitution. Par exemple, la
recommandation de chercher un emploi ou de se créer un
petit travail libéral afin d’être autonome et de justifier son
existence signifie une provocation pour lui. Très vite, il
argumente son refus par « il n’y a rien dans ce pays ». Et
lorsqu’on lui rappelle que beaucoup de gens, fraîchement
arrivés au pays, parviennent à se passer de l’État et à

84
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monter des petits projets qui génèrent assez d’argent, il


lance des injures en rafales à l’égard de ceux-là, qui, à ses
yeux, sont des arrivistes. Il fait de leur présence la raison
principale de son échec et au lieu d’être remonté contre
soi-même, contre l’irrationnel, il l’est contre tous ceux qui
parlent ou agissent au nom du rationnel. De plus, l’auteur
de la recommandation, quant à son tour, non épargné,
devient une cible. « Te voilà bien loti avec un pareil
salaire, un pareil véhicule, un pareil appartement ! C’est
parce que tu me trouves méprisable que tu t’adresses à moi
de cette façon-là ! Laisse-moi vivre dans ma galère ! Moi,
j’attends Allah ! ».

Un autre exemple illustre la dégénérescence de la


raison chez le nouvel être. Il s’agit d’un homme d’une
quarantaine d’années, marié et père d’enfants. Salarié
comme son épouse, il consomme entièrement sa
rétribution en khat ou en alcool et ne manifeste aucun
engagement financier. Sa femme se plaint donc auprès de
ses proches, et communément, dans ce genre d’affaires,
une assemblée se tient afin de solutionner le problème et
de stabiliser le foyer. Avec force et certitude, l’épouse
admet sa propre participation aux dépenses familiales mais
souligne que la prise en charge est du devoir de l’époux.
Lui, imprécis et irrésolu, défend son attitude en prétendant
que tous ses amis font la même chose et que personne ne
les dérange dans leur nid. Pour lui, derrière ce tohu-bohu,
se trouve sa femme. Les notables, présents à la réunion,
partagent l’avis de l’épouse qui maintient la responsabilité
de l’homme à l’égard de la famille. Rien à faire !
« Puisqu’elle gagne sa vie, elle doit nourrir ses enfants. Je
dois ressembler à mes compères et ne jamais être
inférieur », réitère-t-il, sans gêne. « A la rigueur, si elle
n’avait rien à donner, à ce moment-là, j’aurais diminué ma
dose de khat et payer la ration alimentaire ! ».

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Curieusement, « je dois sauver mon honneur et assouvir


mes plaisirs comme les autres » finit par gagner contre la
logique unanime de l’assemblée de « sois quelqu’un de
responsable ».

3. Raisonner, c’est exister

Justement, à la lumière de nos propos, le désorienté ne


mène point une existence telle qu’elle est comprise par
tous. Effectivement, exister, c’est vivre pleinement ses
capacités afin de profiter de ce dont l’on dispose, et c’est
en même temps, apprécier la qualité de la vie
individuellement, familialement et socialement. Mais, le
meurtri aborde l’existence sous forme d’un supplice qui a
pour but de venir à bout de ses forces. Il « broute » le soir
jusqu’au petit matin, et le lendemain, il peine à assurer son
service. Avant ses cinquante ans, sous l’effet de l’érosion,
il s’en va pour ne plus réellement exister. Mais, le meurtri
finit par divorcer en choisissant le train de vie qu’il mène
dans le mabraze, où, il dort, tard dans la nuit, dès que se
termine la séance de khat. Ni femme ni enfant ne comptent
pour lui. Mais, le meurtri, matin et soir, fait le tour de la
ville de Djibouti. Dans la vie, il n’a rien de personnel et
d’intime. Il dort dans une mosquée ou dans un terrain où,
comme lui, ses amis ont élu domicile. Pour lui, la notion
de vie s’est figée dans cette forme d’errance et de
vagabondage, manière de vivre concrètement ce qu’il
appelle le destin. Mais, le meurtri, un parent très âgé,
soumet à son fils une facture salée (au-delà de son salaire)
pour payer un mois de consommation de khat. Pourtant, le
vieux souffre d’une multitude de pathologies dont cette
plante se trouve à la tête des produits contre indiqués. Tant
pis ! Il insiste et à la fin de chaque mois, on paye la note.
Si le fils essaie de faire revenir son père à la raison, très
vite, la sentence tombe : « choisis entre la malédiction et la

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bénédiction ! ». En général, bien que la logique soit


erronée, on choisit la bénédiction. Ici, ainsi vaincra le
nouvel être.

Dans tous ces cas de figure, le meurtri se châtie et


défend pourtant avec ferveur et détermination ses
comportements à tel point qu’il idéalise l’irrationnel
surtout lorsque la référence devient religieusement sacrée
comme « j’attends Allah ». Veiller le soir en « broutant »,
perdre sa famille à cause du khat, flâner durant toute la vie
sans savoir pourquoi, imposer à son fils de payer le coût
exorbitant d’une drogue semblent être aux antipodes d’une
existence normale. Pourquoi ce châtiment ? Parce que la
raison, la remise en question, la cohérence avec soi-même
sont des notions absentes dans l’action de celui que nous
appelons le nouvel être, quels que soient son sexe, son âge
ou son statut socio-professionnel. Naturellement, la
réflexion précède l’acte puisque ce dernier est
l’aboutissement d’un effort cérébral qui s’est effectué en
amont. Évidemment, le raisonnement détermine la nature
des choses qu’il faut entreprendre, et cela, en fonction du
profit escompté après l’exécution. La raison mise donc sur
le caractère efficient et bénéfique de la réalisation. Elle est
comme une passoire qui ne retient finalement que les
bonnes actions.

Mais le défaut sans équivoque du désorienté est le fait


qu’il est courbé par la pression sociale. Le conformisme,
phénomène étrangement présent à Djibouti, surtout
lorsqu’il s’agit de « brouter », capte l’attention globale de
notre personnage. Comme beaucoup de ses pairs, Il ne voit
pas plus loin que le bout de son nez. Chez lui, il y a une
sérieuse rupture entre penser et agir. Penser reste dominé
et étouffé par agir sous l’influence du milieu auquel on
appartient. En lieu et place de la raison, le penser collectif

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prend le dessus et élimine le désorienté en tant qu’entité


autonome pensante. De ce fait, sans se projeter
intelligemment dans le devenir de l’action et anticiper
rationnellement ses méfaits et ses bienfaits, chaque
entreprise humaine risque d’être vouée à l’échec. Et il n’y
a pas un projet plus grand que la vie de l’individu quand
on sait sa complexité et ses variétés en tenant compte de la
mondialisation qui intensifie les défis à relever. Donc,
exister ne peut se passer avant tout de la raison dans la
mesure où, sans elle, l’action humaine devient bestiale,
mécanique et sans finalité. Raisonner, puisqu’elle donne
un sens aux agissements, s’envisage comme une condition
sine qua non à tout acte humain.

4. Raisonner, c’est résister

Mettre un terme à cette existence délétère est


l’engagement d’un homme de caractère qui agit selon son
bon vouloir et non selon celui de son entourage. En effet, le
milieu que vit le nouvel être est fait d’une telle manière que
peu de gens échappent à son emprise d’ordre
comportemental. Le vice (ici le khat) et la pression sociale
sont les principales menaces qui font de la vie du meurtri un
endroit où il agonise en permanence. Premièrement, pour
sortir de ce bourbier, cesser de khater signifie avoir l’âme
chevillée au corps. Généralement, lorsque l’on écoute les
personnes qui se sont abstenues de cette pratique, le seul
point sur lequel converge leur combat est le fait de ne pas se
laisser abattre. Il se peut qu’il y ait une reprise après une
cessation de khat durant des mois mais l’essentiel est de se
ressaisir et d’avoir de la défense. Ici, l’endurance joue parce
que l’on essaie la refondation d’une nouvelle vie ce qui
explique la longévité de la bataille. Deuxièmement, pour se
soustraire de la pression des pairs, en guise d’alternative,
avant d’intégrer dans un autre groupe social, différent des

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désorientés, il faut accepter de faire cavalier seul sachant


que la solitude est difficile à vivre dans une société où
l’individualisme s’avère rare. Cela implique donc
d’affronter une réalité sociale pesante qu’il faut, à la longue
et par gradation, changer à son profit. Cependant, combattre
le vice et l’influence du prochain exige une résistance
installée dans la durée.

À l’évidence, en partie, résister est un désengagement


physique (ne pas aller khater et boire) qui mène à se
défaire des carcans sociaux destinés à assujettir le meurtri.
En revanche, d’abord, en amont, ce combat doit
s’organiser d’une manière intelligente et le chemin qui
conduit à la victoire finale doit être tracé au préalable.
Ensuite, toujours en amont, mentalement, il faut être à la
hauteur du moment et avoir confiance en soi pour en
découdre avec l’ennemi en face : la pression sociale et son
corollaire. La résolution de passer à un autre cap se décide
initialement au niveau de la raison et cela aboutit à la
conviction de redevenir soi-même.

Dans la création d’un énoncé cérébral, le raisonnement,


qu’il soit analytique, empirique ou pratique, ne concerne
point le nouvel être qui s’est créé une façon de parler et une
communauté qui s’adapte à ce nouveau code de
communication. Parmi les formes de l’intelligence
existantes, aucune ne lui convient dans la mesure où
chacune d’entre elles intègre une dose de bon sens et que
notre personnage considère la logique comme étant une
dimension inaccessible. De la même manière, dans la
réception du rationnel, le meurtri préfère le message qui se
transmet par l’image parce qu’il vise la facilité et
l’instantanéité. En Dernier, pour ne jamais avoir affaire à
des gens qui ont la raison comme critère de discussion, il
s’est donné l’occasion de fréquenter un groupe où le

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dialogue tourne autour du banal. Sur les réseaux sociaux, il


suit un désorienté qui incarne ses désirs.

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IV. SON RAPPORT AVEC LA FOI

Par foi, ici, on entend l’islam qui constitue la religion du


nouvel être depuis déjà des siècles. Il l’a hérité de ses
parents, et cela, d’une manière empirique, sans acquérir son
aspect livresque. Sa pratique s’apparente à une forme
d’imitation consistant à faire comme il a coutume de voir
depuis son enfance. En général, son identité religieuse
s’affirme par le fait de participer aux manifestations
spirituelles telles que la prière, le ramadan et le pèlerinage.
Il est cependant intéressant d’étudier sommairement sa
croyance, sa science, sa pratique et son engagement
religieux qui laissent afficher quelques contradictions
notables rendant perplexes les observateurs. Pour une
majorité de la société, et effectivement pour le désorienté,
cette croyance s’applique sans connaissance suffisante. Son
ancrage dans la seule pratique extérieure s’avère donc
manifeste.

1. Sa croyance religieuse

En matière de croyance, la doctrine islamique enseigne


qu’Allah a l’exclusivité de créer l’univers, c’est-à-dire,
« l’ensemble de tout ce qui existe », et que par la même
occasion, tout l’univers lui doit adoration. C’est en fait la
croyance en un Dieu créateur et en un Dieu vénéré. En
réalité, il « est le fondement de tout pouvoir, de tout avoir,
et de tout savoir ». Dans l’islam, tout se réfère à ce dogme
d’un « Dieu Unique, sans égal et sans associé, et au-delà
de toute imagination ». Par ailleurs, cette croyance intègre
les attributs et les noms d’Allah comme elle inclut tout ce
dont la raison humaine admet son inaccessibilité, à l’instar
des anges, du paradis et de l’enfer. Également, elle

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englobe tout ce qui est relatif à l’inconnu et que le croyant


doit assimiler en tant que préceptes indéniables comme le
mektoub ou le prédestiné. Vu son degré d’importance, en
termes de science, dans l’enseignement islamique,
l’Unicité divine, dans tout ce qu’elle renferme comme
vérités, se voit accorder une place prépondérante dans la
mesure où elle détermine la conception que l’on se fait de
la vie.

En général, théoriquement, quand il s’agit de connaître


la croyance de la façon dont nous l’avons exposée, il faut
considérer deux types de nouvel être. Celui dont la langue
de culture est l’arabe et qui a bénéficié d’un enseignement
religieux proposant certainement une matière relative à
cette discipline. À coup sûr, ce dernier aura maitrisé la
science de l’Unicité en tant que Crédo. Et le francophone
ou l’analphabète qui a appris le dogme sur le tas et qui
croit en Allah, mais d’une manière globale, non savante.
Dans l’aspect théorique de la croyance, il ne retient que
l’essentiel. De temps à autre, il lui arrive d’écouter un
prédicateur en train de vulgariser les éléments de la
doctrine islamique, néanmoins, son attention reste figée
sur ce qu’il a entendu depuis son enfance : « il n’est de
divinité (digne d’adoration) excepté Allah ».

Souvent, le nouvel être s’accroche aux généralités. Par


exemple, pour caricaturer quelqu’un qui pratique sa foi
approximativement, l’on parle d’un vieux qui n’a pas pu
prononcer en arabe la formule « au nom d’Allah, j’ai
l’intention de faire ma prière de douhour, composée de
quatre unités, Alahu akbar » pour débuter ce culte. A la
place de la formule, il dit dans sa langue « Je commence
ma prière au nom de Celui qui a donné du lait blanc à
partir d’une chèvre noire, Alahu akbar ». Pour lui, quel que
soit le langage, l’objectif est de démarrer la prière par un

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procédé ayant une connotation sacrée, logique et spirituelle.


Selon lui, il suffit de contourner la difficulté de la langue
arabe en respectant la procédure pour entamer la prière. En
effet, cet homme vit sa foi profondément puisqu’il croit en
un Dieu omnipotent, mais approximative est la pratique de
sa croyance. Bien que le désorienté soit un croyant,
cependant, à l’image du vieux que l’on vient de citer, dans
ses rituels, il reste toujours vague et imprécis. Là où le flou
prend une tournure très grave, c’est le fait de méconnaître
ce qui annule son adhésion à l’Unicité divine, et par
conséquent, son statut de musulman. En fait, il est possible
de voir le meurtri en train d’invectiver le Seigneur à qui il
accorde la perfection par excellence. Encore, juste après
une prière, à l’adresse de la première personne, avec qui il
s’accroche, il traite l’islam de tous les noms ignorant que
cela abroge sa religiosité. Étonnant aussi est le nouvel être
effectuant son grand pèlerinage sous la pression des parents
qui pensent à sa guérison à l’issue de ce rituel crucial dans
la vie d’un musulman. Réellement, il n’est pas malade. Tout
simplement, il répond au profil du nouvel être dont nous
traitons. Après ce voyage sacré, il rentre au pays et plonge
dans la consommation du khat et de la drogue. Il tombe
dans le piège de la paresse et de l’insouciance étant donné
qu’il vit aux frais de la famille. La cinquième obligation de
l’islam, à savoir le pèlerinage, a pour but de déclencher
chez l’individu une métamorphose globale. Si elle se fait
correctement, le pèlerin renaît et commence une nouvelle
vie.

Les méfaits de l’ignorance relative à la croyance


atteignent leur apogée lorsqu’il s’agit d’apporter un
jugement à l’avènement d’une nouvelle situation. Pour le
désorienté, tout ce qui entrave son action appartient au
mektoub. D’après lui, tout échec s’explique par le Qadha’
(décret divin) et le Qadar (arrêt divin) qui constituent un

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déterminisme auquel l’homme ne peut pas échapper. Il fait


du destin une sorte de fourre-tout où l’humain case les
ravages qu’il a causés. Par exemple, il arrête de prendre
ses médicaments contre le diabète et l’hypertension. Il ne
croit pas à ce genre de pathologie. « Il suffit de trouver
une solution à ma constipation chronique et me voilà
guéri », dit-il. Il fait un infarctus et décède peu de temps
après. C’est la faute au mektoub. Il fait un accident cardio-
vasculaire et le médecin ordonne de ne plus khater. Il
résiste quelques semaines, mais finit par récidiver. Suite à
un deuxième accident, du même genre, il meurt. C’est la
faute au mektoub. En ville, tous les soirs, avec d’autres
femmes, elle fume la chicha et rentre donc tard. Elle est
divorcée. C’est la faute au mektoub. Elle khate trop.
Endettée, elle demande à son mari de régler la facture.
Excédé, il décide de la congédier. C’est la faute au
mektoub. Curieusement, à chaque fois, « tout est décrété et
arrêté d’avance » par le ciel. Apparemment, le nouvel être
subit un sort qui va au-delà de sa volonté.

D’une manière assez récurrente, la question de la


prédestination se pose. Elle ne cesse d’animer les débats
entre amis. Le meurtri, lui, maintient sa position qui
consiste à dire que l’homme est programmé et n’a pas le
choix de réaliser son vœu. Ici, le mektoub, notion qui
désigne l’omniscience (divine) atemporelle se dote d’une
nouvelle acception finissant par être synonyme de fatalité.
De cette façon, notre personnage se crée l’opportunité de
fuir ses responsabilités en léguant son échec au fatum. En
fait, le désorienté, paresseux et vaincu, en quête d’une
échappatoire, tente de justifier sa faillite par la destinée. En
vérité, pour être saisie, cette dernière exige une finesse
d’esprit.

94
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Le mektoub ne signifie point la spoliation du libre


arbitre par Allah. Lui, par sa science, qui va au-delà de
tout savoir, maîtrise le devenir du monde. C’est d’une
manière savante qu’il possède le futur jusqu’à l’infini. Il
ne s’agit guère d’obliger quelqu’un à agir contre sa propre
volonté ce qui suppose une contrainte dont les
enseignements de l’islam nient la validité. Savoir en
avance que telle chose aura lieu à telle heure appartient à
Allah. « La science de Dieu - exalté soit-Il -a précédé les
choses avant leur existence. De même, la science divine
connaît ce qui adviendra de ces choses après leur venue à
l’être, ainsi que ce qui émanera d’elles. Il va de soi que la
science divine embrasse l’homme et tout ce qui se produit
dans son existence »48. Agir selon son bon vouloir
appartient à l’homme. Allah sait et l’homme agit. Pour
preuve, par rapport au changement climatique, les
scientifiques soutiennent que les risques encourus
proviennent des activités humaines. Ceci étant dit, si,
après un effort, à la hauteur de l’objectif fixé, quelqu’un
échoue dans son entreprise, à ce moment-là, c’est le
mektoub. Là, le fait de léguer l’irréalisation au prédestiné
est permis. Selon la logique de la doctrine islamique, « j’ai
tout donné ! Malgré cela, la réussite n’est pas au rendez-
vous » signifie que le destin a décidé autrement. En islam
donc, dans l’action, l’adhésion à l’Unicité divine implique
la responsabilité directe de l’homme dans la mesure où il
doit donner le meilleur de lui-même en sachant que peut-
être les choses se produisent autrement.
Chez le nouvel être, l’inconvénient d’ignorer les
principes fondamentaux de la foi entraîne l’acquisition
d’un dogme erroné d’où la naissance d’une idéologie qui
fait de l’individu un robot orienté par le mektoub. Donc, il
n’a rien à ajouter à la vie puisque tout se fait comme le

48
L’Imam al-Bayhaqi et al-Qachani, Prédestination et libre arbitre en
Islam, traduit par Mohamed Dahbi et Sylvestre de Sacy, p.36

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ciel en a décidé. Au nom de cette croyance, l’on assiste à


une démission. En place et lieu de son rôle, le désorienté
entend que le destin viendra combler le vide et réaliser son
souhait. « Bien que Dieu soit le créateur des choses, dont
les actes de l’homme font partie, et que ce que veut Dieu
est, et ce qu’il ne veut pas n’est pas, l’homme est
responsable de ses actes et il en sera rétribué »49. Une
pareille foi inexacte reste contre-productive et les
conséquences qui en découlent altèrent la vie. En somme,
notre personnage n’a plus d’utilité. Il est destiné à suivre
le chemin du fatum. Dans ses agissements, il a raison et
quiconque lui demande de se conformer aux lois de la
nature engageant l’action humaine se voit comme un
agresseur. Au nom d’Allah, il habite dans une bulle
doctrinale d’où personne ne pourra le déloger.

L’aspect le plus sensible d’une religion où le


biaisement fait des dégâts est la croyance. C’est elle qui
définit la vision que l’individu se fait de l’existence, et de
ce fait, il semble nécessaire de surveiller la rectitude du
dogme. Son altération conduit le croyant à une situation
inconfortable où il est convaincu de ne pouvoir agir et tirer
profit des évènements puisqu’il admet la domination du
prédestiné. Il consent à son inutilité en tant que personne
entièrement responsable de ses actes. Désormais, il se
situe hors du monde et ne compte plus parmi ceux qui
décident de leur devenir.

2. Sa conception religieuse

L’islam, religion monothéiste, enseigne que la source de


toute création est Dieu. Rien de vital n’échappe à son
emprise. La créature tout entière doit se soumettre donc à ses

49
L’Imam al-Bayhaqi et al-Qachani, op. cit. p. 40

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ordres. D’ailleurs, ses textes fondateurs vont dans ce sens.


C’est une foi qui se veut globale et non partielle par le fait
qu’elle se prononce sur tous les aspects de l’existence. Cela
implique que le musulman doit agir en fonction de cette
doctrine intégrale faisant de tout acte une adoration. « La
religion, par nature, est contraignante, elle impose et exige
de celui qui l’embrasse une attitude de soumission et
d’acceptation. Elle n’admet ni controverse ni réserve à
propos de ses décisions, ni hésitation à son entité »50. Mais
dans sa pratique, le meurtri reste partiel. Pour lui, l’islam
s’intéresse au cultuel et donc à l’au-delà. Rien de ce bas
monde ne rentre dans la sphère de son influence. Sans
posséder une position philosophique qui oppose le spirituel
et le temporel et sans être en mesure de débattre de cette
thématique, concrètement, c’est de cette manière qu’il vit sa
religiosité. Traditionnellement, il entend vivre un islam qui
met l’accent sur l’entrée au paradis grâce à une spiritualité
intense. À ce niveau-là, aussi, on avait signalé son
irrégularité. À partir de là, il ignore des valeurs permettant le
développement telles que le travail et la science apparaissant
comme une entrave à la vénération.

Il semble que cette conception lacunaire naît d’une


culture religieuse pastorale dont l’aspect scientifique ne
préoccupait guère le fidèle. En fait, dans ce domaine, le
wadad51 représentait le savoir divin en dirigeant

50
Mohammad Abdallah Draz, Les Hommes à la découverte de Dieu –
Prologue à une histoire des religions, p. 118
51
Selon la tradition pastorale, il s’agit d’une personne un peu marginale,
chargée d’assurer la pratique religieuse pour la communauté nomade.
Malgré ses connaissances très sommaires, il essaie tant bien que mal
d’être efficace. Souvent, il est associé à la faiblesse et à l’inaction. En
effet, pour défendre l’image de la tribu, pendant que les combattants
partent sur le champ de bataille, avec les femmes et les enfants, il restait
au campement. Il était censé se consacrer aux prières et aux invocations.

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personnellement le religieux et il n’y avait aucune raison


de faire une interférence. Selon le meurtri, ce personnage
incarnait la science de l’islam. La légende voudrait qu’il
s’agisse d’un individu méprisé parce qu’inutile dans un
contexte d’hostilité où le véritable homme n’était qu’un
guerrier. Personnage amorphe et atone, il passait son
temps à rester avec les enfants et les femmes pendant que
les braves défendaient la fierté de la famille. En léguant
donc la compétence religieuse à lui, les lois les plus
élémentaires de la vie religieuse échappent à la curiosité
du nouvel être. Très partiellement encore, il ne maîtrisait
que les lois relatives à la vie spirituelle méconnaissant la
nature globalisante de la doctrine de l’islam. Ici, le défaut
vient du fait que l’arabe, outil nécessaire pour avoir accès
aux connaissances islamiques, échappait au maître ; le
wadad. Il était réduit donc à transmettre ce qu’il a hérité de
ses prédécesseurs qui se trouvaient également dans les
mêmes conditions. Aujourd’hui, bien que la science de
l’islam fasse l’objet d’un développement considérable,
néanmoins, l’impact culturel d’il y a longtemps continue à
donner ses effets sur le nouvel être.

3. Sa science religieuse

Comme il a été dit, le nouvel être s’intéresse peu à la


connaissance, et encore moins, lorsqu’elle a trait à la
religion. Même s’il partage cette position avec un bon
nombre de gens, néanmoins, lui, il croit que la discipline
reste l’apanage du wadad.

D’une manière générale, à Djibouti, bien qu’une nette


amélioration s’installe dans le domaine, la science

D’où, peut-être, la remise en question de sa virilité. Aujourd’hui, il est


un élément de la sédentarisation.

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religieuse n’a pas fait preuve de vulgarisation. Par contre,


dans la Somaliland voisine, toutes les disciplines
s’enseignent dans les mosquées et l’audimat ne cesse de
prendre des proportions. Également, en Éthiopie, surtout
dans la région somalie, en quantité et en diversité, des cours
religieux se donnent dans les lieux de prière. Ce faisant,
dans ces contrées, en matière de religion, les sociétés
possèdent une culture plus ou moins importante. Au moins,
les connaissances de base, nécessaires à la pratique
courante de la foi, sont à la portée de tout un chacun. Mais à
Djibouti, même si la tendance tend vers un certain progrès,
le savoir religieux peine à devenir quelque chose dont la
société revendique la possession. En effet, des mosquées où
les fidèles se comptent par milliers et où des cours
différents se dispensent régulièrement par des volontaires
sont rarissimes. Pour cette raison-là, il y a un constat sans
appel : une connaissance insuffisante en matière de religion.

Par son caractère atypique, le désorienté ignore


totalement l’aspect scientifique de la foi. Lui, il n’est point
concerné par les lois qui déterminent la nature de chaque
branche de l’islam. Toute sa confession se résume en une
quantité d’activités pratiques où le formel prédomine. Sa
lassitude par rapport à l’aspect scientifique trouve son
origine dans plusieurs raisons. Premièrement, apprendre fait
appel à la réflexion, et puis, au développement des
nouvelles acquisitions. La vie évolue et chaque nouveau
contexte demande une nouvelle réponse. Chez le nouvel
être, la constance de lire le réel à la lumière de la science
religieuse impose un rythme intellectuel infernal. Il se
résigne donc à suivre mécaniquement les préceptes de
l’islam. Deuxièmement, le savoir engage l’endurance de
l’apprenant. Or, notre personnage capitule face à un effort
qui a pour caractéristique la résistance. Troisièmement, en
principe, dans sa conduite, il a tendance à rester général et

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vague. Au préalable, l’intérêt d’accorder un peu de


profondeur à ce qui concerne son identité religieuse n’est
pas préservé. Il est foncièrement fainéant. Quatrièmement,
déjà, la science religieuse manque d’adhésion, et pour une
bonne part des gens, elle est considérée comme le pré carré
du wadad qui détenait exclusivement la compétence de cet
ordre. Cinquièmement, l’apprentissage, quelle qu’en soit la
nature, est pour lui un obstacle. Il n’a pas l’habitude de
s’asseoir et de faire un face-à-face avec un objet d’étude. Le
silence et le sérieux le font sortir de son carcan, là où il se
sent à l’aise, loin du monde des résultats. Il a horreur d’être
interrogé. Il préfère mener une vie qui va tout doucement
vers la fin sans interaction aucune avec le monde qui
l’entoure.

4. Sa pratique religieuse

Ici, il convient de souligner quatre choses :

D’abord, le nouvel être exécute des rites sans


comprendre pourquoi. Pour lui, chaque rituel n’est qu’une
suite des gestes qu’il faut accomplir mécaniquement.
L’action et l’intelligence sont donc dissociées d’une
manière traditionnelle puisqu’il pense que la foi se
transmet, et cela, d’une manière empirique. Depuis son
enfance, il assiste au spectacle de ses parents et de la
société en train de vivre leur spiritualité sans grande
connaissance en matière de religion, et par conséquent,
chez lui, cette habitude s’installe comme un héritage.
Malgré la relative vulgarisation de la science religieuse et
de l’apparition du madrasa52 où l’enseignement des textes
scripturaires devient une tendance, le désorienté vit un

52
C’est un établissement dédié à l’apprentissage de l’arabe et des
disciplines relatives à l’islam.

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anachronisme qui fait de lui un personnage d’un autre âge.


À un moment où l’adoration savamment maîtrisée est
possible, surtout avec l’aide de l’internet, il continue de
pratiquer la foi par imitation. Il peine à actualiser sa foi en
la rendant plus intelligente et plus significative. Dans son
ouvrage, « Les Hommes à la découverte de Dieu »,
Mohammad Abdallah Draz compare la philosophie et
l’islam, et de par leurs similitudes, il relève quelques
différences, en s’appuyant, ici, sur un texte de Ibn-Sina :
« la loi divine nous enseigne les bases de la vertu pratique
et nous incite à tendre vers la perfection, alors qu’elle ne
nous fournit que quelques rudiments de la sagesse
théorique, comme pour seulement attirer notre attention
sur elle. Elle laisse à notre raison le soin de la compléter
et de la parfaire sur la base de nos propres arguments
rationnels »53.

Ensuite, chez le meurtri, dans son rituel, il y a un fossé


énorme entre l’aspect extérieur et l’aspect intérieur. En effet,
dans l’islam, au-delà des gestes accompagnant les rites, on
considère une dimension qui donne un véritable sens à
l’adoration. Il s’agit de la réalité spirituelle. C’est la présence
du cœur durant l’acte de dévotion. L’islam comme religion
« est une stimulation et un cantique, elle porte avec elle la
vérité absolue, traverse les couches superficielles de l’être et
plonge dans les profondeurs de l’âme, qui s’offre alors tout
entière et se laisse guider »54. Pour notre personnage donc,
seule la dimension matérielle engage sa présence aux dépens
de la dimension immatérielle, l’épine dorsale de la
religiosité. Par exemple, la prière devient une série de gestes
ayant l’allure d’un exercice sportif très mal joué.
Concrètement, on entend le meurtri se plaindre de la

53
Mohammad Abdallah Draz, Les hommes à la découverte de Dieu –
Prologue à une histoire des Religions, pp.108/109
54
Mohammad Abdallah Draz, op. cit. pp.120/121

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longueur de la prière dans telle ou telle mosquée. En fait,


dans la plupart des cas, une prière se fait en moins d’une
dizaine de minutes, mais notre personnage supporte mal la
concentration pour être ici et maintenant. Dans ses prières, il
a l’habitude de bouger et de bâiller. De tourner la tête à droite
ou à gauche. L’on dirait qu’il s’ennuie, qu’il a sommeil ou
qu’il est fatigué. Ou qu’il a envie de quitter le lieu. Bref, son
adoration contredit « la quête de la religion : un esprit
bondissant et une force mobilisatrice »55.

Encore, pour le désorienté, l’adoration est détachée de


l’objectif pour lequel elle était établie. Toujours, dans
l’islam, chaque pratique tend vers quelque chose dont
l’absence fait d’elle un acte sans intérêt majeur. A titre
d’exemple, le ramadan, grâce à son effet spirituel, fait
gagner au croyant un degré de crainte supplémentaire.
Privé de cette vertu, le jeûne manque de finalité.
Également, la prière, exécutée en vue d’atteindre ce pour
quoi elle a été légiférée, aide le fidèle à éviter le blâmable.
Le meurtri agit donc dans le vide, loin de la portée du
rituel. Ce dernier n’a aucune fin autre que lui-même. Il
faut admettre qu’en soi la question de finalité est un
concept compliqué pour le nouvel être. Théoriquement, il
lui est difficile d’associer un acte à un principe abstrait et
de créer un lien entre les deux où le premier s’annule s’il
ne tient pas compte du deuxième. Avant tout, « l’objet de
la foi est la Vérité transcendante et la Vertu idéale, et cette
idée se transformera alors en une force puissante,
créatrice, dynamique qui tiendra sans cesse vers son
objectif et que rien ne pourra arrêter »56. Et sur ce point,
on l’avait souligné, le désorienté s’avère défaillant.

55
Ibidem p.120
56
Mohammad Daraz, op. cit. p.119/120

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Enfin, dans sa pratique religieuse, le nouvel être fait


preuve d’une irrégularité qui montre sa légèreté pour faire
ses dévotions. En fait, il est fréquent de voir le meurtri
prier durant un moment donné, et tout à coup, il arrête tout
pour reprendre ses rites plus tard. Quand bon lui semble !
Pendant le ramadan, il jeûne certains jours et se permet de
rompre l’abstinence quand il le souhaite. Par ses
comportements, en toute illégalité, il détruit une valeur
essentielle de l’islam : la régularité. Selon les textes
scripturaires, un culte obligatoire se fait intégralement et
en permanence.

