Vous êtes sur la page 1sur 501

Plantes génétiquement modifiées : controverses, communication et idéologies.

Doctorant : Jean Paul Oury


Directeur de thèse : Claude Debru

Doctorat d'Epistémologie, Histoire des Sciences et des Techniques


Année 2003-2004

1
Préambule

Tout, ou presque, a déjà été dit sur la controverse des Plantes Génétiquement Modifiées. Ce
sujet d’actualité a réussi à captiver l’attention des historiens, des sociologues, des
journalistes, des juristes et, bien évidemment, des biologistes eux-mêmes. Aussi, ce travail
est une synthèse interdisciplinaire des problématiques soulevées par le sujet.
Il y a quelques années de cela, nous avons eu recours à une méthode similaire pour
traiter des chimères embryologiques au cours d’un mémoire de DEA effectué à Strasbourg
sous la direction de Claude Debru1. Nous avions procédé alors à un essai de classification des
différents types de chimérismes réalisés en embryologie expérimentale dans le cadre de
travaux de recherche fondamentale sur le développement de l’embryon et la formation du
système immunitaire. A l’époque, étudiant en philosophie, ce mémoire nous avait donné
l’occasion de mener une réflexion sur les modifications du vivant.
Aussi, au travers du sujet des PGM, nous souhaitons poursuivre ce questionnement
philosophique en y ajoutant une étude sur les controverses scientifiques et la polémique
médiatique qui lui sont liées. Ces deux sujets sont pour nous du plus grand intérêt, puisque
aujourd’hui, professionnel de la communication, nous avons été sensibilisé par les nombreux
problèmes soulevés par le débat sur les PGM et le dialogue impossible entre les industriels et
les consommateurs. De même, l’attitude des médias et l’influence des groupes
environnementalistes sont deux sujets qui ont attiré notre attention.
Quel rapport peut-on trouver alors entre une réflexion philosophique sur les
modifications du vivant, une controverse scientifique et une polémique médiatique ? Et quel
est l’intérêt d’un tel travail ?
D’un point de vue théorique, les nombreuses implications idéologiques du débat ont
été pour nous un vecteur de recherche. D’un point de vue professionnel, l’objectif que nous
nous sommes fixé est de mettre en place une méthode d’analyse des valeurs en présence
dans le cadre particulier d’une situation de remise en question d’une technologie. Aussi, il
nous a semblé intéressant de voir de quelle manière un conflit de valeurs peut bloquer la
progression de la technologie au point d’être capable de remettre celle-ci en cause.
Nous avons donc unifié plusieurs problématiques au sein d’une seule et même
démarche de réflexion afin d’avoir une vision globale. Aussi, notre objectif était moins

1
« Conditions de possibilités, réalisations et significations des chimères embryologiques. », ULP
Strasbourg, 95

2
d’établir un corpus exhaustif de connaissances sur les PGM que de relier le développement
des différents arguments à tous les niveaux.
C’est ainsi que le volet historique dessine le tableau des biotechnologies dans lequel
ont émergé les PGM et recadre le sujet en amorçant une réflexion qui situe les PGM par
rapport aux biotechnologies et aux autres crises alimentaires. L’étude des controverses
scientifiques sur les PGM, quant à elle, est une sélection de certains cas significatifs en vue
d’un travail épistémologique d’explication et de classifications. De même, concernant la 3ème
partie, notre objectif est d’étudier la polémique publique des PGM en rattachant cette étude
à une problématique communicationnelle. Quant à la partie philosophique, elle tente de
mettre au jour les idéologies en présence et propose une réflexion directement appliquée à
la problématique des PGM.
On est conscient des limites de cette méthode en ce sens que chacun des sujets
abordés ici pourrait donner lieu à des recherches plus approfondies. Cependant, par un
emboîtement des différentes problématiques, nous pensons être arrivé à un travail cohérent
qui donne une origine axiologique au débat. Ce travail devrait pouvoir servir de base à la
mise en place d’une nouvelle stratégie des valeurs en vue de rétablir le dialogue devenu
impossible.

3
« Sur les transgéniques, nous ne voulons pas un débat idéologique mais un débat
scientifique. »
Luiz Inacio Lula da Silva, président du Brésil.

« Etre contre les biotechnologies, c'est comme être contre les mathématiques. »
Paulo Pimento, député PT du Rio Grande do Sul.

Citations extraites de « Libres OGM au Brésil », par Daniel Vernet. Article paru dans le Monde
du 25.11.03..

4
Table des matières 5
1.Introduction 7
2. Des origines de la technologie à la polémique 20
2.1. De la découverte de l’ADN à ses applications 20
2.1.1. Définition et origine du terme « biotechnologie » 24
2.1.2. Le génie génétique appliqué aux micro-organismes 25
2.1.3. La thérapie génique 28
2.1.4. Les biotechnologies animales et végétales: le principe de la transgenèse 29
2.2. Application du génie génétique aux biotechnologies végétales 31
2.2.1. De la sélection dite « classique » aux « PGM » 32
2.2.2. Les techniques de la transgenèse végétale 36
2.2.3. Panorama de l’industrie des PGM 40
2.3. Origine de la controverse et comparaison avec les crises agro-alimentaires 46
2.3.1. Asilomar,1975 : une controverse scientifique sur l’aspect éthique des « OGM » 47
2.3.2. Anvers, 1996 : naissance d’une polémique médiatique sur les PGM 49
2.3.3. Spécificité du cas des PGM par rapport aux autres crises alimentaires 51

3. Développement des controverses au niveau des experts 56


3.1. PGM et risques alimentaires : le principe d’équivalence en question 61
3.1.1. Définition du principe d’équivalence en substance 62
3.1.2. PGM et risque d’allergie 74
3.1.3. Le risque d’un transfert du transgène à l’organisme 108
3.1.3.1. Les principes du transfert horizontal 110
3.1.3.2. Le cas des gènes de résistance aux antibiotiques 118
3.1.3.3. L’affaire Pusztai 136
3.1.4. Conclusion sur l’équivalence en substance et les risques alimentaires 151
3.2. PGM et risques environnementaux : le principe de précaution en question 152
3.2.1. De la précaution en général 153
3.2.1.1. De la précaution comprise comme une forme de ‘prudence’ 153
3.2.1.2. Du ‘principe de précaution’ au ‘principe de responsabilité’ 156
3.2.1.3. Des applications concrètes du principe de précaution 163
3.2.1.4 Discussion 168
3.2.2. Le maïs Bt et la gestion du risque de résistance 169

5
3.2.2.1. A l’origine du maïs Bt 170
3.2.2.2. De l’usage du maïs Bt : avantages et précautions 173
3.2.2.3. Vers une gestion de la résistance 176
3.2.2.4. Le rapport BRAD de l’EPA 181
3.2.2.5. Critiques de la re-registration de l’HDR par l’EPA 188
3.2.3. Des effets non-intentionnels du maïs Bt 192
3.2.3.1. La re-registration du maïs Bt à partir des données existantes 195
3.2.3.2. « L’affaire du papillon monarque » 199
3.2.3.3. L’appel à contribution de l’EPA 205
3.3.4 Conclusion sur le principe de précaution et les risques environnementaux 221

3.3. Développement de la controverse au niveau de l’expertise socio-économique 224


3.3.1. Un développement géographique contrasté, une progression constante 225
3.3.2. Estimer les avantages des biotechnologies 230
3.3.3. La Faim dans le monde : prétexte ou argument ? 262
3.4. Synthèse des controverses au niveau des experts 284

4. Aspects publics, médiatiques et communicationnels 289


4.1. P.G.M. et « opinion publique » 289
4.1.1. Les résultats de l’Eurobaromètre et ses interprétations 290
4.1.2. La « démystification » du P.A.B.E et la méthode des « focus group » 294
4.2. Les P.G.M. dans les médias : parti pris ou désinformation ? 301
4.2.1. Le rôle des médias dans la perception des PGM 303
4.2.2. Lectures quantitatives de la presse écrite 311
4.2.3. Etudes qualitatives du suivi médiatique 327
4.2.3.1. « L’affaire du papillon monarque » : généralisation du risque 328
4.2.3.2 Le « Golden Rice » : déconsidération des avantages 341
4.2.4. Bilan des études quantitatives et qualitatives des médias 354
4.3. P.G.M. et stratégies de communication 355
4.3.1. La stratégie des grands groupes : Monsanto 356
4.3.2. La stratégie des ONG environnementalistes : Greenpeace 385
4.3.3. Nouvelle révolution verte ou cataclysme écologique ? 399
4.3.4 L’opinion publique et la « Nature » des PGM 403
4.4 Synthèse sur les aspects publics, médiatiques et communicationnels 408

6
5. Le nouveau rapport « technologie-nature » à l’origine du problème 410
5.1. La thèse naturaliste 412
5.2. La thèse techniciste 427
5.3. De la nature de la transgenèse végétale et des plantes génétiquement modifiées 441

6. Conclusion 468

Bibliographie 477

Index des noms 498


Index des choses 500

7
1. Introduction

Alors que le nombre d’hectares de cultures génétiquement modifiées augmente partout dans
le monde de manière significative2, que la seconde génération de plantes à avantages directs
pour le consommateur s’apprête à entrer sur le marché3 et que l’Union Européenne lève
progressivement le moratoire4 – moratoire qui date de juin 1999 et qui interdisait
l’introduction de nouveaux événements – sur les PGM (Plantes Génétiquement Modifiées5),
tous les problèmes sont loin d’être levés en ce qui concerne le développement de cette
technologie agronomique en Europe en général et en France en particulier. Il a fallu peu
d’années aux promoteurs des plantes génétiquement modifiées pour s’apercevoir que le plus
grand obstacle au progrès de cette technologie se situait essentiellement au niveau de
l’opinion générale6, et ce, surtout sur le vieux continent. Aussi, les études sur l’origine du
rejet des PGM par l’opinion publique ne manquent pas. Celles-ci ont permis de produire un
certain nombre d’explications qui rendent compte de l’origine du blocage. Toujours est-il que
les PGM continuent de susciter la défiance et même, ont permis, dans un certain sens, à
d’autres pratiques agricoles de prendre appui sur cette critique pour se développer.
Qu’observe-t-on aujourd’hui ? La technologie s’impose et ses principaux opposants
continuent de protester fortement7. On a trouvé un compromis à ce statu quo dans

2
Un rapport sur la production mondiale annonce qu’une superficie de 67,7 millions d’hectares, a été
cultivée en 2003. Clive James, ISAAA (International Service for the Acquisition of Agribiotech
Applications), Global Status of Commercialized Transgenic Crops. http://www.isaaa.org/, 2004.
3
Matthieu Quiret, « Une nouvelle vague d’OGM d’ici à 5 ans », Les Echos, mardi 4 mai 2004.
4
Marc Mennessier, « L'Europe s'entrouvre aux OGM, Après avoir mis en place un nouveau système
d'étiquetage et de traçabilité, Bruxelles lève le moratoire », Le Figaro, 25 octobre 2003 ; Pierre Avril,
« La Commission européenne va décider officiellement d'autoriser la mise sur le marché européen du
BT 11. Bruxelles va autoriser un maïs transgénique », Le Figaro, 14 mai 2004. Yves Miserey,
« Bruxelles brise le tabou des OGM. La Commission de Bruxelles devrait donner son feu vert pour la
commercialisation d'un maïs génétiquement modifié. » Le Figaro, 19 mai 2004.
5
Nous choisissons d’employer le terme « PGM » pour plante génétiquement modifiée dans notre
exposé, au lieu « d’OGM » et ce, par un souci de précision. En effet, le terme « OGM »(organisme
génétiquement modifié) qui est plus généralement utilisé renvoie à l’ensemble des applications de la
transgenèse. Notre travail ne porte que sur la transgenèse végétale dont les applications servent dans
le domaine agro-alimentaire. Lorsque nous employons le terme « OGM », c’est dans le cadre d’une
citation ou entre guillemets pour signifier l’emploi du terme quand celui-ci est utilisé avec une
connotation négative.
6
Lorsque nous employons des notions comme « consommateurs », « opinion publique » ou « grand
public », c’est toujours en conservant à l’esprit les résultats des études sociologiques qui ont été faites
à ce sujet. Cependant, nous avons parfaitement conscience du caractère systématique de ces
expressions. En effet, certaines études ont montré que les opinions sur les PGM variaient en fonction
des individus, surtout lorsqu’on les interroge en particulier. Aussi, notre objectif n’est pas de
déterminer ce que pense l’opinion publique (ce travail a déjà été fait), mais de comprendre ce qui
dans la technologie a fait problème. Autrement dit, notre question est « qu’est-ce qui fait que la
transgenèse végétale est devenue une source de problème, aussi bien pour les experts que pour les
non-experts ? » Il s’agit donc plus d’étudier la technologie en soi que les réactions de l’opinion
publique par rapport à la technologie.
7
Répondant à la question « Les Français ont-ils peur des OGM ? », Pierre-Benoît Joly affirme : « Non,

8
l’établissement de procédures de traçabilité et d’étiquetage. Si on ne peut que se féliciter
dans les deux camps d’un tel progrès - en effet, ceux qui croient fermement en la vertu des
PGM considèrent ces directives comme un label qui permettra à terme, c’est-à-dire, lorsque
les PGM présenteront des avantages directs pour le public de distinguer un avantage lorsque
celui-ci sera clairement perçu - et pour les consommateurs prudents ou les farouches
opposants, cette décision devrait permettre de clarifier une situation et être source d’un
regain de confiance. Il ne s’agit pourtant là que de demi-mesures et on peut penser
qu’aucune des deux parties ne sera satisfaite sans que l’on ait une véritable compréhension
de ce que sont les PGM et la transgenèse végétale.

En disant cela, nous ne tentons pas de remettre au goût du jour la thèse selon
laquelle un individu doit comprendre la technologie pour l’accepter ; s’il y a sans doute là une
part de vérité, il nous paraît plus important de dévoiler les présupposés idéologiques qui ont
joué le rôle d’un frein au dialogue aussi bien au sein de la communauté scientifique qu’entre
les industriels et les consommateurs. Or comment expliquer le fait que les PGM aient
cristallisé à elles seules autant de problèmes et soient devenues une source de conflits aux
frontières de la politique agricole, des mouvements environnementalistes, de la dynamique
industrielle et du marché de la grande distribution ? Pour cela, il est nécessaire de retourner
à l’analyse de la technologie en elle-même et à la définition du statut d’une plante
génétiquement modifiée. Car trop souvent on a réduit le débat à une querelle politique et on
a utilisé les PGM comme le prétexte à un autre débat. Si les scientifiques, les institutions et
les industriels, à la suite de quelques mésaventures, ont bien compris qu’une technologie ne
pouvait s’imposer indépendamment de la volonté du plus grand nombre et qu’il fallait en
passer par un débat, il est également nécessaire de clarifier la position des opposants à la
technologie. En effet, d’un point de vue naïf, on peut s’étonner du fait qu’une technologie qui
est présentée par certains spécialistes comme une véritable révolution ne réussisse pas à
s’imposer8, alors que, comparativement aux autres technologies, elle ne semble pas

aucune enquête ne le montre. Ce qui est très particulier, c'est le fait que les OGM ont cristallisé toute
une série de nouvelles questions sur la gestion des pratiques agricoles. En fait, le débat déborde la
stricte problématique des OGM : Quel projet pour l'agriculture et l'alimentation françaises ? Quelles
sont les implications des brevets ? En même temps, le débat porte sur l'organisation de l'expertise et
sur les politiques de recherche. L'importance de ces thèmes est liée à la place des organisations
altermondialistes, notamment la Confédération paysanne et Attac. Depuis 2001, ces organisations
mènent des campagnes de destruction des essais au champ, ce qui provoque de fortes réactions
d'une partie des scientifiques. De nombreux maires de communes rurales ont pris des arrêtés
d'interdiction des essais, eux-mêmes relayés par certains conseils régionaux. » Pierre-Benoît Joly,
chercheur à l'Inra, « La méfiance française décryptée par un sociologue », propos recueillis par Yves
Miserey, le Figaro, 19 mai 2004.
8
« L'éventuelle autorisation du "Bt-11" par la Commission après l'échec des Etats à s'entendre
provoque une polémique » le Monde du 13.05.04.

9
présenter ni plus ni moins de danger. Ne pratique-t-on pas à son propos trop souvent
l’amalgame ?

En effet, dans un numéro daté du mois de juillet 1999, le Monde Diplomatique offre
sa première de couverture ainsi qu’une pleine page intérieure à François Dufour, agriculteur
et porte-parole de la Confédération Paysanne. A la lecture du titre : « Dioxine, ‘vache folle’,
OGM, Les savants fous de l’agro-alimentaire », les PGM subissent une lourde charge: « La fin
du millénaire voit monter une ‘grande peur’ inattendue : celle de la nourriture quotidienne.
De la ‘vache folle’ au poulet à la dioxine, en passant par le bœuf aux hormones, le soja
transgénique, les farines au jus de cadavre données aux animaux de boucherie ou aux
poissons d’élevage, l’eau minérale et le coca-cola contaminés, la liste s’allonge des produits
de consommation frelatés. Un fil rouge relie ces dérives : la poursuite maximale du profit par
les firmes géantes de l’agro-alimentaire qui sont en train de transformer l’agriculture en une
industrie où le paysan n’a plus sa place. »9 Ces quelques lignes propagent la confusion : les
PGM sont présentées au même niveau que toutes les autres crises de l’agro-alimentaire,
elles ont été inventées par des scientifiques irresponsables et leur application a été
développée par des industriels cupides et sans foi, ni loi. L’auteur les met au même niveau
que les autres crises alimentaires qui ont secoué la société. Il faut donc que l’a priori général
de la nocivité de la technologie soit largement répandu pour qu’un tel éditorial paraisse à la
une d’un journal aussi représentatif. Mais on l’aura compris, il s’agit ici d’une tribune
politique.

Aujourd’hui, l’opinion selon laquelle « la présence de PGM sur le marché est une
source de problèmes et d’inconvénients» semble bien ancrée dans les mœurs et la chasse
aux « OGM » est ouverte. On est passé de la question « les PGM sont-ils une source de
risques ?» (question à laquelle on n’a toujours pas donné de véritable réponse) à la question
« comment faire pour les ostraciser?» Ainsi, en France, le magazine Que choisir ? du mois de
juin 2002 révèle au consommateur prudent qu’on lui « cache les OGM » et que sur « 80
produits analysés, 16 sont positifs »10.
Sur quels arguments l’opinion défavorable aux applications de la transgenèse
végétale11 se fonde-t-elle ? Comment expliquer que les PGM qui, depuis 20 années

9
François Dufour, « Dioxine, « Vache Folle », OGM, les savants fous de l’agroalimentaire », Le Monde
Diplomatique, Juillet 1999, p.1.
10
« Les OGM cachés », magazine Que Choisir ?, n°394, juin 2002.
11
Dans le livre les Biotechnologies en débat , on trouve les résultats d’un sondage effectué au cours de
l’hiver 2000/2001 ; à la question encourageriez-vous la modification génétique d’un fruit ou d’un
légume pour qu’il ait meilleur goût, seul 2% de la population interrogée est tout à fait favorable alors
que 57% est défavorable. Les Biotechnologies en débat, pour une démocratie scientifique, Editions
Balland, Paris 2002, p.126

10
maintenant, sont présentées à grand renfort de moyens par les scientifiques et les
industriels, comme la solution à moyen terme pour résoudre le problème de « la faim dans le
monde », n’aient pas réussi à séduire et voient naître chaque jour un plus grand nombre de
détracteurs ? Comment expliquer le fait que cette technologie qui a révolutionné l’histoire de
l’agronomie et a fêté ses 20 ans en 200312 reste toujours présentée comme une régression ?

Même si de nombreuses explications ont déjà été proposées, cette situation nous a paru
surprenante pour les raisons suivantes13 :
- En France, on ne peut pas dire que le public ait été exposé directement aux PGM. Par
exemple, le consommateur n’est quasiment jamais en contact avec des légumes
génétiquement modifiés14. On ne trouve pas de tomates transgéniques sur les
étalages de la grande distribution. En ce qui concerne les agriculteurs maintenant, un
moratoire15 a suspendu la dissémination à grande échelle des plantes génétiquement
modifiées et ils continuent d’avoir principalement recours aux semences issues de la
sélection classique.
- Les seuls PGM qui sont cultivés sur le sol français le sont à titre expérimental et les
industriels doivent en référer à la Commission du Génie Biomoléculaire16. En outre, La
procédure veut que tous les essais réalisés en plein champ soient décidés après un
examen minutieux du dossier présenté par le pétitionnaire, que celui-ci soit une
entreprise privée ou appartienne au secteur public.
- Si quelques citoyens peuvent connaître un proche ou l’ami d’un proche qui a été
atteint par la version de la maladie de Creutzfeldt-Jakob dont il a été constaté qu'elle
était similaire à l'ESB, ou encore avoir contracté le VIH à la suite d’une transfusion
sanguine… personne ne peut affirmer qu’il connaît un proche qui présenterait des

12
Si une longue aventure a précédé la naissance de la toute première plante transgénique, on peut
dater celle-ci à l’année 1983, suite aux travaux de l’équipe belge de Marc Van Montagu et de l’équipe
américaine de Marie Del Chilton.
13
Ces remarques préliminaires ont pour but de retracer l’étonnement qui a été à l’origine de notre
travail.
14
En Angleterre, la société Zeneca a introduit sur le marché une purée à base de tomates
génétiquement modifiées qui a connu un succès non négligeable pendant un certain temps ; cette
tomate n’est plus commercialisée actuellement.
15
C’est en juin 1999, que l’Union Européenne a décidé de l’application d’un moratoire concernant la
production de PGM sur le sol européen.
16
En 2000, 62 dossiers de plantes ont donné lieu à des mises en culture dans environ 125 communes.
Rapport 2000 de la CGB, La documentation française.

11
symptômes à la suite de l’ingestion de maïs transgénique. En d’autres mots, on n’a
pas encore détecté de « maladie des OGM »17.
- On peut supposer que cette « réaction négative» a pour origine une attitude
prudente fondée sur le manque de recul (absence d’expérience spatio-temporelle en
plein champ ou sur les étalages) ; pourtant il est toujours possible de s’instruire des
résultats qui ont été obtenus outre-Atlantique où l’on cultive désormais les plantes
génétiquement modifiées à grande échelle et ce, depuis maintenant presque 10
ans18.
- Si l’on considère le cas particulier des Etats-Unis, où consommateurs et agriculteurs
sont exposés de manière directe aux plantes génétiquement modifiées, alors, on
constate que l’attitude réfractaire a mis beaucoup plus de temps à émerger et ne
s’exprime pas de la même façon19. En outre, s’il est vrai que pour comparer on doit
tenir compte des différences socioculturelles, il ne faut pas cependant oublier qu’un
pays s’est trouvé directement aux contacts des PGM alors que l’autre n’en a fait
qu’une expérience indirecte. Dans les deux cas, une fois de plus, le point commun est
l’absence de détection d’accident notoire qui aurait pu entraîner des dommages pour
la santé, voire l’existence des individus.

Il est vrai que le consommateur français peut avoir le sentiment d’être soumis aux PGM
indépendamment de sa volonté par l’intermédiaire des animaux nourris aux céréales ou des
20
produits transformés importés des Etats-Unis ou des autres pays producteurs de PGM . On

17
Nous ne cherchons pas ici des arguments pour démontrer l’absence de risque des PGM. En effet,
comme chacun, nous nous rangeons derrière l’argument selon lequel « l’absence de preuve n’est pas
une preuve d’absence ». On ne peut pas présumer de l’existence de risques potentiels et le principe
de précaution doit être appliqué. Cependant, ce que nous observons aujourd’hui, c’est que, alors qu’il
y a effectivement « absence de preuve » (ici, absence d’accident), le sujet des PGM est présenté dans
les médias sur un ton catastrophiste similaire à celui des crises alimentaires où il y a eu effectivement
« accident », donc preuve.
18
Concernant, par exemple, les seules plantes résistantes aux herbicides, un rapport édité par les
services de recherche économique de l’USDA, nous apprend que la surface cultivée de soja
génétiquement modifié est passée de 17 % en 1997 à 68 % en 2001. Adoption of Bioengineered
Crops / AER-810 Economic Research, Service/USDA. 2001
19
Pierre-Benoit Joly, Gérald Assouline, Dominique Kréziak, Juliette Lemarié, Claire Marris, Alexis Roy,
INRA Grenoble, Collectif sur les risques, la décision et L’expertise (CRIDE), chapitre « le face à face
Etats-Unis Europe », in L’innovation Controversée : « Le Débat Public Sur Les OGM en France »
Rapport Janvier 2000, p.161 ; et aussi, « Analyse économique du développement des cultures à base
d'organismes génétiquement modifiés aux Etats-Unis », Avril 2001.
20
Ainsi comme le résume Claude Fischler dans une intervention : « Si en plus de subir un risque qu’on
vous impose, vous prenez conscience ou vous pensez qu’il profite à quelqu’un et pas à vous, vous
êtes évidemment dans une situation beaucoup plus mobilisatrice que si le risque est « gratuit » pour
tout le monde. Arrivé à ce point, les gens pensent toujours aux Ogm… Avec un risque dont on ne
connaît pas l’importance, qui vous est imposé parce que vous n’avez aucun contrôle sur ce que vous
allez absorber et qui, en plus, profite à d’autres plutôt qu’à vous. Il n’y a même aucune promesse pour

12
comprendra aussi que, à la suite des nombreuses affaires qui ont été mises en exergue, l’on
considère comme un véritable problème l’absence d’étiquetage d’un produit supposé
dangereux. L’absence de choix et le manque d’information sur la transgenèse végétale
peuvent être perçus comme un double obstacle à la consommation. Si on ajoute à cela le
manque de confiance et l’absence des citoyens dans les instances décisionnelles, alors on
comprendra la frustration et la méfiance des consommateurs21.
A la suite de ces remarques qui, rappelons-le, ont pour objectif d’exposer l’étonnement
qui se trouve à l’origine de notre travail, une question reste en suspens :

« Comment, expliquer que les campagnes de communication d’envergure qui ont été mises
en œuvre par les promoteurs de la transgenèse végétale, ainsi que les prises de positions
officielles des institutions gouvernementales ou internationales qui sont venues appuyer
cette innovation, soient restées sans effet sur l’opinion publique ? Comment expliquer que le
message entièrement positif que véhiculait la mise sur le marché des PGM soit passé
inaperçu, voire, ait été spontanément dénoncé comme une opération de marketing22 ?
Comment expliquer cette réaction négative par rapport à une nouvelle technologie dont on
imagine de manière un peu trop exclusive, les risques et ignore entièrement les infinies
potentialités ? Comment expliquer, l’absence d’unanimité au sein même de la communauté
scientifique ? Pourquoi, enfin, la transgenèse végétale est-elle devenue un catalyseur de
problèmes ?»

De nombreux travaux ont fourni des explications pertinentes sur le problème de la


réaction du public face aux PGM. Aussi, les études financées par les institutions ou les
industriels ne manquent pas23. Or on constate généralement deux types d’explication.

le consommateur. On ne vous dit même pas que ça va être moins cher ou meilleur. Mais :« Bouffez,
nous ferons le reste. » in « Quand les crises alimentaires réveillent les utopies », 6e Université d’été
de l’innovation rurale Jazz In Marciac, Actes des journées du 9 et 10 août 2000 , sur
http://www.agrobiosciences.org/
21
Ces thèses sont celles qui sont défendues par la plupart des études sociologiques qui ont eu lieu sur
le sujet (PABE, INRA-Stepe, Gaskell & al., Cheveigne…). Le public s’est senti exclu du débat ; il a
perdu confiance dans les institutions.
22
C’est le cas par exemple pour le riz doré ; en effet dès l’annonce de la mise à disposition prochaine
pour les agriculteurs des PVD de cette céréale génétiquement enrichie en vitamine A, les promoteurs
de la technologie et les firmes qui les soutenaient se sont vues immédiatement accusés de vouloir
utiliser cette invention pour, c’est le cas de le dire, « redorer » leur image de marque auprès des
consommateurs occidentaux.
23
Au niveau européen les 3 principaux projets sont « Science et Gouvernance », « le PABE »
(Perceptions Publiques des Biotechnologies Agricoles en Europe) et « l’Eurobaromètre ». Le premier
est essentiellement financé par l’INRA et fait intervenir tout un réseau de partenaires internationaux ;
le second, est financé par la Commission Européenne dans le cadre des programmes de recherche
FAIR (agriculture et pêche) et ELSA (dimensions éthiques, juridiques et sociales des sciences de la

13
Une première thèse affirme que l’opinion négative sur les PGM a pour origine le
manque d’information, voire la désinformation ; ces lacunes auraient pour conséquence la
crainte et le refus des consommateurs qui ne comprennent pas le principe de la transgenèse
végétale. Ceux qui défendent cette position sont, le plus généralement, des scientifiques ou
des promoteurs du génie génétique. Ils se fondent, le plus souvent, sur les résultats de
sondages tels que ceux de l’eurobaromètre. Cette thèse est soutenue, par exemple, par
Robert Marchant dans un rapport de l’EMBO (European Molecular Biology Organization)24. Le
manque d’information, ou l’information tronquée et déformée serait principalement à
l’origine des craintes. Aussi, pour les scientifiques impliqués dans le débat, il est important
d’accroître la communication vers le public pour que celui-ci ait une meilleure compréhension
des faits25. Cette idée a été largement développée (d’un point de vue non-sociologique) par
le biologiste moléculaire, Philippe Kourilsky. Dans son livre La science en partage, il
commente les prétendus risques que font courir les plantes génétiquement modifiées : « Au
total, on voit difficilement, dit-il, où se trouvent les risques planétaires et les dangers
inquiétants auxquels nous exposeraient les plantes transgéniques. Qu’en raison de leur
caractère innovant elles aient été soumises à une attention critique accrue est parfaitement
normal. Mais on aperçoit mal, et de moins en moins à mesure que les expérimentations
s’accumulent, où résiderait leur nocivité spécifique.»26 Un peu plus loin dans le livre, il
s’interroge sur les notions de risque potentiel et risques avérés, (notions sur lesquelles nous
aurons l’occasion de revenir) : « Que s’est-il produit dans le débat public en Europe qui
explique la dérive que nous constatons sur les biotechnologies ? Tout simplement la
distinction entre les risques potentiels et les risques avérés a été perdue. […] Restent alors le
risque et la dangerosité qui y est associée. »27 La réponse à cette question, d’après l’auteur,
se trouve dans une analyse de la diffusion de l’information scientifique et c’est, en grande
partie, ce travail que nous entreprendrons de faire dans cette thèse. Pour Kourilsky, la
désinformation médiatique joue un rôle fondamental dans la formation d’une opinion anti-
OGM majoritaire. Beaucoup de scientifiques sont persuadés qu’un manque d’information du
grand public a joué en la défaveur de la transgenèse végétale. C’est parce qu’ils ne

vie) ; le projet a débuté en juin 1998 pour une durée de deux ans. L’Eurobaromètre enfin, est un
sondage d’opinion géré par l’INRA Europe et l’ECOSA.
24
Robert Marchant, « From the test tube to the table », EMBO reports vol.21 no.51 , 2001,
http://embojournal.npgjournals.com/
25
« As the debate over GM crops and products has intensified, many scientists have become involved
in increasing the public understanding of genetic manipulation. These initiatives are based on a ‘deficit
model’, which assumes that if public knew more about GM science, it would be more supportive of the
technology. » Ibid.
26
Philippe Kourilsky, La science en partage, éditions Odile Jacob, 1998, p.57
27
Kourilsky, Ibid., p.64

14
comprendraient pas le mécanisme de ce qui se passe et se trouveraient dans l’incapacité de
se représenter ce que peut être une plante génétiquement modifiée, que les consommateurs
auraient peur de cette nouvelle technologie.

Pourtant cette thèse, avec tous ses présupposés (suprématie et infaillibilité du modèle
scientifique, ignorance du public, absence de prise en compte des revendications, absence
d’esprit critique par rapport aux médias…) semble insuffisante pour expliquer les réactions
du public. Les résultats d’une étude de science sociale financée par l’Union Européenne sur
le comportement des individus prétend démontrer son incohérence28. D’après les sociologues
qui se trouvent à l’origine de ces enquêtes qui ont été menées en Angleterre, en France, en
Allemagne, en Espagne et en Italie, non pas sous forme de sondage d’opinion, à la manière
de l’eurobaromètre, mais à l’aide de groupes de discussion sur plusieurs thèmes déterminés
(focus group), l’idée selon laquelle le public manque d’informations scientifiques est un
mythe soutenu par les acteurs de la technologie (stakeholders). Les enquêtes auraient bien
décelé une ignorance du public, mais celle-ci serait accompagnée d’une conscience de cette
ignorance ; aussi, dans ce cas, on ne pourrait pas parler de fausse croyance sur cette
technologie. Au contraire, une étude réalisée par Gaskell et al. aurait démontré qu’une
meilleure connaissance de cette technologie rendrait les gens plus sceptiques29. Après avoir
déconstruit ainsi plusieurs mythes (11 en tout), le groupe affirme que l’abandon de ces
fausses interprétations et leur substitution par une meilleure compréhension des véritables
raisons qui font que le public reste généralement insatisfait par rapport à la manière dont les
PGM ont été introduites sur le marché (à quoi ça sert, à qui ça profite, pourquoi n’avons-
nous pas été mieux informés, est-ce que les risques ont suffisamment été estimés… ?)
permettraient aux promoteurs de ces nouvelles technologies de mieux gérer la situation,

28
Final Report of the PABE research project, Public Perceptions of Agricultural Biotechnologies in
Europe, funded by the Commission of European Communities, Contract number: FAIR CT98-3844
(DG12 - SSMI), December 2001
29
« Indeed, understanding the nature of genetic modification, although varied between individuals
and countries, was often rather limited. In particular, participants tended to be unsure about the
technical distinction between conventional breeding methods and recombinant DNA techniques. But
this would be better described as a lack of knowledge, rather than firmly held false beliefs about this
technology. Participants were conscious of this technical ignorance, and admitted it readily. More
importantly, the principal concerns expressed about GMOs were not based on erroneous information
and would, therefore, not be addressed by more science education. Thus, even if we could wave a
magic wand and create a world tomorrow where all citizens knew that all tomatoes contain genes, the
basic questions (in sidebar) would remain unanswered, and the controversy would be unlikely to
abate. Indeed, there is evidence that more knowledge about GMOs makes people more sceptical or
polarised, not less (Martin and Tait, 1992; Gaskell et al., 1998). » Marris Claire, « Public views on
GMOs: deconstructing the myths - Stakeholders in the GMO debate often describe public opinion as
irrational. But do they really understand the public? », 08/13/2001, source www.bioscope.org

15
aussi, il serait plus judicieux que ceux-ci entreprennent de changer la façon dont ils agissent
que de vouloir « rationaliser l’opinion publique »30.

On le voit, cette explication, contrairement à la précédente, a le mérite de prendre en


compte des considérations autres que l’ignorance du public. En donnant des raisons
extérieures au contenu du sujet, à savoir, ‘la possibilité d’exprimer son avis sur une
innovation sans en connaître le détail’, elle permet d’élargir le débat et dévoile un
dysfonctionnement du processus de validation de l’innovation scientifique et technique. Le
fait que l’on n’ait pas demandé l’avis des individus pour introduire les PGM dans la chaîne
alimentaire pourrait déjà apparaître comme une faute en soi. Cette explication remet en
cause les présupposés de l’expertise. Mais alors que la première se recentre uniquement sur
la problématique de la compréhension de la transgenèse végétale sans voir les éventuelles
revendications du public, l’explication du PABE ne tient nullement compte de la spécificité de
la transgenèse végétale. Cela paraît évident, puisqu’elle légitime des opinions fondées sur
une connaissance incomplète du sujet. Aussi, s’il est légitime de reprocher aux promoteurs
des PGM de ne pas avoir pris en compte l’intérêt des consommateurs, cela n’implique pas, a
contrario, que l’on donne une valeur absolue à des perceptions subjectives (en ce sens
qu’elles s’appuient sur des présupposés et n’ont pas une pleine connaissance de l’objet
qu’elles jugent), quel que soit l’argument sur lequel elles se fondent.
Si chacune des deux thèses précédemment évoquées rend compte des réactions
suscitées par les PGM, elles n’expliquent pas les raisons profondes du problème. Il paraît
donc nécessaire d’aller encore plus avant en recherchant ce qui, dans la technologie en elle-
même, a fait qu’elle est devenue une source de problème.
Tout d’abord, il est important de remarquer que la controverse ne trouve pas son
origine au sein du « public inculte », mais au cœur de la sphère de l’expertise scientifique.
En effet, il faut remonter à 1974 et à la conférence d’Asilomar pour retrouver l’origine de la
première controverse scientifique sur le génie génétique. La dispute est donc née en même
temps que la technologie. Concernant ces querelles, il est important de noter au passage
qu’elles n’opposent pas seulement des représentants de disciplines distinctes : si l’on trouve

30
« It is obvious that public opinion has had a significant impact on the development and marketing
of GMOs in Europe. At the same time, the current situation does not fully satisfy any of the
stakeholders. Our research suggests that one reason for this situation is not a lack of public
understanding of the science but rather policies that continue to be based largely on erroneous beliefs
about 'the public'. Clearly, there is a mismatch between the way in which institutions comprehend
public perceptions, and the attitudes expressed by the participants in our focus groups. Exploring this
apparent discrepancy is important, because new policies and strategies to introduce GMOs-even if
they are innovative and honestly seek to integrate public views-are prone to failure if they continue to
be based upon these 'myths'. » Ibid.

16
de nombreux opposants dans les matières qui n’incluent pas forcément la biologie
moléculaire (le cas du botaniste Jean-Marie Pelt est, de ce point de vue, édifiant31), ce n’est
pas toujours la règle, et de nombreux biologistes moléculaires sont de virulents opposants
aux plantes génétiquement modifiées. L’étude de la controverse scientifique doit précéder
celle de la polémique au sein de la sphère publique. Or, on constate d’emblée qu’il ne s’agit
pas d’une discorde « purement scientifique », en ce sens qu’ici, le débat n’a pas pour objectif
de remettre en cause une théorie, ou des résultats32, mais, le plus souvent, l’interprétation
qui est donnée de ces résultats. Il ne s’agit pas non plus d’une querelle politique : en effet,
on ne conteste pas l’usage qui est fait d’une technologie - selon l’adage que toute
technologie est bonne en elle-même, seule l’application que l’on en fait peut être bonne ou
mauvaise – mais c’est bien la technologie en elle-même qui est directement considérée par
certains experts contestataires, comme mauvaise, et non son application33. C’est donc
seulement après avoir analysé les raisons qui font que certains scientifiques contestent ce
que d’autres affirment que nous pourrons mieux comprendre les opinions qui courent au sein
des non-initiés.
Ensuite, contre la thèse des sciences sociales qui affirme que l’esprit critique des
consommateurs à l’égard des PGM est autonome et possède une valeur indépendamment du
fait qu’il ne se fonde pas sur une connaissance « objective » et scientifique, nous soutenons
que cette théorie n’est vraie, que dans la mesure où l’on admet que les consommateurs ont
été beaucoup plus réceptifs aux arguments anti-PGM relayés par les médias, que par les
campagnes de communication orchestrées par les industriels et les institutions qui cherchent
à promouvoir les PGM sur le marché. Autrement dit, lorsque le public s’oppose aux PGM, il
adhère à un système de pensée que les médias ont largement relayé. Ce qui signifie qu’il se
reconnaît moins facilement dans les valeurs que mettent en avant les promoteurs des PGM,
que dans celles que promeuvent leurs détracteurs.
Du point de vue d’une stratégie de communication, il sera intéressant de voir
comment un message positif (la promesse d’une nouvelle révolution verte) s’est laissé
terrasser par l’esprit critique (la menace d’une catastrophe écologique). Pour cela, il faudra
prendre en compte le rôle que la perception du risque a pu jouer. D’une étude sur l’aspect

31
Lors de ses prises de positions contre les PGM, le botaniste ne cache jamais le fait que, depuis
l’arrivée du génie génétique sur le devant de la scène, la matière qu’il enseigne est totalement passée
d’intérêt aussi bien pour les étudiants que pour l’administration qui distribue les crédits de recherche.
Information recueillie oralement lors d’une conférence donnée à l’occasion d’un forum organisé par
l’Institut Européen d’Ecologie en Décembre 2001.
32
Cela peut cependant arriver comme on le verra dans le cas de l’affaire Pusztaï.
33
Ainsi, dans la sphère des scientifiques français, il y a actuellement deux pétitions qui circulent, une
pro et une anti-PGM.

17
communicationnel du sujet, on passera donc, tout naturellement, à une analyse des valeurs
en présence dans le débat.
Après avoir tenté de démontrer le caractère idéologique du débat sur les PGM, qu’il
s’agisse des experts ou des non-initiés, en ce sens que, très souvent, pour les premiers, ce
sont des a priori et des prises de positions systématiques qui déterminent l’évaluation des
risques, alors que pour les seconds, ce sont des arguments externes à la technologie qui
motivent une certaine méfiance et les critiques exacerbés, on tentera d’analyser les
idéologies en présence. Ce travail nous permettra donc de découvrir ce qui dans la
technologie fait qu’elle est devenue une source de problèmes : l’objectif étant de dévoiler la
véritable nature de la technologie pour dissiper les problèmes.
A la source des disputes, on trouvera donc une véritable querelle philosophique sur
les notions de « technologie » et de « nature ». Aussi on essayera de démontrer comment
en inaugurant un rapport « technologie-nature » inédit dans le domaine agro-alimentaire, la
transgenèse végétale s’est retrouvée sur le devant de la scène. En ouvrant un monde de
possibles encore inexplorés la transgenèse végétale pose un double problème à ses
promoteurs et à ses détracteurs : «Les pratiques agricoles issues des biotechnologies sont-
elles un mode de production qui s’éloigne de l’idée de nature et par conséquent ne peuvent
répondre à certains critère de qualité ? » et « les plantes génétiquement modifiées doivent-
elles être considérées comme des êtres ‘contre-nature’ et si oui, qu’est-ce que cela
signifie ? » Il s’agit donc de juger les biotechnologies d’une part, et de définir les êtres dont
elles se trouvent à l’origine d’autre-part.

C’est en suivant le fil de ces interrogations que nous avons mené une enquête
interdisciplinaire dont le premier aspect propose un enracinement du débat au niveau
historique et actuel : Quelle place la transgenèse végétale occupe-t-elle dans le courant des
biotechnologies et en quoi la controverse scientifique sur les PGM se rattache-t-elle au
processus qui est né à Asilomar ? Ensuite en quoi la polémique sur les PGM se distingue de
la crise de la vache-folle ?
Le deuxième aspect, quant à lui, présente une étude détaillée de la controverse au
sein de la communauté des experts (scientifiques et techniques, socio-économiques34). Nous
avons sélectionné certaines controverses qui nous ont paru fondamentales en les classant en
fonction du principe d’équivalence en substance, du principe de précaution et du calcul de la

34
Nous avons laissé de côté l’expertise juridique et politique pour nous concentrer sur l’aspect
technologique du sujet ; en effet nous considérons que, contrairement aux deux premiers domaines
qui ont fait l’objet de suffisamment d’études, le second a fait l’objet de beaucoup moins d’études.

18
balance risque-bénéfice. Pour cela, on a eu recours à des articles issus de la recherche
fondamentale, des articles de synthèses, des rapports, mais aussi, des textes de
vulgarisation scientifiques, en Europe, aux Etats-Unis et dans les PVD.
Le troisième aspect porte sur la polémique publique des PGM sur le territoire français
essentiellement. On a étudié cette polémique sur 3 niveaux : celui des enquêtes d’opinions,
celui des médias et celui des acteurs directement impliqués dans la controverse (industriels
et ONG).
Le quatrième aspect, enfin, est une étude philosophique des courants de pensée
impliqués dans le débat et propose une réflexion sur le rapport «technologie-nature » tel que
l’implique la transgenèse végétale.
La méthode interdisciplinaire employée nous permet d’avoir une vision synthétique
d’un problème qui est très souvent traité de manière compartimentée. Ainsi, certaines
réflexions menées par les scientifiques se contentent d’opposer l’aspect rationnel de la
science dite « orthodoxe » et l’aspect « subjectif de l’opinion ». Certaines études
sociologiques, quant à elles, ne voient que les prises de positions des acteurs sans regarder
l’objet sur lequel elles portent. En abordant les aspects historiques, épistémologiques,
médiatiques et axiologiques de la querelle des plantes génétiquement modifiées, nous
souhaitons démontrer comment un problème épistémologique donne lieu à un problème de
société puis à un problème de communication et finalement à un problème de philosophie
des valeurs. Aussi, nous pensons qu’aujourd’hui le dialogue est devenu impossible parce que
les mots utilisés par les uns et les autres ne recouvrent pas les mêmes choses et que le
nouveau rapport technologie-nature instauré par les PGM n’a ni été présenté, ni été compris
à sa juste mesure. Une tentative de caractérisation de celui-ci devrait permettre de rétablir le
dialogue entre les différents protagonistes qui pourraient s’opposer sur la représentation
même d’une technologie et de ses applications possibles, plutôt que de l’utiliser, à la manière
de certains, comme un prétexte pour un autre débat.

19
2. Des origine de la technologie à la polémique

Lorsque aujourd’hui les médias parlent « d’OGM », ils emploient fréquemment le


terme de « bricolage » ; les scientifiques se « prennent pour Dieu » ou encore, ils jouent les
« apprentis sorciers ». Ces qualificatifs souvent employés de manière péjorative35, reflètent
un certain oubli : celui des hommes de sciences et des progrès qu’ils ont accompli en un peu
moins d’un demi-siècle. Cette année, la transgenèse végétale célèbre son 20ème anniversaire
et ses applications ne cessent de se multiplier et de se diversifier. Pourtant, ce
développement semble aujourd’hui menacé. En rencontrant comme principal obstacle le
faible enthousiasme, pour ne pas dire, la réponse négative des consommateurs et les fortes
protestations des ONG environnementalistes, les industriels se retrouvent dans une situation
délicate, au point que les PGM sont devenues un véritable « problème » qui touche aussi
bien les experts que la société toute entière. Comment situer la transgenèse végétale par
rapport aux autres biotechnologies ? En quoi la controverse qu’elle a soulevée poursuit-elle
le processus entamé à Asilomar et comment distinguer la polémique suscitée par les PGM de
la crise de la vache-folle ? C’est ce que nous souhaitons voir maintenant au cours d’un bref
historique36 qui nous permettra de brosser le tableau dans lequel nous situerons nos études
sur les controverses scientifiques, la polémique médiatique et idéologique.

2.1. De la découverte de l’ADN à ses applications


Depuis la découverte de Crick en 1953 selon lequel « les molécules d’ADN (acide
désoxyribonucléique) et d’ARN (acide ribonucléique) ont une importance fondamentale et
sont, soit le support de l’information génétique, soit les agents permettant l’expression de
cette information»37, les applications technologiques relatives aux découvertes de la
Biochimie structurale des acides nucléiques sont allées bon train. A la base de tous les
développements, on trouve donc l’idée du code génétique et, ce qui sera découvert au milieu
du 20ème siècle, son caractère universel : « Une des découvertes les plus fascinantes de la

35
La connotation du terme « bricolage » dans la presse est souvent dépréciatrice et exprime l’absence
de maîtrise, contrairement à l’emploi qu’en a fait François Jacob pour caractériser le fait que « les
mécanismes évolutifs évolueraient avec l’évolution. L’évolution du bricolage consisterait dans un
passage de la simple duplication des gènes à l’acquisition par les gènes de fonctions nouvelles
séquentiellement activées. » (voir sur ce point, l’Ouvrage de Claude Debru, Le possible et les
biotechnologies, p.p.144-145)
36
Ce chapitre a un but introductif et se propose de resituer la technologie, la controverse et les
polémiques dans leurs contextes. Notre objectif est double : montrer que la transgenèse végétale, en
tant que biotechnologie, s’enracine dans les travaux de recherche fondamentale des sciences du
vivant et comme agro-technologie, elle se distingue des crises alimentaires qui ont frappé les
consommateurs.
37
Gérard Fernand Cuvellier, Biotechnologies, 5ème édition, éditions Tec & Doc, 1999.

20
biologie est le caractère universel du code génétique. C’est la grille de correspondance entre
les triplets (appelés « codons ») et les acides aminés, qui est universellement conservée. Des
bactéries à l’homme, des champignons aux végétaux toute la vie sur Terre est organisée
autour de ce code, toujours le même (à quelques rares exceptions près). Les conséquences
pratiques de cette incroyable conservation sont immenses : une séquence codante
provenant de n’importe quelle espèce, peut être introduite dans n’importe quelle autre
espèce, tout en continuant de coder une protéine déterminée. (…) C’est cette universalité qui
a permis de créer des organismes génétiquement modifiés : faire synthétiser l’hormone de
croissance humaine à une bactérie, fabriquer des vaccins exempts de tout risque de
contamination par des virus ou introduire dans une plante un gène conférant une résistance
à une maladie, rien de tout cela ne serait possible sans ce caractère universel du code
génétique. »38 Or, ce passage de la science fondamentale - qui trouve ses origines
théoriques en 1865 dans le mémoire de Mendel, intitulé « Recherches sur les hybrides
végétaux » – aux applications technologiques, ne s’est pas fait immédiatement. Ainsi,
comme le remarque François Gros dans son ouvrage La Civilisation du gène, « dans la
période qui s’est écoulée entre 1950 et 1970, les objectifs que les sciences de la vie se sont
assignées ont fort rarement embrassé les domaines d’application. A l’exception d’études
tendant à établir un lien entre l’activité thérapeutique de certaines molécules (antibiotiques
ou « analogues » synthétiques de métabolites naturels) et les perturbations qu’elles sont
susceptibles d’entraîner par exemple au niveau de la traduction génétique, on peut dire que
les biologistes moléculaires se sont bien davantage préoccupés des aspects fondamentaux
propres aux vivants que de pharmacologie, de médecine ou d’agriculture.»39 Selon
l’Académicien des Sciences, cette période va être interrompue par 2 événements : la
découverte, à la fin des années 60, de la transcription réverse par Howard Temin à
l’Université du Wisconsin. Le chercheur qui travaillait sur les rétrovirus responsables du
cancer chez certains animaux va remettre en question la thèse selon laquelle « l’information
des gènes ne passe que dans un sens ». La seconde découverte est, cette fois-ci, technique
et non pas théorique : « c’est la découverte des techniques de recombinaison artificielle, plus
connue depuis, sous le nom de génie génétique. Non seulement elle va, à partir de 1973,
redonner une certaine ardeur aux biologistes moléculaires, mais elle va s’avérer d’une
importance socio-historique considérable, ayant en ceci une portée sans doute aussi grande,
dans le public, que l’annonce des premiers succès de Louis Pasteur en 1885 dans le domaine

38
Jean-Gabriel Valey, « La transgenèse végétale : de l’ADN aux protéines », in Les Plantes
génétiquement modifiées, Académie des sciences, rst n°13, éditions Tec & Doc, décembre 2002.
39
François Gros, La civilisation du gène, Hachette, 1989, p.169

21
de la vaccination. (…) Elles seront désormais impliquées dans l’interrogation que pose le
monde présent aux technologies nouvelles et à leur impact sur la société. » Et Gros de
continuer : « A partir du moment où l’on commence à entrevoir les nouvelles possibilités
socio-économiques qu’offrent la génétique, qu’il s’agisse de reproduction humaine, de
diagnostic prénatal mais également du génie génétique et des applications, la société, par
fantasme, par éthique , par intérêt ou par crainte, commence à réaliser que cette poignée de
savants pourrait bien changer demain notre mode de vie, et qu’elle pourrait bien changer de
vie tout court. »40 Ainsi, du point de vue de la science, à la fin des années 1970, les
découvertes fondamentales pour rendre possible la transgenèse avaient été faites. Il ne
restait plus qu’à compléter celles-ci par la mise en place de nouveaux outils pour pouvoir
généraliser les techniques de modifications à l’ensemble des applications.
On citera à titre d’exemples, les enzymes de restriction qui peuvent découper l’ADN ;
les plasmides et les bactériophages qui jouent un rôle de vecteur et acheminent les
fragments ainsi obtenus par les enzymes de restriction jusqu’à l’intérieur des bactéries
hôtes ; les gènes de résistance aux antibiotiques que contiennent ces petits fragments d’ADN
circulaire que sont les plasmides transmis aux bactéries. Cette propriété permet de
sélectionner les bactéries transformées en les étalant sur un milieu de culture gélifié
contenant des antibiotiques, sur lequel elles résistent et prolifèrent. Une autre solution
consiste à fabriquer un phage recombiné en ligaturant un fragment d’ADN d’un phage et le
fragment du gène étranger à insérer, puis il infecte et fait éclater la bactérie où il se
reproduit, et va ensuite infecter les bactéries voisines. On sélectionne ensuite les phages
recombinés capables de coder pour une protéine en les repérant par leur couleur blanche.
Les bactéries sont aussi des outils essentiels, on citera l’exemple d’E.Coli, de même que
l’ADN et l’ARN de synthèse, petites molécules que l’on est capable de synthétiser.
Une fois posés les outils essentiels, il faut inventer les techniques pour les utiliser : on
citera le Southern Blot, technique inventée par Southern en 1975, qui a pour but de trouver
dans un mélange d’enzymes de restriction, les fragments correspondants à un gène donné.
Le clonage, imaginé par David Hogness en 1974, consiste à isoler un fragment d’ADN, à
l’insérer dans un vecteur, et à faire répliquer le tout par une bactérie. Cette technique a pour
but de multiplier les fragments d’origine, on peut ainsi créer des génothèques. On peut aussi
créer des banques d’ADN complémentaire (ADNc) à partir de l’ARN pour éviter de cloner
l’ADN inutile. Enfin, il est possible de copier un ADN particulier sans l’intervention des
bactéries grâce à l’amplification de l’ADN par la réaction en chaîne de la polymérisation
(PCR). Une autre technique consiste à caractériser les gènes en réalisant par exemple une

40
François Gros, Ibid.p.173.

22
carte de restriction en découpant deux à deux l’ADN grâce à des enzymes de restriction, ce
qui permet de comparer les endroits où ont lieu les coupures et de reconnaître l’ADN. Il est
aussi possible de déterminer l’ordre des nucléotides, c’est ce que l’on appelle le séquençage,
cette méthode inventée par Sanger, est aujourd’hui complètement informatisée et réalise
l’opération fastidieuse de séquençage du génome humain. Enfin, la modification des gènes,
ou mutagenèse dirigée a recours le plus souvent à la technique de PCR41.
Ainsi, tous les historiens s’accordent généralement pour faire remonter à 1971 la
première « chimère » issue de la biologie moléculaire avec les travaux du professeur Berg
sur le virus SV40, virus à partir duquel on avait étudié le phénomène de transformation :
« Pour mieux étudier les relations entre les gènes de ce virus et les phénomènes de
transformation, le laboratoire de Berg eut l’idée de couper l’ADN génétique de ce virus et de
le recoller à l’ADN d’un autre virus, bactérien celui-ci (le bactériophage λ) imaginant que la
molécule fabriquée artificiellement, véritable « chimère », pourrait servir à infecter une
bactérie42. On citera également les travaux du biochimiste Stanley Cohen qui a réalisé une
chimère moléculaire à la suite de la fusion artificielle d’un chromosome de la bactérie d’E.Coli
avec celui de l’espèce Salmonella.
A la suite de ces expériences isolées, c’est en 1973 que Berg et Cole, d’une part et
Chang, Helling et Boyer d’autre part, exposeront les principes généraux d’une ingénierie
génétique : « Le principe du génie génétique repose sur le transfert d’un gène étranger dans
une cellule en culture ou dans le tissu (somatique ou germinal) d’un animal ou d’une plante,
de façon à obtenir la manifestation d’une nouvelle propriété liée au gène ainsi transféré. Cela
implique trois opérations : « recombiner », « cloner » et « exprimer ». La recombinaison est
l’opération de soudure artificielle d’un gène à un autre fragment génétique, appelé vecteur,
qui sert à la fois à transporter le gène étranger en question dans la cellule et à permettre sa
reproduction en plusieurs copies. Le clonage est l’opération qui permet, une fois le gène
transféré dans une population de bactéries, d’en assurer la réplication sur une grande échelle
et de l’isoler à partir des bactéries ainsi transformées émanant d’une seule cellule, de façon à
amplifier et à purifier le gène en question. Quant à l’expression, c’est l’opération au cours de
laquelle le gène ‘cloné’ est transféré dans une cellule hôte et fabrique dans cette cellule une
protéine étrangère.»43 Ce sont donc ces 3 manipulations qui se trouvent à la base de toutes
les applications du génie génétique. Aussi, sans elles, il n’aurait jamais été possible de

41
Claudine Guerrin-Marchand, Les Manipulations Génétiques, col. Que sais-je ?, Presses Universitaires
de France. 1997, p.p.39-59.
42
François Gros, Ibid. p.174.
43
Ibid.

23
développer cette technologie dans des domaines aussi diversifiés que l’industrie, la médecine
et l’agroalimentaire. C’est ce que nous allons voir maintenant.

2.1.1. Définition et origine du terme « biotechnologie »


Un vocabulaire important fait aujourd’hui référence au même domaine d’activité
scientifique et technique touchant aux biotechnologies : ‘génie’ ou ‘manipulation génétique’,
‘transgenèse’, ‘transgénose’ ou ‘individu transgénique’, ‘thérapie génique’, ‘ingénierie
moléculaire’, ‘organismes génétiquement modifiés’, pour ne citer que les plus répandus.
L’article « Biotechnology » de l’Encyclopédia Britannica définit la biotechnologie comme
« l’application de l’industrie aux avancées faites dans les techniques et les instruments de
recherches des sciences biologiques. Le développement du champ de la biotechnologie est
intimement lié au développement dans les années 1970 du génie génétique (la modification
dirigée du matériel génétique (…) Les biotechnologies trouvent leurs origines à la suite d’une
prise de décision dans les années 1980 de décréter comme brevetable un micro-organisme
vivant génétiquement modifié.»44 Cette définition concerne essentiellement les
biotechnologies issues du génie génétique et est imprécise sur l’origine du terme ; en effet,
c’est au début du siècle qu’il faut faire remonter l’origine de celui-ci. Ainsi, comme l’a
démontré Robert Bud dans son ouvrage The Uses of Life, c’est en 1917 que le mot
« biotechnologie » a été employé pour la première fois; les biotechnologies, définies comme
une application de l’ingénierie à la biologie, prendraient leurs racines dans la chimie et la
microbiologie du XIXème siècle. A l’origine de ce développement qui mènera jusqu’au génie
génétique, on trouve la « zymotechnologie ». Cette dernière, qui qualifie les procédés
industriels à base de fermentation, trouvera différentes applications dans la chimie
organique, dans l’agriculture, et également dans les activités de brasserie. La
zymotechnologie serait l’ancêtre de la biotechnologie, en ce sens qu’elle est déjà l’application
de principes et de découvertes à la production industrielles de différents produits
alimentaires45. C’est à Chicago en 1917, à la suite du vote de la prohibition, que le « Bureau
de bio-technologie » fut créé par Emil Siebel. Celui-ci avait pour objectif de faire oublier le

44
« The application to industry of advances made in the techniques and instruments of research in
the biological sciences. The growth of the field of biotechnology is closely linked to the development in
the 1970s of genetic engineering (the directed alteration of genetic material) [...] Biotechnology had
its origins in a 1980 decision by the U.S. Supreme Court that "a live human-made microorganism is
patentable matter. » Article « Biotechnology », Encyclopedia Britannica Multimedia/CD-ROM.
45
Robert Bud, The Uses of life, a history of biotechnology, Cambridge University Press pp.6-50.

24
lien qui liait la production d’alcool avec la zymotechnologie46 et s’est développé dans un
premier temps comme le garant d’une marque de fabrique.
Le terme « biotechnologie », quant à lui, est employé pour la première fois par
l’ingénieur agricole hongrois Karl Ereky qui chercha à accroître la production de son pays au
point qu’elle atteigne le niveau du Danemark47. Il s’est illustré par la volonté de créer une
véritable industrie du porc ; ses motivations avaient pour origine le constat de l’aspect
primitif de l’agriculture de son pays. Selon Bud l’emploi du terme biotechnologie était sous-
tendu par une véritable approche scientifique de l’élevage et une industrialisation du vivant48.
Avant l’apparition du génie génétique dans les années 1970, les « biotechnologies », définies
comme une application de l’ingénierie à la biologie avaient déjà eu l’occasion de s’illustrer.
Ainsi, avant l’introduction de la génomique, les biotechnologies peuvent être vues comme
une accumulation d’applications ayant pour objectif d’apporter de nouvelles qualités à la
« matière brute », ce dans un souci de production49.
Il est important de remarquer que le terme « biotechnologie » recouvre toutes les
technologies qui appliquent des procédés industriels au vivant. C’est dans ce mouvement
que s’inscrira le génie génétique au début des années 80. Comment cette « ambition » des
biotechnologies a-t-elle été reprise par le génie génétique ? C’est ce que nous allons voir
maintenant en définissant 3 catégories générales d’applications.

2.1.2. Le génie génétique appliqué aux micro-organismes


D’après l’article « Génie génétique » de l’ouvrage de R.Scriban, les auteurs constatent que
« L’amélioration génétique des micro-organismes avec des objectifs industriels a été négligée
pendant longtemps. La naissance des méthodes d’ingénierie génétique a provoqué un élan
indéniable dans ce domaine. La sélection d’un micro-organisme peut se faire dans le but

46
« At first Emil Siebel (1884-1939) established a consultancy under his own name. Then apparently
fairly quickly, his school acquired a title slightly different from that of his father’s – rather than
Zymotechnic Institute, he called his the Bureau of Bio-Technology. The dilution of the brewing
reference, implicit in the term ‘zymotechnology’ was doubtless wise in the era of Prohibition, and
Siebel boasted of his good relations with Federal inspectors. » Ibid., p.31.
47
« Nonetheless, the key source of the word ‘biotechnology’ was not in the United States or even in
Britain, but in Hungary. Its progenitor was a hungarian agricultural engineer, Karl Erecky, seeking to
transform its country in the equivalent of southern Danemark. », Ibid., p.32
48
« The difference between an industrial and a peasant approach to pig rearing, he reflected, lay not
in his use of electrical pumps and automated feeding. It lays instead in the underlying scientific
approach which Ereky labelled ‘Biotechnologie’. To him the pig was a machine, converting carrefully
calculated amounts of input into meat output. Indeed, he described the pig as a ‘Biotechnologische
Arbeitsmachine. »Ibid., p.34.
49
« The history of biotechnology, conceived as a descendent of zymotechnology, can be seen to have
evolved triumphantly in the 1970s. In principle, biological processing was seen as the means for
converting low-value locally produced raw materials into high value products, superseding older,
cruder, more wasteful methods of manufacture. »Ibid, p.162.

25
d’une étude théorique ou d’une application industrielle. Dans ce dernier cas, l’objectif est
l’obtention d’une souche présentant un intérêt pratique et une rentabilité maximale ; ceci
n’est pas forcément obligatoire dans le premier cas. »50 Ainsi comme le rappelle Philippe
Kourilsky dans son ouvrage Les artisans de l’hérédité51, les toutes premières possibilités
entrevues de transposer les résultats obtenus en laboratoire de manière industrielle se sont
concrétisées avec la mise en place « d’usines du vivant », capables de produire d’une
manière rentable ce qui ne l’était pas en laboratoire: « Le premier succès marquant fut la
construction, en 1977, d’une souche d’E.Coli produisant de la somatostatine, petite hormone
animale de 14 acides aminés dont Guillemin et son équipe avaient réussi à isoler quelques
milligrammes à partir de milliers de cerveaux de moutons. La séquence des 14 acides aminés
avait été déterminée et Guillemin reçu le prix Nobel en partie pour ce travail. A l’aide du code
génétique, il était facile de déduire une séquence de 42 (=3x14) bases d’ADN codant pour
cette hormone. Il était moins facile à l’époque, d’en faire la synthèse chimique, petit exploit
réalisé, en Californie, par Itakura et ses collaborateurs, ce qui permit à l’équipe de H. Boyer
de fusionner ce petit segment d’ADN synthétique à l’extrémité d’un gène d’E.Coli. Ainsi fut
construite une souche qui synthétisait une protéine bactérienne portant à une extrémité les
14 acides aminés de la somatostatine. Habilement, un acide aminé « fragile » avait été
introduit à la jonction, de sorte qu’un traitement chimique permettait de libérer les 14 acides
aminés terminaux et de restituer l’hormone fonctionnelle. Ces travaux ne reçurent pas de
suite industrielle directe. Le détour génétique était éblouissant de virtuosité, mais il était
moins onéreux de réaliser la synthèse chimique de l’hormone à partir des acides aminés que
de fermenter de grands volumes de bactéries, dont la somatostatine n’était extraite in fine
qu’avec quelques difficultés.»52 La possibilité de synthétiser l’hormone à partir d’acides
aminés s’est donc avérée être une solution plus rentable que la fermentation de grande
quantité de bactéries.
C’est en 1978 que serait apparue la première véritable application du génie génétique
lorsque H.Boyer et son équipe produisirent de l’insuline humaine par E.Coli. Le procédé mis
au point par la société Genentech fut développé par la société Eli Lilly qui mit en vente de
l’insuline humaine en 1983. La voie était donc ouverte pour la production industrielle de
produits issus des techniques génétiques.

50
Alain Arnaud, Pierre Galzy et Joseph-Pierre Guiraud, « Le génie génétique », in R.Scriban,
Biotechnologies, 5ème édition, éditions Tec & Doc, 1999, p.412.
51
Philippe Kourilsky, Les artisans de l’hérédité , chapitre « Les Nouvelles parques, Naissance de
l’industrie du gène, § La manipulation des organismes à des fins productives », Odile Jacob, 1987.
52
Ibid. p.159

26
- Ainsi, l’amélioration génétique par mutagenèse, sélection et utilisation des
mutants a permis la production d’acides aminés tel que la L-lysine, par exemple
(un des 4 acides aminés indispensables pour l’alimentation humaine et animale),
la production d’antibiotiques, tels que la pénicilline par exemple, et d’autres53.
- L’amélioration génétique par fusion de protoplasmes a permis la fusion cellulaire
chez les végétaux (recombinaison de l’ADN mitochondrial chez les végétaux
supérieurs, création d’hybrides interspécifiques chez les végétaux), la fusion
cellulaire chez les micro-organismes (levures et moisissures, bactéries), la fusion
de cellules animales (production d’anticorps monoclonaux)
- Enfin l’amélioration par manipulation génétique est sans doute la technique qui a
permis le plus de réalisations : « Il s’avère aujourd’hui possible de faire produire
par une bactérie ou une levure, ayant reçu l’information nécessaire, une protéine
particulière. Le génie génétique peut aussi jouer un grand rôle, par exemple en
modifiant le nombre de copies d’un gène, en augmentant l’efficacité d’un
promoteur… ». Par le biais de cette technique, on a produit des métabolites
classiques, des acides aminés, des antibiotiques, des enzymes, des protéines
animales à intérêt médical (biosynthèse de l’insuline, biosynthèse de la
somatostatine, biosynthèse de la somatotrophine, biosynthèse de l’interféron,
production de protéines virales) production de peptides et de protéines54.

Le nombre des applications industrielles issues du génie génétique est donc considérable et
ce, dans des domaines aussi variés que la santé, l’agro-alimentaire ou encore l’industrie. On
voit au travers de ces applications, dans quelle mesure les biotechnologies poursuivent
l’entreprise qu’elles ont commencé un siècle plus tôt en utilisant le vivant à des fins
productives en mettant en pratique des outils toujours plus complexes et puissants. Aussi,
cette pratique se distingue de la recherche fondamentale par le fait qu’elle est soumise à des
critères de rentabilité: « En recherche fondamentale, un chercheur peut maîtriser sa
discipline suffisamment pour choisir ses objectifs. Dans les applications industrielles, une
bonne décision ne peut être prise qu’après concertation entre scientifiques, industriels et
économistes. Il n’est pas toujours possible de réaliser les sélections souhaitées par les
industriels. Par contre, les manipulations génétiques ou les sélections imaginées par des
scientifiques n’aboutissent pas nécessairement à des procédés rentables. Compte tenu de

53
Alain Arnaud, Pierre Galzy et Joseph-Pierre Guiraud, « Le Génie génétique », R.Scriban,
Biotechnologies, 5ème édition 1999, éditions Tec & Doc, p.524.
54
Ibid., de 529 à 536.

27
l’importance des efforts nécessaires, il n’est pas possible de faire des erreurs
d’orientations.»55 Aussi, comme on va le voir, la biotechnologie issue du génie génétique va
essentiellement se développer dans ces 2 domaines que sont la médecine et l’agriculture.

2.1.3. La thérapie génique


Dans le domaine médical, une autre application du génie génétique est la thérapie génique.
Comme l’affirme François Gros : « Avec la thérapeutique fondée sur le transfert de gènes et
destinée à corriger certaines déficiences héréditaires, nous entrons dans un domaine qui
relève pour certains de la futurologie et qui, pour d’autres, représente au contraire l’une des
tentatives les plus hardie et les plus prometteuses de la médecine de demain.»56
L’académicien des sciences évoquant la « thérapie » qui consiste à transférer un gène dit
« correcteur » cloné dans un ovocyte fécondé affirme que des expériences ont été menées
chez les animaux et que certaines ont réussi : les animaux des générations suivantes
véhiculent également le nouveau trait de manière héréditaire. « Toutefois, les communautés
scientifique et médicale condamnent unanimement, comme incompatible avec les règles
d’éthique, la transposition de telles pratiques à l’espèce humaine, du fait des énormes aléas
qui s’attachent à sa réalisation et des risques qu’elle fait encourir non seulement à l’individu
‘génétiquement corrigé’, mais aussi à sa descendance. Sans compter que l’œuf fécondé est
ici un être humain potentiel et ne doit en aucune circonstance être considéré comme objet
d’expérience.»57 Qu’entend-on alors par thérapie génique ? D’après l’ouvrage Biotechnologies
de R.Scriban: « On regroupe sous le terme de thérapie génique l’ensemble des procédés
thérapeutiques reposant sur l’utilisation de l’ADN comme molécule thérapeutique (Kay et al
1997). Des approches vaccinales basées sur le transfert de gènes dans l’organisme en sont
aussi rapprochées. (…) Dans les deux cas, qu’il s’agisse de traitement curatif ou de
vaccination, cette nouvelle approche repose sur le transfert de matériel génétique dans les
cellules somatiques du patient. Les cellules germinales n’étant pas modifiées, la correction
génique n’est pas transmise à la descendance. »58 En 1999, 370 protocoles de thérapie
génique auraient été entrepris de par le monde. Le principal obstacle rencontré par le
développement de ces technologies est le vecteur : « Sans vecteur efficace et sûr, les

55
François Gros, Ibid., p.200.
56
Ibid. p.202.
57
Ibid., p.203.
58
Pascale Briand, « Avenir et limites de la thérapie génique », in R.Scriban, Biotechnologies , 5 ème
édition, éditions Tec & Doc, 1999, p.795.

28
stratégies de thérapie génique ne pourront prétendre à un large développement.»59 Ce
même article distingue généralement deux stratégies de thérapie génique :
- La thérapie génique ex vivo : il s’agit de prélever la cellule cible du patient et de
réaliser ex vivo le transfert du gène thérapeutique, puis de réintroduire la cellule
traitée. On parle également « d’autogreffe des cellules génétiquement modifiées ».
- La thérapie génique in vivo : celle-ci repose sur le transfert direct du gène
thérapeutique chez le patient. On peut effectuer soit un transfert in situ, soit un
transfert par intraveineuse. On envisage également le transfert par voie orale et par
voie amniotique.

Les principales maladies qui peuvent aujourd’hui faire l’objet de soin par thérapie génique
sont les maladies héréditaires, les cancers, les maladies infectieuses, les maladies cardio-
vasculaires, inflammatoires, neurodégénératives… On parle également d’une « industrie de
la thérapie génique » puisque de nombreuses start-up se sont créées dans les années 90
afin de mettre en place des stratégies. Aussi, cette application du génie génétique est
appelée à de futurs développements ; tout dépendra de la capacité d’investissement des
entreprises, des choix de société, de la réception du public et de la capacité de la science à
découvrir les possibles du vivant.

2.1.4. Les biotechnologies animales et végétales: le principe de la transgenèse.


Jusqu’à présent, nous avons vu que le génie génétique se trouvait à l’origine d’un
grand nombre d’applications industrielles. Cependant ces applications se trouvaient limitées
essentiellement à la « manipulation » de micro-organismes ; dans le cas des thérapies
géniques il s’agissait de guérir une pathologie. Avec la transgenèse, on passe, comme qui
dirait, à une étape supérieure. Ainsi, comme le rappelle Louis-Marie Houdebine, « Lorsque la
transformation génétique touche un organisme quel qu’il soit, on dit que celui-ci est
génétiquement modifié. Les termes de transgenèse et transgénique ne sont utilisés que pour
les organismes pluricellulaires (plantes et animaux). On ne parle donc généralement pas de
cellules transgéniques, mais de plantes et d’animaux transgéniques.»60
Un animal transgénique peut donc être défini comme « un individu qui a reçu une
information génétique nouvelle à la suite de l’introduction expérimentale d’ADN étranger
dans son propre patrimoine génétique. Ce transfert d’ADN dans les cellules sexuelles

59
Pascale Briand, Ibid.
60
Louis-Marie Houdebine, OGM : le Vrai et le faux, édition le Pommier, p.28.

29
correspond à la transgenèse germinale.»61 C’est en 1982 que l’équipe américaine de
Palmiter, Brinster et Hammer réussirent une manipulation génétique spectaculaire en
produisant des souris transgéniques géantes. En réussissant à modifier le phénotype des
souris, les auteurs avaient ouvert la voie d’une nouvelle application : l’utilisation de souris
transgéniques comme modèles de laboratoire : « 10 ans après les souris géantes de Palmiter
et al., on ne pouvait déjà plus compter la quantité de modèles murins de pathologies
humaines. 62» A noter qu’on les utilise également comme modèle pour étudier la régulation
de nombreux gènes. Concernant les autres animaux, de nombreux projets sont en cours
surtout pour les animaux d’élevage. Aussi, on distingue actuellement 3 grandes directions de
la recherche : amélioration des productions animales classiques (lait, viande, laine, œufs…),
augmentation de la résistance des animaux à certaines maladies, production de protéines
recombinantes, à hautes valeurs ajoutées.
On se retrouve donc ici, une fois de plus, dans la droite lignée des objectifs de la
biotechnologie. Il s’agit d’utiliser le vivant pour produire plus, mieux et de manière plus
rentable. On ajoutera enfin, que toutes ces applications, malgré les incroyables progrès
qu’elles ont connus, sont encore dans l’attente de nouveaux succès pour confirmer leurs
avancées : « Depuis la création des célèbres souris transgéniques géantes qui avaient, elles
aussi, déclenché des débats de société des plus passionnés à cause d’une nouvelle étape
biologique franchie dans la maîtrise du génome et des craintes les plus grandes de voir
développer des pratiques eugéniques, on s’est vite aperçu que la maîtrise du vivant était
autrement plus compliquée. » En effet, pour chaque expérience de nombreuses
complications apparaissaient (tumeurs, non-viabilité…) « Près de 20 ans plus tard, on est
encore à la recherche de bons gènes candidats pour le progrès et la sélection génétique en
élevage sans perturber de façon malencontreuse d’autres fonctions physiologiques. Et
pourtant, la transgenèse animale a ouvert la voie à une moisson extraordinaire de
connaissances du génome des Etres Vivants…»63
C’est également dans la perspective « d’industrialisation du vivant » propres aux
biotechnologies que s’inscrivent les plantes génétiquement modifiées (PGM) ; cependant, les
chercheurs qui ont travaillé sur les PGM n’ont pas rencontré les mêmes difficultés que ceux
qui ont cherché à développer des animaux transgéniques et leurs réalisations ont pu très vite
voir le jour sur le marché. C’est ce que nous souhaitons maintenant étudier en détail.

61
Jacques Martal, « Les biotechnologies de la reproduction animale », in, R.Scriban, Biotechnologies ,
5ème édition, éditions Tec & Doc, 1999, p.732.
62
Ibid.
63
Ibid., p758.

30
2.2. Application du génie génétique aux biotechnologies végétales

Un point crucial dans le débat sur les PGM est celui de l’ancrage historique de cette
technologie issue des nouvelles possibilités du génie génétique appliquées à la sélection
classique. En effet, la mise sur le marché des plantes transgéniques a été subordonnée à la
possibilité de justifier la nouvelle technologie en la situant dans la continuité du
développement des techniques de sélection agronomiques. C’est là un problème
fondamental sur lequel nous aurons de nombreuses occasions de revenir. Ainsi, pour les
promoteurs des PGM, il semble essentiel de pouvoir démontrer cette continuité, et ce d’un
double point de vue : celui des technologies précédentes d’une part et celui de la nature,
elle-même, d’autre part. C’est ainsi que Norman E. Borlaug, prix Nobel de la paix en 1970,
situe l’origine des biotechnologies dans la nature elle-même : « Les OGM et les aliments
génétiquement modifiés sont des termes imprécis qui réfèrent à l’usage de plantes
transgéniques (c’est-à-dire, celles qui sont produites à partir de semences qui contiennent un
gène d’une espèce différente). Le fait est que la modification génétique a commencé bien
avant que l’humanité ne commence à altérer les semences par le biais de la sélection
artificielle. Mère Nature a eu recours à ces pratiques et ce, d’une manière importante. Par
exemple, la famille des blés sur laquelle nous comptons pour notre alimentation est issue de
croisements inhabituels (mais naturels) entre différentes espèces d’herbes. »64 On retrouve
cette idée dans l’ouvrage de R.Scriban : « l’introduction de gènes étrangers dans le
patrimoine héréditaire des plantes n’est pas une invention humaine. En effet, l’agriculture
humaine, de manière empirique d’abord, puis grâce à la sélection végétale au cours de ce
siècle, a largement bénéficié des hybridations naturelles, puis provoquées, entre espèces.
Par ailleurs, l’une des découvertes majeures de ces vingt dernières années, en biologie
végétale, est la faculté qu’ont certaines bactéries (les Agrobactéries) de transférer des
molécules d’ADN dans les chromosomes de certaines cellules des plantes. La maîtrise de ce
dernier processus, ainsi que l’utilisation de procédés plus artificiels dérivés de ceux mis au
point pour transformer des micro-organismes ou des cellules animales, permettent une

64
« Genetically modified organisms and genetically modified foods are imprecise terms that refer to
the use of transgenic crops (i.e. those grown from seeds that contain the genes of different species).
The fact is that genetic modification started long before humankind started altering crops by artificial
selection. Mother Nature did it, and often in a big way. For example, the wheat groups we rely on for
much of our food supply are the result of unusual (but natural) crosses between different species of
grasses. » Norman E. Borlaug, « Ending World Hunger : The Promise of Biotechnology and the Threat
of Antiscience Zealotry », article paru dans Plant Physiology October 2000, Vol. 124, pp. 487-490,
www.plantphysiol.org, et dans www.agbioworld.com

31
modification dirigée (ou transgenèse) des génomes des plantes en tirant parti des
possibilités offertes par le génie génétique dans la construction de gènes in vitro. »65
Les promoteurs de la transgenèse végétale, donnent un intérêt considérable à la
possibilité de rattacher cette invention aux technologies passées. Comme on peut s’en
douter, il en va de la crédibilité de la transgenèse végétale, science naissante, ainsi que de la
possibilité d’introduire les nouveaux aliments sur le marché (voir principe d’équivalence en
substance, 3.1). En effet, il faut dire que la transgenèse végétale apparaît comme une
véritable « révolution ». Aussi, ceux qui affirment la continuité avec les technologies
précédentes reconnaissent également qu’il y a rupture, en ce sens, que la nouvelle
technologie permet des prouesses que la sélection classique ne permettait pas66. Nous allons
voir en quoi consistent ces évolutions.

2.2.1. De la sélection dite « classique » aux « PGM »


Si aujourd’hui les plantes génétiquement modifiées se trouvent au cœur d’une
controverse, il ne faut pas oublier que cette nouvelle « biotechnologie » reprend et complète
les travaux d’une autre technologie plus ancienne : la sélection classique des variétés. On
précisera que cette dernière a été en constante évolution depuis les débuts de l’agriculture.
Ainsi rappelant que l’amélioration constante des plantes depuis les premiers pas de
l’agriculture n’est qu’une « hyperbole », Bernard le Buanec, Georges Pelletier et Jean-Noël
Plagès, affirment que « le véritable progrès génétique ne fut possible que par l’application de
méthodes rigoureuses adaptées aux particularités biologiques (parmi lesquelles les régimes
de reproduction) de chaque espèce »67. En effet, les espèces qui auraient été sélectionnées
lors de la domestication des plantes sauvages ne présentent pas une grande diversité
génétique et « étaient de qualité technologique médiocre » (1 grain de blé en rendait 3 du
temps des Romains, 6 à la Révolution, aujourd’hui environ 50). La méconnaissance de la
reproduction sexuée n’a pas favorisé le développement des techniques d’amélioration.

65
Georges Pelletier et Evelyne Téoulé, « La transgenèse dans le règne végétal : le point sur les
plantes d’intérêt agronomique », in R. Scriban, Biotechnologies, 5ème édition, éditions Tec & Doc,
1999, p.567.
66
Il n’y a pas ici contradiction comme on a pu le lire sous la plume de certains détracteurs. Arnaud
Apothequer, de Greenpeance France, dénonce l’attitude des promoteurs des PGM qui soutiennent
qu’il y a continuité pour rassurer le public et « innovation » pour pouvoir faire breveter leur invention.
En effet, l’innovation peut être ici considérée comme la « découverte » d’une technologie que l’on voit
déjà à l’œuvre dans la nature ; c’est un problème fondamental sur lequel nous aurons l’occasion de
revenir et qui est largement abordé par Claude Debru dans son ouvrage Le possible et les
biotechnologies.
67
Bernard Le Buanec, Georges Pelletier et Jean-Noël Plagès, « La transgenèse végétale en
agriculture », in Les plantes génétiquement modifiées , Académie des sciences, rst n°13, décembre
2002, éditions Tec & Doc., p.40.

32
Celles-ci n’ont pu faire de véritable progrès qu’à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle.
Ainsi, on a vu apparaître les premières lignées pures de certaines variétés de blés68. En
l’espace d’un siècle, l’amélioration des variétés de plantes cultivables a fait un bond
considérable et de nouvelles méthodes se sont mises en place.

Apports de la biotechnologie à la sélection classique


En 1991, le GEN (un groupe d’experts nationaux mentionnés sur la sécurité en
biotechnologie) chargé au sein de l’OCDE de l’évaluation des risques et de la sécurité des
biotechnologies modernes, a décidé de publier une étude de référence des méthodes de
sélection traditionnelle des plantes69. Ce rapport présente au cas par cas, les principales
caractéristiques, la toxicologie, la physiologie et le comportement dans l’environnement de
17 plantes. Dans la préface du rapport, J.E Veldhuyzen van Zanten, alors président du GEN,
remarque : « l’étude sur les plantes cultivées révèle que l’ère de la biotechnologie végétale a
déjà commencé. Les sélectionneurs se servent de polymorphisme de la longueur des
fragments de restriction (RFLP), que l’on appelle aussi technique des ‘empreintes digitales’,
comme outil diagnostique pour localiser avec plus de précision les gènes qu’ils manipulent,
notamment dans la tomate, le maïs, et la betterave à sucre. La régénération des haploïdes et
des hybrides somatiques a été mentionnées (…) On recourt aujourd’hui à la transgénose en
de nombreux endroits et pour diverses cultures, comme le maïs et le riz. Les sélectionneurs
la considèrent généralement comme un outil supplémentaire, venant en complément de
leurs programmes de sélection classiques. »70
C’est ainsi que l’on est passé d’un procédé de « domestication graduelle », à un
procédé de « sélection végétale systématique » ; d’après Wally D. Beversdorf71, ce dernier
« a affiné les ressources génétiques de base (variabilité génétique) des espèces cultivées, les
transformant en variétés supérieures capables de satisfaire les demandes de la société
moderne, et a joué un rôle important dans l’amélioration remarquable du bien-être de cette
société. Les variétés supérieures, combinées avec les systèmes supérieurs de transformation
et de distribution de la production dans la plupart des pays de l’OCDE, ont entraîné une nette
diminution de la part de l’activité humaine consacrée à des travaux agricoles.»
En quoi a donc consisté cette sélection végétale systématique ? L’expert de l’OCDE
dresse la liste d’une série d’activités : « acquisition ou création de populations végétales

68
Bernard Le Buanec, Ibid.
69
GEN, « Méthode traditionnelles de sélection des plantes : un aperçu historique destiné à servir de
référence pour l’évaluation du rôle de la biotechnologie moderne », OCDE, 1991
70
J.E Veldhuyzen van Zanten, Ibid., p10.
71
Ibid.,p.11.

33
génétiquement variables ; sélection des caractéristiques désirables afin d’accroître leur
fréquence dans les populations soumises à la sélection ; utilisation de techniques propres à
stabiliser la composition génétique améliorée de génération en génération ou d’année en
année ; évaluation soigneuse des populations génétiquement modifiées du point de vue de
l’adaptation, de la productivité, et des autres exigences de l’industrie transformatrice ou du
consommateur final, afin de garantir que les populations génétiquement modifiées
répondront aux attentes du producteur… ; maintien, purification et multiplication de la
population génétiquement modifiée afin de fournir des propagules de départ stables aux
systèmes commerciaux de production végétale. »72 De nombreux objectifs d’améliorations
spécifiques ont été entrepris : « tolérance ou résistance à des organismes qui consomment
ou contaminent des plantes cultivées, de la résistance aux stress abiotiques, atmosphériques
et autres stress physiques, productivité, les caractéristiques concernant la transformation et
la valeur nutritive, de l’adaptation… »73
La méthode classique se définit par la réalisation de croisements des plantes qui
présentent les caractères requis, puis la sélection de ces caractères dans la descendance,
leur stabilisation et leur multiplication. Toutes les méthodes utilisées dans le domaine de la
sélection variétale sont cependant confrontées à certaines difficultés. L’inter-compatibilité
entre les espèces est un facteur qui limite fortement les possibilités de mélange entre les
espèces, la délicatesse des hybridations à mettre en œuvre, l’instabilité génétiques des
hybrides interspécifiques, la longueur et la lourdeur (nécessité d’une grande quantité de
matériau végétal) de la mise en œuvre technique des manipulations, la difficulté à stabiliser
le matériel…74 Le développement des biotechnologies cellulaires et moléculaires aurait donc
permis dans les années 60 de contourner certaines de ces difficultés.

Quelles ont été ces méthodes ?


Il y a tout d’abord les solutions qui consistent à exploiter les aptitudes naturelles chez les
végétaux, tels les « micro bouturages » par exemple, l’utilisation de tissus différenciés ; il y a
ensuite les méthodes de clonage qui consistent dans la reproduction d’un matériel à
l’identique. On citera également en vrac la multiplication non conforme, l’haploïdisation, les
protoplastes et l’hybridation somatique, cette dernière permettant de contourner en partie la
barrière des espèces. On notera bien que les plantes issues de ces technologies ne sont pas

72
GEN, Ibid., p.12.
73
Ibid.
74
Evelyne Téoulé, « Biotechnologie et amélioration des plantes », in, R.Scriban, Biotechnologies , 5 ème
édition, éditions Tec & Doc, 1999, p.597-598.

34
considérées comme des plantes génétiquement modifiées et quant à ces technologies, dans
leur ensemble, elles sont considérées comme « classiques et éprouvées ».
L’application des biotechnologies à la sélection n’est donc pas nouvelle. Cependant,
les méthodes auxquelles a recours la sélection systématique depuis le début du siècle
semblent limitées. Le Buanec, Pelletier et Plagès, soulignent que : « dès les années 1970, les
biologistes des végétaux ont pressenti les limites des méthodes d’amélioration des plantes,
qualifiées de classiques, qui reposent sur l’hybridation sexuée intra ou interspécifique et sur
l’introduction de mutations : lenteur de processus d’innovation, impossibilité de modifier
suivant les besoins les caractéristiques agronomiques ou d’utilisation. A l’époque, seules des
techniques, alors récentes, de fusion cellulaire permettaient dans certains cas favorables
d’élargir les échanges d’information génétique entre espèces sexuellement incompatibles
mais appartenant le plus souvent à la même famille botanique»75 Avec l’arrivée dans les
années 1980 de la transgenèse végétale et la possibilité d’appliquer certaines méthodes du
génie génétique, on va assister à la naissance de nombreuses nouvelles possibilités et
notamment, celle de contourner la barrière des espèces pour le matériel génétique introduit.
Ainsi comme le remarquent Evelyne Téoulé et Georges Pelletier :« La disponibilité de telles
méthodes représente une rupture dans l’évolution de l’amélioration des espèces. Tout
d’abord elles permettent des transferts d’information génétique entre n’importe quelles
espèces, moyennant parfois des modifications de séquences (régions régulatrices, usage de
codons) pour assurer son expression dans une plante. Ensuite la précision de l’échange
génétique dans ces conditions est sans commune mesure avec le résultat des transferts de
gènes d’une espèce à l’autre traditionnellement obtenus par croisement et rétro croisements,
où ‘l’introgression’ reste particulièrement aléatoire et indéterminée dans ses limites et ses
structures et correspond souvent à plusieurs dizaines voire centaines de gènes. Enfin, la
transgenèse permet aussi de procéder à l’extinction de certaines fonctions et non seulement,
à l’ajout d’une fonction nouvelle (…) Dans ce domaine, la transgenèse ouvre des possibilités
nouvelles par rapport aux méthodes traditionnelles de mutagenèse qui pourraient être
envisagées dans la même perspective.»76 Il est important de noter ici que, la « rupture »
dont fait état l’auteur concerne les moyens employés et non la fin ; la transgenèse végétale
s’inscrit dans le mouvement général des biotechnologies utilisées dans le cadre de
l’amélioration des variétés végétales ; elles viennent résoudre une problématique rencontrée

75
Bernard Le Buanec, Georges Pelletier et Jean-Noël Plagès, « La transgenèse végétale en
agriculture », in Les Plantes génétiquement modifiées, Académie des sciences, rst n°13, décembre
2002, éditions Tec & Doc., p.40.
76
Georges Pelletier et Evelyne Téoulé, « La transgenèse dans le règne végétal : le point sur les
plantes d’intérêt agronomique », in, Biotechnologies, 5ème édition, éditions Tec & Doc, p.568.

35
par les technologies précédentes en ouvrant un nouveau champ de possibles. Il ne s’agit
donc pas d’une ‘invention gratuite’ ou uniquement motivée par le profit, des promoteurs de
la technologie qui voient dans les PGM la possibilité de nouveaux revenus grâce aux
brevets77. Il semble bien, en effet, que la première motivation fut la possibilité de contourner
les obstacles de la sélection dite classique, grâce aux nouvelles opportunités des outils du
génie génétique. Bien évidemment cette innovation a pour conséquence un accroissement
des profits réalisés dans le domaine des biotechnologies agricoles par le biais de la création
d’un nouveau marché; aussi remettre cette justification en question, comme certains le font,
ne revient-il pas à remettre en question toute l’histoire des biotechnologies ?

2.2.2. Les techniques de la transgenèse végétale


La transgenèse s’inscrit donc au sein de l’histoire des biotechnologies agricoles dans la
continuité de la sélection systématique même si les nouvelles possibilités qu’elle autorise en
font une technologie radicalement différente. Comment est-elle apparue et quels sont les
principes qu’elle met en œuvre, c’est ce que nous souhaitons examiner.
Rappelons tout d’abord qu’il existe deux types de transgenèse pour les plantes: « la
transgenèse stable consiste à introduire l’ADN exogène dans le génome de la cellule de façon
stable et définitive, le transgène étant mis en descendance. A l’inverse, la transgenèse
transitoire va consister à introduire l’ADN exogène dans quelques cellules d’un organisme,
dans un tissu donné, puis à observer les conséquences de l’expression du transgène dans ce
tissu, de façon transitoire.»78 Pour la première technique, les gamètes sont transformés,
pour la seconde, la descendance n’est pas transgénique.

Les premiers travaux


Comme le remarque Marc Van Montagu, « les premiers essais de transgenèse en laboratoire
datent du début des années 1980 mais ils résultent d’une aventure entamée de longues
années auparavant»79. En effet, le scientifique avoue s’être intéressé avec Jeff Schell, de
l’Université de Gand en Belgique, aux propriétés naturelles d’Agrobacterium tumefaciens
depuis 1969 ; cette propriété consistait à coloniser les plantes, y induire la prolifération des

77
L’utilité des PGM est l’une des valeurs les moins bien comprise du public. En effet, comme l’ont
montré de nombreuses études ( PABE, Gaskel, Hoban…) les « Questions à quoi ça sert ?», « A qui ça
profite ? » reviennent le plus souvent. L’Eurobaromètre de 2000, quant-à-lui a montré que la
perception de la production d’aliments modifiés à partir de la transgenèse végétale obtenait le plus
petit de tous les scores des applications de la biotechnologie, avec 2,46 points sur 4.(p.37).
78
Jean-Gabriel Valay, « La transgenèse végétale : de l’ADN aux protéines », in Les Plantes
génétiquement modifiées, Académie des sciences, rst n°13, décembre 2002, éditions Tec & Doc. p.11.
79
Marc van Montagu, « Il était une fois l’épopée belge de la transgenèse », in Les graines de la
discorde, éditions Eselvier, Paris 1999, p.15.

36
cellules végétales et obtenir que ces cellules synthétisent, en grandes quantités, quelques
métabolites qu’A. tumefaciens est seule à pouvoir utiliser comme source nutritive.
L’hypothèse avancée à l’époque du transfert de matériel génétique était apparue comme
improbable, étant donnée que l’on n’avait pas pu observer jusqu’alors ce genre de
phénomène de la bactérie vers les plantes.
Pendant longtemps, le manque de moyen et de technologie ne permettra pas de
démontrer cette hypothèse. Un troisième membre de l’équipe, Walter Fiers, entre temps, est
allé poursuivre ses recherches aux Etats-Unis. A Caltech, il démontrera que le génome d’un
virus d’Escherichia coli est une molécule d’ADN circulaire. Autre première, il obtient la
séquence complète du génome du SV 40, un virus oncogène.
Jeff Schell et Marc Von Montaigu continuent leurs recherches pour connaître l’origine
de l’induction d’une tumeur au collet des plantes par A. tumefaciens : « nous avons assez
vite observé une corrélation entre la présence d’une grande molécule d’ADN circulaire et la
capacité de la bactérie à déclencher des tumeurs. Nous l’avons appelée plasmide TI. Par la
suite nous avons pu démontrer que le responsable de l’action tumorigène était un segment
du plasmide, porteur de gènes de virulence et appelé ADN-T (…) Très vite, grâce au
développement des techniques d’hybridation de génome sur filtre, mises au point par Ed
Southern, nous montrons avec Mary Dell Chilton que l’action tumorigène de la bactérie
résulte d’un phénomène de ‘génie génétique naturel’ : un segment d’ADN du plasmide Ti est
bel et bien transféré vers la plante et intégré à son génome.»80 Nous sommes à la fin des
années 1970. Au début des années 80, Jeff Schell, Howard Goodman et Marc van Montagu,
parviennent à retirer du plasmide Ti les gènes responsables des tumeurs et à les remplacer
par des gènes choisis qui peuvent ainsi être insérés dans le génome des cellules végétales :
« la transgenèse végétale est née » et la technologie peut commencer à se développer.
Les travaux de l’équipe belge de Marc van Montagu sont généralement considérés
comme la première réalisation dans le domaine de la transgenèse végétale avec ceux de
l’équipe américaine de Mary Del Chilton81. Aussi, comme on l’a vu, il s’agit surtout d’un
mécanisme naturel de transfert d’ADN bactérien. Ainsi, la bactérie du sol Agrobacterium
tumefaciens s’arrime à la paroi des plantes blessées et transfère ensuite une partie de son
génome (Chilton et al., 1977) sous la forme d’un fragment d’ADN-t qui comporte des gènes
codant des protéines qui permettent la synthèse de substance de croissance végétale dans
les cellules cibles ; l’activité des cellules transformées étant ainsi décuplée, la cicatrisation est

80
Marc van Montagu, Ibid., p.16.
81
Chilton, M.D., M.H. Drummond, D.J. Merlo, D. Sciaky, A.L. Montoya, M.P. Gordon and E.W. Nester,
Cell 11, 263-271 (1977).

37
favorisée. La découverte de ces propriétés a permis au scientifique de concevoir un modèle
de réalisation de PGM. Aussi, la transgenèse par l’intermédiaire d’Agrobacterium t. est
réalisable parce « qu’il est possible de séparer d’une part la machinerie du transfert, et
d’autre part la séquence d’ADN qui est transférée. En effet, cette dernière n’est définie que
par deux séquences de 25 nucléotides, autrement dit des séquences très courtes. Ces deux
séquences appelées bordures gauche (Left Border, LB) et bordure droite (Right Border, RB)
sont situées de part et d’autre de la séquence d’ADN-t. N’importe quelle séquence peut être
placée entre les bordures LB et RB et elle sera transférée dans la plante. »82 On peut donc
insérer le transgène entre les 2 séquences bordures, puis introduire cette construction dans
une bactérie appartenant à la famille des agro-bactéries. « Une fois arrivé dans le noyau de
la cellule hôte, l’ADN-t peut s’intégrer dans le génome. » On ajoute à la construction un
marqueur de sélection (gène conférant la résistance à un antibiotique ou à un herbicide) afin
que seules les cellules transformées avec ces gènes puissent se multiplier en la présence du
gène d’intérêt. On procède à une culture in vitro des cellules transformées en immergeant
une partie de la plante cible dans une suspension des bactéries porteuses de l’ADN-t modifié
dans le plasmide Ti ; les sections sont ensuite mises en cultures en milieu de boîte de Petri,
additionnées d’une substance qui favorise la croissance. On procède ensuite à une sélection
de cellules transformées (ajout de l’antibiotique ou de l’herbicide). Les tiges sélectionnées
seront placées sur un milieu de bouturage. Si cette technique fonctionne très bien pour le
tabac, par exemple, elle connaît de nombreux facteurs limitants chez les autres plantes83.
A noter que la solution de « transformation in planta » par Agrobactérie permet
d’éviter les difficultés soulevées par la régénération. Cette méthode a été réalisée pour la
première fois chez Arabidopsis thaliana grâce aux travaux de Feldmann et Marks (1987) :
« La méthode qu’ils préconisaient consistait à mettre en présence les bactéries avec des
graines en germination et à élever ultérieurement les plantes dans des conditions normales
pour sélectionner à l’aide d’un gène marqueur les individus transformés dans la descendance
obtenue par autofécondation.»84
Si la technologie utilisant Agrobacterium tumefaciens peut s’appliquer quasiment sans
restriction aux plantes dicotylédones (les cibles naturelles d’Agrobacterium tumefaciens), elle
est cependant difficilement applicable aux plantes monocotylédones (la plupart des
céréales) ; aussi à la suite de récentes recherches « Le développement de souches
d’agrobactéries modifiées, ainsi que la mise au point de techniques de cultures cellulaires,

82
Jean-Gabriel Valay, « La transgenèse végétale : de l’ADN aux protéines », in Les Plantes
génétiquement modifiées, Académie des sciences, rst n°13, décembre 2002, éditions Tec & Doc. p.13.
83
Ibid., 573-574.
84
Ibid..

38
ont considérablement élargi le spectre d’hôte des agrobactéries : la très grande majorité des
espèces végétales peut dorénavant être transformée par les agrobactéries.»85 Cependant,
dès 1985, des stratégies alternatives dites de « transfert direct » ont été développées. Ces
méthodes sont celles de la transformation de protoplastes et la biolistique.

Les méthodes de transformation directes


La méthode de transformation des protoplastes repose sur un principe de
« déstabilisation de la membrane de la cellule par des agents chimiques ou physiques qui
permet l’entrée de l’ADN. Cette perturbation doit être suffisamment brève pour que la
membrane puisse reprendre son état initial et que le protoplaste reste viable et apte à
emmener.»86 Cette opération peut être réalisée, soit avec du polyéthylène de glycol (PEG),
molécule non toxique de haut poids moléculaire qui induit les perturbations de la paroi
autorisant l’entrée de l’ADN dans la cellule ; une autre technique consiste dans
l’électroporation de protoplastes (Shillito et al. 1985 ; Guerche et al., 1987) : il s’agit de
mélanger les protoplastes à l’ADN et de les soumettre à une série de chocs électriques de
courte durée afin de provoquer des pores dans lesquels peuvent transiter les molécules
d’ADN87.
Une dernière technologie, enfin, est la biolistique. Cette méthode physique consiste à
bombarder les cellules de particules afin de forcer la pénétration de l’ADN. Cette technique a
été développée par J.Sanford et ses collaborateurs à l’Université de Cornell (Sanford et al.
1987). L’efficacité de cette technologie a été démontrée pour la première fois dans des
cellules d’oignon (Klein et al., 1987) :« Le principe de la technique est d’enrober des billes de
métal avec l’ADN puis de projeter ces billes sur l’explant avec suffisamment d’énergie, en fait
de quantité de mouvement, pour qu’elles traversent la paroi et la membrane des cellules. La
faible taille des billes (0,4 à 1,6 mm) assure l’absence de dommages irréversibles à la cellule.
»88 On a pour cela recours à un canon. Cette méthode a rencontré un grand succès, étant
donné les nombreuses possibilités de tissus-cibles qu’elle autorise. « Ces méthodes de
bombardement permettent de contourner les principales difficultés rencontrées dans les
expériences de transformation à savoir : la sensibilité aux agrobactéries et la maîtrise des
protocoles de régénération.»89 Ainsi, dans le cas des céréales (monocotylédones) les

85
Valay, Ibid., p.15.
86
Ibid., p.576.
87
Ibid., pp576-577.
88
Ibid.
89
Ibid.

39
techniques de biolistique sont utilisées dans la première étape (en effet, un facteur limitant
est l’insensibilité à l’infection par agrobactérie).
Avec les techniques de transgenèse végétale, les possibilités des biotechnologies
agro-alimentaires sont multipliées. Ainsi, on a pu procéder à l’amélioration de la qualité des
produits (modification des caractéristiques essentielles des acides gras, modification des
protéines de réserves, qualité de maturation des fruits, caractéristiques des lignines), des
résistances aux stress biotiques (résistance aux insectes, résistance aux virus, résistance aux
herbicides). On a pu également modifier les systèmes de reproduction et réaliser de la
culture moléculaire (molecular farming). Cette dernière consiste à « transformer une plante
en bioréacteur afin de lui faire produire des molécules à usage thérapeutique ou
industriel.»90
Alors que la sélection systématique rencontre de nombreuses limites dans ses
capacités à améliorer les plantes, il semble bien que la transgenèse soit un nouvel outil qui
permette de lever bon nombre de ces obstacles. En ce sens, elle apparaît véritablement
comme un progrès dans la continuité de l’entreprise des biotechnologies. Il serait prématuré
cependant d’affirmer que ces possibilités sont infinies ; cet argument pourrait également être
interprété comme la possibilité de faire tout et n’importe quoi. Aussi, comme on va le voir,
les applications industrielles de la transgenèse, même si elles sont nombreuses, restent
encore essentiellement limitées à certaines transformations bien précises.

2.2.3. Panorama de l’industrie des PGM


Pour marquer le 20ème anniversaire de la transgenèse végétale, une plaquette
publicitaire réalisée par le Conseil pour l’Information sur les Biotechnologies91 affirme que :
« En l’espace de 20 ans, depuis que les chercheurs ont annoncé qu’ils avaient réussi à
développer la première plante améliorée par les biotechnologies, de nombreuses PGM ont
été adoptées par les fermiers aux Etats-Unis et dans le monde entier (…) L’USDA estime que
les agriculteurs américains planteront environ 90 millions d’acres de soja, de maïs et de
coton, soit 10% de plus qu’en 2001»92 Les rapporteurs ajoutent qu’un rapport publié par le

90
Ibid., p.587.
91
Le CBI est une association fondée par les industriels américains producteurs de PGM.
http://www.whybiotech.com/main.html.
92
Council for Biotechnology Information, « Celebrating 20 years of plant biotechnology », « In the
two decades since researchers announced they successfully developed the first plants enhanced by
biotechnology, numerous biotech crops have been adopted by farmers across the United States and
the world resulting in an abundant food supply that can be grown on fewer acres with reduced
environmental impact. The U.S. Department of Agriculture (…) (USDA) estimates the nation’s farmers
in 2002 will plant nearly 90 million acres of biotech soybeans, corn and cotton, up more than 10
percent from 2001. (…) », p.2.

40
Centre National pour l’Alimentation et la Politique Agricole américain (National Center for
Food and Agricultural Policy) a démontré au travers de 40 études de cas portant sur 27
plantes, que celles-ci pouvaient apporter une croissance de 7 milliards de tonnes d’aliments,
améliorer leur revenu de 2,5 milliards de $, et faire baisser l’usage de pesticide de 6,5
millions de tonnes. Ainsi, la plaquette vante les avantages obtenus par cette technologie en
l’espace de 20 ans, sans oublier de mentionner les avantages à venir.
Le caractère publicitaire de ce document démontre la profonde implication de
l’industrie dans ce domaine qui était, il y a peu de temps encore, au stade de la recherche.
Cette rapide adoption par les industriels et par le monde agricole a eu lieu à partir de la mise
sur le marché de la tomate à mûrissement retardé, la flavr savr d’Astra-Zeneca, en 1994 et
d’un soja résistant aux herbicides en 1995. On a donc observé une convergence rapide des
pratiques industrielles et de l’agriculture. C’est ainsi que comme le remarquent Bernard Le
Buanec, Georges Pelletier et Jean-Noël Plagès, « Dès le début des années 80, les premiers
résultats de la transgenèse végétale sont publiés (Zambrisky et al., 1983) et de grands
groupes industriels (Monsanto, Sandoz, Shell, ICI, Ciba-Geigy, Dupont de Nemours)
comprennent que le développement des semences améliorées par génie génétique, en
proposant des solutions biologiques aux problèmes phytosanitaires, peut remettre en cause,
à terme, le marché de l’agrochimie. Parallèlement des groupes semenciers comme Limagrain
et KWS lancent des programmes de biotechnologies dès 1983-1984. De plus, entrevoyant la
possibilité d’utiliser le végétal pour la production de substances pour la pharmacie ou
l’industrie, des entreprises se créent (…) Il se créé ainsi un fort potentiel de recherche qui,
en liaison avec les acteurs publics, a conduit à une accélération des découvertes.»93 Quels
sont les domaines dans lesquels les industriels ont développé les applications de la
transgenèse ? C’est ce que nous allons maintenant étudier en nous appuyant sur la plaquette
éditée en 200294 par les PEW initiative on food and biotechnology (une association
américaine chargée de l’information et de la communication sur les biotechnologies) ; cette
dernière présente en effet un tableau complet des réalisations passées et à venir.
Les principaux progrès dans le domaine de la transgenèse concernent l’agronomie
(applications scientifiques sur les sols et sur la production de plantes pour rendre ces
dernières plus productives et plus faciles à récolter tout en réduisant les coûts et les effets
négatifs sur l’environnement). C’est en respectant ces critères que les scientifiques ont

93
Bernard Le Buanec, Georges Pelletier et Jean-Noël Plagès, « La transgenèse végétale en
agriculture », in Les Plantes génétiquement modifiées, Académie des sciences, rst n°13, décembre
2002, éditions Tec & Doc.,p.42.
94
PEW initiative on food and biotechnology, Harvest on the horizon : future use of agricultural
biotechnology, septembre 2002, http://pewagbiotech.org/

41
cherché à promouvoir des plantes ayant des traits de caractère pouvant les protéger95 :

- La résistance aux ravageurs et aux maladies


On a introduit des caractères conférant la résistance aux virus dans certaines plantes telles
que les pastèques (squash), les pommes de terre, la patate douce, le blé, la papaye et les
framboises. Pour cela on utilise généralement la technologie de la protéine de la coque
virale. Par exemple, l’équipe de scientifiques mexicains qui a travaillé avec Monsanto pour
réaliser une pomme de terre résistante au virus de la mosaïque a eu recours à cette
technologie.
- La résistance aux champignons
Dans les fruits et les légumes, les champignons causent des dommages signifiants. Aussi, les
recherches en génie génétique dans ce domaine ont été motivées par la volonté de trouver
un substitut aux traitements fongicides. De ce point de vue, la defensine s’est avérée être
une substance naturelle efficace contre les champignons. Ainsi, en 2000, on a incorporé la
défensine anti-fungale de l’alfalfa dans la pomme de terre (Gao et al. 2000) ce qui a permis
à cette dernière d’être résistante au pathogène Verticillium dahliae. Au niveau tropical, des
travaux ont lieu également sur la banane et le cassave. On a réalisé des travaux pour
développer une solution contre Botrytis cinerea, le champignon qui touche le blé et l’orge.
On a également travaillé sur la résistance de la pomme de terre à la maladie causée par
Phytophthora infestans. Le riz aussi a fait l’objet de recherche dans ce domaine.
- La résistance aux bactéries
La plupart des bactéries sont bénéfiques aux organismes qu’elles habitent, cependant,
certaines sont néfastes. Par exemple, les pommes de terre peuvent subir les dommages de
la bactérie pathogène Erwinia carotovora. Pour combattre cette bactérie, on a eu recours à
des enzymes de la famille du lysozyme.
- La résistance aux insectes et aux mites
Les recherches sur la maîtrise des insectes ravageurs sont nombreuses. On a pu, par
exemple, introduire des gènes qui produisent une toxine nocive à certains insectes en
particulier, ou encore qui provoquent la stérilité, affecte la digestion ou le métabolisme du
ravageur en question, voire, produire une cire qui rend la plante plus difficile à consommer.
Les plus connues de toutes les plantes insecticides sont les plantes Bt ; Bacilllus
Thurengiensis est une bactérie du sol. Les delta-endotoxines formées par cette bactérie sont
nocives aux insectes. Il y a plusieurs souches de bactéries Bt. De nombreuses constructions
ont été introduites dans le maïs, le maïs doux, le soja, la pomme de terre, le coton et se

95
Cet extrait de la liste fournie est non-exhaustif ; aussi, nous la donnons purement à titre illustratif.

42
trouvent actuellement commercialisés aux Etats-Unis et dans 11 autres pays. Le Bt est
particulièrement efficace contre la pyrale, ainsi que de nombreux autres insectes. On
développe également des colzas Bt. On notera également la capacité des plantes Bt à
diminuer le fumonisine, une toxine qui peut être dangereuse pour les animaux et les
fermiers. On a pu observer la diminution de 90 % de fumonisine dans les champs de Bt.
Contre les insectes qui ne s’en prennent pas aux feuilles, mais directement aux plantes, une
autre stratégie s’avère nécessaire. On a eu recours à une glycoprotéine : l’Avidine. Enfin
certaines plantes produisent une cire qui les rend plus résistantes.
- La résistance aux nématodes
On trouve plus de 15000 espèces de nématodes ; on estime qu’ils sont à l’origine de 10 %
des pertes. Les scientifiques sont sur le point de créer de nouvelles stratégies. Les
nématodes font énormément de dégâts dans les bananes, le soja, le riz, les pommes de
terre. De nombreuses recherches ont lieu dans le domaine de la génomique afin de cibler les
gènes qui présentent un caractère de résistance aux nématodes.
Un autre objectif agronomique réside dans l’amélioration des plantes. Cette dernière a
consisté dans le développement de :
- La résistance et la tolérance aux herbicides
Les mauvaises herbes sont à l’origine de nombreuses pertes de rendement (compétition avec
les plantes). C’est pour ces raisons que l’on a le plus fréquemment recours aux herbicides ;
grâce au génie génétique, on a créé des plantes résistantes et tolérantes aux herbicides. 6
catégories de résistance ont été enregistrées : au glyphosate, au glufosinate d’ammonium, à
l’imidazolinone, au sulfonylurea, au sethoxydim et au bromoxymil. Ces caractères ont été
introduits dans le soja, le maïs, le coton, le colza, la betterave à sucre et plus récemment le
blé. La résistance au glyphosate est la plus utilisée ; on la trouve essentiellement sur des
plantes telles que le soja et le coton.
- Amélioration de l’usage des nitrogènes
Rechercher les enzymes qui augmentent l’efficacité de l’incorporation de l’ammonium dans
les protéines. Ainsi, on pourra utiliser moins d’engrais pour ces plantes.
- La tolérance au stress
Pour les plantes, on appelle stress les conditions environnementales non biologiques telles
que la sécheresse, les inondations, les changements de température, la salinité, le pH
(acidité ou alcalinité) et les métaux lourds. On a pu remarquer que la tolérance au stress
dépendait généralement de plusieurs gènes. Aussi, de nombreuses études sont en cours
pour déterminer tous les gènes permettant de contrôler l’ensemble de ces facteurs.
- Régulation des hormones

43
En travaillant sur les hormones, on peut influencer la croissance des plantes, le
développement et le mûrissement des fruits, la longueur des tiges et le développement des
feuilles, la germination, la dormance (dormancy), et la tolérance des conditions adverses. On
a découvert par exemple que dans le blé, l’hormone de l’acide abscissique (hormon abscisic
acid), ralentit la germination de la graine et améliore la tolérance au froid et à la sécheresse.
La possibilité de contrôler la quantité et le timing de la production d’éthylène dans les fruits
et les légumes peut entraîner un report du mûrissement.
- L’augmentation du rendement
Les applications génétiques pour modifier les caractéristiques de qualité des produits ont
pour objectifs d’améliorer la nutrition, de modifier les allergènes et d’améliorer divers
attributs fonctionnels pour le consommateur. Des travaux ont été effectués sur la pomme de
terre et le riz.
- La production de nutriments
On a pu utiliser le génie génétique pour améliorer la production de nutriments de certaines
plantes. Par exemple certaines huiles ont été enrichies au béta-carotène ou à la vitamine E.
On a aussi amélioré la capacité de stockage de certaines plantes ainsi que leur capacité à
produire de la vitamine E et des acides gras… Une quantité impressionnante de recherches
sur les phyto-nutriments a été entreprise.
- Diminution des facteurs anti-nutritionnels
Certains aliments contiennent des substances qui interfèrent avec la digestion. Des études
ont pour objectif de diminuer la présence de ces substances. Par exemple les glycoalkaloïdes
dans les pommes de terre ; la tomatine, la solanine et les lectines dans les tomates…
- Suppression des allergènes
Etant donné que les allergènes sont des protéines, il semble possible de modifier la structure
des plantes, voire d’éliminer certaines de ces protéines de la plante. C’est ainsi qu’une équipe
japonaise a pu réduire l’allergénicité du riz (Nakamura et Matsuda 1996).
- Les attributs fonctionnels
On cherche à améliorer les qualités de certaines plantes pour des objectifs spécifiques. Ce
fut le cas de la tomate Flavr Savr ; d’autres études sont en cours actuellement sur la
possibilité d’obtenir des tomates à mûrissement retardé. De la même manière, on a modifié
le soja pour réduire la présence d’acide linoléique, ce afin qu’il soit plus stable pour les
applications industrielles. De nombreuses autres applications similaires sont à l’étude sur le
soja et les pommes de terres.

On notera encore également l’existence de nombreux travaux sur les arbres

44
génétiquement modifiés, le gazon, les fleurs et la possibilité de produire des plantes
pharmaceutiques ou d’autres qui peuvent servir de remède pour l’environnement. Nous ne
nous étendrons cependant pas sur ces dernières réalisations étant donné que nous
souhaitons concentrer notre réflexion sur les PGM alimentaires.
Comme on peut le constater chaque plante est étudiée pour répondre à un besoin en
fonction d’une attente potentielle de deux marchés : celui des agriculteurs et celui des
consommateurs. On précisera que la première génération de plantes qui a été mise sur le
marché avait, avant tout, pour objectif de satisfaire les besoins du premier marché. Les
plantes les plus cultivées sont celles qui ont un gène de résistance à un herbicide et
produisent elles-mêmes leur insecticide. En effet, sur les 52,6 millions d’hectares cultivés par
les 5,5 millions d’agriculteurs dans le monde en 2001 (soit 30 fois la superficie cultivée la
première année en 1996), on trouve principalement 4 types de plantes : le soja (63%), le
maïs (19%), le coton (13%), le colza (5%). Sur l’ensemble de ces plantes, ‘la tolérance à un
herbicide’ est le premier trait introduit (77% de l’ensemble des plantes cultivées), celui de
résistance aux insectes représente 15% ; 8% des plantes cultivées réunissent les 2 traits.
Enfin, les traits de résistance à un virus représentent moins de 1%96. Ces traits ont donc
surtout pour objectif de résoudre certains problèmes agronomiques.

La plupart des technologies qui sont évoquées dans le rapport des « PEW initiative » se
trouvent donc, soit au stade de la R&D, soit en phase d’introduction sur le marché. Or
comme on peut le constater, les capacités d’innovation de la technologie sont très fortes. On
peut d’ores et déjà affirmer que cette évolution potentielle dépendra de 3 facteurs :

96
Clive James, ISAAA (International Service for the Acquisition of Agribiotech Applications), Global
Review of Commercialized Transgenic Crops, 2001.

45
- La capacité de croissance des industriels (quelques grandes firmes se partagent le
marché des PGM alimentaire, parmi lesquelles on trouve Basf, Bayer CropScience,
Dow AgroSciences, DuPont-Pioneer Semences, Monsanto et Syngenta),
- La capacité d’instituer un système régulateur efficace (cela vaut surtout au niveau
européen bien évidemment, mais aussi au niveau du commerce international)
- Enfin, celle de surmonter le doute qui s’est emparé de l’opinion publique. Ce dernier
facteur étant sans doute le plus complexe et le plus incertain étant donné la situation
de « crise » qui s’est installée à l’égard des applications de la transgenèse végétale.
C’est donc sur ce point que nous voulons maintenant revenir

2.3. Origine de la controverse et comparaison avec les crises agro-alimentaires

Comme nous l’avons déjà remarqué dans l’introduction, alors que jusqu’à présent, la
transgenèse végétale n’a été à l’origine d’aucun accident connu, et que sur le sol européen,
elle est, sauf exception, restée au stade de culture expérimentale, elle est devenue la source
d’une controverse scientifique et d’une polémique au niveau de la sphère publique ; ce, à
cause de la nature « hautement politisée » du débat. Certaines études qui ont été menées
au niveau des consommateurs démontrent une relation problématique entre l’opinion
générale et cette nouvelle technologie , même si les perceptions varient. Aussi, on peut se
demander parfois si, l’introduction de la transgenèse végétale sur le marché n’est pas perçue
97
d’une manière similaire aux autres « crises alimentaires » qui ont secoué la société, en ce
sens qu’elles provoquent une suspicion à l’égard des industriels et de l’institution. A la suite
d’une série d’épisodes médiatiques, les PGM ont pu apparaître comme une source de danger
au sein de la chaîne alimentaire. La question qui se pose alors, est : « doit-on parler d’une
crise des PGM de même que l’on parle d’une crise de la vache folle ? » Cette question, bien
évidemment ne fait sens que par rapport à la perception des individus au sein de la société
et de la presse, car pour ce qui est des faits en eux-mêmes, nous tenterons de démontrer
qu’ils n’ont absolument rien à voir. Cependant, la démonstration est importante, car
l’amalgame a été plus que propagé. Aussi, quand on voit l’association de consommateurs
Que Choisir publier dans son magazine une liste d’« OGM cachés, 80 produits analysés, 16
98
contrôlés positifs », on est en droit de se poser certaines questions. Nous voudrions tenter
ici de retracer l’historique de cette situation qui paralyse le développement de la transgenèse

97
On emploie l’expression « crise alimentaire » en référence aux situations de blocage qui opposent
l’industrie agro-alimentaire et l’opinion publique suite à un accident survenu dans la chaîne qui va du
producteur au consommateur.
98
« Les OGM cachés », magazine Que Choisir ?, n°394, juin 2002

46
végétale, en montrant son double aspect : d’une part son enracinement comme controverse
au sein de la communauté scientifique et d’autre part, sa spécificité en tant que polémique,
distincte des autres « crises alimentaires ».

2.3.1. Asilomar, 1975 : une controverse scientifique sur l’aspect éthique des
« OGM »
On pense généralement aujourd’hui, que la transgenèse végétale suscite un plus grand
nombre d’inquiétudes que d’autres applications issues du génie génétique. Mis à part, peut-
être, le clonage, les applications de la transgenèse végétale sont celles qui provoquent le
plus l’hostilité du public99 ; or, il faut préciser que cette controverse s’est d’abord développée
au niveau de la communauté scientifique ; en effet, comme on l’étudiera, les PGM sont loin
de susciter l’unanimité parmi les experts, qu’il s’agisse de biologistes, de médecins,
d’environnementalistes, d’économistes ou encore de juristes. Or du point de vue historique,
on constate que cette controverse se rattache à un mouvement qui a commencé dès les
premières expériences de manipulation du vivant ; le génie génétique s’est donc trouvé à
l’origine d’une controverse dans l’ensemble de ses applications et les interrogations qu’il a
suscitées ont touché la communauté scientifique avant de toucher les consommateurs.
Autrement dit, les experts ont été concernés par les problèmes éthiques soulevés par les
applications du génie génétique avant les « profanes ». Théoriquement, il semble donc
possible de faire remonter les origines de la controverse des PGM aux premières
interrogations sur le génie génétique. On date généralement celles-ci au mois de juillet 1974,
lorsqu’un groupe d’éminents biologistes moléculaires à la tête duquel on trouve Paul Berg, a
écrit au magazine Science pour notifier qu’étant donné le potentiel destructif des
conséquences des travaux entrepris sur le génie génétique, il serait nécessaire
d’entreprendre une pause, jusqu’à ce qu’on réfléchisse vraiment à l’ensemble des
implications100. Cette suggestion a été analysée lors d’une réunion qui a eu lieu en février
1975 à Asilomar en Californie. Selon Bud, « les contributions historiques d’Asilomar étaient
un appel sans précédent pour une pause dans le domaine de la recherche jusqu’à ce que
celle-ci soit régulée de telle manière que le public n’ait pas besoin d’être anxieux, et cela a,
en effet, conduit à un moratoire de 16 mois jusqu’à ce que les directives du NIH soient

99
Les enquêtes de l’Eurobaromètre, par exemple, ont démontré que 42% des européens citent en
premier le clonage lorsqu’on leur demande ce qu’évoquent pour eux les biotechnologies modernes et
le génie génétique (p.18) ; la transgenèse et la production d’aliments sont, quant à eux, les 2
applications les moins acceptables des biotechnologies, (p.41)
100
Robert Bud, The Uses of life, a history of biotechnology, Cambridge University Press, p.175

47
valables au milieu de 1976.»101 Concernant « la signification au niveau industriel, la plupart
des débats qui ont eu lieu à Asilomar reflétaient le problème de l’impact de la science sur la
société ; rétrospectivement, la communauté scientifique semblait préoccupée par l’auto-
imposition de règles à l’intérieur desquelles elles pourraient travailler sans rencontrer
d’avantages de problèmes avec la société.»102 Bud remarque qu’il fut donc peu question des
applications commerciales du génie génétique, quoique celles-ci aient été abordées par
Lederberg qui a évoqué les potentialités au niveau de la médecine et de la production de
protéines, allant ainsi à contre-courant du « pessimisme ambiant »103. L’argument des
bénéfices potentiels sera également repris par Berg ; ce qui fait dire à Bud que la balance
risque bénéfice était déjà établie dès 1974 dans les esprits104. Au bout d’un moratoire de 16
mois, en Juin 1976, le NIH publia ses directives sur les bonnes pratiques ; celles-ci définirent
les risques de certaines expérimentations et les conditions physiques appropriées pour
pouvoir les poursuivre avec une liste pour définir les expériences à interdire totalement. En
plus de cela, les organismes modifiés ne pouvaient pas être testés en dehors des
laboratoires confinés ou d’environnement autorisés. C’est ainsi, par exemple, que l’on a
établi un débat public dans la ville de Cambridge au Massachusetts pour discuter de
l’autorisation de construire un laboratoire à l’Université de Harvard. C’est au même moment,
en mars 1976, lors d’un débat à l’Académie Nationale des Sciences que l’aspect public a
atteint un crescendo. En effet, des étudiants ont chanté « nous ne voulons pas être clonés »
et Jeremy Rifkin, le leader populiste de l’opposition, s’est élevé contre le génie génétique. Il
a argumenté en affirmant que ce qui se trouvait en jeu, c’était la nature de la vie elle-même
et a lancé un appel pour que « la science inhumaine » reste à sa place105.
Aux Etats-Unis, le débat était donc bien entamé parmi les intellectuels et déjà on
voyait apparaître les racines de certains des courants actuels : d’un côté les considérations
pour des principes éthiques sur le bien fondé de la science, mais également les germes de la
problématique risques-bénéfices. La décision d’établir un moratoire donne un avant-goût de
la version actuelle du « principe de précaution » et montre qu’il est déjà présent dans les
esprits des scientifiques. C’est également à cette époque que se mettent en place les

101
« Its historic outcome was an un precedented call for a pause in research until it could be
regulated in such a way that the public need not be anxious, and indeed it led to sixteen-month
moratorium until NIH guidelines were available in mid-1976. »Ibid., p.175
102
« As for industrial signifiance, much as the Asilomar discussion did reflect a concern for the impact
of science on society, in retrospect it seemed to be concerned with the self-imposition of constraints
within which scientists could work without further social concerns. »Bud, Ibid., p.176.
103
Ibid., p.177.
104
« So, as early as 1974, a list of speculative gains was being set against the speculative risks. »,
p.178.
105
Ibid., p.178.

48
« idéologies contestataires ». On peut donc supposer que la controverse qui oppose les
experts sur les PGM s’inscrit dans la continuité historique de cette première interruption du
déroulement de la recherche qui a eu lieu à Asilomar et en reproduit en partie le schème. A
l’époque, celle-ci concernait le génie génétique dans son ensemble. De ce point de vue, la
controverse scientifique sur les PGM semble être un cas particulier d’une controverse plus
générale sur le génie génétique, à laquelle les biologistes se sont pliés dès le départ. Ainsi,
commentant sur les suites du processus initiées à Asilomar, Claude Debru remarque : « Or
comment préciser un risque inconnu, et comment en évaluer la probabilité ? Cette question
revient sans cesse sous la même forme, avec une publicité sans cesse accrue, qu’il s’agisse
de plasmides ou de virus comme alors, ou d’organismes génétiquement modifiés comme
aujourd’hui – qui ne sont qu’une extension de la même technique. Demander de prouver un
risque plutôt que son absence n’a pas pour effet de retarder ou d’empêcher la recherche,
mais au contraire de la laisser libre de se poursuivre et de s’approfondir, car l’absence de
risque est ici supposée plus probable que le risque, et c’est le moins probable, le plus
contraire au cours habituel des choses qui doit être prouvé. Telle est, peut-être, l’une des
justifications implicites de l’idée que les mesures les plus strictes concernent les risques
connus plutôt que les risques inconnus. L’idée que les risques hypothétiques doivent être
moins contrôlés repose sur l’idée qu’ils sont moins probables et donc que la charge de la
preuve revient à ceux qui l’affirment. La recherche ne peut que gagner à l’affirmation d’une
faible probabilité. L’absence de risque lui laisse le champ libre. La suspicion d’un risque
nécessite une investigation. Dans les deux cas, la connaissance s’accroît. La position prise
par la commission Berg n’a pourtant pas été suivie par la conférence d’Asilomar, qui a émis
l’avis que les mesures de sécurité devaient être plus rigoureuses tant que les risques
restaient mal connus.106»
On aura cependant l’occasion de voir que cette nouvelle controverse prend une
tournure bien particulière au sein du milieu scientifique en ce sens qu’elle fait intervenir des
réflexions sur la nature des modifications, sur celle du pouvoir de la technologie, et enfin sur
les risques et les avantages de celle-ci. Qu’en est-il maintenant de l’aspect « polémique»?

2.3.2. Anvers, 1996 : naissance d’une polémique médiatique sur les PGM
La conférence d’Asilomar est donc le premier débat interne sur le génie génétique au
sein de la communauté des experts, et a permis de formuler les grandes questions qui
scanderont la réflexion sur une science en construction. Au sein de la sphère publique, la
polémique sur les PGM, elle, est beaucoup plus récente. En effet, en Europe l’ensemble des

106
Claude Debru, Le possible et les biotechnologies, p.p. 208,209.

49
spécialistes s’accordent pour dater l’irruption des PGM à la une des médias au mois de
Novembre 1996. En France, le 1er Novembre, à la suite d’une couverture de Libération titrant
« Alerte au soja fou », les plantes génétiquement modifiées vont commencer à faire les titres
des médias107. Auparavant les aspects scientifiques de transgenèse végétale et les débats
qu’elle suscitait déjà au sein des experts étaient restés confidentiels. En fait, cet article relate
les premières importations de soja génétiquement modifié en provenance des Etats-Unis ; et
si cet événement a suscité un tel engouement auprès des médias, le fait que l’association
écologiste Greenpeace ait mené une action de protestation en s’enchaînant devant les cargos
amarrés dans le port d’Anvers, n’y est sans doute pas pour rien. On sera également attentif
au titre du journal qui fait référence à la crise de la vache folle. Depuis l’entrée sur la scène
publique de la thématique des PGM, cette dernière n’a cessé de susciter la polémique et le
débat s’est constamment envenimé au point de devenir purement politique. Ainsi
récemment, avec l’incarcération de José Bové à la suite des saccages de deux champs
expérimentaux de maïs GM, on s’aperçoit que le débat a été récupéré politiquement. En
effet, pouvoir juger si l’application de la condamnation du porte-parole du syndicat agricole
Confédération Paysanne est justifiée, semble plus important pour l’auteur de l’article que la
discussion sur la cause de cette condamnation : « Bref, la justice l'a condamné à dix mois de
prison ferme ; rien de plus logique que cette peine soit appliquée. Il n'en est pas moins
évident que José Bové n'est pas un délinquant comme les autres. Il n'a commis aucune
violence à l'égard des personnes. Militant syndical, il a commis un délit collectif, revendiqué
comme tel, mais un délit symbolique. Fût-ce de manière condamnable, il a agi au service
d'une cause qui peut être discutée mais en aucun cas récusée : la défense d'un
environnement sain, la liberté des paysans à utiliser leurs propres semences, la protection du
vivant contre son exploitation marchande.»108 On voit que la cause de Bové est acquise : il
ne s’agit plus de savoir si la transgenèse végétale déstabilise ou non l’environnement et si la
brevetabilité et l’instrumentalisation du vivant sont des pratiques ou non compatibles avec le
développement du monde agricole. Toutes ces idées sont admises et la cause du leader
médiatique de la Confédération Paysanne est juste et entendue : le saccage du bien de la
propriété privée d’autrui, devient un « délit symbolique ». Le fond du problème est oublié et
le seul point à discuter reste le formalisme juridique : « Dès lors, incarcérer José Bové, qui
plus est dans ces conditions apparaît comme une injustice et une bêtise. Une injustice, car

107
Suzanne de Cheveigné, Daniel Boy et Jean-Christophe Galloux, Les Biotechnologies en débat , pour
une démocratie scientifique, p.79 et aussi Pierre-Benoit Joly, Gérald Assouline, Dominique Kréziak,
Juliette Lemarié, Claire Marris, Alexis Roy, INRA Grenoble, Collectif sur les risques, la décision et
l’expertise (CRIDE) ; L’innovation controversée : le débat public sur les OGM en France, Rapport,
Janvier 2000, p.71.
108
« Bové pour l’exemple », Editorial du Monde du 23/06/03

50
ce gouvernement, comme ses prédécesseurs, ferme pudiquement les yeux devant des
violences beaucoup plus dommageables commises par d'autres militants paysans, il est vrai
proches de la droite ; emprisonner Bové, c'est démontrer qu'il y a, en la matière, deux poids
et deux mesures. » On voit au travers de cet article à quel point le sujet est devenu
polémique, ce qui montre la tournure idéologique du débat publique109 sur les PGM. Quels
sont les aspects idéologiques de cette « crise alimentaire » ? C’est l’un des principaux points
que l’on étudiera dans ce travail.

2.3.3. Spécificité du cas des PGM par rapport aux autres crises alimentaires

Comme l’ont montré de nombreuses études, les consommateurs semblent hostiles à


un type d’alimentation qu’ils considèrent comme néfaste et dans lequel ils voient un risque
non défini, ou simplement, l’expression de la mauvaise qualité. Cette attitude réfractaire a eu
pour conséquence de freiner le développement de la technologie et a instauré une situation
d’incertitude, matérialisée au sein de l’Union Européenne par la mise en place d’un moratoire
qui porte sur l’introduction de nouvelles variétés de plantes. Il semble donc intéressant de
comparer cette situation avec d’autres crises alimentaires afin de dégager sa spécificité. Pour
cela, on effectuera dans un premier temps, une comparaison historique, avec la crise
alimentaire qui secoua l’Amérique au début du 20ème siècle et une comparaison d’actualité,
dans un second temps, avec la crise de la vache folle.
Dans un numéro spécial du magazine la Recherche sur les risques alimentaires, on
trouve un article de l’historien des sciences Jean-Paul Gaudillière qui relate la crise qui
secoua l’industrie agro-alimentaire et toute la société américaine110. On y apprend qu’en
1905, un journaliste américain, Samuel Adams dénonçait les « proprietary medecines »,
« ces médicaments vendus à grand renfort de publicité et dont la composition était protégée
par des brevets » (l’ensemble de ses articles fut rassemblé par la New York Academy of
Medecine). A la suite de ces publications en 1906, The Jungle, un roman de Upton Sinclair,
dénonçait l’organisation des chaînes d’abattage et l’absence totale d’hygiène : « dans les

109
Lorsque nous employons « idéologique », c’est au sens où une vision politique du monde peut
influencer une prise de position sur la technologie, mais également un a priori théorique sur la nature
de la transgenèse (ce sera le cas des experts comme on aura l’occasion de la voir). La manière la plus
globale dont nous pouvons parler d’idéologie par rapport aux PGM implique une vision systématique à
leur propos.
110
Jean-Paul Gaudillière, « Echos d’une crise centenaire », la Recherche, février 2001, 339, p.14.

51
saucisse, on mettait de la viande traînée dans la poussière et la sciure, là où les ouvriers
avaient sué et craché des milliards de bacilles tuberculeux. On y incluait aussi la viande
stockée dans les chambres froides où l’eau tombait du toit et où courraient des centaines de
rats. Ces rats étaient une calamité. Les fabricants mettaient du pain empoisonné à leur
disposition. Les rats mourraient. Le tout – rats, pain et viande – était expédié dans les
broyeurs. » D’après Jean-Paul Gaudillière, ces 2 événements éditoriaux sont caractéristiques
de l’ère progressiste aux Etats-Unis : « La presse et les journalistes jouèrent un rôle essentiel
dans la révélation d’une série de scandales touchant aux questions de santé, d’urbanisme ou
de finances municipales. Ce faisant, ils dénonçaient la corruption des responsables politiques
ou les menaces que les industriels véreux faisaient peser sur la santé du peuple américain
(…) Les campagnes des ‘fouilles-merdes’ des muckcrackers, jouèrent un rôle clé dans le
développement des institutions de santé publique. »111 La naissance de la FDA aurait donc
pour origine la multiplication des controverses publiques sur le comportement de l’industrie
agro-alimentaire. Pour l’auteur, il semble donc intéressant d’établir un parallèle entre cette
époque et la crise de la vache folle : « l’Amérique du début du siècle semble partager
beaucoup de choses avec nos propres crises alimentaires : l’omniprésence des médias,
l’opposition entre liberté du marché et l’intervention étatique, l’invocation d’une agriculture
plus naturelle contre les pratiques de l’agro-industrie.»112
Ces scandales révélés par Upton Sinclair poussa le Président Roosevelt a s’occuper
personnellement du problème et à faire passer une loi sur la « pureté des aliments ». Des
enquêtes sur les abattoirs de Chicago eurent lieu et une nouvelle administration dotée de
nouveaux pouvoirs vu le jour : « Le résultat fut une loi centrée non pas sur la définition de
normes de qualité mais sur l’étiquetage et la conformité entre la composition annoncée et le
produit effectif »113 la proposition de loi ayant été justifiée ainsi : « Quand les
consommateurs savent où un produit a été fabriqué, quand il a été fabriqué, quand ils sont
informés sur la véritable nature et la substance de la marchandise offerte à la
consommation… alors il est presque impossible d’en imposer même au plus négligeant et au
plus ignorant des acheteurs ? » (R. McD Allen. « Pure Food Legislation » Popular Science
Monthly, 34 juillet 1906). Le Food and Drug Act fut voté le 21 juin 1906.
En conclusion, Jean-Paul Gaudillière remarque que : « Après un siècle de croissance
et de diversification des industries alimentaires, les débats sur l’addition de glucose ou la
consommation de margarine peuvent paraître terriblement naïfs ou, pire, purement

111
Ibid., p.14.
112
Ibid., p.14.
113
Ibid., p.17.

52
idéologiques. Pourtant les controverses de l’Amérique progressiste ne sont pas si éloignées
de nos discussions sur l’ESB ou les OGM. Visibilité médiatique, mobilisation des
consommateurs, intervention de l’Etat et des experts scientifiques en sont l’horizon commun,
témoignant ainsi des continuités du siècle des biotechnologies. Une différence marquante
tient toutefois au statut de l’expertise. Si la fin du XIXème siècle a vu l’affirmation d’un
régime de jugement public centré sur la systématisation du recours au laboratoire et la
confiance accordée aux expérimentateurs, en particulier aux chimistes, la fin du XXème
siècle témoigne à l’inverse de la mise en crise de ce régime et de la difficulté croissante de
techniciser la gestion des risques industriels.114»

Qu’en est-il maintenant de la comparaison entre PGM et vache folle ? Tout d’abord,
force est de constater que les médias rapprochent souvent les 2 thématiques115. Aussi, les
journalistes ne sont pas les seuls à faire l’amalgame. En effet, Corine Lepage, ancienne
ministre de l’environnement sous le Gouvernement Juppé, s’interroge sur les leçons de la
crise116. Selon cette dernière, le gouvernement n’aurait tiré aucun enseignement de la crise
passée et reproduirait exactement les mêmes erreurs : « Depuis lors, les mesures prises sont
toujours le plus limitées possible, et les moyens mis à disposition des services vétérinaires,
notamment, ne sont pas à la hauteur. Il faudrait attendre plus d'un an pour que la
recommandation de l'AFSSA sur les intestins de bovins soit saisie : et le gouvernement n'a
pas encore étudié la possibilité d'interdire de manière générale toutes les farines animales,
alors que l'Angleterre a pris cette décision depuis deux ans. Sans doute les intérêts
économiques sont-ils plus puissants que la santé des consommateurs ! On peut déplorer un
total manque de discernement et de projection sur le futur. L'absence de développement de
filière de soja non-OGM en France, en Europe ou même ailleurs, menace de nous faire
tomber de Charybde en Scylla, du risque des farines à celui des OGM. Enfin et surtout,
l'omerta qui lie dans une forme de pacte implicite l'industrie agroalimentaire et les pouvoirs
publics est à dénoncer… » L’actuelle membre du Crii-gen, le Comité de recherche et
d'Information Indépendante sur le Génie Génétique, fondé par Jean-Marie Pelt et Gilles-Eric
Séralini, s’en prend alors au « manque de transparence du débat » et réclame une
« nécessité impérieuse d’inclure le citoyen dans le débat. »

114
Ibid., p.18.
115
Voir notre étude quantitative sur les quotidiens le Monde, le Figaro, Libération et les DNA ; depuis
1996, on trouve 461 articles qui citent en même temps les mots « vache-folle » et « OGM ».
116
Corine Lepage, « Vache folle et OGM », www.crii-gen.org, 6/11/2000.

53
Comme on le constate, la comparaison entre la crise de la vache folle et la polémique
des PGM est commune et ce, même dans l’esprit des plus hauts responsables. Sur quels
arguments cette association d’idées repose-t-elle? N’y a-t-il pas plusieurs différences entre
ces deux situations et n’a-t-on pas propagé à tort l’amalgame ? En effet, si on peut
comprendre qu’à la suite de nombreux accidents, tous les problèmes touchant à
l’alimentation finissent par se ressembler et s’accumulent pour renforcer l’a priori négatif
selon lequel l’industrie agro-alimentaire privilégie la rentabilité au détriment de la qualité, il
est cependant important de remarquer qu’entre la polémique sur les PGM et la « crise de la
vache folle », il existe plusieurs différences essentielles.
- La première de ces différences concerne la technologie. En effet, on peut comparer
les PGM et les farines animales d’un point de vue formel, en ce sens qu’il s’agit de deux
pratiques issues des biotechnologies, auxquelles les agriculteurs ont recours dans le but
d’alimenter leur bétail en faisant des économies d’échelle (une nourriture plus abondante au
meilleur coût), et qu’il s’agit, par conséquent de maximiser la rentabilité des cultures, en leur
appliquant les principes de l’industrie. Pourtant du point de vue de la technologie, il faut bien
reconnaître que dans le cas de la vache folle, l’alimentation à base de farines animales n’est
pas un procédé issu de la recherche fondamentale. Dans le cas des techniques qui
consistaient à récupérer des déchets animaux pour les transformer, il semble légitime de
parler de procédés approximatifs, en ce sens que la méthode de production est issue de
méthode empirique et ne découlait pas d’un savoir théorique préalable. A contrario, la
transgenèse végétale s’inscrit, comme on l’a vu, dans l’histoire du génie génétique ; c’est
une application qui repose sur un véritable corpus scientifique et qui est une solution pour
des problèmes que se posait la sélection classique.

- La seconde différence concerne la nature du risque. Dans le cas de la vache folle, la


crise a éclaté après que l’on ait crû constater l’accident ou, tout du moins, que l’annonce
faite par le Ministre Britannique de la Santé ait laissé supposer l’existence de celui-ci. Dans
ce cas, le danger était avéré. Dans le cas des PGM, on parle, encore à ce jour, de risques
potentiels. Ceux-ci ont été envisagés dès le départ et un système de surveillance a été mis
en place en prévention. Aussi, l’évaluation des risques est rendue complexe par l’impossibilité
d’effectuer une estimation à long terme. Dans le cas des PGM, le principe qui est admis par
tous est donc que « l’absence de preuve n’est pas la preuve d’absence ». Dans le cas de la
vache folle, on se trouve dans une stratégie de réparation et de prévention (prise de
mesures pour éviter la propagation de la maladie, abattage de troupeaux, nouvelles
législation, embargo…) ; il s’agit de tout faire pour supprimer le danger en contenant

54
l’épidémie ; dans le cas des PGM, on se trouve dans une stratégie d’évaluation (constitution
et validations des dossiers par les instances compétentes, essais en plein champs, phase de
validation, tests sur les animaux….)

- La troisième distinction, enfin, porte sur la cause du risque : à l’origine de la


« crise de la vache folle», on trouve une responsabilité : celle de la firme britannique qui n’a
pas respecté le traitement rigoureux qui permet de garantir l’innocuité des farines en
conservant les extraits d’animaux à 133°C pendant plus de 20 minutes sous une pression de
3 bars, ce afin qu’il ne reste aucun agent infectieux. De ce point de vue, il y a eu un non-
respect des règles de sécurité qui peut être imputable, soit à de l’inconscience, soit à une
recherche de profit au mépris des règles de sécurité. Il s’agit donc bien d’une faute
punissable par la loi. Le danger est imputable à un non-respect des règles sanitaires. Dans le
cas des PGM, le risque que l’on cherche à démontrer aujourd’hui est potentiellement
imputable à la technologie. Pour que le cas des PGM se rapproche de celui de la vache folle,
il faudrait donc qu’un laboratoire ne respecte pas les règles qui définissent le protocole de
sécurité. Or jusqu’à présent, ce n’est pas l’application de la technologie que l’on juge, mais la
technologie en elle-même. Il est donc clair que la controverse porte sur la transgenèse
végétale en elle-même et non pas sur ses réalisations. Le problème est alors de savoir à qui
revient la charge de la preuve : est-ce à ceux qui veulent développer la technologie ou est-ce
à ceux qui la critiquent a priori ? Aussi lorsque certains accusent ceux qui la pratiquent, c’est
plus pour dénoncer le génie génétique en lui-même, que pour dénoncer la malhonnêteté
d’une absence de respect des règles de sécurité. On voit bien que la controverse porte sur la
transgenèse végétale et non sur les modalités propres à son application.

Nous pensons qu’il était nécessaire de faire ces rappels pour bien situer le débat. On
peut trouver dans la controverse scientifique sur les PGM et la polémique qui l’a suivie, de
nombreux points communs avec une situation de crise, en ce sens qu’elles ont contribué à
freiner le progrès d’une technologie. A la différence de la « crise de la vache folle »,
cependant, la transgenèse végétale se distingue par le fait qu’elle est une application de la
biotechnologie qui est issue de la recherche fondamentale. Ensuite, dans le cas des PGM, le
danger n’est pas avéré et on se trouve toujours dans le cadre d’une recherche de risque
potentiel. Enfin, concernant la transgenèse végétale, il est important de préciser que, s’il y a
polémique par rapport à l’introduction de PGM sur le marché européen, celle-ci a bien pour
origine la technologie en elle-même et non le respect des normes garantissant la sécurité
alimentaire.

55
Tous ces éléments nous montrent à quel point la transgenèse végétale qui a fait
l’objet de nombreux amalgames avec des crises alimentaires, se distingue de celles-ci. Et
lorsque l’on parle de crise, c’est en ce sens que la remise en cause de la technologie pose
autant de problèmes pour le consommateur qui doute que pour l’industriel qui s’impatiente.
Il est donc essentiel de lever le doute et de réguler les impatiences en cherchant les raisons
qui se trouvent à la racine de ce blocage.

3. Développement des controverses au niveau des experts


Trop souvent, on a parlé du refus des consommateurs en oubliant que les premiers
qui ont douté de la technologie, ce sont les scientifiques eux-mêmes. A l’origine de la
polémique se trouve donc une controverse scientifique. Si l’on peut comprendre certaines
divergences qui ont pour cause un choix politique il est, par contre, plus difficile de saisir la
nature des oppositions qui divisent le milieu scientifique. Or on constate, parmi les experts
encore plus que dans l’opinion publique117, le caractère manichéen du débat et l’existence
bien réelle de deux attitudes radicales118 : une tendance pro et une tendance anti-PGM. Il est
donc nécessaire de creuser cette analyse afin de mettre au jour les sujets sur lesquels il y a
divergences. Au regard de cette situation, il est parfois tentant de faire une interprétation
simpliste, en jugeant que les experts sont tous à la solde d’intérêts politiques ou financiers.
C’est ainsi, que dans un autre cas qui est celui du bœuf aux hormones, Olivier Postel-Vinay
s’interroge sur le conflit qui oppose le JECFA (Joint FAO/WHO Expert Committee on Food
Additives) et le SCVMPH (Scientific Committee on Veterinary Measures relating to Public
Health). Il démontre alors que l’opposition n’a pas pour origine, contrairement à ce que l’on
pourrait croire trop facilement, un conflit d’influence119. En effet, alors que le premier comité
d’experts considère que, ; concernant la présence éventuelle dans la viande de résidus
d’hormones administrées, il existe une « large marge de sécurité, à condition que les bonnes
pratiques vétérinaires soient respectées. Marge de sécurité si grande que le comité jugeait

117
Les travaux menés au sein de Focus Group par le PABE, ont démontré que les individus non versés
dans le sujet n’avaient pas - contrairement à l’opinion généralement défendue par les acteurs des
biotechnologies - une opinion tranchée par rapport au sujet et qu’ils avaient plutôt une attitude
ambivalente et dans certains cas semblaient accepter l’innovation (mythe n°1). Claire Marris, « Public
View on GMO, Deconstructing the myths », EMBO reports, vol.2, n°7, 2001, p.545
118
Dans son petit livre, OGM, le vrai débat , Gilles-Eric Séralini parle de « l’affrontement de deux
conceptions scientifiques ». Il distingue ce qu’il appelle une vision « réductionniste » et une vision « à
complexité intégrée », appellation qui recouvre en fait 2 positions extrêmes sur le sujet.
119
Olivier Postel-Vinay, « Bœuf aux hormones : surprenant conflit », La Recherche , février 2001,
p.339

56
inutile d’imposer une limite maximale à la teneur en résidus, signifiant par là que ceux-ci ne
constituent pas un problème de santé publique. » Contre cet avis, le SCVMPH, un comité
scientifique de la commission européenne, concluait au contraire que « des effets
endocriniens, développementaux, immunologiques, neurobiologiques, immunotoxicologiques,
génotoxiques et cancérogènes pourraient être envisagés. » Au cœur de cette controverse,
on trouve l’hormone 17β-œstradiol qui pour le comité européen doit être considérée comme
un « carcinogène complet ». Le journaliste s’interroge alors sur les raisons de cette version
contradictoire du même problème : « Comment expliquer que des comités d’experts du plus
haut niveau international, consultés sur une question de santé publique, puissent dire
apparemment blanc et noir, et camper sur leur position ? Des deux côtés, les accusations
fusent : les experts de la Commission disent ‘ce que leur dictent les politiques’, tandis que
ceux du JECFA ‘sont aux ordres des américains’ (…) Que valent ces accusations ? On trouve
dans les deux camps des experts de haut niveau, dont l’honnêteté paraît difficile à mettre en
doute. » Olivier Postel-Vinay démontre alors que ce n’est pas l’intégrité des acteurs qui est
en jeu. Même si l’enjeu du débat est l’introduction du bœuf américain sur le sol européen,
cette controverse a d’autres raisons que purement politiques. En fait, celle-ci s’explique par
le fait que « Les experts des deux comités sont d’accords entre eux pour dire que le 17β-
œstradiol est un cancérogène complet. C’est un fait établi et ce n’est pas une nouveauté.
Mais le JECFA est allé au de delà de ce constat. Dans la mesure où le 17β-œstradiol est une
hormone naturelle, produite en grande quantité par les humains comme par les bovins, il
s’est posé la question de savoir si les résidus de 17β-œstradiol supplémentaires présents
dans la viande de bœuf présentaient un risque. C’est à cette question qu’il a répondu par la
négative. » (en effet, le supplément de 17β-œstradiol éventuellement ingérable est, selon le
JECFA, toujours inférieur à un millième du 17β-œstradiol naturellement produit chaque jour
par l’organisme)120.
Cette digression nous donne un excellent sujet de réflexion sur le rôle des experts et
leurs motivations et nous invite à une certaine prudence en démontrant que l’on peut
toujours trouver une explication dans la plus incongrue de toutes les controverses. Enfin,
cette analyse démontre que l’interprétation d’un risque connu (ici, l’effet carcinogène du 17β-
œstradiol) peut varier en fonction du principe sur lequel elle repose. Autrement, dit, un
même phénomène peut être interprété de deux manières différentes en fonction du critère
sur lequel on se base pour le juger. Dans le cas des PGM, nous verrons que l’expertise est
confrontée sans cesse à cette situation.

120
Olivier Postel-Vinay, Ibid., p.37

57
En effet, qu’il s’agisse d’estimation des risques sanitaires, environnementaux, ou du
calcul des bénéfices potentiels, nous allons voir que les opinions des « experts » divergent et
s’opposent sur l’interprétation de résultats souvent identiques. Dans le cadre de la
controverse scientifique sur les PGM, nous avons donc relevé 3 débats fondamentaux121 dont
les thématiques portent sur :

- PGM et alimentation
- PGM et environnement
- PGM, agronomie et société

Nous avons fait des recherches sur les controverses qui opposaient les experts et acteurs de
chacune de ces 3 thématiques. Nous avons pris en compte les positions d’intervenants
spécialisés dans le domaine, qu’ils appartiennent au secteur privé ou public, qu’ils fassent de
la recherche fondamentale ou appliquée à la technologie. Ce terme « d’experts » relève plus
ici de l’implication dans un secteur scientifique et technologique donné, que de l’expertise au
sens d’un « ensemble d’activités ayant pour objet de fournir à un décideur, en réponse à sa
question, un avis ou une recommandation aussi objectivement fondés que possible, élaborés
à partir d’inventaires et d’évaluations des connaissances avérées disponibles, d’observations,
d’inspections, d’essais, d’analyses ou d’investigations diverses, accompagnées d’un jugement
professionnel.»122 Aussi, notre travail n’a pas pour objectif de fournir une réflexion sur le rôle
de l’expert par rapport à la prise de décision, mais plutôt d’expliquer les raisons des
controverses qui opposent les experts sur le sujet des PGM. Notre hypothèse étant que :
face au caractère incertain de l’évaluation des risques des PGM, les prises de positions des
experts sont sujettes à un plus grand nombre de causes de variations. En effet, plusieurs
voies restent ouvertes pour l’interprétation des résultats. Aussi, on veut montrer que chaque
expert détermine sa position par rapport à la lecture qu’il fait de 3 principes fondamentaux:

- Le principe d’équivalence en substance,


- Le principe de précaution,
- Le calcul risques-bénéfices.

En associant chacun de ces 3 principes à une problématique respective (le principe

121
On pourrait ajouter à ces thématiques PGM et brevetabilité et PGM et étiquetage ; cependant, nous
avons voulu nous concentrer ici sur les thématiques propres à l’expertise biotechnologique.
122
« Proposition de définition mise en place par l’Afnor sous l’impulsion de l’Afssa », La Recherche
339, Février 2001, p.47.

58
d’équivalence en substance pour les risques alimentaires, le principe de précaution pour les
risques environnementaux et la balance risques-bénéfices pour l’utilité des PGM), on a pu
classifier et expliquer les opinions divergentes. On s’apercevra alors que les évaluations des
experts reposent en partie sur des conceptions « théoriques » (pour ne pas dire
idéologiques) de la transgenèse végétale, et ce, de manière implicite ou explicite. En quelque
sorte, on tentera de démontrer que le caractère indéterminé du calcul du risque (par
exemple la découverte d’un allergène) fait que l’avis donné par l’expert dépend
généralement de l’hypothèse que celui-ci a posée de manière implicite au départ (par
exemple, équivalence en substance ou « différence absolue ») ; autrement dit, l’avis rendu
comporte une part de science mais est toujours complété par un jugement, qui lui, peut être
considéré comme « non scientifique », en ce sens qu’il est un principe indémontrable. Le
problème de la non-scientificité des jugements de certains experts en situation de risque a
déjà été abordé par Les Levidow dans un exposé qu’il a fait lors d’une conférence organisée
par le Laboratoire d’économétrie de l’Ecole Polytechnique sur « l’Organisation du recours à
l’expertise scientifique en situation d’incertitude.»123 D’après ce sociologue de l’Open
University, lors de la mise en place de la régulation sur les PGM au niveau européen,
certaines décisions ont été prises sur la base de jugements « extrascientifiques » qui
auraient minimisé l’existence de certains risques. C’est cette attitude qui se serait trouvée à
l’origine d’une crise publique. Le débat scientifique et les protestations du public auraient
renforcé d’une manière plus ouverte les considérations apportées à l’incertitude124. Illustrant
ces propos, Levidow affirme que le comité d’experts de l’Union Européenne a affirmé qu’il n’y
avait pas d’évidence pour affirmer que l’usage commercial des PGM pourrait causer un effet
néfaste sur l’environnement. Cette affirmation serait fondée sur des jugements
extrascientifiques (normes agro-environnementales, connaissances disponibles, mesures de
gestion…)125 Ce conflit aurait mis en évidence les différents cadres de vision pour
l’agriculture et l’alimentation à venir (« At least implicitly, conflicts over evidence expressed

123
Les Levidow, « Expert Framings of Uncertainty : Regulating GM Crops in Europe. », Janvier 2002.
124
« In the European regulation of genetically modified (GM) crops, decision-making has undergone a
crisis of legitimacy. Although called ‘science-based regulation’, its decisions have been dependent
upon extra-scientific judgements which were downplayed or denied – and became publicly
contentious.(…) Early safety claims accepted or downplayed some uncertainties which later became
controversial. Public protest and scientific debate strengthened more openened accounts for
uncertainty, in at least three respects : more stringent agro-environmental norms, greater scrutiny of
safety evidence, more complex causal pathways of potential harm, and doubts about risk-
management measures. » Ibid., p.22.
125
« According to the official EU-level expert committee, there was no evidence to indicate that
commercial usage of specific GM crops would cause adverse effects to the environment. Such claims
rested on extra-scientific judgements-- e.g., about agro-environmental norms, about the adequacy of
available knowledge, and about management measures. »Ibid., p.23.

59
different framing visions for future agriculture. ») Aussi, l’auteur en conclut qu’une
estimation du risque totalement apolitique est impossible, étant donné que l’incertitude
concernée est cadrée par des normes agro-environnementales, des modèles de cause à effet
et des estimations de gestion du risque. Les avis portant sur l’estimation du risque ne
peuvent être séparés du débat public. Aussi, les procédures régulatoires ne peuvent séparer
le jugement des experts, des visions politiques. Par conséquent les avis des experts officiels
ne peuvent faire légitimer leurs décisions qu’en délibérant publiquement différents points qui
portent sur certaines incertitudes126.
On se propose donc de compléter cette analyse. En effet, comme on va tenter de le
démontrer, les jugements des experts se fondent bien sur des principes extrascientifiques,
en ce sens que ces principes donnent une réponse à une question qui semble a priori sans
réponse (l’estimation des risques), à moins d’une expérience à long terme. Mais on est obligé
de constater que cette remarque vaut pour tous types d’estimations du risque sur les PGM,
et dans une certaine mesure, pour tous types d’estimations du risque sur les plantes et les
aliments en général. Il nous est donc apparu essentiel de mettre au jour ces principes
théoriques sur lesquels reposent le caractère scientifique ou non du débat127.
Pour cette étude, nous avons étudié les textes issus des acteurs scientifiques dans
leur globalité : ainsi, on trouvera côtes à côtes, articles de recherche fondamentale et
appliquée, textes de vulgarisation, ouvrages généralistes rédigés par des biologistes,
contributions de scientifiques engagés aux côtés d’ONG, d’association de consommateurs ou
encore de groupes industriels et rapports issus d’administrations. Concernant l’origine des
controverses étudiées, nous nous sommes intéressés principalement à celles qui ont eu lieu
en Europe (Angleterre et France), aux Etats-Unis, et au niveau International (controverse sur
les PVD et la faim dans le monde). Enfin, nous préciserons que nous avons trouvé une

126
« An apolitical risk assessment is impossible to achieve, since the relevant uncertainty is framed by
agro-environmental norms, cause-effect models, and risk management assumptions. Regardless of its
formal independence, risk-assessment advice cannot remain independent of public debate; regulatory
procedures cannot credibly separate expert judgements from policy views. Therefore official expertise
advice can help legitimize decisions only by publicly deliberating different accounts of the relevant
uncertainties. » Ibid., p.23.
127
Notre démarche ici se veut avant tout théorique: il s’agit d’expliquer les controverses en
démontrant le rôle de certains principes dans l’évaluation d’un risque probable ; nous n’avons pas
effectué un travail de recensement exhaustif et méthodique de toutes les controverses (ainsi, nous ne
parlons pas de la controverse qui porte sur le gene flow) car tel n’était pas notre but. Notre objectif
est de mettre au jour, au travers de documents rédigés par les acteurs scientifiques du débat, les
raisons fondamentales qui font qu’il existe des avis opposés sur le même sujet. Aussi, afin de pouvoir
mener une réflexion générale, nous sommes allés chercher nos exemples de controverses partout où
ils se trouvaient (aussi bien aux Etats-Unis qu’au sein de la CEE, ou dans les PVD). Nous ne nous
sommes pas interrogés sur les différences culturelles, mais nous avons traité de chaque controverse
comme d’un témoignage qui permet de démontrer l’engagement théorique des scientifiques au cœur
du sujet.

60
grande quantité de ces documents sur Internet.

3.1. PGM et risques alimentaires : le principe d’équivalence en question


Le risque alimentaire se trouve au cœur de la controverse scientifique. La possibilité
de garantir la sûreté des aliments contenant des fragments de plantes issus de la
transgenèse végétale est un point crucial pour les experts qui se trouvent dans le devoir de
pouvoir conseiller les décideurs pour l’établissement de règles définissant le nouveau
marché. Or si aux Etats-Unis et dans d’autres pays tels que l’Argentine, le Canada, la Chine
et l’Afrique du Sud, on constate que la production et la consommation de plantes
génétiquement modifiées a donné lieu à une nouvelle chaîne agro-alimentaire, tel n’est pas
le cas sur le continent européen et plus particulièrement pour les pays membres de la CEE.
Depuis 1999, afin de procéder à la mise en place d’une juridiction sur la traçabilité et
l’étiquetage des PGM, un moratoire a été mis en place ; il a été récemment levé en Mai
2004. Une des raisons majeures invoquée est la sécurité alimentaire et de ce point de vue,
on observe certaines divergences. Ainsi, comme le rappelle Hervé Kempf dans un article du
Monde daté du 17 Avril 2003128, l'AFSSA (Agence française de sécurité sanitaire des
aliments), a émis une critique discrète sur les demandes d’autorisation de PGM : « En
l'absence de certaines données, indique l'Agence, -elle- ne peut rendre un avis
scientifiquement fondé concernant la sécurité sanitaire ». Cet avis concerne des dossiers de
maïs transgénique déposés par la firme Monsanto. Par contre, ces dossiers ont obtenu
l’approbation au niveau Espagnol et Néerlandais. Malgré le moratoire, en effet, les firmes
continuent à déposer des demandes d’autorisation auprès des différents pays, en attendant
la levée de celui-ci. Or, on observe des divergences également au sein même de certains
pays. En 2002, l’organisme précédemment cité qui a été fondé à la suite de la « crise de la
vache folle » a organisé un séminaire qui a réuni des experts au niveau international sur le
thème de « OGM et Alimentation, peut-on évaluer des bénéfices pour la santé ? : Le débat
sur les OGM porte sur deux questions principales : les OGM sont-ils dangereux ? Les OGM
sont-ils utiles ? Deux approches classiques lorsqu'on entreprend une démarche d’évaluation
d’un rapport « bénéfices/risques ». Deux questions délicates dans le domaine alimentaire »
Ici, ce sont les bénéfices potentiels des PGM qui sont en jeux. Mais, le plus souvent, ce sont

128
Hervé Kempf, « Les OGM avancent discrètement malgré les doutes des experts français », Le
Monde, le 17 Avril 2003.

61
les risques potentiels qui font l’objet d’une discussion entre les scientifiques d’origine
diverses, qu’ils soient bio-ingénieurs, environnementalistes, toxicologistes, allergologues…
Avant de rentrer dans le détail de cette controverse, nous commencerons par revenir sur le
« principe d’équivalence en substance ». C’est, à notre avis, un principe fondamental qui,
comme on essayera de le démontrer, se trouve de manière implicite à la base de toutes les
controverses, en ce sens qu’en fonction de son acceptation ou de son refus par les experts,
le risque n’est pas perçu de la même manière. Dans le cas de la recherche des risques
alimentaires, le principe d’équivalence en substance nous servira donc de critère pour classer
les différents avis d’experts sur les PGM129. On étudiera 3 controverses essentielles au niveau
de la sécurité alimentaire : l’allergénicité des PGM, l’usage des gènes de résistance aux
antibiotiques et enfin la transmission possible du transgène à l’organisme.

3.1.1. Définition du principe d’équivalence en substance


Le principe d’équivalence en substance nous apparaît comme un critère essentiel
pour bien comprendre les prises de position des experts dans la controverse qui les opposent
sur le risque alimentaire. En effet, c’est le garant de l’introduction des PGM sur le marché. Il
définit l’ensemble des critères qui font que les aliments issus de la transgenèse sont
considérés comme disposant des mêmes propriétés que ceux issus de la sélection classique.
Par conséquent, on tentera de démontrer que les scientifiques qui y adhèrent en déduisent
que les risques alimentaires que l’on veut évaluer chez les PGM sont des risques comme les
autres, alors que ceux qui le refusent (de manière implicite ou explicite) font des risques
alimentaires des PGM des cas particulier.

Histoire et définition d’un principe issu du droit international


Avant d’être un concept scientifique, le principe d’équivalence en substance est d’abord un
principe juridique de droit international. « Issu de travaux de la FAO, de l'OCDE et de l'OMS,
il repose sur la comparaison des nouvelles denrées alimentaires avec des aliments ou
ingrédients existants et consiste à considérer de la même manière sur le plan de la sécurité
la nouvelle denrée et l'aliment ou l'ingrédient traditionnel lorsqu’aucune différence
significative n'a été mise en évidence »130. Né d’une collaboration entre experts

129
Le fait que l’on ait rapproché le principe d’équivalence en substance de la recherche des risques
alimentaire n’exclut pas le fait que l’on puisse utiliser le principe de précaution pour prendre position
par rapport à un risque donné. Mais notre travail consiste ici à organiser un classement systématique.
130
Gérard Pascal, « Comment évaluer la sécurité des aliments issus de plantes transgéniques ? » OGM
et Alimentation, dossiers de l’INRA, Mai 1998, www.inra.fr/

62
internationaux et institutions non gouvernementales, ce principe préside à la mise sur le
marché de tous les organismes génétiquement modifiés. Il est l’aboutissement du processus
d'élaboration d'une méthodologie d'évaluation de la sécurité des nouveaux aliments qui a
pris naissance en 1990, à l'initiative du Groupe d'experts nationaux sur la sécurité en
biotechnologie (GEN) de l'OCDE. L'initiative de ce Groupe a conduit, en 1993, à la publication
d’un rapport intitulé « Evaluation de la sécurité des denrées alimentaires issues de la
biotechnologie moderne - Concepts et principes .» Au cours de cette même année 1990, une
consultation FAO/OMS était organisée à Genève sur le même sujet, qui devait donner lieu à
la publication, en 1991, d'un rapport intitulé Strategies for Assessing the Safety of Foods
Produced by Biotechnology (Stratégie pour l’estimation des aliments issus des
biotechnologies). Ces deux réunions marquaient le point de départ d'une réflexion qui a
conduit à définir le concept d'équivalence en substance. Ensuite, la définition du concept et
son application seront rediscutées au cours de plusieurs rencontres internationales. En 1994
à Copenhague, l’OMS organisait un nouvel atelier, sur l’application des principes de
l’équivalence en substance à l’évaluation de l’innocuité des aliments ou constituants
alimentaires issus de plantes obtenues par la biotechnologie moderne ; puis en 1994 et
1996, l’OCDE mettait sur pied à Oxford, puis à Rome des consultations sur le thème de
« biotechnologie et sécurité alimentaire ». C’est lors du séminaire d’Oxford qu’ont été
définies 3 nouvelles catégories d’une grande importance :

- Les aliments équivalents en substance,


- Les aliments équivalents en substance à l’exception du caractère inséré,
- Et enfin, les aliments non équivalents en substance.

En 1996, lors du séminaire de Rome, les 3 institutions internationales (FAO, OMS et OCDE)
tiraient les conclusions suivantes : « les problèmes que soulève la sécurité alimentaire des
organismes produits par les techniques du génie génétique sont fondamentalement de
même nature que ceux que pourraient engendrer d'autres moyens, comme la sélection
classique, de modifier le génome d'un organisme. Les techniques de la biotechnologie
moderne ne créant aucun problème spécifique en termes de sécurité, il s'ensuit que les
approches existantes de l'évaluation de la sécurité des nouvelles variétés de plantes
pourraient servir de base pour l'évaluation des aliments issus de plantes génétiquement

63
modifiées. »131 Quels sont alors les critères qui pourront déterminer s’il y a, ou non,
équivalence en substance ? Les 4 caractères essentiels à déterminer sont :

- La caractérisation moléculaire de la plante génétiquement modifiée


- Ses caractéristiques phénotypiques
- Ses nutriments
- Les substances toxiques essentielles

En 1997, à Aussois, en France a lieu un séminaire sur les essais toxicologiques des
nouveaux aliments qui réexaminera et complétera ces critères par l’ajout d’autres analyses
toxicologiques plus approfondies, entre autres, celles qui pourraient démontrer la présence
ou l’absence d’effets indésirables, la production de protéines toxiques et la nécessité de faire
des essais in vivo. Et comme le remarque le rapport de l’OCDE : « En pratique, les
évaluations effectuées par le sélectionneur pour ses propres besoins ou pour les procédures
d'inscription des obtentions végétales ont de tous temps permis de produire de nouvelles
variétés de plantes qui n’ont pas eu d’effets indésirables sur la santé humaine. Toutefois,
comme ces évaluations portent rarement sur des aspects directement liés à l'innocuité des
plantes cultivées, elles ne peuvent être considérées comme suffisantes pour établir
l'équivalence en substance ou garantir l'innocuité d'une nouvelle variété de plante cultivée. »
C’est pourquoi : « Démontrer qu'un aliment nouveau est équivalent à un produit alimentaire
existant ayant prouvé de longue date son innocuité pour le consommateur permet de
garantir que ce nouvel aliment est aussi sûr que l'aliment connu auquel il est comparé. »132
Ce principe, d’après Gérard Pascal, vaut aussi bien pour les aliments génétiquement
modifiés, lorsque l’on constate une similitude des caractères observés (phénotypes et
composition) avec les aliments de références. L’équivalence en substance suffit pour prouver
l’innocuité de l’aliment visé. Au cas où l’équivalence en substance n’est pas démontrée pour
certains aliments, une évaluation plus complète de l’innocuité de l’aliment sera peut-être
nécessaire pour définir certaines informations supplémentaires. Concernant le choix des
plantes ou des aliments de référence, ceux-ci doivent être le plus proche possible de
l’aliment génétiquement modifié. On cherche à démontrer, par exemple, le caractère
isogénique des deux éléments de la comparaison. On constate alors l’existence de certaines
complications : « Pour bien des plantes alimentaires commerciales, on ne disposera peut-

131
Gérard Pascal, « Avant-Propos du Compte rendu du séminaire de l’OCDE sur les essais
toxicologiques et nutritionnels des nouveaux aliments », SG/IGCB, 98.1, p.8
132
Gérard Pascal, Ibid., p10.

