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B 95
Cancers épidermoïdes
et adénocarcinomes
bronchiques
Épidémiologie, anatomie pathologique, étiologie, diagnostic, évolution, traitement
PR Élisabeth QUOIX
Service de pneumologie Lyautey, Hôpitaux universitaires de Strasbourg, 67091 Strasbourg Cedex.
Type histologique
Le cancer bronchopulmonaire primitif est la première
cause de décès par cancer chez l’homme et ce dans tous Les cancers bronchiques non à petites cellules représentent
les pays développés. Chez la femme, il est en passe, 75 % de l’ensemble des cancers bronchiques primitifs.
outre-Atlantique, de supplanter en fréquence le cancer Ils comportent les carcinomes épidermoïdes (les plus
du sein et de passer ainsi au premier rang. On estime le fréquents des cancers non à petites cellules dans notre
nombre de nouveaux cas par an à 25 000 en France et à pays), les adénocarcinomes, et les indifférenciés à
170 000 aux États-Unis. L’incidence et la prévalence grandes cellules (dont les caractéristiques en microscopie
sont proches, ce qui témoigne du pronostic désastreux optique ne permettent pas le classement dans l’une ou
de cette maladie. Le cancer bronchopulmonaire, problème l’autre des précédentes catégories).
majeur de santé publique, est accessible à la prévention
puisque son principal facteur de risque, le tabagisme est
identifié. Anatomie pathologique
La classification de l’Organisation mondiale de la santé
Épidémiologie (OMS) de 1998 définit 9 catégories de tumeurs épithé-
liales malignes avec 4 types histologiques principaux :
Âge les épithéliomas épidermoïdes (60 % des cas) ; les épi-
théliomas bronchiques à petites cellules (20 % des cas),
L’âge médian de survenue d’un cancer bronchopulmo- les adénocarcinomes (15 % des cas) ; les cancers indif-
naire est de 62 à 65 ans, et 75 % des patients ont entre férenciés à grandes cellules (5 % des cas). Il est défini,
50 et 70 ans au moment du diagnostic. par ailleurs, des carcinomes adénosquameux, des carci-
nomes avec des éléments sarcomatoïdes, des tumeurs essentiellement un diagnostic d’exclusion et s’applique
carcinoïdes, des tumeurs de type glande salivaire et des aux tumeurs qui n’ont pas l’aspect d’un cancer bron-
carcinomes non classifiés. chique à petites cellules et qui n’ont ni différenciation
épidermoïde ni différenciation glandulaire. La propor-
Cancer bronchique épidermoïde tion de cancers à grandes cellules varie donc largement
selon le degré de sophistication des colorations et des
Il se localise préférentiellement dans une bronche lobaire techniques anatomo-pathologiques et aussi selon la quantité
ou segmentaire, et se présente souvent sous la forme de tissu disponible pour le diagnostic. Il s’agit en général
d’une tumeur végétante (en chou-fleur) obstruant plus de tumeurs périphériques volumineuses. Histologiquement,
ou moins la lumière bronchique. En même temps que la les tumeurs consistent en des nappes de cellules contenant
tumeur progresse dans la lumière bronchique, elle envahit un cytoplasme éosinophile abondant.
la sous-muqueuse et le tissu péribronchique. Lorsque la
tumeur est périphérique, une nécrose centrale est habi-
tuelle ; lorsque la tumeur est proximale, il s’y associe Étiologie
une pneumonie obstructive.
Histologiquement, cette tumeur se caractérise par l’exis-
tence de ponts intercellulaires, de kératinisation, et par Tabac
la formation de « perles » cornées. Le poumon est, de par sa fonction, exposé aux multiples
L’ultrastructure des formes bien différenciées comporte polluants éventuellement contenus dans l’atmosphère,
des cellules à cytoplasme abondant avec un réticulum et notamment la fumée de tabac. Plusieurs carcinogènes
endoplasmique, un appareil de Golgi et des mitochondries sont présents dans la fumée de cigarettes : les benzopy-
peu importantes, mais des ribosomes et des filaments rènes et autres hydrocarbures aromatiques polycycliques,
intermédiaires abondants. Ces derniers s’agrègent pour les nitrosamines, les phénols, le polonium 210 et l’arsenic.