5. Sa morale religieuse

Une foi n’est jamais percutante si son influence ne se


voit pas à travers les comportements et les mœurs du
fidèle. Son efficacité se vérifie dans des domaines comme
« les rapports sociaux », « les règles de justice », « la lutte
contre l’anarchie et la corruption ». Se vaincre soi-même
et maitriser ses relations avec l’autre et l’environnement
est le but ultime que vise le croyant. Comment ? « Il faut
une foi en un être qui veille sur les secrets de nos
consciences. La loi s’inspire et puise son autorité morale
dans les commandements de cet être et de ses
interdictions, car elle sait que l’homme pâlit de confusion
et que ses sens s’enflamment de crainte en même temps
que d’amour à l’idée du regard divin sur lui », en même
temps, « l’effet de la foi est le plus sûr et le plus immédiat
sur le cœur et le sens moral de chacun »57.

La crainte (s’abstenir du mal) et l’amour (faire le bien)


agissent sur l’acte du dévoué. Notre personnage présente
une dimension morale assez mitigée puisque sa pratique

57
Mohammad Abdallah Draz, op. cit. pp.167/168

103
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religieuse laisse afficher une irrégularité et une imperfection


manifestes. Il ne cesse de calomnier toute personne qui
croise sa route. Des fois, la médisance inclut son assistant
social, une personne volontairement engagée pour son bien-
être. Pour lui, la corruption, si elle ne dépasse pas les
centaines de mille, s’avère comme banale. Chaque fin de
mois, son salaire est versé directement dans son compte
sans qu’il ne manifeste aucune gêne. Pourtant, dans son
service régulier, le personnel ne le connaît que de nom. Il
est célèbre parce qu’il est absent. Il fume et khate. Il boit et
consomme quelques types de drogue. Bien évidemment,
chez lui, cela ne provoque aucun remords dans la mesure où
il compte sur la miséricorde divine.

6. Son engagement religieux

Malgré une religiosité entachée d’imperfections, le


désorienté prend la défense de sa foi quand une certaine
menace se manifeste à son égard. Il s’en prend à toute
personne qui l’invective. Dans les quartiers, sous
l’impulsion d’une colère, il arrive que certains individus,
de confession musulmane, insultent verbalement les
principes fondamentaux de l’islam. Là, spontanément,
notre personnage intervient pour les dissuader de ne plus
réitérer les mêmes propos. Pour lui, la sacralité des
concepts religieux ne fait aucun doute. D’ailleurs, en ville,
il n’est pas surprenant de voir le nouvel être dans l’ivresse
incriminant un individu en train de blasphémer l’islam. En
effet, ici, l’adhésion du meurtri à l’islam l’amène à ne pas
permettre à autrui de piétiner les principes de la religion,
mais le fait qu’il enfreint ses lois n’attire guère son
attention. Encore une fois, le fait de s’auto-corriger et de
relever sa propre contradiction exige un certain degré de
discernement. La lucidité qui devrait créer la corrélation
entre les deux attitudes (la sienne et celle de l’autre) n’est

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pas fonctionnelle puisqu’il s’agit d’une opération


intellectuelle. Son engagement prend forme réellement
quand on secourt un nécessiteux ou quand on participe à
un projet au nom de l’islam. Par exemple, sans compter, il
débourse une somme dans la construction d’une mosquée.
Il répond à l’écho de la foi « qui est, par nature, un
sentiment généreux et débordant qui tend à se répandre, à
faire appel à la participation, et qui incite le fidèle à faire
connaître sa foi »58. Au nom de la foi, son soutien moral et
social est plus fort que le soin qu’il apporte à tout ce qui
touche à la qualité des rites. Dans sa dévotion,
l’immatérialité lui fait défaut et l’efficacité du travail
extérieur prime sur le travail sur soi.

Dans nos propos, pour être juste, il est nécessaire de


souligner qu’un groupe de gens partagent avec le nouvel
être les irrégularités que nous venons de soulever. Par
rapport au religieux, a priori, leur approche est d’une
concordance identique. Cependant, entre le meurtri et cette
catégorie, mitigée dans son engagement, quelques
différences subsistent.

En premier lieu, chez le désorienté, en termes de foi,


les anomalies se sont figées définitivement et l’espoir de
les corriger s’amenuise davantage. Tout individu qui tente
de rectifier ses bévues finit par se décourager. On dirait
que ses oreilles ont cessé d’entendre, et à ce sujet, il
incarne l’absence personnifiée. Par contre, ce groupe
d’individus prête attention aux reproches et fournit un
effort afin d’améliorer leur situation.

En deuxième lieu, le nouvel être, dans tous les aspects


de la vie, a arrêté de progresser. Pour lui, la stagnation
constitue un critère qui rend son sort uniforme. Il haït tout
58
Mohammad Abdallah Draz, op. cit. p.120

105
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ce qui rompt ses habitudes et l’entraîne dans un ailleurs où


l’effort se pose comme condition. Partout, il trouve la
tranquillité dans ses manières même si ces dernières
contredisent ce en quoi il adhère. En revanche, malgré sa
lenteur, ce groupe manifeste une certaine ouverture à
l’évolution. Il répond positivement, mais lentement au
travail des éducateurs, des réformateurs et des donneurs
d’alerte.

En troisième lieu, le nouvel être évite de croiser


quelqu’un qui représente socialement le contraire de ce
qu’il est. Très souvent, dans les villes et les quartiers, lui et
ses compères élisent domicile dans un endroit où personne
ne songe à les rejoindre. Quant au groupe, il fréquente les
lieux où les rencontres entre citoyens se font
naturellement.

En quatrième lieu, le meurtri se révolte contre la


pertinence surtout lorsqu’elle s’adresse directement à lui.
Le face-à-face de cette nature le gêne puisqu’il bouscule
son quotidien. Mais ce groupe accueille favorablement les
remarques et les recommandations susceptibles de
régénérer leur personnalité.

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V. SON RAPPORT AVEC LUI-MÊME ET LES AUTRES

Avoir un certain rapport avec soi et avec les autres


nous amène encore une fois à se référer à la théorie de
Gardner et d’étudier notre personnage en fonction d’une de
ses variantes : l’intelligence personnelle. En effet, le rapport
en question, dans ses deux composantes (avec lui et/ou avec
l’autre), serait réel à condition que le désorienté se
connaisse et connaisse les autres. C’est une activité
préalable à sa conduite envers lui et son entourage parce
qu’elle conditionne la réussite ou l’échec du rapport.

1. Intelligence personnelle : se connaître et connaître


l’autre

Selon le chercheur américain, se connaître « est la


capacité à distinguer ses sentiments, à les étiqueter, à les
capter dans des codes symboliques, à en tirer un moyen
pour comprendre et guider son comportement »59. Il s’agit
donc de connaître ses émotions, de les nommer et d’en
établir une méthode permettant d’adapter son rapport avec
les autres en acceptant un sentiment et en repoussant un
autre. En effet, se comprendre amène l’individu à
« maitriser sa vie personnelle ». La forme la plus
performante de cette intelligence se trouve chez les
personnes capables de raconter profondément leurs
sentiments et leurs expériences intimes. Connaître l’autre
« est l’aptitude à remarquer chez les autres leurs humeurs,
leurs tempéraments, leurs motivations et leurs intentions et
à bien les distinguer »60. C’est tout simplement découvrir
les autres, et en fonction de cela, « maitriser son rôle

59
Howard Gardner, Les Formes de l’intelligence, p.251
60
Ibidem p. 251

107
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social ». Ce sont les personnes disposées à lire les intentions


et les sentiments des autres ajustant leurs actions
relativement à cette intelligence qui détiennent le pouvoir
de ce type.

Gardner accorde une valeur majeure à cette forme


d’intelligence. En fait, selon lui, pour rester soi-même et se
faire une place dans la société à laquelle l’on s’identifie, il
faut éviter de s’ignorer et d’ignorer son entourage : « Moins
une personne comprend ses propres sentiments, et plus elle
en sera la proie. Moins une personne comprend les
sentiments, les réponses et le comportement des autres, et
plus il sera probable qu’elle interagira de façon inadaptée
avec eux et échouera donc à assurer une place au sein
d’une communauté élargie »61. Nous allons nous intéresser
à ce genre d’intelligence chez le nouvel être selon la
formule de Gardner : « s’orienter vers le soi et maitriser sa
vie personnelle / s’orienter vers les autres et maitriser son
rôle social ».

1.1 « S’orienter vers le soi »

L’intelligence personnelle s’intéresse à l’individu lui-


même, en l’occurrence, au désorienté. Elle fait appel à ses
compétences pour se découvrir en tant que personne ayant
un caractère unique. C’est un travail qui a pour objectif de
mieux comprendre le vécu intérieur qui est un ensemble
de sentiments. Ceux-ci sont composés d’émotions
ressenties par l’individu et considérés « comme des
jaillissements des profondeurs qui alimentent une vie à
notre insu, autrement dit l’inconscient »62. Le sentiment est
décrit comme une « tendance affective assez stable et

61
Howard Gardner, op. cit. p.265
62
Thomas Wallenhorst, Le Meilleur est en moi, p.10

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durable, moins violente que l’émotion ou la passion, état


qui en résulte »63. L’émotion, passagère et agressive,
provient donc du sentiment. Ce dernier s’installe dans le
temps et déclenche l’émotion qui se veut dynamique. En
plus, elle se montre par une série de symptômes visibles à
travers le corps alors que le sentiment se caractérise par
l’intériorité. Autrement dit, le sentiment, affect essentiel et
intérieur, constant et invariable, provoque l’émotion, un
affect en mouvement, corporel et donc extérieur. Les
psychologues et les linguistes avancent deux sortes
d’émotions : les émotions primaires (fondamentales) et les
émotions secondaires qui proviennent de l’addition de deux
émotions primaires. À titre d’exemple, « la honte est
l’association de la peur et de la colère »64. Dans ce
domaine, il y a six émotions primaires à retenir : « la peur,
la colère, le dégoût, la tristesse, la joie, et la surprise »65.

- Premièrement, « s’orienter vers le soi » implique la


conscience de l’individu de l’existence d’un vécu
intérieur sujet à une introspection. « Au cœur de sa vie
intérieure, il a accès à ce qui est le plus précieux pour
lui, ce en quoi il croit, ce sur quoi il fonde son
existence. Il s’agit de son trésor, toujours disponible,
qui constitue une ressource capable de dynamiser son
existence »66. Notre personnage, superficiel dans son
approche, méconnaît qu’à l’origine de ses réactions et
pulsions se trouvent des sentiments et des émotions. En
fait, il ignore que tel affect entraîne tel autre.

63
Najeh Elouni, Etude de quelques formes d’expression des émotions
et des sentiments dans le contexte des nouvelles formes de
communication, Thèse de doctorat, p. 54
64
Ibidem p. 60
65
Thomas Wallenhorst, p.18
66
Ibidem. 6

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- Deuxièmement, la découverte de soi permet de mettre


les mots qui correspondent sur un sentiment ou une
émotion. Par exemple, pour lui, ce serait un exercice
difficile d’exprimer son amour envers une personne.
Aimer quelqu’un demeure un vécu intérieur au point
mort. D’ailleurs, le nouvel être, réticent au mariage,
finit sa vie dans la solitude. Il se marie sous la pression
familiale et communautaire. On lui prépare tout. Lui, il
n’a qu’à se présenter la nuit des noces. Il ne s’est pas
marié, mais on l’a marié. En fait, après avoir « brouté »,
un libertinage nocturne conduit le nouvel être à
engrosser la fille de la maison voisine. Selon la
tradition, il faut très vite sauver l’honneur de la victime
et la marier. Par conséquent, pour lui, à l’égard d’elle,
comme émotion, la tendresse n’a pas fait surface. Il a
joué le plaisir d’un moment et rien de sérieux n’existe
dans la vie qu’il mène avec sa partenaire.

Chez le meurtri, la joie comme émotion signifie peu de


choses. Rare est de constater la gaieté illuminer son
visage. Dans son milieu, le bonheur, source du bien-
être, se montre quasi absent. En termes d’allégresse, ses
ressentis sont très occasionnels, et s’il y en a, il se
donne du mal à dire ce qu’il ressent. Il n’a pas les mots.
Il n’en a pas l’habitude. L’on dirait qu’il est atteint
d’alexithymie, c’est-à-dire l’absence de mots pour
qualifier les émotions. Non ! une vieille tradition veut
que toute expression amoureuse reste refoulée. La
pudeur installe son ordre. Par exemple, « je t’aime ma
chérie » demeure enfouie dans le cœur du père. Mais
bizarrement, la peur comme émotion l’envahit et la
paralyse dans sa volonté. Entre désorientés, dès que
l’on parle de politique et de ce qui relève de la gestion
publique, il montre sa vulnérabilité : « j’ai frissonné de
peur », « j’ai failli me pisser dessus », « j’ai failli faire

110
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mes excréments dessus », « j’ai paniqué », « le régime


ne voit que d’un œil », dit-il. Enfin, le dégoût se lit par
le corps qui manifeste un désintérêt par rapport à tout.
Il s’agit d’une indifférence ayant pour objectif
d’attendre la fin.

- Troisièmement, « s’orienter vers le soi », c’est-à-dire se


comprendre, donne l’occasion de ne pas être enfermé
dans un carcan sentimental. C’est un regard attentif à
soi-même le but étant de maîtriser ses agissements.

- Quatrièmement, se connaître se dessine aussi comme


un moyen de connaître les autres et d’entrer en
connexion avec eux parce que les sentiments et les
émotions restent universels. En fait, l’on détecte la peur
chez quelqu’un d’autre lorsqu’il réagit pareillement
étant donné que l’on a vécu la même expérience.

- Cinquièmement, faire de soi un objet d’étude est le


premier et le plus grand travail pour l’être humain.
Avant d’entrer en contact avec les autres, il est normal
de se connaître en profondeur. En partie, ici, la
maïeutique de Socrate fonctionne bien : « connais-toi
toi-même » et « une vie sans examen ne vaut pas la
peine d’être vécue ». Par rapport à lui-même, le nouvel
être possède peu de science, ce qui limite sa relation
avec la société. Il ne côtoie qu’un groupe qui a le même
profil que lui. Il fait partie d’une micro-société dont la
culture de soi ne compte pour personne. La conscience
de soi demeure inexploitée.

1.2 « Maitriser sa vie personnelle »

Se connaître conduit à une possible maitrise de soi


dans la mesure où le vécu intérieur semble être acquis.

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Mais en général, le savoir ne garantit pas des résultats.


Néanmoins, de la part de l’homme, des conditions
s’imposent afin de convertir une donnée scientifique en
une réalisation. Avant tout, qu’est-ce que « maitriser sa vie
personnelle ? » Comment transformer les sentiments et les
émotions en des compétences nécessaires à
l’épanouissement individuel ?

Quelles sont les principales conditions de la maitrise de


soi ?

- Un silence pour freiner l’agitation d’une émotion


conduisant le sujet à un comportement maladroit.
« Toutes les fois qu’une émotion intense vous agite, ne
parlez pas, n’écrivez pas, ne prenez aucune décision : en
un mot, suspendez provisoirement les actes que pourrait
influencer malheureusement votre émotion »67. Il est
recommandé d’entretenir l’équilibre intérieur en
transformant la turbulence de l’émotion en un temps
d’apaisement. Cela exige une certaine dose
d’intelligence à partir du moment où le silence est le lieu
de la réflexion. Cependant, le nouvel être a de la peine à
contrôler ses impulsions par le silence dès lors que ce
dernier fait appel à une force mentale. La pause est en
même temps le fruit d’une méditation et un endroit où
la concentration finit par le soulagement. Chez le
meurtri, le silence a une autre acception : un refuge où
personne ne viendra le gêner. Il s’y sent à l’aise
puisqu’il fuit la confrontation et le jugement.
D’ailleurs, parlant de son fils, un meurtri, une mère
remarque son attitude : « Enfin, mais parle ! Pourquoi
ce silence ? Oh Allah ! Je crois qu’il a fait l’objet d’un
ensorcellement ! La seule fois que tu ouvres ta bouche,

67
Raymond de Saint-Laurent, La Maitrise de soi-même, p.9

112
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c’est pour dire des bêtises ! On lui a spolié la parole ! Il


faut me trouver un guérisseur ! »

- De la retenue pour empêcher d’apparaître comme


quelqu’un de frivole incapable de garder ses ressentis.
En réalité, le fait de se raconter ne guérit pas totalement
les plaies. Aux yeux des gens, cela se traduit par une
légèreté morale. Les confidences rendent la personne
vulnérable. Les impressions des uns et des autres
ajouteront de l’huile sur le feu. En fait, son existence
étant réduite au minimum, notre personnage n’a rien à
garder pour soi, et chez lui, la discrétion n’a pas de
sens. C’est le cas de ce nouvel être qui reste là où il est
né et a grandi sans qu’il ne se développe. Avec ses
frères, il partage une petite chambre, les habits et les
chaussures. Le premier qui sort s’en sert et choisit ce
qu’il y a de mieux à mettre. Par conséquent, il n’a rien
à retenir comme intimité. Par la force des choses, son
état se raconte.

- De la raison pour maintenir le sujet dans la sérénité


parce que « celui qui se possède dans le calme et la
réflexion, tire toujours son épingle de jeu »68.
Temporiser et laisser passer une tempête d’émotions
crée l’opportunité de voir les choses telles qu’elles sont.
Apprécier une situation à sa juste valeur et prendre une
mesure dans la tranquillité relèvent de la lucidité. Or,
en matière de logique, le désorienté est à sec. Le recul
par rapport à l’urgence, un comportement intelligent,
n’est pas envisagé dans sa façon de penser. Lorsqu’un
père tente de calmer sa fille, une désorientée, en colère
et lui dit : « Calme-toi ! Protège-toi du diable par des
invocations ! Lis telle formule et telle autre formule ! »,

68
Raymond de Saint-Laurent, La Maitrise de soi-même, p.14

113
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elle continue à crier et ne mesure pas l’utilité de se


soustraire de ses impulsions.

- Un calme extérieur pour éviter de rajouter du trouble à


la situation. Le « moi intime » doit être calfeutré dans
son intériorité afin de parvenir à la possession de soi.
Masquer son état d’âme représente une force intérieure
qui est un prélude à la victoire de la raison sur un
sentiment destructeur. Chez le meurtri, ce genre de
contrôle de soi se situe au-delà de ses capacités
intellectuelles. Lui, en général, il reste froid et
impassible. Dans sa vie, monotone, ses jours se suivent
et se ressemblent. Aucun évènement ne s’invite dans
son quotidien puisqu’il ne cherche pas à provoquer de
nouvelles situations. Même s’il lui arrive quelque chose
qui lui déplait, sur son visage, difficile est de lire ses
ressentis sur son visage. C’est quelqu’un qui mène sa
vie loin des tumultes. En général, face aux évènements,
on est optimiste, attentiste ou pessimiste. Le meurtri
adhère à un pessimisme sans fin. Il y a l’exemple de ce
« bras cassé » qui touche son salaire et qui passe dans
la plupart de son temps au mabraze. Parfois, il se trouve
dans l’incapacité de participer aux funérailles de ses
parents. Déjà, les nouvelles de ces disparitions lui
parviennent à travers d’autres, et à l’annonce, il reste
glacial et inexpressif. Ce n’est pas un silence sobre
visant à faire le deuil avec sérénité, c’est plutôt une
attitude d’impénétrabilité inhérente à la personne du
nouvel être.

- La maîtrise de l’imagination pour faire la différence


entre le fictif et le réel. Ce qui existe ne doit pas suivre
ce qui ne l’est pas. « Ce qu’il faut éviter, c’est de vous
créer un monde de chimères sans rapport avec le réel

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ou le possible »69. La logique veut que toute prétention


prenne en considération le critère de faisabilité. En
même temps, maitriser l’imagination nous induit au
mérite de la concentration permettant de fuir
l’éparpillement du soi. Avec l’avènement de l’internet,
le désorienté passe son temps à rêver. Ici, l’accès à ce
monde virtuel rencontre deux obstacles. D’abord, pour
avoir la connexion internet, il faut sans cesse débourser
des sommes qui finissent très vite par s’épuiser. Puis,
par sa lenteur, le débit décourage le consommateur.
Mais notre personnage tente le tout pour le tout afin
qu’il soit connecté. Assis tout près d’une maison,
tentative après tentative, avec l’aide d’un complice qui
sait déverrouiller un mot de passe, il réussit à pénétrer
le wifi d’un voisin. Là, avec ses coéquipiers, il passe
des nuits entières à vivre dans l’irréel jusqu’à ce que le
propriétaire découvre ce vol organisé et que le groupe
soit obligé de trouver une autre victime.

- L’équilibre mental pour agir avec pondération et dans


le temps. Il est aussi essentiel de rappeler que les
complexes d’infériorité ou de supériorité sont nuisibles
à la maitrise de soi. Enfin, la superstition, le fait de
léguer ses responsabilités à une entité irrationnelle,
constitue un handicap à l’épanouissement personnel.
Rappelons que notre personnage se voit comme
ensorcelé, possédé par le djinn ou se voit comme
victime d’un mauvais œil. D’ailleurs, en ayant recours
à un guérisseur, dans la volonté de le libérer, ses
parents dépensent trop. Ils croient que son être est
conquis par un esprit surnaturel, et que seul, une sorte
de rebouteux a les moyens de l’affranchir. Des fois,
l’on assiste à une scène un peu rocambolesque voire
surréaliste où le meurtri s’agite comme une bête abattue
69
Raymond de Saint-Laurent, op. cit. p. 39

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vivant ses derniers instants et que le guérisseur adresse


une série de menaces verbales au djinn qui le possède.
Chaque année, le scénario se répète sans que le djinn ne
soit délogé et que le soi-disant malade ne soit guéri de
cette pathologie imaginaire et fantasmagorique.

1.3 « S’orienter vers les autres »

Selon Thomas Wallenhorst, l’appréciation du réel par


l’individu s’opère de deux façons. D’abord, il y a
l’approche rationnelle consistant à déployer les facultés de
l’intelligence pour ajuster les réactions. En effet, dans
chaque nouvelle situation, la raison aide la personne à
s’adapter et à faire appel au comportement qui convient.
Au fur et à mesure, à l’aide des facultés cognitives, la
personne intègre des habitudes et des pratiques lui
permettant de comparer, d’enregistrer et de simplifier les
éléments de la perception. Puis, il y a l’approche intuitive
qui entraine directement le savoir-faire de l’individu. Ce
faisant, on gagne du temps par rapport à la méthode
rationnelle puisqu’il s’agit d’utiliser l’intuition et de
répondre la minute qui suit, sans se perdre dans les
péripéties du doute. « Cette approche permet d’accéder à
des informations immédiatement disponibles en allant
droit à l’essentiel, en éliminant ce qui est moins
important »70.

Le recours à l’intuition favorise donc la confiance en


soi dans la mesure où le sujet décide de suivre son
expérience face à la résolution d’une difficulté.
L’approche intuitive, le fait d’affronter l’inattendu des
émotions, de repousser le doute, symptôme de la raison,
réconforte l’estime de soi lorsqu’il est question de s’ouvrir

70
Thomas Wallenhorst, Le Meilleur est en moi, p.51

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à l’autre. À partir de là, aller à la rencontre de ses


semblables impose une certaine conduite dont la confiance
en soi est un élément incontournable.

De plus, à travers l’expression des pensées et des


émotions, la capacité de se mettre à la place de l’autre est
nécessaire afin de partager ce qu’il ressent. Cette volonté
devient possible par trois manières au moyen desquelles
on parvient à identifier l’émotion chez l’autre. D’abord,
mettre un nom sur ses propres émotions et cela facilite la
connaissance de l’autre. Puis, s’immiscer dans son monde
intérieur pour bien comprendre sa situation sans jamais
fusionner avec lui et « il n’est pas trop fort de dire qu’il
s’agit d’ouvrir son cœur pour aller à la rencontre du cœur
de l’autre »71. Enfin, découvrir l’autre par le fait qu’il
raconte ce qu’il a vécu en profondeur. À ce niveau
d’intelligence, notre personnage éprouve la difficulté
d’utiliser ses propres émotions en vue de lire l’intérieur de
l’autre. En effet, on avait dit que le désorienté peine à
exprimer des sentiments puisqu’il n’a pas de contact avec
le réel où se font les émotions. D’ailleurs, un désert
sentimental domine le comportement sociétal. En
permanence, par rapport à l’existence, le dégout domine
son vécu intérieur, et à cet égard, il engage le silence
comme une esquive. Ici, il ne faut pas confondre le
silence, comportement intelligent, permettant d’amortir le
choc du sentiment à ce silence dans lequel le meurtri se
plonge désespérément en tant qu’espace où il oublie tout
et où il ne compte pour personne.

71
Ibidem p.58

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1.4 « Maitriser son rôle social »

L’intelligence personnelle amène la personne à devenir


un maillon fort dans un système social où l’idée de
complémentarité entre les membres fonctionne
normalement. Certes, l’État, malgré sa grandeur, ne
parvient pas à couvrir tout ce dont une société peut
manifester comme besoin. Il appartient donc aux gens de
s’organiser et de pallier les manquements de l’État en
profitant de la proximité qui constitue un atout pour la vie
associative. En effet, à Djibouti, tout le monde a accès à
tout le monde. Et tout le monde connaît tout le monde.
Encore, dans les quartiers, entre riverains, cette
connaissance se transforme en un sentiment de fraternité
qui ne laisse personne à l’écart. Naturellement, ce milieu
se veut favorable à la mise en place d’un réseau
d’associations destinées à atténuer les douleurs du citoyen
dans plusieurs domaines. De plus, depuis l’ère nomade,
une sorte de solidarité s’est mise en place et continue à
s’activer dans le milieu citadin.

Dans ce sens, rien de concret n’est fait. Vierge demeure


ce terrain. En général, à Djibouti, la culture de se
rassembler en donnant sens à l’idée du voisinage, de la
fraternité et de l’amitié, semble être faible. Néanmoins, on
ne manque pas d’assister un voisin ou un ami. Le soutien
matériel est une formule très courante au sein de la société
et personne ne se voit seul dans un besoin vital. En
revanche, la volonté de convertir cet atout en des
institutions organisationnelles reste timide. En vérité,
l’intelligence personnelle fait appel à une autre forme de
regroupement beaucoup plus sophistiquée que celle qui
repose sur l’action individuelle. Il faut couvrir des domaines
variés tels que la santé où des maladies rares rendent
désemparés les parents des victimes. Concrètement, ces

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derniers temps, malgré la multiplication des cas d’autisme à


Djibouti, rares sont les structures habilitées à proposer un
encadrement aux enfants touchés. Il se peut même que des
parents s’enlisent dans des difficultés alors que la
possibilité de créer des forums pour échanger et mieux
gérer les douleurs se montre envisageable. Les seules
associations, légalement constituées, rentrent en activité
lors des campagnes électorales pour gonfler l’action
gouvernementale. En dehors de cette période, leurs activités
restent sans effets et certaines sont mort-nées. C’est à
l’étranger, loin de la Mère patrie, que s’acquiert la culture
de s’associer contre un phénomène qui menace la
communauté. Tout de même, selon la diaspora
djiboutienne, l’action commune reste toujours à l’état
embryonnaire. L’esprit vient de naître, toutefois, l’habitude
de se réunir autour d’une cause peine à prendre son chemin.

Tel est le cas de la société djiboutienne quand il s’agit


de jouer un rôle social. Qu’en est-il du nouvel être ? Pour
lui, l’idée d’un État qui a besoin d’être épaulé dans ses
fonctions n’est pas à l’ordre du jour. Selon sa logique, l’État
a le devoir de satisfaire les besoins de chaque citoyen. Au
nom d’une association, secourir quelqu’un d’instable dans
sa psychologie et lui trouver un médecin dépasse son
entendement. « Il y a un État pour ce genre de travail », dit-
il. Aussi, il est incapable de pénétrer dans l’être qui souffre,
parfois un proche ou un voisin, pour soulager par les mots
qui conviennent. Bien sûr, les associations bénéficient de
formations pratiques, ce qui donne aux membres actifs
l’opportunité de pratiquer les premiers comportements afin
d’apaiser les douleurs d’une victime.

Chez notre personnage, « maitriser un rôle social » ne


figure pas dans son plan parce qu’il appartient à une
micro-société dont les lois diffèrent de la société réelle.

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Avec les autres meurtris, il mène une vie uniforme, en


général, sans sentiment ni émotion. Il s’est détaché des
défis, sources d’ambition et de réalisation. Au lieu de
domestiquer les difficultés, il préfère la négation et le
mépris. Pour lui, c’est comme si l’existence a cessé son
mouvement et que le temps s’est figé. A chaque moment,
du matin au soir, il exécute les mêmes gestes et raconte les
mêmes choses. Il se contente de l’élémentaire et ne
demande guère au-delà. Si le désorienté a un rôle social,
c’est au sein de ses coéquipiers. Et cela se réduit au rituel
que l’on vient d’évoquer.

Après avoir appliqué sur le désorienté l’expression de


Howard Gardner qui explique l’intelligence personnelle par
le fait de « s’orienter vers le soi et maitriser sa vie
personnelle et de s’orienter vers les autres et maitriser son
rôle social », on se permet de tirer la conclusion suivante :
notre personnage se méconnait, et par conséquent, il
méconnait les autres. La conscience de soi est donc une
condition sine qua non à la connaissance de l’autre.

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VI. SON RAPPORT AVEC LA CULTURE

Chaque société se distingue par un certain nombre de


traits qui déterminent son identité. Parmi ceux-là, il faut
noter la croyance, la façon de vivre, de penser et de
s’aimer. Dans sa manière d’être, à partir de ces valeurs,
toute société acquiert des particularités. L’on estime, qu’à
Djibouti, comme caractéristiques, les principaux éléments
qui suivent font partie intégrante de la culture. Il est
intéressant de voir comment notre personnage vit ce qui
constitue son identité.

1. Absence de l’individuel

Dans le contexte djiboutien, la volonté de se suffire a


peu de chances de réussir. L’on est bien aux antipodes de
l’Occident où l’individualisme représente une valeur en
soi. Ici, l’homme, en tant qu’individu, n’existe pas. Il doit
partager tout. Son avoir comme sa maison. Chez lui, l’idée
d’un déjeuner en famille reste ignorée. A la nuit tombée,
comme un dortoir, les chambres de la maison sont
envahies par des proches et des amis. Avant tout, c’est la
baraka qui compte. C’est une œuvre de bon cœur.
Néanmoins, un sentiment individualiste vient de naître et
il semble que ce climat d’hospitalité vit ses derniers
instants. Aussi, ses prises de position se partagent et cela
ébranle son autonomie. Par exemple, il va soumettre son
engagement politique à sa famille, à son clan et à ses amis.
En général, comme « la nature a horreur du vide », tous se
dressent contre lui. Il obtempère, mais ne finit pas de jeter
l’opprobre sur les auteurs de la dissuasion. Dans tous les
domaines, l’individuel ne peut pas faire fi du collectif. Le
soi demeure englouti par un esprit communautaire. Il n’y a

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pas « la notion de personnalité achevée ou intégrée »72. La


société, surtout la famille, se substitue à son rôle d’homme
responsable. En politique, l’individu consulte les proches
et esquive d’assumer seul ses responsabilités.
Apparemment, lui, il cherche une assurance et son
entourage craint des représailles. Ce faisant, il n’aura
jamais l’occasion d’agir en liberté.

Le nouvel être profite de cet état où ses irresponsabilités


passent inaperçues parce qu’elles fusionnent avec la
pratique sociale en vigueur. Il y a une sorte d’union entre
l’inertie de notre personnage et l’excès du partage social.
Les limites entre les deux s’entremêlent et la tentative de
redresser les irrégularités du nouvel être se voit comme une
agression. À titre d’exemple, non marié, le désorienté gagne
sa vie, mais il dilapide son salaire. La famille met la
pression sur la fratrie pour payer l’intégralité des frais de
son mariage, et plus tard, sa ration alimentaire. Ce genre
d’assistanat est possible parce que l’on doit partager, et
l’inverse, le fait de se suffire se conçoit comme un
comportement importé. D’ailleurs, toute personne qui
introduit dans ses manières une conduite d’autosuffisance
risque d’être taxée « d’Occidental ».

