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II

L’ANNÉE DOUCE
Les Noces de Cana, la Pêche miraculeuse. — Nicodème. la Samaritaine. — Malades
guéris, Tempête apaisée, Démons vaincus. — L’Hémorroïsse. la Fille de Jaïre. — Le
Paralytique de la Piscine, Magdelaine.

LES NOCES DE CANA. LA PÊCHE MIRACULEUSE.

ROIS jours après la promesse faite à Natha-


naël, commence cette vie d’enseignement
public dont la fécondité demeure inexplica-
ble à qui n’y reconnaît pas la divinité.
La première scène est à Cana, petite ville
de Galilée, dans une maison où se célé-
braient des noces. La sainte Vierge y assis-
tait, sans doute comme parente, et proba-
blement présidait le festin. Jésus y vint ac-
compagné des premiers disciples. À la prière
de Marie, il fit un miracle dont on verra tout
Initiale d’un Flavius Josèphe du e siècle.
XII
de M. Ambr. Firmin-Didot.
à l’heure le sens profond ; mais sa présence
aux noces renferme un autre enseignement
qu’il faut d’abord connaître. Il vient renouveler l’homme. Comme il est
entré dans le fleuve de la pénitence pour sanctifier l’eau, qui sera la ma-
tière du sacrement de la régénération spirituelle, il traverse cette fête des
noces et la glorifie par un miracle pour honorer à jamais le mariage, sa-
crement futur qui purifiera la source de la vie.
Le mariage était alors, même chez les Juifs, le plus méprisé des
contrats. L’historien Josèphe, homme grave, nous apprend qu’il avait di-
vorcé trois fois. Le divorce et le célibat exténuaient la société romaine.
Auguste y cherchait remède. Il commandait des lois à son Sénat et des
vers à ses poètes ; mais la loi qui obligeait au mariage portait le nom de
deux consuls célibataires, et il n’y avait pas de célibataire plus déterminé
qu’Horace, qui faisait les meilleurs vers. L’Empereur rencontrait presque
la même difficulté à trouver une jeune fille qui acceptât d’être vestale,
une matrone qui ne divorçât point, et un riche qui voulût se marier. Jé-
sus-Christ donnera au mariage la double majesté du sacrement et de
l’indissolubilité. Contre les ennemis qui voudront le replonger dans son
ancien avilissement, il lui fait un rempart éternel de sa présence, afin
qu’au moins parmi les fidèles, l’indissolubilité conjugale puisse prévaloir
sur toute corruption des doctrines, des mœurs et des lois. C’est donc le
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mariage, c’est-à-dire la famille chrétienne, qu’il commence de fonder. À


la base, il pose son souvenir ; d’une parole il achèvera l’édifice.
Remarquons une fois pour toutes que beaucoup de paroles et
d’actions de Jésus ne furent pas immédiatement comprises, même des
Disciples et des Apôtres. Ils avaient les miracles et ils auront le Saint-
Esprit ; ces choses sont dites et ces actions sont faites pour le monde
futur. Pour nous qui devions les entendre dans la suite des âges, tantôt
par les fruits qu’elles ont portés, tantôt par les interprétations de l’Église.
C’est le perpétuel miracle qui réjouit nos cœurs, nos esprits et nos yeux ;
il réjouira jusqu’à la fin toute la postérité du Christ. La manne tombait du
ciel toujours la même, et cependant toujours variée suivant les goûts de
ceux qui la mangeaient ; l’Évangile donne sa moisson de vérité, toujours
la même et toujours nouvelle, suivant les besoins du monde au temps où
elle éclôt. Les clartés antérieures demeurent dans le trésor de la foi, les
nouvelles clartés apportent les réponses faites d’avance à des objections
non encore élevées, mais que l’Esprit-Saint a prévues. Ainsi l’Évangile,
en qui toutes les prophéties anciennes reçoivent leur accomplissement,
est lui-même une prophétie permanente.
Le miracle de Cana fut un de ces actes prophétiques par lesquels Jé-
sus-Christ, en se manifestant, voulut encore prédire son Église.
Pendant le festin, le vin étant venu à manquer, Marie, cédant au mou-
vement naturel de sa bonté, et sans doute aussi à l’impulsion divine, se
tourna vers Jésus et lui adressa cette parole, ou plutôt cette prière mysté-
rieuse : « Ils n’ont plus de vin. » Jésus parut refuser ce que sa Mère de-
mandait. Il lui dit : « Femme, qu’y a-t-il entre vous et moi ? Mon heure
n’est pas encore venue. » Mais Marie dit aux serviteurs : « Ce qu’il vous
dira, faites-le. »
Il y avait là six amphores de pierre qui servaient aux purifications. Jé-
sus ordonna aux serviteurs de les remplir d’eau, et lorsqu’ils les eurent
remplies jusqu’au bord, il leur dit : « Puisez maintenant. » Les six urnes,
qui contenaient chacune de deux à trois mesures, se trouvèrent pleines
d’un vin dont la saveur excellente surprit tous les convives. L’évangéliste
saint Jean, témoin oculaire, ajoute : « Ce fut ainsi que Jésus fit dans Cana
de Galilée « le premier de ses miracles, et ses disciples crurent en lui. »
L’augmentation de la foi dans les disciples était la raison immédiate du
miracle, et une raison suffisante, puisque de leur foi dépendait leur salut,
comme le nôtre. Mais Jésus ne fait rien qui se borne à la circonstance.
Dans ce que l’on vient d’entendre, rien n’est sans mystère et sans ensei-
gnement. Sa réponse à la sainte Vierge est une nouvelle déclaration qu’il
fait de sa divinité ; elle était opportune au début de sa carrière publique.
88 JÉSUS-CHRIST VIVANT