64
être pas de lignées qui soient isogéniques par rapport à la lignée parentale, et l'on optera
alors généralement pour une lignée se rapprochant le plus possible de l'isogénie.
L'interprétation des résultats s'en trouvera peut-être alors compliquée, dans la mesure où les
différences observées pourront soit provenir d'un effet secondaire de la modification
génétique, soit être dues à des variations génétiques naturelles dans la lignée servant de
référence. »133 Les différences significatives peuvent impliquer des recherches
supplémentaires, et ces différences ne justifient pas forcément l’innocuité. En effet, il peut
s’agir d’une différence causée par l’environnement ; on peut alors faire varier les
environnements. « Par contre, s’il existe des différences significatives entre la lignée
modifiée et la/les lignée(s) de référence et que les valeurs correspondantes s’écartent des
fourchettes obtenues pour les variétés commerciales de la plante cultivée en question, et à
condition qu'il ne s'agisse pas de l'effet souhaité, il peut y avoir un problème d'innocuité. »134
La cause de l’effet indésirable peut avoir pour origine soit, une mutation par insertion, soit,
un effet métabolique secondaire. Il est par conséquent nécessaire d’opérer des tests
toxicologiques et nutritionnels pour comprendre la nature et le mécanisme sous-jacent de
cette différence. Les constituants comparés comprennent les nutriments et les substances
toxiques. Il faut tenir compte du gène inséré et des modifications que le constituant est
susceptible de recevoir. Pour un même organisme susceptible d’être transformé, les
nutriments à analyser varieront selon les pays. L’expert de l’INRA ex-président du Conseil
Scientifique de l’AFSSA remarque cependant qu’ « il subsiste toutefois certaines divergences
au niveau du choix des constituants actuellement évalués par les obtenteurs ou imposés par
les autorités de réglementation. En harmonisant à l’échelle internationale la liste des
constituants à retenir pour chaque plante cultivée, on accroîtrait donc la cohérence de la
méthode d'établissement de l'équivalence en substance. » Concernant les techniques
d’analyse, les empreintes métaboliques obtenues par des analyses physico-chimiques ou
encore sur la détection de l'expression du gène modifié par amplification de sous-ensembles
spécifiques de l'ARNm, sont en voie de remplacer l’analyse classique ; quant aux banques de
données, elles ne cessent d’être complétées et apportent leur contribution à l’établissement
du principe d’équivalence en substance.
On ajoutera que le pouvoir allergisant des aliments est, du point de vue de
l’établissement de l’équivalence en substance, un facteur essentiel. Il est important de ne
pas introduire des gènes issus d’organismes allergéniques. « Toutefois, lorsque le gène
introduit en raison de ses propriétés particulièrement intéressantes est pris chez un

133
Ibid., p11.
134
Ibid., p12.

65
organisme notoirement associé au phénomène d'allergie alimentaire (arachide, par
exemple), il est indispensable de démontrer qu'il ne code pas un allergène. »135
L’OCDE, s’accorde donc à définir l’équivalence en substance de la manière qui suit :
« Pour qu’il y ait équivalence en substance, il faut démontrer que les caractéristiques
évaluées pour l'organisme génétiquement modifié ou un produit alimentaire donné qui en est
issu sont équivalentes aux caractéristiques correspondantes chez l'organisme ou le produit
traditionnel de référence. Le concept d'équivalence en substance ne représente pas en soi
une évaluation de la sécurité, mais la garantie qu’il apporte au niveau de l'innocuité des
aliments issus de plantes génétiquement modifiées est égale ou supérieure à celle obtenue
pour les aliments produits par des méthodes classiques. Une fois l'équivalence en substance
établie, aucune autre preuve d’innocuité ne s’impose. Le concept d'équivalence en substance
permet en outre de prédire dans quelle mesure la modification génétique apportée n'induira
aucun effet imprévu. »136
Comme on peut le comprendre à la lecture de cette dernière citation, l’équivalence en
substance est la recherche d’une garantie en comparant l’aliment connu à l’aliment nouveau.
En effet, si l’aliment génétiquement modifié présente certains caractères identiques à ceux
d’un « aliment parent » de référence, alors, on tient là une forme de garantie de ce que l’on
peut appeler une « innocuité relative », en ce sens qu’il se peut que l’aliment soit nocif, mais
alors, cette nocivité n’aura rien à voir avec la modification génétique. Elle pourrait tout aussi
bien être le fait de l’aliment issu de la sélection classique. On voit bien qu’il s’agit là d’un
« principe » auquel il faut se tenir. Et ce principe doit être posé sans autre démonstration : il
« exclut toute autre démonstration en la matière ». Il est clair que si le principe
d’équivalence en substance a pour objectif de légitimer la commercialisation des PGM alors,
la recherche d’un nombre croissant de paramètres risquerait de repousser à l’infini les délais
de mise sur le marché. Il faut bien alors que la recherche des critères de similitudes soit
préalablement définie. Sinon, il apparaît clairement qu’une équivalence « en substance »,
elle, est indémontrable, puisqu’il y aura toujours une différence qui subsistera entre l’aliment
modifié et l’aliment de référence. Il s’agit de montrer qu’il n’y a aucune raison de penser que
le transgène occasionne un plus grand risque. L’équivalence « en substance » est donc une
équivalence « en quelque sorte ». Elle a été instaurée pour rassurer le consommateur et
fournir un cadre légal aux aliments issus de la transgenèse végétale. On trouve derrière ce
principe, des institutions internationales qui lui donnent toute sa légitimité. C’est par un acte
« volontaire et réfléchi » que l’OCDE pose l’équivalence en substance des PGM. Aussi,

135
Ibid. p.14.
136
Gérard Pascal, Ibid., p10.

66
comme on va le voir, de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer « l’absence de
scientificité » du principe. Restera à déterminer cependant, si c’est bien d’absence de
scientificité qu’il faudra parler dans ce cas, ou de l’impossibilité de démontrer « l’absence
totale de risque alimentaire en général», mais c’est là un problème que nous aborderons
plus tard. Ce que l’on retiendra pour l’instant, c’est que la mise sur le marché des plantes
génétiquement modifiées obéit à un processus scientifico-institutionnel de recherche de
critères de similitudes entre les aliments nouveaux et les aliments traditionnels d’après une
définition arbitraire, quoique justifiée de ces critères. Aussi, le simple fait d’admettre le
principe d’équivalence en substance équivaut à reconnaître non pas la démonstrabilité à
100% de l’identité des PGM et des organismes classiques, mais que les PGM sont des
organismes comme les autres ; autrement dit, ni plus dangereux, ni moins dangereux que
les organismes issus de la sélection classique. Ce principe semble donc moins porter sur la
recherche de preuves d’innocuité que sur la volonté de banaliser une avancée technologique.

Un principe critiqué : Millestone & al.


C’est exactement sur ce dernier point que le principe d’équivalence en substance va faire
l’objet de critiques. Dans un article célèbre paru dans Nature, Erik Millstone, Eric Brunner et
Sue Meyer dénoncent l’utilisation abusive qui est faite du principe d’équivalence en
substance137. Ce texte a pour objectif de prouver que la démonstration de l’homologie entre
la structure chimique des aliments génétiquement modifiés et leurs équivalents naturels,
n’est pas une preuve suffisante pour démontrer qu’il sont sains pour la consommation138. Les
auteurs soutiennent la thèse selon laquelle, la toxicité des aliments génétiquement modifiés
ne peut pas être démontrée à partir de leur structure chimique. En effet, d’après les 3
chercheurs anglais, pour pouvoir continuer à soutenir le principe d’équivalence en substance,
il ne faudrait pas se contenter de tests chimiques, mais leur ajouter des tests biologiques,
toxicologiques et immunologiques139. Le concept d’équivalence en substance n’aurait jamais
été clairement défini en ce sens que, on ne trouve nulle part précisé le degré de différence
nécessaire entre un aliment génétiquement modifié et son équivalent naturel pour que cesse

137
Erik Millstone, Eric Brunner & Sue Mayer, « Beyond Substantial Equivalence », Nature 401, 525 -
526 (1999), 7 October 1999.
138
« Showing that a genetically modified food is chemically similar to its natural counterpart is not
adequate evidence that it is safe for human consumption. », Ibid. (Pagination Internet)
139
« At first sight, the approach might seem plausible and attractively simple, but we believe that it is
misguided, and should be abandoned in favour of one that includes biological, toxicological and
immunological tests rather than merely chemical ones. », Ibid.

67
cette « équivalence acceptable » et cette imprécision vaut également pour le législateur140.
Toutes ces imprécisions servent, d’après les auteurs, les intérêts des industriels et
desservent le consommateur. Bien au contraire, le principe d’équivalence en substance, est
un obstacle à une enquête plus approfondie.
Concrétisant leur critique, les auteurs introduisent le concept de « ADI » (acceptable
daily intake). La « dose journalière tolérable ou acceptable » aurait été, d’après Millstone et
al., une manière beaucoup plus assurée de vérifier les risques éventuels. En effet, il s’agit du
critère auquel on a recours avant de mettre sur le marché des composés chimiques,
pharmaceutiques, les pesticides et les additifs alimentaires. Mais les états n’ont pas voulu
avoir recours à ce principe. Ils ont préféré laisser plus de liberté aux firmes agro-alimentaires
en ayant recours au concept d’équivalence en substance. On n’a pas voulu introduire de
régulation pour s’assurer que l’ADI n’est jamais atteint141. Cela pour 2 raisons : d’une part,
les tests à effectuer auraient repoussé davantage la mise sur le marché (d’au moins 5
années) et auraient coûté une fortune aux entreprises (les auteurs estiment la somme à 25
millions de dollars par produit) et d’autre part, cela aurait cantonné les aliments
génétiquement modifiés à un rôle marginal dans l’alimentation. Or un ADI est généralement
défini comme équivalent à 1/100ème de la plus forte dose qui a pu être prouvée néfaste pour
les animaux. Par conséquent, même si un animal ne montre aucun symptôme à la suite
d’une diète uniquement composée de matériel test, alors la dose d’aliment génétiquement
modifié qui sera admise dans l’alimentation humaine sera toujours limitée à 1%142.
Partant de ce raisonnement, les auteurs en concluent que l’adoption du principe
d’équivalence en substance était simplement un « signe » pour autoriser les firmes
agroalimentaires à mettre sur le marché des aliments dont la composition chimique ne
diffère pas de ceux existants, et aussi une manière de rassurer les consommateurs.
Repartant à l’origine des discussions qui ont présidé à la naissance du concept d’équivalence
en substance les scientifiques anglo-saxons font références aux rencontres tenues par

140
« The concept of substantial equivalence has never been properly defined; the degree of difference
between a natural food and its GM alternative before its 'substance' ceases to be acceptably
'equivalent' is not defined anywhere, nor has an exact definition been agreed by legislators. » Ibid.
141
« One obvious solution at that time would have been for legislators to have treated GM foods in
the same way as novel chemical compounds, such as pharmaceuticals, pesticides and food additives,
and to have required companies to conduct a range of toxicological tests, the evidence from which
could be used to set 'acceptable daily intakes' (ADIs). Regulations could then have been introduced to
ensure that ADIs are never, or rarely, exceeded. », Ibid.
142
« Thus, even if the animals show no adverse effects on a diet consisting exclusively of a test
material, human intake would still be restricted to 1% of the human diet. The biotechnology
companies want to market GM staples, such as grains, beans and potatoes, which individually might
account for as much as 10% of the human diet, and collectively might provide more than half of a
person's food intake. » Ibid.

68
l’organisation agricole et alimentaire des nations unies (FAO) et à l’organisation mondiale de
la santé (WHO). En effet, les 2 organisations internationales lors de rencontres préliminaires
qui ont eu lieu dans les années 1990 auraient fondé le débat sur des bases contradictoires
en affirmant d’une part qu’en un certain sens, les aliments génétiquement modifiés sont une
innovation et qu’en tant qu’innovation, ils doivent pouvoir être brevetés et d’autre part, ils ne
sont qu’une innovation relative puisqu’on affirme qu’ils se trouvent dans la continuité des
aliments traditionnels143. Ce genre d’argumentation ne peut s’expliquer que comme une
interprétation de la volonté des industriels qui veulent pouvoir commercialiser ces produits.
Le débat des organisations internationales a donc abouti à la conclusion qu’il était
nécessaire de comparer les aliments génétiquement modifiés avec les aliments traditionnels.
Or d’après les auteurs, aucun scientifique ne peut prédire les effets biochimiques et
toxicologiques d’un OGM en partant des connaissances de sa constitution chimique144. Ils
citent l’exemple d’études récentes sur le raisin qui ont démontré que malgré les
connaissances détaillées que l’on possédait sur le raisin et sa composition chimique et ce,
depuis des années, il était encore impossible d’établir un lien entre la génétique du raisin et
sa saveur (flavour). Comment peut-on alors se fier au principe d’équivalence en substance,
alors qu’il est difficile d’établir des relations entre la génétique, la chimie et la toxicologie. Les
auteurs citent alors les travaux d’Arpad Pusztai, le scientifique du Rowett Institute dont les
publications ont causé un véritable scandale parmi le milieu scientifique britannique (ce sujet
fait l’objet d’une étude dans notre travail). Pusztai aurait démontré la toxicité des pommes
de terre génétiquement modifiées sur le rat, or de tels travaux n’auraient pas pu être
possibles avec une simple analyse chimique des aliments. Ce genre d’expérience n’est pas
exigé avant qu’un PGM soit introduit sur le marché.
Tous ces arguments démontrent, toujours d’après Millstone, Brunner et Mayer,
l’incohérence de la définition de l’équivalence en substance. En effet, si on prend le cas du
soja tolérant au glyphosate alors, on peut constater une contradiction propre au « dit
principe ». En effet, on est obligé de reconnaître que ce soja n’est pas équivalent en
substance au soja traditionnel, puisque sinon, d’une part, il ne pourrait pas être breveté et

143
« The FAO/WHO panel report makes intriguing reading, because what it fails to mention is as
important as what is discussed. It does not use the term 'substantial equivalence' or mention ADIs. It
implies that GM foods are in some important respects novel, but it then argues that they are not really
novel at all – just marginal extensions of traditional techniques. », Ibid.
144
« The FAO/WHO panel report makes intriguing reading, because what it fails to mention is as
important as what is discussed. It does not use the term 'substantial equivalence' or mention ADIs. It
implies that GM foods are in some important respects novel, but it then argues that they are not really
novel at all – just marginal extensions of traditional techniques. » Ibid.

69
d’autre part, il ne serait pas résistant au glyphosate145. Ce soja a pourtant été estimé
équivalent en substance par le fait que les différences génétiques et chimiques connues sont
estimées insignifiantes du point de vue toxicologique. Au lieu de cela, on s’est arrêté à
démontrer la similitude des acides, des acides gras, des fibres, des isoflavones et des
lécithines.
Comment, s’interrogent alors les auteurs, une telle affirmation est-elle possible alors
que l’on sait depuis des années que l’application du glyphosate au soja transforme sa
composition ? Par exemple il influence le niveau de composés phénoliques tels que les
isoflavones. Malgré cela, les tests auraient été conduits sur le soja génétiquement modifié
qui n’aurait pas été traité au glyphosate. Les grains génétiquement modifiés qui ont été
testés appartiennent à un type qui ne sera jamais consommé, puisque le soja que l’on trouve
dans le commerce a toujours subi un traitement au glyphosate. Si le soja avait été traité,
sans doute eût-il été beaucoup plus difficile de démontrer l’équivalence en substance.
Ils en déduisent que ce manque de rigueur prouve une fois de plus l’incohérence des
institutions par rapport à l’adoption et à l’application de ce principe. Aussi, les 3 scientifiques
tiennent à signaler que seul le gouvernement hollandais a reconnu la limitation du concept
d’équivalence en substance. Ce dernier recommande davantage de tests tels que : l’analyse
de l’ADN, le relevé d’empreinte des protéines, le profilage (profiling) des métabolites
secondaires et la réalisation de tests in vitro. Il sera donc intéressant de suivre de près ces
études pour voir si elles mènent à la découverte de différences.
En conclusion, Millestone et al. affirment que le concept d’équivalence en substance
est un « pseudo concept scientifique » ; en fait il s’agit d’un jugement commercial et
politique qui se présente comme un concept scientifique146. Les auteurs vont même plus loin
en soutenant qu’il est anti-scientifique en ce sens qu’il empêche toutes autres recherches et
fait obstacle aux chercheurs qui voudraient développer d’autres pistes (les auteurs font sans

145
« GM glyphosate-tolerant soya beans (GTSBs) illustrate how the concept has been used in practice.
The chemical composition of GTSBs is, of course, different from all antecedent varieties, otherwise
they would not be patentable, and would not withstand the application of the herbicide
glyphosate(…)GTSBs have been deemed to be substantially equivalent because sufficient similarities
appear for those selected variables. But this judgement is unreliable. Although we have known for
about ten years that the application of glyphosate to soya beans significantly changes their chemical
composition (for example, the level of phenolic compounds such as isoflavones6), the GTSBs on which
the compositional tests were conducted were grown without the application of glyphosate. This is
despite the fact that commercial GTSB crops would always be treated with glyphosate to destroy
surrounding weeds. The beans that were tested were, therefore, of a type that would never be
consumed, while those that are being consumed were not evaluated. If the GTSBs had been treated
with glyphosate before their composition was analysed, it would have been harder to sustain their
claim to substantial equivalence. » , Ibid.
146
« Substantial equivalence is a pseudo-scientific concept because it is a commercial and political
judgement masquerading as if it were scientific. It is, moreover, inherently anti-scientific because it
was created primarily to provide an excuse for not requiring biochemical or toxicological tests. » Ibid.

70
doute ici référence à l’affaire Pusztai). Par conséquent, les instances officielles, si elles
veulent rassurer le public, feraient mieux d’abandonner ce concept pour s’orienter vers des
recherches toxicologiques et sanitaires sur les organismes génétiquement modifiés, c’est
sans doute là encore la meilleure façon de rassurer le grand public147.
Cet article qui a été publié dans le journal Nature a fait date. Mais il n’est pas le seul.
Le professeur de biologie moléculaire à l’université de Maharishi, John Fagan, renchérit dans
un article nommé « L’échec du principe d’équivalence en substance dans la régulation des
aliments transgéniques. »148 Selon cet auteur, aujourd’hui pour démontrer cette équivalence
en substance, on compare de manière sélective certains critères. Or pour que l’on puisse
véritablement parler d’équivalence en substance, il faudrait que celle-ci puisse valoir pour
tous les arguments qui concernent le consommateur, ce qui est totalement erroné149.
D’après l’auteur, le plus grave est que les tests qui sont actuellement préconisés
laissent entièrement de côté les risques imprévisibles. En effet, ces tests laissent de côté les
effets dus au hasard du processus génétique lui-même150. Il cite pour appuyer son
affirmation le cas du tryptophane, introduit sur le marché par la société Showa Denko en
1999, un supplément alimentaire produit à base d’une bactérie génétiquement modifiée aux
Etats-Unis et qui a rendu des milliers de consommateurs malades ; parmi eux, 1500 individus
sont restés déstabilisés et 37 sont morts. Selon les mesures effectuées, le tryptophane issu
d’une bactérie génétiquement modifiée était équivalent à celui qui était préparé à partir
d’une bactérie naturelle. Pourtant, il n’était pas équivalent en substance au niveau de la
sécurité alimentaire. Si d’autres tests avaient été exigés, on se serait sans doute aperçu de
cette non équivalence. Il paraît, par conséquent, essentiel de faire subir les tests adéquats et
plus particulièrement les tests cliniques qui permettront de détecter les toxines et les
allergènes dus aux hasards du processus biologique et qui ne peuvent être détectés par de

147
« If policymakers are to provide consumers with adequate protection, and genuinely to reassure
them, then the concept of substantial equivalence will need to be abandoned, rather than merely
supplemented. It should be replaced with a practical approach that would actively investigate the
safety and toxicity of GM foods rather than merely taking them for granted, and which could give due
consideration to public-health principles as well as to industrial interests. », Ibid.
148
Article publié sur Internet par Richard Wolfson, daté du 15 Novembre 1999 (lien quaduque)
149
« The argument supporting this practice is that since most of the characteristics of a particular
genetically engineered food are similar to those of its non-genetically engineered counterpart, it must
be the case that the genetically engineered food is substantially equivalent to its non-genetically
engineered counterpart with respect to all characteristics relevant to the consumer. This is obviously a
fallacious argument, and should not be used as the basis for avoiding more extensive testing and for
avoiding the labeling of genetically engineered foods » Ibid.
150
« Important as these studies are, however, they fail to even begin to assess one very substantial
class of risks that are inherent in genetically engineered foods. That class of risks consists of health
hazards resulting from the unanticipated side-effects of genetic engineering. Such testing schemes are
completely incapable of detecting unsuspected or unanticipated health risks that are generated by the
process of genetic engineering, itself. » Ibid.

71
simples analyses des compositions chimiques151. Cependant, étant donné le fait qu’aucun
test ne peut fournir une garantie absolue et que cela prend parfois plusieurs années, il sera
nécessaire d’étiqueter les aliments génétiquement modifiés. Sans ces nouveaux tests
auxquels l’industrie agroalimentaire est souvent opposée, l’auteur prédit l’introduction sur le
marché d’aliments qui risquent de sérieusement endommager la santé des
consommateurs152.

Discussion
Issu d’une concertation au niveau des instances internationales, le principe d’équivalence en
substance est un accord sur l’établissement de conditions préalables à la mise sur le marché
des plantes génétiquement modifiées. Cette réflexion est née dans les années 1990 et a
abouti en 1994, une année avant la mise sur le marché des premières plantes
génétiquement modifiées. Peut-on dire alors qu’il s’agit d’un principe de nature « politique
et économique » sans valeur scientifique comme l’affirme, par exemple, Millestone & al. ?
Cette critique n’est pas si évidente qu’elle le paraît.
Lorsque les auteurs affirment que l’équivalence en substance est un concept pseudo-
scientifique, il est nécessaire de distinguer les raisons qui les autorisent à dénoncer cette
scientificité déguisée : un premier argument est que le principe a été mis en place par des
institutions pour soutenir l’accès au marché et l’innovation de firmes de l’industrie agro-
alimentaire. Pour soutenir une telle idée, il est important de s’interroger sur le pourquoi de
cette décision ; surtout si elle fait preuve d’une telle irresponsabilité et d’une si grande
contradiction de la part d’institutions internationales. Ensuite, rien ne prouve que les raisons
politico-économiques soient contradictoires avec la « raison scientifique » d’un principe. En
effet, qu’entend-on par scientificité ? S’il s’agit d’une vérité démontrée, débarrassée de tout
doute possible, alors, il semble que la scientificité du principe soit difficilement démontrable,
étant donné que cela impliquerait un nombre infini de vérifications et la mise en place d’un
protocole de tests qui pourraient durer plusieurs années. Qu’en est-il alors du 2ème argument

151
« Only clinical tests have the broad specificity and relevance to human physiology needed to detect
the wide range of allergens and toxins that might result from unexpected side-effects of the genetic
engineering process. Without such tests, the full range of allergens and toxins that can be introduced
via the process of genetic engineering cannot be detected, and without such tests, it is impossible to
assure that a given genetically engineered food is in fact free from health-damaging characteristics. »
Richard Wolfson, Ibid.
152
« Without such testing some genetically engineered foods that seriously damage the health of
consumers will enter the market. Thus, this short-sighted approach to safety assessment clearly
favors commercial interests while placing the health of the entire population at risk. Not only does this
abrogate scientific responsibility and basic humanitarian values, but it is also bad business, because it
will inevitably lead to loss of consumer confidence in genetically engineered foods. », Ibid.

72
qui soutient lui que cette « pseudo-scientificité » institutionnelle est une « anti-
scientificité », parce qu’en plus de laisser rentrer sur le marché des aliments pour lesquels le
nombre de tests effectués est largement insuffisant, elle empêcherait la réalisation de tests
supplémentaires. Autrement dit, après avoir laissé entendre que le principe n’avait qu’une
légitimité politique, on soutient, cette fois-ci, qu’il pourrait être scientifique si on avait
recours aux bons tests pour démontrer l’équivalence en substance entre les aliments
génétiquement modifiés et les aliments traditionnels. N’y-a-t’il pas là une contradiction ?
D’une part on affirme que l’équivalence en substance n’est pas un principe scientifique en ce
sens que ce qu’elle cherche à démontrer n’est pas démontrable, ensuite, on affirme que pour
qu’elle en devienne un, cela dépend de la nature et du nombre de tests effectués.
Au final, la véritable question qui est débattue est la suivante : le principe
d’équivalence en substance est-il mal appliqué ou est-il inapplicable ? Autrement dit, doit-on
abandonner ce principe comme suggèrent les 3 scientifiques anglais, ou est-il possible de
l’appliquer tout en conservant une certaine vigilance sur les expériences qui président à la
démonstration de cette équivalence ? Or seule une décision arbitraire permet de choisir entre
ces 2 alternatives. Comme on le sait, c’est le propre de tout principe d’être posé a priori
avant démonstration. Et c’est peut-être là, à notre avis, que se trouve ce que certains
appellent la « non-scientificité » du principe : l’équivalence en substance est posée sans être
véritablement démontrée. Cela n’empêche pas cependant que tout doit être mis en œuvre
pour qu’elle le soit. Autrement dit, rien, a priori, ne permet d’affirmer que l’équivalence en
substance est indémontrable. Cela reviendrait d’ailleurs à soutenir le contraire, c’est-à-dire, la
« différence absolue » des organismes génétiquement modifiés. En effet, puisque
l’équivalence, comme on l’a vue, est relative non pas à l’ensemble des qualités de la plante
génétiquement modifiée, mais seulement à certains paramètres qui ont pu faire l’objet de
tests. Admettre la possibilité de l’équivalence en substance, c’est poser qu’il n’existe pas une
différence fondamentale et incompressible entre les aliments génétiquement modifiés et
leurs équivalents issus de la sélection classique. Ou tout du moins, que cette différence n’est
pas une différence de nature qui, de ce fait, pourrait engendrer des conséquences
imprévisibles, parce qu’elle est différente de nature, ce qui n’est pas la même chose que de
défendre l’innocuité totale et sans condition des PGM. Il est donc nécessaire de mettre en
application tous les tests nécessaires pour démontrer que l’introduction du transgène n’a pas
plus de conséquences néfastes sur la santé des individus que n’importe quel autre aliment
connu.
Par contre, on verra que certains détracteurs refusent de manière catégorique ce
principe et supposent que le transgène introduit entraîne une « différence de nature ». Il n’y

73
aurait pas de continuité entre les plantes obtenues par le biais de la transgenèse végétale et
leurs équivalents classiques. Ce qui revient, d’après nous, à affirmer la « différence
absolue » des PGM. Refuser l’équivalence en substance, c’est affirmer qu’il existe une
différence radicale entre les PGM et leur parent non génétiquement modifiés et que cette
différence peut se trouver à l’origine de risques alimentaires insoupçonnés. Dans un cas, on
fait de la recherche du risque un objectif, dans l’autre, on le pose même avant d’avoir
démontré son existence. Toutes ces spéculations nous démontrent la complexité du
problème et son imbrication dans un débat d’idées. En effet, comme on va le démontrer, la
recherche du risque alimentaire va donner lieu à une série de querelles dans lesquelles le
principe d’équivalence en substance va jouer un rôle fondamental en arbitrant le débat. Alors
que les partisans du principe d’équivalence en substance admettent la nécessité de faire des
tests pour vérifier celle-ci, ses détracteurs dénoncent la partialité, l’insuffisance, voire
refusent tout bonnement la possibilité de démontrer ce principe et accusent de
“ réductionnistes ” ceux qui s’y réfèrent pour légiférer sur la possibilité de commercialiser les
PGM ; ce que nous appelons le “ principe de différence absolue” étant implicitement153 le
seul qui vaille à leurs yeux. Comment toutes ces controverses se présentent-elles au cas par
cas ? C’est ce que nous allons voir désormais.

2.1.2 PGM et risque d’allergie


Comme on vient de le voir, le principe de l’équivalence en substance est un concept
introduit par les institutions internationales (OCDE, FAO et OMS) afin de fournir un cadre
légal à la mise sur le marché des PGM. Il affirme la thèse selon laquelle l’aliment traditionnel
et l’aliment génétiquement modifié sont identiques, si aucune différence significative
entraînant des dangers pour la santé n’a pu être mise en évidence. Partant de cela, il
apparaît légitime de s’interroger sur le caractère allergénique des nouveaux gènes introduits
dans l’organisme. En effet, si on admet la possibilité de démontrer « l’équivalence en
substance » entre les PGM et les plantes issues de la sélection traditionnelle alors, comme
l’affirment Georges Pelletier et Evelyne Téoulé dans le manuel de R.Scriban, après avoir
rappelé le côté imprédictible de toute allergie : « Cependant, il n’y a pas non plus de raisons
objectives pour considérer a priori les plantes transgéniques comme plus ou moins

153
S’il n’a jamais été affirmé en tant que tel par les acteurs, on suppose l’existence de ce principe. Il
est une sorte de non-dit qui se trouve impliqué dans la controverse. Il est un jugement de valeur qui
qualifie a priori la valeur des PGM.

74
154
allergéniques que les variétés traditionnelles. » Pourtant, comme on va le voir, la
controverse sur l’allergénicité prend pour point de départ un problème irréductible : les PGM
peuvent-elles se trouver à l’origine de nouveaux risques d’allergie et si oui, possède-t-on les
moyens de détecter ces risques ? En d’autres termes, la transgénèse introduit-elle un risque
supplémentaire dans la chaîne alimentaire et a-t-on les moyens d’éviter ce risque ? Aussi,
alors que pour certains experts, les PGM sont sources d’allergie au même titre que tous les
aliments et les tests effectués sont une preuve irréfutable de sûreté et une garantie fiable,
pour d’autres, elles sont un risque supplémentaire, imparable, qu’aucune analyse ne
permettra d’éviter. Comme on le verra la critique est parfois très virulente : en effet, un
esprit inattentif croisant les lignes d’un journaliste pressé pourrait penser par mégarde que
les PGM peuvent causer plus d’allergies que les aliments traditionnels. Cette opinion, loin
d’être le fait d’une campagne de désinformation menée par les médias, est soutenue par de
nombreux experts qui pensent que l’introduction d’un ou plusieurs gènes dans le génome
d’un organisme peut se trouver à l’origine d’un risque allergénique supplémentaire et
imprévisible ; il se pourrait également que la modification du métabolisme de l’organisme
dans lequel on a introduit le transgène soit à l’origine du risque.

Etat des lieux sur les risques d’allergie potentiels des PGM
Ainsi, on peut lire dans l’imposant ouvrage d’Anne Briand-Bouthaux, chargée d’étude
à l’INRA à Grignon et championne de Biathlon à Albertville : « Les incertitudes portant sur
les activités des gènes insérés perturbent singulièrement l’aptitude à prédire toutes les
modifications qui pourraient survenir dans le métabolisme de la plante transgénique. De
nombreux effets consécutifs à l’introduction de gènes étrangers dans un génome sont
parfaitement imprévisibles de même que les répercussions éventuelles sur la composition de
la denrée alimentaire concernée. Le devenir du transgène au sein du génome, receveur peut
provoquer une perturbation non désirée de son métabolisme. »155 D’après cet auteur dont le
livre - véritable somme sur les biotechnologies destinée à un public à la curiosité avancée - a
été préfacé par Jean-Marie Pelt (botaniste célèbre, président de l’Institut Européen
d’Ecologie et membre du Crii-gen) et Corinne Lepage (ancienne Ministre de
l’environnement), cette incertitude concernant l’introduction du transgène pourrait être à
l’origine d’un risque allergénique : « Un autre risque spécifique aux OGM est celui qui
surviendrait si le transgène rehaussait le niveau d’expression de certaines protéines

154
Georges Pelletier et Evelyne Téoulé, « La transgénèse dans le règne végétal : le point sur les
plantes d’intérêt agronomique », in Biotechnologies, R. Scriban, 2001, p. 588
155
Anne Brian-Bouthiaux, OGM, Brevets pour l’inconnu, éditions Faton, 2002, p.123

75
allergéniques présentes dans les lignées naturelles, ou encore si, par ses interférences sur le
génome hôte il créait des variations de transcription donnant à la protéine traduite une
conformation inédite. Il est utile de noter que la modification d’une protéine, de quelque
façon que ce soit (par exemple protéine tronquée car codée par un gène raccourci au niveau
de sa séquence), est à même de changer son potentiel allergénique. » Idée que l’on trouve
résumée en rouge dans la marge de la manière suivante : « La simple remodification de la
structure des protéines résultant d’une perturbation du génome représente aussi un risque
allergique. »156 Ces affirmations, comme on le voit, soulèvent un nombre considérable de
problèmes en faisant des PGM une source de risque particulière et beaucoup plus
dangereuse que tout aliment classique (cette spécificité est d’ailleurs utilisée bon nombre de
fois comme un argument contre le principe d’équivalence en substance). Pourtant, cette
position n’est pas toujours soutenue de manière unanime. En effet, si le risque est bien
reconnu par l’ensemble de la communauté scientifique, les instances officielles et d’autres
experts, oeuvrent pour mettre en place de nombreux tests et conserver une maîtrise totale
de la technologie. A contrario, les promoteurs de la transgenèse végétale défendent la thèse
selon laquelle les PGM offrent une plus grande sécurité alimentaire que les plantes
classiques, étant donné que l’on sait parfaitement le matériel génétique que l’on y introduit.
Il s’agit, comme on le voit, de retourner la critique initiale à l’avantage de la biotechnologie.
Jean-Marie Wal, expert de l’INRA, propose une excellente synthèse du problème en affirmant
que « Le risque d’allergie est l’un des plus souvent évoqués à propos des aliments issus
d’OGM. En fait, il n’y a pas de caractéristiques propres au génie génétique qui rendrait une
protéine transgénique intrinsèquement plus allergénique que son homologue ‘naturelle’. Le
risque alimentaire d’une nouvelle protéine doit donc être évalué de la même manière qu’avec
toute protéine naturellement présente dans un aliment. »157 Certains font d’ailleurs
remarquer que, très souvent, on exige des PGM des critères spécifiques de non-allerginicité
que l’on n’a jamais exigé des autres organismes. C’est le cas par exemple pour le Kiwi,
aliment fortement allergénique qui n’a fait l’objet d’aucun test particulier lors de sa mise en
vente sur le marché. Les PGM sont susceptibles de causer des risques d’allergie, au cas où le
transgène serait un allergène. Or, on peut distinguer deux niveaux de risque : soit l’allergène
codé est connu, soit il est inconnu.
En ce qui concerne le premier risque, un cas célèbre est celui du gène codant
l’albumine 2S de la noix du Brésil. Celui-ci a été utilisé par la firme Pioneer HI-Breed pour
rééquilibrer la composition protéique d’une graine de soja, graine naturellement pauvre en

156
Ibid., p.125
157
Jean-Marie Wal, « OGM, quel risque pour la santé ? » Biofutur 192, septembre 1999, p.22.

76
acides aminés soufrés. Grâce à la connaissance que l’on avait de ce risque, on a pu
interrompre suffisamment tôt la commercialisation de ces nouvelles plantes. Par contre pour
un grand nombre de protéines transgéniques exprimées, on connaît peu d’élément de
référence. Jean-Marie Wal évoque le cas des protéines bactériennes « telles que les enzymes
dégradant les herbicides, produites en faibles quantités dans les plantes actuellement en voie
de commercialisation. »158 Pour ces gènes, il est nécessaire, soit de faire des expériences
supplémentaires, soit de chercher des références dans des bases de données de séquences
homologues. Cependant, la détection de l’allergénicité semble être d’une très grande
difficulté. Les tests qui sont effectués de manière indirecte sur la population animale ne
peuvent servir de référence pour décider si un risque peut être encouru par la population
humaine, et ce, en raison de la variabilité de la réponse humaine. Le deuxième obstacle à la
détection des risques d’allergénicité, concerne la recherche des séquences homologues : en
effet, « il n’existe pas de lien étroit entre la fonction ou la structure d’une protéine et son
allergène. »159 Si la présence de séquences homologues permet de repérer les risques
encourus, leur recherche pose cependant de nombreux problèmes. L’expert de l’INRA
remarque aussi que l’allergénie n’est pas forcément dû à la nature du gène inséré :
« l’insertion d’un transgène dans le génome de la plante peut aussi entraîner des
remaniements de ce génome, ou altérer la régulation du fonctionnement d’autres gènes »,
risque que l’on a déjà évoqué précédemment. Après toutes ces remarques, l’auteur finit
cependant par reconnaître que les risques ne sont pas plus élevés qu’avec les plantes
classiques, mis à part le fait qu’il se pourrait bien que l’on vienne à manquer de vigilance par
suite de banalisation de nouvelles technologies dans le cas, par exemple, d’une nouvelle
génération d’OGM.
Comparativement, le style adopté par Gilles-Eric Séralini pour le même problème, est
beaucoup plus alarmiste. C’est d’un ton accusateur qu’il traite le sujet. Pour l’auteur, les
effets allergisants « ne sont étudiés que très sommairement, sauf si le transgène provient
d’un allergène connu, comme la noix du Brésil. »160 De quelle manière doit-on interpréter
cette affirmation ? L’expert ne dénonce-t-il pas ici une certaine paresse scientifique qui
consiste à n’étudier que ce qui est déjà connu ? Alors que pour J.M. Wahl le fait que
« L’absence de séquences communes (d’au moins 8 résidus d’acides aminés), ne constitue
pas véritablement une garantie formelle d’innocuité, car les bases de données sont très
incomplètes »161 était présenté comme un véritable problème, pour J.E. Séralini, c’est un

158
Ibid., p23.
159
Ibid.
160
Gilles-Eric Séralini, OGM, le vrai débat, coll. Dominos, Flamarion, p.92.
161
Jean-Marie Wahl, « OGM, quel risque pour la santé ? » Biofutur 192, septembre 1999, p.24.

77
facteur qui n’est pas pris sérieusement en considération. Celui-ci affirme « Sinon, on se
contente de comparer la séquence de la protéine introduite avec une banque de données
informatisée, forcément incomplète, contenant des séquences des allergènes recensés. »162
Le test qui consiste à mettre en présence la protéine en question avec des enzymes de suc
digestif est, toujours selon le même auteur, un « test très primaire ». La solution consisterait
à « tester l’OGM pour sa réactivité avec les anticorps de patients connus pour être sujets à
des allergies. » Il serait aussi souhaitable de réaliser des tests cutanés. Et contre ceux qui
font remarquer qu’on demande pour les PGM ce que l’on n’a pas pris la peine d’adopter pour
les importations de kiwis, de produits lointains, et que l’on ne prend aucune précaution avec
les fraises ou le poisson : « C’est oublier que ces denrées sont facilement identifiables, ce qui
n’est pas le cas des OGM de première génération, qui entrent dans la composition de
nombreux produits alimentaires. »163
Face à toutes ces inquiétudes, pour l’expert membre du CRII-gène, il est nécessaire
d’organiser un réseau d’allergo-vigilance, principe qui est finalement en accord avec
l’ensemble de la communauté scientifique. Andrew Chesson, chercheur du Rowett Research
Institute d’Aberdeen, même s’il affirme que la plupart des craintes du public trouvent leurs
origines dans un climat de méfiance entretenu par les médias, affirme que « si l’on veut
calmer l’inquiétude de la population, les normes de sécurité s’appliquant aux PGM devront à
court terme, être beaucoup plus sévères que pour les autres produits alimentaires.»164 S’il
est difficile de décider si les PGM posent un risque supplémentaire, ou sont, au contraire,
plus sûres que les autres aliments obtenus par sélection classique165, reste que le problème
de la maîtrise de ces risques ne semble pas être résolu. Or, qui dit risque dit, bien
évidemment, application du principe de précaution (on reviendra plus loin sur la définition de
ce principe) et la mise en place d’une série de tests afin d’anticiper la survenue des risques
et prévenir du danger au cas où. Quels sont ces tests ? C’est maintenant ce que nous allons
voir en détail.

La mise en place de tests au niveau international


Ainsi dans un rapport commun du 2 juin 2000 sur la salubrité des aliments génétiquement
modifiés d’origine végétale, l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et
l’Agriculture et l’Organisation Mondiale de la Santé consacrent un chapitre entier à

162
Gilles-Eric Séralini, Ibid.
163
Ibid.
164
Andrew Chesson, Philip James, « Les aliments avec OGM sont-ils sans danger », La Recherche ,
Janvier 2000, p.27.
165
On verra qu’au contraire, des recherches ont été etreprises pour suprimer le caractère alergène de
certaines plantes. Les travaux d’une équipe japonnaise sur le riz ont été courronés de succès en 2002.

78
l’allergénicité166. Le texte commence par un rappel des connaissances sur les causes de
l’allergie en général : « Les allergies alimentaires sont des réactions indésirables à un aliment
ou à un constituant d’une denrée alimentaire inoffensif par ailleurs, qui mettent en jeu une
réponse anormale du système immunitaire à une ou plusieurs protéines alimentaires
particulières. »167 On y apprendra, par exemple, que les allergies affectent 10 à 25% de la
population dans les pays développés (Mekori1996), mais que sur ce pourcentage, le type le
plus courant d’allergies alimentaires (c’est-à-dire celles qui sont médiées par des anticorps
constitués d’une immunogloglobuline E (IgE) spécifique de l’antigène) ne représentent que
2,5% de la population (Anderson 1996). Aussi, dans le Codex Alimentarius, on trouve une
liste des aliments allergéniques « les plus couramment associés à des réactions médiées par
les IgE à l’échelle mondiale. » En tout, 8 aliments, ou groupes d’aliments sont reconnus
comme étant à l’origine de 90% des réactions allergiques graves (FAO, 1995 ; Hefle et al.,
1996) ; il s’agit du lait de vache, des œufs, du poisson, des crustacées (crevettes, crabe,
homard), des cacahouètes, du soja, des noix et du blé. Les fruits frais et les légumes
peuvent aussi se trouver à l’origine de réactions allergiques, cependant, les allergènes qui
sont impliqués dans ces réactions sont instables à la chaleur (cuisson et transformation) et à
la digestion (acide et enzymes) et les symptômes n’ont généralement pas de conséquences
graves ; en plus des 8 aliments qui sont reconnus comme étant de véritables allergènes, 160
autres aliments ou produits dérivés ont pu êtres répertoriés comme se trouvant à l’origine
de réactions allergiques : on y retrouve la plupart des céréales, le tournesol, certaines
plantes ainsi que des produits transformés tels que la bière et le chocolat168. Cependant un
grand nombre d’aliments allergéniques restent inconnus, ce qui laisse entrevoir un certain
nombre de risques. Tous ces aliments sont estimés être à l’origine de plus de 90% de
l’ensemble de toutes les allergies (parfois, certaines réactions peuvent avoir un caractère
mortel). « Presque tous les allergènes alimentaires sont des protéines », aussi, malgré le fait
que l’ensemble des aliments qui sont issus de nos cultures renferment des milliers de
protéines différentes, peu, sont allergisantes. Le rapport présente une remarque du plus
grand intérêt qui pourrait bien être un embryon de réponse à la question que l’on se posait
précédemment sur l’importance à accorder au risque allergénique des PGM : « Avec les

166
Organisation des Nations-Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture Organisation mondiale de la
Santé, « Aspects de la salubrité des aliments génétiquement modifiés d’origine végétale », Rapport
d’une consultation conjointe d’experts FAO/OMS sur les aliments produits par biotechnologie, Genève,
Suisse, 29 mai – 2 juin 2000, p.14.
167
Ibid.
168
Steven Taylor, University « Topic 13 Allergenicity », Joint FAO/WHO Expert Consultation on Foods
Derived from Biotechnology, Headquarters of the World Health Organization, Salle G Avenue Appia 20,
1211 Geneva 27, Switzerland 29 May – 2 June 2000, p.4.

79
méthodes de sélection classiques, on introduit une diversité protéique supplémentaire dans
les disponibilités alimentaires. Mais les variations de la composition en protéines de nos
régimes dues aux pratiques d’amélioration culturales classiques ont eu peu d’effet, si tant est
qu’elles en aient eu, sur le potentiel allergisant de nos principaux aliments. Par exemple,
l’allergie à la cacahouète (arachide) s’observe à une fréquence significative en Amérique du
Nord et en Europe de l’Ouest, mais pas dans les pays où sa consommation est moindre.
L’introduction récente d’aliments tels que le kiwi s’est avérée être une source supplémentaire
d’allergènes alimentaires. Ces observations montrent qu’il n’existe pas un grand nombre
d’allergènes potentiels dans les disponibilités alimentaires, mais qu’on introduit parfois de
nouveaux aliments allergisants sur le marché. Pour ces différentes raisons, il est
indispensable d’accorder une attention particulière à l’allergénicité quand on évalue la
salubrité des aliments produits par modification génétique. »169 En fait, s’il semble essentiel
de vérifier plus précautionneusement les plantes génétiquement modifiées mises sur le
marché que les plantes issues de la sélection classique, cela non pas à cause de leur nature
« transgénique », mais parce qu’elles sont nouvelles, et par conséquent, tout ce qui est
nouveau doit faire l’objet d’une surveillance rapprochée. En quoi consiste donc ce « système
de surveillance » ? Quelles en sont les étapes et l’efficacité ? C’est ce que nous allons
désormais étudier.

L’arbre décisionnel de l’IFBC/ILSI : première version


Prenant les devants du problème, en 1996, les industriels décident de mettre en place un
système pour parer à toute apparition éventuelle d’allergies. C’est ainsi que le Conseil
International pour les Biotechnologies Alimentaires (IFBC), l’Institut d’Allergie et
d’Immunologie et l’Institut International des Sciences de la Vie (ILSI) se réunissent pour
mettre au point un arbre décisionnel (Metcalfe et al.1996170) ; véritable synthèse de tous les
tests existant pour détecter les allergènes, celui-ci propose une stratégie d’évaluation qui,
d’après les rapporteurs, a été largement adoptée par l’industrie de la biotechnologie
alimentaire. Cette analyse des causes de l’allergie « s’attache principalement à la source du
gène, ainsi qu’à l’homologie de séquence de la protéine nouvellement introduite avec les
allergènes connus, à sa liaison immunochimique avec les IgE sériques des individus
présentant des allergies connues à la source de matériel génétique transféré, et à ses

169
Ibid.
170
figure n°1.

80
propriétés physico-chimiques (Metcalfe et al., 1997). »171 Ce protocole qui, à l’origine, se
trouvait conçu pour les cas traditionnels d’allergies a été adapté pour réaliser les tests sur les
aliments issus des biotechnologies.

Les critères étudiés par la 1ère version de l’arbre de Metcalfe sont donc les suivants :
- Source du matériel génétique transféré : le transgène est-il un allergène connu ?
- Homologie de séquence des acides aminés : comparer la séquence du transgène
avec la séquence d’un allergène connu.
- Immunoréactivité de la protéine nouvellement introduite : il s’agit de déterminer la
réactivité de cette protéine avec les IgE sériques des individus allergiques connus.
- Effet du pH et/ou de la digestion : il s’agit de vérifier si, comme la plupart des
allergènes, la protéine est résistante à l’acidité gastrique ou aux protéases
digestives.
- Stabilité à la chaleur ou au traitement.

Si on sait que le transgène appartient à une famille d’allergènes connus, alors il est
nécessaire de procéder à des tests immunologiques (immunodosage en phase solide172). Si
le test est positif, alors il devra être signalé comme tel sur le marché. Si par contre, on ne
trouve pas qu’il soit fréquemment allergisant, alors il sera nécessaire de réaliser des tests
cutanés (prick test)173 et si on ne trouve toujours rien alors on passera à un test de
DBPCFC174. L’absence de preuve d’allergénicité, alors seulement, permettra d’introduire
l’aliment sur le marché. Si, par contre, un seul de ces 3 tests se révèle positif, on devra
obligatoirement le signaler.
Pour un transgène qui ne serait pas apparenté à un allergène connu, il est nécessaire de
procéder à une analyse de la séquence des aminoacides afin de les comparer avec ceux des
allergènes connus175. On procédera aussi à des tests de stabilité à la digestion. Si le premier
de ces 2 tests révèle une similitude entre la séquence d’aminoacides du transgène et un

171
Organisation des Nations-Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture Organisation mondiale de la
Santé, Aspects de la salubrité des aliments génétiquement modifiés d’origine végétale, p.15.
172
En commentaire l’auteur précise que ce test, pour être réalisé de manière idéale doit utiliser 14 IgE
sériques (sera), in Metcalfe et al., Crit.Rev. Food Sci&Nutr. 36(S) :S165-S186 (1996)
173
On procédera à ces tests dans le cas de résultats équivoques ou de résultats positifs suspicieux.,
Ibid.
174
Le DBPCFC ( double-blind placebo-controlled food challenges) est appliqué sur des aliments pour
lesquels on ne possède aucune évidence d’allergénicité fondé sur une phase solide d’immuno-essais
et de test cutanés.
175
Pour tous les produits issus des biotechologies, il est recommandé de procéder à une comparaison
de la similitude de la séquence avec les amino-acides de tous les allergènes connus, ainsi qu’1
vérification de la stabilité à la digestion. Ibid.

81
allergène connu, alors l’aliment devra être soumis à la batterie de tests qui est appliquée à
tous les allergènes apparentés ou supposés tels. Si le test qui consiste à vérifier la stabilité à
la digestion se révèle être positif, il sera nécessaire de consulter l’agence régulatrice, s’il est
négatif, alors, on pourra procéder à une mise sur le marché.
La lecture de cet arbre décisionnel offre une vision synthétique de l’ensemble des
précautions qui doivent présider à la mise sur le marché de tous types d’aliments
génétiquement modifiés. Le protocole de l’arbre décisionnel a pu déjà être appliqué dans le
cas connu de la vérification de l’allergénicité d’un soja génétiquement modifié qui contenait
une protéine à grande production de méthionine, l’albumine 2S, issue d’une noix du Brésil (la
qualité nutritive du soja Glycine max étant relativement pauvre en méthionine)176. Cette
vérification a été effectuée parce que la noix du Brésil est considérée comme un allergène
commun ; on a vérifié la capacité des protéines à se lier avec les IgE spécifiques, dans le
soja transgénique et non transgénique, dans la noix du Brésil et dans l’albumine 2S purifiée.
Pour cela, des tests ont été réalisés en utilisant du sérum issu du sang d’individus allergiques
à la noix du Brésil ; ces expériences ont démontré que la protéine issue du transgène était
l’allergène de la noix du Brésil. En réalisant des tests d’électrophorèse et 1 immuno-blot
(immunoblotting) avec le sérum d’individus allergiques, il a été démontré que la protéine
était vraiment cet allergène de la noix du Brésil qui est désormais identifié177. Cette protéine
a pu également être identifiée dans le soja transgénique à la suite d’un test cutané positif
(skin-prick) sur 3 individus allergiques à la noix du Brésil (Nordlee et al. 1996). Monsanto a
également eu recours au protocole de l’arbre décisionnel pour tester l’allergénicité de son
soja tolérant au glyphosate (Harrison et al. 1996), aussi ces tests n’ont pas révélé de
mauvaise surprise178.Tous ces résultats encourageants permettent donc aux auteurs du
rapport de garantir l’efficacité de cette stratégie179.

176
Julie A. Nordlee, M.S., Steve L. Taylor, Ph.D., Jeffrey A. Townsend, B.S., Laurie A. Thomas, B.S.,
and Robert K. Bush, M.D., « Identification of a Brazil-Nut Allergen in Transgenic Soybeans »,The New
England Journal of Medicine, Volume 334:688-69, March 14, 1996 Number 11.
177
« Immunoassays using blood serum from individuals with documented Brazil nut allergy revealed
that the transferred storage protein from Brazil nuts was likely an allergen (Nordlee et al.,1996). Using
SDS-polyacrylamide gel electrophoresis and immunoblotting with the sera of Brazil nut-allergic
individuals, it was demonstrated that the high-methionine protein from Brazil nuts was indeed the
major allergen from Brazil nuts (previously unidentified; now identified as Ber e 1), » Steven Taylor,
« Allergenicity », Joint FAO/WHO Expert Consultation on Foods Derived from Biotechnology
Headquarters of the World Health Organization, Geneva 27, Switzerland 29 May – 2 June 2000, p.4.
178
Ibid. p.7.
179
« A logical decision-tree strategy exists for the assessment of the potential allergenicity of
genetically modified organisms. Thus far, this approach has been tested on only a small number of
transgenic foods. However, this strategy was quite successful in preventing the introduction of a
transgenic soybean into the marketplace that contained the major allergen from Brazil nuts. »,
Ibid.p.8.

82
À la lecture de ces quelques éléments, on pourrait penser qu’il suffit de suivre ce
procecus étapes par étapes pour éviter les risques, pourtant il semble bien que ces mesures
de précaution restent insuffisantes. En effet, concernant les gènes provenant de sources
exemptes d’antécédents d’allergénicité, la situation est beaucoup plus complexe : «
L’approche actuelle repose principalement sur la comparaison d’homologie de séquence avec
les allergènes connus et sur la stabilité de la nouvelle protéine à la digestion et aux
traitements. Il a été largement reconnu que ces 2 critères seuls ne sont sans doute pas
suffisants pour évaluer l’allergénicité potentielle d’aliment génétiquement modifié contenant
des gènes qui proviennent de sources exemptes d’antécédents d’allergénicité. »180 En effet,
la méthode qui consiste à comparer des séquences de 8 aminoacides afin de vérifier si l’on
trouve des similitudes a été critiquée : « Il semblerait que la correspondance d’un plus petit
nombre d’acides aminés, peut-être seulement 4, suffirait pour affirmer la similitude. »181
Un autre inconvénient, par rapport au premier arbre de Metcalfe, est qu’il « ne
permet pas d’identifier les épitopes conformationnels ou discontinus qui dépendent de la
structure tertiaire de la protéine (Metcalfe et al., 1996) »; cette critique pouvant être tout de
même nuancée par le fait que les tests de stabilité au traitement thermique semblent révéler
que les épitopes continus linéaires jouent un plus grand rôle chez les allergènes alimentaires.
À la suite de ces remarques, les rapporteurs reconnaissent qu’il est nécessaire
d’aboutir à un « consensus scientifique international » qui permette de valider ce critère. On
va voir, en fait, que le critère d’homologie des séquences va être fortement remis en
question, car pour ce qui concerne la “ stabilité digestive ”, l’organisation internationale
réaffirme la confiance qu’elle met en ce principe, même si on a pu découvrir certaines
protéines allergéniques qui étaient stables à la digestion, ce qui obligera tout de même à
compléter les tests qui sont effectués.
Il semble donc nécessaire de mettre au point d’autres tests pour évaluer l’allergénicité
des transgènes qui n’ont pas d’antécédents allergéniques connus. Aussi le rapport commun
des institutions évoque la possibilité de deux nouveaux “ tests prometteurs ” qui consisteront
dans l’étude de ces 2 paramètres : Le niveau et le site d’expression de la nouvelle protéine (il
faut étudier surtout les protéines qui s’expriment d’une manière majeure dans l’aliment) et la
fonction de la nouvelle protéine : la recommandation ici porte sur la nécessité d’établir un
répertoire de certaines classes de protéines connues comme des allergènes majeurs, par
exemple la classe des albumines 2S, afin d’observer leurs fonctions dans les aliments où

180
« Aspects de la salubrité des aliments génétiquement modifiés d’origine végétale », Rapport d’une
consultation conjointe d’experts FAO/OMS, p.16.
181
Ibid.,p.16.

83
elles se trouvent. En ce qui concerne les tests sur les animaux, même si cette possibilité a
été envisagée, il n’existe actuellement aucun modèle fiable. Enfin, des critères, tels que le
poids moléculaire ou le degré de glycosylation ont paru ne pas être suffisamment
discriminatoires pour être retenus.
En conclusion, on constate donc que l’ensemble des critères de l’arbre décisionnel sont
largement insuffisants et nécessitent davantage d’études ; les critiques que certains
scientifiques ont formulées concernant par exemple l’homologie de séquence et la structure
de l’allergène ont été un obstacle au consensus ; pour cette raison, la FAO et l’OMS ont lancé
une nouvelle consultation d’experts afin de régler le point le plus critique de la 1ère version de
l’arbre décisionnel de Metcalfe. Celle-ci a fait l’objet d’une parution le 22 et 25 juin 2001182 ;
en voici quelques éléments.

L’EAAM contestée : vers une 2ème version de l’arbre décisionnel


Le critère de la recherche de l’homologie de 8 séquences d’acides aminés (EAAM) - test
sensé garantir la détection d’éventuels allergènes - ayant soulevé de nombreuses objections
parmi les experts, celui-ci a fait l’objet d’une remise en question radicale lors d’une nouvelle
consultation lancée par l’OMS ; cette consultation revient sur le critère appelé de l’EAAM
(eight amino acid match approach) ; il s’agit ici, d’une synthèse de plusieurs autres
expériences qui démontre l’insuffisance des critères retenus jusqu’à présent. D’après le
professeur M. Becker, cette technique relève d’un rêve irréalisable (« unrealizable dream »)
qui sous-estime le fait que les allergènes sont définis par un système immunitaire
désorienté : « il est vrai que la spécificité de la réaction allergique est fortement liée à la
structure chimique des allergènes, mais le développement de ces spécificités dépend en
premier lieu du conditionnement des systèmes immunitaires des patients. Le système
immunitaire n’est pas capable de reconnaître la structure complète de macromolécules telles
que les protéines ou les glycoprotéines, mes des sections plus petites appelées déterminants
ou épitopes. »183. Aussi, le système immunitaire réagit à deux types d’épitopes : les
conformationnels (« conformational ») et les linéaires (« linear »).

182
Wolf-Mienhard Becker, « Sequence homology and allergen structure », Joint FAO/WHO Expert
Consultation on foods derived from biotechnology, FAO/WHO, Headquarters of the food and
agriculture organization of the United Nation, 22-25 juin 2001
183
« It is true that the specificity of the allergic reaction is strongly correlated with the chemical
structure of the allergens but the development of these specificities depends primarily on the
individually conditioned immune system of patients. The immune system is not able to recognize the
whole structure of a macromolecule such as proteins or glycoproteins but smaller sections of the
molecule called determinants or epitopes. » Wolf-Mienhard Becker, Ibid., p.2

84
Trois compartiments du système immunitaire réagissent avec ces épitopes : les
lymphocites-B (B-cells) qui réagissent avec les 2 types (conformationnels et linéaires), les
lymphocytes-T (T-cells) qui réagissent exclusivement aux épitopes linéaires. Enfin on notera
la présence de cellules composées de molécules MHC de classe I ou II qui « réagissent avec
les peptides selon certains points d’ancrage ».
On a pu trouver des allergènes linéaires parmi les allergènes alimentaires. Par
exemple, en ce qui concerne un allergène essentiel tel que le Ara h 1 de la cacahouète,
Burks & al ont découvert 23 épitopes linéaires réactifs aux IgE184. La détection des épitopes
linéaires est réalisée par chevauchement (« overlapping » ) des peptides qui fournissent la
configuration peptidique minimale essentielle en longueur (« essential minimal peptide
configuration in length ») ; celle-ci atteint 6 aminoacides chez certaines cacahouètes. La
caractéristique principale d’un épitope linéaire est sa stabilité à la chaleur ou à certains
détergents. De ce point de vue, on peut déterminer un troisième type d’épitope : le CCD
(heat-stable cross reacting déterminants) qui possède un très petit nombre d’aminoacides.
Actuellement, il n’existe aucun algorithme valable pour identifier les épitopes
conformationnels étant donné qu’ils appartiennent au genre le moins réactifs aux IgE et sont
par conséquent moins connus. Il est très difficile de les identifier expérimentalement, on
utilise encore la cristallographie aux rayons X.
Ces résultats permettent donc de remettre en cause la pertinence du critère de
l’EAAM. En effet, si la découverte de 8 aminoacides contigus identiques semble un critère
suffisant pour les épitopes des lymphocytes T, ce critère est en revanche insuffisant pour les
épitopes des lymphocytes B185.
Cette thèse est appuyée par les nombreux exemples de protéines allergéniques dont
les épitopes peuvent causer une réaction de par leur disposition. L’auteur cite ici le cas de
Ara h 1, le principal allergène de la cacahouète, qui posséde un peptide hexadeca réactif aux
IgE dont l’épitope contenait des séquences (“ stretches ”) de seulement 4 résidus et dont la
taille minimale était déterminée par 6 résidus consécutifs et de Ara h 2 où on a identifié un
peptide de 6mer RDPYSP comme principal épitope. Or ce dernier exemple est significatif,
parce que si l’on effectue une recherche d’homologie avec l’algorithme FASTA3 dans la base
de données SWALL, on ne trouve pas Ara h 2, mais la RNAse T et la laminine avec une
correspondance de 100% entre les peptides et ces protéines. La correspondance d’au moins

184
Burks AW, Shin D, Cockrell G, Stanley JS, Helm RM, Bannon GA (1997). « Mapping and mutational
analysis of the IgE-binding epitopes on Ara h 1, a legume vicilin protein and a major allergen in
peanut hypersensitivity. » Eur J Biochem 245:334-339.
185
« Although this corresponds to the minimal size of T-cell epitopes it is not sufficient to define
immunological significance for B-cell epitopes (reviewed by S. Vieths in (7)). The following examples
may disprove the above statement of B-cell level. » Wolf-Mienhard Becker, Ibid., p.3

85
8 aminoacides, entre les protéines RNAse T, la laminine et Arah 2, n’est pas démontrée186.
Cet exemple, d’après Becker, remet en cause l’EAAM et l’arbre décisionnel de Metcalfe .
L’auteur en déduit que lorsqu’on affirme que « l’absence de preuve d’une
correspondance de 8 résidus contigus parmi les séquences aminoacides d’allergènes connus
suggère qu’il existe une faible probabilité que la protéine introduite puisse posséder un
épitope linéaire en commun avec un allergène connu »187, on doit être conscient qu’au
niveau des lymphocites-B, des séquences plus petites peuvent suffirent pour provoquer une
réactivité. Il paraît donc judicieux de descendre le nombre des résidus identiques successifs
à 6. Il serait aussi nécessaire d’identifier les protéines avec des structures homologues et
d’étudier la « fonction biologique générale » ainsi que la « fonction générale des domaines ».
La conclusion est donc sans appel : « il est désormais évident que le criblage (screening)
d’homologie entre au moins 8 aminoacides identiques peut permettre de découvrir des
composants allergéniques d’une manière restrictive, mais ne suffit pas pour garantir la non-
allergénicité de la protéine en question si le test n’a pas révélé d’homologie. Les problèmes
immunologiques doivent être résolus par des méthodes immunologiques. »188

C’est parce que l’EAAM ne permet d’identifier ni les épitopes conformationnels ni leurs
parties contiguës après dénaturation, ni les épitopes issus de résidus de sucres et, qu’en plus
de cela, on a pu identifier des épitopes linéaires de cacahouètes qui étaient composés de
résidus de 6 ou 4 aminoacides contigus - ce qui est suffisant pour se lier avec les IgE -
qu’elle est caduque ; si elle permet d’identifier les composants susceptibles de se trouver à
l’origine de l’allergie, elle ne peut les contrôler189. En effet, prédire ou éliminer l’allergénicité
est du domaine de l’immunologie de l’épitope, l’interface entre le système immunitaire et la

186
« Matching the proteins RNAse T and Laminin with Ara h 2 a match of at least eight contiguous
identical amino acids is not given. From the theoretical point of view this approach of the strategy
paper clearly fails in this example. Testing these proteins on cross-reactivity with IgE of peanut
allergic patients would deliver strong arguments to judge the validity of this approach. », Ibid., p.4
187
« First, when stating that ‘failure to find a match of eight contiguous residues anywhere among
known allergen amino acid sequences suggests that there is little probability that the introduced
protein could possess a shared linear epitope with known allergens' one has to be aware that at the B-
cell level, smaller sequential structures can be essential for reactivity. Thus, for a more reliable safety
assessment it is suggested that the level of suspicion be reduced to six identical consecutive
residues. », Ibid., p. 4
188
« And now it becomes clear that homology screening with at least eight contiguous identical amino
acids may help to find potential allergenic compounds in a restricted way but cannot exclude
allergenicity of the protein in question if the identification of such homology failed. Immunological
problems must be solved by applying immunological methods. », Ibid.
189
« The conclusion from that is is that the EAAM-approach even including only six contiguous amino
acids can only identify potential allergenic components but not rule them out. »Ibid., p.2

86
structure chimique, c’est donc sur l’épitope qu’il est nécessaire de centrer toute l’attention190.
Aussi, étant donné que la maturation du système immunitaire ne peut être prédite, il semble
utile d’entreprendre des études sur les réponses des systèmes immunitaires des
consommateurs, une fois que l’aliment génétiquement modifié a atteint le marché. Il serait
judicieux d’établir également des banques de données d’allergènes spécifiques pour
comparer les séquences. On devrait utiliser à la fois des outils de séquençage pour la totalité
et au niveau local (both global and local alignments tool) aussi bien qu’un criblage des
stuctures ou des domaines homologues. Il serait, par conséquent, nécessaire d’établir une
carte de tous les épitopes des allergènes connus et de développer les anticorps monoclonaux
contre eux. On pourrait également réaliser des tests sur des animaux. Ces remarques
donneront lieu à un remaniement de l’arbre décisionnel de Metcalfe.

On constate que la recherche d’homologie de séquence y devient un passage obligatoire:


- Recherche de 6, voire, de 4 aminoacides contiguës, plutôt que 8 pour déterminer
l’homologie de séquence,
- Utiliser des séquences (stretch) locales plutôt que les protéines entières pour
comparer les protéines non liées,
- Considérer une homologie de 35% sur les acides aminés comme un critère
supplémentaire,
- Développer les bases de données et ces méthodes pour tester les épitopes
conformationnels et discontinus, inclure ceux qui sont causés par des schémas de
glycolisation modifiés.

La poursuite du débat en dehors des institutions


On pourrait penser qu’à la suite de cette 2ème version de l’arbre décisionnel, une réponse
pertinente a été donnée aux objections concernant la difficulté qu’il y a de chercher de
nouveaux gènes introduits dans les plantes génétiquement modifiées. Or tel n’a pas été le
cas. De nombreux articles ont été écrits à ce sujet. Et de nouveaux amendements ont été
réclamés. Aussi, comme on va tenter de le démontrer maintenant, les avis diffèrent sur la
valeur qu’il faut accorder à cet arbre selon la nature et l’implication des acteurs. En effet, les
exigences par rapport aux critères de dépistage de l’allergénicité ne sont pas les mêmes pour
un chercheur à la tête d’une association de consommateurs et pour des scientifiques chargés

190
« From that it become clear that the chemical structure is suitable but themost convincing tools are
epitope receptors such as patients’IGE or monoclonal antibodies to test the allergenicity of the protein
in question in the genetically engineered food. » Ibid., p.2

87
de travailler pour une firme agro-alimentaire. Quelles sont ces divergences ? C’est ce que
nous voulons étudier maintenant.

Commentaire n°1
Dans un article à destination de la Food and Drug Administration sur le thème de la
détection de l’allergénicité des aliments génétiquement modifiés le Dr. Michael Hansen,
Ph.D., chercheur associé ici à l’Union des Consommateurs Organiques (Organic Consumers
Association) reproche aux instances officielles le manque de considération qu’elles portent
aux nouveaux critères de détection de l’allergénicité191. Après avoir rappelé dans un premier
temps les résultats et les conclusions du rapport FAO/OMS, ainsi que l’histoire des 4
protocoles qui ont précédé celui-ci (Metcalfe et al.,1996 ; NRC, 2000 ; SAP, 2000a ;
FAO/WHO, 2001), l’auteur souligne que le tout premier protocole, était une forme de
commodité qui permettait de laisser de côté un autre problème beaucoup moins connu qui
est la tridimensionnalité des épitopes allergéniques192.
Ici, l’auteur insiste sur les travaux du Dr. Steven Gendel, chef du département
« biotechnologies » de la FDA. Ce dernier aurait approfondi la réflexion sur l’usage des
bases de données pour déterminer les similarités de séquences entre les protéines exprimées
et les allergènes connus. Il rappelle la nécessité qu’il y a de s’appuyer sur des « algorithmes
locaux » pour optimiser les séquençages seulement pour les régions de grandes
similarités193. Cette méthodologie, qui utilise les programmes FASTA et BLAST et qui est
recommandée par la FAO et l’OMS, aurait permis à Gendel de découvrir une homologie de
séquence signifiante entre la b-lactoglobuline, un allergène majeur du lait, et la protéine
Cry3A que l’on trouve dans la pomme de terre Bt, ainsi qu’entre Cry1Ab et Cry1Ac et la
vittelogenine, un allergène majeur de l’œuf. Les citations concernant les travaux de Gendel

191
Dr. Michael Hansen on « Detecting likely Allergeicity of GE Foods, Science-based approaches to
assessing allergenicity of new proteins in genetically engineered foods, presentation to FDA food
biotechology subcommittee », Food Advisory Committee, College Park, MD, 14 août 2002 (Texte
trouvé sur Internet, lien caduc)
192
« Given that the 3-dimensional structure of most allergenic is not known, the IFBC/ILSI decision
tree focused on the amino acid sequence homology of the newly introduced protein and a data base
of known allergens and recommanded that any sequence of eight contiguous amino-acids in the test
protein that exactly matches a corresponding sequence in a known allergen, using a global algorithm
that optimizes alignemen/matches accros the entire full length of a protein, should be a cause for
concern and should trigger further investigations. »Dr. Michael Hansen, Ibid.
193
« Sequence algorythms can be divided into global algorythms that optimize alignements across
the entire length of the sequences involved and local algoritms that attempt to optimize alignements
only with region of high similarity. Global alignment algoritms are of greatest utility when the
sequences involved are related. Allergenicity assesment involves sequence alignements between
proteins that are not evolutionary relate. ”, Ibid.

88
sur ce sujet s’arrêtent cependant à ce point et l’auteur n’en dit pas plus sur ce nouveau
problème.
Selon le Docteur Hansen, la FDA devrait se conformer au protocole de la FAO et de
l’OMS en tenant compte de cette légère modification apportée par Gendel, et ne pas se
contenter du protocole initial issu des découvertes originales de l’arbre décisionnel
IFBC/ILSI194. Ce premier commentaire, tout en reconnaissant généralement la pertinence de
la deuxième version de l’arbre, affirme cependant la nécessité qu’il y a de s’instruire des
recherches menées par le professeur Gendel afin de garantir le résultat des recherches
d’homologie, lorsqu’il s’agit d’un gène qui n’a pas dans sa famille d’allergène connu. On sera
attentif au fait qu’à plusieurs endroits de l’article, il n’hésite pas à rappeler subrepticement,
que le tout premier arbre décisionnel était financé par l’industrie ; aussi, il s’évertue en
permanence à montrer en quoi cet arbre était beaucoup moins en mesure de découvrir de
nouveaux allergènes que celui qui a été récemment validé par la FAO et l’OMS en 2001.
L’objectif de cet article était d’imposer à la FDA, une attitude cohérente par rapport à ce
nouveau protocole et qu’il assume toutes les conséquences :

- Faire de ce protocole une règle et non une recommandation,


- Inclure dans la recherche des nouveaux allergènes, les allergènes dermiques et
inhalants,
- Prendre en compte tous les critères de vérification utilisés par l’EPA-SAP et/ou
FAO/WHO,
- Intégrer tous ces critères dans un arbre décisionnel, modifié quand cela est
nécessaire,
- Effectuer des tests pour toutes les protéines nouvellement exprimées, et pas
uniquement les nouvelles protéines exprimées par les transgènes, mais aussi toutes
les protéines qui sont exprimées de manière non intentionnelles195,
- Exiger des tests pour les protéines pures et dans les aliments,

194
« In sum, we urge FDA to follow the protocol laid out by FAO/WHO as slightly modified by Dr.
Gendel (e.g. allow chemically similar amino acid residues to be used when determining short
sequence similarity/identity for the contiguous amino acid sequences). We also agree with the EPA
SAP,FAO/WHO and Dr. Becker that developing databases and methods (such as monoclonal
antibodies using animal and/or human materials) to test for conformational or discontinuous epitopes
including those caused by changed glycolysation patterns is of key importance and urge FDA to try
and encourage studies in these areas. », Ibid.
195
« The process of GE may turn on genes in a plant/animal that had been previously turned off,or
the transgene protein could interact with the complex metabolic pathway in the organisms to create a
new protein »Dr. Michael Hansen, Ibid.

89
- Exiger que la protéine pure soit extraite de la plante ou de l’animal dont elle sera
dérivée (la FDA ne devrait pas autoriser que la protéine soit testée dans une source
bactériale ou une source microbiale, si elle ne va pas être consommée ainsi).

Toutes ces exigences font preuve d’une grande fermeté à l’égard de l’administration. Le
caractère “ revendicateur ” de cette liste questionne l’administration américaine. Il s’agit ici
d’un véritable rappel à l’ordre qui vise autant la FDA que les industriels et qui a pour seule fin
de protéger le consommateur. Doit-on supposer que le nouveau protocole de la FAO et de
l’OMS, est resté lettre morte chez les industriels et n’a nullement été pris en considération
dans la manière de traiter de l’introduction des nouveaux aliments génétiquement modifiés
sur le marché ? Ce n’est pas ce que semble affirmer les experts de la société Dupont.

Commentaire n°2
Sur le site Internet de la firme agroalimentaire Dupont on trouve un rapport complet et
technique sur le sujet des risques d’allergénicité présentés par les nouveaux gènes introduits
dans les aliments issus des biotechnologies. Répondant ainsi à l’accusation selon laquelle les
promoteurs des semences issues de la transgénèse ne prendraient pas l’application des tests
au sérieux, l’entreprise agro-alimentaire, expose de manière synthétique et scientifique le
problème. On comprendra que la firme qui est à l’origine de l’épisode de « l’allergène de la
noix du Brésil » par l’intermédiaire de la marque « Pioneer High Breed », rachetée peu de
temps après, s’est trouvée dans l’obligation de se justifier auprès des consommateurs et
d’éventuels détracteurs. Ici, la synthèse s’adresse à la fois au grand public (résumé et FAQ)
et aux chercheurs curieux d’en savoir plus sur un problème longuement débattu (résumé
discussion de l’arbre de décision de l’IFBC/ILSI et les différentes modifications que lui ont fait
subir la FAO et l’OMS). La société Dupont répond à 3 inquiétudes soulevées par l’introduction
des PGM sur le marché :
- La possibilité qu’un allergène connu soit introduit dans une plante qui ne se trouve
pas d’habitude à l’origine de risques allergéniques.
- La possibilité de créer un nouvel allergène inconnu après avoir inséré de nouveaux
gènes dans la plante ou en changeant le niveau d’expression de certaines protéines
endogènes.
- La conformité des tests effectués en vue de détecter de nouveaux allergènes dans les
plantes transgéniques.

90
L’entreprise met en avant le fait que si le problème des allergies alimentaires se trouve en
rapport avec les PGM, cela est dû au fait que « les améliorations génétiques ajoutent ou
changent des gènes qui sont à l’origine des protéines ; aussi étant donné que quelques
protéines sont des allergènes, alors il semble évident de tester les PGM pour rechercher
d’éventuelles sources d’allergie.» Une manière simple et discrète de rappeler que les PGM
sont équivalentes en substance aux plantes issues de la sélection classique196. Parfaitement
au courant des changements qui ont eu lieu au niveau de l’arbre décisionnel, le géant de
l’agro-alimentaire ne cherche nullement à cacher ceux-ci aux consommateurs ; en effet à la
page F.A.Q., à la question « Est-ce que les PGM sont testées pour leur allergénicité »,
Dupont affirme qu’elle se conforme aux exigences des procédures formalisées par l’IFBC et
l’ILSI, tests qui ont été adoptés par la FAO et l’OMS197 ; à la question sur l’efficacité de ces
tests, Dupont répond qu’en ce qui concerne les allergènes connus ou de famille connue, ces
tests sont très fiables, par contre pour ce qui concerne les moins connus, « l’IFBC/ILSI
propose les meilleurs des tests qui existent, cependant il est encore nécessaire de les
améliorer et qu’à cet égard, ils travaillent avec des chercheurs issus du secteur public aussi
bien que du secteur privé »198. L’entreprise passe ensuite en revue tous les changements
apportés à l’arbre de Metcalfe. La première de ces modifications citée concerne la quantité
(nombre qui passe 14 à 24, pour réaliser les tests) et la qualité des sérum utilisés199.
Concernant désormais les tests de l’homologie des séquences, on constate que Dupont,
comme Hansen (voir article précédemment cité), fait référence aux expériences de Gendel.

196
« Food allergies are relevant to products developed through biotechnology because the
improvements often involve adding or changing genes. Genes make proteins, and though very few
proteins are allergens, biotechnology products are tested for potential allergenicity before they are
marketed as a key component of the regulatory consultation and review process. » in Scientific
summary and the Dupont perspective, source : www.dupont.com
197
« Before marketing a product, DuPont follows the testing procedures developed and formalized by
scientists and medical experts at theInternational Food Biotechnology Council (IFBC) and the Allergy
and Immunology Institute of the International Life Sciences Institute (ILSI). These testing procedures
have been adopted by the United Nations Food and Agriculture Organization (FAO) and World
HealthOrganization (WHO). »Dupont, Ibid.
198
« When working with a gene from a known allergen, or a crop with a history of allergenicity, the
recommended tests are very effective because of access to serum from people who are allergic.In the
case of minor allergens, or of proteins with no allergy history, access to serum from allergic people
does not exist. In those cases, the IFBC-ILSI recommended tests that provide the best available
mechanism for identifying potential allergens. However, improved tests are needed and some
recommendations have been made. For example, DuPont scientists are working with private and
public researchers to develop improved methods such as ways to identify potential allergens in maize,
and to improve models that help determine the potential allergenicity of new proteins. », Ibid.
199
« The difference is that the 2001 FAO/WHO decision tree recommends the use of 24 sera for
testing compared to 14 sera outlined in the 1996 decision tree. However, the FAO/WHO document
also recognizes that the use of a smaller number of very well documented, high quality sera may be
preferable to the use of larger numbers of lesser-quality sera. In addition, it adds the concept of
"Targeted Serum Screen" when a protein is not positive in the Specific Serum. » Ibid.

91
Ce dernier aurait démontré qu’il est plus judicieux d’effectuer une comparaison des
séquences des allergènes potentiels en faisant une collection compréhensive de toutes les
séquences d’allergènes plutôt que de toutes les séquences. C’est ainsi que l’on a pu établir 2
bases de données, contenant environ 300 allergènes connus et consultables en ligne sur
http://www.iit.edu/s.gendel ; concernant maintenant les critères retenus par la FAO/WHO,
Dupont affirme que “ des analyses suggèrent que les correspondances exactes de 8, ou plus
aminoacides arrivent de manière très peu fréquente par hasard et un résultat négatif peut
habituellement éliminer un allergène potentiel. Les correspondances de 6 aminoacides
contigus, comme suggérés par la FAO et l’OMS, sont susceptibles d’arriver beaucoup plus
fréquemment, par hasard. En vérité, il y a sans doute trop de correspondances dues au
hasard pour que cette recherche soit efficace. ”200. Les auteurs décrivent ensuite les
algorithmes à adopter (FASTA et BLASTA) ; un peu plus loin, ils ajoutent qu’il n’existe pas
suffisamment de données pour établir des corrélations plus générales. Les chercheurs et les
organisations tentent de résoudre ce problème en produisant de nouvelles données à partir
des relations qui existent entre les séquences d’aminoacides, les structures des protéines et
l’allergénicité. Un atelier a été sponsorisé par le centre de recherche communautaire de la
commission européenne (ECVAM,2001) afin d’établir une base de donnée plus globale...
En lisant de prêt le rapport de l’association de consommateur et le document de
synthèse de Dupont, on s’aperçoit que les auteurs font référence à des expériences
scientifiques identiques. Pourtant, ils en font un usage différent. Alors que le docteur Mikaël
Hansen, tout en se conformant aux nouveaux critères établis sans pourtant les trouver
suffisants, fait une croix définitive sur le premier arbre décisionnel (il nous a semblé en fait
que lorsque l’expert cite les institutions internationales, c’est d’avantage pour rappeler à la
FDA qu’elle ne se conforme pas à la règle internationale), l’entreprise Dupont, elle - tout en
mettant au jour les nombreux problèmes soulevés par l’amélioration des techniques de
comparaison des acides aminés et la nécessité de faire un effort pour compléter les bases de
données existantes - cherche à démontrer que ce qui est fait à l’heure actuelle, est un
protocole largement suffisant pour éviter l’introduction d’un allergène dans un organisme
génétiquement modifié ; ainsi, l’entreprise agro-alimentaire, se réfère à la légitimité des
institutions qui ont validé ces protocoles201. Le but étant de rassurer les consommateurs, en

200
« Analyses suggest those exact matches of eight or more amino acids occur infrequently by chance
and a negative result can usually eliminate a potential allergen. Matches of six contiguous amino
acids, as proposed by FAO/WHO, are likely to occur more frequently, by chance. Indeed, there may
be too many random matches for this to be a useful screen. »Dupont, Ibid.
201
“ As outlined in both the 1996 IFBC/ILSI and the 2001 FAO/WHO decision trees, transfer of a gene
known to be an allergen is unlikely to occur when the testing procedures outlined on the left side of
the tree are followed. For proteins from less commonly allergenic foods or sources without any history

92
conclusion, Dupont rappelle que tous les aliments, et pas seulement les plantes
transgéniques, sont des sources potentielles d’allergie ; le rapport insiste sur le fait que ce
risque a été pris en considération très tôt par les experts scientifiques et médicaux et que
l’arbre décisionnel est une conséquence de cette prise de conscience du milieu industriel, en
personne de l’IFBC et de l’ILSI (on se rappellera que d’après Hansen, cet arbre, dans sa
toute première version, était une manière commode de résoudre un problème beaucoup plus
grave), aussi ces derniers mettent, avec le gouvernement, tout ce qui est en oeuvre pour
évaluer l’allergénicité des plantes avant que celles-ci ne soient introduites sur le marché ;
ces problèmes doivent être résolus par un effort commun du secteur privé et du secteur
202
public .
Il apparaît donc clairement qu’entre les deux documents, le sujet des « tests
d’allergénicité » est présenté d’une manière différente en fonction des intérêts que les
auteurs représentent, alors que ce sont les mêmes expériences et les mêmes résultats qui
sont cités. Preuve que la controverse scientifique qui porte ici sur « l’identification et la mise
en place d’une technique adéquate pour déterminer l’allergénicité d’une protéine en
recherchant l’homologie de sa séquence avec un allergène connu » ne se développe et ne
s’amplifie véritablement que lorsqu’il s’agit d’interpréter les résultats et de leur donner un
sens par rapport à l’application finale de la technologie (ici, garantir le «risque zéro»). Mais
on constate que cette controverse naît juste dans l’interstice laissé par le protocole
scientifique de recherche des risques. Autrement dit, le simple fait que les chercheurs ne
puissent garantir à 100 % l’efficacité des méthodes qu’ils développent laisse la place à
l’interprétation, et par conséquent au désaccord, la quête de la méthode de détection
infaillible du risque pouvant conduire, comme on va le voir, à une querelle beaucoup plus
forte.

of allergy or consumption, the results from sequence homology, gastric digestibility, processing
stability and quantity of protein expressed in the plant are interpreted in context with each other to
evaluate the risk of transferring an allergen. This weight-of-evidence approach has proved reliable for
the rapidly digestible proteins and was endorsed by both the National Academy of Sciences (NAS,
2000) and two Joint Food and Agriculture Organization/World Health Expert Consultations (FAO/WHO
2000, 2001). ”, Ibid.
202
« Developers of biotechnology-derived crops and government regulators evaluate these crops for
food safety in many ways before they are marketed, especially focusing on the potential for
allergenicity. There are numerous methods used to determine whether or not a new protein from a
transgenic crop is likely to be an allergen. These testing methods for allergenicity are described in this
document. Public and private scientists continue to work cooperatively on developing additional tests
and models to improve the accuracy of the methods used to determine the potential allergenicity of
foods, including those derived from transgenic crops. », Ibid.

93
L’affaire StarlinkTM : de la controverse au consensus
Dans un article du New York Times, daté du 24 Avril 2001203, le journaliste Andrew
Pollack annonce que le maïs StarlinkTM a reçu une approbation pour l’alimentation animale,
mais non pour l’alimentation humaine, pour la simple et bonne raison qu’il peut se trouver à
l’origine d’allergies. Le problème étant que ce maïs a déjà été répandu dans la chaîne
alimentaire, on a procédé au rappel des fameuses « Taco shells » (les chips mexicaines de la
marque Kraft Food), d’autres produits transformés, et on a réduit l’exportation de maïs et
imposant de coûteuses et contraignantes exigences pour l’industrie alimentaire. Aussi, afin
de résoudre le problème, la firme Aventis Crop Science - le promoteur du maïs
génétiquement modifié - aurait demandé l’autorisation d’introduire le StarlinkTM dans la
chaîne alimentaire humaine pour les 4 années à venir en argumentant que le public ne
risquait pas d’être exposé à une si faible dose. Pourtant, à la suite d’un refus de l’E.P.A., la
firme a dû revoir sa position et renoncer à ses exigences ; elle a demandé une “ limite
maximum ” (upper limit), ce qui peut paraître une exigence plus acceptable qu’aucune limite
du tout204. La protéine Cry9C a été introduite dans la variété Starlink TM
afin de servir de
pesticide à la pyrale. La compagnie affirme que selon des tests qu’elle aurait effectués, la
protéine est substantiellement détruite par la transformation des aliments ; partant de cela,
on peut en déduire que si la quantité de maïs StarlinkTM qui arrive au moulin est limitée, la
protéine Cry9C sera quasi-inexistante dans le maïs. Cette exposition à la protéine sera 80 à
95 % plus faible que celle qu’Adventis a estimé dernièrement. Pourtant, cette mesure a paru
encore insuffisante.
Comment a t’on pu en arriver à une situation si critique ? Comment en est-on arrivé à
obliger une multinationale à racheter une grande partie de production du maïs Starlink de
l’année passée et à installer des mini laboratoires dans tous les moulins qui produisent des
aliments destinés à la chaîne alimentaire humaine205? Cette affaire, depuis qu’elle a éclaté, a
eu de nombreux échos, au point de réunir pour une cession extraordinaire, un comité
d’experts scientifiques, des industriels et des organisations non gouvernementales.
Prouvant l’existence d’un véritable débat mettant aux prises des acteurs de diverses
origines, la rencontre qui a eu lieu le 28 novembre 2000 à l’hôtel Holiday Inn de Rosslyn
dans le cadre d’une consultation scientifique menée par la FIFRA (Federal Insecticide,

203
Andrew Pollack, « Top Limit Sought for StarLink Corn », The New York Times, April 24, 2001
204
« The company hopes that having an upper limit will be more acceptable than allowing any level at
all » Andrew Pollack, Ibid.
205
« Aventis has bought and diverted most of last year's StarLink corn, and now has small labs in all
dry milling plants where corn is broken down for use in foods such as corn chips and corn bread. »
Marc Kaufman, « Biotech Corn Found In Variety of Foods FDA Testing for Possible Allergic
Reactions », Washington Post, Tuesday, April 24, 2001; Page A03

94
Fungicide and Rodenticide Act)206, a réuni experts scientifiques et divers représentants de la
société civile, afin de déterminer s’il était possible de certifier, d’après les données qui
existent actuellement, la probabilité que la protéine Cry9C soit un aliment allergénique207. On
retrouve, par exemple, Friend of the Earth et Aventis Crop Science dans la liste des
participants présents au meeting, ou encore Greenpeace et Monsanto dans la liste des
membres consultés qui ont fait parvenir un commentaire écrit. Tous les acteurs (qu’ils soient
pro ou anti-OGM) ont donc pris part au débat et sont, comme on le verra, généralement
parvenus à un consensus.
Le premier point abordé par les experts, concerne la probabilité de l’allergénicité de la
protéine Cry9C. Le comité est tombé d’accord sur le principe d’une probabilité moyenne que
« la protéine Cry9C soit allegénique » se fondant pour cela, sur les propriétés biochimiques
de la protéine elle-même et non sur son niveau de présence dans l’alimentation en
général208. On n’a pas réussi a démontrer d’homologie entre les acides aminés de Cry9C et
d’aliments allergéniques connus ; cependant, il faut tenir compte du fait que tous les
allergènes n’ont pas été séquencés. Pour justifier l’allergénicité moyenne, on admet que
Cry9C peut posséder de 1 à 3 des 5 critères suivants :
- La protéine est relativement résistante à un traitement à l’acide
- Relativement résistante aux protéases lors de la digestion
- Son poids moléculaire est comparable à celui d’un allergène
- La protéine d’origine est sans doute une glycoprotéine
- La protéine (isolée ou à l’intérieur du maïs) provoque une réponse allergénique chez
les rats de Norvège
- La protéine peut être trouvée intacte dans la circulation sanguine (bloodstream) du
rat après ingestion.

De ces 5 critères qui ont été définis au préalable lors d’une réunion par le Scientific Advisory
Panel en février 2000, aucun ne pouvait correspondre de manière exacte à la description de
Cry9C (condition nécessaire pour affirmer que la protéine peut être moyennement

206
Assessment of Scientific Information Concerning StarLink™Corn , SAP Report No. 2000-06
December 1, 2000, Report FIFRA, Scientific Advisory Panel Meeting, November 28, 2000, held at the
Holiday Inn Rosslyn Hotel.
207
Based on your review of the currently available data, how would you assess the likelihood (high,
medium, or low) that the Cry9C protein is a food allergen? Please explain the basis for that
conclusion., Ibid., p.8
208
« The Panel agreed that there is a medium likelihood that the Cry9C protein is a potential allergen
based on the biochemical properties of Cry9C protein itself – not its levels in the food supply. Relative
to the characteristics of known food allergens, there is no evidence disproving the potential
allergenicity of Cry9C. » Report FIFRA ,Ibid.

95
allergénique), mais tous convenaient jusqu’à un certain degré209. C’est donc en jugeant la
correspondance plus ou moins probable de chacun de ces 5 facteurs dans leur ensemble,
que le SAP a pris la décision de considérer le risque d’allergénicité de Cry9C comme un
risque moyen.
Afin de justifier cette thèse, les experts se sont aussi fondés sur l’ignorance que l’on a
des fréquences d’allergénicité. En effet, bien que le maïs soit un allergène fréquent, on n’a
pu rarement vérifier qu’il se trouvait à l’origine de l’allergie. Etant donné le fait que la
protéine Cry9C est un néo-antigène, il serait judicieux de surveiller le rôle qu’elle joue dans
les situations cliniques en déterminant les niveaux d’expressions des IgE et IgG de Cry9C
spécifiques ainsi que les réponses cliniques aux aliments qui contiennent des protéines
Cry9C210.
Cependant, les experts remarquent que tous ces critères ne suffisent pas à
déterminer convenablement l’allergénicité de Cry9C. En effet, si tous les allergènes sont des
protéines ou des glycoprotéines, l’opposé n’est pas forcément vrai. De même, tous les
enzymes résistants ou stables à la chaleur, ne sont pas forcément des protéines allergènes
et, à l’opposé, tous les enzymes qui sont sensibles (labiles) à la chaleur, ne sont pas
forcément non allergénique. Ce qui doit donc être pris en considération, c’est la capacité de
l’allergène à induire une réponse des IgE211. Partant de cela, il paraît essentiel d’effectuer
une comparaison de séquence d’acides aminés afin de déterminer une éventuelle homologie
de celles-ci avec un allergène connu. Or la base de donnée RAST n’a pu fournir aucune
information déterminante, étant donnée l’absence d’informations cliniques. Aussi, on ne
possède actuellement aucun IgE spécifique à Cry9C, ce qui est un obstacle pour définir la

209
« Although there is no definitive evidence of the validity of the above criteria, these factors are
currently considered to be risk factors for allergenicity (as discussed at the February, 2000 SAP
meeting). No single, or two or three criteria, was considered to be adequate to declare the protein a
potential allergen, but Cry9C met, to some degree, all of the above. Based on the data submitted
since the last SAP meetings, no new data were presented which provided any convincing evidence
that Cry9C potential allergenicity was reduced. Taken together, the Panel concluded that Cry9C
protein has a medium probability of being a potential allergen. » Ibid., p.10
210
« Other factors that were considered by the Panel in reaching their decision include the following.
Prevalence and frequency data for allergens are generally unknown; however, documented corn
allergy is rare, although corn is a major food source. In corn, Cry9C is considered a neoantigen, and
should be addressed in clinical situations where it is suspected of inducing a reaction by determining
Cry9C-specific IgE and IgG levels and possibly clinical responses to challenges with Cry9C containing
food sources. » Ibid., p.11
211
« It was noted that all allergens are proteins/glycoproteins (questions remain on the prelevance of
carbohydrate IgE-binding epitopes); however, not all proteins are allergens. Nor are all enzyme
resistant and/or heat stable proteins allergens. The opposite is also true; not all heat labile or enzyme-
degraded proteins can be considered as non-allergenic. Of the multiplicity of proteins in ingested
foods, relatively few have been identified as food allergens. Non-allergens have not been
characterized to the same extent as known allergens. What must be taken into consideration is that a
food allergen is defined as a molecule that will induce an IgE response. » Ibid., p.11

96
réaction croisée (cross-reactivity). Il faudrait, pour cela, disposer du sérum des individus
susceptibles à la protéine. On utiliserait alors la technique d’analyse SDS-PAGE/immunoblot
(i.e. Western Blot) qui est une méthode très sensible pour détecter la réponse des anticorps
IgG et IgE212.
Pour ce qui concerne maintenant la détermination de la sensibilisation potentielle
(sensitization) à l’allergène Cry9C contenu dans le maïs StarlinkTM, il faut prendre en compte
la durée limitée de l’exposition à cette protéine (4 ans) et la quantité d’exposition (pas de
production de Star-LinkTM après 2000) de la population à ce maïs. Il a été aussi demandé de
déterminer quelle différence cela entraînerait, si le degré d’exposition était 1 ou 2 niveaux
plus élevé ou plus bas. Le comité a répondu en affirmant que le maïs StarlinkTM contenant la
protéine pesticide Cry9C, devrait être classé parmi les produits qui ont une faible chance de
sensibiliser les individus à la protéine Cry9C. Ils justifient cette affirmation par le fait qu’il
n’existe actuellement, ni preuve formelle de l’allergénicité de la protéine, ni signalement d’un
cas de sensibilisation à la protéine Cry9C. Si on tient compte de la présence de la protéine
Cry9C dans l’alimentation, alors on peut supposer qu’une plus grande quantité augmenterait
l’allergénicité, alors qu’une quantité plus faible la rendrait quasiment impossible213.
Quant à l’affirmation d’Aventis, comme quoi, « il est impossible que la protéine qui se
trouve présente dans l’alimentation à un niveau de 0.0129%, puisse devenir un allergène »,
elle a été retenue par le comité de scientifiques qui admet que la plupart des allergènes sont
présents à un niveau > à 1% des protéines ; ce critère reste cependant à vérifier de même
que la valeur de la protéine Cry9C dans le maïs214. En effet, le SAP ajoute que les critères qui
font qu’une protéine est un allergène ne sont pas tous connus, même si 90 % des protéines
allergéniques sont contenues à plus de 1 % dans l’aliment, il reste cependant encore
beaucoup d’inconnues. La plupart des aliments allergéniques n’ont pas encore été

212
« The IgE-binding proteins were not identified. However, it was pointed out that individual serum
from these potentially Cry proteins exposed populations are sources for examination of Cry-specific
IgE. These serum sources could be used to assess IgE binding to Cry9C proteins or protein fragments
by SDS-PAGE/immunoblot analysis (i.e., Western Blot), a highly sensitive method for detection of
native and denatured IgE-binding proteins. »Ibid., p.12
213
« The Panel concluded that the StarLink™ corn Cry9C Bt-pesticidal protein should be classified as
having low probability to sensitize some individuals to Cry9C protein. Because no single factor is
completely predictive of allergenicity and no records of Cry9C human sensitization exist as yet, there
can be no final proof that Cry9C is or is not a food allergen. However, the apparent low level of Cry9C
protein entering the human diet make it a low likelihood that StarLink™ corn has resulted in
sensitization of some individuals to the Cry9C protein. The Panel believes that there would be an
enhanced risk if the amount of Cry9C in the food supply would increase by orders of magnitude,
whereas lowering the levels makes sensitization less probable. » Ibid., p.13
214
« The Panel concluded that although most allergens account for >1% of the protein content in an
allergenic food, there was a limited predictive value of knowing that Cry9C only accounts for 0.0129%
of corn protein. Furthermore, significant issues were raised concerning the validity of the Cry9C
protein determination methods when assessing potential allergenicity. » Ibid., p.15

97
caractérisés. Aussi, il est possible que ce niveau soit < à 1 %, seule l’expérimentation en
laboratoire à partir de sérum humain ou de modèles animaux pourront permettre de
répondre à cette question.
D’autre part, il subsiste certaines incertitudes pour ce qui concerne la méthodologie
utilisée pour définir la concentration de protéine Cry9C (l’extraction de celle-ci n’a pas été
optimisée, ni standardisée et la solubilité n’a pas été vérifiée) ; les méthodes employées
(essais western blot et ELISA) ne permettent pas de détecter un grand nombre d’epitopes
potentiellement allergéniques ; en outre la méthode ELISA ne reconnaît que les épitopes
conformationels (non-linéaire) qui peuvent ne pas être présents dans Cry9C transformée,
dénaturée ou dégradée. Partant de ces incertitudes, on a établi un consensus selon lequel la
protéine Cry9C, dont la présence dans le maïs est estimée à 0.0129 %, sous-estime peut-
être la concentration de protéine qui est capable de suggérer une réponse allergénique215.
Le 4ème point de discussion, porte sur les travaux de Bernstein et al.216 qui affirment
pouvoir démontrer une sensibilisation aux produits pesticides à base de Bacillus
Thuringiensis et une allergénicité à la protéine Cry9C dans l’alimentation. Cet article rend
compte des examens faits sur des fermiers qui ont été exposés à des niveaux faibles,
moyen et élevés d’applications foliaires de pesticides bactériens contenant Bacillus
Thurengiensis et des échantillons végétatifs, contenant un extrait enrichi en Bt pro-δ-
entodoxine217. Les expositions étaient soient respiratoires, soient cutanées. L’ingestion de
petites doses de Bt a été prise en compte. Aucune maladie clinique n’a pu être répertoriée ;
aussi, ce papier ne concerne pas véritablement la protéine Cry9C. On considérera donc cette

215
« The Panel was concerned that the methodology used to determine the concentration of Cry9C
protein may be an inadequate approach for estimating biologically active Cry9C protein in exposed
humans. The extraction of Cry9C has not been optimized nor standardized, and the solubility of the
protein has not been fully assessed. The extraction times reported in studies were of short duration,
and may not reflect the total Cry9C protein content. Concerns were also addressed about employment
of anti-serum raised against the native full-length protein in ELISA and Western blot assays since
these methods may not detect a considerable number of potentially allergenic epitopes. This is
compounded by the use of a monoclonal detection antibody in the ELISA; by definition this reagent
will only recognize one Cry9C epitope. This is particularly important since the allergic response may be
triggered by Cry9C protein degradation products. Consideration should be given to other techniques
used to quantitate proteins. Additionally, it was pointed out that the ELISA may only recognize
conformational (non-linear) epitopes which may not be present in processed, denatured, or degraded
Cry9C. Given these uncertainties, there was consensus that the determination that Cry9C accounts for
<0.0129% of corn protein may possibly be underestimating the concentration of Cry9C that is capable
of eliciting an allergic response.», Ibid., p16
216
Bernstein IL, Bernstein JA, Miller M, Tierzieva S, Bernstein DI, Lummus Z, Selgrade MJK, Doerfler
DL, Seligy VL. 1999. « Immune responses in farm workers after exposure to Bacillus thuringiensis
pesticides. » Environ Health Persp, 107:575-582
217
« The article by Bernstein et al., examines immune responses in farm workers with low, medium,
and high exposures to foliar application of bacterial pesticides containing Bacillus thuringiensis to a
variety of Bt spore and vegetative extracts, including an extract enriched for Bt pro-δ-endotoxin. »
Ibid.

98
étude simplement comme un modèle pour observer une éventuelle sensibilisation à la
protéine Cry9C.
Dans le 5ème point, la commission se penche sur l’explication du rapport publié par le
CDC de la FDA dans lequel, 34 individus affirment avoir souffert de symptômes (adverse
effects) après avoir ingéré des ingrédients qui auraient pu contenir du maïs StarlinkTM 218
.
D’après la commission, ces résultats n’ont, d’une part, pas pu être vérifiés à la suite de la
réalisation d’un DBPCFC (double blind placebo controlled food challenges), qui est la
technique adéquate pour dépister les réactions allergiques ; d’autre part, plusieurs
intervenants publics ont remarqué que les plaignants avaient très bien pu être influencés par
la publicité qui a été faite autour du maïs StarlinkTM 219
. La commission scientifique, après
avoir revu le rapport de la CDC et de la FDA, a conclu que 7 cas sur les 34 qui ont été
rapportés, pouvaient être considérés comme des réactions allergéniques ; mais elle se trouve
dans l’incapacité de dire si l’aliment à base de maïs qui a été ingéré contenait la protéine
Cry9C. Ce groupe de 7 individus représente, selon la commission, une véritable opportunité
pour vérifier si la protéine Cry9C est allergénique ou non et l’identification des IgE réactifs à
Cry9C suffirait à déterminer son allergénicité.
Concernant maintenant le 6ème sujet de discussion, la commission devra rendre
compte de la méthodologie de l’EPA (l’agence américaine pour la protection de
l’environnement) pour estimer le niveau d’exposition à la protéine Cry9C et tout
particulièrement celui le plus élevé, prenant en compte ces 3 facteurs que sont les filières de
transformation (processing pathways), les filières de distribution des aliments transformés
(processed food pathways) et les habitudes alimentaires des individus (individual
consomption patterns). On sait que la réponse à cette question est cruciale du point de vue
de l’affaire qui a secoué l’opinion publique. Ici, la commission tout en rappelant la complexité
des études qui permettent de rendre compte de la quantité de protéine Cry9C présente dans
la chaîne alimentaire, compare les résultats (souvent similaires) obtenus par Aventis et par
l’organisme américain et rappelle la nécessité qu’il y a d’améliorer encore ces résultats220.

218
« Please comment on the CDC and FDA analysis of reports from individuals who claim to have
experienced adverse effects after consuming food that might have been made from StarLink™ corn? »
Ibid., p.17.
219
« In addition, in many instances, adverse reactions to foods are more frequent following publicity
about a specific product. Several public commentors at the meeting noted that reports of possible
adverse reactions to StarLink™ did not surface until there was publicity about the potential presence
of Cry9C in certain corn products. », Ibid., p.17.
220
« There is need for a better evaluation of the amount of StarLink™ corn that could be in the food
chain. Several different values, differing by about an order of magnitude, for the amount of corn that
left the farm before the end of September 2000 were presented during the SAP meeting. These values
represents corn that did not go to feed operations and is presumed to be blended with non-StarLink™

99
Des études qui ont été menées par l’université texane de A&M à la suite d’une demande
d’Aventis221 ont démontré, pour la première expérience, une faible contenance de la protéine
Cry9C dans les Tacos, alors que la seconde expérience a démontré cette présence. Enfin la
commission, après avoir rejeté l’assertion d’Aventis selon laquelle, le risque maximal
d’exposition à la protéine Cry9C dans l’alimentation ne peut excéder celui du cacahouète
(sous peine qu’il est pour l’instant impossible de spéculer étant donnée l’ignorance dans
laquelle on se trouve par rapport à la sensibilisation), conclut l’exposé en affirmant que le
risque d’allergénicité, bien que non vérifié, doit être faible222. Elle s’appuie pour cela sur 6
facteurs :

- La prédiction modérée d’allergénicité de la protéine


- Le faible niveau de protéine contenu dans la nourriture
- Le faible niveau d’exposition dans l’alimentation
- L’approche conservatrice de l’EPA pour valider cette allergénicité
- Les données épidémiologiques non-concluantes obtenues chez les agriculteurs et des
consommateurs
- Les données cliniques qui n’ont pas réussi à prouver que Cry9C se trouvait à l’origine
des allergies

Enfin, la commission donne 5 directives de recherche: cumuler des données sur les impacts
des différentes méthodes de transformation pour connaître le niveau de Cry9C dans les
aliments transformés, des données sur l’étendue du mélange de Starlink génétiquement
modifié et Starlink non génétiquement modifié ; des données sur les anticorps spécifiques
des individus qui affirment avoir subi les effets néfastes d’aliments qui auraient pu contenir la
protéine Cry9C ou qui sont susceptibles d’être exposés au maïs Starlink de manière
fréquente ou à des produits à base de maïs ; et enfin, une surveillance de rapports médicaux
d’individus qui affirment avoir subi les effets néfastes, à la suite de la consommation

corn in the food chain. Better knowledge of the actual amount of StarLink™ corn would enable a more
valid estimate of the contamination to be established. »Ibid., p.21
221
« ELISA analysis of Cry9C Protein in CBH351 StarLink™ Corn subject to Pilot Scale Alkaline Process
(completed on November 22, 2000) and ELISA and Western Blot Analysis of Cry9C Protein Present in
CBH351 StarLink™ Corn Samples Obtained via Pilot Scale Alkaline Processing (completed on
November 22, 2000) », Ibid., p.23.
222
« The Panel assessed the currently submitted data and concurred, while not conclusive, that the
likely levels of the Cry9C protein in the US diet of provide sufficient evidence of a low probability of
allergenicity in the exposed population. » Ibid., p.24.

100
d’aliments à base de StarlinkTM ou avoir été exposés à ce maïs pour des raisons
professionnelles223.
L’objectif est donc ici d’obtenir un consensus qui puisse mettre d’accord aussi bien les
firmes agro-alimentaires que les représentants des consommateurs ou les associations
environnementalistes. On a soulevé autant de problèmes que l’on en a résolus. Le consensus
n’est pourtant pas ce que l’on rencontre le plus souvent et, comme on va le voir, les
accusations sont fréquentes : plus qu’un débat constructif, il s’agit d’une polémique à
entretenir.

Du reproche de l’inefficacité des tests de dépistage de l’allergénicité à celui de leur non


application.
Les plus virulentes critiques à l’égard du dépistage de l’allergénicité des plantes
génétiquement modifiées portent dans un premier temps essentiellement sur l’inefficacité
des différents protocoles qui ont été mis en place. Or, comme on va le voir pour certains, il
ne s’agit pas seulement de critiquer l’efficacité d’un test pour en mettre un autre à la place,
mais de démontrer l’impuissance radicale de ces tests en général par rapport à un
phénomène, où la connaissance a encore d’immenses progrès à faire. Chacun de ces
argumentaires est agencé de telle manière que les incertitudes sur certains points mettent
l’accent sur l’absence de maîtrise totale de l’homme par rapport à une application
technologique. Aussi, la suspicion que certains ont a priori, à l’égard des PGM les pousse à
émettre des hypothèses sans aucune preuve : en effet, partant des études menées par le
New York Nutritional Laboratory de mars 1999, selon laquelle sur « 463 patients, il y aurait
50 % d’augmentation des allergies au soja (Sciences Frontières n°42, juin 1999) » Anne
Briand Bouthiaux – dont nous avons déjà cité l’ouvrage – remarque que « le seul facteur qui
semble avoir changé dans la période concernée est l’arrivée du soja transgénique. Doit-on y
voir une coïncidence ou une relation de cause à effet ? »224 Elle affirme également que le
risque allergénique est plus important pour les plantes où le gène d’intérêt a une visée
nutritionnelle (par exemple l’enrichissement d’un aliment), de même pour les futures plantes
transgéniques qui synthétiseront plusieurs gènes. Elle ajoute également que « seuls 200 à
300 allergènes sont classés et entièrement connus alors qu’il en existe probablement des
dizaines de milliers. » Aussi après avoir évoqué en l’espace de 10 lignes le problème de la
détection des séquences de moins de 8 acides aminées et donc l’impossibilité de se fier à ces
tests, la scientifique affirme que les modèles de digestion gastrique n’offrent pas plus de

223
Ibid., p.25.
224
Anne Brian-Bouthiaux, OGM, Brevets pour l’inconnu, editions Faton, p.123

101
certitude : « Avec eux, certains allergènes alimentaires majeurs sont détruits alors que des
fragments de ces allergènes persistent in vivo au moment où ils sont ingérés avec les
aliments qui les contiennent. »
Toutes ces objections mènent donc l’auteur à soutenir qu’ « actuellement, on n’a pas
d’autres choix que de se baser sur des faisceaux de présomptions qui sont autant de critères
dépourvus de valeur absolue. » Citant à son tour l’affaire du soja transgénique de Pionneer,
cet épisode essentiel de l’histoire des PGM, elle se réfère entièrement aux dires d’Arnaud
Apoteker, le « Monsieur OGM » de Greenpeace France. Aussi après avoir résumé de manière
lapidaire les tests qui ont permis la découverte de l’allergénicité, elle affirme, tout comme lui
que “ dans cette histoire, ce qu’il importe de retenir c’est que les tests classiques de
détermination de l’allergénicité du soja transgénique s’étaient révélés négatifs. ”225 De quels
tests classiques parle-t-on ici ? L’auteur ne nous en dit pas plus. Comme on le voit, l’exposé
consiste à prendre des éléments de problèmes différents et de les coller bout à bout. On
jette ainsi le doute sur une matière qui, présentée ainsi à des non experts, semble ne
comporter que des inconnues. Il ne s’agit plus de traiter de manière positive de la résolution
des problèmes, mais de faire étalage de ceux-ci pour peindre un tableau effrayant226.
Dans un style similaire et toujours plus elliptique, du fait sans doute que l’auteur
s’adresse à un public encore plus large et plus en attente d’un message, Arnaud Apotequer -
également biologiste de formation227 - s’évertue à brosser un portrait calamiteux des PGM.
Dans son livre Du poisson dans les fraises228, il consacre 3 pages au thème de l’allergie ; ce
paragraphe - le premier d’un chapitre qui porte sur les risques pour la santé - s’intitule « des
allergies provoquées par l’alimentation transgénique » ; pris hors contexte ce titre signifie ni
plus ni moins que l’alimentation transgénique est systématiquement la cause d’allergies ; en
effet, ici, un lecteur pressé comprendra que ce sont les organismes génétiquement modifiés
qui se trouvent à l’origine d’allergies et non certains transgènes qui peuvent être en même
temps des allergènes. L’auteur commence sa présentation en remettant le lecteur en
situation de crise: « l’allergie est déjà aujourd’hui un véritable risque alimentaire, il lui arrive
de tuer et elle est en constante augmentation » et si « l’allergie alimentaire est connue
depuis l’Antiquité », « elle prend une nouvelle dimension avec l’évolution des habitudes et

225
Ibid., p.127.
226
Ceci vaudra d’ailleurs à son auteur un titre d’article éloquent dans le journal Le Monde : « La
championne de biathlon tire à vue sur les OGM », le Monde, 09/02/02.
227
Même s’il s’agit ici d’un ouvrage de vulgarisation, il nous semble important de le classer dans la
partie dédiée à l’expertise, en ce sens que cet ouvrage, d’une part est écrit par un scientifique, d’autre
part rapporte ici une opinion qui est partagée par de nombreux experts
228
Arnaud Apoteker, Du poisson dans les fraises, Notre alimentation manipulée , édition la Découverte,
Paris 1999, p.p.151-154

102
des modes de production alimentaires. La création ou l’aggravation d’allergies est un des
risques les plus évidents de l’alimentation transgénique. » Aussi, selon Apoteker qui ne cite
pas ses sources : « les allergies sont en effet causées par des protéines, et souvent celles
qui sont impliquées dans la défense des plantes contre les ravageurs et les maladies. Or, la
résistance des plantes aux insectes ou aux maladies est un des caractères les plus souvent
introduits dans les plantes génétiquement manipulées. » L’auteur ajoute que « les nouvelles
protéines d’origine virale, bactérienne, végétale et animale que le génie génétique se
prépare à introduire dans notre alimentation n’ont souvent jamais fait partie de l’alimentation
humaine et leur potentiel allergène est totalement inconnu. » A ce stade de la description,
la situation est plus que catastrophique surtout du fait qu’il est, toujours d’après le
responsable de la campagne anti-OGM de Greenpeace, impossible de déceler la source qui
se trouvera à l’origine des allergies. Donnant alors l’exemple du soja transgénique de
Pioneer, il affirme que les « tests classiques de détermination du potentiel allergène de ce
soja se sont révélés négatifs » et cela, toujours sans citer une seule source. C’est seulement
parce qu’on dispose de sérum d’individus allergéniques à ce gène que l’on a pu déceler le
risque que faisait courir l’introduction de ce nouveau gène. Enfin, l’auteur aborde le cas des
gènes qui ne font pas généralement partie de l’alimentation humaine, il cite le cas de la BST
synthétique qui contient un acide aminé supplémentaire, la « méthionine », qui d’après le
Physician Desk Reference aurait provoqué des réactions allergiques chez 30 % de la
population qui a subi des injections d’hormones synthétiques : « Par analogie, on peut
craindre que certains consommateurs ne développent des réactions allergiques au lait
contenant de la BST synthétique, même s’ils ne sont pas allergiques à l’hormone
naturellement présente dans le lait. » En l’espace de 3 pages, l’auteur, qui est pourtant
scientifique, a donc enchaîné une série de problèmes les uns aux autres sans donner ses
sources. De toute évidence, l’information est sélectionnée pour noircir le tableau.

La possibilité de vérifier l’allergénicité des plantes génétiquement modifiées avant


qu’elles ne soient introduites sur le marché est donc un véritable problème et un point crucial
de la controverse. Or comme on a pu le constater, la validité et la pertinence des tests est
remise en question, et laisse subsister quelques doutes ; mais en plus de cela, la pratique de
ces tests est un sujet fort discuté. C’est à ce stade ultime du débat qu’apparaît alors un
nouvel élément de discorde : non seulement les tests seraient inefficaces, mais en plus, ils
ne feraient pas l’objet d’une application rigoureuse. En effet, certains experts reprochent aux
instances compétentes de ne pas obliger les industriels à effectuer les tests préalables à
l’introduction d’une semence sur le marché comme il se doit, ou de ne pas les exiger, tout

103
simplement. Ce genre de critique ne s’en prend donc pas directement à la technologie en
tant que telle, mais plutôt aux instances qui en contrôlent le développement.
Ce problème est soulevé de manière encore plus radicale et, preuves à l’appui, par
Ann Clark dans un article sur la sécurité des plantes génétiquement modifiées au Canada229 ;
la scientifique affirme que sur 42 plantes génétiquement modifiées qui sont approuvées au
Canada, 40 « décisions » ont été mises en place (“ currently mounted ”) pour l’approbation
du public230. En effet, d’après l’auteur qui fonde ses dires sur les résultats publiés par le
Novel Food Information Decisions, 70% des plantes qui ont été introduites sur le marché
après avoir obtenu une validation des instances officielles n’ont pas fait l’objet de tests de
vérification de la toxicité et de l’allergénicité en laboratoire ou dans la chaîne alimentaire;
concernant l’allergénicité, aucune mesure n’aurait été effectuée. Qu’il s’agisse de toxicité ou
d’allergénicité, les instances officielles qui sont l’Agence canadienne d’inspection alimentaire
(CFIA) et l’Agri-Food Canada se fondent toujours sur les mêmes arguments : pour ce qui
concerne les plantes qui n’ont pas été testées, on suppose que tous les risques potentiels
sont éliminés par le procédé d’extraction231, et on se fie sur l’heuristique et le
raisonnement232 ; pour ce qui concerne les plantes qui ont été testées (30 %), on a
seulement réalisé un examen oral de la toxicité de la protéine cible purifiée et on a simulé la
digestion de cette protéine, en plus des raisonnements heuristiques.

Discussion
Si l’allergénicité des plantes génétiquement modifiées est un sujet de controverse
scientifique par excellence, c’est parce que, comme on a pu le constater, il s’agit d’un
problème de sécurité alimentaire dont les risques sont avérés. Aussi, nous n’avons trouvé
personne, même parmi les industriels, pour contester l’existence de ces risques. L’épisode du
transgène 2S a suffi comme preuve pour convaincre l’ensemble du monde scientifique de la
possibilité qu’un transgène devienne un allergène. Ainsi commentant à propos de ces
travaux, Francine Casse rappelle qu’ « Un malheureux hasard fait que cette protéine riche en
acides aminés essentiels est… l’une des protéines allergènes de la noix du Brésil. Au lieu
d’être à l’origine d’une demande de mise sur le marché du soja génétiquement modifié
obtenu, ces travaux auront ainsi eu pour seul mérite de prouver qu’une protéine allergène

229
E.Ann Clark, « Food Safety Of GM Crops in Canada : toxicity and allergenicity », source,
http://www.plant.uoguelph.ca
230
« Of the 42 GM crops approved for Canda, 40 Decisions are currently mounted for public
appraisal »Ibid.
231
E.Ann Clark « Assume that all potential risk is removed in the oil extraction process », Ibid.
232
« Rely on heuristic (assumptions-based) reasoning (only) », Ibid.

104
dans une espèce végétale conserve ses propriétés lorsqu’elle est produite par une autre.233»
Le potentiel d’allergénicité des PGM est donc une certitude reconnue aussi bien par les
défenseurs de la transgénèse que par ses adversaires. En bref, les plantes génétiquement
modifiées peuvent être, de la même manière que leurs équivalents issus de la sélection
classique, à l’origine de risques alimentaires, sous forme d’allergies. Tout comme eux, ils
doivent faire l’objet d’une surveillance. Aussi, la controverse porte, comme on l’a vu, bien
moins sur l’existence du risque, que sur la probabilité de sa survenue et sur la prédictibilité
de celle-ci.
Ce dernier point suscite de nombreuses discussions entre les experts. La principale
thèse de ceux qui critiquent les PGM étant en substance que :« les aliments issus de la
transgénèse peuvent être une plus grande source de risques d’allergie que les aliments
conventionnels ». A l’appui de cette affirmation, on trouve deux arguments : le manque de
connaissances sur la nature du transgène nouvellement introduit, et le manque de
connaissance sur l’impact que l’introduction de ce transgène peut avoir sur l’ensemble de
l’organisme. Or, parfaitement conscients de ces problématiques, les promoteurs de la
nouvelle technologie (scientifiques, industriels et instances officielles internationales) ont mis
en place des protocoles qui comportent toute une batterie de tests pour vérifier ces risques.
C’est alors que l’on observe un déplacement de la critique : ce qui est contesté par
certains scientifiques, c’est moins le risque que la capacité de prédiction des tests utilisés
dans les différents protocoles. En effet, selon certaines opinions critiques, les tests qui ont
été validés de manière officielle ne seraient pas efficaces à 100%, et en plus de cela, ils ne
seraient (tout du moins c’est ce qu’affirme certains experts) que très rarement appliqués.
Ces affirmations peuvent sembler étranges lorsque l’on constate comment les industriels et
les institutions américaines ont pris au sérieux l’affaire du maïs StarlinkTM ; de même on a pu
constater dans l’ensemble que les promoteurs des PGM prennent très au sérieux le problème
de l’allergie234.
Or il ne semble pas que l’on ait démontré que le risque d’allergénicité soit plus élevé
pour les PGM que pour les plantes classiques ; il est juste plus surveillé et a permis de
mettre au jour un certain nombre de problématiques. Aussi, que les controverses portent sur
la mise en place de tests efficaces et sur l’application de ces protocoles ne prouve en rien le

233
Francine Casse, « Les plantes transgéniques : les risques et la réglementation », in Les Plantes
génétiquement modifiées, Académie des sciences, rst n°13, décembre 2002, éditions Tec & Doc.,p.75
234
Ainsi, un rapport émis par l’association PEW initiative dénonce le manque de moyen pour les
recherches sur les risques d’allergies des aliments en général et la nécessité pour l’Etat de s’impliquer
d’avantage dans la recette. Luca Bucchini, Ph.D. and Lynn R. Goldman, M.D., MPH Food Allergy ;
Implications for genetically modified food. http://pewagbiotech.org/

105
« plus grand risque des PGM ». On conclura ce chapitre en se référant à une excellente
synthèse: dans le cadre du colloque organisé par l’AFSSA en 2002 sur les bénéfices
éventuels des aliments génétiquement modifiés, le Professeur A. Monneret-Vautrin passe en
revue l’ensemble des problèmes et les avantages des PGM liés à l’allergénicité. L’allergologue
de l’Université H.Poincaré de Nancy commence par rappeler que « Les techniques
agronomiques appliquées à la sélection d’espèces et variétés, à leur hybridation, la
commercialisation d’aliments nouveaux, n’ont pas jusqu’ici, attiré de craintes du public. Par
contre, la commercialisation d’aliments obtenus à partir d’organismes génétiquement
modifiés a provoqué de sensibles mouvements d’opinion, attribuant des risques particuliers à
ces OGM. Parmi ces risques, le risque allergique a été allégué. Le passage intempestif dans
l’alimentation américaine d’un maïs transgénique destiné à l’alimentation du bétail a été suivi
de la déclaration de dizaines de cas « d’allergie » à un maïs génétiquement modifié,
contenant la protéine cry9 (provenant de Bacillus thuriengensis, insecticide), et a motivé le
retrait de commercialisation aux Etats-Unis de ce maïs… Si cet épisode caractérise très
probablement un fantasme, il n’en reste pas moins vrai que le risque allergique d’un aliment
transgénique a été démontré et que d’autre part, les allergies alimentaires sont fréquentes
dans tous les pays (…) Dans la mesure où les OGM seront une part nécessaire de
l’alimentation du futur proche, il est légitime d’examiner les précautions nécessaires pour
réduire le risque allergénique, avant de s’intéresser aux bénéfices attendus d’OGM dans la
prévention ou le traitement d’affections allergiques. »235 Le Professeur rappelle alors les
questions qu’il est nécessaire de se poser pour un aliment issu de la transgenèse végétale :
« la provenance du transgène (est-il un allergène mineur ?) » ; « la modification du
métabolisme de cette protéine dans le végétal-hôte ne peut-elle conduire à l’expression
d’une quantité importante d’un allergène mineur (observé dans le cas de l’expression de
l’albumine 2S de la noix du Brésil dans le soja ? ) » ; « sa présence peut-elle modifier
l’allergénicité des protéines de la plante-hôte ? » ; « si l’origine du gène est une plante sans
potentialité allergénique connue, présente-t-elle une réactivité croisée avec les allergènes
connus (peut-elle se lier à des IgE spécifiques d’un allergène) ? » ; « dans les deux
éventualités, est-elle douée d’immunogénicité (risque de sensibilisation de novo) ? »
Afin de parfaire les protocoles de recherche mis en place par la FAO et l’OMS, elle
rappelle la nécessité de compléter les 3 étapes par l’utilisation de modèles animaux.
Concernant maintenant la mise de PGM sur le marché, il est nécessaire de recommander aux
industriels la « transparence quant à la quantité présente de protéine transgénique, afin de

235
D. A Monneret –Vautrin, « Risques et bénéfices de la transgenèse vis-à-vis de l’allergie », Colloque
Afssa : OGM et alimentation : peut-on évaluer les bénéfices pour la santé ?, 2002.

106
calculer la quantité consommable usuellement. » Quant aux études d’immunogénicité sur les
modèles animaux, elles « devront s’adresser non seulement à la protéine transgénique
isolée, mais encore à l’organisme génétiquement modifié dans sa totalité. » ; « Il faudra
également veiller à ce que des protéines transgéniques dévolues à des aliments pour bétail,
ne soient pas frauduleusement utilisées pour l’alimentation humaine ». Enfin, « le dépistage
d’IgE spécifiques aux protéines transgéniques devrait utiliser non seulement la protéine
recombinante (isolée de l’espèce vectrice), mais également la protéine isolée de l’aliment
transgénique ». Pour toutes ces raisons, la mise en place d’un réseau d’immuno-vigilance
semble justifié.
Comme on le voit, les PGM font l’objet d’un plus grand nombre de précautions que
les plantes issues de la sélection classique et on ne pourra que s’en féliciter ; en effet, les
allergies alimentaires ont existé avant les PGM et il ne semble pas que l’on ait mis en place
de tels protocoles de surveillance. Quand on sait en plus, que la transgenèse végétale peut
se trouver à l’origine de plantes hypoallergéniques236 ou encore d’alicaments dont l’objectif
serait de servir de vaccin contre tout risque d’allergie237, il apparaît alors clairement que la
proposition « transgenèse végétale = risque d’allergie garanti» est une vue de l’esprit, ce qui
ne veut nullement dire que la technologie ne doit pas faire l’objet d’une surveillance
particulière.
Si l’on considère maintenant cette controverse à la lumière du « principe
d’équivalence en substance », il apparaît clairement que deux tendances s’opposent : ceux
qui font du risque d’allergénicité des PGM, un risque techniquement maîtrisable et qui
n’entraîne pas la mise sur le marché d’un facteur de danger incontrôlable. De ce point de
vue, on constate que les industriels et les institutions travaillent ensemble pour mettre en
place des processus de validation. Il est clair que pour ces derniers, les risques d’allergie
propres aux PGM ne remettent pas en cause le principe d’équivalence en substance. Malgré
la mise en place d’un réseau de surveillance particulier, ce risque n’est pas considéré comme
incontrôlable ni comme un défaut per se des PGM, qui vaudrait comme une marque de
différence les distingant des plantes classiques. En bref, une PGM n’est pas une source

236
« Une direction explorée est la création, par mutagénèse dirigée, de variétés d’arachide
hypoallergéniques, exprimant une forme modifiée de deux allergènes majeurs Ara h 2 et Ara h 3, à
faible pouvoir de liaison aux IgE spécifiques. » Ibid., p.5.
237
« L’insertion d’épitopes T vaccinants d’allergènes majeurs, l’insertion de peptides cytokiniques ou
de molécules adjuvantes orientant la réponse immunitaire vers une activité Th1 préférentielle ou
immunorégulateurs comme TGF-beta, sont encore une vue de l’esprit, mais de telles recherches
contribueraient grandement à une acceptabilité des OGM par les populations. » Ibid., p.6.

107
d’allergénicité plus importante qu’une plante classique nouvellement introduite sur le
marché.
A contrario, certains experts affirment que le risque d’allergénicité des PGM est plus
élevé ; ce faisant, ils considèrent qu’il y a une différence entre le risque soulevé par une
plante issue de la sélection classique et une PGM. On peut donc considérer qu’ils posent de
manière implicite une « différence absolue » (opposée à relative) entre les PGM et les
plantes issues de la sélection classique ; le risque d’allergénicité est mis en avant comme une
spécificité propre aux PGM ; il est un caractère propre qui définit l’existence des « PGM » et
sert de preuve pour une réfutation implicite du principe d’équivalence en substance.
Or comme on l’a vu, la critique du manque de certitude apportée par certains tests et
l’accusation de non application de ces protocoles de surveillance servent plus facilement
d’argument à la controverse que les accidents réels à la suite d’une mise inconsidérée des
PGM sur le marché. Il semble bien que dans cette réflexion sur l’allergénicité potentielle des
PGM, certains scientifiques se soient laissés emporter en utilisant les risques d’allergie pour
faire des PGM une exception. Autrement dit, on serait passé de l’affirmation « Les PGM
peuvent être des allergènes et comme tous nouveaux types d’aliments, ils nécessitent une
surveillance particulière qui prenne en compte la spécificité des risques qui leur sont
propres» à l’affirmation, « les PGM sont des sources d’allergènes plus virulentes que les
autres, dont on ne peut prévenir les risques d’une manière certaine du fait de la spécificité
de la plante». Comment passe-t-on de la première assertion à la seconde ? D’après nous,
seul le présupposé d’une « différence absolue » de la nature des PGM permet un tel écart.
Or cet argument est-il le résultat d’une observation ou est-il un présupposé ? Là réside le
problème de la controverse entre les experts. Car rien ne permet de prétendre que les PGM
sont plus allergéniques que les autres plantes (même si on prend en compte un facteur tel
que l’expression du transgène dans la plante qui peut, lui, être envisagé comme une
spécificité) : comme on a pu le constater, elles sont plus surveillées et lorsque l’on émet un
tel raisonnement, on confond l’objet de la démonstration (le danger) et les outils de la
démonstration (les protocoles de détection du risque potentiel).
Une chose enfin est certaine : c’est que la possibilité de créer des aliments
hypoallergéniques vaut comme preuve que l’allergénicité ne peut définitivement être
considérée comme un attribut nécessairement attaché à la définition du terme « plante
génétiquement modifiée ». Or là réside le problème, car au beau milieu du bruit qu’a suscité
cette controverse entre les scientifiques, c’est sans doute une des principales contrevérités
que certains scientifiques et certaines ONG anti-PGM ont mis en avant dans les médias, ce
qui n’est sans doute pas resté sans effet.

108
3.1.3 Le risque de transfert d’un transgène à l’organisme

Comme on vient de le voir dans le cas de l’étude précédente, on constate l’existence


de 2 camps bien distincts d’experts : ceux qui considèrent que le risque potentiel des PGM
est détectable et maîtrisable et ceux qui considèrent qu’il s’agit d’une source de danger
spécifique aux PGM impossible à maîtriser. Dans les 2 cas, l’existence du risque est admise,
cependant l’interprétation de celui-ci diffère. Pour les promoteurs de la transgenèse végétale,
l’allergénicité des PGM confirme leur équivalence en substance (les PGM ne sont ni plus, ni
moins des sources d’allergie à surveiller que les autres plantes) pour les experts anti-PGM, le
risque d’allergénicité est une spécificité des PGM qui en fait des plantes absolument
différentes. Que démontrent les faits ? Il semble que jusqu’à présent les PGM mises sur le
marché ne se soient pas révélées des sources d’allergies plus importantes que les aliments
issus de la sélection classique. On peut donc en déduire que la controverse qui oppose les
experts sur l’allergénicité des PGM a pour origine une interprétation différente du principe
d’équivalence en substance en ce sens que l’estimation des risques diffère en fonction de la
valeur que l’on prête à celui-ci. Qu’en est-il maintenant du risque de transfert horizontal des
transgènes à l’organisme ? Comme on va le voir ce risque a également donné lieu à une
controverse. Le transfert horizontal des gènes vers les bactéries de l’organisme receveur est,
tout comme le risque d’allergie, un risque potentiel qui a été soulevé à la suite de
l’introduction de PGM sur le marché. Dans ce cas également ce qui est en jeu, c’est
l’estimation des risques liés à la nature spécifique des PGM. On rejoint alors l’hypothèse de la
transmission de nouveaux gènes et ce, du fait de la structure particulière et inhabituelle des
PGM.
Ainsi dans le rapport conjoint de la FAO et de l’OMS sur la salubrité des aliments
génétiquement modifiés d’origine végétale, les auteurs rappellent que tous les aliments
contiennent de l’ADN et que l’apport en ADN et ARN dans l’alimentation quotidienne varie
entre 0,1 et 1,0 g par jour (Doerfler et Schubbert 1997), aussi : « Toutes les inquiétudes
touchant la présence d’un nouvel ADN dans un aliment génétiquement modifié consommé
par l’homme doivent tenir compte du fait que cet ADN représenterait moins de 1/250000 de
la quantité totale d’ADN ingéré. Au vu de ce pourcentage de la digestibilité de l’ADN
alimentaire, la probabilité d’un transfert de gènes entre des plantes génétiquement modifiées
et des cellules de mammifères est extrêmement faible. Il est néanmoins nécessaire

109
d’examiner cette éventualité, ainsi que les conséquences d’un transfert au cas où il se
produirait.»238
De même que l’allergénicité, le risque de transfert est reconnu par l’ensemble de la
communauté scientifique. Aussi le problème qui consiste à déterminer la probabilité du
transfert horizontal d’un gène d’une espèce vers une autre a donné lieu à de nombreuses
études ainsi qu’à quelques controverses célèbres telles que, comme on va le voir, celles du
transfert potentiel d’un gène de résistance aux antibiotique. Mais avant de passer à l’étude
de cet épisode de l’histoire de la transgenèse végétale, revenons en détail sur la
problématique du risque de transfert horizontal, ce problème qui existait déjà auparavant
semble avoir pris un tout nouvel éclairage avec la mise sur le marché des PGM.

3.1.3.1 Les principes du transfert horizontal


Comme le rappellent les auteurs du rapport précédemment cité, pour qu’il y ait un transfert
d’ADN végétal dans des cellules microbiennes ou des cellules de mammifères dans des
conditions normales d’exposition alimentaire, les événements suivants seraient nécessaires :
« Libération de l’ADN concerné probablement sous forme de fragments linéaires ; résistance
aux nucléases se trouvant dans la plante et dans le tractus gastro-intestinal; compétition
avec l’ADN alimentaire en vue de l’assimilation; résistance aux enzymes de restriction des
bactéries ou des cellules de mammifères receveuses compétentes pour la transformation;
insertion dans l’ADN hôte par des événements de réparation ou de recombinaison rares. »239
Les auteurs ajoutent que de nombreuses expériences ont été menées pour tenter d’estimer
la probabilité de ce genre de transfert : « Actuellement, aucune ne fait état d’un transfert de
gènes marqueurs. »
Cependant les expériences de Schubbert et al. sur des souris qui auraient reçue de
fortes doses d’ADN d’origine « semblent indiquer que des fragments de l’ADN testé seraient
incorporés à des cellules bactériennes et murines ». Les études de Beever et Kemp (2000)
auraient remis en question les précédents travaux en n’observant « qu’une fréquence de
transfert nulle ou faible. » Ce qui permet aux auteurs d’affirmer que « les données existantes
montrent que l’ADN végétal ne peut pas être transféré et maintenu stable dans les cellules
de mammifères et aucun élément n’indique que des gènes végétaux intacts peuvent y être

238
ONU pour l’Alimentation et l’Agriculture Organisation mondiale de la Santé, « Aspects de la
salubrité des aliments génétiquement modifiés d’origine végétale », Rapport d’une consultation
conjointe d’experts FAO/OMS sur les aliments produits par biotechnologie, Genève, Suisse, 29 mai – 2
juin 2000, p.12.
239
Ibid.

110
transférés et exprimés. » On notera encore que « la grande majorité des bactéries connues
240
ne sont pas transformables naturellement »
Quel serait le risque encouru au cas d’un transfert horizontal ? Les auteurs affirment
que le « gène peut modifier l’adaptation de la cellule receveuse à son environnement. Une
diminution de cette adaptation risque de ne pas assurer une pression de sélection suffisante
pour éliminer le gène ou fragment de gène du fonds génétique. L’ADN présent dans la
population cellulaire pourrait alors servir de réserve génétique pour l’évolution de l’espèce
receveuse. »
Davantage d’études sont nécessaires afin de mieux évaluer « l’éventualité, la probabilité
ou les conséquences de leur acquisition de gènes ou fragments de gènes » sur certaines
bactéries. Des études doivent être menées afin de mieux connaître la phagocytose des
cellules contenant de l’ADN exogène, ainsi que son niveau éventuel de stabilité et de
réplication dans les cellules somatiques. Les experts missionnés par la FAO et l’OMS en
concluent donc que : « Le principal problème à examiner avec le transfert horizontal de
gènes est la conséquence du transfert d’un gène à partir d’une plante génétiquement
modifiée et de son expression dans les cellules receveuses. Il est donc nécessaire d’obtenir
des données sur l’ampleur possible d’un tel transfert, données que l’on pourra employer pour
évaluer la salubrité dans le cas où la nature du ou des gènes en question ferait naître des
inquiétudes quant à la santé si le transfert devait se produire.
Qu’en est-il réellement de ce risque ? Dans un article issu du dossier édité par l’INRA,
Yvonne Duval-Iflah s’interroge sur les risques causés par la consommation de produits frais
contenant des bactéries transgéniques, elle distingue alors trois possibilités.
Tout d’abord, la transformation : « procédé par lequel des segments d’ADN libres
passent dans des cellules bactériennes compétentes. Cet ADN s’insère dans le chromosome
de la cellule réceptrice pour être exprimé. Ce mode de transfert concerne essentiellement les
bactéries du sol. »241 Le Deuxième processus consiste en la conjugaison entre une bactérie
mâle et une bactérie femelle. Le transfert de plasmide est lui aussi appelé conjugaison, les
plasmides, même s’ils ne sont pas considérés comme des bactéries essentielles, peuvent
jouer un rôle important en conférant un avantage aux bactéries qui les hébergent
particulièrement dans certains milieux hostiles (exemple des gènes des résistance aux
antibiotiques). La transposition consiste dans le déplacement des transposons, éléments
mobiles capables de passer du chromosome vers le plasmide et du plasmide vers le

240
Ibid., p.13.
241
Yvonne Duval-Iflah, « Y a-t-il des risques liés à la consommation de produits frais contenant des
bactéries transgéniques ? » in Dossier INRA sur les OGM, OGM et alimentation ,
http://www.inra.fr/index.html, Mai 1998, p.72

111
chromosome au sein de la même bactérie : « Ils sont responsables de multiples
réarrangements du matériel génétique chez la bactérie qui les héberge et chez les bactéries
qui les reçoivent lors de transpositions conjugatives. »242 Enfin, la transduction est « le
transfert de matériel génétique d’une bactérie à une autre par l’intermédiaire des
bactériophages. » Les bactériophages sont capables de modifier le matériel génétique, qu’ils
infectent.
Pour ce qui concerne le transfert possible de matériel génétique au sein de la flore
microbienne, l’auteur évoque deux possibilités : « les échanges génétiques spontanés dans
la flore d’un individu », ou « les transferts par les bactéries vivantes ingérées. » Etant donné
le nombre important de bactéries qui colonisent l’intestin et le fait que « la plupart des
bactéries qui colonisent le tube digestif sont porteuses de plasmides, de bactériophages et
de transposons », on peut s’attendre à ce que les échanges bactériens soient nombreux :
« le tube digestif semble être un des microcosmes les plus favorables pour le transfert des
gènes par conjugaison et transposition.»
Afin de vérifier si une transposition peut avoir lieu, on a expérimenté sur un modèle de
souris à flore humaine maintenue dans des conditions de confinement absolues. On a pu
démontrer que la flore était restée stable et qu’aucune bactérie n’avait acquis la résistance
aux antibiotiques. Après trois années d’observation à l’UEPSD (unité d’écologie et de
physiologie des systèmes digestifs) « la flore est restée très stable puisque aucune bactérie
ayant acquis la résistance aux antibiotiques portée par les transposons conjugatifs n’est
apparue. » On évoque alors deux possibilités : Les transferts ont lieu en dehors du tube
digestif, ou ils ont lieu, mais à basse fréquence. On a procédé à une autre expérience avec
des animaux à flore simplifiée : « des souris sans germe ont été associées avec une souche
donatrice contenant un plasmide conjugatif et avec une souche réceptrice. » Dans ces
conditions seulement, « on démontre que les transferts génétiques ont bien lieu dans le tube
digestif et que les souches qui résultent de ces transferts, et qu'on appelle des
transconjugants, sont capables de se multiplier et de coloniser le tube digestif.»243
Il paraît donc légitime de s’interroger sur la possibilité éventuelle qu’une bactérie vivante
ingérée soit capable de laisser un message génétique dans la flore autochtone. Pour
répondre à cette question, on a de nouveau eu recours à un modèle de souris à flore
humaine. Aussi, on a pu montrer que « les plasmides contenus dans la souche en transit se
sont transférés vers des souches réceptrices présentes dans la flore autochtone. Les
transconjugants qui sont isolés sont à très faible niveau, et sont incapables de s'implanter

242
Ibid.
243
Yvonne Duval-Iflah, Ibid.,

112
sauf quand la souris reçoit un antibiotique correspondant à la résistance conférée par le
plasmide. Après antibiothérapie, les transconjugants deviennent un constituant permanent
de la flore autochtone. » On en déduit donc que les transconjugants peuvent être transférés
lors d’une antibiothérapie : « leur émergence en flore dominante n’est rendue possible que
sous la pression sélective des antibiotiques qui leur confèrent un avantage écologique. Ces
transconjugants deviennent à leur tour des souches donatrices plus adaptées à l'écosystème
digestif et sont responsables de la dissémination de gènes de résistance. C'est ce processus
qui est à l'origine des réservoirs de souches dispensatrices de gènes de résistances multiples
aux antibiotiques au sein des flores digestives de l'homme et de l'animal. »
Qu’en est-il maintenant des PGM ? Yvonne Duval-Iflah rappelle que les plasmides ou les
bactériophages auxquels on a recours dans le cadre de réalisation de constructions
transgéniques sont des « plasmides non autotransférables et non mobilisables et des
bactériophages qui ont perdu tout pouvoir infectieux. » Il est cependant nécessaire d’étudier
si les bactéries de la flore digestive ne sont pas capables de « mettre en oeuvre toute une
extraordinaire «machinerie» pour promouvoir la mobilité de gènes recombinés portés sur des
éléments non autotransférables ou insérés sur le chromosome.»
Des expériences in vitro ont pu mettre en évidence l’existence de bactéries capables de
promouvoir le transfert de plasmides utilisés pour les constructions génétiques, cependant,
cette démonstration n’a pu être réalisée in vivo ; la biologiste de l’INRA soutient que « Nos
travaux permettent d'affirmer que la dissémination de gènes recombinés dans la flore
digestive est un phénomène rare sinon inexistant. » Elle ajoute cependant que « le risque
zéro est difficile à énoncer car on ne peut pas exclure la probabilité de voir surgir les
conditions favorables à l’émergence de souches ayant acquis un gène recombiné.»

Comme on le constate, le risque d’un transfert du matériel génétique est à prendre au


sérieux, même si il semble que la probabilité soit extrêmement faible et surtout très difficile à
démontrer. Ces remarques sont confirmées par un avis de la société américaine de
toxicologie datant de 2002 qui affirme que, malgré le manque de connaissances au sujet du
devenir de l’ADN dans le système digestif des mammifères, on peut dire que les risques issus
d’une quantité croissante de matériel transgénique dans l’alimentation ou d’une toxicité
directe, restent relativement faible244.

244
« Although much remains to be learned about the fate of dietary DNA in mammalian systems
(Doerfler, 2000), the possibility of adverse effects arising from the presence of transgenic DNA in
foods either by direct toxicity or gene transfer is minimal (FAO/WHO, 2000; Royal Society, 2002). »
Society of technology, Position paper, 25 septembre 2002, p.5

113
De même, les vérifications menées sur les animaux qui ont été nourris avec des
aliments à base de PGM semblent ne pas avoir pu démontrer l’existence de transfert de
matériel génétique. Ainsi, dans un article issu du journal Feed Mix, les experts en nutrition
animale Donald Mac Kenzie et Morven Mc Lean passent en revue les études comparatives
qui ont été menées sur les populations animales nourries à base de PGM et d’aliments
classiques245. Or d’après ces auteurs, parmi les nombreuses études qui ont été réalisées on
n’a pas pu découvrir de différences significatives dans les compositions nutritionnelles ou
dans les performances animales246. La question qui se pose alors est celle des possibles
effets indirects tels que « Est-ce que l’ADN des gènes insérés ou modifiés ou les produits des
protéines, pourraient être transférés et accumulés dans les aliments tels que le lait, la viande
ou les œufs des animaux nourris à base de PGM ; et est-ce que la consommation de produits
animaux issu de bétail nourris avec des PGM peut se trouver à l’origine d’effets néfastes pour
la santé humaine ? »247 Il a été estimé que la quantité moyenne d’ADN ingérée dans la
plupart des plantes est moins de 0,02% avec des valeurs de 0,005% pour certaines
plantes248. Pour une vache laitière de 600 kg, on estime que la quantité quotidienne d’ADN
ingérée est de 608mg par jour ; on a calculé que pour une alimentation à base de maïs Bt,
l’ADN génétiquement modifié représenterait 0,00042 % de la dose quotidienne d’ADN
(Beever & Kemp 2000). Partant de ce principe, les auteurs estiment qu’il existe un risque
négligeable d’exposition de l’ADN génétiquement modifié introduit dans les plantes, comparé
à l’ADN non-modifié249. Aussi, l’ADN génétiquement modifié suit le même processus
d’assimilation que l’ADN classique et est dégradé sous forme de nucléotides comme l’ont
montré de nombreuses études sur les vaches (Klotz & Einspanier, 1998) les poulets
(Einspanier & al., 2001) et les cochons (Weber & Richert, 2001) nourris à base de maïs Bt et
de soja RR. Des études in vitro ainsi que des recherches sur les aliments issus d’animaux

245
Donald MacKenzie and Morven McLean, « Who’s afraid of GM feed », Feed Mix , Volume 10 Number
3 , 2002 in www.AgriWorld.nl
246
« Comparisons of nutritional composition and wholesomeness between animal feeds containing
transgenic and non-transgenic components have been the subject of numerous studies using insect-
resistant maize and cottonseed, or herbicide tolerant soybean. These studies, which have been carried
out with beef and dairy cattle; broiler and layer chickens; swine; sheep; and catfish have consistently
demonstrated no significant differences in nutritional composition or animal performance due to
consumption of the novel feed compared to conventional counterparts. »Ibid., p.18.
247
« Could the DNA of inserted or modified genes, or their protein products, be transferred to and
accumulate in the food products (milk, meat, eggs) of animals fed feeds derived from GM crops; and
will the consumption of animal products derived from livestock fed GM feeds lead to adverse health
effects in humans » Ibid.
248
« Although it is difficult to provide realistic estimates of DNA intake for typical livestock diets, it has
been estimated that the DNA content of most food crops is less than 0.02% (wt/wt dry matter), with
values of 0.005% reported for some crops (Watson & Thompson, 1988).»Ibid., p.19.
249
« On this basis, there is a negligible exposure to introduced DNA of GM crop material compared to
the normal exposure to non-GM DNA. »Ibid.

114
nourris à base de PGM n’ont pas permis de détecter la présence de protéines issues des
PGM. Ces éléments permettent aux auteurs de conclure que concernant les PGM qui servent
de base pour l’alimentation animale, on n’a aucune preuve de composition nutritionnelle
altérée, d’effets néfastes, ou d’occurrence d’ADN ou de protéines transgénique dans les
aliments d’origine animale250.
A la suite des informations que nous avons pu réunir jusqu’à présent, il semble bien
que le risque du transfert horizontal des gènes, quoique reconnu, soit estimé comme
négligeable, étant donné la très faible proportionnalité de sa survenue ; pourtant certains
auteurs contestent ces résultats et font du transfert horizontal l’un des principaux risques
potentiels des PGM. C’est le cas par exemple du professeur Mae Wan Ho, célèbre pour ses
prises de positions anti-PGM251. D’après la biologiste de l’Open University, le transfert
horizontal est un moyen encore plus insidieux et incontrôlable pour le transgène de se
disséminer. Ce procédé, qui serait en fait ni plus ni moins qu’une infection, ne reconnaît
aucune barrière des espèces et est inhérent aux technologies de transgenèse actuelle. C’est
l’une des raisons pour laquelle les PGM sont différentes des plantes classiques252. D’après la
biologiste, les plasmides transgéniques sont utilisés pour contourner les systèmes de
restriction de même que pour traverser la barrière des espèces. Aussi, ils sont
potentiellement plus efficaces dans le transfert horizontal des gènes, en dépit du fait qu’ils
soient mutilés253. Il y aurait un nombre croissant d’études pour démontrer que le transfert
horizontal du matériel génétique a lieu entre différentes bactéries, champignons, entre les
champignons et les protozoaires, entre les bactéries et des plantes ou des animaux, entre les
fungi et les plantes et entre les insectes. L’auteur cite une remarque de Stephenson et
Warnes (1996) selon lesquels : « La menace du transfert horizontal des gènes des
organismes recombinés vers les organismes hôtes est très réelle et les mécanismes existent

250
« Protein and DNA contained in foods and feeds, whether obtained from non-GM or GM crops, are
typically degraded upon consumption by the normal digestive processes. For those commercially
available GM crops that are components of livestock feeds, there is no evidence of significantly altered
nutritional composition, deleterious effects, or the occurrence of transgenic DNA or proteins in
subsequent foods of animal origin. » Ibid.
251
Mae-Wan Ho, « Transgenic Transgression of Species integrity and Species Boundaries », texte
trouvé sur le site de l’Ifgene (ces arguments sont développés dans le livre du même auteur :
« Genetic Engineering: Dream or Nightmare - The Brave New World of Bad Science and Big
Business » Gateway Books, 1998
252
« A much more insidious, uncontrollable way for the transgenes (and associated marker genes) to
spread, which is peculiar to GMOs, is by horizontal gene transfer, i.e., by infection. This process
recognizes no species barriers, and is inherent to many current transgenic technologies. It is, to a
large extent, why transgenic organisms are different from those obtained by conventional breeding
methods. » Ibid.
253
« Transgenic plasmids, as mentioned earlier, are designed to overcome these restriction systems
as well as to cross species barriers. So they are potentially much more effective in horizontal gene
transfer, despite the 'crippling'. »Ibid.

115
ici et là (whereby) au moins théoriquement, chaque trait génétiquement modifié peut être
transféré à n’importe quel organisme procaryote et pour beaucoup d’eucaryotes. » Elle
présente un tableau qui montre comment « un gène transféré par un vecteur à n’importe
254
quelle espèce peut atteindre n’importe quelle autre espèce sur terre » et cite le cas d’un
élément génétique mobile nommé « mariner » qui aurait été découvert dans la drosophile et
qui a été retrouvé dans les génomes des primates, y compris humain, où il aurait causé une
maladie de dégénérescence neurologique255. D’après Mae Wan Ho, les transferts horizontaux
de gène ont existé dans l’évolution, ils étaient cependant des événements très rares parmi
les plantes et les animaux cellulaires, aussi, le nombre de ces transferts a dû ou devra
forcément augmenter parce que les vecteurs construits pour le génie génétique sont des
chimères de plusieurs vecteurs désinés pour transgresser l’intégrité des espèces et les
barrières des espèces et par conséquent capables d’infecter plusieurs espèces256. Dans ce
processus, les vecteurs se recombineront avec un large spectre de pathogènes naturels.
D’après Wan Ho, qui affirme avoir passé en revue les 75 expériences portant sur le sujet
parues entre 1993 et 96, ce risque va se concrétiser par une grande prolifération des gènes
de résistance aux antibiotiques, phénomène qui a déjà été observé mais qui va être accru
par l’usage de marqueurs résistants aux antibiotiques dans les vecteurs. A ce risque s’ajoute
celui de l’échange et la recombinaison de gènes de virulence, ce qui se trouve à l’origine de
nouvelles souches virulentes de bactéries et de mycoplasmes257; l’auteur cite alors une série
d’infections et de maladies (choléra, streptococcies, pneumonie, sida…) ; les dangers de
générer des pathogènes par la mobilisation et la recombinaison de vecteurs seraient réels.
Une autre source de risque est que les populations microbiales naturelles forment
une voie naturelle et un réservoir pour le transfert horizontal des gènes. En effet, la
biologiste affirme que la population microbienne des sols où les PGM poussent et des
environnements aquatiques où les poissons transgéniques sont élevés dans des milieux

254
« you will realize how a gene transferred to any species in a vector can reach every other species
on earth… », Ibid.
255
« The threat of horizontal gene transfer from recombinant organisms to indigenous ones is ... very
real and mechanisms exist whereby, at least theoretically, any genetically engineered trait can be
transferred to any prokaryotic organism and many eukaryotic ones (...)Earlier this year, a mobile
genetic element, called mariner, first discovered in Drosophila, was found to have jumped into the
genomes of primates including humans, where it causes a neurological wasting disease (P. Cohen,
1996). Earlier this year, a mobile genetic element, called mariner, first discovered in Drosophila, was
found to have jumped into the genomes of primates including humans, where it causes a neurological
wasting disease (P. Cohen, 1996). »Ibid.
256
However, the scope of horizontal gene transfer may have, or will be, increased because the vectors
constructed for genetic engineering are chimaeras of many different vectors designed to transgress
species integrity and species barriers, and therefore capable of infect many species. »Ibid.
257
« As pathogens become antibiotic resistant they also exchange and recombine virulence genes by
horizontal gene transfer, thereby generating new virulent strains of bacteria and mycoplasm. »Ibid.

116
idéaux pour favoriser la dissémination des vecteurs contenant les transgènes258. Ainsi, cette
route ne peut être ignorée étant donné que les transferts de transgènes et de marqueurs
auraient été démontrés entre une pomme de terre transgénique et une bactérie pathogène
par exemple (Schluter et al., 1995) et entre une plante transgénique et des champignons du
sol (Hoffman et al., 1994). L’auteur précise cependant que l’on possède très peu de données
sur la fréquence de ce genre de transfert et sur la stabilité du matériel transféré, étant
donné le peu de recherches qui auraient été entreprises sur le sujet. Un autre risque serait
que les transgènes de résistance virale pourraient générer les virus vivants par
recombinaison. Ainsi, les plantes qui sont génétiquement modifiées afin de résister aux
maladies virales avec les gènes d’enveloppes de protéines virales peuvent générer de
nouvelles maladies par le biais de plusieurs processus259 qui sont: la transcapsidation, la
recombinaison et la complémentation.
Un dernier risque enfin est que les vecteurs résistent à la dissolution dans le système
digestif et infectent les cellules des mammifères. Cette question d’après la biologiste de
l’Open University n’aurait pas encore été étudiée. On a longtemps admis que notre système
digestif était rempli d’enzymes capables de digérer l’ADN, cependant les gènes transportés
par les vecteurs peuvent être spécialement résistants à l’action des enzymes et beaucoup
plus infectieux que les morceaux classiques d’ADN. L’auteur fait référence aux travaux de
Schubbert et al. ; en plus de cela il est nécessaire de signaler que les gènes transportés par
les vecteurs peuvent subsister très longtemps dans l’environnement.
Comme on peut le constater, cette compilation de risques concernant le transfert de
matériel génétique issu de PGM est bien différente des articles que nous avions eu l’occasion
d’étudier. Pour Mae Wan Ho, il est clair que l’on a dépassé le cadre du risque potentiel pour
passer dans celui du danger avéré. D’après l’auteur, les PGM ne peuvent qu’accroître
l’existence d’un phénomène qui existe déjà dans la nature. Alors que la plupart des experts
favorables aux PGM admettent le risque de transfert mais le considèrent comme quasiment
nul, elle en fait un véritable danger. De même que les PGM étaient à l’origine d’un risque
d’allergie plus important, elles deviennent une plus grande source de transfert horizontal du
matériel génétique.

258
« An obvious route for the vectors containing transgenes in transgenic higher plants and animals
as well as microorganisms to spread is via the teeming microbial populations in the soil, where
transgenic plants are grown, and in aquatic environments, where transgenic fish and shellfish are
currently being developed for marketing. » Mae-Wan Ho, Ibid.
259
« Molecular geneticists have expressed concerns that transgenic crops engineered to be resistant
to viral diseases with genes for viral coat proteins might generate new diseases by several known
processes. » Ibid.

117
Une fois encore, on observe combien la probabilité avec laquelle s’exprime le risque
autorise les interprétations scientifiques différentes. Pour Wan Ho, il semble évident que le
transfert horizontal du matériel génétique est une spécificité des PGM ; de par leur nature
ces dernières ne peuvent que contribuer à accroître ce risque. Dans ce cas, le principe
d’équivalence en substance est rejeté, et c’est le principe de « différence absolue » qui prend
sa place. En effet ne doit-on pas supposer que la biologiste pose ce principe pour faire
pencher l’interprétation des résultats des études réalisées sur le sujet du côté de l’existence
d’un danger réel ? Or ce faisant, elle franchit un pas que ne franchissent pas ceux qui
admettent l’existence du risque et tentent d’en évaluer les probabilités. On constate donc
que face à cette situation qui ne permet ni d’affirmer le danger, ni de clamer son absence,
les prises de positions diverses sont motivées par une conception a priori de la nature des
PGM et des qualités qui lui sont attachées. Mais passons à l’étude d’une controverse qui
découle directement de cette problématique : le risque de transfert de gènes de résistances
aux antibiotiques.

3.1.3.2 Le cas des gènes de résistance aux antibiotiques


Dans le cadre du risque de transfert potentiel d’un transgène, la problématique
soulevée par l’usage des antibiotiques comme marqueurs est sans doute l’une des
controverses scientifiques qui a fait couler le plus d’encre et ce, des deux côtés de
l’Atlantique. En effet, si la controverse semble avoir été lancée en Europe à la suite d’un
article signé de Patrice Courvalin260, aux Etats-Unis, comme le rappelle Richard Caplan,
avocat des associations de consommateur américaines vouées à la cause des PGM, le débat
a également lieu, même s’il n’a pas servi comme en Europe à l’établissement d’un
moratoire261. Aussi, rares sont les articles des protagonistes anti-PGM qui n’abordent pas le
thème des gènes marqueurs résistants aux antibiotiques.
Il faut dire que le thème regroupe deux sujets d’inquiétudes : d’une part l’émergence
de bactéries pathogènes résistantes aux antibiotiques et d’autre part, le transfert potentiel
de transgènes. C’est ainsi, par exemple, que l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des
Aliments formule le problème dans un rapport paru en janvier 2002 : « Les gènes de
résistance aux antibiotiques introduits dans le génome d'une plante transgénique sont-ils
susceptibles, dans différentes situations écologiques, de retourner vers des bactéries et

260
Patrice Courvalin, « Plantes transgéniques et résistance aux antibiotiques », La Recherche , n°309 -
05/1998
261
Richard Caplan, « Antibiotic Resistance and Genetically Engineered » Plants,June 2002

118
conduire à une extension des résistances aux antibiotiques susceptibles d'avoir des effets
préjudiciables sur la santé humaine ? »262 Comment ce problème est-il devenu l’une des
sources principales d’inquiétude concernant le sujet des PGM et ce, pas seulement au niveau
des experts, mais également au niveau du grand public, c’est ce que nous souhaitons
désormais étudier.

De l’usage des gènes marqueurs résistants aux antibiotiques pour la production de PGM.
Que l’on transfert le gène via l’utilisation d’agrobactéries, des méthodes de transformation
des protoplastes ou de la biolistique, une fois le transgène introduit dans la cellule cible, il
est nécessaire de pouvoir le sélectionner ; d’où le recours aux gènes marqueurs résistants
aux antibiotiques : « l’obtention de plantes transformées par Agrobacterium nécessite deux
étapes. Il faut pouvoir d’abord sélectionner les cellules où le transfert de l’ADN-t s’est
produit, puis régénérer des plantes complètes à partir de ces cellules. La sélection est
réalisée en adjoignant au gène d’intérêt soit un gène de résistance à un antibiotique soit un
gène de résistance à un herbicide. Les plus classiquement utilisés sont des gènes conférant
la résistance à la kanamycine ou à l’hygromycine d’une part, au glufosinate d’autre part. Ces
substances agissent sur les cellules végétales cultivées in vitro, et seules les cellules
transformées avec ces gènes seront susceptibles de se multiplier en leur présence. Ce gène
de sélection peut être placé sur le même ADN-t que le ou les gènes d’intérêt et sera de ce
fait indissociable, dans la plante transformée, du gène responsable du caractère conféré. »263
On notera qu’en jouant sur les endroits de l’insertion, on peut faire que « La plante obtenue
donnera en descendance des individus porteurs du seul gène d’intérêt après ségrégation des
caractères à la méiose.» Comment réalise-t-on cette opération ? Dans le cadre d’une
transformation in vitro par Agrobacterium Tumefaciens, un protocole a été mis au point par
Horsch et al. (1985) désigné depuis comme méthode « leaf disk » : On prépare en
conditions aseptiques des disques de feuilles avec un emporte-pièce et on les immerge
pendant quelques minutes dans la suspension des bactéries porteuses de l’ADN-t modifié
dans le plasmide Ti ou dans un plasmide binaire. On met ensuite les sections de feuilles en
culture dans une boîte de Petri et un milieu culture contenant des substances de croissances.
« Après cette phase, les tissus sont repiqués sur un milieu inducteur de bourgeons (rapport
cytokine/auxine élevé dans ce cas) auquel sont ajoutés un antibiotique pour tuer les
bactéries qui se sont multipliées, et l’agent de sélection, antibiotique ou herbicide, qui

262
AFSSA, « Evaluation des risques relatifs à la consommation de produits alimentaires composés ou
issus d'organismes génétiquement modifiés » Janvier 2002
263
Georges Pelletier et Evelyne Téoulé, « La transgenèse dans le règne végétal : le point sur les
plantes d’intérêt agronomique », in, Biotechnologies, 5ème édition, éditions Tec & Doc, p.572.

119
permet de sélectionner les cellules transformées qui en principe seront les seules à pouvoir
régénérer des tiges.»264 Ainsi les cellules transformées qui contiennent le transgène et le
gène de résistance aux antibiotiques auront un avantage sur un milieu contenant des
antibiotiques. Tous les experts s’accordent généralement à reconnaître l’efficacité de cette
méthode, même si celle-ci va être remplacée par de nouvelles technologies et ce, à la suite
d’une controverse qui a opposé les scientifiques entre eux.

Naissance de la controverse
C’est avec un article paru en 1998 dans la rubrique bactériologie de la Recherche que Patrice
Courvalin a mis le feu aux poudres en signalant les risques du recours aux antibiotiques dans
la transgenèse végétale. Le responsable du Centre national de référence sur les mécanismes
de résistance aux antibiotiques et de l'Unité des agents antibactériens de l'Institut Pasteur
qui étudie depuis un certain temps l’émergence des nouveaux mécanismes de résistances
aux antibiotiques265 trouve ici un nouveau terrain de développement d’un problème de santé
publique : « Alors même que les bactéries développent une résistance de plus en plus
efficace à tous les antibiotiques, l'introduction à grande échelle de plantes transgéniques
risque-t-elle de leur faciliter la tâche(…) Ce risque a été bien légèrement évacué par les
experts. Il est d'autant plus sérieux que, parallèlement, on favorise la résistance des
bactéries pathogènes en utilisant largement les antibiotiques dans l'alimentation des animaux
d'élevage. Avant de répandre des OGM dans l'environnement, il serait opportun d'effectuer
266
des « constructions génétiques » qui n'utilisent pas ces gènes de résistance. » On le voit,
cette entrée en matière invite à prendre le problème au sérieux ; aussi, en incriminant
certains experts qui n’auraient pas adopté cette attitude responsable, l’auteur s’inscrit
directement sur le terrain de la controverse. D’après P. Courvalin, les gènes de résistance
aux antibiotiques sont un problème car « on ne peut exclure que ces gènes de résistance
aux antibiotiques puissent migrer de la plante transgénique aux bactéries. » L’auteur affirme
que ces gènes subsistent dans la plante sans que l’on en ait besoin et qu’ils sont « des
résidus d'une des étapes de la construction génétique. » qui s’expriment ou non selon le
modèle de construction génétique. Le bactériologue rappelle que les bactéries ont développé
divers mécanismes de résistances dont l’un consiste à synthétiser des enzymes qui inactivent

264
Ibid., p. 573.
265
P. Courvalin et A. Philippon, « Mécanismes biochimiques de la résistance bactérienne aux agents
antibactériens », in L. Le Minor et M. Véron (éds.), Flammarion, 1989. et P. Courvalin et P. Trieu-Cuot,
«Plasmides et transposons de résistance aux antibiotiques », L. Le Minor et M. Véron (éds.),
Flammarion, 1989. in Bactériologie médicale in Bactériologie médicale
266
Patrice Courvalin, « Plantes transgéniques et résistance aux antibiotiques », La Recherche , n°309 -
05/1998

120
les antibiotiques ; aussi, ils ont acquis ces nouvelles « défenses » par le biais du transfert
horizontal de gènes en provenance d’autres bactéries ; ce phénomène a pu se développer
très facilement parce « qu’elles ont développé des systèmes de transfert d'ADN extrêmement
efficaces et à très large spectre d'hôte. »
Concernant les PGM, P. Courvalin affirme que l’on a sélectionné certains de ces gènes
de résistance sans tenir compte des facteurs de risque : « Comme nous allons le montrer,
ces choix, particulièrement malheureux, dénotent une ignorance de l'écologie de la
résistance aux antibiotiques et attestent de connaissances superficielles sur les mécanismes
de résistance et de leur évolution. » Il revient alors sur l’histoire de l’émergence des souches
pathogènes résistantes et cite la pénicillinase, une enzyme produite par certaines souches
apparues dans les années 1940 pour résister à la pénicilline. Or, le gène blatem-1 utilisé par
Novartis dans la production de PGM commande la production de pénicillinase : « Il confère
donc la résistance à l'une des classes d'antibiotiques les plus utilisées en thérapeutique
humaine. On sait que des altérations de ce gène peuvent élargir considérablement le spectre
de résistance que confère l'enzyme dont il dirige la synthèse, et allonger ainsi la liste des
antibiotiques rendus inefficaces. » étant donné que ce gène peut également subir certaines
mutations ponctuelles, « le plus simple événement génétique que l'on puisse concevoir dans
ce gène, et dont la survenue est inéluctable à une fréquence relativement élevée, est
capable de ruiner des dizaines d'années d'effort de l'industrie pharmaceutique et de conférer
une résistance efficace à des antibiotiques particulièrement utilisés en clinique, notamment
lors d'infections graves, et de loin les plus prescrits dans le monde. » A l’hôpital les infections
nosocomiales ont pour principale origine ce gène ; il est présent « chez environ la moitié des
Escherichia coli , bactéries commensales du tube digestif qui, dans certaines conditions,
peuvent provoquer des infections.»
L’auteur signale l’utilisation d’autres gènes de résistance : les gènes aph3’-2 résistant
à la kanamycine, le gène aph3’-3 résistant à l’amikacine, le gène aad3’’9 résistant à la
streptomycine et à la spectinomycine. Certains de ces antibiotiques qui n’étaient plus utilisés
étant donnée leur nocivité pour la santé humaine reviennent parfois à l’usage étant donné la
virulence des maladies qu’ils combattent et les résistances de certaines bactéries.
Tous ces gènes de résistance présents dans les plantes pourraient donc, par transfert
horizontal, « contribuer à la dissémination de la résistance aux antibiotiques chez les
bactéries pathogènes. » Un autre risque étant le transfert aux espèces voisines dans les
champs du transgène et du caractère de résistance par voie sexuée. P.Courvalin ajoute que
« les connaissances sur le transfert d'information génétique entre organismes très éloignés
sur le plan phylogénétique sont récentes et parcellaires ; notre savoir est en pleine

121
évolution. » et ajoute que « les opportunités d'échange de matériel génétique entre
organismes vivants dans la nature sont immenses et que la reconstitution de ces conditions
au laboratoire, et même sur le terrain, peut être plus difficile, voire impossible actuellement.
Ceci souligne la faible prédictibilité des expériences conduites au laboratoire. »267 Selon le
bactériologue, la culture intensive de PGM contenant des gènes de résistance favorise son
évolution et sa dissémination étant donné l’augmentation du « nombre de copies de ce gène
dans la nature. ». Il évoque donc les cas où le transfert pourrait avoir lieu :
- Le premier cas est un transfert aux bactéries commensales présentes dans le tube
digestif des animaux ou de l’homme. Ces bactéries sont en grand nombre et peuvent
être en « état de compétence » pour incorporer, par exemple, un fragment du gène
porteur de résistance blatem-1 ; aussi le tube digestif est un milieu favorable à ce
genre de transfert : « L'étude de l'évolution de la résistance bactérienne aux
antibiotiques au cours des vingt dernières années nous a enseigné qu'étant donné la
taille gigantesque des populations concernées un événement, même extrêmement
rare, peut survenir pour peu que les conditions de sélection adéquates soient
présentes. » Aussi, un facteur tel que l’utilisation d’antibiotique dans l’alimentation
animale ne peut que favoriser ce transfert.
- Le deuxième cas est « le passage aux bactéries du sol d'ADN de plantes
transgéniques en décomposition, et notamment de leurs racines. » La stabilité de
l’ADN dans le sol fait que certaines espèces bactériennes telluriques peuvent
facilement l’incorporer : « Or, ces micro-organismes, tels les Acinetobacter, font
partie des bactéries responsables d'infections chez les malades immunodéprimés qui
représentent une fraction croissante de la société (patients atteints du sida,
présentant une leucémie ou un cancer sous chimiothérapie, ayant subi une
transplantation ou hospitalisés en service de réanimation, personnes âgées). »
- P. Courvalin estime que ces transferts ont de forte chance de se stabiliser étant
donné que les PGM sont des constructions qui comportent de larges régions
flanquantes d’ADN bactérien, ce qui ne peut que favoriser la « recombinaison
homologue entre les séquences flanquant le gène de résistance et l'ADN de la
bactérie réceptrice ; le procédé est d'autant plus efficace que les zones d'homologie
interagissant sont étendues. » ; et l’auteur de commenter « Il s'agit donc de
constructions non seulement ‘inesthétiques’, mais ‘génétiquement incorrectes’ car
résultant d'approches très grossières. »

267
P. Courvalin, Ibid.

122
- Pour ce qui concerne maintenant l’expression du gène de résistance dans la bactérie
hôte, celle-ci dépend en fait du type de résistance : totale et immédiate pour les
gènes de résistance à l’ampicilline, à la streptomycine et à la spectinomycine,
l’expression est plus complexe lorsqu’il s’agit d’un gène de résistance à la
kanamycine, par exemple, celle-ci étant liée à l’existence d’un promoteur bactérien
eucaryote non fonctionnel chez les bactéries.