Cependant, il convient de pointer du doigt l’excès du


comportement collectiviste qui fait de l’individu l’éternel
assisté et donc l’éternel décadent. De la même manière, il
faut admettre le caractère égoïste de l’individualisme. En
effet, en France, depuis le mois d’octobre 1945, la sécurité
sociale, conforté par le préambule de la Constitution de
novembre 1946, stipule le droit de tous « à la protection de
la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ».
Donc, socialement, entre les citoyens, peu de choses
s’envisagent. Personne ne compte sur personne. Le bon
72
Howard Gardner, Les Formes de l’intelligence, p. 264

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sens veut que les extrêmes aient toujours entrainé des


méfaits. La notion de juste milieu peut jouer le rôle de
balance, et ainsi, le dérèglement peut finir par laisser la
place à une cohésion où chacun manifeste sa présence
quand il le besoin se fait sentir.

2. Hospitalité

« À Djibouti, tout le monde mange à sa faim », dit-on.


Ce n’est pas une publicité, mais une réalité qui a ses racines
dans l’histoire du pays. Depuis l’indépendance jusqu’à nos
jours, ce slogan a fait ses preuves parce qu’il est fréquent de
rencontrer des enfants qui ont grandi sous le toit d’une
famille sans lien de parenté aucun. Au-delà de la relation de
sang, ici, être parent, frère ou sœur est possible grâce à une
bonté ancrée dans l’être djiboutien. En fait, pour toujours,
accueillir quelqu’un sans contrepartie semble un geste
naturel. Il vient du cœur, et par conséquent, il s’exécute avec
vocation. L’on assiste à un homme qui dort sur un coin d’une
parcelle vacante, à la belle étoile, quelque part à Djibouti-
ville, comme beaucoup d’autres, et qui partage les repas avec
une famille, habitant non loin de cet endroit. A la longue, il
devient un membre de la famille, et par bonté, le chef de
ménage fait tout pour obtenir sa naturalisation. Cela réussit,
et quelque temps après, par l’effort répété et soutenu, il y a
possibilité de voir cet individu vivre dans une situation aisée.
Le nouvel être, issu de la famille d’accueil, viendra
quémander une cigarette à ce naturalisé qui incarne l’effort
par excellence. « C’est un broussard ! Il est arrivé hier ! C’est
grâce à mon père qu’il devient ce qu’il est ! », répète le
meurtri. En effet, il cherche à dévaloriser l’effort et à justifier
son échec dans la mesure où il pense que seul un étranger
peut réussir. Justement, « Djibouti tue ses enfants et élève les
enfants des autres » est un proverbe arabe qui illustre cette
position.

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Que dire de l’hospitalité à l’égard du désorienté né et


grandi à Djibouti ? Il l’exige avec force et menace de semer
le désordre si elle n’est pas reconnue comme un devoir. En
réalité, à cette notion, il a établi une nouvelle acception. A
l’origine, elle est dédiée à tirer quelqu’un de l’embarras et
elle a donc un caractère ponctuel. Pour le nouvel être, en sa
faveur, il s’agit d’un comportement durable dont la remise
en cause est intolérable. Au lieu d’en faire une bonté qui
tourne entre les nouveaux bénéficiaires, il en fait une
propriété privée. Il réussit à imposer sa conception et le
meurtri existe aujourd’hui grâce à elle. De sa part, la société
accepte tout ce qui semble insensé. Sinon, comment arrive-
t-on à tolérer un mari qui refuse de travailler, mais qui
« broute » la nuit avec les frais de son épouse et qui dort
toute la journée ? En fait, cette dernière, versée dans
l’économie informelle, prend en charge une famille de dix
enfants. À son réveil, il doit manger et avoir son khat tout
prêt, sinon, il crée un scandale dont personne n’a la volonté
qu’il ait lieu. L’hospitalité accepte donc qu’on
l’accompagne dans sa décadence. La société consent cet
état des choses, et ainsi, la solidarité se transforme en une
domination. Le statut de père fait un glissement vers une
autorité qui rançonne les siens. Auprès des autorités, aller se
plaindre de son père n’est pas de coutume et personne ne
viendra arrêter les exactions du chef de ménage. Beaucoup
de familles vivent dans un pareil dilemme, ce qui oblige
une partie de la fratrie, surtout les ainés, à s’exiler afin de ne
point assister à la souffrance de la mère.

3. Respect de l’âge

Comme critère, l’âge prête une importance à la


personne, surtout si elle est vieille, car cela représente un
signe de tendresse qui nécessite un traitement particulier.
De plus, l’islam fait de l’âge un statut particulier de

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considération. Il y a donc moult raisons pour accorder une


révérence aux personnes âgées.

Pour rappel, nous avons admis que le nouvel être


manifeste sa présence dans toutes les tranches d’âge et
catégories sociales, mais ses torts vont décupler lorsqu’il
approche de la vieillesse. En effet, selon la culture locale,
en termes d’idées ou d’actions, il est très mal vu de contrer
quelqu’un d’âgé même si ses comportements entraînent tout
le monde vers l’abime. Apparemment, les textes
scripturaires faisant allusion au respect des parents et des
personnes avancées dans l’âge font l’objet d’une
interprétation erronée. Bien sûr, la finalité des lois porte
plutôt sur le respect dans le cadre de la légalité et du bon
sens. Quel que soit l’auteur, tout acte, contraire à ces deux
principes, reste nul, et le respect devient donc un non-sens.

Il y a l’exemple d’un père, un septuagénaire


« brouteur », fervent suppôt du khat, impuissant et
hypertendu, qui prend une deuxième et troisième épouses,
obligeant la fratrie, issue du premier mariage, de subvenir
aux besoins de ses femmes et de ses enfants, s’il en a.
« Écoutez ! Vous allez élever vos petits frères et sœurs.
D’ailleurs, c’est pour cette raison que je suis votre père.
Sinon, au nom d’Allah, je vous maudis », dit-il, en
prononçant cet oukase irréfragable. C’est un peu comme le
tonneau de danaïdes. De la part des intéressés, la moindre
pertinence provoque la colère du parent qui reçoit cette
subtilité comme une ingratitude : « Ne me répondez pas de
cette manière ! Évitez que je profère une malédiction
contre vous ! Obéissez et suivez mes ordres ». Malgré les
difficultés financières, on répond à sa demande parce qu’il
a le sang qui bout dans les veines. En respectant l’âge,
même si quelques-uns résistent à la volonté du vieux
parent, la majorité de la famille accepte que son souhait

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soit exaucé. En effet, la culture amène l’individu à tolérer


l’irrationnel pour éviter une éventuelle infortune. C’est
comme si s’opposer à quelqu’un à qui l’on doit une fière
chandelle était synonyme d’ingratitude.

La meilleure façon de corriger ce genre de


comportement consiste à faire raisonner le vieux et arrêter
son entreprise qui s’apparente à un suicide. Malade et
infécond, il accélère le rythme de sa vie, en même temps,
il condamne les fillettes qu’il a épousées à passer une
existence mutilée. Au cas où le désorienté s’entête dans
son illogisme, il est nécessaire que la fratrie fasse bloc et
impose son point de vue. En général, un argument tel
qu’on « ne peut pas s’opposer à un parent » prime sur le
raisonnement et l’union familiale.

Il y a aussi l’exemple d’une mère, âgée, veuve et


caractérielle, vivant chez son fils, récemment marié. Sa
femme, d’une bonté rarissime, ne ménage pas sa peine
pour choyer la belle-mère. D’ailleurs, elle effectue ce
travail comme personne d’autre ne l’aurait fait. Pourtant,
la vieille met la pression sur son « enfant » pour qu’il
divorce de celle qu’elle qualifie de diablesse. Lui, il voit le
contraire, il aime son épouse et apprécie la manière dont
elle prend soin de sa mère. Mais, petit à petit, pour que ce
parent ne sorte pas de ses gonds, il fléchit et craque sous
les malédictions répétées. Il prononce la phrase fatidique
qui met fin à la vie du couple. C’est dans la déchirure qu’il
va quitter sa femme, tout simplement, en obtempérant à
l’influence d’un nouvel être. Plus grave, plus tard, il se
remarie et le même scénario se reproduit. À chaque fois, il
préfère éviter l’appel au malheur d’une mère âgée dont le
respect est comme une religion.

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En dehors du cadre parental, dans la société, le tort est


rarement rétabli lorsqu’il provient d’une personne âgée.
« Laisse-la ! C’est une vieille », dit-on. L’on n’accepte pas
qu’un enfant fasse des bêtises, en revanche, de la part
d’un(e) senior, malgré leur gravité, les maladresses
passent même à répétition. L’équilibre est le respect de la
personne âgée sans nuire à l’intégrité d’autrui.

4. Femme vs homme

La femme est un maillon fort de la famille, et par


conséquent, de la société.

- Premièrement, comme le coût de la vie ne cesse de


s’envoler, elle apporte un soutien matériel au chef de
ménage. Des fois, seule, en présence de son mari au
chômage, elle assure l’intégralité des charges. Dans ce
cas, diplômée, la tâche semble moins ardue. Mais
lorsqu’il s’agit du secteur informel, où elle multiplie les
petits commerces, là, la souffrance se fait sentir. Sa
journée commence tôt le matin et se termine tard le soir.

- Deuxièmement, pour elle, l’éducation des enfants


constitue la première de ses préoccupations. Instruite,
elle s’engage à améliorer leur niveau par elle-même.
Sinon, à ses propres frais, à domicile, elle s’arrange
pour trouver un enseignant. Non instruite, elle inscrit
ses enfants au cours du soir où le coût paraît abordable.
S’agissant de l’école publique, à la rentrée comme à la
sortie, elle tient compagnie à ses enfants. Pendant l’été,
c’est à la madrasa qu’elle les conduit pour
l’apprentissage du Coran.

- Troisièmement, elle s’implique personnellement à


soigner la personne de son mari en se focalisant sur son

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bien-être. Elle prend soin de sa nourriture, de ses habits


et de son lit. Bien sûr, il y a des foyers où la femme a
failli à son rôle et où l’homme essaie de sauver la face.

Après le travail, l’homme se trouve souvent à


l’extérieur. Il n’est à la maison que pour la nécessité. La
plupart de son temps, il passe au mabraze et ne rentre le
soir que pour le sommeil. En payant seulement la ration
alimentaire, il se sent pleinement responsable. Rien de
profond ne se passe entre lui, son épouse et ses enfants.
Son devoir se résume donc à une série de propos assez
superficiels. « Travaillez bien ! Ayez vos diplômes ! J’ai
sacrifié ma vie à vous. Profitez-en ! » Ici aussi, on
rencontre des familles où l’homme assume une fonction
centrale dans les affaires familiales. Il s’implique dans
l’épanouissement de ses enfants.

La culture a fait de cette réalité la norme qui départage


les deux sexes dans leur fonction au sein de la famille et
de la société. D’un côté, il y a une femme entrepreneuse,
soucieuse et investie dans la réussite de sa progéniture. De
l’autre, il y a l’homme pénétré de ses mérites, flemmard et
ne se mettant pas martel en tête. C’est en Occident que le
père djiboutien prend conscience de sa déficience à l’égard
de sa famille. Là-bas, la notion de dominance masculine
s’éclipse. Toutefois, récalcitrants restent les hommes pour
ne pas perdre ce qu’ils voient comme un acquis culturel.

Le nouvel être met cette pratique à profit. Il est placé


sur un piédestal, ce qui lui permet d’exploiter sa virilité.
C’est avec acuité que surgit sa désorientation quand ses
soucis se résument à satisfaire le plaisir charnel. Chez lui,
l’importance, c’est la jouissance et il n’a cure de personne.
Et si chaque année une grossesse s’invite ? Tant pis ! La
mère est là ! Elle doit s’en occuper. « Personne ne peut se

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dérober de son destin », dit-il. Ce faisant, dans les


quartiers de la capitale, on croise des enfants en bas âge
dont le père incarne l’absence. D’une activité à une autre,
tandis que la mère multiplie les chances pour nourrir la
famille, la progéniture, une dizaine erre sur les chemins
faisant montre de négligence. Dans ces conditions, cette
mère vit un tiraillement, et a posteriori, le mari en est le
premier responsable.

5. Oralité

En communication, on privilégie l’oralité plus que


l’écriture. D’abord, la langue française n’est pas à la
portée de tous. Et les langues maternelles demeurent non
enseignées. Parler se présente comme un souffle de vie
dans la mesure où l’individu raconte ses entrailles par ses
propres mots. Pour lui, l’oralité est un moyen facile de dire
le réel sans passer par la rigueur de l’écriture qu’il voit
comme une censure. D’ailleurs, même le lettré préfère se
soumettre au parler. En transaction, chacun donne sa
parole et y tient. Selon la pratique, en ce temps de forte
mondialisation, elle vaut plus que les signatures et les
documents certifiés. Signature et document restent
toujours dans le cadre de l’écriture, or, la confiance réside
dans ce que l’on dit et non dans ce que l’on gribouille. En
administration, on préfère échanger oralement avec le
citoyen. Cela empêche la traçabilité et donc la poursuite.
S’il y a quelqu’un qui s’entête pour avoir ses droits dans le
temps et qui correspond avec le service concerné par écrit,
très vite, on exauce sa demande. Parce que, en tant que
preuve, l’écriture gêne. Dans les services de l’État donc,
l’oralité permet la lenteur, la tricherie et le
dysfonctionnement. En politique, c’est dans les mabrazes
que se prennent les grandes décisions. Rares sont les idées
fondatrices qui naissent des assemblées officielles entre

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les entités de l’État. Par ailleurs, pour ce dernier, le respect


de l’écriture comme un témoignage de premier plan n’est
pas à l’ordre du jour. En fait, habituellement, les
promesses faites par l’État, signées et tamponnées,
destinées à être tenues, font l’objet de négligence. Pour
éliminer toute preuve matérielle, il est donc mieux de
parler et de ne rien retenir.

Le nouvel être trouve son compte dans cette tradition


puisqu’il s’agit de parler sans finalité aucune. Ici, révolu
semble être le temps où le sage parlait peu, mais disait
vrai. L’on sublimait ses propos qui avaient un sens
éducatif et universel. L’on s’identifiait aussi à la belle
littérature traversant les époques grâce à l’outil qu’est
l’oralité. Avec l’avènement du désorienté, elle perd son
originalité et devient le centre d’intérêt de tous ceux qui
font de la parole une manière de se divertir. Le meurtri
discourt sans se soucier du contenu de ce qu’il raconte.

Entre désorientés, les récits se répètent et le discours


manque de vigueur et d’esthétique. Cette harangue voire ce
psittacisme ne dérangent pas cette communauté. En effet, le
contenu des discussions varie selon le niveau du désorienté.
Le meurtri non scolarisé ou culturellement pauvre, raconte le
nombre de décès et de mariages dans son quartier. Le matin,
il fait le tour de la ville pour récolter la matière de ses récits.
Il se rend aux différents services où les directions sont
assurées par des amis d’enfance aujourd’hui inaccessibles.
De loin, il observe le va et le vient des visiteurs et retient
leurs noms et leurs visages. S’il y a un ministre issu de son
quartier d’origine, chaque jour, il élit domicile dans un
endroit tout proche de ce département pour enregistrer les
mouvements qui animent cet univers. Le soir, entre
désorientés, lors de l’assemblée nocturne habituelle, il
restitue les informations qu’il a hâte de partager. Et elles sont
d’une banalité extrême parce qu’il s’agit de dire « qu’untel,

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habillé de telle manière, accompagné d’une femme, se


dirigeait vers le bureau du ministre qui est sorti un instant
avec leur arrivée ».

Le nouvel être, scolarisé, ayant un niveau culturel


satisfaisant, passe son temps à être présent sur les réseaux
sociaux. Il lit les faits divers et les évènements qui
manquent de profondeur. Au mabraze, où se rencontrent
les éléments de sa catégorie, il relate tout ce qu’il y a
d’inutile au monde. Par exemple, lors d’une coupe du
monde de football ou d’une ligue des champions, avec les
autres, il s’épuise de fatigue à comparer le nombre des
goals entre les meilleurs buteurs. Durant la compétition,
cet aspect absorbe le débat du mabraze qui se résume en
palabres.

6. Approche avec le temps

Malgré la conception rigoureuse que l’islam a du temps,


ici, cette dimension obéit à une approche rétrograde.

Premièrement, le temps échappe à un rythme périodique.


Il n’est point réparti. Abandonné, il suit son cours sans
intervention humaine. Par conséquent, il devient élastique et
large d’où l’idée de postposer ce qui doit se faire dans
l’immédiat. Souple donc, il y a moyen de rattraper le retard.
Or, on ignore que son caractère irréversible prend le dessus
et que la seconde qui s’écoule finit par ne plus revenir. « Qui
a le temps et attend le temps perd son temps »73.

Deuxièmement, « rien ne sert à s’obnubiler », pense-t-on,


puisque chaque chose arrive à son temps. Conformément à
cette conception, sur le plan temporel, au préalable, il y a

73
William Camden, historien anglais

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donc une planification dont l’implication humaine est mise à


l’écart. Bien au contraire, il ne faut pas « laisser le temps au
temps parce qu’il en profite »74. En revanche, « il faut qu’on
laisse du temps au temps »75.

Troisièmement, gérer le temps se pose comme un vrai


problème, étant donné qu’ici, « le temps n’a aucune valeur
stratégique » et que l’on vit « l’instant présent »76. Par
rapport à une échéance donnée, être à l’heure relève du zèle
et se prendre la tête pour tenir un rendez-vous fait l’objet
d’une critique : « Il fait l’Occidental », dira-t-on. Parce que
ce dernier a l’habitude de tenir promesse et de se planifier.

Quatrièmement, à Djibouti, comme ailleurs, dans


certaines contrées, « le temps est social et non
industriel »77. Social parce qu’à n’importe quel moment,
un évènement inopiné (un enterrement, un mariage, une
réunion pour régler un différend, la visite d’un groupe
d’amis) arrive, et dans la foulée, il faut y répondre présent.
Ce mode de vie fonctionne sans agenda et ne cause aucune
peine aux gens. Non industriel parce qu’il est hors de
question de se soumettre à un rythme saccadé en fonction
duquel on rétribue l’employé. Prendre en compte le
facteur temps pour rémunérer un travailleur se voit mal.
Ici, on entend que les jours reviennent et qu’ils seront
toujours là. Il n’y a que la mort qui va suspendre l’activité
humaine. Donc, le but, c’est de finir une tâche quel que
soit le moment.

Le meurtri croit donc en cette mentalité obscurantiste qui


fait du temps une source inépuisable. Pour lui, sans rien

74
Jean Amadou, chroniqueur et humoriste
75
Cervantes, Don Quichotte
76
Mokdad, La Culture africaine, p.14
77
Mokdad, La Culture africaine, p.13

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faire, le temps qui passe n’est pas une perte. Il en a trop de


libre et il doit en perdre. Pour cela, il joue à la pétanque
durant toute la nuit, jusqu’au petit matin. En effet, à
Djibouti ville, il y a quelques endroits où se pratique ce
sport qui attire des badauds et qui recrutent des adeptes. Le
nouvel être en fait partie. Pour tuer le temps, selon notre
personnage, le meilleur moyen est le sommeil. Par
conséquent, il préfère faire des nuits blanches et « se cacher
du soleil » comme il a l’habitude de répéter. Il tue la nuit
par la veillée et le jour par le sommeil. « Dormez
tranquillement ! Nous assurons la garde », dit le désorienté
aux quelques habitants de son quartier qui craignent
l’insécurité. La tendance naturelle s’est inversée, et plus
jamais, notre personnage n’arrive à dormir le soir. « Mon
organisme commence à s’activer dès que la nuit tombe. Et
je trouve du plaisir à patrouiller dans les quartiers. Pour
moi, cela devient un vice », confirme-t-il.

Pour tuer le temps, la situation se dégrade quand notre


personnage « broute » durant les nuits. Sous l’effet de la
plante, le sommeil s’envole et le temps s’écoule sans qu’il
ne s’en aperçoive. Il vante la vertu du khat d’écourter la
longueur du temps. Après une nuit blanche, c’est le
lendemain que l’envie de dormir lui revient pour se
réveiller le soir venu. Une décennie après, le temps a raison
du meurtri. En fait, la déchéance physique et sanitaire,
provoquée par l’insomnie et la consommation excessive du
khat, l’entrainent vers l’abime. Il arrive à peine à manger et
à marcher. Pour porter son corps squelettique, il déploie
toute son énergie et n’économise aucun effort. Il perd les
dents, et par conséquent, on risque de ne point distinguer
ses propos. Dès lors, il commence à survivre ou à
disparaitre. Il voulait en finir avec le temps, mais le temps
en a fini avec lui.

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7. Approche avec l’espace

À l’opposé du temps, par rapport à l’espace, l’homme a


la capacité de se déplacer selon son gré. L’irréversibilité
demeure donc une caractéristique temporelle. Malgré cette
capacité à se mouvoir afin de découvrir la diversité du pays,
la culture locale dédaigne le tourisme. À l’intérieur comme
à l’extérieur du territoire, peu de Djiboutiens entreprennent
des sorties pour dominer l’espace par le voyage. Il n’est
pas surprenant de voir des citoyens qui n’ont jamais mis
les pieds dans un pays limitrophe sachant que cela
représente peu de choses en termes de coût. De plus, à part
Djibouti-ville, un nombre élevé de la population
méconnaît les régions de l’intérieur. Bien sûr, les gens
manquent de moyens, mais le sédentarisme impose sa
logique. Chacun s’accommode à rester dans son petit coin
où rien ne perturbe la monotonie.

Pendant l’été, et durant quelques mois, une chaleur


torride accable les habitants qui doivent quitter les lieux
pour aller gouter la fraicheur des climats des pays
frontaliers. Souvent, les femmes et les enfants bénéficient
des bienfaits de ce mouvement. La raison de ce départ est
d’éviter le coût exorbitant de la facture d’électricité quand
on utilise la climatisation, en conséquence, il est question
de nécessité. Malgré tout, le nouvel être a horreur de
bouger. A cinquante degrés, sous un ventilateur qui fait
tourner un courant d’air très chaud, il passe l’été dans ce
qui ressemble à un « enfer » sur terre.

Notre personnage a grandi dans ce milieu réfractaire à


toute idée de mouvement et les lieux qu’il fréquente se
comptent sur les doigts d’une main. La plupart du temps,
désœuvré, le nouvel être, l’assisté éternel, tourne en rond
dans son quartier. Erratique, plus d’une fois, il croise tout

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le monde à tel point qu’il a l’air d’être mentalement


malade. On le voit aussi au centre-ville où il recueille les
informations banales de la matinée qu’il aura l’occasion de
raconter plus tard à ses semblables. Là, sans faire comme
un mendiant, auprès des connaissances présentes dans le
secteur, il parvient à collecter la somme qui va lui
permettre de « brouter » l’après-midi. Quand le désorienté
a un travail, comme quelqu’un qui effectue une
circumambulation, il exécute un petit exercice : aller au
mabraze et rentrer chez lui. Il ira au travail s’il y a une
retenue sur salaire. Sinon, le sommeil occupe toute sa
matinée et une partie de l’après-midi parce qu’il est un
adepte des nuits blanches.

Pour ces deux catégories de meurtri (le désœuvré et le


salarié), l’espace n’est pas un lieu de vie et de plaisir.
C’est un endroit qui permet de consommer la décadence.
Autrement dit, c’est un emplacement mort. En fait, au
centre-ville, lieu d’embrouillamini, et au mabraze, les gens
se parlent peu et se côtoient d’une manière mécanique.
Dans la solitude, chacun absorbé par ses affaires, le
contact manque de chaleur. L’on est entouré de gens sans
pour autant sentir cette présence. L’espace préféré du
nouvel être est caractérisé par le fait qu’il ne contient
aucun intérêt. Une bibliothèque, un musée, un terrain de
football, une piscine et autres sites, de même valeur, sont
des monuments de référence dont il faut profiter. Le
désorienté s’épanouit dans l’espace où l’importance reste
mineure. Pour choisir son espace, on dirait qu’il a fait de
la désolation un critère. La misère et l’état très abimé de
l’endroit montrent la décadence de celui qui finira par
péricliter.

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VII. SON RAPPORT AVEC LE PAYS ET LE MONDE

Il s’agit de deux entités géographiques dont l’une


détermine l’identité de l’individu et dont l’autre définit son
importance sur la planète Terre où la mondialisation ne
laisse aujourd’hui personne indifférent. En tant que citoyen,
son affirmation va orienter sa conception et ses attitudes à
l’égard du monde avec lequel il partage un certain nombre
de choses. Surtout, à l’heure actuelle où un évènement, à
l’origine isolé, impacte l’humanité dans sa globalité. Dans
un petit coin du monde, une hostilité en cours a des
répercussions sur une géographie pourtant très reculée. Le
local a donc une incidence sur l’international comme celui-
ci a une emprise sur le premier. Notre personnage pense et
vit la citoyenneté d’une manière, et en fonction de cela, il
établit sa relation avec le monde extérieur.

1. Sa citoyenneté

Être citoyen, c’est appartenir à une société, à un peuple


ou à une République dont la gestion est sous l’autorité
d’un État. Ce dernier reconnaît pour chaque membre de
ses ressortissants la qualité de citoyen par la naissance ou
par la naturalisation. Par la même occasion, la nation
dépasse ce cadre pour signifier l’harmonie qui règne entre
la sphère privée et l’espace public. C’est donc la capacité
du citoyen de vivre ses droits dans l’espace en question
tout en veillant sur le respect de la vie en société à l’égard
de laquelle il doit une série de devoirs. Il y a un acquis
juridique inconditionnel et la vertu de vivre ce droit en
symbiose avec son entourage.

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À Djibouti, deux obstacles rendent difficile la


réalisation de la citoyenneté comme on l’a définie. En
premier lieu, créer une cohérence entre la sphère privée et
l’espace public, avant tout une question de comportement,
fait appel à l’éducation. Dans sa dimension éthique et
morale, l’école transmet la citoyenneté. Mais en substance,
la faillite de l’éducation nationale est loin d’être
circonscrite. Un enseignement chargé de former un citoyen
à part entière appartient au passé lointain de l’institution
concernée. En deuxième lieu, certes, à travers les
documents légaux, l’État reconnaît son ressortissant en tant
que citoyen. En revanche, rien d’essentiel ne lui ai accordé.
La prise en considération du citoyen ayant droit au travail,
au logement, aux soins et à la consultation dans ce qui
engage l’intégrité du pays ne figure pas dans le programme
politique national. Il ne compte pour personne et ne mérite
pas d’être intégré puisqu’il est considéré comme inutile.

Dans ce contexte, le désorienté se présente comme


quelqu’un qui possède un acte de naissance rédigé le jour
de sa naissance et une carte d’identité obtenue au cours de
sa dix-huitième année d’existence. Attention ! Il ne faut pas
oublier le meurtri qui n’a jamais mis les pieds dans un
service de l’État et qui est décédé en restant démuni de tout
papier. Par ailleurs, il ne songe même pas à posséder un
passeport parce que l’idée de gagner l’ailleurs s’envole à
jamais. Il vit une citoyenneté sommaire sans droits et sans
devoirs. Le nouvel être se voit refuser ses droits et personne
ne le poursuit pour le manquement des devoirs nationaux.
L’État, entité juridique, habilitée à obliger le citoyen à
rendre compte, organise la cité de façon à ce que personne
ne soit poursuivi. L’État supprime les acquis et les devoirs
du citoyen.

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Il n’est pas étrange de rencontrer un désorienté en train


de déchirer ou de brûler ses pièces d’identité. De la sorte,
il se révolte contre le système, mais aussi, il exprime un
sentiment de dégout car sa citoyenneté n’a pas de
substance. De plus, il y a celui qui est tenté de marchander
ses documents dans le milieu de l’immigration
clandestine. À ses yeux, auprès de l’État, il n’est qu’un
état civil, il est réduit au néant. À partir de ses données
personnelles, le seul endroit où le système reconnaît son
existence est le service de la population dédiée à fournir
les pièces d’identité.

Cependant, ce citoyen, en l’occurrence, le nouvel être,


accorde peu d’intérêt à l’espace public et au bon
fonctionnement de la société dans la mesure où il n’a plus
confiance en l’État. Il considère la reconnaissance partielle
comme un dédain et supporte mal un statut de citoyen
mutilé. Tous ses comportements enfreignent la loi et
constituent parfois un danger à la vie commune. Impunie
reste souvent la conduite du meurtri qui se considère
comme une victime du système censé garantir ses droits.
Pour améliorer l’état des choses, ce n’est pas une
contestation politique qu’il mène, mais des actions
d’incivilité nuisibles au vivre-ensemble.

En général, pour prendre part au développement de la


société et de l’État, un citoyen doit répondre à une série de
critères :

1.1 Il est actif

Par rapport à la vie publique, l’on considère comme un


citoyen actif quelqu’un qui veut changer les choses par
l’exercice du droit de vote. Il est électeur et entend peser
sur le choix des hommes et des femmes qui dirigent le

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pays. Ou il est candidat et il compte avoir un impact direct


sur les décisions d’envergure. Il y a, aussi, le citoyen
passif qui choisit d’ignorer ce cadre pour des raisons
personnelles. Par exemple, il a recours à l’abstention pour
manifester sa déception à l’égard des politiques. Mais,
notre personnage est un citoyen plus que passif dans la
mesure où le vote n’est pour lui ni un droit ni une
obligation civiques. Dans son existence, il a rarement voté.
Des fois, s’abstenir et faire du silence une pression afin de
fléchir la position de l’adversaire s’avère comme un geste
politique assez pertinent. D’ailleurs, à cet effet, beaucoup
de Djiboutiens boudent les urnes. Mais chez lui, l’idée de
résister par le boycott n’a pas un sens politique. Il n’élit
personne parce qu’il confirme son absence et son
désintérêt par rapport à ce qui touche à la nation.

Par rapport à la vie associative, le citoyen actif


s’investit dans l’intérêt de développer les conditions de vie
de la société. Selon son domaine de prédilection et sa
formation initiale, en dehors de ses heures de travail, il
reste opérationnel pour secourir son prochain. C’est pour
lui une conviction et un engagement et cela fait de ce
sacrifice un plaisir qui se maintient aisément. Si pénible,
fut-elle, grâce à l’amour et à la vocation, une action sans
but lucratif entretient le moral de l’adepte du volontariat.
Mais le nouvel être vit une passivité ressemblant à une
mort lente vers la disparition définitive. Pour lui, au profit
de la société, se lancer à mutualiser les individualités et les
expériences est une perte de temps. « Occupe-toi de tes
affaires et cesse de servir des gens qui ne reconnaissent
même ce que tu fais pour eux », reproche-t-il, au bénévole
au service de la population. Au-delà de son état
d’inactivité, sur le plan conceptuel, il estime que l’action
commune profite au bénéficiaire et jamais à celui qui
l’entreprend.

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Par rapport à l’attitude individuelle, le bon citoyen fait


preuve de civisme en respectant les lois qui organisent la
société. Il se garde de violer les conventions communes,
non seulement par peur d’être réprimé par la justice, mais
aussi pour l’amour de la patrie. Son dévouement et son
attachement à la collectivité lui ordonnent de s’éloigner de
tout ce qui porte préjudice aux biens publics. Pour lui,
l’intérêt général passe avant l’intérêt particulier parce que
ce dernier ne peut être protégé sans le premier. Dès lors, il
participe à la construction de la collectivité et de ce qui tend
à entretenir sa solidité. C’est à travers une société compacte
et respectueuse des règles que le citoyen peut exister et
affirmer son individualité. Quant au nouvel être, il se
mouche avec la main et donne une poignée de main à la
première personne qu’il croise. Bourrés de saleté, longs et
rigides, ses ongles en disent long sur sa personnalité. Pour
en découdre avec l’impureté, au lieu de faire usage d’un
coupe-ongle, il emploie ses propres dents. En fait, cela
relève d’un tic et cette manie d’oublier ses doigts dans la
bouche fait perdre la volonté de soigner ses ongles.