IV – LES NOCES DE CANA


« Comment Nostre Seigneur fist de l’eaue vin ès nosses qui furent faites en Cana (Gali-
lée), ainsi que saint Jehan le dist en son Évangile » – D’après une miniature d’un ma-
nuscrit du XIVe siècle.
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En lui disant que les convives n’ont plus de vin, Marie comme la suite
le prouve, lui demande un miracle. C’est donc à la nature divine qu’elle
s’adresse, et c’est la nature divine qui lui répond : « Femme, qu’y a-t-il de
commun entre vous et moi ? » Car, encore que Marie soit la mère de
l’Homme-Dieu, et par une suite de l’indissolubilité des deux natures, la
mère de Dieu, néanmoins elle n’est pas la mère de la divinité, et il n’y a
rien de commun entre elle et le Dieu dont l’heure n’est pas encore venue.
Plusieurs, faute de réflexion, s’étonnent de ce qu’ils appellent la dureté de
ce langage. Jésus devait plutôt des lumières au monde que de vaines ca-
resses à sa mère. Mais qui leur persuade qu’en lui exprimant ses pensées
souveraines, il ait manqué de douceur et de respect ?
Marie ne témoigne aucun étonnement, ni aucune inquiétude de n’être
point exaucée. Elle avertit les serviteurs de faire ce que Jésus leur dira.
Elle connaît la puissance de sa prière. Et en effet, Jésus s’y soumet aussi-
tôt, accomplissant le miracle qu’elle a désiré. Il commente ainsi lui-même
par avance, dans le premier acte public de sa mission, cette profonde pa-
role qu’il dira du haut de la croix, quand sa mission sera terminée :
« Homme, voilà ta Mère ; » voilà celle qui me priera incessamment pour
toi et à qui j’obéirai toujours, jusqu’à changer l’ordre de la nature et le
cours des choses.
Par un complet changement de substance, l’eau devient un vin exquis,
Ce miracle est l’effet de la simple volonté de Dieu, de sa parole inté-
rieure, non articulée. La parole de l’homme signifie seulement ; celle de
Dieu opère en même temps qu’elle signifie ; elle crée ce qu’elle dit. La
terre n’était point, le ciel n’était point, la mer n’était point : Dieu parle,
ces choses existent. La même parole qui a fait ce qui n’était point, fait
que ce qui est demeure, ou tombe, ou se transforme ; elle peut faire que
sans tomber ni se transformer, il soit changé. Suivant la volonté de Dieu,
toute matière et toute partie de la matière peut ou retomber au néant, ou
descendre à un degré quelconque d’inconsistance, ou s’élever au degré de
consistance qu’il veut lui donner. Il la suspend, il la pénètre, il en change
les qualités, bref, il en fait ce qu’il veut qu’elle soit, et elle est ce qu’il lui
commande d’être. Dieu a cette coutume, dit saint Ambroise, d’agir par
changement de substance quand il veut montrer qu’il est l’auteur de la
nature : la baguette est changée en serpent, le rameau desséché refleurit,
l’eau des fleuves devient du sang, les flots divisés stationnent en murailles
liquides, le fer nage à la surface des fontaines, la poignée de farine et la
goutte d’huile ne peuvent tarir, les eaux amères sont potables. L’Écriture
est pleine de semblables merveilles, pour que nous connaissions que tout
est de la main de Dieu et que tout lui obéit.
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V – LES NOCES DE CANA

Tableau de Paul Véronèse, au musée du Louvre. Seizième siècle.