A la suite de ces 4 facteurs déterminant les risques potentiels, le bactériologue s’interroge :


« Est-il opportun de laisser subsister dans les plantes transgéniques des gènes qui leur sont
inutiles et qui confèrent la résistance à des familles majeures d'antibiotiques ou à des
antibiotiques qui connaissent un regain d'indications ? De laisser des gènes qui font partie de
constructions génétiques bâclées qui accumulent les structures favorables à un retour
éventuel vers les bactéries ? Et ce, alors même que l'on dispose de techniques autorisant des
constructions « génétiquement correctes», parfaitement définies et faisant l'économie de ces
gènes de résistance. » Il s’étonne du fait que l’on n’ait pas eu recours au principe de
précaution ; l’application de ce dernier ayant eu pour conséquence la non autorisation de ces
plantes de premières générations qu’il nomme des constructions incorrectes sur le marché.
Son inquiétude est d’autant plus marquée qu’il n’existe aucun moyen de vérifier la traçabilité.
Enfin, il conclut en rappelant que « depuis plus de vingt ans aucune nouvelle famille
d'antibiotiques n'a été introduite en clinique. »
Cet article du magazine la Recherche sera largement relayé par la presse écrite268 et
fera, avec la polémique qui a suivi, l’objet d’un examen dans un rapport de l’assemblée
nationale269. La problématique n’a pourtant rien de nouveau et avait déjà été soulevée au
sein des institutions américaines avant la mise sur le marché des PGM ; ainsi, comme le
rappelle Richard Caplan, en 1992, la FDA avait discuté le gène de résistance à la kanamycine
en particulier et celui des gènes marqueurs de sélection en général dans une sous-section
d’un rapport sur les « Problèmes scientifiques concernant le domaine de la santé
publique » ; aussi l’agence américaine avait reconnu que le gène de résistance à la
kanamycine ne devait pas servir à d’autres fins utiles en dehors du laboratoire, du fait que le

268
« Les risques sanitaires des aliments transgéniques inquiètent le Parlement », Le Monde , 30 Mai
1998 ; « Des doutes sur la résistance aux antibiotiques », Le Monde, 27 Septembre 1998 ; « Débats
sur l'introduction des plantes transgéniques. Citoyens sans gène face aux specialistes. 14 "candides"
jugent les aliments génétiquement modifiés », Libération, 22 juin 1998 ; « Organismes
génétiquement modifiés : la controverse », Dernière Nouvelles d’Alsace, n° 141 - Mercredi 17 Juin
1998.)
269
Le Déaut (Jean-Yves), Député, Président de l'Office ; Revol (Henry), Vice-Président, L'utilisation
des organismes génétiquement modifiés dans l'agriculture et dans l'alimentation Rapport 545 (97-98),
Tome 1 – Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques.

123
gène de résistance aux antibiotiques pouvait réduire l’effet thérapeutique des antibiotiques
pris oralement, si les enzymes dans les aliments inactivent l’antibiotique ; par conséquent, il
semblait nécessaire d’étudier davantage le problème270. Ceci dit, la FDA a accepté l’utilisation
des gènes de résistance à la kanamycine en 1994 en fondant sa décision, d’après Kaplan, sur
des résultats datant de 1978 démontrant la digestion rapide de l’ADN.

Reprise et poursuite de la controverse


L’article de P. Courvalin initie en France une nouvelle controverse sur les PGM en prenant
position contre des contributions de Axel Kahn271 et de Patrick Berche 272
. Ce dernier,
professeur au service de bactériologie, virologie, parasitologie, hygiène de l’hôpital Necker à
Paris a fait paraître un article dans le Quotidien du médecin un mois plus tôt où tout en
reconnaissant l’existence du risque d’un transfert des plantes vers l’organisme ou vers le sol
il estime que celui-ci est négligeable, étant donné la très faible probabilité de sa survenue.
Selon Berche l’apparition de bactéries multirésistantes est un phénomène inquiétant qui a
essentiellement lieu en milieu hospitalier et dans les élevages d’animaux. Il se réfère aux
publications des experts indépendants de l’O.C.D.E, de l’O.M.S et de l’Union européenne
pour déclarer que les gènes de résistances utilisés dans les PGM sont déjà très largement
répandus dans la nature ; par exemple, le gène bla est porté par une souche de colibacilles
sur deux. On estime l’excrétion quotidienne de 5 à 50 milliards de colibacilles porteurs de
gène bla dans la nature par un individu sur 2. Aussi, aucun travail n’aurait permis de détecter
l’existence d’un transfert horizontal de gènes depuis les végétaux vers les bactéries du sol
parmi les PGM. On a pu cependant estimer en laboratoire la fréquence de ce transfert à
« une bactérie receveuse sur 1015 à 1018 », soit une probabilité quasi-nulle. Si on ajoute à
cela le fait que les gènes de résistances présents par exemple dans le maïs Bt, ne représente
qu’1/40 000ème d'A.D.N., cette donnée diminue encore la probabilité. Enfin, la très faible
pression de la sélection dans les bactéries du sol ou chez l’homme en bonne santé diminue la
chance que cette bactérie résistante a d’être sélectionnée. Ce qui permet à l’auteur de

270
« The agency acknowledged that the kanamycin resistance gene “serves no further useful
purpose” outside of the laboratory and that antibiotic resistance marker genes “may reduce the
therapeutic efficacy of the antibiotic when taken orally if the enzyme in the food inactivates the
antibiotic. » FDA, “Statement of Policy: Foods Derived From New Plant Varieties.” Federal Register.
Vol. 57, No. 104. 29 May 1992 cité par Richard Caplan.
271
A. Kahn, « Pourquoi tant de haine contre ce pauvre maïs ? », Le Monde , 9 décembre 1997 ; A.
Kahn, « Les OGM permettront de nourrir la planète en respectant l'environnement », Les Echos , 18
décembre 1997.
272
P. Berche, « Résistance aux antibiotiques : l'impact des plantes transgéniques paraît anecdotique
», Le Quotidien du Médecin , 18 février 1998.

124
conclure que les marqueurs de résistance aux antibiotiques ne présentent aucun risque
majeur pour la santé.
Deux ans plus tard, la Recherche revient sur la controverse en publiant dans un
dossier spécial intitulé « Qui a peur des PGM »273, la version condensée d’un article de
Francine Casse paru en 1998 dans la revue spécialisée OCL, oléagineux, corps gras, lipides,
(septembre-octobre 1998). La biologiste, membre de la commission du génie biomoléculaire
et professeur à l’Université de Montpellier II, réagit sur la controverse en s’indignant de la
manière dont médias et scientifiques ont traité le problème du risque de transfert de gènes
de résistance aux antibiotiques : « On a tout lu, tout entendu, et son contraire, sur le maïs
transgénique et la résistance aux antibiotiques et, plus généralement, sur les organismes
génétiquement modifiés (OGM), jusque dans les plus hautes instances »; elle tente de
démontrer que le risque n’est pas si grand que l’on a voulu le faire croire, et que ce sujet a
donné lieu dans son traitement journalistique à quelques raccourcis de pensée. Le comble
étant que certains journalistes ont affirmé qu’en « l'ingérant, animaux et humains ne
274
deviennent résistants à leur tour » alors qu’il est plus juste de parler de résistance
transmise à des bactéries.
Revenant sur le cas du maïs développé par le groupe Novartis qui s’est trouvé au
cœur de la controverse, elle rappelle alors que l’introduction du gène de résistance à
l’ampicilline dans du maïs génétiquement modifié, est un procédé technique particulier qui
permet de sélectionner les bactéries (généralement des « colibacilles inoffensif ») qui
possèdent la construction génétique faite du gène d’intérêt, du plasmide et du gène de
résistance à un antibiotique ; c’est grâce à ce dernier que l’on pourra obtenir la grande
quantité de gène d’intérêt nécessaire à la création de PGM. En effet, «un plasmide
représente une charge pour la bactérie. S'il ne lui est pas indispensable, elle aura tendance à
se multiplier sans lui. D'où l'idée d'insérer dans le plasmide vecteur un gène de résistance à
un antibiotique. En faisant croître les bactéries dans un milieu qui contient l'antibiotique, les
bactéries sans plasmide, incapables de survivre dans ce milieu, sont éliminées au profit des
bactéries désirées.» Aussi, F. Casse rappelle qu’ « A l'heure actuelle, il est techniquement
possible de séparer l'ADN correspondant au gène d'intérêt de celui correspondant au vecteur
de clonage (origine de réplication et gène bactérien de résistance à l'ampicilline). On peut
donc ne pas intégrer au génome des plantes ces séquences dont elles n'ont pas besoin pour
manifester les nouveaux caractères agronomiques souhaités. Mais il y a quelques années,
lorsqu’ont été obtenues les plantes transgéniques dont la lointaine descendance est

273
Francine Casse, « Le maïs et la résistance aux antibiotiques », La Recherche 327, 2000, p.35.
274
F. Sergent, C. Coroller, Libération, 22/06/1998.

125
maintenant sur le marché (après des années de sélection classique pour introduire le
transgène dans les variétés d'élite choisies), on ne savait pas, ou l'on ne cherchait pas, à
limiter l'ADN à transférer aux séquences strictement nécessaires. »
Après avoir fait ces quelques rappels, la biologiste revient sur la controverse ;
considérant alors le possible transfert du gène de résistance à une bactérie et sa
multiplication, elle affirme qu’il s’agit d’un « Scénario catastrophe dont la vraisemblance fait
l'objet d'impossibles estimations et d'interminables controverses dont il constitue à mon sens
un prétexte plus qu'un argument. » Elle démontre alors l’invraisemblance de ce scénario
catastrophe en mettant l’accent sur les différents obstacles auxquels se trouvent confrontés
à chaque étape le transfert potentiel du gène de résistance à une bactérie du ventre d’un
animal ou du sol. Ces étapes comme on l’a déjà vu, consistent dans l’intégration de la
bactérie résistante, de son maintien, de son transfert aux bactéries (dans le cas du maïs
Novartis, F. Casse précise qu’il doit absolument s’agir d’une entérobactérie) et enfin de sa
sélection par un antibiotique de la famille b-lactame (dans ce cas, elle rendrait le traitement
inefficace).
La biologiste en déduit que l’ensemble du débat revient à l’établissement d’un calcul
« risques, bénéfices » ; or si on prend en compte tous ces arguments pour démontrer
l’existence d’un risque potentiel, ceux-ci restent insuffisants pour refuser « l’utilisation d’une
variété de maïs améliorée qui nécessite moins de traitement pesticide au cours de sa
culture. » Aussi, F. Casse s’étonne que le risque ait « fait couler beaucoup plus d'encre que
l'estimation du bénéfice. » malgré le fait que jusqu’à présent, il n’a pas été possible de
quantifier le transfert d’ADN d’une plante vers une bactérie (que celle-ci soit du sol ou du
tube digestif). Elle reconnaît cependant que « pour extrêmement peu probable qu'il soit,
affirmer que l'accident est impossible serait faux. »
Aussi pour tenter de démontrer qu’au cœur même de la controverse des scientifiques
qui s’étaient opposés détiennent tous une part de vérité, F. Casse rappelle avec Axel Kahn
(un partisan des PGM) qu’une « vaste proportion des bactéries de notre tube digestif sont
déjà résistantes aux b-lactames, et à bien d'autres familles d'antibiotiques »275 et avec
Patrice Courvalin (comme on l’a vu, l’un des partisans de l’application du principe de
précaution pour les PGM) que « L 'utilisation massive des antibiotiques comme promoteurs
de croissance dans l'alimentation animale crée les conditions les plus favorables à la
sélection du transfert puis à la dissémination de la résistance. »276

275
« Courrier des lecteurs », A. Kahn, p. 7, La Recherche, juillet-août 1998.
276
Patrice Courvalin, « Plantes transgéniques et résistance aux antibiotiques », La Recherche , n°309,
mai1998.

126
Ces citations permettent alors à F. Casse de reformuler le problème : « Le problème
existe donc déjà, le tout est de savoir si les plantes transgéniques peuvent l'aggraver. »
Aussi, cette fois-ci pour résoudre ce problème, elle s’oppose à P.Courvalin et rejoint P.
Berche de l’Hôpital Necker pour qui, « Le risque hypothétique est largement compensé par
les bénéfices que l'on peut escompter du fait du recours moindre aux pesticides et aux
insecticides : baisse de la pollution des sols et des nappes phréatiques, moindre risque
d'intoxication pour l'agriculteur, etc. L'impact des plantes transgéniques est anecdotique
comparé aux problèmes rencontrés en milieux hospitaliers et dans les élevages intensifs
d'animaux, en particulier de la volaille. »
Qu’en est-il maintenant des autres gènes de résistance aux antibiotiques que sont
« les origines de réplication à large spectre d’hôte » et celui du « gène de résistance à
expression eucaryotique ». Concernant le premier cas, où il s’agit des constructions
introduites par la bactérie Agrobacterium tumefaciens, « le risque serait légèrement
supérieur à celui engendré par le maïs de Novartis (gène « bactérien » avec origine de
réplication à spectre d'hôte étroit). » Pour les seconds, il s’agit des gènes qui codent les
protéines comme la Kanamycine, aussi, l’éventualité de leur recombinaison est « encore plus
faible que pour le gène bactérien de résistance à l’ampicilline, tout en demeurant
théoriquement possible. » Ajoutant à cela la nécessité d’une pression de sélection, F. Casse
en conclut qu’ « Une fois encore, le risque n'existe qu'en présence d'une pression de
sélection, et les conséquences d'une telle pression de sélection exercée par l'usage excessif
d'antibiotiques sont déjà largement supérieures à celles que pourrait induire l'arrivée d'un
gène via une plante cultivée ou ingérée. » Aussi ces problèmes auraient déjà fait l’objet
d’études dans le journal Transgenic Research dès sa création en 1992 par une équipe du
centre de recherche sur l'amélioration et la reproduction des plantes de Wageningen, aux
Pays-Bas, qui conclut à l'acceptabilité pour la santé comme pour l'environnement des plantes
transgéniques résistantes à la kanamycine277.
En ce qui concerne maintenant le problème évoqué par P.Courvalin de « mutations
ponctuelles survenant dans le génome de la plante et pouvant modifier la spécificité d'action
des enzymes inactivant les antibiotiques.» F. Casse affirme que « les mutations survenant au
hasard, les possibilités pour les enzymes de perdre toute activité sont bien plus élevées que
celles de changer de spécificité. »
En conclusion la biologiste rappelle que tous ces problèmes sont connus des experts
et largement débattus au niveau des instances nationale et européenne. Aussi, elle s’étonne
que les PGM n’aient pas réussi à convaincre l’opinion publique alors que « les Américains,

277
J.-P. Nap et al., Transgenic Research , 1 , 239, 1992.

127
pourtant réputés particulièrement craintifs vis-à-vis de tout danger microbien, utilisent ces
plantes sans problèmes depuis quelques années. » Aussi, « La bataille de fond est déplacée
sur un terrain socio-économique, même si les arguments de forme invoqués sont encore
parfois d'ordre scientifique. » Enfin, la biologiste rappelle que les scientifiques qui ont conclu
à l’absence d’augmentation de risque, ont également réclamé la mise en place d’un
dispositif de biovigilance, ce qui implique l’attribution d’autorisations provisoires en attendant
des nouvelles générations plus propres de PGM. D’après elle, il serait ridicule d’attendre que
les PGM soient parfaites pour qu’on se mette à les cultiver : « Se pose-t-on, et s'est-on
jamais posé, ce type de question pour une quelconque création humaine (habitation,
véhicule, médicament...) ? Il ne s'agit pas de jouer les apprentis sorciers ; il s'agit d'être
raisonnable, sans être ni exagérément enthousiaste, ni ridiculement craintif. »
La manière dont Gilles-Eric Séralini, également membre de la CGB, traite le problème
se trouve aux antipodes du texte précédemment évoqué. A l’opposé du ton rassurant du
« plaidoyer » de Francine Casse, il choisit de marquer son lecteur en employant une image
choc :« les gènes de résistance à des antibiotiques risquent d’induire de nouvelles
résistances, alors que dans les hôpitaux européens, des personnes meurent par milliers à
cause des bactéries pathogènes qu’aucun antibiotique n’arrive à combattre ! »278 Et sur un
ton faisant peu de cas de l’initiative de ses collègues : « Quelle idée d’avoir laissé ce type de
gène dans toutes les cellules de plantes alimentaires transgéniques, sous prétexte que l’on
peut déjà les trouver dans la nature, ou qu’on utilise moins les antibiotiques en question. ”
Pour ce professeur de biologie moléculaire de l’université de Caen et membre du comité de
biovigilance, cette négligence dénote un signe de « précipitation et de facilité ». En effet, il
existe un grand risque de transfert horizontal de l’ADN par les bactéries du sol. Tout le
monde dénonce ce procédé : « Les gènes de résistance aux antibiotiques désignent la
signature d’une science mal appliquée. » Or, rien n’a empêché les industriels, même si, le 5
septembre 1997, le comité de la prévention et de la précaution du ministère de
l’environnement a préconisé de ne pas utiliser ce type de gènes. Mélangeant alors le
problème propre aux PGM avec celui plus général de l’insensibilisation des réactions aux
traitements par antibiotiques, G. Séralini ajoute : « Les estimations de risque de transferts
horizontaux sont très théoriques par rapport à l’infinité des conditions dans la nature. Les
morts ou les amputés à cause d’infection insensible aux antibiotiques, le sont à cause de
disséminations de ce type de gènes, et de la surconsommation d’antibiotiques. » On sera
alors surpris qu’en conclusion d’un exposé scientifique, l’auteur prenne son lecteur par les
sentiments : « Et lorsque ce malheur frappe un proche, on n’a cure de savoir si ces gènes

278
Gilles-Eric Séralini, OGM, le vrai débat, coll. Dominos, Flamarion, p.93.

128
existaient déjà dans le sol, la salade, des bactéries non pathogènes ou s’ils proviennent du
maïs BT. » Cela est d’autant plus frappant que jusqu’à présent personne n’a pu prouver le
transfert des gènes de résistance aux PGM et encore moins que ce phénomène estimé
possible pouvait se trouver à l’origine d’un décès.
L’expert, membre de deux comités, est loin de se vouloir rassurant et le ton qu’il
emploie contraste fortement avec celui de Francine Casse. On se trouve presque ici dans le
style de la diatribe journalistique. Style familier à l’expert qui, en 1999, s’est associé au
botaniste Jean-Marie Pelt pour rédiger un plaidoyer anti-PGM dans le journal Libération. On
retrouve dans cet article, de manière encore plus directe, les accusations contre les erreurs
des scientifiques. Se plaignant de l’absence de contrôle des innovations scientifiques, les 2
auteurs illustrent leur propos en prenant le cas du maïs transgénique, qui sont d’après eux,
le premier exemple de ratage : « Ils ne sont pas le fleuron de la science moderne mais ceux
d’une mauvaise technologie. Mal faits, avec des résidus technologiques de gènes marqueurs
et autres, ils représentent des méthodes dépassées, signes d’une précipitation inacceptable à
des fins uniquement commerciales. Ainsi, deux transgènes sont inutiles sur 3 dans le maïs
BT, l’un d’entre eux est un gène de résistance à un antibiotique. Quelle erreur d’avoir laissé
ce gène de résistance à une famille puissante d’antibiotiques, alors que l’on meurt déjà en
France de résistances aux antibiotiques par milliers dans les hôpitaux. »279 Comme on peut
constater, lorsqu’ils s’adressent au grand public, les deux experts ne prennent pas de gants
et n’ont pas peur des raccourcis de pensée (on pensera à la remarque de Francine Casse un
peu plus haut.

Sans vouloir juger les deux positions évoquées sur l’utilisation de gènes marqueurs
susceptibles de transférer une résistance aux antibiotiques, cette situation laisse supposer
qu’il n’y a pas d’interprétation uniforme d’un risque qui s’exprime sous forme de probabilité.
Il est évident qu’aucun expert ne nie le risque de transfert, mais chacun interprète son
éventualité en fonction de paramètres qui lui sont propres. Et même si chacun reconnaît que
ce risque peut être, par exemple, influencé par le milieu : « Sans une forte pression de
sélection par les antibiotiques, seule susceptible d’avantager les bactéries mutées à spectre
de résistance élargi qui apparaîtraient éventuellement, la probabilité d’une mutation
génétique provoquant une nouvelle résistance dans les populations bactériennes serait
négligeable. »280 Il n’en reste pas moins que les opinions divergent, comme l’a montré F.

279
Jean-Marie Pelt et Gilles-Eric Séralini, « Les OGM, oui mais pas à tout prix (ceux qui se positionnent
pour ou contre les organismes génétiquement modifiés se trompent de débat) », Libération, Mercredi
23 Juin 1999, p.6.
280
Jean-Jacques Perrier, « Vers de nouveaux gènes sélecteurs », Biofutur 192, Sept 99, p.25.

129
Casse sur la possibilité d’aggraver un problème qui existe déjà. C’est au fond, sur ce point de
vue, que s’affrontent les experts et alors que certains chercheurs affirment que le risque de
transfert d’un gène de résistance de plante transgénique est plus faible que le risque de
transfert à partir de la microflore naturelle ingérée quotidiennement, d’autres soutiennent
que la mise sur le marché des PGM contribuera sérieusement à accroître ce risque.

Considération du problème et réactions des institutions


On retrouve le même flottement parmi les institutions responsables de la sécurité
alimentaire. John Heritage, membre de l’ACNFP (comité consultatif sur les nouveaux aliments
et leur procédé) remarque que l’organisme anglais a critiqué dès 1996 la position adoptée
par la FDA (Food and Drug Administration) qui s’est contentée de simples recommandations
quant à l’utilisation des gènes marqueurs281. L’organisme anglais constate que, de par la
diversité des facteurs qui entrent en ligne de compte, il est nécessaire de procéder au cas
par cas. Par exemple, dans le cas du gène de résistance à la kanamycine, un antibiotique qui
n’est quasiment plus utilisé aujourd’hui, le transfert semble moins important que dans le cas
du gène bla TEM ; l’ampicilline est encore fortement utilisée et est d’autant plus dangereux
qu’il met sa capacité à muter en action dans les plantes. Selon les experts de l’ACNFP, la
pression de sélection avantage les gènes mutés : « l’introduction d’un gène de résistance
bactérien dans la plante tendrait donc à sélectionner les mutations qui se conformeraient à
l’usage du code en cours dans cette dernière, mutations qui seraient susceptibles d’induire
de nouvelles résistances. »282 En utilisant le gène bla TEM dans les plantes transgéniques, on
risque d’accentuer l’apparition de bactéries contenant le gène muté. Si un facteur tel que la
pression de la sélection détermine la probabilité du risque Jean-Jacques Perrier, journaliste
pour le magazine Biofutur, conclut que « L’ensemble du débat, complexe et passionnel, a
peu de chances, dans l’immédiat, de déboucher sur un consensus scientifique. Compte tenu
des incertitudes, le principe de précaution ne doit-il pas s’appliquer ? »283
Du côté des institutions françaises, le problème du transfert des gènes de résistance
aux antibiotiques a fait l’objet d’un examen lors d’un séminaire des commissions du génie
génétique et du génie biomoléculaire en janvier 1999 et a conduit à la signature en janvier
2000 d'un avis conjoint de ces deux instances scientifiques284. L’AFSSA, quant à elle a publié

281
John Heritage , « OGM alimentaires : une légitime résistance ? », article dans Biofutur n°192,
Septembre 1999, p.24.
282
Ibid.
283
Ibid., p.25.
284
« Avis conjoint des commissions du génie génétique et du génie biomoléculaire », 4 janvier 2000

130
un rapport en 2002285 où elle fait le point des connaissances acquises. Or en 2002, c’est-à-
dire, 4 années après que le problème ait fait la une de tous les médias et remué le milieu
scientifique, l’institution rappelle que le transfert est toujours considéré comme un risque
potentiel qui peut seulement s’exprimer en terme de probabilité et aucun transfert n’a pu
jusqu’alors être démontré. Aussi, les experts de l’AFSSA rappellent que « les constructions
récentes autorisées ont été débarrassées des gènes marqueur utilisés pour la construction
du plasmide transformant. » Et qu’ « En ce qui concerne les marqueurs de sélection des
cellules végétales transformées, l’utilisation en médecine humaine comme en médecine
vétérinaire de la kanamycine est devenue très limitée. » Aussi, réexaminant le scénario du
transfert les experts de l’association qui n’est pas réputée pour être laxiste affirment que «La
réunion de ces conditions rend la réalisation d'un tel transfert très peu probable. Les calculs
pour estimer les fréquences de transfert de séquences géniques d'origine procaryotique à
partir de plantes GM vers des bactéries sont peu convaincants. Ces transferts sont
théoriquement envisageables, mais aucune étude publiée à ce jour n'a démontré un tel
transfert. De plus, aucune donnée ne conduit à supposer que des séquences géniques
d'origine non végétale introduites dans le génome de la plante se comporteraient
différemment des autres séquences géniques végétales quant à la pénétration et à l’effet des
enzymes de restriction. »
Se posant alors la question de l’éventualité d’un risque supplémentaire apporté par la
transgenèse végétale dans une situation déjà considérée comme inquiétante, l’AFSSA affirme
qu’en plus de n’avoir jamais été démontrée, « la probabilité de transfert d'un gène de
résistance à un antibiotique de la plante vers les bactéries est très faible compte tenu de la
réunion de l'ensemble des conditions qui permettrait qu'un tel transfert ait lieu »286 ; aussi,
les experts considèrent que « l'utilisation d'antibiotiques comme facteur de croissance en
nutrition animale et leur emploi en médecine humaine et vétérinaire sont reconnus comme
une source majeure d'émergence et de diffusion des résistances aux antibiotiques, sans
commune mesure avec le risque hypothétique lié à la présence d'un gène de résistance à un
antibiotique dans une plante génétiquement modifiée. » Ils en concluent qu’ « En l'état
actuel des connaissances, la consommation par l'homme ou les animaux de produits
alimentaires composés ou issus de plantes génétiquement modifiées contenant des gènes de
résistance à la kanamycine et/ou à l'ampicilline ne présente en conséquence qu'un risque

publié dans le Rapport d'activité 1999 de la Commission du Génie Biomoléculaire.


285
Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments, « Evaluation des risques relatifs à la
consommation de produits alimentaires composés ou issus d'organismes génétiquement modifiés »,
Janvier 2002.
286
AFSSA, Ibid, p.26

131
théorique et en tout état de cause négligeable pour la santé humaine et animale au regard
de la présence de ces gènes de résistance aux antibiotiques dans les bactéries de
l’environnement.»287 Ceci dit, il est fortement recommandé de ne plus avoir recours aux
gènes de résistance aux antibiotiques pour produire les PGM à venir.
Cet avis du comité consultatif d’experts rejoint celui émis par le politique Jean-Yves le
Déaut dans un rapport pour l’Assemblée Nationale288. Commentant l’opposition Courvalin-
Berche, le député affirme qu’ « Il ressort de cette controverse qu'aucune certitude ne peut
être affirmée de façon certaine et irréfutable. Mais je pense que le risque, si risque il y a, est
extrêmement faible. » Les solutions proposées pour « calmer l’opinion publique » sont alors
les suivantes : « La seule manière pragmatique de trancher ces débats est de mettre en
place un système de décision collectif, transparent, pluridisciplinaire, de décider au cas par
cas, de rendre public les avis, y compris ceux qui demeurent minoritaires. » Ceci dit, le
député recommande un examen au cas par cas de « l'utilisation de gènes de résistance à un
antibiotique sous contrôle d'un promoteur eucaryote. » et l’interdiction à l’avenir de la
« culture de plante comportant dans son génome tout gène de résistance à un antibiotique
sous promoteur bactérien.»289

Tous les avis semblent donc se rejoindre sur la faible probabilité du risque et, comme
on le constate, les mesures prises ou à prendre appliquent strictement le principe de
précaution. En effet, au niveau de la législation européenne, la nouvelle directive 2001/18/CE
(article 4-2) a pris sérieusement en compte ce risque puisqu’elle prévoit « d'éliminer
progressivement des OGM les marqueurs de résistance aux antibiotiques qui sont
susceptibles d'avoir des effets préjudiciables sur la santé humaine et l'environnement. » Le
texte précise que cette élimination progressive aura lieu d'ici le 31 décembre 2004 dans le
cas des OGM mis sur le marché conformément à la partie C (autorisation de mise sur le
marché d'OGM) et d'ici le 31 décembre 2008 dans le cas des OGM autorisés en vertu de la
290
partie B (dissémination volontaire à tout autre fin que la mise sur le marché). »
Quant à la réponse des industriels au problème, le moins que l’on puisse dire, c’est
qu’elle ne s’est pas faite attendre, puisque dans la Recherche du mois de Mai 1998, c’est-à-

287
Ibid.
288
Le Déaut (Jean-Yves), Député, Président de l'Office ; Revol (Henry), Vice-Président, L'utilisation
des organismes génétiquement modifiés dans l'agriculture et dans l'alimentation, Rapport 545 (97-
98), Tome 1 – Office Parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.
289
Ibid.
290
Directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la
dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement et abrogeant la
directive 90/220/CEE du Conseil. JOCE L106, 17-04-2001,p; 1-39.

132
dire, le numéro dans lequel a paru l’article de Courvalin, Hendrik Verfaillie donnait une
interview à Hervé Kempf où il affirmait que « Monsanto n'a jamais utilisé de gènes de
résistance à des antibiotiques utilisés en thérapie humaine. Quoi qu'il en soit, nous pouvons
utiliser d'autres marqueurs, des gènes de résistance aux herbicides. Pour apaiser les
inquiétudes des consommateurs, nous allons les substituer aux gènes de résistance aux
antibiotiques, qui ne seront plus dans les nouvelles variétés de plantes transgéniques. Ainsi,
ce problème d'antibiotiques sera résolu très prochainement.»291

La littérature sur le problème du risque de transfert aux organismes des gènes de


résistances aux antibiotiques utilisés dans les constructions transgéniques, ne manque pas.
Aussi, on peut se rapprocher de Francine Casse pour constater que dans cette controverse,
« l’estimation du risque a fait couler beaucoup plus d’encre que celle des bénéfices. »292 A la
lecture de l’ensemble de ces articles, si on ne peut que se féliciter de la sage prise de
décision de l’ensemble des instances officielles et des industriels de tout faire pour éliminer
ce procédé, on peut tout de même s’interroger sur les raisons qui ont poussé certains
experts à employer un ton catastrophiste pour un risque qui n’a jamais pu être démontré et
qui, comme on a pu le lire plusieurs fois, est insignifiant par rapport à celui du risque que
font courir les usages alimentaires, vétérinaires ou encore médicaux des antibiotiques. Il ne
semble même pas possible de pouvoir affirmer que l’usage des antibiotiques contribue à
accroître les risques existants. Bien évidemment, la précaution nous invite à nous en tenir au
principe selon lequel, « l’absence de preuve n’est pas une preuve d’absence » ; il semble
bien pourtant que les résultats les plus récents confirment la très faible probabilité du risque.
Aussi, les accents pathétiques, pour ne pas dire apocalyptiques, avec lesquels certains
experts ont présenté le problème ont sans doute contribué à inscrire les PGM sur la liste des
principaux facteurs responsables de l’inefficacité croissante des antibiotiques.

Discussion
Que doit-on alors penser ? Une interprétation simpliste doublée d’un jugement ad hominem
supposerait que Monsieur P. Courvalin a utilisé les PGM pour sensibiliser le public sur un
problème qui lui est cher, ou encore que MM. G.E. Séralini et JM Pelt ont trouvé là un moyen
pour vendre quelques ouvrages de « vulgarisation environnementaliste » en plus, thème
pour lequel ils font office de référence. Ce genre de jugement serait mal venu dans une

291
Hervé Kempf, « Interview de Hendrik Verfaillie : Monsanto n’utilisera plus les gènes de résistance
aux antibiotiques », 01 Mai 1998, La Recherche, n°309.
292
Francine Casse, « Le maïs et la résistance aux antibiotiques », La Recherche 327, 2000, p.37.

133
controverse où l’évaluation du risque est en jeu ; il serait, qui plus est, aussi maladroit que
celui qui affirme que tous les experts qui émettent des avis positifs sur les PGM sont à la
solde de Monsanto. Comme on a eu largement l’occasion de le voir, de même que le risque
d’allergie, le risque de transfert s’exprime en termes de probabilités. Aussi, la probabilité
s’exerce à chacune des étapes qui conditionne le risque. Pour certains scientifiques, celle-ci
est improbable, pour d’autre, elle est plus qu’envisageable. S’ajoute à ces incertitudes le fait
que l’on n’ait jamais pu démontrer l’existence d’un seul transfert. Ce qui est le plus frappant
concernant les experts qui dénoncent le risque, c’est qu’ils en font un argument pour
remettre en cause la mise sur le marché des PGM, au même titre, par exemple, que le risque
probable d’allergie. Une fois de plus, un risque indémontrable prend des proportions
exagérées. Quelles raisons permettent d’expliquer cette situation ?
Comme on le constate, une des spécificités de la transgenèse végétale est mise en
avant et présentée de telle manière que l’on a l’impression que les PGM vont forcément
contribuer à l’augmentation des gènes de résistance aux antibiotiques. Aussi, d’après nous,
ce qui permet de comprendre que certains experts minimisent le risque, alors que d’autres le
maximisent - ce alors même que chacun dispose de résultats identiques – ce sont les
principes que posent les scientifiques de manière implicite au départ de leur démonstration.
Comme nous l’avons déjà vu, alors que certains admettent l’équivalence en substance,
d’autres font des PGM des êtres hors-normes, sources d’un risque immaîtrisable et
imprévisible. Cette opposition dans les termes du débat semble donc confirmer notr
hypothèse. La preuve en est que, alors que les promoteurs de la transgenèse végétale
dédramatisent la situation en rappelant qu’il est tout à fait possible de se passer de cette
technologie, au contraire les détracteurs les plus critiques, mettent l’accent sur l’absence de
considération du problème et la caducité de la technologie. Il apparaît alors clairement que
celle-ci manifeste pour eux un principe que nous considérons comme l’exact opposé de
l’équivalence en substance, celui de la « différence absolue ». Aussi, on peut se demander si
leur critique porte sur le risque de transfert en lui-même, ou si ce sont les PGM en tant que
tels qui sont visés. Ce faisant, les experts font des PGM des sources de risque
exceptionnelles. Les défenseurs de la transgenèse végétale, au contraire, cherchent à
résoudre le problème par le biais de solutions technologiques ; c’est ainsi, par exemple que
les bio-ingénieurs de Novartis ont trouvé une solution qui consiste à découper le gène bla
TEM1 avant la transformation du tissu végétal à l’aide d’un enzyme de restriction. De
nombreuses solutions existent et vont être progressivement développées pour sélectionner
les gènes d’intérêt et cette technique permettra de remplacer les procédés utilisés dans la
première génération de PGM. Aussi, contrairement à ce que l’on peut parfois entendre, la

134
technologie précède la législation, puisque les industriels ont affiché leur décision de prendre
en main le problème sans attendre que s’installe la controverse.
L’absence de consensus a donc pour origine une opposition théorique sur la nature
des plantes issues de la transgénèse végétale, qui donne lieu à des interprétations
divergentes de résultat identiques, puisque celles-ci se fondent sur des facteurs probables
(l’action de la pression de sélection) et non sur des faits avérés (la transmission automatique
du gène de résistance à la flore intestinale). Un principe comme celui de « l’équivalence en
substance » autorise la commercialisation des aliments génétiquement modifiés. Il sert à la
fois de référence à la production et à la recherche. Qui reconnaît ce principe a priori se
trouve en accord avec le système et tout en admettant la nécessité de réaliser les tests pour
démontrer l’innocuité, suppose implicitement que le recours à la transgenèse végétale peut
produire des organismes similaires aux organismes classiques, et se plie à un calcul risques
bénéfices. Qui réalise des expériences en vue de démontrer « l’équivalence en substance »,
pense qu’il est possible de gérer le facteur risque des PGM (risque de transfert, risque
allergénique...) comme il est possible de le gérer pour n’importe quelle autre espèce
d’organisme. L’expert n’exprimera son point de vue qu’au regard de ces variables, et
n’inférera nullement sur la nocivité des PGM en général. Dans le cas du transfert des gènes
de résistance aux antibiotiques, rien ne démontre la nécessité de ce transfert. En tout cas,
celui-ci n’est pas plus probable que pour les autres aliments qui ont pu contribuer au
développement de cette résistance, dans le cas de l’alimentation animale, par exemple.
Pourtant la présence du gène de résistance aux antibiotiques est devenue un argument
largement utilisé par les partisans anti-PGM pour démontrer la nocivité des biotechnologies
en général. Ce qui prouve clairement que ces experts posent de manière implicite une
hypothèse différente, celle de la « différence absolue ». Ce principe (qui n’est jamais posé
en clair) affirme que « quel que soit la PGM donnée, il est impossible d’établir une
comparaison avec un organisme classique ou de retrouver des critères qualitatifs
identiques. » Tout ceci ayant pour effet d’amplifier un débat dont chaque problème devient
l’occasion d’une tribune où l’enjeu principal est toujours, de manière plus ou moins avouée,
une prise de position politique.
On terminera sur ce thème en citant l’extrait d’une interview qu’a donnée Clauss
Hamann, Directeur du Jardin botanique de l'université de Berne et spécialiste des flux de
gènes, au journal la Recherche. S’exprimant sur le sujet, il affirme : « Alors là, c'est
proprement ridicule ! Comme l'a calculé récemment un chercheur français, le risque que la
résistance issue d'un gène marqueur introduit dans un maïs transgénique se propage est de
l'ordre de 10-18 : c'est moins probable que de gagner trois fois de suite le gros lot au Loto !

135
Or nous mangeons en moyenne par jour 1 à 5 millions de bactéries ayant développé une
résistance aux antibiotiques. A ce compte il faudrait interdire d'urgence l'emploi d'engrais
naturels. Il est littéralement infesté de bactéries résistantes ! On ne peut malgré tout exclure
qu'un gène présentant un risque quelconque s'insère dans la chaîne écologique. Rifkin dit
qu'une fois le gène lâché dans la nature, le mal est fait, il est trop tard pour agir. Mais ce
n'est pas vrai ! D'une part, tous les étudiants en génétique des populations savent qu'en
raison du processus d'introgression un gène qui s'échappe va finir par disparaître au bout
d'un certain nombre de générations. Sauf si le gène entraîne un avantage sélectif. Mais c'est
rare. D'autre part, on sait suivre le devenir d'un gène lâché par accident dans la
293
nature…. » Ces propos illustrent parfaitement la part de théorie qui se trouve impliquée
dans l’estimation des risques.
Tant que l’on reste dans le domaine de l’incertitude, le débat entre scientifiques finit
toujours par être arbitré par des arguments socio-économiques (calcul risques-bénéfices).
Certains scientifiques pensent cependant pouvoir dépasser le stade de l’éventualité pour
démontrer un danger avéré ; c’est le cas par exemple de Mae Wan Ho qui a affirmé que
l’existence dans la plupart des plantes transgéniques d’une séquence d’ADN, le promoteur
35S, provenant du virus de la mosaïque du choux fleur (‘CaMV, cauliflower mosaic virus’),
favoriserait la jonction (ou recombinaison) entre segments d’ADN d’origines différentes294 et
ce, à cause de l’existence d’un ‘point chaud’ (‘Hot spot’) qui le rendrait instable ce qui
favoriserait les risques de cancers. Ces résultats ont été sévèrement critiqués et ont
également provoqué la critique de John Hodgson qui a accusé la scientifique de
malhonnêteté intellectuelle dans un article du journal Nature (John Hodgson, Nature
Biotechnologie, 18, 13, 2000). On entre ici dans un autre type de controverse scientifique où
la réputation et la bonne foi des scientifiques se trouve en jeu. C’est ce que nous allons voir
avec l’affaire Pusztai.

3.1.3.3 L’affaire Pusztai


D’autres scientifiques n’ont pas hésité à publier des articles dans lesquels ils
dénoncent les risques dus à l’ingestion d’aliments contenant des PGM. On connaît, à cet
égard, les remous qu’a pu susciter l’affaire Pusztai, ce scientifique britannique dont les
expériences avaient pour but de remettre en cause l’impossibilité de transférer

293
Olivier Postel-Vinay, « Entretien avec Clauss Ammann : Les OGM entre Mensonges et Hystérie »,
La Recherche, 01/11/1999.
294
M.W. Ho et al. (1999) Microb. Ecol. Health Dis. 11, 194-197.

136
spontanément du matériel génétique. Dans un article issu du magazine la Recherche, A.
Chesson, et Philip James remarquent que « en Grande Bretagne, à la suite de l’étrange
affaire Pusztaï, le débat est désormais tellement biaisé que toute discussion cohérente
devient pratiquement impossible. Pour l’establishment, toute mise en cause de la sécurité
des aliments contenant des PGM est considérée comme une manipulation non scientifique
des faits relevant d’une ferveur quasi-religieuse visant à interdire toute manipulation
génétique. A l’inverse, tout discours sensé sur les possibilités et l’intérêt potentiel des
biotechnologies fait soupçonner son auteur d’être à la solde de Monsanto ou de quelques
autres firmes ou agences gouvernementales. »295 On remarquera que les journalistes de la
Recherche ont pris la décision de joindre à cette déclaration une photo du scientifique banni,
sous laquelle on trouve la légende suivante : « Arpad Pusztai est le scientifique britannique
qui a cru démontrer que les pommes de terre transgéniques étaient toxiques. » En mettant
cette légende en parallèle avec le commentaire de Chesson, on peut se demander si la
Recherche se situe du côté de « l’establishment », ou en tous cas, du côté des défenseurs
des PGM. Dans la partie adverse, on classera Gilles Eric Séralini pour qui l’affaire Pusztai
devient « l’effet Pusztai »296. Pour le membre de la CGB, également fondateur du Crii-GEN,
c’est parce qu’il a cherché à étudier de manière indirecte les risques de mutagenèse de
pomme de terre par insertion d’un transgène issu d’un « banal perce-neige aux propriétés
insecticides », qu’Arpad Pusztai est devenu la victime d’une vindicte menée par l’ensemble
de ses collègues. En fait, l’expérience de Pusztai consistait à expérimenter les effets des
pommes de terre génétiquement modifiées sur le système digestif de rats de laboratoire.
Toujours selon M. Séralini, à la suite d’une expérience qui aurait duré 110 jours, les
rongeurs auraient vu leur croissance, leur immunité et même leur cerveau perturbé, quant à
son auteur : « son travail n’est pas encore terminé que déjà les médias sortent l’information
du laboratoire » et « diabolisé, vilipendé pour ses propos alarmiste, jugés hâtifs puis
malhonnêtes, l’homme perd sont contrat de recherche et sa réputation scientifique. » On
peut imaginer l’effet que peut faire cette présentation sur le lecteur ingénu. Aussi, il semble
utile de revenir sur des faits qui ont joué un rôle important aussi bien dans le milieu des
experts qu’auprès du grand public.

295
Andrew Chesson, Philip James, « Les aliments avec OGM sont-ils en danger », dans La Recherche
327, Janvier 2000, p.27
296
Gilles-Eric Séralini, OGM, le vrai débat, coll. Dominos, Flamarion, p.95

137
A l’origine de l’affaire
Commissionné en 1995 par le bureau écossais de l’agriculture, de la pêche et de
l’environnement, le programme d’étude mené par les professeurs Ewan et Pusztai portait sur
3 années et avait pour but de mettre en place des méthodes crédibles et utilisables par les
autorités légales et compétentes pour l’estimation et l’identification des incidences possibles
dues à l’ingestion d’aliments génétiquement modifiés sur la santé des animaux ou des
hommes. Dévoilés au grand public par le scientifique en personne en août 1998 lors d’un
passage à l’émission World in Action de la chaîne ITV et publiés sur le Web par le Rowett
Institute en février 1999, les résultats « catastrophistes » des expériences font la une de
l’actualité avant même d’avoir été publiés dans une revue scientifique de grand standing et
avant même que les expériences n’aient pu être définitivement achevée ; l’officialisation de
l’expérience de Pusztai n’a pu avoir lieu que quelques mois plus tard, à la suite d’une
publication dans The Lancet, le 16 Octobre 1999. Entre temps, ces résultats ont déjà subi de
nombreuses péripéties et ont été largement contestés par le milieu scientifique.
Rentrer dans la complexité de l’affaire Pusztai mène dans les méandres d’un débat
sans fin, où se mêlent scandales et arguments scientifiques, sachant qu’il n’est pas toujours
évident de séparer les deux. Aussi, à ce stade du travail, nous aimerions, autant que
possible, concentrer notre étude sur la problématique scientifique. Or comme on le
constatera, il s’agit ici, non pas comme dans le cas du transfert des gènes de résistance aux
antibiotiques ou des risques d’allergie, d’une divergence d’opinion par rapport à l’estimation
du risque, mais de la contestation radicale d’un protocole d’expérimentation et de ses
résultats ainsi qu’une remise en cause radicale de l’autorité d’un expert. La démonstration
d’un scientifique de renom est remise en cause dans son intégralité : et ce, aussi bien dans
son principe (absence de véritable hypothèse de départ), dans son déroulement (recours à
des procédés inadaptés, ou mauvaise utilisation de ces procédés), que dans ses résultats
(interprétation incomplète, voire fallacieuse des données recueillies). On s’appuiera ici sur 3
documents : la publication des travaux de Ewen et Pusztai297 par la revue The Lancet,
quelques-uns des textes publiés par le même magazine, la réponse de Pusztai298 et le
rapport émis par la commission de relecture anonyme nommée par l’Académie des sciences

297
Stanley W. B. Ewen & Arpad Pusztaï, « Effects of diets containing genetically modified potages
expressing Galanthus nivalis lectin on rat small intestine », The Lancet, Volume 354, N° 9187, 16 Oct
1999, p.1353.
298
Brian Fenton, Kiri Stanley, Steven Fenton, Caroline Bolton-Smith, « GM food debate », The Lancet ,
Volume 354, N° 9191, p.1725.

138
britannique299, rapport qui s’appuie, non pas, sur le texte publié par The Lancet , mais sur la
publication initiale sur Internet.

L’expérience
Sans la reprendre dans son intégralité, nous aimerions mettre au jour ici les articulations
principales de l’expérience de courte durée telle qu’elle a pu être publiée par The Lancet.
Une première étude a porté sur les fragments du système digestif de 3 groupes de rats
nourris pendant 10 jours avec 3 alimentations respectives :

- Pommes de terre génétiquement modifiées avec le gène exprimant la lectine


“ Galanthus nivalis agglutinin ” (GNA) selon le promoteur CaMV35s issu d’une variété
de perce-neige, cette modification génétique ayant pour but d’accroître la résistance
des plantes aux pestes des pucerons (aphids) et aux nématodes.
- Des pommes de terre, non génétiquement modifiées additionnées d’une solution
chimique de GNA.
- Et, enfin des pommes de terre non génétiquement modifiées

Les chercheurs ont retiré des échantillons histologiques de l’estomac, du jéjunum, de l’ileum,
du caecum et du colon, 10 jours après le début de l’alimentation ; ils ont mesuré l’épaisseur
des muqueuses de l’estomac et la longueur de la crypte par analyse vidéo ; ils ont compté
les lymphocytes intra épithéliaux dans 8 villosités du jéjunum de 6 rats nourris avec des
pommes de terre génétiquement modifiées et des pommes de terre non modifiées300. Les
auteurs affirment avoir observé que la présence de la protéine ‘GNA’ dans l’alimentation (que
celle-ci soit issue de PGM ou de pommes de terre additionnée) se remarque par une plus
grande épaisseur des muqueuses de l’estomac, épaisseur significative comparativement à la
taille de celles dont les animaux ont reçu une alimentation classique. De même, ils ont pu
constater une augmentation de la longueur de la crypte des animaux qui avaient été nourris
avec des pommes de terre génétiquement modifiées crues. Les muqueuses caecales étaient
plus fines pour les pommes de terre génétiquement modifiées cuites. Enfin, on aurait

299
Mél de Rebecca Bowden , senior manager from the Royal Society to Arpad Pusztai, sur
www.freenetpages.co.uk/hp/A.Pusztai/
300
« To assess potential damage, intraepithelial lymphocytes were counted in eight jejunal villi from
each of the six rats fed diets containing GNA-GM potatoes or parent potatoes, both raw and boiled. »
Stanley W. B. Ewen & Arpad Pusztaï, « Effects of diets containing genetically modified potages
expressing Galanthus nivalis lectin on rat small intestine », The Lancet, Ibid.

139
constaté une différence significative des lymphocytes intra épithéliaux des animaux nourris
avec des aliments génétiquement modifiés qu’ils soient crus ou cuits.
D’après Pusztai et Ewen, le développement de la grandeur du jéjunum est une
conséquence de la transformation subie par les pommes de terre génétiquement modifiées
avec le gène de GNA, puisque le jéjunum s’est transformé chez les rats qui les avaient
reçues en alimentation alors qu’aucun changement n’a pu être observé avec les pommes de
terre simplement additionnées de la solution de GNA dont la quantité était 1000 fois plus
élevée. Ils émettent alors l’hypothèse que cette prolifération inattendue est causée soit par
l’expression d’autres gènes de la construction, soit par une sorte ‘d’effet de positionnement’
causé par l’insertion du GNA dans le génome de la pomme de terre301. Ils suggèrent aussi
que la décroissance de l’épaisseur des muqueuses du cæcum est due à l’absorption de
pommes de terre génétiquement modifiées, puisque l’alimentation à base de pommes de
terre parentes n’a pas eu d’effet particulier. Par contre on a pu repérer que les pommes de
terre additionnées de GNA ont eu pour effet de raccourcir la longueur de la crypte ce qui n’a
pas pu être observé dans le cas des plantes génétiquement modifiées.
La conclusion de Pusztai est donc que l’effet stimulateur des pommes de terre
génétiquement modifiées sur l’estomac est principalement dû à l’expression du transgène
dans la plante : “ In conclusion, the stimulatory effect of GNA-GM potages on the stomach
was mainly due to the expression of the GNA transgen in the potato ” Par contre les effets
de prolifération des pommes de terre génétiquement modifiées crues sur le jéjunum et
d’anti-prolifération des pommes de terre génétiquement modifiées cuites sur le caecum ne
seront que partiellement attribués à l’expression du gène302.
Ewen et Pusztai formulent alors 3 hypothèses : une fois lié (‘ bound ‘), le GNA est
assimilé par ‘endocytose’ (“ Once bound GNA is internalized by endocytosis ”). D’autres
composants de la construction génétique ou les expressions de ces produits peuvent aussi
avoir pénétré et affecté les cellules mucosales des rats d’une manière similaire ; l’effet
promoteur de croissance induit par les pommes de terre génétiquement modifiées crues sur
le jéjunum, que l’on peut reconnaître comme une hyperplasie de la crypte est probablement
dû à un effet stimulateur direct ; aussi l’augmentation des lymphocytes T joue sans doute un

301
« We suggest that the promotion of jejunal growth was the result of transformation of potato with
the GNA gene, since the jejunum of rats was shown to be stimulated only by GM potages but not by
dietary GNA (table 1), in agreement with a previous study in which the dietary GNA concentration was
1000-fold higher than the one used in the study. Thus, we propose that the unexpected proliférative
effect was caused by either the expression of other genes of the construct, or by some form of
positionningeffect in the potato genome caused by GNA insertion. » Ibid.
302
« By contrast, the potent proliferative effect of raw GNA-GM potatoes on the jejunum, and the
antiproliferative effect of boiled transgenic potatoes on the caecum can be only partly attributed to
GNA gene expression. » Ibid.

140
rôle important dans l’élimination des anthérocytes endommagés. Ils affirment alors qu’ un
vecteur de plante utilisé de la même manière peut affecter la muqueuse du tractus gastro-
intestinal et exercer de puissants effets biologiques, pour d’autres plantes génétiquement
modifiées qui contiennent une construction similaire, particulièrement, celles qui contiennent
des lectines telles que, le soja ou les plantes exprimant des gènes ou des transgènes de
lectine. Cette dernière hypothèse, comme on peut le constater est une généralisation des
résultats de l’expérience. Les scientifiques sont donc persuadés d’avoir réussi à démontrer la
possibilité d’une forte nocivité des plantes génétiquement modifiées sur le transit intestinal et
ce, non du fait de la protéine qu’elles synthétisent, mais bien de la modification elle-même.
Ces affirmations ont donc suscité une levée de boucliers au sein du monde scientifique.

Les critiques des travaux de Pusztai et Ewen


Vu le nombre important des critiques qui ont été formulées sur les travaux de Pusztai et
Ewen, on ne citera ici que les plus représentatives en les regroupant par objet. On
distinguera celles formulées par les experts anonymes de la Royal Society qui se fondent sur
les résultats mis en ligne par Pusztai sur le Web avant qu’ils n’aient été publiés303 et les
critiques qui font suite au débat lancé par le journal scientifique The Lancet.

Méthodologie inadéquate
Tout d’abord Pusztai et Ewen auraient commis des erreurs dans leur méthode d’analyse (en
utilisant, par exemple du formol (‘formalin fixed’), substance connue pour ses effets
rétrécissants son effet de ‘distorsion et de fixation’), il se peut selon Alan Mowat304, que ces
erreurs aient été à l’origine de nombreuses imprécisions.
Un autre critique suppose que les deux scientifiques n’ont pas employé la bonne
méthode pour compter les lymphocytes intra épithéliaux et n’ont, par conséquent, pas

303
Les reproches du groupe d’experts nommés par l’Académie des sciences britanniques, ont été
formulées respectivement par 6 spécialistes anonymes qui fondent leurs propos sur une copie du
travail effectué : “ in fact as we made clear in our report, we had access to a range of sources
informations which included a copy of our proposal ” Bateson qui se fait ici porte parole des
académiciens, accusés par Pusztai de ne pas avoir eu une version intégrale des expériences lorsqu’ils
ont procédés à leur rapport, affirme que des informations supplémentaires ont été demandées, qui
n’ont jamais été communiquées. Le rapport a donc été constitué sur les éléments rendus disponibles
par Pusztai, aussi ils resteront anonymes selon la coutume du « peer reviewing », de cet anonymat
dépend la liberté de commentaire et une volonté de ne parler que de science : « Following standard
practice of peer review, these referees will remain anonymous. The working group was careful to
choose referees with relevant expertise and with no vested interest. The referees had no previous
involvement that might be regarded as potentially distorting their judgment, and had not commented
publicly on the research. The anonymity of such referees is preserved so that they may remain free to
make a frank and honest judgment based solely on the quality of the research. » P G. Bateson, in,The
Lancet, Volume 354, Number 9187, 16 October 1999
304
Alan Mowat, The Lancet, Volume 354, N° 9191, p.1353

141
démontré le lien causal entre leur nombre croissant et la présence renforcée de lectine dans
l’alimentation. Le changement de LIE tel qu’il a été répertorié n’est donc pas significatif ici ;
l’expert suppose que la faible dose de protéines présentes dans l’alimentation pourrait avoir
été à l’origine de la déviation constatée par rapport à la norme, mais non pas d’un si gros
changement. Il est donc possible qu’une telle alimentation ait pu rendre les rats plus
susceptibles à une infection intestinale connue pour causer le genre de changement dans les
lymphocytes, tel qu’il a été remarqué ici. L’hypothèse de Pusztai ne peut donc pas être
appuyée par les données, “ l’hyperplasie ” est une activité mitotique qui n’a pas été mesurée
(“ The speculation that the lectin caused jejunal crypt hyperplasia via a direct stimulatory
effect on crypt cells cannot be substantiated by the data. Hyperplasia implies increased
mitotic activity, which was not measured. ”)
Anthony J.Fitzgerald, R.A. Goodlad et Nicolas A. Wright sont encore plus catégoriques
et suggèrent que Ewen et Pusztai parlent d’un effet prolifération des cellules sur des
lymphocytes alors qu’ils n’ont pas mesuré celui-ci, mais bien plutôt, la profondeur de la
crypte. Il serait donc nécessaire de changer de méthode pour établir un pourcentage de
cellules épithéliales représentatives (‘for definitive conclusions, we need measurement
related to the rate of crypt or gland cell product.’305 )
Dans le rapport de l’académie des sciences britanniques, le 6èmeexpert306, un
spécialiste en immunologie, rappelle que le phénomène de division des lymphocytes est une
réaction qui peut être stimulée in vitro. Aussi des expériences menées, il y a 30 ans déjà, ont
montré que la division des lymphocytes peut être mesurée par 1 technique standard in vitro.
Après avoir passé 3 expériences en revue (D214, D242, D237), il affirme que Pusztai et
Ewen n’ont pu mesurer d’autres effets que celui des pommes de terre cuites seules ( « In
other words, no additional effect of transgenic potatoes was detected over and above that of
the cooked potatoes alone. ») Pourtant l’interprétation de ces résultats reste problématique
pour plusieurs rasions. Aucune expérience n’a été dupliquée, des variations considérables
apparaissent entre les animaux au point que des doutes surgissent concernant le contrôle
technique des données : au pire l’interprétation de ces préliminaires a été alarmiste. Cet
académicien n’aurait donc pas recommandé la publication des résultats. Il faudrait
reconstituer une expérience pour clarifier les données avec des contrôles plus strictes.

305
Anthony J Fitzgerald, Robert A Goodlad, Nicolas A Wright, The Lancet.,p.1354.
306
Mél de Rebecca Bowden , senior manager from the Royal Society to Arpad Pusztai, sur
www.freenetpages.co.uk/hp/A.Pusztai/ , p.13.

142
Choix d’une alimentation inadaptée
Ce reproche est essentiellement formulé par les experts anonymes de la Royal Society. Le
premier des 6 relecteurs (reviewer) est un physiologiste spécialiste de nutrition. Sa principale
critique porte sur le choix de l’alimentation à base de pommes de terre : « Potatoes are very
inadequate diet for rats »307. Selon lui, le supplément de protéine ingéré est largement
insuffisant. Aussi, Pusztai n’ayant fait aucune comparaison avec des rats qui auraient reçu
une alimentation classique, il est impossible de dire ce qui est normal, ou ne l’est pas. Il ne
semble, en outre, pas nécessaire de poursuivre les expériences menées au Rowet Institute ;
il suggère par contre qu’étant donné le fait que la plupart des PGM sont des plantes, on
pourrait tenter le même type d’expérience sur un rongeur (par exemple un lapin). D’autre
part, il serait judicieux de se renseigner si des expériences similaires ont eu lieu sur l’homme
en Europe, ce qui lui semble ne pas avoir été fait par Pusztai308.
L’expert n°3, un physiologiste spécialiste de nutrition, trouve qu’il est étrange d’avoir
utilisé des pommes de terre crues qui sont connues pour être difficilement digérées par les
rats : « another confounding factor is the use of raw potato, well known to be poorly
tolerated by rats. I discount all attemted comparisons based on raw potato diets. » Une fois
de plus, le choix de l’alimentation se trouve au coeur du problème : celle-ci contenait
beaucoup moins de protéines qu’une alimentation traditionnelle. Par conséquent, les
données ne sont pas interprétables.
Le 4ème relecteur est un expert en essais (trials) statistiques et cliniques. Il constate
l’existence d’un point de désaccord portant sur l’équivalence protéinique de l’alimentation
entre le comité du Rowett Institute et le professeur Pusztai.

Confusion, absence de renseignements, absence d’hypothèse de départ, généralisation


incorrecte.
On comprend que experts de la Royal Society dénoncent l’aspect incomplet de l’expérience
de Pusztai et Ewen du fait du document sur lequel ils se basent, ils ne sont pourtant pas les
seuls à formuler ce reproche. Dans le débat engagé par The Lancet, Alan Mowat affirme que
Pusztai n’a fourni ni courbe temporelle des changements, ni paramètre de la pathologie du
“ villus ”. En l’absence de ces données, on ne peut savoir si les changements dans la
crypte sont dus à des effets de la lectine ou à des effets secondaires des dommage causés

307
Ibid, p. 1.
308
« One further issue is that nowhere in the paper I have received can I find any references to
research in other european countries on GM foods for human consumption. If such research exists I
suggest that reference be made to it, and if not, this might be mentioned. » Rebecca Bowden, Ibid.,
p.2.

143
au villus. Les interactions entre tous ces éléments étant mal connues, il semblerait essentiel
309
de développer les études dans ce sens.
Peter Lachman, lui, refuse d’une manière radicale les expériences de Pusztai et Ewen
pour 5 raisons : Il n’a pas compté les lymphocytes du groupe de rats qui avaient été nourris
avec des pommes de terre additionnées de GNA et ne justifie nullement cette omission.
Aucune donnée n’est fournie concernant des rats de laboratoire qui auraient reçu une
alimentation normale. Aucun essai n’a été fourni sur échantillon aveugle. Pusztai et Ewen
n’ont pas démontré l’existence d’une pathologie liée à une légère modification de l’épaisseur
des muqueuses. Les données statistiques ont besoin d’être comparées en faisant une
expérience sur un autre groupe de rats.
Dans la revue de la Royal Society, le deuxième expert, un généticien des populations
précise d’emblée que les résultats obtenus dans cette expérience ne peuvent être
généralisés ni pour l’alimentation humaine, ni pour les PGM310. D’autant plus que selon lui,
cette expérience ne met au jour aucune évidence d’effet du GNA-GM sur les organes ou
l’immunologie, au plus des différences significatives qui nécessitent une plus ample
considération. L’expert affirme que les facteurs qui sont à l’origine des différences observées
n’ont pas pu être clairement dissociées : « It is not possible to tell wether the effects, if any ,
of the modification on growth and other traits of the rats are due to the presence of GNA or
other factor, and wether the transgenic process was itself in any way involved.
Fundamentally the experiment is rather simplistic in that major effects are confounded. »311.
Afin de bien distinguer les causes il serait nécessaire de recommencer l’expérience avec des
pommes de terre transformées seulement par l’utilisation d’un promoteur (ici, le CaMV35s)
connecté à un gène non fonctionnel pour être vraiment assuré du fait que l’insertion se
trouve à l’origine du changement et non la production de nouvelles protéines. On ajoutera à
cela qu’aucune information n’a été formulée concernant la race des rats utilisés et qu’il n’y a
pas non plus d’hypothèse de départ, ce qui rend plus difficile d’établir une corrélation entre
les tests : « under the null hypothesis, the probability of a significant result (assuming the
correct analysis was used) is 5%, and the expected number significant in n tests is
0,05n. »312
Le troisième expert enfonce le clou d’une formule lapidaire en affirmant que cette
expérience est impossible à vérifier étant donné le manque d’informations et donne

309
Alan Mowat, The Lancet, Volume 354, N° 9191, p.1353.
310
« General inferences can not be drawn about genetically modified foods, neither that they are
harmful, nor that they are not. », Mél de Rebecca Bowden, senior manager from the Royal Society to
Arpad Pusztai, sur www.freenetpages.co.uk/hp/A.Pusztai/
311
Ibid., p.3.
312
Ibid., p.4.

144
l’impression d’avoir été mal conçue (“ a poor experimental design ”), tellement elle donne
lieu à une grande confusion dans les résultats.
Le 5ème enfin, affirme que ces résultats inhabituels ne correspondent à aucun schéma
interprétable : « It is not possible to say wether the unusual results in these experiments
were simply the result of chance, due to limitations in the experimental design, a
consequence of an effect of the material under test, or a combination of all tree. »”313
L’auteur admet comme une évidence que ce type de matériel produit des effets, aussi, les
études devraient être approfondies pour que l’on tente de reproduire ce phénomène.

En résumé
A ce stade de la révision, les académiciens formulent alors un résumé de l’ensemble des
critiques. La sentence est irrévocable : 1) Absence totale d’hypothèse particulière (opposée à
général), 2) Un trop petit nombre d’animaux testés, 3) Un but expérimental confus, 4) Une
totale incertitude concernant le concept d’équivalence en substance, 5) Une confusion due à
des différences alimentaires, 6) Des mesures probablement faussées, 7) Des techniques
statistiques apparemment impropres, 8) Un manque de consistance à l’intérieur et au sein
des expériences. La conclusion étant que “ with hindsight, Professor Pusztai attempted to do
314
too much with the ressources at his disposal. ”
La conclusion générale de l’Académie des Sciences britannique est que « Pusztai’s
work provides no evidence of harmful effects of added lectins or of genetically modified
potatoes. At the same time, it would be of the greatest importance to avoid the error made
by others over BSE – that no evidence of effect is the same as evidence of no effects. »315
Les travaux du professeur Pusztai, par conséquent, ne permettent ni de démontrer, ni de
supposer un effet néfaste de la part des PGM. Il serait tout à fait inutile de vouloir
généraliser une démonstration qui ne se fonde sur aucune donnée crédible. Il est de bon ton
cependant de conserver une certaine prudence et de ne pas recommencer les mêmes
erreurs que pour la vache folle. On a pu constater qu’il était de la toute première importance
pour les académiciens, non seulement de faire comprendre l’aspect erroné des
raisonnements de Ewen et Pusztai, mais surtout l’impossibilité d’en généraliser les résultats.

313
« Il est impossible de dire si les résultats dans ces expériences étaient simplement dus à la chance,
une limite du but expérimental, une conséquence du matériel testé, ou une combinaison de ces trois
facteurs. » Mél de Rebecca Bowden, Ibid., p.9.
314
« Rétrospectivement, le professeur Pusztai a tenté de faire trop avec les ressources qui étaient à sa
disposition », Ibid, p.11.
315
Ibid., p.11 « Le travail de Pusztai ne démontre aucune évidence d’effets néfastes de lectine
ajoutée ou de pomme de terre génétiquement modifiée. Aussi, il est de la plus grande importance
d’éviter l’erreur qui a été accomplie par d’autres pour la maladie de la vache folle, à savoir qu’aucune
preuve d’effet est la même chose qu’une preuve de pas d’effet. »

145
On notera au passage une remarque intéressante du 5ème commentateur, un nutritionniste,
qui, sans démonter les procédés expérimentaux de l’expérience en question, insiste surtout
sur le fait qu’il n’est en aucun cas possible de généraliser ces résultats pour la bonne et
simple raison que même s’il est nécessaire d’élaborer un processus de vérification des
produits alimentaires et de leurs dérivés, on ne pourra cependant jamais obtenir un examen
aussi fiable que pour les médicaments. Dans ce cas en effet, il est impératif de prendre en
compte la possibilité d’une réponse variable parmi les individus (« depending upon their
physiological state, lifestyle, and the rest of the diet. »)

La réponse de Pusztai
Comment, après toutes ces salves, encore accorder du crédit à l’expérience de Pusztai et
Ewen. On sait que le scientifique a été démis de ces fonctions. Pourtant, loin d’être revenu
sur la consistance de ses propos, il s’est permis de répondre une première fois à l’institution
britannique316 en commençant tout d’abord par se justifier. En effet, selon lui, le but de
l’expérience a déjà été présenté en 1995 au SOAEFD (Scottish Office Agriculture,
Environment, Fisheries Department), le bureau écossais de l’agriculture et a pu être revu
dans les moindres détails par des experts référés du BBSRC (Biotechnology and Biological
Sciences Research Council) avant que le contrat ne soit attribué à son équipe. Il n’admet
pas, par conséquent, que les experts nommés par l’Académie des sciences affirment que le
travail du Rowett est imparfait dans les buts qui ont été fixés et dans la manière dont cela a
pu être réalisé. Surtout que les experts nommés n’ont pas reçu de copie de l’expérience
originale. Pusztai se plaint alors de la manière de procéder de l’Académie ; il affirme avoir
proposé des informations supplémentaires ainsi que son aide pour collaborer avec les
relecteurs, mais à son plus grand regret, dit avoir été débouté (“ Unfortunately, the RS’s
decision was that my role only was to provide my data for the working group and they will
then with the help of six unnamed referees draw up the RS Final Report. ”)
A la suite de ces remarques préliminaires, Pusztai se demande comment il a été
possible aux 6 experts de produire un rapport puisqu’ils n’avaient aucune données
convenables (« It is not clear to me how they arrived to their damning conclusions to be able
to state with such conviction that any differences between rats fed GM and non-GM potatoes
“ were uninterpretable because of the technical limitations of the experiments and the
incorrect use of the statistical tests. ») A contrario, Pusztai soutient que 24 experts
internationaux ont affirmé que les résultats étaient d’une qualité suffisante pour
entreprendre des recherches complémentaires et eux, n’ont pas hésité à signer leurs

316
Reply to the Royal Society’s report, of 18 May 1999.

146
commentaires. Ces travaux qui participent à une entreprise de découverte (“ pionneering
study ”) et qui ont même été reconnus par certains membres de la Royal Society avaient
simplement pour objectif d’être une étude initiatrice d’un programme de recherche pour
tester les PGM. Aussi le scientifique insiste sur le fait qu’il n’a nullement cherché à
généraliser les données qu’il a obtenues à l’espèce humaine (« We have never inferred from
the results of the work with GM-potatoes that GM-foods were harmful to human beings.
Indeed, we never said that GM-potatoes were harmfull to anything but rats. ») ; ceci dit, il
précise que les pommes de terre qu’il a employées contiennent une modification génétique
identique à celle de nombreux aliments que l’on trouve actuellement sur le marché. Enfin,
concernant la publication sur Internet par le Rowett Institute des données, elle s’est faite
sans le consentement du scientifique et pour cette raison, il n’était plus possible de publier
l’expérience dans une revue de grand standing. A l’encontre des conclusions formulées par
les experts de la commission nommée par la Royal Society, Pusztai réitère ses affirmations :
“ In contrast to the conclusions in the RS Report which is based in most instances on poor
refeering and using inappropriate internal reports for their peer-reviewing, our data reliably
and convincingly demonstrate that the inclusion of GM-potatoes in the rat diet has a number
of harmful effects on growth, organ devlopment and immune response. ”317
Peu après la publication de ses expériences dans le journal The Lancet, l’auteur aura
l’occasion de répondre une fois de plus aux accusations dont il a fait l’objet, mais cette fois-ci
en détail : Pusztai affirme que les pommes de terre étaient isoprotéiques et isocaloriques,
information qui a été confirmée par le Rowett Institute (“ diets were isoproteic and
isocaloric ”). On ne peut affirmer que les animaux mourraient de faim puisqu’ils ont tous reçu
un complément protéique. La faim, d’autre part, réduit la taille de l’intestin et la longueur de
la crypte, or, c’est tout le contraire qui a pu être observé. La lectine de pomme de terre est
anti-mitogénique et donc son effet devrait être une diminution et non pas une prolifération
des cellules dans la crypte. Les effets de la lectine sont connus comme étant minimes donc
une différence dans les contenus, comme ce qui a pu être supposé, ne devrait pas donner
de tels écarts dans les résultats.
Contre « l’absence de consistance » des différences qui ont pu être observées,
Pusztai affirme que cette différence est bien au contraire primordiale. Il remarque en outre
que son étude ne portait pas sur la toxicologie des pommes de terre génétiquement
modifiées, mais sur les effets de la modification. Le nombre de rats (6 par essais) est
largement suffisant et correspond tout à fait aux critères expérimentaux les plus courants.
Pusztai acquiesce cependant sur le fait qu’il est nécessaire de distinguer entre une protéine

317
Ibid.

147
recombinante et la toxine produite par une plante génétiquement modifiée. Contrairement
aux compagnies de biotechnologie qui font confiance aux expériences comparatives qui se
font à partir des recombinants d’E.Coli, Pusztai, lui, a comparé le produit d’une PGM avec son
original non transformé. De nombreux traits n’ayant rien à avoir avec le transgène introduit
ont déjà pu être trouvés dans des plantes qui ont été mises en vente sur le marché. Le
scientifique cite les exemples du soja génétiquement modifié pour résister au glyphosate,
dans lequel on a découvert une production d’un inhibiteur (la trypsine), qui plus est
allergène, 28% supérieure à la moyenne. Ou encore du soja génétiquement modifié qui
produisait moins d’œstrogènes. On ne peut pas non plus reprocher au fixatif qui a été
employé d’être à l’origine des “ longueurs ” de la crypte qui ont pu être mesurées.
Répondant à P. Lachman qui l’accusait de ne pas avoir énoncé clairement son hypothèse de
départ, Pusztai réitère plus clairement celle-ci : « On a pensé que la comparaison des
paramètres histologiques de l’intestin des rats nourris avec des pommes de terre
génétiquement modifiées ou non génétiquement modifiées est suffisante pour donner une
indication de l’impact nutritionnelle et physiologique que peut avoir l’insertion d’un gène sur
l’intestin des mammifères. » Enfin concernant les remarques qui insistent sur l’incomplétude
de l’expérience, Pusztai ironise sur le fait qu’il n’attend qu’un financement pour continuer.

Discussion
Comme on peut le constater, cette controverse se distingue de celles que l’on a vues
précédemment (risque d’allergie, risque de transfert d’un gène de résistance aux
antibiotiques). En effet, ici, le désaccord ne porte pas seulement sur l’interprétation de la
probabilité des risques ; ce que les critiques remettent en cause ici, c’est l’expérience même
de Pusztai ainsi que ses résultats. Qu’il s’agisse des experts qui se sont exprimés dans The
Lancet, ou de ceux qui ont travaillé sur le rapport anonyme de la Royal Society, ce qui est
reproché à l’expérience de Pusztai et Ewen, c’est l’emploi de méthodologies inadéquates, le
choix d’une alimentation inadaptée pour les rats, l’absence d’une hypothèse de départ, une
certaine confusion dans ses interprétations et enfin, une généralisation incorrecte. Autrement
dit, on ôte toute scientificité aux travaux de Pusztai. Une prise de position très ferme donc
de la part des représentants de la science officielle qui s’est concrétisée quelques temps
après, par la destitution de Pusztai de ses fonctions. Le scientifique, quant à lui, s’est
défendu en dénonçant la position d’autorité de la Royal Society ; il lui a opposé celle des
scientifiques qui ont cautionné l’expérience, au niveau mondial et a rappelé que celle-ci
s’inscrivait dans un programme de recherche conventionné. Concernant les critiques de
l’expérience en elle-même, on voit que Pusztai les réfute les unes après les autres, après

148
avoir tenté d’en minimiser l’impact en rappelant qu’elles se fondaient sur un document
incomplet.
D’une part comme de l’autre, les protagonistes de la controverse s’accusent d’être de
mauvaise foi. Il semble difficile de voir, dans ce cas, où se trouve la « vérité ». Un
scientifique affirme avoir démontré le risque avéré des PGM ; aussi, il a annoncé ces
résultats sans respecter les coutumes d’usage de la relecture par les pairs. Pour cela, il s’est
fait sermonner par l’institution scientifique d’une manière que l’on peut trouver brûtale et
maladroite, certes, mais on ne doit pas oublier, cependant, qu’il est lui-même à l’origine de
cette situation après avoir provoqué un scandale en communicant aux médias des résultats
approximatifs et suivis d’une généralisation infondée. Il y a donc une différence avec les
controverses précédemment étudiée. Il s’agit bien moins d’une controverse que d’une
polémique. En effet, ce qui semble en jeu, c’est l’honnêteté et l’intégrité des acteurs en
présence. C’est ainsi que à la suite de la revue effectuée par l’Académie des sciences
britannique, un débat a eu lieu dans les médias, faisant la une des journaux les plus
populaires et obligeant la “ Royal society ” à se justifier pour avoir rejeté la publication par
The Lancet des travaux de Pusztai. En effet, l’Académie Royale a fondé son rapport daté de
mai 1999 sur des résultats parus sur le Web en février 1999 et dont Pusztai avait évoqué
l’existence lors d’un passage en août 1998 à l’émission World in Action de la chaîne ITV -
émission au cours de laquelle il avait réussi à provoquer un scandale en affirmant « nous
sommes tous des cobayes ». L’officialisation de l’expérience de Pusztai a eu lieu à la suite
d’une publication dans The Lancet, le 16 Octobre 1999, ce qui a fait dire au président de
l’institution britannique, qu’il n’aurait, personnellement jamais publié ces pages318 ; car, tout
comme les documents sur lesquels l’Académie a pu fonder ses critiques, l’article publié dans
le Lancet est trompeur. Réduite à pousser encore plus loin la nécessité des critiques
formulées à l’égard de Pusztai, la Royal Society devra se justifier en rappelant le rôle qu’elle
joue depuis sa fondation afin de répondre à une couverture du Gardian qui a dénoncé son
attitude à l’égard du directeur de The Lancet (« Pro-GM food scientist threatened editor ») :
« The Royal society does not have a ‘rebuttal unit’, and its aim is in no way to mould
scientific and public opinion with a pro-biotech line. »319 Les prises de positions contre la

318
« The president of the Royal Society would not have published this paper by Professor Stanley
Ewen and Dr Arpad Pusztai since it confirms the Society’s original judgement that the experiments on
which this paper is based were flawed. », in « Royal Society rejects latest claims in The Lancet on GM
potatoes », 14 oct. 1999, http://www.royalsoc.ac.uk
319
« La Royal Society n’a pas de comité de censure et son but n’est en aucun cas de mouler l’opinion
scientifique et publique selon un modèle pro-biotech », « The Royal Society and GMOs », 01
November 1999, http://www.royalsoc.ac.uk

149
publication de l’article du niveau du Lancet avaient bien plus pour objectif la volonté de
critiquer l’officialisation de résultats trompeurs320.
Dans ce qu’il convient d’appeler l’affaire Pusztai, on constate qu’un scientifique
affirme avoir à ses dispositions les preuves de ce que nous appelons la différence absolue
des PGM (elles seraient nocives pour les rats alors que leur équivalent classique serait sans
effet) ; aussi, cette assertion a été à l’origine d’une véritable levée de boucliers des
représentants de la science orthodoxe. On constate alors que ce qui se trouvait en jeu,
c’était bien évidemment la procédure d’officialisation de la vérité scientifique, mais aussi, son
contenu même. Bien évidemment, s’il ne s’agit pas ici uniquement de « vérité scientifique »,
on s’aperçoit que la même ligne de séparation continue d’exister entre les défenseurs du
principe d’équivalence en substance et ceux de la « différence absolue ». Or plus cette
dernière tend à passer pour une vérité, plus elle démontre l’aspect politique du débat qu’elle
suscite. Doit-on, par conséquent, faire de Pusztai une victime du système qui aurait été
injustement déboutée, à la suite d’un complot institutionnel ? A bien regarder, il semble que
Pusztai soit le premier responsable de la situation ; il a enfreint le protocole de divulgation de
l’information scientifique. Avait-il des raisons de procéder ainsi et d’aller provoquer un
scandale à la télévision britannique avant toute relecture de ses expériences par un comité
d’experts ? Une institution britannique aussi importante que la Royal Society, quant à elle, se
serait-elle amusée à cacher sans fondement la vérité au public, après un épisode tourmenté
tel que celui de la crise de la BSE ? Pourquoi, enfin, le cas d’Arpad Pusztai est-il resté isolé et
pourquoi sa « découverte » n’a-t-elle jamais fait l’objet d’une vérification ? Lorsqu’on connaît
le nombre important des études comparatives menées sur l’alimentation animale321, on peut
s’étonner qu’aucune autre révélation de ce genre n’ait fait la une de l’actualité. Toute ces
remarques démontrent, selon nous, l’enjeu considérable que représente la démonstration du
principe d’équivalence en substance des PGM, aussi bien pour les experts que pour les non-
experts. Ici, c’est parce que ce principe se trouvait directement en question (il s’agissait de
l’existence d’un risque avéré et non pas potentiel), que les résultats d’une expérience non
vérifiée et, qui plus est, inachevée, ont fait la une des médias. Sinon, pourquoi un risque qui
n’a pas fait l’objet d’une démonstration, devrait-il recevoir un tel crédit ? Nous pensons que

320
« The society’s objection to the publication of the Ewen & Pusztai paper in The Lancet on 16
October was that the paper stilll contained speculative conclusions that were not substantiated by the
experimental data presented. » Ibid.
321
Un recensement effectué en 2002 par l’association européenne Bio-Scope compte plus de 97
expériences comparatives effectuées sur plusieurs espèces animales (volailles, porcs, bovins, vaches
laitières et mouton) nourries avec des aliments transgéniques actuellement mis sur le marché, ces
études ayant pour objectif de vérifier l’absence de toxicité, et l’équivalence en substance ne semblent
pas s’être distinguées par la démonstration d’un risque quelconque. http://www.bio-scope.org/

150
l’interprétation qui fait de Pusztai une victime est simpliste. Il est vrai cependant, qu’on peut
préférer une attitude comme celle des institutions américaines dans le cadre de l’expérience
sur le papillon monarque. Comme on le verra plus loin, celles-ci, au lieu d’exclure le
chercheur qui s’est trouvé à l’origine de résultats controversés, l’ont inclu dans les recherches
qu’ils ont entreprises pour vérifier ses découvertes ; cette mesure prend une certaine valeur
par rapport à un public, a priori, déjà en perte de confiance à l’égard de l’autorité
scientifique. Toujours est-il que dans le cadre de l’affaire Pusztai, la politisation du débat a
été si forte qu’elle l’a emporté sur une tentative d’élucidation constructive d’une quelconque
vérité scientifique.

3.1.4 Conclusion sur l’équivalence en substance et les risques alimentaires


Que nous enseigne l’étude des controverses scientifiques sur les risques alimentaires
des PGM ? Qu’il s’agisse du risque d’allergie ou du risque de transfert d’un transgène
provoquant la résistance aux antibiotiques, on s’aperçoit que le désaccord entre les experts
porte essentiellement sur l’estimation des risques potentiels. Seule exception à la règle,
l’affaire Pusztai ; ici, le scientifique affirme avoir démontré l’existence d’un risque avéré. Or,
dans ce cas, comme on a pu le constater, l’expérience n’a pas reçu la validation des pairs, le
scientifique a été destitué de ses fonctions et, à notre connaissance, aucune étude
complémentaire n’a élucidé le problème soulevé par Pusztai. Tous ces exemples nous
permettent donc d’affirmer que les risques alimentaires suscités par les PGM, conservent un
caractère probable. En effet, dans le cas du risque d’allergie, la controverse s’articule autour
de la problématique qui consiste à disposer des moyens mis en oeuvre ou à disposition pour
pouvoir vérifier si le transgène est un allergène. Dans le cadre d’un transfert éventuel de
gènes de résistance aux antibiotiques à l’organisme ou au sol, le risque est conditionné à la
réalisation de plusieurs facteurs (transfert, stabilisation, sélection…). Le risque, en tant que
tel, est admis par tous. La controverse porte donc moins sur les risques que sur l’évaluation
et la gestion des risques.
En effet, alors que certains reconnaissent le risque, tout en l’acceptant et en
proposant une gestion que l’on peut dire constructive de celui-ci, d’autres l’exacerbent au
point de le traiter comme une particularité des PGM322. Ainsi on pourrait croire que, le risque
d’allergie qui est propre à tous les aliments devient une spécificité des PGM, de même pour

322
On constatera qu’associés au thème des PGM, des problèmes comme celui des aliments allergènes
ou l’apparition de bactéries résistantes aux antibiotiques prennent une nouvelle tournure et sont mis
en valeur et vice-versa.

151
le risque d’apparition de bactéries résistantes aux antibiotiques qui n’est pas un nouveau
problème.
Pour expliquer cette différence d’interprétation de la probabilité d’un risque, nous
supposons que les scientifiques n’appuient pas leurs analyses sur le même paradigme. Aussi,
en regardant les controverses au travers du principe d’équivalence en substance, il nous est
apparu que les experts faisaient une lecture différente de celui-ci. Ce principe qui a été établi
afin de donner un cadre juridico-scientifique à l’introduction des Plantes Génétiquement
Modifiées sur le marché admet, après vérification des dossiers déposés et si aucune
différence majeure n’a été constatée, que les nouveaux produits sont comparables aux
espèces parentes. Il est important d’insister sur le fait qu’il n’est pas une garantie
d’innocuité. Ce principe peut donc être interprété de différentes manières.
Alors que les experts pro-PGM considèrent chaque nouvelle plante comme étant
potentiellement équivalente en substance, et ne traîtent pas les risques potentiels des PGM
comme des particularités qui les distingueraient des autres plantes, mais cherchent plutôt
des solutions pour les détecter et les supprimer (détection et suppression des transgènes
allergènes, invention d’une technologie de substitution aux antibiotiques…), les experts anti-
PGM adoptent l’attitude opposée. On peut supposer alors que ces derniers posent a priori et
de manière implicite la différence absolue des PGM en ce sens que chaque risque potentiel
devient une particularité qui différencie les PGM de leur équivalent classique. Chaque risque
rencontré (par exemple le risque d’allergie, ou le risque de transfert) est considéré comme
un risque spécifique et par conséquent, différenciant, de la transgenèse végétale. A cela
s’ajoute que ce risque, du fait de sa spécificité, est considéré comme technologiquement
incontrôlable. Autrement dit, du fait de leur supposée «différence absolue », les PGM sont
une source de risque beaucoup plus importante que tout autre équivalent non-modifié. Pour
les experts pro-PGM, ces risques, au contraire, ne constituent pas des différences qui
démarquent les PGM au point que celles-ci soit sources de dangers inédits et incontrôlables.
Elles sont parfaitement gérables. En bref, la controverse a pour origine une différence entre
deux « conceptions ontologiques opposées» des PGM. C’est parce qu’ils se fondent sur un
paradigme différent, que les experts ne réussissent pas à tomber d’accord sur l’interprétation
d’informations identiques. D’où cette conséquence : l’estimation des risques alimentaires est
du fait de son aspect systématique, en partie idéologique. Faut-il en déduire pour autant
qu’elle est illusoire, car subordonnée à des intérêts divers et particuliers ? Nous ne le
pensons pas. Lorsque nous employons le terme d’idéologique, c’est plutôt dans le sens que
l’idée de modification du vivant renvoie, comme nous aurons l’occasion de le voir, à deux
philosophies du rapport technologie-nature. Aussi, dans le cadre des controverses

152
scientifiques c’est bien plus un débat sur cette nature qui est en jeu qu’une détermination de
la sécurité alimentaire ; ou plutôt c’est le premier qui influence la seconde. Aussi, si la
perception de la nature de l’être des PGM est source de controverse, nous allons voir
comment l’application de la technologie l’est également.

3.2. PGM et risques environnementaux : le principe de précaution en question


Comme on vient de le constater les plantes génétiquement modifiées suscitent bon
nombre d’interrogations en ce qui concerne les risques alimentaires et sanitaires, les craintes
ne sont pas moins fortes pour ce qui concerne l’environnement. Ce qui est sujet, une fois de
plus, à un grand nombre de discordes scientifiques et à une riche glose médiatique. En effet,
pour la majeure partie des environnementalistes, l’introduction de plantes génétiquement
modifiées parmi les autres cultures apparaît comme une catastrophe écologique, aussi, ils
n’hésitent pas à employer le terme de « pollution transgénique ». Ces derniers tentent de
démontrer la forte probabilité de transfert des transgènes entre cultures proches, voire
éloignées. On risquerait ainsi une hybridation avec les espèces proches. En outre, si l’on
continue à développer les plantations issues des biotechnologies, on risque d’appauvrir la
diversité des cultures. Un autre risque évoqué est celui de voir se développer des êtres
résistants parmi les populations cibles et la destruction de populations non-cibles. Enfin, une
dernière critique affirme l’effet nocif des plantes sur les sols. Les griefs anti-PGM rattachés à
des préoccupations écologiques s’attachent principalement à ces idées.
Alors que nous avons étudié les risques sanitaires des PGM au travers du principe
d’équivalence en substance, nous nous proposons désormais d’étudier les risques
environnementaux au travers du « principe de précaution » ; ainsi nous tenterons de
démontrer qu’au sein de la controverse, les experts font une lecture différente de ce
principe, de même qu’ils font une lecture différente du principe d’équivalence en substance.
C’est donc à partir des conceptions opposées et de l’emploi divergent de ce principe que l’on
tentera d’expliquer la possibilité d’avis scientifiques contraires sur un même sujet donné.

3.2.1 De la précaution en général.


Dans le débat qui oppose les experts, l’étude du principe de précaution est également
une clé qui nous permet de comprendre l’origine de la controverse. Alors que le principe
d’équivalence en substance s’applique aux plantes génétiquement modifiées une fois mises
sur le marché, le principe de précaution, lui, est un principe plus général qui s’applique à la

153
technique de la transgenèse végétale qui se trouve à l’origine de ces plantes. Or comme on
va le voir, à son tour, ce principe est sujet à deux lectures différentes, celle des pro et celle
des anti-PGM.

3.2.1.1 De la précaution comprise comme une forme de ‘prudence’


On pourrait penser que la ‘précaution’ est un principe qui a toujours fait partie du sens
commun. On peut lui trouver des racines grecques dans la ‘prudence aristotélicienne’323, cet
attribut dont devait forcément être muni l’homme politique de la cité afin d’être capable de
prendre des bonnes décisions et pouvoir connaître la vérité. On remarquera que la prudence
était considérée comme une vertu, dont pouvait être muni (ou démuni) tout un chacun. De
ce point de vue, on peut affirmer aussi que la prudence ne nécessite pas nécessairement de
contenu de connaissances préalables, mais est plutôt une attitude innée par rapport à un
objet extérieur et pas forcément connu dans son intégralité324. On trouvera un très bon
exemple de mise en application de cette attitude dans le rapport publié par le député Jean-
Yves le Déaut325 en juillet 1998 à la suite de la « Conférence citoyenne » qui a eu lieu en juin
1998 à l’Assemblée. Ce débat, on le rappellera, consistait à réunir pendant deux jours
consécutifs un échantillon représentatif d’une quinzaine de citoyens pour les faire dialoguer
avec les experts. Or les différentes remarques des acteurs sélectionnés pourraient servir à
illustrer le caractère quasi « inné » de ce que l’on nomme principe de précaution. Par
exemple, une des exigences soulevées réclamait que l’on tire mieux partie de l’évaluation en
milieu confiné avant de passer à l’expérimentation au champ. Ignorant tout à la base des
biotechnologies, ce “ panel ” de citoyens a, comme on a pu le constater, très vite assimilé les
problèmes que posaient l’introduction en plein champ des PGM. En effet, très vite, 2 camps
se sont formés entre ceux qui pensent qu’il est nécessaire de réaliser des expérimentations
pour juger de l’utilité des PGM, tout en ayant conscience qu’un milieu confiné ne suffit pas

323
Voir le débat de Salomon/Lecourt ; Jean-Jacques Salomon, Survivre à la science. Une certaine idée
du futur (Albin Michel, 1999)/ Dominique Lecourt, « L’étrange fortune du principe de précaution »
Futura-Sciences - Biologie et Génétique - 16/03/2003. Alors que J.J. Salomon défend l’idée selon
laquelle le principe de précaution serait une réactualisation de la prudence aristotélicienne, Dominique
Lecourt rejoint la critique que Bruno Latour fait de cette interprétation et démontre que l’on ne peut
pas réduire le principe de précaution à une nouvelle forme de prudence. http://www.futura-
sciences.com/decouvrir/d/dossier223-1.php
324
« Tout comme la prévention, la précaution est fille de la prudence, qui s’impose aux acteurs publics
et privés , dès lors que leur décision présente des risques potentiels ou avérés. La prudence implique
de réfléchir à la portée et aux conséquences de ses actes et de prendre des dispositions pour éviter
de causer des dommages à autrui. », Philippe Kourilsky, Geneviève Viney, Le principe de précaution,
rapport au Premier Ministre, La documentation française, Paris, 1999, p.12.
325
Rapport de l’OPECST à la suite du débat sur les ogm et les essais au champ, Christian Babusiaux,
Jean-Yves le Deaut, Didier Sicard, Jacques Testart, la documentation française.

154
pour se rendre réellement compte, et ceux qui pensent que « le champ n’est pas un
laboratoire mais un espace social et qu’une intrusion des expérimentations dans ce milieu
326
pose problème.» La conséquence qui sera tirée de ce dilemme étant que « les
expérimentateurs devraient donc limiter autant que faire se peut les incertitudes persistant
au moment du passage au champ » ; d’où la nécessité de réaliser des expériences en milieu
clos pour analyser les constructions génétiques préalablement à leur introduction dans le
milieu naturel : « Ce n’est que lorsque l’incertitude a été réduite à des conséquences
considérées comme mineures que le risque d’une dissémination et donc d’une dispersion des
gènes pourra être courue. »327 L’ensemble des citoyens se seraient donc mis d’accord pour
que les mesures de contrôle soient renforcées et pour que la CGB (commission du génie
biomoléculaire) renforce ses exigences auprès des pétitionnaires. Aussi, « dès lors que
l’expérimentation en champ induit nécessairement une dissémination vers les cultures
traditionnelles, des tests, qui ne sont aujourd’hui exigés qu’avant la mise-en culture à grande
328
échelle, devraient l’être dès avant de décider l’expérimentation au champ. »
Nous nous appuyons sur ces quelques remarques pour constater qu’une « attitude
prudente » semble couler de source chez le citoyen. On pourrait d’ailleurs se demander si cet
instinct n’est pas dû au fait qu’il est beaucoup moins familiarisé avec les plantes que ne le
sont les scientifiques et donc, a beaucoup plus de suspicion à l’égard d’une science dont il
ignore tout. Toujours est-il, qu’on trouve ici un très bon exemple d’un exercice de
« prudence spontanée » qui ressemble, a priori, au « principe de précaution ». Cependant,
réduire le principe de précaution au bon sens des citoyens serait peut-être aller un peu vite
en besogne. Or il est important de donner une définition précise. Une mode récente veut en
effet que l’on emploie ce principe à tous bouts de champ sans bien savoir ce qu’il recouvre.
L’un des premiers à avoir dénoncé cette tendance est Olivier Godard : dans une interview
trouvée en ligne sur le site de Solagral, une organisation écologiste française, l’économiste
spécialiste de la gestion des risques et directeur de recherche au CNRS, tout en réaffirmant
l’importance du principe de précaution, souligne que « ce principe est en passe de devenir
un slogan et le substitut d’un débat qui n’a pas eu lieu.»329 Il cite alors l’exemple de
l’embargo sur le bœuf britannique qui a été lancé par l’Etat avant d’avoir cherché à établir un
débat : « sans débat, il n’y a pas de maturation de l’opinion publique dans son
comportement vis-à-vis des risques collectifs. Ce qui donne prise à des phénomènes de
panique plus ou moins exploités politiquement. » Il développe alors la thèse – thèse que l’on

326
Ibid., p.27.
327
Ibid., p. 27.
328
Ibid., p.28.
329
www.solagral.fr

155
retrouve dans un ouvrage qu’il a écrit330 - selon laquelle il existe une « manière extrémiste »
d’utiliser le principe de précaution. Selon Godard, cette interprétation « absolutiste » du
principe de précaution (celle de Greenpeace, par exemple) se dévoile encore plus dans
« l’inversion de la charge de la preuve » qui oblige celui qui introduit une invention sur le
marché d’en prouver l’innocuité au lieu qu’avant, c’était au consommateur de prouver le
danger qu’il dénonçait. Avec cette interprétation du principe de précaution, ce serait donc à
ceux qui sont susceptibles d’introduire le risque de montrer qu’il n’existe pas. Pour Olivier
Godard, cette exigence du risque zéro révèle une attitude irrationnelle : les raisons qui font
qu’il est impossible de prouver la nocivité d’une innovation quelconque, font qu’il l’est tout
autant d’établir scientifiquement son innocuité. Commentant cette thèse, Catherine et
Raphaël Larrère dans un article du Courrier de l’environnement de l’INRA affirment que:
« l’inversion de la charge de la preuve dans l’interprétation que Godard impute à Greepeace
conduirait à une règle de l’abstention. Alignant le principe de précaution sur une éthique
jonassienne, elle reviendrait à bloquer toutes discussions sur les risques et favoriserait les
manipulations de l’opinion par les ‘prophètes de malheur’ » 331.
Après avoir supposé qu’il existe une forme spontanée du principe de précaution qui
est la ‘prudence’ et que ce principe est utilisé aujourd’hui de manière confuse dans un
nombre considérable de domaines, et parfois d’une manière abusive332, il est nécessaire de
revenir en détail sur la définition de ce principe en général et de la manière dont il peut être
appliqué dans ce cas particulier qui est la culture des PGM en plein champ.

3.2.1.2 Du principe de précaution au principe de responsabilité


Face au nombre croissant d’occurrences du “ principe de précaution ”, le gouvernement
Jospin a fait la demande au biologiste Philippe Kourilsky - professeur au Collège de France et
membre de l’Institut de France - et à la juriste Geneviève Viney - professeur à l’Université
Paris I - d’un rapport afin de clarifier la notion de ce principe. Paru le 15 Octobre 1999, celui-
ci comporte une centaine de pages ; il se compose d’une introduction conceptuelle et de
deux parties thématiques : la première partie présente le principe de précaution en situation,
on y trouve « 10 commandements de la précaution » et, en ce qui concerne notre sujet,
une mise en application du principe sur les PGM ; la seconde partie, elle, est consacrée à

330
Olivier Godard, Le Principe de précaution dans la conduite des affaires humaines , édition de la
Maison de la science de l’homme et INRA, 1997.
331
« Les OGM entre hostilité de principe et principe de précaution », Catherine Larrère et Raphaël
Larrère, Courrier de l’environnement n°43, mai 2001, sur www.inra.fr
332
A titre d’information, on notera qu’en saisissant les mots « OGM et précaution » dans les archives
du Monde pour la période de janvier 1987 à août 2002, on obtient 115 occurrences d’articles, et en
saisissant « principe de précaution », on arrive à 1200 articles, pour la même période.

156
l’étude du principe de précaution comme norme juridique et ses conséquences sur la
responsabilité des acteurs. Nous étudierons dans cet important travail, les passages qui
montrent en quoi ce principe reste une notion à interpréter et peut difficilement être fixé
dans une seule définition.
Né dans les années 80, le principe de précaution a émergé au milieu des débats
relatifs aux problèmes internationaux sur l’environnement et se verra publiquement consacré
lors de la conférence de Rio en 1992. En France, la loi Barnier, insérée à l’article L.200-1 du
code rural lui donne la définition suivante : « l’absence de certitudes, compte tenu des
connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de
mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et
irréversibles à l’environnement à un coût économiquement acceptable. » Comme le
remarque P.Kourilsky et G. Viney dans l’avant-propos, ce principe s’applique aujourd’hui
aussi bien à la santé et à l’alimentation qu’à l’environnement. Aussi, en plus d’être une loi,
c’est devenu « un phénomène social majeur qui met en cause de nombreux aspects du
fonctionnement des démocraties.»333 Aussi les incohérences qu’il suscite parfois du fait de
son succès dans l’opinion font que : « il est considéré par certain comme une avancée
majeure du droit qui, non seulement est susceptible d’améliorer la sécurité, mais peut encore
constituer un pilier du développement économique durable et servir de rempart contre les
débordements de la technique et du productivisme. A l’inverse, il est également dénoncé
comme étant de nature à pervertir l’imputation de certaines responsabilités, à pénaliser les
entreprises dont la compétitivité se trouverait compromise par des excès de réglementation,
à faire obstacle à l’innovation et, dans les échanges internationaux, à masquer des intérêts
protectionnistes. »334 Ce rapport se fixe donc pour objectif de lever l’ambiguïté que suscite
cette notion, et la première étape consistera à démontrer que ce principe « ne doit pas être
interprété comme une recommandation systématique d’abstention ». Bien au contraire, il
doit inciter à l’action et « cette attitude positive, d’action plutôt que d’inaction, de gestion
active du risque plutôt que de démission devant le risque, correspond à l’objectif
unanimement partagé de réduction des risques pour l’homme et l’environnement sans que
celle-ci passe obligatoirement par une accumulation de moratoires et un gel des
innovations. » Aussi, il faut être bien conscient que cette tentative d’estimation des risques
ne signifie pas qu’il est possible de garantir le risque zéro. Toutes ces remarques

333
Philippe Kourilsky, Geneviève Viney, Le principe de précaution , rapport au Premier Ministre, La
documentation française, Paris, 1999, p.8.
334
Ibid., p.8.

157
préliminaires montrent la nécessité qu’il y a de formaliser le principe et d’en réglementer
l’usage.
Du point de vue du débat sur les PGM, on voit à quel point toutes ces remarques
prennent sens. En effet, si on se reporte aux querelles évoquées dans le chapitre précédent,
les risques alimentaires impliquent que l’on adopte ce principe afin de prévenir d’éventuels
accidents. Il serait intéressant de voir si ceux qui admettent l’équivalence en substance sont
aussi ceux qui considèrent le principe de précaution comme un obstacle à l’avancée des
technologies, alors que ceux qui défendent implicitement la « différences absolue » ont
tendance à faire un usage abusif de ce principe. Mais revenons avec P. Kourilsky sur le sens
du mot précaution et tout d’abord des notions qui lui sont attenantes : le ‘risque’, le ‘danger’
et ‘l’aléa’. Le premier désigne « ce qui menace ou compromet la sûreté, l’existence, d’une
personne ou d’une chose » ; le risque est un « danger plus ou moins prévisible » (Robert)
alors qu’un aléa est un événement imprévisible non connoté par un jugement de valeur335.
Un risque peut être potentiel ou avéré. Un risque potentiel, par son aspect hypothétique
implique que l’on établisse des scénarios et que l’on analyse leur plausibilité. Rien ne permet
de dire qu’un risque potentiel finira par se réaliser et seule une interprétation grandement
pessimiste comprend le risque potentiel comme « un risque avéré immature, en attente de
réalisation.»336
On ne peut s’empêcher de rapprocher cette analyse des commentaires de ceux qui
souhaiteraient bannir les PGM du fait des risques probables qu’ils laissent entrevoir ; comme
on peut le constater, leurs exigences se fondent sur une confusion entre risques avérés et
risques potentiels. Alors que la précaution concerne les risques potentiels, la prévention
s’adresse aux risques avérés, aussi, d’après Kourilsky, on doit utiliser la prévention pour les
risques nucléaires (les risques des installations nucléaires sont avérés) et la précaution pour
les OGM (pour l’heure les risques des OGM, ne le sont pas). Aussi, il est important d’avoir à
l’esprit que les risques potentiels ne sont pas des risques avérés peu probables (dans ce
dernier cas, la probabilité porte sur le risque d’accident, alors que, dans le premier cas, elle
porte sur l’hypothèse du risque)337. Tout ceci faisant du principe de précaution un mode
d’action d’une extrême souplesse (il peut être révisable suite, par exemple à une avancée
des connaissances) dans un contexte incertain. La précaution portant sur des hypothèses, il
est possible de commettre des erreurs. Enfin, P. Kourilsky affirme que la précaution et la

335
Philippe Kourilsky, Ibid. , p.10.
336
Ibid., p.11.
337
Ibid.

158
prévention se rejoignent au sein d’un principe tiers que l’on pourrait appeler le ‘principe de
prudence’338.
On reviendra plus tard sur cette distinction entre précaution et prévention, mais à lire
les commentaires de Philippe Kourilsky, il semble bien que certains utilisent la prévention
pour la précaution et brouillent les pistes avec emphase. En effet, si on s’en tient aux dires
de l’auteur du Rapport sur le Principe de Précaution, en toute logique, il semble impossible
de confondre risque nucléaire et risque issu des biotechnologies ; or à en écouter certaines
voix (celles que O. Godard caractériserait comme « prophétes du malheur »), il ne semble
pas y avoir de distinction entre les plantes génétiquement modifiées et le nucléaire. C’est
ainsi que s’interrogeant sur les capacités du « tout transgénique » à se substituer au « tout
chimique », Jean-Marie Pelt affirme que pour l’instant, le tout transgénique générera plus de
problèmes qu’il n’en résoudra339. Selon ce botaniste, « des risques existent, même s’il est
difficile de les évaluer avec précision dès lors, que faute de recul, on les connaît encore à
peine. » Après avoir évoqué ceux-ci (perturbation de l’équilibre écologique, résistance aux
antibiotiques, effets toxiques imprévus, nouveaux agents pathogènes…), il enchaîne sur un
des couplets favoris de la pensée anti-OGM : l’idée selon laquelle les biotechnologies sont
aussi dangereuses que le nucléaire et participent de la même inconscience dans la gestion
de ce danger : « Il y a vingt ans, à l’époque de la montée en puissance du nucléaire, il était
somme toute assez facile d’évaluer les risques correspondants. Toutes les craintes naguère
évoquées se sont d’ailleurs confirmées. Un réacteur nucléaire ne risquait-il pas d’exploser ?
Certes non ! Prétendait-on. Et pourtant, nous avons eu Tchernobyl, le plus grave accident
technologique de l’histoire, dont les morts différés par cancer se compteront sans doute par
dizaine de millier. »340 Et Monsieur Pelt d’enchaîner sur les autres risques qui ont été posés
comme des éventualités et qui ont fini par se réaliser : dissémination du Plutonium et de la
matière fissile (en partie aussi grâce à la mafia russe), fuites ponctuelles des réacteurs,
abandon de l’armement nucléaire russe, devenir des déchets radioactifs, démantèlement des
centrales nucléaires… Aussi à en croire le raisonnement du président de l’Institut Européen
d’Ecologie, les biotechnologies suivront le même chemin que le nucléaire et tous les risques
évoqués aujourd’hui finiront par se réaliser demain. La réponse est décevante pour ce qui

338
« Les convergences entre précaution, prévention et prudence pourraient justifier que l’on remplace
le principe de précaution par un principe de prudence qui engloberait précaution et prévention. Cette
option n’était pas conforme au mandat qui nous était assigné. Il pourrait être utile de la garder en
mémoire, en cas de malentendu persistant sur le sens donné au principe de précaution, par exemple
si une fraction trop importante de l’opinion continuait à comprendre le principe de précaution comme
une règle systématique d’abstention, ou encore si cette substitution permettait d’éviter des blocages
et de promouvoir une meilleure entente dans le sens des discussions internationales. », Ibid.p.12.
339
Jean-Marie Pelt, Plantes et aliments transgéniques, Fayard, 1998, p.149.
340
Ibid., p.150.

159
concerne une véritable démonstration du danger, au de-là de toutes les espérances pour ce
qui concerne la réalisation certaine d’un danger invisible : « Impossible avec les plantes
transgéniques, d’évaluer les risques avec autant de précision (entendez autant de précision
que pour le nucléaire). Car le monde biologique est infiniment plus complexe que le monde
physique, et la dissémination dans la nature des organismes génétiquement modifiés est un
phénomène sans précédant et surtout irréversible. Comment évaluer au plus juste les
risques générés par leur prolifération et leur dissémination ? »341 Autrement dit, les PGM
seraient à l’origine d’un danger qui n’a pas fait, jusqu’à présent, l’objet d’une démonstration ;
cela, parce que ce danger est indémontrable et que de ce fait, il est bien pire que le risque
du nucléaire, qui lui, a fini par se révéler au grand jour. Doit-on penser alors que les risques
que nous font courir les plantes génétiquement modifiées resteront à jamais cachés ? Et si
oui, est-ce parce que c’est dans leur nature même ou parce qu’on ne fait pas les bonnes
expériences pour réussir à les démontrer ?
Toujours est-il que, tant qu’un risque ne s’est pas réalisé, on est obligé de reconnaître
son caractère hypothétique. Par conséquent, les risques que soulèvent l’usage des plantes
génétiquement modifiées restent bien des risques potentiels et non des risques avérés et
l’assimilation des biotechnologies et du nucléaire, sous peine que, par manque de
précaution, l’histoire de l’un, pourrait bien devenir l’histoire de l’autre fait l’objet d’une
extrapolation qui peut, non seulement s’avérer fausse (il se peut très bien que les risques ici
soulevés ne se réalisent jamais), mais aussi trompeuse : en effet, d’après Philippe Kourilsky
un risque potentiel n’est pas un « risque avéré immature, en attente de réalisation […]
certes, les risques ont une histoire, et beaucoup de risques avérés ont commencé par être
potentiels, mais de nombreux risques potentiels n’ont jamais été avérés. »
Comme on aura l’occasion de le voir plus loin, très souvent, les désaccords entre
scientifiques proviennent d’une confusion (volontaire ou involontaire) entre précaution
(réaliser des scénarios afin d’anticiper les risques) et la prévention (respecter toutes les
normes de sécurité afin de se protéger d’un risque qui est avéré, mais imprévisible). Aussi,
« l’invocation du principe de précaution s’explique aujourd’hui autant par les défaillances de
la prévention que par l’émergence de nouveaux risques potentiels. Plusieurs crises récentes
ont révélé a posteriori les lacunes des politiques préventives et le principe de précaution a
été plusieurs fois invoqué à tort, pour des questions qui relevaient de la prévention. »342
Dans certains cas, ce serait surtout un manque de confiance dans la gestion institutionnelle
de la prévention qui a poussé le public à invoquer le principe de précaution. Ce qui fait dire

341
Jean-Marie Pelt, Ibid., p.151.
342
Philippe Kourilsky, Le principe de précaution, p.13

160
à l’auteur du rapport que la précaution est « l’expression d’un désir accru de participation. »
Pour cette même raison, il sera nécessaire de se méfier de toute introduction de principe
idéologique dans l’usage qui sera fait du principe de précaution : « Il n’existe aucune
opposition a priori entre précaution et progrès technologique. Le principe de précaution
invite à une réflexion sur les conditions dans lesquelles s’effectue ce progrès plutôt qu’à une
inhibition de toute innovation. Il est vrai que les tenants d’une écologie radicale soutiennent
que la technologie transgresse nécessairement les lois de la nature. […] L’invocation de la
précaution peut alors conduire à mettre la nature à la place de l’homme et à reléguer au
deuxième plan les valeurs humanistes. Il ne semble toutefois pas nécessaire d’opposer le
contrat social au contrat naturel. »343
Cette idée selon laquelle une idéologie peut s’emparer du principe de précaution est
développée d’un autre point de vue dans un article de Catherine et Raphaël Larrère publié
dans le Courrier de l’environnement344. Les deux chercheurs de l’INRA d’Ivry commencent
par rappeler les théories de Hans Jonas, le philosophe allemand qui se trouve à l’origine du
principe de responsabilité. Ce dernier appelle en effet à une nouvelle définition de ce principe
qui, d’après lui, n’a fait l’objet d’aucune considération par rapport à un avenir lointain ; or, la
puissance inédite de la technè qui, d’après Jonas, était restée neutre jusqu’à présent, change
le rapport que l’homme entretient avec la nature du tout au tout. Selon l’auteur allemand :
« l’action a lieu dans un contexte où tout emploi à grande échelle d’une capacité engendre,
en dépit de l’intention droite des agents, une série d’effets liée étroitement aux effets
‘bénéfiques’ immédiats et intentionnés, série qui aboutit, au terme d’un processus cumulatif,
à des conséquences néfastes dépassant parfois de loin le but recherché. »345 Chez Jonas, la
question qui se pose est donc celle de la ‘maîtrise de la maîtrise’. Autrement dit, du pouvoir
que nous avons de corriger le nouveau pouvoir que nous donne la technologie. La
responsabilité n’est plus « une imputation d’un sinistre à l’égard d’un acte passé, mais un
engagement à l’égard de l’avenir. Préoccupée du sort des générations futures, cette
responsabilité implique le devoir impératif d’agir de façon que les effets de l’action soient
compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre. »346 Après
avoir fait ces quelques rappels, les chercheurs évoquent le type de critiques que l’on peut y

343
Ibid., p.1.
344
Catherine Larrère et Raphaël Larrère, « Les OGM entre hostilité de principe et principe de
précaution », Le courrier de l’environnement n°43, mai 2001, sur www.inra.fr
345
« Hans Jonas, La technique moderne comme sujet de réflexion éthique », in Marc Neuberg : la
Responsabilité. Questions philosophiques. PUF, 1997, p.232.
346
« Les OGM entre hostilité de principe et principe de précaution », ibid.

161
apporter (critiques que l’on retrouve principalement dans leur ouvrage347) : Jonas en
conserve et dénonce à la fois les illusions de toute puissance de la société technicienne et
« fait valoir que l’euristique de la peur conduit nécessairement à privilégier le scénario du
pire. »
Commentant cette thèse fondamentale de Jonas, Catherine et Raphaël Larrère
affirment que « La responsabilité hyperbolique qui s’en dégage retire à l’éthique de Jonas
toute capacité d’informer sur les actions précises à entreprendre. » De ce point de vue, il est
important de distinguer entre univers incertain et monde qui court nécessairement à sa
perte. Enfin, la « prophétie de malheur » dont Jonas vante les vertus pour une décision
responsable, n’est en fait propice à aucune décision politique : « sous la menace de la
catastrophe imminente, on ne saurait délibérer : il faut impérativement adopter les moyens
de la conjurer. Avec Jonas, l’autoritarisme du vrai (qui est aussi celui de l’efficace dans les
technocraties modernes) cède la place à celui des prophètes de malheur. »348 Cette critique
du principe de responsabilité permet aux auteurs de présenter le principe de précaution
comme une « tentative de dégager une solution au problème de la maîtrise de notre
maîtrise, plus réaliste que celle de Jonas et qui soit compatible avec les libertés individuelles
comme avec la démocratie politique. »

Cette dernière analyse nous permet donc d’éclairer le principe de précaution d’un
nouvel angle et met au jour une confusion supplémentaire : celle qui est généralement faite
entre « une norme morale » et une « règle d’action publique ». Pour illustrer ce propos, on
citera un passage du célèbre auteur Jeremy Rifkin. Dans son livre le Siècle des
Biotechnologies, il brosse un portrait contrasté de cette science, la biotechnologie, qui
émerveille autant qu’elle fait peur. Or chez Rifkin, les critiques à l’égard des biotechnologies
ont bien plus souvent l’air d’une diatribe morale sur un état de fait présenté comme une
nécessité, que d’une analyse pragmatique d’une situation donnée. De ce point de vue, la
conclusion du chapitre trois intitulé ‘Une nouvelle genèse’, est instructive : « La fécondation
artificielle de la planète sous la forme d’une nouvelle Genèse conçue en laboratoire a toutes
les chances de connaître à court terme un succès commercial remarquable ; mais la nature
ne se laissera pas faire, et c’est elle qui aura le dernier mot, quel qu’il soit. Les technologies
génétiques que nous avons inventées pour recoloniser la biosphère sont impressionnantes,
mais notre ignorance totale des mécanismes complexes qui l’animent ne l’est pas moins […]

347
Catherine Larrère et Raphaël Larrère, Du bon usage de la nature. Philosophie de l’environnement ,
Aubier, 1997 (Critique du principe de responsabilité, ch.VII).
348
Cit. tirées de l’article “ Les OGM entre hostilité de principe et principe de précaution ”, ibid.

162
cette seconde colonisation se fait sans boussole. Il nous manque une écologie prédictive
pour nous guider dans ce voyage, et il est fort peu probable que nous en disposions jamais,
car la nature est bien trop mobile, complexe et variée pour que la science puisse la réduire à
un modèle autorisant à des prévisions fiables. Il se pourrait en fait que nous nous perdions
dans le nouveau monde artificiel, produit de notre création, et que nous partions à la dérive
au fil du siècle des biotechnologies. »349 On retrouve dans cette citation toutes les
caractéristiques précédemment évoquées du principe de responsabilité : Rifkin affirme et
dénonce la toute puissance des biotechnologies ; sa description conduit, comme on le voit
ici, au scénario du pire. Le tableau dressé du monde des biotechnologies est celui d’un
monde qui court à sa perte et non d’un monde incertain dans lequel il essentiel de prendre
les bonnes décisions. En véritable « prophète de malheur », Jeremy Rifkin annonce donc un
monde qui s’en va à la dérive. Or, sans vouloir juger de cette pensée, on comprend en quoi,
le principe de précaution joue un rôle fondamental dans l’établissement des biotechnologies
à condition d’être défini de manière précise. C’est en tout cas l’opinion partagée par les
auteurs auxquels nous avons fait référence (Philippe Kourilsky et Geneviève Viney, O.
Godard, Catherine Larrère et Raphaël Larrère) ; le principe de précaution doit possèder une
véritable efficacité et ne pas être synonyme d’obstacle à l’action ; il ne concerne le
« danger » ni dans la prévention de sa réalisation immédiate, ni dans la prévention de son
caractère fataliste ; il a justement pour but de combattre cet « espèce de fatalisme » qui
veut que le progrès technologique nous conduise vers ce qu’il y a de pire. Il y a donc une
grande nécessité à ce qu’il soit formalisé.

3.2.1.3 Des applications du principe de précaution


Ces réflexions préliminaires sur les mauvais usages du principe de précaution ont mis en
évidence une vérité : tous les usages abusifs ont tendance à en faire un principe paralysant ;
autrement dit, il s’agit plus d’empêcher l’action que de la contrôler, d’arrêter le progrès que
de le ralentir, de supprimer la technologie que de l’améliorer... En bref le principe de
précaution mal défini devient un principe d’inaction. Or comme ne cesse de le répéter
Philippe Kourilsky, le principe de précaution est, bien au contraire, un principe d’action qui
possède un contenu pratique et un champ d’application. Selon l’auteur, une définition précise
de ce contenu doit permettre, quel que soit le cas qui relève de son application, d’éviter un
certain nombre d’erreurs qui ont eu lieu dans des crises récentes : « l’énonciation d’un
certain nombre de règles, tirées du bon sens, de la logique et de l’expérience, permet de
repérer des constantes et de dégager des groupes de procédures assez généralement

349
Jeremy Rifkin, Le siècle biotech, édition la Découverte, p 203

163
applicables par delà la diversité des situations. »350 Le principal objectif du principe de
précaution est alors le suivant : « diminuer les risques » (et non pas, mieux gérer la
perception des risques, comme on pourrait le supposer d’après l’observation de certaines
mesures politiques prises par les décideurs en vue du « bien-être social »). Il est cependant
important de ne pas prêter au principe plus qu’il ne peut : en effet, une application, même
optimale de celui-ci ne saurait empêcher la survenue du risque et cela pour 2 raisons :
- L’hypothèse du risque peut naître après l’apparition du danger ;
- Un risque résiduel peut toujours subsister, même après l’analyse bénéfices/risques.
Cette efficacité partielle ne doit pourtant pas nous conduire à une abstention systématique :
« Si l’abstention peut constituer une solution positive, il arrive aussi qu’elle présente des
risques ou des inconvénients graves. Au total, c’est bien au cas par cas qu’il faut évaluer les
risques et dégager les solutions les plus appropriées. » Après avoir analysé le contenu du
principe de précaution, P.Kourilsky en propose une excellente synthèse dans un paragraphe
qu’il nomme les « dix commandements de la précaution »; ces dix commandements ont pour
but « d’encadrer la réflexion et l’action »351 et nous nous proposons de les exposer :

1) « Tous risques doit être défini, évalué et gradué ». Cette toute première étape doit
permettre de distinguer les risques potentiels des simples fantasmes. Il s’agit donc
« d’imaginer les risques possibles », de sélectionner ceux qui sont plausibles et d’éliminer
ceux qui paraissent illusoires. Ensuite, il est essentiel d’établir des « seuils d’alertes » pour
chacun des risques que l’on estime plausible. On distinguera alors 2 catégories de risques
potentiels : « les risques potentiels plausibles » (non appuyés par un retour d’expérience) et
« les risques potentiels étayés » (appuyés par un retour d’expérience qui affirme que le seuil
d’alerte est atteint). Ces distinctions permettent d’établir efficacement dans le temps,
l’utilisation du principe. En effet, la mise en place d’un processus de surveillance d’un
phénomène ne peut s’effectuer sur de simples suspicions. Il faut donc veiller à ce que la
mise en place du principe de précaution ne se fasse ni trop tôt, ni trop tard352. D’après
Kourilsky, la situation confuse dans laquelle se trouvent les PGM, « reflète, en partie, le fait
que, pour moitié, les dix commandements de la précaution ont été mal appliqués, ou
totalement ignorés. »353 Or en ce qui concerne ce premier commandement, si on le rapporte

350
Ph. Kourilsky, Ibid., p.20.
351
Ibid., p.27.
352
Ibid., p.p.21-22.
353
Ibid., p.48.

164
au cas des PGM (ce que l’auteur fait pour chacun des dix commandements354), « une
première faille vient de l’absence de l’évaluation des risques ». En ce qui concerne le
Parlement européen, il a adopté des directives sans analyses ; quant aux Etats-Unis et au
Canada, on ne peut pas dire que l’on bénéficie véritablement de retour d’expérience355. Nous
aurons l’occasion plus tard d’approfondir ces remarques en étudiant l’exemple du maïs Bt et
des expériences qui ont pu être menées pour détecter l’existence de risques éventuels.
Passons au 2ème commandement.

2) « L’analyse des risques doit comparer les différents scénarios d’action et d’inaction. » Ce
que l’auteur formule autrement en disant « le risque d’agir doit être comparé au risque de
ne pas agir. » Cela implique que l’on compare les avantages et les risques que font courir
l’application de la technologie, ainsi que la réalisation de scénarios à long terme. Ce
commandement n’a pas été suivi dans le domaine des PGM en ce sens que, d’après l’auteur,
on manque toujours d’études comparatives : « il est impossible d’évaluer les effets
respectifs sur l’environnement et les pollutions de l’emploi respectif des OGM et des cultures
conventionnelles. »356

3) « Toute analyse de risque doit comporter une analyse économique qui doit déboucher
sur une étude coût/bénéfice (au sens large) préalable à la prise de décision. »357 Cette règle
est, d’après l’auteur, souvent mal acceptée, surtout dans le domaine médical où la mort peut
se trouver en jeu. Pourtant ce commandement peut être l’occasion d’un dialogue constructif.
Il a cet autre avantage « qu’il permet de vérifier la sincérité des acteurs et le degré de
réalisme de leurs propositions alors que l’incertitude ouvre un espace stratégique où ils
peuvent évoluer sans contrainte. »358 En ce qui concerne les PGM dans les années 1990, le
Parlement Européen n’aurait pris aucune mesure pour mener une analyse économique,
lacune que l’on peut encore constater aujourd’hui à propos, par exemple, de l’ignorance
dans laquelle on se trouve à propos d’un coût éventuel de l’étiquetage.

354
« Les OGM constituent un des exemples les plus purs d’application du principe de précaution
puisqu’ont été mis en place, en France et en Europe, des mesures de protection et des
réglementations en l’absence de toute preuve de risque effectif. Ils méritent un traitement particulier
parce qu’ils font, aujourd’hui encore, l’objet de vives discussions et cristallisent, parfois jusqu’à la
caricature, nombre des interrogations évoquées plus haut. » Le principe de précaution, Ibid., p.46.
355
Ibid.
356
Ibid., p.48.
357
Ibid., p.27.
358
Ibid., p.22.

165
4) « Les structures d’évaluation doivent être indépendantes, mais coordonnées. » Ceci est
vrai pour ce qui concerne l’expertise, l’acquisition des données et les divers contrôles qui
peuvent être exercés359. Cette règle peut être appliquée « pour ceux qui créent les risques
(potentiels dans le cas de la précaution) et, tout particulièrement, les producteurs et les
industriels. Le même principe peut être appliqué au pouvoir politique qui a le devoir
d’intégrer des intérêts multiples, ainsi qu’aux administrations qui en dépendent, surtout
lorsque de grands programmes étatiques sont en cause (par exemple, le nucléaire). »360
Pour les PGM, ce sont les comités d’experts qui se portent garants de toutes les règles en
France ; cependant, au fur et à mesure que la tension montait avec le public, on a pu
remarquer certaines prises d’intérêt et la collusion de certains experts avec des groupes
industriels. Mais cette partialité peut aller dans les deux sens, en effet, comme le fait
remarquer Philippe Kourilsky, le débat sur les PGM aurait été l’occasion pour certains
agronomes de sortir de l’obscurité361.

5) « Les décisions doivent, autant qu’il est possible, être révisables et les solutions adoptées
réversibles et proportionnées. » Avec ce cinquième commandement, on entre à proprement
parler dans le contenu de la décision. Cette règle prend pour fondement l’évolution
constante du savoir et cherche à y répondre. Les PGM posent un véritable problème à
l’application de ce commandement : « l’une des craintes exprimées vis-à-vis des OGM est
que leur culture en masse ait des conséquences irréversibles telles que la dissémination de
certains gènes ou l’émergence de résistances. »362 L’auteur remarque que, par contre, en ce
qui concerne les directives européennes sur les PGM, celles-ci ont déjà pu être modifiées.
Ainsi, on est passé de la directive 90-220 à la directive 90-221 en 1998.

6) « Sortir de l’incertitude impose une obligation de recherche. » Il s’agit ici de mettre en


place les meilleures solutions à moindre coût ; cela implique un calcul « coût/avantage ». On
en déduit deux règles de bon sens : « A risque comparable, privilégier la prévention sur la
précaution » et « A risque comparable, privilégier l’analyse des risques étayés sur les risques
potentiels plausibles ». Pour ce qui concerne les PGM, l’auteur dénonce ici le manque
d’études comparatives qui pourraient instruire certains problèmes et permettre de les
résoudre : « De façon remarquable, les programmes de recherche sur les OGM visent à

359
Ibid., p.23.
360
Ibid., p. 23.
361
Ibid., p.43.
362
Ibid., p.23.

166
évaluer leur impact sur l’environnement, sans grand souci de comparaison avec des
traitements par les herbicides et les insecticides habituels. »363

7/8) « Les circuits de décision des dispositifs sécuritaires doivent être non seulement
appropriés mais cohérents et efficaces. » et « Les circuits de décision et les dispositifs
sécuritaires doivent être fiables. » On pénètre avec cette règle dans le domaine de
l’assurance qualité. Il s’agit non seulement d’établir les bonnes procédures, mais aussi de les
respecter, ce qui repose sur la déontologie des acteurs. Au niveau des PGM, on a pu
constater la lenteur de la procédure et la fiabilité du système de contrôle a été mise en
doute364.

9) « Les évaluations, les décisions et leur suivi, ainsi que les dispositifs qui y contribuent,
doivent être transparents, ce qui impose l’étiquetage et la traçabilité. » Il s’agit ici en fait
d’élever la transparence en principe. Il est tout à fait légitime d’informer le public. Kourilsky
définit la transparence comme « la qualité d’un système qui rend son fonctionnement
déchiffrable et compréhensible pour des individus qui lui sont extérieurs. »365 De ce point de
vue, on s’approche une fois de plus de l’assurance-qualité et de la lisibilité du système. Au
niveau des PGM, « des fautes de transparence ont été commises, mais nul ne prétend
aujourd’hui que les dispositifs sont opaques. »366

10) Enfin, « Le public doit être informé au mieux et son degré de participation ajusté par le
pouvoir politique. » Il s’agit ici d’établir un droit à l’information, à partir duquel le public sera
mieux à même de juger la volonté de transparence. De même il est impératif de mieux
associer le public aux débats. Il existe un véritable désir de participation qui se manifeste
sous deux formes : « contribuer au débat ou intervenir dans le processus de décision. » En
ce qui concerne les PGM, l’information est encore insuffisante. L’opinion publique adhère
difficilement à cette nouvelle technologie ; on peut douter que plus d’explication puisse
résoudre le problème et le rôle des industriels a souvent été critiqué.

363
P.Kourilsky,Ibid., p.49.
364
Ibid., p.50.
365
Ibid., p.26.
366
Ibid., p.50.

167
3.2.1.4 Discussion
Nous sommes partis de l’idée selon laquelle le principe de précaution est comparable à une
attitude communément répandue : la prudence. A cet égard, on a pu constater qu’après
avoir été brièvement informé par les experts avant l’ouverture du débat, les participants de
la Conférence des Citoyens organisée par le député Jean-Yves le Déaut, avaient
spontanément adopté une attitude prudente à l’égard de la dissémination de plantes
génétiquement modifiées dans l’environnement. Il nous est donc apparu qu’il existe une
forme spontanée et non définie du principe de précaution qui se présente comme une
certaine conduite à adopter en vue de l’établissement de règles pour l’action. Pourtant, il
semble beaucoup trop tôt encore pour affirmer qu’il s’agit du principe de précaution. Aussi,
trop souvent ce dernier est employé à tort et à travers, pouvant ainsi faire obstacle au
développement serein d’une technologie et agissant dans le sens contraire de ce pour quoi il
a été établi. Entre un usage spontané et donc irréfléchi du principe de précaution, qui a plus
les apparences de la prudence, et un usage qui a été défini par Olivier Godard comme
“ absolutiste ”, obstacle à toute action, on a vu qu’il était nécessaire de redéfinir ce principe
en distinguant, d’une part, les notions qui lui étaient connexes et, d’autre part, en lui
donnant un contenu positif ; pour cela, nous nous sommes appuyé sur le rapport de Philippe
Kourilsky. Nous avons vu qu’il était essentiel de distinguer « précaution » et « prévention ».
En effet, alors que la seconde ne porte que sur les risques avérés et cherche à éviter le
danger, la première, a pour but d’imaginer des scénarios afin de définir les risques
potentiels. Cette distinction nous a permis à la fois de définir l’objectif principal du principe
de précaution, mais aussi, d’en dévoiler un usage erroné. En effet, il est fréquent que l’on
confonde précaution et prévention, ainsi, en comparant les risques des PGM aux dangers du
nucléaire, on suppose que les premières vont connaître un destin similaire aux seconds et se
révéler tôt ou tard comme de véritable danger. On injecte donc ici une vision fataliste dans le
principe et on lui prête plus que ce qu’il n’autorise.
Ce genre de confusion peut, comme l’a remarqué Philippe Kourilsky, être dû à une
demande accrue de participation (c’est souvent le cas pour le public), mais aussi, à l’injection
d’une notion philosophique forte : celle du principe de responsabilité de Hans Jonas avec les
inconvénients que cela présente pour établir une stratégie d’action face à un avenir incertain.
Le principe de précaution, au contraire, permet par le respect d’une série de règles, de gérer
le développement d’une technologie. Il s’agit, en effet, d’appliquer les solutions qui feront
que les incertitudes concernant un domaine donné pourront, sinon être levées, du moins
faire l’objet d’une prise de conscience et de la mise en place d’un dispositif adapté. Or
comme nous avons pu le voir, d’après l’auteur, ces règles se trouvent au nombre de 10 que

168
nous avons énumérées. Le faible respect, voire, le non-respect de ces règles peuvent être
l’une des sources de l’imbroglio dans lequel se trouve actuellement les PGM : « non définition
des risques éventuels, manque de tests comparatifs entre les PGM et les cultures à base de
plantes classiques, absence d’études économiques à l’origine de l’introduction de la culture,
manque d’indépendance des experts qui officient à l’intérieur des commissions, risque
d’irréversibilité d’une situation à la suite de l’adoption de certaines lois, manque crucial de
recherches, faible efficacité du système régulateur et manque de fiabilité de celui-ci, opacité
du débat et enfin, impuissance du public face à un phénomène imposé », constituent la liste
des dix non-respects du principe de précaution que Philippe Kourilsky relève dans le cas de
l’introduction des PGM dans le ‘champ’ de l’agro-industrie. Ces exemples, comme on le voit,
ont l’avantage de concrétiser une notion vague et en font autre chose qu’un étendard de la
lutte contre l’apocalypse. C’est ainsi qu’en conclusion de son analyse, le biologiste affirme,
« l’actuel imbroglio a le mérite de créer des conditions d’une remise à plat des problèmes.
Les contradictions auxquelles se trouvent aujourd’hui confrontées la France et l’Union
Européenne à propos des OGM peuvent avoir plusieurs issues […] La meilleure résolution de
la crise serait de l’exploiter pour bâtir un modèle de démocratie environnementale - de la
même manière que les crises récentes de la vache folle et du poulet à la dioxine ont eu le
mérite de faire progresser la démocratie sanitaire dans le champ de l’alimentation. Encore
faut-il que les différents acteurs sociaux, politiques notamment, tombent d’accord pour
avancer dans ce sens, et que les bonnes approches techniques soient choisies. »367 Cette
remarque n’est pas anodine. En effet, il semble bien qu’en ce qui concerne les plantes
génétiquement modifiées, on peut avancer vers une gestion plus efficace des risques, en se
conformant simplement aux exigences du rapport. Pourtant, cela ne va pas de soi et les
acteurs ne tombent pas toujours d’accord pour avancer dans le même sens, fait que l’on a
pu constater pour le principe d’équivalence en substance. C’est ce que nous allons
maintenant tenter de démontrer en analysant comment l’application positive ou négative du
principe de précaution peut influencer la perception du risque chez les experts. Pour cela,
nous prendrons en considération le cas du maïs Bt.

3.2.2 Le maïs Bt et la gestion du risque de résistance


Comme on vient de le voir, l’usage du principe de précaution dans son acceptation la plus
objective est une exigence nécessaire à une introduction raisonnée des plantes
génétiquement modifiées dans l’environnement ; or pour éviter l’usage abusif qui est fait de

367
Principe de précaution, Ibid., p.53.

169
ce principe, il est de la toute première importance de se conformer à ses règles. Nous
souhaitons donc désormais analyser avec le cas du maïs Bt, les prises de position des
experts en mettant côte à côte les opinions contraires ainsi que les arguments auxquelles
elles se réfèrent. Dans le livre « Tais-toi et mange ! », Guy Paillotin et Dominique Rousset,
consacrent un paragraphe au principe de précaution ; d’après eux, en ce qui concerne la
maîtrise des effets potentiels des PGM sur l’environnement, « deux positions s’affrontent,
radicalement différentes et laissent donc peu de place à ce qui semble être la vraie solution,
l’application du principe de précaution. La première consiste à faire confiance au progrès
scientifique et technique pour résoudre à terme les problèmes posés par l’environnement et
qui pourraient se présenter dans l’avenir. […] La seconde, diamétralement opposée, ne
tolère que le ‘ risque nul’, refusant même la notion de prise de ‘risque inconnus’. De manière
exclusive, elle conduit à rejeter en bloc toute espèce de progrès et ne se traduit pas
d’avantage par une prise en charge responsable de l’environnement. »368 D’après les
auteurs, le principe de précaution se fonde sur une position intermédiaire entre ces deux
opinions : « en d’autres termes, il ne s’agit pas d’ignorer l’environnement, ni de le déifier,
mais d’en assurer la maîtrise. » Si en théorie, l’opposition entre les 2 opinions a l’air limpide,
en pratique, tout cela n’a, rien d’évident.

3.2.2.1 A l’origine du maïs Bt


Le maïs Bt est, sans conteste, la plante transgénique qui a fait le plus parler d’elle ; en effet,
elle a connu depuis son introduction sur le marché américain un grand succès auprès des
agriculteurs (en 2001, le maïs Bt est la 2ème plante transgénique cultivée dans le monde
après le soja et représente, 5,9 millions d’hectares369). Pourtant, malgré ce succès, cette
plante a suscité à elle seule pas moins de deux controverses environnementales d’envergure.
La première, portant sur la possible apparition d’insectes résistants à la suite d’une
production en continu de l’insecticide Bt par la plante, n’a pas dépassé le milieu des acteurs
directement concernés par ces céréales (scientifiques, industriels et agriculteurs) ; la
seconde qui concerne l’impact de la même plante sur le papillon monarque, un insecte non
cible, a mobilisé l’ensemble des associations non gouvernementales écologistes et le grand
public. Nous allons donc passer en revue ces controverses pour vérifier leur fondement. Mais
avant cela, revenons sur l’origine de cette ‘invention’.

368
Guy Paillotin, Dominique Rousset, Tais-toi et mange ! L’agriculteur, le scientifique et le
consommateur, Fayard Editions, collection Sciences et Société, p.p.104-105.
369
Clive James, ISAAA, Global review of commercialized transgenic crops, 2001, n°24, p.24.

170
Un article anonyme traduit de l’anglais trouvé dans les Cahiers de l’environnement de
l’INRA370 propose la définition suivante : « ‘Bt’ est le diminutif universel et usuel de Bacillus
thuringiensis, bactérie entomopathogène disponible sous forme de spécialités phytosanitaires
à épandre pour lutter contre des insectes phytophages, chenilles et larves de moustiques
surtout, et depuis peu, associée à des « plantes Bt » par l'intermédiaire d'un de ses gènes
codant pour une toxine, incorporée à ladite plante par manipulation génétique. » Dans
l’ouvrage de R. Scriban, on trouve plusieurs explications pour cette bactérie ; issue d’une
fermentation industrielle de biomasse, elle serait utilisée pour lutter contre les insectes371 ;
on apprend que c’est dans le « processus de sporulation de Bacillus thuringiensis
qu’intervient une protéine très toxique pour les insectes. Cette protéine est fabriquée
industriellement par la culture de ce bacille.»372 C’est au Japon dans les élevages de vers à
soie, insecte qu’elle détruisait, que cette bactérie naturellement entomopathogène a été
découverte pour la première fois. Depuis les années 70, elle est utilisée dans le cadre de la
lutte biologique contre les insectes (essentiellement les lépidoptères) ; on s’en sert pour
protéger les forêts contre les chenilles, les récoltes et les produits agricoles stockés. Sa
nocivité est due à la propriété qu’elle a de produire des δ-endotoxines, « qui sont stockées
pendant la sporulation pour former un cristal protéique. Les fractions actives de ces δ-
endotoxines se fixent avec une grande spécificité sur des récepteurs des cellules épithéliales
de l’intestin des insectes, ce qui conduit à la lyse de ces cellules, à la paralysie du système
373
digestif et à la mort. »
En ce qui concerne l’insecticide naturel, des mélanges à base de spores et de cristaux
sont produits par plusieurs firmes afin d’être utilisés en pulvérisation pour la protection des
cultures. Pour ce qui concerne maintenant l’application de cette bactérie naturelle dans la
transgenèse végétale, le premier gène de δ-endotoxine a été cloné en 1981 ; à la suite de
cet exploit scientifique, on a travaillé à la réalisation de 3 types de plante transgénique : le
maïs, la pomme de terre et le cotonnier.
D’après un article de Jouanin et al. (1998) recensant l’ensemble des réalisations
actuelles, une cinquantaine de gènes de cette famille sont connus actuellement, et la
protection à l’égard des insectes par l’expression du transgène varie selon le type
d’endotoxine utilisé : “ On peut regrouper ces molécules en classes (notées CryIA, CryIB,…
CryIIA, CryIIB…) dont chacune possède ses propres spécificités d’action. Par exemple toutes

370
« Quel avenir pour le Bt ? », Cet article délibérément non signé est repris de Biocontrol News and
Information, 1998, vol. 19, n° 2 (p. 38 N à 41 N), section Biorational. Titre original : Bt, What Future ?
Traduit de l'anglais par A.F., Le Courrier de l'environnement n°35, novembre 1998.
371
R. Scriban, Biotechnologie, 5ème édition, chapitre « Production de biomasse et protéines », p.118.
372
Ibid., ch. « Biosynthèse des toxines »p.137
373
Ibid., ch. « La résistance au stress biotiques », p.584

171
les protéines CryI sont toxiques pour les lépidoptères, mais seule la protéines CryIC présente
374
une forte toxicité pour certains insectes du genre Spodoptera. ” Le caractère spécifique
de cette bactérie fait, par exemple, que l’on a pu concevoir un maïs qui produisait son propre
insecticide contre la pyrale, le Bt. D’après les auteurs, les problèmes de taux d’expression du
transgène qui seraient apparus sur les premiers travaux à la suite d’un problème d’usage des
codons, auraient été résolus par la fabrication de gènes dits « synthétiques » dans lesquels
on modifie l’usage des codons par mutagenèse (Mazier et al. 1997).
Avant d’être introduit sur le marché en 1995, le maïs Bt a fait l’objet de nombreux
essais et ce, dès 1986. En effet, un rapport du Service International pour l’Acquisition de
l’Agriculture Biotechnologique (The International Service for the Acquisition of Agri-biotech
Applications) 375 nous apprend que le maïs est la céréale qui a subi le plus d’essais en champ
durant cette période avec 1024 essais (soit 33% de l’ensemble des autres plantes) sur la
terre entière ; pour ce qui concerne le nombre d’essais concernant la résistance des insectes
il est de 738, (soit 18%) et arrive en troisième position après la tolérance aux herbicides,
1450 (35%) et l’amélioration des qualités organoléptiques 806 (20%). Aux Etats-Unis, on a
réalisé 492 essais pour des plantes contenant un gène de résistance aux insectes. Il faut
prendre en compte que le continent nord-américain (USA et Canada confondu) a réalisé à lui
seul les 2/3 des essais, soit 2438. Aux Etats-Unis, les essais effectués sur la résistance aux
insectes sont au nombre de 492 (23%). Les notifications et les permis étant accordés par
l’APHIS (on notera que l’institution qui dépend de l’USDA est passée d’un système de permis
à accorder à un système de notifications en 1993376), le maïs a représenté plus de la moitié
des plantes modifiées (54%), pour cette plante le trait le plus testé étant la résistance aux
insectes. En dépit de ces succès agronomiques, le maïs Bt est resté une plante extrêmement
controversée.

374
Ibid., p. 584
375
Clive James Chair, ISAAA Board of Directors and Anatole F. Krattiger Executive Director of ISAAA,
Global Review of the Field Testing and Commercialization of Transgenic Plants:1986 to 1995 The First
Decade of Crop Biotechnology, http://www.isaaa.org/
376
« As noted elsewhere in the text, in 1993, in addition to permits, APHIS introduced a notification
system and it is noteworthy that the initial experience of APHIS in evaluating the permits for the six
major crops (corn, tomato, soybean, potato, cotton and tobacco) resulted in a degree of familiarity
and confidence that al-lowed the agency to implement the notification system which is more efficient
but equally effective as the permit system. » Ibid, p.12

172
3.2.2.2 De l’usage du maïs Bt : avantages et précautions
Si on se fie à un rapport publié en 1997 sur le maïs BT et la pyrale du maïs (« un
succès à long terme grâce à la gestion de la résistance »377) destiné aux agriculteurs
américains, les semences de maïs Bt seraient l’un des premiers succès tangibles des
applications de la biotechnologie, succès qui aurait de véritables implications pratiques pour
les agriculteurs américains et canadiens. L’objectif de l’article étant d’expliquer ce succès
extraordinaire et l’introduction rapide de cette plante sur le marché tout en donnant des
conseils pour une gestion à long terme de l’usage de cette plante insecticide. Les auteurs qui
ont écrit en recevant l’accord des plus grandes firmes de semenciers, de l’USDA et de
l’Académie des sciences américaines, rappellent que la pyrale, autrement nommé Ostrinia
nubilalis, est l’insecte qui cause le plus de dommage dans les cultures de maïs des Etats-Unis
et du Canada. Les pertes causées chaque année dépassent le milliard de dollars ; au cours
de l’année 1995, par exemple, les pertes ont dépassé les 285 Millions de dollars pour le seul
Etat du Minnesota. Les auteurs affirment que, malgré les dégâts importants qui sont causés,
les fermiers hésitent toujours à avoir recours à des méthodes de gestion de ces ravageurs
(« many growers are reluctant to use current integrated pest management (IPM) methods
for this pest ») et ce, pour les 5 raisons suivantes : les dommages causés par les larves
restent cachés, les ravages importants restent imprévisibles, un travail de surveillance prend
du temps et demande une certaine habileté, les insecticides sont chers et causent des
dommages pour la santé et l’environnement, enfin, les profits restent très incertains.
Les états du Texas, du Nebraska et du Colorado représentent une exception dans
cette attitude négligente à l’égard de la pyrale en utilisant une grande quantité de pesticides.
Le maïs Bt, introduit pour la première fois en 1996 par Ciba Seeds (aujourd’hui Novartis) et
Mycogen, représente un outil de gestion idéal pour tous les producteurs de maïs, d’autant
plus que, comme le remarquent ces auteurs, les semenciers ont introduit le transgène dans
leurs variétés les plus performantes. On sera sensible à la précaution avec laquelle les
auteurs vulgarisent la notion de maïs transgénique : « toutes les variétés hybrides de maïs
Bt ont une caractéristique commune. Ils ont tous un gène de Bacillus thuringiensis. Parce
que ces hybrides contiennent un gène exotique, elles sont communément appelées plantes
378
transgéniques. »

377
« Bt Corn & European Corn Borer, Long-Term Success Through Resistance Management », publié
par l’université du Minnesota sur http://www.extension.umn.edu/distribution/cropsystems/DC7055.
378
« Bt corn hybrids have one common feature. They each have a gene from Bacillus thuringiensis.
Because these hybrids contain an exotic gene, they are commonly called transgenic plants. » Ibid.

173
Précautions européennes malgré des résultats encourageants
Côté européen, le problème est identique, dans un article de 1997 issu du rapport en ligne
sur les biotechnologies de l’INRA, Guy Riba et Josette Chaufaux379 rappellent les ravages
causés par la pyrale du maïs, sur 3 millions d’hectares cultivés en France, les dégâts sont
constants et significatifs sur 200000 hectares. Des traitements chimiques (des insecticides de
la famille des pyréthrinoïdes de synthèse, des organophosphorés, ou des benzoyl-urées) sont
appliqués sur 500 à 600000 hectares. Il existe des traitements non chimiques, mais ils sont
peu utilisés (le TR 16 à base de l’hyménoptère Trichogramme et Ostrinil à base de
Champignon Beauveria bassiana). Des préparations existent à partir de la bactérie Bacillus
Thuringiensis, mais ne sont pas utilisées car elles sont moins efficaces que les traitements
chimiques. Issus de recherches des laboratoires privés, le maïs Bt offre donc plusieurs
avantages que ne présentent pas les traitements chimiques : La toxine Cry1Ab n’est active
que sur les insectes ; elle agit sur un mécanisme n’existant pas chez les mammifères et
« aucune toxicité n’a été mise en évidence, ni pour les animaux domestiques ni pour
l’homme. » Produit dans les parties vertes de la plante, la toxine n’est jamais consommée
par l’homme. Cette toxine fait preuve d’une véritable efficacité qui peut s’expliquer du fait
que les chenilles sont en contact avec la toxine dès leur éclosion et sont éliminées avant
d’avoir provoqué des dégâts : « avantage important car les larves vivent à l’intérieur de la
plante et sont difficiles à atteindre dans la suite de leur vie larvaire. » Enfin la toxine
produite directement par la plante est protégée des conditions climatiques qui peuvent lui
être défavorables. Les 2 experts précisent alors, qu’avant d’être mises sur le marché, en
1995 aux Etats-Unis et en 1997 en France, ces plantes ont fait l’objet d’interrogations sur la
limite éventuelle de leur usage.
Un premier problème serait une limite d’efficacité du fait de la variation des types de
résistances selon les populations de pyrales et par conséquent la possibilité d’infestations
tardives. Un second problème qui, comme on va le voir, se trouve au cœur de la controverse
scientifique est le « risque de contournement » dû à l’apparition de population d’insectes
résistants. En effet, au cas où l’on utiliserait de manière systématique le maïs Bt, on ne se
donnerait plus facilement la possibilité de faire machine arrière, ce qui est encore possible
avec un traitement chimique à base de bio-pesticide ; d’autre part, la pyrale étant
polyphage, les insectes risqueraient de se répandre dans les cultures voisines. Les auteurs
signalent qu’il s’agit ici du risque le plus fréquent et font dépendre celui-ci de 4 critères :

379
Guy Riba et Josette Chaufaux ; « Le maïs résistant à la pyrale favorise-t-il l’apparition de résistance
chez les insectes, OGM et Alimentation », Dossiers de l’INRA, Mai 1998, www.inra.fr/

174
nombre de générations, concentration de toxines dans la plante, fréquence initiale et force
des éventuels gènes de résistance dans les différentes populations de pyrales, fréquence des
accouplements des survivants dans un champ transgénique avec les papillons issus des
champs voisins non-transgéniques et enfin, coût biologique d’acquisition de la résistance
(femelles moins fécondes, développement plus lent...)
Enfin, un dernier problème est celui des « effets non-intentionnels ». Ce problème
fera l’objet de nombreuses querelles. Ici les 2 experts de l’INRA affirment « qu’on ne connaît
pas d’effets non-intentionnels néfastes prévisibles sur les prédateurs naturels de la pyrale.
Au contraire, on peut penser que l’utilisation de maïs Bt permettra le développement
d’auxiliaires jusque-là tués par les traitements chimiques. Peu à peu, ils contribueront mieux
à la régulation des populations de ravageurs. » Dans l’immédiat, nous souhaitons voir en
détail le risque d’apparition d’insectes résistants. Ce point a été analysé lors de 3 études qui
ont été fixées par l’INRA depuis 1993 :
- Une étude comparée de la sensibilité de populations sauvages de la pyrale du maïs à
la toxine de Bt,
- Une sélection de souches de pyrales résistantes à la toxine Bt (déterminer si cette
résistance est susceptible de se développer dans les populations naturelles,
caractériser le mécanisme de cette résistance, mise au point d’une méthode de
détection sur les souches naturelles par des méthodes classiques),
- Enfin, une mise au point de méthodes de détection de la résistance dans les
populations d’insectes cibles.
Les résultats ont pu fournir une courbe de sensibilité des différentes populations ; d’après les
auteurs, sur les 26 générations obtenues depuis 1993, il n’a pas été possible de mettre en
évidence l’apparition d’insectes résistants. Ils évoquent cependant la nécessité de poursuivre
ces études et d’établir des critères de biovigilance.
Malgré ces résultats plutôt positifs, le maïs Bt n’a pas reçu l’accord d’être cultivé sur
le territoire européen ; on sait que depuis 1999 il a fait, avec les PGM, l’objet d’un moratoire.
Ce dernier a été décrété après la parution de l’article de Losey sur le papillon monarque,
l’Union européenne évoquant la possibilité de risques non-intentionnels. Toujours est-il que
le risque d’apparition de populations résistantes reste fréquemment évoqué. Ces risques sont
pris au sérieux, comme on va le voir, aussi bien par les défenseurs des PGM que par les
détracteurs. Aussi depuis son introduction aux Etats-Unis en 1995, le maïs Bt a suscité de
véritables inquiétudes et généré une politique de gestion de la résistance des insectes
(Insect Resistance Management).

175
3.2.2.3 Vers une gestion de la résistance
Après avoir présenté les avantages du maïs Bt, un document publié par le Potash &
Phosphate Institute de l’Université du Sud Dakota, sponsorisé par la FAR (Foundation for
Agronomic Research) et l’USDA380, explique les nécessités de la gestion des zones refuges
aux agriculteurs : « Un usage abusif de maïs Bt, pourrait se trouver à l’origine de l’apparition
de population résistante à la protéine Bt. En 2000, approximativement 25% de la superficie
totale des USA contenait le gène Bt. Les éleveurs doivent pratiquer la gestion de la
résistance des insectes pour assurer que cette technologie soit encore valable pour les
futures générations d’agriculteurs. »381 On sait par expérience que l’apparition de populations
résistantes d’insectes a pour origine un trop grand usage d’un insecticide donné. Une bonne
gestion de la résistance implique donc la mise en place de zones refuges de maïs non-Bt à
proximité des plantations de maïs transgéniques. En laissant la possibilité à certains insectes
de se développer, on pense qu’ils pourront se reproduire avec les populations de
« résistants » et ainsi donner naissance à des générations sensibles au transgène. On veut
ainsi diluer le risque des mécanismes de propagation de la résistance. Les auteurs estiment
en moyenne que la superficie de la zone refuge doit représenter 20% de la surface de la
zone Bt. Il est cependant nécessaire de prendre en compte les facteurs propres à chaque
région. Un autre paramètre qui entre en jeu est celui de la proximité de cette zone refuge :
«Plus proche elles seront plantés, plus la probabilité des chances de s’accoupler
augmentera.»382Les auteurs insistent alors sur la nécessité d’établir une stratégie préalable
et ce, même avant d’avoir commandé les plantes. Il est nécessaire pour garantir le même
attrait, de planter les 2 types de semences au même moment. Un autre paramètre important
s’ajoute à la nécessité de planter les variétés à proximité l’une de l’autre : celui de la
disposition de ces zones afin que les larves de pyrales ne circulent pas trop facilement d’un
rang à l’autre (« it is important to minimize the interface between Bt and non-Bt corn »). Les
auteurs proposent donc 4 configurations qu’ils classent selon l’efficacité par rapport à 2
critères qui sont la diminution des mouvements de larves (« minimizing larval movement »)
et l’augmentation de la probabilité d’accouplement (« encouraging random mating »). Or on
s’aperçoit que selon que l’on choisit un de ces deux critères, on obtient un ordre
respectivement inverse.

380
P.L. Anderson and R.L. Hellmich, Site-Specific Management Guidelines, « Bt Corn and Insect
Resistance Management : What are They », www.ppi-far.org/ssmg
381
« Over-use of Bt corn, however, could lead to ECB becoming resistant to Bt protein. In 2000,
approximately 25 percent of the total corn acreage in the U.S. contained the Bt gene. Growers must
practice insect resistance management (IRM) to ensure that this technology will be available to future
generations of growers. » Ibid.
382
« The closer they are planted, the greater the chance the random mating will occur » Ibid.

176
Ainsi la configuration en champs séparés qui consiste à semer des plantes non Bt sur
des champs entiers et qui est la meilleure solution pour diminuer le mouvement des larves et
pour faciliter la gestion des invasions (possibilité de distinguer plus facilement les zones
entre elles et par conséquent d’y accéder), arrive en dernière position pour ce qui concerne
sa capacité à encourager la reproduction étant donnée l’importance des distances qui
séparent les zones.
La solution qui consiste à ensemencer de larges rangées de maïs non Bt ( « Large
strips or block planting ») occupe respectivement la 2ème et la 3ème place. En effet, si elle
encourage les échanges et diminue les migrations, elle implique cependant un certain
nombre de contraintes de la part de l’agriculteur : remplissage de la boîte de semoir en plein
milieu du champ, elle rend la surveillance plus difficile et complique l’accessibilité aux
champs en cas de récolte précoce.
Planter en alternance des bandes de maïs Bt et de maïs non-Bt (4ème et 1ère positions)
évite à l’agriculteur d’avoir à remplir son semoir au milieu du champ ; la reproduction entre
insectes sensibles et résistants est assurée avec cet effet inverse qui est l’augmentation des
migrations possibles de larves.
La quatrième solution consiste à planter un rang de maïs Bt tout autour du périmètre
du champ. On encourage ainsi la reproduction entre les types de populations et la migration
des larves est estimée moins probable que dans la configuration en bande. Le seul
inconvénient étant la nécessité de vider les semoirs fréquemment pour les recharger.
Les 2 auteurs précisent que les agriculteurs ne devraient traiter les zones refuges
qu’en cas d’invasion importante et ce, en évitant l’usage de pesticides à base de Bt. On sera
attentif à la conclusion qui est une véritable invective : « Beaucoup de semenciers exigent la
signature d’un contrat stipulant la plantation de zones refuges au moment de l’achat des
semences. Indépendamment du fait de savoir si la gestion de la résistance est suivie ou non,
cela fait simplement partie du bon sens. Le Bt est un outil valable qui peut faire économiser
du temps et de l’argent aux agriculteurs. Une bonne prise en compte de la gestion des zones
383
refuges assure à cette technologie une efficacité à long terme. » On constate donc une
confiance relative dans la capacité de gérer les éventuelles apparitions de pyrales résistantes
à Bt. Ici, il va de soit, que la technologie vient au secours de la technologie, et il n’existe pas
véritablement d’obstacle insurmontable pour cette dernière. Une gestion de la résistance
appliquée selon les règles établies doit mener à une véritable maîtrise du risque ; et même

383
« When purchasing Bt seed, many seed companies require growers to sign a contract stating that
they will plant a refuge. Regardless of wether resistance management is regulated or not, it just make
good sense. Bt is a valuable tool that can save growers time and money. Good IRM stewardship
ensures this technology will be available for future generation of growers. » Ibid.p. 3

177
si la forte probabilité de celui-ci est reconnue, il reste qu’elle peut diminuer en fonction du
respect de certaines règles.

L’apparition de la résistance : Un risque avéré ?


L’appaition de populations résistances est un réel problème qui est bien pris en compte et
n’est pas négligé par les promoteurs de la technologie. Des recherches ont été menées en
vue de gérer ce risque. Pourtant, il ne s’agit pas, comme de nombreuses expériences l’ont
démontré, d’un risque spécifique aux PGM. Comme l’affirme le chercheur et généticien Louis-
Marie Houdebine dans son ouvrage OGM, le Vrai et le Faux : « La pyrale va devenir
résistante à la toxine Bt. Cela ne fait pas de doute, et c’était déjà une réalité avant l’arrivée
des OGM. […] Il est à craindre que la pyrale devienne progressivement résistante à la toxine
Bt et que le traitement devienne, par conséquent, inopérant. Une telle éventualité est le
propre de la plupart des traitements, et les résistances acquises par certaines bactéries aux
antibiotiques sont là pour le montrer. Des pyrales mutantes spontanées pourraient émerger,
mais un tel phénomène pourrait tout autant avoir lieu à la suite d’épandages de toxine Bt
qu’en raison de l’utilisation du maïs transgénique. Des études menées en laboratoire
indiquent que la pyrale n’a pas acquis de résistance après 40 générations, qui correspondent
à 40 ans de cultures. Une mutation spontanée de la pyrale n’est donc pas a priori un
problème aigu, même si les modèles de laboratoire ne reflètent souvent qu’une partie de la
réalité. On peut même imaginer qu’une utilisation généralisée du maïs transgénique dans
une région rende la pyrale si rare qu’elle n’ait plus beaucoup de chance de muter, même si la
nourriture n’est pas exclusivement le maïs. Néanmoins, une réalité commence à s’imposer : il
existe quelques pyrales résistantes à la toxine Bt et au maïs transgénique dans certaines
régions où ce végétal est cultivé.»384 L’ensemble de la communauté scientifique reconnaît
possible le développement à forte proportion d’un gène de résistance parmi les populations
cibles de la plante insecticide, due à la trop grande efficacité de celle-ci. Comme le rappellent
Denis Bouguet et Josette Chaufaux dans un article paru dans Biofutur en Juin 2000 : « Outre
le fait que les plantes transgéniques n’expriment qu’une seule toxine, ce qui facilite
l’apparition d’individus résistants , la pression de sélection sur les insectes est plus forte avec
les plantes transgéniques que lors d’une pulvérisation de Bacillus thuringiensis. »385 Le
phénomène de résistance des insectes ravageurs est connu depuis longtemps et a fait l’objet

384
Louis-Marie Houdebine, OGM, le vrai et le faux, Edition “ le Pommier ”, octobre 2000, p.79-81
385
Denis Bourguet et Josette Chaufaux, « Bt : les insectes font de la résistance », Biofutur 201, Juin
2000, p.42.

178
de nombreuses études depuis 50 ans qui ont quasiment démontré que « chaque molécule
insecticide est vouée à tomber sous les fourches caudines de l’évolution et à devenir
inefficace. Les mécanismes de cette résistance sont variables, mais tous proviennent de
mutation (amplification géniques, mutations ponctuelles) des gènes impliqués dans la
sensibilité aux insecticides, tels que ceux codant des enzymes de détoxication. Comme dans
le cas des antibiotiques, des herbicides ou des fongicides, la généralisation de la résistance
est d’autant plus inquiétante que le nombre de molécules actives est limité. »386 On peut
donc en toute logique appliquer cette “ loi ” au maïs Bt avant que ce phénomène n’ait pu
être véritablement constaté au beau milieu des champs.
En fait, c’est en 1985 que l’équipe du professeur William Mc Gaughey du service de
recherche agricole de l’USDA, a pu sélectionner en laboratoire une population de pyrale des
fruits secs (Science, 229, 1985, 193-195). Depuis, une quinzaine d’insectes pouvant
développer un gène de résistance ont été découverts et « Plus inquiétant, plusieurs
populations de teignes des crucifères (Plutella xylostella) sont devenues résistantes aux
champs. » Les auteurs précisent qu’à l’heure actuelle, cette espèce est la seule à avoir
développé aux champs une résistance à Bt. En plus de la solution de la zone refuge
D.Bourguet et J.Chaufaux évoquent 2 autres stratégies possibles: l’une est le “ pyramiding ”,
qui consiste dans la construction de plantes exprimant plusieurs toxines de Bt, l’autre réside
dans la diminution de la pression de sélection en contrôlant l’expression de la toxine dans le
temps. Ces 2 techniques sont cependant peu répandues. La seule qui soit actuellement
pratiquée à grande échelle est la technique appelée “ HDR ” (haute dose refuge).
Concernant cette dernière, les 2 experts émettent une réserve qui apparaîtra comme un
argument fondamental dans la controverse sur le maïs Bt : « cette option n’est efficace que
lorsque les plantes Bt expriment des doses de toxine suffisantes pour tuer non seulement les
insectes homozygotes sensibles - individus porteurs de deux allèles sauvages, c’est-à-dire
non mutés - mais également l’ensemble des hétérozygotes pourvus d’un allèle sauvage et
d’un allèle muté. » En ce qui concerne les individus homozygotes résistants, leurs
croisements avec des individus sensibles donneront des individus hétérozygotes, incapables
de se développer sur les plantes Bt. Se pose alors le problème de la superficie de la zone
refuge. L’estimation de ces dimensions ont fait l’objet d’un débat et de nombreuses études
ont été menées du côté de l’EPA (agence américaine pour la protection de l’environnement )
et de l’USDA (le département américain pour l’agriculture). En effet, la technique de HDR a
déjà fait l’objet de critiques et on lui reproche certaines imperfections :

386
Ibid., p.43.

179
- Pour qu’elle fonctionne, il paraît impératif que les allèles de résistance soient rares.
- Les insectes en provenance des parcelles Bt doivent pouvoir se croiser avec les
individus issus de zones refuges.
- La résistance doit être récessive.

Concernant la première objection, les auteurs se fondent sur les résultats des 4
estimations publiées à l’époque pour affirmer le grand nombre d’incertitudes qui planent sur
l’efficacité de la technique HDR. L’équipe de Fagneng Huang du département d’entomologie
de l’université d’Etat du Kansas a réussi à sélectionner en laboratoire des souches de pyrales
résistantes à Bt en 7 ou 8 générations à partir d’un nombre réduit d’individus.
Pour le 2ème critère, la forte capacité migratoire qui a pu être constatée au sein des
populations de pyrales, ne garantit nullement le brassage des populations résistantes avec
les populations sensibles. En effet, l’équipe de Yong-Biao de l’université d’Arizona a
récemment démontré que « des vers roses du cotonnier – larves du papillon Pectinophora
gosypiella- résistants à une toxine Bt se développent plus lentement que les larves
sensibles. »387 Ce qui signifierait par conséquent que le développement asynchrone des
individus de population différente empêche leur reproduction entre eux.
Enfin, concernant le caractère récessif de la résistance, on doit supposer que la dose
de Bt produite par les plantes est suffisamment forte pour détruire les individus
hétérozygotes. Pour cela, « il est recommandé que cette dose soit 25 fois supérieure à la
388
dose nécessaire pour tuer l’ensemble des homozygotes sensibles d’une population. » Cela
risque donc de poser des problèmes lors d’infestations tardives. De plus, il semble difficile
d’affirmer que le caractère de résistance est forcément récessif.

Alors que la brochure technique mise en circulation par l’APHIS auprès des
agriculteurs américains accordait une confiance totale dans la technique de l’HDR à condition
que celle-ci soit bien appliquée, ici les experts de l’INRA ont plutôt tendance à démontrer les
points faibles de cette technologie en elle-même et ne conditionnent pas son efficacité à son
application en conformité avec une série de règles. La résistance est présentée comme un
risque potentiel inévitable. En effet, trop de facteurs incertains entrent en jeu pour que le
risque de voir se développer de plus en plus d’insectes résistants s’éloigne et la technologie
semble impuissante devant cet événement à venir, même si pour l’instant il ne semble pas
encore s’être manifesté en plein champ… On voit donc l’écart qui existe entre la recherche

387
Ibid., p. 44.
388
Ibid.

180
fondamentale et les applications d’une technologie en développement. Mais doit-on pour
autant en conclure que cette technologie est aveugle ? Rien n’est moins sûr.

3.2.2.4 Le rapport BRAD de l’EPA


Dans un rapport daté du 29 septembre 2001 - publié en ligne sur le site de l’Agence
Américaine pour la Protection de l’Environnement - l’institution et les experts américains
procèdent à une réévaluation de 3 PGM qui contiennent le gène Bt : maïs, coton et pommes
de terre389. Ces documents visent à réévaluer des variétés de plantes qui se trouvent sur le
marché afin de décider si les autorisations qui sont actuellement en vigueur peuvent être
prolongées et s’il est nécessaire de réintroduire de nouvelles conditions au prolongement de
cette autorisation. On notera qu’en ce qui concerne le maïs Bt, on a prolongé l’autorisation
jusqu’au 29 septembre 2001, pour permettre de compléter les examens et satisfaire les
exigences du public. Aussi l’EPA précise avec grande précaution que cet examen sera
entièrement ouvert au grand public390. Dans ce rapport où sont étudiées les caractéristiques
des produits, l’estimation des effets sur la santé humaine et l’estimation des effets sur
l’environnement des plantes qui sont déjà sur le marché, l’EPA affirme ne pas avoir de
données qui lui permettent de parler de l’apparition de populations résistantes après 5
années de commercialisation du maïs Bt: « Available data indicate that after five years of
commercialization, no reported insect resistance has occured to the Bt toxins expressed
either in Bt potato, Bt corn, or Bt cotton products. »391Concernant la technique actuellement
appliquée au maïs Bt, technique qui a été renforcée pour la saison 2000, elle est, toujours
d’après les experts de l’EPA, tout à fait adaptée pour atténuer la résistance de la pyrale du
maïs dans des aires où l’on utilise peu fréquemment les insecticides. Rappelant tout l’intérêt
d’une technique telle que la HDR (IRM), ils affirment avoir identifié 7 facteurs garants de la
performance de cette technologie :
- Une bonne connaissance de la biologie et de l’écologie des ravageurs,

389
« Bt Plant-Incorporated Protectants, September 29, 2001, Biopesticides Registration Action »
Document, trouvé sur le site www.epa.gov/pesticides/biopesticides/
390
« During this reassessment, EPA is conducting an open and transparent public process that
incorporates sound and current science, public involvement, and balanced decision making . » En fait
cette décision qui consiste à mettre le rapport à disposition du grand public a été décidée pour
prévenir un éventuel regain de polémique suite à l’affaire du papillon monarque dont le maïs Bt se
trouve être aussi à l’origine. En effet, certains des résultats obtenus par le protocole d’expérience qui
avait pour objectif de vérifier la nocivité de cette PGM contre cet insecte non-cible n’avaient pas fait,
comme l’usage le veut, l’objet d’une vérification par les pairs ; aussi, il s’agissait de respecter les délais
fixés par l’agenda de publication de l’EPA.
391
« Les données disponibles indiquent qu’après 5 années de commercialisation, on n’a pas pu
rapporter l’apparition d’insectes résistants à la toxine Bt exprimée aussi bien dans les pommes de
terre, le maïs ou le coton Bt », Ibid., p.14.

181
- Une stratégie appropriée de l’expression des doses,
- Un refuge approprié,
- Une bonne surveillance de la résistance permettrait d’aboutir à un plan efficace pour
y remédier,
- L’emploi d’une gestion intégrée des ravageurs (integrated pest management),
- Des stratégies de communication et d’éducation pour encourager un bon usage du
produit,
- Le développement de moyens alternatifs d’action.

Venant comme pour appuyer le texte de l’APHIS à destination des agriculteurs, ce


rapport est l’accréditation par une institution, d’une technique qui, comme on a pu le voir,
est contestée par certains experts. Aussi l’EPA justifie sa position en rappelant ses
convictions concernant l’usage de plantes génétiquement modifiées exprimant la protéine
Bt ; selon l’institution américaine, celle-ci comporte de nombreux avantages pour les
agriculteurs, les consommateurs et pour l’environnement. Elle donne des chiffres relatifs à
chacun de ces avantages : économies réalisées, rendements accrus, usage moindre de
pesticides, avantages pour la faune... Les auteurs affirment que des bénéfices
environnementaux majeurs sont réalisés grâce à un usage moindre d’insecticide et une
amélioration de la qualité du produit392. Concernant le maïs Bt, on a observé un meilleur
rendement, et une diminution des insectes qui peuvent être à l’origine de la formation de
mycotoxines. Le maïs Bt profite au public en réduisant les risques pour la santé associés aux
mycotoxines393. Mais loin de signifier un certain laxisme ou une attitude permissive de
l’institution par rapport au principe de précaution, l’institution liste une série de
recommandations de la plus haute importance à destination des agriculteurs, dont voici en
substance les grandes lignes.
Concernant les variétés de maïs MON 810 et Bt 11, des conditions de gestion des risques
de résistance ont été spécifiées en 2001 de la manière qui suit : En ce qui concerne les
plantations qui se trouvent en dehors des aires où l’on cultive en grande quantité le coton,
les agriculteurs doivent planter une zone refuge d’une superficie égale à au moins 20% de la
zone non-Bt. Des traitements insecticides supplémentaires ne devront être appliqués que si
les seuils dépassent les normes établies par les professionnels locaux ou régionaux. En ce

392
« Major environmental benefits occur through less insecticide use and improved product
quality »Rapport BRAD, Ibid., p.15.
393
« Bt corn increases yield and reduces insect damage which can lead to the formation of mycotoxins.
Bt corn benefits the public by reducing associated mycotoxin health risks to humans and livestock. »
Ibid., p.15.

182
qui concerne les régions où les champs de maïs Bt côtoient des plantations de coton, la
superficie des zones refuges devra être au moins de 50% de la plantation de maïs. Les
agriculteurs trouveront les renseignements nécessaires dans les guides qui sont à leur
disposition. Concernant les zones refuges, elles doivent toujours être constituées de maïs
non Bt et se trouver au moins à 700 mètres (1/2 miles) de la plantation génétiquement
modifiée. Dans la “ corn belt ”, la distance devra être de 250 mètres (1/4 de miles). Les
différentes options incluent toutes les stratégies (plantations, blocs ou bandes). Les
semenciers devront surveiller régulièrement les risques éventuels de résistance et seront
tenus de développer des essais de concentration394. A cet égard, on collectera des
populations de pyrales dans des aires représentatives pour l’implantation du maïs Bt. Ils
devront prévenir leurs clients (agriculteurs et revendeurs) afin que ces derniers les tiennent
au courant au cas où un problème de prolifération surviendrait ; dans ce cas, ils seraient
tenus d’enquêter et de prélever des échantillons dans les champs pour réaliser des essais in
vitro et en environnement naturels. Après avoir vérifié que le maïs concerné contient la
protéine Bt, on réalisera des bio-essais pour vérifier si la population de pyrales contient bien
un phénotype de résistance.
Si une résistance a pu être démontrée, le semencier doit cesser la vente et la distribution
de maïs Bt dans les régions où l’insecte résistant est apparu, jusqu’à ce qu’un plan de
contrôle ait été mis en place par l’EPA395. Ceci étant dit, en attendant l’intervention de
l’agence pour la protection de l’environnement américaine, le semencier devra assumer la
responsabilité de la mise en place d’actions pour contrôler la résistance. Ils devront, en plus
de cela, tenir à jour une base de données recensant la quantité des ventes, Etat par Etat. Ils
devront se charger de communiquer auprès des agriculteurs. Ils devront faciliter
l’intervention et les divers partenariats avec le milieu universitaire et spécialement avec des
enthomologues et des agronomes. Ils devront mettre en place un programme d’éducation. Il
est important de mettre tous les outils à disposition des agriculteurs, d’encourager les
attitudes responsables et de susciter leur intérêt. Les agriculteurs qui ne se plieraient pas
aux exigences de l’HDR seront limités dans leur commande. On encouragera les agriculteurs
à l’HDR de plusieurs points de vue : en distribuant un guide de l’HDR qui doit servir comme
outil de référence. Chaque agriculteur qui passera commande sera dans l’obligation de signer
un accord de participation (“ stewardship agreement ”) qui l’obligera à se conformer aux

394
« The registrants will proceed with efforts to develop a discriminating concentration assay » Ibid.,
p.16.
395
« When resistance has been demonstrated to have occured, the registrant must stop sale and
distribution of Bt corn in the counties where the resistance has been shown until an effective local
mitigation plan approved by EPA has been implemanted. » Ibid .