En ville comme dans les quartiers, il gare son véhicule


contrairement à l’usage en vigueur. Si un citoyen tente de
corriger cette incivilité, la réaction est sans ambiguïté :
« Tu n’es pas un agent de la circulation ! Je fais comme je
veux ! » Pourtant, à un moment crucial de la journée, son
comportement entraine la paralysie du trafic. Pour
débloquer la circulation, comme tout le monde se connaît,
on s’acharne sur sa recherche. Dans un café, sans se
prendre la tête, il reste absorbé par son smartphone. On lui
dit qu’il y a urgence de désengorger la circulation et que
sa voiture doit dégager le lieu. En entendant sa réponse,
tout le monde a le souffle coupé : « Je suis occupé ! Il faut
patienter ! » Finalement, il passe la clef à un ami à qui il
ordonne de déplacer le véhicule. Au feu rouge, inutile de

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patienter. Il le grille. Plus grave, à une heure de pointe,


après une attente de quelques minutes au feu tricolore, les
automobilistes s’impatientent. Dès que le feu vert
s’allume, le nouvel être baisse la vitre de sa voiture et
entame une discussion avec le conducteur du véhicule qui
se trouve sur la bande d’à côté. De partout retentissent les
klaxons pour pousser à respecter la consigne. Tant pis ! De
nouveau, le feu rouge interdit la priorité et marque l’arrêt.
Hélas ! Il faut prendre son mal en patience.

En effet, faire la queue pour être servi à son tour ne fait


pas partie de ses habitudes et il arrive toujours à
contourner l’attente. Par exemple, à la fin du mois, à la
banque où la file risque de durer pendant des heures, avec
un tour de passe-passe, il est le premier à toucher son
indemnité. Il est habile à enfreindre les lois et les
convenances. Il s’enorgueillit de ses incivilités qui
représentent pour lui une ingéniosité réservée aux plus
malins. Dans le transport commun, en fumant dans le bus,
il nuit à sa santé et à celle des autres. « Arrête de nous
enfumer ! », crie un passager. « C’est avec ma bouche que
je fume et non avec la tienne », répondit-il, avec
superficialité. Toujours dans le bus, notre personnage,
installé au fond, s’adresse à un voyageur assis tout près du
conducteur. Évidemment, la distance qui les sépare oblige
l’un et l’autre à hausser la voix. « Comment vas-tu ? Est-
ce que ta femme a mis au monde des enfants ? Déjà, vous
êtes ensemble pendant dix ans ? », demande le nouvel être
à son compère. « Non ! On attend ! Pourtant, pour la
guérir, on a consulté tous les cheikhs du pays ! Jusqu’à
présent, rien de concret », répond-il. « Si elle continue à ne
rien donner, prends une seconde épouse ! Sûrement, celle-
ci va enfanter en nombre », souligne le meurtri avec
certitude. Jusqu’au terminus, un échange de tel ordre, qui
touche à l’intimité, se poursuit entre les deux passagers et

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personne dans le bus ne déplore l’état de ce dialogue. Ni le


cri des interlocuteurs ni le contenu de leur discussion ne
font perdre contenance aux usagers qui restent tiraillés
entre le bruit sonore émis par la radio du véhicule et
l’incivilité en exercice.

A l’hôpital, chez le médecin, l’impolitesse du meurtri


prend de l’ampleur lorsqu’il tente de passer avant tout le
monde. En nombre, dans la salle d’attente, les malades
restent couchés à même le sol. En arrivant le dernier, il
rentre le premier, et certes, il y a une entente tacite entre le
personnel du service et le nouvel être. Quand un autre
désorienté reproduit la même discourtoisie, la situation se
complique et l’attente se prolonge. Parfois, un indigné lève
le ton et crie son désarroi : « Craignez Allah et faites la
queue comme tout le monde. Vous devancez illégalement
les malades qui jonchent la terre. Quelle immoralité ! »
Indifférent, notre personnage accorde peu de respect aux
propos de ce révolté.

A priori, l’égoïsme, poussé à l’extrême, explique


l’attitude du nouvel être qui ne pense qu’à lui-même. En
effet, chez lui, selon les lois et les priorités, le sentiment
d’appartenir à une société dont les membres partagent
beaucoup de choses s’écrase sous le poids d’un moi
aveugle et parfois narcissique. Un espace, tel qu’un
parking, se partage en fonction de l’arrivée de tout un
chacun. Un médecin, une expertise nationale, se partage
selon la priorité des rendez-vous. À sa fantaisie, le
désorienté entend posséder tout quand il veut et comme il
veut d’où la négation du principe de l’intérêt général qui
prime l’intérêt personnel. Chez lui, ce dernier constitue
une volonté sacrée qu’il faut absolument conquérir. En
effet, faire les choses dans ce désordre, c’est mettre la
charrue avant les bœufs. Sur le plan conceptuel, c’est en

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donnant la priorité à la collectivité que l’on arrive à


promouvoir ce qu’il y a d’individuel dans la vie. Déjà, le
global inclut le partiel.

1.2 Il protège l’environnement

Vivre dans un milieu équilibré et respectueux de la


santé est le souci du citoyen dont la liberté de conscience
oriente les pas. En effet, en dehors de l’éthique et avec des
moyens industriels performants, on exploite la nature
d’une manière exacerbée. Aux dépens de l’homme et de
l’environnement, les puissances du monde misent sur la
surproduction ayant pour objectif le profit et la
prédominance. De ce déséquilibre, naît une pollution
nuisible à la planète. Dans ce contexte, le bon citoyen,
même s’il constate son incapacité à freiner ce qui
ressemble à une folie humaine, se sent concerné parce que
son existence est mise en danger. Il périt quand la nature
commence à périr. À son niveau, pour sauvegarder son
sort, il participe au redressement de la nature.

Comme d’autres pays, à Djibouti, la politique se


soucie peu de l’écologie puisque l’avènement d’un
développement qui nécessite de dévorer les richesses
souterraines et sous-marines paraît absent. En l’absence
d’une production industrielle, les méfaits de la pollution
ne se manifestent pas encore au grand jour. Or, en parlant
de la lutte contre l’altération du milieu, à part quelques
actions timides, ici et là, entreprises par des petites
associations, rien d’essentiel n’a été fait pour sensibiliser
la population. Au contraire, l’État contribue à la
dégradation de l’environnement. Par endroits, le système
d’assainissement laisse afficher une certaine défaillance et
il est fréquent d’assister à l’insalubrité des eaux usées qui
coulent entre les habitations dans des quartiers où la

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densité humaine bat son plein. Quant aux eaux de pluie,


aucun dispositif d’irrigation n’est prévu. À noter aussi que
des espaces publics restent longuement colonisés par des
ordures ménagères dont les riverains s’accommodent à la
puanteur. De plus, avec l’arrivée d’une population
étrangère flottante et incontrôlée, ces lieux souffrent d’un
problème d’hygiène considérable. Au vu et au su de tout le
monde, d’une manière impudique, ils servent des toilettes
à cette présence humaine.

Dans cette situation, le Djiboutien, conscient de la


place de l’écologie dans la vie, s’abstient de la dégradation
du milieu. À son niveau, il ne concourt pas à la perte.
Quant au nouvel être, l’idée d’une planète dont le sort de
toutes les espèces et de toutes les richesses dépend des
comportements de l’homme se comprend mal. Pour lui,
tout est compartimenté. Les entités sont différentes et
chacune d’entre elles a ses conditions de vie sans causer
préjudice à l’autre. Selon sa position, il y a une
coexistence qui ne dépasse point l’idée de voisinage. À
l’égard de la nature, ce que l’on qualifie d’incivilité est
pour lui un geste normal parce qu’il ne croit pas à la
nuisance. Il a l’habitude de jeter dans la rue un objet dont
il se débarrasse. Uriner l’amène à utiliser le chemin des
riverains qui devient des toilettes à ciel ouvert. Sous le
regard de l’autre, sans gêne, il crache partout. Devant son
domicile, ou non loin de là, l’épave de sa voiture gît et
pourrit l’air par la rouille qui gagne toutes ses parties. À
Djibouti-ville, un petit tour suffit pour constater l’ampleur
de ce comportement qui fait de la capitale un cimetière de
véhicules. Il faut envoyer ces véhicules hors d’usages à la
casse, mais il n’y en a pas. Quelques opérations
d’enlèvement se font d’une manière sporadique et cela
n’inquiète guère notre personnage qui trouve une solution
pour échapper à cette mesure. C’est une pollution gratuite

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puisque cette voiture ne sert à rien au meurtri sinon un abri


aux animaux domestiques et des cabinets d’aisances aux
étrangers souvent sans domicile fixe. C’est le comble de
l’altération de la nature.

1.3 Il est libre

En 1819, dans son « Discours », prononcé à l’Athénée


royal de Paris, Benjamin Constant définit la liberté en ces
termes : « C’est pour chacun le droit de n’être soumis
qu’aux lois, de ne pouvoir être ni arrêté, ni détenu, ni mis
à mort, ni maltraité d’aucune manière, par l’effet de la
volonté arbitraire d’un ou de plusieurs individus. C’est
pour chacun le droit de dire son opinion, de choisir son
industrie et de l’exercer, de disposer de sa propriété, d’en
abuser même, d’aller, de venir, sans en obtenir la
permission, et sans rendre compte de ses motifs ou de ses
démarches. C’est, pour chacun, le droit de se réunir à
d’autres individus, soit pour conférer sur ses intérêts, soit
pour professer le culte que lui et ses associés préfèrent,
soit simplement pour remplir ses jours ou ses heures d’une
manière plus conforme à ses inclinations, à ses fantaisies.
Enfin, c’est le droit, pour chacun, d’influer sur
l’administration du gouvernement, soit par la nomination
de tous ou de certains fonctionnaires, soit par des
représentations, des pétitions, des demandes, que
l’autorité est plus ou moins obligée de prendre en
considération ». Ici, on relève : la liberté d’action, de
propriété et de pensée. La liberté de culte, de distraction,
et enfin, la liberté politique.

À Djibouti, telle qu’elle est définie par cet auteur, dans


sa pluralité, comment la liberté est-elle offerte au citoyen
afin qu’il se sente accompli dans sa dignité ?

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La liberté d’action permet à l’individu de déployer ses


compétences et d’optimiser son énergie pour se réaliser et
réaliser ses projets. La seule chose dont il faut se garder
est d’enfreindre la loi qui protège les droits de l’autre,
susceptibles d’être piétinés par la volonté d’un
entrepreneur peu scrupuleux. Donc agir en respectant les
normes est une liberté garantie par la loi. À Djibouti, la
mainmise sur la population est une politique destinée à
surveiller les individus et à restreindre l’action
indépendante de la direction du pays. Il faut savoir que la
liberté de quelques catégories constitue une bête noire au
système : celle d’un richissime, d’un intellectuel, d’un
artiste et d’un pionnier dans la création. En effet, selon le
régime, si l’on octroie un espace de liberté à ceux-là, le
risque de perdre le contrôle de l’appareil est manifeste.
Pour couper court à ce genre de souci, la direction de
l’État fait de leur réussite la sienne, et par peur de
représailles, chacun se soumet et lègue le mérite de son
succès au pouvoir. Par exemple, pour être en paix et
acheter sa sûreté, le fortuné remet sans cesse des pots-de-
vin au régime. L’intellectuel met sa pensée au service du
palais. L’artiste compose à la gloire du trône. Et l’esprit
créatif dédie sa prouesse à celui qui a financé le projet par
l’argent public.

La liberté de posséder fait peur au système en place


dans la mesure où il croit que la richesse crée un appétit
politique. Par conséquent, il a l’œil sur toute personne
susceptible de se faire une popularité au moyen de ses
avoirs. En fait, dans une société pauvre, le régime fait de
l’argent un outil de manipulation. Il achète des alliances et
des consciences, et par la corruption, il démantèle
l’opposition. Chez lui, il y a l’idée que l’argent sert à
pérenniser le pouvoir. Cependant, contre un homme riche
et indépendant, le combat est déclaré. L’on craint qu’il soit

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tenté par la politique, et d’une manière stratégique, même


si l’appauvrir s’avère difficile, le régime tâche de lui
mettre des bâtons dans les roues. À force de courir derrière
les services des impôts pour régler le problème de
surtaxation qui lui est propre, il finit par s’épuiser et par
perdre la volonté même de gérer ses entreprises. Déçu et
découragé, il passe le relais à sa descendance.

La liberté de pensée n’a pas de valeur si sa


manifestation n’est pas autorisée. Exprimer ses idées et
traduire ses convictions en action font partie intégrante de
la citoyenneté. Cela crée un climat d’apaisement où l’on
évite la frustration. En effet, dans un système
politiquement fermé, la liberté de dire le réel tel que l’on
conçoit et de provoquer la contradiction se combat d’une
manière assez féroce. Pour ce genre de gestion, la pluralité
d’opinions représente une menace à partir du moment où il
se montre comme un rempart contre la division. Pour lui,
la nation, c’est l’unité. Et l’unité, c’est une seule opinion
et une seule méthode. Dès lors, permettre aux gens
d’exprimer le contraire de ce que pense le pouvoir est
l’équivalent d’un coup d’État. À Djibouti, à part les
réseaux sociaux, il n’existe aucun organe d’informations
libre pour proposer une voix discordante.

La liberté de culte est la sérénité de vivre ses


convictions religieuses à tout moment. C’est le fait de
s’acquitter d’un devoir sacré sans être gêné par quiconque.
D’où le sens de la spiritualité qui se concrétise seulement
dans un espace apaisé. À Djibouti, comme dans la plupart
des pays musulmans, cette liberté est manifeste. En
revanche, le discours religieux, destiné à la population, fait
l’objet d’une attention particulière. Le régime se méfie
d’un islam qui embrasse tous les aspects de la vie et qui
met en cause un régime autoritaire. Mais à raison, il a la

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légitimité de combattre contre les extrêmes qui, au nom de


l’islam, commettent des atrocités abominables. Jamais,
l’islam, la religion de la paix, comme on le qualifie avec
justesse, n’a pas autorisé à tuer quelqu’un en son nom.

La liberté de distraction participe à l’épanouissement


du citoyen. Bien sûr, à Djibouti, aucune restriction n’est
imposée, mais la rareté d’espaces dédiés à cela rend
difficile la récréation pour les enfants et le plaisir pour les
adultes. À titre d’exemple, un vendredi après-midi, en
faisant un tour à Djibouti-ville et à Balbala (une
agglomération qui jouxte la capitale), à défaut d’endroits
aménagés, l’on rencontre des enfants et des adultes qui
transforment les espaces libres en terrains de football. Ils
s’autorisent même à couper une route où la circulation
reste moindre. Surtout, le plaisir reste gâché quand le
ballon crève au passage d’une voiture dont le conducteur
n’est point conscient du « délit » qu’il convient de
commettre. Très vite, tous entourent le véhicule pour
demander au chauffeur de réparer le dommage. Tant bien
que mal, l’auteur des faits réussit à fuir et les pauvres
enfants assistent à un plaisir déréalisé jusqu’à ce qu’ils
parviennent à cotiser pour acheter un nouveau ballon. Des
fois, ils arrivent à négocier et l’auteur de préjudices paie le
dédommagement. Ici, dès l’enfance, le citoyen se sent
déconstruit parce que le ludique nécessaire à
l’accomplissement de l’être manque dans son vécu.

La liberté politique se présente d’abord comme la


chasse gardée d’une poignée d’hommes. Le citoyen n’est
impliqué que pendant les élections électorales où sa voix est
volée et ne fait l’objet d’aucun respect. En fait, il n’a pas le
droit de voter contre le pouvoir en place. Même s’il
boycotte, au profit du système, son vote est comptabilisé.
Ensuite, au-delà de cette formalité, l’opposition vit une

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menace permanente et de tout genre. Selon le régime, être


opposant, c’est être l’ennemi de la nation. Cela entraîne un
combat sans merci contre toute opinion dissidente. Enfin, le
citoyen dédaigne la politique parce que la manière dont elle
se pratique fait d’elle le lieu de toutes les supercheries.
Depuis l’accession à l’indépendance, il assiste à une série
de mensonges que l’entendement humain peine à réaliser.
Pour les politiques, l’objectif est de se maintenir au pouvoir.
En clair, le vol, la menace et l’immoralité du système ont
brisé le rêve du citoyen d’appartenir à un espace politique
où la différence reste considérée comme étant une liberté
fondamentale. À ce niveau, la frustration se manifeste de la
façon la plus saillante.
Face à cette privation de liberté, la réaction du citoyen
varie selon sa disposition à résister ou à céder. Il y a celui
qui se contente de profiter de la moindre liberté, s’il y en a.
Sinon, il se résigne à suivre la tendance globale qui opte
pour la soumission. Comme un aventurier dont le retour
semble incertain, contre vents et marées, il y a celui qui
décide de conquérir sa liberté en se dressant contre le
système. Enfin, il y a le nouvel être, pour qui la notion de
liberté demeure floue. Il estime qu’il est assez libre dans ses
mouvements et dans ses paroles et que cela suffit à moins
que l’on ne souhaite un excès d’autonomie. Lorsqu’il
entend parler des gens qui s’organisent pour être vraiment
libres, il a le réflexe de dire : « Que cherchent-ils de plus ?
De quoi parlent-ils ? Qui les empêche d’agir ? On est libres
depuis l’indépendance ! » Pour lui, il n’y a pas de
différence entre un monde libre et un autre qui ne l’est pas.

1.4 Il incarne une cause

Aller au-delà des motivations personnelles pour régler


un problème national est une action citoyenne de premier
plan. C’est une initiative qui exige un moral, une

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générosité, un engagement, et enfin, un sacrifice. D’où la


rareté des candidats à ce genre d’entreprises puisque le
risque d’être exposé à un danger s’avère réel. À Djibouti,
par exemple, le défenseur des droits humains vit sous
toutes sortes de menaces surtout s’il travaille avec des
organismes internationaux dont le pays est pourtant
membre. Le régime agit pour limiter les déplacements de
cet aventurier de façon à camoufler ses exactions sur les
citoyens. Lors des conférences internationales, toute
personne qui se permet de dénoncer les conditions
délétères dans lesquelles se trouve le Djiboutien se voit
réprimer sous prétexte qu’elle a trahi la patrie et qu’elle a
humilié la nation face aux autres. Donc, la disposition à
renoncer à ses propres intérêts au bénéfice d’autrui place
l’individu dans une situation très inconfortable.

Pour cette raison, rares sont les gens qui affrontent ce


qui ressemble à un suicide auquel personne ne vient
apporter le moindre secours. Lors de la lutte pour
l’indépendance, au prix de leur vie, des hommes et des
femmes, prêts à en découdre avec l’occupant, ont servi de
locomotive au mouvement anticolonial. Grâce à eux et à
un élan patriotique déchainé, Djibouti s’est libéré du joug
étranger. Depuis, bien qu’il y ait des causes qui méritent
d’être défendues, au profit de la nation, très peu d’hommes
mettent leurs sentiments et leurs préférences au second
plan. Aujourd’hui, rétablir la dignité humaine est une
action qui fait appel à la conscience, mais seulement,
quelques-uns répondent à cette forme de mobilisation.
Pourquoi ? D’abord, parce que la culture du sacrifice reste
encore dominée par l’égoïsme. En effet, le personnel garde
un ascendant sur le collectif dans la mesure où l’action
destinée à servir la société donne ses fruits dans le long
terme alors que l’intérêt individuel aboutit à l’immédiat.
Le facile détermine donc le choix du citoyen. Ensuite, la

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répression, pratique courante de la part d’un État


autoritaire, finit par casser la volonté de l’individu. Enfin,
la solidarité, un comportement indispensable au combat de
ce genre, manque à l’appel et chaque engagé se sent seul
face à un adversaire qui ne lésine point sur les représailles.
S’il y a un soutien, en général, il sera moral. La peur d’être
dénoncé auprès de l’oppresseur hante l’esprit de celui qui
pense à soutenir le mouvement pour la réhabilitation de la
dignité.

Telle est la difficulté qui va de pair avec la volonté


d’incarner une cause dite nationale. Que dire de la position
du nouvel être face à un projet d’une ampleur pareille ?
Pour lui, la notion d’une cause commune faisant l’objet
d’un sacrifice s’imagine très mal. Selon sa vision des
choses, c’est est une aberration de se consacrer à une
affaire dont le bénéfice n’est pas immédiat et direct.
« Consacre-toi à ta famille et laisse cette histoire », dit-il, à
la personne qui œuvre à la restauration de la justice. Sur le
plan idéologique, il nie l’existence d’un intérêt global qui
mérite la mobilisation des forces afin qu’il soit défendu et
mieux protégé. Pour lui, tout est individuel et le seul
conseil qu’il donne à une personne engagée est le suivant :
« Avant tout, veille sur ton intérêt. Ne perds pas du temps
sur des choses qui ne te concernent pas ».

Après avoir examiné notre personnage à la lumière des


critères qui font de l’individu un citoyen à part entière, on
enregistre le fiasco humain décrit ci-dessus. L’on assiste à
un citoyen inapte à assumer les responsabilités qui sont les
siennes et inapte à incarner son identité comme il se doit.
Son rapport avec le pays se résume donc à une vie
dépourvue de sens dans un espace sans intérêt aucun pour
lui.

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2. Le nouvel être et le monde

A priori, il y a deux voies pour entrer en connexion


avec le monde. De prime à bord, à force de lire, l’on arrive
à mieux connaître des pays et des peuples qui composent
notre planète. La découverte de leurs histoires et de leurs
cultures rapproche le lecteur de tel pays et le distancie de
tel autre. La lecture fait aimer un pays parce que l’on
s’identifie aux valeurs qui ont créé cette réalité
géographique et humaine. En effet, le périple historique
d’une nation peut montrer que l’on partage un certain
nombre de choses fondamentales à la naissance d’un
peuple. Lire emmène son adepte vers des contrées
lointaines et lui offre la possibilité de choisir des
compatriotes. Autrement dit, ce moyen qu’est la lecture
ouvre à l’intéressé une fenêtre à travers laquelle il tisse un
lien culturel avec le monde. A la longue, naît le sentiment
d’avoir visité tel pays et d’avoir maîtrisé ses hommes, ses
femmes et ses paysages. Rien que par la lecture, malgré la
distance, entre un cultivé et un peuple donné, naît une
sorte de complicité qui balaie toutes sortes de
malentendus.

Puis, à un niveau supérieur, le voyage symbolise une


voie d’ouverture sur un environnement autrement
inaccessible. Le déplacement, permettant de côtoyer l’autre
et sa géographie, rapproche les humains et donne l’occasion
de s’améliorer. D’où la floraison, dès le début du XVIIIe
siècle, de la littérature du voyage ayant pour objectif la mise
en exergue de la pluralité du monde. Pour critiquer la
monarchie absolue et la société française, dans les « Lettres
persanes » (un roman épistolaire), Montesquieu fait
voyager Usbek et Rica, deux seigneurs orientaux, qui, en
arrivant à Paris, correspondent avec leurs proches lorsqu’ils
découvrent que la société hôte est radicalement différente

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de la leur. Pour capter l’attention du lecteur, avec subtilité,


l’auteur exploite l’effet du regard éloigné (l’œil neuf) qui
autorise la surprise et le comique. L’inattendu se dit d’une
manière drôle et amusante. En même temps, par le procédé
épistolaire, Montesquieu offre à ses lecteurs occidentaux un
univers oriental avec ses eunuques, ses esclaves et ses
légendes. Grâce à cette fiction littéraire qui s’appuie sur le
voyage, l’artiste parvient à croiser les regards. Les Persans
jugent la politique, les mœurs et la religion des Français
comme ces derniers découvrent le caractère oriental du
sérail perse.

Dans son rapport avec le monde, le nouvel être


emprunte deux autres canaux qui ne mènent guère à la
découverte de notre univers tel qu’il se présente.
Premièrement, il passe par les réseaux sociaux caractérisés
par un flux incessant d’informations dont il est parfois
difficile de distinguer le vrai du faux. Mais surtout, pour lui,
l’image constitue un outil idéal qui donne l’occasion
d’accéder au lointain. Par exemple, c’est le direct du
classico espagnol qui permet au désorienté de connaître les
villes de Madrid et de Barcelone. Également, grâce au live
du derby de la Premier League, il découvre que Chelsea,
Arsenal et Tottenham sont des équipes londoniennes. C’est
l’image qui confère un caractère sacré aux stades de
Santiago-Bernabéu, de Camp Nou et d’Old Trafford. Pour
lui, le seul moyen qui rapproche une réalité distante semble
être l’image. Cependant, la magie de l’image trompe notre
personnage puisqu’elle est l’aboutissement d’un travail
d’arrache-pied. En football, le direct montre un terrain bien
rempli, multicolore, animé par des spectateurs
enthousiasmés, impatients de voir leurs idoles réaliser des
prouesses. En chœur, des chants retentissent de tous les
côtés et l’ambiance frôle l’hystérie. En fait, il a fallu tout un
après-midi pour que cette foule s’installe et une force de

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sécurité destinée à ce genre de manifestation a agi avec


acharnement. Et au final, on obtient cette image idyllique
qui fait rêver le meurtri. Pour lui, à l’instar de cet
évènement, retransmis en direct, où la perfection se montre
au grand jour, le monde est beau. Et pourquoi ne pas
rejoindre l’excellence ? Bien sûr, il y a des vidéos et des
photos qui reflètent le réel dans sa dureté et dans ses
souffrances. Mais le nouvel être choisit son objet. Il mise
sur la distraction et sur les films d’action. Il sélectionne les
images qui mettent en relief des actions soignées et
achevées.

Pour s’ouvrir au monde, il passe aussi par les membres


de la diaspora djiboutienne. Il s’agit d’un frère, d’une
sœur, d’un ami ou d’un voisin qui, à partir de son pays
d’accueil, envoie des photos ou des vidéos mettant en
scène une agréable vie dans un endroit paradisiaque. Cette
personne censure les douleurs de l’exil qui sont les
siennes, les conditions désastreuses d’adaptation et fait
émerger ce qui est cher au nouvel être : le tape-à-l’œil.
Chez le désorienté, les couleurs voyantes et le luxe
tapageur priment sur le reste. Il n’y a que le clinquant qui
assouvit son appétit. Souvent, les Djiboutiens de
l’extérieur viennent passer leurs vacances au pays. Dès
leur arrivée, ils sont magnifiés par notre personnage qui
tombe sous le charme de leur état physique. Bien habillé,
conservé, d’un teint clair et d’un pas posé, le visiteur se
laisse examiner et transcender par le meurtri. L’on dirait
un objet d’art dans un musée magnifié par un touriste qui a
entrepris un long voyage pour enfin voir ce bijou. Sur cet
aspect, le contraste est donc saisissant. Le désorienté est
rongé par l’usure des forces et de l’énergie. Sans jamais
être actif, il se voit à la retraite. « Il a fait une avance sur
son âge » pour dire qu’il semble plus vieux que son
existence. À force de « brouter », il a trop utilisé ses dents

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qui montrent un état de dégradation très avancée. Il peine


à supporter la cinquantaine de kilogrammes qu’il pèse.

Pendant leur séjour, ces vacanciers évitent de


fréquenter leurs quartiers d’origine parce que la misère
sévit dans ces lieux et l’impossibilité de donner à tout le
monde les pousse à chercher une autre résidence.
Curieusement, les quelques-uns qui bénéficient du don de
ces visiteurs dépensent tout dans le khat.

Pour être concis, seuls la lecture et le voyage


contribuent à une vraie connaissance du monde.
Malheureusement, le meurtri n’est pas capable
d’entreprendre ni l’un ni l’autre. Il a plutôt accès au
monde par le biais des réseaux sociaux et de sa relation
avec la diaspora djiboutienne. Par conséquent, il a des
difficultés à saisir le monde tel qu’il s’organise de jour en
jour. Il ignore les enjeux politiques et économiques, les
mécontentements sociaux et leurs origines, les coalitions
internationales traditionnelles et leur devenir, la naissance
d’autres formes d’unions pour créer de nouvelles forces
afin d’en finir avec un monde unipolaire. Apparemment, à
l’horizon, il y a l’accouchement d’un monde dont les
vraies contractions deviennent régulières et s’intensifient
jour après jour. Les guerres et les conflits meurtriers en
cours annoncent l’avènement d’un univers plus apaisé et
plus équitable. Ceci est l’espérance de tout individu ayant
le sens de la morale. Chez le nouvel être et chez beaucoup
d’autres, le fait qu’un monde est en train de disparaître et
qu’un autre verra le jour constitue une chimère. Ce faisant,
à l’image du pays qu’il réside, il n’a aucune position, si
faible soit-elle, par rapport à ce qui se produit dans
l’univers. Ici, l’absence fait un sens plein.

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VIII. SON RAPPORT AVEC LE FUTUR

Le futur a besoin d’être pensé maintenant, car il se situe


au lointain. A priori, il est l’endroit où le soi individuel et
collectif doit se révéler accompli et épanoui. Le futur fait
appel donc aux notions d’anticipation et de prédiction. À
l’instar des journées qui s’accumulent, dans son évolution,
pour être amélioré, l’homme doit se projeter dans le temps.
Cela nous conduit d’abord à parler du présent comme le
lieu d’imagination de l’avenir, et ensuite, du futur comme la
suite logique du présent.

1. Un présent sans futur

A posteriori, sur le plan conceptuel, le futur habite le


présent. En fait, il n’y a pas de futur sans envisager ce à
quoi peut ressembler le temps en perspective. Ici et
maintenant permet d’organiser son évolution en se situant
déjà à l’horizon et en tenant compte des nouvelles
conditions. En termes de stratégie, cette possibilité de
s’installer dans un espace temporel ultérieur sans que l’on
ne quitte le présent est indispensable à la réussite
individuelle et collective. Dès maintenant, le futur exige la
réflexion, la planification, et une fois que demain devient
aujourd’hui, l’exécution. Deux éléments sont nécessaires
pour que le présent joue son rôle :

• Une introspection

Dans le temps présent, pour quelqu’un qui tend vers le


progrès, sortir de la nuit, se détacher de la pesanteur du
quotidien, renoncer au statut du « résigné-réclamant » est
un credo témoignant de la volonté de se libérer de toutes

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les formes d’aliénation. Pour ce faire, dans « Devenir


soi », Jacques Attali suggère, d’abord, un évènement
jouant le rôle d’un catalyseur à partir duquel l’on parvient
à se hisser vers le haut. Cela peut-être le conseil d’un ami
qui tombe au bon moment ou une maladie grave à l’issue
de laquelle l’on est sorti renforcé. C’est un déclic contre la
routine. Un signal pour se prendre en main et retrouver sa
vraie personnalité. Cet évènement déclencheur doit être
relayé par une pause, c’est-à-dire, un moment de
méditation où l’étape suivante se prépare avec sérénité.
Selon Jacques Attali, pendant cette période de silence, il
« convient de parcourir un chemin en cinq étapes » :

- « Prendre conscience de son aliénation » en


diagnostiquant son cas, et pour cela, il faut se poser les
questions qui montrent la vulnérabilité de son être et les
limites qui sont les siennes. C’est ici qu’il faut
départager les responsabilités. A posteriori, certaines
proviennent de soi et d’autres de la société.

- « Se respecter et se faire respecter » en redressant son


humanité et en ayant une bonne estime de soi. Il
convient d’accorder un rang de premier plan à sa
personne sans faire une pédante exhibition de ses
qualités. En fait, se reconnaître et s’apprécier avec
modération conduisent au respect de l’autre. C’est
l’mage que l’on donne de soi qui détermine celle que
les autres vous donnent.

- « Ne rien attendre des autres » en se suffisant et en se


prenant en charge pour justifier son indépendance dans
la solitude. Il est indispensable d’assumer le fait d’être
seul car personne ne peut vous sortir de cette condition
quelle que soit la générosité de l’entourage. Au final,

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avec conviction, le soi est condamné à admettre sa


situation.

- « Prendre conscience de son unicité » en comprenant


que chacun d’entre nous est une personne à part entière.
En conséquence, chaque vie est différente de l’autre.
C’est être soi-même et se réaliser en abandonnant le
statut d’un individu qui quémande sans faire preuve de
ses capacités. Il s’agit de montrer que l’on est différent
par la créativité et l’entrepreneuriat.