former des desmosomes. Quatre-vingt-cinq pour cent des cancers bronchopulmo-
En immunohistochimie, le marquage pour les cytokératines naires chez l’homme peuvent être attribués à la consom-
de haut poids moléculaire, et pour l’epidermal growth mation de cigarettes.
factor (EGF) est fréquemment positif. Le parallélisme entre la consommation de cigarettes et
l’incidence du cancer bronchopulmonaire est reconnu
Adénocarcinome bronchique depuis le début des années 1950. Le risque relatif d’un
fumeur est de 4 à 30 fois celui du non-fumeur selon la
Il est divisé en 4 sous-groupes histologiques : acinaire, quantité fumée. Cette quantité est exprimée en paquets-
papillaire, bronchiolo-alvéolaire, et carcinome solide années (20 paquets-années correspondent à un paquet de
avec formation de mucus. La signification clinique de cigarettes fumées par jour pendant 20 ans [ou 2 paquets
cette subdivision est très discutée, avec l’exception de la par jour pendant 10 ans]). Ainsi, un fumeur ayant
forme diffuse de l’épithélioma bronchiolo-alvéolaire. consommé 10 paquets-années a environ 6 fois plus de
L’adénocarcinome se localise volontiers en périphérie risques de développer un cancer bronchique qu’un non-
dans les régions sous-pleurales. Il est habituellement fumeur, un fumeur de 20 paquets-années 11 fois plus de
bien limité bien qu’il puisse exister des aspects spiculés, risque, un fumeur à 30 paquets-années 16 fois plus de
irréguliers. Lorsqu’il s’agit d’un cancer bronchiolo- risque, un fumeur à 40 paquets-années 21 fois plus de
alvéolaire, il n’y a pas de destruction de l’architecture risque, un fumeur à 60 paquets-années 36 fois plus de
alvéolaire et les alvéoles sont littéralement tapissés par risque. Cette expression du tabagisme, pour pratique
les cellules cancéreuses (radiologiquement l’image est qu’elle soit, ne correspond cependant pas à la réalité car
alors celle d’une pneumonie). la durée du tabagisme a une importance beaucoup plus
L’adénocarcinome montre une différenciation glandulaire grande que la quantité. Cela explique le risque augmenté
de degré variable, pouvant ou non former des papilles. en fonction de l’âge de début du tabagisme (plus cet âge
En microscopie électronique l’aspect varie selon le est jeune, plus le risque est élevé). Ainsi, le fait de fumer
degré et le type de différenciation. Les cellules sont des cigarettes sans filtre comportant du tabac brun est
columnaires ou cuboïdales avec des microvillosités de davantage associé au carcinome épidermoïde, alors que
surface, un réticulum endoplasmique et un appareil de les cigarettes de tabac blond, avec filtre et dites
Golgi relativement abondant, et des granules sécrétoires. « légères » sont davantage associées au développement
En immunohistochimie le marquage pour l’antigène de l’adénocarcinome. Avec le changement des habitudes
carcino-embryonnaire (ACE) est très fréquent de même tabagiques, on assiste actuellement à une augmentation
que pour les cytokératines de bas poids moléculaire. de la fréquence des adénocarcinomes aux dépens des
carcinomes épidermoïdes. Ce fait, observé en Amérique
Cancer à grandes cellules du Nord depuis les années 1970, n’a débuté que récem-
ment en France. Après arrêt du tabac, le risque relatif
Pour mémoire et dans la mesure où il appartient à la diminue exponentiellement pendant les premières
même catégorie de cancers bronchiques non à petites années pour revenir pratiquement à celui du non-fumeur
cellules, l’épithélioma bronchique à grandes cellules est en 13 à 15 ans.
Le rôle du tabagisme passif dans le développement du d’ions. L’augmentation du risque porte sur la variété à
cancer bronchique primitif a fait l’objet de controverses. petites cellules.