183
pratiques de l’HDR. Il devra suivre un programme pédagogique fort et pluridisciplinaire
(“ multi-pronged ”). Les équipes de vente devront être formées.

En résumé
A la suite de toutes ces recommandations, l’EPA astreint les semenciers à fournir des
informations sur 8 points :
- Des données sur le développement de la résistance et un plan pour prévoir le
développement de cette résistance dans plusieurs régions
- Des informations biologiques et comportementales sur les populations de pyrales
(mouvement, reproduction....)
- La faisabilité de zones refuges structurées
- Le développement d’essais de discrimination de la concentration par rapport à la
résistance
- Les effets sur les insectes non-cibles, autres que la pyrale
- La biologie de la résistance de la pyrale et ses effets sur l’ensemble de la population
- Les semenciers doivent certifier l’efficacité des moyens de surveillance
- Ils doivent mettre en place une approche statistique similaire à celle de l’Université
d’Iowa. Une recherche statistique validée par une étude de marché indépendante
menée sur des agriculteurs Bt devra être menée par un tiers-parti.

On s’aperçoit donc qu’un maximum de précautions sont prises pour éviter un éventuel
développement de populations d’insectes résistants au maïs Bt. Les nombreuses conditions
auxquelles doivent se soumettre les industriels pour pouvoir référencer leurs semences sont
pour le moins contraignantes et manifestent un véritable souci de gestion technique de la
catastrophe écologique. Bien évidemment, si de telles mesures ne peuvent pas assurer à
100% l’absence de danger, elles offrent cependant une garantie de surveillance du risque.
Aussi, comme on va le voir dans le paragraphe suivant la plupart de ces recommandations
sur l’HDR ont effectivement été suivies aussi bien par les semenciers que par les
agriculteurs.

Vérification de la mise en application de l’HDR


Comme on peut le constater, l’EPA s’est prémunie en demandant aux semenciers non
seulement d’informer, mais aussi de surveiller la mise en application des mesures de
précautions qui prémunissent un usage intensif du maïs Bt de l’apparition de populations
résistantes à cet insecticide. Or comme le montre un rapport effectué par le comité

184
technique sur l’HDR de l’ABSTC396, l’association d’industriels américains qui regroupent les
entreprises Aventis CropScience USA LP, Dow AgroSciences LLC, E.I. du Pont de Nemours
and Company, Monsanto Company, and Syngenta Seeds Inc., l’HDR est une technologie qui
est connue des agriculteurs et mise en application par ceux-ci397. Ce rapport daté du 31
Janvier 2001 fait suite au plan unique d’HDR qui a été appliqué pour la saison agricole 2000 -
un plan proposé par les industriels membres de l’ABSTC en collaboration avec le NCGA
l’association nationale des planteurs de maïs398 - et s’inscrit dans le droit chemin des
recommandations formulées par l’EPA. Il complète le premier rapport effectué par
l’Université de l’Iowa dont l’objectif était d’étudier les pratiques des agriculteurs à propos du
maïs Bt. L’ABSTC a étendu et approfondi l’enquête portant sur la saison 2000 afin de :
- Juger de la précaution et du degré d’adoption de l’IRM
- Identifier les régions qui ont la plus faible implémentation en IRM
- Mieux comprendre les sources d’information des agriculteurs à propos de l’IRM

En effet, les auteurs sont persuadés qu’il reste de nombreuses occasions d’éduquer les
agriculteurs et d’influencer leurs pratiques de l’HDR étant donné la nouveauté de la
technologie Bt et sa faible pénétration sur le marché national399, le but étant d’établir un
programme éducatif plus efficace afin d’assurer la bonne application des techniques de l’HDR
et d’en garantir les avantages pour les années à venir. Cette enquête a été effectuée par
l’agence indépendante Marketing Horizon basée à Saint-Louis. Si les industriels ont présidé à
la mise en place des questions, l’agence seule a été responsable de l’enquête400.
Du 14 au 27 septembre 2000, on a pratiqué l’interview téléphonique de 501 agriculteurs,
dans 4 régions distinctes géographiquement : des Etats où le maïs Bt a été adopté de
manière significative, des régions où l’on utilise encore les traitements traditionnels en
majorité, des régions, enfin, où le maïs Bt et le coton Bt sont plantés simultanément. Les
interviewés ont été identifiés comme des décideurs cultivant au minimum 80 hectares (200
acres). Les auteurs du rapport ont pu constater une différence entre les ‘sondés’ qui avaient
été formés au préalable, il y a de cela quelques années, et ceux qui ne l’avaient pas été.

396
Agricultural Biotechnology Stewardship Technical Committee.
397
Bt Corn Insect Resistance Management Survey, 2000 Growing Season , Agricultural Biotechnology
Stewardship Technical Committee January 31, 2001
398
National Corn Growers Association.
399
« There currently remain significant opportunities to educate growers and influence IRM practices
while Bt technology is new and has relatively low market penetration nationwide. The Bt corn
registrants will use the results of this and future surveys to more successfully design and target
education programs in subsequent seasons. The ultimate aim is to ensure that growers are aware of
the most current IRM requirements and are implementing them to preserve the benefits of this
technology for years to come. »Ibid., p.3.
400
«The survey was conducted and analyzed solely by Marketing Horizons, Inc. », Ibid.

185
Les résultats démontrent la forte adhésion dans la volonté de mettre en place l’HDR afin
de préserver les avantages d’une technologie puisque, 91% des personnes interrogées
étaient d’accord pour affirmer que la mise en place de plans d’HDR était très importante
pour la culture du maïs Bt401.
Concernant la saison 2000, 92% des agriculteurs interrogés pensent qu’ils ont accordé
une place acceptable à la zone refuge : 87% ont planté une zone de maïs non-Bt d’une taille
au moins équivalente à 20% de leur superficie totale de maïs Bt alors que 5% seulement ont
suivi des directives qui dataient des années précédentes en plantant des superficies
différentes de celles nouvellement requises. D’après les auteurs, ces chiffres représentent un
très haut niveau d’implémentation.
En considérant la totalité des exigences d’implémentation régissant les zones refuges,
71% des agriculteurs affirment avoir suivi à la fois les recommandations de superficie (20%)
et de proximité pour la saison 2000 (inférieur ou égale à 1/2 miles).
Pour ce qui concerne maintenant la vérification de l’efficacité du transfert d’information,
la plupart des agriculteurs (soit 80%) ont affirmé avoir été mis au courant de l’existence de
ces exigences. On a posé une série de questions afin de distinguer entre les agriculteurs qui
avaient reçu ou non un soutien d’information. La plupart (80%) d’entre eux affirment savoir
que certains critères sont demandés. En ce qui concerne ceux qui n’avaient pas reçu ce
soutien, seul 29% savaient qu’il était nécessaire de planter 20% de la superficie totale pour
ce qui concerne les régions où ne pousse pas de coton. 26% d’agriculteurs imaginaient qu’un
refuge d’une superficie de 5 à 15% était nécessaire. Concernant la distance requise, 31%
des agriculteurs qui n’ont pas reçu d’aide connaissaient celle-ci. Ces résultats confirment que
la mauvaise application des règles a pour cause plus un manque d’information à jour, que le
non-respect volontaire de celles-ci, ce qui prouve la nécessité de faire des efforts
supplémentaires en matière d’éducation402. Les agriculteurs qui ont reçu une formation
étaient mieux au courant des règles. En effet, 7 sur 10 savaient qu’il était nécessaire de
planter une zone refuge d’une superficie d’au moins 20%. Pour ce qui concerne la
connaissance de la distance requise, seul 39% étaient au courant.
Enfin, on a demandé aux agriculteurs de donner leurs sources d’information. A la grande
majorité, les revendeurs de semence ou les firmes agro-industrielles étaient cités. Les
compagnies ont fourni aux acheteurs de produits de maïs Bt des guides qui contenaient des

401
« The results of the survey demonstrate Bt corn growers’ strong recognition of the need for IRM
efforts to preserve the benefits of this technology (91% of the respondents agreed that IRM plans for
Bt corn are somewhat to very important) ». Ibid. p.3.
402
« Assessment of the reasons why growers did not plant an appropriate refuge indicate a lack of
up-to-date information rather than a conscious effort on the part of growers to violate the guidelines,
highlighting the need for consistency and focused education efforts. »Ibid. p.5.

186
instructions sur l’HDR à respecter ; ceci faisait partie des exigences de toute inscription. Au
moment de l’achat ou après la livraison des semences, les acheteurs devaient signer un
papier certifiant de leur volonté d’intégrer les recommandations qui se trouvent prescrites à
l’intérieur de ce guide dans leurs pratiques culturales. Ce guide n’est cependant qu’un
exemple parmi les autres sources d’information possibles.

En conclusion, l’ABSTC affirme sa mise en confiance suite aux résultats de cette enquête,
d’autant plus qu’il s’agissait de la première année d’exercice du plan et que la campagne
d’information a commencé bien après que les agriculteurs aient acheté leurs semences. Un
message pédagogique possède donc un grand pouvoir403. Cet effort doit continuer et être
mené conjointement par l’ABSTC et le NCGA : il passe par le développement et la mise à
disposition de matériel informatif (vidéo, brochures et supports publicitaires média) afin de
compléter le guide ainsi qu’une amélioration de son système de distribution chez les
semenciers. Tout ceci confirme l’ABSTC dans sa vocation d’encourager le développement de
la communication sur l’IRM et donc garantit l’efficacité de celui-ci404. Ces considérations sont
également parfaitement prises en compte par les industriels et il est faux d’affirmer comme
on peut le lire parfois sous la plume de certains critiques, qu’aucune précaution n’a été prise
par rapport au développement du maïs Bt. Ainsi, un dossier de présentation édité par la
société Monsanto étudie avec la plus grande rigueur scientifique tous les avantages et les
risques soulevés par la culture du maïs Bt Mon 810 en général et plus particulièrement, ceux
soulevés par l’apparition de populations de pyrales résistantes ; aussi, les auteurs
remarquent qu’en dépit du succès commercial des semences Bt, il se peut fortement que le
durée de vie de celles-ci soit raccourcie par l’apparition de populations résistantes et ce, du
fait de la production constante d’insecticide dans les plantes. Les experts ajoutent que ce
problème concerne également les jardiniers et les fermiers qui utilisent l’insecticide
conventionnel Bt et pour lequel on aurait déjà détecté l’apparition de populations résistantes
(Tabashnik 1994). Enfin les auteurs du dossier soulignent que bien que l’on utilise souvent
les études de Georghiou qui aurait démontré qu’au moins 400 espèces d’insectes étaient
devenues résistantes à un insecticide, aucun travail n’a pour l’instant prouvé l’apparition de
populations résistantes au maïs Bt405. On notera que ce dossier à visée éducative reprend

403
« As indicated in the industry plan and by academic experts, a simple and consistent message is
key to promoting awareness and adoption of IRM guidelines, and the ABSTC is committed to
comprehensive education programs to communicate the IRM message. » Ibid.
404
« Current IRM requirements are practical, flexible and sufficient to ensure the durability of Bt in
corn for the foreseeable future, and therefore must be maintained. » Ibid., p.6
405
« Despite the commercial success of Bt crops, there is wide-spread concern that the advantages
provided by Bt crops will be short-lived because the constitutive expression of Bt toxins in plant

187
toutes les études sur le problème ainsi que les recommandations de l’EPA que nous avons
évoquées plus haut ; il apparaît clairement que les industriels ne cherchent pas à cacher le
problème, bien au contraire : ils le prennent très au sérieux et investissent dans la recherche
pour la mise en place de nouvelles stratégies de gestion de la résistance et son application
par les agriculteurs. En effet, ils ont parfaitement conscience que l’efficacité de la stratégie
dépend de la possibilité de conserver celle-ci. Or, comme on va le voir maintenant, cette
position est loin de faire l’unanimité et a été maintes fois contestée sur le sol américain.

3.2.2.5 Critiques de la re-registration de l’HDR par l’EPA


Dans un document daté du 30 Août 2001 le CFS (Center for Food Safety), une association de
consommateurs, accuse l’EPA de ne pas avoir pris toutes les mesures essentielles concernant
la réévaluation du maïs Bt et exige de l’administration qu’elle revienne sur sa décision de re-
registrer les semences Bt406. Dans cette lettre adressée aux consommateurs et à l’agence de
protection de l’environnement, le CFS affirme que l’EPA ne disposait pas des bonnes données
pour appuyer la re-registration d’aucune des plantes Bt. Aussi, le document BRAD (document
d’action de registration des biopesticides) aurait échoué dans son évaluation des risques
causés par les plantes Bt pour la santé humaine, il n’aurait pas respecté les exigences de
l’acte sur la protection des espèces en danger, ni celles exigées par la gestion des insectes
résistants et n’aurait pas correctement estimé l’impact économique de la re-registration.
Enfin, cet acte de re-registration serait une violation de la confiance publique407.

tissues will lead to the selection and multiplication of rare Bt-resistant individuals. The potential
development of insect resistance to Bt, as a consequence of large-scale commercial plantings of Bt
crops, is also a concern to farmers and gardeners who rely on the use of Bt microbial sprays, for
which instances of pest adaptation have already been documented (Tabashnik 1994). While the
observation that over 400 insect species have become resistant to at least one insecticide(Georghiou
1986) is often cited as evidence of the genetic ability of arthropods to evolve resistant strains, it is
equally important to note that, to date, there have been no reports of Bt resistant insects arising as a
direct consequence of the introduction of Bt plants into commercial agriculture. » Agbios (Agriculture
and Biotechnology Strategies (Canada) Inc.), Principles and Practice of Environmental Safety
Assessment of Transgenic Plant, Part No. AGBESAM-01-099B, 2001
406
CFS, Public Information and Records Branch (PIRIB), Information Resources and Services Division
(7502C), Office of Pesticide Programs (OPP), Environmental Protection Agency RE : Docket No.
00678B, 30 August 2001
407
« CFS believes that the EPA does not have the proper data available to support the re-registration
of any genetically engineered Bt crop. The Agency’s “Biopestcides Registration Action Document”
(“BRAD”) has, inter alia, failed to adequately assess the human health risks associated with the Bt
crops; throughly engage in environmental review, including compliance with the consultation
requirements of the Endangered Species Act, fully incorporate data about non-compliance into its
Insect Resistance Management (IRM) requirements; and properly assess the economic impacts
associated with reregistration of Bt crops. Furthermore, re-registration of the Bt crops will be a
violation of the public trust doctrine. » CFS, Ibid., p.1.

188
Quels sont les arguments concernant le problème de l’apparition de population
d’insectes résistants ? Les experts du CFS rappellent que l’EPA est parfaitement consciente
des avantages écologiques de l’insecticide foliaire Bt et, par conséquent, du risque encouru
par la perte des avantages de celui-ci, du fait de l’apparition de population d’insectes
résistants. Aussi, pour le CFS, il ne fait aucun doute que le caractère de résistance finira par
se développer du fait de l’exposition continue des insectes au BT. Par conséquent, le CFS
estime que la priorité de l’EPA devrait être d’interdire toutes les solutions susceptibles
d’augmenter la résistance au Bt. Toute mesure n’allant pas dans ce sens causerait un risque
déraisonnable sur l’environnement et serait directement dommageable pour l’agriculture
durable408. D’après les auteurs, l’EPA a failli à cette tâche en re-registrant les semences Bt
qui seront à l’origine de futurs ravageurs cross-résistants aux applications foliaires
conventionnelles de l’insecticide Bt. Le CFS s’étonne que, bien que les modèles sur lesquels
l’EPA se fonde, démontrent que l’apparition de populations résistantes devrait avoir lieu dans
moins de 3,46 ans, l’administration s’est contentée d’accepter la re-registration à condition
de la mise en place d’un plan de gestion de la résistance. Aussi, les données fournies
démontreraient que l’agence est incertaine de l’efficacité de ce plan et ce, du fait qu’elle fait
dépendre celle-ci du respect des règles par les agriculteurs tout en n’étant pas capable de
donner un niveau de suivi minimum qui permette de garantir l’efficacité409. A cela, le CFS
ajoute que l’EPA ne peut même pas certifier l’efficacité des programmes d’HDR pour
empêcher ou repousser l’apparition de la résistance. Il n’y aurait en fait que 2 études sur
lesquelles pourraient s’appuyer l’EPA pour juger le niveau de respect des plans de gestion de
la résistance : le rapport annuel de la société Aventis Cropscience pour le maïs StarLinkTM
dont les travaux portent sur l’année 1999 (ce premier rapport n’a pas été pris en compte par
les experts de l’EPA) et le rapport de Market Horizon que nous avons précédemment
étudié410. D’après le CFS, chacun de ces 2 rapports démontrerait une absence signifiante de
suivi (Both reports show significant non-compliance with IRM requirements). Selon le rapport

408
« If exposed to continuous, massive doses of Bt toxins insects can develop resistance to it.
Therefore, CFS believes that a central priority for EPA must be to prevent all potential for further
development of Bt resistance. Anything less would cause an unreasonable adverse impact on the
environment and be directly harmful to organic and sustainable agriculture. Unfortunately, the EPA
has admitted that registration of Bt crops will lead to pests that are cross resistant to foliar,
convention Bt applications. » Ibid., p.5.
409
« The EPA admits: Grower compliance with refuge and IRM requirements is a critical
element for resistance management . Significant non-compliance with IRM among growers may
increase the risk of resistance for Bt corn. However, it is not known what level of grower non-
compliance will compromise the risk of current refuge requirements. » Ibid., p.5.
410
Yearly Reporting (1999) on the Insect Resistance Management Plan of StarLink™ Corn , EPA
registration No. 45639-221, Aventis Crop Science USA LP, January 25, 2000. Et Bt Corn Insect
Resistance Management Survey, 2000 Growing Season, Agricultural Biotechnology Stewardship
Committee, prepared by Market Horizons, Inc., December 2000.

189
d’Aventis 15,7% des agriculteurs interrogés ne planteraient pas de zones refuges.
Concernant maintenant le second rapport, d’après le CFS, l’absence de suivi se situerait
entre 20 et 29% et dépasserait même les 30% si l’on prend en compte les erreurs possibles.
Aussi, l’EPA n’aurait nullement pris en compte ces résultats, puisqu’elle affirme que les
modèles de gestion de la résistance ont été calculés en supposant qu’ils ont été suivis à
100%. Or pour justifier la re-registration, l’EPA aurait négligé ces données en affirmant
qu’aux vues des données existantes, 100% de suivi était un objectif impossible à atteindre.
Le CFS accuse alors l’EPA d’avoir, non seulement, admis les taux de non-suivi, mais en plus,
de ne pas les avoir pris en compte dans le calcul des superficies des zones de résistances
données en modèles ; aussi, selon l’association de consommateurs, il est contradictoire de
re-registrer le maïs Bt en se fondant sur un modèle de gestion de la résistance qui, pour
fonctionner, doit être appliqué à 100%, alors que 30% d’agriculteurs ne se conforment pas
aux règles411. Par conséquent, le CFS considère que la re-registration des semences Bt est
inacceptable et illégale : en effet, il n’est pas juste que les agriculteurs qui utilisent
l’insecticide Bt de manière conventionnelle aient à supporter les risques ; aussi, tant que l’on
n’a pas réussi à gérer le problème du suivi des plans de gestion de la résistance par les
agriculteurs, on devrait suspendre la mise sur le marché du maïs Bt.
Comme on le voit, les critiques du CFS portent essentiellement sur la possibilité de
contrôler le suivi du plan de gestion de la résistance par les agriculteurs ; elles ne remettent
pas véritablement en cause ce plan si ce n’est par le fait que celui-ci a été conçu sans
prendre en considération ce facteur d’incertitude, ce qui d’après les experts de cet
organisme, serait contradictoire et inadmissible. Dans un document faisant également suite
aux rapports BRAD de l’EPA412 une autre critique, formulée par l’UCS (Union of Concerned
Scientist) remet catégoriquement en cause l’efficacité du plan de gestion de la résistance.
Cette ONG est une association composée de citoyens et de scientifiques ; elle possède dans
ses rangs de fervents activistes anti-PGM, tels que Margaret Melon ou encore Jane Rissler.
Aussi, l’analyse critique des plans de gestion de la résistance est formulée par le Docteur
Charles Benbrook, un consultant célèbre pour ces rapports critiques sur les l’analyse
économique des bénéfices potentiels des PGM pour les agriculteurs.
De même que les experts du CFS, ceux de l’UCS rappellent que l’EPA a correctement
analysé les risques de la perte de l’efficacité de l’insecticide Bt à la suite de l’apparition de

411
« Remarkably, while acknowledging IRM non-compliance rates, the Agency has failed to
incorporate non-compliance rates into its calculation of refugia size requirements. Ultimately, the
Agency cannot base its re-registration of Bt crops upon IRM modeling that uses 100% compliance
when it has data showing that over 30% of farmers are likely to ignore such requirements. » Ibid.p.6
412
Jane Rissler, Margaret Mellon., Union of Concerned Scientists, Comments to the environmental
protection agency on the renewal of Bt-Crop registrations, Docket OPP-00678B, September 10, 2001.

190
population résistante. Cependant les mesures qui sont proposées par les plans de gestion de
la résistance seraient beaucoup trop faibles par rapport au risque413. Ains,i d’après les
analyses du Dr. Benbrook portant sur le coton et sur le maïs, ces plans ne retarderaient pas
suffisamment l’apparition de populations résistantes et ce, pour les raisons suivantes :
- Le HDR ne prend pas en compte la production de toxine Bt contre les autres
insectes ; aussi, l’EPA ne fournit aucune donnée les concernant414.
- Les refuges tels qu’ils ont été actuellement prévus sont trop petits pour empêcher
l’apparition de populations résistantes.
- Les refuges actuels sont trop loin des champs de maïs Bt pour assurer l’accouplement
entre les populations d’insectes résistants et celles qui sont sensibles.
- Les exigences actuelles de l’HDR sont trop souples (« too lax »)
- La faible surveillance, le suivi et la mise en place d’action de substitution diminuent
sérieusement l’efficacité des plans de HDR du maïs et du coton Bt415.

En conclusion
On observe donc dans le cadre de la controverse scientifique sur les risques
environnementaux une situation similaire à celle des controverses portant sur les risques
alimentaires. Ici, le risque d’apparition de populations de pyrales résistantes est reconnu et
admis aussi bien des experts pro-PGM que des experts anti-PGM. Aussi, alors que pour les
premiers, la mise en place d’un plan de gestion de la résistance et la promotion ainsi que la
surveillance de l’application de ce plan auprès des agriculteurs doit permettre d’empêcher
l’avènement du risque, pour les seconds, il ne sera même pas en mesure de le retarder. De
même que dans le cadre de la recherche des risques alimentaires nous avions pu expliquer
la controverse au travers de la divergence des lectures que les experts faisaient du principe
d’équivalence en substance, ici, il apparaît clairement, que les experts interprètent
différemment le principe de précaution.
Il est en effet possible de distinguer entre deux usages de ce principe : nous
nommerons le premier un « usage technique positif » et le second « un usage critique

413
« While we applaud EPA’s acknowledgement that widespread planting of Bt crops threatens the
usefulness of Bt insecticides and appreciate the agency’s willingness to impose insect resistance
management (IRM) plans, UCS remains concerned that the agency IRM requirements are too weak to
prevent the evolution of resistance. » Jane Rissler, Ibid., p.8.
414
« The Bt-corn IRM plans do not take into account that Mon 810 and Bt 11 produce a high dose
against but one of the six corn pests affected by the Bt-corn hybrids. »Ibid., p.9.
415
« Weak monitoring, compliance, and remedial action provisions seriously undermine the
effectiveness of the Bt-cotton and Bt-corn IRM plans. »Ibid., p.10.

191
négatif ». Alors que le premier a pour objectif d’accompagner la technologie dans ses
différentes applications et d’établir les règles qui permettent d’institutionnaliser son
développement, la seconde se fixe pour objectif de stopper définitivement la progression de
celle-ci en exigeant l’application de règles difficilement applicables telle que le risque ‘0’, par
exemple416. Dans le premier cas, on juge que la mise en place d’un plan et d’une surveillance
suffit à garantir les risques d’accidents, dans le second, on considère que les critères exigés
ne sont pas suffisants et on conteste les règles ainsi que les principes sur lesquels ils se
fondent. Chacun des protagonistes de la controverse prend en compte le principe de
précaution dans le sens défini par la loi Barnier de 1995 : en effet, l’absence de certitudes,
compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment n’a pas retardé
« l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de
dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économiquement
acceptable.» On voit cependant toute la latitude qui est laissée à l’interprétation de la notion
de ‘mesures effectives et proportionnées’. C’est sur ce point en effet que, dans le cadre du
risque d’apparition d’insectes résistants à Bt, la controverse est née.
On constatera enfin dans cette controverse, qu’une fois de plus, les mesures de
précaution exigées par les experts anti-PGM font de la transgenèse un cas à part. Aussi les
mesures qui doivent être prises ont un caractère exclusif, puisque certains demandent une
suspension radicales de la mise sur le marché de plantes Bt et remettent en cause l’autorité
de l’institution. A contrario, les protagonistes de la technologie jugent que les risques sont
acceptables aux vues des bénéfices estimés. On va voir que cette opposition est encore
renforcée dans le cadre de l’estimation des risques sur les insectes non-cibles.

3.2.3 Des effets non-intentionnels du maïs Bt


Un autre problème concernant l’introduction du maïs Bt dans l’environnement est celui des
effets non-intentionnels, généralement constatés sur les insectes non-cibles. A la suite d’un
article paru dans Nature417, rendu célèbre par le remous qu’il a réussi à causer dans le milieu
scientifique, le papillon monarque est devenu le centre d’intérêt des médias. En effet, en
plus de laisser planer une incertitude concernant l’éventuelle apparition de population
résistantes à la toxine Bt, le maïs génétiquement modifié serait susceptible de causer des

416
C’est ce que l’on peut penser lorsqu’on lit par exemple que le CFS exige la suspension de la
registration du maïs Bt tant que les protagonistes de la technologie n’auront pas réussi à prouver que
l’HDR est suivie à 100% par les agriculteurs : mesure irréaliste en ce sens que pour assurer que l’HDR
est respectée par les agriculteurs il faut que le maïs soit sur le marché.
417
J.E. Losey et al. (1999) Nature 399, 214.

192
dégâts parmi des populations non-cibles de la faune, dont le fameux papillon monarque.
Comme le rappellent Denis Bourguet et Josette Chaufaux, dans un article du journal Biofutur
de juin 2000 (soit un an après l’article de Nature ) : « Cette étude a eu un retentissement
important dans la communauté scientifique – le protocole expérimental a été très critiqué –
et a atteint le grand public , étant donné le statut emblématique du monarque aux Etats-
Unis. » et les scientifiques de l’INRA de préciser que : « Si les plantes Bt soulèvent parfois
des problèmes spécifiques, il faut garder en mémoire que la question de la résistance des
ravageurs ou de l’impact sur l’entomofaune se pose également - et avec encore plus d’acuité
- avec les insecticides chimiques (...) Faut-il rappeler que des méthodes de lutte biologique
existent ? (...) Les efforts de recherche sont directement proportionnels aux budgets qui leur
sont affectés. Il serait dommage que l’importance accordée à la création et à l’évaluation des
plantes transgéniques finisse par étouffer l’émergence des méthodes de lutte intégrée. »418
Comme on peut le constater, cette dernière remarque a peine à voiler une prise de position
résolument critique à l’égard du maïs Bt et a déjà admis l’idée d’un risque avéré.
Dans un autre article plus récent du magazine Biofutur, Laure Kaiser, Minh-Hà Pham-
Delègue et Ricardo Ramirez-Romero étudient le problème plus en détail. L’impact des
plantes génétiquement modifiées et en particulier, du maïs Bt sur les insectes auxiliaires
(pollinisateurs, prédateurs ou parasites d’insectes) a fait l’objet d’une véritable controverse
dans le milieu scientifique et a suscité jusqu’à maintenant, « une littérature peu
419
concluante » . Ces insectes auxiliaires doivent être protégés pour des raisons
« agronomiques et pour maintenir la biodiversité entomologique et végétale. » Selon ces 3
experts du laboratoire de neurobiologie comparée des invertébrés de l’INRA, malgré de
nombreux facteurs sécurisants (spécificité des toxines Bt, 1 seul gène bactérien par plante,
expression des gènes bactériens dans des parties ciblées), « la question des effets non-
intentionnels reste posée » et on ne peut se contenter des résultats des études de D.Ferber
(1999, Science 286, 1662-1666) qui concluent de l’innocuité de ces plantes : « En effet, la
nature et la forme de la toxine (activée ou non), sa présence dans certaines parties de la
plante consommées par des insectes (concentration dans les tissus, durée de présence) dans
les végétaux transgéniques peuvent influencer les résultats. »420

418
Denis Bourguet et Josette Chaufaux, « Bt : les insectes font de la résistance », Biofutur 201, Juin
2000, p.45.
419
Laure Kaiser, Minh-Hà Pham-Delègue et Ricardo Ramirez-Romero « Maïs Bt et insectes
auxiliaires », Biofutur 207, Janvier 2001.
420
Ibid., p.30.

193
Concernant le maïs Bt qui porte le gène de la protéine CryIAb, les auteurs affirment
qu’il a fait l’objet de nombreuses études d’impacts « à la rigueur parfois contestables ». Les
auteurs citent 3 expériences pour renforcer leur commentaire :

- La première a été menée en Suisse à la station de recherche fédérale par l’équipe


d’Angelika Hilbeck. Après avoir nourri des larves de chrysopes avec une solution
contenant 100 microgrammes de toxine par millilitre, on a pu enregistrer une
augmentation de la mortalité.
- La seconde est une expérience menée en interne par la société Novartis sur des
collemboles (Folsomia candida), petits insectes du sol qui ont été au contact de
feuilles fraîches de maïs Bt : « Il apparaît qu’au-delà d’une limite située entre 0,088
et 0,175 milligramme de toxine par kilo de sol, la survie et le taux de reproduction
des collemboles diminuent. » (résultats d’après G. Neuhaus, 1999, Litterature review
on non-target organisms and Bt-maize. Novartis, p.33). Ce qui ne serait pas
représentatif pour une situation en champ, d’après les chercheurs de Novartis.
- Monsanto, enfin, n’a pas relevé de toxicité parmi les collemboles qui ont été élevés
sur un milieu artificiel plâtre, charbon.

Les auteurs de l’article de Biofutur précisent que les 2 grandes firmes n’ont pas publié leurs
études dans des revues de scientifiques à comité de lecture interne. Ces 2 études ont été
« décrites dans des ‘documents maison’ ». Celle de Monsanto a cependant été présentée à
l’EPA. Les auteurs en viennent ensuite à l’article de John Losey, qui aurait démontré que le
papillon monarque (Danaus Plexippus) qui se nourrit exclusivement d’Asclepias syriaca, une
adventice présente en proximité des champs de maïs et donc, susceptible de recevoir le
pollen du maïs Bt, aurait été sensible au pollen « contaminant » du maïs Bt. Là aussi, l’article
serait contesté du fait que « leur étude n’indique pas précisément la quantité de pollen
consommée par ces chenilles, et donc la quantité de pollen effectivement administrée. De
plus, la quantité de pollen de maïs que les chenilles de monarque sont susceptibles de
rencontrer sur leur plante hôte n’est pas évaluée. »
Doit-on alors affirmer, comme le font ces auteurs, qu’il y a un manque cruel d’études
sérieuses et approfondies sur le sujet, et ce, qu’il s’agisse d’études partiales menées par les
industriels ou d’études menées par des équipes de chercheurs en quête de sensations ?

194
3.2.3.1 La re-registration du maïs Bt à partir des données existantes
Pour répondre à cette question, nous nous sommes de nouveau référé au rapport de re-
registration BRAD publié en 2001 par l’EPA dont la partie II C propose un résumé, espèce
par espèce, des tests qui ont été effectués sur les insectes non-cibles421. On y trouve un
tableau récapitulatif des différents tests et de leurs résultats. Concernant les mammifères, on
n’a pas pu détecter de toxicité signifiante sur les rongeurs à la suite des tests par voix orale
qui utilisaient la dose proportionnelle maximum (“maximum hasard dose ”). En ce qui
concerne le bétail ou les bêtes sauvages, on n’a pas de rapports significatifs sur l’effet
néfaste de la protéine Bt et ce, après plusieurs années d’observation. Les données
répertoriées ne présentent pas de risque sur les animaux sauvages ou domestiques422.
On a réalisé des tests sur des volailles en nourrissant pendant 14 jours des cailles, avec
2000 mg de maïs Bt par kilo, sans observer aucun effet adverse. On a des rapports en
provenance de l’industrie de la volaille (commercial poultry industry) qui ne démontrent pas
la présence d’effets adverses sur les animaux après plusieurs années d’utilisation du maïs Bt
comme alimentation. Les auteurs affirment que ces données montrent que l’usage du maïs
Bt n’implique pas de risque (hazard) sur les volatiles, mais ajoutent cependant qu’elles sont
encore insuffisantes pour émettre un jugement catégorique définitif sur l’exposition à des
doses plus importantes de maïs Bt.
Pour les animaux aquatiques, des études ont pu être réalisées sur les invertébrés et sur
les poissons ne démontrant pas véritablement de risque, y compris à la suite de l’absorption
de pollen423.
En ce qui concerne les insectes, les auteurs indiquent que des études ont pu être
réalisées sur les abeilles à l’état de larves ou d’adulte. Après avoir nourri celles-ci avec des
doses de pollen, on n’a pas pu détecter d’effets adverses. Des travaux menés par des
scientifiques allemands (Schur et al. 2000) en plein champ sur des insectes de taille adulte
ont utilisé un maïs qui produit la protéine Bt Cry 1Ab. On a installé chacune des colonies
sous une tente (6 en tout), 3 tentes contenant du maïs transgénique et les 3 autres du maïs
non-modifié. Les observations ont pu porter sur la période de pollinisation (pollen shed) et

421
Summary of non-target Organism Toxicity Testing on corn Bt 11 (0064444) and MON810 (006430)
in Bt Plant-Incorporated Protectants September 29, 2001 Biopesticides Registration Action Document,
trouvé sur le site www.epa.gov/pesticides/biopesticides/
422
“ However, the mamalian toxicology information gathered to date does not show a hasard to wild
or domesticated mammals. ”, Ibid., IIC36.
423
“ Toxicity studies with aquatic organisms show very limited hazard for fish or invertebrates exposed
to either corn pollen or to bacterially expressed Cry protein. ”Ibid., IIC37, « In view of the lack of
demonstrated toxicity and exposure, no aquatic hazard is expected from the continued uses of Bt Cry
protein in Bt 11 and Mon810 corn crops. ” Ibid., pIIC38.

195
sur les 30 jours qui ont suivi celle-ci. Elles n’ont montré aucun effets adverses424, qu’il
s’agisse de leur survivance, de la fréquence de reproduction, de leur comportement ou du
développement de leur progéniture.
Pour l’étude des effets sur les ‘green lacewings’(libellules ?), les experts de l’EPA
affirment que de nombreux tests ont pu être réalisés ne démontrant pas l’apparition d’effets
adverses, contrairement aux travaux d’Hilbeck en 1998 et en 1999, pour qui le maïs Bt aurait
des effets néfastes sur ces insectes. L’agence affirme qu’après avoir passé en revue ces
expériences à l’intérieur de ses propres laboratoires, elle a démontré que ces impacts
pouvaient être pratiquement considérés comme insignifiants425. Dans la première des 2
expériences effectuées en 1998, Hilbeck et son équipe signalent une mortalité légèrement
plus élevée ainsi qu’un temps de développement prolongé des larves de lacewing qui
auraient été aspergées de Bt. Dans une deuxième expérience menée en 1998, ils confirment
ces résultats et ont rapporté qu’il n’y avait pas d’effet reproductible signifiant de la protéine
Bt (there are no significant reproductive effects from Bt corn protein.)
Les experts de l’EPA affirment, eux, que la seconde étude utilisait des quantités définies
de protéines de Bt pure, et qu’il n’y avait une mortalité signifiante que dans l’un des groupes
testé avec une alimentation artificielle (only in an artificial diet test group) et non quand on
alimentait le groupe avec des oeufs de E.kuehniella, leur alimentation naturelle. L’agence en
conclut que cette étude ne démontre aucun effet adverse qui soit comparable à une situation
naturelle426. De plus la dose à laquelle les larves se trouvaient exposées en continu (100
microgrammes / ml ) n’était pas représentative de la dose en champs. Le dosage utilisé dans
cette étude est au moins 30 fois supérieur à celui utilisé en plein champ. Selon les mêmes
experts, l’étude menée en 1999 a montré qu’aucune conséquence n’apparaissait en dessous
d’un niveau de 50 microgrammes (no lower than 50 micro gram levels). La conclusion est
donc que ces expériences n’ont rien de comparable avec le niveau de protéine Bt susceptible
d’être présent en champ puisque les niveaux d’exposition doivent se calculer en nano
grammes et non pas en microgrammes (« The laboratory results were seen only at

424
« The study showed no adverse effects of Bt corn pollen containing high levels of Cry 1Ab protein
on honeybee survival, foraging frequency, behavior or brood development during the 7-day period of
pollen shed. » Summary of non-target Organism, Ibid, p.38.
425
« EPA performed a formal review of the first two studies on the effects of Bt corn intoxicated prey
and pure Bt corn protein on lacewing. If these laboratory results are taken at face value, the adverse
effects are so slight as to suggest no significant impact on beneficial insects in the field. », Ibid,
p.IIC39.
426
« The second study (Hilbeck et al. 1998b) used defined quantities of pure Bt protein and there was
significant mortality only in an artificial diet test group, and no significant mortality when the artificail
diet was supplemented with E. kuehniella eggs (a natural diet). Therefore, this study does not
demonstrate any adverse effects to lacewing larvae under simulated field feeding habits where the
lacewing larvae have a choice of natural diet in the field. », Ibid. p.p. IIC 39-40.

196
exposure to micro gram quantities, whereas in the field the exposure is only to nano gram
amounts »). Commentant sur la conclusion de la deuxième expérience menée par Hilbeck en
1998 selon laquelle il serait nécessaire de mener une enquête supplémentaire pour étudier
l’efficacité de la prédation et les performances des prédateurs en plein champ, les experts de
l’EPA font remarquer que des études ont pu être réalisées qui n’ont démontré aucune
différence de densité signifiante dans la population des prédateurs tels que les green
lacewings. De plus Pilcher et son équipe ont fait des études en laboratoire sur plusieurs
populations de prédateurs qui ne montraient aucune différence significative.

Pour les invertébrés, les études s’avèrent être beaucoup plus problématiques. En effet,
on doit prendre en compte l’exposition prolongée des organismes du sol tels que les vers de
terre ou les Collemboles, étant donnée l’introduction de résidus de semences dans le sol ou
en surface du sol ; des effets néfastes pourraient avoir lieu contre ces organismes à la suite
l’accumulation de détritus dans les champs. Pourtant les pratiques habituelles de l’agriculture
ont intégré l’usage de pesticides chimiques qui, bien qu’en ayant un effet adverse sur les
organismes du sol, n’ont pas causé l’accumulation d’une quantité signifiante de détritus. Par
conséquent, le recours à des plantes Bt, par définition moins toxiques, ne devrait pas avoir
pour conséquence l’accumulation de détritus à un niveau toxique427. Ces suppositions ont pu
être vérifiées à la suite des études menées par Saxena et Stozky en 2001 dont les résultats
laissent penser que malgré une forte présence de Bt dans le sol, la protéine Cry issue de
l’exudation des racines des plantes, ou de la dégradation de leur biomasse n’a eu aucun effet
toxique sur les organismes des sols. Ces expériences qui duraient 40 jours ont démontré qu’il
n’y avait aucune différence signifiante dans le pourcentage de mortalité ou le poids des vers
qui avaient vécu respectivement dans un sol sur lequel on avait planté du maïs Bt et sur un
sol où l’on avait planté du maïs non-Bt ; il en allait de même pour la population de vers issue
d’un sol qui avait été amendé avec du maïs Bt et un maïs non-Bt.
A partir des données communiquées, l’EPA pense que la protéine Bt ne cause pas d’effets
adverses sur les invertébrés du sol et même, au contraire, que la culture des semences Bt a
un effet positif sur la flore du sol, comparé aux alternatives similaires telles que les pesticides
chimiques non sélectifs : « To the contrary, EPA believes that available scientific data and
information indicate that cultivation of Bt crops has a positive effect on soil flora, when
compared to the most likely alternative, use of non-selective synthetic chemical pesticides. »

427
« Thus, Bt crops, which are expected to have less impact on these species than chemical
pesticides, should not result in any increased build up of plant detritus or Cry proteins at toxic levels. »
Ibid. p.p. IIC40-41.

197
Concernant maintenant, les insectes non-cibles, les experts de l’EPA affirment qu’aucune
donnée n’indique de différence entre le nombre total d’insectes qui se trouvent en contact
avec des plantes transgéniques et les plantes similaires non-transgéniques. Aucun transfert
n’a pu être observé dans la distribution taxonomique, excepté dans le cas des prédateurs
dont l’alimentation se compose essentiellement d’insectes ravageurs. Ces affirmations sont
appuyées par les résultats des expériences menées en surface confinée sur deux années
consécutives par l’équipe de Pilcher en 1997. En 1994, les experts n’ont pu observer aucune
différence entre le nombre d’insectes colonisateurs des plantes Bt et celui des plantes de
contrôle. En 1995, on a pu constater qu’il y avait plus de prédateurs dans les plantes Bt que
dans leurs équivalents non génétiquement modifiés. Les auteurs en ont donc conclu que le
Maïs Bt n’affectait pas l’abondance des prédateurs. Cependant ils ajoutent que l’apparente
inconsistance entre les résultats obtenus peut être due à la petite taille des parcelles
cultivées. En effet, il se peut que le pollen des plantes transgéniques et isogèniques ait été
mélangé par le vent. Il serait donc nécessaire de réaliser des études à plus grande échelle.
Les experts de l’EPA énumèrent ensuite les nombreuses études qui ont été effectuées
pour déterminer d’éventuels impacts du maïs génétiquement modifié sur les populations
d’insectes non-cibles : une étude de Obrycki sur les insectes prédateurs en 1997, une étude
de 5 années menée par le groupe Aventis Crop Science sur les insectes auxiliaires
(‘beneficial’) non-cibles, une étude de 2 ans menée par Lozzia en Italie sur la biodiversité et
la structure des ‘ground beetle assemblage’ (Coleoptera Carabidae) et enfin 4 études
Nuessly & Hentz sur des graines Novartis (désormais Syngeta). Toutes ces études n’ont pas
réussi à démontrer de différences significatives des populations non cibles d’insectes.
Pour les lépidoptères (Moths and butterflies), l’agence soutient que la toxicité des
protéines Bt Cry1 à leur égard est un phénomène bien connu. En effet, des études
sponsorisées par l’office national des Forêts (U.S. Forest Service) auraient été menées sur les
effets à long terme de l’utilisation de traitements à base de Bt afin d’éliminer les papillons de
nuit. Les auteurs affirment que, puisque l’utilisation de traitement à base de protéine Bt n’est
pas censée être aussi élevéz dans les champs que celui qui a été effectué dans les forêts
sans que l’on puisse véritablement observer d’effet néfaste, on en déduira que le maïs Bt
n’est pas censé causer, lui non plus, d’effet néfaste428. Les experts de l’EPA font alors
remarquer que les études menées en laboratoire qui utilisent des grandes doses de protéine

428
« Since the exposure to butterflies and moths from the agricultural uses of Bt Cry protein was not
expected to be as high as in forest spraying (where no widespread/recurring or irreversible harm to
lepidopteran insects was observed), Bt corn likewise was not expected to cause widespread or
irreversible harm to non-target lepidopteran insects. » Ibid.,p. IIC44

198
Cry 1 Ab ne signifient pas nécessairement que les papillons seront exposés à des doses
toxiques de protéines Bt dans les champs : « Reports of toxicity of high doses of Bt Cry 1Ab
protein to monarch butterflies in the laboratory do not necessarily mean that there will be
exposure to toxic levels in the field. »429 Aussi l’EPA, comme nous allons l’étudier plus en
détail, a contribué à de nombreuses recherches dans ce sens.
En 2000, une expérience en plein champ a été réalisée par Wraight pour vérifier si la
mortalité des machaons noirs (black swallowtails) pouvait être associée avec la proximité de
champs de maïs Bt Cry1Ab ou à cause du niveau de présence pollen Bt sur des plantes
hôtes. On a placé des plantes hôtes infectées par les papillons en pots à proximité de champ
de maïs Bt. On n’a pas pu remarquer de relation entre la mortalité des papillons et les
plantes Bt. De plus le pollen de ces plantes n’a pas réussi à causer la mort de ces insectes,
même avec une dose de 10000 grains par cm2, ce qui dépasse de loin la plus haute des
densités de pollen qui a pu être observée en champ, soit 200 grains par cm2. L’auteur en a
donc conclu, tout naturellement, que les variétés de pollen testées n’étaient pas susceptibles
d’affecter les populations sauvages de ces papillons.
En ce qui concerne les papillons Karner Blue, et d’autres espèces en voie de disparition,
les experts de l’EPA affirment que la plupart de ces espèces en danger sont localisées dans
des zones d’habitat bien particulières. Ils s’en réfèrent à une étude menée par l’U.S. Fish and
Wildlife Service de 1997 qui démontre que les insectes en danger ne résident pas dans les
zones agricoles où le maïs Bt est planté, et celui-ci ne peut d’ailleurs pas être considéré
comme une plante hôte pour ces espèces. L’EPA conclut des études citées que les papillons
Karner Blue ne courent aucun risque à la suite de l’exposition au maïs MON 810 ou Bt 11.
Comme on le constate, l’EPA s’appuie sur l’ensemble des connaissances actuelles
pour re-registrer le maïs Bt. Or, il apparaît que certains résultats ne sont pas définitifs et
demandent à être complétés, ce que l’EPA ne manque pas de notifier. Les critiques ne
manqueront pas, eux, de souligner le fait que la re-registration se fonde sur des résultats
incomplets. Mais comme on va le voir, les travaux qui ont pensé démontrer la nocivité du
maïs Bt et sur lesquels se sont fondés d’autres institutions, telles que le parlement européen,
par exemple, pour interdire l’usage du maïs Bt, n’étaient pas moins provisoires ; c’est tout du
moins ce que l’on va démontrer avec l’affaire monarque.

3.2.3.2 « L’affaire du Papillon monarque »


Voici, sans doute, l’épisode le plus significatif de la courte histoire des plantes génétiquement
modifiées. L’affaire du papillon monarque réunit à elle seule tous les éléments qui font des

429
Ibid.

199
PGM un terrain propice non seulement à la controverse scientifique, mais également à la
polémique ; ici, qu’il s’agisse des scientifiques, des industriels, des médias ou des
associations environnementales, tous les acteurs se sont mobilisés comme jamais pour
débattre d’un problème qui a eu un impact considérable dans l’opinion publique mondiale, et
mis sans dessus dessous le monde de l’expertise. Avant de procéder, dans la quatrième
partie de ce travail, à l’étude du raz-de-marée médiatique et de la polémique qui en a suivi,
on commencera ici par l’étude de la controverse scientifique.

Origine d’une controverse


Le 21 juin 1999, un article tiré du site www.bio.org titre : « Monarch Butterfly Researchers
Urge Caution In Over-Interpreting Results ; Academic Researchers And Industry Associations
Agree Reports On Bt Crop Impact On Monarch Butterflies Overblown »430 ; il s’agit ici d’une
tentative des chercheurs et des industriels américains pour apaiser la tempête qu’a soulevée,
un mois auparavant, une lettre de John Losey publiée dans la rubrique news du journal
Nature du 20 mai 1999 ; cet appel des promoteurs de la transgenèse végétale dans lequel
on trouve côte à côte une citation de Losey sur la précaution avec laquelle il est nécessaire
de considérer les résultats des études menées en laboratoires avant de les extrapoler, et une
citation du Dr. L. Val Giddings (le vice-président de la section biotechnologie alimentaire de
l’association Biotechnology Industry Organization) a un double objectif : annoncer les
mesures qui vont être prises pour rassurer le public ; rappeler les facteurs atténuants les
résultats que l’auteur aurait oublié de prendre en considération (absence de choix de la
nourriture, pas de prise en compte de la spécificité du milieu naturel de développement de la
chenille du monarque, le laiteron, et de son éloignement supposé du champ de maïs, pas de
considération du facteur temps, coïncidence possible entre la migration et la pollinisation,
non prise en compte de la capacité d’éviter le pollen… )
Chacun de ces facteurs que Losey aurait oublié de prendre en compte avant de
publier ses résultats dans Nature vont faire l’objet d’études à venir. Tels quels, il s’agit pour
les auteurs de rappeler le peu de fondement de l’expérience. Poursuivant leur plaidoyer, les
experts pro-PGM en profitent pour rappeler les objectifs et les avantages de l’introduction sur
le marché du maïs Bt : celui-ci a été utilisé afin de protéger les cultures contre les invasions
de pyrales ; aussi, avant son utilisation, les agriculteurs utilisaient des pesticides
conventionnels qui sont toxiques pour les larves de papillon monarque, ainsi que pour

430
« Des chercheurs spécialistes du papillon monarque réclament la précaution en dépassant
l’interprétation des résultats ; les chercheurs académiques et les associations d’industriels tombent
d’accord sur le côté exagéré du rapport concernant les impacts du maïs sur le papillon monarque. »
Source: Biotechnology Industry Organization, www.bio.org, 21 juin, 1999.

200
d’autres espèces non-cibles. En réduisant l’utilisation de ces insecticides, le maïs Bt réduit le
danger potentiel de destruction des espèces non-cibles, et réduit les impacts des intrants
agricoles sur l’environnement en général431. A l’appui de ces affirmations et pour désamorcer
la crise, on trouve dans cet article une citation de Losey affirmant « qu’il croit toujours que
les bénéfices apportés par le maïs Bt dépassent les risques encourus »432, ainsi qu’une liste
de nombreux autres facteurs pouvant se trouver, de manière beaucoup plus probante, à
l’origine des disparitions des papillons monarques. Pourtant tous ces arguments ne
parviendront pas à amoindrir les craintes soulevées. Ainsi comme le rappellent les auteurs
d’un document de synthèse publié par les « PEW initiative on food and biotechnology » : «Ce
papier s’est trouvé à l’origine d’une intense couverture journalistique nationale et
internationale, transformant la nuit blanche (overnight) du papillon monarque en un
dramatique symbole de ce que les environnementalistes et certains scientifiques ont
433
considéré comme les dangers de la biotechnologie agricole.» On notera alors avec intérêt
la remarque de Losey commentant lui-même le succès rencontré par sa lettre : « Je savais
que les résultats de cet article susciteraient un grand intérêt parce qu’ils impliquaient le maïs
Bt et le papillon monarque, 2 choses d’intérêt pour la population générale ; je ne pense pas
avoir vu ce niveau d’intérêt dans aucun article que j’ai publié.»434
On ne peut pas en dire autant des rapports de l’EPA qui ont, en 1995,1996 et 1998
successivement, validé l’introduction du maïs Bt sur le marché en confirmant l’absence
d’effets adverses pour l’environnement, les insectes non-cibles et la faune. Afin d’atteindre
cette conclusion, l’EPA, d’après une fiche de synthèse du « CBI », aurait vérifié non-
seulement la toxicité, mais aussi la probabilité d’exposition aux effets de Bt435. D’après ces

431
« The Bt corn crops that are currently on the market were developed to control the European Corn
Borer. Prior to the introduction of Bt corn, farmers controlled European Corn Borer with conventional
insecticide sprays that are toxic to monarch butterfly larvae and other desirable, non-target species.
By reducing the use of these insecticides, Bt corn reduces the potential to harm non-target species,
and reduces impacts of agricultural inputs on the environment in general. », source, article supra,
www.bio.org
432
« I still think the proven benefits of Bt corn outweigh the potential risks, » stated Dr. Losey. « We
can't forget that Bt corn and other transgenic crops have a huge potential for reducing pesticide use
and increasing yields. » Ibid.
433
« Th at paper generated intense national and international news coverage, transforming the
monarch butterfly overnight into a dramatic symbol of what environmentalist and some scientist saw
as the dangers of agricultural biotechnology. » Pew Initiative on food and Biotechnologie, Three years
later :genetically engineered corn and the Monarch butterfly controversy, source, fichier pdf.,
www.whybiotech.org, août 2002, p.1
434
« I knew there would be a lot of interest in the results of this paper because it involved Bt corn
andmonarch butterflies, two things of interest to the general population ; I don’t think I’d ever seen
that level of interest in any paper, let alone one I had published. » Ibid., août 2002, p.8
435
« To reach this conclusion, the EPA evaluated both toxicity (or “ hazard ” with potential cause to
harm) and exposure (the condition of being subjected to the hazard). Toxicity and exposure must be

201
considérations, l’EPA aurait déterminé que l’exposition des organismes non-cibles, tels que le
monarque, par exemple, serait minimale. Pour cela, l’EPA s’appuyait sur 3 arguments : la
courte distance parcourue par le pollen hors des champs de blé ; les champs de blé
contiennent une faible quantité de mauvaises herbes et de laiterons ; l’exposition sera limitée
dans le temps aux larves qui se trouvent sur les laiterons pendant la période de
pollinisation436.
Cet article de synthèse qui a pour objectif d’informer rapidement le public justifie les
actions de registration menées par l’EPA depuis 1995. Les auteurs affirment, par exemple,
que de nombreuses études ont été menées en champ aux Etats-Unis et au Canada en
1999437; ces commentaires vont donc à l’encontre des critiques formulées qui ont reproché à
l’EPA de ne pas avoir appliqué le principe de précaution lors de la mise sur le marché du
maïs Bt en se fondant sur des suppositions non vérifiées.
Les experts des « PEW initiative on biotechnologies » sont beaucoup plus timorés. En
effet, selon ces derniers, dans l’accréditation de 1995, l’EPA a considéré les risques potentiels
du maïs Bt pour les hommes et l’environnement, le maïs a donc été testé sur plusieurs
variétés d’animaux ; de même l’EPA pouvait se fonder sur les nombreux traitements
ultérieurs qui avaient recours au pesticide Bt ; pourtant l’agence n’a pas spécifiquement
exigé des tests pour vérifier les effets possibles de Bt sur les larves de monarque. L’agence
avait pourtant connaissance des effets néfastes de Bt sur plusieurs papillons, mais a préféré
supposer que le papillon ne pourrait se trouver en contact dans les champs ; ils avaient
également supposé que le papillon serait exposé lors d’épandages conventionnels
d’insecticide Bt dans les forêts438.
Il ne semble pas évident pourtant d’affirmer que l’EPA a fauté en autorisant, dès
1995, la mise en culture du maïs Bt en se fondant sur des suppositions qu’elle n’a
apparemment pas pris la peine de vérifier. En effet, la question qui pourrait se poser est :

combined to determine the risk of potential adverse effect. » « Bt Corn and the Monarch Butterfly »,
article de synthèse ; source, Council for Biotechnology information, www.whybiotech.com
436
« Since only a portion of the milkweed population is likely to be exposed to Bt pollen, and only a
portion of those plants would be expected to harbor monarch larvae during pollen shed, the EPA
scientists concluded that Bt corn does not present any risk of “unreasonable adverse effects” to
butterflies. », Ibid.
437
« Scientists from nine universities, Agricultural Extension and the U.S. Department of Agriculture
presented their findings at two Monarch Butterfly Research Symposia in 1999. » Ibid.
438
« In a decision that was later criticized, EPA did not specifically require tests for possible effects of
Bt on monarch butterfly larvae. Since it was well known that Bt toxic to many butterfly and moth
species, Andersen notes the agency assumed that Bt corn could harm monarchs if they were exposed
to it, but believed that monarchs were unlikely to be presents in cornfields. They also calculated that
the butterflies were most likely to be exposed to Bt from periodic sprayings of the Bt toxins in
woodland areas to control gypsy moth infestations, rather than from Bt corn. » Pew Initiative on food
and Biotechnology, p.p.6-7

202
pourquoi n’a-t-on pas pris toutes les mesures pour prévenir le risque ? Pourquoi n’a-t-on pas
pris la peine de faire l’expérience de Losey avant de planter des millions d’hectares ? Cette
question nous renvoie directement à l’application du principe de précaution. Mais avant d’y
répondre revenons plutôt sur l’expérience elle-même.

Deux expériences critiques


A l’origine de ce que nous nommons « l’affaire du papillon monarque », ce n’est pas une,
mais deux expériences qui ont mis le feu aux poudres : en plus des travaux de Losey, on
rapportera également l’existence des travaux de Obrycki.
Les premiers sont les plus connus. Pour l’année 1998-1999, le Dr. John Losey de
l’Université de Cornell a obtenu une bourse du service de recherches agricoles de l’USDA
(USDA/ARS) afin d’étudier si les mauvaises herbes dans les champs de maïs Bt pouvaient
servir comme un hôte alternatif pour la pyrale, l’insecte cible de la toxine Bt ; c’est en
conduisant cette recherche que Losey a remarqué la présence d’une grande quantité de
laiterons à l’intérieur et aux alentours des champs. Partant de ce constat et du fait que le
laiteron est la seule source de nutrition pour la larve du papillon monarque, Losey a émis
l’hypothèse selon laquelle la larve de monarque pourrait se nourrir du pollen qui se trouve
dans les champs439. On a appliqué délicatement des cuillerées de pollen ramassées sur le
maïs Bt N4640, sur des feuilles de laiterons (Asclépias syriaca Linnaeus) légèrement
humectées. La densité de pollen a été réglée pour correspondre aux densités des laiterons
que le scientifique a pu observer à l’œil nu dans les champs. Cinq larves de monarques
âgées de 3 jours ont été placées sur les plantes imprégnées de pollen Bt ont mangé moins,
grandi moins vite, et ont connu une plus forte mortalité que les larves placées sur les feuilles
imprégnées de pollen de maïs non-Bt ou des feuilles sans pollen. La mortalité des larves,
après 4 jours d’alimentation, avait augmenté de 44%.
Cette expérience se caractèrise par son aspect inachévé. Pourtant dans une
publication de l’Université de Cornell, Losey a rappelé la nécessité qu’il y avait de rassembler
d’avantage de résultats afin d’évaluer les risques associés à cette nouvelle agro-technologie
et de pouvoir comparer ces risques avec les risques causés par les autres techniques de
contrôles des insectes ravageurs et de l’usage des pesticides. Aussi pour le scientifique, ces

439
« I wanted to know if butterfly larvae would eat the pollen, and if they did, would Bt pollen harm
them, […] It was the first step in the research. Because the Bt toxin affects lepidopterans (butterflies
and moths) to widely varying degrees, it wasn’t all together clear whether the monarch larvae would
suffer any ill effects at all. » cit. Losey, source, Ibid., p.7.

203
expériences menées en laboratoire ne sont juste qu’un premier pas440. Dans une autre
citation reprise souvent par les industriels, Losey est encore plus catégorique : « Notre étude
a été menée en laboratoire, et même si elle soulève un important problème, il ne serait pas
possible de tirer quelques conclusions que ce soit à partir de ces simples résultats
concernant les risques encourus par les populations de monarques qui se trouvent en plein
champ »441. Appel ignoré des médias, mais parfaitement entendu des collègues de Losey.

Losey n’est pas le seul à avoir soulevé le problème des risques encourus par le
monarque. En effet, quasiment au même moment, une seconde étude était menée à
l’Université d’Iowa par les entomologistes Jesse et Obrycki afin d’étudier les effets du pollen
du maïs Bt Event 176 sur les insectes non-cibles. Ils ont installé des laiterons en pot tout
autour des champs de maïs pendant la période de pollinisation, puis ramassé ces
échantillons initialement placés à l’intérieur et en bordure des champs de maïs, pour les
transporter en laboratoire (80 à 217 grains par cm2). Ces échantillons ont été administrés en
laboratoire à des larves de papillons monarques ‘first instar’. Les auteurs ont trouvé une
mortalité de 19% en l’espace de 48 heures, comparé à 0% pour les échantillons de plantes
non-Bt et 3% pour les plantes sans pollen. Comme le souligne fièrement la page
biographique du professeur Obrycki de l’Université de l’Iowa, ces travaux ont été présentés
par CBS news, le Wall-street Journal, le New-York Times et même par la presse européenne.
On citera au passage le scientifique : « il semble qu’il est impossible de critiquer le maïs Bt,
sans être considéré comme un critique de la biotechnologie en général. » ; « si vous
soulevez un problème avec le maïs Bt, l’argument que l’on vous oppose est : si l’on ne
développe pas les biotechnologies, les pays en voie de développement vont mourir de
faim. » ou encore, « Je doute que l’on trouvera une réponse définitive du taux de mortalité
des monarques dû au pollen du maïs Bt. Nous allons trouver une chaîne d’effets. Il se peut
qu’il n’y ait pas d’effets dans quelques endroits du pays. Et la mortalité varie probablement
selon les sites, les champs, les dates de plantation et les années. »442

440
« It is imperative that we gather the data necessary to evaluate the risks associated with this new
agrotechnology and to compare these risks with those posed by pesticides and other pest-control
tactics. » John Losey, Cornell University press release, May 2000.
441
« Our study was conducted in the laboratory and, while it raises an important issue, it would be
inappropriate to draw any conclusions about the risk to monarch populations in the field based solely
on these initial results. », cit. in www.bio.org
442
« It seems you can't criticize Bt corn without being considered a critic of all of biotechnology, If
you raise some issues with Bt corn, one argument that comes back is: 'If we don't have
biotechnology, all of the developing world is going to starve because it is really critical.'" Et "I doubt
there will be one definitive answer of 'X' amount of mortality of Monarchs due to Bt corn pollen. We
are going to find a range of effects. There may be no effect in some parts of the country. And the

204
Malgré sa pertinence et un protocole plus sophistiqué, cette expérience a connu un
retentissement moindre que celle de Losey ; tout du moins en ce qui concerne la divulgation
par la presse grand public. Pour ce qui concerne sa divulgation auprès des experts, elle a
précédé celle de Losey, faisant l’objet d’une présentation au mois de mars 1999 ; de même,
l’EPA a reçu une notification du résumé de l’expérience, transmise par l’industrie comme note
légale requise sur les effets potentiels du maïs Bt443. Quelles ont été les suites de ces 2
expériences ?

3.2.3.3 L’appel à contribution de l’EPA


Faisant suite aux nombreuses controverses suscitées par ces travaux, l’EPA a décidé
d’approfondir les pistes de recherches qui ont été ouvertes. Les vérificateurs ont conclu
qu’elles ne pouvaient pas être considérées de manière conventionnelles pour absence
d’informations provenant d’études menées en plein champ444. L’agence a donc pris la
décision d’établir un rapport plus complet pour mieux comprendre les effets du maïs
transgénique sur le papillon monarque. On remarquera ici, qu’il s’agit moins pour l’institution
de contester les expériences de Losey et Obrycki que d’en vérifier les conclusions. De ce
point de vue, on ne se trouve pas dans les mêmes conditions que l’affaire Pusztai.
Aussi, afin de réussir à identifier le niveau d’exposition et les autres risques encourus
par le papillon monarque, l’EPA, sous l’autorité de la FIFRA445 (Section 3© (2) (b)), a édité
un avis d’appel de données (data call-in notice = DCI) destiné aux pétitionnaires. Le 9
décembre 1999 et les 18 et 20 octobre 2000, l’EPA a présenté de nouvelles données à un
comité scientifique de la FIFRA afin que ses experts donnent leurs recommandations (FIFRA
Scientific Advisory Panel). En plus de cela, l’EPA a consulté des experts et l’USDA afin de
mieux comprendre les effets du maïs Bt sur les papillons. Aussi, L’EPA a exigé des
semenciers qu’ils informent les agriculteurs pour qu’ils plantent les zones refuges entre les
champs et des zones d’habitat telles que les forêts, les prairies ou les bords de route, par
mesure de précaution en attendant d’avoir plus d’information. En ce qui concerne les

mortality likely will vary among locations, fields, planting dates and over years. » Cit. sur URL:
http://www.iastate.edu/Inside/2000/1103/obrycki.html
443
« Shortly before the Nature paper hit the newswires, EPA received notification of Obricky’s abstract
from industry sources as a legally required notification of any potential adverse effects of the Bt
corn. ”, Pew Initiative on food and Biotechnologie, p.9
444
« The reviews conclued that the preliminary controlled studies without exposure data are not
conducive to conventional risk assessment procedures for Bt corn pollen effects on monarch
butterflies without additional field study information. » Ibid., p. IIC46
445
Federal Insecticide Fungicide and Rodenticide Act

205
informations en provenance du DCI, elles ont portées sur cinq facteurs liés avec l’exposition
potentielle des papillons non-cible :

- L’habitat des monarques,


- Les flux de pollen dans l’environnement,
- La toxicité de la protéine Cry et du pollen de maïs Bt sur les monarques,
- La ponte des monarques et leurs habitudes alimentaires,
- Et enfin, l’observation des populations de monarques.

Ce rapport est le fruit d’un effort de recherche mené en commun avec l’ABSTC et L’USDA, et
contient des recherches additionnelles issues d’universités indépendantes et d’employés du
gouvernement. La plupart de ces résultats faisant partie de l’enquête qui a été menée en
commun par une trentaine de chercheurs américains et canadiens pendant plus de 18 mois
d’investigation. Ils ont été publiés sous formes de 6 articles dans les PNAS (Proceedings of
the National Academy of Science).

1) L’habitat du monarque
L’EPA affirme qu’il est difficile, voire impossible, d’établir un niveau de population pour le
monarque, car le nombre de monarques aux Etats-Unis, fluctue selon les régions et les
années. Il y a certains facteurs tels que les cataclysmes naturels (sécheresse ou inondations)
qui peuvent sérieusement affecter la taille de la population de monarques. Cependant, on a
pu remarquer que, selon certaines conditions climatiques, les populations de monarques
croissent ou diminuent. On a donc listé les facteurs qui peuvent affecter sérieusement les
insectes : la dégradation d’un site d’hibernation, le nombre et la taille des papillons qui
hibernent, la disponibilité du nectar pour les adultes, les agents pathogènes, les parasites,
les parasitoïdes et les prédateurs, la quantité de laiterons disponibles, l’utilisation de
pesticides pour contrôler les infestations et enfin, les accidents.
Prenant en compte ces multiples facteurs, il semble difficile d’estimer la taille de cette
population ou si le pollen de maïs Bt est un facteur déterminant pour celle-ci. Quelques
essais ont cependant pu être effectués : Swengel en 1995 a démontré qu’entre 1986 et
1994, il y avait eu des changements significatifs. Walter et Brower ont montré, dans une
expérience parue en 2000, l’extrême variabilité de cette population (de 1997 à 1998, la
population était 7 fois plus élevée)446. Les auteurs affirment qu’étant donné cette extrême

446
Les auteurs revoient au site www.monarchwatch.org.

206
variabilité, seule une surveillance régulière permettra de signaler les diminutions anormales
du nombre de papillons.
Il est cependant nécessaire de déterminer le risque qu’il y a à ce que le monarque
choisisse le maïs pour habitat. Or, on sait qu’en ce qui concerne son alimentation, ce dernier
se nourrit de 14 types de laiterons différents dont 7 se trouvent au milieu des champs de
maïs. C’est principalement sur la variété nommée Asclépias Syriaca que le monarque pond et
se nourrit. Les laiterons peuvent être trouvés dans différents habitats. Des études menées
dans plusieurs états ont démontré qu’ils apparaissaient essentiellement en bordure des
champs ou dans les espaces non-agricoles plutôt qu’à l’intérieur des champs. Aussi, il est
difficile de les contrôler. Les herbicides sont généralement peu efficaces. On remarquera, au
passage, que les experts de l’EPA s’autorisent un conseil à l’égard des agriculteurs : un
contrôle efficace peut être réalisé à l’aide de glyphosate, halosulfuron-methyl+dicamba (2,4-
D), et nicosulfuron + dicamba.

2) Le flux de pollen
Etant donnée l’éventualité de la présence de laiterons en bordure des champs, la possibilité
que des migrations de population de monarques se trouvent en contact avec des champs de
maïs Bt est fort probable. On estime la superficie des champs de maïs à 2,73x107 hectares et
sur cette superficie totale, seulement 26294 miles2 pourraient servir de site d’hébergement
pour le monarque. Les bordures des champs de blé ne constituent qu’environ 0,18% de la
surface d’habitat probable pour les monarques. On peut donc supposer que l’habitat principal
des papillons monarques passe au travers des champs de blé. Les monarques qui se
nourrissent de laiteron à proximité ou au milieu des champs seront potentiellement exposés
au pollen pendant l’anthésis. La période de pollinisation varie en fonction des hybrides et des
régions et est déterminée en fonction de l’unité de degré de pousse (GDU= growing degree
unit). Les grains de pollen ne se dispersent pas très loin de leur source parce qu’ils sont
larges. Généralement, ils restent à l’intérieur du champ et ne se dispersent que rarement à
plus de 5 mètres du bord du champ. Des études ont démontré que seulement 0,2% des
grains de pollen se trouvaient à 60 mètres du champ ; entre autre, l’étude menée par
Pleasants et Al. a démontré que la densité de pollen en bordure des champs de maïs était de
50% du niveau trouvé à l’intérieur et la densité de pollen sur les laiterons était plus grande à
l’intérieur des rangées qu’entre les rangées447. John Pleasants du département de zoologie et

447
John Pleasants, Richard Hellmich, Diane E. Stanley-Horn…, « Corn pollen desposition on milkweeds
in and near cornfields », PNAS, 9 Octobre 2001, vol. 98, n°21, 11919-11924, sur www.pnas.org

207
de génétique de l’université de l’Etat d’Iowa a mesuré la densité de pollen sur les feuilles de
laiterons à l’intérieur et en dehors des champs de maïs ; le but étant d’obtenir une image
représentative des densités de pollen telles qu’elles se produisent dans la nature afin de
disposer d’un modèle pour les études en laboratoire et en champs448. La plus forte densité de
pollen se trouvait au cœur du champ de maïs (170.6 grains par cm2) et diminuait au fur et à
mesure que l’on dépassait la bordure du champ, tombant à 14,2 grains par cm2 ; à l’intérieur
du champ, 95% des échantillons de feuilles ont des densités inférieures à 600 grains par cm2
et la densité la plus forte observée est 1400 grains par cm2, événement qui est survenu
après une période d’anthésis sans pluie. Une averse peut supprimer à elle seule de 54 à 86%
du pollen. Enfin une dernière information de grande importance est que les feuilles
supérieures sur lesquelles ont coutume de s’alimenter les larves ont de 30 à 50% de pollen
en moins que les feuilles qui se trouvent au milieu.
Les auteurs se félicitent d’avoir produit des résultats tout à fait à l’image de ce qui
peut se passer dans la nature. Ce qui leur permet une comparaison avec les données
fournies dans les expériences de Losey et Obrycki. Concernant le premier, il n’est pas
possible d’établir de comparaison étant donné que les densités de pollen qui ont été
appliquées en laboratoire n’ont pas été quantifiées. Pour le second, les densités découvertes
en champ (121.6 grains per cm2) étaient en dessous des 170 grains per cm2 trouvés dans
l’étude présente, mais ceci est sans doute dû aux averses qui ont eu lieu au cours de
l’expérience. Les dosages qu’ils ont été appliqués sur les feuilles en laboratoire, quant à eux,
correspondaient aux valeurs faibles, moyennes et très faibles qui ont pu être trouvées en
plein champ.
Les experts en concluent que l’exposition du monarque au pollen comprend la
période de l’anthésis, habituellement 7 à 10 jours et peut encore aller au de-là. Les effets
post-anthésis dépendront alors du taux de dissolution de la toxine Bt, un phénomène qui est
actuellement en cours d’évaluation. Deux facteurs contribueront alors à la diminution du
risque d’exposition du pollen Bt : la pluie, le fait que les larves justes nées (« first instar »),
les plus sensibles se nourrissent sur les feuilles hautes. Tous ces éléments ne prouvent
cependant en rien le risque et des études complémentaires ont été effectuées par Hellmich
et Stanley-Horn pour déterminer le seuil de toxicité avec des doses de pollen
correspondantes.

448
« In order to accurately interpret results of studies that examine the effects of Bt corn pollen on
monarch butterfly larvae it is necessary to know the range and distribution of naturally occuring
pollen densities on milkweed leaves. This provide a perspective on both laboratory and field studies in
which monarch larvae feed on milkweed leaves with Bt corn pollen. It lets us determine how
frequently the pollen densities observed in this studies would occur in nature. », ibid.

208
On constate que les problèmes soulevés par Losey et Obrycki ont donc été
sérieusement pris en compte. Aussi on s’aperçoit qu’il existe véritablement un désir d’étudier
les risques évoqués. On remarquera en outre que si cette expérience ne cherche pas à
démontrer une prépondérance du risque, sans éliminer celui-ci, ni en diminuer la portée, elle
insiste sur la difficulté de sa prédiction, étant donné le grand nombre des facteurs qui
entrent en compte pour déterminer celui-ci de manière précise. Traitant du problème de
l’exposition des monarques au pollen, les experts de l’EPA reprennent à leur compte ces
résultats. Ils affirment que malgré le grand nombre d’études qui ont pu être réalisées, il est
difficile de déterminer la quantité de pollen qui est susceptible de se déposer sur les
laiterons. Plusieurs facteurs tels que, le vent et la pluie ou encore, l’angle des feuilles,
influencent le dépôt et la rétention du pollen sur les feuilles de laiteron. Si l’on envisage
maintenant que le pollen peut être transporté par les monarques adultes et donné en
alimentation aux larves, les quantités ne seraient pas assez importantes pour nuire à ces
dernières449. Aussi étant donné que la protéine Bt Cry doit être ingérée et ne peut pas
affecter les larves par simple contact, le transport du pollen ne se trouve, par conséquent, à
l’origine que de très peu de risques.

Les risques d’exposition du monarque à Bt


Un autre facteur atténuant le risque est que l’on a pu démontrer que les monarques ne
pouvaient être exposés aux effets de Bt que lorsque celui-ci reste actif dans le
pollen(Gelernter, 1990). Cela vaut aussi bien pour l’activité insecticide du Bt pulvérisé que
pour la protéine Bt exprimée dans le pollen (Head and Brown 1999). Aussi, en 1999, Head
and Brown ont pu démontrer dans une expérience effectuée en laboratoire sur du maïs
MON810 que l’activité du pollen n’était plus détectable après 7 jours. Les experts de l’EPA,
eux, émettent l’hypothèse selon laquelle l’activité de la protéine diminue encore beaucoup
plus vite dans les champs où elle se trouve exposée à de nombreuses conditions climatiques
variables : « therefore, the cry protein may breakdown more rapidly than seven day under
field conditions. »
Un troisième facteur à prendre en compte serait celui de l’endroit de ponte des œufs.
Des études menées en laboratoire par l’équipe de Tschenn ont montré que les monarques ne
montraient pas de préférence pour les laiterons avec ou sans pollen Bt et qu’ils ne

449
« The level of exposure of Monarch larvae to Bt pollen carried to milkweed plants on exoskeleton
of adults is minimal. If pollen were to adhere to monarchs by contacting it’s exoskeleton, there is
minimal risk posed from monarchs transporting pollen among milkweed plants. » Summary of non-
target Organism Toxicity Testing on corn Bt 11 (0064444) and MON810 (006430) in Bt Plant-
Incorporated Protectants September 29, 2001 Biopesticides Registration Action Document, p. IIC50.

209
cherchaient pas à les éviter. Les expériences menées en commun par les scientifiques
américains et canadiens ont pu mettre en évidence l’inévitable risque d’ingestion de pollen Bt
par les larves de monarque. Les experts de l’EPA citent l’expérience menée par Oberhauser
et al. sur la coïncidence temporelle entre les larves de monarque et le pollen450. Afin de
vérifier la possibilité que la larve de monarque soit exposée au pollen Bt, les scientifiques ont
étudié les laiterons et la densité de monarques dans les zones les plus susceptibles de servir
d’habitat au monarque (champs de maïs, bordures de champs de maïs, autres champs
agricoles, et sur des terrains non agricoles) ce, dans 4 régions de reproduction du monarque.
On a trouvé que les monarques utilisaient les laiterons dans les champs de maïs pendant
toute leur période de reproduction et que la densité par plante était aussi importante dans
un habitat agricole que non-agricole. On a pu remarquer également qu’il y avait un temps de
coïncidence plus important entre les monarques sensibles et l’anthésis du blé dans la zone
de reproduction estivale qui se trouve au nord que dans celle qui se trouve au sud. La
conclusion de toutes ces observations étant qu’avec ou sans maïs transgénique, l’importance
de cet habitat pour les monarques fait que les pratiques agricoles, telles que le désherbage
et l’usage d’insecticides peuvent avoir un grand impact sur les populations de monarques451.
Les quatre sites concernés sont le centre-est du Minnesota, et le centre ouest du Wisconsin,
l’Iowa Central, le Maryland et le sud de l’Ontario. Chaque groupe surveillait 5 types de sites
où se trouvaient représentés différents types d’habitats. Sur chaque endroit se trouvent des
champs de maïs non-transgénique ainsi qu’une surface de terre non agricole. Tous les
terrains étaient à moins d’un kilomètre l’un de l’autre afin de renforcer la chance qu’une
même population de monarques soit exposée à tous les types d’habitats à l’intérieur d’un
seul site. Ces études ont démontré l’extrême importance des habitats agricoles pour la
reproduction du monarque par rapport aux autres types d’habitats (on estime que les
champs de maïs produisent 78 fois plus de monarques que les habitats non agricoles dans
l’Iowa et 73 fois plus dans le Minnesota et le Wisconsin). La différence des habitats lors de la
métamorphose des œufs en adultes pourrait avoir un impact sur la productivité. En fait les
pratiques qui touchent la densité des laiterons sont susceptibles d’avoir de nombreuses
conséquences sur l’abondance des monarques.
En résumé, il est donc important de dire qu’une proportion de la population des
monarques se trouve en contact, voire ingère du pollen de maïs Bt sur les laiterons et donc,

450
Karen S. Oberhauser, Diane E. Stanley-horns, Mark K.Sears, John M. pleasants et Richard L.
Hellmich… « Temporal and spatial overlap between monarch larvae andcorn pollen »,. PNAS, le 9
octobre 2001, vol. 98, n°21, 11913-11918 sur www.pnas.org/
451
“ The importance of agricultural habitats to monarch production suggests that, regardless of the
impact of genetically modified crops, agricultural practices such as weed control and foliar insecticide
use could have large impacts on monarch populations. ”, ibid.

210
il sera nécessaire d’évaluer le niveau de toxine des futurs hybrides ; mais les auteurs
ajoutent qu’il est important de prendre en considération que les pratiques agricoles
classiques qui ont aussi un impact fort important sur les populations de monarques.
Concernant le problème central qui est l’exposition des monarques au maïs Bt, les auteurs
ont calculé dans la région de l’Iowa, que la proportion des larves exposées au pollen lors de
leur développement au cours de l’été s’élevait à 3% de l’ensemble de la population. On est
donc passé d’une évaluation de la possibilité de trouver du pollen de maïs Bt à l’intérieur et
en bordure de champ à l’estimation des chances qu’il y avait pour que les larves de pollen
soient en contact avec ce maïs. La réponse à ces 2 problèmes permet de donner une valeur
approximative du risque. La dernière question qu’il reste à poser, sans doute la plus cruciale,
est celle de l’impact du pollen sur les larves de papillons.

Les effets du Bt sur le monarque


Pour déterminer quels étaient les effets du Bt sur le monarque deux expériences ont été
menées : une première, à laquelle Losey et Obrycki ont participée, a consisté à vérifier
l’impact du pollen exprimant la toxine Cry1Ab sur les papillons monarques en plein
champs452. Quant à la seconde étude, elle porte sur la sensibilité des larves de monarques
aux protéines de Bacillus thuringiensis purifiées et au pollen453.
Concernant l’étude menée par Stanley-Horn et al., il s’agissait d’une étude
comparative qui consistait à observer en plein champ le comportement des larves de Danaus
Plexippus, après que celles-ci aient été exposées à trois variétés de maïs Bt exprimant
différemment la toxine, ou à l’insecticide, λ-cyhalothrin. Les résultats ont montré une grande
disparité dans les réactions observées selon la variété de maïs qui a été administrée. Ainsi
les larves justes pondues (first-instars) exposées à des faibles doses de pollen (22 grains per
cm2) de la variété 176 ont pris 18% de poids en moins que ceux qui se trouvaient exposés
au Bt 11 et Mon810, après seulement 5 jours d’exposition. Avec une exposition à 67 grains
de pollen par cm2 de la variété 176, ils ont montré 60% de résistance en moins et un gain de
poids inférieur de 42%. Par contre le maïs Bt 11 n’avait aucun effet sur la croissance ou la
résistance des larves justes écloses exposées pendant 5 jours à une dose de 97 grains par
cm2. Dans les champs, on n’a pas non plus observé de différence après une période de 4
jours sur des feuilles contenant une dose 504-586 (à l’intérieur des champs) et 18-22 (en

452
Diane E. Stanley-horn, R.L. Hellmich, Mark K. Sears, John E. Losey, John J. Obrycki… « Assessing
the impact of Cry1Ab-expressing corn pollen on monarch butterfly larvae in field studies », in PNAS, 9
Octobre 2001, vol.98, n°21, 11931-11936.
453
Richard L. Hellmich, Blair D. Siegfried, Diane E. Stanley-Horn.in PNAS, « Monarch larvae sensitivity
to Bacillus thuringiensis-purified proteins and pollen », 9 Octobre 2001, vol. 98, n°21, 11925-11930.

211
bordure des champs) graines par cm2. Cependant, on a constaté que la résistance ainsi que
le gain de poids étaient sérieusement affectés par l’utilisation de l’insecticide λ-cyhalothrin à
l’intérieur de champs non-Bt. On a donc pu observer des effets négligeables des maïs Bt 11
et Mon810 en champ : « The effects of Bt11 and Mon 810 pollen on the survivorship of
larvae feeding 14 to 22 days on milkweeds in fields were negligible. Further studies should
examine the lifetime and reproductive impact of Bt11 and Mon810 pollen on monarchs after
long-term exposure to naturally deposited pollen. »454
Ces études auraient donc démontré que seul le maïs Event 176 semble avoir des
effets néfastes sur les monarques. Pour confirmer ces résultats, on a effectué 5 expériences
dans l’Iowa, l’Ontario, le Maryland et à New York. Chacune de ces expériences avait un but
expérimental différent. Cependant, l’approche générale consistait à exposer les larves sur
des laiterons contenants des dépôts naturels de pollen Bt et non-Bt qui ont subi une
accumulation, une dégradation naturelle de sa toxine soumises à différentes conditions
environnementales et l’ingestion possible d’un matériaux autre que le pollen, exprimant la
toxine Bt. En plus de cela, dans le Maryland, on a effectué une étude comparative avec les
réponses obtenues à la suite de l’usage du pesticide Ostrinia nubilalis. Toutes ces études ont
démontré que l’expression de Cry1Ab par l’intermédiaire du pollen déposé sur les laiterons
pouvait avoir un fort impact lors de l’anthésis. On a pu observer sur différents sites les effets
néfastes du pollen sur le poids et la résistance des insectes. La découverte d’importance
étant que : tous ces résultats concordent avec ceux des expériences de Jesse et Obrycki
ainsi qu’avec les résultats découverts en laboratoire par Hellmich455. Par contre les résultats
obtenus sur les maïs Mon810 et Bt11 démontrent une absence d’effets adverses directs sur
la survie des larves, ce qui d’après les auteurs n’est pas surprenant, étant donné que les
pollens de ces maïs expriment beaucoup moins de toxine que le pollen de event-176. En ce
qui concerne le maïs Bt 11, celui-ci n’a pas démontré d’effets sur la capacité à survivre des
insectes, même avec des densités de 586 grains par cm2. Ceci a pu être observé aussi bien
sur les larves justes pondues ainsi que sur les larves qui ont pu se métamorphoser et ont
vécu. Les auteurs ajoutent que tous ces résultats obtenus en champs concordent avec ceux
du laboratoire qui démontrent qu’en dessous de 1000 grains par cm2 pendant 4 jours, le
pollen n’affecte pas le monarque de manière déterminante.
Si la plupart de ces études se sont concentrées sur les résultats en bordure de champ
plutôt qu’en milieu, là où les doses de pollen sont plus élevées, les études menées en plein

454
Richard L. Hellmich, Ibid.
455
« These results are consistent with those of jesse and Obrycki who observed a decrease in the
survival of larvae exposed to event-176 pollen on leave from within a field ( 80-217 pollen grains per
cm2) compared with those fed outside the field. » Ibid.

212
champs de maïs doux peuvent valoir comme cas extrême, étant donné que le maïs doux
produit une densité de pollen 3 fois supérieure à celle que l’on peut trouver dans les champs.
Les auteurs affirment qu’il est donc possible d’extrapoler les résultats obtenus dans les
champs de maïs doux456. Le cas du maïs doux est aussi un très bon exemple qui permet de
relativiser l’approche du risque : « the sweet-corn experiment also demonstrates the
importance of assessing the risks of Bt corn to monarch populations in terms of relative risks
to other agricultural practices. »457 C’est ainsi que les auteurs ont pu observer les effets
néfastes des traitements à la λ-cyhalothrin sur le monarque. La plupart des larves sont
mortes dans les heures qui ont suivi le traitement à base de l’insecticide mentionné. Cela
vaut aussi pour les larves qui se trouvaient sur les laiterons à l’extérieur du champ, parce
que l’insecticide a dévié. Ces résultats ne sont pas surprenants, étant donné que cet
insecticide est fréquemment utilisé pour contrôler les ravages causés par les lépidoptères. On
sera attentif au fait que Stanley-Horn et al. renvoient au rapport de l’EPA dans lequel
certaines données démontreraient que les plantes génétiquement modifiées ont tendance à
faire reculer l’usage de pesticides.
Dans le cas d’une anthésis maximale, les larves qui seraient en contact avec la plus
grande dose de pollen de maïs Bt 11 possible ne seraient nullement en danger. Les
scientifiques affirment que les résultats qui ont été trouvés pour le maïs Bt11 sont aussi
certainement vrais pour le Mon810 parce que la molécule Cry1Ab qui s’y trouve exprimée est
similaire. Il semble cependant nécessaire de poursuivre des études supplémentaires, afin de
déterminer l’impact de la durée d’exposition. Il est nécessaire d’approfondir les recherches
sur les effets d’une exposition plus longue aussi sur des effets latents tels que la capacité de
reproduction ou encore la facilité de migration. En conclusion les auteurs insistent sur la
difficulté à démontrer l’existence de phénomènes subtils avec cette étude menée en plein
champ et rappellent la nécessité de compléter ces résultats avec des études menées en
laboratoire.
Ces études complémentaires ont donc été menées en laboratoire par l’équipe de
Richard Hellmich458 de l’unité de recherche sur les insectes du maïs et les semences
génétiques d’entomologie du département de recherche agricole des Etats-Unis (USDA-ARS)
et du département d’entomologie de l’Université de l’Etat d’IOWA. Ces tests en laboratoire

456
« Thus, results of nontarget effects in sweet corn can be extrapolated to risk scenarios for field
corn. » Richard L. Hellmich, Ibid., p.11936.
457
Ibid.
458
Richard L. Hellmich, Blair D. Siegfried, Diane E. Stanley-Horn, « Monarch larvae sensitivity to
Bacillus thuringiensis-purified proteins and pollen »,.in PNAS, 9 Octobre 2001, vol. 98, n°21, 11925-
11930.

213
ont été effectués en vue de déterminer la toxicité relative des toxines Bt suivantes : Cry1Ab,
Cry1Ac, Cry9C et Cry1F. Pour cela, on a utilisé 3 méthodes :
- Incorporer des toxines purifiées dans une alimentation artificielle
- Appliquer du pollen qui a été ramassé sur le maïs Bt directement sur des disques de
feuilles de laiteron
- Appliquer directement du pollen Bt contaminé avec des anthères du maïs (corn
tassel) sur des disques de feuilles de laiteron. Cette dernière méthode a été
employée parce qu’il semble que des échantillons contaminés peuvent fausser les
résultats.
On a pu démontrer que les toxines Bt purifiées de Cry9C et Cry1F sont relativement peu
toxiques pour les larves justes pondues (“ first instar ”), alors que celles-ci ont été sensibles
aux protéines Cry1Ab et Cry1Ac. Par contre les larves plus âgées étaient beaucoup moins
sensibles à la toxine de Cry1Ab. Certains des contaminants du pollen (pollen contaminants)
peuvent très sérieusement affecter la survie des larves ainsi que leur gain de poids. Le seul
pollen transgénique qui a sérieusement affecté les larves de monarques provenait de la
variété event 176, qui ne représente plus actuellement que 2% de la surface plantée, et n’a
pas obtenu de nouvelle registration ; pour ce qui concerne les autres maïs, on n’a pas pu
démontrer de conséquences néfastes : « The only transgenic corn pollen that consistently
affected monarch larvae was from Cry1Ab event 176 hybrids, currently <2% corn planted
and for which re-registration has not been applied. Results from the other types of Bt corn
suggest that pollen from the other types of Bt corn suggest that pollen from Cry 1Ab (events
Bt11 and Mon810) and Cry1F, and experimental Cry9C hybrids, will have no acute effects on
monarch butterfly larvae in field settings.»
On notera que l’équipe de R. L. Hellmich rappelle que les effets des toxines Bt sont bien
connus : des études ont démontré que l’usage de cette toxine dans les forêts comme
insecticide pour les papillons zig zag a des effets adverses sur des lépidoptères non-cibles ;
d’autres études menées en plein champ ont démontré une réduction temporaire des
lépidoptères à la suite d’un usage prolongé de Bt. Faisant suite à ces données, l’EPA a
considéré que les insecticides à base de Bt pouvaient être néfastes à tous les lépidoptères,
bien que l’exposition aux traitements agricoles en champ devait être plus faible que celle qui
a lieu dans les forêts. Les experts soulignent alors que l’EPA a émis l’hypothèse selon laquelle
l’impact du pollen Bt serait plus faible dans les champs alors qu’elle ne connaissait pas
l’éventualité de cet impact. On ne peut pas non plus se baser sur les résultats de Losey, pour
établir une relation entre l’exposition au pollen et l’effet de ces données. De plus, ce dernier
n’a pris qu’une seule variété de maïs en considération, or les expressions de la toxine Bt

214
varient en fonction du type de gène qui est introduit dans la plante ; enfin, le facteur de la
sensibilité relative des larves selon le stade de développement n’a pas été étudié, or une
réponse qui différait en fonction des stades de développement aurait de sérieuses
implications au niveau de l’estimation des risques, lorsque l’on rapprocherait celle-ci de
l’anthésis par exemple.
Un point important dans cette expérience a porté sur le ‘pollen contaminé’. En effet, ce
3ème type de bio-essai tentait de simuler une situation identique à celle rencontrée en pleine
nature (ce qui fait remarquer aux scientifiques la difficulté d’une telle expérimentation). En
effet, les échantillons de pollen contaminés peuvent influencer dramatiquement le gain de
poids des larves et produire des résultats faux. Les particules de matériel autre que le pollen,
essentiellement des ‘bouts d’anthères’, trouvés dans les échantillons de pollen de départ
étaient de 7 ± 0.6% pour l’expérience Cry9C et 8 ± 0.7% pour l’expérience avec Cry 1Ab
(Bt11). Aussi, Jesse et Obrycki ont rapporté une contamination de 43% ± 2% par le tissu des
anthères dans leurs échantillons de Bt 11. Par conséquent, les résultats selon lesquels
l’exposition de 135 grains/cm2 peut influencer le poids des larves devraient être réévalués.
Cette contamination pose une question importante: est-ce que les larves de monarques sont
exposées à un tissu de maïs autre que le pollen (“ Are monarch larvae exposed to corn
tissues other than pollen ? ”).
Cette éventualité pose un certain nombre de problèmes et il n’est pas vraiment
possible en laboratoire de reproduire les véritables conditions des champs. Pourtant, il est
essentiel de trouver une réponse. En effet, les études de Losey ont rapporté que les larves
qui ont ingéré du pollen de maïs Bt pendant plus de 4 jours, avaient une mortalité plus
élevée de 56%. Dans l’étude menée par l’équipe d’Hellmich, les larves qui ont survécu à un
régime > à 1000 grains de pollen/cm2 pendant plus de 4 jours était de 97% ± 1% et ne
comportaient pas véritablement de différence comparé aux insectes de contrôle. Cependant,
ces résultats ont varié selon la variété qui a été prise en compte et selon le traitement de
cette variété : par exemple, pour le pollen de Cbh351 contaminé par des anthères (corn
tassel) de maïs Bt, 20% des larves ont survécu, alors que les larves qui ont consommé le
même pollen légèrement tamisé était de 100%. Pour le pollen de Bt11 qui a été contaminé,
17% des larves ont survécu, alors qu’avec la même variété pure, 92% des insectes ont
survécu.
Il paraît donc essentiel d’insister sur le fait, qu’excepté la variété 176, le pollen de
maïs Bt ne s’est pas vraiment montré toxique. On doit donc supposer que pour l’expérience
de Losey, les densités d’exposition dépassaient 1000 grains/cm2, ou que ce pollen se trouvait
mélangé avec du matériel d’anthère ou encore, les 2 à la fois.

215
Enfin les auteurs ajoutent qu’il est difficile dans le cadre de ces études de parvenir à une
grande précision (estimation de l’expression de la protéine Bt, mesure du gain ou des pertes
de poids des larves…) et parfois, il est difficile de déterminer si les petites différences sont
réelles ou issues de petits artifices. Dans les conditions de laboratoire, les larves de
monarque n’ont pas d’autre choix que de se nourrir avec le pollen. Aussi les densités
supérieures à 1000 grains/cm2 sont rares dans les champs. Reste encore à étudier les effets
à long terme. Concernant le maïs event 176, il est affirmé, une fois de plus, qu’il est en
passe de devenir quasiment inexistant et ne sera pas réintroduit sur le marché. Tout risque
se voit donc écarté.

Reprise des résultats du DCI par l’EPA


Reprenant l’expérience menée par l’équipe d’Hellmich, les experts de l’EPA s’autorisent à
conclure que le seuil de risque pour MON810 est > à 2000 grains par cm2 et pour le Bt 11
de 4000 grains par cm2, ces deux niveaux étant bien supérieurs à ceux que l’on peut trouver
en champ (ces niveaux sont estimés ne pouvoir survenir qu’à 0.1%). Ils en concluent d’une
manière plus directive « It can be conclued that levels of MON 810 ou Bt11 pollen toxic to
monarch larvae do not occur under natural field conditions. »459 A la suite de l’ensemble des
études qui ont été fournies par le DCI, l’EPA affirme avec certitude que le maïs Bt était
beaucoup moins dangereux pour le monarque que les conditions climatiques, l’habitat
d’hibernation, les prédateurs, le stress physiologique, ou l’activité humaine et l’usage
conventionnel de pesticides. Aussi, la diminution de l’usage des pesticides à la suite d’un plus
grand recours aux maïs Bt profitera aux papillons monarques. Les auteurs ajoutent qu’on a
pu observer une croissance de la sensibilité du monarque à la protéine Cry : Cry 1 Ab > Cry
1Ac > Cry 9c > Cry 1F.
On sera également attentif à un commentaire des études de Losey et Jesse et
Obrycki. Les études de ces derniers portaient sur le maïs Event 176 ; aussi les résultats
inquiétants qu’ils avaient découverts ne posent plus véritablement de problème étant donné
que cette variété, outre le fait qu’elle ne représente plus que 2% des cultures totales, ne
sera plus en vente à partir de 2003460. La conclusion de l’EPA est alors sans appel et
beaucoup plus tranchée que celles des scientifiques qui ont participé au DCI: « Based on the
review of the submitted DCI data, the Agency concludes that the monarch toxicity

459
« On peut conclure que les niveaux de pollen toxique Bt 11 ou MON 810 sur les larves de
monarque ne peuvent survenir dans des conditions naturelles. »BRAD report, Ibid. p.IIC54.
460
« However, this does not create a concern for monarchs since Event 176 corn comprises less than
2% of U.S. corn acreage and will no longer be sold after the 2003 growing season. »BRAD report,
Ibid., p IIC55.

216
information developped in the last two years does not give sufficient cause for undue
concern of widespread risks to monarch butterflies at this time. EPA will continue to closely
monitor the results from further monarch buterfly research as a part of its regulatory
oversight of Bt products. »461

Si on a souhaité développer avec force détails le rapport de l’EPA ainsi que les
expériences du DCI publiées dans les PNAS, c’est pour illustrer le sérieux avec lequel est
appliqué le principe de précaution dans le cadre de la re-registration du maïs Bt. Celui-ci
contraste fortement avec certaines affirmations. Ici, il apparaît clairement que le risque peut
être considéré comme minime, or, comme on le verra dans la 4ème partie de ce travail et
contrairement à l’expérience de Losey, les résultats de ces expériences n’ont été que
faiblement relayés par la presse. Concernant la presse scientifique, un article du magazine
français la Recherche relate les résultats et titre : « Le maïs transgénique obtient la
relaxe »462. Ce titre, comme on le voit, compose avec le présupposé de la « culpabilité du
maïs transgénique ». Telle une criminelle, la plante génétiquement modifiée s’est retrouvée
au banc des accusées. On mesure ainsi le crédit qui est donné aux accusations portées.
Ainsi, le journaliste souligne l’aspect médiatique du renversement :« Coup dur pour les anti-
OGM : un ensemble d’études menées dans plusieurs états américains montre que les
papillons monarques n’ont presque rien à craindre du maïs transgénique... Mais si l’argument
phare à l’encontre des cultures OGM tombe, toute la question du niveau de risque acceptable
reste posée. »463 Après avoir résumé rapidement l’ensemble des expériences, l’auteur tente
de donner une réponse à cette question. Il cite alors Josette Chaufaux, spécialiste des effets
non-intentionnels sur les insectes des plantes transgéniques à l’INRA ; selon cette dernière,
les expériences menées aux Etats-Unis étaient nécessaires pour régler l’affaire du monarque,
mais il n’est pas dit pour autant qu’elles aident les PGM à sortir de l’impasse actuelle.
« Toute la difficulté est de s’accorder sur le niveau de précision requis lorsque l’on quantifie
les risques. Par exemple, nous avons montré l’absence d’effet du maïs Bt sur les coccinelles,
et ce, avec une précision de 95%. Or, on pourra toujours nous demander plus ! Pour sortir
de cet engrenage, il faudrait comparer les effets des OGM à ceux des autres pratiques

461
« En se fondant sur les données de la DCI, l’agence conclue que les informations développées sur
la toxicité supportée par le monarque ces deux dernières années, ne constituent pas une cause
suffisante pour l’affaire excessive sur les risques encourus par le papillon monarque. L’EPA continuera
à surveiller de prêt … »Ibid., p. IIC56.
462
Yves Sciama, la Recherche 348, déc. 2001, pp.18-19.
463
Ibid., p. 18

217
agricoles avec les mêmes exigences, ce n’est pas le cas aujourd’hui. »464 On constatera que
cette proposition rejoint le 2e commandement de la liste établie par Philippe Kourilsky.

Discussion
Que penser de « l’affaire du papillon monarque » ? Cet épisode scientifique s’inscrit dans la
détermination des risques environnementaux causés par les PGM. Comme dans le cas de
l’affaire Pusztai, un scientifique a publié des résultats qui pouvaient laisser croire à l’existence
d’un danger avéré: le maïs Bt serait fatal aux papillons monarques. Comme dans le cadre de
l’affaire Pusztai, cette ‘démonstration’ a suscité une controverse entre scientifiques et une
polémique au niveau médiatique (comment une institution a-t-elle pu autoriser la
commercialisation d’un produit dangereux pour la faune ?). A la différence de la Royal
Academy qui a fait usage de son autorité pour traiter le problème et destituer le Professeur
Pusztai, ce parce que celui-ci n’a pas respecté les usages de la publication scientifique en
vigueur, l’administration américaine a répondu en lançant une enquête d’envergure et tenté
de résoudre les problèmes soulevés par les articles de Losey et Obrycki. Il faut dire que dans
ce cas, les deux scientifiques, contrairement à Pusztai, n’ont pas cherché à exploiter les
résultats ; bien au contraire, ils ont lancé des appels pour tenter de modérer la récupération
que certains voulaient faire de leurs expériences. En quelque sorte, on pourrait dire que
l’EPA s’est dédouanée de la faute qu’elle a commise en négligeant un risque dont elle avait
supposée l’existence (on savait que les traitements à base d’insecticide Bt étaient néfastes
pour les lépidoptères) sans pousser plus loin l’investigation. L’appel à contribution qui a été
lancé a permis de vérifier que les risques étaient beaucoup moins élevés que ce que laissait
entendre l’expérience de Losey.
Autrement dit, on est passé du danger (« le maïs Bt en général est nocif aux
papillons monarques ») au risque avéré relatif (« seule la variété Event 176 peut dans
certaines conditions être dangereuse pour les papillons monarques »). Aussi, étant donné
que cette variété de maïs ne représente que 2% de la superficie totale, qu’elle est
conditionnée par plusieurs facteurs (pollinisation et stade primaire des larves simultanées…)
et qu’enfin, elle disparaîtra du marché en 2003, le risque redevient un risque potentiel.
Pourtant, les résultats incomplets des articles de Losey et d’Obrycki ont fait leur bout de
chemin à la une des journaux et dans l’opinion publique, puisqu’ils ont été largement
exploités par les organisations écologiques et par l’administration qui a saisi l’opportunité
pour établir un moratoire.

464
Ibid., p. 19

218
Le comportement des industriels et de l’administration américaine s’inscrit donc dans
la lignée de ce que nous avons considéré comme un « usage positif du principe de
précaution ». En effet, la découverte d’un problème concernant les risques
environnementaux s’est trouvée à l’origine d’un protocole de recherche dont les conditions
auraient pu être suspensives pour la technologie. En effet, si l’enquête du DCI avait confirmé
la possibilité de généraliser les résultats de Losey, alors, l’EPA aurait sans aucun doute
procédé à la déregistration du maïs Bt.
Pourtant l’attitude de l’EPA et la mise en place du Data Call In n’a pas réussi à
satisfaire tout le monde. En effet, pour beaucoup, le fait que l’EPA ait fait registrer le maïs
sur des données incomplètes, alors qu’elle était pourtant en mesure de suspecter l’existence
d’un risque, est un argument qui invalide le système. S’il est impossible de reprocher à l’EPA
d’avoir fondé sa décision sur les connaissances du moment et par conséquent, de ne pas
avoir pris en compte l’existence de certains risques tels que ce que l’on connaît aujourd’hui,
par exemple, pour le maïs Event 176, certains experts ne manquent pas de reprocher à
l’agence d’avoir registré le maïs Bt sans avoir effectué toutes ces recherches. Aussi, même
après que les PNAS aient publié ces résultats sensés calmer les esprits, les reproches n’ont
pas cessé de fuser. Il est intéressant de constater que tous les opposants critiquent l’EPA
pour ne pas avoir pris à temps les bonnes mesures en officialisant la mise sur le marché d’un
nouveau produit sans avoir à sa disposition tous les éléments. Ainsi, dans une lettre adressée
à l’Agence, Karen Oberhauser, une des scientifiques qui a participé au DCI, affirme que la
décision initiale de registration du maïs Bt était prématurée et fondée sur de fausses
assomptions concernant les insectes non-cibles465 ; aussi, elle ajoute que si on ne peut
accuser l’EPA pour ne pas avoir considéré des données qui n’étaient pas disponibles à
l’époque où le rapport a été écrit, ce document aurait comporté des affirmations
contradictoires avec ce qui a été découvert plus tard par les études en laboratoires et dans
les champs. Aussi, pour cette scientifique du département d’écologie, le premier document
aurait reflété une vision trop optimiste des risques potentiels des semences BT, erreur qui
pourrait, d’après elle, se réitérer466.

465
« The results of studies conducted in the summer of 2000 clearly demonstrate that the initial
licensing decisions were premature and based on incorrect assumptions about the risks to nontarget
organisms of Bt corn. » lettre de Karen Oberhauser, University of Minnesota, Department of Ecology,
to Public Information and Records Integrity Branch Information Resources and Services Division
(7502C) Office of Pesticide Programs EPA, Docket Control #OPP-00678B.
466
« While the EPA cannot be faulted for not considering data that were unavailable at the time the
report was written, the document included statements that were contradictory to what was later
found in field and laboratory studies. I detailed my comments during the panel meeting. It was clear
that the preliminary document reflected an overly optimistic assessment of potential risks of Bt crops.
If the current timeline for decision-making is followed, EPA could repeat this mistake. »Ibid.

219
On retrouve également ce genre de reproche dans le rapport de l’Union of Concerned
Scientists, dont nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer l’existence précédemment467. Dans
ce document, les auteurs qui se fondent sur l’analyse de Hilbeck et Meier affirment que l’EPA
n’a pas réussi à résoudre le problème des organismes non-cibles, y compris celui des
papillons monarques. En effet, toujours d’après les mêmes auteurs, les travaux de l’agence
concernant le risque des insectes non-cibles révéleraient un certain flottement468.
Ainsi, l’UCS reproche à l’EPA de ne pas avoir résolu le rôle de la toxicité potentielle
des anthères ; l’agence se serait contentée de prendre en considération uniquement les
interprétations des industriels qui démontrent l’innocuité du maïs Mon 810 et Bt 11 et aurait
totalement ignoré un article de Jesse et Obrycki qui soulève l’éventualité d’une nocivité du
maïs Bt dans le cas où le monarque ingère des anthères (la partie de la fleur qui produit le
pollen) ; cette éventualité qui a été également soulevée par les experts qui ont participé au
DCI a été considérée comme un « artifice d’étude » par les industriels et par conséquent,
présenté tel par la révision du rapport BRAD469. L’UCS considère que ce facteur qui a été
négligé par l’EPA est un risque potentiel pour le papillon monarque. Une autre critique porte
sur les effets à long-terme. En effet, l’EPA n’aurait pas réussi à estimer proprement les effets
à long-terme470, ni à estimer les risques pour les prédateurs de la pyrale ainsi que sur
d’autres animaux non-cibles tels que, par exemple, les mammifères.
Il apparaît donc clairement, une fois de plus, qu’on retrouve deux interprétations
différentes du principe de précaution, en ce sens que les paramètres ici réclamés par l’UCS
sont beaucoup plus exigeants que ceux qui ont été retenus par l’EPA. Pressée par la
nécessité de rassurer les consommateurs, l’EPA ne peut pas fonder ses décisions sur des
études à long-terme. En effet, on peut comprendre que cette exigence pourrait équivaloir à
retirer tout simplement les PGM du marché. Or l’EPA estime que les avantages du maïs Bt
dépassent de loin les risques probables que cette technologie peut faire courir, ce qui se

467
Jane Rissler, Margaret Mellon., Union of Concerned Scientists, « Comments to the environmental
protection agency on the renewal of Bt-Crop registrations » Docket OPP-00678B September 10, 2001
468
«A close look at EPA’s assessment of Bt-crop risks to nontargets reveals a number of serious flaws,
including an incomplete analysis of risks to monarch butterflies, biased evaluation of studies on green
lacewing risks, and uncritical acceptance of flawed studies on insect abundance. », Ibid., p.7.
469
« The Jesse and Obrycki paper raised the possibility that monarchs may be killed byconsuming
fragments of Bt-corn anthers, the pollen-producing parts of the corn flower. By contrast, even though
the Industry Monarch DCI Response acknowledged that anthers of Mon 810 and Bt 11 corn “contain
considerably higher Cry protein concentrations than the pollen itself,” industry considered anther
fragments to be “study artifacts.” (…) The Revised BRAD does not mention toxic anther fragments;
EPA apparently accepted industry’s view of them as study artifacts. » Ibid., p.7.
470
EPA’s Revised BRAD focused on short-term or lethal effects of Bt-corn @ pollen on monarchs
and did not evaluate the potential long-term impacts of the pollen and anther fragments. We know of
no multi-year studies examining the impacts of Bt-corn flower parts on monarch reproduction,
development, or migration.

220
trouve parfaitement dans le principe de précaution tel qu’il est généralement reconnu par
l’institution.
On retiendra de l’affaire du monarque que la divulgation à « grande audience » d’une
expérience incomplète a été à l’origine d’une généralisation trompeuse ; cette dernière a été
corrigée à la suite de la mise en place d’un impressionnant protocole d’expérience. Pourtant
les résultats de celui-ci ont été, comme nous le verrons, faiblement relayés par les médias ;
de plus, il n’ont pas servi à stopper toutes les critiques. Tout ceci démontre la relativité du
principe de précaution : en effet, comment ne pas être surpris que l’existence d’un danger
soit dénoncée sans que l’on ne dispose d’aucune preuve concrète ? On pourra se demander
qui est le plus à critiquer : l’agence qui n’a pas pris les mesures pour un risque surestimé
alors qu’elle n’avait que de très faibles raisons de le faire, ou les experts qui, sans aucune
preuve, ont traité celui-ci comme s’il s’agissait d’un grand danger en faisant passer pour une
vérité une simple hypothèse? Ce problème montre une fois de plus la difficulté
d’interprétation du principe de précaution.

3.3.4 Conclusion sur le principe de précaution et les risques environnementaux


De la même manière que nous avons utilisé le principe d’équivalence en substance pour le
risque alimentaire des PGM, nous avons utilisé le principe de précaution pour tenter de
comprendre les controverses scientifiques qui portent sur les risques environnementaux.
Ainsi, alors que les lectures divergentes du premier principe nous ont permis de comprendre
que l’estimation du risque alimentaire variait en fonction de la conception que les experts
avaient de la nature des PGM, le second nous démontre que la gestion des risques
environnementaux varie en fonction de la conception que les experts ont de l’application de
la technologie de la transgenèse végétale. Ainsi, il apparaît clairement que dans le cadre de
la gestion de l’apparition de populations résistantes au maïs Bt, l’opposition porte, non pas,
sur la possibilité de l’apparition de populations résistantes, mais sur la possibilité de gérer
celles-ci. Alors que certains experts font intégralement confiance à la technique de l’HDR,
d’autres cherchent à démontrer ses limites et la difficulté de sa mise en place. Il y a donc
bien, comme nous l’avions supposé, un usage technique positif du principe de précaution et
un usage théorique négatif de celui-ci. En effet, d’un point de vue théorique, l’apparition de
la résistance apparaît comme un événement inévitable ; cela veut-il dire pour autant qu’il
faut supprimer la technologie ? Cette question renvoie au problème qui consiste à se
demander si les risques théoriques peuvent servir d’obstacles aux réalisations
technologiques, et jusqu’à quel point cette conception peut être appliquée sans valoir comme
une idéologie anti-technologique.

221
On est donc revenu à notre problème de départ : celui qui consistait à donner un
contenu au principe de précaution pour que celui-ci ne soit pas seulement une intuition
spontanée fondée sur le bon sens (la prudence) ou une idéologie (le principe de
responsabilité) qui dans son expression extrême a pour objectif la suppression de la
technologie. On voit bien que les experts pro-PGM, qu’ils soient industriels ou qu’ils
travaillent dans l’administration, font un « usage technique positif » du principe de
précaution en développant des stratégies qui permettront de repousser l’apparition d’insectes
résistants ou en faisant des études sur la faune pour voir les effets non-intentionnels du maïs
Bt et prévenir d’un risque éventuel. Les experts anti-PGM, par contre, font un « usage
théorique négatif » du principe de précaution en ce sens qu’ils affichent clairement comme
objectif le retrait des semences Bt du marché en se fondant sur l’argument implicite que
« quel que soit la mesure prise, elle ne permettra jamais de garantir une application 100%
fiable de la technologie. » C’est ainsi par exemple que le CFS reproche à l’EPA de ne pas
pouvoir être sûre du suivi à 100% de l’HDR par les agriculteurs ; de même les experts de
l’UCS reprochent à l’EPA de n’avoir pas pris en compte le risque soulevé par Obrycki et le
DCI concernant la présence d’une quantité nocive de pollen dans les anthères pour re-
registrer le maïs.
On voit donc bien que la controverse a pour origine une interprétation différente du
principe de précaution (et non pas que certains l’appliquent alors que d’autres ne l’appliquent
pas). On peut penser que ces applications divergentes du principe de précaution trouvent en
partie leurs origines dans des conceptions philosophiques différentes de la technologie, tout
comme le principe d’équivalence en substance et le principe de différence absolue reposaient
sur des philosophies du vivant opposée. Cette opposition nous amène à un autre débat :
celle de la balance « risques-bénéfices » : en effet, toute prise de risque dans le cadre du
principe de précaution doit être justifiée par l’estimation de bénéfices plus important, ce sur
quoi l’EPA justifie, comme on a pu le constater, l’ensemble de ses re-registration. C’est ce
que nous allons étudier maintenant en détail.

222
3.3. Développement de la controverse au niveau de l’expertise socio-économique

Comme on vient de le démontrer au niveau de l’expertise scientifique, la controverse porte


moins sur l’existence de risque que sur l’estimation de ceux-ci. Si les risques sont reconnus
par l’ensemble des experts biologistes, qu’ils soient spécialisés dans le domaine de la
transgenèse végétale ou dans celui de l’environnement, on constate qu’il ne font pas l’objet
de la même analyse en fonction des protagonistes. Selon les opposants, le risque est
inévitable et inhérent à la nature des aliments issus des biotechnologies, alors que pour les
défenseurs des PGM, il doit pouvoir être géré et peut être contrôlé par la mise en place de
mesures adéquates. Or la question qui se pose à présent est : qu’est-ce qui justifie la prise
de risque ? En effet, pourquoi a-t-on recours à une technologie qui fait courir un risque
plutôt qu’à une technologie au-dessus de tous soupçons ? Cette question, d’apparence naïve,
est révélatrice de l’ambiguïté de l’introduction des plantes génétiquement modifiées sur le
marché. Elle démontre que les institutions internationales qui les ont rendues légales et les
entreprises agro-alimentaires qui l’ont rendu possible ont considéré que cette nouvelle
technologie comportait bien plus d’avantages que d’inconvénients ; quant aux opposants, ils
sont persuadés de l’inverse, voire pour certains, que les biotechnologies agroalimentaires
parce qu’elles sont source d’inconvénients ne vallent pas la peine de courir le risque. On
passe de cette manière, de considérations purement « sanitaires » (le risque d’apparition de
nouvelles allergies, le risque de transmission d’un gène à l’organisme) et
« environnementales » (risque d’apparition de populations résistantes, risque d’effets non-
intentionnels sur les insectes non-cibles, risques de pollution) à des considérations sociales et
économiques : la balance risque-bénéfices. Aussi, on évolue d’une définition du risque en
termes de probabilité (plus ou moins risqué) à une mise en rapport de celui-ci avec les
avantages de la technologie qui est susceptible de le produire. On quitte donc d’un problème
d’expertise « scientifico-technique » pour un problème d’expertise « socio-économique ». Il
s’agit d’étudier désormais les controverses qui portent sur l’utilité de l’introduction des
semences issues de la transgenèse végétale sur le marché.
Une nouvelle technologie est toujours jugée en termes d’avantages et d’inconvénients
pour qui la met en application. Aussi une théorie généralement répandue affirme que la loi
du marché a raison des technologies qui ne se trouvent être d’aucune utilité. La main
invisible régule et sélectionne en fonction des besoins inhérents à la société, privilégiant ce
qui est du plus grand intérêt pour cette dernière. On a donc toutes les raisons de penser que
cette loi a dû déjà mettre, met et mettra à l’épreuve les PGM. Aussi, après vingt années
d’existence, il est largement temps de s’apercevoir si le développement des biotechnologies

223
agro-alimentaires a subi, ou résisté aux assauts de cette « sélection pragmatique ». Or pour
cela, il semble nécessaire d’effectuer un bilan socio-économiques en se demandant d’une
part, si les bénéfices apportés sont supérieurs aux risques que court la société dans son
ensemble et si, d’autre part, les profits que la technologie permet de réaliser à l’ensemble
des acteurs qui y ont recours sont supérieurs aux coûts qu’elle engendre. Comme on le
constate, le premier bilan a un aspect plus « social » en ce sens qu’il implique directement
tous les acteurs de la société ; en effet, chacun est concerné par les « risques », qu’ils soient
alimentaires, environnementaux, ou économiques, aussi bien que par les bénéfices. Le
couple « coûts, profits », lui, concerne directement les acteurs de la chaîne agro-alimentaire
(semenciers, agriculteurs, distributeurs) et de manière indirecte les consommateurs. Il est,
de toute façon, inclus dans le couple risques-bénéfices ; cependant nous tenons à le
distinguer pour mieux analyser les mécanismes du système dans son ensemble. En effet, si
on part du principe que les plantes génétiquement modifiées, sont à l’origine, le projet de
quelques industriels, alors il semble important de se demander si la technologie a produit le
rendement escompté par les investisseurs.
Une fois ces couples de principes présentés dans leur aspect le plus général, il faut
maintenant définir les catégories qui vont permettre d’argumenter. On distinguera alors 4
critères majeurs qui sont :
- Un développement géographique inégal mais une progression constante
- Le rendement des PGM en termes de quantité (capacité à produire)
- Le rendement des PGM en termes de qualité (respect de valeurs
environnementales, usage de pesticides)
- Les avantages comparés des PGM par rapport aux semences classiques

Comme pour les chapitres précédents, nous exposerons les arguments des experts pour
débattre sur la justification socio-économique des PGM, ce afin de tenter d’expliquer les
raisons de la controverse. Pour cela, nous aurons recours principalement à des rapports, des
bilans et des études comparées qui étudient les paramètres et résultats des PGM qui ont été
mises sur le marché.

3.3.1 Un développement géographique contrasté, une progression constante


Si les PGM ont fêté en 2003 leur 20ème anniversaire, il faut préciser que cela ne fait
pas 20 ans qu’elles se trouvent sur le marché. En effet, entre leur commercialisation et leur
invention, il n’a pas fallu moins de 10 années et plus de 3500 essais en plein champ depuis
les toutes premières plantations en 1986 qui concernaient des plants de tabacs résistants

224
aux herbicides, aux Etats-Unis et en France471. Le rapport publié en 1996 par l’ISAAA ( The
International Service for the Acquisition of Agri-biotech Applications) propose un bilan
complet des années qui ont précédé leur introduction sur le marché. En tout, ce sont plus de
56 variétés de semences qui ont été testées dans 34 pays sur plus de 15000 sites. 91% de
ces tests ont été conduits dans les pays occidentaux, 1% en Russie et dans les Pays de l’Est
et 8% dans les pays en voie de développement472.
Aussi, la Chine est le premier pays qui a commercialisé des plantes génétiquement
modifiées avec au tout début des années 1990 deux tabacs, l’un résistant à la mosaïque du
concombre (CMV) qui a été planté sur une superficie de 40 hectares en 1992, l’autre
résistant à la fois au CMV et à la mosaïque du tabac (TMV). Le rapport indique que ces 2
plantes sont aujourd’hui utilisées au niveau national pour fabriquer du tabac ; aussi la
superficie totale plantée en 1996 était de 1 million d’hectares, soit 30% des plantations
totales avec une prévision de 70% pour les 10 ans à venir. Les bénéfices rapportés font
preuve d’un meilleur rendement (5-7% de feuilles en plus) et d’une diminution des
épandages d’insecticides (2 ou 3 sur 7)473.
Dans les pays industrialisés, c’est seulement au mois de mai 1994 que la société
Zeneca a été autorisée par la Food and Drug administration à introduire sur le marché une
tomate à pourrissement retardé, la Flavr SavrTM ; la tomate a été commercialisée un mois
après qu’elle ait reçu l’autorisation et a bénéficié, au début, une relative bonne acceptation
de la part du public474. En tout, 35 applications et requêtes ont été accordées pour 9 types
de semences présentant 8 caractéristiques dans 6 pays. Sur ces 35 applications, 20
concernent les Etats-Unis. En effet, en 1996, 1,2 millions d’hectares de plantes
génétiquement modifiées ont été plantés aux Etats-Unis, dont la répartition par types de
semences se compose principalement de tomates, de coton, de soja de maïs de colza et de
pommes de terre.
Les auteurs du rapport affirment que ces résultats sont en partie dus à l’excellente
organisation du système de régulation qui a permis aux firmes de faire facilement régulariser

471
Clive James & Anatole F. Krattiger, ISAAA Board of Directors and Executive Director of ISAAA,
Global Review of the Field Testing and Commercialization of Transgenic Plants: 1986 to 1995, The
First Decade of Crop Biotechnology, No. 1-1996, p.7.
472
Le service international pour le développement des applications des biotechnologies agricoles ; on
rappellera que l’ISAAA est une association internationale sans but lucratif co-sponsorisée par le public
et le privé et qui facilite le transfert des applications agri-biotech de l’industrie vers les pays en voie
de développement. L’ISAAA produit chaque année un rapport sur les semences transgéniques
commercialisées.
473
Ibid., p.33.
474
« The sale of these tomatoes began the same month within the USA, particularly California and the
Mid-West and consumer acceptance has been positive. », Ibid.

225
les plantes qu’elles voulaient introduire sur le marché. Les postulants ont pu soumettre leurs
requêtes pour l’introduction d’une nouvelle plante à l’APHIS. Les semences qui ont été
autorisées par cet organisme, ont dû faire l’objet d’un contrôle par l’EPA. Sur les 1,2 millions
d’hectares plantés, les rapporteurs affirment que la plus grande superficie revient à
Monsanto avec principalement le Coton BollgardTM, résistant aux insectes et le Soja RRTM
(roundup ready) résistant à l’herbicide.
En Europe, on a autorisé uniquement le tabac, le colza et le coton. Les traits les plus
communément répandus étant : la résistance aux herbicides (37% des autorisations), la
résistance aux insectes (23%), le pourrissement retardé (17%), la résistance aux virus (9%)
et des traits de qualité (5%). Mais à vrai dire, seul le tabac a fait l’objet d’une production
destinée à la commercialisation. La production de colza et de chicorée transgénique est allée
à destination de l’élevage. Quant à l’importation de soja, de coton et de tomates
génétiquement modifiées, celle-ci est réservée à un usage de transformation industrielle. Les
autres applications, elles, étaient à l’époque, en attente de validation. On notera qu’en 1996,
on trouve également de nombreuses applications des PGM au Canada, en Amérique latine et
en Australie.
En conclusion, les experts de l’ISAAA affirment que ce progrès devrait très
prochainement apporter de nombreux bénéfices, tels que :

- Une amélioration de la suppression des mauvaises herbes pour des plantes telles
que le maïs, le soja ou encore le coton
- Une diminution des insectes nuisibles grâce au gène Bt pour le coton, le maïs et
les pommes de terre
- Une diminution des pertes de tomates après la récolte
- Une amélioration des qualités nutritives de certains aliments
- Une diminution des pertes dues aux virus (pour les agrumes par exemple)
- Enfin, un contrôle amélioré de la pollinisation

Pour étoffer leurs pronostics, ils rappellent que les stress biotiques qui handicapent le plus la
production des plantes sont les insectes pour 14%, les maladies pour 12% et enfin les
mauvaises herbes pour 10% (James, 1981; James et al., 1991; James, 1996). Aussi, partant
du fait que les principaux caractères introduits dans les plantes génétiquement modifiées
solutionnent ces problèmes, les auteurs en concluent que l’apport des biotechnologies ne

226
peut être que bénéfique à la production agricole globale475. Ils ajoutent enfin que le recours
à cette nouvelle technologie permettra une diminution de l’usage de pesticides et
d’insecticides, point favorable pour l’environnement qui permettra aux agriculteurs de
réaliser des économies substantielles. L’ensemble de ces atouts doit, d’après eux, avoir un
impact global sur la production d’aliments et le développement durable476. Tous les espoirs
sont donc permis à cette technologie dont on espère que la valeur sur le marché atteindra 2
à 3 milliards de dollars en 2000 et 5 à 5 milliards de Dollars en 2005. Un tableau est alors
donné qui présente les 4 étapes de développements à venir des PGM :

Comme on le constate, l’amélioration des traits agronomiques n’est qu’une étape


avant l’amélioration de la qualité des aliments et la réalisation de produits pharmaceutiques
(vaccins, insulines…), puis chimiques (monomères, polymères…). Ce rapport datant de 1996,
nous montre comment, une année après la 1ère étape de commercialisation des plantes
génétiquement modifiées, l’espoir est au maximum et les résultats présentés sont plutôt
encourageants. Ces données nous serviront de référence pour mieux voir le chemin parcouru
en l’espace de ces 7 dernières années et vérifier si l’espoir mis dans les PGM par les
responsables de l’organisme américain a pu se réaliser. Pour cela, le nombre d’études et de
rapports ne manquent pas, aussi, notre sélection des données ne peut être qu’arbitraire.
Notre but étant de mettre au jour, dans un premier temps, les arguments des théories qui

475
« Given that approximately two-thirds of the genes incorporated in the newly commercialized
transgenic crops confer either herbicide tolerance, insect resistance or disease resistance, it follows
that the potential impact of biotechnology in the near term on global food production will be
substantial. » ISAAA, ibid., p. 28.
476
« Thus, multiple benefits can accrue which can increase food feed and fiber production globally and
at the same time contribute to sustainability and a safer environment through more effective and less
dependent use of conventional pesticides. » ibid.

227
soutiennent que l’introduction des PGM sur le marché a apporté un nombre considérable de
bénéfices et ensuite, de voir comment il est tout aussi possible de développer et soutenir
l’opinion contraire.

Un développement rapide

Un rapport plus récent publié par l’ISAAA477 confirme l’exceptionnelle croissance que
la technologie a connue en l’espace de quelques années.

En 2001, la superficie totale des PGM plantées dans le monde est de 52,6 millions
d’hectares, produits par 5,5 millions d’agriculteurs. On a observé une progression de 8,4
millions d’hectares entre 2000 et 2001, soit 19% de plus,, ce qui est presque le double de
l’augmentation observée entre 1999 et 2000. Depuis 1996, la superficie totale a été
multipliée par 30, passant de 1,7 millions à 52,6 millions d’hectares. quatre pays produisent
à eux seuls 99% de la production totale : les USA (68%), l’Argentine (22%), le Canada (6%)
et la Chine (3%). Une forte croissance a eu lieu en l’espace de 2 saisons en Chine, où la
superficie de coton Bt a triplé. On remarque également une forte croissance en Afrique du
Sud et en Australie.
Le soja reste en tête de la production avec 33,3 millions d’hectares (63%), suivi du
maïs, 9,8 millions d’hectares, le coton, 6,8 millions d’hectares et le colza 2,7 millions
d’hectares. En 2001, le trait de résistance aux herbicides représente 77% de l’ensemble,
suivi du Bt (15%). Le soja RR représente 46% des 72 millions d’hectares de soja (classique
et génétiquement modifié) plantés dans le monde. En 2001, la superficie totale de soja,
maïs, colza et coton, représentent 19% des 271 millions d’hectares que totalisent les

477
Clive James, Global Review of commercialized transgenic crops, 2001, n°24, 2001

228
superficies de ces 4 plantes (classiques et génétiquement modifiées , soit 3% de plus qu’en
2000). Quant au nombre de fermiers ayant recours à la technologie, il est passé de 3,5
millions en 2000 à 5,5 millions en 2001.
A la suite de cette formidable progression de la superficie de PGM plantées dans le
monde, on est en droit de supposer que la nouvelle technologie apporte un certain nombre
de bénéfices ; d’une part aux industriels qui la promeuvent, d’autre part aux agriculteurs qui
l’utilisent et enfin aux consommateurs qui se trouvent au bout de la chaîne. C’est cette
hypothèse que remet en cause un rapport de l’Union Européenne478 d ans un document de
travail daté du 31 mars 2000, le directoire général pour l’agriculture de l’Union Européenne,
propose une synthèse des informations économiques disponibles sur les PGM479, constituée à
partir d’un regroupement de données issues d’institutions gouvernementales américaines
(l’USDA), d’institutions internationales, telles que, l’OCDE, de centres de recherche (l’INRA),
d’universités (principalement aux Etats-Unis) d’organisations non-gouvernementales ou
encore d’industriels. D’après ce même rapport, en 1999, on a pu observer une incroyable
concentration du côté des principaux groupes de l’industrie agro-alimentaires, d’une part, ce
qui a donné naissance à des ensembles dont les agriculteurs se trouvent de plus en plus
dépendante. D’autre part, les agriculteurs auraient mis tous leurs espoirs dans l’arrivée des
PGM, comme pouvant être une technologie source de gains supplémentaires. Or ces espoirs
semblent avoir été déçus480. En effet, d’après les rapporteurs, il semble difficile de démontrer
que les PGM sont plus profitables que leurs équivalents classiques481.
On comprendra qu’une telle démonstration n’est pas évidente du fait que les
paramètres qui entrent en ligne de compte sont multiples. Pour être significatifs, les résultats
doivent être interprétés sur plusieurs années. Il est donc important de définir la nature de
ces bénéfices sachant qu’ils peuvent être estimés sous la forme quantitative de « pur
rendement » d’une récolte, mais aussi, sous d’autres formes, tels que l’accroissement de
l’efficacité grâce à l’introduction de la nouvelle technologie et la possibilité de mieux

478
« As for other innovations, the rapid uptake of GM crops is driven by profitability expectations.
Have these expectations been met? Is profitability the only driving force behind the rapid adoption of
GM crops? The review focuses on studies analysing the profitability of the mainly grown GM crops.
Such studies are mainly available for Northern America. », Ibid., p.5.
479
Directorate-General for Agriculture Commission of the European Communities, Economic impacts of
genetically modified crops on the agri-food sector, a first review, 31 mars 2000.
480
« Farmers in Northern America and in Argentina have quickly and massively adopted GM crops.
Does this mean that farm-level benefits of biotechnology outweigh the abovementioned constraints?
Chapter 3 analyses the economic reasons for the rapid and vast uptake of GM crops by US farmers.
They had strong profitability expectations. However, the studies reviewed do not provide conclusive
evidence on the farm-level profitability of GM crops. », Ibid., p.8.
481
« However, as shown in section 3.2, GM crops do not prove to be significantly more profitable than
conventional counterparts. Other factors than profitability play role. » Ibid., p.36.

229
travailler, un usage réduit de pesticides et d’herbicides. C’est ainsi par exemple, qu’une
enquête de l’USDA pour savoir ce qui poussait les fermiers américains à adhérer si facilement
aux biotechnologies agricoles, montre que le premier argument cité était le « rendement »
(par 75% des agriculteurs) et le second, la réduction des coûts (par 20% des
agriculteurs)482.
L’estimation des avantages réels de la transgenèse végétale est donc soumise à
certaines difficultés. Peut-on se faire une idée des bénéfices qu’apportent véritablement les
plantes génétiquement modifiées ? C’est la question à laquelle on va essayer de répondre
maintenant en ayant recours à une série d’enquêtes qui ont été menées principalement par
le NFCAP, le centre national américain pour la politique agricole et alimentaire.

3.3.2 Estimer les avantages des biotechnologies


Dans le Livre Blanc sur les biotechnologies conjointement édité par les syndicats de
semenciers français (le CFS, le GNIS et l’ UIPP) on trouve un plaidoyer général pour les
biotechnologies agricoles. Il s’agit pour les auteurs, après un bref rappel sur la révolution
verte, de démontrer que la production de PGM se situe dans la droite lignée de velle-ci, au
point de pouvoir être considérée comme une seconde révolution. En l’espace de 30 années,
la première révolution a amené bon nombre de progrès, tels que, l’amélioration des
rendements, ainsi qu’une meilleure préservation des récoltes et une meilleure occupation des
sols. Les biotechnologies seraient donc un autre moyen de continuer cette démarche en
améliorant les plantes sur un plan quantitatif et qualitatif par le biais des nouveaux traits
qu’elles permettent d’introduire : réduction des dépenses énergétiques, optimisation de
l'assimilation des éléments vitaux (P, Fe, sucres, acides aminés), amélioration de l'efficacité
des métabolites végétaux dans la lutte contre les toxines des virus, résistance aux parasites
et aux ravageurs (insectes nuisibles), tolérance aux herbicides, tolérance à la sécheresse et
aux basses températures, stérilité mâle génique (permettant notamment la création
d'hybrides)483… Qu’en est-il exactement ?

La Tolérance aux herbicides : Le cas du soja RR aux Etats Unis


Avec 70 millions d’acres sur le sol américain, le Soja fait partie du trio de tête des céréales;
on en trouve en quantité importante sur 30 Etats, et essentiellement dans la moitié ouest où

482
Ibid., p.37.
483
CFS - GNIS – UIPP, les plantes génétiquement modifiées, Une clé pour l’avenir, le Livre blanc des
biotechnologies, p.21.

230
10 Etats produisent à eux seuls 73% de la production américaine484. L’historique de
l’introduction de cette plante sur le sol américain remonte au début du 19ème siècle. En 1898,
on compte 8 variétés différentes de soja sur le sol américain. En 1923, il y en a 1000, et en
1947, 10000. L’importation et la recherche de variétés spécifiques en Asie au départ, puis la
sélection et enfin l’hybridation ont permis la multiplication et l’amélioration des espèces.
Ainsi, on note un rendement de 25% supérieur entre 1940 et 1970, grâce aux améliorations
des variétés obtenues par hybridation. En 1999 la production américaine équivalait à la
moitié de la production mondiale et représentait plus de 60% de l’exportation mondiale. Le
soja joue donc un rôle stratégique essentiel dans la chaîne agro-alimentaire mondiale. Ce
succès est dû aux qualités nutritives exceptionnelles de la plante et à ses nombreuses
applications. Les performances de certaines variétés ont été rendues possibles grâce à
l’hybridation, mais surtout grâce à l’amélioration des techniques de désherbage. Ainsi de 65
à 79, l’utilisation de nouveaux pesticides a permis une amélioration du rendement de 62%,
alors que l’amélioration des espèces, elle, n’y était responsable que pour 13%485.
Aujourd’hui toutes les nouvelles variétés sont obtenues par pollinisation croisée.
Cependant, le seul obstacle que n’ait pas réussi à résoudre la sélection et l’hybridation, est la
résistance aux herbicides qui sont utilisés pour éliminer les mauvaises herbes. Aussi, le soja
a une très faible capacité à se désintoxiquer et il peut être facilement endommagé par un
traitement. On n’a pas pu sélectionner de gène de résistance dans le matériel génétique qui
puisse être source d’un caractère de résistance aux herbicides486. Seul un soja résistant au
« metribuzin » a pu être sélectionné selon les méthodes classiques. Ce sont donc les
biotechnologies qui se sont attachées à résoudre le problème. Aussi, on connaît aujourd’hui
2 solutions :
- La première est un soja résistant au « sulfonylurea », le STS qui a été développé
par la firme Dupont dans les années 1980. La cible moléculaire du sulfonylurea
est un enzyme ALS qui est aussi connu comme acetohydroxyacid synthase
(AHAS). Les mutants qui ont été obtenus à la suite d’un traitement qui a altéré
leur ALS ont une sensibilité réduite à l’inhibition par sulfonylureas487. Le soja STS

484
Leonard P. Gianessi, Janet E. Carpenter, Agricultural biotechnology benefits of transgenic
soybeans, April 2000, National Center for Food and Agricultural Policy.
485
Gianessi & Carpenter, Ibid., p.5.
486
« In order for traditional breeding to produce herbicide resistant soybeans, genes for resistance
must be available in crossing material that is compatible with soybeans. A lack of sufficient variability
in resistance levels in soybeans has hindered breeding efforts. Soybean cultivars frequently show
differences in the degree of injury caused by herbicides, but the occurrence of genotypes giving highly
sensitive herbicide resistance has been rare [106]. This requirement has been the limiting factor for
producing herbicide resistant soybeans with naturally occurring genes. ».
487
Mazur, Barbara J., and S. Carl Falco, « The Development of Herbicide Resistant Crops, » Annu.

231
a été introduit en 1992 sur le marché. Dupont commercialise également
l’herbicide Synchrony STS qui lui est complémentaire.
- L’autre variété résistante est le Soja RR ou round up ready. Il a été obtenu suite
au transfert d’un gène de CP4 EPSPS qui a été cloné et introduit dans le soja par
la technique du canon à gènes dans le Soja A5403, une variété commerciale
développée par ASGROW seed company. Ce transgène qui est issu de la bactérie
du sol « agrobacterium tumefaciens », a été introduit par le firme Monsanto au
début des années 1980 à la suite des recherches sur une plante résistante au
glyphosate. Sachant que le glyphosate inhibe l’enzyme 5 enolpyruvylshikimate-3-
phosphate synthase (EPSPS), les chercheurs se sont lancés dans une recherche
par sélection classique et par mutagenèse d’une plante résistante au glyphosate.
Ce travail n’a été rendu possible que par recours au génie génétique. Après avoir
remarqué que les bactéries du sol étaient tolérantes au glyphosate et même, le
dégradait, les scientifiques en ont déduit que les bactéries du sol devaient
exprimer naturellement l’EPSPS tolérant au glyphosate488. Ainsi le transgène
permet à la plante de continuer à produire les enzymes responsables des
aminoacides aromatiques dont la plante a besoin, alors même que l’EPSPS
endogène est inhibé par le glyphosate. Les auteurs précisent que la ligne 40-3-2
(nom de la ligne obtenue) a été testée sans herbe en 1992 et 1993 et les
données de cette expérience ne prouvent pas qu’il y ait un manque à gagner au
niveau du rendement489.

Tous ces efforts, d’après Léonard et Gianessi, ont pour objectif de combattre un véritable
fléau au rendement du soja : les mauvaises herbes. En effet, celles-ci sont suffisamment
hautes pour causer des pertes de rendement si elles ne sont pas traitées. Des pertes de
rendement de 50 à 90% sont communes pour le soja poussé en milieu infesté par les
mauvaises herbes. Aussi, des recherches ont démontré que si l’on pouvait débarrasser les
plants de soja de mauvaises herbes dans les 5 ou 6 premières semaines de pousse, alors le
rendement pouvait être beaucoup plus élevé. Après ce laps de temps écoulé, la pousse des

Rev. Plant Physiol. Plant Mol. Biol., 1989..


488
« The rationale being that perhaps organisms that can grow in the presence of glyphosate and
degrade the herbicide may also express naturally glyphosate-tolerant EPSPS. The EPSPS with the
highest tolerance to glyphosate found in the screening was CP4 EPSPS from agrobacterium
tumifacien, that demonstrated extremely high glyphosate tolerance. »Gianessi & Carpenter, Ibid., p.23
489
Delanney X., et al., « Yield Evaluation of a Glyphosate-Tolerant Soybean Line After Treatment with
Glyphosate » Crop Science, September-October 1995.

232
mauvaises herbes n’a plus grande importance490.

Faisant un rapide retour en arrière sur les techniques de désherbage jadis employées,
les auteurs rappellent qu’on est passé de l’arrachage mécanique dans les années 40 et 60 à
l’application d’herbicide au début des années 60. L’usage de ces derniers, est passé de 30%
des surfaces cultivées en 66 à 90% en 82. En 1995, on comptait plus de 70 sortes
d’herbicides pour le soja et la plupart des mauvaises herbes pouvaient être éliminées491. En
1995, 23% de la surface nationale de soja cultivée était traitée avec 4 ou plus, sortes
d’herbicide, 28% en recevaient 3, 35% en recevaient 2, et 12% en recevaient un seul. Les
pertes annuelles dues aux mauvaises herbes étaient de 17% en 1951-60, de 7% en 1992.
L’usage d’herbicides a donc permis d’augmenter sérieusement le rendement492. Parmi ces
herbicides, on trouve déjà le glyphosate. Mis sur le marché par Monsanto en 1974, cet
herbicide s’attaque à tous types de plantes pour inhiber l’enzyme EPSPS. Précédemment à la
mise sur le marché du soja transgénique, il n’était utilisé qu’avant la plantation pour éliminer
toutes les mauvaises herbes ou de manière ciblée (spot spraying). L’usage du Round Up
démontre une très grande efficacité. En 1995 et en 1996, des expériences effectuées dans
l’Illinois on démontré que l’usage mixte d’un herbicide pré plantation et du glyphosate a
permis d’améliorer l’élimination des mauvaises herbes493.
A la suite de l’arrivée du Soja RR, l’usage du glyphosate est passé de 20% en 1995, à
46% en 1998. Pour ce qui concerne le prix de cette technique, on estime qu’il est compétitif
avec les autres. En plus du coût de l’herbicide, l’agriculteur doit payer une charge de 6$ par
acre lorsqu’il achète du soja RR. Un programme conventionnel est estimé entre 14$ et 25$
par acre, un programme STS peut aller de 11$ à 28$ , enfin un programme RR va de 16$ à
32$ par acre (taxe incluse)
L’introduction de cette nouvelle technologie a causé une baisse des prix des
herbicides (ce qui est également vrai pour le glyphosate dont le prix a baissé de 22% entre
1995 et 1998). D’après les auteurs, ce phénomène est la preuve que les agriculteurs ont
dépensé moins en herbicide494. Ils affirment que sur les Etats qui ont pu faire l’objet de

490
Barrentine, W.L., « Common Cocklebur Competition in Soybeans » Weed Science, November 1974.
491
Wilcut, John W., et al., « The Niche for Herbicide Resistant Crops in U.S. Agriculture » in Herbicide
Resistant Crops, CRC Press, 1996.
492
Leonard P. Gianessi, Janet E. Carpenter, Agricultural biotechnology benefits of transgenic
soybeans, April 2000, National Center for Food and Agricultural Policy.
493
Gonzini, Lisa C., et al., « Herbicide Combinations for Weed Control in Glyphosat Tolerant
Soybeans » in Proceedings North Central Weed Science Society, 1996.
494
« The price of glyphosate was also reduced in 1998 by 22%. The result of lower priced Roundup
Ready treatments in comparison with competitive herbicides and the lowering of the price for key

233
l’enquête entre 1995 et 1998, les agriculteurs ont dépensé 380 millions de $ de moins en
herbicide. Si on prend en compte, la taxe sur la technologie, équivalente à 160 Millions de $,
on peut dire qu’ils ont économisé 220 Millions de $. Telle est la conclusion de Leonardo et
Gianessi pour cette enquête.

Avantages Comparés : une plus grande commodité mais un rendement moindre ?


On ne peut cerner les bénéfices qu’apportent les PGM, qu’en les comparant avec ceux
apportés par les plantes issues de la sélection classique. En Janvier 2001, Janet E. Carpenter
édite un rapport pour comparer les récoltes de 1999 du Soja classique et du Soja Roundup
Ready495. Elle commence par rappeler la popularité de la plante qui en l’espace de 5 ans a vu
accroître la superficie des semis de 54%. Ce succès, d’après J.E Carpenter serait avant tout
dû à la commodité qu’elle apporte aux agriculteurs. Grâce à celle-ci, ils n’ont plus à choisir
entre plusieurs herbicides, comme ils devaient le faire auparavant, certains étant à l’origine
de dommages causés aux cultures.
Aussi face à cette adoption rapide, l’annonce de rendement moindre est venue
troubler l’atmosphère euphorique des débuts de cette plante. En effet des études menées en
1998 par des chercheurs de l’Université du Wisconsin sur des variétés d’essais dans 8 Etats
du Nord démontraient que le Soja Roundup Ready avait des rendements 4% plus bas que
les rendements du soja conventionnel (Oplinger et al. 1998)496. Aussi, certains experts ont
utilisé ces résultats pour affirmer qu’ils étaient dus à une déformation génétique causée par
transgenèse497.
Or d’après Janet Carpenter, pour bien comprendre l’impact que l’adoption du Soja RR
par les agriculteurs a eu sur les rendements, il faut prendre en considération 2 secteurs de
recherche : le premier consiste à étudier les stratégies de désherbage, le second, les variétés
d’essais, où l’on a effectivement comparé le soja conventionnel avec le soja RR498. Dans le
cas des « essais de désherbage » (weed control trials) on compare l’efficacité des
programmes contre certaines herbes afin de déterminer l’application du taux optimal

herbicides including glyphosate meant that soybean growers spent significantly less on herbicides in
1998 than in 1995. », in Leonard P. Gianessi, Janet E. Carpenter.
495
Janet E. Carpenter, Comparing Roundup Ready and Conventional Soybean Yields 1999 , National
Center for Food and Agricultural Policy, January 2001.
496
Ibid., p.2
497
« However, some analysts distorted this finding, asserting that this difference was due to an
inherent problem with the Roundup Ready varieties resulting from the process of genetic modification
(Benbrook). » Ibid, p.3.
498
« When assessing the impact that the adoption of Roundup Ready soybeans has had on grower
yields, two areas of research contribute to understanding. The first is weed control research
comparing weed control strategies. The second type of research is variety trials, where the yield
potential of conventional and Roundup Ready varieties have been compared. », Ibid., p.4.

234
d’herbicide et du temps nécessaire pour désherber. Aussi les différences de rendement
observées ont pour cause une plus grande efficacité de désherbage due à la capacité qu’ont
les plantes à résister aux traitements herbicides. D’après l’auteur, ces études n’ont pas pour
but de tester les différences de rendements entre les espèces puisqu’elles n’ont très souvent
recours qu’à une seule espèce. Il semble par conséquent difficile de généraliser les résultats
obtenus à partir de ce genre d’étude pour affirmer une quelconque différence de rendement.
L’auteur ajoute que ces tests n’incluent pas toujours toutes les variétés qui sont disponibles.
Aussi, lorsque l’on constate une différence entre le rendement potentiel d’une variété
classique et d’une variété RR, celle-ci ne peut être due qu’à une différence des facteurs
agronomiques (agronomic background) de la variété de RR disponible. En effet, le trait de
résistance au Roundup n’a pas encore été introduit dans toutes les variétés existantes. Tous
ces croisements sont effectués selon des techniques de reproduction classiques et prennent
du temps, car elles nécessitent d’effectuer suffisamment de croisement pour obtenir le
caractère désiré.
Ces remarques importantes servent de préambule à la communication des résultats
donnés pour la saison 1998/1999. Sur l’ensemble des études qui ont été menées dans 8
Etats américains, le soja RR a donné un rendement équivalent à 97% du rendement des
espèces conventionnelles. Concernant le rendement du soja RR, il existe plusieurs
interprétations qui ne se fondent apparemment pas sur les mêmes données. D’après J.E.
Carpenter, il existe 2 points de vue différents : celui qui se fonde sur le résultat des
Universités et qui met le manque à gagner du soja RR avant celui des autres espèces ; et
celui de Monsanto qui a présenté des données qui montrent que le soja RR dépasse les
moyennes nationales en termes de rendement499. Ce problème est vu plus en détail dans un
autre article.
Janet E. Capenter commente alors l’ensemble de ces résultats en effectuant une
critique de Charles E. Benbrook, un consultant célèbre pour sa participation à la controverse
des PGM aux USA. D’après elle, ces résultats ont fait l’objet d’études par l’expert en 1998 qui
a repris les travaux menés par l’université du Wisconsin, les a approfondis et en a élargi
l’analyse avec des résultats obtenus dans le sud du Wisconsin et le sud du Minnesota. Il
aurait affirmé que la méthode la plus précise consiste à comparer les rendements produits
côte à côte avec une lignée isogènique dont la seule différence est la possession d’un gène

499
« There are different points of view regarding the impacts of the wide-spread planting of Roundup
Ready soybean on yield. On one hand, some argue that university performance data show the
Roundup Ready varieties lagging behind other varieties in terms of yield. On the other hand,
Monsanto has presented data that show that Roundup Ready soybeans outyielded national averages
in 1998. » Ibid., p.65.

235
de tolérance au glyphosate. Or en disant cela, Carpenter affirme que Benbrook trompe ses
lecteurs en leur faisant croire que ses propres analyses sont basées sur de tels essais, alors
qu’elles sont fondées sur des comparaisons variétés différentes500. Benbrook, dont les
rapports font aujourd’hui office de référence, aurait pris les plus mauvais rendements alors
qu’il avait à sa disposition les chiffres des rendements obtenus par de meilleures espèces501.
Après avoir comparé les meilleures espèces de soja RR et de soja classique, il affirme que la
seule différence qui existe entre les 2 espèces consiste dans l’insertion du transgène et il en
déduit que ce facteur se trouve à l’origine d’un rendement moindre (« yield drag »). Or J.
Carpenter critique cette affirmation ; en effet, il est nécessaire de considérer d’autres
facteurs pour expliquer le manque à gagner de production. Dans l’expérience citée, il ne
semble pas possible d’identifier quelles variétés possèdent des antécédents génétiques
similaires. La seule hypothèse émise par Benbrook est la présence d’un manque à gagner
(yield drag) dû à l’introduction d’un transgène RR, alors qu’il faudrait plutôt parler d’un retard
au niveau du rendement (yield lag) dû au fait que le caractère RR n’a pas encore pu être
introduit dans les variétés de soja les plus performantes. Si on compare le rendement de
l’année 98 et celui de l’année 99, on s’aperçoit que le fossé entre le manque à gagner des
sojas génétiquement modifiés et classiques passe de 4% à 3%. Aussi Carpenter est
persuadée que cette différence disparaîtra quand le transgène sera introduit dans les
meilleures espèces502. Une certaine prudence doit être de mise quant à l’interprétation des
résultats.
Des études comparatives ont été menées par des chercheurs à partir de données
obtenues à la suite des essais en champ dans l’Etat du Tennessee en 1995, 1996 et 1997. Il
a été démontré que le soja RR était le plus profitable, permettant un retour de 13%
supérieur à la 2ème meilleure alternative503 ; par contre d’autres études similaires ont été
effectuées en Arkansas qui démontraient que 2 programmes conventionnels étaient les plus

500
« With this comment, he misleads his readers by implying that his analysis is based on such trials,
when in reality the variety trials that he analyzes compares varieties that differ in many characteristics
besides the Roundup Ready trait. » Ibid.
501
« The analysis continues by reporting the results from the analysis conducted by Wisconsin
researchers, with an important difference: Benbrook has recalculated the bottom line results. Three
overall averages were presented by the Wisconsin researchers, comparing Roundup Ready and
conventional yields for all entries, for the top five varieties and for the top variety. The Wisconsin
researchers clearly present their average differences, 4%, 5% and 6%, for the three comparisons,
respectively. Benbrook derives different and larger numbers, 5%, 6% and 7%, respectively. »Ibid.
502
« As the Roundup Ready trait is introduced into the highest yielding varieties, it is expected that
this difference will disappear, or even be overcome. However, one must be cautious in interpreting the
results of variety trials as many other factors besides yield potential, such as costs and weed control
efficacy, affect growers’ planting decisions and, ultimately, yields. » Ibid.
503
Roberts, Roland K., et al., « Economic Analysis of Alternative Herbicide Regimes on Roundup
Ready Soybeans, » Journal of Production Agriculture, vol. 12, no. 3, 1999.

236
avantageux et que 2 programmes RR, seulement avaient un bénéfice positif504. En Louisiane,
c’est un traitement qui combine le metribuzin et le Roundup qui s’est avéré être le plus
avantageux, mais le plus coûteux505. Dans le Mississipi, on a effectué des tests à partir des 3
meilleures variétés de RR, les bénéfices nets ont été supérieurs de 60$/ acres506. Les auteurs
du rapport citent encore de nombreuses études. Une idée se dégage : le rendement du soja
RR serait légèrement inférieur à celui du soja classique ; d’après Carpenter cette technologie
permettrait cependant à ses utilisateurs de réaliser des économies considérables.

Appliquer en grande quantité un seul herbicide au lieu d’une quantité moindre d’herbicides
différents.
En ce qui concerne maintenant l’usage d’herbicide, en multipliant le nombre d’acres traités
par le nombre moyen d’applications par acre pour chaque ingrédient actif, on obtient des
estimations pour chaque ingrédient actif507. Une « application-acre » (application-acre) est le
nombre de différents ingrédients actifs appliqués par acre, multiplié par le nombre répété
d’applications. Une réduction de ce nombre d’application-acre reflète une réduction du
nombre d’ingrédients actifs employés. En tout, le nombre d’herbicide (« application acres »)
a diminué de 12,5 million entre 1995 et 1998, dans les 13 Etats, soit une baisse de 9% et ce,
alors même que la production de soja augmentait de 12%. On suppose donc que l’usage du
glyphosate en herbicide de post-émergence permet d’éviter d’avoir recours à d’autres types
d’herbicides et donc entraîne une réduction du nombre total d’herbicides utilisés.
En ce qui concerne maintenant la quantité globale d’herbicides utilisés, une enquête
de l’USDA démontre que le nombre total de livres appliquées a augmenté de 14% entre
1995 et 1998, passant de 52 millions à 59 millions de pounds. Gianessi et Carpenter
affirment alors que cette croissance est due à l’augmentation de 12% de la superficie des
plantations de soja. De 1995 à 1998, la quantité totale d’herbicides a augmenté, mais,
toujours d’après les auteurs, il n’est pas possible de déterminer si cette augmentation est
due à l’utilisation du soja RR ou non, car elle concerne une dizaine d’autres produits508.

504
Webster, Eric P., et al., « Weed Control and Economics in Nontransgenic and Glyphosate-Resistant
Soybean (Glycine max) », Weed Technology, vol. 13, 1999.
505
Miller, D.K., et al., « Evaluation of Reduced Rate Preemergence Herbicides in Roundup Ready
Soybean Weed Control Programs », Proceedings, Southern Weed Science Society, 1998.
506
Arnold, J.C., et al., « Roundup Ready Programs Versus Conventional Programs: Efficacy, Varietal
Performance, and Economics », Proceedings, Southern Weed Science Society, 1998.
507
By multiplying the number of treated acres by the average number of applications per treated acre
for each active ingredient, estimates are made of the total number of “application-acres” for each
active ingredient.
508
« It is not possible to determine whether the increase in herbicide use amounts occurred on the
Roundup-Ready acreage or the non-Roundup-Ready acreage. For example, increases in the per acre
treatment amount was recorded for 10 active ingredients in addition to glyphosate. », ibid., p.74

237
On notera encore comme autres conséquences de l’introduction du soja RR, l’absence
d’intervalle nécessaire entre l’application du glyphosate et la rotation avec une autre plante,
ce qui n’est pas le cas avec le soja classique. Enfin les auteurs affirment que l’introduction du
soja RR a été une alternative pour les agriculteurs qui ont rencontré des problèmes avec des
mauvaises herbes qui étaient devenues résistantes à certains herbicides ; la conséquence
étant l’augmentation de la superficie de soja plantée.
En conclusion ils reviennent sur l’enjeu de la résolution de ces problèmes pour
l’agriculture américaine. L’usage de pesticide est l’un des facteurs majeurs qui a permis
l’obtention de récoltes conséquentes et un véritable progrès par rapport aux solutions
mécaniques d’arrachage des herbes. Ils rappellent que le soja RR a remporté un grand
succès parce qu’il rend le désherbage moins compliqué, il lui donne un spectre plus large, il
est moins nocif à l’égard des plantes, il permet plus de souplesse dans les temps de
traitement et autorise des rotations de culture plus facile. En plus de ces facteurs, on peut
dire que ces technologies affichent un prix compétitif avec le prix existant ; cette nouveauté
ayant permis de réduire les prix des herbicides. Enfin l’introduction du soja RR a permis de
substituer un seul épandage aux épandages de plusieurs ingrédients.

Les bénéfices estimés de la protection contre les insectes


Après avoir étudié le cas du soja qui est la première plante génétiquement modifiée aux
Etats-Unis par la superficie, voici le résumé des avantages estimés de 3 autres plantes : le
maïs Bt, le coton Bt509

Le cas du maïs Bt
Le maïs, avec 80 millions d’acres, représente la première superficie de plantes aux Etats-
Unis, soit 25% de l’ensemble des plantations américaines. En 1997 et 1998, les rendements
moyens étaient 127 et 134 boisseaux par acre avec un total de 9 millions de boisseaux en
1997. Le principal usage du maïs produit aux Etats-Unis est l’alimentation animale (5,8
millions de boisseaux). 1,8 million de boisseaux servent pour l’alimentation humaine, les
graines et l’usage industriel et 1,6 millions part à l’exportation. Comme on a eu l’occasion de
le voir précédemment consacré au maïs Bt, le maïs est la proie de nombreux insectes
parasites. Les maïsiculteurs dépensent approximativement 380 millions de $ par an en
insecticide et appliquent 26 millions de livres510. Généralement, la plupart des insecticides

509
Leonard P. Gianessi, Janet E. Carpenter, Agricultural biotechnology, Insect Control benefits , July
1999
510
Ibid., p.6

238
sont épandus au moment des semis, afin de se débarrasser des insectes qui se trouvent
dans le sol. On effectue aussi parfois des applications foliaires, mais à très petites doses. Le
maïs Bt a été conçu afin de maîtriser les dégâts causés par la pyrale. On a pu calculer que 3
à 5 larves par plant peuvent réduire le rendement moyen du maïs de 11,6 à 18,8%511. Dans
les 60 dernières années, les chercheurs ont tenté de sélectionner le caractère de résistance à
la pyrale512. En 1969, on a planté approximativement 21 millions d’hectares de maïs dont les
pedigrees contenaient au moins une lignée avec un caractère de résistance à la première
génération de pyrale.
On a entrepris également de nombreuses recherches pour améliorer la lutte
biologique contre la pyrale. C’est ainsi que l’USDA a fondé un laboratoire européen des
parasites en France afin de collecter des ennemis naturels de la pyrale en 1919513. Sur les 24
sortes de parasites de la pyrale qui ont été importées, la plus efficace était une mouche :
Lydelle thompsoni. Pourtant ce parasite semble avoir disparu. On ne peut cependant pas se
fier aux prédateurs biologiques étant donné le fait qu’ils sont sensibles aux conditions
environnementales. De nombreuses expériences ont été réalisées également afin de trouver
un insecticide efficace. On retiendra surtout l’impact d’insecticides tels que le DDT ou encore
les insecticides systémiques qui sont répandus sur le sol et intègrent le corps de la plante
quand celle-ci grandit pour être ingérée par la pyrale. Une expérience récente a montré
l’efficacité d’un insecticide nommé Fipronil qui a permis d’éliminer 76% de la première
génération de pyrale. Appliqué sur le sol, le Fipronil intègre les tissus de la plante où il reste
actif pendant 10 jours. Il est de la plus grande importance de ne pas manquer le moment
opportun de l’application. En effet, les épandages ne sont efficaces que 2 ou 3 jours après
que les œufs n’aient éclos et avant que les larves creusent dans la tige. Des études ont
démontré qu’un usage précautionneux des insecticides pour éliminer la première et la
seconde génération de pyrales avaient permis de produire 11 à 17 boisseaux de plus par
acre, qu’en ce qui concerne les portions non-traitées514. Pour ne pas passer à côté du
moment opportun pour traiter la pyrale, il est nécessaire de surveiller attentivement le
moment entre l’éclosion et la percée dans la tige. Pour cela des techniques ont été mises en
place. Dans une étude récente, le service d’extension des entomologistes a estimé le
pourcentage d’insecticides utilisé pour éliminer la pyrale. Les 2 insecticides les plus utilisés en
1996 étaient le permethrin et le methyl parathion (60-70%). On a pu estimer que 1474

511
Godfrey, L.D., et al., « European Corn Borer Tunneling and Drought Stress: Effects on Corn Yield »
Journal of Economic Entomology, December 1991.
512
Gianessi & Carpenter, p.12
513
Drea, John J., « The European Parasite Laboratory: Sixty Years of Foreign Exploratio » in Biological
Control in Crop Protection (BARC Symposium number 5).
514
« Yield Losses from Corn Borer » Integrated Crop Management, Iowa State University, 4-14-97.

239
millions de livres de ces produits ont été utilisés pour éliminer la pyrale. Cependant, la
plupart des agriculteurs préfèrent ignorer la pyrale que de chercher à l’éliminer : les
dommages causés sont cachés ; la surveillance prend du temps et requiert certaines
compétences, enfin la volonté de restreindre certains investissements pour la culture du maïs
surtout si les bénéfices sont estimés être faibles limitent les tentatives des maïsiculteurs. Les
pertes causées par ce ravageur sont variables aussi une étude récente a estimé que les
dommages en 1995 dans le Minnesota, équivalaient à 285 millions de $. Une étude récente
aurait démontré que les pertes annuelles seraient de 1 milliard de $ chaque année515. De
nombreuses recherches ont été entreprises afin de trouver des solutions alternatives,
notamment à partir de fungus.
Dans ce contexte présenté par les auteurs, on comprend l’intérêt des chercheurs qui
ont développé le maïs Bt. Jusqu’à présent sur le marché, on trouve 5 traits (event) : Bt 176
de Novartis et de Mycogen, le Bt 11 de Northrup King et de Novartis, le Mon 810 de
Monsanto, le DBT418 de Dekalb Genetics et le CBH351 d’AgrEvo. Ces sortes (event) varient
en fonction de la protéine Cry qu’elles produisent. Par exemple, le Starlink® contient la
protéine Cry9C. En 1992, un test a été effectué pour vérifier l’efficacité du Maïs Bt. La
principale conclusion était qu’un très haut niveau de protection a pu être maintenu pendant
les 8 semaines d’infestations répétées de ces 300 larves de ravageurs516. On distinguera
cependant 2 types de maïs : ceux qui produisent la protéine en continu dans toutes les
cellules de la plante (le Starlink® et le YieldGard®) et ceux qui ne l’expriment que dans les
tissus verts de la plante. Alors que les premiers réussissent à éliminer 98% des pyrales pour
toute la durée, les seconds n’en éliminent que 50 à 70% lors de la seconde génération517. En
1997, l’université de Minnesota a comparé le maïs Bt et non-Bt à 3 emplacements différents.
L’hybride Bt Yieldgard a donné un rendement moyen de 15, 11 et 11,4 boisseaux de plus
que la variété équivalente non-Bt518. De nombreuses autres expériences ont pu démontrer
l’efficacité de cette technologie et une capacité moyenne d’élimination des ravageurs a pu
être établie à 96%, sachant que certaines plantes n’expriment pas totalement la bactérie. En
1998, les maïsiculteurs ont planté 18% de la superficie totale de maïs en Bt (soit 13% de
plus qu’en 1997). Les auteurs supposent que l’introduction de Bt sur le marché est pour, en
moitié, à l’origine de la baisse du recours aux 4 insecticides qui étaient habituellement

515
Mason, Charles E., et al., « European Corn Borer: Ecology and Management », North Central
Regional Extension Publication no. 327, Iowa State University, January 1996.
516
Koziel, N.G., et al., “Field Performance of Elite Transgenic Maize Plants Expressing an Insecticidal
Protein Derived from Bacillus Thuringiensis,” Bio/Technology, 11, 194-200, 1993.
517
Rice, Marlin, and Clinton D. Pilcher, « Potential Benefits and Limitations of Transgenic BT Corn for
Management of the European Corn Borer, » American Entomologist, Summer 1998.
518
« BT Hybrids Beat Borers in ’97 » Soybean Digest, February 1998.

240
employés. Monsanto et Novartis ont fait de nombreuses études pour démontrer les
avantages du maïs Bt. Certaines études ont montré également que même sans la pression
de sélection de la pyrale, le maïs Bt avait un rendement comparable à son équivalent
classique.
Si on admet que l’augmentation du rendement moyen par acre du maïs Bt était de
11,7 boisseaux en 1997 pour 1,5 millions d’hectares de maïs Bt et 4,2 boisseaux en 1998
pour 5,3 millions d’hectares, on obtient une augmentation totale de 47 millions de boisseaux
en 1997 et de 60 millions de boisseaux en 1998. Aussi partant du fait que le rendement
moyen est de 50 boisseaux de maïs par hectare on peut estimer que sans la présence du
maïs Bt, les pertes auraient été équivalentes à une superficie de 130000-167000 hectares.
Pour ce qui concerne les gains : payant le prix de 10$ par acre pour le maïs Bt, et
estimant qu’un boisseau de maïs a pu rapporter 2,43$ en 1997 et 1$95 en 1998, implique
que le rapport moyen de Bt était de 18$ en 1997 et de –1,81$ en 1998. En tout les
maïsiculteurs ont gagné 72 millions de dollars en 1997 et perdu 26 millions de dollars en
1998 en plantant du maïs Bt. Ces moyennes ne sont cependant pas représentatives de
toutes les régions. En effet, certains maïsiculteurs qui ont dû faire face à des infestations
massives de pyrales ont pu tirer profit de l’usage de Bt. Des études prospectives ont été
réalisées par Monsanto pour estimer le gain qu’auraient pu réaliser les maïsiculteurs s’ils
avaient planté du Bt : la perte de rendement aurait été réduite de 96% à un coup de 8$ par
acre519. Ainsi il a été calculé, en prenant en compte les pertes dues à la pyrales que sur 10
des 13 années qui séparent 1986 à 1998, les maïsiculteurs auraient obtenu un retour net de
520
4$ par acre à 37$ par acre (voir tableau ci-dessous).)

519
Leonard P. Gianessi, Janet E. Carpenter, Agricultural biotechnology, Insect Control benefits , July
1999, p.32.
520
« YieldGard: The Whole Plant The Whole Season, » Monsanto, 1999.

241
Toutes ces données semblent donc confirmer l’extrême compétitivité du maïs Bt et
démontrent sa capacité à résoudre un problème fondamental que la sélection classique
essayait de démêler depuis plus d’un demi-siècle sans succès.
Dans un rapport de 2001521, les mêmes auteurs proposent une mise à jour de
l’ensemble de ces données, dont voici quelques résultats. Carpenter et Gianessi rappellent la
prompte adoption du maïs Bt avec 26% de la superficie totale en l’espace de 4 années.
Cependant, cette tendance a subitement baissé en 2000, ce qui d’après les experts, est dû à
la faible pression des ravageurs en 1998 et 1999. Ils insistent sur la grande variabilité de la
rentabilité du maïs Bt en fonction de la pression de sélection exercée par le ravageur ; celle-
ci étant imprédictible. Ainsi en 1999, les maïsiculteurs auraient réduit les pertes de 66
millions de boisseaux, l’équivalent de 202500 hectares.
En ce qui concerne la diminution de l’usage d’insecticide, ce facteur est difficilement
quantifiable étant donné le fait qu’avant l’introduction de Bt, les maïsiculteurs n’avaient pas
recours à un insecticide en particulier pour détruire l’ECB. On peut cependant remarquer que
les 4 principaux insecticides qui sont généralement recommandés contre la pyrale ont vu leur
utilisation décroître : chlorpyrifos (-2%), permethrin (-1%), Bt (-1%) et methyl parathion (-
2%). La réduction du pourcentage de l’ensemble des insecticides est 6%.

Tableaux synthétiques des coûts, des bénéfices du maïs Bt et de l’augmentation de la


production globale de maïs Bt et de l’usage des pesticides utilisés pour le traitement de la
pyrale.

521
Janet E. Carpenter Leonard P. Gianessi Agricultural Biotechnology: « Updated Benefit Estimates »,
January 2000

242
Le coton Bt
En 1998, 14 millions de bales de coton ont été récoltées sur plus de 10 millions d’acres. La
valeur totale de ces récoltes était de 4 milliards de $. Le Texas est le plus gros Etat
producteur avec 26% de la production. Chaque année, les planteurs de coton utilisent des
pesticides pour éliminer les nombreux insectes ravageurs qui réduiraient autrement
considérablement les rendements. Les principaux ravageurs du coton sont ceux qui
attaquent les graines ou les bourgeons des fleurs qui les précèdent. Les ravageurs de second
ordres sont ceux qui attaquent les feuilles, les pieds et les semences plantées522.
L’importance des dommages causés par les ravageurs varie en fonction des régions. Dans la
plupart des états, 90% des superficies sont traitées. En 1998, le premier insecte du coton
était le ver de la graine (bollworm) : en infestant 9 millions d’acres il a causé 2,7% de
réduction du rendement de l’ensemble de la récolte américaine. L’anthonome du cotonnier
est le second ravageur avec 2,3 % de pertes causées pour 5,9 millions d’acres infestés. Ces
degrés d’infestation varient d’un Etat à un autre. Aussi, chaque année, les planteurs de coton
dépensent approximativement 480 millions de $ en insecticides et appliquent environ 20
millions de livres d’ingrédients actifs. Le coton Bt a été génétiquement modifié pour résister
au ver du bourgeon du tabac (tobacco budworm), le ver de la graine du coton (cotton
bollworm).
Au début du siècle, les planteurs avaient recours à des mesures non chimiques ; en
1918, les premiers moyens chimiques sont apparus avec des applications aériennes
de calcium arsenate ; après la 2ème guerre, on a introduit les organochlorines (DDT, benzine
hexachloride, toxaphene, chlordane, methoxychlor) ; malgré les succès remportés par cette
génération d’herbicide, on a dû les remplacer par les organophosphates et les carbamates, à
la suite de la résistance qu’ils avaient suscité parmi les insectes cibles. Ceux-ci n’étaient
cependant pas si efficaces. Les pyréthroïdes synthétiques sont apparus dans les années
1970, offrant aux planteurs un moyen efficace d’éliminer les ravageurs avec un matériel

522
Bottrell, Dale G., et al., « Cotton Insect Pest Management, » Annual Review of Entomology, vol.22
1977.

243
appliqué à faible dose. Mais, au début des années 1980, ce moyen a, lui aussi, causé la
résistance des vers.
En 1995, l’année précédant l’introduction du coton Bt, l’enquête de la fondation du
coton estimait qu’une moyenne de 2,4 applications d’insecticides était effectuée pour
éliminer les vers (bollworm/budworm) et que 3,97% de pertes étaient dues à ces 2
ravageurs. Aussi, dans de nombreux Etats, on a constaté l’apparition de populations
résistantes. De nouveaux insecticides ont récemment été découverts, mais aussi, on a
essayé de développer les méthodes non-conventionnelles telles que l’introduction d’insecte
stériles ou encore la propagation de virus.
C’est en 1996 qu’a été commercialisé le coton Bt. L’introduction du transgène s’est
faite par l’intermédiaire d’une bactérie du sol Agrobacterium Tumefaciens. Des tests réalisés
en champs ont démontré que la plante génétiquement modifiée était efficace contre ces 3
principaux prédateurs523.
Tableau des ravageurs sensibles à Coton Bt

L’adoption du coton a été très rapide dans certaines régions et plus lente dans d’autres. En
tout, le coton Bt a été planté à 14% de l’ensemble de la superficie totale du coton américain.
En 1998, on est passé à 18%. Les planteurs qui choisissent le coton Bt sont dans l’obligation
de planter une zone refuge, afin de pouvoir gérer d’éventuelles apparitions de populations
résistantes. On attend de cette nouvelle technologie qu’elle fasse baiser la quantité de
pesticides utilisée, qu’elle réduise le coût des insecticides utilisés, augmente les rendements
et enfin que les planteurs soient soulagés de la pression des principaux ravageurs.
Des études qui ont été menées dans 6 Etats (Alabama, Arizona, Floride, Georgia,
Louisiane et Mississipi) ont démontré que l’introduction du maïs Bt aurait permis une baisse

523
Moore, Glen C., et al., « Bt Cotton Technology in Texas: A Practical View », Texas Agricultural
Extension Service, L-5169, 1999.