- « Se trouver, se choisir », après ces quatre étapes, en


parvenant à se connaître et en ayant le courage de
choisir des dons jusqu’à présent inexploités et dont la
mise en œuvre nécessite un effort supplémentaire. C’est
donc l’aboutissement du « chemin » qui fait de
l’individu un être apte à s’assumer et à justifier l’utilité
de son existence.

En clair, c’est pendant la pause, dans le temps présent,


que ce « chemin » doit être tracé. C’est donc un travail
cérébral et actuel destiné à se concrétiser dans l’avenir afin
de s’améliorer et d’améliorer les conditions de ses
concitoyens. Cependant, cette introspection peut être
interprétée comme étant le pont qui fait la liaison entre le
présent et le futur. S’il n’y a pas ce silence, reliant
aujourd’hui et demain, ces deux moments-clés de la vie de
l’individu sont dépourvus de sens.

Pour notre personnage, aujourd’hui et demain sont


coupés, l’un de l’autre, car la transition, qu’est la pause, n’a
jamais eu lieu. Comme il est inconcevable de monter dans
un avion sans une passerelle d’embarquement, il devient
aussi une utopie de se projeter dans l’avenir sans passer par
le chemin qui joint le présent et le futur. Pour lui, le temps

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se résume au présent. Il vit le jour au jour. En peu de temps,


il consomme l’intégralité de son salaire et prétend
« qu’Allah est là pour le reste ». L’idée de penser à mettre
un peu d’argent de côté, de s’armer pour affronter les aléas
ne fait pas partie de ses soucis. Il est fréquent de voir un
désorienté qui a grimpé tous les échelons, bénéficiant d’une
rémunération exceptionnelle, mais qui occupe, depuis
longtemps, un appartement dont le loyer est exorbitant.
Logiquement, il pourrait se planifier et devenir propriétaire.
Par exemple, avec un revenu modeste, il y a un simple
employé accédant à la propriété d’une maison. Le meurtri
tombe gravement malade, et comme souvent, faute de soins
de qualité sur place, son évacuation se veut immédiate. Son
compte en banque est à sec. Il faut donc mobiliser un fonds
et faire appel à la générosité de son entourage. Et enfin, ses
funérailles s’organisent grâce à la solidarité. La notion
d’organiser le futur, dans sa forme la plus reculée et la plus
dramatique, à savoir le décès, demeure ignorée. L’instant
engloutit tout son être jusqu’à la disparition définitive.
Jamais, il n’a goûté le plaisir de se retrouver seul et de
programmer son devenir pour justifier son existence.

L’idée d’un éternel présent nous amène au gougnafier


(un bon à rien) de Liliane Roudière qui évolue dans un
espace où aujourd’hui est sans lendemain. Un présent, sans
cesse répété, et un futur, toujours décalé, donnent lieu à une
catégorie de gens relativement proche du nouvel être. Dans
« Les Gens honnêtes ont-ils un avenir ? », cette autrice décrit
le gougnafier de la façon suivante : « il ne connaît ni la
culpabilité ni la honte. Il n’a que de droits. Aucun devoir. Si,
il a le droit de n’avoir aucun devoir. Il vise la satisfaction
immédiate de son désir qu’il auto-déclare cause nationale,
voire planétaire »78. Face aux défis de tout genre, il adhère à
l’insouciance : « Le gougnafier est fier de lui. De sa
78
Liliane Roudière, Les Gens honnêtes ont-ils un avenir ? p. 24

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médiocrité. Il la revendique : ‘’Et alors, ce n’est pas parce


que je me trompe que j’ai tort !’’ Ça lui évite de fournir des
efforts, de réfléchir ou d’avoir des remords. Il n’a pas besoin
de changer. Il est l’adepte du - balekouillisme -, nouveau
courant qui promeut le : ‘’Je m’en bats les couilles !’’,
devenu le mantra : ‘’Moi, je m’en balek’ !’’ Franchement, à
choisir, je préférais le sobre : ‘’ Ca m’en touche une sans
m’bouger l’autre !’’ de feu notre président Chirac »79. Le
drame est que l’indifférence prend la tournure d’une
« idéologie qui a des adeptes dans la vie réelle. Car il est
fréquent de croiser des gens qui s’en balek dans le métro,
dans la rue, aux terrasses des bistrots, dans les vestiaires.
Les jeunes filles, malgré leur anatomie, ne sont pas en
reste80 ».

Le nouvel être fait du balekouillisme un mode de vie.


Chez lui, « ha so coto », qui veut dire « que ça marche, je
m’en fiche » est un leitmotiv pour dédaigner son sort. Face
aux problèmes qu’il cause, il ne manifeste aucun regret.
Par « ha is wareerin », il entend « de ne pas se prendre
trop la tête ». Il procède à une forme d’anesthésie mentale
et affective servant à oublier ce qui se passe à son
entourage. La surprise est totale lorsqu’une mauvaise
nouvelle tombe : « Ton fils a fait un accident. En sortant
de son école, un véhicule l’a heurté. Il est grièvement
blessé. Une ambulance vient de le conduire à l’hôpital ».
Avec un sang-froid étrange, il répond : « Je n’ai pas fini de
‘‘brouter’’ ! Je n’aime pas interrompre mes habitudes !
C’est dégoûtant ! Alertez sa mère ! ». Il se peut que la
chose prenne une tournure dramatique, mais pour lui, rien
de grave. C’est le mektoub.

79
Ibidem p.25
80
Ibidem p.26

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Justement, de l’imprévoyance, le meurtri en a fait une


doctrine. Sans gêne, « il faut laisser les choses selon le bon
vouloir d’Allah », dit-il. Il définit le fait de s’insurger
contre la réalité et de prévenir les difficultés comme une
infidélité. Selon lui, cela consiste à une entrave à la
volonté divine et ce genre de péché ne se pardonne pas
étant donné que l’on s’immisce dans les affaires de Dieu.
Il pense que sa fidélité répond cent pour cent à sa foi.

• Être soi-même pour le devenir du monde

Effectivement, un monde apaisé est possible à


condition que l’individu sorte de la pause réconforté et
amélioré. Une fois qu’il gagne le combat contre soi, il
devient plus aisé de secourir le prochain le but étant
d’apporter une brique à l’édifice social, économique et
politique. Mais avant tout, pendant l’isolement, il doit
déterminer l’enjeu du moment et diagnostiquer le mal qui
gangrène la société et le monde auxquels il appartient.
« Nous avons laissé se mettre en place, au nom de la
liberté, dans le monde tout entier, une globalisation des
marchés, une société régie par l’argent, sans autre valeur
que le prix des choses, sans autres règles que l’égoïsme et
la cupidité, conduisant à la déloyauté et à la destruction,
sans laisser la place à une autre éthique, une autre
attitude au monde, qui lui donnerait du sens »81. Dans sa
retraite, la personne, qui tente de participer au progrès des
siens, est censée identifier la crise qui sévit dans le
présent. Pour l’écrivain français, le virus du siècle est la
mondialisation qui fait ravage au nom d’une liberté sans
bornes et en l’absence d’une morale qui tempère l’appétit
de l’homme. En fait, par tous les moyens, acquérir de
l’argent prime sur toutes les priorités. Cependant, la
réponse à apporter au problème dépend de la pertinence du
81
Jacques Attali, Vivement après-demain, p.4

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constat. Plus la source du mal est cernée avec justesse plus


la solution s’obtient avec une difficulté relative.

Conformément aux idées de Jacques Attali, le passage


du présent au futur, en l’occurrence, le silence, en cinq
étapes, n’a pas été favorable au nouvel être.
L’introspection, il ne l’a pas faite pour lui. En se servant
du présent, il n’a pas pu tracer une perspective à l’horizon.
De facto, il a raté la tentative de redressement de soi, en
même temps, il a failli à la réhabilitation de la société. A
l’instar du gougnafier de Liliane Roudière, pluriel dans
son modèle, le désorienté continue à se nuire et à nuire la
société : « Il y a le gougnafier d’en haut et celui d’en bas.
Tous frères de connerie. Les gougnafiers célèbres font les
grands titres, sont invités sur les plateaux, échappent
souvent à la justice (car très bien défendus), et nous,
pauvres gens honnêtes, on regarde tout cela avec un
grand découragement »82. Le gougnafier d’en bas garde le
même profil que notre personnage : « Et en plus, on doit
se taper le gougnafier du bas, celui du quotidien qui se
rappelle à nous, plusieurs fois par jour. Les crachats dans
l’ascenseur, les poubelles déposées devant la benne et pas
dedans (pourtant, le gougnafier a deux bons bras valides,
la plupart du temps !) Quand ce ne sont pas des monceaux
d’ordures déposés en pleine campagne, c’est la queue de
poisson sur la route, la porte sur la tronche en entrant
dans l’immeuble »83.

La ressemblance entre le bon à rien, décrit par la


journaliste, et notre personnage est d’une correspondance
assez frappante. En effet, à Djibouti aussi, le meurtri agit à
deux niveaux différents. Il y a celui qui a pour pré carré
les quartiers et les mabrazes, endroits banals où, avec ses

82
Liliane Roudière, op. cit. p. 25
83
Liliane Roudière, op.cit. p.25

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compagnons, il reste plongé dans un réel illusoire


spécifique au groupe. Il gare sa voiture dans un
stationnement interdit. Il pisse sur un chemin emprunté par
tous. Tard le soir, la musique à fond, en transe à cause de
l’effet du khat, il instaure un climat d’intranquillité dans
les lieux. Il y a celui qui a accès à toutes les tribunes et
monopolise la parole au nom de l’intérêt général.
L’incompétence par excellence, à l’unanimité, il fait la
risée. Il est partout et jouit d’une impunité inégalée.
Épargné de toute inquiétude, il a le feu vert pour
transgresser les interdits. Parfois, il est à la tête d’un
département où la majorité constitue la crème des
hommes. Pour caricaturer cette catégorie, l’on se permet
de faire appel à une image un peu insolite. C’est comme
si, dans une course, l’on fait concourir un groupe
d’athlètes. En effet, en peu de temps, les meilleurs se
démarquent en formant la tête du peloton et les moins
bons, essoufflés, les uns après les autres, courent derrière.
D’un seul coup, alors que la compétition n’est pas à terme,
les organisateurs contraignent les participants à opérer un
demi-tour. Naturellement, la nouvelle situation fait gagner
les tout derniers. Le nouvel être, en fonction dans des
endroits clés de l’administration, appartient à ce genre
d’opportunistes, incapables de se réaliser par la
manifestation de soi. Les moins bons de tous font étalage
de leur ignorance.

Incapable de s’arracher du quotidien pour faire un saut


dans le futur, en passant par un exercice de méditation
indispensable à cette mutation, le nouvel être vit dans un
présent étiré, et donc, éternel. Il s’agit d’un présent coupé
réellement du futur. La stagnation prend le dessus, et à
petit feu, cela finit par la déchéance. En sport, il est
difficile de garder le même niveau si l’on cesse de
s’entrainer. En éducation, on risque de tout perdre si la

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permanence de l’apprentissage n’est pas assurée. En


culture, l’on risque l’atrophie si la lecture n’est point une
tradition.

2. Un futur déréalisé

2.1 Le futur, c’est espérer

En principe, l’avenir annonce un avènement qui puisse


générer des opportunités mettant fin à une période
d’incertitude. L’homme attache un intérêt à ce moment
lointain qui n’a pas encore dit son dernier mot. En effet, Le
présent a livré son secret. Il est blâmé ou apprécié par ce
qu’il a accouché comme évènement. En revanche, le futur,
énigmatique dans ce qu’il réserve à l’homme, aiguise son
appétit et le fait rêver. Il entretient son moral et lui permet
de croire à la venue d’un changement, source d’une vie plus
prospère. Néanmoins, pour être concret, l’avenir a besoin
d’un engagement de la part de celui qui attend ses
promesses. En amont, avant qu’il ne se réalise, il est
nécessaire de mettre à sa disposition les conditions qui
précipitent son accomplissement, à savoir l’action humaine.
« Face à ces enjeux, ces promesses et ces drames, tout se
passe comme si une bonne part de l’humanité renonçait à
agir sur son destin. Comme si beaucoup avaient choisi de
vivre en spectateurs dans un théâtre »84. Sinon, l’espoir,
rien que par le nom, sans l’intervention de la volonté
humaine, par lui-même, ne peut pas métamorphoser le sort
d’une nation. « La pièce semble écrite, les comédiens
entrent sur le plateau sans presser le pas. Bientôt, si nous
n’agissons pas, nous ne montons pas sur scène pour faire le
meilleur pour soi et pour les autres, changer le texte,

84
Jacques Attali, Vivement après-demain, p.5

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renverser la table, l’irréversible cauchemar aura lieu »85.


L’espoir se nourrit donc de l’insurrection contre un ordre
établi aux dépens de la société.

Face à l’espoir, il faut considérer deux sortes de nouvel


être :

- Celui qui rejette catégoriquement la moindre espérance.


L’attente a trop duré et la déception est telle qu’il ne
croit plus en un futur meilleur : « Depuis quand parle-t-
on d’espoir ? Il ne viendra jamais ! J’ai toujours espéré
de voir les choses changer ! Rien ! Au contraire, elles
s’enlisent ! ». Il estime que les gens ont tort de placer
une sûreté dans quelque chose dont l’avènement semble
manqué. Il a changé de géographie et des peuples.
« Ailleurs, mieux qu’ici, les gens ont la chance d’avoir
leur souhait ! Pour eux, les choses s’arrangent par elles-
mêmes ! Chez nous, elles vont de mal en pis ! ». Dans la
vision de notre personnage, le manque de logique est un
phénomène récurrent. Comme il a été déjà souligné,
pour résoudre un problème, il a une certaine propension
à isoler les éléments de cette difficulté, les uns des
autres, en se servant d’un regard partiel qui fausse sa
prise de position. Loin de résoudre la crise, cette
approche va empirer la situation. Un espoir se concrétise
grâce à l’effort et au sacrifice. Rien ne s’améliore par
lui-même.

- Celui qui veut espérer « sans changer le texte et renverser


la table ». Par conséquent, cette façon d’attendre le futur,
sans y mettre un peu de soi, est une illusion. Il ne vient
guère. En tant que salut, il est raté et s’en va avec son lot
d’opportunités. Ce genre de désorienté est qualifié de :
« Rajo ku nool ». C’est-à-dire, « quelqu’un qui vit grâce à
85
Ibidem p 5

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un faux espoir ». « Tout va s’arranger » devient le poison


qui met fin à sa qualité d’un être pensant et agissant.
« Rien ne se trouve entre nos mains. Tout se décide sans
notre consentement. Il ne faut pas empêcher la volonté
divine en marche ». L’attitude prend une tournure
idéologique. « Le jour où le ciel décide que mon sort
s’améliore, tout va rentrer dans l’ordre. Il n’y a que Dieu
qui puisse arrêter ma peine ». C’est une croyance qui
s’enracine et qui gagne de la profondeur car notre
personnage se réfère à des textes scripturaires dont
l’interprétation n’est pas exacte. En fait, c’est un moyen
de se dédouaner et de trouver un alibi à ses défaillances.
Et à cet égard, il n’y a que le sacré qui fonctionne à
merveille. C’est une émanation céleste, ce faisant, son
autorité fait tomber toute contestation.

2.2 Le futur, c’est progresser

Au niveau individuel et collectif, l’idée de l’avenir


implique l’évolution. Habituellement, l’avancement dans
le temps fait naître la croissance. C’est comme une grande
échelle dont le bas représente le passé, le milieu le présent
et le haut l’avenir. En montant, à chaque fois que l’on va
de l’avant, on gagne du terrain et on a l’impression de
dominer le trajet parcouru. Chaque pas vers la cime
constitue une victoire et un espoir réalisé. C’est aussi
l’exemple d’un alpiniste finissant par marcher sur le
sommet d’une montagne. Là, sous ses pieds, le monde
s’écrase. En s’investissant, il a espéré se hisser sur le faîte
de la colline. Justement, c’est ici que le bât blesse chez
notre personnage. Il attend que l’on fasse grimper les
marches de l’échelle, que l’on fasse monter la montagne
sans participer à la conquête du futur. L’effectivité de
l’espoir réside dans la sueur, l’épuisement et la souffrance
pendant le trajet avant l’accession à la crête.

167
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Le lien entre le progrès et l’avenir est donc admis. Le


futur ressemble à cet amas de pierres qui s’amoncèlent et
sur lequel l’ascensionniste évolue tout doucement pour
atteindre le pic. Se projeter dans l’avenir, c’est avancer à
petits pas en voulant être à la hauteur des exigences.
Pendant l’escalade, le grimpeur ajuste sa stratégie en
fonction des difficultés. De la sorte, selon les opportunités,
en décelant les secrets de chaque instant, l’homme est
censé adapter ses projets et sa conduite. Contrairement à la
colline, le futur n’a pas une seule crête. Chaque projet a
une fin. Aussitôt fini, aussitôt un autre s’amorce avec un
nouveau faîte. Le futur continue même après la mort. Le
grand espoir réside dans l’au-delà.

Le nouvel être a du mal à escalader. Il se situe toujours


au pied de la montagne. En fait, dans le présent qui
l’absorbe, il fait l’éloge du passé où, selon lui, tout était
dans un idéal inégalé. « Maintenant, rien n’est plus comme
avant. Les gens ont changé d’attitude. Ils tournent le dos à
la solidarité. Chacun pour soi régule la relation entre les
citoyens. L’idée de voisin et d’ami perd son essence. L’on
réussissait à vivre sans difficulté. Hier était meilleur
qu’aujourd’hui ». Il s’agit d’un discours teinté d’une
nostalgie passéiste. Pour lui, le temps révolu est le
meilleur de tous les temps. Ici, deux choses méritent d’être
remarquées.

- Premièrement, en tant qu’homme, responsable de son


sort, il se dédouane de sa mission et jette l’opprobre sur
un présent dans lequel il ne cesse de s’enliser et sur un
futur dont il méprise l’arrivée. Pour ce faire, il se
réfugie dans un passé qui n’est plus là pour le juger. En
fait, le présent témoigne de son incapacité à ne rien
faire et le futur l’attend au tournant. Bien que le
mauvais rapport du meurtri avec l’histoire reste présent

168
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dans la mémoire de l’entourage, il essaie de se donner


une belle image car le passé ne peut plus le contredire.
Il exploite l’idée d’un passé qui a effacé les traces de
son échec.

- Deuxièmement, pour lui, le passé est synonyme de


bienfaisance car les gens répondaient à ses besoins.
Sans gagner sa vie, par rapport au présent, il arrivait à
mieux vivre. Curieusement, son analyse se focalise sur
le fait qu’il était pris en charge par l’hospitalité. Il juge
donc l’histoire en fonction d’une solidarité destinée à
entretenir sa paresse. Une chose est bonne tant qu’elle
profite à lui. Une personne est bonne tant qu’elle
soutient son assistanat. « Aidez-moi dans la
destitution » est sa doléance. Quiconque s’oppose à sa
déchéance devient quelqu’un de méchant.

2.3 Le futur, c’est exister

Dans « The Denial of Death », littéralement « Le Déni


de la mort », Ernest Becker, anthropologue américain,
tente de mettre en évidence le sens de la vie humaine en
défendant deux points de vue.

- En premier lieu, l’homme est la seule espèce vivante


capable de se représenter d’une manière abstraite.
Contrairement aux animaux, Il a la possibilité
intellectuelle de se faire un concept de soi, de se
projeter dans d’autres univers où son sort aurait eu une
autre nature : « En tant qu’humains, nous naissons avec
la capacité de nous imaginer dans des situations
hypothétiques, de considérer à la fois le passé et le
futur, de nous figurer d’autres réalités ou situations

169
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dont le contenu différerait du tout au tout ».86 Selon


Becker, cela ouvre la porte à imaginer « la terreur de la
mort -, une angoisse existentielle profonde qui sous-
tend tout ce que nous pensons ou nous faisons »87.

- En deuxième lieu, pour Becker, chez l’homme, il y a


deux moi. Un moi physique, synonyme de bestialité,
s’agissant de manger, de dormir et de s’accoupler. Et
un moi conceptuel, c’est-à-dire « notre identité ou
l’image qu’on a de nous-mêmes ». Cependant, Mark
Manson estime que la thèse de l’auteur américain se
définit en ces termes : « On est tous peu ou prou
conscients que notre moi physique va finir par mourir,
que cette mort est inévitable, et que son caractère
inévitable - plus ou moins refoulé – nous fiche une
sacrée frousse. Du coup, pour compenser notre peur
d’une telle perte, on s’efforce de construire un moi
conceptuel qui, lui, sera éternel ». 88 En conséquence,
« les gens se donnent autant de mal pour inscrire leur
nom sur des édifices, des statuts, des quatrièmes de
couverture. C’est aussi la raison pour laquelle on se
sent obligés de consacrer tant de temps aux autres, et
notamment aux enfants. Dans l’espoir que notre
influence – déclinaison de ce moi conceptuel –
perdurera bien au-delà de notre moi physique. Avec
l’espoir également qu’on se souvienne de nous, qu’on
nous vénère et nous idolâtrie longtemps après notre
disparition »89.

D’après Becker, toute entreprise permettant


d’amoindrir la force du moi physique au profit du moi

86
Mark Manson, L’Art subtil de s’en foutre, p. 85
87
Mark Manson, op. cit. p. 85
88
Mark Manson, op. cit. p. 85
89
Mark Manson, op.cit. p.85

170
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conceptuel est un « projet d’immortalité ». Pour atténuer


son désarroi face au décès, l’homme doit penser à demain
et durer dans l’histoire à l’aide de ses réalisations. En
effet, selon lui, donner une autre forme à sa vie et se
perpétuer dans le temps octroie un sens à son existence. Le
nouvel être, incapable de ne se manifester ni dans le
présent ni dans le futur ni après la mort, risque d’être
déséquilibré mentalement : « Mais, quand nos projets
d’immortalité se fracassent ou perdent leur sens, quand la
perspective de voir notre moi conceptuel survivre à notre
moi physique semble réduite à néant, la terreur de la mort
– cette insupportable angoisse – revient s’insinuer dans
notre esprit. A la faveur d’un traumatisme ou d’une
situation d’humiliation, de honte sociale, par exemple. Ou
dans le cas d’une pathologie du psychisme »90.

En tenant compte de la théorie de Becker, d’abord, il


convient de souligner que le désorienté n’a pas encore
amorcé une réflexion relative à la possibilité d’un réel
autre que le sien. Il reste prisonnier d’un système sclérosé
dont il est l’artisan. Chez lui, la capacité d’aller au-delà de
ce quotidien s’avère chimérique, ce qui explique son
enlisement dans une décadence allant en crescendo.
Intellectuellement, se figurer dans une autre éventualité
n’a jamais habité son rêve. Changer de quartier, de ville,
d’amis ou de pays entraîne la peur de l’inconnu. Il craint la
perte d’une routine qu’il maîtrise et dont il tire une sorte
d’aisance spécifique à lui. Il s’y accroche et fait tout pour
l’entretenir.

Ensuite, cette angoisse, liée à la mort, entrainant la fin


irréversible de l’homme, obligeant ce dernier à monter des
projets d’immortalité, lui est indifférente. En effet, de son
vivant, il ne s’est pas intéressé à son sort. Pourquoi
90
Mark Manson, L’Art subtil de s’en foutre, p.86

171
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chercher donc une éternité après la disparition ? La


volonté qui s’est détachée de l’effort du quotidien n’est
point disposée à perdurer dans le futur. Celui d’après la
mort. Pour cela, il faut une endurance qui traverse les
siècles. Or, le nouvel être est inapte à résister aux aléas de
l’ordinaire. Le jour où sa fin sonne, pour lui, tout s’arrête.
Il n’a jamais travaillé. Il ne s’est jamais marié. Il n’a
jamais rien possédé. Tout s’évanouit comme lui. De la
« terreur de la mort », lui, il « s’en balek’ ».

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IX. L’ORIGINE DE LA DÉSORIENTATION

Jusqu’à présent, on s’est résolu à dresser un constat :


celui de mettre en relief l’émergence d’un nouvel être. Il
est désormais intéressant de s’attarder sur les raisons qui
sont à l’origine de cette apparition. A priori, établir le
profil du désorienté semble à la portée de tout un chacun
dans la mesure où il vit dans les quartiers et avec les gens.
Il suffit d’avoir une petite dose d’observation pour le
repérer. Par contre, comprendre la naissance de celui qui
fait la trame de ce texte sollicite une analyse. Il convient
d’étudier la genèse de son émergence, ce qui montre
l’ancrage du phénomène dans l’histoire du pays. « Le sens
qu’on attribue aux évènements vient de la structure du
contexte autant que de l’histoire »91. Pour ce faire, il faut
remonter dans le temps et examiner, d’un point de vue
sociologique, les évènements que sont la colonisation et la
dictature. Surtout, durant ces deux périodes, il est
intéressant de décrire les traitements des dominants à
l’égard de l’homme car « c’est à la lumière du monde des
mots qu’on voit le passé et qu’on lui donne sens »92.

Sans écarter l’existence d’autres raisons qui puissent


amener l’individu à se dégrader dans son être profond, on
retient les trois causes qui paraissent les plus notoires.

1. Le meurtri lui-même

Apparemment, le nouvel être devient le réceptacle


d’une série de choses érigées en dogme par la société et
auxquelles le temps a donné une ténacité qui a façonné le

91
Boris Cyrulnik, Des Âmes et des saisons, p.10
92
Ibidem p.11

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meurtri. L’on peut parler de sa prédisposition à recevoir


tout ce que véhicule le milieu auquel il appartient. Il y a
donc une dimension intérieure faisant faillite face à une
dimension extérieure agressive et conquérante. Certes, on
ne peut jamais faire un reproche à un élément extérieur
d’avoir exercé une pression à l’intégrité du désorienté.
Durant l’histoire de l’humanité, le défi n’a cessé
d’éprouver la capacité de l’être humain et les moyens de
faire face à cela variaient selon la détermination inhérente
à tout un chacun. C’est naturellement une loi régissant le
monde contre laquelle il faut s’armer en valeurs et en
vertus afin de pouvoir limiter ses méfaits. En réalité, ici,
l’aptitude à trier les entrées en fonction d’un choix
personnel reposant sur la vision que l’on se fait de la vie
décline face à la force d’une propension à tout ce qui se
veut influent.

Une faiblesse intrinsèque à l’individu signifie


logiquement la victoire de l’adversaire. D’ailleurs, la vérité
qui dit que la force d’un concurrent réside dans l’incapacité
de soi fait sens. Dans une stratégie militaire, sur le champ
de bataille, pour une victoire sûre, une armée doit avoir un
moral d’acier. En revanche, si les éléments de la défaite
sont déjà présents dans l’esprit et dans l’âme de la troupe,
facilement l’ennemi vaincra. Le nouvel être manque
intrinsèquement de force et cela ne veut pas dire qu’il est né
vaincu. Si l’on admet cette proposition, on enlève la
responsabilité à notre personnage en tombant dans un
dédouanement injustifié. Chacun est responsable de ce qui
advient de son sort. Cependant, par prédisposition, on
entend une aptitude qui s’est forgé une place dans l’être
profond du désorienté tout au long de son évolution. Sous la
pression des habitudes sociétales, le système immunitaire
du nouvel être s’est lentement dégradé et accuse un
dysfonctionnement réel. Personne ne vient au monde tout

174
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fait et tout fini. Une attitude, on l’acquiert grâce à


l’éducation, émanation d’une volonté politique.

1.1 Un être dépourvu de résistance

« Nous ne pouvons pas nous développer ailleurs que là


où la vie nous a fait naître »93. Certes, il y a le destin qui
détermine la planète et le pays où chacun doit se réaliser.
Quelque part dans le monde, on s’identifie à une contrée et
à un peuple avec lequel on partage ses expériences.
Néanmoins, au moyen de la liberté, il est possible de
dépasser les représentations contradictoires de la réalité en
faisant appel à la capacité à gérer les aléas. Par exemple,
les maladies, le chômage, la famine, l’injustice, la
sécheresse, la guerre et autres catastrophes contredisent la
joie de vivre dans la tranquillité. Sur le plan moral,
amoindrir l’effet de ces ennuis sur soi exige un
comportement adéquat de telle sorte qu’il soit atténué. En
effet, le sens de la responsabilité ordonne la gestion d’une
crise de cet ordre.

Face à cette situation, où les difficultés s’enchainent, le


désorienté perd le contrôle et se voit éjecté du centre
d’intérêt de la vie. Il manque de rébellion. C’est vrai, il n’a
pas été préparé à ce genre d’épreuves, mais non plus, il n’a
pas pu, non plus, se créer un système d’autoprotection en
développant l’endurance et le courage comme facultés. En
principe, l’école et le cadre familial doivent apprendre à
l’enfant comment on se comporte face aux évènements. Il
s’agit d’une éducation pratique donnant à l’individu les
possibilités de traverser une crise avec fermeté. A cet
égard, l’éducation pastorale dans laquelle le nouvel être
puise ses origines peut servir de modèle. En fait, dans un

93
Boris Cyrulnik, Des Âmes et des saisons, p. 82

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milieu hostile, où les félins chassent sans pitié, tous les


jours, on confie à l’enfant la garde d’un troupeau. Au
coucher du soleil, il est chargé de reconduire les bêtes
intactes à la bergerie. S’il y a un animal qui manque, il en
est le premier responsable et la punition se veut énorme. A
la longue, cet enfant requiert toutes les qualités possibles
pour contrer une éventuelle adversité. Il est endurant,
courageux, combatif et impassible devant les dangers. Ni
la soif ni la faim ni le sommeil ne perturbent sa résistance.

Dans son Discours de la servitude volontaire, De la


Boétie s’étonne du caractère des humains qui acceptent la
domination d’un seul homme : « Pour le moment, je
voudrais seulement comprendre comment il se peut que
tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de
nations supportent quelques fois un tyran seul qui n’a pas
de puissance que celle qu’ils lui donnent, qui n’a pouvoir
de leur nuire qu’autant qu’ils veulent bien l’endurer, et
qui ne pourrait leur faire aucun mal, s’ils n’aimaient
mieux tout souffrir de lui que de le contredire »94. Dans
son analyse, l’auteur conclut qu’un despote ne tient que
par la soumission de ses sujets. D’où sa fameuse formule :
« Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres »95.

Notre personnage chancèle face au moindre pépin. Il


ne peut pas s’abstenir d’une cigarette lorsqu’il n’en a pas.
Il doit absolument tout faire pour l’avoir et satisfaire son
besoin. S’il attrape un rhume, il mobilise toute la famille et
annonce sa disparition imminente. S’il obtient un
recrutement, quelques jours après, il déserte son poste.
« Je ne veux pas travailler comme un agent de sécurité. Il
faut rester éveillé durant toute la nuit », dit-il. Sans une
autre opportunité, il claque la porte. En effet, la capacité

94
Etienne De la Boétie, Discours de la servitude volontaire, p. 3
95
Ibidem p. 6

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de patienter et de chercher une besogne mieux rémunérée


et dont les conditions s’avèrent acceptables n’est pas
encore à l’ordre du jour. Il veut tout dans l’immédiat. À
Djibouti-ville, aujourd’hui, tous les petits commerces, en
l’occurrence les boutiques, ont comme propriétaires des
Ethiopiens et des Yéménites, déterminés à gagner leur vie
quel que soit l’épuisement. Ces endroits restent ouverts
nuit et jour, sans interruption. Apparemment, avec le
temps, le profit est grand et tout le monde en parle.
Curieusement, le nouvel être assiste à ce succès, mais il
demeure incapable de tenir le même effort. Lui, il voudrait
un profit instantané sans engagement aucun. Il souffre
d’une incapacité réelle qui paralyse tous ses rêves.

De plus, le fait que la famille du meurtri est prête à


l’aider amplifie sa déchéance. En fait, au départ, une
boutique bien garnie demande un investissement non
négligeable, mais après un an ou deux, suite à un travail
dense, ce petit magasin peut drainer un autre. Animés par
l’attention de faire des économies, ces étrangers
s’investissent à fond et parviennent à réussir grâce à une
régularité dans l’action et à une consommation minimale.
Ils travaillent dur et dépensent moins. Même si on le place
dans une boutique bien remplie, le désorienté ne peut pas
réunir les conditions sine qua non du succès : l’effort et
l’austérité. Il voudra ne rien faire et finira par consommer
le capital. Quelques mois après le lancement de son
activité, il se verra dans une faillite dont il est l’artisan.