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En renouvelant à Cana cette marque de sa souveraineté, il opère d’une


façon plus soudaine ce qu’il fait d’ailleurs tous les jours aussi merveilleu-
sement sans que nous y prenions garde. Tous les jours l’eau du ciel, dis-
tillée dans les entrailles de la terre, sucée par les racines de la vigne et dis-
tillée une seconde fois dans cet alambic aux rayons du soleil, vient gon-
fler le raisin. La transmutation instantanée n’est pas plus difficile ni plus
mystérieuse que l’autre. Celui qui de rien a créé les substances et l’outil
par lequel elles se transforment, peut les transformer sans employer
l’outil.
En même temps, ce changement que Jésus fait dans la nature de l’eau
est la prophétie et la figure de celui qu’il vient accomplir dans la nature
humaine. Les six urnes destinées à l’eau des purifications, ce sont les six
périodes entre lesquelles on divise le temps qui a précédé la venue du
Messie, d’Adam à Noé, de Noé à Abraham, d’Abraham à Moïse, de
Moïse à David, de David à la captivité, et de la captivité à Jésus-Christ.
Ces six périodes ont contenu la révélation du futur Messie, exprimée par
l’eau dans le langage de l’Écriture ; et sans cette révélation nécessaire à la
purification des Juifs, les temps antérieurs seraient demeurés stériles et
vides. Le Christ y était donc contenu, mais caché, comme d’une certaine
manière l’eau contient le vin, sans que l’on puisse l’y découvrir. Par
l’ordre de Jésus, les six vases sont remplis jusqu’au bord, parce que les
prophéties ont reçu en lui leur accomplissement. Ainsi le changement de
l’eau en vin représente tous les mystères de la Rédemption ; les Prophè-
tes les ont annoncés, le Christ en apporte la réalité.
Les Juifs ont eu cette eau et elle n’a été pour eux que de l’eau, instru-
ment d’une purification matérielle incomplète ou tout à fait vaine, sem-
blable aux ablutions répétées des Pharisiens. Ils lavaient leurs mains et
faisaient des œuvres stériles ou impures ; ils buvaient, et leurs cœurs ne
recevaient ni chaleur, ni force, ni joie. Les livres des Prophètes, dit saint
Augustin, sont insipides et fastidieux si on ne les entend pas ; et, pour les
entendre, il faut y découvrir Jésus Christ. Parce que les Juifs n’y décou-
vrent pas Jésus-Christ, ils les lisent sans les comprendre, et ne les inter-
prètent que pour les défigurer ; parce que Jésus-Christ nous y apparaît, ils
enivrent nos âmes. Maintenant nous comprenons la miséricorde du cœur
de Marie, quand elle dit à son Fils : « Ils n’ont plus de vin. » C’est-à-dire :
Seigneur, la force leur manque, la joie leur manque, la lumière leur man-
que, ayez pitié d’eux, avancez votre jour : donnez-leur le vin de la vérité !
Et Jésus, en changeant l’eau en vin après qu’il a entendu cette prière,
promet qu’il va remplacer le sens littéral par le sens spirituel, la lettre qui
tue par l’esprit qui vivifie, la figure par la réalité. Il changera l’eau en vin
quand il donnera à ses disciples la vraie intelligence de l’Écriture, les eni-
vrant de Dieu avec ce qui les laissait auparavant indifférents et froids.
« Puisez maintenant. » Ce vin miraculeux procurera une autre transfor-
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mation, un autre miracle : par lui, les impudiques seront chastes, les or-
gueilleux deviendront humbles et doux, ceux qui tremblent devant le
monde seront remplis de courage pour confesser Dieu. Car il arrivera
une plus grande merveille, et le vin de Cana n’est encore que la figure du
vrai breuvage. Écartons ce dernier voile : nous voyons apparaître le mys-
tère des mystères: l’Eucharistie. Le premier acte de la vie publique de Jé-
sus est donc la prophétie de ce qui fait l’objet même de sa mission ; il
prépare la foi au sacrement qui en sera le couronnement et le miracle in-
compréhensible et immortel. Il a voulu par là, dit un Père, nous donner
une marque anticipée du pouvoir par lequel il devait plus tard, dans
l’institution de l’Eucharistie, changer le vin en son sang, puisque en effet,
le vin qui est consacré est un vrai sang, comme l’eau changée à Cana fut
aussitôt réellement du vin.
Il est écrit de ce vin du calice, qu’il fait « germer les vierges »; parce
que sa vertu, éteignant toute flamme terrestre, allume dans les âmes
l’ardeur immortelle du souverain amour. Quoique le vin de Cana n’en fût
que la figure, Jésus ne laissa pas d’y attacher sa grâce. Non-seulement
ceux à qui il l’avait donné crurent en lui, mais, d’après la tradition, plu-
sieurs le suivirent. L’époux devint l’apôtre saint Simon; l’épouse demeura
près de la sainte Vierge. La présence à leurs noces de Jésus et de Marie