244
de l’utilisation d’insecticides de 12% entre 1995 et 1998524. Ce résultat est cependant à
mettre en perspective avec le fait que les planteurs sont venus à bout de certains ravageurs
et avec le fait qu’ils ont concentré leur usage de pesticides sur certains produits. En ce qui
concerne le rendement, une étude sur 3 années a pu être effectuée en Caroline du Nord qui
a permis de comparer 307 champs de coton Bt avec 307 champs de coton classique. Le
nombre d’applications moyenne pour le maïs Bt était de 0,77 alors que pour le coton
classique, il était de 2,65 fois. Les premiers ont subi 40% moins de dégâts causés par les
vers de la graine (bollworms), alors que les punaises (stinkbug) ont été à l’origine de 4 fois
plus de dégâts dans les seconds525.
De nombreuses études du même genre ont été réalisées qui prenaient également en
compte le calcul des revenus. Or si l’on s’en tient aux bénéfices nets, alors, celui-ci a
augmenté en moyenne de 38,18$ par acre, ce qui prend en compte la taxe pour la
technologie (en moyenne 32$/acre en 1998) et le prix plus cher des semences Bt526. Si on
estime que les planteurs qui adoptent la variété Bt obtiennent un bénéfice net de 40$ par
acre, le bénéfice net total de l’adoption du coton Bt en 1998 serait de 92 millions de $527.
Une fois de plus, les auteurs du rapport semblent avoir démontré les avantages de
l’adoption d’une PGM. Dans la mise à jour des données paru en 2001528, on constate que le
coton génétiquement modifié, de par son taux d’adoption, est la semence qui remporte le
plus grand succès. En effet, la surface de celui-ci est équivalente à 72% de la superficie
totale des plantations de coton. On trouve regroupé sous ce chiffre les variétés résistante
aux insectes et/ou aux herbicides. L’impact de cette adoption a été l’augmentation du
rendement, la diminution de l’usage de certains pesticides et enfin des profits. Le
phénomène le plus remarquable étant la baisse de l’usage de certains insecticides. La
quantité d’insecticides a décliné de 2,7 millions de livres en 1999, ainsi que le nombre
d’applications d’insecticides qui a diminué de 15 millions la même année.
Enfin, Carpenter et Gianessi affirment que certaines estimations effectuées ont
calculé que les revenus nets obtenus sur les 4,67 millions d’acres de Bt coton en 1999
équivaudraient à une augmentation de revenus de 99 millions de $ et une augmentation de

524
Williams, Michael R., « Cotton Insect Losses, » Proceedings Beltwide Cotton Conferences, 1987-
1999.
525
Bacheler, Jack S., « 1999 Bollgard Cotton Performance Expectations for NorthCarolina Producers, »
Carolina Cotton Notes, 99-5-A, May 1999.
526
Leonard P. Gianessi, Janet E. Carpenter, Agricultural biotechnology, Insect Control benefits , July
1999, p.62.
527
Ibid., p.63-64.
528
Janet E. Carpenter Leonard P. Gianessi Agricultural Biotechnology: Updated Benefit Estimates ,
January 2001.

245
la production de coton de 260 millions de livres.

Conclusion
D’après les rapports que nous venons d’étudier, tout porte à croire que les PGM sont une
source de profit pour les agriculteurs, même si on observe de nombreuses variations en
fonction des plantes et des caractères ; de ce point de vue, les adoptions inégales de coton,
de soja et de maïs servent de preuves. Ils permettent, grâce à une simplification des
méthodes de traitement, un plus grand respect de l’environnement (par exemple, un seul
herbicide au lieu de plusieurs) tout en offrant une solution beaucoup plus pratique pour les
agriculteurs. Ils amènent, malgré leurs coûts élevés un plus grand profit (il apparaît que les
rendements augmentent alors que la balance des coûts investis s’équilibre du fait d’une
économie réalisée sur les autres pesticides ou sur l’effort pour les répandre). Les données
que nous venons de présenter ne portent cependant que sur un court laps de temps et ne
concernent que les principales plantes génétiquement modifiées : celles de la première
génération qui ont fait l’objet des plus nombreuses critiques ; or, de par ce fait, on pourrait
avoir une vision réduite de la technologie. Aussi, un rapport édité par le NFCAP en juin 2002
passe en revue pas moins de 40 études de cas de diverses variétés de plantes
génétiquement modifiées529. Ce dernier offre une véritable synthèse de tous les avantages
de la technologie. On va voir pourtant que les thèses soutenues par ces rapports sont loin de
faire l’unanimité.

Les rapports Benbrook


Dans un article paru en Décembre 2001, Charles Benbrook se pose la question de la
véritable valeur agronomique du maïs Bt530. Dans ce texte, dont le consultant revendique
qu’il est la première évaluation indépendante nationale au niveau économique agricole531,
l’auteur se demande : « Est-ce que les rendements du maïs Bt valent le prix que payent les
fermiers pour cette variété ?»532. D’après Benbrook, de 1996 à 2001, les agriculteurs ont
payé plus de 659 million de $ en primes, alors qu’ils n’ont augmenté leur récolte que de 276

529
Leonard P. Gianessi, Cressida S. Silvers, Sujatha Sankula, Janet E. Carpenter, Plant Biotechnology:
Current and Potential Impact for Improving Pest Management in U.S. Agriculture An Analysis of 40
Case Studies, NFCAP, june 2002
530
Dr. Charles M. Benbrook, When Does It Pay to Plant Bt Corn? Farm-Level Economic Impacts of Bt
Corn, 1996-2001, December 2001
531
« The first independent national evaluation of farm-level economic impacts »Ibid.
532
« Farmers pay a significant premium for Bt corn varieties. But do increased yield benefits justify
the added expenditure? »Ibid.

246
millions de boisseaux, ce qui équivaut à une somme de 567 million de $ de gains. Le revenu
pour les agriculteurs est donc une perte de 92 millions de $, soit 1,31$ par acre. L’auteur
ajoute qu’il est important de prendre en compte les facteurs biotiques (fréquence et nature
des infestations) et abiotiques (météo) propres à chaque ferme. Aussi, Benbrook affirme être
surpris par la variation du prix des graines de maïs Bt. Certains fermiers ont dû payer une
prime de 30$ par acre (beaucoup plus que la prime habituellement annoncée de 8 ou 10$
par acre), alors que certains ont reçu une remise qui réduit le prix de manière importante.
En effet, dans certains cas, les graines de Bt sont moins chères que plusieurs variétés d’élites
conventionnelles. Le lien entre le prix des graines et le rendement est trompeur surtout dans
le cas où la pression de sélection de la pyrale est très faible.
Selon le consultant, la sélection de bonne variété traditionnelle peut augmenter les
rendements de 20 à 40$ par acre et une gestion efficace peut limiter les pertes avec des
traitements ciblés ou d’autres techniques. Si l’investissement dans le maïs Bt a été rentable
pour les années 1996, 1997 et 2001, il a été à l’origine de pertes en 1998, 1999 et 2000. Il
semble que la technologie a connu ses meilleurs résultats en 2001 à la suite d’une forte
infestation de pyrale, mais ces données restent précaires. Benbrook remarque également
que le maïs Bt oblige les maïsiculteurs à faire un investissement qui est 30, voire 35% plus
haut que le prix de variétés conventionnelles. Les fermiers qui connaissent et comprennent
la dynamique des populations de pyrales et sont volontaires pour essayer des techniques de
gestion non-Bt peuvent en toute tranquillité trouver des solutions plus profitables que de
planter chaque année avec du maïs Bt.
L’auteur donne alors des conseils: les graines les plus chères ne sont pas forcément
les plus rentables, des hybrides bien testés et adapté au sol de la région dans laquelle ils
sont plantés, ne donne pas beaucoup de risques… En conclusion, il affirme que de 1996 à
2001, les croissances de rendement dues au maïs Bt n’ont pas permis de couvrir les
dépenses engagées. Le maïs Bt ne serait pas différent des autres technologies. Les 276
millions de boisseaux qui ont été mis en vente sur le marché de 1996 à 2001 ont eu un effet
de vague sur l’économie des fermes. Le prix moyen qu’ont perçu les fermiers est plus bas
étant donné la plus grande offre. Les controverses internationales sur le maïs Bt ont eu
aussi pour effet de réduire les ventes à l’exportation de centaines de millions de boisseaux,
augmentant ainsi l’offre sur le sol américain. L’auteur finit par affirmer que la période de 6
années est beaucoup trop courte pour juger et qu’il faut encore donner du temps à la
technologie (pour réaliser des variétés issues de croisements) et aux maïsiculteurs qui
l’utilisent (pour qu’ils apprennent à s’en servir). Il faudra également vérifier que la
technologie ne se trouve pas à l’origine d’effets secondaires indésirables (résistance de la

247
pyrale, destruction des bactéries du sol). En ironisant, l’auteur rappelle aux agriculteurs qu’ils
devraient être plus attentifs à la prochaine vague de PGM et vérifier si celle-ci est en mesure
de leur apporter de véritables profits, ou de leur retirer une part de la marge de rendement
qu’ils peuvent escompter par acre pour créer le « cash » nécessaire à la réalisation
d’opérations boursières533.
Dans un autre article534 issu de la série « What’s in it for farmers » paru en février
2002, Benbrook approfondit le même sujet avec de nouveaux arguments. Ici, l’auteur se
concentre sur deux questions : comment le coût supplémentaire du maïs Bt a influencé les
tendances générales de dépenses et de profits au niveau de la ferme ? Et comment les 659
millions de $ de prime que les fermiers ont payé ont influencé les performance financières de
l’industrie biotechnologique535. Selon l’auteur depuis l’introduction du maïs Bt, chaque acre
planté a augmenté les dépenses des agriculteurs d’au moins 9$/acre, soit un saut de 35%.
Dans les années 1970, les fermiers dépensaient moins de 10% du revenu de leur vente de
céréales dans l’achat de pesticides et de semences. Alors que les rendements étaient 40%
plus bas qu’aujourd’hui, le prix du marché était 0,50$, voire 1$ plus élevé par boisseau.
Aussi, le revenu net par acre des maïsiculteurs a largement baissé depuis 1975, année où ils
gagnaient 40$ par acre.
Il soutient la thèse que, depuis le début des années 1980, les revenus moyens des
agriculteurs ont eu tendance à baisser à la suite de la politique agricole (freedom to farm
act). C’est dans les années 1997 que les fermiers ont perdu leur liberté. D’après l’auteur, le
plus grand « saut » dans les dépenses en matière de semences et de produits chimiques a
eu lieu entre 1994 et 1996 ; il coïncide avec l’émergence du maïs Bt. Ces investissements
comptent pour environ 0,40$ par acre, soit 1/5ème du revenu moyen. Alors que 10 années
auparavant, ces dépenses coûtaient moins de 10% du revenu moyen. Ce changement
majeur est l’une des raisons pour laquelle les industriels des semences et des pesticides ont
largement prospéré ces dernières années alors que, la balance coûts/profits s’est largement

533
« However, it remains to be seen whether genetic resistance can be prevented in corn borer
populations and whether physiological or soil microbial community problems will surface. No one can
predict, either, whether world markets will warm to Bt corn. Hopefully, lessons learned in the
commercial introduction and planting of today’s Bt varieties will help breeders develop the next
generation of insect-resistant corn. Farmers, in particular, should pay closer attention to whether the
next wave of "advanced" corn genetics is likely, in the end, to improve their profitability or shave
another slice off per acre profit margins in order to generate the cash needed to meet Wall Street
corporate profit expectations. » Benbrook, Ibid., p.4.
534
Dr. Charles M. Benbrook, « The Bt Premium Price: What Does It Buy? The Impact of Extra Bt Corn
Seed Costs on Farmer Earnings and Corporate Finances. »
535
« This report focuses on two questions. First, how has the added cost of Bt corn impacted trends in
farm-level production expenses and profitability? And second, how has the $659 million premium that
farmers have paid for Bt corn impacted the financial performance of the seed-biotech industry? »Ibid.

248
réduite ces 30 dernières années.
Benbrook reconnaît que l’arrivée du maïs Bt a contribué à une moyenne de
rendements supérieurs de 2,64 boisseaux entre 1995 et 1999, soit un boisseau de mieux que
les années précédentes. Mais il insiste sur le fait que ce gain a dû être payé à un prix plus
fort : la dépense en semences a augmenté de 1,34$ par acre chaque année entre 1995 et
1999, comparé aux 0,30$ des 5 années précédentes. Le résultat étant que, le retour par
dollar investi entre 1995 et 1999 a chuté de moitié par rapport à la période 1990-1994.
Aussi, étant donné la baisse des prix qui sévit depuis 1999, le manque à gagner pour les
agriculteurs est d’autant plus important. Le coût élevé de la nouvelle science est, pour le
consultant, l’une des raisons pour laquelle les investissements des agriculteurs ont augmenté
plus sévèrement que lors des autres avancées technologiques536. Pour lui, cela ne fait aucun
doute que le maïs génétiquement modifié a été coûteux à développer et introduire sur le
marché ; cela étant, en large partie, dû au fait qu’il dépend des techniques du génie
génétique et de la propriété intellectuelle. Cette tendance, si jamais elle continuait, pourrait
avoir de sérieuses implications à long terme sur l’économie des fermes, surtout si les
nouvelles variétés développées donnent de modestes rendements.

Dans une seconde partie, l’auteur va donc chercher à démontrer que les seuls
bénéficiaires de l’introduction du maïs Bt sur le marché sont les firmes agro alimentaires.
D’après lui, 3 compagnies ont engrangé les 659 millions de $ que les agriculteurs ont payé
en prime : Pioneer Hi-Bred et Dupont, Monsanto sous le nom de Dekalb et Asgrow avec ses
contrats avec des producteurs de graines indépendants, Syngenta au travers de ses
subsidiaires, Novartis et Garst Seed et des contrats qui la lie avec différentes entreprises
indépendantes. Entre 1998 et 2000, environ 265 millions de $ ont été distribués entre
Syngenta et Monsanto. Quant à Dupont et Pioneer Hi-Bred, sans le maïs Bt, ils auraient
perdu au moins 200 millions de $ sur ces 3 années. On notera encore que sur 3 années, la
prime rapportée par la vente du Bt a permis à Monsanto d’augmenter ses ventes de 9%.
L’impact le plus important est celui que la vente de maïs Bt a eu pour Syngenta. Environ la
moitié des ventes de Syngenta provenait du maïs Bt ; la prime de ce dernier a permis à
Syngenta d’augmenter ses revenus par plus de 18% de 1997 à 1998. Selon l’auteur, il
apparaît donc clairement que l’opportunité de facturer 35 % de primes pour les variétés Bt a
aidé les firmes d’agro biotechnologies et les semenciers à augmenter leurs performances

536
« The high costs of the new science that makes Bt corn possible is clearly one reason why farmer-
costs have risen more sharply than when earlier advances in corn genetics were brought to market. »
Benbrook, Ibid., p.4.

249
financières ; aussi, sans le prix de cette taxe, la confiance des investisseurs dans l’agriculture
biotechnologique aurait disparu plus vite et aurait diminué la valeur boursière de ces
compagnies537. Benbrook en déduit que ces compagnies continueront d’être profitables du
fait qu’elles ont créé un nouveau revenu lié aux droits de propriété intellectuelle. Le cas du
maïs Bt montre alors que les fermiers devront continuer à financer l’ensemble de ce nouveau
système. Il est aussi clair, toujours d’après Benbrook, que les semenciers sont en train de
devenir une division des compagnies de pesticides, ce qui est déjà le cas pour la division
biotechnologies. Aussi, si on demande aux semenciers de rapporter autant d’argent que les
vendeurs de pesticides, alors il est clair que les fermiers vont devoir payer leurs semences
encore plus cher538. Il se peut donc qu’un jour, les biotechnologies soient une source de
profit aussi importante que les pesticides. La conclusion de Benbrook reste donc identique à
celle de l’article précédent : les agriculteurs payent le prix fort du progrès en subventionnant
les recherches sur les biotechnologies.

La réduction de l’usage des pesticides, selon Benbrook


Dans un article daté d’Octobre 2001539, Ch. Benbrook remet en cause la thèse que nous
avons longuement étudiée selon laquelle, l’usage des plantes génétiquement modifiées
entraînerait une réduction de la quantité de pesticides utilisés. Reprenant à son compte un
débat qui a déjà fait couler beaucoup d’encre de la part des protagonistes de cette
technologie comme de la part de ses principaux opposants, l’auteur affiche immédiatement
sa position en soutenant, que malgré l’évidence des faits, les industriels de l’agrochimie
continuent de prétendre que les variétés Bt, tout comme les plantes tolérantes aux
herbicides, réduisent considérablement l’usage des pesticides. Aussi d’après lui, cette
affirmation est l’un des arguments utilisés pour forger une opinion publique favorable aux
biotechnologies agro-alimentaires. Mettant à plat le problème déjà évoqué dans l’article de
Carpenter, il rappelle les 2 interprétations possibles qui peuvent être tirées des 4 années de
données compilées par l’USDA :
- Les plantes tolérantes aux herbicides auraient modestement réduit le nombre moyen
des ingrédients actifs qui sont appliqués par nombre d’acres.

537
« Clearly, the ability to charge about a 35 percent premium for Bt corn varieties has helped
biotechnology and seed companies improve their financial performance. Without the price premium,
the collapse of confidence in agricultural biotechnology among investors would have happened quicker
and taken a much bigger bite out of the stock value of these corporations. »Ibid., p.6.
538
« If DuPont/Pioneer, Monsanto, Syngenta, Bayer, Dow Agrosciences and other major players in the
now combined seed-pesticide industry expect seed divisions to deliver returns comparable to earnings
from pesticide sales, farmers will be asked to pay markedly more for seed in the future. » Benbrook,
Ibid. p.7.
539
Charles Benbrook, Do GM crops mean less pesticide use ?, in Pesticide Outlook 204 –October 2001

250
- Elles ont fait augmenter la quantité moyenne de livres appliqués par acre540.

D’après le consultant, ces 2 manières de voir les choses sont incomplètes. Si le coton Bt a
réduit l’usage d’insecticides dans plusieurs Etats, ce n’est pas le cas du soja. Aussi ce résultat
n’est pas surprenant étant donné que le principe même de cette technologie est de rendre la
plante tolérante aux traitements appliqués en post-émergence qui est le fondement même
de tout programme de lutte contre les mauvaises herbes. Chaque agriculteur qui va investir
dans cette technologie va dépendre de manière plus forte des herbicides comme d’un
principe clé de la lutte, à l’opposé des autres agriculteurs qui ont choisi des luttes multi-
tactiques qui, à la fois, dispersent la charge en gérant les mauvaises herbes et s’efforcent de
réduire la pression avant toute chose541. Aussi, il ajoute que les données obtenues par
l’USDA de 1997 à 2000 permettent de soutenir 4 conclusions :

- On applique légèrement plus de quantité d’herbicides en moyenne sur les acres de


soja RR que sur les acres de soja classiques.
- On applique moins de produits actifs sur l’acre moyen de soja RR que sur l’acre
moyen de soja conventionnel.
- La quantité d’herbicide appliquée sur le soja RR dépasse de 2 à 10 fois la quantité
d’herbicides répandue sur les plantations de soja où les agriculteurs ont recours à de
faibles doses d’imidazolinone et de sulfonylurea (30% de la superficie totale des
plantations)
- L’usage d’herbicide avec le soja RR augmente graduellement à la suite d’une
modification des mauvaises herbes, et la perte de susceptibilité au glyphosate de
certaines espèces (Hartzler, 1999 ; HRAC, 2001)

Benbrook ajoute que si l’introduction du soja RR n’a pas réduit l’usage d’herbicide, on peut
dire que c’est un remarquable succès commercial. Les agriculteurs ont adopté la technologie
parce qu’elle simplifie énormément la lutte. L’auteur reconnaît que cette technologie est
venue comme une alternative efficace qui a permis de résoudre le problème des insecticides
à faibles doses.

540
« Herbicide-tolerant varieties have modestly reduced the average number of active ingredients
applied per acre but have modestly increased the average pounds applied per acre. » Ibid., p.204.
541
« Any grower spending the extra money on such a variety is obviously going to rely more
prominently on herbicides as the principle method for controlling weeds, in contrast to other farmers
using multitactic integrated weed management systems that both spread out the burden in managing
weeds and strive to reduce weed pressure in the first place. » Ibid.

251
En ce qui concerne le maïs, l’usage de différents types d’herbicides n’a cessé de croître
depuis 1971 passant d’une moyenne de 1,09 par acre en 1982 à 2,7 en 2000. Au cours de
cette période, l’herbicide à maïs a peu changé. Le maïs RR (résistant aux herbicides) est
arrivé sur le marché en 1997. Aucun document officiel ne permet de connaître exactement la
superficie des plantations totales de cette variété. L’USDA estime que cette superficie
représente 4%. Monsanto propose différentes solutions pour cette technologie. Dans le
programme Roundup total, le glyphosate est appliqué en moyenne 2,0 fois. Une autre
solution (the Residual Herbicide Applied ») consiste à appliquer d’autres herbicides tels que
l’atrazine ou l’acétanilide avant ou au moment de planter. En moyenne, le nombre
d’herbicide appliqués dans cette solution oscillait autour de 2,75 livres par acre en 2000, soit
30% de plus que pour le maïs classique. L’auteur en déduit donc qu’il faut conserver une
certaine modestie par rapport à la capacité des technologies RR à diminuer la quantité de
pesticide utilisés542
Benbrook en conclut que la technologie Bt contribuerait à accentuer la confiance mise en
certains traitements. Le coton Bt, quant à lui, a réduit l’usage d’insecticide de manière
remarquable dans certains Etats. Le nombre moyen d’herbicide utilisé par acre est passé de
3 en 1995 à 0,77 en 2000 (Environmental Defense and Union of Concerned Scientists,
2001a). En termes de quantité appliquée, celle-ci est passée de 1,5 livres au début des
années 90 à 0,28 en 2000. D’après l’auteur deux facteurs auraient influencé cette tendance :
l’introduction du coton Bt et l’éradication du ver du coton. Il affirme que l’on doit étudier de
manière précise les résultats et que la plus grande réduction du nombre d’insecticides a eu
lieu avec l’usage des insecticides méthyle parathion, profenofos et thiodicarb (le « BBW
complex ») ; deux d’entres-eux sont extrêmement toxiques et ont dû être abandonnés à la
suite de l’apparition de résistances, ce, avant l’apparition du coton Bt. Il rappelle enfin que,
de toutes façons, en ce qui concerne la technologie Bt, on peut s’attendre à voir apparaître
des poches de résistance. Il se réfère pour cela à l’article de Lewis et al. qui a paru dans les
PNAS543(voir chapitre 2.2.1.). Cet article, rappelons-le, met l’accent sur la nécessité de
prendre en compte des facteurs multi-trophiques afin de développer les biotechnologies de

542
« Four years of experience and data show that RR weed management systems require a modest to
moderate increase in per-acre herbicide use. Moreover, use rates are trending upward because of
shifts in the composition of weeds toward species less responsive to a contact herbicide like
glyphosate; loss of susceptibility and/or the emergence of resistance in some weed species; and,
greater weed pressure as a result of more frequent late-season weed escapes in RR crops. »
Benbrook, Ibid., p.205.
543
Lewis et al., “A Total System Approach to Sustainable Pest Management”, National Academy of
Sciences,1997.

252
manière durable. Aussi, la plus grosse erreur de ces dernières années a été de ne pas
prendre en compte les meilleures interactions entre les plantes (to manage plant-best-
beneficial interactions). D’après, Benbrook, on peut faire ce reproche aux biotechnologies ;
aussi les variétés transgéniques, qu’elles soient tolérantes aux herbicides ou résistantes aux
insectes, entraînent de nouveaux mécanismes qui accentuent la tendance des agriculteurs à
être toujours plus dépendants des pesticides. La question la plus essentielle n’est pas de
savoir si les biotechnologies permettent de réduire l’usage qui est fait des herbicides, mais
plutôt, comment les biotechnologies peuvent ouvrir le chemin d’un système de gestion des
nuisances, basé sur une prévention bio-intensive qui laisse la place à une possibilité de gérer
les interactions naturelles544. Aussi, les plus grands profits en matière de gestion des
nuisances seront sans doute réalisés grâce à des process et des technologies, plutôt que
grâce à des produits. Les biotechnologies permettront de renforcer le système défensif de
certaines plantes

La controverse Gianessi/Benbrook
Dans un rapport présenté au SAP (scientific advisory panel) sur l’estimation des bénéfices du
maïs Bt545, l’EPA affirme que le principal avantage dû à la culture de cette plante est
l’augmentation du rendement546. Ce rapport a été rédigé dans le cadre de l’activité du SAP
(scientific advisory panel) de la FIFRA (federal insecticide fungicide and rodenticide act)547.
Benbrook, lui, ne semble pas tenir compte de cette remarque. Selon lui, l’agence affirme que
l’objectif d’un meilleur rendement aurait été atteint et le pourcentage d’hectares traités avec
un insecticide à destination de la pyrale serait passé de 8% de la surface totale à 5% en
1999. L’EPA a vérifié l’usage d’insecticides dans 4 Etats, dont en moyenne, 33% de la
superficie de maïs est du Bt (Iowa, Illinois, Nebraska, Missouri) et a comparé avec 2 Etats où
la superficie de Bt est inférieure à 10% (Indiana et Wisconsin). L’EPA vérifie alors

544
« Do GM crops reduce pesticide use? » is really not the important question. Instead, we should be
asking how biotechnology can lead the way toward prevention-based biointensive pest management
systems that rest largely on low-impact ways to manage natural biocontrol processes and
interactions » (Benbrook et al., 1996).
545
Sets of Scientific Issues Being Considered by Environmental Protection Agency Regarding: Bt Plant-
Pesticides Risk and Benefit Assessments, SAP Report No. 2000-07, FIFRA Scientific Advisory Panel
Meeting,October 18-20, 2000, held at the Marriott Crystal CityHotel March 12, 2001.
546
Bt Plant-Pesticides Risk and Benefit Assessments:Benefit and Economic Analysis, Product
Characterization and Human Health Effects, Ibid., p.60.
547
L’EPA précise que ce rapport n’ayant pas fait l’objet d’une vérification par des paires, il ne
représente pas nécessairement de manière officielle les vues de l’agence « This report has not been
reviewed for approval by the United States Environmental Protection Agency (Agency) and, hence, the
contents of this report do not necessarily represent the views and policies of the Agency, nor of other
agencies in the Executive Branch of the Federal government, nor does mention of trade names or
commercial products constitute a recommendation for use. » Ibid. , p.2.

253
l’hypothèse selon laquelle l’usage d’insecticide contre la pyrale a baissé de manière plus
signifiante dans les Etats où le maïs Bt a été planté en grande quantité. Cette quantité
d’insecticide aurait baissé d’un tiers, passant de 6 millions d’acres traités à 4 millions. L’EPA
remarque que les années 1998 et 1999 ont été caractérisées par une faible pression de la
pyrale, ce qui explique une diminution du recours aux traitements au niveau national.
Benbrook soutient alors que : bien que l’EPA ne précise pas la manière dont elle a obtenu
ces conclusions, il est évident que dans certains cas, des affirmations trompeuses ont été
effectuées et des informations erronées ont été utilisées548.
Selon l’EPA, seuls 4 insecticides seraient recommandés contre la pyrale : le
Chlorpyrifos, le Permethrin, le Methyl Parathion et le Lamba-Cyhalotrin ; or d’après
Benbrook, il en existe d’autres et si la superficie actuellement traitée avec ceux-ci est
insignifiante, cela n’a pas toujours été le cas et cela peut encore changer. La diminution
d’usage en insecticides dont fait état l’EPA concerne donc uniquement ces 4 insecticides et
surtout le Chlorpyrifos et le Methil parathion. Avant l’introduction du maïs Bt, ces 2
insecticides représentaient 10% de la superficie traitée, après, seulement 6%. Or d’après
Benbrook, l’organisme américain ne précise jamais que ces 2 insecticides peuvent être
utilisés contre d’autres ravageurs. Aussi, lorsque l’EPA affirme qu’avant l’introduction de Bt
(entre 1992 et 1995), les 4 insecticides cités représentaient 13% de la totalité des
traitements, l’agence ne mentionne jamais le fait que 2 de ces herbicides étaient utilisés pour
les ravageurs du sol tels que le ver des racines du maïs (corn rootworm) par exemple.
D’après le consultant, l’EPA se trompe en affirmant que les traitements à base de
Chlorpyrifos et de Methyl Parathion se répartissent à part égale entre la pyrale et le ver des
racines, aussi cette erreur aurait pour origine un défaut d’analyse549. Plusieurs autres études,
aussi bien de l’EPA, que du NFCAP, que des Universités de l’Iowa ou encore des industriels,
tels que Dow Agroscience, auraient démontré que la majeure partie des traitements à base
de Chlorpyrifos aurait pour cible le ver des racines. Les principales cibles des traitements à
base de Chlorpyrifos et de methyl parathion sont les insectes du sol et non pas la pyrale550.
L’hypothèse de l’EPA est à réexaminer et on ne peut affirmer que la moitié des 4 principaux

548
« EPA’s Assumptions While few details are offered on how the agency reached these conclusions, it
is clear that in some key respects, flawed assumptions and incorrect information were utilized. », An
Appraisal of EPA’s Assessment of the Benefits of Bt Crops, Dr. Charles M. Benbrook, Prepared For: The
Union of Concerned Scientists October 17, 2000, p.2.
549
« EPA errs in Major Assumption EPA’s assumed 50-50 split in chlorpyrifos plus methyl parathion
acres treated for ECB and corn rootworm is incorrect, however, and a major flaw in EPA’s analysis. »
Benbrook, Ibid., p. 4.
550
« The majority target soil borne insects, not the ECB. Hence, the EPA clearly erred in assuming
that half the acreage treated with chlorpyrifos and methyl parathion has targeted the ECB. », Ibid.,
p.5.

254
herbicides utilisés contre les ravageurs du maïs ont pour cible la pyrale. Il paraît, d’après
l’auteur plus judicieux de soutenir que la part des insecticides concernant à la fois les
insectes du sol et la pyrale est de 25% de l’ensemble des acres traités551. Cette répartition
qui, d’après Benbrook, est beaucoup plus juste, lui permet d’affirmer que le pourcentage
d’acres de maïs qui a été traité contre la pyrale est passé de 6,75% en 1995 à 8,5% en
1999, soit une augmentation de 26% ; or, cette découverte contraste avec celle de l’EPA qui
affirme que le pourcentage d’acres traités contre la pyrale est passé de 8% à 5%, soit une
baisse de 37%552.
Benbrook explique cette augmentation par le fait que l’année 1997 a connu une forte
pression de pyrale. Les fermiers ont dû être attentifs aux campagnes qui ont été réalisées
sur les dégâts causés par le ravageur. Aussi, à partir de 1998, des articles auraient
commencé à circuler pour rapporter le faible rapport des investissements en maïs Bt, ce qui
n’a pas empêché l’augmentation de la superficie de maïs Bt en 1999. Comment peut-on
expliquer l’augmentation de la quantité d’insecticides contre la pyrale ?
- Une première raison est l’intérêt suscité par les campagnes qui ont été menées sur le
danger que faisait courir la pyrale. Certains fermiers qui ont été sensibilisés sur les
pertes potentielles ont, sans aucun doute, décidé d’avoir recours à des pesticides
plutôt que d’avoir recours aux hybrides Bt553.
- La seconde raison invoquée par Benbrook est celle d’un changement au sein de la
population d’insectes non-cibles ou bénéfiques, dû à l’exposition constante de la
pyrale au maïs Bt554. Ce genre de changement peut avoir un impact sur l’ensemble de
la chaîne. Il serait par conséquent nécessaire de surveiller les effets inattendus.

551
« In estimating total ECB insecticide use, Table 1 assumes that one-quarter of the acres treated
with “Rootworm + ECB” products targeted the ECB, the other threequarters were applied largely to
control corn rootworms and other soil-borne insects. The assumption of a 25%-75% split probably
overstates the portion of chlorpyrifos and methyl parathion acre treatments targeting the ECB, but
also likely understates the portion of bifenthrin acres treated targeting the ECB. Across this category
of products though, a 25%-75% split is surely closer to the truth than EPA’s 50%-50% split. », Ibid.,
p.6.
552
« Nationwide, based on the more realistic 25%-75% split, the percent of corn acres treated for
ECB rose from 6.75 percent in 1995 prior to the introduction of Bt corn to 8.5 percent in 1999, an
increase of 26 percent. This finding contrasts sharply with EPA’s conclusion that the percent of acres
reated for ECB control fell from 8 percent of acres treated in 1995 to 5 percent in 1999 – about a 37
percent drop. » Benbrook, Ibid., p.6.
553
« But as farmers read more about the hidden cost of living with the ECB, some no douBt decided
to spray for the insect rather than plant Bt-transgenic hybrids. », Ibid., p.7.
554
« A second set of reasons why ECB insecticide use has risen may stem from shifts in the
composition of nontarget and/or beneficial species in Bt cornfields as a result of exposure to the Bt-
toxin in plant tissues. Since several key generalist predators depend on ECBs as a primary food source
during parts of the season, the relative absence of ECBs in Bt cornfields may be reducing predator
populations, at least during certain parts of the year. It may also progressively depress beneficial
insect population levels and shorten food chains from year to year. », Ibid. p.8.

255
L’auteur affirme qu’en l’absence de stratégie multi-tactique, on risque de provoquer la
résistance des insectes cibles, voire l’apparition de nouvelles populations d’insectes,
ce qui ne peut que provoquer une escalade dans le recours aux pesticides555.

Concernant maintenant l’augmentation des rendements du maïs Bt, l’EPA a annoncé que
ceux-ci dépendaient du degré d’infestation. En 1998 et 1999, des études ont démontré qu’il
n’y avait aucune différence de rendement entre le maïs Bt et les autres hybrides. Selon une
étude menée par l’université de Purdue, on a estimé que les maïsiculteurs seraient prêts à
payer un surplus de 6,10$ par acre pour planter du maïs Bt, ce qui correspond à 24,37 $ de
perte évitée sur 4 années. Aussi cette estimation démontre que les bénéfices (4,50$ et 5,00$
par acre) sont inférieurs aux licences (de 8 à 12$)
L’EPA, elle, a estimé un bénéfice net moyen de 3,31$ sur les 19,8 millions d’acres de
maïs Bt planté en 1999, soit un bénéfice net estimé de 65,4 millions de $. L’auteur rappelle
cependant qu’il est nécessaire de prendre en compte la licence de 10$. Aussi, les
maïsiculteurs ont dépensé plus de 198 millions de $ pour payer cette licence. Benbrook
estime donc que les revenus nets étaient, en fait, de 1,33$ par acre556. L’auteur affirme que
ces bénéfices sont largement inférieurs à ceux qui ont pu être réalisés, comparé aux
investissements effectués dans les décennies précédentes. Benbrook en conclut qu’étant
donnés les faibles rendements que cette technologie propose, il ne semble pas judicieux de
prendre des risques non rentables en la développant557. Ceci renvoie d’après lui au fait que la
technologie Bt est sans doute la technologie la plus chère jamais mise en vente sur le
marché558. Il en profite pour rappeler que les agriculteurs qui ont eu recours à des
technologies alternatives n’ont pas noté l’apparition de problèmes de taille concernant la
pyrale. Il cite le cas de la Spray Brother farm qui a produit du maïs et du soja en grande

555
« In the absence of a shift toward more balanced, multitactic corn IPM systems, the emergence of
partially resistant ECB populations and shifts in insect pest complexes will likely result in a gradual
upward trend in insecticide use in corn production despite the planting of Bt-hybrids. », Ibid., p.8.
556
« Lower Return on Expenditures Recall that corn producers spend about $10.00 per acre more to
plant Bt-hybrids. Thus, across the nation, farmers spent some $198 million dollars more on seed that
returned net benefits of just $65.4 million, based on EPA’s analysis. So, farmers spent $198 million
and got $263.4 million in return ($198 million extra spent on seed plus the estimated net benefits of
$65.4 million), or a $1.33 return on expenditure of a $1.00. » Benbrook, Ibid., p.9.
557
« At Best, Very Modest Benefits The key point is that even under optimistic assumptions, Bt corn
has delivered modest benefits to farmers and the nation. The estimated $1.33 return to expenditures
on Bt corn is less than half the return earned by farmers investing in other corn genetic improvements
over the last three decades. The relevance of this finding to EPA’s regulatory decisions evolves from
the basic riskbenefit balancing standard set forth in federal pesticide law. In the face of relatively
modest benefits, relatively modest risks should tip the risk-benefit scales against Bt corn engineered
to avoid ECB damage. », Ibid., p.9.
558
« Bringing Bt corn to market has been, without douBt, the most expensive genetic technology ever
introduced into corn production. », Ibid., p.10.

256
quantité sans utiliser d’insecticides pendant 20 ans. Les recherches auraient démontré
l’importance du rôle joué par les nutriments (nutrient) dans la résistance des plantes contre
la pyrale. L’auteur remarque enfin, qu’il existe également plusieurs autres stratégies pour se
débarrasser de la pyrale.

Ce rapport rédigé à la demande de l’UCS (union of concerned scientist) à la suite du


rapport de re-registration de l’EPA a fait l’objet à son tour d’une critique, cette fois-ci, émise
par le NFCAP559. L’auteur, Leonard Gianessi, renvoie la balle en démontant point par point les
arguments de Benbrook. Tout d’abord, concernant la rentabilité de la technologie,
contrairement à ce qui a été présenté dans le rapport, il faut dire que les infestations de
pyrales créent des dégâts quasiment chaque année et non pas seulement quelques années
sur 10560. Aussi, contrairement à ce qu’affirme Benbrook, les maïsiculteurs n’avaient pas
véritablement de technologie pour gérer la pyrale avant l’introduction du maïs Bt.
Concernant maintenant les études réalisées dans une ferme située dans l’Ohio qui
auraient démontré qu’un maïs peut résister à la pyrale sans insecticide, Benbrook en aurait
fait une présentation éronnée. En effet, d’après Gianessi, si le maïs obtenu à l’aide de
procédés organiques est moins dévasté par la pyrale, c’est parce qu’il possède moins de
sucre et d’aminoacides dans ces feuilles et par conséquent, est moins attirant pour la pyrale,
contrairement au maïs hybride classique ; ce n’est donc pas, comme l’affirme Benbrook, qu’il
est plus résistant du fait d’une meilleure utilisation de ses nutriments561. A la suite de cette
remarque Gianessi en profite pour souligner de manière que l’on peut qualifier d’assez
malicieuse, le fait que Benbrook fonde son jugement hâtif sur les bienfaits de l’agriculture
organique en supposant qu’une substance inconnue protégerait le maïs contre la pyrale562.
Pour ce qui concerne les autres technologies qui existaient avant l’introduction du maïs Bt

559
A Critique of: An Appraisal of EPA’s Assessment of the Benefits of Bt Crops By Dr. Charles M.
Benbrook October 17, 2000 Prepared for Union of Concerned Scientists, by Leonard P.Gianessi
October 31, 2000.
560
« Benbrook claims that European corn borer management options are available. He asserts that
ECB populations only reach damaging levels a few years out of every ten. Actually, the opposite is
true. ECB populations are at damaging levels most years out of ten. »Gianessi, Ibid., p.1.
561
« Benbrook asserts that conventional farms with standard nutrient applications do not develop
adequate defense mechanisms against the ECB. He suggests that organic corn develops defense
mechanisms through more effective use of slower-releasing nutrients from manures and other organic
types of nutrients. Actually, the Ohio State research suggests that it is precisely that conventional corn
is so much faster growing, resulting in more sugars and amino acids in the greener leaves, that
attracts more ECB females that lay their eggs preferentially in the healthier corn. The organic corn is
slower-growing and less attractive. », Ibid., p.2.
562
« Benbrook’s misinterpretation results in a convoluted conclusion that organic plants must be
emitting some as-yet-undiscovered chemical signal that repels or discourages ECB feeding. Is
Benbrook suggesting that it is acceptable to have some undiscovered, unknown, untested chemical
repellant in the organic food supply? », Ibid., p.2.

257
citées par Benbrook, si elles n’ont pas été retenues par les maïsiculteurs, c’est, d’après
Gianessi, qu’elles se sont révélées être peu efficaces, contrairement à la technologie Bt.
Aussi, c’est l’occasion pour l’auteur de formuler ses critiques sur l’agriculture biologique et
ses véritables rendements.
Critiquant l’argument selon lequel l’introduction du maïs Bt aurait été suivie d’une
augmentation du recours aux pesticides, Gianessi affirme que celui-ci n’est partagé par
aucun experts. Aussi, le porte-parole du NFCAP se demande pour quelle raison Benbrook ne
s’est pas appuyé sur des témoignages de maïsiculteurs. D’après les études qui ont été
menées par l’Université de l’Iowa, le recours à des insecticides chez les utilisateurs de la
technologie Bt aurait baissé de 13% en 1996, 19% en 1997 et 28% en 1998. Gianessi
trouve inconcevable l’idée que les agriculteurs auraient fait usage d’un plus grand nombre
d’insecticides à la suite de la campagne qui a été menée pour sensibiliser les maïsiculteurs
sur les dégâts de la pyrale. Surtout étant donné le fait que la technologie Bt n’engendre un
coût que de 10$ par acre pour 67 à 80% d’efficacité alors qu’un traitement à base de
l’insecticide revient à 14$ par acre pour 95% d’efficacité.
Gianessi n’adhère pas non plus à l’hypothèse de Benbrook selon laquelle il y aurait eu
un changement dans la population d’insectes563. Selon Gianessi, Benbrook a manipulé les
données qu’il a emprunté des études réalisées sur les maïsiculteurs par l’USDA NASS entre
1995 et 1999. Aussi, étant donné que ces résultats ne font pas état des ravageurs cibles,
Benbrook fait ses propres interprétations en attribuant de manière trompeuse des
traitements tels que le lambdacyhalotrin, le dimethoate et le esfenvalerate de manière
restrictive à la pyrale, alors qu’ils sont appliqués sur d’autres insectes564. Or d’après Gianessi,
l’augmentation de l’usage de ces insecticides a une autre raison que la volonté de traiter les
plantes contre la pyrale. De même Benbrook aurait laissé en dehors de son analyse le Bt
foliaire qui représentait 1% de l’ensemble des traitements en 1995 et qui n’est aujourd’hui
plus du tout utilisé à la suite de l’introduction du maïs Bt. Gianessi se demande alors
qu’arriverait-il si les maïsiculteurs suivaient les recommandations de Benbrook et cessaient
de planter le maïs Bt après avoir été sensibilisés sur les dégâts causés par la pyrale. Pour lui,
la réponse est claire, ils se mettraient à utiliser un plus grand nombre de pesticides565.

563
« Benbrook also claims that beneficial insects may have shifted in importance because of Bt corn.
There is no evidence to support this claim at all. » Gianessi, Ibid., p.4.
564
« The data that Benbrook manipulates to support his ideas come from USDA NASS surveys of corn
growers 1995-1999. Since the NASS data do not identify the target pest in the surveys, Benbrook
makes his own assignments. He misattributes all of thespraying of lambdacyhalothrin, dimethoate and
esfenvalerate to ECB. These pesticidesare recommended for many insect pests in corn, including
cutworm, stalk borers, leafaphids, adult rootworm beetles, European corn borer, armyworm,
grasshoppers and mites. » Ibid., p.5.
565
« What happens if Benbrook’s advice is followed, and Bt corn is taken away? It is quite likely that

258
Enfin, concernant les rendements, Benbrook cite des études dans lesquelles aucune
différence de rendement n’a pu être estimée et pour la raison qu’il a choisi des expériences
qui ont été réalisées bien avant l’introduction généralisée du maïs Bt. Mais, selon l’expert des
NFCAP, depuis l’introduction du maïs Bt, on peut juger que cette plante est en mesure de
procurer de véritables avantages, même si cela est vrai de manière inégale. Ainsi une étude
menée par Marlin Rice de l’Université du Minnesota a démontré que les bénéfices ne sont
pas uniformes. Ainsi en 1999, 21% des résultats côte à côte ont démontré un avantage de 9
boisseaux par acre alors que les 79% restants n’ont procuré aucun avantage. En 1997, 40%
ont démontré un avantage de 18 boisseaux par acre et 60% aucun avantage.
L’expert en conclut qu’il est encore trop tôt pour juger de l’efficacité de la
technologie, que certains maïsiculteurs l’utiliseront comme une garantie et enfin, que les
années 1998, 1999 et 2000 étaient inhabituelles pour ce qui concerne l’infestation de pyrale.
Il ajoute que, en cas de véritable infestation, les rendements seraient proches de 40
boisseaux par acre et qu’enfin le bénéfice de 3$31 estimé par Benbrook est à recalculer à la
suite d’une baisse récente de la taxe qui est passée à 7$ au lieu de 10$.

Loin d’être terminée, la controverse, sur les avantages du maïs Bt se poursuit. Aussi,
Benbrook répond à Gianessi peu de temps après566. En introduction de cette courte réponse,
l’auteur tient à recadrer le débat : il rappelle qu’il ne remet pas en cause les bénéfices
potentiels de la technologie Bt en cas de grande infestation. Cependant, ce qu’il remet en
cause, c’est l’hypothèse selon laquelle la technologie Bt aurait participé à une diminution de
30% des insecticides et que cette technologie offre un réel bénéfice à ceux qui l’ont utilisée.
Concernant le premier point, l’auteur rappelle que l’EPA dans ses travaux n’a jamais
mentionné quels insecticides visaient précisément la pyrale.
Concernant par exemple la remise en question par Benbrook des estimations de l’EPA
selon laquelle les 2 insecticides qui sont chlorpyrifos et methyl parathion ciblaient
respectivement à 50% la pyrale et à 50% les autres insectes, Gianessi n’a émis aucun
commentaire et n’a pas pris position ni pour les affirmations de l’EPA ni pour la thèse de
Benbrook selon lequel, une répartition 25-75% semble plus juste567.

insecticide use would increase dramatically as some growers start spraying. », Ibid., p.6.
566
Brief Response to Leonard Gianessi's October 31, 2000 'A Critique of An Appraisal of EPA's
Assessment of the Benefits of Bt Crops, Charles M. Benbrook November 2, 2000, sur le site
www.biotech-info.net/Bt
567
« Accordingly, I assumed just one-quarter, not 50 percent, of the acres treated with these two
materials targeted the ECB - still probably an over-estimate. Gianessi's critique is silent on this core
issue, neither disagreeing with my 25-75 ECB versus rootworm split for chlorpyrifos and methyl
parathion, nor supporting EPA's 50-50 split. » Ibid., p.1.

259
En revanche, Benbrook reconnaît qu’il a oublié de mentionner que des insecticides,
d’après lui, mineurs, tels que le dimethoate ou l’esfenvalerate n’étaient pas seulement
utilisés pour la pyrale, mais également pour d’autres insectes. Mais il ajoute que personne
n’est en mesure de spécifier en quelle proportion ces insecticides ciblent les insectes.
Cependant, même en admettant que seulement 25% des acres qui ont été traités avec eux
étaient traités contre la pyrale, cela ne change en rien les résultats. Benbrook accepte
également la remarque de Gianessi selon laquelle le Fipronil n’est pas utilisé contre la pyrale.
Enfin concernant le reproche de ne pas avoir mentionné l’insecticide Bt foliaire, il
rejette l’accusation et se justifie en affirmant que l’USDA n’a pas mentionné de manière
concrète cet insecticide dans son rapport. Les 1% dont parle Gianessi ne concernent que 3
Etats en 1995568. Pour les années suivantes, on ne sait pas quel est exactement le
pourcentage de Bt foliaire569. Aussi, d’après Benbrook, il se peut que le Bt foliaire utilisé ait
diminué, mais il se peut également que certains fermiers aient eu recours à cet insecticide
plutôt qu’aux plantes Bt. De toute façon, cela ne change pas grand-chose dans les résultats.
Aussi l’auteur affirme pour sa défense qu’en prenant en compte l’ensemble des modifications
exigées par Gianessi et en admettant que seulement 1/4 des acres traités avec les
insecticides ciblant la « pyrale et les autres ravageurs », ne ciblent en fait que la pyrale, les
données ne sont toujours pas en accord avec celles fournies par l’EPA, où il est dit que les
traitements à destination de la pyrale ont diminué de 30%. Selon Benbrook, c’est plutôt
d’une augmentation de 30% dont il faut parler entre 1995 et 1999570. Il rappelle que la
conclusion de l’EPA est fondée sur l’affirmation que le Chlorpyrifos et le Methyl Parathion
ciblaient la pyrale ; or comme ce n’est pas le cas, alors, il est impossible d’aboutir à une telle
conclusion.
Le consultant s’accorde avec Gianessi pour réclamer une étude plus détaillée sur les
insectes cibles. Dans la plupart des cas, les experts tombent d’accord, mais dans quelques
cas, ils ne le sont nullement. Concernant maintenant la rentabilité du maïs Bt, Benbrook
rappelle que des études réalisées dans les fermes ne sont pas en accord avec cette

568
« I excluded Bt because USDA did not report Bt insecticide use consistently in the years covered in
the table. Gianessi notes accurately that USDA reported 1 percent of the surveyed corn acres were
treated with foliar Bts in 1995, based on data collected on Bt use in just 3 of the 17 states surveyed.
Actual Bt use in 1995 was no doubt higher nationally. » Gianessi, Ibid., p.3.
569
« My Table reported insecticide use in 1995, 1998, and 1999. In both 1998 and 1999, USDA did
not collect nor report foliar Bt use at the national level. Bt use was surveyed in just 2 of 15 states in
1999 and in 1 state in 1998, so no one knows whether use remained at about 1 percent, went up or
down. »Ibid., p.4.
570
« With the changes suggested by Gianessi, and the conservative assumption that only one-quarter
of the acres treated with "ECB and Other Pest" insecticides targeted the ECB, the data still do not
support EPA's conclusion that ECB acres treated have declined 30 percent. The Revised Table 1 shows
a 19 percent increase between 1995 and 1999, modestly less than the original table. »Ibid., p.5.

260
conclusion. Il rappelle la difficulté de déterminer les bénéfices nets, étant donné le grand
nombre de facteurs qui entrent en ligne de compte. Contrairement à Gianessi qui croit en
une véritable efficacité de la technologie, il semble que Benbrook soit convaincu qu’une
étude plus approfondie des emplacements où la pyrale a causé de véritables dégâts doit
présider à l’utilisation de maïs Bt. En effet, un usage plus ciblé de cette technologie
permettra d’en accroître les bénéfices et d’en diminuer les risques éventuels571. Il est donc
nécessaire d’accumuler les données sur l’usage qui est fait des différents pesticides. En effet,
tant que cela ne sera pas fait, il semblera difficile de résoudre la controverse qui l’oppose à
Gianessi572.

Discussion
A la fin de l’année 2000, on constate qu’en ce qui concerne la rentabilité du maïs Bt et son
impact sur la diminution de l’usage des pesticides, la controverse est loin d’être achevée. Le
manque de résultats précis et complets y joue sans doute un rôle important. On ne sera pas
aveugle cependant au fait que chaque auteur exprime au travers de l’interprétation qu’il
donne de ceux-ci, les intérêts de l’organisme qu’il représente. Le NFCAP est, rappelons-le
financé par le Rockefeller Institute, mais aussi par des industriels de l’agro-alimentaire.
Quant à l’UCS (union of concerned scienctist) pour laquelle travaille Benbrook, elle
représente les intérêts de nombreux écologistes et possède parmi ses rangs les plus fervents
opposants à la technologie PGM ; aussi, comme on a pu le constater Benbrook n’hésite pas à
promouvoir l’agriculture biologique dès qu’il en a l’occasion. Si le rapport de l’EPA semble
avoir été plutôt large dans l’interprétation de certaines données, telles que, par exemple, la
connaissance de la quantité d’insecticide véritablement utilisée contre la pyrale et par
conséquent une détermination réaliste de la diminution de ces insecticides depuis
l’introduction du maïs Bt, certaines critiques de Benbrook n’en sont pas moins floues.
Aussi, sans vouloir et sans pouvoir trouver une solution à cette controverse, il semble
que le débat sur les coûts et les avantages des PGM, reste pris dans les mailles de ces jeux
d’interprétation de résultats.
Comme pour les deux controverses précédentes, on constate que rarement ces
résultats sont remis en cause, cependant les interprétations qu’en fond les auteurs fluctuent

571
« More targeted use of this technology will surely increase grower benefits per acre. It would also
serve other useful purposes, such as enhancing the chances of resistance management and
minimizing Monarch butterfly, soil health, and other potential problems. »Ibid., p.4.
572
« No douBt Gianessi and I will return to these issues annually as new data are released by USDA
on insecticide use in major Bt crops. The same issues and uncertainties will arise next year in the
absence of better information on the target pests triggering insecticide treatments in Bt fields. »
Benbrook, Ibid., p.5.

261
avec une grande relativité. C’est le cas par exemple quand Benbrook diminue l’impact du
rendement du maïs Bt revendiqué par le NFCAP et relativise les 3 années bénéficiaires en les
comparant aux années 70 où les bénéfices étaient moindre, mais le revenu des agriculteurs
plus élevés. Enfin, comme on le constate, les auteurs n’hésitent pas à s’accuser
mutuellement de manque d’objectivité. L’implantation de la technologie, semble encore trop
jeune pour que l’on puisse se prononcer, mise à part pour certains cas comme celui du coton
Bt, par exemple, où les bénéfices sont flagrants. Or comme, on a eu l’occasion de le voir
avec les études de cas, les espoirs fondés sur la technologie ne manquent pas. C’est aussi ce
que nous voulons étudier maintenant au travers des controverses qui opposent les experts
sur la possibilité de résoudre le problème de la faim dans le monde par le biais de la
transgenèse végétale.

3.3.3 La faim dans le monde: Prétexte ou argument ?


S’il est un sujet de taille dans la controverse socio-économique sur les PGM, c’est bien
celui de la « faim dans le monde ». En effet, depuis la découverte de la technologie, ce
thème se trouve au cœur du débat comme un faire-valoir. Selon certains experts,
l’introduction de la transgenèse végétale dans les pratiques agronomiques serait à l’origine
d’une nouvelle révolution verte ; aussi, mettre tout en œuvre pour développer cette
technologie, c’est se donner les moyens de nourrir l’humanité entière. Le problème de la
faim dans le monde vaut donc comme une justification de la prise de risque ; a contrario, si
on ne développe pas cette technologie, on risque, dans les 30 années à venir, de ne pas
pouvoir satisfaire la demande alimentaire de la population qui croît chaque jour.
En opposition directe à cette thèse, on trouve celle qui affirme que la faim dans le
monde n’a pas pour origine un manque de production, mais une mauvaise distribution des
ressources ; par conséquent, ils en déduisent que cet argument sert de prétexte aux
promoteurs des biotechnologies agro-alimentaires. Aussi, ils en profitent généralement pour
dénoncer les desseins cachés des firmes agro-alimentaires.
Une fois de plus, on observe des prises de position diamétralement opposées par
rapport à un problème essentiel pour lequel toute tentative de manipulation semblerait
grossière et mal placée. Alors que précédemment on se trouvait dans une logique
économique et écologique relevant de problèmes liés à l’agronomie, on se trouve ici dans
une logique socio-économique : il s’agit de savoir, non plus si la transgenèse végétale
apporte des avantages aux agriculteurs, mais à la société toute entière. Ici, l’avantage étant
défini comme «réussir le challenge de nourrir l’ensemble de l’humanité mieux que n’importe
quelle autre technologie» et le risque étant « l’augmentation de la situation de famine dans

262
le monde, à la suite d’une poussée démographique incontrôlée».
Aussi, on comprend à quel point le débat est à son paroxysme lorsque l’on voit les
différents protagonistes se rejeter mutuellement la balle. Andrew Pollack retrace
parfaitement la situation dans un article du New-York Times de février 2001573 ; le journaliste
rappelle qu’en 2000, avec 5 millions d’individus souffrant de famine à la suite d’une sévère
sécheresse, les opposants aux biotechnologies ont obligé le gouvernement Kenyan à refuser
du maïs offert par les Etats-Unis et le Canada parce qu’une partie avait été génétiquement
modifiée ; de même en Indes, lorsque les USA ont envoyé du soja et du blé, après qu’un
cyclone ait tué plus de 10000 personnes, un important critique des aliments génétiquement
modifiés a accusé Washington d’utiliser les victimes du cyclone comme des cobayes574.
D’après les opposants, les firmes de biotechnologies agro-alimentaires se comporteraient
ainsi à l’égard du tiers-monde afin de soigner leurs relations-presse et pour se justifier par
rapport à la mise en vente sur le marché des nations développées de ce genre d’aliments575.
Le débat se résume donc dans l’établissement d’un rapport entre les risques potentiels
que pourraient apporter une technologie et la possibilité de stopper le fléaux de la faim. Un
autre exemple de cette controverse est donné avec le cas du « riz doré », un riz qui a été
mis au point par le suisse Ingo Potrykus avec l’aide de la fondation Rockefeller pour combler
les carences en vitamine-A de certaines populations du tiers-monde. Les opposants, comme
on aura l’occasion de le voir en détail, attaquent cette application technologique de
nombreuses manières, faisant dire à ses inventeurs, qu’ils ont un « agenda politique
caché »576. Ces quelques citations montrent à quel point l’expertise socio-économique est ici,
directement liée à une vision et une prise de position politique, ce qui a pour conséquence
d’intensifier la polémique. Cette remarque, comme on le verra, est importante pour

573
« Critics of Biotechnology Are Called Imperialists » Andrew Pollack, New York Times February 4,
2001.
574
« Last year, with five million people in Kenya facing starvation because of a severe drought,
opponents of agricultural biotechnology urged the Kenyan government to reject corn donated by the
United States and Canada because some of it was genetically modified. And when the United States
sent corn and soy meal to India after a 1999 cyclone that killed 10,000 people, a prominent biotech
critic in that country accused Washington of using the cyclone victims as "guinea pigs" for bio-
engineered food. » Ibid.
575
« The critics say the industry is using the poor to justify selling their products to the rich. » Ibid.
576
« Ingo Potrykus, the Swiss scientist who led the development of golden rice, said opponents have
a "hidden political agenda." In an article to be published in the journal In Vitro Plant, he writes: "It is
not so much the concern about the environment, or the health of the consumer, or help for the poor
and disadvantaged. It is a radical fight against a technology and for political success." In fighting to
keep golden rice from the poor in developing countries, he adds, the opposition "has to be held
responsible for the foreseeable unnecessary death and blindness of millions of poor every year."
» Ibid.

263
comprendre l’écart qui existe entre les différents opposants. Aussi, on peut distinguer 2
grandes problématiques :
- La première concerne celle de l’objectif à terme de la biotechnologie agro-
alimentaire : s’imposer comme la technologie capable de nourrir l’humanité entière.
Cette thèse est née au début des années 1980, en même temps que la technologie ;
elle sert depuis les origines comme justification générale pour celle-ci et rend compte
de sa mise sur le marché. Il s’agit donc d’un challenge productiviste pour les années
à venir. De ce point de vue, la situation actuelle du tiers-monde est utilisée comme
un faire-valoir. En effet, il s’agit du paradigme de l’humanité qui subit une croissance
démographique sans pouvoir subvenir à ses besoins. Il est alors crucial, du point de
vue socio-économique de pouvoir répondre à la question « les biotechnologies sont-
elles la solution qui permettra de nourrir l’humanité à long terme?»
- La seconde problématique est, en quelque sorte, une application directe et actuelle
de la première et lui est intimement liée. Elle est une redite de celle-ci non plus d’une
manière absolue, mais ici et maintenant. Il s’agit en fait de savoir si les
biotechnologies peuvent s’adapter aux problématiques des pays en voie de
développement et sont transférables dans ces pays. Autrement dit, est-il aujourd’hui
possible pour les agriculteurs des PVD d’acquérir cette nouvelle technologie d’une
part, cette acquisition apporte t’elle une quelconque rentabilité pour les paysans qui
l’utilisent et n’y a-t-il pas une solution plus adaptée, d’autre-part ?
- Enfin, on verra comment ces 2 problématiques, se développent au travers d’un cas
concret : le riz doré.

Une nouvelle révolution verte ?


Les promoteurs de la transgenèse végétale aiment souvent à répéter qu’il existe une
filiation entre les applications de cette nouvelle technologie et la révolution verte. On
rappellera que par « révolution verte », on caractérise le formidable essor de rendement de
la production agricole, peu avant et au lendemain de la seconde guerre mondiale. Ainsi, on
trouve essentiellement à l’origine de cet essor : l'utilisation de semences sélectionnées
appartenant à des variétés à haut rendement, l'apport d'engrais et de produits
phytosanitaires, un contexte politique favorable (stabilité des prix), l’augmentation croissante
de la mécanisation des tâches. Pour donner un exemple, en France, jusqu'à nos jours, par le
biais notamment des techniques de sélection, on est parvenu à faire progresser les
rendements de 10 à 75 q/ha. Ainsi, « en 1920, on ne récoltait que 15 quintaux de blé à
l'hectare, guère plus qu'au Moyen âge, et à peine 20 en 1950. Aujourd'hui, on approche 70,

264
avec des records à 130 »577. Si on se reporte aux chiffres donnés par la FAO, on constate
que l'utilisation des engrais a crû de 360 % de 1970 à 1990, et que celle des produits
phytosanitaires augmentait de 420 %.
Cette révolution a eu pour conséquence de pouvoir nourrir toujours plus d’individus
en diminuant considérablement les prix des denrées dans les pays industrialisés et rendant
possibles de nouvelles formes de productions grâce à la mise au point de nouvelles variétés
dans les pays en voie de développement. Ainsi, le nombre des personnes touchées par la
faim en Asie du sud-est a baissé de 100 millions dans les années 1980. Le Livre Blanc qui a
paru sous la direction des fédérations de semenciers français578 revendique, par exemple, la
filiation directe entre la révolution transgénique et la première révolution verte. Les auteurs
qui avaient pour objectif de justifier l’utilisation des biotechnologies agro-alimentaires,
reprennent le raisonnement de la FAO (Food & Agriculture Organization) en rappelant la
notion de sécurité alimentaire579. Ce principe permet de définir de véritables disparités entre
certaines zones pour l’état actuel du monde. Aussi, d’après les estimations fournies par
l’organisme mondial, cette situation ne risque pas de s’améliorer. En effet, la population est
passée de 2,5 milliards en 1950 à 5,2 milliards en 1990 ; cette croissance est appelée à se
développer et les estimations de la FAO prévoient un nombre de 7 milliards en 2040 et 9,8
milliards d’habitants en 2050. Alors que cette croissance démographique touche également
les PVD, on constate que la surface de terre arable, elle, diminue et continuera de diminuer
de manière constante. Déjà passée de 0,5 ha par habitant en 1950 à 0,3 ha en 1990, il est
estimé que cette surface ne sera plus que de 0,2 ha par habitant en 2050580. C’est dans ce
cadre alors qu’il apparaît nécessaire de poursuivre les efforts entamés lors de la « révolution
verte ». Aussi, les auteurs ne manquent pas de souligner l’importance de l’utilisation de
plantes sélectionnées appartenant à des variétés à haut rendement : « Un des facteurs-clefs
de la révolution verte se situe dans le prolongement de l'amélioration des plantes issue des
premiers pas de la génétique. »581 Si on prend le cas des PVD, la révolution verte qui y a eu
lieu permet aux auteurs de tirer les conclusions suivantes :

- Les famines ne sont pas liées à la seule fatalité des catastrophes naturelles mais bien
plus aux conflits et à un défaut de politique agricole adaptée,

577
Philippe Ledieu, Planète agricole, coll. Explora, Cité des Sciences et de l'Industrie, p. 110.
578
CFS - GNIS – UIPP, Les plantes génétiquement modifiées, une clé pour l’avenir, le Livre blanc des
biotechnologies, p.21
579
« La sécurité alimentaire consiste à assurer à toute personne et à tout moment 1 accès physique et
économique aux denrées alimentaires dont elle a besoin », (Food & Agriculture Organization, 1983).
580
Source FAO
581
CFS - GNIS – UIPP, Les plantes génétiquement modifiées, p.10.

265
- Des technologies agricoles modernes doivent être utilisées afin de développer la
production sur les terres aujourd'hui en culture,
- Des techniques ainsi que les ressources nécessaires doivent être adaptées aux
conditions de production locale,
- La mise en oeuvre d'une révolution des pratiques culturales peut ouvrir la voie d'un
développement global de l'économie.582

Partant de l’ensemble de ces données, les auteurs en concluent tout naturellement


qu’une nouvelle révolution verte est nécessaire : « Pour nourrir les hommes, il faudra
désormais poursuivre l'accroissement des rendements sur les terres disponibles, dont les
superficies diminuent. C'est ainsi seulement que l'on limitera la déforestation et les
phénomènes d'érosion des sols. Cette nouvelle révolution verte nécessitera la mise à
contribution des techniques de pointe, et notamment des biotechnologies modernes. Qui
seront les gagnants d'une “nouvelle révolution verte” reposant sur les biotechnologies ? Si
les bénéfices des biotechnologies portent essentiellement pour l'heure sur la production
agricole (les avancées se concentrant sur des caractères d'intérêt agronomique), la qualité
des aliments est au cœur des recherches et développements pour les années à venir. Ainsi,
le consommateur pourra directement tirer profit de cette “nouvelle révolution verte. »
On l’aura compris les biotechnologies agro-alimentaires ont pour objectif de
poursuivre le travail de la première révolution verte avec un nouvel objectif : faire croître la
production en optimisant la surface des sols et en maîtrisant les techniques d’irrigation. C’est
à cette condition seulement que l’on sera en mesure de nourrir l’humanité et de prévenir la
croissance démographique prévue pour les années à venir. On se trouve donc dans une
situation malthusienne : une population qui croît et parallèlement à cette situation, une
production agro-alimentaire qui stagne.

Une situation malthusienne


Dans un dossier spécial sur l’alimentation du magazine Nature583, Anthony Trawanas de
l’Institut de biologie cellulaire et moléculaire d’Edimbourg démontre comment, au travers de
l’histoire, les situations malthusiennes ont toujours présidé au développement des
technologies agricoles et ce, avec une constance régulière. Dans la situation actuelle, la
révolution verte qui a résulté d’une application des connaissances scientifiques à l’agriculture

582
Ibid., p.12.
583
Antony Trewavas, « Malthus foiled again and again », in Nature, vol. 418, 8 August 2002,
www.nature.com/nature 669.

266
a été à l’origine de résultats extraordinaires. Aussi d’après l’auteur, il n’est nullement encore
temps de se réjouir. En effet, la croissance démographique qui est prévue, ainsi que la
diminution des surfaces arables va remettre de nouveau l’humanité dans une situation
malthusienne. Même si on peut prévoir que le nombre des individus qui souffrent de la
famine diminuera encore de 600 millions d’ici 2025 (il est actuellement de 800 millions), il est
pourtant trop tôt pour se féliciter, car la population de la terre va culminer à 9 milliards
d’habitants en 2050584. Aussi, au fur et à mesure que la population s’enrichit, la
consommation de viande augmente, ce qui signifie qu’il est nécessaire de doubler la
production de céréales. Cet objectif laisse apparaître une nouvelle contrainte que l’on n’a pas
connue jusqu’à présent : le manque de terres cultivables. L’auteur rappelle que lors de la
révolution verte les surfaces cultivées n’ont pas augmenté, inversant la tendance qui voulait
que, depuis 1800, pour produire plus, on défrichait de nouveaux espaces. Or selon l’auteur,
le dilemme actuel est que l’on utilise actuellement la moitié des surfaces cultivables de bonne
qualité et « à moins de trouver les moyens de créer une seconde révolution verte en
augmentant la production sans augmenter la surface des terres utilisées, on risque de
provoquer de nombreuses détériorations dans l’habitat et dans la biodiversité à une vitesse
qui pourrait même devenir menaçante pour la subsistance de l’humanité »585. Si on suit la
logique historique, on peut supposer une nouvelle fois, que c’est une solution technologique
qui va permettre de dépasser ce problème586. C’est dans ce contexte qu’il apparaît nécessaire
de repenser l’agriculture et que les biotechnologies apparaissent comme une source de
développement, essentiellement pour les agriculteurs des pays en voie de développement.
Pour cela, l’auteur cite l’exemple de la Chine, où le gouvernement a largement encouragé le
les PGM. En effet, dans ce pays, les bénéfices sont palpables pour les fermiers les plus
pauvres. Ainsi, l’usage du coton Bt permettrait à un fermier possédant un hectare

584
« Although estimates suggest that about 800 million people are still undernourished, it is thought
that this number will drop to about 600 million, largely in sub-Saharan Africa, by 2025 (refs 1, 2). But
this is no time for congratulation: although it is hoped the human population will level off at about
nine billion by 2050, the population is currently still expanding. » Ibid.
585
« We currently use at least half the available good quality soil for agriculture, with the remainder
under tropical forests6. This leads to an obvious dilemma. Unless we can pull off a second Green
Revolution, increasing yield but limiting it to land currently used for farming, there will be further
deterioration of natural habitats and biodiversity at a rate that could even threaten the further
existence of humanity. » Ibid., p. 669.
586
« The lessons of history are clear. Successive lurches in population number have driven the
development of new agricultural technologies designed to provide food for growing populations. This
process of discovery will continue until there is an abundance of food equally enjoyed by the whole
world population. We are far from achieving that at the present time, and there is therefore a
constant need to examine the state of current agriculture to see where progress needs to be
made. »Ibid.

267
d’augmenter ses revenus d’un quart, de diminuer ses dépenses d’un tiers587. L’idée
développée ici par l’auteur est donc qu’il est nécessaire de produire encore plus sans
augmenter la superficie des terres utilisées. Ceci est le véritable objectif de l’agriculture de
demain ; aussi les partisans de l’agriculture biologique oublient que les solutions qu’ils
proposent ne peuvent permettre de satisfaire les besoins exigés par l’augmentation de la
population588.
Une thèse similaire est soutenue au niveau international par les Académies des
Sciences des pays qui ont recours aux biotechnologies. Ainsi, dans un rapport publié en
commun589, les Académies des Sciences britannique, américaine, brésilienne, chinoise,
indienne, mexicaine et du tiers monde, affirment qu’un pas doit être fait afin de développer
les besoins urgents pour des pratiques durables dans l’agriculture mondiale si on veut
satisfaire la demande d’une population mondiale croissante sans détruire les ressources de
base de l’environnement. Aussi, la biotechnologie couplée avec d’autres solutions devrait être
utilisée afin d’augmenter la production de réserves alimentaires, augmenter l’efficacité de la
production, réduire l’impact environnemental de l’agriculture, et fournir un accès aux
aliments pour les petits fermiers590.

La faim dans le monde aujourd’hui


On l’aura compris : la transgenèse végétale est soutenue au niveau des institutions
internationales comme l’une des solutions qui doit réussir le challenge de nourrir l’humanité
entière. Et si elle n’est pas la seule solution, elle est l’une des principales. Aussi, pour donner

587
« The benefit of GM technology to the poorest farmers is palpable. To a cotton farmer working
on a farm of about a hectare in area, the use of ‘Bt’ cotton (containing a gene for an insecticide
derived from the bacterium Bacillus thuringiensis) has raised income by a quarter, cut costs by a third,
and slashed pesticide use by three quarters. »Ibid.
588
« The deleterious environmental consequences of some kinds of food production are very real. This
is clearly evident in fisheries, and incorrectly perceived as such by some in the adoption of GM
technology. But nostalgia isn’t what it used to be: organic farming, sometimes touted as a panacea, is
no more sustainable than the fish-farming that produces high-value smoked salmon to those
consumers who can afford it. In the world at large, technological change is — as it always has been —
driven by the need to squeeze ever greater yields from the same plot of land. In all such arguments,
knowledge is the ultimate decider, balanced as usual by economic considerations. Whatever the
outcome, the decisions we make now could have repercussions for millennia. »Ibid., p.670
589
The Royal Society of London, the U.S. National Academy of Sciences, the Brazilian Academy of
Sciences, the Chinese Academy of Sciences, the Indian National Science Academy, the Mexican
Academy of Sciences and the Third World Academy of Sciences ; Transgenic Plants and world
Agriculture, National Academy Press Washington, D.C. July 2000.
590
« We conclude that steps must be taken to meet the urgent need for sustainable practices in world
agriculture if the demands of an expanding world population are to be met without destroying the
environment or natural resource base. In particular, GM technology, coupled with important
developments in other areas, should be used to increase the production of main food staples, improve
the efficiency of production, reduce the environmental impact of agriculture, and provide access to
food for small-scale farmers. », Ibid., p.12.

268
une valeur concrète à cet argument prospectif, les experts font automatiquement référence
à la situation actuelle des pays en voie de développement. Etant donné que la révolution
verte n’a pas complètement réussi à résoudre l’ensemble des problèmes posés par la faim
dans les pays du tiers-monde, c’est dans ces derniers que les PGM sont appelés à jouer un
rôle majeur essentiel.
Aussi, une association telle que le C.G.I.A.R (the consultative group on international
agricultural research) travaille à la réalisation du transfert de technologie entre les pays
développés et les pays en voie de développement. Pour analyser ces problèmes, une
conférence a eu lieu à la banque mondiale à Washington en octobre 1999. Cette conférence
a été organisée par la NAS et le CGIAR et a été co-sponsorisée par de nombreuses
associations telles que la FAO, BIO, l’ICS, et différents départements des Nations Unies et
propose un état des lieux général de la situation du problème de la faim dans le monde, tout
en étudiant la possibilité de transférer les biotechnologies agro-alimentaire591. Ce sujet est
abordé par Alexander F. McCalla et Lynn R.Brown592 au cours d’un exposé sur le rôle de la
science dans la résolution de ce problème. Les auteurs rappellent que la science a joué un
rôle majeur dans le challenge de produire plus d’aliments dans les 50 dernières années. La
révolution verte pour le riz et le blé a permis de sécuriser la plupart des gains de production
de ces plantes. Les auteurs rappellent que malgré d’impressionnantes performances
globales, on constate des différences régionales considérables : en effet, en Afrique sub-
saharienne, durant la même période, la disponibilité des aliments per capita et par
conséquent la disponibilité de calories a diminué à cause de taux de croissance
occasionèlement négatifs de la production agricole et un taux de croissance constant et
élevé de la population593. On a pu noter également certaines différences entre l’Afrique sub-
saharienne et l’Asie du sud-est. Partant de la croissance de la population dans l’absolu et du
doublement de la population dans les zones urbaines, et ajoutant à cela le problème de la
disponibilité de l’eau et la superficie des terres cultivables disponibles, les auteurs en

591
Consultative Group on International Agricultural Research and US National Academy of Sciences
Agricultural Biotechnology & the poor ; Cosponsors Biotechnology Industry Organization Food and
Agriculture Organization of the UN Global Forum on Agricultural Research International Council for
Science International Fund for Agricultural Development Third World Academy of Sciences UN
Development Programme UN Educational, Scientific and Cultural Organization UN Environment
Programme UN Industrial Development Organization Union of Concerned Scientists G.J. Persley and
M. M. Lantin, Editors.
592
Alexander F. McCalla and Lynn R. Brown, « Feeding the Developing World in the Next Millennium:
A Question of Science? » In Agricultural Biotechnology & the poor .
593
« This impressive global aggregate performance,however, masks considerable regional differences.
In sub-Saharan Africa, in the same period, per capita food availability, and consequently per capita
calorie availability, decreased due to sometimes negative growth rates in agricultural production and
continuing high population growth rates. » McCalla and Brown Ibid, p.32

269
déduisent la nécessité de la biologie moléculaire pour augmenter la production. Ils affirment
qu’il est nécessaire de tirer des conclusions de la première révolution verte. Cette nouvelle
révolution verte doit profiter aux plus pauvres et ne pas être à l’origine d’une dégradation de
l’environnement. Ils font référence aux études de Conway qui démontrent que la nouvelle
révolution devra être « doublement verte » en augmentant la production d’une manière plus
rapide que dans les années précédentes et en le faisant d’une manière durable sans
déranger l’environnement. Cela devrait également améliorer les salaires ruraux et
l’accessibilité des aliments aux pauvres ; aussi, la biotechnologie a le potentiel d’atteindre en
partie cet objectif594. Concernant les pays en voie de développement, il est essentiel qu’ils
soient assistés dans le développement des nouvelles technologies. Or contrairement à la
première révolution verte où les développements ont eu lieu dans le secteur public, ici, les
principales avancées ont lieu dans le secteur privé qui bénéficie d’une protection des droits
de propriété industrielle. Cette dernière est d’une certaine importance parce qu’elle permet
aux entreprises de financer les coûts élevés de recherche et développement ; en effet, le
secteur privé ne serait pas en mesure de prendre en charge ces efforts sans ce système.
Ceci explique donc pourquoi, peu de recherches sont effectuées dans le secteur privé pour
les pays en voie de développement pour des plantes telles que le sorgo, le millet ou le
cassava. Pour encourager de telles recherches, il est essentiel de baisser les coûts relatifs en
recherche et développement. Pour cette raison, le C.G.I.A.R. propose plusieurs pistes :
- Un partenariat actif entre le secteur privé et public pour la recherche concernant les
aliments des pays en voie de développement. Ce qui ne peut que profiter aux deux
secteurs en augmentant la disponibilité de germoplasme de semences pour le secteur
privé et en garantissant une plus grande attention aux plantes les plus importantes
pour les petits producteurs595,
- L’application d’une politique similaire à celle de l’industrie pharmaceutique,
- L’établissement d’un système global de financement pour les structures de recherche
et développement avec l’obtention de droits de protection non-exclusifs. Selon
l’auteur, les industriels pourraient trouver un certain attrait dans ce genre de

594
« As Conway (1997) pointed out, the next technology- driven revolution must be doubly green – it
must increase food production at a faster rate than in recent years and do it in a sustainable manner
without significantly damaging the environment. It should also improve rural incomes and increase
accessibility to food by the poor Biotechnology has the potential to contribute substantially to this
objective, but it is controversial. » Ibid.
595
« The first is active public – private sector partnerships in research for developing country food
crops. This benefits both parties through increasing the availability of crop germplasm to the private
sector, and ensuring attention to the crops most important to poor farmers in developing countries. »
McCalla and Brown, Ibid., p.25.

270
financement, même si les droits de protection sont non-exclusifs parce que cela
permet de mettre en place de nouvelles possibilités technologiques qu’ils pourraient
intégrer ailleurs que dans le domaine des PVD ; d’autre part, en développant le
secteur de la R&D sur ces pays, on pourrait réduire la pauvreté et créer un nouveau
marché596

D’après l’auteur, les biotechnologies ont véritablement le pouvoir de résoudre le problème de


l’insécurité alimentaire et de la malnutrition dans les pays en voie de développement. On doit
précautionneusement analyser les risques de l’introduction de cette nouvelle technologie sur
le marché des PVD. Pour cela, il semble essentiel de faire intervenir le C.G.I.A.R. et
d’organiser des forums de réflexion mondiaux. La prise en compte des risques doit être
spécifique dans le cas des PVD. Il sera nécessaire de mettre en place une structure
indépendante pour effectuer des tests des produits qui seront développés et ne sont pas
consommés dans les pays industrialisés. Les experts réaffirment donc le rôle du C.G.I.A.R. à
chacune de ces étapes.

Cette opinion selon laquelle la transgenèse végétale doit aider l’agriculture à remporter
les challenges qui se présentent à elle dans un avenir proche est confortée par le rapport sur
le développement humain commissionné par le programme de développement de l’ONU
(UNDP)597. Ce texte de 2001 soutient que de nombreux PVD pourront récolter de grands
bénéfices des PGM. Tout en reconnaissant qu’il existe des risques sanitaires et
environnementaux, le texte souligne le potentiel unique des biotechnologies pour créer des
plantes résistantes aux virus, tolérantes à la sécheresse et améliorées d’un point de vue
nutritionnel598. Le rapport met alors l’accent sur l’urgence qu’il y a dans la nécessité d’un
plus grand investissement du secteur public afin de s’assurer que les biotechnologies

596
« A third suggestion is the establishment of a global competitive grants research facility for R&D on
developing country food crops, with nonexclusive intellectual property protection.Why would
companies want to undertake research for which their intellectual property protection was
nonexclusive? First, the R&D could lead to new enabling technologies, which they could incorporate in
R&D activities on crops other than developing country food crops, and which could have intellectual
property protection on the final product. Second, increasing the productivity of developing country
agriculture will reduce poverty and lead to agricultural commercialization, thus creating future
competitive market opportunities for other commercial product lines. »Ibid.
597
United Nations Development Programme (UNDP), The Human Development Report 2001 , Oxford
University Press, 2001.
598
«Breakthrough applications in medicine and agriculture have huge potential for accelerating human
development. But this potential will be truly tapped only if biotechnology is used to address the key
health and agriculture challenges of poor countries—tropical diseases and the crops and livestock of
the marginal ecological zones left behind by the green revolution. And only if this is done with a
systematic approach to assessing and managing risks of harm to human health, environment and
social equity. » Ibid., p.34.

271
puissent correspondre aux besoins des pauvres599. Il serait nécessaire, par exemple, de
développer des variétés plus modernes de millet, de sorgho et de cassava. Le rapport insiste
également sur la nécessité de mettre en place un système de gestion des risques. En effet,
d’après les auteurs si tous les pays doivent trouver des solutions pour gérer les risques, les
PVD font face à plusieurs difficultés qui peuvent ajouter un coût supplémentaire, augmenter
les risques et réduite leur capacité à gérer le changement de manière sûre. Le premier de
ces obstacles est une pénurie de personnel qualifié. Le second est un manque de
ressources ; en effet, le maintient d’un cadre législatif pour encadrer le développement de la
nouvelle technologie a un coût important qu’il faut pouvoir supporter. Or dans les PVD, les
instituts de recherche sont souvent financés par des dons. Un troisième obstacle réside dans
les faibles stratégies de communication. La connaissance que le public a des PGM varie en
fonction des PVD, mais dans la plupart, des cas, il y a un véritable manque d’information.
Aussi, cette dernière rencontre de nombreuses difficultés pour se répandre (illettrisme,
croyances, attitude réfractaire aux nouvelles technologies…). Les mécanismes de retour
inadéquats (inadequate feedback mechanisms) : en effet, les mécanismes qui permettent de
transmettre ou de recevoir l’information ne sont pas bien développés et il apparaît, par
conséquent, difficile de suivre si les procédures de sécurité sont bien respectées ou non.
Pour résoudre tous ces problèmes, il semble nécessaire d’établir une politique nationale et
un support global. Aussi, les auteurs affirment avec un certain optimisme que les PVD
peuvent surmonter l’ensemble de ces obstacles. Après un long développement sur
l’application du principe de précaution dans les PVD et un chapitre sur la distinction
nécessaire entre la situation dans ces pays et dans les pays occidentaux, les auteurs ajoutent
que le principe de précaution n’est pas encore définitivement établi et que sa définition
continue à évoluer. Un processus politique et scientifique permettra d’en donner une version
finalisée. Certains pays font parfois un usage discriminatoire du principe de précaution et ce,
à des fins protectionnistes. Au final, les pays feront des choix différents de définition du
principe de précaution et ce pour une bonne et simple raison : la balance des coûts et des
bénéfices face aux nouvelles technologies n’est pas la même ; leurs citoyens peuvent ne pas
avoir la même attitude face à la prise de risques et face aux revenus potentiels600. Aussi, les

599
« In developing countries national capacities are also limited. Intellectual property rights can
stimulate innovation, but in today’s world of very uneven demand and capacity, they are not enough
to stimulate innovation in many developing countries. At the global level, potentially huge benefits
require difficult coordination. Yet public investment in technology development can have enormous
returns. » Ibid., p.45.
600
« Ultimately, countries will make different choices—and for good reasons. They face different
potential costs and benefits from new technologies. Their citizens may have different attitudes
towards taking risks and vary widely their capacities to handle potential outcomes. »Ibid., pp.70,71.

272
PVD adoptent une attitude différente envers les PGM, de la prévention à la promotion.

Comme on peut le constater, l’UNDP prend largement partie pour l’intégration des
biotechnologies dans les pays en voie de développement. On notera avec quelle insistance le
rapport souligne la nécessité de mettre en place un système juridique pour assurer la gestion
et l’estimation des risques ainsi qu’une politique de régulations et de procédures, pas
seulement une législation écrite mais également la mise en place et l’entretien d’un système
de surveillances, ainsi qu’un système qui permette d’informer et de prendre en compte les
attentes du public601. Un transfert de compétences et de technologies s’avère non seulement
nécessaire, mais également souhaitable. Aussi, la transgenèse végétale est bel et bien
considérée comme participant à part entière au développement humain. Comment toutes ces
idées peuvent être appliquées sur le terrain, et ne restent pas seulement de bonnes
intentions, c’est ce que l’on peut se demander.

Mise en pratique du transfert de technologie


Afin de faciliter l’acquisition des biotechnologies agro-alimentaire certaines organisations
internationales chargées de soutenir le transfert de technologies et de compétences ont été
mises en place ; c’est le cas de l’ISAAA (International Service for the Acquisition of Agri-
biotech Application)602, une organisation à but non-lucratif dont le travail consiste à
transférer ces technologies dans les pays pauvres et à créer un environnement favorable
pour qu’elles soient appliquées de manière sure et efficace. Fondée en 1991, cette
organisation est co-sponsorisée par des institutions publiques et privées situées de par le
monde et qui partagent la vision selon laquelle les technologies agro-alimentaires ont la
capacité de réduire la faim dans le monde. Les programmes soutenus par l’ISAAA
correspondent à la demande et aux besoins des petits agriculteurs; l’ISAAA identifie, évalue
et facilite l’acquisition des biotechnologies qui peuvent se révéler profitables pour les plus
pauvres ; l’implémentation des technologies se fait en fonction de plusieurs critères qui
sont :
- Un impact à court terme pour l’alimentation, les plantes à fibres et les forêts
- Une sélection de technologies applicables parmi une série d’applications : culture
tissulaire, diagnostique, plantes transgéniques avec des traits particuliers, marqueurs
moléculaires et applications dérivées de la génomique

601
« For the introduction of genetically modified crops, every country needs to create a biosafety
system with clear and coherent guidelines, skilled personnel to guide decision-making, an adequate
review process and mechanisms for feedback from farmers and consumers. »UNDP, Ibid.
602
ISAAA Strategic plan 2001-2005, Poverty and Technology, May 2002.

273
- Un porte-folio équilibré d’applications avec une introduction de traits pour contrôler le
stress des plantes et de traits pour améliorer leur qualité nutritive
- Des applications qui peuvent contribuer à un environnement plus sûr et à une
agriculture plus durable en diminuant la dépendence à l’eau, aux pesticides et aux
engrais.
- Le développement d’un petit nombre de projet globaux qui peuvent améliorer la
production d’aliments de base603

Pour parvenir à ces objectifs, l’ISAAA fournit des conseils et des services. Ces services
consistent en l’aide à la mise en place de moyens de développement (capacity building) aussi
bien pour les scientifiques que pour les politiciens ; un accompagnement dans des domaines
tels que la biosécurité, la sécurité alimentaire, le droit à la propriété intellectuelle et la
gestion écologique des plantes génétiquement modifiées ; la commande et la publication
d’études sur l’évaluation des impacts afin de renseigner les projets réalisés ; la transmission
de savoir grâce au centre multimédia de l’ISAAA pour la connaissance globale des
biotechnologies, ainsi, il fait une grande part au partage du savoir et à l’information du grand
public. A partir de 2001, la stratégie de l’ISAAA qui a déjà permis de transférer des
technologies de certaines firmes vers les pays les plus pauvres, va se renforcer par la mise
en place d’un centre en Afrique (ISAAA Afri-center) et un centre en Asie du Sud Est
604
(Seasiacenter) .
Dans son plan stratégique, l’ISAAA affirme que ce sont les pauvres qui profiteront le
plus des développements des PGM, qu’il s’agisse de la pollution réduite, des rendements
accrus ou encore de l’amélioration des qualités nutritionnelles, aussi, les auteurs comptent
bien accentuer les efforts et capitaliser sur les victoires passées605. D’ ici à 2020, l’ISAAA
estime qu’il sera nécessaire d’augmenter la production de céréales de 40% et la production
de tubercules et de racines de 58% ; aussi cet effort de production supplémentaire devra
être effectué dans un souci d’agriculture durable. Les données sont plutôt alarmantes : la
production actuelle a plutôt tendance à stagner ou à diminuer, les surfaces de terre
disponibles diminuent…
L’ISAAA rappelle les bénéfices qu’ont pu apporter jusqu’à présent les biotechnologies
en précisant bien que ce sont pour l’instant les pays développés qui en ont profité et parmi

603
ISAAA, Ibid., p.6.
604
Ibid., p.7.
605
« It is the world poor who will benefit most from the increased yields, reduced pollution and
improved nutritional characteristics of new crop technologies, and ISAAA’s award winning, integrated
technology transfer projects are demonstrating this today in developping contries. » Ibid., p.9.

274
ces pays les agriculteurs et les firmes agro-alimentaires dans un premier temps et les
consommateurs dans un second temps. Aussi, ce sont les PGM de seconde génération qui
sont censés apporter un bénéfice direct aux consommateurs. On en déduira alors que ceci
vaut également pour les PVD, puisque les biotechnologies peuvent fournir une solution à des
problèmes chroniques tels que les maladies, les ravageurs, la sécheresse, les mauvaises
herbes et la salinité du sol606.
L’ISAAA a établi ainsi un programme africain. Pour satisfaire aux besoins actuels et à
venir, les gouvernants africains ont estimé qu’une croissance de 4% de la production
agricole par année serait nécessaire ; les experts de l’organisation estiment, eux, que cela ne
sera possible qu’en prenant des mesures politiques et en utilisant une technologie
appropriée607. L’ISAAA possède un centre installé au Kenya depuis 1994, qui mène 3
projets :
- Un projet de recherche biotechnologique sur la banane (KARI/ISAAA bananas
project) au Kenya ; il s’agit de fournir aux petits producteurs kenyans
(essentiellement des femmes) des plantules (smal plantlets) de banane améliorées
qui permettent de doubler la production
- Un projet sur les arbres multi-usages (multi-purpose tree) ; en modifiant 4 espèces
d’arbres que sont l’Eucallyptus, le Grevillia, l’Accacia, et Mellia Volkensii, pour qu’ils
poussent plus vite ; on a résolu de nombreux problèmes posés par la déforestation
- Enfin, sur la patate douce : ce projet dirigé par Monsanto cherche à immuniser la
plante contre le virus du duvet tacheté (sweat potato feathery mottle virus) ; ces
expériences ont été approuvées par le comité de bio-vigilence du Kenya et on a pu
procéder en 2000 au premier essai en plein champ608.
Il est donc nécessaire dans un premier temps de multiplier les impacts au travers de projets
régionaux. De nouvelles opportunités pour améliorer la production de riz et de cassava sont
également envisagée pour ces 5 années609.

Pour ce qui concerne maintenant le programme asiatique de l’ISAAA, le rapport de


l’institution précise que, quoique égal aux efforts fournis en Afrique, ceux-ci sont différents et
spécifiques aux besoins particuliers de ces pays. Il faut en effet prendre en compte que l’Asie
aura la plus importante croissance de population dans les années à venir, elle devra accroître
ses productions de céréales d’au moins 40% dans les 25 prochaines années et pour

606
ISAAA, Ibid. , pp.14-15.
607
Ibid., p.28.
608
Ibid., p.34.
609
Ibid., p.30

275
maintenir au même niveau l’alimentation en général. La superficie de la terre agricole per
capita continuera à décroître, de même la qualité de ces terres continuera de se dégrader, la
rareté de l’eau se fera de plus en plus sentir, obligeant à une meilleure gestion de l’irrigation,
on observera une baisse de rendement dans certaines des régions les plus productives
d’Asie. Les biotechnologies joueront cependant un rôle essentiel dans la réalisation des
objectifs de l’Asie qui consistent dans la réduction de la pauvreté et la satisfaction des
besoins de plus de 700 millions de pauvres610.
Le SEAsiacenter a été établi en janvier 1998 et comporte 5 partenaires qui sont
l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, la Thaïlande et le Vietnam. L’ISAAA développe
également ses relations avec la Chine et l’Inde au travers d’échanges d’informations et
d’expériences grâce au « knowledge center ». Depuis la mise en place de ce centre, 3
actions primordiales ont été menées, dans l’adoption d’un système juridique, dans la gestion
des droits de propriété intellectuels, dans le développement de l’information auprès de
l’opinion publique. Le partenariat de l’ISAAA consiste essentiellement dans le soutient et la
formation des scientifiques nationaux611. En complément de toutes les actions qui ont déjà
été menées dans cette région du monde, le nouveau plan stratégique prévoit 4 types
d’opérations :
- Renforcement du transfert de connaissance et des échanges avec d’autres régions
telles que l’Afrique, l’Amérique du Sud et l’Asie. (Knowledge center, édition et
traduction de brochures informatives, organisation de forum, réseau international de
transfert de l’information, établissement de « nœuds » (nodes) entre plusieurs
« BICs » (Biotechnology information center) de plusieurs pays).
- Elargissement du transfert des technologies concernant les plantes suivantes le maïs
Bt, la patate douce au Vietnam, le soja, la papaye612.
- Prise de mesures pour garantir la sécurité environnementale (biosafety) en accord
avec le protocole de Carthage.
- Enfin l’ISAAA renforcera les capacités de développement des autorités de chaque
pays et informera le public.

Comme on le constate les initiatives de L’ISAAA sont nombreuses et le dynamisme ne


manque pas pour réussir le pari du transfert de la biotechnologie agro-alimentaire aux PVD.
Que penser alors des critiques de ceux qui affirment qu’il est impossible et inutile de

610
ISAAA, Ibid., pp.35-36.
611
Ibid., p.37.
612
Ibid., p.40.

276
chercher à transférer la technologie des PGM, que cet effort est vain et qu’il ne permettra
jamais de résoudre le problème de la faim, problème politique par excellence. C’est cette
contestation que nous allons maintenant étudier.

Contestation du rôle salutaire de la transgenèse végétale


L’idée selon laquelle, les biotechnologies doivent jouer un rôle essentiel dans la résolution du
problème de la famine et de la malnutrition dans les pays en voie de développement, est
largement contestée. Aussi la thèse de la seconde révolution verte est encore plus malmenée
par les environnementalistes que la 1ère.
Dans un exposé donné lors d’une conférence internationale organisée par
l’association écologiste Friend of Earth, sur « l’impact des biotechnologies modernes sur les
pays en voie de développement »613, Peter Rosset, Ph-d et co-directeur l’Institut Food First
(une organisation pour la politique de développement de l’alimentation), fait un état des
lieux de la situation dans les pays en voie de développement et affirme que les
biotechnologies n’ont aucun rôle à jouer dans la résolution des problèmes que ceux-ci
connaissent aujourd’hui. On peut considérer cet essai comme une réponse directe aux textes
du C.G.I.A.R.614. L’auteur rappelle que dans les PVD, les petits agriculteurs sont les premiers
producteurs d’aliments destinés à la consommation domestique, et ce, en dépit de leur
mauvaise situation dans la société, de la pauvreté et du retard de leur agriculture. Pour
résoudre ces problèmes, il est donc important d’en comprendre les causes. L’auteur propose
un historique de la situation. Il rappelle, qu’à la suite de la colonisation, les meilleures terres
ont été utilisées par les colons afin d’y installer des plantations pour les produits
d’exportation615. Aussi, d’après Rosset, les colons, contrairement aux autochtones qui ont
essayé d’avoir une agriculture durable, se sont efforcés d’avoir une politique agricole

613
Peter Rosset, Ph.D., « Genetic Engineering of Food Crops for the Third World: An Appropriate
Response to Poverty, Hunger and Lagging Productivity? » In Proceedings of the International
Conference on Sustainable Agriculture in the New Millenium – The Impact of modern Biotechnology
on developping countries, Albert Hall, Brussels, May 28-31 2000, Friends of the Earth Europe.
614
« The question I wish to address in this essay is whether genetically engineered crop varieties can,
as industry and mainstream research and policy institutions would suggest (Council for Biotechnology
Information, undated; Pinstrup-Andersen, 1999; McGloughlin, 1999a,b), raise the productivity of poor
third world farmers, feed the hungry, and reduce poverty? », Ibid.
615
« The history of the third world since the beginning of colonialism has been a history of un-
sustainable development. Colonial land grabs pushed rural food producing societies off the best lands
most suitable for farming, the relatively flat alluvial or volcanic soils with ample, but not excessive,
rainfall (or water for irrigation). These lands were converted to production for export in the new global
economy dominated by the colonial powers. Instead of producing staple foods for local populations,
they became extensive cattle ranches or plantations of indigo, cocoa, copra, rubber, sugar, cotton and
other highly valued products. », Ibid.

277
productiviste axée uniquement sur la rentabilité (Lappé et al., 1998). Ils ont déplacé les
populations agricoles qui étaient habituées à gérer des terres proprement irriguées dans des
aires difficilement cultivables telles que les zones arides et les déserts, là où les cultures
précoloniales n’ont jamais songé qu’il s’agissait d’un endroit propice pour la culture. Ceci a
été à l’origine de l’introduction, par les agriculteurs déplacés, de pratiques de production
instables dans certains habitats fragiles, alors que les zones cultivables ont été dégradées en
servant l’exportation continue des européens616.
L’auteur continue en soutenant que l’ère post-coloniale, loin d’améliorer la situation,
l’a, au contraire, laissé se dégrader. En effet, les élites nationales reprenant le pouvoir, ont
continué de privilégier la vision capitaliste et une politique d’exportation. On s’est concentré
sur l’exportation de produits tels que le café, les bananes, les noix, le soja, l’huile de palme…
Dans ce type d’idéologie, on privilégiait le rendement et par conséquent, on en déduisait que
la production rurale devait être abandonnée et que les petits agriculteurs devaient migrer à
la ville pour servir l’industrialisation617. On a donc assisté à une nouvelle concentration de la
possession des terres entre les mains des plus riches, alors que les « sans terre » se sont
davantage appauvris. Ainsi, les zones rurales dans le tiers-monde sont caractérisées par
d’extrêmes inégalités dans l’accès aux terres, qu’il s’agisse de superficie, ou de qualité de
celles-ci. Ces inégalités sont également à l’origine d’inégalités dans le standard de vie, la
santé… Les pauvres se trouvent en marge du système économique.
Tout ces facteurs se trouveraient par conséquent à l’origine d’un cercle vicieux : les
plus riches se désintéressent du marché local pour s’orienter uniquement vers l’exportation.
Ils conservent les salaires bas et sont ainsi assurés de ne voir jamais émerger un marché
intérieur. On assiste ainsi à une spirale infernale de la pauvreté ; l’ironie étant que les
aliments s’échappent de zones touchées par la famine et le besoin pour aller vers les zones
où l’argent est concentrée618.
C’est la même logique qui a conduit à une dégradation de l’environnement. Le
déplacement des populations a été suivi par la déforestation, la désertification et l’érosion

616
« Whereas pre-colonial cultures had never considered these regions to be suitable for high
population densities or intensive annual cropping, in many cases they were henceforth to be subject
to both. As a result forests were felled and many fragile habitats were subject to un-sustainable
production practices, in this case by poor, newly destitute and displaced farmers, just as the favored
lands were being degraded by continuous export cropping at the hands of Europeans (Lappé et al.,
1998). » Ibid.
617
« This was the era of modernization, whose dominant ideology was that bigger is better. In rural
areas that meant the consolidation of farm land into large holdings that could be mechanized, and the
notion that the "backwards and inefficient" peasantry should abandon farming and migrate to the
cities where they would provide the labor force for industrialization » Ibid.
618
« One irony of our world, then, is that food and other farm products flow from areas of hunger and
need to areas were money is concentrated, in Northern countries (Lappé et al., 1998). »Ibid.

278
des sols des habitats fragiles. Ce procédé continue aujourd’hui avec l’arrivée des « sans
terre » en marge de ces zones. Aussi la situation n’est pas meilleure sur les bonnes terres
qui ont été sujettes à la mécanisation, aux pesticides et aux engrais chimiques de manière
intense, afin de mener à bien une monoculture destinée à l’exportation. La fertilité de ces
sols se dégrade rapidement à la suite de l’érosion, le compactage, l’imprégnation et la
résistance croissante aux herbicides ainsi que la perte de biodiversité.
A tous ces facteurs s’ajoutent le fait que les politiques mises en place dans ces pays
ont été à l’origine d’inégalités supplémentaires. Le pouvoir a échappé aux gouvernements
pour favoriser une politique uniquement orientée vers l’exportation et gouvernée par les
instances internationales (World Trade Organisation). Aussi toute une série de mesures
défavorables au développement du marché intérieur ont été prises. On a diminué, voire
supprimé tous les types d’aide aux petits agriculteurs. Ces derniers ont été plongés dans un
environnement dominé par des forces économiques globales où les termes de la participation
ont été arrangés pour satisfaire les intérêts des plus puissants619. C’est ainsi que la plupart
des petits agriculteurs cessent de produire.
Après avoir dépeint ce tableau de la situation des petits paysans, l’auteur, et c’est en
ce qui nous concerne, le point essentiel, affirme que ce ne sont parce qu’ils manquent de
semences miracles que les petits producteurs connaissent un certain retard dans leur
productivité, mais parce qu’ils ont été déplacés sur des terres marginales, dans des régions
trop humides et font face à des politiques macro-économiques totalement défavorables620. Si
les petits fermiers dans les PVD produisent moins, ce n’est pas dû à un manque de
technologie, mais à un manque d’incitation à la production621 : rapports inférieurs aux coûts
de production, concurrence des produits exportés…L’auteur affirme que la capacité des PGM
à combler les besoins des agriculteurs est tangente, ils ne permettent en aucune manière de
résoudre les véritables problèmes. Rosset veut maintenant se demander si les PGM sont sans
conséquences sur les petits agriculteurs ou si, ils sont une véritable menace.
A la suite des nombreux aléas qu’ont connus les petits fermiers au cours des
différentes phases de leur histoire, leur agriculture est considérée comme complexe diverse

619
« Increasingly they have been plunged into an environment dominated by global economic forces,
where the terms of participation have been set to meet the interests of the most powerful. » Ibid.
620
« Third world food producers demonstrate lagging productivity not because they lack ‘miracle’
seeds that contain their own insecticide or tolerate massive doses of herbicide, but because they have
been displaced onto marginal, rain-fed lands, and face structures and macroeconomic policies that are
increasingly inimical to food production by small farmers. » Ibid.
621
« No new seed, good or bad, can change that, and thus it is extremely unlikely that, in the
absence of urgently need structural changes in access to land and in agricultural and trade policies,
genetic engineering could make any dent in food production by the world’s poorer farmers (Lappé et
al., 1998; also see debate between McGloughlin, 1999b, and Altieri and Rosset, 1999a,b). »

279
et sujette au risque (Chambers, 1990). Pour survivre dans de telles circonstances et
améliorer leurs circonstances de vie, ils doivent pouvoir adapter les technologies agricoles à
leurs circonstances uniques et variables, en terme de climat local, topographie, sols,
biodiversité, systèmes de semences, insertion dans le marché, ressources… L’auteur affirme
que les agriculteurs ont réussi à manager l’équilibre entre les risques et leurs divers besoins
pendant des millénaires622. Leur système agricole nécessite des semences multiples. Rosset
soutient que ces fermiers ont rarement bénéficié des technologies de la révolution verte.
Pour résoudre leurs problèmes de productivité, une nouvelle stratégie devra s’appliquer à
plusieurs variétés adéquates. Les petits agriculteurs plantent différentes variétés sur leurs
terres et adaptent leur choix aux caractéristiques de chaque secteur (besoin de drainage,
fertilité). Cependant de telles variétés ne peuvent pas être facilement développées à partir
des recherches actuelles ou les méthodes et les structures actuelles (celles que les
protagonistes des biotechnologies soutiennent actuellement)623
Des études auraient démontré (Jiggins & al., 1996) que de nombreux paramètres
entraient en ligne de compte pour influencer le rendement des plantes et que l’on ne se
trouvait pas dans la même situation que pour les plantes où il suffisait de sélectionner des
caractères de certaines variétés et de les hybrider avec d’autres pour accroître leur capacité
de rendement. Aussi, il y aurait de nombreuses évidences pour démontrer que dans la zone
sub-saharienne, le rendement des variétés améliorées, fertilisées, et qui ont bénéficié
d’autres avantages technologiques, est en fait, largement influencé par le site, la terre, la
saison et les agriculteurs624. En partant de ce constat, il apparaît nécessaire de mettre en
place une approche participative impliquant les fermiers eux-mêmes et qui prend en compte
les caractéristiques multiples des variétés de graines et des fermiers. Pour Rosset, il est

622
« In order to survive under such circumstances, and to improve their standard of living, they must
be able to tailor agricultural technologies to their variable but unique circumstances, in terms of local
climate, topography, soils, biodiversity, cropping systems, market insertion, resources, etc. For this
reason such farmers have over millennia evolved complex farming and livelihood systems which
balance risks -- of drought, of market failure, of pests, etc. -- with factors such as labor needs versus
availability, investment needed, nutritional needs, seasonal variability, etc. »Ibid.
623
« Peasant farmers typically plant several different varieties on their land, tailoring their choice to
the characteristics of each patch, whether it has good drainage or bad, is more or less fertile then the
rest, etc. However, such varieties cannot be easily developed with current research and extension
structures and methods – the same structures that biotech proponents use for genetically engineered
varieties. » Ibid.
624
« These interconnections stand in direct contrast to formal breeding procedures where varieties are
selected individually for discrete traits, then crossed to combine these individual traits. According to
Jiggins et al (1996), high-yielding variety trials in Sub-Saharan Africa show "larger variations, for both
‘traditional’ and ‘improved,’ among farmers and between years, than the mean differences between
‘traditional’ and ‘improved’ yields in a single year. There is indeed overwhelming evidence throughout
SSA that the yield response to fertilizer and improved varieties, soil management and other practices
is highly site-, soil-, season, and farmer-specific." » Ibid.

280
impossible de concevoir que les technologies soient développées en laboratoire et distribuées
en vain aux fermiers ; ce qui reviendrait en fait à répéter les mêmes erreurs que lors de la
révolution verte. Pourtant les protagonistes des biotechnologies sont à l’opposé des
recherches participatives625.
En ce qui concerne maintenant la possibilité d’améliorer l’alimentation (il prend ici le
cas du golden rice), l’auteur dénonce la naïveté et ce manque de connaissance de ceux qui
prétendent pouvoir résoudre les problèmes de malnutrition de 2 millions d’enfants. En effet,
le manque de vitamine A ne serait pas un problème mais plutôt un symptôme626 qui nous
avertit des dangers d’une alimentation fondée sur une monoculture. Les individus manquent
de vitamine A, non pas parce que le riz est pauvre en celle-ci, mais bien plutôt, parce que
leur alimentation ne se compose que de riz et quasiment de rien d’autre. Une alimentation
plus variée serait donc une solution plus judicieuse, y compris pour soigner les autres
maladies dont ils souffrent.
Constatant cependant la vitesse avec laquelle se répandent les PGM, l’auteur
s’interroge alors sur les risques qui peuvent se trouver à l’origine de l’implantation éventuelle
des biotechnologies dans les PVD. Rosset affirme que ces risques sont plus dangereux que la
révolution verte. En effet, les problèmes soulevés par le développement des biotechnologies
peuvent entraîner des risques économiques qui peuvent affecter les petits agriculteurs
beaucoup plus que les grands. Si les consommateurs rejettent ces produits, le risque est plus
élevé pour les plus pauvres. Enfin le coût élevé introduit une inégalité dans le système627.
Aussi, les variétés de plantes génétiquement modifiées qui sont actuellement cultivées
(résistantes à un antibiotique ou à un herbicide) ne peuvent intéresser en rien les petits
agriculteurs.
L’auteur en profite pour dénoncer la stratégie vouée, selon lui, à l’échec des plantes
Bt, non-respectueuses de l’IPM (integrated pest management) qui ne fait que remplacer

625
« Given such conditions the inescapable conclusion is that a different approach, participatory
breeding by organized farmers themselves, which takes into account the multiple characteristics of
both seed varieties and farmers, is essential–miracle seeds will not just be developed in laboratories
and on research stations and then effortlessly distributed to farmers (Chambers, 1990). Yet genetic
engineering is the very antithesis of participatory, farmer-led research. » Ibid.
626
« If one reflects upon patterns of development and nutrition one must quickly realize that Vitamin
A deficiency is not best characterized as a problem, but rather as a symptom, a warning sign if you
will. It warns us of broader dietary inadequacies associated with both poverty, and with agricultural
change from diverse cropping systems toward rice monoculture. »Ibid.
627
« When transgenic varieties are used in such cropping systems, the risks are much greater than in
green revolution, large, wealthy farmer systems, or farming systems in Northern countries. The
widespread crop failures reported for transgenics (i.e., stem splitting, boll drop, etc.) pose economic
risks which can affect poor farmers much more severely than wealthy farmers. If consumers reject
their products, the economic risks are higher the poorer one is. Also, the high costs of transgenics
introduce an additional anti-poor bias into the system (Altieri and Rosset, 1999a,b). »Ibid.

281
l’approche « un ravageur, un produit chimique » par l’approche «un ravageur, un gène ».
L’auteur ajoute qu’en ce qui concerne la stratégie de la gestion de la résistance, on peut
douter que les fermiers les plus pauvres soient en mesure de l’adopter (Altieri and Rosset,
1999a, b). L’environnementaliste, fait état des découvertes récentes qui auraient démontré
la propension des plantes Bt à affecter les populations d’insectes non-cibles ; or ces derniers
comptent énormément dans le système agricole des agriculteurs des PVD où ils jouent le
rôle de prédateurs des insectes ravageurs628. Les PGM pourraient donc être à l’origine de
modifications dans l’environnement direct des cultures dont on ne serait plus en mesure de
contrôler les conséquences.
Quant au problème de la pollution génétique, d’après Rosset, il serait plus important
dans les PVD, ceci du fait de l’importante variété d’herbes sauvages et par conséquent du
risque plus fréquent de transfert629, tout ceci ayant pour risque de créer de nouvelles
variétés d’herbes sauvages résistantes à tous types de traitements. Enfin, si, comme on le
suppose, les PGM peuvent se trouver à l’origine de nouveaux virus, ce phénomène s’il avait
lieu affecterait également d’une manière plus forte les petits agriculteurs.

Les thèses que nous venons d’énumérer sont partagées par de nombreux
environnementalistes. Sur la page d’accueil de son site consacré à l’Agroécologie Miguel A.
Altieri du département des sciences environnementales de l’Université de Berkeley en
Californie, énonce quelques mythes concernant les biotechnologies agricoles630. D’après
l’auteur, le dogme soutenu par les compagnies agrochimiques qui contrôlent la direction et
les buts de l’innovation agricole au travers la biotechnologie, et affirment que le génie
génétique développera une agriculture durable en solutionnant les problèmes de l’agriculture
conventionnelle et en évitant aux petits agriculteurs des PVD la sous-productivité, n’est
qu’une succession de mythes, incapable de tenir ses promesses dès qu’on le confronte à la

628
« Small farmers rely for insect pest control on the rich complex of predators and parasites
associated with their mixed cropping systems. But the effect on natural enemies raises serious
concerns about the potential of the disruption of natural pest control, as polyphagous predators that
move within and between mixed crop cultivars will encounter Bt-containing non-target prey
throughout the crop season. » Altieri, M.A. and Rosset, P. 1999a. Ten reasons why biotechnology will
not ensure food security, protect the environment and reduce poverty in the developing world.
AgBioForum 2(3&4): 155-162. On-line at: http://www.agbioforum.org/vol2no34/altieri.htm
629
« In the Third World there will typically be more sexually compatible wild relatives of crops
present, making pollen transfer to weed populations of insecticidal properties, virus resistance, and
other genetically engineered traits more likely, with possible food chain and super-weed
consequences. » Ibid.
630
Miguel Angel Altieri, the myths of agricultural biotechnologies : some ethical questions

282
réalité631.
Le premier de ces mythes affirme que les fermiers profiteront des biotechnologies
aux E.U., comme dans les pays en voie de développement. La plupart des innovations qui se
produisent dans les biotechnologies agricoles sont orientées vers le profit, plus que par le
besoin. Par conséquent, les industriels ont moins pour objectif de résoudre des problèmes
agricoles que de créer du profit632. De plus, les biotechnologies cherchent à industrialiser
d’avantage l’agriculture et d’accroître la dépendance des agriculteurs à leur égard en
s’appuyant sur un système de propriété intellectuelle rude.
Le second mythe affirme que les biotechnologies profitent aux petits fermiers et
favorisent les pauvres et les affamés des PVD. L’auteur affirme, lui, que les biotechnologies
marginaliseront littéralement les petits fermiers et ne feront qu’accroître l’écart qui a été créé
par la révolution verte, d’autant plus que ces technologies sont sous contrôle des
entreprises, protégées par des brevets, chers et inappropriées aux besoins et aux
circonstances des individus. Alors que le monde est en manque de nourriture, souffre de
pollution due aux pesticides, le focus des multinationales est le profit et non la philanthropie.
C’est pour cette raison que, d’après Altieri, les industriels conçoivent les nouvelles plantes
pour des qualités marchandes ou pour les substituer aux imports, plus que pour leurs
capacités à produire plus633. Généralement une PGM est une plante brevetée qui est produite
sur un marché sécurisé. On peut donc supposer que les petits agriculteurs des PVD risquent
de perdrent leurs droits par rapport à ces nouvelles plantes. L’auteur se demande alors, de
manière ironique pourquoi ne trouve-t-on pas plus de plantes orientées vers la résolution des
problèmes du tiers-monde ? En fait les biotechnologies ne feront que saper les exportations
des petits producteurs des PVD. Enfin, il affirme que les multinationales ont procédé à un
pillage des ressources présentes dans les PVD et ce, avec l’accord du GATT.

631
« The agrochemical corporations which control the direction and goals of agricultural innovation
through biotechnology claim that genetic engineering will enhance the sustainability of agriculture by
solving the very problems affecting conventional farming and will spare Third World farmers from low
productivity, poverty and hunger (Molnar and Kinnucan 1989, Gresshoft 1996). By matching myth
with reality the following section describes how and why current developments in agricultural
biotechnology do not measure up to such promises and expectations. » Ibid.
632
« Most innovations in agricultural biotechnology are profit driven rather than need driven, therefore
the thrust of the genetic engineering industry is not to solve agricultural problems as much as it is to
create profitability. »Ibid.
633
« As biotechnology is primarily a commercial activity, this reality determines priorities of what is
investigated, how it is applied and who is to benefit. While the world may lack food and suffer from
pesticide pollution, the focus of multinational corporations is profit, not philanthropy. This is why
biotechnologists design transgenic crops for new marketable quality or for import substitution, rather
than for greater food production (Mander and Goldsmith 1996). » Ibid.

283
Conclusion sur les PGM et la faim dans le monde
La controverse sur les capacités de la transgenèse végétale à pouvoir faire face à un
problème comme celui de la faim dans le monde est sans doute l’une des plus virulentes. En
effet, comme on le voit, les protagonistes n’hésitent pas à s’accuser mutuellement : alors
que les anti-PGM reprochent aux industriels d’utiliser l’argument de la faim dans le monde
pour faire peur au public et se donner une image de sauveur (aussi bien pour les PVD que
pour l’avenir de l’humanité) les pro-PGM, eux, accusent les ONG et certains pays d’influencer
les décideurs des PVD afin qu’ils refusent tous types d’aides ; or en pratiquant cette
ingérence, les opposants feraient preuve d’un véritable égoïsme634. Aussi, plus que toutes les
autres controverses, celle-ci, laisse la place à des interprétations différentes et ce pour la
bonne et simple raison qu’elles sont de pures estimations. Le relativisme est donc possible et
largement présent. Alors que les experts pro-PGM misent essentiellement sur la transgenèse
et le transfert de compétence pour résoudre les problèmes des PVD, ou du futur de
l’humanité, les experts anti-PGM ont une approche totalement différente et recadrent le
problème dans des bases socio-historiques ; la transgenèse devient alors purement
anecdotique. Or, peut-on encore ici parler de controverse, puisque ce qui est en jeu, c’est
bien moins une vérité scientifique que la place de la transgenèse végétale dans la société?
La proposition « les PGM sont une solution pour résoudre le problème de la faim dans le
monde, à condition que l’histoire économique du pays permette aux agriculteurs d’acquérir la
technologie et qu’ils réussissent leurs récoltes » devient la seule vérité incontestable, ainsi
qu’un excellent prétexte pour continuer à développer la transgenèse.

3.4 Synthèse sur les controverses au niveau des experts


Avant d’étudier la polémique sur les PGM qui a éclaté dans la sphère publique, nous
souhaitons revenir sur quelques-uns des problèmes soulevés par les controverses
scientifiques. On a pu constater une forte idéologisation du débat en ce sens que les pro- et
les anti-PGM s’opposent moins par une remise en cause des faits que par une incapacité à
s’entendre sur l’interprétation de ceux-ci. Il en va ainsi du risque d’allergie et du transfert

634
Per Pinstrup Andersen, directeur de l’IFPRI (International Food Policy Research Institute) affirme
que les pays européens s’opposent au développement des PGM pour des raisons de sécurité. Or
contrairement aux pays européens qui peuvent se passer des biotechnologies dans le secteur agricole,
les PVD, eux auraient besoin des solutions qu’apportent celles-ci. Per Printsup-Andersen, « Modern
Biotechnology and small farmers in Developping Countries », In Research Perspective, volume 21,
N°2, 1999

284
d’un antibiotique, du risque d’apparition de populations d’insectes résistants, de la diminution
de l’usage des pesticides ou encore de la capacité des PGM à solutionner les problèmes des
PVD. Chacun de ces faits est reconnu et admi, mais seulement comme probable. Comme
tout fait probable, par conséquent, sa valeur de vérité est conditionnée à un certain nombre
de variables. Ainsi, le risque d’apparition de populations résistantes est conditionné à la
biologie de la pyrale, à l’importance de sa présence dans les champs, à l’efficacité des plans
de gestion de la résistance, au suivi de celles-ci par les maïsiculteurs… Aussi la difficulté à
prédire l’avènement du risque réside dans l’impossibilité de déterminer la réalisation de ces
facteurs. Par exemple, si les maïsiculteurs respectent les plans de gestion de la résistance,
on peut penser que l’apparition de populations d’insectes résistants sera retardée, voire
évitée ; mais ce facteur est lui-même conditionné par un autre qui est la capacité du
maïsiculteur à suivre à la lettre les recommandations ; puis encore un autre qui est
l’efficacité même de ces plans de résistances ; et de nouveau, la présence de pyrale non-
résistante et leur capacité à se reproduire avec des pyrales résistantes… On a ainsi une
chaîne de conditions qui nous éloigne toujours un peu plus de l’évaluation du risque.
Aussi, si l’on considère les deux propositions suivantes : « le maïs Bt ne se trouvera
jamais à l’origine de l’apparition de population de pyrales résistantes. » et sa contradictoire
« le maïs Bt se trouvera nécessairement à l’origine de nouvelles populations de pyrales
résistantes », on constate que la première proposition est indémontrable ; en effet, sa vérité
reposant entièrement sur une expérience à venir, la démonstration de celle-ci relève de
l’induction. La seconde, par contre, est entièrement démontrable. Il suffit de l’apparition
d’une seule pyrale résistante pour la démontrer. Dans le premier cas, on n’aura jamais de
preuve empirique de la vérité, dans le second cas, même si on ne peut prédire si cette
preuve apparaîtra un jour et quand elle apparaîtra, une seule occurrence suffit pour
démontrer la proposition. Il y a donc une différence au niveau de la logique de ces deux
propositions. On voit bien que la première n’a pas de valeur scientifique, puisqu’elle porte sur
la démonstration d’une classe vide. Elle correspond à la démonstration du « risque zéro »635.
La seconde, quant-à-elle, a une valeur prédictive. Elle s’inscrit dans la démarche propre au
principe de précaution et en fonction de la manière dont on l’interprète, peut entraîner deux
types de conséquences : soit l’abandon de la technologie, soit la précaution et la prise de
mesures adéquates pour prévenir les risques.
A la suite de cette réflexion, il nous semble bien que la controverse sur la
transgenèse végétale se nourrit de l’impossibilité de démontrer le « risque zéro ». En

635
On a coutume par rapport à celui-ci d’affirmer qu’il n’existe pas, il faut ajouter à cela qu’il est
indémontrable.

285
chargeant les promoteurs de la technologie de démontrer l’absence totale de risque, les
scientifiques opposés aux PGM demandent l’impossible et par conséquent, entretiennent la
controverse. Biensûr, il est important de noter qu’il y a des degrés entre les modes
d’oppositions aux PGM et la demande d’application du principe de précaution. Or si le risque
zéro est indémontrable, c’est parce que la prise de risque est inhérente à la technologie en
général et aux biotechnologies en particulier. Cette dimension probabiliste des structures
propres au vivant est la raison pour laquelle il est impossible d’anticiper totalement
l’évolution du vivant. Ainsi, analysant le rapport qui lie les structures de la raison aux
sciences de la vie, Claude Debru fait la remarque suivante : « Les outils qui permettent de
modéliser, de simuler les phénomènes présentés dans l’évolution biologique ou dans le
fonctionnement normal ou pathologique des organismes sont de plus en plus nombreux, et
les données auxquelles ils sont appliqués sont de plus en plus précises et fiables. Mais la
prédiction en matière de biologie (et tout autant de médecine) reste un objectif difficile à
atteindre, et le raisonnement reste probabiliste, largement en raison des obscurités qui
persistent quant à la source interne de variation des organismes, aussi bien que de
l’incertitude des conditions initiales. Le résultat des actions effectuées par l’homme sur les
systèmes biologiques reste lui aussi du ressort de la probabilité, voire parfois de la simple
chance. »636 Ainsi, on est en droit de parler d’une véritable contingence des systèmes
biologiques, « Si les biologistes parlent si souvent de ‘possible’ à propos du réel qu’ils
étudient, c’est que les systèmes biologiques ont un futur et que ce futur est variable, en ce
sens qu’il est déterminé par deux sources relativement imprévisibles de changement, interne
et externe. Que la variation interne soit telle qu’elle ne menace pas nécessairement la
stabilité de l’ensemble est un fait bien connu. » C’est cette contingence même qui permet
l’intervention de l’homme au travers des biotechnologies : « La technologie de l’ingénierie
génétique est un résultat direct de la biologie moléculaire. Les biotechnologies constituent
donc un prolongement naturel (sinon un infléchissement, ce qui n’est pas encore démontré)
de l’évolution biologique. Plus largement la contingence du passé et l’ouverture du futur sont
la même chose. C’est à la contingence du passé que nous devons d’abord nous attacher.
Cette contingence implique la réalisation de certains possibles, mais aussi ‘la virtualité’
d’autres non réalisés mais susceptibles de l’être. »637
On ajoutera à ces remarques que c’est le propre de toute technologie de se mouvoir
dans le temps. Le facteur-temps joue donc contre la prévisibilité des risques (c’est le
problème de l’induction) ; aussi, l’estimation du risque ne peut valoir que comme une règle

636
Claude Debru, Le possible et les biotechnologies, p.95
637
Ibid. pp.98-99.

286
pour corriger ou modifier les applications technologiques638. Par contre, il est facile d’un point
de vue purement théorique d’affirmer qu’étant donné que l’absence de risque est impossible
à démontrer, alors, la seule solution est d’abandonner la technologie. Poussé jusqu’au bout,
ce raisonnement ne risque-t-il pas alors de mener à la technophobie ? C’est une question
que l’on est également en droit de se poser.
L’affaire monarque est un exemple qui illustre très bien notre propos. En effet,
certains ont utilisé la découverte de la nocivité du maïs Event 176 comme un argument pour
demander le retrait de la technologie du marché ; la mort de 44% de papillons monarques
nourris avec du maïs Bt aurait démontré la proposition, « le maïs Bt peut se trouver à
l’origine de dommages non-intentionnels » et invalidé la proposition « le maïs Bt ne se
trouvera jamais à l’origine de dommages non-intentionnels sur les espèces non-cibles». Or
des études supplémentaires ont révélé l’absence de risques de certaines variétés ; on a donc
détecté la source du risque et pris les mesures nécessaires. Autrement dit, il n’y a pas de
risque 0, mais, il y a un risque « détectable et contrôlable ». Les controverses scientifiques
s’expliquent par le fait qu’elles se meuvent dans la problématique de la démonstration du
« risque 0 ». Or celui-ci n’a rien à voir avec la technologie et encore moins avec le vivant.
D’où l’importance du rôle joué par certains paradigmes.

- Infirmation ou confirmation du principes d’équivalence en substance


- Application radicale ou modérée du principe de précaution
- Contestation ou démonstration de l’utilité économique et sociale de la technologie.

C’est en fonction de leurs prises de position par rapport à ces principes que l’on peut classer
certaines positions systématiques des experts. C’est en ce sens que l’on peut parler d’une
évaluation théorique du risque qui dans ses raisonnements extrêmes peut être considérée
comme idéologique.
Aussi, on peut proposer un schéma pour relier ces principes entre eux au cours d’un
raisonnement. En effet, l’expert qui reconnaîtra l’équivalence en substance d’une PGM
justifiera une application modérée du principe de précaution en s’appuyant sur l’affirmation
d’une utilité économique et sociale de la technologie. A contrario, l’expert qui refuse
l’équivalence en substance, optera pour une application radicale du principe de précaution et

638
Il est caractéristique de ce point de vue que l’argument choc des opposants à la technologie est
« l’absence de recul par rapport à la technologie ». Or le fait que l’on ne soit pas en mesure de dire
combien de temps suffit pour pouvoir réellement apprécier le risque fait à son tour que le premier
argument n’est pas scientifique. On a donc un cercle vicieux qui nous conduit à dénoncer le caractère
absurde du problème de la démonstration du risque « 0 ».

287
contestera toute utilité économique et sociale de la technologie. Si on prend, par exemple, le
problème du « risque alimentaire des PGM », un certain nombre de scientifiques vont tenter
de montrer que celui-ci est impossible à maîtriser, parce qu’ils posent comme principe que
les PGM, loins d’être « équivalentes en substance » aux autres plantes, sont au contraire
« différentes de manière absolue » ; en toute rigueur, ils déduisent de ce principe, que le
risque d’allergie est symptomatique pour les PGM, ou tout du moins, ils en font un cas
particuliers, alors qu’il est un risque que l’on rencontre dans tous les types de plantes. La
croyance en ce principe les pousse alors à démontrer que les risques alimentaires attenants
aux PGM sont insurmontables. Or si on analyse la raison de cette position dans son
expression la plus radicale, il semble évident qu’elle est motivée par la croyance en l’aspect
« contre-nature » des PGM, ou tout du moins à une nature forcée et, par conséquent, à
l’origine de risques incalculables pour la santé, l’environnement, l’économie et la société.
Quant aux experts et aux promoteurs des PGM, ils soutiennent, au contraire, qu’il n’existe
pas de différence radicale entre ces plantes et leurs équivalentes classiques. De ce point de
vue, ils affirment l’existence d’un continuum naturel et la transgenèse végétale ne fait
qu’exploiter les possibles qui sont entrevus dans le vivant. Dans la première interprétation,
on pense que la transgenèse travaille sans la caution de la nature, dans le second, on
affirme qu’elle poursuit son oeuvre. Ces considérations impliquent donc un débat
philosophique sur le rapport technologie-nature et c’est de ce point de vue que l’on peut
parler d’idéologie. En fonction de sa prise de position au cœur du débat, le scientifique fera
une évaluation systématique du risque et s’appuiera sur ses a priori sur la question pour
motiver certaines affirmations639.
Notre hypothèse est donc que la controverse qui oppose les experts sur la
démonstration des risques et des bénéfices de la transgenèse végétale est motivée par deux
conceptions distinctes du rapport technologie-nature. Mais avant d’aborder ce problème,
nous voulons étudier le développement social de cette controverse, ou plutôt, sa
transformation en ‘polémique’. Notre hypothèse étant que deux conceptions distinctes du
rapport « technologie-nature », ou pour être plus précis, « technologie-alimentation »
permettent également d’expliquer l’incompréhension qui s’est instaurée entre les
consommateurs, les industriels et les institutions.

639
Rappelons une fois de plus que ce constat n’a pas pour objectif de juger l’une ou l’autre de ces
deux positions, mais d’expliquer les controverses.

288
4. Aspects publics, médiatiques et communicationnels

L’étude que nous venons d’effectuer sur les controverses scientifiques nous a permis de
mettre au jour l’aspect théorique de l’évaluation du risque : rien ne permet de prendre
position dans un sens plus que dans l’autre, étant donné le caractère incertain des
phénomènes en question. Aussi, toute prise de position ferme des scientifiques, qu’elle se
manifeste sous la forme de la revendication d’un danger ou sous la forme d’une ignorance
totale de celui-ci (ce qui est beaucoup plus rare) peut être considérée comme en partie
idéologique. Or si les PGM ne font pas l’unanimité entre les experts, on ne peut pas dire
qu’elles suscitent l’enthousiasme dans la sphère publique. De la controverse, on passe donc
tout naturellement à la polémique.
Aussi, comme nous aurons l’occasion de le voir, de nombreuses études sociologiques
ont été menées pour tenter de comprendre les réactions des consommateurs. On verra alors
qu’il existe deux interprétations : d’une part certains scientifiques, s’appuyant sur les
résultats de l’eurobaromètre, affirment que cette opinion contestataire est motivée par
l’absence de compréhension de la transgenèse et qu’elle est influencée par les médias,
d’autre part, des sociologues qui, au travers de la méthode des focus group, ont tenté de
montrer qu’elle était beaucoup plus nuancée qu’on ne le pensait et avait pour origine plus
une absence de confiance à l’égard des institutions qu’un manque de compréhension dans la
technologie. Après avoir exposé ces deux interprétations, nous étudierons quelques-unes des
sources d’influences auxquelles ces opinions ont été exposées. On réfléchira sur le rapport
qui lie les médias à l’opinion, puis on procédera à une étude quantitative et qualitative de la
presse quotidienne française. Nous analyserons alors à une analyse des stratégies de
communications des principaux acteurs de la polémique au travers de deux études de cas :
celle de l’industriel Monsanto et celle de l’ONG Greenpeace. Enfin, on reviendra sur le cas
particulier de la perception des biotechnologies et de la nature par l’opinion publique en
général et au sein des focus-group et du PABE en particulier. On verra alors comment se
dégage la problématique de fond qui fera l’objet de notre 5e partie.

4.1. P.G.M. et « opinion publique »


Le fait qu’une technologie telle que les PGM soit ainsi remise en question a suscité
l’interrogation aussi bien des industriels que des institutions. Sur toutes les enquêtes qui ont
été menées au niveau européen, nous en retiendrons deux qui nous ont paru essentielles :

289
« l’eurobaromètre », un sondage d’opinion classique, et les études du PABE menées sur des
groupes de discussions, dits focus group. Comme on va le voir, ces deux études donnent lieu
à des résultats et des interprétations différentes, au point que la deuxième remette en cause
certains résultats de la première, ce pour des raisons de méthode.

4.1.1 Les Résultats de l’eurobaromètre et ses interprétations


L’eurobaromètre est resté pendant longtemps la seule référence des experts dans le
domaine de la perception des biotechnologies par le public. En effet, le premier sondage
d’opinion standard remonte à 1973. Il s’agit d’une étude menée par le département
européen de l’INRA et l’ECOSA640. Organisé par la Direction Générale pour l’éducation et le
centre citoyen pour la culture (Culture’s Citizens’ Centre), il a été réalisé à la demande de la
Direction Générale (Directorate-General) pour la recherche de la Commission Européenne
(direction Sciences de la vie). Il a été conduit dans tous les pays de l’Union Européenne
entre le 1er Novembre et le 15 Décembre 1999. L’INRA (Europe) a joué un rôle de
coordinateur. Cette enquête porte sur plusieurs domaines : les attitudes des européens face
au développement des biotechnologies, leurs attentes dans ce domaine, leurs connaissances,
une prévision des opinions à venir, les groupes auxquels le public fait confiance dans ces
domaines. L’eurobaromètre 52.1 paru en 2000 est la 4ème édition. Le 1er a été conduit en
automne 1991 (conduit sur 12800 personnes dans 12 pays), le second, remonte au
printemps 1993 (12 Etats membres, 13032 individus), le troisième a été conduit en automne
1996 (15 Etats membres, 16246 individus). Le sondage de 2000 comporte des nouvelles
questions. Il y a eu un nombre similaire d’individus interviewés dans chaque pays.

Ignorance et méconnaissance d’une technologie


Tout d’abord on constate que le génie génétique n’est pas perçu comme une science
contribuant à l’amélioration du progrès. A la question « est-ce que vous pensez que votre vie
s’améliorera (3 points) dans les 20 prochaines années, ne changera pas (2 points) ou se
détériorera (1 points) ? », dans 8 domaines concernant les nouvelles technologies, le génie
génétique arrive à la 7ème place avec (2, 12 points) juste avant le nucléaire (1,85 points) et
après les biotechnologies (2,37 points). Les sondés estimant que le domaine des
télécommunications est celui où leur vie connaîtra encore le plus grand progrès (2,83
points).
Ensuite, on constate le faible taux de connaissance des applications des

640
INRA (EUROPE) – ECOSA, Eurobarometer 52.1, The Europeans and Biotechnology,15 March 2000

290
biotechnologies modernes : dans la première enquête 43% des sondés parlent de clonage
animal ou humain, ce qui vient avant la recherche scientifique, la santé ou le développement
technologique (33%) ; à noter que l’appréciation « ne sait pas » (28%) est placée à égalité
avec les PGM ; les problèmes éthiques sont avant derniers avec 16%. Enfin, l’environnement
arrive en dernier (8%).
Pour ce qui concerne l’appréciation des biotechnologies, la recherche arrive en tête
avec 2,32, vient ensuite l’environnement (2,11), puis les PGM (1,78) le clonage (1,61), et
enfin, les questions éthiques (1,49). Un quizz célèbre dans le milieux des experts a permi de
révéler l’ignorance du public ; on a demandé aux sondés si l’affirmation « les tomates
ordinaires ne contiennent pas de gènes, contrairement aux tomates génétiquement
modifiées qui en contiennent » était vraie ou fausse. 35% affirment que c’est vrai, 35%, que
c’est faux, 30% ne savent pas. (En France 40% affirment que c’est vrai). Pour l’affirmation
« Si une personne mange des fruits génétiquement modifiés, ses gènes pourraient être aussi
modifiés », 24% des personnes interviewées pensent que cela est vrai, 42%, que c’est faux,
34%, ne savent pas (on notera avec intérêt que 48% des autrichiens affirment que c’est
vrai). 66% d’européens pensent que l’affirmation « la levure utilisée pour faire la bière
contient des organismes vivants »est vraie, 12% croient que c’est faux, 23% affirment que
c’est vrai. 28% d’européens adhèrent à l’affirmation « les animaux génétiquement modifiés
sont toujours plus gros que les animaux ordinaires », 34% pensent que c’est faux, 38% ne
savent pas. 47% des individus ne savent pas « s’il est impossible de transférer des gènes
d’animaux aux plantes », 27% affirment que c’est vrai, quasiment à égalité avec ceux qui
ont répondu que c’était faux (26%).
Ces questions, rappelons-le, se trouvaient mélangées avec d’autres portant sur des
thématiques telles que la génétique ou le clonage. Les sondeurs affirment que les
connaissances des européens semblent s’être améliorer depuis les sondages de 1996 et
1993. On remarque, cependant, un mouvement dans le sens contraire de ceux qui pensent
qu’avec le potentiel des biotechnologies, les gènes d’une personne pourraient être modifiés
après avoir ingéré un fruit génétiquement modifié. On constate également une régression
pour ce qui concerne la définition correcte de la « tomate génétiquement modifiée » ; en
effet, en 96, 30% avaient répondu de manière incorrecte contre 35% en 1999.
Concernant maintenant la question du degré de connaissance des applications de la
biotechnologie, « l’utilisation des biotechnologies pour produire des aliments afin de leur
donner une plus grande quantité de protéine, pour les conserver plus longtemps ou pour
changer leur goût », arrivent en tête des applications connues avec 65%. La capacité de
transférer un gène d’une plante à une autre pour accroître la résistance mieux connu (56%)

291
l’usage de tests génétiques (53%) ; viennent enfin la production d’insuline ou de vaccins par
l’introduction de gènes humains dans les bactéries (44%), et les bactéries génétiquement
modifiées pour nettoyer les produits chimiques (28%)

Valeurs perçues au travers du génie génétique


On a également apprécié la perception de l’utilité, du risque, de l’acceptabilité morale
ou encore la nécessité d’encourager les développements de ces applications. La production
d’aliments génétiquement modifiés apparaît aux européens, comme la technologie la moins
utile de toutes celles qui ont été précédemment citées, avec 2,46 points, juste en dessous du
clonage des animaux (2,6 points) et le transfert de gène, (2,83 points). Le dépistage des
maladies étant reconnu comme l’application la plus utile. Les PGM sont également perçues
comme l’application la plus risquée avec 3 points, devant le clonage animal (2,92) et humain
(2,86) et le transfert de gènes (2,79). Enfin, elles sont les moins tolérées au niveau de la
morale avec (2,32 points), par le transfert de gènes (2,35 points). A l’opposée, les 2
applications qui apparaissent les plus moralement acceptables sont la production de
bactéries (3,1 points) et la détection de maladie (3 points). Enfin, 3 des applications sur les 7
citées devraient être encouragées dans leur développement: la détection de l’hérédité, la
production de bactéries, la production de gènes humains pour produire des vaccins. La
production de clones animaux et le développement de biotechnologies végétales sont perçus
de manière négatives (transfert, 2,33 points et amélioration des végétaux 2,19 points).
La 5ème phase de l’enquête a consisté à proposer deux séries de 13 affirmations (une
sur le clonage et une sur les PGM) aux sondés en leur demandant s’ils étaient totalement
d’accord (5 points), partiellement d’accord (4), ni pour ni contre (3), en partie contre (2),
totalement contre (1). L’affirmation qui a suscité le plus l’unanimité est : « Même si
l’alimentation génétiquement modifiée démontre certains avantages, elle se trouve
essentiellement contre la nature » (4,08 points) ; elle est suivie par « L’alimentation
génétiquement modifiée menace l’ordre naturel des choses (3,96) ; si quelque chose se
passait mal avec les PGM, cela nous mènerait à un désastre total (3,88) ; les PGM ne sont
pas nécessaires (3,72) ; l’idée des PGM est un grave problème pour moi (3,57) ; même si
cela doit réduire certains de leurs avantages, les PGM devraient être introduits d’une manière
plus progressive (3,13) ; quels que soient les risques impliqués dans les PGM, on peut les
éviter si on le veut vraiment (3,11) ; les PGM profiteront à de nombreuses personnes
(2,73) ; parmi tous les risques auxquels nous devons faire face à lors actuel, celui des PGM
est vraiment insignifiant ; si une majorité de gens étaient en faveur des PGM, ils devraient
être autorisés (2,73) ; prendre une décision au sujet des PGM est si compliqué que c’est un

292
gaspillage de temps de consulter le public sur ce sujet (2,6) ; les risques sur les PGM sont
acceptables (2,35) et enfin, les PGM ne représentent aucun danger pour les générations
futures (2,22).

Opinion générale sur les biotechnologies et les institutions


Le même exercice a été réitéré avec une série de 9 propositions. Ainsi, 22% des gens
interviewés sont en partie d’accord avec la proposition « j’achèterais des fruits
génétiquement modifiés si ils avaient un meilleur goût » contre 66% (11% ne savent pas).
53% d’européens sont prêts à payer plus pour avoir des aliments non GM ; 36% ne sont pas
d’accord, 11 ne savent pas 39% seraient prêts à signer une pétition contre les
biotechnologies, contre 38% qui ne le feraient pas (23 % ne savent pas). 41% seraient prêts
à participer à un forum sur les biotechnologies contre 41% qui ne le feraient pas (17% ne
savent pas). 72% sont prêts à faire l’effort de s’informer sur les biotechnologies (19% ne le
feraient pas et 9% ne savent pas). 11% pensent qu’ils sont suffisamment informés contre
81% qui pensent le contraire (9% ne sont pas sûrs). 22% seraient prêts à acheter de l’huile
à frire contenant un petit peu de soja génétiquement modifié (62% refusent cette idée et
16% ne savent pas). 33% mangeraient du sucre de canne génétiquement modifié si on avait
pris la peine d’enlever toute trace de la modification génétique, 42% refusent cette idée et
25% ne sont pas sûrs. 19% seraient prêts à manger des œufs d’une poule nourrie avec du
maïs génétiquement modifié, contre 66% qui ne sont qu’en partie d’accord et 15% qui ne
savent pas. Enfin, on a demandé aux européens s’ils pensaient que les groupes et les
acteurs impliquées dans les diverses applications biotechnologies et du génie génétique
effectuaient un bon travail pour la société. La 8ème partie du questionnaire a consisté à
interroger les européens sur les sources auxquelles ils font le plus confiance. Ce sont les
associations de consommateurs qui suscitent le plus la confiance des européens (26%), suivi
des professions médicales (24%) et des organisations de protection de l’environnement
(14%).
L’Eurobaromètre de l’année 2000 nous présente donc une situation qui se dégrade de
tout point de vue pour ce qui concerne la perception et l’appréciation qu’a le public des PGM.
On voit que la situation s’est détériorée depuis 1996 pour ce qui concerne l’acceptabilité de
la technologie, alors que les connaissances semblent avoir légèrement progressée.
Rappelons qu’en 1996, les PGM n’avaient pas encore fait la une des journaux et que l’image
sulfureuse qui a été construite par les médias et les associations environnementalistes autour
de ces technologies n’avait pas encore eu l’occasion d’influencer le public. En 2000, c’est
chose faite : il y a eu le soja importé à Anvers, l’indécision des gouvernements nationaux et

293
de la comission européenne, les actions de Greenpeace, de la Confédération paysanne, la
pétition de la plus grande association de médecins britanniques, les affaires Pusztai ,
monarque, Starlink… En bref, une masse d’événements qui ne peuvent avoir laissé
indifférents les citoyens. Ces résultats seront souvent utilisés par les promoteurs des PGM
pour démontrer les lacunes du public et les nombreux a priori. Or comme on va le voir, une
autre étude menée au niveau de 5 pays européens avec une méthode totalement différente
va tenter de démontrer que cette interprétation qui considère l’opinion négative du public
comme une méprise sur un sujet méconnu, se méprend elle-même.

4.1.2 Le travail de « démystification » du P.A.B.E (Perceptions Publiques des


Biotechnologies Agricoles en Europe) et la méthode des « focus group »

Le projet PABE a été financé par la Commission Européenne dans le cadre des programmes
de recherche FAIR (agriculture et pêche) et ELSA (dimensions éthiques, juridiques et sociales
des sciences de la vie). Le projet a débuté en juin 1998 pour une durée de deux ans. Les
objectifs que s’étaient fixés les chercheurs étaient les suivants :

- Décrire les facteurs déterminants l'appréciation des biotechnologies agricoles et des


aliments transgéniques par le public dans cinq Etats membres de l'Union Européenne
(l'Allemagne, l'Espagne, la France, l'Italie et le Royaume-Uni).
- Comparer les facteurs saillants et leur influence respective sur les perceptions
publiques des biotechnologies agricoles dans les cinq Etats membres concernés.
- Chercher à identifier les implications de ces facteurs sur le plan de la prise de
décision concernant les biotechnologies agricoles, au niveau national et européen.

Contrairement à l’eurobaromètre qui s’arrête généralement aux opinions formulées comme


des réponses à des questions fermées, il s’agit ici surtout, d’une étude compréhensive : « Le
but du projet est de fournir une meilleure compréhension des facteurs sociaux, éthiques et
culturels qui influencent les réactions du public face aux biotechnologies agricoles et aux
aliments transgéniques. »641 La méthodologie fait toute la particularité de l’étude. En effet, 3
outils ont été mis en place : des groupes des discussion (focus groups) dans chacun des
pays pour confronter des individus du grand public sur le sujet des OGM642, des entretiens

641
Claire Marris, Projet de travaux sur les Perceptions publiques des biotechnologies agricoles en
Europe, Elsa
642
La méthode des focus group est de plus en plus fréquente dans le domaine de la sociologie ; il
s’agit de constituer des groupes composés de 3 à 12 personnes autour d’un sujet et d’avoir recours à

294
avec des acteurs clefs643 et enfin, des ateliers avec les acteurs impliqués dans les OGM et les
usagers potentiels.
Lors de la mise en place du projet, les sociologues avouent l’importance qu’ils
donnent au paramètre de la « confiance » : « La recherche se focalise également sur la
question de la confiance accordée par le public aux institutions impliquées dans l'évaluation
et la gestion des risques. Nous estimons que la confiance, en tant que phénomène social
complexe et multidimensionnel, joue un rôle important dans la perception publique des
risques. » La finalité de ce projet étant de générer de nouvelles connaissances sur les
inquiétudes du public afin de pouvoir aider les institutions et les industriels à mettre en place
des stratégies dans un cadre démocratique défini. Ces études ont donc regroupé 5 équipes
nationales. Les résultats ont été publiés en Décembre 2001644. Les chercheurs affirment avoir
démontré que les principaux acteurs du débat sur les PGM ont mal interprété les réponses
du public, ce qui est l’une des raisons pour laquelle le débat se trouve actuellement dans
l’impasse. Ainsi, en interprétant les réponses en terme de « manque de connaissance » ou
de « problème éthique de caractère non scientifique »( 'non-scientific' 'ethical' concerns), ou
encore en blâmant les médias pour la couverture hystérique qu’ils ont donné des PGM, ce
rapport tente de démontrer que ces interprétations n’ont pas saisi la nature des problèmes,
ni les facteurs sociaux, culturels et institutionnels qui se trouvent à l’origine645. Les
sociologues pensent que l’explication qui se trouve à la base est beaucoup plus complexe et
mêle d’autres paramètres que la simple compréhension.
Les résultats présentés sur la perception des PGM concernent deux types de publics :
les citoyens (ordinary citizens) de 5 pays de l’Union Européenne (France, Allemagne, Italie,
Espagne et Royaume-Uni), et les acteurs engagés dans le débat sur les PGM. Concernant ces
derniers, le rapport aurait démontré la persistance de vues retranchées (entrenched views)
sur le public. Or les études réalisées n’ont permis de démontrer aucune des hypothèses
émises par les acteurs pour interpréter le rejet des PGM. Ceci est de la plus grande

un modérateur pour animer le débat. Les auteurs ont jugé que cette méthode était la meilleure pour
pouvoir étudier les interactions entre les individus. Contrairement aux questionnaires, elle permet aux
interviewés de développer leur pensée et de comprendre pourquoi ils pensent cela.
643
Les recherches sur les opinions des acteurs directement impliqués dans le débat sur les OGM
(enterprises de biotechnologies et semenciers, des professionnels de l’agro-alimentaire, des
distributeurs, des politiques, du gouvernement, des membres des comités de conseil, des ONG
environnementalistes, des associations de consomateurs et de l’union des fermiers.) ont été
effectuées à base d’interviews, de participation à un débat et d’analyse de documents.
644
Claire Marris, Brian Wynne, Peter Simmons and Sue Weldon, Final Report of the PABE research
project funded by the Commission of European Communities, Contract number: FAIR CT98-3844
(DG12 - SSMI), December 2000.
645
« This report argues that these dominant characterisations of the public, and the policies which
derive from them, do not capture the full nature of public concerns, nor do they recognise the social,
cultural and institutional factors shaping those concerns. »Ibid.,p.7.

295
importance étant donné que le débat se trouve actuellement au point mort. Les sociologues
en concluent donc la nécessité de changer la pensée politique sur la perception des sciences
par le public. Les décideurs politiques devraient se préparer à comprendre que la source du
problème n’est pas seulement dans le comportement du public, mais aussi dans le
comportement des institutions responsables de l’innovation et de la gestion du risque646.
Quelles ont été les principales découvertes des études menées au sein des focus
Group ? « Contrairement à leurs attentes », les auteurs ont trouvé une grande similitude
entre les résultats des focus group des 5 pays et ce, indépendamment de la couverture
médiatique donnée dans chaque pays et de l’intensité du débat public. On a trouvé
également un grand nombre de similitudes entre les 11 focus group menés au sein de
chaque pays et ce malgré le fait que les groupes ont été constitués pour réunir des individus
sensés avoir des opinions très différentes sur le sujet. Ces mêmes similitudes ont également
été trouvées au cours de l’évolution du débat dans le temps, de septembre 1998 à octobre
1999. Les auteurs insistent également sur le fait que les participants n’étaient jamais, de
manière catégorique, pour ou contre les PGM, mais exprimaient toujours une attitude
ambivalente. Les affirmations de chacun contenaient toujours des arguments qui pouvaient
être interprétés pour ou contre647.
Ayant constaté ces 3 similitudes, les sociologues en déduisent qu’il n’y a pas de lien
direct entre la perception du sujet par le public et l’intensité de la controverse publique sur le
sujet648. Parmi ces similitudes, on a donc découvert des facteurs socioculturels qui jouent un
rôle important dans la constitution de l’expérience du grand public et dans la réponse qu’il
donne aux PGM. Aussi, ces facteurs qui sont apparus lors des discussions menées au sein
des focus groups n’ont rien à avoir avec les facteurs habituellement utilisés pour interpréter
le comportement du grand public.
Concernant maintenant l’opinion des principaux acteurs des PGM, celle-ci a pu être
déterminée de manière explicite et implicite à la suite des interviews, des actes de colloques

646
« We conclude by identifying as a priority the need for a broad based cultural change in policy
thinking about public perceptions of science, technology, and risks. Policy makers should be prepared
to consider that the source of the problem is not only to be found in the behaviour of the public but
also in the behaviour of institutions responsible for creating and managing innovations and risk. »
PABE, Ibid.
647
« Overall, focus group participants expressed a rather ambivalent attitude towards GMOs. A key
finding was that participants expressed and elaborated arguments both for and against GMOs. »ibid.,
p.47.
648
« The similarity of focus group results across countries, between groups and over time, challenges
the often heard hypothesis of a direct relationship between public perceptions and the intensity of
public controversy on the subject. » PABE, p.8.

296
ou encore des analyses de documents649. Ces 3 types d’études ont donc permis de lister une
série de 10 mythes soutenus par les acteurs des PGM pour interpréter la réponse négative
du grand public :
- Mythe n°1 : On pense que le grand public est ignorant des faits scientifiques
Selon ce mythe, il y aurait les faits d’un côté et l’ignorance et les émotions de l’autre. Les
faits ont démontré l’innocuité des PGM donc les gens qui s’y opposent sont irrationnels650.
Cette ignorance serait renforcée par les messages trompeurs propagés par les médias.
D’après les sociologues du PABE, le problème ici est que les promoteurs pensent que
l’ignorance est une barrière insurmontable pour un débat serein. Ils citent l’exemple préféré
des scientifiques : la tomate de l’eurobaromètre. Or si les participants ont bien démontré une
certaine ignorance, il est clair, d’après les sociologues du PABE, que celle-ci n’était pas un
obstacle au dialogue ; en effet, les participants n’utilisaient pas de connaissances fausses
fermement ancrée pour débattre, ils avaient plutôt recours à leur savoir empirique sur le
comportement des abeilles, des plantes, des animaux et des hommes en dehors du
laboratoire651. Il n’y aurait donc pas de lien entre les connaissances du public et la réponse
que celui-ci donne au débat ; au contraire des études de Gaskell auraient démontré que plus
les individus ont de connaissance, plus ils deviennent sceptiques (Gaskell & al. 98)
- Mythe n°2 : les individus sont pour ou contre les OGM
Une image fréquemment utilisée par les acteurs( les pro et les anti) du débat sur les OGM
pour caractériser la réponse du grand public est que celui-ci est pour ou contre les OGM.
Ceux qui ne se prononcent pas sont considérés comme « non encore entrés dans le débat ».
Or on a observé que les mêmes participants se sont exprimés à la fois pour et contre les
OGM.
- Mythe n°3 : les consommateurs acceptent les biotechnologies médicales mais
refusent l’usage des biotechnologies dans le domaine alimentaire.
Ce mythe serait fréquemment utilisé par les promoteurs : il s’agit de l’opposition entre les
OGM verts (plantes) et les OGM rouges (pharmaceutiques). Les scientifiques considèrent
cette distinction comme incohérente, car les deux utilisent la même technologie d’ADN
recombinant. Le fait que les OGM alimentaires soient acceptés prouverait que le public

649
« These three methods (interviews, participant observation and analysis of documents) enabled us
to collect explicit declarations about the public (described alternatively as "citizens", "consumers", "lay
public"…). » PABE, Ibid., p.26-27.
650
« Rational facts are founded solely on scientific evidence and demonstrate, to the best of our
knowledge, that GMOs are safe. Thus, people who oppose GMOs are irrational; if only they
understood the science better, they would be reassured and would accept GMOs. »p.78.
651
« The principal concerns expressed by focus group participants about GMOs (see Box 5) were not
based on erroneous beliefs about genetics, but on their own empirical knowledge relating to the
behaviour of insects, plants, and animals and human beings outside of the laboratory »Ibid., p.69.

297
n’accepte que ce qui lui paraît utile. Cette équation risque-bénéfice serait contestée par les
découvertes des focus group. En partant de ce constat, les promoteurs des OGM pensent
que s’ils produisent des plantes capables de servir les intérêts directs des consommateurs,
alors, ce sera une manière de faire accepter les OGM par le public qui y trouvera enfin une
utilité. D’après les sociologues, il y aurait un paradoxe à considérer le public comme
irrationnel pour ce qui concerne sa compréhension des OGM et comme rationnel dans la
perception des intérêts qu’il pourrait en tirer652. Si on a bien constaté une préférence du
public pour les OGM pharmaceutiques, il est nécessaire de nuancer cette affirmation ; en fait
le public serait favorable aux médicaments issus du génie génétique, mais non pas à la
production de médicament par les plantes génétiquement modifiées.
- Mythe n°4 : les consommateurs européens se comportent de manière égoïste envers
les pauvres des PVD
Cet argument est souvent utilisé : l’égoïsme des consommateurs européens qui refusent les
OGM, empêcherait le développement et le transfert des OGM dans les PVD. En fait l’idée
d’utiliser les biotechnologies végétales pour combattre la faim et la pauvreté n’est pas
vraiment rejetée. Il y a même une certaine curiosité. Mais là où les participants sont
sceptiques c’est sur le fait d’avoir l’impression d’être manipulés par le subterfuge d’une
stratégie de marketing653.
- Mythe n°5 : les consommateurs veulent l’étiquetage pour exercer leur liberté de choix
L’individualisme du consommateur serait également présent dans cette volonté qu’il aurait de
choisir ou non la possibilité de consommer des OGM. Si cela a pu être observé parmi les
consommateurs, il semble que les raisons en étaient beaucoup plus complexes que ce que
ne supposaient les acteurs.
- Mythe N°6 : Le public pense – de manière fausse – que les PGM ne sont pas
naturelles
(voir notre analyse détaillée plus loin)
- Mythe n°7 : c’est la faute de la crise de la vache folle si le public ne fait plus
confiance aux instances régulatrices

652
« A paradox arises within this view of the public. On the one hand, as described above, lay persons
are portrayed as irrational and their responses are assumed to be based on un-scientific subjective
perceptions. On the other hand, with respect to this issue of benefits, they are at the same time
portrayed as hyper-rational actors who calculate all of the (personal) risks and benefits of all possible
options before making the choice which corresponds to the best optimisation of their resources. »
PABE, Ibid.
653
« Negative reactions to this idea where mostly generated by the fact that it was perceived as a
manipulative marketing ploy by biotechnology firms who had no intention of developing this type of
GMO themselves (section 6.5). »Ibid.

298
Selon ce mythe, les virulentes réactions contre les OGM sont dues à une série de scandales
alimentaires continus en Europe. Les acteurs pensent que depuis l’affaire de la vache folle, le
public ne fait plus confiance aux institutionnels. Une théorie affirme également que le public
a réagi de manière excessive ; enfin, à l’extrême, certains pensent qu’il s’agit d’un amalgame
trompeur du fait qu’il n’y a pas de rapport entre les 2 crises; or, si la vache folle a souvent
été mentionnée, elle a été citée avec d’autres affaires. Aussi le scepticisme à l’égard des
institutions ne date pas de la crise de la vache folle654. Les participants s’attendaient à ce que
de la part des institutions, ce type de comportement continue.
- Mythe n°8 : le public demande le risque « 0 » et n’est pas raisonnable
Le risque 0 est pour les promoteurs une demande irréaliste du public et injuste en ce sens
que les autres technologies ne font pas l’objet d’une telle demande. Pour les détracteurs, il
s’agit d’une exigence. En fait les participants ne demandaient pas le risque 0, mais
exigeaient plutôt un contrôle de la part des institutions et ne comprenaient pas pourquoi
l’incertitude n’était pas plus prise en compte que cela par les institutions.
- Mythe n°9 : l’opposition du public aux OGM est due à d’autres facteurs éthiques ou
politiques
La recherche d’autres raisons que le risque a conduit les décideurs politiques et les
scientifiques à trouver d’autres raisons que la perception du risque pour expliquer
l’opposition du public aux OGM. Ces raisons peuvent être éthiques ou politiques. Ainsi, ils en
déduisent soit que ces opinions sont trop particulières et qu’ils se situent en dehors de la
sphère du risque. Or les sociologues soutiennent que parmi toutes les raisons personnelles
ou éthiques qui ont été évoquées, aucune ne pouvait être séparée des problèmes de
recherche et développement ou d’estimation des risques.

- Mythe n°10 : le public est une victime malléable du sensationnalisme déformateur


des médias.
L’argument selon lequel le public serait manipulé par les médias est fréquemment répandu
parmi les acteurs ; aussi, il est supposé que les médias sont la source de la controverse en
relayant plus facilement les associations environnementalistes que les documents
scientifiques ( voir notre approche sur ce sujet). Une telle thèse donne au public le rôle d’une

654
« The participants expressed scepticism toward regulatory (and other) institutions, but this was
based on their realistic assessment of past behaviour, based on empirical knowledge of past
behaviour. Moreover, they did not believe that these institutions had learnt any lessons (or rather the
right lessons) from the BSE affair. They therefore expected them - until proved to the contrary - to
continue behaving in similar ways (described in box 6), including with regard to GMOs. » PABE, Ibid.

299
tabula rasa. Or tel n’est pas le cas et le public est engagé dans la réception des informations,
il ne peut donc pas être caractérisé simplement comme une victime qui l’absorbe.

L’enquête des focus group aurait démontré que bien que, contrairement à ce que croient
les acteurs de la controverse, l’ignorance des aspects techniques des manipulations
génétiques, ainsi que le manque de compréhension des travaux effectués en matière de
recherche et développement, de législation et de commercialisation n’expliquent pas la
réponse du grand public aux biotechnologies agricoles. Aussi, les problèmes exprimés par les
participants lors des « focus group »655 n’étaient pas essentiellement des croyances fausses
656
sur les OGM, mais des questions clés :

- Pourquoi avons nous besoin des PGM ? Quels sont les bénéfices ?
- Qui profitera de leur utilisation ?
- Qui a décidé qu’ils devaient être développés et comment ?
- Pourquoi n’avons-nous pas été mieux informé à propos de leur usage dans notre
alimentation avant leur arrivée sur le marché?
- Pourquoi ne nous donne-t-on pas le choix de consommer ou de ne pas consommer
ces produits ?
- Est-ce que les autorités juridiques ont un pouvoir suffisant pour contrebalancer les
industriels qui souhaitent commercialiser ces produits ?
- Est-ce que les contrôles imposés par les autorités régulatrices peuvent être
appliquées de manière efficace ?
- Est-ce que les risques ont été suffisamment estimés ? Par qui ? Comment ?
- Est-ce que les conséquences potentielles à long terme ont été estimées ? Comment ?
- Comment les incertitudes irréductibles et les domaines inévitables d’ignorance ont été
intégrés dans la prise de décision?

655
Au sein de chaque groupe la session s’est déroulée de la même manière : dans la première partie,
on a demandé aux acteurs de parler de l’évolution dans les domaines agricoles et alimentaires en
général (les OGM n’étaient alors pas mentionnés par le médiateur. C’est seulement après 30 minutes
de débat que ce dernier introduisait le terme demandant aux participants de donner les images qu’ils
associaient spontanément. On introduisait alors une courte définition du dictionnaire pour relancer le
débat. Ensuite, un nombre d’exemples d’applications des biotechnologies végétales était présenté. 3
arguments stéréotypés étaient présentés empruntés aux acteurs ; cette incursion donnait lieu à la
dernière discussion qui permettait d’explorer les vues des participants sur les acteurs.
656
« Although ordinary citizens are largely ignorant of the scientific technicalities of genetic
manipulation, and of developments in research, regulation and commercialisation related to GMOs,
this lack of knowledge does not explain their response to agricultural biotechnologies. The concerns
expressed by the focus group participants were not, in the main, based on erroneous beliefs about
GMOs. »p.9.

300
- Quels plans existent pour une action remède si des effets néfastes imprévisibles
surviennent ?
- Qui sera responsable en cas d’un mal imprévisible ?

Ces études ont donc démontré que l’absence de confiance en l’autorité des institutions
caractérisait la réponse du public aux OGM. Le public n’a pas confiance dans les institutions
impliquées dans la gestion du risque. Restaurer cette confiance ne peut pas consister
seulement dans l’amélioration des stratégies de communications, mais dans un changement
effectif des cultures et des pratiques institutionnelles. Afin de restaurer la confiance, les
institutions devront démontrer leur capacité à gérer le risque de manière adéquate, en
conservant une attitude cohérente pendant une longue période et ce, pas seulement dans le
champ des OGM657 ; pour cela, il est nécessaire d’admettre les erreurs passées :
- Admettre le fait qu’ils ne savent pas toujours mieux
- Admettre l’incertitude, et expliquer comment celle-ci a été prise en compte dans la
prise de décision
- Utiliser des informations de toutes les sources (pas seulement celles des
scientifiques)
- Conserver la transparence sur la manière dont les décisions sont prises, y compris sur
la manière dont est effectuée dans certains cas la balance risques-bénéfices.
- Imposer des sanctions lourdes dans le cas où d’une mauvaise gestion ou d’une
fraude
- Démontrer que le point de vue du public est compris, valorisé, respecté et pris en
compte par les décideurs, même lorsqu’ils ne peuvent pas être tous satisfaits.

Si on peut admettre que le public refuse les PGM pour d’autres raisons que le simple manque
d’information, ou l’absence de compréhension, il n’en reste pas moins que les médias ont
joué un rôle considérable dans la polémique sur les PGM. Comment caractériser ce rôle et
jusqu’à quel point peut-on parler d’influence ?

4.2 Les P.G.M. dans les médias : parti-pris ou désinformation ?


Nous souhaitons dans ce chapitre, étudier l’éclatement de la controverse scientifique
dans les médias destinés au grand public, et plus particulièrement dans la presse écrite

657
« In order to restore trust, institutions would need to demonstrate their capacity for adequate risk
management of risks through consistent behaviour over a long period, and across different fields (not
just GMOs) »Ibid.

301
française. Si nous employons le terme fort « d’éclatement », c’est dans un double sens :
d’une part, la venue sur la scène publique d’un problème qui s’était jusqu’à présent
essentiellement cantonné à la sphère des experts et des scientifiques s’est faite avec un
« grand éclat » et un sujet qui n’avait suscité que très peu de remous a fait surface
apparaîssant d’entrée de jeu comme un véritable scandale ; d’autre part, on peut parler
d’éclatement en ce sens que le débat qui va avoir lieu sur la scène médiatique et qui mettra
en présence les experts, les journalistes scientifiques, les industriels et les groupes d’intérêts
aura lieu d’une manière désordonnée et sera à l’origine d’une véritable dispersion de
l’information.
Alors que la controverse précédemment étudiée se situait sur la scène internationale,
l’étude des médias que nous proposons ici, se situe principalement sur le territoire français.
On procédera occasionnellement à quelques comparaisons au niveau européen et avec la
presse américaine.
En passant de la sphère des experts et des publications scientifiques à la sphère
médiatique destinée au grand public, le débat sur les PGM passe de la ‘controverse’ à la
polémique. Comme nous avons eu déjà l’occasion de le remarquer, ce qui est en jeu ici, ce
n’est plus la ‘vérité’, mais les ‘choix de société’ et donc la remise en cause du pouvoir de
certains. On constatera dans un premier temps que le sujet des PGM n’a suscité l’intérêt des
médias que tardivement, alors que la controverse a touché les scientifiques dès l’origine des
biotechnologies. Ainsi, comme on le sait, la conférence d’Asilomar en 1975 a été à l’origine
de la première discorde au sein du monde scientifique. Comme le remarquent les auteurs du
livre les Biotechnologies en débat : « Le développement du génie génétique s’est souvent
déroulé de manière relativement confidentielle, depuis son invention au début des années 70
jusqu’au milieu des années 90. L’analyse des discours médiatiques pendant cette période
révèle cette lente accession à la connaissance du public, tout comme l’examen de la période
récente nous donne la clé des débats actuels. On peut considérer que les médias
matérialisent une sorte de « place publique » métaphorique où vont émerger peu à peu des
questions jusque-là confinées dans les sphères restreintes, institutionnelles, scientifiques,
industrielles, contribuant ainsi à l’histoire de la construction sociale des biotechnologies »658.
Dans un rapport paru en 2000, les sociologues de l’INRA font un constat similaire : « La
distribution des articles de presse dans le temps montre une nette évolution de la couverture
du sujet. Avant novembre 1996, la couverture peut être qualifiée de sporadique : le thème
des OGM n’est pas couvert de façon suivie. Les sujets abordés sont généralement spécialisés

658
Suzanne de Cheveigné, Daniel Boy et Jean-Christophe Galloux, Les biotechnologies en débat, pour
une démocratie scientifique, Editions Balland, Paris 2002, p.63.

302
et reflètent l’actualité scientifique et réglementaire. A partir du mois de novembre, la
couverture augmente de façon très significative. Ce changement quantitatif s’accompagne
d’un changement qualitatif. Les OGM font l’objet d’un suivi systématique par certaines
rédactions, mais aussi, le traitement du sujet est différent. Dorénavant, les OGM ne
constituent plus un sujet de spécialiste, abordé de façon très segmentée (soit scientifique,
soit réglementaire, soit économique,…). Les connexions entre OGM et autres thèmes de
société deviennent courantes, et des articles ou des dossiers faisant un point transversal sur
les OGM et abordant les différentes facettes du sujet apparaissent fréquemment. »659
On constate donc une certaine lenteur de l’émergence du débat public, lenteur qui
contraste cependant avec une arrivée fracassante et directement marquée par le ton du
scandale. En effet, en 1996, le Journal Libération fait la une avec un titre choc: « Alerte au
soja fou ! » ; le but de cet article étant de dénoncer les importations de soja génétiquement
modifié en provenance des Etats-Unis. Ainsi, comme le remarquent l’équipe de Pierre-Benoît
Joly précédemment citée : « La publication du dossier OGM du journal Libération, en date du
1 novembre 1996, avec le titre de couverture « Alerte au soja fou » est un bon indicateur de
ce changement. Cette publication alors que la controverse est en train de changer de nature.
En effet, les OGM, qui n’avaient jusque là en France de réalité tangible que par les essais
font leur entrée dans les ports européens. »660 L’arrivée sur la scène médiatique est
simultanée avec la première mise sur le marché, mais préalable à l’expérimentation directe
des PGM par les consommateurs (cette remarque, comme on le verra, est de la plus grande
importance).
Le passage de la controverse à la polémique s’effectue à partir du moment où les
citoyens peuvent être concernés et que les médias se penchent sur le sujet. Aussi, on
tentera de démontrer que l’éclatement de la controverse a pour résultat une dispersion de
l’information. Dans cette étape, les médias jouent un rôle essentiel, puisque ce sont eux qui
révèlent au public l’intérêt potentiel que celui-ci pourrait avoir dans une technologie avec
laquelle il n’a eu aucun contact ; c’est ce que nous allons maintenant étudier.

