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GRANGER William G2.

TD droit des obligations - l’acte juridique -

Séance n°5 : la cause.

Exercice 2 : commentaire de l’arrêt Cass. Com, 27 mars 2007.

Selon Henri Capitant, « si le contractant s’engage, ce n’est pas seulement pour obtenir que
l’autre s’oblige de son côté. Les deux obligations corrélatives ne sont qu’un premier stade destiné à
préparer le résultat définitif qui est l’exécution des prestations promises ».

En l'espèce, un commerçant a conclu avec la société MDM multimédia un contrat de création


d'un local de location de cassettes vidéo aux termes duquel, par le règlement d'une somme
convenue préalablement, lui était également concédé pour une durée déterminée et renouvelable
un lot de cassettes. Mais le commerçant, par défaut de clientèle, ne parvint pas à rentabiliser son
activité et finit par ne pas régler les sommes convenues dues à la société MDM multimédia.

Cette dernière obtint à cet égard une ordonnance d'injonction de payer contre laquelle le
commerçant forma opposition en demandant l'annulation du contrat. L'affaire fut portée devant la
Cour d'appel d'Agen le 31 janvier 2005, qui rejeta la demande en nullité du contrat et contraignit le
commerçant à indemniser la société MDM multimédia cocontractante. Le commerçant forma alors
un pourvoi en cassation.

Le requérant basa principalement son argumentation sur la troisième branche de son moyen, en
prétendant qu'il était dans l'incapacité physique, du fait du manque de clientèle et du prix de la
location des cassettes à la société, de pouvoir louer une quantité suffisante de cassettes vidéo pour
réaliser les bénéfices nécessaires. A ce titre, le commerçant, en retenant que l'obligation de toute
partie se fonde sur le succès de la prestation de l'autre partie, la cour d'appel aurait entaché sa
décision d'un manque de base légale au regard de l'article 1131 du Code civil.

La question se pose alors de savoir si dans un contrat où l'obligation d'un contractant a pour
cause la mise à sa disposition d'un matériel de location, l'impossibilité ultérieure de mettre en œuvre
et de rentabiliser ce commerce est-elle une condition suffisante pour constituer une absence de
cause du contrat ?

La cour de cassation répondit par la négative à cette question en posant que l'absence de cause
ne se conçoit que si l'exécution du contrat selon l'économie voulue par les parties est impossible en
raison de l'absence de contrepartie réelle ; qu'ainsi, le requérant n'apportait pas d'éléments décisifs
permettant d'établir son incapacité de mettre à profit son commerce, alors que les objectifs
financiers correspondant avaient été fixés par ses propres soins et ce, dans un contexte financier et
démographique, dont sa qualité de commerçant installé lui permettait d'avoir pleinement
connaissance.

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La cour de cassation s'aligna donc sur l'analyse et la décision de la Cour d'appel d'Agen en
refusant d'annuler le contrat et rejeta à ce titre le pourvoi du commerçant requérant.

Dans cet arrêt, le juge de cassation considéra la cause subjective du contrat, ce qui impliqua en
cascade la reconnaissance générale d'une «contrepartie à l'obligation» (I). Le juge, dans cette espèce,
refusa de reconnaître la nullité du contrat pour absence de preuve, et ce, notamment pour
sanctionner la négligence du commerçant (I).

I. La considération de la cause subjective du contrat induisant celle de la notion de


contrepartie à l'obligation.

Le juge, dans l'arrêt étudié, opéra une exclusion de la cause objective de l'obligation du
contractant pour considérer pleinement l'analyse de la cause subjective du contrat (A). Cette
démarche l'amena à poser, dans un tel contrat, la nécessité d'une contrepartie réelle à l'obligation de
payer (B).

A. Une considération de la cause subjective du contrat .

Cet arrêt du 27 mars 2007 confirme une jurisprudence préétablie. Déjà le 12 juillet 1989, la cour
de cassation posait que, dans un contrat à titre onéreux, si la cause de l'obligation de l'acheteur
réside dans la passation de propriété et dans la livraison de la chose vendue, la cause du contrat de
vente, quant à elle, consiste dans le mobile déterminant. Ce «mobile déterminant» est la motivation
lointaine et personnelle de l'acquéreur, celle en l'absence de laquelle ce dernier ne se serait
clairement pas engagé.

En l'espèce, la cause objective de l'obligation du commerçant est donc la location du point de


location et des cassettes vidéo, nécessaires au commerce entrepris par l'intéressé. Toutefois, la cause
subjective du contrat serait donc pour lui l'établissement d'un commerce afin d'en retirer un bénéfice
certain.