avait glorifié l’affection dans laquelle ils s’étaient unis ; la grâce de la chas-
teté virginale récompensa ces cœurs purs. Ils s’aimèrent de l’amour plus
saint qui, sacrifiant tout à Dieu, reçoit de Lui en retour un charme éter-
nellement durable et sacré.
Telles furent les œuvres de ce grand jour de Cana, le premier jour de
la manifestation du Seigneur. Elles représentent ce que Jésus-Christ est
venu faire en ce monde : foi des disciples, commencement de l’Église,
intervention de Marie, communion des saints ; meilleur vin pour la fin du
repas, doctrine parfaite pour le dernier âge du monde, inauguré mainte-
nant ; eau changée en vin, Loi changée en Évangile, figure en vérité, let-
tre en esprit, terreur en amour. Ainsi Bossuet résume l’enseignement des
Pères. Par cet exposé, l’on voit combien Jésus demeure caché jusque
dans l’Évangile à qui le prétend trouver sans les lumières de l’Église ; et
l’on peut juger du respect qu’ont pour eux-mêmes les « historiens » qui se
contentent de dire, à propos de Cana, que Jésus se plaisait au mouve-
ment des fêtes privées, et qu’un de ses miracles fut fait pour égayer une
noce de petite ville.
De Cana, Jésus se rendit à Capharnaüm, où il prêcha. C’était une
bourgade opulente, située sur les confins de Zabulon et de Nephtali, à
l’endroit où le Jourdain se jette dans le lac de Génézareth. Cette partie de
la Galilée était appelée Galilée des Gentils, à cause des païens que les Ga-
liléens laissaient habiter parmi eux, ce qui les avait entraînés à une déca-
dence spirituelle si marquée que les Juifs les réputaient impurs : Terre de
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Zabulon et de Nephtali, qui confines à la mer, pays au-delà du Jourdain, Galilée des
nations ! Le peuple qui était assis dans les ténèbres a vu une grande lumière ; la lu-
mière s’est levée sur ceux qui étaient assis dans la région de l’ombre de la mort. Jésus
était cette lumière, et il vint dans cette ombre. Il leur disait : « Le temps
est accompli ; le royaume de Dieu approche ; faites pénitence et croyez à
l’Évangile. »
Une œuvre importante allait signaler son premier séjour chez les Ca-
pharnaïtes. Sa présence aux noces et la manifestation publique de sa
puissance ont honoré le mariage, source du genre humain ; un second
miracle va être fait pour constater l’établissement de l’Église et signifier
sa mission.
Jésus passait sur le bord de la mer. Il vit Simon et André qui jetaient le
filet ; car ils étaient pêcheurs, et après la première entrevue, racontée plus
haut, ils avaient repris leur profession, dont ils vivaient. Il leur dit : « Sui-
vez-moi. » De là, s’étant un peu avancé, il vit dans une barque Jacques,
fils de Zébédée, et Jean, son frère, pêcheurs aussi, travaillant à leurs filets,
et il les appela également. En ce moment, le peuple accouru pour
l’entendre, se pressait autour de lui. Il monta dans l’une des deux bar-
ques, qui était celle de Simon-Pierre, et ayant commandé à Simon-Pierre
d’éloigner un peu, du rivage, il s’assit et enseigna. Lorsque son discours
fut achevé, il dit à Simon-Pierre : « Conduis-nous en pleine eau, et jette le
filet. » – Maître, répondit Simon, toute la nuit nous avons fatigué pour ne
rien prendre ; mais, sur votre parole, je jetterai le filet. Et à ce coup ils
prirent tant de poissons que le filet menaça de rompre. Ils firent signe à
leurs compagnon de l’autre barque de les venir aider, et les deux barques
se trouvèrent tellement remplies que peu s’en fallait qu’elles ne coulas-
sent à fond. Alors Simon-Pierre se jetant aux pieds de Jésus, lui dit : —
Seigneur, éloignez-vous de moi, parce que je suis un pécheur ! Lui et ses
compagnons étaient épouvantés de ce miracle. Jésus dit à Simon : « Ne
craignez point, désormais vous serez pêcheurs d’hommes. » Et aussitôt,
ayant amené les barques au bord, ils quittèrent tout et le suivirent.
L’Église est fondée et prophétisée.
Les Apôtres sont gens de labeur, vivant du travail de leurs mains et
non pas des fruits de l’iniquité ; c’est ce qui les rend dignes de leur voca-
tion. Ils sont simples et sans lettres : la science leur sera donnée plus tard,
mais il faut d’abord que la foi soit l’effet de la puissance divine et non de
l’éloquence humaine. Appelés, ils obéissent aussitôt ; les enfants de Zé-
bédée laissent leur père : rien ne doit empêcher de suivre le Christ. Il y a
deux barques : celle où Jésus monte pour enseigner est celle de Pierre ; là
se disent les paroles qui enfantent la foi. De cette barque, Jésus enseigne
la foule ; de cette barque, il instruira les nations.
94 JÉSUS-CHRIST VIVANT