Le risque relatif serait, d’après les méta-analyses réalisées, • Poussières ou fumées d’oxyde de fer : les mineurs de
de 1,1 à 1,3 (soit une augmentation du risque de 10 à fer ont un risque accru de cancer bronchique possiblement
30 % par rapport à un non-fumeur non exposé). par l’émission de radicaux libres par les oxydes de fer
mais aussi par exposition au radon, aux émissions des
Pollution atmosphérique moteurs diesel, et peut-être aussi à la silice.
• Gaz moutarde : la production des gaz toxiques pendant
Son rôle est difficile à apprécier, très différent d’un pays la 1re guerre mondiale et l’exposition des soldats à ce gaz
à un autre et plus important dans les pays en voie de ont été responsables d’une incidence élevée de cancers
développement. Ainsi, en Chine, l’usage de fours à bronchiques.
charbon pour faire la cuisine dans certaines provinces • Hydrocarbures provenant du charbon et du pétrole :
explique une incidence anormalement élevée du cancer ils ont été impliqués dans le développement du cancer
bronchique chez la femme non fumeuse. bronchique chez les couvreurs, les travailleurs du goudron,
Dans les pays développés, on estime que la pollution les ouvriers des fours à coke. La liste des travaux reconnus
serait responsable d’environ 5 % des cancers bronchiques. est limitative.
Les particules diesel, les benzopyrènes, les émissions de L’exposition aux huiles minérales (utilisées pour lubrifier
SO2 sont autant de carcinogènes pouvant être incriminés. les tours et les axes) et aux suies est aussi à l’origine de
cancers bronchiques.
Expositions professionnelles • Professions à risque accru mais non encore recon-
nues par le législateur : ouvriers exposés à la silice ;
Leur rôle est souvent sous-estimé en raison du facteur soudeurs ; peintres en bâtiment ; ouvriers travaillant
confondant que représente le tabagisme qui agit dans les manufactures de chaussures et l’industrie du
d’ailleurs souvent comme un facteur multiplicatif du caoutchouc ; imprimeurs.
risque relatif lié à ces expositions professionnelles.
1. Amiante Radiations
Le risque relatif associé à l’exposition à l’amiante est de Chez les survivants des bombes atomiques, le risque de
4 à 5 par rapport à un non-fumeur non exposé. Chez un cancer bronchique a été légèrement augmenté. De
fumeur exposé à l’amiante, le risque relaté est de 53 fois même, il est connu que l’irradiation en mantelet réalisée
celui du non-fumeur. Les métiers exposant à l’amiante dans les maladies de Hodgkin a été suivie du développe-
sont nombreux : le textile (surtout autrefois), l’extraction ment d’un nombre non négligeable de cancers bronchiques.
de l’amiante, l’isolation, le bâtiment, les chantiers L’inhalation de matériaux radioactifs chez les mineurs
navals, les ateliers de la SNCF, les garages. La distribu- d’uranium augmente considérablement le risque de cancer
tion des types histologiques est la même que chez les bronchique (surtout du type histologique à petites cellules).
sujets non exposés mais le cancer siège plus volontiers
dans les lobes inférieurs. Il peut exister par ailleurs
d’autres signes d’asbestose (plaques pleurales, fibrose Diagnostic
interstitielle).
2. Autres facteurs de risque Circonstances du diagnostic
• Nickel : les cancers des bronches (et de la muqueuse
nasale) sont plus fréquents chez les ouvriers travaillant 1. Signes cliniques
aux opérations de grillage de mattes de nickel. • Signes en rapport avec la tumeur bronchique
• Acide chromique, chromates et bichromates, chro- La toux est le plus fréquent des symptômes inauguraux.
mate de zinc : seul le chrome hexavalent est cancérigène. Elle n’amène cependant que rarement le patient à
Les ouvriers travaillant au chromage, au tannage, à la consulter car il la considère comme banale et due au
production de pigments ou les soudeurs à l’arc utilisant tabagisme.
une électrode enrobée sont exposés au risque de cancer L’hémoptysie n’est pas un symptôme très fréquent mais
bronchique. elle alerte davantage le patient.