4.2.1 Le rôle des médias dans la perception des PGM par le public
Dans un article intitulé « du tube à essai à la table », Robert Merchant, un chercheur en
biotechnologie de l’Université de Nottingham, soutient que les médias ont eu une influence

659
Pierre-Benoit Joly, Gérald Assouline, Dominique Kréziak, Juliette Lemarié,Claire Marris, Alexis Roy,
INRA Grenoble, Collectif sur les risques, la décision et l’expertise (CRIDE) ; l’innovation controversée :
le débat public sur les OGM en France, Rapport, Janvier 2000, p.84
660
Ibid., p.85

303
néfaste sur le grand public661. L’auteur dénonce l’impact que les scandales médiatiques ont
joué dans l’information. D’après le professeur Marchant, les travaux de clonage, de criblage
du génome et la thérapie génique ont fait, depuis le début, l’objet de discussions pour mieux
servir l’intérêt du public, alors que les critiques et les scandales touchent essentiellement les
PGM. Aussi, alors que cette dernière technologie suscite de plus en plus l’intérêt des
agriculteurs et des producteurs, elle inquiète le public par rapport aux risques alimentaires
potentiels. L’opposition aurait pour origine différentes histoires d’épouvante sur la santé des
consommateurs et l’environnement dans les médias européens au départ puis désormais en
Amérique et en Asie662. Ainsi, d’après Marchant, de nombreux scandales provoqués par les
associations et les lobbies anti-OGM, ainsi que l’exploitation d’informations sur les risques
potentiels auraient fait la une des médias, devançant ainsi, l’information positive qui n’a pas
semblé intéresser les médias663. Ainsi la création du riz doré et les approbations officielles
(House of the Lords ou encore, la Princesse Royale) serait passée totalement inaperçue des
journalistes et par conséquent, du grand public. Marchant ironise en affirmant qu’un titre tel
que « absence de danger en provenance des PGM ne fait apparemment pas un bon
titre »664. Toutes ces raisons contribuent à rendre difficile la possibilité d’obtenir une
information crédible ; aussi, les scientifiques se sentent souvent frustrés que le public ignore
les faits scientifiques et fonde son opinion sur des affirmations illogiques telles que celles qui
sont présentées par des lobbys anti-OGM. D’après Marchant, il y a un vide entre le risque
réel, scientifiquement mesurable et quantifiable, et le risque perçu par l’opinion publique. Or
ce dernier est, d’après l’auteur qui se réfère à une thèse de Sandman (1994), le résultat d’un
processus cognitif qui peut s’exprimer selon la formule suivante : risque perçu = hasard +
scandale (perceived risk = hazard + outrage). D’après Marchant, le risque perçu est élevé à
cause du degré élevé de scandales. En ignorant ceux-ci, les scientifiques sous-estiment le
risque perçu. Afin de révéler le véritable risque au public, il semble essentiel de comprendre
le facteur qui se trouve à l’origine des scandales et qui est en partie dû aux campagnes de
presse négatives des groupes environnementaux et au manque de connaissances665. Pour

661
Robert Marchant, « From the test tube to the table », EMBO reports vol.21 no.51, 2001.
662
« Opposition started initially in Europe, particularly in UK, but as a result of various
environnemental and consumer health scare stories in the media, there is now also growing disquiet
among consumers in the USA and Asia. »Ibid., p.354.
663
« A number of scientific publications have been exploited by anti-GM lobbyists to support the
notion that GM crops pose a risk to health and the environment (table I). Although this served to
highlight potential risks or drawbacks of GM crops, there were equally newsworthy events about
positive aspects that failed to make it to the front pages of the press. »Ibid.
664
« But ‘No danger from GM crops ! » obviously does not make a good headline and negative
coverage of GM crops continues to predominate. »Ibid.
665
« For GM crops, the perceived risk is high because of the high level of outrage, and, in ignoring
outrage, scientists tend to underestimate perceived risk. In order to communicate the actual risk to

304
remédier à cela, l’auteur insiste sur l’effort de communication qui doit être fait sur les
bénéfices et les risques véritables de la part des scientifiques. Selon Marchant, les
scientifiques doivent également fournir un effort. L’auteur reprend la plupart des résultats
des sondages qui ont été menés auprès du grand public (Euro baromètre, Angus Reid Poll,
Hoban) pour démontrer que : même si la connaissance de l’existence des PGM reste
suffisamment répandue, la compréhension de cette technologie reste très faible, ceci ayant
pour conséquence de ne pas donner au public la chance de s’impliquer correctement dans le
débat (nous discuterons ce point en détail plus loin).
On peut reconnaître dans cet article de Merchant, l’un des mythes critiqué par les
sociologues du PABE ; une idée qui est également soutenue par Philippe Kourilsky. Dans son
livre La science en partage, le biologiste moléculaire s’interroge sur la capacité des médias à
transférer correctement l’information scientifique et technologique : « En tant que biologiste,
j’ai été depuis longtemps frappé par les distorsions de sens que j’observais fréquemment lors
de la transmission d’informations de nature scientifique ou technique au grand public.
Comme beaucoup, j’ai d’abord vu là une difficulté de communication liée à la mise en forme
des faits de science afin de les rendre accessibles aux non-scientifiques. Mais, constatant la
persistance, sur de longues périodes de temps de malentendus sérieux, j’en suis venu à
aborder la question sous un angle différent. J’ai résolu de sélectionner plusieurs cas de
déviations notoires et d’en effectuer une lecture comparée en mettant en parallèle mes
connaissances et mon expérience de scientifique avec les versions « grand public » produites
666
par les grands médias. »
L’auteur a donc choisi de traiter ce problème du transfert de l’information scientifique
et technique en « pathologiste » et d’étudier chaque cas comme « un épisode maladif des
systèmes de transfert d’information». D’après lui, les « médias » sont la « plaque
tournante » des flux d’informations entre le milieu scientifique et le grand public. Mettant en
application sa méthode de recherche, après avoir évoqué le cas de l’introduction du maïs
transgénique sur le sol français et celui de l’étiquettage de la tomate transgénique, l’auteur
s’interroge sur l’origine des opinions contestataires en Europe et sur le fait que,
contrairement aux Etats-Unis, le développement des biotechnologies et ses applications aient
stagné de manière surprenante. Selon Kourilsky, la distinction entre les « risques potentiels
et les risques avérés a été perdue ». De cette distinction, dont nous avons déjà eu l’occasion
de parler, découle toutes les indignations. Pour l’auteur, les médias portent ici une grande

the public, it is therefore necessary to understand and focus on the outrage factor, which is partly a
function of negative press campaigning by environmental groups and a lack of knowledge . » Ibid.,
p.354.
666
Philippe Kourilsky, La science en partage, Editions Odile Jacob, Avril 1998, p.13.

305
responsabilité : « Combien d’articles ou d’émissions mettent sur un pied équivalent les
risques génétiques et les risques nucléaires ?(…) Les médias portent ici une responsabilité
indéniable. En matière d’information, quelle est la fonction première des journalistes sinon de
rechercher les faits et de les délivrer au public avec le maximum de précision et d’exactitude
possible ? (…) En l’occurrence, ceux qui ont contribué à accréditer l’idée de dangerosité ont
diffusé une information inexacte. D’où vient leur erreur ? De propager un préjugé, sans avoir
effectué le travail de recherche et de vérifier les retours de réalité. Or ce rôle, qui échoit aux
journalistes, me paraît fondamental. Qui d’autre qu’eux peut le remplir ? Certes, il n’est pas
facile et il est aussi du devoir des journalistes de rendre compte des opinions des uns, des
autres, des groupes de pression, et, pourquoi pas, d’exprimer les leurs. Mais leur
responsabilité essentielle reste de séparer les faits des opinions et de donner aux premiers la
primauté sur les secondes. »667 L’auteur ajoute qu’aux Etats-Unis, les mêmes questions sont
traitées de manière plus rigoureuse par les journalistes qui n’hésitent pas à citer des faits et
des opinions divergents. Or ce travail d’information fait par les journalistes sert aussi bien à
influencer l’opinion publique que les politiciens. Tout ceci contribue à fausser le débat:
« L’information fournie par les médias a donc un double impact sur les hommes politiques,
indirect par le biais de leurs électeurs dont ils écoutent l’opinion, et direct par le canal de leur
information propre. » Aussi, un débat tel que celui qui a eu lieu au Parlement Européen sur
la tomate transgénique aurait dû prendre une autre tournure.
Philippe Kourilsky effectue alors ce qu’il appelle « une analyse de la raison
médiatique ». Il procède par analogie en comparant la méthode de gestion de l’information
des scientifiques et celle des médias. D’après lui, 3 différences méthodologiques
apparaissent : « 1) Contrairement aux scientifiques, les journalistes ne s’obligent pas
systématiquement à séparer les faits de l’interprétation. 2) Ils ne fournissent que rarement
leurs sources (non confidentielles) et citent peu le travail de leurs confrères. 3) Ils ne sont
pas soumis, comme les scientifiques par le canal du jugement par les pairs, à un contrôle de
qualité indépendant. »668
Après avoir analysé le problème, Philippe Kourilsky ancre celui-ci dans la réalité en
s’interrogeant sur le financement de l’information. Il affirme qu’une « information de qualité
a besoin de moyens. Elles a son prix. Les citoyens habitués qu’ils sont à la subvention
occulte de la publicité, paient trop peu cher ce qui est, pourtant, essentiel à l’exercice de la
démocratie. »669 Selon l’auteur, « l’argent facile » de la publicité serait à l’origine d’une

667
P. Kourilsky, Ibid., p.p. 64-66.
668
Ibid., p.188.
669
Ibid., p.197.

306
perversion de l’information. Selon lui, la seule correction possible serait d’exiger une plus
grande indépendance des médias. Or cela ne peut avoir lieu que si les citoyens l’exigent
vraiment : « Sans mobilisation citoyenne, sans une prise de conscience et un mouvement
collectifs, les équilibres actuels ont peu de chance d’évoluer vers un mieux de la
démocratie. »670 Poursuivant son analyse, l’auteur en vient au cas particulier du transfert de
l’information scientifique et technique. Il constate que les journalistes et les scientifiques ont
longtemps fait chemin à part. Cette situation est due au caractère abscons de l’information
scientifique d’une part, mais aussi à l’incompatibilité de la divulgation de cette information
qui requiert tout un processus de vérification avec l’instantanéité de l’information
scientifique. D’autres difficultés s’ajoutent telles que l’apparent caractère partiellement
erroné de certaines informations après simplification, ou encore la difficile expression du
doute, « démarche essentielle au discours scientifique ». Kourilsky remarque que si on peut
constater aujourd’hui un certain progrès, c’est surtout dans des domaines tels que, ceux
effectués par les services de communication des « start up ». Mais cela vaut essentiellement
pour la technologie appliquée et ne concerne que très rarement la recherche fondamentale.
Or « Moins le public est cultivé, plus l’information scientifique et technique qui lui est
destinée doit être formatée de façon élémentaire et simplifiée, plus elle sera gauchie en
direction des applications et moins le niveau culturel du public en matière scientifique aura
tendance à s’élever. »671
Le rôle important joué par l’information scientifique et technique pour l’exercice de la
citoyenneté contraste avec le manque important de moyens qui lui sont impartis. Et on
rejoint là la thèse essentielle de la Science en partage, qui est que, pour un meilleur
fonctionnement du système démocratique, une participation intensive du public au débat
scientifique et technique paraît essentielle, or cela ne peut se faire sans une meilleure
transmission de l’information : « On ne peut aller en ce sens et vouloir élargir l’espace public
de discussions et de dialogue dans le champ de l’innovation et des risques technologiques
sans une meilleure acculturation du public, et sans que soit distribuée une information solide,
actualisée, sur les sciences et les techniques. A défaut, les démocraties pourraient être
démocratiquement conduites à l’erreur. »672 Cela doit être réalisé au travers de
l’enseignement des sciences, mais également au travers de l’information. L’auteur s’interroge
cependant sur la faisabilité de cet enseignement : « En raison de son caractère
métaphorique, l’acte de représenter la science aux fins de la communiquer fournit un

670
Ibid., p.202.
671
Ibid., p.207.
672
Ibid., p.240.

307
moment privilégié pour l’intrusion des préjugés et des idéologies. C’est donc moins, à mes
yeux, la métaphore qui est problématique que sa perméabilité aux glissements et aux
contresens. Les journalistes, et notamment les journalistes scientifiques, ont ici une
responsabilité professionnelle particulière… » Il ajoute cependant que les scientifiques se
chargent également souvent de colporter des « métaphores » de la science : « Le
mécanisme est toujours le même : il consiste à surinterpréter les données de la science pour
les faire entrer dans un moule idéologique préexistant »673 Une meilleure coopération entre
les sphères scientifiques et médiatiques semble donc nécessaire, ce afin de mieux informer
et d’éviter les trop nombreuses interprétations idéologiques.

Si on suit les thèses de Philippe Kourilsky et de Robert Marchant, alors on doit


reconnaître que les médias ont joué un rôle prépondérant en influençant le public de
manière négative dans la perception des biotechnologies en général et de la transgenèse
végétale en particulier. Le public ne se trouve pas en mesure de s’impliquer correctement
dans le débat étant donné les faibles, voire, les mauvaises connaissances qui sont les
siennes. La trop grande part donnée aux scandales, l’absence de vérification des données,
l’incapacité à séparer les jugements des faits ou encore le manque de déontologie sont des
facteurs qui polluent le transfert de l’information scientifique et technique et contribuent à la
désinformation générale, véritable nid de toutes les idéologies. Or si ces points de vue
peuvent paraître plausibles (nous tenterons de mettre en évidence la réalité qu’ils dénotent
au travers d’une étude quantitative des articles portant sur les PGM), il semble cependant
nécessaire d’affiner l’analyse du rôle des médias, car si on l’accepte telle quelle, on est obligé
de reconnaître que l’opinion publique est une tabula rasa, d’autres part, comme l’ont montré
les études du PABE que nous avons vues précédemment, les avis varient en fonction des
individus et ceux-ci ont leurs raisons propres de rejeter les PGM. Il semble donc nécessaire
de creuser encore l’analyse du rapport entre les médias et leurs publiques.

Le contrat de lecture
Dans l’ouvrage commun Les biotechnologies en débat, Suzanne de Cheveigné, Daniel Boy et
Jean-Christophe Galloux s’interrogent également sur le rôle joué par les médias dans le
transfert de l’information scientifique et technique : « Il importe d’aborder l’analyse des
médias avec rigueur et exigence théorique. Trop souvent, des travaux sur les controverses
techniques, inattaquables sur le plan de la méthode sociologique, se contentent d’une
réflexion étonnamment pauvre sur les médias. Les considérer comme de simples

673
Ibid., p.241.

308
« conduits » transportant des informations ou approcher les journalistes comme de simples
individus ne peut suffire. Les discours médiatiques sont des discours socialement et
temporellement ancrés. Ils sont produits par des acteurs sociaux au sein de ces institutions
particulières que sont les médias, et destinés à d’autres acteurs sociaux dans un contexte
historique donné. Ils véhiculent plus que de l’information : des évaluations, des jugements,
des légitimations, un cadrage de questions, une réactualisation de relations. Une analyse
seulement conduite, par exemple en termes de fidélité à une réalité extérieure, n’a guère de
sens. Les discours médiatiques participent à la construction – ou plus précisément à la co-
construction de la réalité sociale. »674 Si on prend en compte cette remarque, alors on
comprend que le transfert de l’information ne peut pas consister simplement dans la seule
divulgation des faits. En effet, la divulgation d’un fait a toujours lieu dans un cadre donné et
contribue à la création d’un sens par rapport à ce fait même. C’est ainsi que les auteurs
donnent l’exemple de José Bové et des OGM. Suite au démontage du restaurant Mc Donald’s
de Millau, « les OGM sont peu à peu apparus non pas comme un problème environnemental
ou de santé publique, mais comme un symbole de l’hégémonie culturelle américaine, via un
nouveau concept, la ‘mal-bouffe’ » C’est ainsi que « Chaque élément ‘reconfigure’ les autres
et les médias, qui font partie de notre réalité sociale, sont co-créateurs de sens
collectifs. »675 Une autre spécificité des médias est qu’ils font « socialement exister les
questions dont ils traitent et leurs discours deviennent une ressource dont disposent la
plupart des acteurs sociaux pour penser leur monde. »676
Afin de développer cette analyse pour le cas particulier de la presse écrite, les
auteurs ont recours à un concept, le « contrat de lecture » de Eliséo Veron. Ce modèle
théorique du fonctionnement social des médias démontre que ce qui diffère entre 2 titres
différents de journaux, ce n’est pas simplement leur contenu, mais leur mode d’énonciation :
« la notion de contrat de lecture rend compte de la relation entre un média et ses lecteurs, à
la fois en termes individuels, via le mode d’adresse adopté, et plus collectifs, via les « visions
du monde » proposées. Contrat proposé jour après jour, dans le texte du journal, validé par
l’acte d’achat et de lecture, lui aussi régulier dans le temps.» Or ce qui est important,
concernant ce contrat, c’est qu’il a lieu dans le temps et qu’il implique constamment les deux
parties : « Cette relation entre un média et son public ne se conçoit pas à sens unique : ni
d’un côté, un média qui influencerait et manipulerait ses lecteurs, ni de l’autre, un média
simple reflet des opinions de ceux-ci. Le média est source d’informations pour son public

674
Suzanne de Cheveigné, Daniel Boy et Jean-Christophe Galloux, Les biotechnologies en débat, pour
une démocratie scientifique, Editions Balland, Paris 2002, p.63.
675
Ibid., p.64.
676
Ibid., p.65.

309
propre mais aussi lieu de réaffirmation des valeurs de ce même public ; il est porteur de
nouvelles interrogations mais aussi dépositaire d’éléments constitutifs du lien social de son
lectorat.»677
Cette remarque est essentielle. En effet, pour ce qui concerne la critique de l’opinion
négative sur les PGM, la thèse de Kourilsky est plus que plausible : une bonne partie de ces
idées se sont forgées au contact des articles non-respectueux du savoir scientifique et
technologique et qui n’a jamais fait la distinction entre risques potentiels et risques avérés. Il
y a sans doute là une grande part de vérité. Mais si on prend en compte maintenant le fait
qu’il existe des experts qui défendent des opinions anti-PGM, la donne du problème apparaît
de manière différente. Il s’agit de comprendre pourquoi les médias se sont faits plus
facilement le relais des « avis scientifiques réfractaires à la technologie» (ceux des
organisations non-gouvernementales ou des experts qui y sont liés) que des « avis
scientifiques supporters ». Or si on prend en compte l’idée de contrat de lecture où l’espace
médiatique est, à la fois, source d’information et lieu de réaffirmation de certaines valeurs,
on peut supposer que celui qui lie lecteurs et médias sur les PGM a contribué à entretenir la
croyance dans certaines valeurs contraires à celles des PGM. Autrement dit, les valeurs
défendues par les médias correspondent généralement à celles que soutient l’opinion
publique. Elle font l’objet d’un partage en commun. Il n’y aurait pas à proprement parler
‘manipulation’, mais plutôt partage de valeurs. Le public est le garant implicite des énoncés
médiatiques ; c’est tout du moins ce que peut laisser croire le débat sur les PGM, puisque les
journalistes préfèrent publier des articles qui montent en épingle le risque que des articles
qui mettent en valeur les bénéfices. On constate l’existence d’un cercle vicieux. Les
journalistes servent au public les sujets qui le concernent ; or ce qui concerne le public
français à l’époque, c’est bien plus la sécurité alimentaire que les avancées de l’agronomie.
Comme on l’a déjà signalé, les PGM entrent dans les médias et quittent le domaine de
l’expertise lorsqu’ils prennent une véritable importance pour la société. Cet acte est motivé
d’une part par les journalistes qui y trouvent un sujet, d’autre part par le lecteur qui se sent
concerné : il semble plus facile alors de traiter le sujet comme un nouveau problème de
sécurité alimentaire. A la suite de la crise de la vache folle, le public attendait des médias
qu’ils soient les vigiles de leur sécurité alimentaire. Les PGM se sont présentés à la porte et
furent une proie facile à dénoncer.
Après cette réflexion, on voudrait maintenant procéder à une analyse plus détaillée
de la presse écrite ; on effectuera donc une étude quantitative, puis qualitative. Pour la
première, après avoir repris les résultats de certaines études existantes, nous tenterons de

677
Ibid., p.67.

310
compter manuellement le nombre de termes critiques d’une part, et le nombre de termes
encourageants d’autre part, à partir des données que nous avons pu recueillir en utilisant les
moteurs de recherche de certains journaux représentatifs, sur Internet ; pour ce qui
concerne la seconde, nous effectuerons une étude de cas comparative sur la divulgation par
les médias de deux épisodes cruciaux des PGM : « l’affaire du monarque » et « la Mise sur le
marché du Riz Doré.» On disposera alors d’une image suffisamment détaillée du paysage
médiatique pour comprendre comment les journalistes en général ont pu avoir une
« certaine influence » sur l’opinion publique et inversement comprendre ce que cette
dernière attend des médias.

4.2.2 Lectures quantitatives de la presse écrite

Une étude ici est essentielle ; c’est celle qui a été menée au niveau européen par Gaskell &
al.678. Ces travaux ont consisté à effectuer une analyse comparative des principaux
quotidiens nationaux de chaque pays européens en utilisant une grille de codage. Pour la
France, un « Index de la couverture médiatique » du quotidien national le Monde a été
proposé dans l’ouvrage commun Les Biotechnologies en débat679. La méthode ici utilisée est
celle du logiciel Alceste qui permet plusieurs niveaux de complexité : un premier niveau est
celui qui consiste à compter l’occurrence des mots pour déterminer un vocabulaire spécifique
des formes grammaticales particulières… Un second niveau permet de rechercher les
associations fréquentes de certains mots. Dans le cadre de l’étude qui a été menée en
France, les auteurs ont choisi le journal le Monde.
Une autre méthode utilisée par les auteurs est celle du « cadrage », mise en place
par Gregory Bateson (1977) : « le cadre représente la manière de penser, de catégoriser une
application. Il se situe à un niveau logique supérieur à celui des acteurs. » C’est ainsi qu’un
même thème peut être abordé dans différents « cadres » : progrès scientifique, perspectives
économiques, éthique…
Les auteurs ont distingué 3 périodes : avant 1991, la transposition en loi française
des directives européennes, une période intermédiaire de 1992 à 1996 et l’ouverture du
débat public à partir de 1997. Ils affinent leur recherche en proposant des statistiques selon
quatre thèmes (biomédical, agro-alimentaire, recherche, économie), trois cadrages (progrès,
économie, éthique, pandore), trois types d’acteurs (scientifiques, affaires, politiques), le

678
John Durant, Martin Bauer, George Gaskell (dir.), Biotechnology in the Public Sphere : A European
Sourcebook, Sience Museum, Londres, 1998.
679
Suzanne de Cheveigné, Daniel Boy et Jean-Christophe Galloux, Les biotechnologies en débat, pour
une démocratie scientifique.

311
critère risque/bénéfice et le lieu.

- Ils ont pu constater alors que les biotechnologies agro-alimentaires qui étaient moins
présentes que le domaine biomédical dans les 2 premières périodes, devancent ce
dernier dans la période qui va de 1997 à 1999 (21% contre 12% des articles).
- Au niveau des cadrages, la même période voit l’apparition d’un thème comme celui
de Pandore (10%) ; l’éthique progresse et passe à 20% et le progrès diminue
quasiment de 10 points en passant de 47 à 38%. Les scientifiques, quant à eux, ne
sont plus les premiers acteurs sur la période 1997-1999 avec 35%, mais sont
talonnés par les politiques (22%) et les affaires (19%) ;
- Pour ce qui concerne maintenant la balance risques/bénéfices, les articles sur les
« bénéfices seuls » ne représentent plus que 32% alors qu’ils représentaient 39%
pour la première période, par contre les articles sur le « risque seul » sont passés de
15 à 19%.
- Quant aux lieux concernés, ils oscillent à quelques pourcents prêts entre la France
(43%), l’Europe (24%) et les USA (21%). Comme le commentent les auteurs : « Au
fur et à mesure que l’intensité de la couverture médiatique croît, les inquiétudes se
précisent. »680

Les auteurs ont pu également constater une croissance des cadrages éthiques qui sont
passés de 82 à 98% : « De plus en plus de thèmes a priori non éthiques sont cadrés d’un
point de vue éthique - en d’autres termes, l’éthique déborde de son domaine propre ». On
notera que dans les années 80, les articles portant sur l’éthique étaient essentiellement des
articles médicaux, à la fin des années 1990, ils touchent le clonage, mais aussi
l’agroalimentaire : « le maïs n’est plus seulement envisagé comme un progrès scientifique ou
sous une perspective économique : il pose aussi un problème d’ordre moral. De plus en plus
de sujets sont ainsi analysés : l’institutionnalisation de l’éthique, évoquée précédemment,
accompagne un mouvement plus global. »681 Ils en concluent que « Les préoccupations
d’ordre moral ont augmenté au cours des 20 dernières années en France et leurs objets se
sont diversifiés, s’étendant, en particulier, au domaine de l’alimentation. Apparaît ici un
élément que l’on retrouvera dans l’enquête menée auprès du public : les interrogations face
aux applications des biotechnologies alimentaires dépassent, et de loin, le simple risque
alimentaire ou environnemental. Les spectres de la discrimination et de l’eugénisme ne sont

680
Ibid., pp.74.
681
Ibid., pp.76.

312
jamais très loin».
Poursuivant leur analyse sur le cas précis des PGM, les auteurs s’attachent au cas du soja
génétiquement modifié américain qui a été importé (un soja RR de la firme Monsanto) en
1997, alors que la question de la traçabilité n’a pas été complètement résolue. Ce fait devait
être suivi peu de temps après par l’autorisation par la firme Ciba-Geigy (Novartis) d’un maïs
génétiquement modifié. Alors que ces importations ont fait grand bruit dans des pays tels
que le Danemark ou l’Autriche, dans des pays comme la France, l’Italie et la Grèce, « les
premières cargaisons sont arrivées dans une remarquable indifférence médiatique ». Seul le
journal Libération a fait exception avec une couverture qui titrait « Alerte au soja fou » et
proposait un grand dossier en page intérieur au contenu plus pondéré. Pourtant, le suivi
médiatique reste encore faible en France : seulement 13 articles sur 8 quotidiens concernent
ce sujet au mois de novembre (au Danemark, on a relevé plus de 200 articles dans les trois
mois qui ont suivi). Les auteurs affirment alors que la couverture médiatique va augmenter
spontanément peu après 1997 suite au clonage de Dolly : « la brebis servira, en fait, de
révélateur, témoignant des potentialités des sciences du vivant. Le débat public sur les
biotechnologies depuis lors, ne cessera plus.» 682
En analysant l’ensemble de ces articles à l’aide du logiciel Alceste qui permet de définir
des classes de mots ou d’ensembles de mots fréquemment associés, les auteurs ont
découvert 8 classes683. Les 2 premières concernent un vocabulaire technique, il s’agit de
« procédé » et « d’antibiotique ». Une troisième classe nommée « administration » traite du
mode de contrôle et décrit les commissions responsables. Les autres classes concernent
« l’arrivée des bateaux », les « actions de Greenpeace », et la réaction des groupes agro-
alimentaires. Enfin viennent en dernier les classes « Union Européenne » et « Santé », ces
deux dernières étant liées avec la loi votée par le Parlement, le 23 avril 1990.
Après avoir réalisé cette étude à l’aide de l’informatique, les auteurs sont revenus
manuellement sur les articles parus dans différents journaux pour mettre au jour des
différences de style. Ils ont pu observer la différence de traitement du sujet entre L e
Parisien, Ouest France (celui-ci fournit une explication peu technique) et la Croix qui fournit
une explication plus technique et décrit les expérimentations effectuées. Le Figaro, lui, n’a
pas abordé ces questions au mois de novembre, mais a proposé une interview du ministre
allemand de la recherche Jürgen Rüttgers. Libération a donné la parole à tous les
protagonistes dont aucune prise de position n’adopte le ton alarmiste de la « Une ». Le
Monde, quant à lui, a offert de brèves explications, mais on pouvait lire tout de même une

682
Ibid., p.79.
683
Ibid., pp.80-83.

313
« note grinçante » dans l’édito de Pierre Georges : « on l’a vu récemment : l’agriculture est
chose trop sérieuse pour être confiée aux apprentis sorciers »684.
La conclusion que tirent les auteurs de ce débat peu passionné est que, même si
l’inquiétude publique était déjà présente (ce qui est démontré par l’eurobaromètre), « ces
préoccupations étaient encore peu exprimées sur la place publique ; le long processus
d’appropriation sociale de la technique n’était pas encore engagé. L’exemple est en tout cas
fort intéressant dans le cadre d’une réflexion sur le pouvoir des médias : « une alerte au soja
fou », lancée de façon dramatique par un quotidien, ne suffit pas à enflammer l’espace
public. Ce qui relativise les capacités de « manipulation », souvent attribuées aux médias. Il
faudra attendre l’annonce d’un nouvel événement, perçu comme symbolique : le clonage de
la brebis Dolly.»685
On l’aura compris, ces analyses cherchent à confirmer les thèses du contrat de lecture :
d’une part, chaque journal traite l’information d’une manière qui lui est propre (densité de
l’informations technique, cadrage…), d’autre-part, le média n’influence pas directement le
citoyen, mais il contribue à réaffirmer les valeurs de celui-ci. Aussi, à partir du moment où la
société n’est pas concernée, le suivi médiatique de l’affaire reste faible. La thèse qui affirme
que les biotechnologies sont devenues une affaire publique à la suite de l’impact qu’a eu
Dolly, soulève cependant de nombreux problèmes.
S’il est bien vrai qu’il n’y a pas d’influence directe, on peut tout de même constater une
sorte d’effets à long terme qui semble d’autant plus discret qu’il est causé par une confusion
et un amalgame, à la suite d’une accumulation de faits. De même, il serait ici nécessaire
d’étudier davantage l’impact d’une action comme celle que Greenpeace a menée. En effet, la
simple présence des bateaux de l’ONG n’est pas passée inaperçue. Enfin, on peut s’étonner
que les auteurs n’accentuent pas plus leurs remarques sur le titre du journal Libération686.
Une autre étude de la couverture médiatique des PGM est proposée dans le rapport du
CRIDE687, dans un chapitre intitulé « La controverse dans l’arène publique : analyse lexicale
des articles de presse » ; constatant également un changement quantitatif et qualitatif dans
le suivi médiatique des PGM, les auteurs détaillent de manière plus précise les commentaires
qui sont laissés de côté par l’analyse précédente : « Les actions des associations qui, comme

684
Ibid., p.87.
685
Ibid.
686
Il ne suffit pas de dire que l’article était beaucoup plus sérieux que le titre pour faire oublier toutes
les peurs que cette phrase qui n’est pas anodine a pu contribuer à renforcer ou à susciter ; surtout
qu’avec une telle association, le journaliste capitalise déjà sur une peur antérieure pour fondre un
nouvel événement dans un phénomène social déjà existant.
687
Pierre-Benoit Joly, Gérald Assouline, Dominique Kréziak, Juliette Lemarié, Claire Marris, Alexis Roy,
INRA Grenoble, Collectif sur les risques, la décision et l’expertise (CRIDE) ; l’innovation controversée :
le débat public sur les OGM en France, Rapport, Janvier 2000, p.71.

314
Greenpeace, sont sur le sujet depuis de nombreuses années prennent alors du relief. Les
journalistes perçoivent qu’elles font échos à des préoccupations diffuses mais très présentes
dans la société. Le lien qui est fait entre OGM et vache folle par cette formule lapidaire
cristallise ces préoccupations en même temps qu’il permet ‘d’étiqueter’ le problème. Cette
formule met en effet en exergue l’impact des OGM sur la santé humaine, non pas sur la base
de l’évidence scientifique mais en se référant à un précédent similaire. La puissance de la
formule tient à sa capacité à faire le lien entre les OGM, problème nouveau et méconnu et
un précédent qui a été au cœur d’une expérience collective, la crise de la vache folle ; la
formule permet d’en dire long en très peu de mots ». Ici aussi, les auteurs constatent que le
traitement de l’information fluctue en fonction de l’intérêt que lui porte les journalistes : la
présence du sujet se renforce au fur et à mesure que les liens se tissent avec ce que les
auteurs nomment l’arène publique, autrement dit, au fur et à mesure que les PGM passent
de l’état de problème technoscientifique à celui de sociotechnique. En fait, il a fallu peu
d’affaires pour qu’émergent les notions de traçabilité et d’étiquetage.
S’il semble clair que l’on ne peut imputer aux seuls journalistes la responsabilité de la
désinformation ou de la mauvaise information communiquée au public - alors qu’ils ont été
les relais actifs de phénomènes de société et qu’ils ont sélectionné l’information dont ils
pensaient qu’elle intéresserait le lecteur688 - il n’en reste pas moins que cette sélection et
cette présentation de l’information a joué un rôle fondamental dans la perception des PGM.
Les mots, les titres et les métaphores choisis restent une source d’influence très puissante. Il
est donc nécessaire de préciser quelle est la part exacte jouée par ce que l’on peut appeler
le jugement de valeur implicite que représente chaque texte et d’essayer de trouver un
critère qui nous donne le caractère encourageant et le caractère critique de celui-ci par
rapport à la transgenèse végétale. Nous procéderons à une étude quantitative sur trois
quotidiens nationaux (Le Monde, Libération, Le Figaro) et un quotidien régional (les DNA).
Puis, à une étude qualitative en nous penchant sur les cas du papillon monarque et du
Golden Rice.

Etudes quantitatives des thématiques généralement associées aux PGM


Si, comme nous venons de le voir, nous ne pouvons prêter aux médias le rôle de
manipulateurs en ce sens qu’ils influenceraient volontairement et avec un fort parti pris le
public dans un sens plutôt que dans l’autre, on doit bien reconnaître que le message
médiatique véhicule au travers des mots un jugement de valeur implicite. Message qui peut

688
Ainsi, les journalistes rattacheront plus facilement les PGM à la thématique du risque alimentaire
qu’à celle de la nouvelle révolution verte.

315
être exigé par un contrat de lecture, et qui est une réaffirmation de certaines valeurs que le
public partage en commun avec le journaliste, ou tout du moins desquelles il est demandeur,
ces dernières s’étant créées au fil de l’histoire. Il semble donc essentiel de donner un
contenu à ce message.
Pour voir de quelle manière le thème des PGM a été relayé par la presse quotidienne
française, nous avons établi une liste de mots qui nous ont paru significatifs. Nous avons
effectué ce travail de manière intuitive à la suite de nos nombreuses lectures portant sur le
sujet, aussi, cette liste peut être considérée comme suffisamment représentative, et ce,
même si elle n’atteint pas l’exhaustivité, ce qui n’était pas ici notre objectif ; puis, nous avons
effectué une recherche booléenne dans 4 journaux - journaux que nous avons également
considéré comme représentatifs du panel de la presse quotidienne nationale et régionale -
afin de déterminer le nombre d’articles qui associaient « OGM » et chacun des mots de cette
liste. Cette étude comparative a été réalisée à partir des moteurs de recherche des archives
consultables sur Internet des journaux Le Monde, Libération , Le Figaro et les Dernières
Nouvelles d’Alsace. Ce travail permet de donner un ordre d’idées des thématiques
généralement associées aux PGM et est une version simplifiée des études précédemment
évoquées (en effet, nous n’avons pas pu réaliser de pourcentage et nous n’avons pas
compté le nombre d’occurrences du même mot dans un seul et même article). Aussi, un
travail intéressant consisterait à revenir sur chaque texte concerné pour étudier si l’usage qui
est fait du terme va dans le sens de la promotion ou d’une mise en garde à l’égard de la
technologie ; par exemple, comme nous le verrons le terme « risque » revient plus souvent
que celui de « bénéfice », on objectera alors à notre méthode qu’il se peut très bien que l’on
ait des textes qui affirment que les PGM apportent plus de bénéfices que de risques.
Cependant, nous posons que les mots à eux seuls suffisent à inscrire le thème dans un
champ sémantique donné et évoquent spontanément la problématique dont il s’agit. Ainsi,
parler de risque par rapport à une technologie, même si c’est pour dire qu’elle est moins
risquée qu’une autre, c’est déjà évoquer le fait qu’il y a risque. Aussi, la méthode que nous
proposons ici n’a pas d’autres objectifs que de passer en revue la fréquence de certaines
689
thématiques associées aux PGM .

689
D’autres études plus précises ont été réalisées au niveau européen, aussi, notre seul objectif ici est
de constituer un corpus d’informations pour appuyer notre réflexion sur les médias. On nous objectera
la faiblesse de cette méthode au travers de son caractère subjectif. Aussi, si le nombre d’occurrences
des mots pris les uns après les autres ne veulent pas dire grand chose, on doit cependant reconnaître
la possibilité de donner une interprétation lorsqu’on les compare entre eux. C’est le cas, par exemple,
quand l’on compare le nombre d’occurrences des mots risque, danger et bénéfices.

316
Nombre des articles contenant le terme « OGM »
PQR nationale Le Monde Le Figaro Libération de Les DNA de Novembre Total
et régionale De Janvier 1990 De Novembre 1997 Novembre 1997 1997 au 30 avril 2003 _
Thématiques au 30 avril au 30 avril 2003 Au 30 avril _
associées 2003_ 2003_
Aux
OGM_ 965_ 723_ 612_ 293_ 2593_

Les 10 thèmes clés en présence du mot OGM


Le Monde Le Figaro Libération Les DNA Total
965 723 612 293 2593
Le risque 234 201 182 80 697
Vache-folle 128 152 90 91 461
José Bové 133 142 105 64 444
Américains 158 129 108 29 424
Nature 156 153 91 22 422
Conférence 118 76 94 111 399
Etiquetage 119 82 94 58 353
Monsanto 137 87 74 16 314
Moratoire 130 61 75 47 313

On constatera d’emblée que le nombre des articles associant des thématiques, a priori
critiques aux PGM est beaucoup plus important que celui des articles associant des
thématiques que l’on peut considérer comme a priori encourageantes. Ainsi, c’est le cas, bien
évidemment, pour le thème « risque » qui se trouve ici en plus grand nombre que le thème
« bénéfice ».

- « Risque » : mot le plus fréquemment associé aux PGM


Si le fait que « risque » soit le thème le plus fréquemment associé aux PGM, cela n’a, à vrai
dire, rien de surprenant. On remarquera l’absence d’un thème tel que « bénéfices »
(seulement 91 occurrences au total) à ses côtés. En effet, on se rappellera que dans le
corpus scientifique que nous avions étudié, le couple « risques-bénéfices » faisait toujours
l’objet d’une étude commune, et ce, même chez les experts les plus critiques tels que
Benbrook. Ceci est d’autant plus surprenant que même un thème comme « danger », avec
un total de 250 occurrences passe encore avant. Alors que, comme on l’a vu, le terme

317
danger ne peut s’appliquer que lorsque le risque n’est pas potentiel mais avéré. On doit
donc penser que si le terme « danger » est employé, c’est que la perception de celui-ci est
forte.

Les termes évoquant des thématiques, a priori critiques


Le Monde Le Figaro Libération Les DNA Total
965 723 612 293 2593
Risque 234 201 182 80 697
Risques 202 180 143 118 643
Danger 72 78 63 37 250
Dangers 41 40 29 19 139
Inconvénient 5 7 10 3 25

Et a priori encourageants
Progrès 110 81 61 48 300

Bénéfices 36 32 15 8 91

Avantage 35 32 15 6 88

On remarquera le nombre important d’articles associant PGM à « progrès ». Bien


évidemment, le fait que nous ne revenions pas sur les textes nous empêche d’affirmer que le
mot « risque » est toujours employé pour affirmer qu’il y a plus de risques que de bénéfices,
de même on pourrait très bien penser que certains articles utilisent le mot pour affirmer en
substance que « les PGM ne peuvent pas être à l’origine d’un grand risque », ou encore
« que cette technologie n’est pas en soi un grand progrès. » Mais telle n’est pas ici notre
objectif. Cette étude purement quantitative sera complétée plus loin par une étude
qualitative.
Il est évident que si la plupart des articles sur les PGM traitent des risques, même
pour dire que ceux-ci restent encore à évaluer, alors le lecteur finira par penser de manière
systématique que PGM=risque. De même pour « danger(s) ». Et si en additionnant les
occurrences des 3 mots a priori critiques on trouve un nombre 2 fois supérieur (soit 992) à
celui des occurrences des 3 mots a priori encourageants (soit, 479) on a une idée globale du
traitement de l’information par les médias. Or il est clair que cet écart ne reflète pas l’analyse
scientifique du risque. Doit-on penser que cet écart est dû à une certaine partialité,
provoquée par la volonté de faire sensation (les articles qui parlent de catastrophe
remportent toujours un plus grand succès que ceux qui parlent de succès) ou doit-on penser
que, de par le contrat de lecture qui les lie à leur public, les journalistes estiment qu’il est

318
plus important de relayer la thématique du risque que celle du bénéfice ?

- Editorial et articles de société : l’amalgame trompeur


On a pu constater qu’un nombre incroyable d’articles associent « vache-folle » et « OGM ».
Comme on l’a vu, rien ne permet de rapprocher les deux faits, ni du point de vue de la
technologie, ni de l’estimation des risques. En effet, concernant le cas de la vache-folle,
comme on sait, les dommages causés l’ont été par la mauvaise application de certaines
règles de sécurité (les farines animales qui sont à l’origine de l’ESB, n’ont pas été chauffées
suffisamment). En ce qui concerne maintenant l’estimation des risques, comme l’a montré
Philippe Kourilsky, on a confondu risque avéré et risque potentiel. Dans le cas de la vache
folle, les études effectuées ont démontré le danger qu’il y avait de manger de la viande de
bœuf, nourri aux farines animales. Dans le cas des PGM, le risque reste potentiel. Comment
expliquer alors, ces nombreuses occurrences du rapprochement entre ces deux
thématiques ? On sait, la plupart du temps, qu’elles ont toujours eu lieu de la même
manière. Il s’agit d’une énumération qui met sur le même niveau différentes crises
alimentaires, telles que la listéria, le coca-cola et le poulet belge, le veau aux hormones… La
question que l’on est en droit de se poser, c’est : pourquoi les journalistes ont propagé
l’amalgame ? Quelles raisons avaient-ils de lier ainsi ces phénomènes distincts entre
eux alors que d’un côté on a constaté les conséquences de la non-application de certains
protocoles de sécurité dans le développement de la crise, pendant que de l’autre, le principe
de précaution a pu être appliqué ?

Effet éditorial : Amalgame PGM/crises alimentaires/autres crises


Le Monde Le Figaro Libération Les DNA Total
965 723 612 293 2593
Vache-folle 128 152 90 91 461
Nucléaire 64 50 38 22 174
Pollution 60 51 37 34 129
Sang contaminé 24 17 19 4 64
Scandale 16 29 5 3 53
Listéria 14 20 6 6 46

On expliquera la présence de toutes ces thématiques aux côtés des PGM, par ce que l’on
appelle un « effet éditorial ». En effet, dans le cadre d’articles généralistes qui ne portent
pas essentiellement sur les PGM, mais sur une thématique plus générale de société ou les
billets d’humeur, les journalistes font souvent des énumérations afin de mettre le lecteur en

319
situation.
On peut comprendre et accepter le souci qu’ont les médias de vouloir devancer la
crise et se faire l’expression d’une véritable peur du public qui vient d’être secoué par de
nombreux scandales ; on peut cependant difficilement accepter le traitement disproportionné
des thématiques liées à la crise par rapport à celles qui ne concernent le progrès, et ce, y
compris dans les titres. On sait que de nombreux facteurs ont contribué à cette situation : le
manque de communication et les maladresses des scientifiques et des industriels,
l’incompréhension et les craintes (justifiées et injustifiées du grand public), le caractère
indécis des prises de position des hommes politiques et des textes de lois, l’absence
d’informations à 100% fiables (si tant est que celles-ci puissent exister), le contexte des
autres crises alimentaires et surtout, la stratégie de communication agressive des
organisations écologiques et des différents groupes de pression… Tous ces éléments ont
contribué à faire la forme et le fond du discours sur les PGM. Reste que, sans ce discours
aux accents alarmistes, on se demande bien où le public aurait pu avoir une expérience
négatives des biotechnologies alimentaires ?

- Activisme Anti-PGM : le feuilleton médiatique


Le troisième élément qui vient appuyer notre hypothèse est le grand nombre d’articles
relatant les faits causés par les activistes. En effet, on constate que « José Bové » arrive en
3ème position sur la liste des « occurrences ». Mais, on en trouve d’autres à ses côtés.

Activistes anti-OGM et des thèmes en rapport avec les actions menées


Le Monde Le Figaro Libération Les DNA Total
965 723 612 293 2593
José Bové 133 142 105 64 444
Greenpeace 97 66 81 21 265
Procès 60 80 50 20 210
Arrachage 44 27 30 12 113
Mondialisation 102 109 106 39 346
Total 334 315 266 117 1032

Comme on peut le constater, les actions menées par ces associations syndicales et
par des mouvements écologistes sont plus facilement relayées par les médias. On notera ici,
que, bien souvent, le nom « José Bové » se trouve fréquemment dans le même article aux
côtés des mots « procès » et « arrachage ». Le fait que, presque 14% de la somme totale

320
des articles sur les PGM parus dans un quotidien tel que, Le Monde parlent de José Bové,
démontre la grande politisation du débat. Sur l’ensemble des articles des quotidiens évoqués,
c’est plus de 17% de la somme totale, avec un pic à 22% pour les DNA. On peut supposer
que ce nombre important a pour origine l’arrachage de champs de PGM où ont lieu ces
essais. Ce thème sera traité comme un véritable feuilleton. Certains de ces articles peuvent
aussi parler de l’autre affaire qui lie José Bové à la justice en raison de la démolition d’un
restaurant Mc Donald’s à Millau et effectuer un bref rappel sur les PGM. On trouve également
quelques articles de fonds et même des papiers signés de la main du porte-parole de la
Confédération Paysanne. Quant à l’association écologique Greenpeace, elle s’est également
fait remarquer par les médias grâce aux actions qui ont été menées au travers le monde
pour protester contre les PGM ainsi que par sa forte culture du dossier et du communiqué de
presse: protestation contre les premiers arrivages de soja génétiquement modifié en Europe,
arrachage d’essais sur les PGM, papillon monarque, actions menées contre les
supermarchés…
Ces répétitions fréquentes d’actions et de mise en scène contribuent à former un
« événement spectaculaire » au sein de la thématique PGM qui peut captiver l’intérêt du
public. On a donc à faire à un feuilleton qui n’a pas manqué de captiver l’opinion.
On peut même penser que la politisation du débat a occulté la thématique du risque
sanitaire et environnemental. Car, très souvent, la lutte anti-PGM s’inscrit dans une lutte
globale contre la mondialisation et les multinationales qui sont des acteurs majeurs de la
technologie.

- Vocabulaire à forte connotation péjorative : les raccourcis de pensée


Avec le traitement de l’information des PGM, on a pu voir apparaître dans les médias de
nombreux termes qui qualifient la technologie d’une manière péjorative. Ce vocabulaire a été
le plus souvent inventé par les journalistes eux-mêmes, voire, les activistes anti-PGM.

Vocabulaire à forte connotation péjorative


Le Monde Le Figaro Libération Les DNA Total
Mal-bouffe 4 11 6 21 42
Franken-food/Frankenstein 1/7 1/11 1/15 2 38
Apprentis sorciers/Docteur Folamour 1/4 8 4 17
Bricolage 3 5 1 5 14
Multinationales 85 50 67 19 221

On notera le succès de termes tels que « Mal-bouffe », que José Bové s’est approprié, et de

321
la « nourriture Frankenstein » ou « Frankenfood ». Même si les occurrences sont faibles
(tout du moins dans les quotidiens étudiés), le retentissement n’en est pas moins important.
Ces termes auront un certain succès. On notera, par exemple, la forte proportion de son
usage dans les DNA : 21 articles sur les 293 qui parlent des PGM emploient le terme « mal-
bouffe », soit un peu plus de 7%. Ce qui est, peu en soi, mais beaucoup comparé au journal
Le Monde (0,4% seulement). On peut sans doute imputer cette différence aux intérêts du
lectorat des deux journaux.
On a pris le parti d’inclure le terme « multinationales » dans le vocabulaire péjoratif,
étant donné que, très souvent, ce mot est employé de manière critique. En effet, le mot
« multinationales » est utilisé pour représenter le capitalisme aveugle et avide. La
personnalisation du mal contre lequel lutte les activistes690.

- Evocation des sentiments négatifs à l’égard des PGM : la peur alimente la peur
C’est bien connu, « la peur engendre la peur » et on peut s’interroger sur l’impact d’un titre
tel que « Faut-il avoir peur des OGM », sur l’esprit d’un public a priori ignorant des principes
de la technologie. Pour mieux se représenter, il suffit de transposer au monde automobile :
qui voudrait d’un nouveau véhicule si des journaux titraient « Faut-il avoir peur de la
nouvelle Renault ? »
Enfin, on remarquera un emploi important des termes « Polémique » et
« Controverse », avec respectivement des totaux de 132 et 59 articles sur les 4 journaux. On
nous objectera ici que les médias font état du sentiment de peur qui anime les citoyens.
C’est là que l’on s’aperçoit qu’il y a un véritable cercle vicieux au cœur du rapport qui lie les
médias et l’opinion : comment le public aurait-il pu avoir peur des PGM si on ne lui avait pas
dit qu’il pouvait avoir peur.

Sentiments négatifs par rapport aux PGM


Peur 48 62 55 31 166
Angoisse 14 8 7 3 32
Doute 5 7 10 3 25
Craintes 39 19 31 6 95

- Information sur les producteurs de PGM : publicité ou dénonciation ?


Qu’en est-il maintenant du vocabulaire que l’on peut qualifier « d’encourageant », en ce sens

690
Fons, Christian, OGM : Ordre Génétique Mondial, l'Esprit frappeur 2001

322
que, celui-ci n’associe pas systématiquement les PGM à une valeur négative, mais renvoie
généralement à une information sur la technologie et sa valeur ajoutée ?
Tout d’abord, on trouve de nombreuses occurrences pour les acteurs qui sont à
l’origine de la technologie. On ne sera pas surpris de trouver un grand nombre d’articles avec
le mot « américains » étant donné qu’ils sont les leaders (il serait cependant intéressant de
mener une étude pour voir quelle proportion de ces textes sont teintés d’anti-américanisme,
sentiment fort répandu au cœur du débat). Quant aux nombreuses citations de la société
« Monsanto », elles sont dues sans doute à la position de leader de l’industriel sur ce secteur
d’activité, mais aussi au fait qu’il est une des cibles préférées de Greenpeace. De nombreux
articles relatent, par conséquent, les actions de l’organisation écologiste contre cette société
américaine : il s’agit d’un point de la plus haute importance que nous traiterons en détail un
peu plus loin dans ce travail.
Acteurs des biotechnologies agro-alimentaires (principales cibles des activistes)
Le Monde Le Figaro Libération Les DNA Total
Américains 158 129 108 29 424
Monsanto 137 87 74 16 314
Syngenta/ 24/101 10/62 1/35 3/23 203
Novartis
Dupont 37 17 9 3 66

- Valeur ajoutée des PGM : une présence en demi-teinte


Etant donné que nous ne connaissons pas le contexte dans lequel ces termes sont utilisés, le
nombre de leurs occurrences en présence d’« OGM » n’a de valeur que comparé à celui du
nombre d’occurrences des termes qui renvoient a priori à une valeur critique. On constatera,
par exemple, que le terme de « technologie » est employé plus fréquemment que celui de
« bricolage ». On remarquera surtout une faible occurrence des termes tels que « Tiers-
monde » ou « PVD ». Ceci est surprenant du fait que les protagonistes des biotechnologies
agro-alimentaires en ont fait un argument capital pour la promotion des PGM.
Valeur ajoutée des PGM
Technologie (par opposition ici à bricolage) 77 41 48 18 184
Bt 34 29 10 6 79
Amélioration/sélection 41/32 31 16/19 20/14 173
Révolution verte 11 1 6 1 19
Espoir 32 19 30 23 104
Tiers-monde/PVD/Petits-Agriculteurs 30/1/6 33/1/3 28 18/0/4 124
Solutions 56 51 57 17 181

323
- Statut public et juridique des PGM : la nouvelle problématique
On a remarqué une très forte présence des termes qui appartiennent au débat préalable à
l’éventuelle mise sur le marché européen, des PGM et à la problématique juridique. Comme il
a été démontré par les études que nous avons vues précédemment, le nombre important
d’occurrences du terme « conférence » est à mettre en rapport avec la fameuse
« Conférence des citoyens » (voire étude du CRIDE plus haut).

Débat sur les PGM et problématiques juridiques


Conférence 118 76 94 111 399
Etiquetage 119 82 94 58 353
Moratoire 130 61 75 47 313
Traçabilité 87 72 39 66 264

Pour ce qui concerne l’« Etiquetage » et la « Traçabilité », on constate sans surprise


qu’il s’agit là de thèmes fort discutés et qui concernent au plus haut lieu, aussi bien l’opinion
publique au travers des associations de consommateurs, que les instances juridiques
gouvernementales et européennes. On se reportera aux études menées par Alexis Roy, pour
voir comment on est passé d’un « débat sur le risque », confiné entre experts membres de la
CGB à un « débat sur la possibilité de mettre les PGM sur le marché » ouvert, cette fois ci,
au public691. La prise de décision d’établir un « moratoire sur les nouvelles autorisations
d’importation et de culture des PGM » est une mesure à la fois gouvernementale et
européenne. Celle-ci est souvent discutée. On constate que les journalistes ont suffisamment
relayé ces problématiques. Aussi, il serait intéressant de voir à partir de quelle date ces
articles deviennent de plus en plus présents dans la presse. On comprend alors que les 3
principaux traitements de l’information sur les PGM par la presse restent la perception du
risque, les actions des militants anti-OGM et enfin, les interprétations juridiques du principe
de précaution. Au regard de cela, le traitement de la « technologie » et de ses avantages
potentiels reste relativement faible par rapport aux autres thèmes qui sont abordés. En fait
on pourrait presque dire que, à la suite de la « conférence des citoyens » et au
« moratoire », la « traçabilité » et « l’étiquetage » sont devenues les deux nouvelles
problématiques essentielles et ont fait passer au second plan l’estimation du risque.

691
Alexis Roy, Les experts face au risque : le cas des plantes transgéniques, PUF, 2001

324
Débat philosophique sur les PGM : la « nature » en question
Enfin, on remarquera un nombre très important d’occurrences d’articles employant le mot
« nature » : 422 articles en tout sur l’ensemble des 4 journaux. Ce qui place le thème en
5ème position de tous les thèmes que nous avons étudiés et démontre un certain intérêt pour
le débat sur la « nature des PGM ». En effet, comme on l’étudiera, de nombreux articles
s’interrogent sur le bien fondé des PGM par rapport à un présupposé « ordre naturel ».

Notre étude quantitative des thèmes fréquemment associés aux PGM dans les 4 quotidiens,
a démontré :
- Que deux fois plus d’articles sur les PGM, emploient le mot « risque(s) » (697) plutôt
que le mot « progrès » (300) et presque 8 fois plus que le mot « bénéfices » (91).
Nous en avons déduit que les PGM étaient présentées plus facilement d’une manière
critique et nous avons constaté l’existence d’une grande différence par rapport au
corpus des textes scientifiques déjà étudiés. On parlera ici d’information déséquilibrée
et exagérant la réalité du problème tel qu’il se pose au sein de la communauté
scientifique.
- Un nombre excessivement grand (461) d’articles associent les PGM à la vache-folle,
ainsi qu’à d’autres crise alimentaire et technologiques (nucléaire, sang contaminé…),
alors que, rien, d’un point de vue scientifique et technique ne permet de relier ces
deux thèmes. On suppose que beaucoup de ces articles sont écrits dans un style
éditorial ou sont des articles de société. Le journaliste, soit par manque de rigueur,
soit pour interpeller son lecteur, met les PGM au même niveau que les crises
alimentaires. Le résultat étant, bien évidemment, de créer l’identification entre les
PGM et les autres crises. On parlera dans ce cas « d’amalgame trompeur ».
- Une omniprésence des deux principaux activistes anti-PGM ; ainsi « José Bové » et
« Greenpeace » sont présents dans 27% de l’ensemble des articles étudiés sur la
période considérée. On suppose que, par de nombreuses actions répétées, et leurs
démêlées avec la justice, ces activistes entretiennent un feuilleton médiatique avec
lequel les journalistes peuvent alimenter un lectorat demandeur. On est face ici à une
forme d’information spectacle (en ce sens que les activistes agissent avec pour
objectif que leur action soit relayée par les médias).
- Un certain nombre de termes à connotation péjorative ( Mal-bouffe, franken-food…).
Ces thèmes sont employés de manière gratuite et leur effet d’accroche est souvent à
l’origine de raccourcis de pensée. Placés dans un titre, ils peuvent fortement

325
influencer l’imagination du public. Il s’agit donc ici de choquer par un titre fort ou un
leitmotiv.
- Un grand nombre d’articles enfin évoquent les sentiments tels que la peur, la crainte,
ou le doute. On peut penser que les journalistes ont relayé les sentiments du public
qu’ils ont pu connaître au travers des différents sondages d’opinion, ou encore celui
d’une certaine frange de l’opinion scientifique.
- Une présence importante des principaux acteurs à l’origine des biotechnologies
(américains, Monsanto…). Il est impossible d’interpréter ces résultats sans revenir
aux textes. On peut se contenter de dire que les acteurs sont connus et ciblés, on ne
sait pas s’ils sont vantés ou conspués.
- Un nombre d’articles avec des termes pouvant exprimer la valeur ajoutée des PGM
moins importants que celui des termes qui expriment les inconvénients (par exemple.
104 articles comportent le mot « espoir » alors que 161 comportent le mot
« peur » ). On en déduit qu’il existe une certaine difficulté pour les médias à relayer
l’information scientifique.
- Le suivi du débat public et juridique sur les PGM représente un grand nombre
d’articles. Au point que celui-ci a sans doute supplanté le débat risques-bénéfices. On
en déduit que les médias se font plus facilement les porte-parole d’un problème de
société que d’un problème scientifico-technique.
- Enfin, un très grand nombre d’articles comportent le mot « nature » ; on en déduit
qu’un des problèmes sous-jacent au débat est celui de l’être des PGM. Ici, les médias
se font les relais d’une problématique philosophique implicite.

C’est en tous ces sens, que l’on peut affirmer que la presse écrite a influencé les lecteurs :
déséquilibre de l’information et non reflet de la réalité, amalgame trompeur, information
spectacle, titres chocs, non séparation des jugements et des faits… tous ces faits ont déjà
été dénoncés. Mais à la différence des thèses de Merchant et de Kourilsky ou plutôt, pour
compléter celles-ci, nous pensons qu’il ne s’agit pas là simplement d’un manque de
déontologie, de journalisme-sensation ou encore d’une difficulté de communication entre les
médias et les scientifiques. En expliquant ces travers de l’information à partir du concept du
« contrat de lecture » et non pas seulement du « journaliste manipulateur mal informé en
quête de sensations », on aura une toute nouvelle compréhension de la raison pour laquelle
les PGM sont mal acceptées. Aussi, dire que les journalistes n’ont pas contribué à susciter les
doutes est aussi faux que la thèse opposée qui soutient qu’ils sont les seuls responsables. En
fait on ne peut comprendre l’attitude des médias à l’égard des PGM que si on sait que le

326
public échaudé par les crises précédentes était demandeur d’un tel type d’information. Les
médias ont donc pensé qu’il était de leur devoir d’avertir leur lecteur avant que la prochaine
crise n’éclate. Ce faisant, ils ont privilégié l’information critique sur les PGM ; or du point de
vue déontologique, ils n’avaient aucune raison de procéder ainsi.

A la suite de certaines crises alimentaires, les journalistes ont dénoncé les exactions
qui avaient été commises dans un secteur controversé. Ils ont donc contribué à aiguiser la
conscience générale, à un tel point que celle-ci est devenue ultra-réceptive à toutes les
problématiques de cet ordre. Poursuivre dans cette voie a donc été tout ce qu’il y avait de
plus simple : autant pour le public qui a vu dans les PGM une continuation des crises
précédentes que pour les médias qui y ont vu la possibilité de réaffirmer des valeurs de plus
en plus chères à leurs lecteurs. Notre thèse est donc que les médias n’ont fait que proposer
à leur lectorat les informations qu’il attendait et donc, on peut remarquer l’existence d’un
cercle. Si on peut dire que les journalistes ont retransmis l’information scientifique et
technique de manière incomplète, exagérée ou fallacieuse, c’est parce qu’ils ont sélectionné
de manière subjective l’information qui pouvait le mieux correspondre aux attentes de leurs
lecteurs et réaffirmer les valeurs de ceux-ci. Ils ont choisi de présenter, le « feuilleton
médiatique » plus que « l’information scientifique et technique », «la version crise
alimentaire » plus que la version « deuxième révolution verte ». C’est cette hypothèse que
nous voudrions désormais vérifier au travers de l’étude du suivi médiatique de deux faits :
« l’affaire du papillon monarque » et celle « du riz doré ».

4.2.3 Etudes qualitatives du suivi médiatique des PGM : « l’affaire du papillon


monarque » et « l’invention du riz doré »
A la suite de l’étude quantitative que nous avons effectuée sur 4 grands quotidiens français,
on a trouvé un plus grand nombre d’occurrences de « thèmes a priori critiques » associés
aux PGM. Ceci peut nous laisser supposer, que les médias donnent une place moins
importante à la mise en valeur de la technolgie. Or, notre étude sur le corpus de textes des
experts ne montrait pas un tel déséquilibre. Nous avions pu voir que le débat sur les risques
et les avantages n’était toujours pas résolu et qu’un grand nombre de questions restaient
encore en suspens, aussi bien du côté des opposants que du côté des partisans.
Il semble donc nécessaire de revenir sur le traitement de ces problématiques par la
presse en analysant le suivi de deux faits : l’affaire du papillon monarque et l’annonce de
l’invention riz doré. Le premier épisode renvoie, comme on a déjà eu l’occasion de le voir, à

327
un risque environnemental potentiel, le second concerne un avantage direct de la
technologie pour le consommateur.

4.2.3.1 « L’affaire du papillon monarque » : généralisation du risque


Comme on l’a déjà vu, l’affaire du papillon monarque a fait couler beaucoup d’encre du côté
des experts. Paru dans Nature au début de l’été 1999, l’article de John Losey692, un
entomologiste de l’Université de Cornell, a donné lieu à un suivi médiatique international, à
une récupération par les activistes écologiques du symbole du papillon monarque et a
influencé certaines prises de décision politiques. Tout cela malgré les mises en garde de
l’auteur contre toute interprétation abusive de ces résultats, rappelant que ceux-ci avaient
été obtenus en laboratoire et qu’il était difficile de les extrapoler pour des résultats en pleins
champs693.
Alors que les associations de consommateurs américaines profitaient de la brèche
pour aussitôt dénoncer le manque de sérieux des autorisations accordées par l’EPA aux
PGM694, les associations écologistes telles que Greenpeace, par exemple, amplifiaient le
phénomène grâce à des actions de rue. Des études réalisées par une équipe de sociologue
de l’INRA ont porté sur l’impact qu’avait eu dans la presse américaine cet article du journal
Nature695 : les auteurs ont pu constater que l’étude sur le monarque a eu un effet immédiat
et a été suivie de plusieurs grands articles dans la presse quotidienne ; au second semestre,
de nombreux textes font encore référence au monarque et la fréquence ne diminuera qu’au
premier semestre 2000696. Ayant commencé par une étude du texte de base, l’équipe dirigée
par Pierre-Benoît Joly a remarqué que le choix d’un « titre accrocheur » contrastant avec un
texte plus mesuré (« Pollen from GM corn harms butterfly larvae ») était commun à l’article
scientifique aussi bien qu’aux textes trouvés dans la presse nationale. Aussi, les experts,
remarquent que dans de nombreux documents, y compris l’original, les résultats de la
découverte sont relativisés (impossibilité de généraliser, existance d’autres risques beaucoup
plus importants courus par le monarque). Pourtant si le suivi médiatique a été si fort, c’est
que le travail d’estimation de ce risque n’a pu être accompli par l’EPA avant la mise sur le
marché du maïs : « L'argument le plus important à ce stade n'est pas dans l'affirmation

692
J.E. Losey et al. (1999) Nature 399, 214.
693
« It would be inappropriate to draw any conclusions about the risk to Monarch populations in the
in the field based solely on these initial results » Ibid.
694
C’est ainsi que Margaret Melon, représentante de l’UCS (Union of the Concern Scientists), affirme
que l’association a vu dans ces résultats, la preuve du manque de sérieux de l’estimation des risques
effectuée par l’EPA. Ibid., p.8.
695
Pierre-Benoit Joly, Claire Marris, Olivier Marcant, La constitution d'un "problème public" : la
controverse sur les OGM et ses incidences sur la politique publique aux Etats-Unis, Janvier 2001.
696
Ibid., p.68.

328
d'une certitude quant aux effets du maïs Bt sur le monarque. Il est dans la façon dont cette
étude rend tangible l'incertitude radicale associée aux OGM (c'est probablement l'un des
effets du caractère symbolique du monarque) et conduit à remettre en cause les pratiques
des autorités réglementaires. En effet, l'évaluation officielle des risques avait jusqu'alors
exclu cette possibilité des considérations pertinentes pour la réglementation. Cet argument
est notamment mis en avant par les scientifiques de l'UCS qui demandent un renforcement
des études scientifiques sur ces questions. »697
A la suite de cette première vague d’articles, les auteurs affirment qu’aux Etats-Unis,
le monarque sera repris par de nombreux commentaires, associés à des thèmes différents et
également utilisé comme symbole (par exemple des enfants déguisés en papillon défilent
dans les rues). Ils remarquent cependant que la presse continue d’utiliser le conditionnel.
Mais l’affaire monarque va servir à rappeler les autres problèmes à l’origine desquels pourrait
se trouver le maïs Bt : ainsi certains journalistes en profitent pour mettre en doute l’efficacité
des zones refuges et l’apparition potentielle d’insectes résistants ; certains évoquent la
possibilité d’autres insectes non-cibles tels que les coccinelles ; d’autres parlent du risque
environnemental du flux de pollen ; enfin les journalistes en viennent à poser les questions
de sécurité sanitaire, dans ce nouveau type de cadrage (au dire des auteurs, encore inédit
dans la presse américaine) ; certains en ont profité pour donner raisons aux opposants qui
se trouvent sur le continent européen. Les sociologues de l’INRA soutiennent qu’au travers
de cette réaction, ce qui est véritablement en jeu, c’est l’absence de connaissances que l’on
a des effets des plantes génétiquement modifiées sur les êtres humains et l’absence
d’expériences qui ont été menées.

L’affaire monarque dans la presse quotidienne nationale française


Nous voudrions désormais étudier le suivi de cette affaire dans les 3 quotidiens
nationaux que sont le Monde, Le Figaro et Libération, ce, afin de voir comment un article qui
avait pour objectif de soulever un problème a été diffusé comme l’annonce d’un danger
environnemental majeur. On sait que sur le territoire européen et particulièrement en
France, le papillon monarque n’est pas la première « affaire » qui fait irruption au sein des
médias : le soja RR du port d’Anvers, le bal juridique des autorisations ministérielles, les
antibiotiques et l’affaire Pusztai ont déjà donné un sacré coup à la réputation des PGM, ce
qui n’était pas encore le cas aux Etats-Unis. Pour ce qui concerne le suivi de cette affaire
dans la presse quotidienne française, on notera certaines inégalités. En effet, en effectuant
une recherche des termes « OGM » et « Papillon monarque », on trouve respectivement 9

697
Pierre-Benoit Joly, Ibid., p.69.

329
articles dans le Monde (de 1999 à 2003), 7 dans le Figaro et 5 dans Libération. Aussi sur les
9 articles du Monde, on ne trouve que 3 textes qui portent essentiellement sur le sujet, dans
le Figaro, on en trouve 4 et dans Libération, 2. Tous les autres articles utilisent l’affaire du
monarque avec un cadrage différent, à titre de rappel ou d’exemple. Afin de mieux
comprendre le suivi de ce thème, on l’a divisé en trois étapes : la parution, le décadrage et
enfin les dénouements.

- 1ère étape : la parution de l’article dans Nature


Chacun des 3 journaux étudiés relate la parution de l’article : pour le Monde, cela fait l’objet
d’un article de 935 mots daté du 26 Mai (6 jours après la parution de l’article dans Nature)
signé de Hervé Morin, au titre plutôt ambiguë : « Les doutes s’accumulent sur l’innocuité du
maïs transgénique ». Bizarrement, l’auteur qui est souvent préposé au suivi des PGM
regroupe dans un seul texte l’affaire du monarque et le phénomène de résistance de la
pyrale qui aurait « été mis en évidence en laboratoire ». Il semble que le journaliste cherche
à faire d’une pierre deux coups en associant deux expériences qui mettraient en doute
l’innocuité du maïs transgénique. Le chapeau regroupe l’étude de Losey (sans la citer), les
doutes naissants de l’opinion publique anglo-saxonne, la résistance de la pyrale, le problème
des essais en plein champs et enfin la tentation qu’auraient certains de « contourner les
règlements en les menant dans des pays à la législation plus souple ».
Le traitement de l’article de Losey proprement dit, représente 21 lignes. Après avoir
resitué l’article dans le contexte des recherches qui l’ont précédées (études menées sur les
larves de Chrysopes en 1998), l’auteur présente l’étude et les résultats, il site ensuite
Christian Morin, le porte-parole de la société Novartis qui affirme la nécessité « d’élargir le
protocole à des observations en champ ». Enfin, il annonce la décision que la Commission
Européenne a prise le jeudi 20 mai de « suspendre les procédures d’acceptation des
demandes en cours de commercialisation de maïs transgénique dans l’Union européenne,
afin d’évaluer la portée de l’étude sur le monarque.»698 Suivra à cette présentation succincte
qui, soit dit au passage, ne fait même pas état des réserves de Losey, une revue des autres
risques pressentis : l’apparition de populations de pyrale résistante à la toxine Bt (« un
problème encore plus épineux » découvert par les études du professeur William McGaughey,
Science, 7 mai 99) et le risque de la multirésistance.
Curieusement, on constate que ce texte porte plus sur l’apparition de « pyrales
résistantes » que sur l’article de Losey. On dirait que le journaliste s’est fixé pour objectif de

698
Hervé Morin, « Les doutes s’accumulent sur l’innocuité du maïs transgénique », le Monde , 26 Mai
1999.

330
brosser le tableau de l’échec d’une technologie en accumulant les doutes et les problèmes
que celle-ci rencontre. On sera attentif à certaines expressions significatives: « les géants de
l’agroalimentaire », « C’est un symbole qu’on épingle », « digère lui aussi très mal ces mets
savamment empoisonnés ».
L’expérience de Losey sert donc de prétexte au journaliste pour aborder plusieurs
autres sujets. On peut se demander pour quelle raison H.Morin regroupe dans un seul et
même article 3 problématiques différentes. Doit-on penser que le seul épisode du papillon
monarque n’était pas suffisant pour sensibiliser les lecteurs du journal, ou que l’information
fournie par le journal Nature ne donnait pas suffisamment de matière ?
A cet article s’ajoute cependant une brève qui résume en titrant sur « Les dangers du
maïs transgénique » et un autre petit texte qui affirme que l’affaire du papillon monarque a
été la goutte qui a fait déborder le vase pour l’opinion britannique699. 4 jours auparavant,
une dépêche AFP avait paru, titrant « Bruxelles s’inquiète des effets du maïs transgénique
sur les papillons ». Ce court article du 22 mai 1999 relate la décision de la Commission
Européenne de suspendre les procédures d’homologation de variétés de maïs transgéniques,
à la suite de la parution des études de Losey. On y trouve également une citation du porte-
parole Peter Jorgensen « Nous ne pensons pas qu'il y ait un danger immédiat, mais nous
sommes tenus d'appliquer le principe de précaution ».
Force est de constater cependant, que l’article de Nature suscite du remous au niveau
politique, ainsi le 27 mai, un nouveau texte porte sur l’intervention de Dominique Voynet qui
a fait la demande au gouvernement de revoir sa position sur les OGM700. Sous la pression
des associations environnementales et profitant de l’accumulation des événements, la
Ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement a estimé nécessaire un
réexamen des dossiers ainsi que la suspension de la mise sur le marché des nouveaux PGM.
L’article rappelle les expériences de Losey et celle de Mc Caughey sur la résistance de la
pyrale. Il note également la suite des événements politiques et l’impopularité croissante des
PGM en France. Le suivi est là, mais reste, somme toute, assez discret.
Un mois plus tard, un texte encore plus court titre sur la nécessité de se garder de
toute interprétation trop hâtive701. Cet article cite textuellement le professeur Losey : « Notre
étude a été menée en laboratoire, et il serait déplacé, sur la seule base de ces résultats
préliminaires, de tirer des conclusions sur le risque pour les populations en milieu naturel »,
a indiqué le professeur John Losey (Université de New York). On sait que Losey a fait cette

699
Herve Kempf, « L’opinion britannique se détourne des OGM », le Monde du 26 Mai 1999.
700
Sylvia Zappi, « Dominique Voynet demande au gouvernement de « revoir sa position » sur les
OGM » le Monde, le 27 Mai 1999.
701
« Maïs transgénique et papillons, la prudence s'impose », le Monde, 16 Juin 1999.

331
remarque dès la 1ère parution de l’article dans Nature. Pourquoi le Monde ne la cite que plus
d’un mois après que l’affaire ait fait la une ? On est en droit de se le demander. Qu’en est-il
maintenant des autres journaux ?
Pour ce qui concerne le Figaro, le quotidien publie deux longs articles sur le sujet, le
jour même de la parution dans Nature . Le premier rapporte l’étude de Losey mais, à la
différence de l’article de Hervé Morin702, ce texte se concentre sur la présentation de
l’expérience (environ 2/3), ne cherche pas à dramatiser en faisant le lien avec d’autres
problématiques, mais a plutôt tendance à relativiser. Les auteurs parlent également d’une
accumulation de doutes ; ils citent la pétition menée par une association de plus de 115000
praticiens britanniques qui ont demandé l’arrêt de la culture transgénique tant que de
nouvelles études n'auront pas été menées sur la toxicité des OGM. Tout comme Morin, ils
rappellent que les industriels de l’agroalimentaire ont voulu se montrer rassurants jusqu’à
présent, mais que cette expérience va sans doute remettre en cause l’absence d’effets non
ciblés. On trouve également un encadré sur la destruction de 40 hectares de cultures de
maïs transgénique en Suisse à la suite d’une décision du ministère de l’agriculture. On notera
que les auteurs commentent le choix de l’objet d’étude de Losey : « En étudiant l'impact du
pollen de maïs transgénique sur les monarques, le choix des chercheurs de l'université de
Cornell n'est pas indifférent. Pour les Américains, ce papillon fait partie de ce qu'en anglais
on appelle les « espèces charismatiques », comme le panda, la baleine ou l'albatros. La
sauvegarde de ces animaux mobilise plus que tout autre l'attention d'un public très
sensibilisé à la protection du monde naturel. » Enfin les auteurs proposent un condensé
entomologique sur la vie et les habitudes du papillon, rappelant que ses plus grands ennemis
restent encore les grands froids.
Le 2ème article qui paraît le jour suivant est beaucoup plus général et il ne fait
qu’évoquer rapidement l’expérience pour annoncer la décision de la Commission Européenne
de réglementer la mise sur le marché des PGM703. D’après l’auteur, cette décision « reflète le
souci de l'Europe de prendre davantage en compte l'inquiétude du public face aux risques de
certaines nouvelles biotechnologies. » Le journaliste rappelle également que tous ces risques
étaient au centre de la Conférence organisée par le Conseil de l’Europe qui a réuni
scientifiques, industriels et écologistes. Il évoque également les fraises transgéniques et
poursuit avec le débat sur l’aspect contre-nature des PGM. Puis revient sur les problèmes
économiques qu’ils peuvent soulever et les solutions alternatives qui existent. On le voit,

702
Martine Perez, Yves Miserey, « Etude d'impact des semences modifiées Le maïs transgénique fatal
aux papillons », Le Figaro, n° 1703 Jeudi 20 mai 1999, p. 14.
703
Fabrice Node-Langlois, « Soja modifié, banane-vaccin, fraise antigel L'Europe veut encadrer les
biotechnologies » Le Figaro, n° 17035, Vendredi 21 mai 1999, p. 14.

332
l’expérience de Losey est ici prétexte à de nombreuses extrapolations, mais l’auteur conserve
une certaine cohérence dans le sens que son objectif est de démontrer que la prise de
décision de la Commission Européenne à la suite de l’article de Nature se trouve ancrée dans
une démarche d’interrogation éthique antérieure.
Le Journal Libération, lui, publiera deux articles également 4 jours après la parution
dans Nature, avec un premier article court au titre évocateur de « Double risque »704 et un
second article sur la prise de décision de l’Union Européenne et l’intervention de Dominique
705
Voynet, alors membre du gouvernement, au Parlement européen (n.b. nous n’avons pas
jugé nécessaire de parler plus longuement de ces deux dépêches, étant donné le peu
d’informations qu’elles contiennent)
Comme on peut le constater, l’expérience de Losey a été bien suivie. Aussi, alors
qu’aux Etats-Unis, la mise sur le marché sans l’application du principe de précaution a donné
lieu à une critique rétroactive par rapport à une action passée, en France, il s’agit plus d’une
confirmation des bien-fondés de l’attitude préventive qui a prévalu jusqu’alors à l’égard des
PGM, ce qui permet également de légitimer la prise de position politique du moratoire. Mais,
quelle sera maintenant la suite donnée à cette affaire ?

2ème étape : Nouvelles données et décadrage


Pour ce qui concerne le journal le Monde, jusqu’à la fin de l’année 1999, le suivi de l’affaire
va s’estomper petit à petit, pour ne faire que quelques brèves apparitions sans grandes
importances, dans lesquelles le papillon est juste mentionné. Par contre on a pu trouver 3
articles entre 2000 et 2001 mentionnant le papillon monarque.
Le premier est daté du 25 Août 2000 et concerne cette fois-ci la publication des
résultats de Laura Hansen et John Obrycki dans le journal Oecologia du 19 août706. Après
avoir resitué dans son contexte la problématique du maïs Bt en rappelant qu’il représente
20% des cultures de maïs sur le sol américain, avoir rappelé les résultats de l’expérience de
Losey ainsi que ses conséquences (décision de l’Union Européenne) et avoir mentionné le
fait que « John Losey, emporté dans la tourmente médiatique, relativisa lui-même
l’importance de ses résultats », Hervé Kempf introduit l’expérience de Hansen et Obrycki.
D’après le journaliste, « la polémique rebondit aux Etats-Unis avec la publication d’une
nouvelle étude sur le sujet ». Cette expérimentation a eu lieu cette fois-ci, « avec des plants

704
Filloux Frédéric, « Double risque », Libération, 24 juin 1999.
705
Coroller Catherine, « Paris propose à l'UE de suspendre la mise en vente de nouvelles variétés
d'organismes génétiquement modifiés. L'Europe repoussera-t-elle l'assiette transgénique... »,
Libération, 24 juin 1999.
706
Hervé Kempf, « Le papillon monarque n’aime pas certains pollens transgéniques », Le Monde 25
Août 2000.

333
de laiteron disposés à des distances variables du maïs Bt et ainsi « naturellement
ensemencés par le pollen transgénique. » La conclusion de Hansen et Obrycki étant que,
dans la nature les effets pourraient être observés dans un périmètre de 10 mètres autour
des champs transgéniques. Kempf aborde donc le thème des zones refuges. Il cite la
proposition d’une environnementaliste américaine, Rebecca Goldburg, celle-ci propose
d’ajouter, en plus des zones refuges déjà existantes, des « zones tampons en bordure de
champs. » En conclusion, Hervé Kempf, rappelle que les industriels continuent toujours à
contester ces résultats en affirmant qu’aucune étude réellement in situ n’a encore été
réalisée. D’autre part, seules 2 variétés de maïs auraient pu être testées jusqu’à présent. Il
donne la parole à Denis Bourguet de l’INRA qui cite les expériences menées par Rick Hellnich
de l’Université de l’Iowa ; ce dernier aurait montré que « le pollen d’autres événements
(Monsanto 812 et CBH 261) ne présentaient pas de risque aux concentrations pour
lesquelles celui de Novartis est néfaste.» Or la variété contestée (un maïs de Novartis) ne
représenterait que 2,5% des maïs plantés. Un autre facteur qui permet de relativiser est la
synchronisation aléatoire des périodes de pollinisation et de ponte du monarque. Enfin, il
serait nécessaire d’étudier les effets bénéfiques de l’usage du maïs Bt tel que, l’abandon par
certains agriculteurs d’insecticides classiques à large spectre.
On a donc à faire ici à un article très technique qui privilègie l’information scientifique
et retrace de manière équilibrée le débat. En effet, si l’expérience de Jansen et Obrycki
enfonce le clou (à noter que Obrycki était déjà en possession de résultats similaires en 1999
et ce, même avant que ne paraisse le fameux article de Losey), celle de Hellnich tend plutôt
à relativiser la situation et introduit une problématique qui préfigure celle que connaîtra le
maïs Bt une année plus tard après la parution des résultats du DCI (Data Call In) lancé par
un SAP (Scientific Advisory Panel) de l’EPA (Environmental Protection Agency) et publiés
dans le PNAS. Ce texte, tente donc de faire la part des choses et peut être considéré comme
un article rigoureux de vulgarisation scientifique.
Pour ce qui concerne l’année 2000, on trouve encore une citation de l’affaire
monarque dans un article de société sur les doutes naissants des consommateurs américains
à l’égard des PGM707. Florence Bal rappelle les différences de perceptions propres aux deux
continents, puis affirme que « La publication de nouvelles données scientifiques et la
contestation européenne provoquent cependant un début de débat outre-Atlantique. » Les
organisations américaines écologistes étaient essentiellement préoccupées par des sujets tels
que les contaminations bactériologiques ou encore les teneurs en pesticides des aliments ;

707
Florence Bal, « Le soutien des consommateurs aux OGM commence à faiblir », le Monde , le 20
octobre 2000.

334
elles se seraient cependant manifestées « à partir de mai 99, à la suite d’une publication
scientifique révélant l’impact négatif du pollen d’un maïs transgénique sur la croissance d’un
papillon, le monarque. Certains industriels de l’agroalimentaire, soucieux de conserver leurs
marchés, comme Frito-Lay, Heinz, ou McDonald’s, ont par ailleurs annoncé qu’ils
n’utiliseraient pas d’OGM. » La journaliste soutient que, à la suite de cet événement, les
compagnies spécialisées dans les plantes transgéniques ont investi dans un budget de 52
millions de $ pour communiquer à l’égard du public ; quant à l’administration, elle a organisé
des tables rondes pour améliorer la perception du public. Elle cite enfin l’affaire qui a lié Kraft
food et le maïs de la société Aventis, puis l’idée de la traçabilité qui commence à faire son
chemin. Elle conclut en rappelant que les autorités américaines défendaient le
développement des PGM et que le futur président Bush a dit qu’il ferait tout son possible
pour que « les produits américains soient autorisés à entrer dans l’Union européenne ».
Enfin un troisième article, signé de la plume d’Hervé Morin, cette fois-ci, offre un
condensé des thèses de la Confédération Paysanne708. Ici l’auteur brosse un tableau de tous
les torts qui sont reprochés aux PGM. Ainsi l’introduction de un ou plusieurs gènes pourrait
se trouver à l’origine de risques alimentaires ou environnementaux. L’auteur cite l’ouvrage de
Jean-Pierre Berlan, la Guerre au vivant et celui de Gilles-Eric Séralini, OGM, le vrai débat,
deux livres radicalement anti-PGM. Morin procède à une compilation de toutes les crises ;
ainsi l’affaire du papillon monarque se trouve regroupée aux côtés d’une liste de risques
alimentaires et environnementaux : « découverte par les chercheurs belges d’un fragment
d’ADN d’origine inconnue dans du soja génétiquement modifié commercialisé en Europe »,
« l’affaire du I-tryptophane », une des premières molécules issues d’une bactérie
génétiquement modifiée, utilisée dans un complément diététique, soupçonnée d’être à
l’origine de la myalgie éosinophile ; « l’affaire Pusztai » ; « le gène allergisant de la noix du
Brésil qui a été introduit dans le soja » ; « dissémination incontrôlée d’un gène de résistance
aux antibiotiques » ; « capacité de transfert de la tolérance aux herbicides à certains
adventices par exemple pour le colza et la ravenelle et le problème enfin des contaminations
croisées qui remet en cause la possibilité de filières séparées. » En bref, l’affaire du papillon
monarque est confondue avec tous les autres sujets cautions à crise alimentaire.

Dans le Figaro, on n’a pas trouvé véritablement d’articles reprenant la problématique


soulevée par Losey ; on notera cependant un texte très complet du point de vue technique
qui pose la question de l’éventuelle destruction de certaines parcelles contenant du maïs Bt

708
Hervé Morin, « La confédération paysanne ouvre sa campagne sur les OGM, une technique mal
contrôlée qui confine parfois au bricolage », Le Monde, le 23 Août 2001.

335
détectées par la DGCCRF sur le territoire français et le refus du gouvernement de procéder à
la destruction de ces plantes709 ; on notera que l’auteur y passe en revue avec force détails
toutes les raisons qui pourraient objectivement influencer cette prise de décision ;
concernant les risques sur les insectes non-cibles, il rappelle que si le maïs Bt peut se
montrer fatal aux papillons monarques, il n’a pas semblé montrer de danger pour le
machaon porte queue, l’équivalent du papillon américain sur le territoire français.

Par contre Libération qui n’avait pas été très loquace immédiatement après la
parution de l’article de Losey, va se rattraper en publiant 3 articles qui vont mentionner
l’affaire au courant de l’année 1999 : « Mais à quoi servent les OGM? », le 21 septembre ;
« Des plantes inimaginables à l'état naturel. Grâce à l'échange de gènes, l'homme lève les
barrières entre les espèces » ; et enfin, « Les dangers des OGM se précisent », 3 décembre
1999.
Comme on peut le constater l’affaire du monarque a fait date et a été réutilisée, mais
surtout elle a joué le rôle d’un fait marquant dans les esprits et a servi de déclencheur pour
de nombreuses actions en gestation : la prise de décision du Conseil de l’Europe, la prise de
position de Voynet, le déchaînement de l’action des associations écologistes...
Aussi, mis à part pour l’article qui évoque la publication des résultats de l’étude de
Obrycki, l’affaire du papillon monarque ne fait jamais l’objet d’un exposé problématique.
Chaque fois que l’article de Losey est évoqué, c’est purement à titre de rappel, afin d’aborder
un autre problème : le désintérêt croissant de l’opinion britannique et celui de l’opinion
américaine, la position de Dominique Voynet, la prise de décision de la commission
européenne, ou encore d’une manière plus générale les risques des biotechnologies.
Autrement dit, à chaque fois que le papillon monarque est cité, c’est avec un cadrage
différent. L’expérience de Losey ainsi que la problématique qu’elle soulève semble avoir été
oubliée et les médias donnent l’impression de n’avoir retenu qu’une conclusion hâtive : « les
PGM sont des sources de risques imprévisibles ». A la suite de ces articles, pendant 3
années, le fait que le maïs Bt est un tueur de papillon monarque sera admis de tous. Jamais,
à notre connaissance, les médias ne signaleront que l’EPA a lancé un appel à contribution
afin d’approfondir les questions soulevées par Losey.

709
Marc Mennessier, « OGM. Le gouvernement refuse de détruire les cultures potentiellement
contaminées par des semences à la fois autorisées et interdites, L'imbroglio du maïs transgénique »,
Le Figaro, n° 17396, Lundi 17 juillet 2000, p. 10, 11.

336
- 3ème étape : Un heureux dénouement en toute discrétion
A la suite de cette polémique, la réaction des industriels a été immédiate ; c’est ainsi qu’un
groupe, l’ABSTC (Agricultural Biotechnology Stewardship Technical Committee), financé à
60% par des industriels et 40% par les fonds publiques s’est mis en place afin d’entamer
une série de recherches dès l’été 1999. Aussi, en décembre 1999, une première présentation
de résultat avait lieu lors d’un meeting à Rosemont, qui n’a fait que jeter de l’huile sur le
feu : les groupes environnementalistes et certains journalistes ont dénoncé le manque
d’objectivité de résultats financés majoritairement par les entreprises. Un mois après ce
meeting, un comité scientifique a été mis en place par l’EPA et un appel à contribution a été
lancé : ainsi pour continuer à vendre du maïs Bt, les compagnies devraient présenter un
protocole d’expériences en mars 2000 et les résultats de ce protocole en mars 2001710. Cette
fois-ci, cette étude a été largement financée par des fonds publics, dont l’USDA, et a fait
intervenir tous les acteurs. Lors d’une conférence qui a eu lieu en février 2000 les
scientifiques, les industriels, les groupes d’intérêt et les membres de l’EPA ont identifié les
priorités de la recherche. Après un démêlé entre les ONG et l’EPA, concernant la publication
des données (l’EPA ne tenant pas à publier des données non vérifiées et voulant absolument
que celles-ci paraissent avant l’automne 2001, afin de pouvoir prendre sa décision pour
autoriser la mise sur le marché de nouvelles semences), celles-ci ont été mise à disposition
des médias le 7 septembre 2001 et publiées sur le site Internet des PNAS le 14 septembre
2001. Comme on a déjà eu l’occasion de le voir, ces études ont démontré que, mis-à-part
une variété de Syngenta, le Bt 176, le maïs transgénique ne présentait pas de danger à
l’égard du papillon monarque en dessous d’un certain seuil d’exposition, seuil qui est
impossible à atteindre en plein champ. Et pour ce qui concerne cette variété, l’expiration de
son autorisation de mise sur le marché devait avoir lieu pour avril 2001 et les stocks déjà
vendus devaient être utilisés avant la fin de la saison 2003. Aussi, l’EPA a procédé à une
nouvelle autorisation des variétés de maïs Bt qui n’étaient pas concernées.
Comme le constate l’enquête menée par le PEW Initiative, alors que l’étude initiale de
Losey a suscité l’intérêt hors du commun de la presse à un niveau mondial, les 6 études
publiées par les PNAS n’ont suscité qu’un faible intérêt ; ceci étant peut-être dû aux attentats
du 11 septembre. Reste que le public n’a pas été suffisamment informé pour comprendre
que ces résultats permettaient de résoudre les principaux problèmes posés par l’article à

710
Pew Initiative on food and Biotechnologie, « Three years later :genetically engineered corn and the
Monarch butterfly controversy » p.13.

337
l’origine de la polémique711. Comment ce dénouement a-t-il été relayé par les médias
français ?
Le 15 septembre 2001, un jour après la publication sur le site Internet des PNAS,
Hervé Morin qui, un mois auparavant, avait utilisé l’exemple du papillon monarque pour
écrire l’article « Une technique mal contrôlée qui confine parfois au bricolage » (voir nos
commentaires), rapporte les résultats de l’appel à contribution lancé par l’EPA en titrant :
« Le papillon monarque aurait peu à craindre du maïs transgénique »712. Après avoir rappelé
que le papillon monarque « était devenu un symbole de la lutte contre les organismes
génétiquement modifiés », le journaliste introduit les résultats des PNAS. Il rappelle l’origine
de la polémique : l’expérience de Losey, ses conséquences, les contestations des semenciers
et l’expérience en pleins champs d’Obrycki. Il résume ensuite les 6 expériences qui ont été
menées : concordance de la période de pollinisation et présence des larves de monarque
dans les champs, concentration des grains de pollen transgénique sur les feuilles de laiteron
dans les rangs et en dehors des champs, différence d’impact sur les larves en fonction de la
variété de maïs (le Bt 176 de Novartis étant le seul toxique pour le monarque), et enfin,
probabilité pour ces larves d’être exposées. La conclusion de toutes ces expériences étant
que, le papillon monarque n’a rien à craindre étant donné que le Maïs Bt 176 qui ne
représente que 2% des surfaces cultivées sera retiré du marché en 2003. Cependant avec un
sens aigu de la problématique, le journaliste semble insatisfait par cette conclusion positive :
« Cette conclusion semble clore le débat. Mais certains notent que les études en question
n’abordent pas un autre aspect de la culture des OGM : ceux-ci sont parfois conçus pour
résister à des herbicides totaux, comme le Round-up de Monsanto, qui éradiquerait
totalement les mauvaises herbes, dont le laiteron. Le monarque pourrait ainsi se trouver
privé d’une partie importante de son habitat de prédilection. » On l’aura compris, un
problème disparaît pour laisser systématiquement sa place à un autre.
Pour le Figaro, un article paru le jour même de la publication des PNAS affirme que le
maïs Bt épargne le papillon monarque713. Ici c’est, semble-t-il, avec une légère pointe d’ironie
que l’auteur resitue l’affaire ; après avoir rappelé que « Il y a deux ans l’information fit grand
bruit », que « l’émotion était d’autant plus vive », et que la nouvelle a fait rapidement le tour

711
Pew Initiative, Ibid., p. 17.
712
Hervé Morin, « Le papillon monarque aurait peu à craindre du maïs transgénique, de nouvelles
expériences contredisent les conclusions d’expériences précédentes », Le Monde, 15 septembre 2001.
713
Marc Mennesier, « Biotechnologie. Après deux ans de polémique, cinq études innocentent les
cultures OGM, Le maïs transgénique épargne les monarques », Le Figaro, n° 17756, Mardi 11
septembre 2001, p. 16.

338
de la planète après avoir été relayée par les écologistes714, Marc Ménessier évoque le fait
d’un possible biais qui aurait été dénoncé par les scientifiques qui ont participé à la
recherche dans les études de Losey. L’article du Figaro, tout comme celui du Monde, résume
les résultats de l’enquête publiée sur les PNAS, et rappelle également que le débat n’est pas
clos. Cependant, avec une grande rigueur, il évoque un argument différent qui est que « les
expérimentations ont été menées sur du pollen pur et ne tiennent pas compte de l'impact
d'autres parties de la plante, plus « chargées » en toxine Bt. C'est notamment le cas des
anthères, autrement dit les sacs, dans lesquels le pollen est stocké dans la fleur, et qui sont
susceptibles d'être consommées par les chenilles. Le feuilleton continue... » Ici, le feuilleton
continue, mais pour des raisons différentes de celles de l’article de Hervé Morin. Libération,
quant à lui, titrera le 10 Septembre sur « Maïs OGM, effet mitigé sur les papillons ».

Quel bilan peut-on tirer du suivi médiatique de « l’affaire monarque » ? Il apparaît


clairement que l’expérience de Losey, de même que ses conséquences directes et indirectes
ont largement été relayées dès leur sortie par les 3 journaux. A la suite de cette expérience
qui était en fait, bien incomplète, et ne donnait pas suffisamment d’informations, se sont
fondées bon nombre de certitudes sur les dangers inattendus des PGM. On s’est servi d’une
expérience qui demandait à être vérifiée et qui nécessitait la mise en place d’un protocole
comme la preuve irréfutable de la dangerosité du maïs Bt et des PGM en général. Aussi,
jusqu’à la publication des PNAS, l’affaire monarque a servi d’argument et a été utilisée dans
différents cadrages pour démontrer les incertitudes des PGM. Autrement dit, on a généralisé
au-delà de ce que les résultats de l’expérience permettaient. On peut avoir une double
lecture de cette manière de traiter l’actualité. Une première lecture purement formelle
fondée sur la rigueur épistémologique, un peu dans l’esprit d’un Philippe Kourilsky où d’un
Robert Marchant, nous permet de dire qu’ici, les médias ont fauté par manque de
déontologie, en s’emparant de l’article de Losey pour lui prêter plus que ce qu’il ne pouvait
démontrer. On remarquera alors que les journaux à fort tirage ne sont pas les seuls, puisque
Nature , a eu, le premier, recours au « titre choc » et d’autres confrères de la presse
scientifiques tels que Biofutur , par exemple, ont suivi ; quant aux ONG, elles ont
immédiatement vu dans ces résultats hâtifs la confirmation des thèses qu’elles soutenaient
depuis les origines des PGM. A la suite des résultats et des expériences publiés par les PNAS,
ces généralisations apparaissent comme fausses et dues à une trop grande précipitation. En

714
Ceux-ci pensaient avoir trouvé « la preuve ‘scientifique’ que les OGM sont une menace pour
l'environnement et la biodiversité : il est donc urgent de les interdire, peut-on lire un peu partout. Au
point que, pour une grande partie de l'opinion, le fait semble quasiment acquis. »Ibid.

339
effet, en regardant de près les articles, il apparaît clairement que la seule réserve sur la
nocivité du maïs Bt émanait des industriels ; aussi, pendant presque 3 années, l’affaire du
papillon monarque a été utilisée comme la preuve que les PGM sont des sources de risques
imprévisibles et que ce qui vaut pour les espèces en voie de disparition telles que les
papillons, pourrait très bien valoir pour l’homme.
Si pour comprendre la particularité du traitement médiatique, on a recours au
principe du « contrat de lecture », alors on s’aperçoit que ce qui lie le journaliste à son
lectorat, dans le cadre de l’affaire monarque, c’est moins la technologie que la politique. Le
seul aspect scientifique qui est retenu ici, ce sont les résultats : 44% des larves qui ont
ingéré le maïs ont connu une issue fatale. Aussi, ce n’est pas ce résultat en lui-même qui
intéresse le public – il y a, bien évidemment, une certaine sensiblerie due à la symbolique du
monarque, mais qui est toute relative du fait que les hivers rudes se trouvent à l’origine
d’une plus grande mortalité de ces papillons et attirent beaucoup moins l’attention du public
– mais le fait qu’une variété de maïs transgénique qui a été introduite sur le marché à la
suite de la décision des autorités compétentes, en l’occurrence l’EPA, n’est pas exempte de
risques. Les journalistes ont donc mis l’affaire du papillon monarque au même rang que
toutes les autres crises alimentaires, ce faisant, ils l’ont utilisé comme une preuve à charge
contre les industriels et les administrations; ceux-ci ne prendraient pas toutes les précautions
nécessaires pour introduire les aliments sur le marché : un a priori qui a déjà quelques
raisons d’être bien ancré dans l’opinion publique. Or ici, effectivement c’est a posteriori,
c’est-à-dire, après l’introduction du maïs sur le marché, que les risques concernant le papillon
monarque ont été soulevés. Mais là encore cet argument vaut-il ? Ne faut-il pas rappeler que
les plantes génétiquement modifiées sont d’avantage surveillées que les plantes classiques ?
On pourrait également argumenter en disant que l’insecticide Bt est un insecticide
souvent utilisé en agriculture biologique ; le risque que l’événement 176 fait courir aux larves
du papillon monarque est propre à l’insecticide et non à la manière de produire celui-ci.
A la suite de la discrète publication qui a été faite du rapport des PNAS, les
inquiétudes n’ont pas disparu (on se reportera pour cela aux études les plus récentes sur
l’opinion publique) et les journalistes, quelle que soit leur opinion, ne manquent pas de
rappeler que le problème a fait place à un autre. Ce qui revient à dire, en toute logique, que
l’expérience de Losey a été utilisée comme preuve pour confirmer le risque des PGM, mais
qu’a contrario, son aspect relatif à la suite des études menées par l’EPA SAP, n’a pas été
considéré comme une preuve suffisante pour démontrer l’absence de risques des PGM en
général. Ce qui revient à dire que l’hypothèse d’un danger sans preuve concluante a suscité
plus d’intérêt aux yeux des journalistes que la relativisation du même danger à la suite d’un

340
protocole d’expériences concluantes. En bref, l’erreur a consisté dans l’extrapolation des
résultats d’une expérience particulière pour tirer une conclusion générale. Or comme on le
voit dans le cas du Bt, la généralisation du risque n’est pas possible. Cette « précaution » n’a
pas été appliquée par les médias et ce malgré les avertissements de Losey lui-même.
Aussi, afin d’avoir le pendant d’un suivi médiatique du risque, nous allons nous
pencher sur le suivi qui a été fait du « golden rice », en étudiant la manière dont l’invention
et de cet « allicament », qui apporte, a priori, des bénéfices directs pour le consommateur et
s’inscrit dans le cadre d’une œuvre de bienfaisance, a été traitée.

4.2.3.2 Le « Golden Rice » : déconsidération des avantages


Le rapport qui lie les PGM aux PVD est plus que problématique : d’une part, on trouve les
pro-PGM qui ont utilisé l’argument de la faim dans le Monde pour justifier le développement
des biotechnologies alimentaires. D’autre part, cet argument a été fortement critiqué par les
anti-PGM qui, eux, soutiennent que ce ne sont pas les biotechnologies qui vont résoudre les
problèmes du tiers-monde, ceux-ci étant en premier lieu, d’ordre économique. Selon ces
derniers, il s’agit de pure démagogie de la part des industriels, et cette opération n’a pour
autre objectif que d’influencer l’opinion des consommateurs sur la nécessité des PGM ;
autrement dit, cet argument sert pour une campagne de notoriété. L’invention du Golden
Rice illustre parfaitement cette controverse, c’est ce que montre le suivi médiatique de cette
histoire.

A l’origine de l’invention
C’est en 2000, lors du 16ème congrès international de botanique de Saint-Louis (Missouri,
Etats-Unis), qu’Ingo Potrykus, un chercheur suisse, a annoncé la production d’un riz
transgénique enrichi en provitamine A715. En fait, cette découverte a fait l’objet de recherche
commune entre l’équipe d’Ingo Portrykus, de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich et
l’Allemand Peter Beyer de l’Université de Fribourg. Ces recherches qui ont duré plus de 7
ans, ont fait l’objet d’une publication dans le journal Science716. Ce travail a consisté à
introduire dans le riz une batterie de 3 gènes étrangers - 2 de la jonquille (Narcissus
pseudonarcissus) et un troisième de la bactérie Erwinia uredovora – codant les enzymes
capables d’effectuer la conversion d’un substrat contenu naturellement dans les grains de riz,

715
Pierre Leroy, Biofutur 193, Octobre 1999, p.10
716
Ye X., Al-Babili S., Klöti A., Zhang J., Lucca P., Beyer P., Potrykus I. (2000) « Engineering the
Provitamin A (beta-carotene) Biosynthetic Pathway into (carotenoid-free) Rice Endosperm », Science,
287 : 303-305

341
le géranylgéranyl pyrophosphate (GGPP), un B-carotène, précurseur de la vitamine A chez
l’homme. Ces travaux, baptisés « Carotène plus », ont pour objectif de fournir une solution
aux carences en vitamine A qui touchent 400 millions de personnes, dans plus de 100 pays
dans le monde ; elles sont responsables de cécités précoces et d’autres infections. La
Fondation Rockefeller, l’Ecole Polytechnique Fédérale, l’Union européenne et le
gouvernement suisse ont financé ce projet qui a débuté dans les années 90.
On aurait pu penser qu’un tel projet ait suscité l’enthousiasme général et permit de
réconcilier les opposants aux PGM avec une technologie qui démontre enfin, en quoi elle
peut contribuer à la résolution d’un problème de malnutrition. Il n’en a rien été. Comme
l’affirme Patrick Philippon, journaliste spécialisé sur le thème des PGM dans le magazine
Biofutur, « De simple défi technologique, puis projet humanitaire pour ses concepteurs, ce
riz est devenu l’enjeu d’une bataille médiatique acharnée entre les thuriféraires de la
transgenèse végétale et ses opposants. Les premiers y voient le moyen de « clore le bec »
de la contestation en avançant l’argument imparable de la solidarité avec les pays pauvres ;
les seconds doutent de la sincérité de ce motif et de la pertinence du projet, arguant qu’il
existe déjà des méthodes moins technologiques – complémentation médicamenteuse,
alimentation plus variée – pour combattre cette carence. »717
En effet, dans la foulée de cette découverte, un balet s’engage entre secteur privé et
secteur public ayant pour thème le brevetage de ce riz. En effet, Potrykus et Beyer ont
breveté ce riz et transféré les droits à la société Green ovation, société de l’université de
Fribourg ayant pour objectif de valoriser les innovations des chercheurs. Le 16 mai 2000, la
firme Zeneca Agro-chemicals (aujourd’hui Syngenta) a acquis une licence exclusive sur ce
brevet à des conditions exclusives. En échange, l’entreprise accepte de rétrocéder
gratuitement des « sous-licences » à Ingo Potrykus qui veut distribuer ce riz auprès de
paysans pauvres des PVD. Ainsi, des organismes publics de recherche en agronomie, par
exemple l’IRRI, se verront accorder des « sous sous-licences » gratuites pour incorporer les
gènes du riz jaune. La société Zeneca, quant à elle, apportera son aide dans l’homologation
des différents brevets : « La firme se payera en commercialisant le riz jaune en tant
« qu’allicament » dans les pays développés, comme le Japon, et auprès des agriculteurs des
PVD qui gagneront plus de 10000 dollars par an avec ces semences. »718
Aujourd’hui, le riz n’a toujours pas été distribué sur le marché. Il est nécessaire de
transférer les mécanismes d’activation de la synthèse aux variétés propres à chaque pays.
Selon Philippon : de nombreuses questions devront être résolues, telles que celles des

717
Patrick Philippon, « Le Riz jaune encore trop vert », Biofutur 203, Septembre 2000, p.28.
718
P. Philippon, Ibid.

342
risques environnementaux et sanitaires. Il faudra introduire le gène dans les variétés locales
des pays concernés, aussi, « Le plus difficile sera d’obtenir des licences gratuites sur les 70
brevets appartenant à 32 détenteurs différents, qui protègent les technologies utilisées pour
développer ce riz.719 » (De ce point de vue, on notera également que Monsanto a cédé à
titre gratuit les licences d’utilisation de ces technologies impliquées dans le développement
passé et futur du Golden Rice). L’ensemble de ces obstacles fait noter à Alain Weil dans un
article extrait du rapport de l’Académie Française des Sciences sur les biotechnologies
qu’« une diffusion à grande échelle de variétés enrichies en Bêta-carotène n’est pas
raisonnablement envisageable avant au minimum une quinzaine d’années. Mais quel que soit
le sort ultérieur de cette application, les enseignements scientifiques que l’on pourra en tirer
sur la régulation métabolique des plantes seront, en tout état de cause, extrêmement
précieux. »720
Si le riz n’a toujours pas été mis sur le marché, il a pourtant déjà suscité de
nombreux remous. C’est ce que nous allons désormais voir au travers d’une analyse des
textes parus dans les 3 quotidiens nationaux que sont le Monde, le Figaro et Libération. On
précisera que pour trouver les articles qui portent sur la thématique du riz doré, on a saisi les
mots et les expressions « riz doré », « golden rice » et « vitamine A ». Les listes d’articles
varient en fonction de ces mots. Dans le Monde, on a trouvé 5 articles qui correspondaient à
ces thématiques, dans le Figaro, 12 et dans Libération , 8. Mais peu de titres semblent
indiquer que l’article porte uniquement sur cette thématique ou tout du moins sur la
technologie qui est à l’origine. Ainsi, dans le Monde, on notera une dépêche sur le « mirage
du riz doré » et une « Polémique autour d'un riz transgénique enrichi en carotène » (un
article important de 917 mots sur lequel on va revenir) ; dans le Figaro, c’est une dépêche
qui annonce « Du riz transgénique survitaminé », puis un article de 800 mots sur « Les deux
voies du maïs transgénique ». Quant à Libération, nous n’avons pas trouvé d’article portant
un titre en l’honneur de la découverte scientifique. Il se peut cependant que les dépêches
AFP n’apparaissent pas dans les listes proposées par le moteur de recherche. On
commencera par les articles qui présentent la technologie en elle-même.

1ère étape : L’avènement d’une nouvelle technologie


Concernant le « Mirage du riz doré » (paru dans l’édition du Monde du 17 Octobre 2000), il
est sous titré « OGM : les industriels s’attaquent aux pays du sud ». La technologie s’y

719
Ibid.
720
Alain Weil, « Les plantes transgéniques : les pays en développement », in Les plantes
génétiquement modifiées, Académie des Sciences, rst n°13, déc. 2002, éd. Tec & Doc, p.105.

343
trouve très brièvement présentée et l’accent est mis sur l’abandon des brevets que Zeneca et
Monsanto détiennent sur ce riz (on rappellera que Monsanto ne possède des brevets que sur
certaines technologies qui ont été employées pour produire ce riz) et sur les inquiétudes de
l’IRRI (l’Institut du riz basé aux Philippines) par rapport à l’efficacité de cette invention.
Autrement dit, derrière un titre plus que tapageur se trouve une concaténation de
problèmes. On notera que l’annonce et la présentation des travaux de l’équipe germano-
suisse a fait l’objet d’un article dont le titre, sans indiquer le sujet, émet directement un
jugement de valeur : « Les miracles des sorciers de la transgenèse végétale721 ». On voit une
certaine évolution dans le vocabulaire entre les deux articles, l’auteur passe de « miracle » à
« mirage ». Le second article de Vincent Tardieu, plus complet, est paru le 16 décembre
2000, mais le titre annonce également les problèmes soulevés par l’invention722. L’article
évoque en fait les critiques des chercheurs et des nutritionnistes indiens qui pensent que la
nouvelle céréale ne résoudra pas les problèmes des carences vitaminées des PVD et
proposent des solutions locales. Ainsi l’auteur ironise: « Le riz doré représente-t-il la dernière
supercherie inventée par les champions des plantes transgéniques ? » On notera que ce
texte a paru à la suite de la conférence sur la biosécurité qui a eu lieu à Montpellier et a
réuni du 11 au 15 décembre, écologistes et représentants des pays du Sud.
Tardieu fait référence à un article publié dans Science. Il commente les découvertes
et les affirmations des auteurs en employant l’imparfait, ce qui renforce l’impression de
« croyance révolue » : « Dans un article récemment publié dans la revue américaine
Science, les équipes d'Ingo Potrykus (Ecole Polytechnique fédérale de Zurich, Suisse) et de
Peter Beyer (université de Fribourg, Allemagne) annonçaient la création d'un riz transgénique
enrichi en carotène, précurseur de la vitamine A. De quoi combattre, expliquaient ses
auteurs, les carences en cette vitamine… » Le journaliste narre ensuite la péripétie des
scientifiques dans leur volonté de résoudre les problèmes des brevets et ajoute un jugement
de valeur ad hominem : « sans doute sincères, ces chercheurs… » ; vient ensuite un
commentaire sur l’alliance des laboratoires publics avec Astra Zeneca et l’offre des droits
d’exploitation de ses brevets par Monsanto ; pour lui, cela ne fait aucun doute que si ces
sociétés ont renoncé à ces brevets d’exploitation, c’est pour « redresser l’image des OGM ».
Lors de la réunion de Montpellier, des associations écologiques auraient également dénoncé
la « supercherie » : « Par cette campagne médiatique tapageuse, les compagnies de
biotechnologie tentent de redresser l'image désastreuse des OGM (organismes

721
Vincent Tardieu, « Les miracles des sorciers de la transgénèse végétale », le Monde , Article publié
le 3 Août 2000.
722
Vincent Tardieu, « Polémique autour d’un riz transgénique enrichi en carotène », le Monde , édition
du 16 décembre 2000.

344
génétiquement modifiés) dans l'opinion, alors même que ce riz n'apporte pas la solution au
problème posé ». Il évoque également le problème soulevé par Vandana Shiva, directrice de
l'Institut de recherche indien pour la science, la technologie et la politique des ressources
naturelles (New Delhi), une farouche opposante aux PGM : selon cette dernière la production
de 0,033 mg équivalent vitamine A est largement insuffisant, si on considère que les besoins
pour un enfant sont de 0,35 mg.
Un autre argument évoqué, toujours par rapport à l’Inde, est que l’on donne de
l’importance au riz génétiquement modifié, alors qu’il existe d’autres plantes riches en
vitamine A : la coriandre, le curry, les épinards ou la mangue. Enfin le journaliste aborde le
problème de la « diversification réduite » en citant des experts d’Instituts français. On refait
le procès de la révolution verte qui aurait privilégié certaines céréales et appauvri l’usage de
certaines autres ; a contrario, il vaudrait mieux diversifier les sources de vitamines A pour
garantir l’assimilation. Enfin Vincent Tardieu conclut son article en affirmant que le riz doré
ne pourra réduire les carences en vitamine A que dans les pays où il fait partie intégrante
des principales sources d’alimentation.
On a donc à faire ici à un article bien détaillé qui énumère, non pas les inconvénients,
mais les reproches que les associations écologistes portent à l’égard du riz doré. Et même
lorsqu’il ne s’agit plus d’évoquer les risques potentiels, les PGM restent sous le feu de la
critique. Les chercheurs sont présentés comme des « naïfs », apparemment de bonne foi ;
les entreprises de biotechs, comme des « philanthropes d’opérette » dont la stratégie se
réduit à une vaste opération publicitaire. Pas une seule fois l’accent n’est mis sur les efforts
de la recherche et sur les espoirs que celle-ci peut susciter.
Un autre article paru également dans l’édition du 16 décembre, titre : « Un ‘cheval de
Troie’ des industriels, d'après les détracteurs » ; ici, c’est le RAFI (Rural Advancement
Foundation International du Canada) qui dénonce l’alliance inutile du secteur public avec le
secteur privé : « en accordant ce transfert des droits d'exploitation à Astra-Zeneca, le
secteur public a capitulé devant le régime des brevets américains et européens, lequel n'est
pas reconnu dans la plupart des pays pauvres qui souffrent le plus de la déficience en
vitamine A.» Le riz doré aurait servi aux industriels pour introduire leur système de brevets
dans les PVD, d’où l’expression « Cheval de Troie ».
Concernant l’annonce de l’invention, le Figaro, lui, n’a pas, comme le Monde, recours à
des textes tapageurs ; il se contente d’un « Du riz transgénique survitaminé », courte
dépêche de 86 mots parue le 17 août 1999, une semaine après l’annonce de l’invention par

345
Portrykus. C’est le 17 Mai 2000723que sera vraiment présenté le riz transgénique.
Contrairement aux articles précédents que nous avons pu étudier, ici l’auteur resitue dans
une perspective générale l’invention du riz doré. Le cadrage a lieu dans la rubrique science
et médecine. L’auteur compare le riz transgénique, considéré comme un « OGM utile », et
les PGM résistants à des parasites mineurs, qu’il caractérise comme « un nouvel avatar des
promoteurs du génie génétique ». En introduction, il reprend les résultats du dernier
eurobaromètre daté du 28 avril 2000 qui démontre l’importance d’un critère tel que celui de
l’utilité pour les consommateurs qui, pour 66% d’entre eux, «sont prêts à encourager
l’utilisation de la biotechnologie moderne dans la production de nourriture si cela leur
paraissait « utile » bien que risqué » ; a contrario, ils sont seulement 14 % à être du même
avis si le recours à une innovation de ce type leur semblait « sans risque » mais « inutile ».
D’après le journaliste, 2 exemples tirés de l’actualité illustrent cette tendance :
- Le premier concerne la mise au point par les chercheurs de l’IRRI de variétés de riz
résistants à des ravageurs mineurs, issus de programmes de sélection « mal ciblé »
et dont l’utilité a été surestimée (en effet, les véritables obstacles à la production ne
sont pas les insectes, mais les espèces adventices, 10 à 20% de pertes contre 5%
pour les champignons par exemple). Ces études, en partie financées par la Fondation
Rockefeller auraient donc été menées à perte.
- Le riz doré, lui, n’a pas fait l’objet de la même erreur. Au contraire: « Tout autre est
la démarche qui a conduit à la création, par des chercheurs de l'université de
Fribourg (Allemagne) et de l'Institut fédéral suisse de technologie de Zurich, d'un riz
transgénique enrichi en vitamine A (nos éditions du 15 janvier 2000). » Le journaliste
explique l’origine de ces travaux : le riz débarrassé de son enveloppe pour éviter le
rancissement, perd de ses qualités nutritives. Après avoir rappelé les dégâts causés
dans les populations qui souffrent du manque de vitamine A, Marc Mennessier se
permet un jugement de valeur : « La Fondation Rockefeller mieux inspirée cette fois-
ci a initié, dès 1982, le programme de sélection qui a abouti, cet hiver, à la création
de ce riz dont l'endosperme (ou l'amande) est enrichi en bêta carotène, un
précurseur de la vitamine A. ». Il conclut l’article en rappelant la signature entre
l’équipe universitaire et la firme Astra-Zeneca et en précisant les détails du contrat
(distribution au PVD, vente d’allicament aux pays les plus développés) ainsi que la
date de mise sur le marché : 2003.

723
Marc Mennessier, « Les 2 voies du maïs transgénique », le Figaro n°17344, Mercredi 17 mai 2000,
p.16.

346
Le riz transgénique est, comme qui dirait, mis en scène. Ce qui est essentiel pour le
journaliste ici, ce n’est pas la plante comme invention technologique, mais bien qu’il y a des
PGM qui sont plus utiles que d’autres, ce qui permet par conséquent de justifier les résultats
de l’eurobaromètre. On sera sensible ici à la teneur positive de l’article : le riz doré est
présenté tout à son avantage, contrairement aux articles du Monde qui, pour ceux que l’on a
pu étudier tout du moins, se chargeaient tous de dresser un tableau négatif du riz doré.
Alors que dans le cas de l’affaire monarque la nuance entre la tonalité de chaque
article variait en fonction de la manière dont l’auteur présentait le « risque », ici, on constate
qu’elle varie en fonction du jugement de valeur qu’émet le journaliste sur le riz doré. Alors
que certains reconnaissent la pertinence de l’invention, d’autres en font le prétexte d’une
nouvelle tribune pour dénoncer, non plus les risques cette fois-ci, mais la superfluité de
l’invention et sa récupération à des fins publicitaires par les entreprises de biotechnologies.
Aussi, tout comme pour le papillon monarque, le riz doré va être utilisé avec des cadrages
journalistiques différents. En effet, la plante survitaminée va devenir, elle aussi, une sorte de
paradigme scientifique.

2ème étape : le riz doré comme paradigme pour juger la transgenèse


Commençons par étudier les articles qui font ressortir le côté positif du riz. Il nous a semblé,
même si nous n’avons pas pu tous les lire, qu’une plus grande quantité d’articles
encourageants se trouvaient dans Le Figaro.
Ainsi, le journal a ouvert une tribune pour le professeur Roger-Gérard
Schwartzenberg, dans laquelle, celui-ci, tout en dénonçant les deux excès contraires des
biotechnologies (leur idéalisation et leur diabolisation), s’en prend aux croisades des
activistes anti-PGM contre le maïs transgénique724. Ainsi, l’ancien Ministre de la recherche
trouve que le discours de ces derniers est partiel quand il néglige les avantages potentiels
que cette technologie pourrait apporter aux PVD. Il cite alors le cas du riz doré : « Par
ailleurs, certains OGM peuvent contribuer à prévenir ou à traiter plusieurs affections par la
production de médicaments, comme désormais l'insuline, et de certains aliments, comme le
« riz doré », enrichi en vitamine A, dont la carence provoque de nombreux cas de cécité
chez les enfants des pays en développement. » L’auteur fait ensuite un plaidoyer pour les
PGM tout en reconnaissant les risques éventuels de ceux-ci et la nécessité qu’il y a de faire
d’avantage de tests. Il affirme donc que les militants anti-PGM se trompent de combat.

724
Roger-Gérard Schwartzenberg, « OGM : pour le droit à la recherche » Le Figaro , n° 17744, Mardi
28 août 2001, p. 12.

347
Un autre article signé, cette fois, de la main d’Alain Rerat, Membre de l'Académie
nationale de médecine, de l'Académie d'agriculture et de l'Académie vétérinaire de France725,
dénonce l’amalgame qui est fait entre le terme de « mal-bouffe » et les PGM : « Le terme de
« malbouffe », néologisme barbare destiné à caricaturer l'alimentation de l'homme moderne,
s'appuie sur le retentissement médiatique donné à diverses intoxications et toxi-infections
résultant d'altérations épisodiques de la qualité hygiénique de la filière alimentaire au cours
des deux dernières décennies. » Il rappelle alors les séries de crises alimentaires qui se
trouvent à l’origine de l’emploi de ce terme. Or, selon l’académicien, le niveau de sécurité
alimentaire n’a jamais été aussi bon. Aussi, « Englober dans ces risques les organismes
génétiquement modifiés (OGM) relève toutefois d'une propagande sans fondement
scientifique. » Pour illustrer la capacité d’améliorer les performances des plantes, il cite le riz
doré et sa capacité à prévenir l’avitaminose dans le monde entier. L’amalgame PGM-mal-
bouffe, relève alors d’un « terrorisme médiatisé »
Enfin, nous avons trouvé un article de la journaliste Martine Pérez qui passe en revue
les PGM aux vertus préventives et curatives qui sont en préparation dans les laboratoires,
thème abordé lors d’un séminaire de l’Afssa à l’Institut Pasteur726. C’est ainsi qu’après avoir
cité les PGM aux bons acides gras qui se trouvaient en préparation dans les éprouvettes des
scientifiques, elle introduit le thème du riz doré et sa problématique: « Pour les pays en voie
de développement où la malnutrition tue 16 000 personnes par jour, le riz génétiquement
modifié déjà enrichi en vitamine A, mais aussi sous peu en fer et en protéines, pourra-t-il
mieux vaincre ces carences ? L'homme a-t-il besoin de ces plantes ou s'agit-il de
manipulations qui ne profiteront qu'aux industriels ? Ce thème a été débattu les 17 et 18
décembre lors d'un colloque organisé à l'Institut Pasteur à Paris par l'Agence française de
sécurité sanitaire des aliments (Afssa). » C’est ainsi que l’inventeur du riz doré est intervenu
lors de ce séminaire : « Ingo Potrykus, professeur à l'Institut fédéral suisse de technologie,
père du riz génétiquement modifié produisant de la vitamine A, est bien le seul à avoir plaidé
avec passion pour les OGM lors de cette réunion : “ Seize mille personnes meurent tous les
jours de malnutrition, de carences en vitamine A, en fer, en protéines. Les interventions
traditionnelles ne sont pas contestables, mais elles ont clairement montré leurs limites.
Quant aux organisations anti-OGM qui luttent contre des projets humanitaires, elles devront
assumer un jour leurs responsabilités. » On remarquera dans cet article que, la journaliste
ne prend pas position ni pour ni contre le riz doré et se contente de citer les faits, ce qui est

725
Alain Rerat, « La « malbouffe», un amalgame trompeur », Le Figaro , n° 17754, Samedi 8
septembre 2001, p. 14.
726
Martine Perez, « Les bienfaits des OGM se font attendre », Le Figaro , n° 17841, Mercredi 19
décembre 2001, p. 11.

348
plutôt rare. Bien évidemment, nous n’avons pas pu passer en revue tous les articles du
Figaro et il est sans doute possible de trouver des textes qui parlent de manière critique du
riz doré, ce que nous avons trouvé en grande quantité dans le journal Libération.
Ainsi, le traitement du séminaire de l’Afssa par cet autre quotidien national mettra
beaucoup moins en valeur les avantages et fera plus ressortir les problématiques : tout
d’abord, l’article est plus court, moins détaillé et a paru dans la rubrique société (alors que
727
pour le Figaro, il s’agissait de la rubrique médecine) . Le seul argument qui a été donné
sur le riz doré est qu’il « a été brandi pour vanter les mérites des biotechnologies pour
améliorer les qualités nutritives des aliments. », alors que le « maïs américain résistant aux
pesticides a été érigé en exemple d'une culture qui réduirait la dispersion de produits
chimiques. » Autre signe distinctif, alors que l’article du Figaro présentait la découverte d’un
riz dans lequel on aurait pu supprimer le facteur allergénique, ici, l’auteur pose le problème
des allergènes, comme si ceux-ci étaient spécifiques aux PGM et cite à l’appui Gabriel Peltre
de l’Institut Pasteur : « On ne sait toujours pas pourquoi un allergène est un allergène ».
Au regard des articles que l’on a trouvés dans Libération , on peut difficilement
considérer ce journal comme neutre. Ainsi dans un article intitulé « l’OGM ou la faim », le
journaliste Christian Losson s’interroge : « Les organismes génétiquement modifiés peuvent-
ils changer l'équation de la faim dans le monde, qui frappe plus de 800 millions de
personnes? »728 Afin de répondre à cette vaste question, il commence par rappeler les
arguments des entreprises agro-alimentaires, puis il cite ceux des ONG qui affirment que le
principal problème de la faim dans le monde, c’est la mauvaise distribution des aliments. Il
cite Arnaud Apoteker de Greenpeace qui soutient qu’il s’agit toujours du même idéal que
pour la révolution verte. C’est alors que le journaliste donne l’exemple du riz doré : « Prenez
le soi-disant riz miracle, le golden rice (enrichi en vitamine A), qui pourrait en 2003, selon
son fabricant, Astra Zeneca, éviter la cécité chez un demi-million d'enfants. Or, il faudrait en
assimiler 4 kilos secs pour couvrir les besoins quotidiens!» Selon le journaliste, ou le
responsable de Greenpeace (on ne sait plus très bien qui parle): c’est le débat sur
l’appropriation des brevets qui est en cause. D’après Jadot, cette fois-ci, un responsable de
Solagral : Zeneca assure vouloir distribuer gratuitement son brevet pour le riz. «Mais la
question de l'appropriation des semences et des risques de dépendance des agriculteurs
reste entière». Le débat sur les PGM est donc économique et politique.

727
Lasterade Julie, « Les atouts des OGM restent à prouver », Libération, n° 6406, mercredi 19
décembre 2001, p. 17.
728
Losson Christian, « L'OGM ou la faim ? » Libération, éd. Quotidien, première édition, samedi 13
octobre 2001, p. 39.

349
Dans un autre article, classé dans la rubrique événement, le même journaliste
rapporte les positions qui ont été tenues lors du Sommet de Rome729. L’article aborde de
nouveau le problème de la faim dans le Monde en évoquant les positions critiques des ONG.
Il traite du problème de l’image que veulent donner d’elles-mêmes les entreprises biotech.
Après avoir énuméré une série d’actions menées par ces dernières (don de semences, crédits
offerts…), il pose la question : « Le golden rice, variété enrichie en vitamine C, pourra-t-il
éviter la cécité chez un demi-million d'enfants comme le promet son concepteur, qui propose
de le livrer sans frais dès 2003 ? «A condition d'en consommer 4 kg par jour», réplique un
expert de Greenpeace. » Le reste du texte est une concaténation d’arguments anti-PGM et
aussi mal présentés que le « riz enrichi à la vitamine C (texto)» : « Le tilapia, poisson aux
gènes bidouillés pour favoriser la production d'hormones de croissance » ; « un gène de noix
du Brésil transféré à une variété de soja a amené avec lui un allergène (substance favorisant
l'allergie) », « Une variété de maïs transgénique interdite à la consommation humaine, en
raison des risques d'allergie qu'elle comporte, a été retrouvée dans des lots d'aide
alimentaire distribués en Bolivie »… ainsi après avoir cité ces arguments en masse et avec un
manque total de précision, Christian Losson conclut de nouveau sur des problèmes
économiques et politiques.
Enfin, de même que le Figaro avait ouvert sa tribune au professeur Schwartzenberg,
Libération offre une page à Yanick Jadot, délégué général de l’ONG Solagral, une
organisation environnementaliste. L’auteur développe alors de nouveau l’idée selon laquelle il
est illusoire de penser que les PGM sont une solution730. Il s’en prend aux firmes de
biotechnologie qui agitent l’argument de la faim dans le monde pour tenter de convaincre le
consommateur : « A défaut d'avoir convaincu les agriculteurs de l'efficacité des organismes
génétiquement modifiés (OGM), et surtout les consommateurs et les citoyens de leur
innocuité sanitaire et environnementale, les firmes biotechnologiques relancent depuis
quelque temps l'argument sensible de la faim dans le monde. », or pour Jadot,
« L'argumentaire «médiatiquement correct» déployé par les firmes agrochimiques ne résiste
pas à l'examen des faits. » La question de la faim dans le monde est de nouveau un
problème politique, il faut pouvoir donner aux petits producteurs la capacité et l’autonomie
de production. Les PGM renforcent la dépendance. Il cite alors également le riz doré : « On
peut effectivement développer un riz enrichi en vitamine A (riz doré) comme l'a fait
Syngenta. Mais va-t-on également créer des variétés enrichies en vitamine B1, B2, E, etc.,

729
Christian Losson, « Les OGM, ni mal absolu ni panacée » Libération , n° 6557, vendredi 14 juin
2002, p.5.
730
Jadot Yannick, « Organismes médiatiquement modifiés », Libération, éd. Quotidien Première
Edition, Rebonds, vendredi 7 septembre 2001, p.6.

350
alors que tous les problèmes de carence nutritionnelle peuvent être résolus par l'alimentation
traditionnelle? Tout cela est une tromperie: selon Greenpeace, il faudrait 3,7 kilos de riz doré
sec, soit 9 kilos de riz cuisiné, par jour pour couvrir les besoins quotidiens en vitamine A d'un
adulte, contre 100 g de carottes, 100 g d'épinard, 300 g de mangue et 300 g de riz dans le
cadre d'une alimentation équilibrée. » C’est donc toujours le même argument qui revient : le
riz doré, ne serait qu’un coup de pub orchestré par les multinationales.
Il en va de même cette fois pour le biologiste Jacques Testart, selon qui, les PGM
sont une forme de « Vandalisme libéral »731. Le célèbre scientifique prend, lui, contrairement
à Schwartzenberg, la cause des arracheurs d’essais en justifiant leur action par le fait qu’un
plus grand vandalisme sévit : «le vandalisme libéral ». Il répond en fait à un article de
Dominique Lecourt et de François Ewald paru dans Le Monde du 4 septembre 2001. D’après
l’auteur, il n’y a pas « de possibilité de conclusion scientifique à partir des expériences
abondantes menées dans le monde depuis 1996». Selon le directeur de l’INSERM qui est
également président de la commission pour le développement durable, la démocratie devrait
obliger que les essais en plein champ soient comparés avec l’utilisation de méthodes
alternatives lors d’études systémiques. Ainsi le directeur des PNUD qui est intervenu dans un
rapport pour le commissariat au plan a « illustré sa démonstration d'un espoir pour les pays
pauvres non par l'exemple du «Golden rice», OGM vedette largement surfait, mais par celui
d'une variété de riz obtenue selon des méthodes conventionnelles... »
Enfin, dans la série des tribunes libres, le Monde publie un témoignage de José Bové,
le porte-parole de la Confédération Paysanne. Celui-ci s’en prend directement au président
de l’Organisation Mondiale du Commerce et en même temps, au libre échange :
« L'HUMANITÉ est aux prises avec une croyance redoutable, à vocation totalitaire et
mondiale comme bien d'autres : le libre-échange. Les gourous et les serviteurs zélés de cette
doctrine (les « responsables ») affirment qu'il n'y a de dieu que le Marché et qu'hérétiques
sont ceux qui veulent le combattre (les « irresponsables »). »732 C’est donc dans un texte à
teneur essentiellement politique que l’auteur va utiliser l’argument du « riz doré ». En effet,
d’après le militant, c’est dans le cadre d’une instrumentalisation des sciences « au nom du
modernisme » que s’est installée une course au brevet : « Il ne supporte pas que le vivant
puisse se reproduire de lui-même, gratuitement, d'où la course aux brevets, aux licences,
aux profits, à l'expropriation par la force. » Les OGM sont une « mascarades » : « Mike
Moore nous invite à nous plier à l'évidence : le riz (cyniquement nommé « doré » )

731
Testart Jacques, « Les OGM, un vandalisme libéral » Libération, n° 6396, vendredi 7 décembre
2001, p. 6.
732
José Bové, « Les mensonges de Mike Moore », Le Monde, 12 juin 2001.

351
génétiquement modifié va nourrir ceux qui meurent de faim en les préservant de bien des
maladies grâce à sa nouvelle richesse en vitamine A. Les problèmes de carence vitaminique
ne seront pas réglés pour autant, car il faudrait manger 3 kg de riz sec chaque jour, alors
que la ration normale ne dépasse pas 100 grammes ! » D’après lui, le combat contre la
malnutrition passe par une diversification de l’alimentation ; aussi, l’auteur ironise : « Il est
donc alors judicieux d'ajouter de la vitamine dans le riz vendu aux pauvres, pour qu'ils ne
meurent pas trop vite et continuent de travailler à bas coût, plutôt que de les soutenir dans
la construction d'une société plus libre et plus équitable. » Tout ceci, une fois de plus
légitimant la violence : « Comprenez-vous maintenant, monsieur Moore, pourquoi les
paysans indiens de la Via Campesina, mouvement international de petits agriculteurs,
détruisent les champs de riz transgénique ? »

Une très forte politisation du débat


Que nous apprend le suivi médiatique du « riz doré » ? On constatera dans un premier
temps, que le thème du risque est très peu souvent abordé, voire quasiment jamais. Ceci est
surprenant, car en ce qui concerne les PGM, le risque, qu’il soit sanitaire ou
environnemental, est le premier argument utilisé par les journalistes ou les opposants à la
biotechnologie. Il y a bien quelques textes qui parlent de la nécessité d’effectuer des tests,
mais il s’agit là d’informer sur ce qui est réclamé par le protocole scientifique. Alors que tous
les autres PGM qui ont été introduits sur le marché ont été principalement recadrées par les
journalistes de la presse quotidienne dans une « problématique de risque », que ceux-ci
soient environnementaux ou alimentaires. Le « riz doré », lui, est recadré dans une
« problématique d’avantages potentiels». Ceci s’explique bien évidemment par le fait qu’il est
la première PGM qui ait démontré un véritable intérêt direct pour le consommateur et qui
illustre de manière concrète et facile à comprendre du grand public, la justification de la
technologie. Ce qui est ici en jeu, ce n’est pas l’évaluation du risque, mais la justification des
avantages potentiels. Comme par enchantement le risque a disparu des sujets de
conversation pour faire place aux thèmes utilitaristes. Or, ce qui est le plus surprenant, ce
n’est pas que l’on n’ait pas pensé à mettre en avant le risque potentiel pour les populations
qui ingéreraient ce riz (chose que l’on a fait par exemple pour les monarques)733, mais que
l’on se soit plutôt « acharné » à remettre en cause l’utilité de cette technologie. Le fond du

733
On remarquera, par exemple, que ce qui est scandaleux pour les environnementalistes ou pour
certains journalistes, dans l’idée qu’un enfant doive ingérer 4 kilos de riz par jour pour pouvoir
combler sa carence en vitamine A, c’est bien plutôt l’aberration d’ingurgiter une telle quantité que le
risque encouru par le fait d’une alimentation à base de PGM. Ce qui démontre l’importance du cadrage
de la technologie par les médias et l’impact que ce cadrage peut avoir sur la perception du public.

352
débat sur les PGM a donc glissé : d’une problématique d’évaluation des risques, on est passé
à une problématique de justification de la technologie. En fait, on s’aperçoit que ce sont les
détracteurs de la technologie qui se trouvent à l’origine du glissement. Là où ils accusaient
les PGM de se trouver à l’origine de risques avérés, ils les accusent désormais d’être le fruit
d’un investissement inutile et sans avantage. On est donc obligé de reconnaître un aspect
arbitraire à la critique. Et qui dit arbitraire, peut équivaloir à exagéré. On peut donc se
demander ce qui pousse les détracteurs du riz transgénique à un tel acharnement ?
Après réflexion, on s’aperçoit de nouveau, que ce qui intéresse les médias, c’est
l’aspect social et politique. Alors que dans le cas de l’affaire monarque, celui-ci était en jeu
de manière indirecte (en effet, ce qui posait problème, c’était que, les institutions avaient
autorisé la mise sur le marché d’une plante sans avoir prévu tous les risques ), pour le riz
doré, cet enjeu est immédiat : ce riz résoudra-t-il, oui ou non, un problème de malnutrition ?
On a également observé une plus grande politisation du débat que dans celui de l’affaire
monarque, surtout pour ce qui concerne les détracteurs. En effet, bien que ce ne soit pas la
règle, on a trouvé beaucoup plus d’articles qui mettent en valeur le « riz doré » dans un
journal tel que, le Figaro qui a un lectorat d’avantage constitué d’entrepreneurs et aborde
734
généralement plus les sujets économique, que dans Libération ou dans le Monde ; ces
deux derniers possèdent, a priori, un lectorat plutôt sensibilisé par les problématiques
sociales. Aussi cette politisation se caractérise par les nombreuses « tribunes » offertes à des
personnages médiatiques (ici en l’occurrence des scientifiques et des acteurs des ONG) : les
professeurs Schwartzenberg et Testart, Yannick Jadot, José Bové.
Quel est alors le contenu de ces opinions politiques ? On l’a vu, dans un contexte qui
porte sur le thème de la faim dans le monde ou qui lui est lié, le cas du riz doré est cité pour
dénoncer une certaine forme d’hypocrisie : celle des promoteurs des PGM (industriels et
autres) qui auraient utilisé cette invention comme un argument publicitaire pour redorer le
blason de la transgenèse végétale. Or d’après tous les détracteurs, les PGM, bien au
contraire, contribueraient à accroître encore plus la pauvreté de ceux qui n’auront pas le
moyen de se payer les brevets. Pour se défendre contre cet argument, les promoteurs
affirment que les détracteurs ne se sentent nullement concernés par les problèmes des PVD,
étant donné qu’ils mangent à leur faim. On assiste ainsi à un débat sans fin.

734
On remarquera également que la plupart des articles des articles du Figaro se trouvent dans la
rubrique Science et médecine, alors que pour ceux de Libération et du Monde, ils sont généralement
situés dans la rubrique société, cette remarque est de la plus grande importance.

353
4.2.4 Bilan des études quantitatives et qualitatives des médias
Que retiendra-t-on du suivi médiatique de l’affaire monarque et du riz doré ? Dans le premier
cas, on a vu comment les résultats d’une expérience en laboratoire qui devait être complétée
par des études en plein-air ont été généralisées et utilisés par les médias comme une preuve
de la toxicité des PGM. A contrario, l’étude de l’EPA SAP qui, 3 ans plus tard, a répondu aux
problèmes soulevés par Losey et en a relativisé les résultats, est passée quasiment
inaperçue. On en a déduit que les médias ont focalisé de manière extrême sur le risque, par
manque de déontologie (en effet il est bien connu que les scandales font plus vendre que les
succès), d’informations, mais aussi, parce qu’il semble que dans le contrat de lecture qui lie
théoriquement les journalistes aux lecteurs et qui oblige, en quelque sorte, les premiers à
réaffirmer les valeurs des seconds, les PGM pouvaient apparaître plus facilement comme une
« crise alimentaire de plus » pour un public qui a un souci extrême de la qualité de son
alimentation. On a vu également l’importance jouée par les activistes des différentes ONG
qui n’ont pas hésité à mettre en scène l’affaire du monarque et qui, de ce point de vue,
constituaient une source d’inspiration inépuisable pour les médias.
Le « riz doré », lui, est une invention qui, a priori devrait présenter le succès de la
technologie - il démontre enfin un avantage direct et compréhensible de tous – or on voit
qu’il devient une raison supplémentaire de mettre les PGM sous le feu des critiques. Or, cette
fois-ci, on a détecté un glissement : le débat sur les avantages de la technologie a pris la
place de celui des risques. Il ne s’agit pas de déterminer si les bénéfices passent les risques,
mais si il y a vraiment un avantage dans cette technologie. Or une très forte politisation du
débat fait que l’on a trouvé plus d’articles pour présenter le riz doré comme une vulgaire
supercherie commerciale - cela au mépris des inventeurs - que d’articles pour présenter les
avantages potentiels de la technologie : par exemple les journalistes préfèrent ironiser en
rappelant que la production de vitamine A ne permet pas de combler les carences, plutôt
que de dire que le riz n’est pas encore commercialisé parce que les recherches se
poursuivent afin d’améliorer sa capacité à séquencer un plus grand nombre de vitamines A.
Comme le monarque, le riz doré est souvent utilisé comme un paradigme : pour les
promoteurs, il illustre la capacité des PGM à résoudre le problème de la malnutrition, pour les
détracteurs il est l’occasion de révéler que celle-ci a pour origine un problème socio-
économique et non technologique. Or, on est obligé de constater que ce dernier argument
ne fait que remettre en cause, non pas la technologie, mais l’assertion qui dirait en
substance que « cette technologie est la seule manière de résoudre le problème de la
malnutrition ». Ce qui est une preuve supplémentaire de la forte politisation du débat. Aussi,
lorsqu’on voit le nombre important des articles qui dénoncent la « supercherie du riz doré »,

354
on peut se demander si les PGM sont réellement « Médiatiquement modifiés », pour
reprendre le titre d’un des articles que nous avons trouvé dans Libération ? Puisque si la
publicité avait été la seule motivation des promoteurs, on peut supposer qu’ils seraient
parvenus à mieux gérer leurs relations presses qu’ils ne l’ont fait. On se demande bien
comment un « coup de publicité » qui est dénoncé comme tel à chaque fois, peut encore
rester un « coup de publicité » ?
Toutes les hypothèses que nous avions pu émettre dans l’étude quantitative ont été
vérifiées par l’étude qualitative : les PGM sont présentées plus souvent dans la presse de
manière critique que de manière encourageante. On doit reconnaître que les médias, sauf
quelques rares exceptions, ont été plus sensibles aux arguments des activistes et des experts
anti-PGM qu’à ceux des firmes agro-alimentaires et des experts pro-PGM. Aussi, en
privilégiant l’une des deux parties de la controverse scientifique, ils émettent un jugement de
valeur implicite qui n’a pas lieu d’être (un suivi objectif voudrait qu’une part égale soit
réservée à la présentation de chaque type d’argument). Pour compléter cette analyse, il
paraît donc essentiel d’étudier les stratégies de communication des protagonistes de la
polémique.

4.3 PGM et stratégies de communication


Dans ce processus qui a contribué à créer une opinion publique, la presse quotidienne
nationale française n’est pas seule. En effet, on trouve à ses côtés les principaux acteurs de
la polémique : les promoteurs de la technologie et leurs opposants. Afin d’aborder sous un
nouvel angle les influences auxquelles a pu être soumis le public, on voudrait donc
maintenant étudier les stratégies de communication des principaux acteurs concernés.

4.3.1 La stratégie des grands groupes : l’exemple de Monsanto


Depuis l’introduction sur le marché américain des PGM, les grands groupes ont joué un rôle
fondamental. Aujourd’hui on compte 5 acteurs au niveau mondial (Monsanto, Syngenta,
Dupont, Bayer Crop Science et BASF). On a coutume d’opposer industriels et recherche
publique, invoquant le gigantisme des premiers et la modestie de la seconde. A la quasi
unanimité des détracteurs des PGM et même de certains de leurs défenseurs735, les
industriels servent de bouc-émissaire. Ainsi, leur est associée l’image de l’ogre, du

735
Ainsi, le professeur Schwartzenberg dans un article du Monde que nous avons cité, après avoir
évoqué les avantages potentiels des PGM en vient aux risques que ceux-ci peuvent provoquer ; il
affirme que seul la recherche publique, par son indépendance, est à même de mener à bien cette
évaluation. Ce qu sous-entend de manière implicite que ce n’est pas le cas de la recherche privée.

355
capitalisme tout puissant, aveugle et de la mondialisation… On se rappellera par exemple du
grand nombre d’occurrences du terme de « Multinationales » : en tout 221 sur les 4
quotidiens que nous avons étudiés. Or, quel a été le comportement de ces industriels pour
qu’ils deviennent ainsi la cible favorite de tous les éditorialistes ? Quelle a été leur stratégie
de communication pour informer les consommateurs et comment ont-ils réagi aux attaques
qu’ils ont subies ? Ce sont ces 3 points que nous voudrions maintenant étudier au travers du
développement et de la stratégie de communication de l’entreprise Monsanto.

Historique et développement de l’entreprise Monsanto


En 2001, Monsanto a fêté son centenaire. L’entreprise créée en 1901 par John Francis
Queeny, un ancien employé de Meyer Brothers Drug Company, a été baptisée ainsi par lui,
du nom de jeune fille de son épouse. Au début, Monsanto, produit de la Saccharine pour
Coca-Cola, puis de la caféine et de la vanilline. Le tournant du développement de l’entreprise
eu lieu pendant la 1ère guerre après que le chimiste suisse Gaston Dubois, ait rejoint
l’entreprise : en effet, au lieu d’importer de la matière brute des pays européens, Monsanto
va se mettre à produire elle-même ces produits. En 1917, commence la production d’aspirine
(Monsanto sera le plus gros producteur aux USA jusque dans les années 1980). Pendant
l’entre-deux guerres, c’est le fils de John Francis Queeny, Edgar qui prend la gérance de
l’entreprise. De 1918 à 1940, Monsanto produit du caoutchouc synthétique et des
phosphates en 1928. La firme acquiert des usines en Australie et au Canada. Pendant la 2ème
guerre, Monsanto participe aux recherches sur l’uranium pour le projet Manhattan. En 1945,
Monsanto produit des insecticides et des herbicides. En 1947, survient le désastre de Texas
City : un bateau chargé avec des fertiliseurs à base de nitrate d’ammonium explose en tuant
plus de 500 personnes, détruisant la ville de Texas City et l’usine Monsanto. A partir de 1950
l’entreprise créé Chemstrand et se met à produire des fibres synthétiques. Pendant ces
années elle s’installe en Inde, au Brésil et au Japon. En 1953, sort des usines General
Motors de Saint-Louis, la première Corvette dont la carrosserie contient de l’anhydride
maléique produit par Monsanto. On notera qu’en 1955, la firme de Saint-Louis est la
première à installer une technologie IBM pour la gestion des données. En 1956, a lieu la
première commercialisation de l’herbicide Randbox à usage pour le maïs. Une année plus
tard, c’est l’herbicide Vegadex qui est commercialisé. De 1957 à 1959, Monsanto sponsorise
« Conquest », une émission qui couvre les grandes découvertes scientifiques et dans laquelle
on peut même trouver les premiers débats sur les problèmes éthiques qu’implique la
recherche génétique. En 1959, une usine Monsanto commence à produire du silicone ultra-
pure pour l’électronique. C’est dans les années 60 que Monsanto créé sa structure agricole.

356
Elle met alors sur le marché toute une série d’herbicides : en 1961 l’herbicide Avadex, en
1965, le Ramrod, en 1969, le Lasso et le Machete en 1971. A noter qu’en 1970, le Dr.
John Franz synthétise le glyphosate, l’ingrédient actif du Roundup . Ces herbicides
introduisent les facteur de pré émergence chez les agriculteurs. Lors de l’année 1972, John
W. Hanley est nommé directeur ; il réévalue la stratégie globale et donne l’impulsion pour les
premières recherches en biotechnologies. En 1974, l’herbicide Roundup est lancé en
Malaisie et au Royaume-Uni.
C’est de 1976 à 1988 que la société va clairement se réorienter vers la biologie. Le
programme de biologie moléculaire est lancé en 1977 dans la division agricole ; en 1981 les
biotechnologies seront fermement établies comme un objectif stratégique de recherche.
Aussi, un nouveau laboratoire de biotechnologie ouvre sur le campus de Crève Cœur.
Monsanto signe également un accord de collaboration historique avec l’Université
Washington de Saint-Louis (d’autres accords de recherche suivront). En 1982, les
scientifiques de Monsanto modifient une plante pour la première fois de l’histoire : Monsanto
Hybritech Seed International Inc est créé à partir de l’acquisition du programme de
recherche de Dekalb sur 3 activités essentielles de l’entreprise qui sont les sciences du
vivant appliqués à l’agriculture, le pharmaceutique et l’alimentaire.
De 1989 à 2002, Monsanto privilégie les biotechnologies et le développement
durable. Ainsi à la fin de l’année 92, Monsanto a réussi à réduire de 90% les émissions
toxiques en provenance de ses usines. En 90, les dirigeants annoncent la 1ère charte sur le
développement durable, qui est développée en 7 points : réduction du gaspillage, opérations
sanitaires, agriculture durable, attention portée à l’eau du sol, ouverture vers la société civile,
optimisation de la profitabilité de la nature, nouvelles technologies.
En 1993, Bob Shapiro devient le nouveau président de Monsanto, la BST (Posilac bovine
somatotrophine) est le premier produit issu des biotechnologies à entrer sur le marché. En
1995, alors que Monsanto continue ses activités dans le domaine de la chimie (création de
Flexys une joint venture avec Akzo Nobel S.A.) pour créer du caoutchouc synthétique,
plusieurs produits génétiquement modifiés reçoivent l’autorisation d’entrer sur le marché :
- Roudup Ready glyphosate-tolerant soybeans
- NewLeaf insect-protected potatoes
- Bollgard insect-protected cotton
- Delayed-ripening tomato
Monsanto lance également de nouvelles lignes d’insecticides sélectifs (Permit, Manage
et Sempra).
De 1995 à 1997, ont lieu des acquisitions essentielles pour la diversification de l’entreprise:

357
- Calgene Inc., un leader dans les biotechnologies
- Asgrow Agronomics, un leader pour le soja et le maïs
- Monsoy pour l’accès au marché du soja brésilien
- Agracetus, pour renforcer les bases technologiques
- Holden’s Foundation Seeds Inc. Leader mondial
- Acquiert une part majoritaire chez Dekalb, la 2ème compagnie semencière des USA
- Etablissement d’un partenariat de recherche en génomique avec Millenium
En 1997, la firme se débarrasse de Solutia Inc., la branche chimique pour se concentrer
sur les sciences du vivant. De nouveaux produits issus des biotechnologies sont lancés :
- YieldGard  corn
- Bollgardcotton
- New Leaf potatoes
- New Leaf Plus potatoes
- Roundup Ready  canola
- Roundup Ready cotton
- Roundup Ready soybeans

En 1998, Monsanto poursuit sa diversification en acquérant de nouvelles entreprises


semencières : First Line Seeds, un producteur de soja canadien ; accord pour Gargill’s
international seed operations ; accord pour Plant Breeding International Cambridge Limited ;
accord pour Delta Pine & Land ; plan pour American Home Product) Monsanto accentue sa
politique de recherche : accord passé avec Gene Trace, construction d’un laboratoire à
Ankeny, dans l’Iowa.
En 1999, le président Clinton accorde la médaille nationale de la technologie aux
chercheurs de Monsanto. Bob Shapiro participe à une vidéoconférence avec Greepeace sur
les biotechnologies. Un plan est esquissé pour une fusion avec Pharmacia & Upjohn. Cette
fusion aura lieu le 31 mars 2000. La nouvelle compagnie est nommée Pharmacia
Corporation. Le nom Monsanto sera utilisé pour ce qui concerne les opérations agricoles avec
à sa tête Hendrik Verfaillie. L’entreprise annonce la volonté de partager ses recherches sur le
génome du riz avec les instituts mondiaux. Pharmacia ouvre 15% des parts de Monsanto au
public au Stock Exchange.
Une nouvelle charte est élaborée en rapport avec les biotechnologies. Dans la lignée
de cette nouvelle charte, l’entreprise forme avec les leaders des principales associations
syndicales du pays le « Monsanto Grower Advisory Council » ; la firme créé également le
« Biotechnology Advisory Council » ainsi qu’un conseil pour transférer les biotechnologies

358
aux produits du blé. On peut désormais trouver des informations sur la sécurité des produits
issus des biotechnologies sur son site Internet. Le Soja RR est introduit sur le marché
africain. En 2002, Monsanto annonce que tous ses sites de production de semences ont reçu
l’assurance qualité ISO 9002. 43 compagnies scientifiques rejoignent les rangs des
collaborateurs de Monsanto. Les approbations officielles, le renouvellement et l’augmentation
des caractères de la biotechnologie agricole de Monsanto est la preuve, d’après l’entreprise,
de l’acceptation de la technologie et d’une reconnaissance croissante. En 2002 également, le
partenaire commercial de Monsanto en Inde (Mahyco) a reçu l’approbation pour le coton
génétiquement modifié736.

Une nouvelle stratégie orientée biotechnologies agricoles


L’histoire de l’entreprise Monsanto est riche et variée et coïncide avec celle du progrès
technologique. Cependant l’orientation stratégique apparaît clairement : de sa création
jusque dans les années 1960 Monsanto a développé l’industrie chimique. Juste après la 2ème
guerre on peut voir l’émergence de l’agrochimie ; cette dernière arrivera à son apogée avec
la mise sur le marché du Round Up. Avec l’arrivée de John W. Hanley en 1972, Monsanto
commence une réorientation stratégique vers l’agro-chimie à forte valeur ajoutée et les
biotechnologies. En 1981, le développement des biotechnologies devient primordial et sera le
principal objectif de l’entreprise jusqu’à aujourd’hui. Comme on a pu le voir ce
développement a été marqué par la revente ou la cessation de nombreuses activités, par le
rachat d’entreprises semencières ou de start up spécialisées en biotechnologies et par la
mise en place d’une infrastructure de recherche et développement adaptée.
En 2001, le chiffre d’affaires mondial de la société a atteint 5,5 milliards de $. Les
surfaces plantées dans le monde avec les produits biotechnologiques Monsanto ont
progressé de 14% pour atteindre 48 millions d’hectares dans le monde. La vente de produits
phytosanitaires représentait en 2001 69% du C.A., la vente de semences et de produits issus
de la génomiques représentaient 31%. Aujourd’hui, sur son site Internet français, la firme de
Saint-Louis met en avant uniquement l’agriculture : « Une agriculture de qualité, productive,
innovante et durable » et présente ces 3 métiers : la protection des plantes, les semences et
les biotechnologies. » Sur une autre page, la firme déclare : « Entièrement consacré à
l’agriculture depuis sa fusion avec Pharmacia & Upjohn en Avril 2000, Monsanto veut
contribuer à augmenter le volume et la qualité de la production agricole dans le monde, tout
en réduisant le coût et l’impact sur l’environnement » Aussi, L’entreprise, se positionne
dorénavant comme le spécialiste de l’agrofourniture dans quatre grandes cultures

736
Cet historique est la synthèse de notes fournie par la société Monsanto

359
stratégiques : le blé, le maïs, les oléagineux et le coton. Les ventes de Monsanto sont
réparties en 2 segments: la productivité agricole et les semences, la génomique. Le premier
secteur regroupe 3 catégories de produits : le Roundup (l’herbicide le plus vendu au monde),
des herbicides sélectifs, des produits pour l’élevage agricole tels que le Posilac bovin
sematotropin ; le second secteur, deux catégories : des semences classiques et des
germoplasmes avec les marques Dekalb et Asgrow et enfin des PGM (traits). Pour ce dernier
secteur, le rapport annuel de 2002737 présente Monsanto comme le leader sur le marché
avec 90% de la superficie mondiale des deux caractères qui concernent la protection aux
insectes et la tolérance aux herbicides.
La stratégie globale de Monsanto repose donc sur la mise en place de solutions
intégrées pour les agriculteurs. Un rapport financier énumère les 6 valeurs qui dirigent sa
stratégie de développement :
1) Créer des solutions intégrées pour les fermiers (par exemple mettre l’accent sur les
marchés où il est possible de faire fonctionner une complémentarité entre les
semences, les PGM et les produits chimiques)
2) Continuer à soutenir la part de marché du Roundup et des autres herbicides (en
améliorant le produit ou en développant la performance des plantes résistantes à cet
herbicide)
3) Elargir la commercialisation des produits de la biotechnologie (en continuant à obtenir
de nouvelles autorisations pour la mise sur le marché et en favorisant d’avantage
l’éducation du public par rapport à cette technologie ; en défendant enfin les
autorisations fondées sur un processus scientifique)
4) Réaliser des performances financières forte, des opérations intégrées (améliorer les
gains en développant les semences, les PGM (traits), le roundup et en s’implantant
en Amérique Latine).
5) Utiliser le potentiel technologique pour accélérer le développement des produits
(tripler les tests de constructions génétiques pour viser à les introduire
prochainement sur le marché, accroître les efforts en R&D pour mettre sur le marché
les meilleurs produits candidats.)
6) Commercialiser les produits en préparation (Commercialize products in our pipeline).
Il s’agira de mettre sur le marché des plantes à plus grand rendement développées
par une technique de marqueurs.

737
Monsanto Company, Annual Report/2002.

360
Concernant les PGM (traits) en 2002, le rapport indique que la superficie globale a
augmenté, mais il souligne l’existence d’obstacles juridiques738. C’est le cas au Brésil où
l’autorisation du maïs a été repoussée et dans la CEE, où un moratoire empêche toutes les
importations depuis 1998. Cependant, le coton Bt a été autorisé en Inde. En 2002, c’est plus
de 138 millions d’acres (environ 52 millions d’hectares) de soja, de maïs, de coton et de
colza GM qui ont été plantés dans le monde. C’est une progression de 34% depuis 2000. De
ce point de vue, Monsanto, mise énormément sur les solutions intégrées : il s’agit de fournir
aux agriculteurs des solutions qui combinent les semences, le caractère d’une PGM(traits) et
l’insecticide ou l’herbicide qui correspond. Par exemple, les fermiers qui utilisent les
semences à haut rendement de Dekalb ou de Asgrow peuvent choisir ces mêmes variétés
sous forme de PGM contenant le trait qui va permettre de résister au désherbant Roundup.
Cette solution permet également aux agriculteurs de mieux gérer les sols ; ainsi les fermiers
gagnent du temps, de l’énergie et donc de l’argent. Afin de mieux illustrer cette spécificité,
on trouve de nombreux témoignages de fermiers dans la plaquette.
Enfin pour ce qui concerne le développement de nouveaux PGM, Monsanto affirme
avoir la plus large base de donnée de l’industrie agricole. La plateforme R&D représente
actuellement : 30% des PGM brevetées aux Etats-Unis lors (through) de l’année 2002 ; 42%
des tests menés en champ par L’USDA depuis 1987 ; 52% des produits issus des
biotechnologies approuvés par l’USDA en (through) 2002 ; plus de 90% de la superficie des
PGM plantées dans le monde en 2002.
Au niveau de la recherche, les semences classiques bénéficient aujourd’hui de la
possibilité d’être améliorées, grâce à une technique de marqueurs. Concernant les PGM des
recherches sont effectuées afin d’introduire des traits de résistance à la chaleur, la
sécheresse au froid, aux maladies… Des traits qui pourront intéresser directement le
consommateur sont en cours d’étude (huile végétale avec moins d’acides saturés) ainsi que
des plantes qui produiront des acides gras omega-3. On trouvera également dans le rapport
un très intéressant tableau décrivant le processus des 5 phases (découverte du gène ou du
trait, preuve du concept, développement précoce du produit, développement avancé,
soumission à la commission d’approbation finale) de R&D qui mènent de la découverte à
l’autorisation de mise sur le marché.

738
« Global acreage of biotechnology crops increased again in 2002, but regulatory issues continue to
limit nearterm growth of current and future Monsanto traits. », ibid., p.7.

361
Monsanto en France
En France, Monsanto est installée depuis plus de 40 ans. L’hexagone est pour la société
américaine le 1er marché en dehors du continent américain. On trouve sur le territoire
français le principal site de production de semences de Monsanto en Europe. Le chiffre
d’affaires consolidé des différentes activités des ventes atteint 185 millions d’Euros en 2001
(53% de produits phytosanitaires et 47% de semences conventionnelles). Le siège social de
l’entreprise est situé à Bron, près de Lyon, et les 450 employés sont répartis sur 15 sites. La
société se définit comme une spécialiste de l’agrofourniture. La plaquette institutionnelle de
l’entreprise reprend la présentation qui est celle qui existe au niveau mondial. Concernant l’
activité biotechnologies, un encadré annonce : « Une opportunité à ne pas laisser passer » ;
le message qui suit s’adresse aux agriculteurs: « Les cultures génétiquement améliorées sont
une formidable chance pour les agriculteurs qui cherchent à renouveler les solutions et
produits pour améliorer productivité et rentabilité, dans un souci de qualité et
d’environnement préservé. C’est aussi pour le consommateur une réponse aux attentes de
diversité, de qualité et de sécurité alimentaire. »739 En France, seul le site de Peyrehorade
dans les Landes est devenu un Centre Européen de marquage moléculaire. On notera qu’en
France, Monsanto dépense 10% de ses revenus dans la R&D.
A la suite du moratoire instauré par la commission européenne, les PGM ne sont
autorisées dans les champs de l’hexagone que sous forme de tests agronomiques. Mais
avant le moratoire, déjà, un certain nombre d’oppositions étaient nées. Comment Monsanto
a réagi face à cette situation et comment elle a communiqué, c’est ce que nous souhaiterions
étudier maintenant740.
Pour bien comprendre la manière dont Monsanto a communiqué et communique
aujourd’hui à l’égard des PGM, 3 facteurs d’analyses sont à prendre en considération : le
premier concerne l’adaptation du message en fonction du pays, le second, la distinction
entre une communication business to business et une communication grand public, le
troisième facteur est l’évolution du message dans le temps.

Communication institutionnelle
Le groupe international Monsanto dispose d’une communication institutionnelle globale qui
ne varie pas beaucoup en fonction des pays. Il s’agit de l’image que l’entreprise veut donner

739
Plaquette institutionnelle Monsanto France, « Pour une agriculture de qualité, innovante et
durable ».
740
Certaines des informations que nous fournirons pour répondre à cette question ont été obtenues
suite à un interview de Mathilde Durif et de Sophie Babinet, respectivement responsable de la
communication et chargée des relations presse chez Monsanto France. Nous signalerons cette
information par l’usage de guillemets.

362
d’elle et des valeurs qu’elle souhaite véhiculer aussi bien pour le grand public que pour les
professionnels du monde agricole. On notera l’arrivée d’un logo légèrement redessiné avec
une nouvelle signature en 2002 : alors qu’avant, on trouvait le nom de l’entreprise seul ou
accompagné des 3 métiers : « nutrition, santé, avenir », accompagné du logo aux allures
d’une feuille de laurier ; aujourd’hui, on trouve la nouvelle signature « imagine » avec le
« ag » de « agriculture » surligné en vert. Ce détail est d’importance et il démontre la
volonté de la société de se concentrer sur le développement des biotechnologies dans le
monde agricole. Le message étant, on s’en doutera, « imaginer une nouvelle agriculture ».
On se rappellera également qu’ « Imagine » est une chanson de John Lennon, un
personnage hautement symbolique pour les mouvements écologistes. Ce détail est de la plus
grande importance quand on sait l’intérêt que porte la société sur le respect des valeurs
environnementales. En ce qui concerne l’annonce des principales valeurs et des métiers de
l’entreprise, ceux-ci sont mis partout de la même manière en avant.
Monsanto est fédéré au niveau mondial par des valeurs, c’est à la fin de l’année 2000
qu’Hendrik Verfaillie a instauré la nouvelle charte Monsanto. Cette charte s’énonce en 5
points741 :

- Le dialogue : Monsanto s’engage à instaurer un dialogue continu avec toutes les


parties concernées par la compréhension de cette nouvelle technologie (Constitution
d’un Comité de conseil externe, implication des clients)
- La transparence : Monsanto s’engage à publier les données sur la sûreté et les
bénéfices ainsi qu’à travailler dans le cadre des régulations scientifiques établies dans
les différents pays du monde (publication des recherches sur Internet, collaboration
avec FDA, amélioration de la qualité).
- Le Respect : Monsanto s’engage à respecter les problèmes religieux, culturels et
éthique des peuples du monde entier (commercialisation des grains après tests sur
les animaux et sur les hommes, ne pas utiliser de gènes sources en provenance de
l’homme ou de l’animal pour les améliorer les produits destinés à l’alimentation
animale ou humaine, ne jamais commercialiser un produit dans lequel aurait été un
allergène connu, utiliser une alternative aux gènes résistants aux antibiotiques pour
sélectionner les nouveaux traits, souligner l’engagement à ne pas acquérir des
technologies qui permettraient d’obtenir des semences stériles)

741
Monsanto Chief Executive Outlines Commitment on New Agricultural Technologies in the « New
Monsanto Pledge », 2000.

363
- Le partage : Monsanto s’engage à apporter le savoir et les avantages de toutes
formes d’agricultures aux petits agriculteurs des PVD ainsi que leur fournir une aide
pour améliorer la sécurité alimentaire et protéger l’environnement (création d’une
équipe spéciale).
- Profits : Monsanto s’engage à travailler pour permettre aux fermiers de profiter
d’avantages au niveau commercial et environnemental (développer la technologie de
gestion intégrée des ravageurs – IPM - afin de réduire l’usage de produits
phytosanitaires, travailler pour continuer à améliorer les techniques de gestion des
sols, s’assurer que toutes les technologies protègent la faune et les insectes
bénéfiques, lancement des plantes seulement après qu’elles aient reçu toutes les
autorisations nécessaires aux Etats-Unis, au Japon et Monsanto l’espère
prochainement, en Europe, quand celle-ci aura établi un système régulateur)

Comme on peut le constater, cette charte en 5 points a pour objectif de rassurer sur la
stratégie de Monsanto et clarifie sa volonté. Elle s’adresse autant aux agriculteurs, qu’au
grand public ou aux détracteurs des biotechnologies. On l’aura compris, il s’agit ici de
répondre points par points aux problèmes qu’ont rencontré les PGM au cours de leur
développement, et de déjouer les accusations qui ont été portées à l’encontre de la
technologie.

Ainsi, dans le premier engagement, sur l’écoute, on retrouve en filigrane la citation de


Shapiro, le dirigeant qui a vécu la période de l’introduction des PGM sur le marché et à qui la
première crise de l’opinion publique américaine semble avoir été fatale : « A trop vouloir
convaincre, on a oublié d’écouter ». Monsanto a donc intégré l’idée d’une nécessité de
s’ouvrir vers l’extérieur. Il ne s’agit plus ni d’imposer la technologie en sourdine comme au
tout début, ni de négliger les réclamations de l’opinion public en déclarant qu’il suffit de
mieux informer ; même si cette dernière exigence est toujours présente, elle n’est plus la
seule mesure. La charte précédente qui datait de 1989 réclamait un « openness to the
comunities » (ouverture sur la communauté), est concrétisé ici par 2 engagements : l’un
envers le public en créant un comité externe à l’entreprise pour conseiller et aider à prendre
les décisions (on pensera à la Conférence Citoyens), l’autre étant la décision d’inclure les
clients de la firme dans les choix technologiques. Autrement dit les citoyens et les
agriculteurs seront « convoqués » par Monsanto avant toute prise de décision. L’entreprise a
donc tiré des leçons des critiques passées (non prise en compte des inquiétudes des citoyens
ou des besoins des agriculteurs).

364
L’engagement sur la transparence touche trois points : la transparence de la
recherche au travers de la publication de celle-ci, la transparence du processus d’autorisation
de mise sur le marché avec la FDA et enfin, l’assurance-qualité de l’ensemble de la
production. Il s’agit ici, d’envoyer un message clair à ceux qui suspectent l’entreprise
d’œuvrer en secret et d’être de mèche avec les institutions qui cautionnent la mise sur le
marché des PGM. Monsanto rappelle également sa volonté d’agir conformément aux
régulations en vigueur dans les différents pays.
Cet engagement sur la transparence, est sans doute un des points les plus forts de la
charte. C’est ici que l’on voit une véritable prise en compte des inquiétudes du grand public.
Cette évolution est patente dans le sens où, comme nous l’ont rappelé, Mathilde Durif,
Responsable Communication de Monsanto France, et Sophie Babinet, Chargée de Relations
Presse, lors d’un entretien, « Monsanto n’était pas habituée, par sa tradition à communiquer
vers le grand public, mais concentrait généralement ses efforts sur les professionnels, au
regard de l’histoire de l’entreprise et de ses diverses activités. » Mais les événements ayant
été ce qu’ils ont été, Monsanto s’est trouvé dans l’obligation de prendre le taureau par les
cornes (de ce point de vue, on verra la campagne que Monsanto a lancée dans la presse
française en 1998) ; ici, il s’agit une fois de plus de rassurer en replaçant l’activité de mise
sur le marché des PGM dans un cadre juridico-scientifique, mais également de rassurer par
rapport aux croyances742, aux risques alimentaires (engagement sur les allergènes et l’usage
des gènes de résistances aux antibiotiques) et enfin aux intentions commerciales de
Monsanto (Terminator). Là aussi, on voit que l’entreprise s’est mise à portée des inquiétudes
du public suite aux diverses « affaires » auxquelles elle a dû faire face. On sait que les deux
sujets qui reviennent le plus souvent pour dénoncer le risque alimentaire des PGM sont le
risque d’allergie et celui des procédés techniques utilisant des gènes de résistance aux
antibiotiques. Il est donc de la plus haute importance de se débarasser des doutes éventuels.
Pour ce qui concerne l’engagement du partage, il s’agit là encore d’un point essentiel
sur lequel achoppent bon nombre de critiques. On a vu avec l’épisode du riz doré, que
malgré l’annonce de la cession de ses droits sur les brevets qui interviennent dans la
réalisation du riz doré, la firme avait subi de nombreuses critiques. On sait que, depuis
l’origine, les PGM sont présentées comme une solution pour combattre la fain dans le
monde743. Aussi, les environnementalistes n’ont cessé de dénoncer l’hypocrisie de cette
affirmation et son caractère erroné. Il est donc important pour Monsanto de s’engager ou

742
« Not using genes taken from animal or human sources in our agricultural products intended for
food or for feed.»Ibid.

365
plutôt de se réengager en rappelant qu’une équipe a été créée afin de participer au transfert
et au partage des biotechnologies.
Le dernier engagement, enfin s’adresse aux « professionnels ». Il s’agit de rassurer
les agriculteurs sur les performances des solutions intégrées de Monsanto. On se reportera à
notre étude de la controverse « Benbrook-Gianessi ». On sera attentif aux deux lignes qui
peuvent être considérées comme une réponse à l’affaire du papillon monarque744. Enfin, en
conclusion, Monsanto invoque une fois de plus le système juridico-scientifique qui, aux Etats-
Unis et au Japon, est la garantie de sérieux de tout ce qui est introduit sur le marché ; quant
à l’Europe, la firme de Saint-Louis ne désespère pas de la voir un jour se ranger du côté des
principes régulateurs.
La nouvelle charte de Monsanto démontre donc la volonté qu’a l’entreprise de
concentrer son activité sur le secteur des biotechnologies, de résoudre les problématiques
qui lui sont attenantes et, à certains égards, sont de véritables obstacles. Il y a donc un
progrès par rapport à la charte de 1990, dont des engagements portaient sur
l’environnement en général. Ici chaque point est la réponse à une problématique rencontrée,
problématique qui a généralement surgi au travers des sondages d’opinions, mais aussi lors
des polémiques médiatiques. Dans cette charte, Monsanto s’adresse à tout le monde et plus
seulement à ses partenaires (agriculteurs et distributeurs) ; ceci semble être nouveau. En
effet, comme nous l’ont affirmé les responsables du service communication de Monsanto
France, les annonces sont essentiellement passées dans la presse agricole745.
Concernant ces dernières, « Monsanto privilégie également la communication hors
médias ». Aussi, cette communication B to B varie en fonction des pays. Ainsi, alors qu’à
l’heure actuelle on peut trouver des pubs TV en Inde pour le coton Bt, Monsanto France doit
se contenter en 2002 de messages institutionnels du style : « Etre au service de l’Agriculture,
c’est innover et avoir une vision globale de l’avenir » avec un visuel montrant un tracteur
cultivant un champ traversé par une rivière, dont le tracé dessine le contour d’un visage746.
N’est-il pas normal après tout que l’agro-fournisseur, ait fait l’impasse sur la
communication « grand public » et que ce soit les journalistes qui se soient chargés de
révéler les premiers l’arrivée de PGM sur le marché, étant donné que les agriculteurs sont
ses seuls clients? On peut donc se demander si, au début, Monsanto n’a pas communiqué
vers le public parce qu’elle voulait introduire en cachette une technologie ou parce que, tout

744
« Ensuring that all of our products and practices protect wildlife and beneficial species »Ibid.
745
On relèvera une exception pour le rapport de l’année 2000 qui présente la photo d’une famille
réunie dans sa cuisine.
746
Publicité parue dans Un autre regard sur les OGM , le n° spécial du magazine Ingénieurs de la vie ,
la revue des ingénieurs de l’INA P.G, n°459 Mai/Juin 2002.