1.2 Un être dépourvu de valeurs

Les valeurs aident l’individu à déterminer ses choix et


ses orientations. Lorsqu’elles sont individuelles, tels que la
confiance en soi, l’endurance, le courage et l’humilité, ces
principes participent à la formation et à la maturité de tout

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un chacun à condition qu’ils deviennent les siennes. Si les


valeurs sont relationnelles, comme la générosité, la
gentillesse, l’amour et le respect, elles sont les pièces
maitresses de la cohésion nationale. Si elles ont un
caractère professionnel, comme l’esprit d’équipe, la
créativité, l’autonomie et la production, les valeurs
génèrent un développement indispensable à une société
qui se dit moderne.

En effet, chaque réalisation, qu’elle soit individuelle


ou collective, obéit à un principe qui la rend vraie et belle.
Être généreux et assister à une famille en détresse
transforme cet état de ruine extrême en un état d’humanité
où la joie est partagée. L’effet de l’altruisme est présent. A
la place du malheur, séquelle de l’égoïsme, il installe le
bonheur. La pauvreté dégrade l’homme et l’espace.
Partout, elle frappe par la désolation. La créativité et la
production embellissent tout le cadre et remplacent
l’affliction par le progrès et le ravissement. L’homme
sourit quand il vainc la misère et l’environnement brille
quand il profite de la civilisation. L’innovation, en tant
que valeur, a donc pour effet le beau et l’agréable.
L’homme devient heureux, la nature aussi.

A priori, par la confiance en soi, un désespéré nourrit


son rêve. Retrouver son aplomb est comme une pluie qui
redonne de la vigueur à un sol sec et fissuré. Petit à petit,
la terre renaît de ses cendres et l’espace aride cède la place
à la végétation attirant l’appétit des hommes et des bêtes.
Quand un affligé décide de sortir de la nuit et de croire en
ses capacités à bondir vers l’avant, il assiste à une sorte de
renaissance en goûtant les fruits de ses efforts et en
suscitant un intérêt dans son entourage. Plus il avance dans
son combat contre le dégoût plus il gagne de la hauteur et

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fait naître chez autrui l’envie de lutter comme lui. Il se


redécouvre et permet à l’autre de se redécouvrir.

Pour notre personnage, la valeur, comme une brique sur


laquelle se construit un espoir suspendu pour être réalisé,
semble une utopie. Il n’arrive point à saisir que l’acte,
avant qu’il ne soit effectif, a besoin d’être propulsé par
une force appelée principe. Ce dernier permet de lutter, car
il tend vers le bien individuel et collectif. Il est le
générateur d’une volonté qui constitue en permanence la
substance de l’action humaine.

Par exemple, dans la réussite d’un projet, le meurtri


ignore l’abnégation comme valeur. Il est difficile de lui
expliquer que ce succès vient de l’entêtement et de l’effort
répété du patron. La connexion entre une idée abstruse et
un acte provoque l’embarras du nouvel être. Pour lui, « ce
projet réussit car la baraka l’accompagne ». C’est la seule
justification que le désorienté met en avant pour
comprendre le secret d’une entreprise dont la prospérité
est de mise. Bien sûr, la baraka, toute seule, ne suffit pas.
Il faut une alchimie : c’est le principe de vouloir gagner en
s’investissant toujours davantage. C’est la présence de
l’esprit et du corps en trouvant du plaisir dans ce que l’on
fait.

La générosité dérange le nouvel être qui se révolte


contre un ami engagé dans le soutien de l’autre. Pour lui,
donner sans connaître le bénéficiaire signifie jeter son
argent par la fenêtre. « Je suis ton ami d’enfance. Donne-
moi cet argent que tu distribues un peu n’importe
comment ! » Pourtant, cet altruiste ne cesse d’aider le
meurtri et lui sert de rempart contre ses mésaventures. Il
voit très bien qu’il constitue un être spécial et il l’accepte
comme il est. Malgré tout, notre personnage s’oppose à sa

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bonté de secourir le nécessiteux. La bienveillance de son


ami fait l’objet d’une désapprobation. Il n’approuve pas le
sentiment de partage qui l’habite. Il veut que la charité se
concentre sur lui parce qu’il est son « frère ».
Catégoriquement, sans savoir l’importance de l’entraide
dans la société, il rejette l’idée de se compléter et de
compenser le manque existant.

Le meurtri s’étonne de voir quelqu’un qui a l’habitude


de lire. Pour lui, c’est un acte inutile. D’ailleurs, même s’il
arrive à lire, il peine à dépasser une page. « Mes yeux se
fatiguent et un mal de tête m’envahit », dit-il. On lui
explique qu’il faut de l’amour pour le livre et la culture en
général. Il digère mal que la passion de lire puisse
permettre de faire du livre son meilleur ami. À travers la
lecture, aimer à savoir ce qu’un auteur pense et a vécu
devient un plaisir même si cela coûte cher en argent et en
temps. Un principe fait d’un fardeau un moyen
d’épanouissement autrement inespéré. Le nouvel être
prend cette attitude pour une exagération.

Les choses se compliquent lorsque le désorienté a,


comme frère ou sœur, une personne engagée dans la
politique, dans les droits humains ou dans le syndicalisme.
Certes, le don de soi apparaît comme quelque chose
d’abscons et dont celui qui s’y intéresse a raté l’objet de son
existence. « Ce n’est pas ton affaire ! Allah ne t’a pas
désigné comme un porte-parole ! Chacun s’occupe de son
champ ! Tire-toi de cette sale besogne ! Sache ton intérêt !
Ne fais pas le débile ! Ici, chacun fait sa vie ! », souligne-t-
il, avec ferveur et détermination. La notion de sacrifice ne
figure pas dans son vocabulaire et tout discours qui en fait
son éloge tombe dans les oreilles d’un sourd. L’acte de
risquer sa vie en voulant sauver autrui s’apparente à une
folie qui mérite d’être psychiatrisé. Dans un pays où la

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liberté est confisquée, se lancer dans un combat sans issue


pour rendre la dignité à des gens qui ne le méritent pas,
parce qu’ils sont mauvais, semble être un suicide. Selon lui,
le sacrifice est une forme de folie.

1.3 Un être dépourvu d’objectifs

Face aux défis de tous les jours, notre personnage est


vulnérable car il n’adhère à aucun principe pour trouver
plaisir à dépasser des obstacles qui pullulent dans le
parcours de sa vie. De surcroit, à l’horizon, rien de
particulier ne le motive. Il mène un sort morne et triste
parce qu’il est privé d’un programme débouchant sur un
objectif qui répond à ses attentes. En fait, de son existence,
il n’attend rien. Chaque objectif fait appel à un projet qui
s’étale dans le temps dédié à la concrétisation de cet
objectif lui-même. L’on se fixe un but, et en fonction de
cela, l’on établit un plan d’action valable pour atteindre la
finalité recherchée.

L’idée d’objectif fait penser à un mouvement qui


s’oriente vers l’avant. Elle fait référence à l’évolution
graduelle, et au final, à l’aboutissement et au concret. Or,
le nouvel être, dans sa logique de mener une vie presque
bestiale, dénuée d’ambition et de visée, s’engage dans une
voie sans issue. Rien n’est plus grave de méconnaître le
pourquoi de son existence. Dormir, boire et manger ont
pour mission de maintenir le bien-être physique. Comment
atteindre le bien-être mental et moral ? Quel programme
faut-il pour redresser ces deux dimensions indispensables
à l’existence humaine ? Ce genre de questions paraissent
absentes dans l’esprit du nouvel être qui se contente de
vivre sa vie au jour au jour.

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Cette tendance s’observe à travers son quotidien. Il


flâne dans les quartiers et en ville sans savoir le pourquoi de
cette errance. Cela ne le gêne point, et d’après lui, c’est un
plaisir. Il se peut qu’il rencontre, à maintes reprises, la
même personne, au même endroit et le même jour. Avec un
sourire, comme un signe de satisfaction, il salue tout le
monde et il reproduit la même scène avec des personnes
différentes. Il fait cette flânerie juste pour voir le maximum
de gens et raconter ses aventures. Il est aux antipodes de ce
à quoi sa création est destinée. Le banal l’enchante et le
sérieux l’attriste. Dès que l’on parle de projet, de travail et
d’objectif pour essayer de le stimuler, il devient flegmatique
et sort de sa zone de confort. Il ne fait pas appel au réel et à
ses exigences car il admet sa défaite contre les obstacles
parce qu’il manque de valeurs et d’objectifs, ce qui pourrait
simplifier la reconquête de soi.

2. La colonisation

Dans la région, après la traite dite orientale ou arabe, au


dix-neuvième siècle, en tant que projet, pensé et planifié, le
partage du monde par les puissances de l’époque, à la
Conférence de Berlin en 1885, est une entreprise à caractère
déshumanisant. Ici, le but n’est pas de traiter l’histoire de la
colonisation, mais il s’agit de voir l’évènement d’un angle
différent. En effet, en partie, il peut être à l’origine de
l’apparition de notre personnage car les symptômes qui sont
les siens portent le sceau d’une domination injuste. Toute sa
conduite laisse afficher une série de comportements
irréguliers résultant d’un traitement répressif venant de
l’extérieur. « C’est le colon qui a fait et qui continue à faire
le colonisé »96. L’on mettra l’accent sur « le monde rétréci

96
Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, p. 40

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du colonisé, semé d’interdictions »97 d’où il sort finalement


impacté et déstabilisé.

• Projet d’occupation

Indiscutablement, il y a lieu une expansion ayant pour


objectif la conquête pour exploiter les richesses et les
points stratégiques des nouveaux territoires. Déjà,
l’installation de la présence étrangère en terre conquise et
la partition géographique des lieux sèment chez le dominé
un sentiment d’infériorité auquel il n’a jamais été habitué
et auquel il ne s’attendait pas. Fanon décrit un « monde
compartimenté, coupé en deux, habité par des espèces
différentes et dont la frontière est indiquée par les
casernes et les postes »98 instauré par l’occupant.

2.1 L’espace du colonisateur

« La ville du colon est une ville en dur, toute de pierre


et de fer. C’est une ville illuminée, asphaltée, où les
poubelles regorgent toujours de restes inconnus, jamais
vus, même pas rêvés. Les pieds du colon ne sont jamais
aperçus, sauf peut-être dans la mer, mais on n’est jamais
assez proches d’eux. Des pieds protégés par des
chaussures solides alors que les rues de leur ville sont
nettes, lisses, sans trous, sans cailloux »99.

97
Ibidem p. 42
98
Ibidem p. 44
99
Frantz Fanon, op. cit. p. 42

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2.2 L’espace du colonisé

« La ville du colonisé, ou du moins la ville indigène, le


village nègre, la médina, la réserve est un lieu mal famé,
peuplé d’hommes mal famés. On y naît n’importe où,
n’importe comment. On y meurt n’importe où, de
n’importe quoi. C’est un monde sans intervalles, les
hommes y sont les uns sur les autres, les cases les unes sur
les autres. La ville du colonisé est une ville affamée,
affamée de pain, de viande, de chaussures, de charbon, de
lumière »100.

D’après Fanon, le colonisateur a séparé la réalité en


deux. Celui du colon vaut la décence. Il a pris et fait le
beau pour lui. Parce qu’il en a la carrure. C’est lui qui
établit les règles du jeu, pourtant, il se trouve chez
l’indigène. Ce dernier doit se contenter du mauvais. Parce
qu’il est mauvais. Le message n’est pas seulement verbal.
Il est concret et touche directement le mental et l’âme du
dominé. Inutile de discourir, le colon informe le colonisé
par le fait. Il passe à l’acte et fait sentir à l’indigène qu’il
est différent. Qu’il est abject et méprisable. Il se fait
déposséder de tout et constate l’inaccessibilité de la zone
et des choses par l’artisan de la séparation.

Très tôt, dans son propre territoire, celui qui devient le


désorienté, était mis à l’écart d’une manière formelle. La
précision de la partition ne laissait aucun malentendu.
Tout signe matériel et moral désignait que le conquis était
un être dissemblable. Hélas, aujourd’hui, la séparation
continue. Tout indique que le nouvel être est différent. Il
habite dans un endroit précaire. Il y a celui qui a rarement
enfilé un pantalon et a mis des chaussures. Dans son pays,
il y a celui qui n’a jamais exercé une fonction. Hagard et
100
Ibidem p. 43

184
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perdu, il mène une vie rudimentaire et assiste à une


modernité qui va avec une vitesse vertigineuse. Ici, le
paradoxe est frappant. Plus qu’hier, le contraste de la
géographie en dit long de la cruauté de la séparation. Mais
cette fois-ci, la différence vient de l’intérieur. En
conséquence, elle est plus violente, incomprise et mal
digérée. Terriblement, tout se déroule pour que le meurtri
reste encore longtemps un meurtri.

L’occupation territoriale a donc fait croire à l’indigène


qu’il est « un élément corrosif, détruisant tout ce qui
l’approche, élément déformant, défigurant tout ce qui a
trait à l’esthétique ou à la morale, dépositaire des formes
maléfiques, instrument inconscient et irrécupérable de
forces aveugles »101. A priori, chez lui, cela a amorcé une
crise à partir du moment où le conquérant remet en
question ses droits à la vie. Les poubelles regorgent des
restes qui aiguisent l’appétit d’un enfant indigène. Le
sentiment d’être créé pour attendre ce que le colon jette
après être repu menace le mental du dominé. Le nouvel
être est une émanation de cette attitude séparative à
laquelle l’indigène a été exposé alors qu’il avait l’estime
de soi. Presque cinq décennies après l’autonomie, la même
séparation continue de procurer le même effet. Le
désorienté s’enfonce dans son exclusion. Mais, cette fois-
ci, celui qui le condamne à demeurer dans cet état n’est
autre que celui qui a spolié la liberté pour laquelle le
meurtri a été châtié.

2.2.1 Projet de déshumanisation

D’abord, il y a une volonté de dépersonnalisation qui a


comme credo la « marque du pluriel ». Le dominé perd tout

101
Frantz Fanon, op. cit. p. 44

185
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caractère différentiel. « Il n’a droit qu’à la noyade dans le


collectif anonyme »102. Pour montrer du doigt un indigène, au
lieu de le désigner individuellement, des propos comme « ils
sont ceci… Ils sont tous les mêmes… On ne peut pas compter
sur eux » 103empêchent l’originalité. Pendant une journée
ouvrable, l’absence d’une bonne pénalise tout un groupe.
Puis, la « dénaturation » aboutit à quelque chose qui
« devrait ne plus exister qu’en fonction des besoins du
colonisateur »104. Enfin, « A proprement parler, il
l’animalise. Et, de fait, le langage du colon, quand il parle
du colonisé, est un langage zoologique »105. Dorénavant, de
la part du conquérant, le sort du dominé, compte tenu de son
aspect dramatique, fait l’objet d’une risée : « Un colonisé
conduisant une voiture est un spectacle auquel le
colonisateur refuse de s’habituer ; il lui dénie toute
normalité, comme pour une pantomime simiesque. Un
accident, même grave, qui atteint le colonisé, fait presque
rire. Une mitraillade dans une foule colonisée lui fait
hausser les épaules ». 106 L’insensibilité va jusqu’à trahir ce
qu’il y a de plus naturel entre les humains : « D’ailleurs, une
mère indigène pleurant la mort de son fils, une femme
indigène pleurant la mort de son mari, ne lui rappellent que
vaguement la douleur d’une mère ou d’une épouse. Ces cris
désordonnés, ces gestes insolites, suffiraient à refroidir sa
compassion, si elle venait à naître »107.

Bien sûr, pour le conquis, les références à la bestialité


ont pour objectif l’avilissement. Il est persuadé de son état
d’un être intègre, muni d’une foi et de valeurs. « Le
102
Albert Memmi, Portrait du colonisé, précédé du portrait du
colonisateur, p. 115
103
Ibidem p. 115
104
Ibidem p. 116
105
Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, op. cit. p.45
106
Albert Memmi, op. cit. p. 116
107
Ibidem p.116

186
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colonisé sait tout cela et rit un bon coup chaque fois qu’il
se découvre animal dans les paroles de l’autre. Car il sait
qu’il n’est pas un animal. Et précisément, dans le même
temps qu’il découvre son humanité, il commence à fournir
ses armes pour la faire triompher »108. Effectivement, il
faut considérer l’indépendantiste qui se bat pour affirmer et
confirmer son identité. En outre, il existe le vulnérable,
celui qui succombe moralement aux traitements insanes. En
lui, ce dernier porte les ingrédients qui font de sa personne
un désorienté car « l’accusation le trouble, l’inquiète
d’autant plus qu’il admire et craint son puissant
accusateur. ‘’N’a-t-il pas un peu raison ?’’ murmure-t-il.
Ne sommes-nous pas tout de même un peu coupables ?
Paresseux, puisque nous avons tant d’oisifs ? Timorés,
puisque nous nous laissons opprimer. Souhaité, répandu
par le colonisateur, ce portrait mythique et dégradant finit,
dans une certaine mesure, par être accepté et vécu par le
colonisé »109. Le maître a établi les règles du jeu. Il a mis le
conquis hors de l’histoire et hors de l’humanité. Il l’a
réinventé et lui a donné une image qu’il a intégrée. Il a
accepté son statut issu de la nouvelle réalité coloniale. Le
dominant a évolué. Mais, il est toujours suprême, égoïste et
cruel : « Le lien entre le colonisateur et le colonisé est ainsi
destructeur et créateur. Il détruit et recrée les deux
partenaires de la colonisation en colonisateur et colonisé :
l’un est défiguré en oppresseur, en être partiel, incivique,
tricheur, préoccupé uniquement de ses privilèges, de leur
défense à tout prix ; l’autre en opprimé, brisé dans son
développement, composant avec son écrasement »110.

108
Ibidem p. 46
109
Ibidem p.117
110
Albert Memmi, op. cit. p. 118

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2.2.2 Projet d’aliénation

A Djibouti comme ailleurs, altérer la religion et la


culture de l’indigène a été tenté. Mais, l’introduction de la
foi chrétienne en terre d’islam n’a pas bien fonctionné
alors que l’enseignement du français a donné des résultats
probants car il y a eu une aliénation. Par rapport au
confessionnel, la mission consistait à placer le conquis
dans un état de croyance inachevée et ambiguë. Il fallait
changer sa religion sans pour autant lui permettre
d’accéder au christianisme comme le conquérant
l’interprète. « L’Église aux colonies est une Église de
Blancs, une église d’étrangers. Elle n’appelle pas
l’homme colonisé dans la voie de Dieu mais bien dans la
voie du Blanc, dans la voie du maître, dans la voie de
l’oppresseur. Et comme on le sait, dans cette histoire il y a
beaucoup d’appelés et peu d’élus »111. Il fallait aussi se
garder d’accorder à l’indigène les principes qui font
l’apanage de la Métropole : « Les valeurs, en effet, sont
irréversiblement empoisonnées et infectées dès lors qu’on
les met en contact avec le peuple colonisé. Les coutumes
du colonisé, ses traditions, ses mythes, surtout ses mythes,
sont la marque même de cette indigence, de cette
dépravation institutionnelle »112. Par rapport au culturel, le
français a submergé la langue du peuple meurtri. Jusqu’à
maintenant, les langues maternelles n’ont aucun effet sur
l’éducation pourtant dite nationale.

La logique reste la même. Sous l’occupation, le


colonisé a une limite géographique. Il a un niveau de vie
sans grand intérêt. Selon le colon, ce sort, c’est
naturellement le sien. Il est fait pour cela. IL n’a pas le droit
de se choisir une religion. Certes, il doit en avoir. Mais, le

111
Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, p. 45
112
Frantz Fanon, op. cit. p. 45

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maître doit lui choisir une version édulcorée du


christianisme, rectifiée et censurée. Il doit passer par lui et
n’a pas les qualités requises pour s’adresser directement à
Dieu. C’est un être inférieur et Dieu a une répulsion contre
tout ce qui est laid. Donc, le colon protège le Seigneur
contre l’impureté. À Djibouti, pays de confession
musulmane, ce genre de tentative demeure vaine,
contrairement en Amérique du Nord et du Sud, où le projet
s’est réalisé avec acuité. En réalité, le colon combat contre
la liberté au nom de laquelle il entend conquérir le monde.
Un être souverain et libre dans sa croyance constitue le
revers de la médaille de son entreprise.

2.2.3 Projet de l’éternité

La colonisation a pris fin. Hélas, elle se mue en un


système politique qui devient son héritière. À Djibouti, la
France a décidé sa fin parce qu’une version plus douce et
moins coûteuse était possible. D’abord, il s’agit de
pérenniser la présence en s’appuyant sur l’intellectuel
imbu de l’idéologie coloniale sans laquelle il voit l’avenir
comme raté. « L’intellectuel qui a, pour sa part, suivi le
colonialiste sur le plan de l’universel abstrait va se battre
pour que colon et colonisé puissent vivre en paix dans un
monde nouveau. Mais ce qu’il ne voit pas, parce que
précisément le colonialisme s’est infiltré en lui avec tous
ses modes de pensée, c’est que le colon, dès lors que le
contexte colonial disparaît, n’a plus d’intérêt à rester, à
coexister »113. Puis, il s’appuie sur des hommes politiques,
opportunistes et peu brillants pendant la lutte pour
l’indépendance. De cette façon, la France a évité de mettre
les clés de la victoire dans les mains des indépendantistes,
enclins à une libération intégrale du pays. La période

113
Frantz Fanon, op. cit. p. 47

189
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postcoloniale a débuté donc dans un climat détendu où


l’éternel maître marque sa présence au moyen d’une
coopération culturelle et militaire. En peu de temps, les
contrats et les pactes normalisent ce que la conquête n’a
pu réaliser dans une période sombre de l’histoire de la
France.

3. La dictature

A priori, par rapport à la psychologie citoyenne, il


s’agit de la raison la plus marquante et la plus
imprévisible. Pourquoi ? D’abord, parce qu’il n’a jamais
imaginé que sa propre lutte pour l’indépendance puisse
déboucher sur un système d’oppression, un peu similaire
au précédent. Il se demande « comment des décennies de
sacrifice finissent par donner la souffrance que vit
aujourd’hui le peuple ? » En principe, un combat, surtout
quand on le gagne, profite au vainqueur et ouvre la voie à
un nouvel ordre qui apporte un relatif soulagement au
désespéré. Au contraire, une défaite plus que cuisante s’est
avérée vraie. L’espoir s’est très vite dissipé et la déception
remplit un climat politique postcolonial très étouffant.
Ensuite, le citoyen reste sans voix quand il voit la manière
dont le transfert du pouvoir s’est opéré. Pour la remise des
clés, l’ancien maître a décidé d’écarter les vrais
indépendantistes au profit de ceux qui se complaisent à un
simulacre d’autonomie. Ceux-là ont joué un rôle essentiel
pour aider le colon à se tirer d’un bourbier qui devient de
plus en plus pesant. Il est parti sans quitter les lieux car ses
confidents sont à l’œuvre pour diriger l’ancienne colonie.
Enfin, le citoyen imagine mal une concurrence politique
fratricide qui débute aujourd’hui et dont la fin s’annonce
incertaine. Il voit que l’unité qui avait plus ou moins
fonctionné pendant la marche vers la liberté vole en éclats
face aux manigances du colon. Dorénavant, la guerre

190
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oppose les héritiers de l’ancien locataire des lieux et les


indépendantistes de la première heure.

Pour ces considérations, et encore pour d’autres, la


tyrannie constitue une raison essentielle pour mieux
comprendre l’avènement du nouvel être. Ce système a
accéléré à la fois son apparition, son évolution et sa
multiplication. Bien que le phénomène se soit amorcé dès
l’occupation étrangère, néanmoins, son enracinement date
de la période postcoloniale. En effet, pendant la
domination, il y avait une cause autour de laquelle
s’organisait l’union. Grâce à cet élan, l’espoir de vaincre
l’asservissement était de taille. Tôt ou tard, l’indigène était
persuadé que la liberté et la dignité se seraient rangées de
son côté. En revanche, sous la dictature, tout espoir
s’écroule. L’union doit se faire autour du système et
aucune voix dissidente ne peut être tolérée. Il n’est plus
permis de se lever contre l’État, émanation de la volonté
populaire qui est la source de l’indépendance. Donc,
l’opposition à la légitimité représente une sorte de
trahison, non pas à l’égard de la classe dirigeante, mais à
la vocation du peuple. C’est lui qui s’est sacrifié pour
avoir raison de l’occupation et quiconque se dresse contre
sa volonté a enfreint à l’intégrité nationale.

Cependant, sans mener une étude intégrale du système


autoritaire, il convient de mettre en exergue les éléments
qui ont participé à la naissance du désorienté.

3.1 Variante coloniale

La dictature intègre les idéaux et les comportements du


projet colonial avec une intensité moindre et une douceur
qui fait oublier ses exactions. Sur le plan psychologique,
« le pays a accédé à l’indépendance » amenuise quelque

191
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chose qui est ressenti comme un traitement colonial. À part


la présence étrangère, atténuée en adoptant un système de
coopération, dans la nouvelle structure, l’intégrité humaine
reste piétinée. En conséquence, entre les deux époques, les
ressemblances priment sur les différences. « Les Soleils des
Indépendances » de l’Ivoirien Ahmadou Kourouma,
opposant à Houphouët-Boigny, en est une illustration.
Fama, personnage central, prince d’une lignée noble, se
trouve ruiné, perdu et désorienté. Pour survivre, de
funérailles en funérailles, il fait le tour de la capitale de son
pays. Salimata, son épouse, désespérée, le voit incapable de
lui faire un enfant. Tout part en fumée. Ni dignité ni argent
ni enfant. L’espoir d’une prospérité postcoloniale s’envole.
« Mais alors qu’apportèrent les Indépendances à Fama ?
Rien que la carte d’identité nationale et celle du parti
unique. Elles sont les morceaux du pauvre dans le partage
et ont la sécheresse et la dureté de la chair du taureau. Il
peut tirer dessus avec les canines d’un molosse affamé, rien
à en tirer, rien à sucer, c’est du nerf, ça ne se mache
pas »114. En clair, dans ce roman réquisitoire, l’auteur
dénonce l’incompétence et l’insincérité des dirigeants qui
ont hérité le pouvoir du colon. À l’image de Fama, le
citoyen n’attend rien de cette nouvelle ère dans laquelle il
avait placé un espoir pour sortir des ténèbres et appartenir
enfin à la communauté qui s’est prise en charge.

Pour certains, vu les résultats de la décolonisation, le


colon avait au moins le mérite de laisser au colonisé une
petite marge de manœuvre. De ce fait, souhaiter son retour,
avec cette fois-ci, la volonté d’être dominé, semble être une
doléance. « C’est pourquoi, à tremper dans la sauce salée à
son goût, Fama aurait choisi la colonisation et cela malgré
que les Français l’aient spolié »115. Bien que le colonisateur

114
Ahmadou Kourouma, Les Soleils des indépendances, p. 13
115
Ibidem p. 12

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n’ait pas d’humanité, ils estiment que le potentat local est,


lui aussi, dépourvu de bonté et de pitié. Leur position
correspond à « entre deux maux, il faut choisir le
moindre ». C’est justement le point de vue du nouvel être
qui, pour fuir ses responsabilités, se cache derrière un
argument invérifiable. Au lieu de s’assumer, il tient des
propos dont le destinataire ne se sent plus concerné. Certes,
il est bel et bien évident que le conquérant a tourné la page
d’une expansion militaire et coloniale telle qu’elle a été
pratiquée au dix-neuvième siècle. Il y a une domination,
mais elle a changé de physionomie et de méthode.

En réalité, la justice veut que tout projet d’avilissement


soit banni. Qu’il vienne de loin ou de près. La colonisation
a fait son temps. Depuis sa genèse jusqu’à sa disparition,
elle n’a pas eu raison de la dignité humaine. Ce n’est pas
parce que les cruautés du colon sont lointaines et que les
souvenirs se sont édulcorés qu’elle mérite d’être appelée à
la rescousse. L’essentiel, ce n’est pas de souhaiter la
répétition d’une histoire douloureuse, mais c’est de vouloir
vaincre l’héritière qui est son prolongement. Il ne convient
pas d’envier une condition déshumanisante par rapport à
une autre. En effet, le désorienté souffre d’un désamour
pour la liberté étant donné qu’il est disposé à accepter
l’exploitation par une entité ou une autre, selon sa
gentillesse ou sa méchanceté. Il réagit comme quelqu’un
qui attend ce que l’autre fait de son sort. « Il a été arraché
de son passé et stoppé dans son avenir, ses traditions
agonisent et il perd l’espoir d’acquérir une nouvelle
culture, il n’a ni langue, ni drapeau, ni existence nationale
ni internationale, ni droits, ni devoirs : il ne possède rien,
il n’est plus rien et n’espère rien »116.

116
Albert Memmi, Portrait du colonisé, précédé du portrait du
colonisateur, p.156

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3.2 Système unique

Tout part d’un homme et revient vers lui. Il est l’alpha


et l’oméga. L’État, c’est lui. Et lui, c’est l’État.
Curieusement, dès le départ, sur le plan textuel, la
référence était la perfection. Les lois les plus achevées,
rédigées par les plus érudits de la société, sont imprimées
et conservées avec le plus grand soin possible. L’on
accordait un certain respect à ce qui réglemente la vie de
la collectivité. Les juges, les juristes et les
constitutionnalistes s’affairaient et s’attelaient à combattre
la violation des textes afin que s’instaure un État de droit.
Des discours d’une portée idyllique s’ensuivent. De
partout, des applaudissements retentissent. Le citoyen se
voit déjà dans une nouvelle époque où les atrocités se
situent derrière lui. Petit à petit, les choses se gâtent. Le
rêve de rompre les souffrances de l’histoire s’estompe.
D’un seul coup, par des discours et des promesses, celui
qui a promis une nouvelle ère, où la loi est le maître des
lieux, décide de tenir en solitaire les rênes des affaires.
C’est le désenchantement.

En fait, le colon régnait en maître sans respecter la loi


et sans savoir le point de vue de l’indigène. Pour lui, ici, il
y a des gens qui ne valent pas ce que les Français valent en
France. Là-bas, il y a des êtres humains, et donc,
l’application de la loi devient une obligation. En revanche,
ici, les gens méritent d’être gouvernés par le bâton car ils
sont en deçà de l’humanité. Pour l’héritier, c’est une
aubaine. Il fallait trouver un alibi pour imposer un avis
unique. Les animaux ne comprennent rien et agissent
parfois contre leur intérêt. Ils marchent vers la tanière où
les félins se tapissent et s’apprêtent à bondir. Ils
contribuent à leur propre drame. Également, par idéologie

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ou par démagogie, l’homme providentiel pense qu’il est


capable de sauver un peuple qui court à sa perte.

Cette raison-là, le dictateur l’a directement héritée du


dominant. Mais, il existe d’autres explications qui peuvent
nous aider à comprendre ce qui pousse quelqu’un à devenir
un despote.

Premièrement, il y a le besoin d’être admiré et glorifié.


Très tôt, le sentiment d’être supérieur l’habite. L’Américain
Stephen Greenblatt affirme qu’il a « une estime de soi
illimitée, l’indifférence ou l’hostilité envers la loi, le plaisir
éprouvé à infliger une douleur, celui, compulsif, de
dominer »117. Il se voit naturellement installer sur un
piédestal. Ce faisant, le seul endroit où cette ambition puisse
se réaliser, c’est d’être aux commandes d’une nation. Cela
reste amplifié par le zèle d’un entourage opportuniste
exploitant la montée en puissance d’un éléphanteau prêt à
casser tout sur son passage. Une fois installé au summum de
l’État, il sort ses griffes et montre réellement à ceux qui
s’opposent à lui le caractère narcissique de sa personnalité.
Sourd et aveugle, au final, sa mégalomanie l’enfonce dans
l’abîme. « La suite ? Un lent et long hallali que racontent les
séquences vidéo chaotiques et saccadées captées par tout un
arsenal de téléphones portables. Mohamed, le patron de la
brigade, tente de protéger le prisonnier, traîné vers une Jeep
par une mêlée haineuse. Peine perdue. Les coups pleuvent
dru ? ‘’Ça va, ça va, ça. Que me voulez-vous ?’’ implore
Kadhafi, tentant d’un bras meurtri de parer les horizons »118.