VI – LA PÊCHE MIRACULEUSE
D’après les cartons de Hampton-Court (Angleterre). — Jésus dit à Pierre : « Tu seras un
jour pêcheur d’hommes ». André se lève surpris. Dans la seconde barque Jean et Jac-
ques retirent les filets, tandis qu’un cinquième apôtre tient le gouvernail.
La barque s’éloigne un peu du rivage : il faut prêcher aux peuples avec
mesure, ne pas les attacher aux choses terrestres, ne les pas pousser trop
vers les régions du mystère ; il faut condescendre à l’infirmité de tous,
II. – L’ANNÉE DOUCE 95

pour attirer à la paix l’homme nageant dans les choses mobiles et amères
de cette vie.

NICODÈME. LA SAMARITAINE.

Après quelques jours passés à Capharnaüm, Jésus vint à Jérusalem. Il


y fit d’autres miracles et célébra la Pâque.
La coutume et la connivence des prêtres avaient laissé des marchands
s’établir sous les portiques du Temple. Il les chassa une première fois,
disant : « Vous faites de la maison de mon Père une caverne de voleurs. »
Plus tard, on se souvint qu’il est écrit : le zèle de votre maison me dévore. Les
marchands ne lui résistèrent point, quoique sa main ne fût armée que
d’un fouet de petites cordes, et ils n’invoquèrent point les prêtres qui
avaient toléré leur trafic. Sans doute qu’il les intimida par la majesté irri-
tée de son visage. Cependant quelques-uns d’entre les docteurs lui de-
mandèrent de quel droit il agissait de la sorte, le sommant de faire un mi-
racle pour prouver sa mission. Il leur répondit : « Détruisez ce Temple, et
je le rebâtirai dans trois jours. » Eux l’entendirent du Temple, d’où il ve-
nait de chasser les marchands, Temple dont il prophétisera bientôt la
ruine et qui ne sera jamais rétabli ; mais il leur parlait du temple de son
corps, où habitait la plénitude de la divinité, et du miracle de sa résurrec-
tion trois jours après qu’on l’aura fait mourir. Car le Messie était le tem-
ple vivant de Dieu, et les Juifs eux-mêmes le disaient. Dans la suite, plu-
sieurs crurent que le Messie était né pendant que les Romains détrui-
saient le Temple. D’après saint Marc, Jésus prononça ces paroles le jour
où chacun devait acheter l’agneau Pascal ; et suivant le calcul de quelques
historiens, le même jour, trois ans après, il ressuscita d’entre les morts.
Les réponses quasi énigmatiques, les refus lui sont ordinaires lorsqu’il
est interrogé ou sollicité par l’incrédulité, la vaine curiosité et l’orgueil.
Aux simples de cœur, il parle clairement, il leur accorde les grâces qu’ils
demandent. Quelle que soit la parole qui sort des lèvres, il saisit la parole
intérieure ; ceux même qui se taisent l’entendent répondre à leurs pen-
sées. Il connaît à fond tous les hommes, il règle miséricordieusement son
discours à la mesure de leur intelligence et de leur foi, ne leur donnant
que ce qu’ils peuvent actuellement porter. Beaucoup venaient à lui qui
n’étaient encore qu’étonnés de ses miracles. Il les retenait plus ou moins
ou les écartait. Il en appelait qui ne s’offraient point. Le publicain Lévi
était assis à son bureau de finances. Jésus passe et lui dit : « Suis-moi. »
Le publicain se lève aussitôt, laisse son bureau comme Pierre et Jean ont
laissé leurs filets, et devient l’apôtre Matthieu. Quelque temps après, un
docteur se présente et dit : « Maître, je vous suivrai en quelque lieu que
vous alliez. » Jésus voit le cœur de ce savant ; il lui répond : « Les renards

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