366
simplement, en tant que fournisseur de solutions technologiques intégrées (l’IPM) à des
agriculteurs, elle n’a pas jugé utile que de communiquer vers ceux-ci. A posteriori, cette
stratégie peut être interprétée comme une erreur. En effet, comme le constate Mathilde
Durif, « Il y a eu un défaut de communication auprès du grand public ; chez Monsanto on
est une société avec une forte tradition technique. On ne savait pas et on n’a pas pris la
peine de faire passer les messages vers les consommateurs. C’était un tort. Aujourd’hui on a
pris pleinement conscience de la nécessité de s’ouvrir et d’expliquer. »

Vers une communication grand public


En France, cette prise de conscience a été suivie d’ action en 1998, c’est-à-dire, 3 ans après
la mise sur le marché des premières PGM aux Etats-Unis et deux ans après la première
affaire médiatique du soja dans le port d’Anvers. Cette campagne, à destination du grand
public français a eu lieu l’année de l’affaire du monarque. Des annonces ont paru dans les
journaux de la presse quotidienne nationale (Le Monde, Libération, Le Figaro, La Croix, La
Tribune, Les Echos, l’Humanité) et dans les Magazines (le Nouvel Observateur, l’Express, Le
Point, L’Evènement du Jeudi, Le Figaro Magazine, Télérama, La Vie, Ca m’intéresse, Elle,
Marie-Claire, Cosmopolitain, Biba, DS). Il s’agissait de « publi-rédactionnels ». Un style
institutionnel donc, mais avec des accroches publicitaires et des illustrations. L’ensemble de
la campagne a été réalisée par l’agence Euro RSCG Tuong Cuong. La signature utilisée par
l’entreprise est le logo accompagné des trois activités : « nutrition, santé, avenir ». L’agence
a choisi deux formules : la première pour la presse quotidienne est un feuilleton en 5
épisodes ; pour les magazines, il s’agit de 4 annonces qui peuvent vivre séparément.
Ainsi pour la 1e formule, on trouvait le message suivant en bas de chaque publi-
rédactionnel : « A demain pour en savoir plus sur les biotechnologies. Pour recevoir une
documentation sur les biotechnologies... » Un numéro vert et l’adresse du site Internet. Pour
les magazines, la phrase « Si vous avez des questions ou souhaitez recevoir une
documentation, appelez au… » introduisait le numéro vert.
Sur chacune de ces publicités, on trouve un pavé rédactionnel identique qui définit
les biotechnologies (« permettent d’utiliser la génétique pour fabriquer des produits utiles à
l’homme, améliorent les caractéristiques des végétaux en apportant à leur patrimoine
génétique de nouvelles propriétés, comme par exemple, la résistance aux insectes
nuisibles… ») et présente la société Monsanto (« se consacre aux sciences de la vie en
développant ses compétences dans les domaines de l’agriculture, de la nutrition et de la
santé, à l’origine dans le domaine de la chimie, invente le Roundup en 1974, l’herbicide
considéré comme le plus respectueux de l’environnement… 1977 premier laboratoire de

367
biotechnologie végétale, 1997 se sépare de sa filière chimie pour se consacrer aux science
de la vie. »)

Etude de textes
Le premier message du feuilleton journalistique est un teaser (séducteur); une accroche en
forme de paradoxe attire l’attention du lecteur et le provoque.
- « 69% des Français se méfient des biotechnologies », « 63% déclarent ne pas savoir
ce que c’est », « Heureusement 91% savent lire ».
il s’agit ici de l’argument principal des défenseurs des PGM : si le public avait une réel
connaissance des biotechnologies agro-alimentaires, alors, il n’en aurait pas peur. Le texte
qui développe ce thème introduit de la manière qui suit « L’inconnu fait toujours un peu
peur. Et aujourd’hui, ce sont les biotechnologies… » Monsanto prend donc la décision de
parler des PGM parce que, « Aujourd’hui le débat sur les biotechnologies est perçu par le
grand public comme une débat d’experts. Si seuls les experts maîtrisent la complexité
scientifique du sujet, tout citoyen est en droit de se forger une opinion. Le débat sur les
biotechnologies, et plus largement sur les enjeux de la génétique, ne doit pas rester un
débat de spécialistes. C’est pour cela que nous avons décidé de vous en parler au cours des
prochains jours dans ce journal. » On constate que Monsanto a déjà parfaitement analysé la
situation qui l’a conduit à communiquer : il est nécessaire d’informer le public afin de ne pas
le priver de son droit de débattre sur un sujet qui le concerne pleinement. L’idée qui sous-
tend ici le message publicitaire est que : « Si 69% des français se méfient des
biotechnologies, c’est qu’en fait, ils ne savent pas ce que c’est. En les informant, il doit donc
être possible de changer leur opinion. » On a vu comment cet argument faisait l’objet d’un
débat intense au niveau des sociologues (opposition entre l’Eurobaromètre et les Focus
Group).

2) Le Deuxième message qui paraît au même endroit le lendemain est une mise en
exergue des qualités et des avantages des biotechnologies végétales. Pour cela, la publicité
est conçue comme un QCM sur lequel on trouve en caractère gras « Qu’est-ce que la
biotechnologie végétale ? » et 3 réponses possibles « La science qui améliore les végétaux
en apportant à leur patrimoine génétique de nouvelles propriétés », « La production
d’oranges bleues », « L’étude des plantes qui dansent sur la musique techno ». Suit à ces
accroches, un long texte explicatif. On trouve ici une variante du thème de la connaissance
(le fait que de nombreux individus ne connaissent rien aux biotechnologies végétales) :
d’une part, on retrouve 2 réponses farfelues dans les choix possibles ; d’autre part, l’entrée

368
en matière du texte qui affirme : « Si vous avez répondu A, vous faites partie de la minorité
des Français qui connaissent les nouveaux développements de la biotechnologie végétale ».
L’explication donnée des biotechnologies végétales est très synthétique et
didactique : dans un premier temps, il s’agit de resituer les biotechnologies dans leur
contexte : « Les biotechnologies ont connu un développement spectaculaire grâce à
l’amélioration de nos connaissances sur l’ADN, qui est « la mémoire génétique »de tous les
êtres vivants. » On sera attentif au fait que Monsanto n’emploie rarement les termes de
« modifié » ou de « modification » et leur substitue dès que c’est possible « amélioré » ou
« amélioration » : « Grâce aux biotechnologies, on peut améliorer les espèces végétales en
enrichissant leur patrimoine génétique ».
Ici, le schéma explicatif donné par Monsanto est le suivant :
- Les plantes ont un patrimoine génétique que l’on a découvert grâce aux progrès des
connaissances
- L’objectif des biotechnologies est d’améliorer ce patrimoine en introduisant de
nouvelles propriétés
- Ceci est possible en introduisant des gènes d’une autre plante car l’ADN est un
langage universel

La deuxième partie de l’annonce consiste à vanter les mérites des biotechnologies : « Les
recherches et les applications des biotechnologies sont vastes et constituent un formidable
espoir : on étudie déjà comment faire pousser des fruits et des légumes dans des conditions
difficiles, comment se passer complètement d’insecticides, comment faire pousser
naturellement des fruits et des légumes capables de nous protéger des maladies. Bref, la
première vertu des biotechnologies est de contribuer à l’amélioration de l’alimentation et de
la santé .» On l’aura compris, il s’agit ici, de faire ressortir les avantages directs des PGM
pour le consommateur. Cette stratégie est soulignée par la signature de l’entreprise qui était
à l’époque, rappelons-le : « Nutrition. Santé. Avenir » Autrement dit, quelque chose qui n’a
pas encore véritablement été mis en valeur. Il s’agit de sensibiliser le consommateur en lui
montrant quels sont les avantages directs qu’il pourrait tirer des biotechnologies végétales.
En effet, dans le contexte de l’introduction des PGM, on se rappellera la mise sur le marché
anglo-saxon de la purée de tomate Zeneca ; purée composée de tomate au mûrissement
retardé ; il s’agissait là du seul produit génétiquement modifié qui touchait directement le
consommateur. Tous les autres produits ne concernaient que les agriculteurs. Monsanto
évoque aussi la possibilité de produire des alicaments. En rendant visible les avantages de la
technologie, il est évident que Monsanto répond à la question « à quoi ça sert », qui est une

369
des principales raisons pour laquelle les consommateurs semblent ne pas vouloir adhérer à la
technologie.

Le Troisième message publicitaire est un plaidoyer pour l’aspect naturel des


biotechnologies végétales. Il s’agit ici de contrecarrer l’argument selon lequel « la nature ne
produit pas d’OGM ; c.q.f.d. « les plantes issues des biotechnologies végétales sont
artificielles, et les biologistes qui les produisent sont au mieux des bricoleurs, au pire des
apprentis sorciers ». L’accroche est originale et provocatrice à la fois : « Combien de pages
de publicité ont été nécessaires pour convaincre les Grecs de manger des fruits nés des
premières techniques de greffage en 300 avant J.-C. ? » Il s’agit, une fois de plus de susciter
la réaction du lecteur en lui faisant prendre conscience par un effet miroir à la fois de
l’ancienneté de la technologie et donc de l’aspect ridicule de ses craintes. En replaçant les
biotechnologies végétales dans une histoire plus ancienne (« Aujourd’hui, nous allons vous
expliquer comment sont nées les biotechnologies. Depuis que l’homme existe, il ne s’est pas
contenté de faire pousser des plantes. Il les a sans cesse adaptés à ses besoins. La plupart
des végétaux que nous mangeons aujourd’hui n’existaient pas avant que l’homme n’invente
l’agriculture »). Il s’agit donc de démasquer les nombreuses croyances qui séparent l’homme
moderne de la réalité agricole747 et de balayer l’idée fausse selon laquelle «les produits de la
nature seraient issus directement de la nature sans l’intervention de l’homme » ; en fait
l’homme se trouve à l’origine de quasiment toutes les variétés qui existent aujourd’hui. Pour
cela Monsanto donne des exemples : les Indiens péruviens sont à l’origine du maïs, le colza
est issu d’un croisement du radis et du chou : « Depuis des centaines d’années, les
agriculteurs sélectionnent et croisent les plantes entre elles pour les améliorer, afin d’obtenir
des végétaux mieux adaptés à nos besoins nutritionnels et plus savoureux. » L’annonce en
conclut donc que « Les techniques de modifications génétiques des végétaux sont aussi
vieilles que l’agriculture, mais elles se sont considérablement perfectionnées au fur et à
mesure que l’homme découvrait les fondements de ce qu’il pratiquait au hasard
auparavant. » Connaître le matériel génétique que l’on introduit dans les PGM est donc un
véritable progrès, ce qui n’était pas le cas de la sélection classique qui ignorait le matériel
génétique qu’elle croisait. Monsanto se place alors sous l’autorité de Mendel, Crick et
Watson, l’inventeur de la génétique et les découvreurs de l’ADN qui ont, par les fondements
qu’ils ont posés, rendu possible les biotechnologies végétales : « ces dernières permettent la
sélection précise d’un gène puis son intégration dans le capital génétique d’une variété
végétale et ouvre des possibilités nouvelles insoupçonnées jusqu’ici. » En se situant dans la

747
Voir à ce sujet sondage IPSOS : Opinion des français sur les OGM, CFS/GNISS/UIPP, Février 2002.

370
continuité de leurs prédécesseurs et en faisant mieux et plus rapidement ce qu’ils faisaient
déjà, « ces techniques vont permettre de rendre l’agriculture plus performante, tout en
accélérant le progrès de l’alimentation sur le plan gustatif et nutritionnel. » Cette
rétrospective historique est une justification qui permet de donner une garantie au
consommateur. Contrairement à ce qu’affirment les détracteurs qui prétendent que les
biotechniciens ne savent pas ce qu’ils font, il est dit ici qu’ils ont une plus grande maîtrise.
(On notera dans cette annonce, la présence d’une illustration représentant des plaquettes en
argile sur lesquelles apparaît un texte grecs. )

La 4ème annonce est une « mise en perspective ». Il s’agit ici de sensibiliser le lecteur sur
un point bien précis : PGM pharmaceutiques qui se trouvent en prévision sur le marché. A
l’époque, l’écart qui existe entre la popularité des plantes et les médicaments issus des
biotechnologies a quelque chose de frappant pour un esprit scientifique. Il peut paraître
illogique de vouloir rejeter les PGM alors que l’on admet les médicaments issus des
biotechnologies. Pour cette raison, Monsanto tente de faire prendre conscience au public de
l’incohérence de son raisonnement. Il s’agit ici d’unifier, ou plutôt de réunifier les différentes
applications des biotechnologies : « C’est prouvé, les biotechnologies sont nocives. Pour les
maladies. » On sera attentif à la construction de l’annonce : le lecteur lit une première
assertion qu’il applique (les sondages le disent) au « biotechnologies végétales » et non pas
aux « biotechnologies médicales », puis il découvre la totalité du message : « C’est prouvé,
les biotechnologies sont nocives pour les maladies ». Autrement dit, l’effet d’annonce permet
de regrouper sur le même plan toutes les biotechnologies. Le texte démontre alors une
double similitude : il y a tout d’abord une identité implicite. Qu’il s’agisse de médicaments ou
de plantes, c’est la même technologie qui se trouve à l’œuvre. Pour cette raison, l’annonce
commence par parler des médicaments issus des biotechnologies : « Sur 10 médicaments
récemment homologués par l’Agence Européenne du Médicament, 7 sont issus des
biotechnologies… » Cet argument ne peut être qu’approuvé par le lecteur qui, logiquement
doit aussi apprécier que « Dans les prochaines années, les biotechnologies végétales vont
considérablement contribuer au progrès de la médecine » ; C.Q.F.D., les biotechnologies
végétales peuvent, elles aussi, servir une cause appréciables et pour laquelle le
consommateur se sent concerné. Ainsi, Monsanto introduit auprès du consommateur une
des nouvelles notion encore méconnue, mais qui pourrait bien changer l’avis de l’opinion
générale : « Les biotechnologies végétales permettent d’utiliser les plantes comme des
usines naturelles pour fabriquer des molécules pharmaceutiques. » Plus pures, ces molécules
n’entraîneront pas de phénomène de rejet, elles seront également plus faciles à stocker.

371
Monsanto donne ensuite des exemple de protéines qui peuvent être produites : produire la
lipase à l’aide de colza pour aider au traitement de la mucoviscidose, produire de
l’hémoglobine, de l’albumine…. En mettant l’accent sur ces nouvelles possibilités des
biotechnologies végétales, Monsanto cherche, bien évidemment à changer l’image de
marque des biotechnologies végétales. Il s’agit de transformer le sentiment de peur en
espoir.

La 5ème et dernière annonce est le point d’orgue du feuilleton. Il s’agit de donner la raison
ultime du recours à la technologie PGM : « l’argument de la faim dans le monde. » Cet
argument, comme on l’a vu, s’articule en 2 moments : d’une part les biotechnologies sont
des solutions pour résoudre les problèmes actuels de production des PVD ; d’autre part, cet
argument qui s’applique à court terme sur une partie de l’humanité, s’applique de manière
encore plus évidente à très long terme sur toute l’humanité. On notera encore, le souhait de
Monsanto de démasquer les a priori ou de chasser les fausses croyances. C’est une fois de
plus l’objet du visuel (une motte de beurre avec un timbre poste) et de l’accroche : « Il faut
envoyer le surplus des pays riches pour vaincre la malnutrition dans le monde. » Sous cette
têtière humoristique, on trouve le commentaire « Vous venez de lire une publicité
mensongère. » Le texte est volontairement provocateur afin de pousser les individus à une
prise de conscience. Le texte explicatif, lui, démonte l’argument cher aux associations
humanitaires. Ici Monsanto répond aux attaques des ONG qui ont dénoncé l’hypocrisie de
l’argument de la faim dans le monde et qui affirment que les biotechnologies sont
impuissantes à résoudre ce problème récurant qui ne dépend en fait que d’une meilleure
répartition des richesses : « On sait malheureusement aujourd’hui qu’il ne suffit pas
d’envoyer de la nourriture vers les pays défavorisés pour régler définitivement le problème
de la malnutrition dans le monde. La seule solution durable est de donner les moyens à
chaque pays de se prendre en charge pour produire plus et mieux…. » Après cette
attaque, Monsanto donne l’exemple du programme de la patate douce. La stratégie est
impeccable : après avoir désamorcé la bombe, Monsanto fait taire une autre rumeur qui dit
que les firmes qui pratiquent les biotechnologies n’ont rien à faire de la situation des PVD et
n’utilisent l’argument de la faim dans le monde que pour se donner une image acceptable :
« Des programmes de recherche sont actuellement en cours, en partenariat avec de
nombreux pays en voie de développement pour mettre au point des plantes adaptées aux
besoins locaux .» Un exemple : le programme sur la patate douce qui a été mis en route
avec l’Institut de recherche agronomique du Kenya et l’Agence Américaine pour le
développement International (Objectif atteint en 1995). Cette démonstration faite, Monsanto

372
élargit le débat à la justification de la technologie en elle-même : « Plus largement, les
biotechnologies offrent de réelles perspectives pour faire face à la croissance des besoins
alimentaires tout en préservant l’environnement. » Argument que nous avons déjà largement
étudié : la population augmente, les sols se dégradent, pour produire plus, il faut défricher :
« Grâce aux biotechnologies, on pourra mettre au point des plantes qui nécessiteront moins
d’engrais, d’eau et de produits phytosanitaires et pousseront dans des conditions climatiques
ou de cultures plus difficiles en résistant mieux à la chaleur, au gel ou aux sols salins. » La
conclusion est une mise en garde : « Sans l’utilisation de cette nouvelle technologie, il
faudrait défricher 2500 millions d’hectares supplémentaires pour pouvoir, à rendement
constant, nourrir les 10 milliards d’habitants que devrait compter la planète en 2050.
Aujourd’hui, les biotechnologies offrent une alternative favorable à la fois pour l’homme et
pour l’environnement. »

Comme on le constate, ce « feuilleton publicitaire » offre un panorama quasi complet de


toutes les thématiques propres aux biotechnologies végétales et répond à toutes les
questions que se posent les consommateurs. La stratégie de Monsanto est la suivante :
reprendre les inquiétudes du grand public (on peut se douter que les références ici sont les
études de l’eurobaromètre), les énoncer sous forme de paradoxe ou de manière incohérente
et désamorcer cette croyance :
- Les français se méfient des biotechnologies, mais il ne savent pas les définir ; d’où la
nécessité de leur expliquer.
- L’amélioration des plantes par la biotechnologie végétale n’a rien de farfelue ni de
superflue, elle est une technologie utile qui contribue à l’amélioration de
l’alimentation et de la santé.
- L’agriculture a toujours consisté dans la sélection des caractères des plantes qui
correspondaient au besoin des hommes ; les biotechnologies végétales s’inscrivent
dans cette démarche et l’améliorent.
- Il n’y a aucune raison de percevoir une différence entre les biotechnologies végétales
et les biotechnologies à usage médical, d’autant plus que tous les espoirs sont permis
de penser qu’il sera bientôt possible de produire des médicaments à l’aide des PGM.
- La solution des problèmes des PVD ne consiste pas dans une meilleure répartition des
richesses, mais dans la capacité du transfert de technologies, et entre autres, des
biotechnologies ; de même qu’à long terme, la possibilité de nourrir la planète
dépendra de la possibilité de développer celles-ci.

373
Ce feuilleton « publicitaire » est complété par 4 autres annonces qui paraissent de manière
aléatoire et reprennent certains des thèmes qui ont déjà été vus. On notera que ces
annonces sont moins théoriques et beaucoup plus orientées vers le produit. Aussi chaque
publicité utilise des exemples d’aliments génétiquement modifiés. On trouve en bas de
chacune d’elle une note de bas de page qui dit : « Aucun légume, pomme de terre ou fruit
frais issu du génie génétique n’est actuellement autorisé à la culture ou à la
commercialisation en France. »
La première annonce aborde le problème de la sécurité alimentaire des PGM. Un
visuel de pomme de terre sur lequel on trouve un tampon où il est inscrit : « produit au
Canada et aux USA » L’accroche précise: « ce légume a mis dix ans pour pousser. »
L’argumentaire, lui, compare les plantes issues des biotechnologies et celles issues de la
sélection classique. L’accent est mis sur la sécurité : « Il faut 10 ans en moyenne, entre les
premiers travaux en Laboratoire et la commercialisation d’une nouvelle variété de plante
issue des biotechnologies. L’évaluation scientifique et réglementaire est presque aussi longue
que pour un nouveau médicament. » Ici, Monsanto rassure autant les consommateurs qu’il
répond aux détracteurs qui affirment que les PGM n’ont subi aucun contrôle sérieux. Ainsi, le
soja issu des biotechnologies a fait l’objet de plus de 1200 études avant sa mise sur le
marché : « étude en serre, mise en culture expérimentale dans les champs, élaboration d’un
dossier scientifique détaillé relatant toutes les phases de sa mise au point et les détails des
contrôles qui ont été effectués pour prouver sa parfaite innocuité (caractère non allergisant,
neutralité pour l’environnement…). Monsanto précise encore que ces études ont été réalisées
par des instituts privés et publiques et que toute plante génétiquement modifiée ne peut être
importée sur le sol européen qu’après avoir fait l’objet d’une évaluation supplémentaire par
les experts de la communauté européennes et fait en plus l’objet d’une autorisation par les
instances communautaires. Tous les arguments sont donc ici alignés avec pour objectif de
rassurer le consommateur. Qu’il s’agisse du nombre d’études, de leur nature, des acteurs qui
en sont à l’origine, et des instances qui ont validé.

Une deuxième annonce concerne le thème de la sécurité environnementale. On


comprend immédiatement qu’il s’agit de dédramatiser une situation créée par des
événements qui ont fait la une des médias et suscité les réactions des environnementalistes.
Ces derniers en effet sont directement visés par l’accroche: « Pour plus d’écologie gie gie, la
biotechnologie gie gie » et le visuel qui représente un poing fermé sur un maïs. Cette
évocation ironique du militantisme a pour objectif de montrer au lecteur neutre, la forte
politisation du débat. L’argumentaire, lui, va à l’encontre de la rumeur et explique comment

374
les biotechnologies peuvent contribuer à une agriculture plus respectueuse de
l’environnement. Monsanto aborde le problème de fond : l’agriculture pourrait-elle se passer
de chimie, le moyen actuel le plus répandu de protéger la production de plantes ? Monsanto
répond alors en donnant une définition de l’agriculture biologique : « Oui si l’on accepte de
perdre une partie des récoltes mangées par les insectes ou décimées par les maladies pour
que la partie restante soit cultivée sans produit chimique. C’est le projet de l’agriculture
biologique. Il est ambitieux mais inapplicable à grande échelle : comme la population
augmente et que les surfaces cultivables baissent, on ne peut pas se permettre de produire
moins » A l’agriculture biologique, on préférera donc l’agriculture issue des biotechnologies :
en effet, celle-ci en plus d’être aussi respectueuse de l’environnement permet de conserver
les mêmes rendements. Cette annonce, fait donc de Monsanto un militant des
biotechnologies.

Une troisième annonce aborde un problème crucial pour le consommateur français:


celui du goût. L’accroche est posée en forme de devinette : « Ces 2 petits pois ont le même
goût, mais lequel issu des biotechnologies est le plus riche en acides aminés essentiels ?
Perdu » (en visuel, on trouve 2 petits pois piqués sur une fourchette) Cette annonce rappelle
celles du « feuilleton » ; il s’agit, une fois de plus, de susciter l’intérêt du consommateur en
déjouant ses croyances : entre autre, ici celle qui affirme que les biotechnologies végétales
pourraient se trouver à l’origine d’une détérioration du goût des aliments. Ici c’est le
contraire qui est démontré. Ainsi, contrairement à ce que nous avaient prédit les
futurologues, nous ne nourrissons pas de pilules, mais, d’aliments qui ont de plus en plus de
goût. Déjà aujourd’hui les techniques de sélection classique permettent de sélectionner les
goûts en fonction des attentes du consommateur ; demain, les biotechnologies joueront ce
rôle : « Par exemple, la durée de conservation de certains fruits et légumes pourra être
allongée. Le goût et la qualité nutritives de ces aliments seront donc préservés encore plus
longtemps. » De même on pourra produire des aliments meilleurs pour la santé…

Une quatrième annonce, enfin, aborde le thème de l’étiquetage en renversant


l’argumentaire pour lequel celle-ci est établi : « Vous avez le droit de savoir ce que vous
mangez. Surtout quand c’est meilleur. » (en visuel, on trouve un melon attaché à une
étiquette géante dans lequel on trouve l’argumentaire). Cette campagne fait suite à
l’adoption de la loi sur l’étiquetage par la commission européenne. Monsanto, soucieux de ne
pas se mettre en porte à faux par rapport aux institutions commente : « Nous saluons cette
avancée, car nous pensons que les produits issus des biotechnologies doivent être étiquetés

375
car ils présentent de nombreux avantages. » L’annonce présente alors 3 types d’avantages
qui méritent d’être signalés : pour la nature (plantes qui produisent naturellement leur
propre insecticide), pour le consommateur (plantes qui conservent leurs qualités), pour la
santé enfin (plantes qui présenteront prochainement des qualités nutritives). En conclusion,
Monsanto encourage, en plus de l’étiquetage, l’information du public et elle invite tous ses
partenaires à l’aider dans cette entreprise, afin d’aller vers « une plus grande clarté, une plus
grande transparence. »

Alors que la première campagne, qui se trouvait dans la presse quotidienne avait
essentiellement un contenu que l’on peut qualifier de théorique (en effet, il s’agissait de
comprendre, de donner un sens, de donner une histoire, de comparer et de justifier) ici, on
s’adresse plus directement au consommateur et aux problèmes concrets que celui-ci se
pose : sécurité alimentaire, sécurité environnementale, goût et enfin, possibilité de choisir.
On remarquera que le médiaplanning a été parfaitement orchestré. En effet, les grands
quotidiens régionaux se prêtent plus à ce genre de sujet de fond. Quant aux magazines, ils
sont des supports idéaux pour des « publicités dites produits », même si le produit ne se
trouve pas sur le marché. La volonté que Monsanto a de détruire les préjugés et d’installer
les arguments qui permettent de défendre les biotechnologies reste cependant identique
dans les 2 campagnes. Aussi, dans cette opération, il y a bien la volonté de donner une
leçon. Même si les argumentaires font tous preuve d’une grande humilité, le ton des
accroches contient une certaine impertinence et est volontiers provocateur. Mais plutôt que
de penser qu’il s’agit là d’une attitude de mépris à l’égard d’un public ignorant dont on se
moque gentiment, on pensera que Monsanto veut susciter une réaction forte et attirer
l’attention. Il y a ici un véritable appel à la raison des lecteurs. De ce point de vue, la
technologie et la science valent comme un argument d’autorité. On peut donc se passer de
gants pour convaincre. La position des protagonistes des biotechnologies a toujours été,
rappelons-le, que le défaut d’acceptation des PGM est dû au manque d’information. Le fait
d’avoir négligé le public pendant des années reste encore à l’époque la principale explication
du refus a priori des solutions offertes par un progrès dont le public ne comprend pas très
bien le but (d’où la campagne explicative) et dont on a plutôt peur (d’où la campagne
d’assurance qualité). En chassant les préjugés et en fournissant les bonnes informations, on
ne peut que réussir à convaincre.
On sera sensible à l’extrême qualité de cette campagne et à la remarquable
construction de chacun des argumentaires : du point de vue de la vulgarisation scientifique,
elle vaut largement certains articles de journaux que l’on a pu trouver. Pourtant, Monsanto

376
n’a pas réédité cet exploit. Tout du moins pas en son nom. Car comme on va maintenant le
voir, cette volonté d’informer le citoyen sur les biotechnologies végétales va se poursuivre
par d’autres moyens. Aussi, cet objectif n’a jamais cessé, même si comme on peut le penser,
il s’est nuancé avec l’intégration d’une nouvelle dimension qui fait preuve de la bonne foie de
la société ainsi que de sa capacité à évoluer : « la volonté manifeste d’écouter. » Deuxième
tendance qui va se dessiner au début de l’année 2000, c’est la décision des industriels de
faire cause commune face à l’adversité et de créer des associations ou d’utiliser celles qui
existent déjà afin de disposer de relais d’opinion.

Communication corporate, mutualisation des forces et relais d’opinions


La première tentative de communication en commun vraiment remarquable sur le sujet des
PGM en France fut celle du Livre Blanc748 de la plate-forme interprofessionnelle des
semenciers, le CFS, GNISS749, UIPP. Cet ouvrage, qui comme son nom l’indique, se veut un
mémento institutionnel des biotechnologies végétales, présente sous couvert des institutions,
les avantages de celles-ci. La préface de ce Livre Blanc est signée de Henry de Lumley,
directeur du Muséum d’histoire naturelle et définit parfaitement les objectifs de celui-ci :
contre les fantasmes apocalyptiques des journalistes et des écologistes qui ont un peu trop
poussé ces derniers temps, « Ce “livre blanc” a l'immense mérite d'expliquer, clairement,
sans passion, tous ces possibles et de faire le point sur l'état actuel de nos capacités. J'ai
tenu à saluer cette initiative et le travail pédagogique accompli par les auteurs. »750 Cet
ouvrage est composé de 4 parties : la première resitue les biotechnologies végétales dans le
contexte historique de la sélection agricoles des plantes et en donne une définition (Un
progrès continu des techniques au service de l’alimentation). On y trouve une comparaison
intéressante avec la révolution verte. La deuxième partie énumère les avantages pour
l’agriculture et pour le consommateur ainsi que les différentes applications (Les
biotechnologies : effets attendus dans la production agro-alimentaire). La troisième partie,
traite de l’environnement et passe en revue les risques potentiels (Environnement et
biotechnologies). La quatrième partie, une introduction au débat de société, définit 5
catégories d’acteurs en présence (les termes du débat). On retiendra ici un message

748
CFS.GNISS.UIPP, le Livre Blanc des Plantes Génétiquement Modifiées, une clé pour l’avenir.
749
Organisme à la fois officiel et interprofessionnel, le GNIS - Groupement National Interprofessionnel
des Semences et plants - rassemble toutes les professions concernées par l'activité semencière. Il est
un espace de concertation qui permet aux professionnels de définir ensemble la politique de
développement de la filière semences. Sous tutelle du Ministère de l'agriculture, il est aussi une force
de proposition pour l'élaboration de la réglementation applicable au secteur semences. Enfin, par
délégation des pouvoirs publics, il est chargé de veiller à la bonne application de cette réglementation
et de contrôler l'ensemble de la filière semences.
750
Ibid., p.3.

377
fondamental : si la plate-forme syndicale a pris la peine d’informer le consommateur, c’est
pour relancer le débat : « Accorder la priorité au consommateur, c'est avant tout garantir
son droit à accéder à l'information. C'est dans une telle démarche que s'inscrit ce Livre
Blanc. » Aussi, il s’agit de bien informer le lecteur pour persuader celui-ci que les
biotechnologies végétales n’ont pas seulement un objectif commercial, mais qu’elles sont un
atout pour l’ensemble de la société. Aussi, c’est à cette dernière toute entière qu’il revient
d’examiner le rôle que peuvent jouer les PGM dans la résolution des problèmes
d’alimentation : « Au-delà des seules perspectives économiques qui cristallisent les
problématiques de marchés, et où l'Europe se doit d'exister et de se faire entendre, c'est de
l'alimentation humaine en général qu'il s'agit : la nôtre, où la notion de qualité a pris le pas
sur la quantité, mais aussi et surtout celle de pays où l'accès à l'alimentation est encore un
objectif à atteindre. Les outils du génie génétique présentent, ainsi que nous avons pu le
découvrir au fil de ce Livre blanc, des atouts indéniables au service du développement
durable. L'utilisation raisonnée des plantes génétiquement modifiées peut en effet, au-delà
de leur viabilité économique, participer à l'amélioration de la viabilité écologique. »751 Un
message que les rédacteurs du Livre blanc souhaitent adresser au public et aux politiques
pour qu’ils sachent décider. On notera qu’il est possible de télécharger gratuitement le Livre
Blanc sur le site www.ogm.org , un site également mis en place par la plate-forme
CFS.GNISS.UIPP. Ce site informe l’Internaute sur les développements des biotechnologies.
On y trouve de nombreux communiqués de presse, les questions les plus fréquemment
posées...
Cette tendance qui consiste à informer le public en mettant à sa disposition des
données, s’est développée également aux Etats-Unis avec la mise en place du CBI (council
for biotech information) et de leur site www.whybiotech.com. De la même manière que les
syndicats de semenciers français se sont regroupés pour communiquer, le CBI est né aux
Etats-Unis d’un regroupement des firmes de biotechnologies végétales afin de répondre aux
inquiétudes naissantes du public américain. Whybiotech se définit comme une association
pour l’information sur les biotechnologies. Elle a vu le jour en Avril 2000, sous l’impulsion de
7 leaders de biotechnologies et deux associations commerciales afin de créer une plate-
forme de communication basée sur un mixte de recherche, de publicité, de relations presse
et de relations institutionnelles. On trouve à l’origine de cette initiative BASF, Bayer
CropScience, Dow, DuPont, Monsanto, Syngenta et les organisations BIO et CropLifeAmerica.
Le CBI définit ainsi sa mission : « améliorer la compréhension et l’acceptation des
biotechnologies en regroupant de l’information équilibrée, crédible et scientifiquement

751
CFS.GNISS.UIPP, Ibid., p.45.

378
fondée afin de la communiquer au travers de différents supports. »752 La philosophie, quant
à elle, est toujours la même : les biotechnologies végétales ont le potentiel pour
approvisionner la population croissante du monde avec une nourriture plus abondante et de
meilleure qualité. Aussi, beaucoup d’individus ignorent les avantages de cette technologie.
Plus les gens apprennent sur les biotechnologies, plus ils apprécient les bénéfices qu’elles
apportent753, par conséquent, il semble logique que tout le monde supporte cette
technologie.
Le CBI met à la disposition de tous une quantité de documents, dont la plupart sont
édités par ses soins. Ainsi, il en va d’une quantité de fiches de synthèses réalisées à partir
d’information scientifiques à télécharger sur des sujets aussi diversifiés que le Papillon
monarque ou encore l’érosion des sols. Le CBI édite également des documents de nature
plus publicitaires comme la plaquette événementielle qui a paru à l’occasion de la célébration
du 20ème anniversaire des biotechnologies végétales : une véritable rétrospective à la gloire
de la technologie et des avancées qu’elle a produit dans lequel on trouve un témoignage de
tous les acteurs essentiels qui ont participé au développement des PGM754.

En France, une démarche 100% identique a été lancée avec l’association « DEBA »
(Débats et Echanges sur les Biotechnologies en Agriculture). Créée en 2002 par les
industriels qui se trouvent à l’origine du CBI (Basf, Bayer CropScience, Dow AgroSciences,
DuPont-Pioneer Semences, Monsanto et Syngenta). Tout comme ce dernier, l’association
DEBA se fixe pour objectif d’informer le citoyen afin de le convaincre du bien fondé des
progrès de la biotechnologie végétale. Cette initiative se démarque cependant par sa volonté
de dialoguer et de créer un véritable lieu d’échange sur le sujet. Ainsi on peut lire en page
d’accueil du site Internet : « Aussi, dans un souci de transparence, DEBA ouvre ce site
d’information et d’échanges afin de donner accès à des données actualisées, de répondre à
des questions légitimes et de susciter un dialogue constructif sur les plantes transgéniques.
Sur ce dossier complexe, les opinions des différents acteurs -agriculteurs, consommateurs,
agro-industriels, distributeurs, scientifiques, professionnels de la santé et pouvoirs publics-

752
« Our vision and mission is to improve understanding and acceptance of biotechnology by
collecting balanced, credible and science-based information, then communicating this information
through a variety of channels », Linda Thrane, executive director, édito de la page d’accueil de
www.whybiotech.com
753
« Plant biotechnology has the potential to provide more and better food for a growing world
population while helping steward the environment. That means better quality of life for real people
with real appetites and real needs. What our work over the past two years has shown is that the more
people learn about biotechnology, the more they appreciate the benefits it offers to their families and
to the world…. » Ibid.
754
CBI, Celebrating the 20 years of Plant Biotechnology, realizing the promise of innovation,
yesterday, today and tomorow. 2003.

379
doivent pouvoir s’exprimer en toute sérénité. Ce site se propose donc d’être un lieu
d’échanges de qualité permettant de faire avancer le débat. »755
Ce détail est important quand on connaît la situation respective des PGM en France et
aux Etats-Unis. Dans ce dernier pays, on sait que les inquiétudes sont apparues tardivement
et en réaction à une situation de faits756, alors qu’en France la contestation est apparue sans
qu’aucune culture de PGM n’ait eu lieu. Aussi l’objectif des entreprises de biotechnologies au
travers de cette association est, dans un premier temps, de pouvoir renouer avec le
dialogue. En effet, les esprits s’étant tellement échauffés, qu’il semble difficile pour les
protagoniste de mener une campagne de communication au vrai sens du terme ou encore
comme celle que l’on a étudié en détail. On constate donc qu’en très peu de temps, les
positions des entreprises de biotechnologies végétales ont évolué et il ne s’agit plus de
vouloir persuader aveuglement en montrant l’incohérence des raisonnements contraires à
tout raisonnement scientifico-technique ; il s’agit bien plutôt, d’informer en réalisant une
communication de proximité et hors médias. C’est ainsi, par exemple, que l’on trouve une
quantité d’articles de toutes sortes sur le site Internet de l’associations ainsi qu’un moteur de
recherche. On notera également la présence d’une tribune destinée aux journalistes.
Comment s’organise la stratégie de communication de cette association et quels
types de documents publie-t-elle ? On notera la parution de plusieurs brochures portant sur
des thèmes chers aux PGM.

OGM et santé
Il s’agit là d’une double brochure : l’une est un livret 16 pages757 avec bon de commande ; il
est distribué aux professionnels de la santé (« document médecin »). Le coupon-réponse
permet aux médecins de passer commande de la brochure « OGM et santé, parlons-en »
ainsi qu’un chevalet de présentation et une affichette pour distribuer aux patients en salle
d’attente. La stratégie s’est donc développée dans le sens d’une ouverture sur l’espace
public: il s’agit dans un premier temps d’informer les médecins en leur envoyant un
document de synthèse sur le sujet OGM et santé, afin de les aider à aborder le sujet avec
leurs patients. Il s’agit d’une communication de proximité. En se rapprochant de l’autorité
des médecins, l’association DEBA cherche à mettre de son côté des autorités scientifiques et
compétentes afin que celles-ci informent à leur tour et dédramatise un sujet qui peut
difficilement être abordé aujourd’hui dans la presse grand public.

755
Page d’accueil du site www.ogm-debats.com
756
Pierre-Benoit Joly, Claire Marris, Olivier Marcant La constitution d'un "problème public" : la
controverse sur les OGM et ses incidences sur la politique publique aux Etats-Unis, Janvier 2001.
757
DEBA, OGM et santé, parlons-en.

380
Quel est le contenu général de ces documents ? En ce qui concerne le document destiné
aux praticiens : il s’agit dans un premier temps de rappeler l’historique de la transgenèse et
des PGM : « La transgenèse, découverte il y a 30 ans, s’est largement développée car elle
est utilisable en agriculture, en chimie et en médecine », puis de sensibiliser le médecin
« Aujourd’hui, le consommateur est demandeur d’informations sur les risques potentiels des
OGM, sur leurs bénéfices alimentaires et sanitaires et il n’est pas rare que le praticien soit
interrogé par ses patients. » Ce document a donc pour vocation de fournir des arguments
pour l’aider à répondre.
- Le premier sujet abordé est l’évaluation de l’innocuité des plantes et des aliments
transgéniques : le guide met l’accent sur le fait que les autorisations sont données au
niveau européen et national : « sur le territoire national des contrôles stricts de
commissions indépendantes comme le CGB et l’AFSSA… ».
- Vient ensuite le problème des risques sanitaires : « de nombreux tests garantissant
leur innocuité, en conformité avec la réglementation générale européenne « Novel
Food » ; il est fait état également de « l’équivalence substantielle ». Le document
rappelle comment sont effectués les tests de toxicité et de risque d’allergie.
- A la question : « la consommation d’aliments transgéniques peut-elle augmenter les
risques d’allergie ? ». Il est dit : « A ce jour, aucun risque allergique nouveau n’a été
identifié avec les aliments issus de plantes transgéniques commercialisées. » Tous les
tests sont réalisés. De plus « La modification génétique peut aboutir à la production
de plantes qui réduisent le risque allergique. »
- Le 4ème point concerne la valeur nutritionnelle des aliments issus de plantes
transgéniques »
- Le 5ème point se demande si les aliments transgéniques vont favoriser la résistance
des germes aux antibiotiques. Il est affirmé « qu’aucun transfert n’a été mis en
évidence à ce jour » ; en outre le document relate un avis de l’AFSSA de janvier 2002
(risque non démontré, présence des gènes de résistance très élevé chez les
bactéries, autres usages des antibiotiques) qui rend quasiment nul le risque de
transfert au travers des PGM surtout que de nouvelles technologies permettent
aujourd’hui de se passer totalement d’antibiotique comme gènes marqueurs.
- Le 6ème point aborde les applications actuelles et en développement des PGM dans le
domaine de la santé.

En conclusion, le guide rappelle que fin Octobre 2000, Philippe Busquin, Commissaire
européen en charge de la Direction Générale de la recherche a rendu public les résultats de

381
15 années de recherche sur la sécurité en matière de PGM (en tout 80 projets qui ont
impliqué 400 équipes de recherche et coûté 70 millions d’euros) : « A ce jour, aucun signe
de problème notable posé par les produits et les processus issus des nouvelles technologies
n’a été relevé.» Ces résultats étant méconnus du grand public, il « apparaît donc essentiel
que la communauté scientifique et médicale dans son ensemble participe à la diffusion des
connaissances dans ce domaine, en réponse à des interrogations sociétales légitimes. » Les
médecins sont donc invités à devenir relais d’opinion.
La brochure grand public, elle, aborde les mêmes problèmes de manière simplifiée. On
retrouve tous les thèmes « allégés » et les références bibliographiques ont été supprimées.
On sera attentif à la conclusion ; après avoir repris l’argument selon lequel les quinze années
d’études qui ont été menées au niveau européen n’ont pas permis de découvrir de problème
notoire, il est notifié que « l’acceptation – ou le refus – des OGM n’est pas dû au seul ressort
des scientifiques ou des pouvoirs publics. Elle résulte avant tout d’un choix raisonné des
consommateurs, des patients et de leurs médecins, et exige information et transparence. »
Cette conclusion démontre à quel point la stratégie de communication a intégré l’élément du
dialogue. Il est nécessaire d’informer pour mieux dialoguer, mais il ne s’agit plus ici de tenter
de démontrer son incohérence au consommateur avant de lui assener une série de vérités
scientifiques ; il s’agit de lui donner des informations fiables qui lui permettent de mieux
juger et donc de participer au débat.

Une autre brochure publiée par l’association DEBA traite de l’agriculture durable758. On
notera que ce document a été imprimé sur papier recyclé et adopte un style très champêtre
(dessins à l’aquarelle …) Elle s’adresse aux agriculteurs et à tous ceux que le sujet intéresse.
En introduction, on retrouve l’argument classique de l’agriculture qui a su s’adapter aux
besoins et qui devra s’adapter demain à la croissance de la population tout en respectant
l’environnement. On notera la discrétion du ton adopté : en effet, il faut attendre la fin de la
2ème page, après l’exposé de tous les problèmes que la nouvelle agriculture aura à
surmonter, pour découvrir que parmi ces solutions se trouve le génie génétique. Il n’y a donc
plus de mise en avant, qui plus est, avant même que le terme apparaisse, il est fait état de
« respect des choix citoyens » en plus de la nécessité de préserver l’environnement. Les
pages 4 et 5 proposent un développement sur les capacités des biotechnologies végétales :
une fois de plus, la discrétion est de mise : il est fait état dans un premier temps de
l’amélioration de la sélection variétale grâce à la possibilité de décrypter le génome ; ensuite,
de l’introduction de caractères utiles et qui solutionnent de véritables problèmes ; par

758
Deba, biotechnologies & Agriculture durable

382
exemple, les plantes auxquelles on a introduit un gène capable de les protéger contre un
virus (la papaye et la patate douce). Les pages 6 et 7 abordent la possible amélioration de la
production : cette amélioration passe par 3 points : la protection des cultures, le
développement des qualités nutritionnelles et thérapeutiques. Détail intéressant : il est fait ici
mention du riz doré ; or le texte précise que : « Alors qu’il n’est pas possible, dans certains
pays en développement, de diversifier les régimes alimentaires, l’enrichissement en
protéines, vitamines et minéraux de certaines plantes traditionnellement consommées
permettrait d’améliorer significativement leurs qualités nutritionnelles. » On comprend ici que
cet argument est une précaution qui a pour objectif de contrecarrer les critiques de ceux qui
affirment que plutôt que de développer les biotechnologies on ferait mieux de favoriser la
diversification des menus en encourageant la biodiversité. Les pages 8 et 9 concernent le
respect de l’environnement : il s’agit de préserver les sols et la biodiversité (on pensera à la
controverse du Golden Rice). Pour la protection des sols, la technologie Bt permet de limiter
le recours aux insecticides ; quant au soja RR, « il permet une souplesse dans les rotations
culturales, supprime le travail au sol préalable au semis – la faune du sol est alors préservée
– et diminue globalement l’intervention des agriculteurs. La lutte contre la pollution des sols
enfin, pourra être assurée par des PGM « capables d’accumuler dans leur tige et dans leurs
feuilles certains d’entre eux. » et la pollution de l’air pourra être combattue grâce à un usage
plus fréquent de biocarburants. Les pages 10 et 11 enfin, justifient la dimension
internationale du développement de l’entreprise : « En 2002, seize pays à travers le monde
ont produit des plantes transformées, principalement du soja, du maïs, du coton et du colza
sur une surface totale de 58 millions d’hectares. Près de 6 millions d’agriculteurs, dont plus
de 4,5 millions dans les pays en développement, ont adopté cette technologie. »
Il est donc nécessaire d’aider tous les pays à mettre en place une politique agricole
respectant les exigences du développement durable et donc, il est nécessaire d’évaluer au
cas par cas l’utilisation des biotechnologies. On remarquera enfin, une citation de la
Déclaration sur les biotechnologies de l’ONU pour l’alimentation et l’agriculture (2001) « A
condition d’être judicieusement associées à d’autres technologies de production de denrées
alimentaires ou de produits et de services agricoles, les biotechnologies pourront, au cours
du nouveau millénaire, contribuer dans une large mesure à la satisfaction des besoins d’une
population en expansion et toujours plus urbanisée. »

On a vu ici la preuve supplémentaire d’un changement de stratégie de la part des


entreprises de biotechnologies : celles-ci ont intégré toutes les réclamations et sont
résolument décidées à s’ouvrir au dialogue. D’une part, il ne s’agit plus de démontrer au

383
public qu’il a tort, il s’agit de l’informer pour lui permettre de se faire sa propre opinion en
connaissance de cause, travail qui aurait dû être fait dès le départ, mais qui, à la suite d’un
oubli ou d’une négligence de la part des industriels de communiquer vers le grand public, n’a
fait l’objet d’aucune initiative particulière. Aussi la campagne d’information de 1998 est
venue a posteriori pour réparer d’une part cette erreur mais également pour tenter de
corriger les torts qui avaient été causés par les médias. Cette campagne ne pouvait endiguer
pourtant un mouvement qui se trouvait lancé et le public ne pouvait que percevoir comme
une agression cette tentative de lui montrer qu’il se trompait et la démonstration scientifico-
technique que lui imposait Monsanto. Aujourd’hui le respect des volontés des citoyens est
pris en compte ; il s’agit d’échanger et non plus de persuader. Ainsi la lettre mensuelle
d’information « Biotech actu », publiée par DEBA qui passe en revue les news des
biotechnologies végétales, a-t-elle pour sous-titre : « échanges et informations sur les
biotechnologies végétales ». Si les arguments restent les mêmes, la manière de les assener
est beaucoup plus réservée. Les biotechnologies végétales sont une des solutions du
développement durable. Même s’il n’était pas affirmé auparavant qu’elles étaient la seule
solution, il n’était pas non plus dit qu’il pouvait y en avoir d’autres. Aussi, si les entreprises
de biotechnologies végétales créent des associations pour communiquer, c’est parce qu’elles
souhaitent se faire oublier le temps que la polémique persiste. Le fait de se passer de la
marque donne une certaine crédibilité en institutionnalisant le discours. La mise à disposition
du public de supports variés (journaux, plaquettes informatives, support à la destination des
jeunes, guides pédagogiques…), la recherche de relais d’opinion va aussi dans le sens d’une
institutionnalisation radicale de la communication. Cette tendance était déjà présente dans la
campagne d’information de 1998, à ce détail prêt, que celle-ci avait encore recours à des
accroches publicitaires et communiquait en son nom. Autrement, dit, les entreprises de
biotechnologies ont parfaitement entendu la nature des critiques qui étaient portées à leur
égard. Qu’en est-il désormais de la communication des ONG ?

4.3.2 La stratégie des ONG environnementalistes : Greenpeace


Comme on vient de le voir, la stratégie de communication de la société Monsanto auprès du
grand public a essentiellement pour objectif d’informer. Toujours est-il que le souci du
dialogue reste primordial. Ce n’est pas le cas de la stratégie de communication adoptée par
Greenpeace. Comme on l’a déjà vu dans notre étude quantitative de la presse, le nom de
l’association écologiste apparaît plus de 265 fois dans les articles traitant des PGM sur les 4
quotidiens que nous avons pu étudier. On sait par ailleurs que Greenpeace est à l’origine du

384
« premier scandale médiatique » sur les PGM.

La philosophie de Greenpeace
L’association écologiste a fait des PGM son deuxième sujet de prédilection après le nucléaire.
Greenpeace est sans doute l’organisation non gouvernementale qui se manifeste le plus sur
le sujet après la « confédération paysanne » (on rappellera que José Bové cumule à lui seul
pas moins de 444 articles). On trouve également parmi les opposants les plus actifs Ecoropa,
l’association écologiste à la tête de laquelle milite Jean-Marie Pelt. En fait, Greenpeace a mis
en place un véritable dogme anti-PGM et possède son théoricien : Arnaud Apoteker759, un
permanent de l’association, recruté dès 1991, chargé de la campagne anti-PGM. Dès qu’elle
commence à s’intéresser aux PGM, Greenpeace les considère comme un problème de
pollution biologique et demande l’application du principe de précaution. Ainsi, dans l’ouvrage
sous la direction de Pierre-Benoît Joly, on trouve un témoignage d’un porte-parole de
Greenpeace : « Nous, on est effectivement des partisans de l'agriculture biologique et disons
à titre transitoire et tout au moins de l'agriculture paysanne. Mais bon, l'agriculture
biotechnologique est exactement à l'opposé de ça et tous les problèmes qu'on a avec
l'agriculture intensive vont se trouver encore accentués par le problème de concentration au
niveau des fournisseurs des intrants, des semences, au niveau de la façon dont l'agriculture
devient plus qu'un maillon dans une espèce d'énorme chaîne alimentaire, elle devient en
quelque sorte, un fabricant de molécules et non plus un fabricant d'aliments puisqu'on
pourra de plus en plus intervertir du colza avec du soja ou du tournesol ou du lupin pour
obtenir tel ou tel acide gras ou tel ou tel composant alimentaire donc on se retrouve dans
une situation où l'agriculteur peut se retrouver de plus en plus coincé, je dirai, entre ses
fournisseurs et puis, ceux à qui lui-même fournit.»760 Ces thèses sont largement développées
dans le livre de Arnaud Apoteker et on en retrouve une excellente synthèse sur le site
Internet www.greenpeace.fr
A la question, « Un OGM c’est quoi » Greenpeace affirme : « Un Organisme
Génétiquement Modifié (OGM) est un organisme vivant (micro-organisme, plante, animal)
dont on a modifié le patrimoine génétique afin de le doter de propriétés que la nature ne lui
a pas attribuées. » Suit à cette définition une explication de vulgarisation scientifique qui
emploie les termes d’ADN, d’hérédité, de manipulation, de coupure, de réinsertion… puis,

759
Arnaud Apotheker, Du poisson rouge dans les fraises, La Découverte, 2000.
760
Pierre-Benoit Joly, Gérald Assouline, Dominique Kréziak, Juliette Lemarié,Claire Marris, Alexis Roy,
INRA Grenoble, Collectif sur les risques, la décision et l’expertise (CRIDE) ; l’innovation controversée :
le débat public sur les OGM en France, Rapport, Janvier 2000, p.54

385
une autre définition : « Un OGM est donc un organisme dont on a ‘bricolé’ l'ADN, afin de lui
rajouter artificiellement un ou plusieurs gènes. Ainsi on peut introduire un gène de scorpion
dans du maïs ou bien un gène humain dans un porc pour obtenir des bêtes plus musclées et
moins grasses. » On notera ici l’emploi du verbe « bricoler » et de l’adverbe
« artificiellement » ; on sera également sensible aux exemples (le gène de scorpion est tout
particulièrement sélectionné). Dans le guide des OGM que fera paraître Greenpeace où on
trouve la liste des supermarchés qui revendent des aliments susceptibles de contenir des
PGM, ces idées sont exprimées de manière encore plus forte : « Un OGM (Organisme
Génétiquement Modifié) est un organisme vivant qui a été créé artificiellement par l'homme
en manipulant son identité génétique. Les techniques très récentes du génie génétique
permettent de prélever un ou plusieurs gènes de n'importe quel organisme vivant (virus,
bactérie, végétal, animal) pour l'insérer dans le patrimoine génétique d'un autre organisme.
A la différence des techniques traditionnelles d'amélioration des variétés agricoles, la
transgenèse permet de franchir la barrière entre les espèces. Elle construit de nombreux
organismes vivants, jusqu'à maintenant inconnus, de la nature et de l'homme et qui sont
761
disséminés dans notre environnement. » On remarque, une fois de plus, la présence du
terme « artificiel » ainsi que le leitmotiv suivant : « jusqu’à maintenant inconnu de la nature
et de l’homme »
Toujours à la suite de cette idée, « La transgenèse (introduction de gènes étrangers
dans un organisme) conduit à la création de chimères dont les comportements sont
imprévisibles à long terme. Les conséquences écologiques des disséminations dans
l'environnement des plantes transgéniques sont, en l'état actuel des connaissances,
impossibles à évoluer dans le long terme. C'est pourquoi Greenpeace s'oppose résolument à
la culture à grande échelle des plantes génétiquement modifiées. »
Contrairement à Monsanto qui ne mettait l’accent que sur les avantages, Greenpeace,
elle, ne parle que des inconvénients et donne aux PGM d’emblée une connotation « contre-
nature ». L’organisation précise tout de même qu’il ne s’agit pas d’une opposition de principe
de caractère religieux et qu’elle ne rejette pas en bloc les PGM (elle accepte la production
d’insuline) : « Greenpeace n'est pas opposé à priori à ces applications du génie génétique, à
condition évidemment qu'il n'y ait pas diffusion de ces organismes génétiquement modifiés
dans l'environnement. Nous sommes résolument opposés à la dissémination des OGM dans
la nature, à cause des dangers que cela représente. » Quels sont donc ces « dangers » dont
parle l’association ? Il y aurait tout d’abord des « Dangers liés à la rupture de la barrière

761
Greenpeace, Guide OGM, année 2002.

386
d'espèces. » Contrairement à ce qu’affirmait Monsanto, pour Greenpeace, les biotechnologies
végétales ne sont pas la continuation de la sélection variétale classique : « Jusqu'à
l'avènement du génie génétique, l'amélioration des plantes, qui est en soit quelque chose de
tout à fait légitime, respectait ce que nous appelons “l'ordre de la nature”, puisqu'elle était
contrainte par la reproduction sexuée des plantes et par la notion d'espèce. La manipulation
génétique n'a en ce sens rien à voir avec un simple croisement, elle représente un saut
qualitatif radical puisqu'elle permet de s'affranchir de la “barrière d'espèces”, laquelle
empêche par exemple un cheval de se croiser avec un chat. »
Encore une fois, c’est le même problème qui revient, les OGM sont des produits
manufacturés par l’homme qui n’auraient jamais vu le jour dans la nature et dont le
comportement est imprévisible. Vient ensuite le « Risque de disparition de la notion
d'espèce » ; les métaphores utilisées ici pour faire comprendre ce risque sont celles du ‘lego’
et de ‘Frankenstein’ : « A la vitesse à laquelle évoluent ces sciences, qui jouent avec les
mécanismes fondamentaux de la vie, il est à craindre que l'on obtienne dans un avenir
proche des Frankenstein mi-animaux mi-végétaux. Le risque est donc de voir disparaître la
notion même d'espèce. On ne parlera plus de colza ou de maïs, mais d'organisme producteur
de telle ou telle molécule. »
Un autre problème, d’ordre socio-économique celui-ci, est la « Perte de spécificité du
monde agricole » : ainsi les biotechnologies végétales risquent de renforcer le processus de
l’agriculture intensive : sacrifice du goût au nom de la rentabilité, industrialisation de
l’agriculture : « Dans un avenir proche, les légumes seront peut-être produits (et non plus
cultivés) dans des usines, en l'absence de toute terre, ce qui commence déjà à se faire. La
différence entre paysan et ouvrier va s'estomper, l'agriculteur devenant un “moléculteur”, un
ouvrier spécialisé dans la production de substances nutritives ou pharmaceutiques. Outre le
fait que les aliments produits auront moins de qualités gustatives, c'est tout le savoir-faire
des paysans que l'on risque de perdre, basé sur des décennies d'observations et transmis au
fil des générations. » Une notion forte qui considère comme naturelle l’attachement du
paysan à la terre.
Arrivent les problèmes d'éthique : « La conception des OGM pose de plus un grave
problème d'éthique. Que, selon ses propres convictions ou sa culture, l'on se réfère à la
volonté divine, à l'intangibilité des lois naturelles, au sens moral ou au simple bon sens,
avons-nous le droit d'interférer avec les mécanismes de la vie ? Consentirions-nous à manger
une salade contenant des gènes humains ? » Ce qui apparaît ici comme récurant, c’est la
sacralisation de la nature et l’emploie de métaphore choc ou d’exemples frappants.

387
Viennent ensuite les risques pour l’environnement : concernant tout d’abord la
pollution de l’environnement, d’après Greenpeace, celle-ci ne peut que s’accroître; pour sa
démonstration, elle cite le cas du soja RR de Monsanto : « Dans une culture naturelle,
l'utilisation d'herbicides totaux est limitée car la plante cultivée en souffre également. Le soja
étant rendu tolérant à l'herbicide Roundup, il est possible d'augmenter considérablement les
doses, entraînant alors une pollution accrue des sols et des nappes phréatiques. Il faut
signaler que les agriculteurs utilisant le soja de Monsanto ont l'obligation de n'utiliser que son
désherbant, le Roundup. agriculture classique. Le concept d’agriculture intégrée est réduit à
son aspect commercial et est présentée non pas comme une solution pour le développement
durable, mais comme une opération financière ; on néglige par là, même les avantages
potentiels pour l’agriculteur d’avoir un système tout en un. Un 2ème risque consiste dans l’
« Implantation d'une plante en dehors de son écosystème naturel » Cette fois-ci Greenpeace
part du principe que les PGM, contrairement aux autres plantes, n’ont pas de passé évolutif,
parce qu’elles « n'ont pas évolué dans un écosystème donné, au milieu de leurs prédateurs
naturels. » Une fois de plus, c’est l’idée d’une nature définie comme une totalité inviolable
qui prédomine. Greenpeace évoque également un risque de transmission irréversible aux
espèces voisines. L’association cite des études faites à l’INRA sur le colza et la transmission à
la ravenelle d’un gène de résistance : « Ce flux de gène génère une ‘pollution génétique’ qui,
à l'inverse de la pollution chimique ou radioactive, est totalement irréversible. On ne pourra
jamais rapporter au laboratoire un gène qui se serait échappé de la plante génétiquement
modifiée. » Quant à l’acquisition du caractère de résistance par la pyrale, elle est inévitable ;
on devra alors avoir recours à un nouveau pesticide. Enfin Greenpeace craint également
pour l’agriculture biologique : « Parallèlement, le maïs transgénique conduira à la perte de
l'agriculture biologique car la toxine Bt d'origine bactérienne est un des seuls insecticides
autorisés dans les cahiers des charges de l'agriculture biologique. » Les auteurs affirment
que l’on ne sait pas comment vont réagir dans la nature les plantes à qui on va faire produire
des vaccins.
Concernant maintenant les risques alimentaires, d’après les auteurs, ils sont peu
connus, car peu étudiés. Ainsi, les PGM vont être à l’origine de nouvelles allergies. Pour
argumenter, Greenpeace continue d’utiliser l’exemple du soja de Pionneer dans lequel on a
introduit un gène de la noix de Brésil. Ils dénoncent la faiblesse des tests effectués en
laboratoire ; ainsi il a fallu compléter les tests effectués en laboratoires par des tests réalisés
sur le sérum sanguin des individus pour découvrir ce risque d’allergie : « Cela démontre
cependant le peu de fiabilité des tests faits en laboratoire. Or, pour la majorité des
manipulations génétiques, ces tests en laboratoire sont les seuls faisables, simplement parce

388
qu'on ne connaît pas de consommateurs allergiques au scorpion ou au pétunia. Le public
servira donc de cobaye malgré les risques encourus. » Concernant la présence
d’antibiotiques, comme gènes marqueurs, Greenpeace cite le cas du maïs Novartis qui est,
toujours « autorisé à la culture en France ». A cet élément donné sans plus d’explications, ils
ajoutent que la résistance aux antibiotiques est un phénomène de plus en plus inquiétant…
Enfin, l’association dénonce le « manque de recul » : « Les dangers représentés par les OGM
doivent s'apprécier en tenant compte du caractère très récent des développements de la
transgenèse. Ce que la nature a mis plusieurs milliards d'années à construire, des hommes
sont prêts à le contrarier en quelques années. (...) Malgré l'imperfection des connaissances
en génie moléculaire, malgré l'impact potentiel des disséminations de ces plantes
manipulées, dans aucune autre discipline, les applications commerciales ne suivent d'aussi
près les découvertes scientifiques, qui deviennent le baromètre de la santé des
multinationales à la bourse. » On se rappellera que Monsanto au contraire met en avant les
10 ans de recherche et de tests préalables à la mise sur le marché des semences
génétiquement modifiées.
Après les risques sanitaires et environnementaux, Greenpeace aborde les problèmes
économiques : A la question « à qui profitent les OGM », l’association répond que les
multinationales sont à l’origine de cette technologie qui ne profite qu’à elles ; quant au
problème de la faim dans le monde, il peut se résoudre simplement par une meilleure
répartition des richesses. Il n’est pas du tout évident que les semences coûtent moins
chères : « Dans la culture du maïs, ce sont les semences qui coûtent le plus cher, et les
paysans ne sont pas du tout certains d'amortir le surcoût du maïs transgénique par rapport
au maïs traditionnel. »
Greenpeace affirme alors tout bonnement, que « Quelques multinationales
surpuissantes veulent mettre sous tutelle la planète ». Le consommateur n’a jamais été
informé sur les dangers écologiques posés par les PGM : « on n'a jamais donné à la
population la possibilité de s'exprimer sur ces choix irréversibles. Jamais le consommateur
n'a été alerté au sujet des dangers potentiels qu'il encourrait, alors que tous les sondages
montrent que les Français et les Européens sont majoritairement contre les OGM. Les firmes
agrochimiques savent qu'informer le consommateur sur l'introduction des OGM dans leur
alimentation risque de réduire à néant les profits espérés. » L’OMC aurait autorisé une
poignée de « firmes multinationales » à breveter le vivant, « ces firmes étant bien sûr
majoritairement américaine ». Si ces multinationales continuent d’imposer les PGM, « Les
plantes transgéniques vont contaminer toutes les plantes naturelles et à long terme, il
n'existera plus qu'une seule espèce de maïs, une seule espèce de colza, une seule espèce de

389
coton, etc. Le monde agricole sera alors sous la dépendance totale de trois ou quatre firmes
pour son approvisionnement en semences, en engrais, en herbicides et insecticides. » ; le
sujet est donc cadré comme une vision apocalyptique. Face à ce mouvement, les états sont
impuissants. On aimerait savoir d’où Greenpeace tire sa source lorsqu’elle affirme que :
« Depuis, sous la pression des Etats-Unis, le gouvernement français a cédé aux exigences de
commercialisation et de culture des plantes transgéniques. » Aussi, totalement dans
l’impossibilité de tracer les PGM, les firmes agroalimentaires les mélangeraient avec d’autres
plantes non transgéniques.
Comme on le constate, chacun de ces arguments s’opposent terme à terme avec les
arguments de Monsanto, chose que nous avions déjà pu observer à la suite de notre étude
des controverses scientifiques. Mais comme nous allons le voir, il n’y a pas que sur le fond
des idées que Monsanto et Greenpeace s’opposent. A l’opposé de la stratégie de
communication de Monsanto qui, comme on l’a vu, s’oriente vers un appel à la raison et à la
discussion, celle de Greenpeace cherche à susciter et à déchaîner les passions. Il s’agit non
pas de discuter les éléments qui sont discutables, mais de les extrapoler en les interprétant
au travers d’une idéologie aux accents technophobes. L’objectif est donc d’enflammer le
débat sur une technologie. On en jugera par une campagne choc mise en ligne au mois
d’Avril sur leur site Internet : dans celle-ci, on voit un parachutiste s’empaler sur un épis de
maïs en atterrissant au beau milieu d’un champ ; l’accroche publicitaire est alors la suivante :
« mais jusqu’où iront-ils pour rendre le maïs plus résistant ? » Greenpeace communique sur
les PGM de manière unilatérale : c’est ainsi, par exemple, que selon les experts de l’ONG,
quasiment aucune expérience n’a été faite pour vérifier le risque (a contrario, Monsanto
affirme que malgré le grand nombre d’expériences qui ont déjà été réalisées, il est
nécessaire de toujours en faire plus). Aussi, à écouter ce discours, on peut penser que ces
risques étaient avérés. C’est ainsi que Greenpeace a mis en place un certain nombre
d’actions qui ont contribué pour une bonne part à mettre l’accent sur le « danger » des PGM
et ont été facilement relayées par les journalistes. On trouve 2 types d’actions, des actions
juridiques et des actions que l’on peut appeler « médiatiques » en ce sens qu’elles ont pour
objectif d’être relayée par les médias.

De la pensée à l’action
L’historique de « l’opposition aux OGM » de Greenpeace est riche et varié : C’est au début de
l’année 1996, c’est à dire l’année de la mise sur le marché des premières semences GM, que
l’association lance une campagne internationale contre leur commercialisation.

390
Actions médiatiques
Des membres de l’association écologistes seront présents lors de l’arrivée dans le port
d’Anvers, de cargos chargés avec du maïs génétiquement modifié : ils s’enchaîneront au
cargo, mais iront également manifester devant les silos dans lesquels sont entreposées ces
graines. Lors de l’affaire du papillon monarque, aux Etats-Unis, des militants défileront
devant le capitole, déguisés en ‘papillon’. En 1998, ils déverseront plusieurs tonnes de maïs
transgénique devant le siège de la société Novartis à Bâle. Toutes ces actions sont
accompagnées d’une mise en scène spectaculaire ; l’objectif étant de se faire remarquer afin
d’être relayé par les médias. Ainsi, lorsque les membres de Greenpeace se rendent dans un
champ de PGM afin de procéder à un arrachage, c’est toujours en tenue de décontamination
nucléaire, pour marquer la dangerosité.

Actions en justice et pression sur les instances officielles


Depuis la mise sur le marché des PGM, Greenpeace s’est fait le champion des actions
menées en justice. Si on prend, par exemple, le cas du maïs Bt, depuis 1998, l’association ne
cesse de saisir les instances responsables, de faire pression sur elles ou de les utiliser pour
faire pression sur les industriels afin d’obtenir droit de cause. Certaines de ces actions vont
jusqu’au bout ; c’est ainsi qu’un communiqué de presse daté du 10/03/1998, annonce que
« Greenpeace fait expulser du mais transgénique illégal de Suisse »762 ; d’autres restent en
attente (Greenpeace porte plainte à la suite de la contamination génétique du maïs
mexicain-12/12/2001).
Une autre technique consiste à influencer les institutions ; c’est ainsi qu’en 1998,
comme l’indiquent les nombreux communiqués de presse, l’association va faire constamment
pression sur le gouvernement français et sur les institutions européennes pour interdire la
culture du maïs transgénique sur le sol européen (-Greenpeace réclame l'interdiction
européenne du maïs transgénique de Novartis, 16/06/1998) et les importations de maïs
transgénique (- Greenpeace demande au premier ministre d'interdire les importations de
maïs transgénique américain, 22/06/1998; - Maïs transgénique : le gouvernement doit
prendre rapidement des mesures, 02/10/1998 ; - Greenpeace demande l'annulation de deux
nouvelles variétés de maïs transgénique, 06/10/1998 ; - Le gouvernement doit interdire la
culture du maïs transgénique, 26/05/1999). De même, l’association juge les instances
politiques en distribuant blâmes (- Le Conseil d’Etat autorise le maïs transgénique. Après la
démission du politique, la démission du juridique ! 21/11/2000) et attribue des récompenses

762
Archives Greenpeace, www.greenpeace.fr

391
(- Maïs transgénique : Greenpeace salue la décision du conseil d'Etat et appelle une solution
politique, 11/12/1998).
Comme on peut le constater pour ce cas particulier du maïs Bt, mais on aurait pu
prendre bien d’autres cas, la pression est incessante. L’association exerce une sorte de
chantage permanent ; la première comparaison qui nous vient à l’esprit est bien évidemment
le lobbying. A la différence du lobbying classique, cependant, qui est un processus de
négociation, celui-ci est emprunt d’une sorte de terrorisme qui consiste dans le contrôle des
prises de décisions officielles en se plaçant à un niveau supérieur à elles et en leur imposant
une vision unilatérale. On sera sensible aux tournures très revendicatrices et autoritaires
employées: « le gouvernement doit prendre des mesures », « le gouvernement doit
interdire »… Cette autorité est sans limite et ne laisse absolument aucune place au dialogue.
Il s’agit toujours d’imposer une manière de voir et ce, quelle que soit l’autorité compétente
qui se trouve en face. Cette tentative de pression sur les instances officielles se caractérisera
également par la mise en place d’une sorte de cellule de veille technologique qui aura pour
mission de surveiller les différentes mises sur le marché de PGM et de réalisation d’enquêtes
fréquentes.

Actions à « caractère scientifique »


Greenpeace fait tout ce qui est en son possible pour donner un caractère officiel à
l’information qu’elle publie. Comme on vient de le voir, l’association s’installe au-dessus de
l’autorité en se permettant de juger celle-ci, au contraire de Monsanto, qui place chacune de
ses actions en dessous des auspices de la loi. Après avoir jugé de l’autorité politique, il s’agit
de juger l’autorité scientifique. C’est ainsi, par exemple, que l’association se permettra de
juger l’ouvrage de l’Académie Française des Sciences sur les PGM763 dans un communiqué de
presse764 qui n’hésite pas à dresser une fiche d’identité de chacun des académiciens
intervenants pour démontrer qu’ils ont tous de bonnes raisons de défendre les PGM et sont
déjà tous des partisans convaincus . Aussi, Eric Le Gall, le chargé de campagne des OGM de
Greenpeace affirme : « Ces rapports sont une prise de position politique discutable et non un
travail scientifique. Les seuls arguments susceptibles de justifier l'utilisation de plantes
transgéniques aux yeux de nos académiciens relèvent de l'amalgame, de la mystification et
du slogan publicitaire. Il en faudrait beaucoup plus pour essayer de convaincre une opinion
très majoritairement réfractaire aux OGM »

763
Académie des Science, Les plantes génétiquement modifiées, rst n°13, déc. 2002, éd. Tec & Doc.
764
Communiqué de presse, « Greenpeace dénonce le parti pris des Académies de Médecine et des
Sciences en faveur des OGM », lundi 16 décembre 2002, Paris.

392
Ainsi, après avoir critiqué les « experts officiels », Greenpeace fait référence à son
propre réseau d’experts (- 117 experts internationaux contre le maïs transgénique de
Novartis. Greenpeace demande son interdiction immédiate (04/12/1998). La publication de
rapport d’enquête et de sondage est fréquente ; si on prend de nouveau le cas du maïs Bt,
l’association publie une série de travaux dans des domaines aussi variés que la santé (- Une
étude mandatée par Greenpeace confirme que le maïs transgénique joue un jeu dangereux
pour notre santé, 18/03/1998), l’environnement (- Le maïs transgénique contamine les
champs de maïs voisins, 12/10/1998 ; - Le maïs transgénique menace les papillons
européens, 15/06/1999 ; - Cultures transgéniques : Greenpeace révèle de graves
négligences scientifiques ! 03/05/2000), que les sondages d’opinions (- Les français opposés
au maïs génétiquement manipulé de Novartis, 26/03/1998 ; - Les agriculteurs français
rejettent en bloc le maïs transgénique, 25/04/1998) ou encore les enquêtes économiques (-
Chute des marchés de soja et de maïs OGM en perspective ! 26/01/2001)
La stratégie de Greenpeace consiste donc à tenir un discours officiel dans tous les
domaines d’expertises quels qu’ils soient et d’en informer les médias par le moyen de
communiqués de presses. C’est ainsi que récemment, l’ONG est allée jusqu’à publier un
rapport à destination des investisseurs potentiels afin d’informer ceux-ci sur les risques qu’ils
courraient en choisissant d’investir dans la firme Monsanto765. Dans ce rapport commandé à
l’agence Innovest Consulting basée en Hollande, Greenpeace a pour objectif de décourager
les soutiens financiers ; en effet, selon ces derniers, l’action de Monsanto est surévaluée ;
l’entreprise en effet aurait obtenu la plus mauvaise notation de la part d’Innovest, ce qui
signifie une diminution de sa valeur sur le marché à moyen ou long terme766. Aussi, les
consultants d’Innovest énumèrent, les risques encourus par les investisseurs potentiels (en y
regardant attentivement, on y retrouvera en filigrane, tous les arguments de Greenpeace) :
1) Les produits de Monsanto vont subir un rejet de la part du marché (public, marques
et distribution, marché européen)
- 35 pays ont établi une loi qui refuse l’importation de PGM
- Le protocole de Carthagène entrera en vigueur en 2004
- Les moratoires européens peuvent être revus, mais l’opposition des consommateurs
reste encore forte.
- Aux USA, les consommateurs rejettent désormais les produits GE.

765
Innovest strategic value advisor, Monsanto & Genetic Engineering: Risks for Investors, Uncovering
Hidden Value Potential for Strategic Investors Report For Greenpeace April 2003.
766
« Monsanto received a CCC EcoValue’21™ rating from Innovest, the lowest environmental rating.
This implies the firm has above average risk exposure and less sophisticated management than peers.
As a result, it will likely underperform in the stock market over the mid to long-term. » Ibid.

393
2) Les risques environnementaux (impossibilité d’éviter la contamination, aussi ce
facteur pourrait amener certaines firmes agro-alimentaires à faire banqueroute)
3) Les risques humains sont toujours là (les consultants affirment que les tests effectués
par les compagnies elles-mêmes auraient été truqués)
4) Les risques éthiques (impossibilité de tester, constructions contre-nature,
irréversibilité)
5) Enfin, des risques stratégiques. Le soja génétiquement modifié n’aurait pas rapporté
comme prévu. Les auteurs se font oiseaux de mauvais augure : si un nouveau
scandale lié aux PGM arrivait, ce serait un nouveau mauvais point pour la
communauté financière ; aussi, si le gouvernement supporte le développement des
PGM, c’est parce que les partis ont reçu de l’argent des promoteurs des
biotechnologies767 ; on remarquera l’habileté avec laquelle ce dernier argument est
formulé puisque les auteurs prennent le soin d’ajouter qu’il ne s’agit pas de la faute
des hommes politiques, mais de la loi qui autorise à financer leurs campagnes.

Ici, comme on peut le constater toute la stratégie consiste à déstabiliser Monsanto en


produisant un document réalisé par un ‘cabinet consultant indépendant’. Il s’agit de toucher
un nouveau public habituellement peu sensible aux arguments écologiques en lui faisant
craindre pour sa réputation qui n’est pas actuellement au plus haut de sa forme. Une fois de
plus cela démontre que l’action agressive de Greenpeace contre les PGM se développe sur
tous les tableaux. Greenpeace adopte un langage politiquement correct et cherche à
alimenter l’imagination des traders au travers de prévisions financières qui ont une forte
ressemblance avec sa philosophie. Enfin, comme on va le voir, il est un dernier secteur dans
lequel Greenpeace a immiscé sa stratégie de communication, ce secteur, c’est celui des
consommateurs.

Actions en destination des consommateurs


Depuis 1999, Greenpeace réalise de nombreuses actions pour prévenir le consommateur de
la présence de PGM dans l’alimentation. De ce point de vue, l’association écologiste a
récupéré une tâche qui est habituellement celle des associations de consommateurs, telle

767
« It is understandable that the US Government has essentially taken the industry position on GE
safety and labeling, but much less clear why many in the financial community appear to have done so.
US Government support for GE crops appears to stem from the fact that the crops are mostly US-
developed and that GE companies have made substantial financial contributions to US politicians and
political parties. »Innovest, Ibid., p.11.

394
que, par exemple, UFC Que Choisir768 ; ce faisant, elle a suscité la réaction des responsables
des associations. Ainsi, d’après des analyses réalisées par UFC Que choisir, certains produits
classés sur la liste noire par Greenpeace, ne contiendraient pas d’OGM, alors que d’autres,
classés sur la liste blanche en contiendraient769. Mais à la différence de Que Choisir, dont
l’objectif est la possibilité de la mise en place d’une filière sans PGM et d’un système
d’étiquetage, Greenpeace, une fois de plus cherche surtout à faire pression sur les filières de
distribution afin de parvenir à un retrait total des PGM du marché. Il s’agit en fait de
dénoncer les magasins ou les marques suspectes. Ce faisant Greenpeace réussit à établir
une double pression : en informant les consommateurs que telle ou telle grande surface
distribue des aliments susceptibles de contenir des PGM, elle influence le consommateur et
oblige le distributeur à changer d’attitude, sous peine de subir le boycotte de certains
consommateurs : « Les listes ci-après doivent vous informer sur la nature des produits que
vous achetez. Elles doivent également nous aider à pousser les acteurs de cette filière
(producteurs, distributeurs,…) à changer de politique envers les OGM et à demander la mise
en place de filières non-OGM ». Greenpeace a donc dès l’année 1999 fait paraître des listes
noires des supermarchés qui n’ont pas de politique de sélection de leurs produits. Liste qui
se concrétisera en septembre 2002 par la mise en place d’un guide des consommateurs (2ème
édition). Dans ce guide, Greenpeace expose ses volontés : opposition aux disséminations
d’OGM dans l’environnement pour les raisons qui sont celles que l’on a déjà vues.
L’association dénonce aussi le fait que les consommateurs ne disposent pas de toutes les
informations nécessaires : « Les OGM peuvent se retrouver par deux voies distinctes dans la
chaîne alimentaire : par le biais des produits directement destinés à l'alimentation humaine
et par le biais de l'alimentation des animaux d'élevage dont nous consommons les
produits. »
C’est pour pallier à ce défaut d’informations que Greenpeace s’est permis de
contacter « fabricants, producteurs et distributeurs » en leur demandant de délivrer des
garanties écrites et publiques concernant leur politique en matière d'OGM. » Le guide précise
que ces listes ne sont pas exhaustives et qu’elles sont fréquemment remises à jour. Ainsi, les
PGM seraient présents dans bons nombres de produits à base de soja (farines, protéines,
huile, émulgateur lécithine (E322), mono-et diglycérides (E471),”huiles/graisses végétales”)
et de maïs (farine, flocons, amidon*, huile, semoule, glucose, fructose, dextrose,

768
En Juin 2002, UFC Que choisir fait paraître un numéro spécial sur « Les OGM cachés (80 produits
analysés, 16 positifs. », Que Choisir, n°394, juin 2002 dans lequel on trouve une liste susceptible de
contenir des traces d’OGM.
769
Pierre-Benoit Joly, Gérald Assouline, Dominique Kréziak, Juliette Lemarié,Claire Marris, Alexis Roy,
INRA Grenoble, Collectif sur les risques, la décision et l’expertise (CRIDE) ; l’innovation controversée :
le débat public sur les OGM en France Rapport, Janvier 2000, p.54

395
maltodextrine, sorbitol (E420)) Greenpeace rappelle également que depuis le 10 avril 2001, à
la suite une lois de l’Union Européenne, les aliments qui contiennent plus de 1% de PGM
doivent être signalés ; mais cette loi ne concerne pas les produits transformés.
Enfin, ce guide indique que grâce à ce travail et à la suite de la mobilisation du
réseau Info-Conso, un réseau créé par l’association, la position de certains fabricants a
évolué et « Depuis la publication des premières listes en 1998, la majorité d'entre-eux nous
ont garanti qu'ils n'utilisaient plus d'ingrédients, ni d'additifs issus d'OGM dans l'alimentation
humaine. La quasi-totalité des produits recensés sont ainsi passés en liste blanche. »
Concernant l’alimentation animale, Greenpeace affirme que « 60 à 80% des OGM pénètrent
à notre insu dans la chaîne alimentaire via l’alimentation des animaux d’élevage. » (soit
l’essentiel du marché). Etant donné l’absence de loi et d’étiquetage dans ce domaine, les
consommateurs ne peuvent savoir ce qu’ils mangent.
On découvre alors 3 listes :
- Dans la liste verte, on trouvera tous les produits dont le producteur a pu certifier
« l’identité non-OGM des matières premières à travers toute la chaîne alimentaire ».
- La liste orange, concerne les produits des fabricants ayant émis la volonté et pris des
mesures afin d'obtenir une alimentation non-OGM pour les animaux d'élevage, mais
n'ayant pas encore finalisé leurs démarches. Il n’y a donc pas ici de garanties, mais il
s’agit surtout d’encourager les producteurs.
- La liste rouge, enfin présente les produits des fabricants ne garantissant pas la non-
utilisation d'OGM dans l'alimentation des animaux d'élevage. La plupart du temps, le
fabricant n'a pas exprimé son intention d'éliminer les OGM de l'alimentation animale.
Certains refusent tout simplement de communiquer à Greenpeace leur politique en
matière d'OGM. D'autres enfin, compte tenu du vide juridique concernant l'étiquetage
des denrées alimentaires, n'envisagent pas un étiquetage particulier de leurs
produits, participant ainsi activement au flou que subissent de plein fouet les
consommateurs.

En suivant ces 3 critères de classification, Greepeace propose donc une liste de produits par
supermarché. En tout, plus de 12 supermarchés sont passés au crible. On notera pour
chacun d’eux une plus grande présence d’aliments dans la liste rouge, même pour un
supermarché comme Carrefour qui a bâti toute une stratégie de communication autour de la
mise en avant de ses filières non-OGM.
Poursuivant jusqu’au bout ses investigations et sa mise sous pression des acteurs de
la grande distribution, l’ONG mène depuis plus de 2 années maintenant, une campagne

396
contre la chaîne de supermarchés Auchan. Cette campagne se situe sur tous les fronts : En
Novembre 2001, Greenpeace rencontre la direction d’Auchan ; celle-ci ne se serait engagée
qu’oralement. En Février 2002, alors que Greenpeace publie une nouvelle liste de produits
« avec ou sans OGM », « Auchan n'a toujours pas envoyé de courrier sur sa politique face
aux OGM dans l'alimentation animale. » En Avril 2002, l’association écologique lance donc
une cyberaction contre Auchan sur son site Internet auxquels participent « 2893 citoyens
internautes.» Puis ce sont 12000 personnes du réseau Info-Conso qui, le même mois
envoient un courrier à Auchan pour « lui demander d'entrer dans une démarche publique de
‘non OGM’ et ce, pour l'ensemble de la viande vendue dans ses magasins. » Suivra un
échange de courriers par voie postale et électronique entre Auchan et Greenpeace. Le 12
octobre 2002, l’association organise une « journée d’action nationale » dans 15
hypermarchés Auchan, qui réunira 200 militants pour étiqueter la viande de la marque
Auchan du slogan « Nourri aux OGM ». Cette campagne sera proposée sur le site d’Auchan
suivi « d’Importantes retombées médiatiques locales et nationales. » ; cette campagne
d’action sera suivie d’une autre le 24 janvier 2003, qui consistera en une action de blocage
d’un hypermarché Auchan à Villeneuve d’Asq, manifestation à laquelle s’ajoute l’envoi, le
même jour, d’un e.mail par 4366 citoyens. Le 25 janvier 2003, les membres de l’association
écologiste distribuent des tracts devant 15 supermarchés Auchan dans toute la France. Le 1er
mars 2003, Greenpeace lance une campagne nationale de pétition adressée au directeur
général de Auchan.
Face à la pression, la direction d’Auchan prendra position en publiant un texte sur son
site Internet le 24 janvier 2003770. Ce texte affirme en substance que, de par sa complexité,
la question des PGM, ne peut être réglée par Auchan seul ; il est par conséquent nécessaire
d’entamer un dialogue avec toutes les parties concernées (pouvoirs publics, AFSSA, FCD,
autres distributeurs, Ania, Ilec, FNSEA, Confédération agricole…) ; les auteurs soulignent
également que « Le débat sur les avantages ou les inconvénients de l’utilisation d’OGM n’est
pas tranché. », la chaîne de distribution se fait conseiller par un comité interdisciplinaire
d’experts. En attendant des recommandations sur ce sujet, Auchan « fait le maximum pour
proposer, quand cela est possible et vérifiable, des produits garantis sans OGM. » (demande
d’informations à ses fournisseurs, création de la filière sans OGM Auchan, travail en commun
avec les éleveurs pour garantir le sans-OGM, développement d’une filière Bio). En
conclusion, Auchan justifie sa position à l’égard de Greenpeace par une certaine déontologie
à l’égard de ses consommateurs : « La position et les efforts d’Auchan en la matière sont
constants. Mais l’enseigne, par souci d’honnêteté vis-à-vis de ses clients, estime ne pas

770
www.auchan.fr

397
pouvoir afficher une position de principe, aujourd’hui impossible à garantir, selon laquelle
100% des produits carnés vendus dans ses magasins seraient issus d’animaux nourris par
une alimentation garantie sans OGM. Telles sont les actions concrètes qui témoignent de
l’engagement de l’entreprise dans ce débat encore ouvert. » Les commentaires de
Greenpeace sur cette prise de position seront, eux, sans appel : Ces déclarations démontrent
l'absence de volonté d'Auchan de s'engager dans une démarche non OGM pour les viandes,
alors même que les solutions existent et que les consommateurs souhaitent pouvoir
bénéficier d'une alimentation non issue d'OGM. En effet, les OGM ne sont pas une fatalité !
C'est une question de politique de la part du distributeur. La preuve en est que, Carrefour,
principal concurrent d'Auchan, suit une démarche d'approvisionnement “non-OGM” sur
l'alimentation animale, depuis plusieurs mois maintenant771.
Comme dans le domaine politique, Greenpeace joue ici le rôle d’un juge. Il s’agit de
distribuer punitions et récompenses. Aussi comme on le voit, si Auchan s’avoue être prêt au
dialogue, Greenpeace, elle ne l’est pas du tout. Cette caractéristique est propre à toutes les
actions de l’association ; l’intransigeance des militants est absolue. Aussi, les actions menées
en magasin démontrent que Greenpeace est capable de basculer facilement de la persuasion
à la violence.

Conclusion
Comme on le constate, la stratégie de communication anti-PGM de Greenpeace est présente
sur tous les fronts. Ce que l’association ne réussit pas à obtenir par les mots, ou par la loi,
elle va le chercher par l’action. On comprend alors l’importance de l’intervention de
Greenpeace dans le processus qui se trouve à l’origine des « scandales médiatiques sur les
PGM ». Tout ce qui se trouve opposé à l’idéologie de l’association fait l’objet d’une
contestation systématique. Si cette contestation ne permet pas à Greenpeace d’obtenir gain
de cause, alors les militants écologistes passent à l’action, dont ils sont sûrs qu’elle sera
relayée par les médias. Il en a été ainsi du soja dans le port d’Anvers, du maïs Novartis, du
papillon monarque, de l’arrachage de champ de PGM et de nombreux autres événements qui
ont abreuvés les chroniques des journaux. On notera que Greenpeace n’est pas la seule
association qui s’oppose aux PGM de cette manière ; elle trouve à ses côtés le syndicat
agricole de la « Confédération Paysanne » qui, avec José Bové, s’est fait le champion de
l’arrachage d’essais en pleins champs. On citera également l’organisation Ecoropa, fondée
par Jean-Marie Pelt, association essentiellement composée d’experts dont on a déjà

771
Greenpeace, « OGM : Suite aux actions de Greenpeace, Auchan avoue son inaction ! »,
communiqué de presse, www.greenpeace.fr du lundi 27 janvier 2003

398
largement parlé dans la deuxième partie. Cette association se distingue de Greenpeace par
sa stratégie d’arrière plan (il s’agit plus d’écrire des articles de fonds que de mobiliser les
militants); on notera par exemple que ses principaux membres sont des écrivains plutôt
prolifiques sur le sujet, et contrairement à la confédération paysanne qui s’intéresse
essentiellement à l’aspect politique du problème, Ecoropa privilégie surtout l’aspect
scientifique. Greenpeace a une action caractéristique par sa capacité à être sur tous les
fronts à la fois : « actions médiatiques », « action en justice et lobbying », « action
scientifique », « action consommateurs ». Tous ces domaines d’action font que la couverture
du sujet est totale. On a été également sensible au style très assertif ; en effet, c’est souvent
celui-ci qui permet de faire passer pour des vérités des informations qui nécessitent encore
la recherche de preuves (exemple du traitement de l’affaire monarque). Dans toutes ces
situations, le but de Greenpeace reste le même : faire pression pour que soient retirés du
marché les PGM. Comme on l’a vu, cette stratégie semble, jusqu’à présent avoir plus fait la
une des médias que celle des promoteurs des PGM. Comme l’ont montré les sondages
d’opinions (qu’il s’agisse de l’Eurobaromètre ou du PABE) certaines de ces opinions semblent
avoir été reprises par les consommateurs. Comment cela a-t-il pu se passer, c’est ce que
nous voudrions essayer de voir maintenant.

4.3.3. Nouvelle révolution verte ou cataclysme écologique?


Comme on peut le constater, les industriels et les associations environnementalistes
s’opposent d’une manière beaucoup plus radicale que les experts ; ici les idéologies en
présence apparaissent de manière explicite, même si les arguments sont en général
semblables à ceux des experts. Or comme on a pu le constater au travers de nos deux
études de cas, chacun des 2 acteurs adopte une stratégie de communication différente
orientée par des objectifs différents. En ce qui concerne Monsanto, il s’agit de pouvoir
rétablir le dialogue avec le public et d’informer afin que le débat puisse redevenir possible.
Pour Greenpeace, il s’agit d’utiliser tous les moyens possibles pour envenimer le débat. Pour
l’industriel, il faut réussir à persuader de l’innocuité et de la nécessité des biotechnologies
végétales, pour le association, il faut susciter et conforter les opinions négatives des
consommateurs, des acteurs de la chaîne alimentaire et des institutionnels afin de faire
pression sur les promoteurs des PGM.
Ces deux stratégies ont, l’une comme l’autre, l’objectif de créer de rallier des
opinions. Mais, alors que Monsanto a recours à un exposé rationnel des arguments, en ce
sens qu’il s’agit d’amener le lecteur à un raisonnement, Greenpeace cherche au contraire à

399
déchaîner les passions. On a pu voir que les moyens mis en place sont tous très importants,
qu’il s’agisse de moyens financiers ou humains. Monsanto investit dans des campagnes
coûteuses, publie de nombreux documents (journaux, plaquettes, brochures, livrets, site
Internet…) ; on sait par exemple qu’en 2000, aux Etats-Unis, les industriels ont décidé
d’investir plus de 50 millions de dollars dans une campagne de communication772. En ce qui
concerne Greenpeace, on constate que la stratégie de communication repose
essentiellement sur la mise en place d’actions. On peut se douter que ceci est dû à un
manque de moyens financiers. Pour l’association, il s’agit de frapper fort avec peu de moyen.
On privilégie donc le communiqué de presse, les actions et manifestations qui mobilisent les
militants, la pression sur les acteurs de la chaîne agro-alimentaire et sur les institutions. La
communication s’identifie à l’action.
Or que constate-t-on ? Si on se réfère aux sondages d’opinion, il est clair que la
stratégie de Greenpeace a trouvé un plus grand d’écho que celle de Monsanto. Cela peut
paraître à première vue surprenant , étant donné que les moyens financiers mis en œuvre
sont moins importants. Ainsi, dans une interview, Arnaud Apoteker constate :« Quand on
voit leurs moyens, on ne peut pas lutter au niveau des plaquettes, des livres… Quand on voit
des invitations à des séminaires sur l’étiquetage et la traçabilité à 7995 Francs hors taxe la
journée, on ne peut pas être dedans. Par contre, on peut, même à l’extérieur, montrer un
point particulièrement choquant comme les importations illégales d’OGM qui ont eu lieu ce
printemps par exemple (…) On est dans un complet déséquilibre, mais on peut faire bouger
parce qu’on représente une certaine légitimité et qu’on a pu informer l’opinion publique. Il ne
faut pas être fataliste, il faut avoir le cœur bien accroché parce que l’on se bat contre des
intérêts absolument considérables. Quand on voit ce qui se passe en Europe, la façon dont
l’Europe réagit, cela donne de l’espoir. »773
Pourquoi la promesse d’une « nouvelle révolution verte » n’a-t-elle pas rencontré le
succès escompté ? Comment expliquer que les consommateurs ne se soient pas laissé
séduire par les perspectives entrevues par cette nouvelle technologie ? Comment se fait-il
que le public ait été largement plus réceptif au message des détracteurs qu’à celui des
promoteurs ? Comment se fait-il qu’il a été plus sensible à l’annonce catastrophiste ?
Il est difficile de répondre à ces questions sans tomber sur deux écueils qui sont :
« parler de l’opposition aux PGM en bloc », alors que comme l’ont démontré les études
menées au sein des focus groups, la conception de la technologie varie en fonction des
individus ; ensuite, on ne peut traiter de l’opinion générale comme on traite d’un individu.

772
Philippe Deroin, OGM : « L’empire contre-attaque », mai 2000, Biofutur n°200, page 5.
773
L’innovation controversée : rapport, janvier 2000, p.56

400
Nous tenterons, autant que possible de garder à l’esprit que nous ne pouvons faire le travail
d’un sociologue et que lorsque nous nous posons ces questions, c’est d’un point de vue
communicationnel. Autrement dit, c’est moins avec la prétention de comprendre les raisons
qui animent le public, que celles de comparer les impacts de deux stratégies.
Dans le cas des études que nous avions faites sur la presse écrite, il nous était
apparu qu’une plus grande quantité d’articles avaient une approche critique des PGM. Ce
paramètre est à prendre en compte : en effet, que vaut une campagne de communication,
quelle que soit l’importance des moyens financiers, face à une presse qui semble plus
intéressée par le traitement des risques et des accidents que par l’annonce de nouveaux
avantages? On a vu en effet, que les journalistes donnaient plus facilement un suivi des
actions médiatiques des opposants aux PGM, qu’il s’agisse de la confédération paysanne ou
de Greenpeace. Il nous est clairement apparu que les biotechnologies végétales étaient plus
facilement cadrées à la manière d’une « crise alimentaire » que comme une « nouvelle
technologie porteuse d’un progrès essentiel ». Le traitement médiatique du riz doré nous a
montré comment, une technologie qui se présente comme une véritable avancée pour
l’humanité (et pas seulement un bénéfice pour les industriels et les agriculteurs), a été
présentée par les médias comme le subterfuge d’une stratégie de communication. Comment
une « campagne image de marque » peut-elle encore avoir une efficacité quelconque,
lorsque la majorité des médias, dont les 3 journaux de référence français, s’accordent avec
les associations environnementalistes pour dénoncer l’hypocrisie des promoteurs des
PGM avant même d’avoir correctement expliqué au public la technologie et ses implications ?
Et que penser alors quand on apprend de la bouche même de responsables du service
communication et relations presse de Monsanto que « Ce n’est pas toujours évident avec les
journalistes »774. Difficile de soutenir dans ces conditions que les promoteurs des
biotechnologies ont les médias dans leurs poches, comme aiment à le répéter certaines
associations environnementalistes775.
On est donc obligé de constater que, plus ou moins volontairement, les médias de
masse servent de porte-voix aux opposants des PGM qui savent également très bien les
utiliser. Greenpeace était présent sur la scène médiatique dès les premières importations de
soja génétiquement modifié en Europe. A contrario Monsanto a attendu 2 ans pour
communiquer vers le grand public.

774
Interview de Mathilde Durif et Sophie Babinet.
775
C’est en substance l’affirmation d’un des discours de Jean-Marie Pelt, le fondateur de l’association
Ecoropa lors d’un congrès de l’Institut Européen d’Ecologie à Metz. Selon lui, il y aurait une véritable
manipulation dont le public serait la victime. Or, on est obligé de constater que dans le cas des PGM,
les médias se font de plus en plus les portes paroles des causes écologistes.

401
Un deuxième élément à prendre en compte serait donc le retard des campagnes
d’information des industriels ; d’importants moyens pour désamorcer les croyances dans un
premier temps, puis pour informer dans un second temps ont été mis en place alors que des
signes indiquaient déjà les doutes des consommateurs. D’une part, Monsanto n’était pas
habitué à communiquer vers le grand public, étant donné que, la société réalise la quasi-
totalité de son chiffre d’affaires sur le marché agricole, d’autre part, les produits mis sur le
marché ne concernaient pas directement les consommateurs, mis à part la tomate Flavr
Savr®. En toute logique, il ne paraissait pas nécessaire de lui « vendre » les premières
applications des biotechnologies. Erreur ? Sans doute, mais ne s’agissait-il pas, après tout,
dans l’esprit des promoteurs, d’une technologie comme les autres qui s’inscrivait dans la
continuité des applications de la sélection classique ?
Il n’en reste pas moins que le message de la ‘nouvelle révolution verte’, qui était déjà
connu bien avant les campagnes d’informations, mais d’une manière moindre n’a pas eu
l’impact escompté et n’a pas réussi à convaincre ; comme l’ont montré de nombreuses
études récentes, les promoteurs des biotechnologies ont payé cher le fait de ne pas avoir
mieux et plus impliqué dès le départ le public dans le débat. On ajoutera que cela est
d’autant plus grave, qu’ils ont laissé la parole à leurs détracteurs qui se sont chargés
d’envenimer le débat dès les premiers événements, à un tel point que celui-ci est
complètement faussé et que le retour à un véritable dialogue est devenu quasiment
impossible.
Nous pouvons donc maintenant décrire d’une manière schématique comment on est
passé d’une controverse scientifique à une polémique publique sur les PGM et comment les
débats qui opposaient les experts ont émergé et se sont dispersés au niveau du grand
public. Ceux-ci n’ont fait surface qu’ à partir du moment où les journalistes ont jugé qu’ils
pouvaient intéresser le lecteur. Les biotechnologies végétales présentées comme « progrès
pour l’humanité » n’ont jamais fait la une des journaux. Par contre, elles sont devenues
intéressantes à partir du moment où elles ont pu être traitées comme une polémique
publique, voire une nouvelle crise agro-alimentaire en gestation. Pour cela, il a fallu que
quelques paramètres soient réunis : arrivée discrète des premières cargaisons de soja
modifié, transformation de ce fait anodin en un « événement scandaleux » par Greenpeace.
Depuis cette époque, les détracteurs des biotechnologies n’ont pas cessé de tenir le haut de
la tribune en continuant de créer l’image scabreuse des biotechnologies végétales. En
réaction, les promoteurs ont lancé tardivement une campagne d’information, en tentant,
dans un premier temps, de désamorcer la crise en employant les grands moyens ; puis dans
un second temps, de rétablir le dialogue.

402
En bref, on est forcé de constater que les actions revendicatrices propres à la
communication déstabilisatrice de Greenpeace ont eu plus d’impact que les messages
explicatifs et la communication institutionnelle de Monsanto et, qui plus est, ont donné lieu à
un suivi médiatique beaucoup plus large. Ce schéma permet de compléter les thèses qui ont
expliqué la réaction du public par un manque de compréhension de la technologie et donc le
refus du risque ou un manque de confiance dans l’institution et donc le rejet de l’autorité des
experts. Ici, on pourrait dire que les craintes suscitées par les crises précédentes ont fait le
tort des PGM en ne laissant pas de place pour la communication des industriels, en
amplifiant le suivi médiatique et enfermant celui-ci une fois pour toute dans le registre du
catastrophisme. On ne semble pas avoir pourtant encore avoir révélé la raison profonde du
problème. Aussi, si au niveau des experts on peut parler de controverses idéologiques en ce
sens que, les principes sur lesquels s’appuient les scientifiques, leur permettent d’affirmer
plus sur les risques qu’ils ne peuvent en affirmer (dans un sens comme dans l’autre), au
niveau de la sphère publique, elle est idéologique en ce sens que les acteurs, qu’ils soient
journalistes, militants ou consommateurs, s’appuient sur des connaissances et une
expérience qui n’a rien à avoir avec un sujet dont elles peinent à saisir la nature. C’est donc
sur cette dernière idée que nous voudrions revenir avant d’aborder la partie philosophique de
ce travail.

4.3.4 L’opinion publique et la « Nature » des PGM

Nous souhaiterions revenir sur un point particulier qui est celui de la « perception de la
nature » des PGM. C’est d’après nous un point central, qui délimite l’argumentation des
partisans, pro et anti-PGM. Nous avions pu voir dans les résultats de l’Eurobaromètre que les
2 affirmations les plus plébiscitées parmi la liste proposée aux sondés étaient les
suivantes « Même si l’alimentation génétiquement modifiée démontre certains avantages,
elle se trouve essentiellement contre la nature » (4,08 points) ; et « L’alimentation
génétiquement modifiée menace l’ordre naturel des choses » (3,96). On pourrait donc en
déduire que les sondés pensent profondément que la production de PGM est une activité
déviante. La méthode des Focus group semble démontrer cette hypothèse, il est cependant
intéressant de voir ce qu’elle recouvre. Ainsi, les sociologues ont pu observer des variations
en fonction des pays ; en Italie, par exemple, le terme de ‘non naturel’ n’était pas employé.
Pourtant, même quand le terme n’était pas employé, les participants avaient le sentiment
que « modifier le génome » introduisait une différence qualitative par rapport aux techniques

403
précédemment employées776. L’opinion étant en fait que, jusqu’à présent, les croisements
qui ont été réalisés se situaient dans le cadre naturel défini par la barrière des espèces
existantes et utilisent un procédé de fertilisation naturel. Avec la biotechnologie végétale, on
crée des nouvelles formes de vie qui n’auraient pas existé autrement, d’où le label « contre
nature » (unatural). Pour de nombreux participants, on s’était contenté d’accompagner la
nature (« helped nature along »). Avec le génie génétique, on pousse la nature au-delà de
ses limites (« Pushing nature beyond its limits ») et on renverse l’équilibre de la nature
(« upset the equilibrium of Nature »). On retrouve donc une certaine similitude avec les
opinions de l’eurobaromètre. Mais d’après les sociologues, les participants lieraient l’opinion
au fait que les scientifiques ne connaissent ou ne comprennent pas l’étendue de leur travail
et sont incapables d’anticiper les conséquences à long-terme de leur action sur l’écosystème,
la santé et les relations sociales en dehors de leur laboratoire777. C’est dans ce sens qu’en
Allemagne et en Angleterre, certains participants parlaient de « jouer à Dieu », en France, ils
employaient l’expression « d’apprentis-sorciers ».
En plus il a été constaté que, contrairement à ce que pensaient les acteurs de la
controverse sur les OGM (mythe n°6), l’aspect non naturel des OGM était également exprimé
pour d’autres innovations agricoles, telles que l’usage de pesticides, les farines animales, et
les antibiotiques dans l’alimentation animale. Les participants des focus group n’ont pas
exprimé l’idée que l’agriculture classique était nécessairement naturelle, ou ne posait pas des
problèmes similaires aux OGM778. Les participants avaient l’impression que la plupart des
innovations dans la production agricole étaient gouvernées par le besoin et l’envie
d’augmenter la productivité, de faire des économies d’échelle, des profits et que ces
tendances se trouvaient à l’origine de nourriture sans goût. C’est dans cet autre sens que le
concept de ‘contre-nature’ se trouvait employé ; l’exemple donné était celui de tomates
présentes toute l’année sur l’étalage : « belles mais sans goût ». Les sociologues affirment

776
« GMOs were frequently characterised as "unnatural" by focus group participants, although this
varied between countries (this was for example practically absent in the Italian focus groups). But
even when the term "unnatural" was not utilised, focus group participants in all five countries
expressed the feeling that directly modifying the genome was qualitatively different from any
previously used technique. »,Final Report of the PABE research project, Public Perceptions of
Agricultural Biotechnologies in Europe, funded by the Commission of European Communities, Contract
number: FAIR CT98-3844 (DG12 - SSMI), December 2001, p.p.60-61, 65 et 82.
777
« This was related to the idea that scientists do not know or understand the full extent of their
work, and cannot anticipate the long-term consequences of their actions on ecosystems, human
health and social relations outside laboratory conditions. » Ibid.
778
« Furthermore (and contrary to stakeholder myth n°6 described in section 8.3) many of the
concerns expressed about GMOs, including those about "unnaturalness", were also expressed in
relation to other agricultural innovations, such as the use of pesticides, animal-derived animal feed,
and antibiotics in animal feed. Thus, the focus group participants did not express the view that non-
GM agricultural technologies were necessarily natural or did not pose similar problems to GMOs. »
Ibid.

404
donc que, même considérées comme représentant un changement qualitatif, les
biotechnologies végétales sont perçues comme une suite logique dans la tendance
longuement établie de la manipulation de la nature779. Dans certains pays, tels que la France
et l’Angleterre, le concept d’agriculture organique était perçu comme pouvant renverser la
trajectoire instaurée. Dans tous les pays, l’évocation d’une alternative à l’hyper
technologisation et l’hyper-industrialisation des systèmes de production alimentaire était
présentée sous forme de paradigme : cibler la prévention plutôt que le soin, changer le style
de vie, se rapprocher de l’environnement naturel, une distribution plus équitable des profits,
une redéfinition des progrès. Toutes ces valeurs étaient intégrées dans une définition de ce
qui vaut comme naturel. Les sociologues du PABE en concluent donc que ces perceptions
battent en brèche l’affirmation des acteurs de la controverse qui affirment que la perception
publique du caractère non naturel des OGM est exclusivement basée sur une
incompréhension de la continuité entre la sélection classique et les techniques qui recourent
au génie génétique780.
En effet, cette notion revêt une certaine importance. Selon de nombreux promoteurs
des OGM et les scientifiques, il va de soi que le grand public est obsédé avec l’idée que les
OGM sont non naturels et que les autres techniques agricoles sont naturelles781 ; ils
utiliseraient alors cet argument comme une preuve supplémentaire de la mauvaise
compréhension que le public a du sujet. Ils en parlent alors avec désespoir et considèrent
cette perception comme un véritable obstacle au dialogue. De l’autre côté, les lobbyistes
anti-OGM insistent souvent sur le caractère supposé non-naturel des OGM en espérant
mobiliser des partisans. Le débat qui a lieu parmi les acteurs pour savoir s’il existe une
continuité ou une rupture entre les OGM et la sélection classique et étroitement associé avec
celui de l’aspect naturel des OGM. L’argument le plus utilisé des promoteurs des OGM est
que le grand public ne réalise pas que l’homme a modifié la nature et le génome des
organismes vivants depuis l’origine. Le fait que les OGM aient été décrits comme étant « non
naturels » par les participants des focus groups mais que de nombreuses technologies
préexistantes (semences conventionnelles, pesticides, engrais, farines animale) aux OGM
aient été également considérées comme non naturelles, est une raison suffisante, selon les

779
« Thus, although they were felt to represent a qualitative change, GM technologies were seen by
many participants as the next logical step in a long-established trend of manipulating Nature. » Ibid.
780
« This therefore challenges stakeholder myth n°6 described in section 8.3, which assumes that lay
perceptions of the "unnatural" characteristics of GMOs are exclusively based on a misunderstanding of
the technical similarities between conventional breeding and rDNA techniques. » Ibid.
781
« According to many promoters of GMOs and scientists, lay people are obsessed with the idea that
GMOs are unnatural. In this context, it is assumed that the lay public perceives all GMOs as
"unnatural" - and all other agricultural technologies as "natural". » PABE, Ibid.

405
sociologues du PABE, pour affirmer que la distinction faite entre ce qui est « naturel » et ce
qui est « non naturel », ne repose pas sur l’usage des biotechnologies végétales. D’autre
part, les participants auraient donné une définition de ce qu’il considère comme naturel782.
Les OGM s’inscrivent dans la continuité d’une agriculture ayant recours aux biotechnologies
considérée toute entière comme « non naturelle ». Ce serait donc les acteurs de la
controverse et certains sociologues qui auraient construit le problème, en faisant de l’usage
de la technique de l’ADN recombinant dans les OGM comme une distinction fondamentale
dans la réponse du public783. Aussi, il est faux de dire, comme certains acteurs, que le public
préfère les insecticides.
Lorsque les acteurs affirment que les PGM sont « non naturels », « que les
scientifiques repoussent les limites de la nature », «qu’on fait des plantes que la nature ne
ferait pas elle-même », ce n’est pas par un manque d’information sur la technologie ou par
une croyance quelconque, mais parce qu’ils pensent que les scientifiques ne maîtrisent pas
complètement leur technologie. Aussi, d’autres technologies agricoles seraient également
perçues comme « non-naturelles », et ce ne serait pas exclusivement le fait des PGM.
D’ailleurs une définition de ce qui est considéré comme étant naturel en donnant des critères
précis (prévenir plutôt que guérir, partager, protéger l’environnement…) a été donnée. Que
doit-on penser de cette analyse de second degré ?
On commencera par remarquer ce qui nous a semblé être une légère incohérence. En
effet, d’une part, les sociologues nous annoncent que les participants, dans tous les groupes
ont, soit employé le terme de « non naturel », soit évoqué une « différence qualitative »784
par rapport aux techniques utilisées précédemment. D’autre part, ils affirment que les
participants caractérisent également comme « non naturelles » d’autres technologies785. Il
semble donc y avoir ici une contradiction. Si les participants ont le sentiment d’une
« différence qualitative » par rapport aux technologies précédentes, et s’ils affirment

782
« GMOs were often described as "unnatural" by focus group participants. But many pre-existing
non-GM agricultural technologies were also considered to be "not natural", including the products of
conventional breeding and others such as pesticides, fertilisers, meat and bone meal. Therefore, the
distinction between what counts as "natural" and "unnatural" did not rest upon the use of GM
technologies, and the focus groups gave some clues as to what was incorporated into lay definitions
of "naturalness" »PABE, Ibid.
783
« Indeed it is the stakeholders, and some social science research, who have constructed GMOs as
the issue and the use of rDNA techniques as the key distinction for public responses (for example by
commissioning the Eurobarometer which focuses solely on these technologies). »Ibid.
784
« But even when the term "unnatural" was not utilised, focus group participants in all five countries
expressed the feeling that directly modifying the genome was qualitatively different from any
previously used technique. »PABE, Ibid.
785
« Furthermore (and contrary to stakeholder myth n°6 described in section 8.3) many of the
concerns expressed about GMOs, including those about "unnaturalness", were also expressed in
relation to other agricultural innovations, such as the use of pesticides, animal-derived animal feed,
and antibiotics in animal feed. »Ibid.

406
également que ces technologies « sont également non naturelles », alors, on doit en déduire
que, soit le public est incohérent, soit il n’accorde pas le même sens à l’aspect « non
naturel » des PGM et des autres technologies agricoles mises en cause. Cette contradiction
est confirmée par le fait que les participants aient employé les expressions « d’apprentis
sorciers » pour caractériser les scientifiques, qu’ils voient les PGM comme des plantes
« transgressant la barrière des espèces » et allant à « l’encontre de l’ordre naturel »… Ces
expressions sont loin d’être neutres, même si dans la bouche des participants, elles n’étaient
pas employées au sens fort. Même si on peut être d’accord avec l’analyse du deuxième
niveau qui rattache l’ensemble de ces problèmes à un jugement critique sur l’ensemble des
biotechnologies et son entreprise d’exploitation de la nature par l’homme - les PGM ne sont
pas naturelles parce qu’elles poursuivent, elles aussi, l’entreprise d’exploitation déraisonnée
de la nature par l’homme - il n’en reste pas moins que, pour les acteurs des focus groups,
les PGM semblent se détacher des autres technologies, en ce sens qu’elles sont considérées
comme plus « contre nature ». De ce point de vue, l’analyse des acteurs de la controverse
n’était pas si mythique qu’elle en avait l’air. En effet, si ces derniers affirment que « le grand
public pense de manière fausse que les OGM sont non naturels », alors, on se doute bien
qu’en ce qui les concerne, ils défendent l’idée selon laquelle il y a une continuité entre la
sélection classique et les PGM. Cette théorie s’oppose à celle des « environnementalistes »
qui affirment qu’il y a rupture.
Mais en tout état de cause, il y a ici, comme on le voit, deux problèmes différents :
d’une part, celui de la « nature des PGM », et d’autre part celui de « l’aspect naturel des
technologies agricoles en général ». En effet, le public perçoit bien les PGM comme une
technologie non naturelle en ce sens qu’elle « produirait des plantes que la nature n’est pas
786
en mesure de produire » et là, il y a bien un présupposé idéologique sur la technologie,
similaire à celui qui oppose les experts.
Ensuite, il y a le fait que le public considère que les PGM ne sont pas naturelles en ce
sens qu’elles poursuivent l’entreprise d’exploitation de la nature qui est aujourd’hui fortement
dénoncée et perçue comme une menace. Les PGM seraient alors le pas de plus dans cette
direction qui éloigne l’homme de la nature et le citadin de la campagne. Puisqu’au fond,
comme l’affirme les sociologues du PABE, les raisonnements du public sont légitimés par un
recours à l’expérience personnelle. La réponse à cette nouvelle technologie qui semble

786
Il est amusant de constater que l’on retrouve mot pour mot la thèse de Greenpeace dans la
bouche du public. Sans doute s’agit-il d’un hasard, puisque comme l’on montré les sociologues, les
médias n’ont pas eu l’influence qu’on leur a prêtée sur l’opinion publique.

407
éloigner un peu plus l’homme d’une nature idyllique pourrait facilement être interprétée
comme l’expression d’un mal-être.
Il y a donc bien comme on le voit deux problèmes, aussi, que les participants aient lié
les 2 au cours d’un discussion n’a rien d’étonnant. Habitué aux affaires et autres scandales
alimentaires, ceux-ci se trouvaient effectivement dans un état d’absence de confiance par
rapport à l’industrie agro-alimentaire et aux institutions chargées de réguler le marché ; de
ce point de vue, il est tout à fait normal que le citoyen se fonde sur son expérience pour
établir une analogie entre sa perception du risque des technologies agroalimentaire et le
risque des PGM pour y voir une raison supplémentaire de se réfugier dans une perception
idéale de la nature comme garante d’une alimentation saine. Mais, il y a plus. Sensibilisé par
les campagnes de Greenpeace, l’indécision des politiques, le silence puis les campagnes
d’information tardives des industriels et les articles sans concession des journalistes, le
citoyen a adopté les théories qui affirment des PGM qu’elles sont « non naturelles ». Et c’est
ce dernier élément qui a été à l’origine d’une mise en exergue des PGM, plus que n’importe
quelle autre biotechnologie. Aussi, si certains acteurs ont affirmé - comme s’en sont étonnés
les sociologues du PABE - que « le public anti-OGM était pour les pesticides»787 , on peut
penser que ces remarques étaient essentiellement fondées sur le fait que les promoteurs des
PGM ont senti une injustice dans le fait que les médias aient fait couler plus d’encre sur cette
nouvelle technologie qui n’a tué personne, que sur l’usage trop abondant des pesticides dont
on connaît les effets néfastes depuis maintenant un certain temps.
Le simple fait que l’on ait réalisé tant d’études pour tenter d’expliquer la réponse
apparemment négative du grand public n’est-il pas une preuve supplémentaire ? En effet,
dans le cas de la vache folle par exemple, on ne se demande pas pourquoi le public a une
opinion néfaste des farines animales. La controverse et la polémique sur les PGM ont donc
plus pour origine la perception d’une spécificité de la nature des plantes que l’assimilation de
la transgenèse végétale aux autres biotechnologies.

4.4 Synthèse sur les aspects publics, médiatiques et communicationnels


Qu’il s’agisse des études menées dans le cadre de l’Eurobaromètre ou du PABE, on
constate une très forte réaction des interviewés et des participants aux Focus groups qui
contraste avec l’absence de connaissances exactes des citoyens à ce sujet. Si la première
étude, en utilisant la méthode classique des sondages d’opinion, a mis en évidence ce que

787
« A consequence of this analysis is that it is inaccurate to portray people who are concerned about
GMOs as being necessarily 'for' pesticides - as was often the case in stakeholder interviews. » Ibid.,
p.83

408
certains acteurs impliqués dans la controverse ont interprété comme une opposition forte et
irrationnelle, la reprise et l’analyse de ces assertions de premier niveau par la méthode des
focus groups aurait démontré le caractère « sensé » de cette opposition. Autrement dit, ce
qui pouvait être considéré comme une « opposition idéologique » devient une « attitude
critique à l’égard de l’institution scientifique ». Le scepticisme des participants serait
totalement justifié. Le citoyen s’appuie sur son expérience quotidienne pour demander aux
institutions de lui rendre des comptes sur une technologie qu’il ignore et dont il ne voit pas
très bien l’utilité.
A cela s’ajoute le « manque de confiance », comme l’ont démontré les études du
PABE – celui-ci étant essentiellement construit sur les expériences personnelles antérieures.
Il n’en reste pas moins que le blocage actuel de la situation est dû à un manque de
compréhension de la technologie et a subi l’influence de l’introduction de notions
idéologiques. Notre hypothèse est que celles-ci ont filtré des experts et des associations anti-
PGM788 pour informer, voire, influencer le public. Le mythe selon lequel le public refuse les
PGM parce qu’il est mal informé n’est, à notre avis, qu’en partie un mythe. Si la réaction du
public se fonde sur une perception aiguë du risque qui a sa légitimité en soi, on est obligé de
constater que l’objet de la peur est imaginaire et systématique. Comment le public pourrait
avoir une vision juste d’une technologie qu’il ne connaît seulement par ce qu’on lui en a dit
et en se fondant sur ses expériences néfastes passées ? Cela reste pour nous un mystère.
Notre hypothèse est donc que le public a établi une généralisation trompeuse de ses
expériences passées en matière de risque alimentaire (trompeuse en ce sens que les PGM ne
sont, rappelons-le à l’origine d’aucun accident, ce qui n’est pas le cas des autres crises
alimentaires). Généralisation qui a été confortée par la couverture médiatique négative que
les médias ont donné des PGM et l’introduction de jugement de valeurs fondés sur des
idéologies. Aussi, pour le public, comme pour les experts, l’aspect des PGM sur lequel
achoppe le débat et qui constitue la base de celui-ci est, à notre avis, la compréhension du
rapport « technologie-nature ». C’est parce que les protagonistes n’ont pas les mêmes
définitions de ces mots et la même conception de ce rapport, qu’ils ne peuvent se mettre
d’accord sur le sort réservé aux PGM. C’est ce que nous souhaiterions désormais étudier.
Enfin, si la perception du risque n’est pas un mal en soi, elle en devient un quand elle se
trouve à l’origine de blocage ou la multiplication d’idées fausses.

788
Bien que le PABE pense avoir démontré que le public n’est pas une tabula rasa manipulable à
souhait par les médias - c’est l’affirmation du mythe 10 - dans le cas des PGM, les médias ont
forcément contribué à influencer le public dans ses jugements de valeur : en effet, il s’agit d’une
nouvelle technologie qui est restée quasiment inconnue jusqu’à ce que les journaux en parlent.
Autrement, dit, dans ce cas, ils sont la principale source d’information, si ce n’est la seule (la
communication des industriels restant limitée malgré les moyens mis en œuvre).

409
5. Aspect philosophique : Le nouveau rapport « technologie-nature » à l’origine
du problème.
Nous avons essayé de montrer précédemment que dans le domaine de l’expertise,
aussi bien que dans la sphère publique, le débat sur les PGM est de nature idéologique.
Lorsque nous employons le terme « idéologique » pour le domaine de l’expertise, c’est dans
le sens que, lors de leurs interprétations des faits scientifiques, les experts pro-PGM et anti-
PGM ne font pas la même lecture des paradigmes que sont le principe d’équivalence en
substance, le principe de précaution et du calcul risque-bénéfices. De ce point de vue,
l’idéologie est un a priori théorique qui, sous la forme d’un principe, influence le débat sur
l’évaluation des risques. De même dans la sphère publique, comme l’ont montré les études
que nous avons étudiées, les consommateurs rejettent a priori les PGM, parce qu’à la
recherche d’une nourriture qualitative ils associent « qualité »,« sécurité »,« bon goût » et
« nature », or les PGM leur paraissent doublement éloignées de la nature (en tant
technologie et en tant qu’êtres hors norme) . Aussi, obsédés par les différentes crises qui ont
touché le secteur de l’agro-alimentaire, ils ne font plus confiance aux institutions. On peut
parler ici d’idéologie en ce sens qu’il s’agit d’un a priori sur une technologie incertaine et des
plantes non identifiées, qui s’est forgé à la suite d’autres mauvaises expériences. Dans le
domaine publique, l’idéologie s’exprime donc sous la forme d’un amalgame. Les industriels,
quant à eux semblent également faire un amalgame quand ils veulent imposer une
technologie sans prendre en considération certaines aspirations, ou tout du moins ne
prennent pas la peine de communiquer sur celles-ci. Aussi, pour convaincre les
consommateurs du bien fondé de la transgenèse végétale, ils devraient faire l’effort de
démontrer en quoi elle ne s’oppose en rien à ce que ceux-ci attendent de l’offre du marché
de l’agro-alimentaire. Car après tout, si le problème a une origine idéologique, alors, il doit
bien exister un moyen de désamorcer cette situation qui fait que les PGM ne trouvent pas
leur place sur le marché. Il semble donc essentiel d’aller à l’origine même du problème. Car
qui dit idéologie, dit forcément une implication philosophique forte. Nous souhaiterions donc
maintenant étudier comment la controverse scientifique et la polémique publique sur les
PGM trouvent leurs origines premières dans des conceptions philosophiques opposées de
l’idée de nature et comment cette querelle est venue à l’ordre du jour à la suite d’un rapport
inédit « technologie-nature ».
D’autres études ont déjà montré que « le débat sur l’évaluation du risque est marqué

410
par l’opposition entre deux cultures scientifiques. » La première, défendue principalement par
les spécialistes de biologie moléculaire, considère que le génie génétique s'inscrit dans un
rapport de continuité avec les techniques de sélection végétale traditionnelles. La
transgenèse permet de travailler plus proprement car la sélection précise des fragments
génétiques introduits augmente le degré de maîtrise de l'opération. Cette position est
largement soutenue par les instances institutionnelles au niveau international. A l’opposé,
« Le second courant est porté par les disciplines centrées sur les sciences de
l'environnement, comme l'écologie ou la génétique des populations. La transgenèse est
considérée comme une technologie de rupture qui peut poser, de par sa nouveauté, des
problèmes insoupçonnés. C'est donc une source d'incertitude majeure qu'il convient
d'évaluer par une démarche systématique et spécifique. L'idée que l'ensemble des effets
adverses puissent être prédits à partir de l'étude de la séquence d'ADN est rejetée. Une
approche large de l'évaluation des risques, qui prend en compte l'effet des OGM dans les
conditions réelles des systèmes de production et des écosystèmes, est ainsi revendiquée.
Alors que dans l'optique précédente l'accent est mis sur le gain de familiarité, il est mis ici
sur l'incertitude radicale. » Cette 2ème position caractérise généralement l’attitude
européenne qui s’est distinguée par la mise en place d’un moratoire. Or, « la controverse
n'est pas close pour autant car il n'est pas possible de trouver un accord entre des points de
vue si différents. Dans les deux cas, le bouclage est sociopolitique, même si les tenants de la
première interprétation se revendiquent fréquemment de la "sound science", rhétorique qui
ne sera pas sans succès compte tenu de leur position dominante dans les arènes
scientifiques et réglementaires. »789
Si ces commentaires correspondent bien à ce que nous avons pu observer au cours
de notre étude sur les controverses scientifiques, il est pourtant nécessaire d’approfondir
ces réflexions. Aussi, s’il nous paraît intéressant de départager, comme le fait A. Roy, les
protagonistes de la controverse scientifique en utilisant le critère des ‘cultures scientifiques’,
il faut cependant préciser que cette démarcation n’est pas toujours respectée. En effet, si on
entend par ‘culture scientifique’ l’appartenance à une discipline donnée, alors, on voit que
cela ne permet pas toujours de fixer des classifications. Par exemple, des opposants aux
PGM tels que Mae Wan Ho ou Gilles Eric Séralini, sont tous les 2 biologistes moléculaires de
formation. Quant à Clauss Hamann, qui est lui un fervent partisan, il est directeur du jardin

789
Roy, A. (2000). Expertise et appropriation du risque. Le cas de la Commission du Génie
Biomoléculaire. Rouen, Université de Rouen. Nous reprenons ici le commentaire de Pierre-Benoit JOLY
et Claire MARRIS sur ces études dans un exposé intitulé Mise sur agenda et controverses : Une
approche comparée du cas des OGM en France et aux Etats-Unis présenté lors du colloque organisé
les 7-8-9 février 2001, par le CNRS sur Risques collectifs et situations de crise. Bilans et perspectives.

411
botanique de l’Université de Berne et spécialiste du flux des gènes. De même, il semble
difficile de classifier les opposants selon qu’ils appartiennent ou non à un courant scientifique
dit ‘orthodoxe’. Patrice Courvalin ou Jacques Testart, par exemple, se sont opposés
explicitement aux PGM, le premier lors de la controverse sur l’usage des antibiotiques, le
second lors de nombreux articles de fond et d’une manière militante, pourtant on peut
classer ces deux scientifiques comme des ‘scientifiques orthodoxes’, même s’il est vrai que
Jacques Testart a récemment eu quelques prises de position critiques sur le progrès
technologiques. Aussi, nous pensons que, plus qu’à des cultures scientifiques, le débat sur
les PGM renvoie à des approches philosophiques différentes du rapport ‘technologie-nature’.
Ainsi, nous serions en présence de deux thèses : celles des opposants que nous
appellerons pour l’instant, ‘naturalistes’, affirme que « les PGM sont artificielles, voire contre-
nature, produites par une technologie irrespectueuse de la nature et arrogante du fait de son
ignorance ». Le présupposé idéologique de cette technologie étant que la nature est une
entité subjective qui dépasse la technologie humaine, capable de faire le bien de l’homme
indépendamment de l’intervention de celui-ci790. En face de cette thèse, nous trouvons celle
des partisans que nous nommerons, ‘techniciste’, pour qui : « les PGM s’inscrivent dans le
continuum d’un processus naturel (le transfert horizontal d’information génétique) que la
technologie a été capable de reproduire. » Dans ce cas, la nature et la technologie sont
indifférenciées (elles sont posées d’égal à égal) en ce sens que la seconde prend en charge
l’évolution de la 1ère en développant certaines de ses possibilités latentes. Cette prise en
charge est donc acceptée et même exigée ; en effet, la nature n’a pas la valeur
providentielle que la 1ère thèse lui accorde et n’existe pas indépendamment du sens que lui
procure l’homme. D’après nous, cette opposition est fondamentale pour comprendre les
controverses entre les experts, mais également la polémique au niveau de la société où,
comme on l’a vu, une opposition s’est créée entre industriels et opinion publique.

5.1 La thèse naturaliste

Résumer la thèse naturaliste n’est pas une tâche facile ; pour donner un aperçu synthétique
de cette pensée, nous nous sommes penchés sur 4 problématiques : la complexité du vivant,
la critique de l’illusoire maîtrise des biotechnologies, la croyance en la barrière des espèces,
enfin, la distinction entre deep ecology et écologie scientifique. Après ces exposés, nous
nous interrogerons sur le rapport technologie nature au sein de ce courant de pensée.

790
Nous avons conscience de l’aspect systématique de ces définitions ; mais il s’agit ici pour l’instant
d’évoquer des grands courants de pensée.

412
La complexité du vivant : un obstacle à la technologie
Dans son ouvrage à destination du public « OGM, le vrai débat », Gilles Eric Séralini expose
sa thèse sur la controverse des PGM791. Selon lui, les partisans des PGM ont une vision
‘réductionniste’ et ce, de 3 points de vue : Un réductionnisme génétique (1 gène = 1
fonction), un réductionnisme de l’évaluation toxicologique (appréhension des risques les uns
après les autres, ou sur une courte période), un réductionnisme enfin des écosystèmes
(« manque d’évaluation de l’environnement au sens large (autre qu’agricole), consécutif à un
manque de connaissance des écosystèmes »). A ce réductionnisme qui, comme on le voit,
inclut aussi bien des notions méthodologiques que philosophiques, il oppose sa vision qu’il
intitule « à complexité intégrée ». Cette dernière a appris que « des résultats récents de la
génétique moléculaire, de la recherche de pointe, que les gènes avaient souvent des
fonctionnements régulés de manière corrélée et complexe, voire inattendue, que la vie du
génome était subtile et fluide, que la place d’un transgène sur un chromosome pouvait
influencer considérablement la variabilité de son expression au cours du développement ou
selon un tissu. C’est l’effet de position ‘mal compris’ »792. Le biologiste moléculaire évoque
alors l’idée selon laquelle « la fonction d’un gène n’est pas forcément conservée d’une
espèce à une autre » ; il cite les ‘transposons’ et l’effet du ‘silencing’ qui peut provoquer
l’extinction de certains transgènes. Cette théorie va donc à l’encontre de la « maîtrise »
revendiquée par certains défenseurs du génie génétique qui argumentent que les
modifications génétiques fournissent une plus grande précision. L’auteur propose alors « de
faire évoluer rapidement les normes toxicologiques dans le sens d’une complexité intégrée.
Ce qui signifie : tester les OGM à pesticide comme des pesticides, avec des expérimentations
de toxicologies et de cancérologies sur des rongeurs et non rongeurs et sur des
mammifères.»793 En bref d’après G.E. Séralini, le réductionnisme serait source de risques
sanitaires et la vision à complexité intégrée permettrait de prévenir d’avantage l’ensemble de
ces risques. Il serait donc nécessaire, avant d’introduire les nouvelles plantes sur le marché,
de procéder à des tests du type de ceux que l’on effectue pour un médicament. La prise en
compte de l’ensemble des paramètres scientifiques démontrerait la faiblesse de la
technologie.

791
Gilles-Eric Séralini, OGM, le vrai débat, coll. Dominos, Flamarion, p.79.
792
Ibid., p.83.
793
Ibid., p.85.

413
On retrouve cette idée de complexité du vivant chez un ingénieur agronome tel que
Pierre-Henry Gouyon794. Ce dernier affirme les limites du génie génétique ; d’après lui,
« connaissant un gène, on est actuellement incapable de prédire avec certitude la structure
de la protéine produite par ce gène dans un contexte donné. Certains affirment pouvoir
comprendre les mécanismes en jeu dans les OGM, puisque l’on sait sur quel(s) gène(s)
portent les modifications. Les études de génétique écologique ont montré qu'on ne connaît
en général pas les effets d’un gène donné dans un environnement complexe. De plus, on
n’est pas sûr que le gène exprime la même forme de protéine quand on l’a transféré d’un
organisme dans un autre. Par conséquent, à l’heure actuelle, on ne sait rien concernant les
OGM. Et ceux qui prétendent savoir font preuve d’une certaine mauvaise foi. » Le
scientifique en conclut que les craintes émises à l’égard de la transgenèse végétale n’ont rien
d’irrationnelles, non pas en ce sens qu’elles portent sur la transgression des espèces, mais
en ce sens qu’elles dénoncent l’existence d’un phénomène imprédictible : On l’a vu, la
biologie est empirique. « Elle ne peut affirmer que ce qu’elle a vu se produire de nombreuses
fois, assez pour faire des statistiques. Son manque de fondement théorique ne lui permet
donc pas de prédire l’évolution de situations nouvelles. Les transgressions qui inquiètent les
citoyens sont exactement de cet ordre. Il s’agit de créer des situations qu’on n’a pas encore
expérimentées. Au fond, s’en inquiéter, ce n’est peut-être pas aussi irrationnel que ça en a
l’air. Dans ce cadre, au contraire, prétendre qu’on peut être affirmatif sur les conséquences
est-ce de l’ordre de la science ? »
Cette réflexion évoque une problématique sur les biotechnologies qui a vu le jour à
Asilomar. La question des limites des applications technologiques issues des sciences du
vivant semble être sans fin. Ainsi, narrant les suites de la Conférence d’Asilomar, Claude
Debru, dans son livre Le possible et les biotechnologies s’inspire d’une anecdote tirée d’un
livre de Stephen Hall pour réfléchir sur la peur de l’inconnu. L’historien des sciences évoque
une réunion qui eu lieu entre George Wald, un biologiste américain hostile aux expériences
de l’ADN recombinant et Henry Rosovsky, doyen de la faculté des arts et des sciences qui
avait organisé la rencontre dans son bureau. Ce dernier apostropha Wald de la manière qui
suit : « Quoi ! Vous êtes en train de me dire que c’est nouveau ? Vous êtes en train de me
dire que vous avez peur de l’inconnu ? Je croyais que le but de la science c’était d’explorer
795
l’inconnu. » D’après Claude Debru, « on serait tenté de dire que l’inconnu crée

794
« Carte blanche à Pierre Henri Gouyon » - Philosophie Société et éthique de la recherche en
génomique- sur www.futura-sciences.fr 25/05/2003 ; voir également du même auteur , Les
harmonies de la Nature à l’épreuve de la biologie, évolution et biodiversité , 2000, INRA, collection
Sciences en question.
795
Stephen Hall, Les débuts du génie génétique, trad. Nathalie De Broc, Paris, Plon, 1990, p.45.

414
nécessairement l’appréhension. La peur de l’inconnu peut être aussi insupportable que celle
du connu. Mais elle est peut-être, en tant qu’expérience, plus fondamentale et plus banale à
la fois. Quoi de plus commun que la peur de l’inconnu ? Les biologistes opposés à l’ADN
recombinant proféraient sans le savoir une évidence. Ils reniaient le fait que la science se
construit contre cette peur banale. C’est l’attrait de l’inconnu qui est le moteur de la
démarche scientifique. Peur et attrait : la confiance que le scientifique finit par ressentir à
l’égard de ses propres pratiques se construit aussi comme l’appréhension, laquelle est
intimement mêlée à l’attrait. »796
La thématique de la complexité du vivant repose pour une bonne part cette
dimension de la peur de l’inconnu. Comme on le voit, la prise en compte de cette complexité,
vue comme une forme d’opacité, est propre au naturalisme. En ce sens, la connaissance
scientifique du vivant devrait l’emporter sur sa manipulation. Les anti-PGM reprochent
constamment à la transgenèse végétale son manque de rigueur et son relativisme. Celle-ci
ne peut jamais reproduire les situations dites ‘naturelles’. Sans entrer dans les accusations
polémiques du style : « les tests sont impuissants » ou,« ils ne sont pas effectués », les
anti-PGM reprochent constamment à la technologie de n’être pas à la hauteur de la science.
Il y aurait un écart entre les applications technologiques et les connaissances scientifiques du
réel, ces dernières supposant un ordre établi. Ce que l’on retrouve au fond de ce doute
méthodologique qui porte sur les applications de la transgenèse végétale, c’est un reproche
de l’illusion de la maîtrise technologique et la mise en avant de l’impuissance de humaine
face à la complexité du vivant. Aussi, comme nous allons le voir, ces théories anti-PGM
s’enracinent dans une pensée environnementaliste et sacralisante de l’idée de ‘nature’.

L’environnementalisme de J. Rifkin : l’illusoire maîtrise des biotechnologies


L’un des premiers penseurs à avoir dénoncé l’illusoire maîtrise des biotechnologies dès leur
apparition sur le devant de la scène est l’économiste Jérémy Rifkin. Depuis Asilomar, le
penseur contestataire n’a cessé de s’opposer aux applications du génie génétique au point
d’en faire un véritable cheval de bataille idéologique. Dans le Siècle Biotech797, son ouvrage
le plus célèbre, il soutient l’ensemble des thèses qui seront reprises par tous les opposants
aux PGM : « L’objet final du transgénéticien est de concevoir un organisme parfait… Le
transgénéticien est l’ingénieur par excellence : il a pour tâche d’accélérer le processus
naturel de l’évolution en programmant des créations nouvelles qu’il considère comme plus

796
Claude Debru, Le possible et les biotechnologies, p.216
797
Jeremy Rifkin, Le Siècle Biotech, édition la Découverte.

415
efficaces que celles qui existent déjà à l’état naturel. »798 Aussi, après avoir comparé la
transgenèse à l’alchimie799, il soutient que « S’il y a une leçon à tirer de l’Histoire, c’est bien
l’idée que toute révolution technologique présente des avantages et des inconvénients. Plus
une technologie se montre efficace dans l’expropriation et le contrôle des forces de la
nature, plus le prix à payer en termes de perturbation et de destruction des systèmes
écologiques et sociaux est élevé. Il suffit d’évoquer nos expériences les plus récentes en
matière d’énergie nucléaire et pétrochimique pour constater la validité de cette vérité
immémoriale. » Or tout en mettant en valeur les pouvoirs extraordinaires de la nouvelle
technologie sur la nature, l’auteur en dénonce l’illusoire maîtrise : « A qui fera-t-on croire, ne
serait-ce qu’un instant, qu’un pouvoir aussi inouï ne présente aucun risque substantiel ? »800
Comme on le constate, à la complexité de la nature précédemment affirmée, s’ajoute
ici une sorte de fatum historique des technologies : toutes les grandes technologies de
l’humanité se sont révélées des sources de risques démesurées, pourquoi les biotechnologies
échapperaient-elles à la règle ? Alors que chez des experts comme Séralini ou Gouyon, le
risque a pour origine la complexité de la nature, ce qui fait que les réalisations
technologiques se trouvent toujours en dessous des connaissances scientifiques que l’on
peut avoir de la nature, chez Rifkin, s’ajoute le destin de la technologie humaine : celle-ci
semble vouée à une réalisation malheureuse. C’est le thème de la boîte de Pandore, qui
permet au penseur de basculer de la définition des biotechnologies en terme de « nouvelle
révolution » à celle de « nouvelle menace pour l’environnement » : « L’histoire des souris
porteuses du supersida constituent une mise en garde : les nouvelles techniques de
recombinaison de l’ADN sont une boîte de Pandore, et nul ne peut prévoir les conséquences
que peut entraîner la recombinaison de matériaux génétiques appartenant à des espèces
séparées jusqu’à aujourd’hui par des barrières infranchissables. Pratiquement tous les
organismes obtenus grâce au génie génétique qui ont été lâchés dans l’environnement
801
constituent un danger potentiel pour l’écosystème. » Rifkin emploie donc le terme de
« pollution » pour caractériser la présence d’OGM dans l’environnement. Aussi, d’après lui,
cette pollution diffère de la pollution pétrochimique et est plus dangereuse qu’elle pour
plusieurs raisons :
- Qu’ils soient vivant fait « qu’il est beaucoup plus difficile de prévoir toutes les

798
Ibid., p82.
799
« La transgenèse est tout à la fois une philosophie et un processus. Elle combine perception de la
nature et action transformatrice. Il s’agit là d’une révolution de la pensée d’une envergure comparable
à la révolution technologique en cours. Nous passons de la métaphore alchimique à la métaphore
transgénétique. » Rifkin, Ibid.
800
Ibid., p.83.
801
Ibid., p.138.

416
conséquences que la propagation d’un OGM peut avoir sur les écosystèmes de notre
planète. »
- Ils peuvent se reproduire, croître et migrer, par conséquent, « il est difficile de les
confiner au sein d’un périmètre donné. » Il y a donc une irréversibilité du risque
introduit.
Afin de bien faire comprendre l’impacte environnemental, l’auteur compare l’introduction des
OGM dans la nature à celui d’espèces exogènes sur le territoire d’Amérique du Nord :
« Chaque année, le continent américain est dévasté par des organismes exogènes, dont
l’effet destructeur sur la faune et la flore locale se chiffre en milliard de dollars. »802 Cette
comparaison permet à l’auteur d’introduire une notion fondamentale, notion qui est la
preuve de son naturalisme : « Chaque fois qu’on lâche un OGM dans la nature, il y a
toujours un risque, fût-il mineur, qu’il se déchaîne car, comme toutes les espèces non
indigènes, il a été introduit de façon artificielle dans un environnement complexe où s’est
créé, au fil des millénaires d’évolution, un réseau très dense de relations intégrées entre les
espèces. A chaque introduction d’un nouvel organisme, on joue à la roulette russe
écologique. Les chances de déclencher une catastrophe sont faibles, mais si celle-ci se
produit, ses conséquences risquent d’être considérables et irréversibles. »803 A la suite de
cette analyse, l’auteur part dans une évocation des risques à long terme et à grande échelle
afin d’amplifier la visualisation du lecteur. Aussi, il insiste sur la légèreté et l’absence de
précaution avec lesquelles les institutions américaines ont fait confiance aux scientifiques qui
ont revendiqué posséder les connaissance suffisantes pour développer sans risque des PGM
dans l’environnement. Contrairement à cette attitude laxiste, Rifkin appuie la mise en place
d’une écologie prédictive capable d’étudier les risques de manière chronique et sur des
espaces suffisamment grands et diversifiés pour donner une idée du danger réel. Cependant,
il affirme que les institutions telles que l’EPA et le NAS n’ont pas été capables de tenir de tels
engagements malgré la bonne volonté qu’elles affichaient au départ.
Dans un chapitre intitulé « La roulette russe écologique » l’auteur évoque le cas des
PGM. On notera alors avec intérêt cette remarque: « Une grande partie des cultures
obtenues par modification génétique en laboratoire ressemblent tout à fait à des créatures
de science-fiction. »804 A la suite de ce commentaire, on trouve une énumération des
réalisations les plus saugrenues. Aussi, de nouveau, Rifkin dénonce l’imprévisibilité des
« conséquences de la violation des frontières entre les espèces qui a lieu chaque fois que

802
Rifkin, Ibid., p.140.
803
Ibid.
804
Ibid.p.151

417
l’on introduit dans une plante les gènes d’une espèce végétale ou animale complètement
différente. » L’auteur argumente en affirmant que depuis 10000 ans, la sélection
traditionnelle s’est limitée « au transfert de gènes entre végétaux ou animaux sexuellement
compatibles », il en va de même pour la reproduction naturelle du vivant. L’auteur en déduit
que l’on n’a aucun moyen de prévoir les effets « de ce qui apparaît comme une redéfinition
totale des règles du développement biologique au service de l’économie marchande. »805 Sur
une dizaine de pages Rifkin résume alors l’ensemble des problématiques que nous avons eu
l’occasion d’étudier précédemment. Aussi, on sera attentif à l’aspect dramatique que l’auteur
donne à la chose: « la propagation incontrôlable de mauvaises herbes indestructibles,
l’apparition de souches résistantes de bactéries et de nouveaux superinsectes, l’émergence
de nouveaux virus et la déstabilisation d’écosystèmes entiers ne sont plus aujourd’hui des
menaces marginales agitées par des opposants aigris. En ignorant leurs avertissements, on
met l’avenir de la biosphère et de la civilisation en danger. Le dernier acte du scénario prévu
pour le siècle des biotechnologies nous réserve peut-être une vague de fléaux agricoles, de
famines et d’épidémies inconnues. »806
Ces quelques pages de J. Rifkin résument la quasi-totalité des thèses défendues par
les partisans anti-PGM. On retrouve ici deux idées fondamentales de la philosophie
naturaliste : « les biotechnologies donnent au bio-ingénieur » l’illusion d’une maîtrise totale
de son objet, pour la bonne et simple raison que, d’après Rifkin,
« l’efficacité technologique » implique forcément l’existence d’un risque inconnu. D’où l’idée
d’une menace environnementale deux fois plus dangereuse que toutes les autres sources de
pollution. En effet, parce qu’elles sont vivantes, les applications du génie génétique sont
imprévisibles et irréversibles.
Le pouvoir de la technique est, comme on le constate, plus que limité au sein d’un
environnement complexe. Il y a bien, une faillibilité et une infériorité de la technologie par
rapport à la nature (ainsi le transfert des gènes et la transgression des espèces restent
inférieurs à la sélection et à la reproduction naturelle), qui est considérée comme un tout fait
de relations auquel la technologie de l’homme reste subordonnées. Ce que fait la nature est
forcément la perfection, alors que le génie génétique, lui, est voué à l’échec.

L’ordre naturel et la barrière des espèces


L’idée d’un ordre naturel garanti par la barrière des espèces est fondamentale pour la thèse
naturaliste. En effet, admise comme principe, elle sert de ‘garde-fou’. Poser l’existence d’une

805
Ibid., p.152.
806
Ibid., p.166.

418
barrière des espèces, c’est considérer comme absurde toute tentative de transgression,
puisque cela reviendrait à aller à l’encontre. C’est ainsi que Rifkin parle de « violation de la
barrière des espèces » pour caractériser l’opération qui consiste à introduire un gène animal
dans une espèce végétale. Cette thèse, qu’elle ait recours à l’argument de la complexité du
vivant ou qu’elle soit emprunte de créationnisme, fait l’unanimité parmi les
environnementalistes et est l’argument ultime contre la transgenèse végétale. C’est ainsi que
dans son ouvrage, Plantes et Aliments Transgéniques, le botaniste Jean-Marie Pelt, consacre
un chapitre entier au thème de « Transgenèse et transgression »807. L’auteur affirme : « Bien
que cela ne soit jamais dit nulle part, l’idée fondatrice du génie génétique est la notion de
mélange. L’axe de cette discipline et des notions de biotechnologies qui en découlent
consiste à mélanger à son gré et sans limites les gènes autrement qu’à l’intérieur des
barrières sexuelles que la nature a dressées entre les espèces. L’objet du génie génétique
revient en somme à associer des gènes que la nature a séparés. »808 Or si la « nature »
autorise certains mélanges et à l’inverse interdit la consanguinité, ou l’idée de « race pure »,
« on a pu vérifier en revanche, que l’interfécondité des cultures dans le respect de leur
identité et de leur diversité débouche sur le dialogue fraternel, la compréhension mutuelle et
la paix. » On constate que le botaniste argumente avec des notions autres que purement
biologiques. Et on va voir que selon lui, la transgenèse est définie comme une
« transgression » qui va à l’encontre de principes éternels établis par les mythologies les plus
anciennes : « Car, au-delà des lois immémoriales de la nature, au-delà de toutes prudence,
de toutes « précautions » dirait-on aujourd’hui, l’idéologie du mélange sans limite prend à
revers toute la tradition occidentale. Qu’il s’agisse des audaces de Prométhée dans la
mythologie grecque ou de l’exclusion du jardin d’Eden, relatée dans le livre de la Genèse, on
assiste toujours à la même mise en garde : Ne franchissez pas la ligne, sinon, il risque de
vous en cuire ! »
L’interdit que contourne la transgenèse est donc de nature religieuse en ce sens qu’il
implique la croyance en un mythe. Et l’auteur d’ajouter : « Jamais, on en conviendra, la
leçon des grands mythes fondateurs n’a été plus actuelle ! Jamais mises en garde ne furent
plus pressantes, plus brûlantes ! Mais qui médite encore la sagesse des anciens ? Le sens
profond de leurs enseignements ne figure pas aux programmes de nos écoles ni même de
nos universités. Pis encore : nous les avons oubliés ! »809. Aussi se faisant, « l’idéologie du
mélange des gènes » pose un problème qui dépasse la simple définition du risque aux yeux

807
Jean-Marie Pelt, Plantes et aliments transgéniques, Fayard, 1998, p.41.
808
Ibid.
809
Ibid., p.43.

419
de l’opinion.
La menace que fait courir cette « idéologie » serait donc « la perte d’identité des
espèces » et le recul de la nature, par rapport aux avancées de la technologie. Mais d’après
JM. Pelt, même le bon sens populaire ressent les choses autrement : « Il pressent que la
nature n’est certainement pas taillable et corvéable à merci.» D’où le refus des PGM. Cette
remarque sert alors d’argument au directeur du Centre Européen d’Ecologie pour lancer une
critique contre les philosophies anthropocentristes qui donnent une place privilégiée à
l’homme par rapport au reste de la création et qui établissent une distinction entre l’homme
et les autres espèces en autorisant les modifications sur ces dernières et en les refusant sur
les premières810. Aussi le botaniste critique : « Mais pour le philosophe d’aujourd’hui, l’animal
ou la plante n’ont, en eux-mêmes, aucune consistance, aucune existence dans le champ de
la morale. »811
Face à cette idéologie, la conscience populaire et l’écologie s’élèvent donc en cœur.
Après avoir mis plus bas que terre le génie génétique en citant Joseph Rotblat, qui considère
cette technologie comme un moyen de destruction pire que le nucléaire, et Pierre Thuillier
pour qui cette science qui se réduit à une technologie « fait partie de la pathologie de nos
experts et ingénieurs du 20e siècle finissant », JM Pelt affirme que « Le désenchantement de
la nature, l’absence complète de prise en compte de ses dimensions proprement spirituelles,
sont aux racines mêmes des errances et des probables errements du génie génétique. »812.
Enfin dernier argument, qui n’est pas des moindre, le sage botaniste rappelle que les
religions et philosophies orientales ont un beaucoup plus grand respect de la nature. Il cite
l’exemple des jaïns hindouistes qui veillent à ne pas écraser de fourmis. Aussi, il conclut en
affirmant que le respect pour le règne animal doit valoir pour le règne végétal.
A la suite de cette étude, il apparaît clairement ici que les notions d’ordre naturel et
de barrière des espèces sont de nature religieuse. On a donc franchit un pas de plus par
rapport aux notions de « complexité » et de limite de la technologie humaine. Ici on se
trouve confronté au problème éthique de la désacralisation de la nature. On notera avec
intérêt la remarque selon laquelle, par bon sens, le public refuse les PGM en percevant de
manière intuitive, et par conséquent, avant toute philosophie humaniste, le côté

810
Pour illustrer son propos, JM Pelt cite Luc ferry dans le Figaro du 15 février 1997 : « Que l’homme
ait le pouvoir de modifier génétiquement les autres espèces n’est pas vraiment nouveau ; il y a des
années qu’il le fait couramment, et les problèmes que cela pose relèvent d’avantage, le cas échéant,
de la santé publique que de l’éthique que de l’éthique ou de la métaphysique. Ce qui est plus
inquiétant, me semble-t-il, c’est qu’il puisse aussi bien se modifier lui-même. »
811
Ibid., p.45.
812
Ibid., p .47.

420
désacralisant de la transgenèse813. On constatera également que tout l’argumentaire porte
essentiellement sur le non-respect des espèces animales, ce qui est beaucoup plus
sensibilisateur du point de vue éthique que les espèces végétales814.
Il est vrai que les problèmes éthiques soulevés par les modifications des espèces
animales touchent d’avantage la sensibilité des individus. Ainsi, Rifkin dans l’ouvrage cité
précédemment expose ceux-ci de la manière suivante : « Si les outils transgéniques
confèrent dans une certaine mesure à l’homme le pouvoir de créer des êtres vivants, ce qui
va bien au-delà du type de manipulation qu’il a exercé jusqu’ici, alors la question se pose à
un tout autre niveau : avons-nous le droit de manipuler ces créatures vivantes au point de
les détourner complètement de leur trajectoire évolutive ? En d’autres termes, y a-t-il lieu de
respecter la ‘spécificité’, au sens étymologique, ou bien l’ « essence » des nombreuses
espèces vivantes présentes sur terre ? »815 Répondant à cette question, J. Rifkin, affirme que
les spécialistes de biologie moléculaire rejettent l’idée de spécificité de l’espèce, car la
révolution des biotechnologies consiste à violer celle-ci : « La moindre concession faite à une
éventuelle importance morale, éthique ou philosophique de la spéciation naturelle remettrait
en question la nature mêmes des techniques du génie génétique. Le rejet doctrinaire de la
spécificité de l’espèce met la biologie moléculaire en conflit avec l’écologie scientifique, qui
en est venue à considérer la préservation des espèces comme un impératif à la fois moral et
écologique.»
Reporter le problème du respect de la spécificité au niveau végétal c’est évoquer un
respect éthique de la biodiversité, mais également, comme on l’a vu avec JM. Pelt, poser le
problème de la place de l’homme au sein de la création ; autrement dit de l’instauration de
limites au pouvoir de maîtrise de l’être humain non plus d’un point de vue technique, mais
éthique. Car il est bien évident, que la nature sacralisée fournit elle-même ses limites. On
sera forcé de constater qu’avec ces théories, on ne se trouve pas loin du créationnisme. Il
est vrai que les pensées de Pelt et de Rifkin s’accommodent fort bien à la théorie de
l’évolution - en effet, les auteurs remarquent que le temps a joué un rôle considérable dans
le développement d’espèces, c’est d’ailleurs un argument qui est utilisé à l’encontre des
biotechnologies, qui, elles, ne peuvent se targuer d’avoir bénéficier d’un tel facteur - mais
poussé à l’extrême, le rejet de la transgenèse se fondera sur l’idée que Dieu a créé les
espèces vivantes et qu’il a interdit à l’homme d’en changer la nature.

813
On comprend alors pourquoi le public s’est porté plus facilement vers les thèses écologistes que
vers les arguments des pro-PGM.
814
Sans vouloir faire de mauvaise esprit, il serait sans doute mal venu pour un botaniste de dénoncer
le marcottage, le greffage et toutes les autres techniques de transgression des espèces ; mais si on
s’en tient à la rigueur du raisonnement ici proposé…
815
Jeremy Rifkin, Le Siècle Biotech, édition la Découverte, p.183.

421
De l’écologie scientifique à la Deep Ecology
Développant ces problèmes rencontrés par les biologistes d’une manière philosophique, le
philosophe des sciences Bernard Feltz affirme : « Le concept de ‘respect de la nature prend
dans ce contexte (il s’agit du contexte naturaliste), une double signification. Au niveau de
l’écosystème, il s’agit d’être attentif aux conséquences d’une action sur l’évolution de
l’écosystèmes dans son ensemble, (…) D’autre part, le respect des autres espèces n’est pas
seulement fondé sur les implications pour l’homme, mais, dans la perspective d’une
commune origine, c’est sur une base de connivence profonde que les autres espèces sont à
respecter pour elles-mêmes, certes avec un statut distinct de l’être humain, mais néanmoins
investies d’une valeur propre.»816 On retrouve ici les arguments vus précédemment. Si
l’écologie scientifique se distingue de la volonté de maîtrise cartésienne, elle se distingue
également d’un autre courant avec qui on pourrait la confondre : la Deep Ecology
« L’écologie profonde assimile l’anthropocentrisme moderne à une forme de racisme qu’il
qualifie de ‘spécéisme’. Pour Aldo Léopold ou Arne Naess, par exemple, la valeur suprême
devient l’écosystème terre où l’espèce humaine n’a aucune légitimité à revendiquer un statut
particulier. Au contraire, dans une telle perspective, l’espèce humaine présente toutes les
caractéristiques d’un tissu cancéreux, envahissant la planète au détriment des autres
espèces. (…) Pour la Deep Ecology, le concept de respect de la nature prend une
signification très forte en terme d’intouchabilité. En effet, si la nature est à respecter comme
valeur en soi, toute modification de la nature est ‘non-respect’ ; la Deep Ecology , en
soumettant l’être humain au registre d’une nature intouchable, condamne a priori toute
entreprise scientifique de maîtrise. A la limite, toute attitude respectueuse se réduit à la
contemplation admirative. »
Feltz insiste cependant sur la nécessité de distinguer les courants de pensées que
sont l’écologie scientifique et la Deep Ecology. Alors que la première insiste sur la complexité
du vivant et sur la nécessité de prendre en compte tous les paramètres (il s’agit de contrôler
la ‘maîtrise’ en lui imposant des barrières), la seconde est fondamentalement anti-
scientifique (il s’agit de mettre un terme à la maîtrise). Or d’après le philosophe de
l’Université Catholique de Louvain, les critiques d’irrationalité portées par certains
scientifiques à l’égard d’autres qui ont émis des préoccupations d’ordre écologique
concernant la réalisation d’OGM « est bien là dans le registre de la confusion entre écologie

816
Bernard Feltz, « La nature en question », in Les OGM entre science, conscience et croissance,
revue de l’Université Catholique de Louvain, n°119, juin 2001, p.28.

422
scientifique et Deep Ecology. » Autrement dit, la prise en compte de mesures de précautions
et les réserves par rapport à une attitude scientifique trop entreprenante à l’égard de la
nature sont nécessaires.
Aussi louable que soit cette remarque, la distinction entre Deep Ecology et écologie
scientifique n’est pas toujours claire (c’est ce que l’on a pu observer dans le cadre des
controverses scientifiques) : les mesures de précautions réclamées par certains « écologistes
scientifiques » visent très souvent une interdiction pure et simple de la technologie ; de
même, le discours des industriels véhicule souvent des aspirations écologiques. Toutefois,
cette distinction a le mérite de soulever une problématique du plus grand intérêt.

Le rapport technologie-nature au sein du naturalisme


En reprenant l’argumentaire précédemment étudié, on s’aperçoit que la critique
environnementaliste du rapport technologie-nature dans le cadre de la transgenèse végétale
se fonde sur 4 arguments essentiels :
- La complexité du vivant (la nature est trop complexe pour se laisser maîtriser par la
technologie)
- Le fatum technologique (toute technologie est vouée à l’introduction inconsidérée de
nouveaux problèmes dans l’environnement, cela vaut forcément pour la transgenèse
qui est irréversible et incontrôlable)
- L’ordre de la nature (Sacralisation de la nature par l’introduction de normes ethico-
religieuses qui la rendent inviolable)
- Barrière des espèces (l’espèce est élevée au nom d’individualité insécable, négation
de la transgenèse)
Concernant le premier argument, il apparaît clairement que la « nature », en tant qu’objet
de connaissance, passe la science. Cette dernière ne peut avoir entièrement prise sur elle,
d’où le risque supposé de toute application scientifique qui voudrait imposer un changement
à la nature. Le deuxième argument renforce cette idée en attaquant, cette fois-ci, la
maladresse de la technologie en elle-même (et non plus par rapport à la nature) ; aussi c’est
parce que la maîtrise de l’homme n’est qu’illusoire et temporelle qu’elle est dangereuse.
L’ordre de la nature exprime la même idée que la complexité en lui ajoutant une valeur
éthique (on est passé du connaître à l’être). Enfin, en posant l’existence d’une barrière des
espèces les défenseurs de la thèses naturalistes posent un ultime obstacle aux PGM.
En reportant ces 4 critères dans le cadre des débats sur les PGM, on constate que les
opposants à la transgenèse végétale posent une nature idéalisée par rapport à une
technologie dépréciée et un homme voué à l’échec dans ses tentatives de modification de

423
celle-ci. Or cela n’a rien de nouveau du point de vue de l’histoire des idées. Dans son
ouvrage La maîtrise du vivant, François Dagognet se penche sur les origines du naturalisme.

Du naturalisme aristotélicien aux pensées écologistes


Analysant ce qu’il nomme le « frein naturaliste », l’auteur va chercher les racines de ce
courant chez Aristote : « Selon Aristote, en règle générale, l’artiste ou l’artisan ou même le
créateur ne peut qu’imiter tant bien que mal, plutôt mal que bien, la nature, elle-même
tenue pour la source originelle. »817 On connaît le célèbre exemple donné par Antiphon cité
dans la Physique : si on plante un lit en terre, il en sortira non pas un lit, mais un arbre.
Aristote oppose donc l’agrégat (l’objet qui tient par des contraintes extérieures) à l’objet
naturel. Or, si l’art est dévalorisé, c’est parce que : « ou bien il s’inspire d’un réel qu’il
prolonge ou bien il ne réussit au mieux qu’un assemblage extrinsèque, qui ne possède en lui
aucun ‘principe intérieur’ (…). Bref, l’artisan ou le constructeur plaque du dehors un usage
qui ne modifie pas l’élément sur lequel il a travaillé. »818
Il est important de souligner que la nature peut travailler comme l’art, et l’art, comme
la nature, « rationnellement » ; en effet dans un autre passage de la Physique Aristote dit :
« si une maison était engendrée par nature, elle serait produite de la façon dont l’art en
réalité la produit ; au contraire, si les choses naturelles n’étaient pas produites seulement par
la nature mais aussi par l’art, elles seraient produites par l’art de la même façon qu’elles le
sont par la nature » (Physique, II, 8). Comme le remarque Dagognet cependant, « L’art aide
donc à entrer un peu dans les coulisses de la création, mais celle-ci l’emporte toutefois à
tous égards. Elle reste l’incontestable et unique modèle. »819
A l’opposée, l’art, lui, doit délibérer, ce qui est, comme l’a remarqué Philipon, un
« défaut d’intelligence », la nature réalise spontanément les formes. De même la nature
contient une « dynamique immanente » : « Tout mouvement, écrit Aristote, est forcé ou
naturel. Et si le mouvement forcé existe, il faut aussi que le mouvement naturel existe, car le
forcé est contraire à la nature et ce qui est contraire à la nature est postérieur à ce qui lui
est conforme. Ainsi, s’il n’y a pas pour chaque corps physique un mouvement naturel, il n’y
en aura d’aucune sorte. » (Physique,IV, 215 a).
Partant de cette déconsidération des objets techniques par Aristote, Dagognet
dégage 3 thèmes qui, d’après lui, deviendront fondamentaux dans la philosophie naturaliste.

817
François Dagognet, La maîtrise du vivant, Hachette, 1988.
818
Ibid., p.23.
819
Ibid., p.24.

424
Le premier est que « la machine ne peut ni se réparer (se réengendrer dans sa complétude)
ni du même coup se commander elle-même, telle la montre déréglée qui réclamera toujours
la main de l’expert, à la fois pour l’actionner et l’ajuster, alors que le vivant se répare lui-
même (telle l’écrevisse à qui on a coupé la patte) ou se rééquilibre corrigeant ses excès dans
un sens ou dans l’autre. »820
Un second principe se trouve dans De la Génération ; il s’agit de « l’essence
individuelle » : « L’âme parvient à se transmettre elle-même et à investir une nouvelle
matière, tant et si bien qu’elle se pérennise. Elle saute d’un substrat à un autre. »821
Un troisième principe est issu de l’Ethique à Nicomaque ; il s’agit de la ‘médiété’ :
« l’équilibre sert de règle et nous enseigne à éviter les extrêmes. »
D’après Dagognet, ces 3 principes qui sont le naturel, le vivant et la régulation, « ne
cesseront jamais de se donner de nouveaux fondements : à chaque époque, elle modernise
les principes qui la soutiennent. » C’est ainsi que, toujours d’après le même auteur, cette
philosophie renaît au XVIIIème siècle en réaction aux thèses mécanistes qui trouvent leur
origine dans la pensée de Descartes (nous étudierons celles-ci plus loin). Réagissant donc au
« mécanisme intégral », les philosophes des Lumières revendiquent l’exubérance de la
nature, et ce, afin de la substituer à un Dieu capable d’exceptions. C’est donc au XVIIIe
siècle qu’explosent les sciences de la vie. Et Dagognet affirme que « reviennent aussi les
trois principes qu’on réaménage : a) le vivant et sa génération ; b) le naturel qui ne se
compare pas au fabriqué ; c) les équilibres qu’on découvre et qu’il importe de respecter. »822
Ainsi, Diderot aurait repris le leitmotiv d’Aristote : « Les productions de l’art seront
communes, imparfaites et faibles, tant qu’on ne se proposera pas une imitation plus
rigoureuse de la nature. (…) La nature emploie des siècles à former des pierres précieuses,
l’art prétend les contrefaire en un moment… Il n’y a qu’une application graduée, lente et
continue qui transforme » (Interprétation de la Nature, § XXXVII)
Aussi, à cette époque, alors que le système linnéen commence à voir le jour, des
botanistes, tels que Adanson ou Camerson, et Rousseau, par exemple, critiquent l’entreprise
et tentent de démontrer au contraire qu’il est impossible d’enclore la nature, vue son
exubérance. C’est le début du vitalisme. Autre argument qui s’ajoute à cela : la possibilité
qu’ont certaines plantes de se régénérer seulement à partir d’une partie (c’est le cas pour les
boutures réalisées à partir de branches de figuier mise en terre). On peut dire que le tout se
retrouve dans toutes les parties les plus minimes. Enfin, un principe tel que l’harmonie

820
Ibid., p.26.
821
Ibid.
822
Ibid., p.32.

425
(l’équivalent de la médiété) commence à se faire jour au travers de la découverte de
l’équilibre des systèmes.
Dagognet affirme alors : « Par là, le XVIIIe siècle puise dans un fonds d’idées où le
naturalisme a toujours trouvé ses armes : il rajeunit seulement les preuves classiques. Et
chaque époque, croyons-nous, recommence d’ailleurs, à sa manière, la même démonstration
ou la même croisade. »823 C’est ainsi que l’auteur tente de démontrer que le courant
écologiste puise son inspiration dans les mêmes sources. Ainsi les actuels défenseurs de
l’environnement partageraient en commun avec la philosophie grecque les thèses suivantes :
« a) conservation des êtres, pierre angulaire de l’écosystème ; b) vulnérabilité des êtres face
aux polluants nés d’une industrialisation sans limite sinon apocalyptique ; c) respect dû aux
subtils équilibres entre les terres, les airs et les eaux. Ils glissent bientôt vers la sacralisation
de la nature qu’il ne faut pas trop bouleverser sous peine d’en pâtir directement. »824
Ainsi, au travers d’une critique des activités de déboisement donnée en exemple par
l’auteur, et de ses conséquences néfastes, les environnementalistes refont l’histoire pour
dénoncer les erreurs commises par l’homme. Mais loin de se contenter de commenter les
erreurs du passé, le mouvement environnementaliste « met en garde contre les actuels et
graves dangers qui nous menaceraient. Il se soucie des vivants et de ses équilibres ; il
prêche la modération. » Alors l’auteur a un commentaire très instructif : « Une incroyable
inversion a eu lieu : hier encore, l’homme puisait sans restriction dans son milieu des biens
indispensables que la nature lui offrait (l’air, l’eau, le sol), alors qu’il était peu pourvu en
valeur d’usage (les marchandises). (…) Ce renversement met en cause la biosphère et
entraîne un empoisonnement quasi général, d’où il s’ensuit la nécessité de freiner la
croissance et d’empêcher l’industrialisation sauvage, fondamentalement destructrice.
Interdisons les apprentis sorciers. »825 Quels sont les raisons qui permettent d’argumenter
une telle affirmation ?
- a) Tout d’abord, il y a une critique des délais avec lequel travaille le laboratoire
d’essai : ceux-ci sont trop courts pour calculer les risques véritablement encourus.
- b) Le deuxième argument est celui de l’interdépendance entre les différents cycles
des unités de la biosphères : « la moindre modification de l’une d’entre elles entraîne
une série d’effets situés souvent à une lointaine extrémité, là où nul ne les attendait,
parfois aussi très tardivement.»
- c) « On ne peut intervenir sur un point ou dans un but précis sans modifier tout

823
Ibid, p.38.
824
Ibid., p.41.
825
Ibid., p.44.

426
l’entourage : la nature ne relève pas du dissociable ou d’une simple juxtaposition. »
- d) Chaque action menée par la technologie qui semble favorable (fertilisant, hormone
de croissance…) se révèle tôt ou tard défavorable.
Après avoir procédé à la démonstration de cette filiation des idées naturalistes au cours des
siècles, Dagognet conclut : « Ainsi, depuis les Grecs ennemis des machines, jusqu’à nos
jours, en appelle-t-on au respect des équilibres de la vie, du fait de sa richesse et de sa
fragilité. (…) On est frappé par les constance des mêmes analyses qu’on aménage en
fonction des siècles et au gré des circonstances (…) Subsistent toujours : a) la valorisation
du biologique et de ses équilibres ; b) l’insécurité des œuvres humaines, les risques liés à
l’artificialité sous toutes ses formes, les illusions du progrès ; c) les méfaits des
transgressions et la certitude que, rien ne peut équivaloir aux biens premiers (de la terre à
l’eau), sans oublier les sites trop souvent ravagés et exploités. »826 On est donc renvoyé à la
Bible et aux malheurs que l’homme n’a pas cessé de causer depuis qu’Adam a croqué la
pomme.