Deuxièmement, chez un dictateur potentiel, il y a


l’envie d’être poussé par un groupe d’amis, voulant
profiter d’une situation favorable, où, étant donné ses

117
Vincent Hugeux, Tyrans d’Afrique, p.12
118
Vincent Hugeux, Les Derniers jours des dictateurs, p.204

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qualités, leur candidat aurait la chance de parvenir à ses


ambitions. En fait, deux prétentions se rejoignent : le
souhait d’un homme qui aspire au pouvoir et un lobby qui
prévoit son succès à travers lui. Il suffit d’aiguiser sa
volonté politique en utilisant la fantaisie qui le place au-
delà de ses capacités. Des compétences, on n’en a pas
besoin. N’importe qui peut diriger le pays à condition
« d’être pathologiquement narcissique et extrêmement
arrogant. En attendant une loyauté absolue mais en se
montrant incapable de reconnaissance »119. En général,
dès que le prétendant se hisse au sommet de l’État et que
sa situation se stabilise, il lance une opération de chasse à
l’homme pour éliminer les éléments dont il doute de la
loyauté et garder les plus fidèles.

Troisièmement, dans un bain de sang, un coup d’État


conduit un militaire à accaparer le pouvoir. Un discours
classique des putschistes détermine la voie à suivre. Ils
promettent la liberté et la naissance d’un nouvel âge. Rien
de tout cela ne voit le jour. Petit à petit, le leader
s’accommode à la nouvelle réalité et la purge commence
pour neutraliser les récalcitrants dans les rangs de l’armée.
« Hélas, l’état de grâce ne dure qu’un temps. Très vite, le
chef de la junte prend goût au pouvoir comme à ses fastes.
Il s’arroge le titre de président et tolère de plus en plus mal
les remarques dissonantes, assimilant la moindre réserve à
une trahison. Parvenu au sommet au prix d’un putsch, il
voit des putschistes partout. Y compris parmi ses
compagnons d’armes, perçus comme autant de félons en
puissance 120». Le chemin est balayé. C’est après une
période d’incertitude que le peuple arrive à comprendre
l’intention de l’armée à vouloir rester au pouvoir. Puis, les

119
Vincent Hugeux, op. cit. p. 13
120
Ibidem p.11

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coups d’État s’enchainent, et de déception en déception, le


quidam tourne le dos à la politique.

3.3 Système d’inculture

C’est une personne et une pensée. Celui qui fait


allégeance doit justifier le bien-fondé de ce choix. Malgré
les difficultés de trouver un argumentaire valable pour ce
genre d’exercice, il y arrive. Il raconte des sottises car « la
caractéristique du moment, c’est que l’âme médiocre, se
sachant médiocre, a la hardiesse d’affirmer les droits de la
médiocrité et les impose partout »121. Tourné en ridicule par
les moins incultes des gens, il fonce dans son idiotie. Il a le
cœur pour le ridicule. Il prend la défense d’un système pour
ne rien dire. En réalité, l’outil qu’est la langue fait preuve
d’une carence quasiment irréparable. Et le contenu reflète
une inculture aggravée par un sentiment d’indiscrétion.
Cette logorrhée est le miroir à travers lequel on observe
cette pensée incarnée par une seule personne.

Il n’y a qu’un seul art. « Le culte de la personnalité est


une signature du régime autoritaire. Le pouvoir dispose
de poètes de cour, d’artistes à sa main, d’intellectuels
stipendiés, de musiciens aux ordres, de journalistes
vendus, bien sûr. Ils ont pour mission de célébrer le nom,
le visage, la figure du dictateur afin de le rendre présent
partout dans la vie quotidienne. On ne peut échapper à
son image, elle menace, elle tient sous le regard ». 122 Ce
faisant, il mobilise un arsenal de moyens : « Photos, films,
revues, journaux, peintures, romans, poèmes, symphonies,
images, romans, opéras, livres, sculptures, bâtiments, tout
doit raconter le geste fabuleux de l’idéologie via celui qui

121
José Ortega Y Gasset, La Révolte des masses, p.42
122
Michel Onfray, Théorie de la dictature, p. 90

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est censé l’incarner. Cet art officiel, c’est le réalisme


socialiste : il s’adresse simplement aux gens simples afin
de toucher le plus grand nombre de personnes »123.

Cependant, ce système a tendance à se mettre à l’abri des


critiques d’une personne dotée d’un esprit éclairé et
décrivant le réel avec la lumière des mots. La clairvoyance,
armée d’une batterie d’arguments, déstabilise la pensée en
question. Car, cela met en évidence la pluralité d’idées et de
méthodes. En conséquence, chaque individu ayant recours à
la logique et à la science pour dire non à l’idéologie de la
pensée unique se trouve dans la ligne de mire de la
dictature. Elle est contrainte de vivre un calvaire et de
quitter ce monde sans assister à la disparition d’un système
qu’il a combattu durant toute son existence.

Pour couper court à l’avènement d’une génération


cultivée, la stratégie du système repose sur le fait de
négliger la qualité de l’enseignement. « Le despote se
comporte à l’égard de ses sujets tel un tuteur traître et
puissant, disposant à sa guise des biens et des personnes
des orphelins mineurs et sans défense. Ainsi, de la même
façon qu’il n’est pas de l’intérêt d’un tel tuteur que les
orphelins atteignent l’âge de l’adulte, le despote ne veut
pas que ses sujets accèdent au savoir »124. A priori, tout
est mis en place afin de ne point former un étudiant doté
d’un savoir lui permettant l’autonomie. Au contraire, dès
qu’il finit le cursus universitaire, il devient incapable de se
faire une place dans un monde où une concurrence féroce
multiplie les victimes. Il a été très mal formé. Rien de
consistant n’est mis à sa disposition. Pour ses doléances, il
ne sait pas où aller et à qui s’adresser. Il ignore ses droits
et ne sait pas comment les formuler. Il est inapte. Bien sûr,

123
Michel Onfray, op. cit. p.90
124
And al-Rahmân al-Kawâkibî, Du despotisme et autres textes, p. 22

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le système se sent en sécurité. « Ce sont les universitaires


qui accélèrent l’âge d’une dictature », pense-t-il. Au
moins, selon lui, il a évité de périr sous la pression
intellectuelle dont il est l’origine.

3.4 Système d’altération

L’étudiant finit sa formation et tente sa chance dans le


marché du travail. Rien ne vient. Tout est distant.
Pourtant, il observe ses camardes, loin derrière lui à
l’université, qui trouvent facilement des embauches. Il
peine à comprendre la logique. Il s’informe et apprend que
l’appartenance sociale est prise en compte. De là, il
conclut qu’il n’a plus l’opportunité d’être valorisé parce
qu’il appartient à un clan différemment catégorisé. Jusqu’à
présent, son âme restait immaculée. Dorénavant, elle
reçoit un affront. La blessure touche violemment une
innocence qui n’était pas préparée à une ignominie de telle
ampleur. Il n’a personne à qui raconter ses déboires. L’exil
est une deuxième chance. Ses portes se sont fermées. Le
monde a cessé de recevoir les plaignants de l’Afrique
meurtrie. Pour le jeune garçon, tout s’assombrit. Il
commence une nouvelle période de dépression qui le
plonge dans un silence absolu. La pauvre mère court de
gauche à droite. Le père est décédé, il y a déjà quelques
années. La piètre pension qu’il a laissée ne vaut plus rien.
Il est le fils unique. Il finit par se droguer pour tout
oublier. Plus tard, dans le dénuement le plus total, il meurt
dans les mains d’une maman qui vient de perdre son âme.
Oui, malgré l’altération, il était son âme.

Le même sort est réservé à l’intellectuel qui s’aventure


à stopper la course effrénée de la pensée unique. Il fait
l’objet d’une attaque sans scrupule. Licencié, divorcé de
son épouse, expulsé de la maison, il rencontre une série de

199
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problèmes intenables. Il craque et décide de quitter les


lieux. Son passeport est confisqué. Il est coupé de tous. Il
entame une solitude qui le prive de ses amis. Dans
l’esseulement, en silence, il rumine son chagrin et digère
mal une injustice qui l’assaille et le rode de l’intérieur. Il en
a assez de manger et de boire pour rien. Il décide de s’en
priver. A petit feu, il organise sa propre tragédie.

3.5 Système d’affamement

Un dictateur se méfie d’un peuple bénéficiant d’un


climat relatif de bien-être. Cela permet, semble-t-il, un
temps de remise en cause, où le citoyen se pose des
questions liées à son devenir. Il pense que la pause autour
d’un dîner familial et la sortie en pique-nique entre des
amis versés dans l’aisance risquent de perturber la
tranquillité du système. Pour lui, les rencontres de ce
genre sont de mauvais augure. Pour un système
autocratique, le fait que le besoin absorbe l’énergie de
l’individu est une source de sérénité. Il faut donc l’affamer
car cela facilite la domination. Dans des conditions très
difficiles, quelqu’un qui nourrit une famille nombreuse n’a
pas le temps de s’immiscer dans la politique. Chacun est
résolu à trouver une solution à un problème de base :
subvenir à sa famille.

Quant au fortuné, il fait l’objet d’une surveillance


accrue. En permanence, il s’agit de contrôler son intention
de vouloir s’intéresser à la politique. En général, il a deux
possibilités. S’engager directement ou soutenir quelqu’un
qui peut affirmer son leadership. Dans les deux cas, contre
cette personne, la réaction du dictateur est impitoyable et
sans appel. Défortuné et meurtri, il risque de finir ses jours
en prison. Le mieux loti réussit à s’enfuir et ne rêve plus à
remettre les pieds dans le pays.

200
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Personne ne peut s’enrichir. D’ailleurs, on n’en a pas


le droit. L’argent appartient au système. C’est lui qui
régule ses mouvements. « Si le despotisme était un
homme, il se présenterait ainsi : ‘’je suis le mal, mon père
est l’arbitraire, ma mère la vilenie, mon frère l’abus, ma
sœur la mesquinerie, mon oncle le malheur, ma tante
l’humiliation, mon fils le désœuvrement, ma fille la
pauvreté, ma tribu l’ignorance et ma patrie la destruction.
Quant à ma religion, mon honneur et ma vie, c’est
l’argent, l’argent, et encore l’argent’’ »125. Surtout, le
mariage entre la politique et l’argent retient l’attention du
dictateur. Lui, au moyen des deniers publics, il a réussi à
joindre les deux. Malheur à celui qui rêve donc de
renouveler la même expérience.

3.6 Système de division

L’argent est une force comme l’union en est une autre.


La décolonisation a été possible parce que le peuple a su
garder une forme d’unité embarrassante pour le maintien
de l’occupation. En fait, le colon a tenté la division car
c’était le seul moyen de sauver son honneur. Surtout, il
misait sur l’aspect mystérieux du communautarisme et du
tribalisme. Mais en vain. Aux yeux de l’indigène, rester
sous la domination du colon était une position de lâcheté.
Ce sentiment a pu créer un rassemblement obligeant le
conquérant à plier bagage.

Mais le système héritier a su exploiter les failles d’une


société pauvre et ignorante. Très vite, d’une manière
permanente, la conquête du pouvoir était mise en place.
Pour ce faire, il fallait suivre le chemin du colon qui a fait
de l’appartenance sociale son cheval de bataille. Il ne

125
Abd al-Rahmân al-Kawâkibî, Du Despotisme et autres textes, p.33

201
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s’agit pas de construire un pays selon la volonté de la


population mais conformément au souhait de celui qui
veut hériter définitivement du trône. Il y avait la possibilité
de donner la parole au citoyen et de conduire le pays dans
la voie de la concordance. Non, l’héritage collectif qu’était
l’indépendance a pris l’allure d’un bien matériel dont la
seule manière de le sauvegarder est la distribution. Coûte
que coûte, il fallait que chaque tribu reçoive sa part sinon
la marche vers l’autonomie était comme une perte. Le
système a instauré cette philosophie basée sur le quota et
le bénéfice en tant que représentation sociale. Dorénavant,
chacun prend soin de la part de sa tribu. L’idée d’une
nation, dont le partage se fait d’une façon équitable et au
moyen des critères objectifs, s’envole. Par conséquent, le
régime joue sur cette possibilité de prêter confiance à telle
tribu et de négliger telle autre selon les circonstances. Sans
altérer la méthode de quota, pour chaque clan, dans le
système, le dictateur intègre les éléments les plus dociles.
Au final, au sein d’une même tribu éclate un conflit dont
l’arbitre central est l’artisan de la dictature.

3.7 Système de sécurité

Veiller sur la sécurité de la pensée unique est la


dimension qui couronne la série de procédés destinés à servir
de garde-fous. Toutes les forces du système sont mobilisées,
non pour protéger le pays du danger extérieur, mais pour
asseoir de plus en plus son autorité sur la société. L’on
protège le système du citoyen au lieu de protéger le citoyen
d’un système injuste. La dictature n’a pas d’autre finalité que
la sienne. Elle existe pour elle-même. Elle fonctionne pour se
répéter jusqu’à l’éternité. Elle s’appuie sur l’écoute, sur la
défense, sur le maintien de l’ordre public, et enfin, sur la
connaissance de la société d’une manière individuelle.
Personne n’échappe à son emprise.

202
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La tentation va parfois jusqu’à connaître la vie intime


du citoyen. On n’est pas loin de l’atmosphère décrite par
Ismaïl Kadaré dans Le Palais des rêves (1981) où ces
derniers sont décryptés, analysés et triés par une
administration, dirigée par Mark-Alem, pour approcher les
désirs, les pensées et les aspirations de tout un peuple
espérant sauvegarder le tyran. « Le gigantesque mécanisme
qu’il dirigeait en pratique fonctionnait de jour comme de
nuit. Ce n’est que maintenant qu’il se rendait compte des
véritables dimensions du Tabir Sarrail. Des hauts
fonctionnaires de l’État entraient timidement dans son
bureau. Le vice-ministre de l’intérieur lui-même, qui venait
souvent le voir, veillait à ne jamais l’interrompre quand il
parlait. Dans ses yeux comme dans ceux des autres hauts
fonctionnaires, derrière leur sourire poli, luisait comme un
point fixe d’où émanait sans cesse la même question : y a-t-
il un rêve à mon sujet ? »126.

De plus, curieusement, cette bureaucratie s’appuie sur


le nouvel être, présent dans les quartiers, disposé à être
utilisé à des fins dénuées de moralité, souhaitant gagner
des miettes pour s’adonner au khat et à la drogue. Souvent,
les informations biaisées qu’il récolte et qu’il monte
parfois de toutes pièces, induisent le palais à l’erreur. Tant
pis ! L’essentiel, c’est de maintenir le train sur les rails.
Peine perdue. Jamais, aucune structure de ce genre n’a
réussi à sonder les entrailles du citoyen et la chute d’un
régime dictatorial se veut inéluctable.

126
Ismaïl Kadaré, Le Palais des rêves, p.95

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X. ACTION DE RÉHUMANISATION

Le nouvel être peine à se maintenir à la surface de la


vie. Il est dans un décroissement accéléré. Pour
comprendre sa situation, on a essayé de le regarder de loin.
On l’a fait avec un certain recul qui permet de voir son cas
dans sa globalité. Les raisons qui expliquent son état ne
sont pas des idées abstraites. Ce sont des causes
apparentes. Chaque citoyen est capable de raconter les
nuisances. En conséquence, autour d’elles, la divergence
s’amoindrit. Plutôt, le débat va porter sur la primauté de
chaque raison sur l’autre, mais, en somme, leur fiabilité
résiste à la critique. Le peuple admet le fait que la
dégradation du meurtri a pour origine lui-même, son
asservissement par le colon et par le système héritier. En
revanche, entre les trois motifs, quel est celui qui impacte
le plus l’âme du désorienté ? Certes, cette question va
susciter un désaccord pour désigner la raison qui constitue
le plus déterminant.

Il y a eu une tentative de déshumanisation. Cela était


réussi. On l’a décrite. C’est un fait historique et actuel. De
cette nuit, l’homme est sorti très diminué, mutilé et
dénaturé. Il est le grand perdant. Maintenant, la logique
veut que l’on engage un plan d’action susceptible de
provoquer la régénération du meurtri. Ce mouvement, qui
va du bas vers le haut, s’annonce difficile puisque les
obstacles se comptent indéfiniment. On suggère que ce
mouvement se déroule selon les étapes suivantes.

Mais, avant ces étapes, il convient de rappeler que des


propositions pratiques, démunies de principes qui servent
de ciment, manqueront d’efficience. En effet, la croyance
en quelque chose de transcendant fortifie le moral de

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l’individu, ce qui va lui donner l’occasion de résister encore


davantage. En réalité, la pratique a besoin d’être soutenue
par la conviction de se prendre en charge et de se sentir
concerné par le malheur de son entourage. L’existence
d’une finalité participe à la détermination que l’on engage
pour la réalisation de notre volonté. L’on doit distinguer le
moyen (l’action) et la finalité (l’objectif) pour éviter le
sentiment de l’action pour l’action, un principe qui ne mène
nulle part. L’action est une obligation morale qui pousse à
doubler d’effort et d’abnégation. « Ce qui est le plus
étrange, c’est que le mouvement et le changement sont
véritablement recherchés pour eux-mêmes, et non en vue
d’un but quelconque auquel ils peuvent conduire ; et ce fait
résulte directement de l’absorption de toutes les facultés
humaines par l’action extérieure »127. Il nous faut donc des
valeurs qui « forment le cadre dans lequel on se sent à
l’aise avec soi-même et on n’a pas le sentiment de se trahir
en agissant, ou en n’agissant pas »128. Bergson écrit qu’il
« n’y a jamais eu une société sans religion ». 129

La sagesse veut que la matière ne suffise pas pour régler


les problèmes que connaît l’homme sur terre. L’intervention
d’une dimension surnaturelle s’invite à la recherche d’un
dénouement sans risque. « Plus on s’enfonce dans la
matière, plus les éléments de division et d’opposition
s’accentuent et s’amplifient ; inversement, plus on s’élève
vers la spiritualité pure, plus on s’approche de l’unité, qui
ne peut être pleinement réalisé que par la conscience des
principes universels »130. Les difficultés dans lesquelles
reste plongé le nouvel être ne peuvent pas être résolues
seulement par l’expérience humaine. Il y a des phénomènes

127
René Guénon, La Crise du monde moderne, p.26
128
Jacques Attali, Vivement après-demain, p.67
129
Henri Bergson, Les Deux sources de la morale et de la religion, p. 105
130
René Guénon, op ; cit. p.26

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qui vont au-delà de ses limites et des limites de la société


qu’il côtoie. Cependant, faire appel à l’aspect supranaturel
s’impose comme une nécessité : « Ce qui est au-dessus de
la science, dans la hiérarchie nécessaire des
connaissances, c’est la métaphysique, qui est la
connaissance intellectuelle pure et transcendante, tandis
que la science n’est, par définition même, que la
connaissance rationnelle ; la métaphysique est
essentiellement supra-rationnelle, il faut qu’elle soit cela ou
qu’elle ne soit pas »131. Pour s’en sortir, agir selon sa foi et
ses valeurs est un principe sans lequel la démarche du
désorienté reste vaine.

1. Première étape : la prise de conscience

De prime à bord, pour notre personnage, il faut se


rendre à l’évidence que la chute est une réalité. Bien qu’il
soit amer, dans un monde en perpétuelle tension, voir et
accepter le poids du réel peuvent être considérés comme
une victoire. A posteriori, il se rend compte de sa
situation, néanmoins, il a recours à la fuite et à l’oubli. Dès
qu’il constate son anachronisme avancé, en général, il se
livre à l’utilisation du khat pour vivre des moments
d’hallucination. Bien sûr, ici, ce que l’on exige du
désorienté, c’est de dépasser le stade du constat et de
découvrir, de près, son état. Pour voir l’eau bouillir, on
enlève le couvercle de la casserole. De même, le nouvel
être doit écarquiller les yeux et ouvrir l’esprit pour
apercevoir ses conditions par rapport à ce que l’on attend
de lui en tant qu’être parfaitement constitué. Il n’est pas
présent à l’appel de l’humanité. Il ne répond pas non plus
à l’appel de sa propre personne. Cependant, ‘’il doit’’, une
expression verbale neutre, vide et sans effet, ne suffit pas

131
René Guénon, Orient et Occident, p. 22

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pour qu’il soit conscient de la profondeur de sa torpeur. Il


faut une aide et une orientation pour qu’il sache et accepte
vraiment son statut. Cette étape intègre deux chemins.

1.1 Avoir confiance en soi

D’abord, rarement, ce personnage a rencontré


quelqu’un qui prenne en compte ses qualités. Le fait de
l’écouter et de lui apprendre que la nature humaine penche
à l’erreur par naissance le rassure. Bien qu’il soit toujours
au fond de l’abîme, c’est un argument qui le réconforte
étant donné qu’une partie de l’humanité traverse les mêmes
circonstances. Dans son avilissement, il se considère
comme accompagné et s’efforce de mettre fin au sentiment
de culpabilité qui est le sien. En effet, le meurtri ne lit pas et
reste déconnecté du savoir. Celui qui est lettré lit le banal.
Dans sa culture, il demeure inculte. Cette façon de lui
signaler qu’il n’est pas seul dans cette descente aux enfers
ressuscite son moral et lui donne le goût de la confiance.
Ensuite, la référence à des personnes qui sont sorties du
néant en faisant de la prise de conscience un tremplin
participe au rétablissement de la confiance en soi. Pour un
souci pédagogique, il n’est pas question de comparer sa
situation à celle des autres. Mais, il s’agit de lui montrer un
chemin qui a fait ses preuves et dont les résultats
témoignent de son efficacité. Enfin, pour son intérêt, si
l’entourage s’implique et s’attelle à le convaincre, cela peut
accélérer la période de prise de conscience.
Comme étape, avoir confiance en soi paraît fondamental,
car cela représente la pierre angulaire d’une reconstitution
qui passe par le fait de se situer par rapport à la réalité. Le
désorienté n’existe que par le nom. Le courage d’accepter
cette absence et de confirmer un monde qui fonctionne
sans lui a besoin d’une force intérieure qui finit par
reconnaître le réel tel qu’il se déroule. Pour admettre les

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choses comme elles le sont et espérer apporter son


influence plus tard, il faut croire en ses capacités.

1.2 Oser faire le premier pas

Chez le meurtri, une fois que s’installe le sentiment


d’accorder du crédit à sa personne, il ne lui reste plus qu’à
briser la barrière la plus significative : arrêter le khat. En
effet, tout à l’heure, on avait rappelé que le nouvel être,
dans toutes les catégories de la société, aperçoit son cas
parce qu’autour de lui, des amis d’enfance mènent une vie
normale. Sans ambiguïté, cet élément de comparaison est
une menace à sa tranquillité trompeuse. Cependant, pour
gommer cette contradiction qui provoque une souffrance
intérieure, il fait tout pour déclencher un univers illusoire
où la paisibilité occupe la surface. C’est à ce niveau
qu’intervient la capacité du désorienté à prendre en
compte la comparaison et de franchir le pas pour changer
de comportements. Se donner du crédit permet d’entamer
un mouvement, ne serait-ce que d’une manière timide. S’il
s’abstient de plonger dans l’euphorie et qu’il trouve le
temps de voir plus clairement la situation, il y a une forte
chance qu’il débute une période de réhabilitation assez
lente, mais, quasi sûre.

Certains désorientés se tirent de la nuit et découvrent


la clarté du jour. Ils s’extirpent du trou noir où ils étaient
retranchés durant un moment de leur existence. Pour eux,
le masque qui cachait la réalité tombe et les choses
prennent leur dimension. Hélas, ils s’arrêtent là. Ils
deviennent conscients et renoncent au khat sans aller au-
delà de ce premier pas essentiel pour la suite.
Normalement, cet élan doit provoquer une série de
mesures ayant pour finalité la reconstitution intégrale du
nouvel être. Autrement dit, le réveil, suivi d’un acte

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presque héroïque, s’agissant de rompre avec le khat,


s’annonce comme le début de la fin du meurtri. Ici, l’on
regrette cette lancée inachevée et cette ardeur refroidie.
Tout le monde s’étonne de voir un meurtri qui fait une
reconquête partielle de soi, mais, qui s’arrête à mi-chemin.
Il a fait la plus grande partie de la tâche qui est un travail
sur soi : connaître parfaitement le monde, le sentir comme
il est, le juger comme il apparaît et procéder à se corriger
en commençant par le commencement. Chez lui, ce qui
bloque, c’est de conquérir la vie et se hisser au sommet de
la montagne.

2. Deuxième étape : le choix

Seul, l’homme a la faculté d’opter pour quelque chose


dont il apprécie la valeur. Aucune espèce animale n’est
disposée à se prononcer pour une tendance ou une autre.
Au préalable, choisir est un geste qui fait appel à la liberté.
L’on choisit parce qu’on est libre. A posteriori, cela
manque à notre personnage qui reste immobilisé sans
dépasser le premier pas. Il perd l’habitude de « brouter »
sans aller au bout de ses efforts. Le choix qui est à
l’origine de la première action s’estompe. Il manque de
vigueur et s’évanouit là où sa force a donné ses derniers
soupirs. Justement, la liberté, source d’émancipation, a
atteint ses limites. Avant de choisir, notre personnage est
censé être libre. L’acquisition d’une liberté temporaire lui
a permis de clore une période sombre de son histoire,
mais, très vite, juste après ce répit, la réalité a eu raison de
lui. De nouveau, il se fige dans l’inaction parce qu’il a
cessé d’être libre. En conséquence, il est dans l’incapacité
de choisir.

L’essentiel, c’est donc de travailler sur l’accession à la


liberté. Ici, le goût à la liberté est déjà présent chez le

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nouvel être étant donné qu’il a la force de se soustraire de


l’emprise du vice. Il a déjà livré une guerre contre le khat
à l’issue de laquelle il sort gagnant grâce à la résistance
qui fait intervenir le caractère impérial de l’autonomie. En
effet, il arrive à se libérer de l’effet recherché après la
consommation. D’ailleurs, vaincre ce plaisir est le combat
de chaque individu habitué à la drogue. Effectivement,
c’est dans le rejet du conditionnement que réside la faculté
de choisir. Le désorienté qui atteint ce niveau met en relief
le lien entre la liberté et le choix. « Maintenant, je retrouve
le goût à la vie. Je dors et je me réveille selon mes
préférences. En fonction de ma volonté, je m’organise
librement. Mes choix définissent mes actes. Mais avant,
lorsque j’étais un adepte du khat, on choisissait pour moi.
Je n’avais aucune autorité sur ma personne. Mes décisions
dépendaient de mes penchants. J’agissais comme
quelqu’un de possédé ».

À partir de là, comment notre personnage peut-il


devenir libre pour enfin mener une vie entièrement digne ?

3. Troisième étape : l’effort

C’est ici que fait sens la capacité de l’homme à


pousser son être pour contrer les tensions perpétuelles de
l’existence dans la durée, et parfois, dans la douleur. Il
s’agit, bien sûr, de continuer à se battre en allant contre
vents et marées. « La capacité à ne pas renoncer, à
fournir un effort soutenu et durable, à s’imposer à soi-
même une règle, une discipline, même difficile, et à s’y
tenir est la deuxième pratique essentielle »132. S’efforcer
d’agir implique une contrainte qui oblige l’individu à aller
au-delà de ses limites. Se dépasser devient un critère pour

132
Jacques Attali, Les Chemins de l’essentiel, p.13

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fournir un effort. C’est un mouvement permanent


(durable) et contraignant (douloureux).

3.1 L’effort, une permanence

Pour le meurtri, la seule manière de se maintenir dans


un espace de liberté et donc de choisir ce qu’il fait de sa vie
est la ténacité dans l’action. S’entêter et ne rien céder pour
ne pas succomber encore sous le poids de la dépendance
s’avère comme une méthode efficace. Par conséquent, la
répétition, c’est-à-dire le fait de réitérer le même
comportement jusqu’à l’immunité, et même, au-delà,
s’envisage comme une obligation. De cette façon, ce qui
était auparavant un pouvoir magique et inaccessible se
convertit en une habitude. « Si on installe, par la répétition,
une séquence routinière, les premiers éléments de la
séquence vont entraîner automatiquement l’exécution des
suivants, de plus en plus difficiles. La répétition déclenche
ainsi un processus automatique, qui ancre une action sans
plus faire appel à la volonté. Et permet d’avancer, de
défricher des champs nouveaux »133. Rappelons l’exemple
du nouvel être qui s’efforce d’arrêter le khat et de trouver le
chemin du salut. « Au début, c’était la souffrance. Après le
déjeuner, il m’était difficile de résister à la tentation. Pour
moi, le seul moyen, c’était de faire la sieste. À cette heure-
ci, pendant une trentaine d’années, je me rendais au
mabraze pour le khat. Le sommeil ne venait pas. Mais, avec
difficulté, j’insistais, et grâce à cela, je m’assoupissais.
Aujourd’hui, même si j’arrête ma sieste, la capitulation est
loin derrière moi ».

La liberté, une condition impérative pour l’accès à la


faculté de choisir, se conquiert à l’aide d’un acharnement

133
Jacques Attali, op. cit. p. 14

212
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ininterrompu, à l’aide de la répétition. Prendre conscience


de soi (avoir confiance en soi, oser le premier pas) et
choisir aident le meurtri à se prendre en charge. En même
temps, ils constituent le socle sur lequel repose la liberté
qui se gagne par l’opiniâtreté dans l’action. D’ailleurs, tout
acte qui a une valeur a besoin d’être renouvelé afin de
s’assurer de sa fiabilité. Il faut souligner le cas du
désorienté qui a réussi à ne pas se livrer au khat. Pendant
quelques années, il vit une période où il savoure le plaisir
de manger, de boire, de dormir à fond et de prendre un
temps avec sa famille. Un jour, un ami de longue date,
venant de l’étranger l’invite à « brouter » avec lui. Il cède
et ne réussit plus à s’en sortir. L’enfer reprend de plus
belle et la nuit qui commence risque d’être longue. Ici, la
fiabilité est entachée de ruptures. En tant que répétition,
l’effort a subi un arrêt. Et juste après, la chute annonce sa
présence. Sans un effort répété, de nouveau, le précipice
est prêt à accueillir l’ancien rescapé.

3.2 L’effort, une contrainte

Insister sur un comportement ou une activité a pour


objectif de franchir un obstacle. Des fois, un aléa risque de
perturber le plan tel qu’il a été conçu. Il se peut que l’on
rate une étape dont la perte n’est pas moindre. Il faut donc
tout reprendre sans être sûr que cela fonctionne comme
prévu. Un éternel recommencement provoque donc une
déception susceptible d’affecter l’engagement. Seule, une
personne de caractère, disposée à lutter, sort renforcée et
aguerrie d’une situation semblable. L’effort a comme
corollaire une peine qui naît de la répétition lorsque celle-
ci reste inaboutie. On a du mal à accepter un effort sans
rendement.

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Le désorienté postule un poste d’informaticien dont il


se croit déjà le détenteur dans la mesure où il est le mieux
placé. C’est un rêve de courte durée. Le recrutement
profite à un individu qui n’a pas une notion de la
discipline. Il subit donc une désillusion et entame une
période où le découragement le condamne définitivement
à l’arrêt. En fait, il est en train d’encaisser négativement
les douleurs de l’effort. Il faut faire comme si de rien
n’était. Il est sage d’ouvrir une nouvelle page car rien de
plus consistant que l’effort ne vient à la rescousse. Malgré
la déception, il paie quand on le maintient.