• Arsenic : l’exposition professionnelle concerne les La dyspnée, en cas de tumeur à développement central,
mineurs, les fondeurs de minerai et les ouvriers tra- est liée à l’obstruction par un bourgeon néoplasique ou à
vaillant dans la production et l’utilisation de pesticides. la compression extrinsèque d’une grosse bronche. En
L’excès de cancers bronchiques porte essentiellement cas d’obstruction d’une grosse bronche, on peut entendre
sur le type adénocarcinome et le risque relatif serait un ronchus fixe, un sifflement voire un cornage si la
proche de 7. tumeur est située dans la trachée.
• Chlorométhyl éthers : ces substances sont largement Classiquement, le carcinome bronchiolo-alvéolaire
employées comme intermédiaires dans les synthèses serait responsable d’une sécrétion muqueuse abondante.
organiques et dans la préparation de résines échangeuses Ce phénomène est en fait rare et tardif. L’apparition
Les stades IV de même que les stades IIIB non irra- Cliniques
diables [pleurésie et (ou) péricardite néoplasique] font
l’objet d’une chimiothérapie lorsque l’index d’activité le ❑ cIA 61
permet (index de Karnofsky O 60). Les taux de réponse ❑ cIB 38
s’établissent autour de 30 à 35 % seulement mais il
existe un bénéfice indéniable bien que modeste sur la ❑ cIIA 34
survie. Là aussi, les associations utilisées comportent ❑ cIIB 24
du cisplatine en combinaison avec un alcaloïde de la
❑ cIIIA 13
pervenche tel que la vinorelbine ou de la gemcitabine
❑ cIIIB 5
ou de façon plus classique de la mitomycine et de
l’ifosfamide ou du 5-FU. ❑ cIV 1
Stades postopératoires
Résultats du traitement
❑ pIA 67
Dans le cancer bronchique non à petites cellules, ils sont ❑ pIB 57
très conditionnés par la résécabilité donc par l’extension
de la maladie (tableau IV). La probabilité de survie dans ❑ pIIA 55
les formes localement avancées inopérables est de 20 à ❑ pIIB 39
25 % à 2 ans, et dans les formes métastatiques de 25 à
30 % à 1 an. ❑ pIIIA 23
Traitement symptomatique
POUR EN SAVOIR PLUS
Il doit être pris en compte quel que soit le stade de la
maladie. Milleron B, Depierre A. Cancer bronchopulmonaires. Paris :
Les douleurs sont bien entendu un élément fréquent et Arnette, 1998 : 474.
important des symptômes. Lorsqu’elles sont très locali-
sées, on privilégie un traitement local (infiltration,
alcoolisation ou irradiation d’une métastase osseuse).
Lorsqu’elles sont plus diffuses, un traitement par voie Points Forts à retenir
générale est nécessaire (on s’adressera assez vite aux
morphiniques).
• Le bilan d’un cancer épidermoïde
La dyspnée liée à une lymphangite carcinomateuse est
ou d’un adénocarcinome bronchique sera
de traitement très difficile, la corticothérapie ne soulageant
toujours orienté vers la possibilité ou non
que très partiellement les patients. Les aérosols de mor-
d’une intervention chirurgicale.
phiniques répétés à la demande peuvent être efficaces.
Celle-ci peut être rendue impossible
Lorsqu’ils ne sont plus supportés, la morphine par voie
soit du fait de l’extension du cancer,
orale ou intraveineuse peut être l’alternative. Lorsque la
soit du fait du terrain débilité.
dyspnée est liée à une obstruction bronchique la destruction
• La place de la chimiothérapie devient
d’un bourgeon par laser ou cryothérapie, la mise en place
de plus en plus importante. D’abord utilisée
d’une prothèse endobronchique doivent être discutées au
dans les formes métastasiques, elle a montré
cas par cas.
son intérêt en association avec la radiothérapie
Les hémoptysies sont généralement peu abondantes et
dans les formes localement avancées.
sont alors traitées par des médications coagulantes
Son rôle dans les formes opérables est
(acide tranexamique, etamsylate). Plus abondantes, elles
en cours d’évaluation.
justifient parfois une embolisation après traitement
d’urgence par la Glypressine. ■