Le juge de cassation a donc aux termes de cet arrêt consacré le concept d'utilité, d’intérêt du
contrat, en mettant comme critère de référence non la cause objective mais la cause déterminante
subjective du contrat, en lui conférant une force toute particulière.

En suivant le précédent raisonnement opéré par le juge, l'arrêt étudié pose la nécessité d'une
«contrepartie réelle» à l'obligation de payer pour établir une absence véritable de cause.

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B. La nécessité d'une contrepartie réelle à l'obligation de payer .

L'arrêt étudié répond en définitive principalement à l'arrêt de la cour de cassation du 3 juillet


1996, qui connaissait d'un cas d'espèce fort semblable, en faisant intervenir pareillement un
commerçant louant des cassettes vidéo. Cette arrêt pionnier posa que : «s'agissant de la location de
cassettes vidéo pour l'exploitation d'un commerce, l'exécution du contrat selon l'économie voulue
par les parties [étant] impossible, [...] le contrat était dépourvu de cause dès lors qu'était ainsi
constaté le défaut de toute contrepartie réelle à l'obligation de payer le prix de location des cassettes
[...]», et même si cette cause est hors du champ contractuel ; fait duquel fut d'ailleurs tiré le moyen
au pourvoi rejeté.

De ce fait, par une analogie aisée avec le cas d'espèce de l'arrêt étudié ici, il apparaît qu'il fallait
déterminer si le commerçant était donc bel et bien dans l'impossibilité de rentabiliser son commerce
selon l'économie du contrat, s'il y a donc eu contrepartie significative à l'obligation de payer la
location des cassettes.

Ainsi le juge de cassation a-t-il pu souverainement estimer que le commerçant requérant ici
n'apportait pas la preuve suffisante de son impossibilité de réaliser la location des biens. Cette
solution se base sur la volonté de sanctionner une négligence du commerçant.

II. Le refus de l'absence de cause du contrat  : la sanction d’une négligence du


commerçant.

Le juge de cassation a posé l'insuffisance de la démarche de preuve opérée par le requérant et


tendant à établir son impossibilité de mener à bien son commerce, et ce, notamment au regard du
fait que celui-ci était au moment de contracté décideur et qualifié (A). Par cette décision, la cour de
cassation entendit finalement sanctionner à juste titre une partie révélée négligente (B).

A. Le défaut de la preuve du commerçant décideur et qualifié .

Dans cette espèce fut donc déterminée la carence des preuves apportées par le commerçant.
Cette déficience fut clairement placée au regard du fait, déterminant, que le commerçant, au
moment de la conclusion du contrat, avait été décideur, en ceci qu'il avait précisément fixé lui-même
les objectifs financiers ressortissant de sa future activité commerciale de location de biens.

De plus, le juge constata le fait, lui aussi décisif, que le requérant était qualifié, par sa qualité de
commerçant installé, et donc de ce fait à même d'avoir connaissance du «contexte» permettant
d'établir les objectifs susvisés. Le juge entendait ainsi par «contexte» la conjoncture alors en vigueur
d'un point de vue régional, c'est-à-dire les paramètres financiers et démographiques qui définissaient
le secteur dans lequel le commerçant avait voulu de son propre chef lancer son activité.

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C'est ainsi que le juge de cassation renonça de reconnaître l'absence de cause et d'annuler le
contrat. Le juge a inscrit sa décision dans le principe selon lequel ne doit pas être considéré le
justiciable négligent.

B. La condamnation de l'erreur par négligence .

L'arrêt du 27 mars 2007 entérina ainsi l'adage latin «De non vigilantibus non curat praetor»,
c'est-à-dire selon lequel : «De l'insouciant le juge n'a cure». En effet, il ressort de ce cas d'espèce le
caractère fautif du commerçant qui, malgré avoir fixé lui-même ses objectifs financiers et en ayant
une situation lui permettant d'anticiper la conjoncture à même de s'appliquer à son activité, a tout
de même conclu un contrat dans le but d'établir un commerce dans sa région fort peu animée.

En ceci la décision du juge, même si elle se base sur la recherche complexe de la cause du
contrat, demeure ici clairement accompagné d'un principe général d'erreur inexcusable en matière
contractuelle, et ici au regard de la cause du contrat.

C'est en vue de préserver un principe directeur et fondamental de sécurité juridique vis-à-vis des
sociétés n'ayant ainsi pas commis de dol contrairement à ce que lui reprochait justement le
requérant au pourvoi, que la décision étudiée fut appelée à punir le commerçant qui ne peut imputer
à son cocontractant l'échec de son entreprise, en faisant abstraction a contrario d'une valeur de
solidarité qui a pu être défendue dans le projet Chancellerie, projet de réforme du droit des contrats.

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