3.3 L’effort, force d’âme

Au cours de l’effort, ce qui se montre comme un échec


n’est autre qu’une épreuve à l’adresse de la personne.
Souvent, on considère des moments de victoires et des
moments d’échecs. Vraiment, il n’y a que des moments de
réussite. « Il y a des victoires qui ne se remportent qu’en
perdant ces batailles, énoncé paradoxal mais qui, je crois,
contient quelque chose du secret de l’existence humaine.
Hâtons-nous donc d’échouer, car alors nous rencontrons
le réel plus encore que dans le succès. Parce qu’il nous
résiste, nous le soumettons à la question ; nous le
regardons sous tous les angles. Parce qu’il nous résiste,
nous y trouvons un appui pour prendre notre élan »134.
L’échec est le lieu où se vérifie le sens de l’humanité de
l’individu. Il forge sa ténacité pour être taillé aux défis de
tous les jours. « La difficulté attire l’homme de caractère,
car c’est en l’étreignant qu’il se réalise lui-même »135.
Comme un bois taillé sous l’effet d’une activité
industrielle, au bout d’une épreuve vécue d’une manière

134
Charles Pépin, Les Vertus de l’échec, p. 8
135
Charles De Gaulle, Le Fil de l’épée, p. 17

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stoïque, l’homme devient fort et endurci. Mieux préparé


donc pour un sort où tout est imprévisible, il s’approprie
une façon propre de ménager les choses.

Le nouvel être a l’habitude d’esquiver la confrontation


avec le réel. Il préfère un terrain balisé où rien n’obstrue sa
volonté de mener une existence uniforme. La vie perturbe
sa personne non habilitée à traverser des tensions qui
naissent de cette réalité. La défaite vient de la carence en
vitalité et en énergie. Elle vient aussi du fait qu’il a du mal à
comprendre les bienfaits de l’échec pour le développement
personnel. « Waa bakhti », qui veut dire « c’est un
cadavre », répète, le milieu qu’il intègre. Pour les gens,
puisqu’il a perdu la vitalité, il est comme mort et enseveli.
Mais, au lieu de rester inutilement en vie, ils préfèrent qu’il
soit disparu une fois pour toutes. « Que sa silhouette s’en
aille. De toute façon, il ne représentait plus rien. De plus,
c’est une charge de moins pour la famille », dit son
entourage. Jamais, la société n’a espéré la mort pour une
personne car la foi interdit un souhait de cet ordre. En
revanche, ici, une grande majorité s’accorde sur son trépas.

4. Quatrième étape : le partage

Jusqu’à présent, grâce à la prise de conscience, le


nouvel être a arrêté le khat. Il a choisi d’agir librement
avec acharnement dans le but de se reconstituer. À l’issue
de ces étapes, le désorienté s’est soustrait de la paralysie.
À sa place, surgit donc une personnalité cachée et étouffée
par l’altération et le décroissement.

Ce processus de réhabilitation passe par le partage. En


effet, finalement, le meurtri, dans son évolution actuelle,
aura les capacités d’entraîner avec lui son entourage et de
créer un environnement différent de celui qu’il côtoyait.

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Avec les siens, il est en mesure de conduire des projets de


vie à travers lesquels la société affirme sa raison d’être.
Mais, avant d’aller au bout de ce long voyage, il est bel et
bien nécessaire qu’il soit indépendant.

4.1 Se suffire, c’est exister

À ce stade, conscient et tenace, le rescapé n’est plus


sous l’effet du khat. Il se maîtrise et se situe hors du danger.
Dans ce genre de situation, la crainte est de faire une
rechute. Mais, une à une, si les étapes sont respectées, il est
sauvé en définitive. Déjà, il a changé de physionomie. Il a
retrouvé les couleurs de ses vingt ans. Hélas, physiquement,
sur lui, la plante a laissé des séquelles. Tant pis ! C’est un
moindre mal ! Maintenant, il faut aller au-delà et construire
une nouvelle vie.

Pour ce faire, subvenir à ses besoins vient en tant que


priorité. Le travail est une valeur parce qu’il constitue la
rupture avec la dépendance. En fait, le meurtri attristait les
gens par ses demandes récurrentes. Il était toujours là.
Partout et à n’importe quel moment. Il harcelait les
concitoyens par une série de petites quémandes
moralement gênantes. Il ne lâchait pas sa victime tant
qu’elle ne répondait pas positivement à sa requête. Il
énervait tout le monde. Cependant, la seule façon de
renouer avec son honneur et de reconquérir son image est
d’être actif. Même si le niveau d’instruction est bas et que
le marché du travail devient saturé, il y a la possibilité de
se débrouiller en créant une petite activité. Beaucoup de
jeunes, venus des pays frontaliers, fraichement arrivés à
Djibouti, parviennent à vivre avec un revenu issu d’un
petit savoir-faire mis au service du citoyen. Tout est
question d’ingéniosité et de tact. « Allez ! Va-t’en ! Tire-
toi de l’embarras ! Ici, il y a moyen de créer une petite

216
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richesse. Cela demande un peu d’astuce et de témérité »,


dit-on, au nouvel être lorsqu’il insistait sur son vœu.

Il y a l’exemple de ce meurtri qui avait un revenu


stable, mais qui était versé dans les vices. Bien avant la fin
du mois, ses amis se méfiaient de ses sollicitations.
Personne ne répondait à ses appels téléphoniques. Il ne
demandait rien de vital. Financièrement, il voulait que tout
le monde organise ses plaisirs. Il a dû quitter son emploi.
Longtemps après, il se ressaisit. Il s’appuie sur sa foi. Il
redevient lui-même. Il quitte son petit monde. Finalement,
il monte une petite entreprise à lui. Il se suffit et pense à
fonder un foyer. Il achète une parcelle de terrain qu’il
construit. Là, il installe sa famille. Aujourd’hui, malgré les
péripéties d’avant, dans la société, il bénéficie d’une
notoriété inégalée. Il est considéré comme quelqu’un qui
s’est reconstitué grâce à une force inhérente à lui. Partout,
où on le croise, il fait l’objet d’éloges sans fin. Il devient
un exemple type pour quiconque veut sortir d’une
situation identique.

Se suffire concerne aussi le désorienté qui est très bien


rémunéré, et qui, pourtant, sans femme ni enfant, demande
à sa banque une avance sur salaire. En moins de deux
semaines, il consomme le tout. Puis, l’arnaque commence
pour la famille et les amis. De surcroît, il doit quelques
mois de loyer à son propriétaire. C’est ici donc que
devenir indépendant prend tout son sens. À Djibouti, son
salaire peut suffire à quelques familles. Pour lui, il est
temps de se prendre en charge. Cela implique de ne plus
dépendre de quelqu’un d’autre et de se projeter dans
l’avenir en ne comptant que sur soi. A partir de là, aimer
devient possible.

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4.2 Aimer, c’est fonder

De plus en plus, notre rescapé gagne de l’humanité. Il


est sain de corps et d’esprit. Il a la capacité de gérer ses
affaires. Mais, il se sent incomplet. Il veut aimer et être
aimé. Il se rend compte qu’il n’est qu’une moitié. Par
conséquent, pour qu’il soit intégral, il lui faut l’âme sœur.
Ici, pour un homme, les femmes sont disponibles, à
condition qu’elles soient aimées. Pour une femme, les
hommes le sont aussi, à condition qu’ils soient compris.
L’amour, s’il parvient à être géré avec équilibre, sert
d’énergie à la lutte contre les difficultés. Quelqu’un qui a
derrière lui une personne qui l’aime, se sent fort et
invaincu. Depuis qu’il était devenu « le nouvel être »
personne n’avait de l’amour pour lui sauf sa mère. Si elle
était vivante. Cet amour était spontané. De son côté, rien
de ce qui crée de la compassion chez l’autre n’a été
réalisé. Au contraire, ses actes poussaient les gens à la
répulsion. L’amour est donc pour lui une nouvelle
aventure. Il en a besoin, et désormais, il peut trouver les
mots pour le dire car le plaisir d’aimer s’installe chez lui
en force. Longtemps, il a été plongé dans la solitude. Il est
prêt à entendre des mots de tendresse. Jamais, il n’a goûté
la chaleur d’un être proche de lui.

Ce facteur est un facilitateur. Pour lui, l’amour est un


domaine vierge et dont le besoin se montre énorme. Si
l’on admet sa difficulté de prendre contact avec une
femme, ou vice versa, étant donné sa solitude, les réseaux
sociaux peuvent relayer son amour. Derrière l’écran, il y a
la possibilité de se raconter. Une fois la barrière cassée, les
sentiments se déchainent et se parler de vive voix
s’installe doucement. Aimer se convertit enfin en un acte
responsable. Le mariage, tant attendu par la famille et les
amis, prend forme et la stabilité auréole la vie du rescapé.

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Il ne veut plus entendre parler d’un passé qu’il qualifie de


honteux. Pour lui, sa vie commence aujourd’hui. Il entend
gommer ses déboires et ne retenir que la période d’un soi
guéri et rétabli.

Le nouvel être déjà marié s’est incliné face à une


volonté familiale, en général, maternelle. Selon la mère, il
fallait qu’il participe à l’histoire par le fait d’enfanter. On
l’a marié donc. Son épouse, il ne l’a pas aimée. La relation
s’apparente à une sorte de comportements mécaniques sans
grande conviction. Ce mariage, il ne l’avait pas à cœur. Il a
suivi une tradition qui mise sur les enfants, surtout, les
garçons. Sa femme a été utilisée comme une usine de
fabrication envers qui le mari n’a aucune compassion. Elle
n’a qu’une mission : procréer pour faire durer le nom du
désorienté. Sa présence au foyer se résume à ce rôle qui
s’annule si elle se révèle stérile. Elle doit s’en aller car son
incapacité à pérenniser la lignée de son mari la condamne
au divorce. Elle a failli à son rôle, et en conséquence, elle
n’a qu’à laisser la place à une autre qui peut donner des
garçons en nombre. Maintenant, il renaît. Même si sa
femme a un problème de stérilité, il s’évertue à trouver une
solution médicale. Parce qu’il a renoué avec une valeur
humaine : aimer quelqu’un. Il voit l’amour comme le
ciment qui tisse en profondeur la relation entre les humains.
Surtout, entre un couple.

4.3 Aider, c’est construire

Dès lors, le rescapé s’améliore. Il a appris à aimer, et a


posteriori, à construire. La vie de couple prend un sens
plein quand l’amour unit les deux partenaires. Quand la
douleur, la joie et la déception se confondent. Quand le
sommeil vient en même temps. Le réveil aussi. Quand
l’absence de l’un signifie l’absence d’une moitié de soi.

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Sérieusement, le bonheur de l’un conditionne celui de


l’autre. Dans cet état d’esprit, pour l’époux, assister son
épouse s’envisage comme un bonheur. Comme un acte
d’amour. Malgré la difficulté de l’action, le plaisir de
servir sa bien-aimée rend un fardeau plus facile à porter.
Le geste que l’on fait avec cœur emplit son auteur de
satisfaction. Par extension, l’amour pour son prochain
amène la personne à s’investir dans l’intérêt de la société.
Le bonheur individuel se mêle au bonheur collectif.
« Prendre conscience de l’indépendance de soi et du
monde ; réaliser que le malheur pour soi vient presque
toujours de notre aveuglement, de notre résignation
devant le malheur des auteurs ; qu’on ne peut rien réussir
pour soi si on ne fait pas plaisir, ou si on n’est pas utile, à
d’autres »136.

Aimer son partenaire et ses enfants va conduire le


rescapé à avoir de la compassion pour la société. L’amour
à deux et à plusieurs, entre les éléments d’une même
famille, donne, non pas l’obligation d’aimer l’autre, mais
le plaisir de faire un don de soi. Grâce à l’amour acquis à
l’échelle du foyer, un espace étroit, il apprend à aimer un
public plus large et dans un espace plus large. Aimer est
donc une sorte d’énergie qui offre à l’individu
l’opportunité de se prendre en charge et de prendre en
charge sa famille et son peuple. C’est une force qui ouvre
la voie au partage sans jamais douter des résultats en
perspective. Aider naît de l’amour comme l’amour naît de
l’action. Ce sont deux valeurs qui se complètent et qui
fonctionnent en parfaite harmonie.

136
Jacques Attali, Vivement après-demain, p. 67

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5. Un nouveau citoyen

Que le nouvel être soit un adepte du khat ou non,


instruit ou non, au chômage ou non, âgé ou non, marié ou
non, s’il suit scrupuleusement les étapes que nous venons
d’exposer, il est fort probable qu’il sorte de cette impasse.
Effectivement, dans un effort permanent, il a choisi
librement de devenir autre. Ce choix fait appelle à
considérer deux éléments :

- Le fait de choisir est un exercice difficile à partir du


moment où la liberté intervient avec intensité. Mais,
une autre dimension entre en jeu et entraîne le monde
qui entoure celui qui est appelé désormais le nouveau
citoyen. L’image que les gens se font de lui devient
idyllique. Son parcours les a marqués. Il passe de la
mort à la vie et continue à grimper la montagne jusqu’à
marcher sur le faîte. Cela enchante tous et donne
l’envie de scruter ses pas. Et là, le choix qu’il opère
devient le leur. S’il choisit, il choisit pour eux aussi. En
fonction de ses décisions, il oriente leurs aspirations.
C’est donc à travers lui qu’ils soutiennent la liberté de
choisir. L’inconvénient, c’est de perdre l’indépendance
de l’action et de suivre aveuglément ce nouveau
citoyen. Dans ce cas, son désengagement peut
provoquer le leur et ceci constitue une trahison aux
valeurs qui méritent d’être défendues quelles que soient
les circonstances. Cette crainte est réelle et la
détermination d’être autonome dans ses convictions
n’est pas sujette à une négociation.

- Pour lui commence une période où il doit se conduire


comme un leader capable de guider les siens en
s’arrogeant toutes les qualités requises pour répondre à
cette exigence. La responsabilité fait appel à être

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sincère, tenace et réaliste. Il est censé faire progresser


les gens de manière à éviter tout risque et à garder une
unité plus que jamais nécessaire. Le malheur serait de
trahir un peuple modeste, non instruit et naïf, ayant eu
la confiance de croire en son engagement.

C’est sûr, il renaît. Il a quitté la nuit pour habiter ce


monde et changer l’ordre des choses autant que faire se
peut. Il renoue avec le réel malgré ses contradictions. Il agit
à cet instant à la lumière d’hier en espérant un futur moins
douloureux. « Tout ce qui précède permet de se mettre en
situation de résilience et de courage ; de tirer les leçons de
ses échecs, sans en faire porter la responsabilité à d’autres.
De ne jamais laisser s’éteindre la rage contre l’humiliation,
la frustration, l’aliénation 137». Pour lui, il n’est plus
question de revenir en arrière. Derrière, les sables mouvants
risquent d’avaler quiconque songe à retourner sur ses
traces. « Apprendre à survivre au deuil, au chagrin ; en
particulier, ne pas se sentir coupable d’être un survivant
d’une catastrophe naturelle, d’un accident ou d’un
attentat ; ne pas culpabiliser d’un échec professionnel ou
sentimental. Toujours avancer ver l’essentiel : devenir
soi »138.

Il redevient soi-même dans la mesure où il choisit


selon sa volonté. Il retrouve la capacité de se redéfinir, de
s’affirmer et de se positionner. Son statut d’homme libre
lui permet de recadrer ses choix en fonction de ses
préférences. Longtemps, on avait décidé pour lui.
Dorénavant, il a mis fin à cet anéantissement. Il remet tout
en question. Il a du mal à réaliser comment la gestion de
sa vie se faisait sans lui. Il a « la rage comme moteur de

137
Jacques Attali, Vivement après-demain, p.68
138
Jacques Attali, op. cit. p. 68

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l’action, pour se construire, pour se sauver, pour


comprendre la relation entre soi et les autres »139.

C’est un nouveau citoyen qui fait de l’effort, en


l’occurrence le travail, une passerelle pour parvenir à la
renaissance. Il croit à l’action et il est convaincu que
l’homme n’est pas pleinement humain sans compter sur son
semblable. Sans l’amour, agir risque de rester stérile. L’envie
de changer le monde naît quand on réussit à changer le soi.
Désormais, il songe à se mouvoir au nom de l’intérêt
collectif grâce à l’amour qu’il porte pour l’humanité tout
entière. « Le bien se partage » est son credo.

6. Une nouvelle ère

Le nouveau citoyen est maintenant prêt pour la


reconquête de la dignité collective. L’honneur individuel
n’a pas assez d’effet s’il n’est pas accompagné d’un
sentiment général de bien-être mental, psychologique et
physique. La seule possibilité de vivre ce genre
d’épanouissement consiste à retrouver la liberté. Comment
obtenir cette dernière alors que les conditions paraissent de
plus en plus difficiles ?

Dans ce sens, les propositions d’Al-Kawâkibî ont l’air


d’être intéressantes, mais, avant cela, il appartient au
citoyen venant de naître de penser à la prohibition du khat.
Franchement, c’est un acte périlleux puisque cette
« drogue » fait partie intégrante d’un système très bien
encadré destiné à avilir le peuple. Dès que l’intention de le
combattre naît, la résistance s’annonce féroce et sans pitié.
Il génère de l’argent et défait l’âme d’un opposant
potentiel. Il détruit également l’homme et ses valeurs.

139
Jacques Attali, op. cit. p.67

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Grâce à cette plante, l’on arrive à neutraliser tout le


monde. Il faut donc procéder graduellement selon le plan
qui suit :

- Créer des groupes de discussion sur les réseaux sociaux


rassemblant des gens ayant une expérience de la
question et dont le nouveau citoyen et ses compères
sont les principaux acteurs. Ce sont des forums à l’issue
desquels on espère l’établissement d’une feuille de
route.

- Donner la parole à ceux qui ont raté l’essentiel à cause


du khat et qui se sont rachetés après une lutte
interminable.
- Commencer une campagne de sensibilisation sur les
réseaux sociaux au moyen de laquelle on mise sur la
conscience. Rarement, un travail de ce type n’a été fait
dans une grande dimension.

- Faire des jeunes une cible particulière et proposer des


activités sportives et culturelles comme alternative.

- Préparer des reconversions professionnelles à l’aide des


économistes étant donné qu’il est insensé d’arrêter ce
commerce sans prévoir des domaines vers lesquels
basculent les gens qui dépendent de lui.

- Préparer la psychologie des commerçants afin de les


convaincre et de les rassurer car presque deux
générations ont eu ce commerce comme source de
financement.

- Éviter une méthode brutale qui fait avorter ce plan


compte tenu de l’opposition farouche de l’État contre
une action de cette portée. Il faut se donner le

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maximum de temps pour que ce programme soit réussi.


L’essentiel, c’est de faire tomber ce colosse qu’est le
khat quelle que soit la temporalité.

Enfin, pour avoir raison du despotisme, Al-Kawâkibî,


suggère trois « règles » :

- Selon lui, « le peuple qui ne souffre pas du despotisme,


du moins dans sa grande majorité, ne mérite pas la
liberté »140. Pour lui, dans les précipitations, faire tomber
un dictateur, sans préparer le citoyen qui devrait
apprécier la valeur de la liberté conquise, serait une
catastrophe. Il y a le risque de remplacer un mal par un
mal plus grand car l’animosité porte sur quelqu’un et
non sur un système. « Il faut premièrement insuffler la
vie à la nation, c’est-à-dire la conscience de sa
mauvaise situation et de la possibilité de l’améliorer.
Dès lors qu’une partie de la nation commence à souffrir
du despotisme, ce sentiment peut se répandre pour
gagner la majorité »141. Sa position est de mettre
l’accent sur la conscientisation du peuple plutôt que de
renverser un ordre pour placer un autre. Il envisage de
couper les racines de l’arbre et non les branches qui
pousseront aussitôt. Il s’agit de faire sentir au citoyen
que ce système est la source même de leur chute. Le
leader, ici notre nouveau citoyen, qui est censé montrer
aux gens comment la dictature tue la dignité de
l’homme, doit répondre à une série de critères. Parmi
ceux-là, il cite : « la sincérité, la probité, et la fidélité ».

- Il pense que « le despotisme ne doit pas être combattu par


la force mais la sagesse et par étapes ».142. Il privilégie

140
Abd al-Rahmân Al-Kawâkibî, Du Despotisme et autres textes, p.74
141
Ibidem p. 74
142
Ibidem p.74

225
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l’action pacifique, instructive et évolutive, méthode


essentielle pour défier un colosse comme un État. « Le
seul moyen efficace d’arracher les racines du despotisme
est une prise de conscience du peuple, qui n’advient que
par l’éducation et l’incitation. Convaincre l’ensemble de
l’opinion d’accepter l’inconnu exige beaucoup de
temps »143.

- Il écrit qu’avant « de combattre le despotisme, il faut


préparer par quoi le remplacer »144. Intelligemment, il
souligne la nécessité de déterminer au préalable
l’objectif de l’action et le chemin qu’il faut emprunter
pour y parvenir. À ce niveau, toute confusion attire
l’attention du despote à qui profite la moindre faille.

Pour l’avènement d’une nouvelle ère, il faut mettre en


application les idées d’al-Kawâkibî et inclure la
proscription du khat en fonction du processus
susmentionné. A posteriori, à ce stade de notre réflexion,
le nouveau citoyen est en mesure de conduire un
changement qui s’appuie sur les valeurs qui sont
aujourd’hui les siennes.

143
Ibidem p.74
144
Abd al Rahmân al-Kawâkibî, op. cit. p.76

226
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CONCLUSION

Cet ouvrage a pour objectif d’attirer l’attention du


lecteur sur un phénomène à la fois historique, social et
psychologique. Il est né, il y a déjà des décennies. Mais, ce
n’est que tardivement que l’on aperçoit son émergence
avec acuité. En effet, dans la société djiboutienne, comme
dans les sociétés qui connaissent des circonstances
identiques, un personnage tout à fait nouveau, caractérisé
par un nombre de comportements, fait son apparition.
C’est vrai, tout le monde n’est pas en mesure de le
distinguer car cela exige un minimum d’intérêt pour ce qui
advient à la réalité. Néanmoins, chez beaucoup d’entre
nous, sa présence, un peu pléthorique, suscite des
interrogations. Surtout, sa façon de vivre et de parler
surprend son entourage. En fait, vivre et parler permettent
d’extérioriser son intérieur.

L’avènement du nouvel être a un lien avec l’histoire.


En partie, les conditions qui l’ont fait naître résident dans
la colonisation. Bien sûr, un mouvement pensé et
sophistiqué destiné à conquérir le monde. Pour ce faire, il
fallait spolier la liberté de l’être et détruire ce qu’il y a de
plus beau en lui : la dignité. Des fois, il a été considéré
comme un objet. Souvent, comme un être bestial. Son
intégrité a été remise en question, puis, brisée et anéantie.
Tout a été fait pour qu’il croie à la suprématie du sauveur
venant de loin et au secours d’un égaré, incivilisé et
irréligieux. Selon le colon, il faut ramener ce personnage
dans le rang de l’humanité et dans le chemin de Dieu pour
l’enfoncer encore dans l’aliénation. Il a été façonné d’une
manière de perdre définitivement le soi.

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L’avènement du nouvel être a un lien avec la société.


Parce qu’il est question d’un personnage né et grandi dans
un espace humain. Ce n’est pas une sorte de vagabond, un
peu marginal, issu d’une conjoncture financière. Ce
phénomène se montre partout où les États se heurtent à des
difficultés économiques. Mais, ici, le désorienté est
présent en abondance et dans toutes les catégories. Il est
homme ou femme, instruit ou non, haut responsable d’un
département ou simple employé, actif ou au chômage.
Quel que soit son âge, il a le même profil. Il est absent,
effacé et superficiel. C’est comme un nageur qui n’a
jamais plongé.

L’avènement du nouvel être a un lien avec la


psychologie. Ses attitudes et ses raisonnements ont
quelque chose d’infantile. Il a l’air d’un adulte qui manque
de maturité. Il est comme inachevé dans son évolution. De
plus, l’étonnement bat son plein lorsqu’il est avancé dans
l’âge et qu’il s’accroche à une chose dont un enfant aurait
le minimum de pudeur de se détacher. Ou quand il prétend
être la meilleure personne pour diriger le pays alors qu’il
est incapable de se prendre en charge. De sa part, ce n’est
pas une boutade, mais, une vérité, et, il en est convaincu.

Ce travail a consisté à observer la société et à étudier


son évolution et sa métamorphose au moyen des concepts
permettant de mieux comprendre les mutations qui
surviennent. Se faire déposséder de sa langue et de sa
culture fait référence à l’acculturation, synonyme d’un
déracinement qui a lieu avec beaucoup de douleurs. Ne
pas se prononcer sur son sort et attendre tout d’une seule
personne finit par l’abrutissement de l’individu. Après
avoir perdu les capacités de choisir, il accepte tout. Il est
chosifié. Il se laisse conduire par les évènements qui
auront l’autorité de décider de son futur. Cette démarche

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donne l’opportunité de classer les carences du désorienté


selon des domaines : son indisponibilité à gagner sa vie,
ses incompétences à organiser son discours, ses
incapacités à réfléchir, sa défaillance confessionnelle, sa
conduite culturelle, le mépris de soi et de l’autre, son
désamour avec le pays et le monde. A la lumière de
notions qui nous paraissent valides, on a pu nommer les
souffrances du meurtri, et, en même temps, grâce à elles,
en guise de réparation, on a pu proposer un projet de
sauvetage. Certes, si le nouvel être s’investit, l’espoir de le
voir renaître est grand.

Ce texte décrit un personnage dont la déchéance


provient de l’histoire coloniale et postcoloniale, lieu par
excellence de tous les drames. Démêler les évènements et
engager un examen qui ne tient compte que du vrai semble
être utopique. Avec le peu de moyens à notre disposition,
en l’occurrence la réflexion et les textes de référence, on a
pu mener ce débat. Il y a bien l’existence d’un être
atypique et décadent. Néanmoins, il a la possibilité de se
ressaisir et de se servir des étapes que nous avons
introduites comme étant une issue de secours.

Enfin, cette analyse s’appuie uniquement sur


l’observation. Il se peut donc que certaines de nos
remarques manquent leur cible. Cependant, il s’agira d’une
erreur qui émane de notre mauvaise appréciation par rapport
à une réalité complexe. Le sujet, à peine amorcé, a besoin
d’être passé au crible. Il faut avoir en tête l’aspect fort relatif
de ce texte qui ne reflète qu’une tentative d’explication à un
phénomène multidisciplinaire. Historiens, sociologues et
psychologues doivent se mêler à cette observation et
exposer leurs points de vue. Il convient d’affiner les idées ici
présentes et de les éplucher afin de mieux faire connaître le
personnage en question au grand public.

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION ...................................................................13

I. SON RAPPORT AVEC LE SORT .......................................21


1. Concrètement, comment se dessine ce rapport ? .............22
2. Comment expliquer cette paresse ? .................................26
2.1 L’absence d’un État de droit ..........................................26
2.2 La culture ambiante .......................................................28
2.3 La tradition ....................................................................30
2.4 L’ignorance ....................................................................32
2.5 De la tribu au tribalisme ................................................34
2.6 L’éternelle immaturité ...................................................38

II. SON RAPPORT AVEC LE VERBE ...................................41


1. Le nouvel être : l’origine du verbe ..................................43
1.1 L’école coloniale ............................................................43
1.2 L’école nationale ............................................................49
1.3 Le produit de l’école ......................................................56
1.4 Le produit du système....................................................61
2. Quel est donc le rapport du meurtri avec le verbe ? ........62
2.1 Le meurtri de l’école coloniale et le verbe ........................63
2.2 Le meurtri de l’école nationale et le verbe ....................64

III. SON RAPPORT AVEC LE RAISONNEMENT ...............67


1. Le meurtri et le raisonnement ..........................................67

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2. La réception du rationnel .................................................74


2.1 Le meurtri et l’énoncé rationnel ....................................74
2.2 Le meurtri et l’autre rationnel ........................................81
3. Raisonner, c’est exister ....................................................86
4. Raisonner, c’est résister ...................................................88

IV. SON RAPPORT AVEC LA FOI ........................................91


1. Sa croyance religieuse .....................................................91
2. Sa conception religieuse ..................................................96
3. Sa science religieuse ........................................................98
4. Sa pratique religieuse.....................................................100
5. Sa morale religieuse.......................................................103
6. Son engagement religieux .............................................104

V. SON RAPPORT AVEC LUI-MÊME ET LES AUTRES ..107


1. Intelligence personnelle : se connaître et connaître l’autre 107
1.1 « S’orienter vers le soi » ..............................................108
1.2 « Maitriser sa vie personnelle » ................................... 111
1.3 « S’orienter vers les autres »........................................ 116
1.4 « Maitriser son rôle social » ........................................ 118

VI. SON RAPPORT AVEC LA CULTURE ..........................121


1. Absence de l’individuel .................................................121
2. Hospitalité......................................................................123
3. Respect de l’âge .............................................................124
4. Femme vs homme..........................................................127

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5. Oralité ............................................................................129
6. Approche avec le temps .................................................131
7. Approche avec l’espace .................................................134

VII. SON RAPPORT AVEC LE PAYS ET LE MONDE ......137


1. Sa citoyenneté ................................................................137
1.1 Il est actif .....................................................................139
1.2 Il protège l’environnement ..........................................144
1.3 Il est libre .....................................................................146
1.4 Il incarne une cause .....................................................150
2. Le nouvel être et le monde ............................................153

VIII. SON RAPPORT AVEC LE FUTUR.............................157


1. Un présent sans futur .....................................................157
2. Un futur déréalisé ..........................................................165
2.1 Le futur, c’est espérer ..................................................165
2.2 Le futur, c’est progresser .............................................167
2.3 Le futur, c’est exister ...................................................169

IX. L’ORIGINE DE LA DESORIENTATION ......................173


1. Le meurtri lui-même ......................................................173
1.1 Un être dépourvu de résistance ....................................175
1.2 Un être dépourvu de valeurs ........................................177
1.3 Un être dépourvu d’objectifs .......................................181
2. La colonisation ..............................................................182
2.1 L’espace du colonisateur..............................................183

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2.2 L’espace du colonisé ....................................................184


2.2.1 Projet de déshumanisation ....................................185
2.2.2 Projet d’aliénation.................................................188
2.2.3 Projet de l’éternité ................................................189
3. La dictature ....................................................................190
3.1 Variante coloniale ........................................................191
3.2 Système unique ............................................................194
3.3 Système d’inculture .....................................................197
3.4 Système d’altération ....................................................199
3.5 Système d’affamement ................................................200
3.6 Système de division .....................................................201
3.7 Système de sécurité .....................................................202

X. ACTION DE RÉHUMANISATION ................................205


1. Première étape : la prise de conscience .........................207
1.1 Avoir confiance en soi .................................................208
1.2 Oser faire le premier pas ..............................................209
2. Deuxième étape : le choix .............................................210
3. Troisième étape : l’effort ............................................... 211
3.1 L’effort, une permanence .............................................212
3.2 L’effort, une contrainte ................................................213
3.3 L’effort, force d’âme ....................................................214
4. Quatrième étape : le partage ..........................................215
4.1 Se suffire, c’est exister.................................................216
4.2 Aimer, c’est fonder ......................................................218
4.3 Aider, c’est construire ..................................................219

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5. Un nouveau citoyen .......................................................221


6. Une nouvelle ère ............................................................223

CONCLUSION .....................................................................227

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Abdourahman Barkat God

Abdourahman Barkat God


LE PORTRAIT DU NOUVEL ÊTRE
Réflexion sur l’Homme
dans le contexte djiboutien
LE PORTRAIT DU NOUVEL ÊTRE
Philosopher sérieusement nécessite de réfléchir à partir
d’un lieu et d’un temps précis. C’est ce qui s’opère dans cet Réflexion sur l’Homme
ouvrage. Depuis Djibouti – pays indépendant depuis 1977 dans le contexte djiboutien
après plus d’un siècle de colonisation –, l’auteur s’interroge à
juste titre sur l’humaine condition.
Porté par le moule culturel traditionnel mais le détournant à
son profit, pris par des habitudes nouvelles (comme l’extension
de la consommation du khat), usant de la religion sans
discernement, se laissant manier par une trame socio-politique

LE PORTRAIT DU NOUVEL ÊTRE


qui entretient ses faiblesses : que vaut l’Homme ? Quelle
conscience a-t-il de lui-même et des autres ? Que fait-il et que
veut-il ?

Abdourahman Barkat God, né en 1966 à Djibouti, enseigne d’abord


comme instituteur, puis, après l’obtention d’un DEA en 2003, comme
professeur de français au lycée d’État de Djibouti. Il obtient son doctorat
de lettres en 2010 et travaille alors au département des langues du
Centre d’études et de recherche de Djibouti (CERD).

Préface de Farah Abdillahi Miguil

Illustration de couverture : Patrick Singh POINTS DE VUE


ISBN : 978-2-336-40332-8
25 €

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