Ces commentaires que nous tenions à reproduire sont instructifs pour notre sujet.
Dans le cadre de la controverse scientifique sur les PGM, on découvre également cette
filiation des arguments des opposants aux PGM avec la pensée aristotélicienne. Comme
nous avons pu le voir par exemple avec Rifkin, Séralini ou Pelt, les PGM sont considérées
comme des perturbatrices d’équilibre ; de ce fait, et de par l’artificialité qui est la leur, elles
sont une source d’insécurité, ce qui nous renvoie, par conséquent, à l’illusion du progrès.
Enfin, les méfaits de la transgression sont dénoncés: on attend le châtiment sous la forme
du risque avéré qui va forcément se révéler un beau jour. Aussi, nous reviendrons plus en
détail sur ces problèmes lorsque nous tenterons de donner une définition des PGM et de la
transgenèse végétale.

5.2 La thèse techniciste

Dans la controverse sur les PGM, on appellera techniciste827, la thèse des


protagonistes qui défendent la transgenèse végétale. Le terme de techniciste nous a semblé
plus approprié en ce sens que pour cette pensée, le rôle de la technologie est mis en avant
par rapport à celui de la nature. Aussi, dans le rapport technologie-nature, la première prend

826
F.Dagognet, Ibid., p.48.
827
On préfère le terme de techniciste à « mécaniste » dont le sens historique se rattache
essentiellement à la physique classique et qui peut être trompeur de ce point de vue.

427
en charge la seconde. En reprenant l’évolution à son compte, elle lui donne un sens. Il y a
donc une idée de continuation et de prolongement d’un processus. Ceci est possible du fait
de la contingence du système biologique qui contient une quantité que l’on suppose illimité
de possibles. C’est la thèse soutenue par Claude Debru dans son ouvrage Le possible et les
biotechnologies . Ainsi, commentant la thèse de François Jacob sur le bricolage évolutif, il
affirme : « Si les biologistes parlent si souvent de ‘possible’ à propos du réel qu’ils étudient,
c’est que les systèmes biologiques ont un futur et que ce futur est variable, en ce sens qu’il
est déterminé par deux sources relativement imprévisibles de changement, interne et
externe. Que la variation interne soit telle qu’elle ne menace pas nécessairement la stabilité
de l’ensemble est un fait bien connu. Cette stabilité relative ouvre la voie à des variations
intentionnelles, et, par là, à tout un nouveau système technologique greffé sur la biologie, le
système technique des biotechnologies qui se met en place sous nos yeux. Ce qui nous
intéresse en effet dans cette dimension du ‘possible’, c’est l’aspect de faisabilité c’est à dire
de modification. L’évolution biologique contingente, exprimée dans les structures
moléculaires actuelles, livre les clés du changement possible. Du bricolage évolutif de
François Jacob au bricolage biotechnologique, il n’y avait qu’un pas, que la biologie
moléculaire était d’ailleurs en train d’effectuer lorsque François Jacob a proposé sa
généralisation. (…) La technologie de l’ingénierie génétique est un résultat direct de la
biologie moléculaire. Les biotechnologies constituent donc un prolongement naturel (sinon
un infléchissement, ce qui n’est pas encore démontré) de l’évolution biologique. Plus
largement la contingence du passé et l’ouverture du futur sont la même chose. C’est à la
contingence du passé que nous devons d’abord nous attacher. Cette contingence implique la
réalisation de certains possibles, mais aussi ‘la virtualité’ d’autres non réalisés mais
susceptibles de l’être.»828 Mais également de maîtrise. En effet, la possibilité de diriger la
nature en utilisant la technologie implique une supériorité hiérarchique de la première sur la
seconde à qui elle impose une direction. L’idée d’une maîtrise de la nature va chercher ses
racines dans le mécanisme de Descartes. Aussi, les critiques n’hésitent pas à en dénoncer le
réductionnisme. Ainsi Gilles Eric Séralini qui défend, comme on a eu l’occasion de le voir, une
vision complexe du vivant, dénonce également la vision réductionniste des promoteurs des
PGM, il affirme : « La vision génétique réductionniste qui se fonde sur une idée force de la
biologie moléculaire ayant eu cours dans les années 1980 et qui tente de communiquer au
public et aux autorités cette notion schématique : « un gène correspond à une protéine et à
une fonction, à l’image d’une lampe qui s’allume ou ne s’allume pas sur un tableau de bord.
Un noyau de cellule serait tel une armoire électrique, et les gènes des fusibles. Défectueux

828
Claude Debru, Le possible et les biotechnologies, p.p.98-99.

428
ou absents, ils feraient disjoncter une fonction ; introduire un gène reviendrait à créer un
circuit ou une nouvelle synthèse, indépendante. »829 Ce type de réductionnisme, d’après
l’auteur ne prendrait pas en compte la spécificité des PGM, en admettant le principe
d’équivalence en substance. Il impliquerait également, comme on l’a déjà signalé, un
réductionnisme toxicologique et un réductionnisme des systèmes environnementaux.
On peut d’ailleurs se demander si ce n’est pas là une manière schématique, pour ne
pas dire, caricaturale, de caractériser la théorie techniciste. En effet, la transgenèse végétale
est une application qui a pour origine les découvertes essentielles de la biologie moléculaire.
Aussi, les biotechniciens se défendent toujours en affirmant trois principes fondamentaux : la
transgenèse végétale est un procédé technique qui ne fait qu’imiter un phénomène que l’on
peut observer dans la nature : le transfert horizontal ; depuis les origines, la technologie est
présente dans l’agriculture et il n’y a pas vraiment de nature à l’état pur ; par conséquent la
transgenèse végétale est une manière comme une autre de poursuivre le travail entrepris
par le biais de la sélection classique ; la transgenèse végétale offre une véritable sûreté
parce qu’on sait que l’on a une parfaite connaissance du matériel génétique que l’on
introduit. Enfin, l’universalité du code génétique permet de passer outre la barrière des
espèces. Il s’agit, comme on le voit, de confondre nature et technologie pour donner une
légitimité à la transgenèse végétale. On peut alors se demander s’il s’agit d’un
réductionnisme de la nature ou d’une mise en valeur de celle-ci, en ce sens, que la nature
n’existe pas sans la technologie qui lui donne une forme ?

C’est la nature qui a commencé830


Un argument que l’on rencontre souvent chez les promoteurs de la transgenèse végétale est
que le principe technique sur lequel elle repose équivaut à un phénomène naturel qui est le
transfert horizontal des gènes. Ainsi, dans son livre OGM, le vrai et le faux, Louis Marie
Houdebine, spécialiste des gènes animaux et des animaux transgéniques, membre de la
Commission de Génie Génétique, affirme : « Le transfert de gènes entre espèces n’est pas
une invention de l’homme. On l’observe dans la nature. Des gènes étrangers entrés par
accident dans un génome peuvent s’y implanter et enrichir ainsi le matériel génétique de
l’hôte, qui acquiert de ce fait une certaine supériorité sans devoir attendre une mutation
spontanée de certains de ses propres gènes. »831 L’auteur ajoute que ce phénomène est
fréquent et qu’on le rencontre dans de nombreux génomes : « Ainsi certains virus, par

829
Gilles-Eric Séralini, OGM, le vrai débat, p.80.
830
Titre emprunté à un article du journal la Recherche : Conrad P. Lichtenstein, « C’est la nature qui a
commencé ! », La Recherche, n°327
831
Louis-Marie Houdebine, OGM : le Vrai et le faux, p.30.

429
exemple les rétrovirus, insèrent leurs propres gènes dans le génome de leur hôte. Ce
phénomène est relativement fréquent et l’on décèle sans ambiguïté les vestiges de ces
intrusions dans le génome des animaux ou de l’homme. » Il en va ainsi du blé et du colza,
plantes toutes deux formées de l’assemblage de plusieurs génomes. Enfin resituant
l’ensemble du problème par rapport aux bases de la biologie cellulaire, Houdebine cite le cas
des mitochondries : ces petits organes cellulaires chargés de la transformation des éléments
que la cellule trouve autour d’elle, seraient en fait d’anciennes bactéries qui se seraient
implantées dans les cellules au hasard d’une infection. Le biologiste en conclut donc que
« Les mélanges d’espèces se produisent donc de temps en temps dans la nature. Cela
conduit sans doute fréquemment à des produits non-viables dont nous n’avons plus la trace.
Ceux qui restent constituent souvent une nouvelle espèce. Il faut procéder à un examen
approfondi pour tenter de reconstituer les événements qui ont présidé à l’émergence de
telles espèces. »832
Dans un article du magazine la Recherche, Conrad P. Lichtenstein, professeur de biologie
moléculaire à l’Université de Londres, démontre que la nature produit elle-même des OGM833.
L’auteur soutient la thèse que les PGM sont naturels : « On ne peut pas dire que les PGM ne
sont pas naturels ». Il cite l’exemple du tabac, « une PGM naturelle », dans laquelle on a
découvert des fragments de gènes viraux : « Lors de la réplication de l’information
génétique, il se produit des erreurs naturelles dues au hasard – les mutations – à l’origine de
la variabilité génétique. » Lichtenstein distingue une « transmission horizontale » et une
« transmission verticale » du matériel génétique, qu’il compare avec la transmission des
langues. Il cite le cas des nouveaux germes antibio-résistants : « Le plus souvent, la
résistance ne résulte pas de mutations de novo transmises verticalement, comme dans le
schéma néo-darwinien, mais de la dissémination de gènes d’antibiorésistance dans les
bactéries pathogènes. » Le transfert horizontal donne lieu à de nouveaux hybrides non-
stériles. Le blé qui comporte dans son génome de longs fragments de seigle illustre
parfaitement cette idée.
D’un point de vue théorique, maintenant, le transfert horizontal des gènes remonterait à
environ 1,5 million d’années. Reprenant le cas du tabac, il affirme que des analyses
comparatives ont démontré que des séquences d’ADN de tabac non modifié étaient très
proches des séquences de tabac génétiquement modifié ; aussi, c’est un transfert horizontal
qui s’en trouve à l’origine. Il existe dans la nature de multiples exemples de transfert de
gène par l’intermédiaire des virus. Aussi, mettant à profit ce phénomène, les expériences de

832
Ibid., p.32.
833
Conrad P. Lichtenstein, « C’est la nature qui a commencé ! », La Recherche, n°327, p.39.

430
transformation réalisées à partir des agrobactéries démontrent que « Là encore, la nature
fait elle-même l’expérience pour produire les plantes génétiquement modifiées. » Le
biologiste reprend l’exemple du tabac : « Un ancien précurseur du tabac a donc acquis à des
moments différents, des séquences de 2 virus non apparentées et celle de l’agrobactérie,
puis par spécialisation, il a donné naissance au tabac et aux espèces voisines. »
La question qui se pose alors est « combien y-a-t’il de transferts horizontaux dans la
nature ? » Une étude de bioinformatique aurait découvert et confirmé l’existence de
transferts horizontaux entre 2 règnes différents : les bactéries de tabac et les bactéries de
champignon. L’auteur remarque également qu’on ne connaît pas d’exemple de transfert d’un
gène bactérien de la plante vers l’homme. Aussi, à l’égard de ceux qui craignent que des
gènes étrangers ne s’échappent dans la nature (c’est l’une des principales critiques émises à
l’égard des PGM), l’auteur affirme que le phénomène du « gene flow » ne concerne pas
uniquement les PGM.
On comprend donc toute l’importance de l’argument qui affirme que la nature a
commencé à faire des PGM. Celui-ci s’oppose à l’argument des ‘naturalistes’, selon lesquels,
il existerait un ordre naturel verrouillé par une barrière des espèces infranchissable et que,
par conséquent, toute tentative de « contournement » de cette barrière serait perçue
comme hors-norme et dangereuse. En affirmant que la nature a déjà procédé à ce type
d’échange de matériel, on donne un argument pour prouver que la technologie n’a rien de
contre-nature. Au contraire, elle ne fait qu’imiter un phénomène très répandu et que l’on a
pu observer de nombreuses fois. On donne, en quelque sorte, une histoire naturelle à la
transgenèse. Elle n’est pas une technologie sortie de la tête d’un savant fou ou créée de
novo. D’autre part, le fait que le transfert horizontal donne des organismes viables et
participe à l’évolution, jette un voile sur le doute qui pesait par rapport aux risques inconnus
d’une nouvelle technologie. Puisque le transfert horizontal a lieu dans la nature et qu’il a
donné lieu à des êtres viables et même à de nouvelles espèces, il n’y a aucune raison de
penser que ce phénomène ne puisse pas être copié par l’homme.
La question que l’on se posera alors est : que valent ici les accusations de
réductionnisme puisque dans le cas du transfert horizontal qui a lieu naturellement, le
matériel génétique acquis au cours de l’évolution s’intègre au génome, sans que l’homme
intervienne ? Si la recherche d’un « antécédent naturel » semble inscrire la technologie dans
un continuum, un second argument, comme on va le voir, va l’en éloigner.

Continuité avec la sélection classique et omniprésence de la technologie dans la nature


Comme on a pu le constater, l’affirmation « les PGM sont la poursuite par de nouveaux

431
moyens de l’entreprise humaine de modification du vivant qui remonte à la nuit des temps »,
est un argument qui revient très fréquemment chez les défenseurs des PGM. C’est ainsi, par
exemple, que en haut de la page « Biotechnologies » du site Internet de Monsanto (version
2001), on trouve une citation de Dan Glickman, Secrétaire américain à l’agriculture. Se
référant aux plantes génétiquement modifiées, il affirme que les biotechnologies ont existé
presque depuis le début des temps. Elles ont été pratiquées par les hommes des cavernes
qui sélectionnaient déjà les plantes à haut rendement, par Gregor Mendel, le père de la
génétique qui effectuait une pollinisation croisée de ses petits pois, c’est l’insuline des
diabétiques et les enzymes des yogourts… »834
Cette idée, est reprise et développée par l’industriel de l’agro-fourniture dans un site à
caractère didactique, dont une partie est consacrée aux grandes dates de la biotechnologie.
L’usage de la levure , et le processus de fermentation pour faire du vin, il y a des milliers
d’années sont à intégrer dans l’historique des biotechnologies, de même que l’identification
par les botanistes des premières plantes hybrides au 18ème siècle835. Nous avons vu que
c’était également un des thèmes principal d’une des campagnes qui a paru dans la presse
écrite.
Dans la même optique, le biologiste, Louis Marie Houdebine, affirme dans l’avant-
propos de l’ouvrage que nous avons déjà cité : « la modification volontaire des organismes
vivants est aussi vieille que l’agriculture et l’élevage. Les organismes génétiquement
modifiés, les OGM, sont des êtres vivants qui n’ont subi que de très modestes changements
de leur matériel génétique par des interventions humaines. Le plus souvent, actuellement,
l’opération consiste à ajouter un gène à un micro-organisme, dans le but de mieux l’adapter
aux besoins humains. Adapter les organismes vivants est ce que l’on fait déjà avec un succès
certain, et depuis la nuit des temps, par sélection classique. »836
Comme nous l’avons déjà montré (p.30 à 40), les promoteurs de la transgenèse végétale
cherchent à démontrer la continuité avec les technologies précédemment employées dans
l’agriculture pour rassurer les consommateurs en donnant un référant connu à leur
technologie, mais également pour rappeler l’importance de la technologie dans le domaine
agricole. L’idée qui se trouve donc ici inscrite en filigrane, c’est que « toute alimentation est
produite par la technologie et il n’y a pas, à proprement parler, de nature nourricière et
providentielle, telle que la revendiquent certains discours écologistes. »

834
« Biotechnology's been around almost since the beginning of time. It's cavemen saving seeds of a
high-yielding plant. It's Gregor Mendel, the father of genetics, cross-pollinating his garden peas. It's a
diabetic's insulin, and the enzymes in your yogurt... »834 on www.monsanto.com
835
www.biotechknowledge.com
836
Louis Marie Houdebine, OGM, le vrai et le faux, p.7.

432
On est très proche ici du projet de maîtrise du vivant. En ce sens, la pensée techniciste
s’éloigne de la nature idéalisée telle qu’elle nous a été dépeinte par la pensée naturaliste.
Ainsi comme le remarque le biologiste cité précédemment : « Les plantes cultivées et les
animaux d’élevage ne répondent plus depuis longtemps aux mêmes exigences que les
organismes sauvages. Bon nombre de variétés de plantes et de races d’animaux
disparaîtraient si l’on cessait de les assister pour se procurer de la nourriture, se protéger et
se reproduire. Ce fait atteint son paroxysme chez les animaux de compagnie. Une bonne
partie d’entre eux seraient incapables de vivre sans leurs propres moyens. »837 Comme on a
eu l’occasion de le voir au travers des thèses de Robert Bud, les biotechnologies ont joué un
rôle essentiel dans cette tentative de maîtrise. On peut donc poursuivre notre raisonnement
avec Houdebine : « Le naturel se trouve actuellement quasi sacralisé ; à l’inverse, on
vilipende le manipulé. Les OGM représentent de ce point de vue le symbole idéal du
manipulé. Une telle attitude est paradoxale à plus d’un titre. Nous ne vivons pas dans des
cavernes, nous nourrissant des produits de notre cueillette et de notre chasse. (…) Une très
faible proportion des produits de notre alimentation demeure naturelle : les poissons
sauvages, les champignons des bois et des prés, les mûres et quelques fraises des bois. Tout
le reste a été profondément modifié par la sélection et va l’être plus encore. Notre désir
profond, même à nous les nantis, est de contrôler toujours d’avantage notre environnement
pour en pâtir le moins possible et en tirer le meilleur profit. » L’auteur fait alors référence à
une nouvelle pensée qui souhaite que cela se fasse dans une relation harmonieuse avec la
nature et ajoute aussitôt qu’ « Il ne faut pas se tromper de cible. L’agriculture est une
activité industrielle et elle doit le rester si l’on veut continuer à la fois à approvisionner
convenablement les populations déjà pourvues et à supprimer les déficits de production des
838
pays moins bien dotés par la nature ou moins bien préparés à en tirer profit. » Houdebine
compare alors les champs à des usines sans toit.
Cette idée est développée d’un point de vue philosophique dans l’ouvrage de Dagognet,
La maîtrise du vivant. Après avoir exposé les thèses naturalistes, le philosophe et historien
des sciences, affirme : « on oublie trop facilement qu’elle-même (la nature), dans ses
manifestations les plus typiques – le champ, la forêt, le chemin, etc. – résulte d’une
conquête de l’homme et d’un patient labeur. On ne peut écrire qu’une histoire de la
campagne. Le contemplateur de ces harmonies regarde la fin ou le décor, il néglige les
moyens la machinerie sous-jacente. (…) Bref la nature n’est pas naturelle. » Les naturalistes
commettent donc le tort de la considérer comme une « réalité en soi – née de l’art – qui

837
Ibid., p.132.
838
LM. Houdebine Ibid., p.134.

433
dépasserait l’homme, le précéderait et même l’inspirerait, et qu’il devrait en conséquence,
préserver et respecter, reconnaissons au moins une caractéristique majeure : elle s’offre à
nos élaborations. Elle constitue une sorte de matériaux plastique qui permet et appelle les
transformations ; en somme la nature invite, non pas à la conservation, mais à l’artificialité.
Elle ne demande qu’à être manipulée, brassée, réglée. » A la suite de ces remarques,
l’auteur entreprendra de mettre au jour la « logique élémentaire » et la combinatoire latente
qui préside au développement de la nature. Ce qui mène l’auteur à « sortir de l’ombre
l’algorithme qui a présidé à cette richesse. » Mais avant d’aborder ce problème, il semble
important de faire le point sur les thèses technicistes que nous venons d’étudier.
Nous avions montré dans la partie précédente comment les biologistes moléculaire
insistaient pour rapprocher la transgenèse végétale du transfert horizontal, ce afin de
prouver la naturalité des PGM : on peut trouver des plantes qui ont reçu un nouveau gène
dans la nature même. Cet argument ressert le lien technologie-nature et tend même à
identifier les deux sphères. La technologie ne ferait que s’inspirer de la nature, par
conséquent, il s’agit d’une technologie éprouvée et non comme le dénoncent certains, d’un
processus trop récent pour que l’on puisse juger de ces effets éventuels sur la santé et
l’environnement. Ensuite, les preuves de l’existence d’un transfert horizontal de matériel
génétique de manière spontanée, va à l’encontre de la thèse naturaliste d’une transgression
de la barrière des espèces. La transgenèse végétale ne serait donc pas complètement
artificielle en ce sens que son modèle est un phénomène qui se produit sans l’intervention de
l’homme. Ainsi, comme le remarque Claude Debru, « Les généticiens ont reconnu
récemment qu’il existe une véritable ‘ingénierie génétique naturelle’ de la capacité évolutive,
ainsi qu’une ingénierie génétique impliquant toutes sortes de modifications génétiques,
transpositions, recombinaisons, réassortiments, etc., en réponse régulée à de nombreuses
situations auxquelles se trouve confrontée la cellule. C’est sur cette « ingénierie génétique
naturelle » (selon l’expression de James Shapiro) que vient se greffer l’ingénierie génétique
développée par l’homme. Cela est permis par l’organisation très répétitive du génome, en
particulier en ce qui concerne le contrôle de la transcription. Le génome est fait de pièces et
de morceaux qui, comme l’a fait remarquer Walter Gilbert lorsqu’il a proposé la structure en
exons et introns du génome, peuvent se réassortir. »839
Nous venons de voir maintenant que la pensée techniciste s’opposait d’une deuxième
manière au naturalisme en ce sens que l’idée de nature à laquelle celui-ci fait référence a
quelque chose d’illusoire. La totalité de la nature ou presque, et par conséquent, le secteur
de l’agro-alimentaire, est passée sous le contrôle de la technologie qui la maîtrise. Aussi,

839
Claude Debru, Le possible et les biotechnologies, p.128.

434
l’autonomie de celle-ci est quasiment niée. La nature n’est rien sans la technologie qui lui
donne un sens ; elle ne peut pas exister indépendamment des connaissances qu’on en a ou
de l’explication que l’on en donne. On s’oppose donc à la philosophie naturaliste qui pose
une existence de la nature en soi. Enfin, nous souhaitons maintenant étudier une troisième
caractéristique de la pensée techniciste : son affirmation de l’universalité du code génétique
et sa capacité à mieux connaître le matériel qui est introduit dans les PGM.

Connaissance du matériel génétique


Lorsque les promoteurs des PGM justifient la technologie, ils affirment toujours que celle-ci
est supérieure à la sélection classique parce qu’on connaît le matériel que l’on transfère d’un
organisme vers un autre, ce qui, est un gage de sûreté et une véritable innovation par
rapport à la sélection naturelle ; cette thèse fait l’unanimité parmi les penseurs technicistes.
On peut sélectionner avec précision le gène que l’on veut transférer.
Ainsi commentant sur les mélanges d’espèces pratiqués par l’homme, L.M. Houdebine
s’étonne « La création d’espèces nouvelles par l’homme se pratique avec succès déjà depuis
un certain nombre d’années. Le mélange expérimental de deux espèces de céréales, le blé et
le seigle, par exemple, a donné naissance à une troisième espèce, le triticale, qui est
aujourd’hui cultivé régulièrement à grande échelle. Personne ne s’offusque de ces pratiques
déjà anciennes. Faire passer 100000 gènes inconnus d’un âne dans un cheval et 20000
gènes tout aussi inconnus d’une céréale dans une autre ne choque personne, mais transférer
un seul gène connu, dont les effets sont en grande partie définis serait dangereux. Cette
840
attitude se révèle pour le moins paradoxale. »
Aussi, pour les promoteurs des PGM, il est important de rappeler qu’avant d’être une
nouvelle technique pour améliorer la sélection de certains caractères agronomiques, la
transgenèse végétale est d’abord une technologie utilisée en recherche fondamentale et qui
a permis de nouvelles découvertes dans les domaines de la biologie moléculaire et
également de la physiologie. Cet argument est développé par Marcel Kuntz dans un article
du rapport de l’Académie des Sciences sur les plantes génétiquement modifiées. Ainsi,
« Pour la recherche fondamentale, la transgenèse n’est pas un but en soi (construire des
variétés OGM) mais elle représente un outil extraordinairement performant et souvent
indispensable à la compréhension du vivant. (…) Le généticien, après avoir modifié un gène,
s’est aperçu qu’il lui était nécessaire d’utiliser des techniques de physiologie pour
comprendre réellement la fonction du gène. Le physiologiste, lui, a compris l’apport de la

840
LM. Houdebine Ibid., p.32.

435
génétique pour faire sauter certains verrous techniques de sa discipline. »841
Si les promoteurs des PGM aiment répéter que la connaissance du matériel génétique
est un véritable progrès par rapport aux anciennes techniques qui effectuaient un transfert à
l’aveugle de matériel génétique, il semble pourtant qu’ils ne réussissent pas à lever tout
doute sur l’opération même du transfert. Aussi les anti-PGM ne manquent pas de dénoncer,
comme on l’a vu, l’existence d’effets pléiotropiques, dus à l’imprécision avec laquelle le
transgène est inséré. Argument qui n’est d’ailleurs nullement contesté par les promoteurs de
la transgenèse végétale : Après avoir affirmé la valeur relative de la barrière des espèces, et
ironisé sur le fait que le transfert d’un gène donnerait lieu à une chimère monstrueuse, L.M.
Houdebine admet qu’ « il faut toutefois prendre en considération le fait que l’arrivée dans un
génome d’une information génétique qui lui est plus ou moins étrangère crée une situation
qui a toutes les chances d’être un peu nouvelle. En raison de l’extrême complexité des
multiples relations entre les gènes et leurs produits, il est de plus à peu près impossible de
prévoir tous les effets du gène étranger, même si la fonction normale du gène est connue.
Un organisme transgénique est donc en partie inconnu. Son observation pendant un certain
nombre de générations est donc nécessaire avant qu’il puisse être envisagé d’en faire un
usage massif. Ainsi procède-t-on pour les OGM actuellement exploités, et les tests
d’observation ne peuvent que se multiplier pour s’assurer que le nouveau mutant dont on
842
dispose n’est pas indésirable pour une raison que l’on ignore à première vue. » Aussi, le
biologiste ajoute qu’il devrait en être de même pour les nouveaux organismes issus de la
sélection classique.
On peut alors se demander si la théorie ne tient pas une position incohérente en
soutenant d’une part que l’on a une meilleure connaissance du matériel génétique grâce à la
transgenèse, d’autre part que l’on ignore le développement de celui-ci après son
introduction dans le génome cible ? Il n’en est rien.

Universalité du code génétique et pensée mécaniste


La pensée mécaniste trouve ses fondements avec Descartes et Fontenelle. Ainsi comme le
rappelle Dagognet, caractérisant la pensée mécaniste par rapport à la pensée naturaliste :
« les cartésiens n’ont pas hésité à chasser les entités, le merveilleux et tout ce qui se
rattache à la vie ou à son dynamisme. Ils ont comparé l’animal à une machine, afin de le
résorber dans la mécanique – à l’égal d’une horloge avec son balancier, ses contrepoids et

841
« Les plantes transgéniques et la recherche fondamentale : la science et la société », in Les Plantes
génétiquement modifiées Académie des sciences, rst n°13, décembre 2002, éditions Tec & Doc. p.20.
842
Louis Marie Houdebine, OGM, le vrai et le faux,p.33.

436
ses roues843. Aussi cette nature devient la matière étendue, dont il faut se rendre « maître et
possesseur ». Que voulait dire Descartes ? Dans un commentaire, Dominique Bourg affirme
« Cette affirmation découle de la nature nouvelle de la science moderne, et, sous cet angle,
844
il y a bien rupture avec la tradition antique médiévale. » Ou plus précisément, il y a
rupture avec la pensée aristotélicienne. Pour cette dernière, alors que la nature relevait du
nécessaire (ce qui ne peut pas ne pas être autre qu’il n’est), la technologie relevait du
contingent : « La technique n’a d’autre domaine que celui ménagé par la contingence et les
possibles. Il en va désormais autrement avec l’idée cartésienne, et plus largement moderne,
de nature. La contingence de l’action technique ne s’oppose plus à la nécessité des
processus naturels : c’est plutôt la nécessité propre aux lois désormais universelles de la
nature qui autorise la puissance et l’efficacité des techniques. »845 Aussi pour Descartes,
dans les Principes de la Philosophie, il n’y aurait « aucune différence entre les machines que
font les artisans et les divers corps que seule la nature compose » (Principes de la
philosophie IVe partie, §203) Bourg affirme alors que « ce n’est désormais rien de moins que
le domaine entier de la nécessité naturelle qui s’ouvre aux transformations et manipulations
techniques. D’où l’universalité même de l’ambition humaine de maîtrise. La connaissance de
toutes les causes, naturelles et techniques permet la maîtrise de tous les effets possibles. »
De cette philosophie, comme le démontre Bourg à la suite de cette analyse, naîtra l’utopisme
technicien avec pour idée fondamentale que « l’invention d’une infinité d’artifices, qui
feraient qu’on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de toutes les commodités
qui s’y trouvent. » (Discours de la Méthode, A.T.,VI, pp.61-63)
Pourquoi ce long rappel ? Il est commun d’affirmer que les promoteurs des PGM ont une
vision mécaniste du monde, en ce sens que la maîtrise de la matière peut s’exercer sur
l’ensemble du vivant par le biais des biotechnologies. Ce à quoi s’opposent les penseurs
naturalistes selon lesquels la transgenèse végétale désorganise le génome des plantes (effet
pléiotropiques) et risque d’introduire un déséquilibre dans l’environnement. Ne supposent-ils
pas alors une sorte d’ordre immuable du vivant ? Au contraire, l’universalité du code
génétique, considère la nature comme une combinatoire. La découverte des lois du vivant
permet de recomposer celui-ci à volonté. Ainsi, répondant, en quelque sorte, au problème de
l’insertion d’un gène au hasard, L.M. Houdebine, affirme : « La position d’un gène dans
l’ensemble de l’ADN d’un organisme vivant n’a manifestement qu’une importance relative.
Tel gène qui contient l’information pour la synthèse d’une enzyme peut avoir exactement la

843
François Dagognet, La maîtrise du vivant, p.30.
844
Dominique Bourg, Nature et technique, Essai sur l’idée de progrès, col. Optiques Philosophie,
Hatier, 1997, p.9.
845
Ibid.

437
même fonction chez la mouche, le blé, le poisson-chat ou l’homme. Ce même gène
parfaitement reconnaissable par sa structure intime et par la fonction de la protéine dont il
dirige la synthèse, se trouve quelque part sur l’un des chromosomes de l’organisme. Au
cours de l’évolution, les chromosomes ont été très souvent remaniés, à tel point que leur
nombre et leur taille caractérisent chaque espèce. Au cours de ces processus, un gène donné
a pu se trouver déplacé de chromosome en chromosome, changeant peu à peu de voisin.
(…) Un gène avec tous ses éléments régulateurs est donc une entité informationnelle quasi-
autonome qui peut fonctionner de manière satisfaisante en différents sites d’un génome. Les
transgènes se comportent de ce point de vue comme les gènes dans leur état natif. »846
Cette idée s’oppose donc à celle de la pensée naturaliste pour laquelle la nature est un tout
complexe et ordonné. Allons encore plus loin dans cette affirmation avec Dagognet.
Commentant sur le génie génétique, l’auteur affirme « On est frappé biologiquement et non
moins philosophiquement, par l’hypermosaïsme du matériel vivant : le mendélisme avait déjà
tout révolutionné, en détruisant le dogme ensembliste (…) Or, les manipulations sur les
bactéries nous montrent encore plus, à savoir que des segments moléculaires, formant sans
doute plusieurs gènes, peuvent changer de site et s’insérer dans l’ADN d’un receveur, bien
que sans aucune homologie avec lui. (…) A tous les niveaux, le vivant doit renoncer à son
unité insécable : on peut alors substituer sans dommage des morceaux à d’autres. Ainsi les
847
manipulations génétiques portent atteinte au dogme de son intégration. »
On constate combien l’opposition avec les thèses naturalistes est forte. Reprenant la
même idée, cette citation de Houdebine est encore plus parlante : « Dans l’esprit de
beaucoup, prendre un gène humain et le mettre dans une souris revient, dans une certaine
mesure, à fabriquer une chimère home-souris. Or un gène isolé n’a pas un caractère
spécifiquement humain, murin ou autre. Un morceau d’étain n’est pas un tuyau d’orgue qui
n’est lui-même pas un orgue. Le même morceau d’étain peut participer à la fabrication de
tuyaux d’orgue ayant des sonorités très différentes ou d’objets sans aucun rapport avec un
instrument de musique. Il en est de même pour les gènes qui sont, rappelons-le, d’abord et
848
avant tout des messages codés ayant pour support matériel une molécule d’ADN. » Selon
l’auteur qui poursuit alors son raisonnement, l’idée de transgresser les espèces n’a rien
d’aberrant, puisque ce qui compte, c’est que le nouveau gène inséré puisse remplir la
fonction qu’on lui a impartie. Aussi, dans le cas contraire, on constaterait une non-viabilité du
nouvel être ainsi obtenu. Si l’homme est en mesure de modifier le vivant, c’est que celui-ci

846
D.Bourg Ibid, p.35, 36.
847
François Dagognet, La maîtrise du vivant, p.135.
848
OGM, le vrai et le faux, p.29.

438
reste perméable à un certain nombres de modifications. Ces dernières peuvent avoir lieu
sans déstabiliser la totalité. En reprenant à son compte l’histoire de l’évolution, l’homme
démontre la contingence du vivant. Ainsi, comme l’affirme Claude Debru, « Surtout, les
choses contingentes ont de plus en plus une dimension de réalisabilité ou de faisabilité. D’où
la pertinence et la richesse plus grande de la notion du possible, proche ou du faisable. La
possibilité pour l’homme de modifier les structures biologiques résulte bien du fait que
l’évolution produit des structures marquées de l’espèce particulière de nécessité propre aux
choses contingentes, nécessité telle qu’une variation est toujours possible sans ruiner la
totalité de l’ensemble. Science de vérités de fait, la biologie est souvent désignée comme
science historique. Les choses sont ce qu’elles sont parce qu’elles sont le fruit d’une histoire.
Mais le plus frappant est que la biologie devient réellement science historique en vertu de
l’intervention humaine dans la biosphère. Le possible, le probable y deviennent le faisable. Il
est patent que la biosphère est en cours de modification par l’homme, qui a acquis le pouvoir
de modifier le patrimoine génétique des espèces et est en train d’acquérir celui d’agir sur le
sien propre (…) L’historicité est certes d’abord singularité d’une trajectoire. Mais elle est
aussi ouverture du futur, imprévisibilité, donc possibilité d’action. »849

Discussion
Que nous montre l’étude des pensées technicistes et naturalistes ? Chacune d’elle sert
respectivement à justifier et à invalider les applications de la transgenèse végétale. Les
positions qu’elles défendent sont radicalement opposées et se répondent mutuellement..
Ainsi, l’idée selon laquelle la transgenèse trouve son équivalent dans la nature sous la
forme du transfert horizontal vaut contre l’argument naturaliste qui affirme que le transfert
d’un gène d’une espèce vers une autre est une transgession en ce sens que la barrière des
espèces constitue un ordre inviolable. Il est vrai que ce dernier argument se réfère au fait
que l’on ne connaît pas toutes les conséquences de l’introduction d’un transgène dans un
nouveau génome. Ce qui revient à dire que la nature sait ce qu’elle fait, alors que l’homme
ne sait pas. Autrement dit on subjectivise la nature et on lui prête une finalité.
Contre l’argument selon lequel la transgenèse s’inscrit dans la continuité de la
sélection classique tout en l’améliorant, et qu’elle ne fait que poursuivre la maîtrise de la
technologie sur la nature, la pensée naturaliste dénonce l’illusoire maîtrise des
biotechnologies. Celles-ci, comme les autres technologies dont les pouvoir sont plus puissant
que les précédentes, est perçue comme accompagnée d’un risque plus dangereux. Aussi,

849
Claude Debru, Le possible et les biotechnologies, p.167

439
l’existence d’un tel risque met à mal l’idée de continuité avec une technique qui a fait ses
preuves.
Alors que la pensée techniciste fait de la précision de la connaissance du matériel
transgénique un avantage par rapport aux autres technologies telles que la sélection
classique ou la sélection par mutation, les naturalistes mettent en avant la complexité du
vivant. Les réseaux créés par celui-ci semble se multiplier à l’infini, passant par cela les
possibilités de l’entendement humain. La complexité du vivant est donc admise par les
naturalistes comme un obstacle que la technologie ne pourra jamais franchir.
Enfin, l’universalité du code génétique apparaît comme la clé de voûte de la
controverse. Alors que sa découverte doit permettre d’utiliser la fonctionnalité de l’ADN et
que la voie semble ouverte pour une exploitation sans fin de la ‘matière vivante’ , la pensée
écologiste, sacralise la nature et le vivant. Encore une fois, il y a un ordre naturel qui
s’impose à nous, indépendamment de la connaissance que l’on en a. Le vivant se voit
marqué d’un sceau que la matière inerte n’a pas, on ressent l’influence d’un courant vitaliste.
Comme on le constate, tout ce qui est considéré comme une avancée pour la pensée
techniciste devient obstacle pour le courrant naturaliste.
On comprendra alors pourquoi chacune de ces deux pensées se trouve
respectivement à la base d’une idéologie : ainsi le naturalisme offrira ses principes à la
critique du développement unilatéral de la sphère scientifico-technique occidentale, quant à
la pensée techniciste, elle se concrétisera dans une idéalisation du progrès des
biotechnologies. La controverse, dans de telles conditions, subsiste et on ne voit pas bien
comment le dialogue peut redevenir possible en opposant des prises de positions si
catégoriques. Si on conçoit que d’un point de vue théorique, une controverse est un dialogue
sans fin, il faut rappeler que l’enjeu est ici pratique : l’acceptation d’une innovation technique
au sein de la société. Or, un double problème reste en suspens. Celui de savoir si les
biotechnologies sont un mode de production opposé à l’idée de nature, d’une part et, celui
de la détermination de la nature des PGM, d’autre part.

5.3. De la nature de la transgenèse végétale et des plantes génétiquement


modifiées
A la suite de l’analyse des présupposés idéologiques qui se trouvent à l’origine de la
controverse, on pourrait conclure que l’opposition à la transgenèse végétale est issue du
refus d’une vision mécaniste du monde ; ce constat pourrait s’appliquer également à toutes
les tentatives de modification du vivant qui ont recours à une manipulation génétique. En

440
bref, cela revient à dénoncer une technologie irrespectueuse de la nature et ne tenant
nullement compte ni de l’unité des êtres qui la composent, ni de l’unité de l’environnement.
Ce faisant, on montre du doigt l’agriculture qui a recours à la transgenèse végétale parce
qu’elle va à l’encontre du concept de développement durable. C’est en ce sens que les
mouvements écologistes ont coutume d’opposer une alimentation issue de l’agriculture
biologique et une alimentation issue d’une agriculture ayant recours aux biotechnologies à
laquelle ils rattachent le génie génétique. On avait vu également que les acteurs des focus
group critiquaient l’aspect non naturel de la transgenèse sur ce point. Celles-ci, seraient la
continuation de l’entreprise de maîtrise du vivant commencée au début de ce siècle par des
moyens encore plus puissants et encore plus dangereux. En pratiquant le transfert de
matériel génétique par le biais de la biolistique, par exemple, on atteindrait le comble de
l’artificialité, ce qui équivaut dans l’esprit de beaucoup, à un non respect des normes de
qualités. La question qui se pose ici est donc la suivante : la transgenèse végétale est-elle
naturelle ou artificielle, et qu’est-ce que cela signifie ? La réponse à cette question devrait
permettre de lever certaines contradictions posées par la controverse. Mais on voit tout de
suite notre deuxième question pointer.
En produisant des PGM, on introduit une forme d’être qui semble inédite dans
l’environnement. En effet, n’y a-t-il pas une part de fascination dans le fait que les PGM ont
fait l’objet de tant d’intérêt ? En inaugurant un nouveau rapport technologie-nature, ces
plantes hybrides ont suscité bon nombres de peurs dues au caractère non défini de leur être.
Comment doit-on considérer cette exception dans le monde végétale, si exception il y a ?
Voici une question qui n’est sans doute pas innocente à l’ensemble des polémiques. Il sera
donc nécessaire de donner une définition ontologique des PGM afin de clarifier le statut de
ces êtres dont certains disent qu’ils défient l’ordre naturel des choses.
L’objectif ici est donc de remettre en question deux a priori qui sont, d’après nous, à
l’origine même de la controverse : « la transgenèse végétale est une technologie non-
naturelle » et « les PGM sont des êtres contre-nature. » Il s’agit en quelque sorte de faire
l’audit qualité d’une technologie et de réfléchir sur la métaphysique des êtres qu’elle produit.

La transgenèse végétale en question : quel rapport la technologie entretient-elle avec la


nature ?
Dans un premier temps, on veut s’interroger sur la manière de percevoir une technologie et
ses réalisations par rapport aux notions de ‘naturel’ et ‘d’artificiel’ et mettre au jour les
présupposés que recouvre l’emploi de ces termes. S’il est un concept fondamental dans le

441
débat sur les PGM, c’est bien celui « de technologie artificielle ou non naturelle» par
opposition à celui de procédés ancestraux hérités de nos ancêtres et plus proche de la
nature, ces derniers étant souvent représentés par l’agriculture biologique. En effet, en
caractérisant la transgenèse végétale de non naturelle, les acteurs des focus groups lui
donnaient généralement une connotation négative qu’il est coutume d’appliquer aux
biotechnologies non respectueuses de l’environnement et en déduisaient que l’agriculture qui
avait recours à ces moyens ne peut être que mauvaise. A cela, ils opposaient un concept
‘d’agriculture durable’ appropriée aux cycles naturels et une production de semences par
sélection naturelle850 (voir notre étude à ce sujet, dans le chapitre L’opinion publique et l’idée
de nature).
Or, il est frappant de constater que les promoteurs des PGM revendiquent également le
concept d’agriculture durable. A bien lire les messages publicitaires et autres chartes de
l’agro-industrie, on s’aperçoit que les valeurs qu’ils véhiculent, sont des valeurs
environnementales (voir notre étude de la charte Monsanto). Ces arguments se justifient par
le fait que ces solutions intégrées proposées par les industriels, comme on a eu l’occasion de
le voir, sont considérées comme une forme d’agriculture durable parce qu’elles permettraient
une réduction de l’utilisation d’intrants et seraient plus respectueuses de l’environnement.
Le discours écologiste, quant à lui, considère la transgenèse végétale comme la
biotechnologie la plus éloignée de la nature. On est par conséquent en droit de s’interroger
sur cette ambiguïté en étudiant, dans un premier temps, l’emploi du concept de nature et
voir en quels sens ces deux discours se l’approprient.

D’un point de vue étymologique, la nature, ou phusis en grec est « puissance de


production ou de développement, production, croissance, origine, cause d’existence,
naissance ». Comme on l’a déjà vu pour Aristote, la Nature se dit de « la génération de ce
qui croît ». La transgenèse végétale se distingue de la sélection classique en ce sens que,
dans la première, on procède à un transfert horizontal du matériel génétique, alors que dans
la seconde, on procède à un transfert vertical du matériel génétique ; c’est pour cette raison
que la première serait moins naturelle que la seconde : les caractères acquis par la nouvelle
plante ne sont pas issus du croisement de deux génomes, à la manière de la génération.
Mais partant du fait que toute technologie est « artificielle » et que, par définition,
l’agriculture a forcément recours à une technologie, il est légitime de se demander en quel

850
Final Report of the PABE research project, Public Perceptions of Agricultural Biotechnologies in
Europe, funded by the Commission of European Communities, Contract number: FAIR CT98-3844
(DG12 - SSMI), December 2001, p.p.60-61, 65 et 82.

442
sens un type d’agriculture peut être dit naturel sans contradiction. Depuis l’aube des temps,
l’agriculture a recours à la technique, et ce, qu’il s’agisse d’une sélection systématique
pratiquée par des ingénieurs agronomes ou d’une sélection pratiquée sur le terrain par les
agriculteurs. Lorsque l’on dit de la transgenèse végétale qu’elle produit « des plantes que la
nature ne produit pas elle-même », on peut se demander quelle plante, à part les espèces
sauvages, est directement issue de ladite « nature » ?
En fait, ce qui est affirmé ici en substance, c’est qu’il existe une agriculture, proche de la
nature, définie comme un ordre préexistant. Celui-ci a été caractérisé par le concept
« d’agriculture durable ». L’objectif est de démontrer que l’agriculture qui n’est pas issue des
biotechnologies et qui est faite depuis l’aube des temps par les agriculteurs, est plus proche
de la nature, donc meilleure de tous points de vue. C’est ainsi, par exemple, que Marc
Dufumier, un professeur à l’Institut National Agronomique Paris-Grignon (INA-PG), soutient
qu’il « existe deux grands types d’agricultures : l’une s’adapte aux écosystèmes, l’autre, avec
un nombre très limité de variétés standards, tente d’adapter les écosystèmes et consomme
beaucoup d’intrants. La première est celle des paysans, la seconde celle que l’industrie agro-
alimentaire tente d’imposer aux sociétés agraires du monde entier. »851 Pour l’auteur, ce ne
sont pas les agronomes ou les généticiens qui ont inventé l’agriculture, ce sont les paysans.
Alors que ces derniers sélectionnent « dans chaque petite région un nombre limité de
variétés pouvant y être aisément cultivées, sans crainte d’être trop concurrencées par les
plantes adventices ni vraiment endommagées par les prédateurs des lieux dont elles sont
issues. C’est cette forme de « sélection massale » qui a finalement abouti à la création d’une
multitude de cultivars particulièrement adaptés à la diversité des écosystèmes mondiaux.» A
cette méthode, l’auteur oppose celle de la recherche qui produit des « cultivars » : « Très
différent a été le processus de sélection et vulgarisation de variétés dites ‘améliorées’, connu
aujourd’hui sous le nom de ‘révolution verte’. Les variétés de céréales, légumineuses et
tubercules, issues des centres internationaux de recherche agronomiques, ont été
sélectionnées aux vues de leur potentiel génétique de rendement photosynthétiques à l’unité
de surface (…) Mais au nom des économies d’échelle, et de façon à rentabiliser au plus vite
les coûteux investissements réalisés dans la recherche génétique, on s’est efforcé de ne
sélectionner qu’un nombre relativement limité de variétés dont on espérait bien qu’elles
puissent être ultérieurement cultivées en toutes saisons et sous toutes latitudes,
indépendamment des conditions pédoclimatiques de leurs lieux d’origine.» Or selon l’auteur,
les tests qui ont été effectués pour ces cultivars ont été faussés puisqu’ils n’ont pas pris

851
Marc Dufumier, « Quelle recherche agronomique pour nourrir le Sud ? » L’Ecologiste – Vol.4 N°2 –
Juin 2003, p.20

443
certains paramètres environnementaux propres à chacun des pays où ils sont cultivés. Aussi,
M. Dufumier affirme « qu’à l’inverse des variétés issues de l’ancestrale sélection paysanne,
capable de survivre sans problème majeur avec les insectes et les agents pathogènes des
lieux dans lesquels elles ont été sélectionnées, les nouvelles variétés de ladite ‘révolution
verte’ se sont en effet presque toutes avérées sensibles aux prédateurs et maladies des
cultures. » Si l’agronome admet tout de même l’efficacité de certaines plantes dans les
régions où on a pu avoir recours à l’irrigation et aux intrants, c’est pour aussitôt ajouter que
cette situation a eu pour effet de rendre les agriculteurs dépendants des grands groupes
industriels américains. C’est ainsi qu’il enchaîne avec l’idée selon laquelle les agriculteurs
devenus dépendants des intrants des grands groupes vont devenir dépendants des PGM
puisque ceux-ci vont les obliger à racheter leurs semences chaque année (l’auteur cite le cas
de Terminator). A la suite de ces remarques vient l’analyse que nous avons déjà eu
l’occasion de voir lors de la controverse sur la faim dans le monde. Pour l’auteur, celle-ci doit
être résolue par des mesures socio-économiques… Or selon M. Dufumier : « Il faudrait en
effet laisser les paysans trouver des solutions à leurs propres problèmes et leur en donner
les moyens ». Pour lui, il ne fait aucun doute que « les paysans s’efforceraient alors de tirer
au mieux profit des cycles du carbone, de l’azote et des éléments minéraux, pour la
production de calories alimentaires, protéines, (…) et autres biens dont la société a besoin ;
et cela, aux moindres coûts en travail et en intrants manufacturés, en adaptant leurs
systèmes de culture et d’élevage aux conditions écologiques prévalentes dans leurs
microrégions, sans en avoir à détruire l’environnement pour favoriser la croissance et le
développement des espèces domestiques. » On se demande alors que vont devenir les
agronomes ? L’auteur précise que ceux-ci devraient se concentrer sur la « recherche en
milieu paysan », aussi, « l’objectif n’est plus opposer le ‘traditionnel’ au ‘scientifique’, mais de
mettre plutôt les compétences de l’agronome au service d’une évaluation rigoureuse des
résultats agronomiques, économiques et écologiques observés chez les paysans, lorsque
ceux-ci entreprennent leurs propres expérimentations.» Pour l’auteur, il est clair que si les
agronomes se contentaient d’aider les agriculteurs à développer leurs expériences diverses
et variées au lieu de leur imposer systématiquement de nouvelles technologies, alors on
parviendrait à une agriculture plus respectueuse de l’environnement et avec un
accroissement de production.
Ce que l’on retiendra ici, c’est l’opposition que Marc Dufumier établit entre deux types de
cultures et la conceptualisation d’une forme d’agriculture durable : celle des petits
agriculteurs et de leurs techniques empiriques. Selon lui, il va de soi qu’en s’inspirant
directement de ce qu’ils observent et de techniques ancestrales ainsi que de l’adaptation de

444
celles-ci, ces acteurs du monde agricole donnent une parfaite image de ce que peut être un
exercice dit « naturel » de l’agriculture. A contrario, l’approche « abstraite » que les
biotechnologies ont de l’environnement ne saurait donner lieu à une agriculture durable. Les
ingénieurs agronomes en lançant la Révolution Verte se seraient fourvoyés, et il en va de
même aujourd’hui avec les PGM. L’idée est donc que, parce qu’elles se trouvent éloignées de
la nature et par trop « artificielles », les biotechnologies, en général, ne peuvent être à
l’origine d’une agriculture durable. On retrouve donc toujours en filigrane cette théorie
naturaliste selon laquelle la nature fait spontanément ce qu’il faut pour produire bien ;
l’homme, lui, erre ; il doit rechercher les bonnes technologies, aussi, plus il se trouve éloigné
de la nature, plus il va errer. Ici, l’agriculteur et l’agronome doivent se contenter de s’inspirer
de phénomènes naturels ou de reproduire des technologies ancestrales. L’agriculteur se veut
donc le conservateur d’un système existant appelé « nature » auquel il est lié dans une
totale transparence. En fait, les petits agriculteurs et leurs techniques issues de l’observation
et d’une adaptation à l’environnement qui les entourent seraient plus proches de la réalité de
la nature que la recherche fondamentale qui se trouve à l’origine des biotechnologies.
On jettera un œil critique sur ces théories en rappelant avec Dominique Bourg que la
profession d’agriculteur est devenue l’une des plus représentative de la modernité. Comme le
rappel ce philosophe, « C’est l’introduction d’éléments de connaissance proprement
scientifiques qui a profondément transformé le métier d’agriculteur, qui a plus exactement
fait naître une profession nouvelle. »852 ; c’est ainsi que D. Bourg se réfère à la description
de l’apprentissage d’un gardien de vache par Pierre Jakez Hélias, métier qui a
fondamentalement évolué : « Ce genre de connaissances ne s’apprend pas à l’école, si ce
n’est celle de la vie. Il ne relève d’aucun savoir spécialisé, bien qu’il ne concerne qu’un
secteur des activités humaines possibles. Il ressortit à une appréhension spontanée des
choses et fait corps avec la totalité de l’existence. » Cette connaissance, contrairement au
langage scientifique fait usage du langage ordinaire. C’est en ce sens, par exemple, que le
calcul, un élément totalement ignoré des paysans traditionnels a intégré tous les secteurs de
l’agriculture. L’entreprise biotechnologique a mené, comme on le sait, à une production à
outrance, ce, parfois au mépris du respect de la qualité et de l’environnement. Doit-on en
conclure que pour retrouver une production plus qualitative on doit retourner à une version
non technicisée de l’agriculture ? Même en admettant que cela soit possible, ce n’est sans
doute pas ce qu’a voulu dire l’agronome précédemment cité. Il semble bien plutôt que le
rythme que celui-ci veuille imposer au monde agricole se trouve dans la nature même. La

852
Dominique Bourg Nature et technique, Essai sur l’idée de progrès , col. Optiques Philosophie,
Hatier, 1997, p.299

445
théorie qui est donc sous-jacente à l’agriculture durable, telle qu’elle est définie par les
environnementalistes, est que les techniques agricoles doivent conserver un rapport direct à
la nature considérée comme un tout autonome indépendant. Une agriculture ne peut être
durable, que si elle est directement inspirée de la nature. C’est ici une théorie
fondamentale : la nature est conçue comme un tout organisé indépendant de la technologie
de l’homme et de sa présence. Ce dernier doit faire l’effort de s’adapter plutôt que de
changer l’ordre des choses. Pourquoi, alors, les industriels font-ils également référence au
concept d’agriculture durable ?
En quel sens une firme comme Monsanto s’autorise-t-elle à parler de « développement
durable » et de « plus grand respect de l’environnement » ? S’agit-il simplement de
propagande et ce message n’a-t-il aucun fondement ? Ou s’agit-il d’une nouvelle orientation
qu’à voulu se donner l’industrie, en prenant en compte des valeurs liées à des facteurs
environnementaux ? Si la première piste est celle que l’on entend la plus souvent (voir notre
étude sur le riz doré), la deuxième nous a semblé la plus plausible. En effet, comme on a pu
le constater au travers des différentes chartes mises en place par la firme d’agrofournitures,
il semble bien que la volonté de se reconvertir de l’agrochimie à la transgenèse végétale ait
été une volonté constante depuis le début des années 80. L’agriculture fait donc ici l’objet
d’une reconversion. Il s’agit d’aller vers un système agricole plus stable. C’est dans ce
contexte qu’est né le concept « d’agriculture intégrée ». Aussi, si les industriels ont conservé
le leitmotiv de la première Révolution Verte qui était de « produire plus », ils ont également
tenté d’intégrer de nouvelles exigences environnementales : il est nécessaire de « produire
mieux ». C’est ainsi que les PGM sont présentées comme une solution permettant de
conserver la cadence productiviste actuelle et même de l’améliorer sans utiliser d’avantages
de terres ou d’intrants. Il s’agit donc de créer de toutes pièces une agriculture qui est plus
proche des normes environnementales recherchées. L’agriculture durable de la transgenèse
végétale a moins pour objectif de préserver une nature idéalisée, que d’atteindre une norme
qualitative. Pour cela, il est essentiel de créer un nouveau système. A la différence du
système précédant qui s’était fixé pour seules exigences, un productivisme total sans
considération des conséquences à long terme, il s’agit désormais de créer un système plus
équilibré. Il y a donc bien ici l’idée d’un respect des normes naturelles et la volonté de
rapprocher les technologies de ces normes. C’est, à notre avis, en ce sens que les industriels
s’approprient le concept d’agriculture durable, et non pas uniquement pour soigner leurs
relations presse. Aussi, cela n’a rien de surprenant quand on sait qu’à l’origine de leurs
premiers développement, les biotechnologies se voulaient une nouvelle industrie verte.
Reprenant l’exposé de Robert Bud, Claude Debru développe cet aspect souvent oublié :

446
« Après la deuxième guerre mondiale, l’idée de promouvoir des techniques fondées sur la
biologie et destinées à accroître le bien-être de l’humanité en fournissant des solutions aux
problèmes les plus criants de la démographie et du sous-développement s’imposait à de
nombreux esprits, en réaction aux techniques massivement destructrices issues de la
physique. Comme l’a écrit Robert Bud, la biotechnologie était imaginée alors comme une
technologie ‘verte’. Il revenait aux biologistes de fonder cette technologie sur les
connaissances nécessaires et d’en prévoir les conséquences à long terme en particulier
écologiques. La biotechnologie était vue comme l’opposée d’une technologie de destruction
de masse. L’une des personnalités scientifiques qui ont le plus travaillé à promouvoir cette
vision était le physicien et le biologiste Léo Szilard, fondateur des conférences de Pugwash.
Aux yeux de Szilard et de ceux qui l’ont suivi, la biotechnologie, qui devait aider à résoudre
les problèmes de population, d’alimentation, de santé et d’environnement était à l’opposé
des technologies destructrice de l’âge atomique. »853
On aurait donc deux sens différents de l’idée de ‘nature’ par rapport au concept
d’agriculture durable. Dans un cas, la nature est vue comme un ordre à conserver, dans
l’autre, il s’agit d’un nouvel équilibre à atteindre. Dans le premier cas, la technologie est
soumise à une nature idéalisée, dans le second, elle doit aménager la dite « nature » pour la
subordonner aux besoins de l’homme. Or partant de ces deux conceptions, la transgenèse
végétale apparaît, soit comme un subterfuge inutile et contraire à l’ordre établi, soit comme
une des solutions possibles pour établir un système équilibré. En caractérisant la transgenèse
végétale de technologie durable, on la considère comme un pas vers un système industriel
de production plus qualitatif, par rapport à un système agrochimique qui est né pendant la
1ère révolution verte et qui avait pour seul objectif la quantité. La transgenèse végétale peut
être caractérisée de « plus naturelle » en ce sens que son objectif affiché est la diminution
de la quantité de pesticides (objectif qu’elle atteint par exemple de manière très nette pour
certaines cultures, tels que le coton Bt ou le soja RR où l’usage de produits actifs a
largement diminué) ou encore en proposant des solutions à des problèmes qui n’avaient pas
pu être résolus par la technologie qui l’a précédée. Les biotechnologies se voient alors parées
d’une nouvelle mission : construire un système plus productif mais aussi plus viable. De ce
point de vue, lorsque les « industriels de l’agro-fourniture » s’approprient le concept
d’agriculture durable, c’est donc bien comme une norme. Ici le « naturel » est un objectif
qualité à atteindre par la production industrielle : il s’agit d’utiliser moins de pesticides tout
en continuant de produire plus. On peut donc dire qu’il y a également un souci écologique
mais subordonné à des normes de productivité. A contrario, dans la version

853
Claude Debru, Le possible et les biotechnologies, p.122

447
environnementaliste de « l’agriculture durable », la productivité est subordonnée à la
conservation d’un système donné.
Pour les industriels, l’agriculture durable est un système à créer de toutes pièces par le
biais des innovations technologiques ; aussi, l’équilibre entre l’homme et la nature doit
résulter de ce système. Il n’y a pas l’idée d’un équilibre préexistant à préserver. On peut
comprendre que la perception du risque des industriels diffèrent des environnementalistes.
Pour les premiers, le « risque » est perçu comme une conséquence probable d’une évolution
qui procède par essais et erreur ; pour les seconds, le risque est une conséquence inévitable
de toute technologie qui dérangerait un système immuable. Pour les uns, le risque est une
nouvelle situation à gérer, pour les autres, il est inacceptable. On se rappellera la thèse de
Rifkin selon lequel tout progrès est immanquablement voué à être une source de risques
beaucoup plus grande.
La transgenèse végétale, en considérant le transfert horizontal comme une technologie
capable de donner des solutions pour poursuivre le travail de l’évolution, est perçue comme
s’éloignant d’une nature idéalisée, conçue comme un système qui s’équilibre de lui-même
sans l’intervention de l’homme ; dans ces expressions les plus fortes, ce rejet s’interprète
comme une critique radicale de la transgenèse végétale : celle-ci est alors vue comme une
technologie « mauvaise en soi ». C’est ainsi que Mae-Wan Ho affirme « Le génie génétique
est en soi dangereux, à cause de la doctrine de déterminisme génétique qui trompe les
chercheurs, la population, s’empare de leur inconscient, les pousse à se comporter de façon
mécanique et irréfléchie, pour façonner le monde au détriment des êtres humains et des
autres espèces vivantes. »854 ; pour cette biologiste moléculaire de l’Open University, « la
science n’est pas mauvaise en soi (une accusation portée trop souvent à tort par les
associations pour l’environnement et les journalistes de la presse populaire), mais il existe
une mauvaise science qui dessert l’humanité.»855 ; d’après l’auteur, la science n’a pas
seulement raison, elle a parfois tort, aussi, « la science n’est ni plus ni moins qu’un système
de concepts entraînant d’une part une meilleure compréhension de la nature et, d’autre part,
l’acquisition de connaissances d’une grande fiabilité qui nous permettent de vivre en
harmonie avec elle. En ce sens, on n’imagine pas abandonner la science, car c’est en
comprenant et en connaissant mieux la nature que l’on vivra mieux puisqu’on sera en
mesure de distinguer la science utile qui sert l’humanité de la science perverse qui ne la sert
856
pas.» On comprend au travers de cette citation que toute innovation technologique est

854
Mae-Wan Ho, « Le génie génétique : rêves ou cauchemars », in Génie génétique : des chercheurs
citoyens s'expriment, appel des scientifiques et des médecins, édition Sang de la terre, 1998, p.13.
855
Ibid., p.20.
856
Ibid., p. 21.

448
subordonnée à une compréhension de la nature comme système constitué de règles pré-
établies. Aussi l’activiste avoue être d’accord avec l’opinion selon laquelle ce n’est pas la
science qui a tort, mais qu’elle est utilisée à tort ; de même qu’elle adhère à celle selon
laquelle « la science est neutre et dénuée de valeurs, alors que c’est son application, la
technologie, fait le bien ou le mal. », mais ajoute aussitôt que la distinction entre science et
technologie est futile. Si on prend le cas de la génétique et de la quasi-totalité de la biologie,
leur côté expérimental fait que, « les techniques déterminent les questions qui sont posées
et donc le type de réponses qui sont posées et donc le type de réponses qui,
scientifiquement parlant, comptent. » En effet, toutes les théories déterministes des
chercheurs qui travaillent sur le vivant seraient influencées par les manipulations qu’ils
effectuent : « Lorsque les personnes qui manipulent cette matière obtiennent les résultats
espérés, leur conception du monde devient alors déterministe : puisque ce sont les gènes qui
déterminent notre destin, on peut, en manipulant les gènes, changer le cours du destin.
C’est une approche particulièrement courageuse, mais à la base erronée et incohérente. »857
Pour cette raison, l’auteur pense qu’en génétique, il n’est pas possible de séparer science et
technologie, en attribuant à la première un statut au dessus de toute morale et en
demandant à la seconde de rendre des comptes : « L’évaluation des risques devrait, en
principe, se faire au niveau de la technologie, pas de la science. C’est naturellement la
technologie qui peut être nuisible à la santé et non la science. Dans cet article, j’apporterai la
preuve que la science ne saurait en aucun cas être dissociée, ni des valeurs morales qu’elle
implique, ni de la technologie qui façonne notre monde. Autrement dit, la mauvaise science
porte atteinte à la santé publique et au bien-être de chacun et doit être évitée à tout
prix. »858 La conséquence de cette théorie étant que la science appartient à son tour, comme
la morale, au domaine du négociable. Aussi, d’après l’activiste anti-PGM, si la transgenèse
est une mauvaise science, c’est qu’elle est « l’association sans précédent de deux puissances
capables aussi bien de faire avancer le monde que de le détruire : j’ai nommé la science et
l’argent. » D’après elle, les généticiens sont liés aux industriels et ce sont ces derniers qui
fixent les limites des applications. Or, le paradigme auquel adhère ces industriels est
« réducteur » : « Ca ne fait pas l’ombre d’un doute, la pensée qui nous a conduit au génie
génétique et qui a permis son implantation est le déterminisme génétique, selon lequel les
organismes sont définis en fonction de leur constitution génétique, ou encore de l’ensemble
de leurs gènes. »859 Mae Wan Ho condamne donc d’une manière globale toute tentative de

857
Ibid., p.22.
858
Ibid., p.23.
859
Ibid., p.25.

449
manipulation du vivant. A la suite de cette analyse, on trouve une énumération de
l’ensemble de tous les dangers de la transgenèse végétale.
Ici, c’est donc bien la transgenèse végétale comme activité scientifico-technique qui est
remise en cause. On voit en quoi ce rejet systématique des manipulations génétiques
s’oppose à une théorie qui considère que la technologie peut être bonne ou mauvaise. Dans
ce cas, au contraire, le risque peut être gérable au cas par cas. Si on adhère à un tel
système de pensée, alors on peut admettre que la transgenèse végétale participe à la
réalisation d’un monde de possibles parmi d’autres. C’est ainsi, par exemple, qu’un risque tel
que celui du transfert de gène résistant aux antibiotiques issu de la technique des plantes de
première génération a été supprimé. Il a suffit pour cela de remplacer la technologie des
marqueurs à base de gènes résistants aux antibiotiques par un autre procédé moins
dangereux. Cet exemple démontre la faculté qu’ont les technologie de toujours pouvoir
corriger leurs erreurs. Dans ces conditions, on se demandera s’il est légitime de révoquer la
technologie en bloc ? Qu’est ce qui justifie une telle position si ce n’est la peur et une vision
systématique, réfractaire à toute nuance ? On citera de nouveau Claude Debru qui
commentant sur le processus mis en place à Asilomar remarque que : « Même s’il n’est pas
répétable, le processus d’Asilomar a montré que des questions qui peuvent paraître
dramatiques lorsqu’elles sont posées en termes généraux, finissent par se résoudre,
disparaître, dans des solutions qui ne peuvent être que particulières. Souvent des voies de
recherche bien explorées s’avèrent des impasses. D’autres voies s’ouvrent, qui ne posent pas
les mêmes problèmes éthiques. C’est dans le déplacement des recherches et la particularité
des solutions que réside le véritable esprit scientifique. Les problèmes paraissent généraux et
effrayants (rien de plus facile que de jouer sur la peur, passion primitive de l’homme qui en a
sans doute un besoin ancré), les solutions sont nécessairement particulières (utiliser tel
micro-organisme plutôt que tel autre, telle souche affaiblie plutôt que telle autre, tel vecteur
plutôt que tel autre). A cet égard, il y a une différence de culture, assez considérable, entre
l’attitude du biologiste, qui sait qu’il y a beaucoup plus de particularités que de généralités
dans sa science, et celle du philosophe, de l’idéologue qui ont tendance à vivre dans
l’universel et ne comprennent pas suffisamment les questions de la biologie. La particularité
peut paraître triviale en biologie ou en médecine, elle est problématique pour un philosophe
dont les assertions tendent à produire de l’universel. »860 Ne doit-on pas penser plutôt qu’en
aspirant à une nouvelle norme qualitative, la transgenèse végétale s’inscrit dans la continuité
d’une transformation de la nature ? Il s’agit de trouver un mode de production industriel
durable.

860
Claude Debru, Le possible et les biotechnologies, p.405-406.

450
La critique de la transgenèse végétale ne repose-t-elle pas alors sur un malentendu ? Les
environnementalistes rejettent l’agriculture issue des biotechnologies en général, parce qu’ils
la considèrent comme irrespectueuse de la nature. Ce faisant, ne croient-ils pas en
l’existence d’une nature providentielle ? Cette nature produirait d’elle-même suffisamment
d’aliments pour nourrir l’humanité sans que l’on ait à employer des techniques qui dérangent
un équilibre préexistant. A contrario, l’industrie poursuivant l’entreprise agronomique qui a
consisté à modifier le vivant pour qu’il produise à la mesure des besoins de l’humanité, pense
qu’une modification génétique des plantes participe à une amélioration quantitative et
qualitative de la production ; dans ce cas, la technologie est perçue comme une solution
permettant d’aménager un mode de subsistance. Dans un cadre tout à fait différent qui est
celui d’une réflexion sur les interdits alimentaires religieux, le philosophe Olivier Assouly a la
remarque suivante : « L’attraction qu’exercent les concepts de pureté et d’impureté affecte
des catégories alimentaires sans valeur religieuse immédiate. Dans la presse ou sur les
écrans de télévision, des campagnes publicitaires pour des produits laitiers ou des eaux
minérales n’ignorent pas les ressorts religieux quand elles jouent sur l’immaculée blancheur
lactée et la puissance régénératrice et purificatrice de l’eau. Il faut pourtant se garder de
sombrer dans ce genre d’obscurantisme en vertu duquel tous les produits industrialisés
seraient des signes tragiques d’un déclin au regard d’une pureté alimentaire naturelle ou
religieuse perdue. La pureté naturelle n’existe pas davantage que l’impureté industrielle. Il
n’est nullement question de faire ici l’éloge d’un passé alimentaire sain et intègre. Ce passé-
là est une invention récente, une fiction populaire médiatique, que d’indiscutables dérives et
abus ont indirectement consolidées. Signalé par l’invasion croissante des ‘produits du terroir’,
le renouveau de la nature et de la tradition dispense aujourd’hui un florilège d’évocations
nostalgiques et d’images délicieuses. Au lieu de se laisser abuser par le mythe contemporain
d’une alimentation naturelle, immaculée et auréolée de toutes les vertus imaginable, les
religions ne s’en écartent-elles pas d’emblée en préférant la loi et le rite de la nature, la
raison et l’instinct, l’abattage rituel à la mort naturelle ? La nécessité de jeûner, de connaître
des abstinences, de ranger les espèces suivant des critères déterminés pour n’en conserver
sur la table qu’une faible quantité indique que la simple possibilité de nourrir naturellement
861
ne va jamais de soi.» Il paraît donc difficile d’affirmer qu’il y a des modelles
agroalimentaires qui sont plus naturels que d’autres.
Toutes ces réflexions démontrent l’importance que joue la perception du rapport

861
Olivier Assouly, Les Nourritures Divines, essai sur les interdits alimentaires, Actes Sud, oct. 2002,
p.15.

451
technologie-nature et des valeurs qui lui sont liées dans la controverse. Cette remarque est
d’importance car elle permet de dévoiler certains a priori qui sont des obstacles au dialogue
et qui se trouvent à l’origine d’un rejet idéologique de la transgenèse végétale et ne pas faire
de celle-ci une technologie mauvaise en soi. Aussi, il semble essentiel de faire la différence
entre d’une part l’idée de nature avec tous les attributs qu’on veut lui accorder et les normes
qualitatives propres à une technologie. Il nous semble donc avoir apporté une solution au
premier problème, qu’en est-il du deuxième ?

Les plantes génétiquement modifiées sont-elles contre-natures ?


Dire que les critiques qui ont porté sur la transgenèse végétale avaient surtout pour objectif
de dénoncer « une biotechnologie de plus » et par conséquent, un type d’agriculture
«trop éloigné de la nature », ne suffit pourtant pas à expliquer la controverse. Si c’était le
cas, des sujets comme l’usage des pesticides feraient autant la une des journaux. Or, le
problème fondamental posé par les PGM concerne la définition de leur nature.
En effet, comme on l’a vu, celles-ci, de par le fait qu’elles sont une transgression de
la barrière des espèces, sont perçues comme ‘contre-nature’. On entend par ce terme, une
menace contre l’ordre naturel. Les PGM, en plus de s’éloigner des principes définissant une
supposée harmonie immuable du vivant, transgresseraient ces règles en brisant la continuité
qui unit les espèces appartenant au vivant. Cela vaut, pour le grand public (voir sondage
Eurobaromètre et PABE), mais également pour les scientifiques (on se rappellera notre
distinction entre le principe d’équivalence en substance et ce que nous avons nommé le
principe de différence absolue).
Ce qui est en jeu ici, c’est la continuité entre les plantes issues de la sélection
classique et les PGM. Or cette continuité est à dure épreuve de par le caractère paradoxal
avec lequel elle se présente : en effet, d’une part, la transgenèse a tout emprunté à la
nature, d’autre part, elle a créé des êtres hybrides mi-artificiels, mi-naturels que la nature ne
créerait pas par elle-même en ce sens que, comme on l’a vu, les PGM définissent des
nouvelles variétés qui auraient sans doute été impossibles à obtenir par croisement. Qu’en
est-il exactement ?
Comme on l’a déjà vu, le processus du transfert horizontal est un phénomène
naturel; en effet, des études ont démontré que certaines plantes telles que le tabac, par
exemple, possèdent du matériel génétique issu de transferts spontanés entre différentes
espèces qui n’ont a priori rien en commun. Par contre, il est vrai que la transgenèse végétale
s’écarte de la définition classique de la nature comme source des êtres qui ont acquis leurs

452
caractères par le biais de la « génération », mais se trouve incluse dans la définition de la
nature comme « ordre naturel » dont les phénomènes peuvent être décris par des lois. Cet
argument est utilisé par les défenseurs du génie génétique. Le fait que les phénomènes de
transfert horizontal aient lieu spontanément dans la nature sert de preuve pour démontrer
que les PGM, bien que produites de manière artificielle, sont comparables à certaines plantes
qui ont été produites naturellement. La technologie ne ferait donc que s’inspirer de la nature.
En disant cela, les promoteurs de la transgenèse végétale donnent un sens plus large à l’idée
de nature que ne le font leurs détracteurs. Un deuxième critère serait qu’elles transcendent
la « barrière des espèces ».
Aristote, dans son Histoire des animaux était l'un des premiers à avoir classé les
animaux qu'il connaissait en deux catégories: les animaux sanguins et les animaux non
sanguins. Ce qui définissait une espèce, selon lui, c'était la capacité que ses individus ont de
se reproduire entre eux. Grâce à ce système, les individus hybrides restaient des
inclassables. Puis, dans la Bible, Adam ayant nommé chacun des animaux existants, les
animaux hybrides étaient généralement des animaux monstrueux qui étaient représentés
comme des symboles de l'enfer (si ce n'est la Licorne qui est le symbole du Christ pour les
alchimistes862) au Moyen âge. Jusqu'au début du Siècle des Lumières, les auteurs se
contentent, pour la plupart, de recopier les grandes classifications d'Aristote en y ajoutant
parfois des animaux fantastiques, tels que la licorne, le dragon ou le centaure. La fixité des
espèces est le fondement théorique de toute l'oeuvre de Linné, même s'il admet à la fin de
sa vie que les espèces nouvelles peuvent apparaître par hybridation interspécifique.
Buffon eut, par contre, un certain intérêt pour l'étude des êtres hybrides. Comme le
souligne Claude Blankaert dans un article de vulgarisation, ce qui fonde l'unité de l'espèce
pour Buffon, c'est l'interfécondité. On reconnaîtra les animaux d'espèces différentes à ce que
leur croisement donnera des animaux hybrides non féconds (par exemple le mulet pour l'âne
et le cheval)863. Il semble cependant que Buffon soit revenu sur cette idée d'accouplement
interspécifique. Suivant l’auteur, il se serait demandé si n'importe quel accouplement
interspécifique était possible ; mais puisque le bélier se joint à la chèvre, est-on certain que
le cheval ou le cerf ne se produisent jamais avec la vache? Lui vient alors l'idée qu'il y aurait
des genres, sortes de grandes familles; les espèces différentes proviendraient donc des
dégénérations de ces genres. Il tient cependant à conserver des barrières entre certaines
espèces comme le singe et l'homme. Cependant en 1766, Buffon s'intéresse à la probabilité

862
Voir C G Jung, Psychologie und Alchemie , im Rascher Verlag Zürich, chapitre: Das Einhornmotiv als
Paradigma, pp585~646.
863
Claude Blankaert: « Le temps, grand ouvrier de la nature », in les Cahiers de Science et vie , n°23,
oct 1994, p.60.

453
des mélanges et du métissage des espèces: « Lui qui ne croyait pas à l'hybridité, y voit
maintenant l'une des causes physiques du changement des espèces. »864 En fait, il ne s'agit
pas ici, comme on l'a crut souvent d'une ébauche d'un système transformiste: « Le propos
de Buffon n'est pas de remettre en question l'ordre intangible de la création, mais plutôt de
le mettre en perspective. Les espèces s'étant multipliées au cours du temps, et s'agissant de
ramener cette diversité à l'unité de souches moins nombreuses, Buffon imagine que des
formes hybrides, des métis fertiles, ont rempli les espaces séparant à l'origine les grands
types d'organisation. » C'est ainsi qu'il va expérimenter. Il commence à douter de la stérilité
du mulet qu'il qualifie de « Monstre composé de deux natures ». Dans un programme
expérimental, il prévoit de coupler un zèbre apprivoisé et un cheval, et, un renard captif avec
une chienne. Il entreprend des expériences de métissage entre chien et loup. Malgré les
échecs subis au début, il parvient à ses fins. Blankaert conclut en rappelant que la réalité des
hybrides et leur viabilité sera encore discutée à l'époque même où Darwin publie ses thèses
évolutionnistes.
On constate que la problématique de la barrière des espèces n’a rien de nouveau.
Aussi le concept du « monstre contre-nature » a vu le jour depuis belle lurette. Ce qui n’est
pas issu de la génération entre deux espèces va à l’encontre de la nature. Ne doit-on pas
penser, alors, que concernant les PGM c’est un problème similaire qui se pose ? D’ailleurs
c’est un fait, les médias, de même que les acteurs des focus groups aiment à parler de
Frankenfood et faire référence aux « Apprentis sorciers » (on pensera au Docteur Moreau, le
héro de Wells865). Les PGM seraient contre-natures, parce qu’elles ne sont pas issues de la
génération au sein d’une même espèce et que, de ce fait, les caractères dont elles héritent
viennent d’espèces qui ne peuvent se reproduire naturellement, c’est à dire au sein d’une
même espèce.
Or, force est de constater que le phénomène du transfert horizontal arrive
spontanément dans la nature sans l’intervention de l’homme et que les caractères ainsi
acquis peuvent être constitutifs d’une nouvelle espèce; et par conséquent, il est légitime de
se demander si la transgenèse végétale qui l’imite peut être considérée, elle aussi, comme
naturelle ou tout du moins, comme s’inspirant de la nature en la prolongeant. C’est là un
point important. Pour produire ce phénomène de transfert horizontal à volonté, il existe,
comme on l’a vu, 3 méthodes : une méthode d’infection avec Agrobaterium tumefaciens, la
biolistique et l’électroporation. Il est alors admis que la première technique est la plus
naturelle en ce sens qu’elle se contente d’utiliser les propriétés d’un phénomène qui existe

864
Ibid, p.64.
865
Herbert Georges Wells, L’île du Docteur Moreau, coll; Mercure de France, Paris, 1946.

454
dans l’environnement. Ici, c’est donc le phénomène naturel « transfert horizontal » qui est
construit par l’intermédiaire d’un procédé technique artificiel. Mais alors quel pouvoir prête-t-
on à la technologie humaine dans ce cas ? Et qu’est-ce que l’expression « être contre-
nature » signifie exactement ? Si on définit la nature comme l’ensemble des règles qui
régissent les êtres dit naturels, alors on est bien obligé de reconnaître que les PGM, en tant
qu’êtres possibles, sont également régis par des règles. Et si c’est le cas, ne doit-on pas
remettre en cause l’ensemble des technologies humaines qui explorent les possibilités du
vivant en modifiant celui-ci ?
Alors que dans la question que nous nous sommes posée concernant l’aspect non-
naturel de la transgenèse végétale, on aboutissait au paradoxe suivant : certaines
technologies sont plus naturelles que d’autres, ici on aboutit à un nouveau paradoxe : des
plantes rendues possibles par les lois du vivant elles-mêmes, seraient des êtres hors normes.
Ainsi après avoir critiqué le principe naturaliste selon lequel le vivant serait un système
immuable qu’il faudrait se contenter d’observer, Dagognet, dans l’ouvrage que nous avons
déjà cité, passe à la description de ce qu’il nomme une « biurgie » : « Puisque la vie cherche
la différence, même si elle ne l’atteint pas assez ni toujours, l’homme s’emploiera
légitimement à la favoriser : nous allons, au nom même de la biologie, vers une biurgie. Le
naturaliste doit s’en accommoder : nos plantes comme les animaux relèvent de l’art, non
d’une nature dont ils s’éloignent chaque jour ou dont nous les écartons. Les ‘chimères’
n’appartiennent d’ailleurs plus au monde de la fiction : elles sortent actuellement du
laboratoire.»866 L’auteur énumère alors ces différents « procédés les plus simples et les lois
grâce auxquels nous créons les ‘êtres nouveaux’. » Il commence par les techniques de
l’horti- et de la sylviculture : le marcottage qui consiste à « coucher dans le sol ou même de
recouvrir de terre le rameau retenu, pour que bientôt poussent des racines et des
bourgeons. »867 Ensuite vient le bouturage qui consiste à obtenir la plante entière à partir
d’un fragment quelconque et non plus de la souche mère. Le greffage va plus loin : « Il mêle
deux végétaux qui se fondent afin de réaliser une sorte d’être nouveau : le porteur assure
l’alimentation et donc la prospérité de ce qu’on a inséré ou plaqué sur lui. On a, pour ainsi
dire, fabriqué une ‘prothèse végétale’ d’importance : en haut l’aérien, en bas le racinaire. »868
Ayant cité ces 3 exemples, Dagognet ajoute le commentaire suivant : « Le végétal, ce vivant
à la limite, n’en fournit pas moins un modèle : sous nos yeux, grâce à lui, se brise l’idée d’un
‘être’ harmonieux et indécomposable. Il ouvre la voie aux transformations, permettant à la

866
François Dagognet, La maîtrise du vivant, p.109
867
Ibid., p.10
868
Ibid., p.114

455
fois les découpages et les ajouts. Nous avons sommairement examiné trois opérations de
style arithmétique : a) la multiplication, avec le marcottage ; b) la division avec le
bouturage ; c) enfin l’addition, avec la greffe. (…) La nature, nous l’avons vu, visait
principalement la réalisation de tous les possibles, l’occupation de toutes les cases de son
propre damier, mais l’horticulture, le fer de lance de la manipulation, prolonge son
programme : elle parvient , en effet, à assembler les opposés ou du moins les éloignés (les
chimères) et elle réussit à multiplier les espèces, plus vite qu’il n’était prévu (bouturage) Elle
libère donc la végétalité des verrous qui la bornaient. »869
L’auteur passe ensuite à la description des procédés de la phytotechnologie et de
l’agro-industrie. Il s’arrête alors sur le cas du maïs issu de la sélection par le biais des
biotechnologies et a le commentaire suivant : « Retenons seulement que les productions
industrialisées appartiennent moins à la nature des récoltes qu’à l’histoire métamorphosante
des végétaux, au statut de plus en plus remanié. »870 Il procède alors à une description
détaillée de l’hétérosis. Pour Dagognet, celle-ci tourne deux fois le chemin du naturel :
« d’abord l’endogamie, afin de n’obtenir que des lignées pures (l’homozygotie indispensable),
ensuite, une fertilisation dirigée, qui féconde les extrêmes entre eux (les plus éloignés
donnent l’accroissement le plus net des propriétés). »871
Faisant suite à ce court aperçu synoptique, un nouveau chapitre traite des
manipulations génétiques dans leur ensemble. Dagognet défend alors l’idée d’une
transsubstantiation possible grâce à son hypermosaïsme. Vient ensuite les Travaux réalisés
dans le domaine de la zootechnie avec l’ensemble des hybrides et les prouesses des
xénogreffes.
On ajoutera à ces modifications les chimères issues de l’embryologie
expérimentale872 ; une chimère embryologique est un être issu de deux embryons d’individus
distincts. Dans ce domaine, on compte plusieurs techniques : les chimères par agrégation de
deux hémi-embryons, les chimères par injection qui sont réalisées à partir de l’injection des
cellules étrangères dans la cavité blastocelle d'un embryon et enfin, les greffes
interspécifiques qui sont également considérées comme des chimères. On notera enfin, que
les individus hermaphrodites sont généralement considérés comme des chimères naturelles.
Les exemples de réalisations ne manquent pas : des premiers hybrides aux premières

869
Ibid., p.118.
870
Ibid.
871
Ibid., p.129.
872
Voir à ce sujet notre mémoire de DEA : « Conditions de possibilités, réalisations et significations
des chimères embryologiques. », ULP Strasbourg, 95.

456
chimères réalisées à partir d’hémi-embryons d’oursins873 et d’urodèles 874
, aux incroyables
caille-poulet875 et Chèvre-Mouton de Polzin 876
, en passant par le Patchwork Worm de
Bierne877, on s’aperçoit de la perméabilité de la barrière des espèces. Sans cette dernière, un
procédé chirurgical tel que les xénogreffes serait impossible.
La liste des manipulations du vivant est longue et variée et démontre l’emprise de la
technologie humaine sur la nature et les infinies possibilités qu’elle découvre. Aussi, les
biotechnologies ont largement contribué à accélérer ce processus. Cette énumération nous
permet également de prendre du recul pour revenir à notre question initiale : quelles raisons
a-t-on d’attribuer aux PGM un statut ontologique différent en les excluant de l’ordre naturel ?
Cette question, nous nous la sommes déjà posée au travers de notre étude du
principe d’équivalence en substance. Plus exactement à cet endroit, l’enjeu était de définir le
cadre d’une sécurité alimentaire. En effet, si les PGM sont équivalentes en substance, alors, il
n’y a aucune raison particulière de considérer qu’elles sont a priori plus dangereuses que les
autres plantes, il y a juste de très bonnes raisons d’appliquer un principe de précaution plus
accrû ; à cette thèse, s’oppose celle de ceux qui font de la transgenèse végétale un principe
de différence absolue : en excluant les PGM de l’ordre naturel, ils en font des sources de
dangers plus importantes que les plantes issues de la sélection classique. La transgenèse
végétale est donc un principe différenciant, mais également une source de danger. Cela
revient donc à dire que ce qui n’est pas perçu comme naturel et plus dangereux que ce qui
l’est. Or, une fois de plus, si on considère l’ensemble des produits agricoles, force est de
constater qu’aucune plante ne peut se targuer d’être naturelle à la manière des plantes
sauvages, par exemple. Il devient donc essentiel de donner une définition de la nature d’une
plante génétiquement modifiée.

Les PGM définies comme des « végétaux naturellement instrumentalisés »


Dans le refus des applications agro-alimentaires des biotechnologies, on dénonce souvent
l’instrumentalisation du vivant. En effet, l’entreprise qui consiste à utiliser le vivant comme

873
Jane Oppenheimer, art. « Hans Driesch », in Dictionnary of scientific Biography, pp186-189.
874
Charles Houillon (13, Avril 1964) « Chimères Xénoplastiques entre Urodèles, Pleurodèles Waltii
Michah et Triturus alpestris Laur. », in C.R. Acad. des Sciences, Paris, t.258 . Gr 12
875
N. Le Douarin, « Les migrations des cellules dans l'embryon », in la Recherche , vol 10, n°97,
Février 1979. et E. Balaban (nov. 1990) « Avian brain chimeras as a tool for studying species
behavioral differences in the avian model in developmental biology in The avian model in
developmental biology: from organism to genes. » Collectif édité par N. Le Douarin - F Dieterlen-lievre
and Julian Smith. Editions du CNRS.p.p.105-117.
876
« Production of sheep-goat chimeras by inner cell mass transplantation » in J. Anim
877
Bierne (1981) « Viable animals obtained by grafting pieces from several Nemertean adults. » in
Transplantation, vol. 29, n°1.pp74-75.

457
une usine, a quelque chose de repoussant et il est commun d’opposer l’image du petit
paysan avec sa ferme, à celle de l’élevage industriel de volailles, par exemple878. Aussi, une
fois de plus, on oppose une production qualitative et une production quantitative. La
production quantitative étant née, comme on l’a vu avec Robert Bud, au début du siècle avec
les biotechnologies (ce qui ne signifie pas qu’une production plus qualitative ait existé
avant). En effet, comme le rappelle l’auteur, c’est en Hongrie et au Danemark que l’on voit
les premiers élevages industriels de porcs. L’instrumentalisation du vivant au travers des
biotechnologies agro-alimentaires est donc un phénomène bien réel et qui ne manque pas
d’avoir un aspect repoussant pour les âmes sensibles, si on prend en considération des
facteurs tels que le goût, par exemple, ou encore l’éthique (réduire le vivant en « machine à
produire de la nourriture pour contenter les besoins de l’homme » a quelque chose de
choquant pour la sensibilité, facteurs que les environnementalistes, à tort ou à raison, ne
manquent pas d’exploiter). Ces remarques, si elles valent surtout pour les animaux, ont un
caractère moins choquant dès qu’il s’agit des plantes. Aussi, alors que dans le premier cas, la
sensibilité porte sur un problème tel que la souffrance, dans le cas des végétaux,
l’instrumentalisation fait craindre, comme on l’a vu précédemment, que le critère quantitatif
l’emporte sur le critère qualitatif.
Or, on est bien forcé de reconnaître que dans le cadre de la production de céréales,
le reproche d’instrumentalisation a précédé la culture intensive des PGM. N’a-t-on pas alors
affaire à une nouvelle forme d’instrumentalisation ?
Au travers du concept d’instrumentalisation du vivant, on conçoit la réduction de la
finalité des êtres naturels. Dans le cadre de l’agriculture, un animal ou un végétal
instrumentalisé, c’est un vivant dont on a réduit la finalité à satisfaire les besoins
alimentaires de l’homme. Ainsi comme le rappelle Bernard Feltz dans son ouvrage La science
et le vivant : même si la biologie contemporaine a rompu avec le modèle strictement
machinique du vivant issu de la philosophie cartésienne qui était caractérisé par l’objectalité,

878
Il existe désormais une pléiade d’ouvrages sur ce thème, au même titre d’ailleurs que les labels qui
ont fleuri dans le monde de la distribution. On se reportera sur ce point aux travaux d’Olivier Assouly.
Ainsi commentant les nombreux ouvrages de littérature gourmande qui ont paru pour vanter les
mérites de la culture paysanne française, l’auteur remarque que ‘Sous ces aires ingénus, cette
littérature souvent pétrie de préjugés et d’idées reçues, aime à répéter que les gens de la campagne
sont « en prise directe avec ce qui est important, parce qu’être paysan, c’est participer, anticiper les
besoins d’autrui (extrait de l’œuvre de Susan Hermman Loomis, A la recherche du terroir)’ Toutes les
normes de production, composée ici ‘de petites unités de production familiales qui cultivent des
légumes et des fruits à partir de graines récoltées sur la ferme, devraient se calquer sur la vraie vie
rurale, avec ses villages reculés, ses marchés locaux et ses petits restaurants uniques au monde’.
Cette ‘France profonde’ est étrangère à un système obnubilé par la ‘quantité’. Face au péril libéral, on
prend ‘peur pour la France’ qui fondue dans ‘la nouvelle ère du progrès technologique,’ renoncerait à
ses dépens à demeurer ‘ce pays essentiellement agricole’. » Les nourritures nostalgiques, édition
Actes Sud, 2004.

458
l’externalité et la domination du rapport homme/nature, « Il n’en reste pas moins vrai que la
présupposition fondamentale de Descartes, qui consiste à aborder le vivant selon les mêmes
présuppositions que la matière inerte, s’est vue largement mise en œuvre en ce XXe siècle
avec les développements de la biologie cellulaire et de ses liens avec la biochimie. A certains
égards, la ‘découverte’ de la structure de l’ADN acquiert la valeur symbolique de la victoire
du point de vue mécaniste. »879 Aussi, B. Feltz ajoute « Plus concrètement d’ailleurs, les
pratiques d’agriculture intensive que l’on connaît actuellement peuvent être interprétées
comme la mise en œuvre explicite de l’abord cartésien : on parle de ‘production de denrées
alimentaires’, que ce soit viande, lait, œufs… ou soja, blé, betterave…On est d’emblée dans
le registre d’un rapport strictement instrumental au vivant, des ‘produits’ qui résultent de
processus biologiques, lesquels processus sont envisagés du seul point de vue d’une
augmentation de rendement… On est bien dans le registre de la maîtrise de la production
biologique par et au service de l’être humain. »880
Dans le cas des biotechnologies en général, cette vision instrumentale du vivant est
considérée comme une attitude dégradante. On demanderait toujours plus à la nature en lui
appliquant de l’extérieur, une finalité qui est la nôtre. Mais ne peut-on pas dire qu’au travers
de l’exemple des PGM, c’est un rapport encore inédit de la technologie à la nature qui a vu le
jour ? Aussi, c’est ce « nouveau lien » qu’il nous faut expliquer. En effet, avec les plantes
issues du génie génétique, il s’agit d’un nouveau type d’instrumentalisation dans lequel
nature et technologie se confondent, alors qu’auparavant, il s’agissait d’un rapport médiat.
En effet, les plantes étaient instrumentalisées par le biais de technologies qui leur étaient
extérieures (intrants, mécanisation…). Dans le cas des PGM, une fois l’opération du transfert
réalisée, elles deviennent elles-mêmes « l’instrument », c’est-à-dire l’objet technique qui va
réaliser telle ou telle opération en plus d’atteindre un certain objectif de production. Mais on
pourrait dire également que c’est la technologie qui s’est faite nature. Cette ‘confusion des
genres’ fait qu’on ne perçoit plus de différence entre la technologie qui s’impose à la nature
de l’extérieur et la nature produit technologique.
En plus d’instrumentalisation du vivant, ne peut-on pas également parler de
« naturalisation de l’instrument végétal » ? Les plantes issues du génie génétique se
distinguent des plantes classiques par le fait, qu’en plus d’être conçues pour atteindre des
objectifs de rendement, elles sont également conçues pour répondre aux critères
environnementaux du nouveau système dont elles font partie. « L’instrument végétal » obéit

879
Bernard Feltz, La Science et le vivant, Introduction à la philosophie des sciences de la vie ,
collection Science, Ethique et Société, de boeck, Bruxelles, 2003, p.97.
880
Ibid., p.98.

459
donc, de ce point de vue, à une double finalité : satisfaire les besoins humains et être en
accord avec un mode de production intégré. Ainsi, dans le cas du maïs Bt, le caractère de
résistance à la pyrale, une fois qu’il fait partie de la plante, n’est plus imposé du dehors, il lui
est inhérent; on peut ainsi se passer des tâches d’épandages qui nécessitent un travail
mécanique, tout en maîtrisant la consommation d’insecticide et en optimisant les objectifs de
production. La technologie a évolué dans le sens qu’elle n’est plus distincte de la nature ; elle
cherche à s’identifier avec ses mécanismes. Il n’y a plus d’un côté le maïs et de l’autre le
geste technique, qui est l’épandage de l’insecticide Bt.
On nous objectera que cette identification de la nature et de la technologie avait déjà
commencé avec les progrès récents de la sélection systématique et la possibilité de donner
des caractères de plus en plus précis aux variétés. Mais, la transgenèse végétale présente
une différence radicale par le fait qu’elle ne sélectionne que le caractère voulu de manière
très précise, et que celui-ci peut exprimer un nombre infini de traits.
Les PGM apparaissent comme des hybrides de technologie et de nature, et c’est ce
qui leur donne leur caractère particulier. En effet, la nature manipulée à ce point est-elle
encore naturelle ? A moins que ce ne soit, au contraire, la technologie qui ait perdu son
statut de technologie ? N’a-t-on pas affaire à un être contre-nature ? Aussi, il est une
question à laquelle maintenant nous ne pouvons échapper : les PGM sont-elles des objets
techniques ou des êtres naturels ? Afin de répondre à cette question, on se rapprochera de
l’ouvrage philosophique de Gilbert Simondon881. Pour celui-ci « l’objet technique existe
comme type spécifique obtenu au terme d’une série convergente. Cette série va du mode
abstrait au mode concret : elle tend vers un état qui ferait de l’être technique un système
entièrement cohérent avec lui-même, entièrement unifié. »882 Aussi, ce processus de
concrétisation qui préside à la genèse de l’objet technique lui donne « une place
intermédiaire entre l’objet naturel et la représentation scientifique. » Simondon oppose objet
technique abstrait et objet technique concret. Alors que le premier est un objet primitif qui
est loin de constituer un système naturel, au contraire, « l’objet technique concret, c’est-à-
dire évolué, se rapproche du mode d’existence des objets naturels, il tend vers la cohérence
interne, vers la fermeture du système des causes et des effets qui s’exercent circulairement
à l’intérieur de son enceinte, et de plus il incorpore une partie du monde naturel qui
intervient comme condition de son fonctionnement, et fait ainsi partie du système des
causes et des effets. » Cet objet perd de son artificialité en ce sens qu’il n’a plus besoin que
l’homme intervienne pour le maintenir dans l’existence en le protégeant contre le monde

881
Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, Aubier, édition de 1989.
882
Ibid., p.23.

460
naturel. Aussi, Simondon distingue le processus de concrétisation de l’objet technique (celui-
ci se rapproche de l’autonomie de l’objet naturel) et le processus d’artificialisation de l’objet
naturel (celui-ci au contraire devient proche de l’objet technique abstrait qui a un besoin
constant de la présence de l’homme pour subsister). Ainsi, « L’artificialité n’est pas une
caractéristique dénotant l’origine fabriquée de l’objet par opposition à la spontanéité
productrice de la nature : l’artificialité est ce qui est l’intérieur de l’action artificialisante de
l’homme, que cette action intervienne sur un objet naturel ou sur un objet entièrement
fabriqué. » Ainsi, Simondon donne l’exemple d’une fleur double cultivée en serre chaude qui
a perdu son caractère naturel pour être entièrement dépendante de l’action de l’homme.
« L’artificialisation d’un objet naturel donne des résultats opposés à ceux de la concrétisation
technique : la plante ne peut exister que dans ce laboratoire. » Aussi, au contraire de
l’artificialisation qui est un processus d’abstraction dans l’objet artificialisé, « par la
concrétisation technique, l’objet primitivement artificiel, devient de plus en plus semblable à
l’objet naturel. »883
Si on rapporte ces considérations philosophiques à notre problématique, on perçoit
alors le statut ambigu des PGM. D’une part, on peut dire qu’il y a eu un processus
d’artificialisation par le biais de la sélection d’espèce et l’introduction d’un transgène, ce qui
ferait dire à Simondon que ces plantes se rapprochent des objets techniques abstraits
(rappelons que ceux-ci subsistent au travers du faisceau d’application qu’en fait l’homme).
Aussi, vue de cette manière, l’artificialisation est bien une instrumentalisation : en effet,
l’intervention de l’homme est nécessaire et les plantes n’existent que pour satisfaire les
besoins de l’homme. D’autre part, une fois semée au milieu du champ, la plante semble
retrouver une certaine forme d’autonomie. En effet, le caractère opératoire voulu et qui
nécessitait auparavant l’intervention de l’homme (épandage d’insecticide) existe de manière
totalement indépendante884. De ce fait, la plante génétiquement modifiée se rapproche plus
de l’aspect d’un objet technique concret, en ce sens qu’elle apparaît comme « un système
entièrement cohérent en elle-même, entièrement unifié ». En ce sens nous pouvons parler
de naturalisation d’un instrument végétal. L’instrument végétal qui était soumis à une
artificialisation totale et donc avait perdu une partie de son existence autonome, regagne
une forme d’indépendance en s’appropriant un caractère opératoire qui nécessitait

883
Ibid., p.46-47.
884
Dans le cas des plantes résistantes aux pesticides, il est vrai que cette analogie fonctionne moins
bien, puisque celle-ci ne permettent pas de supprimer le geste technique de l’épandage. Il n’en reste
pas moins que le caractère intégré de la technologie - par le fait qu’il est un système entièrement
cohérent, entièrement unifié - rend ces PGM comparables plus à un objet technique concret qu’à un
objet technique abstrait.

461
auparavant l’intervention de l’homme et se rapproche de ce qui peut être considèré comme
un système plus naturel. Aussi, on a bien ici un rapport technologie-nature totalement inédit
qui fait que la technologie s’est immiscée dans la nature pour prendre son apparence.
C’est ce nouveau rapport qui reste incompris, et c’est ce statut ontologique d’hybride
mi-technologique, mi-naturel qui inquiète. En effet, de même que les êtres créés par la
cybernétique laissent à penser qu’en gagnant un jour leur autonomie, ils échapperont au
contrôle de l’homme, de même, on pense qu’en confondant les principes du vivant et de la
technologie, on finira par perdre toute maîtrise. C’est donc bien plutôt la perte de la maîtrise
que la dénonciation d’une maîtrise totale qui fait problème. En effet, dans le cadre de
l’évaluation des risques, il apparaît clairement que ce qui est le plus redouté, ce sont les
effets imprévisibles : effets non-intentionnels sur les populations non-cibles, transmission du
caractère de résistance aux plantes adventices… Autrement dit, en s’immisçant dans les
processus autonomes de la nature, la technologie a trouvé le moyen d’accéder à une forme
d’indépendance qui lui était refusée jusqu’à présent. L’acte de modifier fait que la
technologie emprunte les voies d’un processus naturel et risque d’échapper à la mainmise de
l’homme.
Pour préciser notre argument, on se référera aux travaux de Dominique Bourg.
Voulant rendre compte de l’évolution récente des techniques, le philosophe distingue deux
catégories d’artefacts : « en premier lieu les objets techniques que nous fabriquons et, en
second lieu, les objets naturels que nous modifions. Or ce qui a profondément changé et ce,
depuis l’avènement de la biologie moléculaire, c’est l’importance relative de cette seconde
catégorie d’artefacts. » Si on peut penser que cette dernière remonte à l’aube de l’humanité,
« Quoi qu’il en soit, avec la biologie moléculaire et les biotechnologies, l’artificialisation des
êtres naturels prendra une importance croissante. » A cela, D. Bourg ajoute une remarque
de la plus haute importance : « On assiste à l’évolution croisée des deux catégories
d’artefacts : les objets techniques tendent à se rapprocher des objets naturels, et la
modification de ces derniers les rend de plus en plus proches des machines. Ce en quoi on
retrouve le double mouvement d’immanence et de transcendance, la sophistication
croissante des savoirs et des techniques conduisant à leur inscription progressive dans la
nature.»885
Reprenant également la théorie de Simondon, D.Bourg affirme que « Les
transformations successives et progressives des objets techniques au sein d’une même
lignée tendent à les éloigner de plus en plus de la simple ‘traduction physique d’un système
intellectuel’ pour les rapprocher ‘du mode d’existence des objets naturels’, individuels et

885
Dominique Bourg, L’homme Artifice, le Débat, Gallimard, 1996, p.p. 20-21.

462
concrets, caractérisés par leur ‘cohérence interne’. En ce sens, les objets deviennent de
moins en moins ‘abstraits’ et de plus en plus ‘concrets’. C’est ainsi que le moteur thermique
et la fusion nucléaire, de par leur fonctionnement autonome se rapprochent de l’autonomie
des êtres naturels. »886 A cela s’ajoute l’émancipation des machines par rapport à la main :
« Avec la gravure par photolithographie de circuits électroniques sur des puces de silicium, à
l’échelle du micron au moins, et plus encore avec les nanotechnologies en gestation, à
l’échelle du nanomètre, la technique se libère de toute espèce de proportion à la main
humaine, pour rejoindre les dimensions moléculaires, voire atomiques de la matière. »887
En ce qui concerne maintenant les « objets naturels modifiés », D.Bourg affirme que
« si les techniques de transfert et d’amplification des gènes’, autrement dit le génie
génétique, semblent relever d’un tout autre domaine que celui de la fabrication d’objets,
elles vont cependant conduire à un estompement de la différence entre les deux faces de
l’action technique, et partant entre artifice et nature. »888
Pour l’auteur, les biotechnologies cherchent à « artificialiser le monde naturel lui-
même, d’en infléchir les mécanismes les plus intimes » et non pas d’opposer les deux
mondes. Reprenant le terme de « sublimation » de la nature employé par François Gros, le
philosophe affirme que « Le génie génétique s’emploie à imiter les agissements de la
nature. » Décrivant le processus naturel par l’intermédiaire duquel certains virus transfèrent
leur information génétique dans la bactérie Escherichia coli, l’auteur affirme que « La
modification du programme génétique ne procède pas autrement. La modification du
programme génétique de certaines bactéries les contraint à produire des protéines qu’elles
ne synthétisent pas naturellement. » D. Bourg emploie alors le terme de simulation-
sublimation de la nature.
A ces deux catégories précédemment définies s’ajoutent celle d’une « catégorie mixte
d’artefacts » ressortissant à la fois aux objets techniques et aux êtres vivants (osmose entre
les organes et les artefacts, ou encore l’électronique moléculaire).
On peut donc conclure de ces descriptions que « La tendance des objets techniques à
se rapprocher des êtres naturels, la tendance inverse des êtres naturels modifiés à
ressembler aux objets techniques et autres machines, la création d’une catégorie d’objets
hybrides, la propension générale des techniques à simuler plutôt qu’à manipuler du dehors la
nature rendent de plus en plus floue la frontière entre nature et artifice. » L’auteur n’en
conclut pas pour autant à une disparition de la nature au profit de la technique. Il y a, au

886
Ibid., p.23.
887
Ibid., p.24-25.
888
Ibid., p.25.

463
contraire un « double mouvement de transcendance et d’immanence » : « Plus notre savoir
croît tant en sophistication qu’en extension, et plus nos artefacts tendent à se fondre dans
l’étoffe même de la matière et de la nature. Un peu comme si l’élévation croissante de
l’esprit permettait en retour sa matérialisation et sa naturalisation grandissantes. »889
Si on peut, avec Dominique Bourg, constater ce rapprochement entre nature et
technologie, à un tel point que la limite entre les deux sphères soit devenue floue, pour ce
qui concerne la transgenèse végétale, il nous semble nécessaire de préciser la nature exacte
du rapport technologie-nature. En effet, ici D. Bourg affirme que la technologie cherche à
artificialiser le monde naturel lui-même. S’il est vrai, mais encore une fois, cela l’a toujours
été, que l’instrumentalisation du vivant participe de son artificialisation, en ce sens que les
applications de l’agriculture n’ont jamais en elles-mêmes leur principe de fabrication ou de
modification et nécessitent toujours l’intervention de l’homme, on doit se rendre à l’évidence
que cette description ne distingue pas suffisamment la transgenèse végétale des pratiques
qui l’ont précédée ; après tout, elles participaient, elles aussi, à un mouvement
d’artificialisation de la nature et ce, depuis l’aube de l’agriculture. C’est pourquoi, à notre
avis, il serait plus judicieux de dire que la transgenèse végétale est « une naturalisation » de
la technologie appliquée au vivant, en ce sens qu’elle a contribué à réduire l’écart qui existait
entre artifice et nature, ce qu’affirme D.Bourg. Dans le cas des PGM, lorsque l’artificiel se
confond avec le naturel, on peut aussi bien dire que c’est la technologie qui devient plus
naturelle, en ce sens, qu’une fois passée l’intervention de l’homme, elle subsiste de manière
parfaitement autonome. Ainsi, la technologie n’est plus appliquée au monde végétal d’une
manière abstraite et avec pour seul objectif le rendement (c’était le cas des plantes obtenues
par la sélection classique); au contraire, elle se confond avec elle, pour intégrer des valeurs
autres et qui incluent la qualité en plus de la quantité, sous forme d’un plus grand respect de
certaines valeurs environnementales. En fait, ce qu’il faut dire, c’est que les PGM ne sont pas
uniquement conçues dans un rapport à l’homme, mais également dans un rapport à
l’environnement. Or, dans cette deuxième étape, elles entrent dans un processus infini qui
tranche avec le caractère fini du geste technique. C’est justement parce qu’elles sont des
plantes qui ont un rapport total avec l’environnement qu’elles donnent l’impression d’une
perte de la maîtrise : d’où le caractère controversé de la technologie (une plante qui possède
un trait d’insecticide ne va-t-elle pas d’elle-même détruire des espèces de papillons rares
sans que l’agriculteur s’en aperçoive et sans qu’il ne puisse rien faire?).
Une plante génétiquement modifiée n’est pas seulement un végétal instrumentalisé;
de ce point de vue, une plante issue de la sélection classique l’est également. Il est

889
Ibid., p. 30.

464
beaucoup plus juste de définir une plante génétiquement modifiée comme « un végétal
naturellement instrumentalisé »890. Nous entendons par végétal naturellement
instrumentalisé, une plante qui a été conçue afin de remplir un objectif de productivité tout
en respectant certaines normes qualitatives. Pour cette raison, la technologie qui se trouve à
l’œuvre, s’identifie avec la nature de la plante et ne lui est pas imposée de l’extérieur. Tout
comme la nature, par conséquent, elle laisse entrevoir un nombre illimité de possibles et se
distingue de l’intervention de l’homme par son caractère infini. Aussi, il y a quelque chose de
paradoxal dans le rapprochement des termes « naturel » et « instrumentalisation » ; en
effet, l’instrumentalisation qualifie généralement une artificialisation. Or ici, si artificialisation
il y a, à un premier niveau, à un second niveau, on doit parler d’un rapprochement du mode
d’existence des êtres naturels en ce sens que cet être issu de la technologie atteint une
forme d’autonomie qui est propre à la nature. Ainsi le caractère obtenu à la suite de la
manipulation peut subsister dans la nature. Il y a donc bien une fusion de la nature et de la
technologie.
Cette définition est, à notre avis, une manière plus précise de dire les choses et qui
ne contredit nullement, ni la philosophie de Simondon, ni la théorie de Dominique Bourg,
puisque ce dernier remarque que « la propension générale des techniques à simuler plutôt
qu’à manipuler du dehors la nature rendent de plus en plus floue la frontière entre nature et
artifice » ; concernant l’aspect instrumental qui affirme que les PGM ressemblent à des
machines (par exemple une machine à produire des insecticides), il se situe ici au niveau
descriptif d’un premier type de finalité ; il est beaucoup plus juste de dire que, par essence,
les PGM sont des instruments pensés sur le mode de la nature, en ce sens que la technologie
s’identifie à la nature et ne lui est plus extérieure. Le végétal modifié réunit en lui-même une
double finalité : produire plus et produire mieux. Aussi pour atteindre ce deuxième objectif, il
faut forcément trouver une solution calquée sur les équilibres environnementaux et en
accord avec le concept d’agriculture durable (c’est le cas pour des objectifs tels que produire
plus sans défricher, ou encore protéger une plante sans avoir recours à un pesticide
extérieur, ou encore produire une variété plus adaptée à la sécheresse…).
Or cette distinction est pour nous de la plus grande importance, quand on sait la
valeur sacralisante que revêt depuis l’aube de la civilisation891 le mot « nature » dans le

890
Il va de soi qu’en donnant cette définition, nous considérons la transgenèse végétale comme un
procédé technique naturel, du fait qu’il imite le phénomène du transfert horizontal.
891
Ainsi dans le livre Les nourritures nostalgiques , Olivier Assouly rappelle que pour les romains, le
mot « terroir » occupe une place éminente dans la viticulture, où il désigne des qualités propres à la
nature du sol (…) Dans la mesure où cette définition privilégie les qualités intrinsèques du sol par
rapport au savoir-faire du viticulteur, ce dernier ne fait que parachever quelque prédisposition
fondamentalement spontanée ou naturelle. Son activité traditionnelle s’ajuste aux qualités pérennes,

465
domaine de l’agro-alimentaire. L’aspect hybride des PGM, mi-technologie, mi-naturel, est à
l’origine de la controverse et a contribué à mettre la transgenèse végétale sur le devant de la
scène médiatique et a fait douter aussi bien les experts que les non-initiés. Après ces
quelques réflexions, on aura immédiatement à l’esprit la comparaison avec une autre crainte
qui est celle de l’intelligence artificielle892. Ce thème traverse la science-fiction et le cinéma
hollywoodien. Aussi, on a trop souvent oublié que, pour la technologie, l’autonomie est
seulement une tendance et non état de fait. Ainsi Gilbert Simondon poursuivant son
commentaire sur l’aspect naturel des objets concrets, fait la remarque suivante : « En tant
qu’ils existent, ils prouvent la viabilité et la stabilité d’une certaine structure qui a le même
statut qu’une structure naturelle, bien qu’elle puisse être schématiquement différente de
toutes les structures naturelles (…) Mais pour que cette technologie générale ait un sens, il
faut éviter de la faire reposer sur une assimilation abusive de l’objet technique à l’objet
naturel et particulièrement au vivant. Les analogies ou plutôt les ressemblances extérieures
doivent être rigoureusement bannies : elles ne possèdent pas de signification et ne peuvent
qu’égarer. La méditation sur les automates est dangereuse car elle risque de se borner à une
étude des caractères extérieurs et opère ainsi une assimilation abusive. » Un peu plus loin,
Gilbert Simondon critique l’entreprise de Norbert Wiener sur la cybernétique: « Ce qui risque
de rendre le travail de la cybernétique partiellement inefficace comme étude interscientifique
(telle est pourtant la fin que Norbert Wiener assigne à sa recherche), c’est le postulat initial
de l’identité des êtres vivants et des objets techniques autorégulés. Or, on peut dire
seulement que les objets techniques tendent vers la concrétisation, tandis que les objets
naturels tels que les êtres vivants sont concrets dès le début. Il ne faut pas confondre la
tendance à la concrétisation avec le statut d’existence entièrement concrète. Tout objet
technique possède en quelque mesure des aspects d’abstraction résiduelles ; on ne doit pas
opérer le passage à la limite et parler des objets techniques comme s’ils étaient des objets
naturels. Les objets techniques doivent être étudiés dans leur évolution pour qu’on puisse en
dégager le processus de concrétisation en tant que tendance. (…) C’est selon cette voie
seulement que le rapprochement entre être vivant et objet technique a une signification

immuables sinon sacrées, d’une parcelle de terre. Les nourritures nostalgiques se fondent dans cette
relation privilégiée au sol dont la matérialité est aussitôt dépassée, voire sublimée, par le caractère
respectueux des gestes de production et de transformation. La terre est auréolée de propriétés et de
vertus que le travail du laboureur ou du viticulteur porte à son comble. Le sol est ainsi bien davantage
que le milieu de développement et de maturation des plantes. C’est un gisement de qualités morales
et sociales dont les attributs se propagent, réellement ou symboliquement, à la faune, à la flore et aux
autochtones.
892
Une enquête IPSOS a montré que 84% des Français étaient fortement opposés à la création d’une
intelligence artificielle plus forte que celle de l’homme. Les Français et l’avenir 12 novembre 2001 -
L'étude Ipsos-Téle-cable-satellite

466
véritable, hors de toute mythologie. »893
Si on suit notre raisonnement initial, alors, on est forcé de reconnaître que
l’autonomie des PGM est toute relative. On rapprochera de ce point de vue le cas des PGM
avec celui des nanotechnologies894. Dans le cadre des PGM, on peut parler d’une forme
d’accession à l’autonomie de la technologie. D’une part, la plante développe le caractère
acquis par le transgène, d’autre part, il y a divulgation du transgène dans l’environnement.
On remarquera, de ce point de vue, que la contamination des autres cultures par le pollen
de PGM reste une crainte sans précédent. Ainsi, la ‘technologie’ se développe et peut se
reproduire dans la nature. La nature qui est instrumentalisée retrouve l’autonomie qui lui
était propre après que l’artifice ait réussi son imitation. N’est-ce pas cet événement, encore
inédit, qui fascine certains et effraie d’autres ?
Notre hypothèse est donc que c’est ce rapport inédit de la technologie à la nature qui
est à l’origine de tous les débats sur les PGM. C’est parce qu’elles sont des êtres hybrides, au
sein desquels la nature et l’artifice s’entrecroisent, que les PGM sont perçues de manière
indéfinie. Mais à cela, il est important de préciser que le doute dont elles sont à l’origine est
moins la dénonciation d’une trop grande maîtrise du vivant que la crainte d’une perte de
contrôle due au fait de l’aspect autonome qu’acquiert la technologie. Or ce reproche ne se
fonde-t-il pas sur la spéculation d’une limite de la technologie ? Et n’y a t’il pas une
contradiction à dénoncer la toute puissance de celle-ci et son impuissance à contrôler des
êtres qu’elle a elle-même créé ? En effet, en se rapprochant de norme de productions plus
qualitatives par le biais d’une naturalisation, c’est-à-dire un processus intégré, la transgenèse
végétale ouvre la voie vers un monde infini de possibles. De ce point de vue, les PGM n’ont
absolument rien de « fantastique ».

893
Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, p.49.
894
Dans un article sur les nanotechnologies, le journaliste Hervé Morin se permet une comparaison
entre les craintes suscitées par ces manipulations de la matière qui ne dépassent pas l’échelle du
milliardième de mètre et les OGM : « Les questions de réglementation planent sur toute une filière,
dont les perspectives d'expansion économiques sont régulièrement mesurées en milliards de dollars.
Tous les acteurs ont en mémoire le précédent des OGM, prototype du "progrès" qui a suscité le rejet
d'une partie des consommateurs. Echaudé par cette expérience, le gouvernement britannique, après
les déclarations du prince Charles, a demandé à la Royal Society de peser les bénéfices et problèmes
potentiels liés au développement des nanotechnologies. L'étude est en cours. », « Les
nanotechnologies suscitent déjà des inquiétudes » Le journaliste avait précisé auparavant que : « La
prise de position princière a été quasi concomitante de la sortie du dernier best-seller de Michael
Crichton, La Proie , Ed. Robert Laffont, 2003. Le roman mettait en scène la "gelée grise", des essaims
de nanorobots capables de s'autorépliquer, échappant à leurs créateurs et menaçant de coloniser la
planète. », le Monde, 29/04/04.

467
6. Conclusion

A l’origine de ce travail, nous voulions démontrer pourquoi la transgenèse végétale a émergé


comme un catalyseur de problèmes, aussi bien pour les experts que pour les non-initiés. Il
s’agissait pour cela de mettre au jour les aspects idéologiques du débat, d’apporter un
jugement sur les biotechnologies appliquées à l’agriculture en général et de donner une
définition des plantes génétiquement modifiées afin de caractériser la raison fondamentale
qui s’est trouvée à l’origine de la controverse et de la polémique.
Toutes les thèses qui ont déjà permis d’expliquer l’attitude des consommateurs ont
leur part de vérité. Mais pour mieux comprendre la nature de la problématique, il était
nécessaire d’insister sur la particularité de la transgenèse végétale et le rapport inédit que
celle-ci a instauré entre technologie et nature. Aussi, à notre avis, c’est parce que ce rapport
est resté incompris et que de ce fait, la technologie a été mal perçue, que les protagonistes
ont eu recours à des notions extérieures à la technologie elle-même.
Ainsi, les thèses qui expliquent que ‘les non-initiés ne comprennent pas que la
transgenèse poursuit par d’autres moyens ce que la sélection classique avait commencé’,
oublient le fait que cette « continuité » implique une notion élargie de l’idée de nature,
définie comme un ensemble de possibles que le bio-ingénieur découvre et réalise, notion
abstraite pour le plus grand nombre.
De même les thèses qui expliquent que ‘les acteurs des focus-group critiquent dans la
transgenèse végétale une « biotechnologie de plus » et donc, un procédé de production
opposé à la nature’, ne prennent pas en compte le fait que cette critique se fonde sur une
vision idéalisée de la nature qui associe spontanément celle-ci à des critères de qualités.
On voit donc toute la nécessité qu’il y a de clarifier le rapport technologie-nature.
Aussi, généralement, les arguments qui ont été avancés pour critiquer ou défendre la
transgenèse végétale ont un caractère idéologique, en ce sens, qu’ils permettent de
caractériser la technologie avec des jugements systématiques qui ne lui correspondent pas
toujours.
Ainsi, si on prend le problème de « la faim dans le monde » : affirmer que ‘la
transgenèse végétale ne permettra pas de résoudre le manque crucial d’alimentation des
PVD, et qu’ il est nécessaire d’améliorer la répartition des richesses’, s’oppose à ‘la
transgenèse, seule, pourra résoudre le problème de la faim dans le monde’. Ces deux
thèses, comme on le voit, sont renvoyées dos-à-dos. En fait, ce qu’il faut dire, c’est que la
transgenèse, en synergie avec d’autres améliorations technologiques et une meilleure
répartition des richesses, peut contribuer à résoudre le problème de la faim dans le monde.

468
De même, dans le cas de l’évaluation des risques d’allergie, affirmer ‘les PGM sont
dangereuses parce qu’on ne possède pas actuellement des moyens suffisamment précis pour
contrôler les risques’ s’oppose à ‘on peut toujours éviter l’allergie parce qu’on a une
connaissance du matériel génétique que l’on introduit’. En fait, ce qu’il faut dire, c’est que
‘les PGM peuvent être, comme les plantes classiques, des sources d’allergie que l’on doit
contrôler en mettant au point des protocoles de surveillance ; aussi, grâce au potentiel
évolutif de la technologie, on peut toujours améliorer les plantes, au point, comme on l’a vu,
de produire des plantes anallergiques.’
Enfin, si l’on considère l’évaluation des risques d’apparition de populations d’insectes
résistants, l’affirmation ‘les PGM favoriseront forcément ce risque parce qu’il est inévitable’,
s’oppose ‘il est possible de l’éviter totalement’. En fait, ce qu’il faut dire, c’est que ‘la gestion
des risques de résistance doit être effectuée avec plus de précautions que pour les autres
plantes, parce qu’elles sont plus efficaces qu’elles et que dès que l’apparition d’insectes
résistants sera constatée, on devra prendre les mesures nécessaires’.
On voit donc toute l’importance qu’il y a de resituer la transgenèse végétale et éviter
toutes les généralisations abusives la concernant. Or, c’est en mettant au jour ces dernières
que nous pensons avoir démontré la nature idéologique de la controverse et de la
polémique. Lorsque nous employons le terme d’idéologie c’est dans un sens très large et il
existe des degrés entre les simples croyances ou les opinions fondées sur des arguments
étrangers à la technologie en elle-même et les systèmes de pensée élaborés.
En effet, alors que pour les experts, le terme d’idéologie peut caractériser la lecture
qui est faite des principes tels que le ‘principe d’équivalence en substance’ ou le ‘principe de
précaution’ qui sont posés de manière plus ou moins implicite dans l’interprétation des
risques, pour les consommateurs, il s’agit d’une identification a priori de ce qui est
« naturel » avec ce qui est qualitatif et d’un rejet de « l’artificiel » dans le domaine de l’agro-
alimentaire.
Il est également nécessaire de remarquer qu’il existe des degrés entre les idéologies
qui se contentent de critiquer la transgenèse végétale et celles qui l’utilisent comme un
argument pour rejeter le progrès scientifique en bloc. Ainsi, comme on l’a vu pour certains
penseurs ou pour certaines ONG, le rejet des PGM peut être également animé par un
sentiment technophobe (de même que les promoteurs des PGM peuvent être motivés par
une vision scientiste du monde). Ainsi, Dominique Lecourt distingue « biocatastrophistes » et
« technoprophètes ». D’après lui, cet affrontement, parfois violent, est l’aboutissement d’un
retournement de l’opinion face à la science et à la technique, qui prend des allures
paroxystiques quand il s’agit du vivant, particulièrement du vivant humain. » Le philosophe,

469
affirme que la seconde tendance est issue du courant scientiste du XIXe siècle et a régné
jusque dans les années 60, où elle a été remise en cause par les mouvements écologistes
« au nom d’un certain culte de la nature, celle-ci devenant l’icône de la pureté. Le thème
d’une technoscience qui dévasterait la planète s’est trouvé renforcé par un certain nombre
d’œuvres philosophiques, d’origine allemande comme celles de Hans Jonas ou Jürgen
Habermas… Les biotechnologies sont arrivées dans cette atmosphère. Ce qui fait peur
aujourd’hui, c’est une certaine dénaturation de la nature, avec les OGM ou le clonage humain
reproductif… »895
Bien évidemment, on ne peut affirmer que tous les opposants aux PGM sont des
extrémistes et qu’ils rejettent l’usage de la transgenèse végétale parce qu’ils rejettent les
biotechnologies et le mode de vie occidental. Pourtant, il nous est apparu clairement qu’un
certain mode de penser a profité de la situation pour opérer ce que l’on peut considérer
comme une récupération idéologique. Aussi, ce qui est aujourd’hui en jeu dans le débat,
c’est bien moins le problème des risques causés par les PGM (au contraire, on trouve de plus
en plus d’opinions scientifiques pour dire que ces plantes sont beaucoup moins dangereuses
que les autres896) que celui du prochain système politique à mettre en place et du rôle de la
technologie pour l’avenir de l’humanité. Or, avant de juger la technologie au travers de la
transgenèse végétale, n’est-il pas plus judicieux de juger la transgenèse au travers de la
technologie ?
Autrement dit, il semble essentiel de remettre les biotechnologies agricoles à leur
place. Ceci est d’autant plus vrai, lorsque l’on admet que le rejet systématique des PGM ne
peut se faire que dans le cadre d’une théorie naturaliste extrémiste qui a une conception très
particulière du rapport « technologie-nature ». Aussi, à aucun moment, il nous est apparu
que des propositions telles que, « les PGM peuvent être source de risques plus importantes
que les plantes classiques » ou encore, « les PGM ont moins de goût que les plantes
classiques. » pouvaient être soutenues de manière systématique. Il est donc important de
distinguer le plan du risque et de la qualité quand il est nécessaire de vérifier chacune des
plantes réalisées au cas par cas pour renforcer la vigilance et les infrastructures de veille
technologique, et le plan de l’idéologie avec son rejet systématique d’une technologie, sous

895
Dominique Lecourt, « Comment faire la part entre les bienfaits et les méfaits de la science ? », in
Enjeux les Echos, dossier ceux qui pensent autrement, n°197, décembre 2003, p.p. : 66-69.
Charles J. Arntzen, Andy Coghlan, Brian Johnson, Jim Peacock and Michael Rodemeyer « GM crops:
science, Politics and communication », N a t u r e , 842, Octobre 2003, Volume4,
www.nature.com/reviews/genetics

470
peine qu’elle s’éloignerait d’une nature idéalisée. Il est alors clair que, du fait de l’a priori
négatif sur les biotechnologies en général, les PGM ont joué le rôle d’un catalyseur en
attirant à elles toutes les problématiques à chaque niveau de la société. C’est ce que l’on a
montré au cours de notre développement.
Ainsi, on a vu que la controverse s’était fortement développée au sein de la
communauté scientifique. Aussi, nous avons démontré que, concernant l’évaluation des
risques, la controverse portait moins sur la reconnaissance de risques potentiels que sur
l’interprétation des principes qui permettaient d’affirmer une quelconque vérité sur ces
risques. En effet, étant donné le caractère incertain des risques, ils donnent lieu à plusieurs
interprétations possibles, d’où la controverse scientifique : alors que pour certains experts, ils
sont mesurables et par conséquent gérables, pour d’autres, ils restent imprévisibles et donc
impossibles à maîtriser.
Ainsi, au travers de notre étude des risques sanitaires, on a tenté de démontrer le
rôle implicite joué par le principe d’équivalence en substance. En effet, les experts qui
admettent ce principe, reconnaissent l’existence d’un risque lié aux PGM, mais n’en font pas
un cas particulier ; autrement dit, ils ne font pas des êtres issus de la transgenèse végétale
des sources de risques plus importantes que ceux issus de la sélection dite « classique ». Par
contre, ceux qui n’admettent pas cette « équivalence en substance » et qui posent, ce que
nous avons appelé, le « principe de différence absolue », considèrent systématiquement les
êtres issus de la transgenèse végétale comme des sources de risques plus virulentes ; aussi,
ils font de ces risques catalogués des propriétés des PGM (c’est surtout le cas dans le cadre
de la prévention de l’allergie et des risques de résistance aux antibiotiques), alors que les
PGM peuvent tout à fait être anallergiques et que la transgenèse végétale se passe
désormais d’antibiotiques.
En ce qui concerne maintenant notre étude des risques environnementaux au travers
du principe de précaution, on s’est aperçu qu’il y avait deux usages distincts de celui-ci : un
premier usage est celui que nous avons appelé « encourageant», un second usage est celui
que nous avons nommé « critique». Alors que le premier accepte de prendre en charge le
risque et pense qu’il est prévisible (c’est le cas de l’IRM et du risque des insectes non-
cibles), le second, considère que celui-ci est imprévisible, inévitable et, par conséquent, ne
peut pas être maîtrisé. Dans un cas, on pense que la technologie pourra venir au secours de
la technologie, dans l’autre, on pense qu’elle est limitée et en proie à l’erreur lorsqu’elle
s’avance sur le terrain complexe du vivant.
Pour ce qui concerne la balance « risque-bénéfice », on a pu constater que celle-ci
variait en fonction d’un nombre infini de paramètres, et cela, aussi bien au niveau

471
agronomique (les fermiers produisent plus, mais gagnent moins qu’il y a 40 ans, ou encore,
on utilise une plus grande quantité d’insecticides, mais un seul produit actif au lieu de
plusieurs…), qu’au niveau socio-économique (on souhaite stopper le développement d’un
outil pour éviter un risque, au point d’en courir un autre qui est peut-être plus grand ), ce
qui rend difficile l’interprétation des données et démontre une certaine relativité. Mais on
retiendra surtout que les experts qui refusent la prise de risque tentent de démontrer que la
technologie ne peut pas être porteuse d’aucun avantage.
Ces lectures que nous avons effectuées des risques sanitaires et environnementaux
au travers du principe d’équivalence en substance, du principe de précaution, ainsi que de la
balance « risques bénéfices », nous ont permis de saisir la nature idéologique de la
controverse scientifique. Or il est important de préciser que ce constat n’a pas pour objectif
de relativiser le risque en en faisant une notion imaginaire, bien au contraire. En acceptant
l’existence du risque, on doit également accepter la mise en place d’un système de vigilance
plus important pour gérer ce risque, ce qui est propre à tous les systèmes technologiques ;
la transgenèse végétale étant une technologie comme les autres, elle doit s’inscrire dans ce
cadre. Maintenant, quand on refuse de manière systématique la transgenèse végétale parce
qu’elle est à l’origine de risques potentiels, c’est une position idéologique, puisque cela
consiste à déplacer le débat, non pas sur la gestion des risques, mais sur un choix de société
par rapport à l’acceptation ou au refus d’une technologie. Il est donc essentiel de distinguer
entre le débat qui porte sur la gestion des risques au sein de la technologie et sur celui de la
gestion de la technologie au sein de la société ; or ce dont nous nous sommes aperçus dans
le cadre de la controverse sur les PGM, c’est que les experts ne faisaient pas toujours cette
distinction.

On a exposé les différentes études sociologiques qui ont été réalisées pour décrire la
perception des PGM par le public. On a vu comment il était possible de considérer l’opinion
publique soit, comme la victime des médias, obligée de prendre telle quelle la technologie
qu’on lui impose et qu’elle ne comprend pas, soit comme une visionnaire critique sur les
développement des sciences et technologies. On s’est alors interrogé sur le rôle joué par les
journalistes : aussi, il nous est apparu que ceux-ci ont favorisé les articles à caractères anti-
PGM, parce qu’il s’agissait d’un sujet sur lequel le public avait déjà été sensibilisé par le biais
des crises alimentaires précédentes ; ainsi les PGM ont été perçues comme un cas particulier
de plus venant conforter la thèse selon laquelle les industriels de l’agro-alimentaire et de
l’agro-fourniture n’ont aucun respect des règles sanitaires et qualitatives.

472
Il y a donc un cercle : d’une part, on trouve des consommateurs sensibilisés sur la
qualité et la sécurité, d’autre part les journalistes s’instituent en gardiens de ces nouvelles
valeurs exigées par la société de consommation. Au centre de ce cercle, on trouve les PGM.
Ces dernières n’ont pas fait l’objet d’une communication particulière de la part des industriels
à leur entrée sur le marché. Venant combler ce manque, les actions contestataires menées
en fanfare par les ONG ont fait la une des médias.
Tout commence donc par un public sensible et critique, « révolté contre les méfaits
de l’industrie agroalimentaire », se poursuit avec l’arrivée silencieuse des premiers cargos de
soja GM en provenance d’Amérique ; se révèle avec les actions médiatisées de Greenpeace
et les journalistes friands de ce genre d’information… On dispose ici d’un schéma descriptif
de la gestion de l’information sur les PGM au niveau de la sphère publique. Bien
évidemment, on peut considérer que l’absence de communication des industriels a été une
véritable erreur, c’est ainsi que Guy Sorman affirme : « Aussi longtemps que Monsanto
produisait des semences et des herbicides classiques, jamais l’entreprise n’avait été aux
prises avec l’opinion ; elle ne rendait de comptes qu’aux fermiers, ses clients, et à ses
actionnaires. Les OGM ont propulsé Monsanto dans un tout autre univers sans que ses
dirigeants en prennent d’emblée conscience ; presque par inadvertance, la firme a quitté le
secteur de la production exclusivement agricole pour s’engager sur le terrain de notre
alimentation, sujet ô combien sensible et mythique. Que les écologistes s’en soient emparés
et le manipulent, que Monsanto leur soit un diable fort utile, voilà qui est incontestable ;
mais la manipulation ne recueille un large écho que dans la mesure où le sujet s’y prête.
Découvrant un peu tard que l’introduction des OGM sur le marché de l’alimentation aurait
mérité plus de discrétion ou plus d’explications, Monsanto essaie maintenant de reconquérir
l’opinion par une stratégie de relations publiques, en ‘communiquant’. Mais que peut une
communication rationnelle face à une résistance irrationnelle. »897
En quel sens doit-on dire que la résistance du public est irrationnelle ? Peut-on
affirmer de manière si spontanée que le consommateur n’a pas ses raisons ? Rien n’est
moins sûr, le public a ses raisons : il recherche une nourriture de qualité et réclame une
sécurité absolue, proche du risque zéro. Et c’est de ce point de vue, qu’il perçoit les PGM
comme un produit non-qualitatif, entré en force sur le marché. Il réclame au contraire une
alimentation saine, plus proche de la « nature », produite de manière traditionnelle…
Aussi, c’est à ce niveau, à notre avis, que la perception du public est, non pas
irrationnelle, mais idéologique. Lorsque les acteurs des focus group pensent que la
transgenèse végétale, en tant qu’elle est une biotechnologie, s’oppose à un mode de

897
Guy Sorman, Le progrès et ses ennemis, p.60

473
production agricole plus en accord avec la nature, et que les PGM « vont à l’encontre de
l’ordre naturel », ils émettent un jugement a priori qui ne tient pas compte du caractère
inédit du nouveau rapport technologie-nature qu’initient les PGM.
Après avoir étudié les idéologies en présence dans le débat, c’est ce nouveau rapport
que nous avons tenté de décrire : en s’appuyant sur des thèses naturalistes qui considèrent
la nature comme un tout donné que la technologie devrait se contenter d’imiter, il apparaît
que les biotechnologies, au fur et à mesure qu’elles introduisent de nouveaux artefacts,
s’éloignent chaque jour un peu plus de cette nature idéalisée. Or, selon la thèse que nous
avons nommé techniciste, l’homme ne fait que découvrir de nouveaux possibles qu’il met en
application. Aussi, selon ces nouvelles possibilités, la transgenèse végétale peut apparaître
comme une tentative de correction de la révolution verte. Alors que cette dernière ne prenait
en considération que des critères de productivité, la première s’inscrit dans des objectifs de
recherche de critères de qualité. C’est en ce sens, que l’on peut considérer la transgenèse
végétale comme une agriculture durable. Plus respectueuse des équilibres, elle a pour
objectif de mettre en place un système qui allie productivité et qualité. Il est tout de même
notable que, même si elle ne parvient pas totalement à cet exercice, elle est la première
forme d’agriculture productiviste à prendre la réduction d’intrants comme un objectif à
atteindre. Enfin, les infinies possibilités qu’elle autorise permettent d’entrevoir de nouveaux
développements encore plus proches de normes dites « naturelles ». De ce point de vue, la
technologie n’est pas subordonnée à la nature, au contraire, elle la conduit à réaliser
l’ensemble des possibles qu’elle contient en recherchant un système plus viable pour
l’homme. Aussi, trop souvent, certaines critiques portant sur les biotechnologies agricoles,
assimilent l’idée de nature à une norme de qualité. Pour appuyer notre thèse, on citera un
commentaire d’Olivier Assouly portant sur la perception de la nature dans le cadre de
l’agriculture biologique : « Décriant une chimie superflue et insalubre qui corrompt
l’agencement originaire, les nourritures nostalgiques réclament des productions végétales et
animales ad hoc., le consommateur érige la nature en source de bienfaits et d’autres
qualités. Personnifiée, quasiment douée de raison, la nature protège, guérit, apaise, soulage,
et en contrepartie commande à nos existences. Radicalement depuis Pétain, elle ne trompe
pas, ne ment pas. En réduisant la violence des ruptures, celles mesurées, de l’artisanat et
celles outrancières, de l’industrie, une activité humaine louable prolongera pacifiquement
l’ouvrage de la nature. Dans l’imaginaire des nourritures, l’industrialisation désigne une force
profane que le retour à l’ordonnancement sacré de la nature s’efforce de déjouer. Sous une
perception mythifiée de la nature se dissimule une vision inspirée du romantisme, où les
offices de la nature supplantent les productions factices et académiques. Tout se passe

474
comme si la nature était une puissance, divine, silencieuse et omnipotente. » Aussi, suite aux
scandales alimentaires, « L’homme occidental réclame une nature aseptisée. Preuve d’une
nature en fait rebelle qu’il faut plier à une volonté techniciste sans trop le laisser paraître.
Comme si le goût dépendait de l’innocuité des subsistances, nos nourritures se laissent
déguster une fois les craintes sanitaires dissipées. Quoique discrètement, les mythes
mobilisent une politique de contrôle et de maîtrise qui passe par une transmutation
permanente des végétaux et des animaux, bien loin de la représentation de la nature brute.
Tout en requérant les infrastructures optimales, l’imaginaire du pays de cocagne s’arroge les
bénéfices d’un progrès qu’il projette sur un modèle rustique et présumé originel. Le résultat
des progrès est présenté comme un fait spontané : l’acquis se transforme en puissance
innée. »898
Pour recadrer davantage la technologie, il nous a paru nécessaire de préciser le statut
ontologique des Plantes Génétiquement Modifiées. Très souvent, on suppose qu’elles sont
des êtres contre-natures, parce qu’elles ne sont pas issues de la génération (c’est une thèse
chère au naturalisme d’Aristote). Or elles appartiennent pourtant à la nature, définie cette
fois, comme, un ordre naturel ; puisqu’on observe des transferts spontanés de matériel
génétique dans la nature. On ajoutera à cela que ces plantes instaurent un rapport
technique-nature inédit. En effet, au sein même des PGM, naturel et artificiel fusionnent. Le
« ce qui est réalisé par la main de l’homme » est « relayé par l’autonomie de la nature ».
C’est donc le caractère hybride de cette mixité entre nature et technologie qui n’a pas été
suffisamment défini. Certains y voient la possibilité d’une autoreproduction de l’artifice (gene
flow), ce qui est généralement contradictoire avec la définition de l’artifice ; d’autres, la
possibilité de s’affranchir toujours un peu plus de la nature en repoussant toujours plus loin
les limites de la volonté humaine. On a peur que la technologie se reproduise. Or ce faisant,
on n’a pas perçu ce caractère qui est propre aux PGM : elles sont des « végétaux
naturellement instrumentalisés ». En d’autres termes, comme les autres plantes, elles
servent les besoins de l’homme, mais, elles le font en mettant au jour de nouveaux possibles
de la nature par le biais d’une technologie qui se confond avec certains mécanismes
naturels.
C’est donc pour ces deux raisons fondamentales que les PGM sont devenues le centre
d’une controverse et ont suscité l’incompréhension, l’absence de confiance et donc le refus.
Quand les scientifiques et les industriels reprochent au public de ne pas comprendre la
technologie, ils ont en partie raison, mais ils oublient d’insister sur le fait que la transgenèse

898
Olivier Assouly, Les nourritures nostalgiques, essai sur le mythe du terroir , Actes Sud, 2004, p.p.,
102,103.

475
végétale instaure un rapport technologie-nature inédit. Comment le public aurait-il pu
comprendre cela, sans que l’on lui ait expliqué ? Par contre quand certains sociologues
affirment que les critiques portées sur les PGM portent essentiellement sur un rejet des
biotechnologies, ils négligent également cette particularité du rapport technologie-nature. Il
revient donc aux initiés de clarifier ce rapport et aux non-initiés de l’accepter.
Or, il nous a semblé qu’en tant que technologie, la transgenèse végétale est en
mesure d’établir des normes plus proches d’une production industrielle de qualité et en tant
que « végétaux naturellement instrumentalisés », les PGM offrent un nombre de possibles
aussi infini que ceux que contiennent la nature, non pas perçue comme un système
immuable, mais comme un tout fait de potentialités à développer. Ainsi, en mettant au jour
l’idéologie dans la controverse sur les PGM, nous avons voulu démontrer que la transgenèse
végétale avait été prise à partie au sein d’un débat plus vaste que celui de la simple
évaluation des risques. En démontrant que la transgenèse végétale est une technologie
comme les autres, on fait de la recherche du risque un acte acceptable et non plus un
argument pour refuser la technologie. En remettant en cause la technologie en elle-même
les opposants ouvrent un débat de société dont l’objectif est de remettre en cause le rapport
actuel entre technologie et nature. Or cela implique une vision particulière de la technologie
et de la nature. Ce qui nous permet d’aboutir à une nouvelle question : pourquoi la
« nature » est-elle considérée comme un critère de qualité et de sécurité fondamental dans
le domaine de l’agro-alimentaire ?

476
Bibliographie
Recherche fondamentale et appliquée, journaux scientifiques

1. Article « Biotechnology », Encyclopedia Britannica Multimedia, 1999.

2. Anderson, P.L. and Hellmich R.L., « Site-Specific Management Guidelines :Bt Corn and Insect
Resistance Management : What are They », www.ppi-far.org/ssmg

3. Aumaitre, A., « Feeds derived through modern biotechnology: Principle, safety and substantial
equivalence », INRA, Centre de Rennes, 2002.

4. Bateson, « GM food debate », in, the Lancet, Volume 354, Number 9187, 16 October 1999,
http://www.thelancet.com/

5. Becker, Wolf-Mienhard, « Sequence homology and allergen structure », in Joint FAO/WHO


Expert Consultation on foods derived from biotechnology, FAO/WHO, Headquarters of the
food and agriculture organization of the United Nation, 22-25 juin 2001.

6. Beever, D., Kemp, C. Safety « Issues Associated With The DNA In Animal Feed Derived From
Genetically Modified Crops. A Review Of Scientific and Regulatory Procedures ». in Nutrition
Abstracts and Reviews Series B: Livestock Feeds and Feeding. 70 (3), 2000, p.p.175-182.

7. Benbrook, Charles « An Appraisal of EPA’s Assessment of the Benefits of Bt Crops, Prepared


For: The Union of Concerned Scientists », sur le site www.biotech-info.net/Bt, October 17,
2000.

8. Benbrook, Charles, « Brief Response to Leonard Gianessi's October 31, 2000 'A Critique of An
Appraisal of EPA's Assessment of the Benefits of Bt Crops », sur le site www.biotech-
info.net/Bt, November 2, 2000.

9. Benbrook, Charles, « Do GM crops mean less pesticide use ? » in Pesticide Outlook 204 –
October 2001.

10. Benbrook, Charles, « Evidence of the Magnitude and Consequences of the Roundup Ready
Soybean Yield Drag from University-Based Varietal Trials in 1998 », Ag BioTech InfoNet
Technical, Paper Number 1, Benbrook Consulting Services, Sandpoint, Idaho, July 13, 1999.

11. Benbrook, Charles, « Factors Shaping Trends in Corn Herbicide Use , An Update and Technical
Report » in Ag BioTech InfoNet Technical Paper Number 5, By: Northwest Science and
Environmental Policy Center,Sandpoint, Idaho, July 23, 2001.

12. Benbrook, Charles, « The Bt Premium Price: What Does It Buy? The Impact of Extra Bt Corn
Seed Costs on Farmer Earnings and Corporate Finances », www.iatp.org, Février 2002.

13. Benbrook, Charles, « Troubled Times Amid Commercial Success for Roundup Ready
Soybeans, Glyphosate Efficacy is Slipping and Unstable Transgene Expression Erodes Plant
Defenses and Yields », in AgBioTech InfoNet Technical Paper Number 4, Northwest Science
and Environmental Policy Center Sandpoint Idaho, May 3, 2001.

14. Benbrook, Charles, « When Does It Pay to Plant Bt Corn? Farm-Level Economic Impacts of Bt
Corn, 1996-2001 », www.iatp.org, December 2001.

15. Berche, P., « Résistance aux antibiotiques : l'impact des plantes transgéniques paraît
anecdotique », in Le Quotidien du Médecin, 18 février 1998.

16. Bonny S., « L’emploi d’OGM en agriculture : quel intérêt et quelles limites au niveau
économique ? » in Courrier de l’environnement, 34, INRA 1998, p.p. 75-86.

477
17. Borlaug, Norman E., Ending World Hunger « The Promise of Biotechnology and the Threat of
Antiscience Zealotry », in Plant Physiology, Vol. 124, Group on International Agricultural
Research, October 2000, pp. 487-490.

18. Bottrell, Dale G., et al., « Cotton Insect Pest Management » in Annual Review of Entomology
vol. 22, 1977.

19. Bowden, Rebecca, « Mél de R. Bowden, senior manager from the Royal Society to Arpad
Pusztai », sur www.freenetpages.co.uk/hp/A.Pusztai/ ,1999.

20. Brookes, Graham, « The farm level impact of using Bt maize in Spain », sur le site de l’ ABE,
www.abe.iastate.edu/ 16 September 2002.

21. « Bt Corn Insect Resistance Management Survey 2000 Growing Season », Agricultural
Biotechnology Stewardship Technical Committee, January 31, 2001.

22. Burks, AW, Shin D, Cockrell G, Stanley JS, Helm RM, Bannon GA « Mapping and mutational
analysis of the IgE-binding epitopes on Ara h 1, a legume vicilin protein and a major allergen
in peanut hypersensitivity. » Eur J Biochem 245, 1997, p.p.334-339.

23. Carpenter, et al. « Comparative environmental impacts of biotech-derived and traditional


soybeans, corn and cotton crops », Council for Agricultural Science and Technology (CAST),
USA, 2002.

24. Carpenter, J & Gianessi L « Agricultural Biotechnology: updated benefit estimates », National,
Centre for Food and Agricultural Policy (NCFAP), Washington, USA, sur
http://www.ncfap.org/, 2001.

25. Carpenter, J. « Comparing Roundup Ready and Conventional Soybean Yields 1999 », NCFAP,
sur http://www.ncfap.org/, January 2001.

26. Carpenter, J., « Case Studies in Benefits and Risks of Agricultural Biotechnology: Roundup
Ready Soybeans and Bt Field Corn », NCFAP, with support from the Rockefeller Foundation,
January 2001.

27. Carpenter, J., Leonard P. Gianessi « Agricultural Biotechnology: Updated Benefit Estimates »,
NCFAP, January 2000.

28. Carpenter, J., Leonard P. Gianessi « Agricultural Biotechnology: Updated Benefit Estimates »,
NCFAP, January, 2001.

29. Chilton, M.D. Agrobacterium. « A Memoir », in Plant Physiol, Vol. 125, January 2001, p.p. 9-
14.

30. Chilton, M.D., M.H. Drummond, D.J. Merlo, D. Sciaky, A.L. Montoya, M.P. Gordon and E.W.
Nester: in Cell 11, 1977, p.p. 263-271.

31. Courvalin, Patrice, « Plantes transgéniques et résistance aux antibiotiques », in la Recherche,


n°309, 1998.

32. Delanney X., et al., « Yield Evaluation of a Glyphosate-Tolerant Soybean Line After Treatment
with Glyphosate, » in Crop Science, September-October 1995.

33. Doerfler, W., Schubbert, R., Heller, H., Kammer, C., Hilger-Eversheim, K., Knoblauch, M., and
Remus, R., « Integration of foreign DNA in its consequences in mammalian systems. »
inTibtech, 15, 1997, p.p. 297-301.

478
34. EPA, Biopesticides Registration Action Document,« Summary of non-target Organism Toxicity
Testing on corn Bt 11 (0064444) and MON810 (006430) in Bt Plant-Incorporated
Protectants », September 2001, 29 p. IIC50.

35. Fenton, Brian, Stanley Kiri, Fenton Steven, Bolton-Smith Caroline, « GM food debate », the
Lancet, Volume 354, N° 9191, p.1725, 1999.

36. Gianessi, Leonard P., « A Critique of: An Appraisal of EPA’s Assessment of the Benefits of Bt
Crops By Dr. Charles M. Benbrook October 17, 2000, Prepared for Union of Concerned
Scientists », 31 Octobre 2000.

37. Gianessi, Leonard P., Cressida S. Silvers, Sujatha Sankula, Janet E. Carpenter, « Plant
Biotechnology: Current and Potential Impact for Improving Pest Management in U.S.
Agriculture An Analysis of 40 Case Studies », NCFAP, june 2002.

38. Gianessi, Leonard P., Janet E. Carpenter, « Agricultural biotechnology, Insect Control
benefits », NCFAP, July 1999.

39. Gianessi, Leonard P., Janet E. Carpenter, « Agricultural biotechnology benefits of transgenic,
soybeans » NCFAP, April 2000.

40. Gianessi, Leonard, Carpenter Janet E. « Agricultural Biotechnology, Insect Control Benefits,
July 1999 », NCFAP rapport financé par le Biotechnology Industry Organization (BIO), 1999.

41. Godfrey, L.D., et al., « European Corn Borer Tunneling and Drought Stress: Effects on Corn
Yield, » in Journal of Economic Entomology, December 1991.

42. Gonzini, Lisa C., et al., « Herbicide Combinations for Weed Control in Glyphosat Tolerant
Soybeans, » in Proceedings North Central Weed Science Society, 1996.

43. Guerrin-Marchand, Claudine, Les Manipulations Génétiques, col. Que sais-je ?, PUF,1997.

44. Hails, R. S., « Assessing the risks associated with new agricultural practices »,
http://www.extension.umn.edu/distribution/cropsystems/DC7055, 8 August 2002.

45. « Health, risks of genetically modified foods », 1999, in the Lancet, Volume 353, Number
9167, May 29, 1811.

46. Iowa State University, « Yield Losses from Corn Borers », in Integrated Crop Management, ,
1997, p.p.4-14.

47. Janssen, Ir.,« Do animals have a different food preference for GMO’s or non-GMO’s? A
literature search on experiments with farm animals on food preference and performance with
regards to GMO’s and non-GMO’s », Report number 178, in Animal Nutrition Group,
Wageningen University and Research Centre, January 2002.

48. Koziel, N.G., et al., « Field Performance of Elite Transgenic Maize Plants Expressing an
Insecticidal Protein Derived from Bacillus Thuringiensis » in Bio/Technology, 11, 1993, p.p.
194-200.

49. Lewis et al., « A Total System Approach to Sustainable Pest Management », in National
Academy of Sciences, 1997.

50. Losey, Linda S. Rayor, Maureen E. Carter, « Transgenic Pollen Harms Monarch Larvae », in
Nature 399, n.6733, , 20 may 99, p.214.

51. MacKenzie, Donald and McLean Morven, « Who’s afraid of GM feed », in Feed Mix, Volume 10
Number 3, 2002.

479
52. Marlin, Rice and Clinton D. Pilcher, « Potential Benefits and Limitations of Transgenic BT Corn
for Management of the European Corn Borer », in American Entomologist, Summer 1998.

53. Matsuda, T. « Application of transgenic techniques for hypo-allergenic rice. Proceedings from
the International Symposium on Novel Foods Regulation in the European Union - Integrity of
the Process of Safety Evaluation », Berlin, 1998.

54. Mazur, Barbara J., and S. Carl Falco, « The Development of Herbicide Resistant Crops », in
Annu. Rev. Plant Physiol. Plant Mol. Biol., 1989.

55. Metcalfe, DD, Astwood JD, Townsend R et al. « Assessment of the allergenic potential of
foods derived from genetically engineered crop plants. » in Crit Rev, Food Sci Nut 36, 1996,
p.p. 165-186.

56. Millstone, Erik, Brunner Eric & Mayer Sue, « Beyond 'Substantial Equivalence », in Nature 401,
7 October 1999, p.p. 525 – 526.

57. Moeller, David R., « GMO LiabilityThreats for Farmers Legal Issues Surrounding the Planting of
Genetically Modified Crops, November », What’s in it for farmers?, Farmers’ Legal Action
Group, Inc. (FLAG) St. Paul, sur www.iatp.org, Minnesota, 2001.

58. Moore, Glen C., et al., « Bt Cotton Technology in Texas: A Practical View, » Texas Agricultural
Extension Service, L-5169, 1999.

59. Mowat, Alan, « GM food debate », in the Lancet, Volume 354, n° 9191, 1999, p.1353.

60. Neal, Stewart Jr C.,Matthew D.Halfhill and Suzanne I.Warwick, « Transgene Introgression
from Genetically Modified Crops to their Wild Relatives », in Nature , Volume 4,
www.nature.com/reviews/genetics, October 2003, p.806.

61. Nordlee, Julie A., M.S., Steve L. Taylor, Ph.D., Jeffrey A. Townsend, B.S., Laurie A. Thomas,
B.S., and Robert K. Bush, M.D. « Identification of a Brazil-Nut Allergen in Transgenic
Soybeans », inThe New England Journal of Medicine, Number 11, Volume 334 , March 14,
1996, p.p. 688-69.

62. Oberhauser, Karen S., Diane E. Stanley-horns, K.Sears Mark, Pleasants John M. et Hellmich
Richard L. « Temporal and spatial overlap between monarch larvae andcorn pollen », PNAS,
vol. 98, n°21, le 9 octobre 2001, p.p.11913-11918.

63. Oberhauser, Karen, Lettre, University of Minnesota, Department of Ecology, to Public


Information and Records Integrity Branch Information Resources and Services Division
(7502C) Office of Pesticide Programs EPA, Docket Control #OPP-00678B.

64. Persley, G.J. and M. M. Lantin, Editors Agricultural Biotechnology and the Poor, Consultative
Group on International Agricultural Research and US National Academy of Sciences (CGIAR),
Washington, D.C. http://www.cgiar.org/biotech/rep0100/contents.htm, 21-22 October 1999.

65. Phipps, R.H., Park J.R. « Environmental benefits of genetically modified crops : Global and
European perspectives on their ability to reduce pesticide use » in Journal of Animal and Feed
Sciences, 11, 2002, p.p. 11-18.

66. Pinstrup-Andersen, P., and M.J. Cohen. « Modern Biotechnology for Food and Agriculture:
Risks and Opportunities for the Poor. » In G.J. Persley and M.M. Lantin, eds., Agricultural
Biotechnology and the Poor: Proceedings of an International Conference, 2000.

480
67. Pleasants, John Hellmich Richard, Stanley-Horn Diane E. …, « Corn pollen desposition on
milkweeds in and near cornfields », in PNAS, vol. 98, n°21, sur www.pnas.org. , 9 Octobre
2001, p.p. 11919-11924.

68. Pouteau, Sylvie, « Au-delà de l’équivalence en substance : l’équivalence éthique (« Beyond


Substantial Equivalence : Ethical Equivalence » paru dans : Journal of Agricultural and
Environmental Ethics 13: 273-291, 2000 Kluwer Academic Publishers,
http://www.wkap.nl/oasis.htm/274804

69. Pray, Carl E., Jikun Huang, Ruifa Hu and Scott Rozelle, « Five years of Bt cotton in China the
benefits continue », in GM special Issue The Plant Journal 31(4), Nature , Vol 418, 685,
www.nature.com/nature, 2002, p.p.423-430.

70. Quist, D. & Chapela, I. H. « Transgenic DNA introgressed into traditional maize landraces » in
Oaxaca, Mexico. In Nature 414, 2001, p.p. 541–543.

71. Richard, L. Hellmich, Blair D. Siegfried, Diane E. Stanley-Horn., « Monarch larvae sensitivity to
Bacillus thuringiensis-purified proteins and pollen », in PNAS , vol. 98, n°21, vol.98, n°21, 9
Octobre 2001, p.p. 11925-11930.

72. Roberts, Roland K., et al., « Economic Analysis of Alternative Herbicide Regimes on Roundup
Ready Soybeans » in Journal of Production Agriculture, vol. 12, no. 3, 1999.

73. Rosset, Peter, Ph.D., « Genetic Engineering of Food Crops for the Third World: An Appropriate
Response to Poverty, Hunger and Lagging Productivity? » In Proceedings of the International
Conference on Sustainable Agriculture In the New Millenium – The Impact Of Modern
Biotechnology On Developing Countries, Friends of the Earth Europe, Albert Hall, Brussels,
May 28-31 2000.

74. « Royal Society rejects latest claims in the Lancet on GM potatoes »,


http://www.royalsoc.ac.uk, 14 oct. 1999.

75. Schubbert, R., Hohlweg, U., Renz, D. and Doerfler, W. « On the fate of orally ingested foreign
DNA in mice: chromosomal association and placental transmission to the fetus. », in Mol. Gen.
Genet. 259, 1998, p.p. 569-576.

76. Schubbert, Rainer, Doris Renz, Birgit, Schmitz, Walter Doerfler, « DNA ingested by mice
reaches peripheral leukocytes, spleen, and liver via the intestinal wall mucosa and can be
covalently linked to mouse DNA », Proc. Natl. Acad. Sci. USA, Vol. 94, Medical Sciences,
February 1997, p.p. 961–966.

77. Scriban, R., Biotechnologies, 5ème édition, éditions Tec & Doc, 1999.

78. Stanley, W. B. Ewen & Arpad Pusztaï, « Effects of diets containing genetically modified
potages expressing Galanthus nivalis lectin on rat small intestine », the Lancet, Volume 354,
n° 9187, 16 Oct 1999, p.1353.

79. Stanley-horn, Diane E., Hellmich R.L., Sears Mark K., Losey John E., Obrycki John J. … ,
« Assessing the impact of Cry1Ab-expressing corn pollen on monarch butterfly larvae in field
studies », in PNAS, 9 Octobre 2001, vol.98, n°21, p.p. 11931-11936.

80. Trewavas, Antony, « Malthus foiled again and again », in Nature , Vol 418, 8 August 2002,
p.669.

81. Webster, Eric P., et al., « Weed Control and Economics in Nontransgenic and Glyphosate
Resistant Soybean (Glycine max) », in Weed Technology, vol. 13, 1999.

481
82. Weil, Alain, « Les plantes transgéniques : les pays en développement » in Les plantes
génétiquement modifiées , Académie des Sciences, rst n°13, , éd. Tec & Doc, déc. 2002,
p.105.

83. Ye X., Al-Babili S., Klöti A., Zhang J., Lucca P., Beyer P., Potrykus I. « Engineering the
Provitamin A (beta-carotene) Biosynthetic Pathway into (carotenoid-free) Rice Endosperm »,
Science, 287, 2000, p.p. 303-305.

84. Zangerl, A. R., D. McKenna, C. L. Wraight, M. Carroll, P. Ficarello, R. Warner, and M. R.


Berenbaum « Effects of exposure to event 176 Bacillus thuringiensis corn pollen on monarch
and black swallowtail caterpillars under field conditions », PNAS, vol. 98, no. 21, 9 October
2001, p.p. 11908–1191.

Etudes sociologiques et sondages d’opinion

85. Arntzen, Charles J., Coghlan Andy, Johnson Brian, Peacock, Jim and Rodemeyer, Michael
« GM crops: science, politics and communication », in Nature Reviews, Genetic, Volume 4,
Octobre 2003, p.839.

86. De Cheveigné, Suzanne, Boy, Daniel et Galloux, Jean-Christophe les Biotechnologies en débat,
pour une démocratie scientifique, Editions Balland, Paris 2002.

87. Durant, John and Simon Joss, « Public Participation in Science - The Role of Consensus
Conferences in Europe » (eds.), Science Museum, London, 1995.

88. Durant, John, Bauer Martin, Gaskell George (dir.), Biotechnology in the Public Sphere : A
European Sourcebook, Science Museum, Londres, 1998.

89. Gaskell, George, Agricultural Biotechnology and Public Attitudes In The European Union,
AgBioForum, Volume 3, Number 2&3, 2000, pages 87-96.

90. Hails, Rosie and Kinderlerer Julian, « The GM public debate: context and communication
strategies », Nature Reviews, Genetic, Volume 4, Octobre 2003, p.819.

91. INRA (Europe), Ecosa, Eurobarometer 52.1, The europeans and biotechnology, 15 Mars 2000.

92. INRA, European opinions on modern biotechnology : Eurobarometer 46.1, Brussel : INRA
(Europe), European coordination office, 1997.

93. IPSOS : Opinion des français sur les OGM, CFS/GNISS/UIPP, Février 2002.

94. IPSOS, Opinion des français sur les OGM, sondage IPSOS, GNISS-CFS-UIPP, février 2002.

95. Joly, Pierre-Benoit, Claire Marris, Mise sur agenda et controverses : Une approche comparée
du cas des OGM en France et aux Etats-Unis, Colloque, Risques collectifs et situations de
crise. Bilans et perspectives, Auditorium du CNRS, Paris,7-8-9 février 2001.

96. Joly, Pierre-Benoit, Claire Marris, Olivier Marcant, La constitution d'un "problème public" : la
controverse sur les OGM et ses incidences sur la politique publique aux Etats-Unis, OGM
MinAg 2001-Vol2.pdf.

97. Joly, Pierre-Benoit, Gérald Assouline, Dominique Kréziak, Juliette Lemarié, Claire Marris, Alexis
Roy, INRA Grenoble, Collectif sur les risques, la décision et l’expertise (CRIDE) ; l’innovation
controversée : le débat public sur les OGM en France, Rapport, Janvier 2000.

482
98. Joly, Pierre-Benoit, Stéphane Lemarié, Claire Marris, Analyse économique du développement
des cultures à base d'organismes génétiquement modifiés aux Etats-Unis Synthèse, Avril
2001.

99. Levidow, Les, « Expert Framings of Uncertainty : Regulating GM Crops in Europe. » Janvier
2002

100. Marris, Claire, « OGM : comment analyser les risques ?», Biofutur, n°195, décembre
1999, p.p.44-47.

Marris, Claire, « Public View on GMO, Deconstructing the myths» EMBO reports, vol.2, n°7, 2001.

101. Marchant, Robert, « From the test tube to the table », EMBO reports vol.21 no.51,
2001.

102. PABE , Final Report of the PABE research project, Public Perceptions of Agricultural
Biotechnologies in Europe, funded by the Commission of European Communities, Contract
number: FAIR CT98-3844 (DG12 - SSMI), December 2001.

103. Roy, A., « Expertise et appropriation du risque. Le cas de la Commission du Génie


Biomoléculaire. » Rouen, Université de Rouen, 2000.

104. Roy, Alexis, Les Experts face au risque : le cas des plantes transgéniques, collection,
le Monde, Partage du savoir, PUF, 2001.

105. Varnier, Céline, Assouline Gérald, Joly Pierre-Benoit, Assessing Debate and
Participative Technology Assessment (ADAPTA) Project n° BIO, Annex n°2 THE FRENCH
NATIONAL REPORT, INRA Grenoble - QAP Décision, January 2001.

Articles de Synthèses

106. Arnaud, Alain, Galzy Pierre et Guiraud Joseph-Pierre, « Le génie génétique », in


Biotechnologies, 5ème édition, éditions Tec & Doc, 1999.

107. Briand, Pascale, « Avenir et limites de la thérapie génique », in Biotechnologies, 5ème


édition, éditions Tec & Doc, 1999.

108. Caplan, Richard, « Antibiotic Resistance and Genetically Engineered Plants », June
2002.

109. Casse, Francine, « Les plantes transgéniques : les risques et la réglementation », in


Les plantes génétiquement modifiées, Académie des sciences, rst n°13, éditions Tec & Doc,
décembre 2002.

110. Chevassus-au-Louis, B., « L'appropriation du vivant : de la biologie au débat social »


in Courriers de l’environnement, 40, INRA. 2000, p.p. 5-22.

111. Duval-Iflah, Yvonne, « Y a-t-il des risques liés à la consommation de produits frais
contenant des bactéries transgéniques ? » in Dossier INRA sur les OGM, OGM et alimentation,
http://www.inra.fr/index.html, Mai 1998.

112. Fagan, John, Ph.D, « The failings of the principle of substantial equivalence in
regulating transgenic foods », http://www.naturallaw.org.nz/genetics/Papers/subst-eq.asp, 15
Nov 1999.

113. GEN, Méthode traditionnelles de sélection des plantes : un aperçu historique destiné à
servir de référence pour l’évaluation du rôle de la biotechnologie moderne, OCDE, 1991.

483
114. Hansen, Dr. Michael « On Detecting likely Allergeicity of GE Foods, Science-based
approaches to assessing allergenicity of new proteins in genetically engineered foods,
presentation to FDA, food biotechology subcommittee », in Food Advisory Committee, College
Park, MD, 14 août 2002.

115. Le Buanec, Bernard, Pelletier Georges et Plagès Jean-Noël, « La transgenèse végétale


en agriculture », in Les Plantes génétiquement modifiées, Académie des sciences, rst n°13,
décembre 2002, éditions Tec & Doc.

116. Le Guyader, H., « Qu'est-ce qu'un gène ? Une petite histoire du concept. » in Courrier
de l’environnement, 44, 2001, p.p. 53-63.

117. Marsal, P. « Les OGM, une technologie totalitaire ? » Courrier de l’environnement, 44,
INRA, 2001, p.p. 91-96.

118. Martal, Jacques, « Les biotechnologies de la reproduction animale », in,


Biotechnologies, 5ème édition, éditions Tec & Doc, 1999.

119. McCalla, Alexander F. and Brown Lynn R., « Feeding the Developing World in the Next
Millennium: A Question of Science? » In Agricultural Biotechnology & the poor, 1999.

120. Monneret–Vautrin, D. A, « Risques et bénéfices de la transgenèse vis-à-vis de


l’allergie », Colloque Afssa : OGM et alimentation : peut-on évaluer les bénéfices pour la
santé ? http://www.afssa.fr/, 2002.

121. Paillotin, G. « Applications des biotechnologies à l'agriculture et à l'agro-alimentaire :


quelques questions d'éthique. » Courrier de l’environnement, 29, 1996, p.p. 5-8.

122. Pascal, Gérard, « Comment évaluer la sécurité des aliments issus de plantes
transgéniques ? » in OGM et Alimentation, dossiers de l’INRA, www.inra.fr/, Mai 1998.

123. Pelletier, Georges et Téoulé Evelyne, « La transgenèse dans le règne végétal : le point
sur les plantes d’intérêt agronomique », in Biotechnologies, 5ème édition, éditions Tec & Doc,
1999.

124. Printsup-Andersen, Per, « Modern Biotechnology and small farmers in Developping


Countries », In Research Perspective, volume 21, N°2, 1999.

125. « Quel avenir pour le Bt ? », Cet article délibérément non signé est repris de
Biocontrol News and Information, 1998, vol. 19, n° 2 (p. 38 N à 41 N), section Biorational.
Titre original « Bt: What Future ? » Traduit de l'anglais par A.F. le Courrier de
l'environnement n°35, novembre 1998.

126. Riba, Guy et Chaufaux, Josette ; « Le maïs résistant à la pyrale favorise-t-il


l’apparition de résistance chez les insectes, OGM et Alimentation », dossiers de l’INRA,
www.inra.fr/, Mai 1998.

127. Valey, Jean-Gabriel, « La transgenèse végétale : de l’ADN aux protéines », in Les


Plantes génétiquement modifiées, Académie des sciences, rst n°13, éditions Tec & Doc,
décembre 2002.

Rapports Officiels

128. Académie française des sciences (Rapport de). Les plantes transgéniques et la
recherche fondamentale : la science et la société, in Académie des sciences, rst n°13, éditions
Tec & Doc. décembre 2002.

484
129. AFSSA, Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments ; Evaluation des risques
relatifs à la consommation de produits alimentaires composés ou issus d'organismes
génétiquement modifiés, Janvier 2002
130. Agbios (Agriculture and Biotechnology Strategies (Canada) Inc.), Principles and
Practice of Environmental Safety Assessment of Transgenic Plant Part No. AGBESAM-01-099B,
2001.
131. Assessment of Scientific Information Concerning StarLink™ Corn, SAP Report No.
2000-06, Raport fifra Scientific Advisory Panel Meeting, November 28, 2000, held at the
Holiday Inn Rosslyn Hotel, December 1, 2000.

132. Aubert, Marie-Hélène, Rapport d'information déposé par la Délégation de l'Assemblée


nationale pour l'Union européenne sur la dissémination volontaire des OGM dans
l'environnement (Documents d'information de l'Assemblée nationale, n° 2538), FRANCE.
Assemblée nationale. Délégation pour l'Union européenne, 2000.

133. Avis conjoint des commissions du génie génétique et du génie biomoléculaire, publié
dans le rapport d'activité 1999 de la Commission du Génie Biomoléculaire, 4 janvier 2000.

134. Babusiaux Christian, Le Déaut Jean-Yves, Sicard Didier, Testart Jacques, Rapport Le
Deaut, Rapport à la suite du débat sur les OGM et les essais au champ, mars 2002.

135. Bizet, Jean, Rapport Bizet, Rapport d’Information du Sénat n° 440, au nom de la
commission des Affaires économiques et du Plan (1) sur les organismes génétiquement
modifiés, Sénat, session ordinaire de 1997-1998,Annexe au procès-verbal de la séance du 20
mai 1998.

136. Bt Plant-Incorporated Protectants Biopesticides Registration Action Document ,


September 29, 2001 trouvé sur le site www.epa.gov/pesticides/biopesticides/

CEE, Communication from the commission, on the precautionary principle, Brussels, 02.02.2000.

137. CGB, Rapport d’activité 1998, de la Commission du Génie Biomoléculaire.

138. CGB, Rapport d’activité 1999, de la Commission du Génie Biomoléculaire

139. CGB, Rapport d’activité 2000, de la Commission du Génie Biomoléculaire

140. Chevassus, Bernard, Rapport du groupe présidé par Bernard Chevassus-au-Louis,


commissariat général au plan, OGM et agriculture : options pour l’action publique ; La
Documentation française, Septembre 2001.

141. Clive, James, and Anatole F. Krattiger, Global Review of the Field Testing and
Commercialization of Transgenic Plants:1986 to 1995 The First Decade of Crop Biotechnology,
http://isaaa.org/

142. Clive, James, ISAAA (International Service for the Acquisition of Agribiotech
Applications), Global Review of Commercialized Transgenic Crops, 2001, n°24.

143. Commission des Communautés Européennes, Livre Blanc sur la Sécurité Alimentaire,
Bruxelles, COM (1999) 719 final, le 12 janvier 2000.

144. Communication from the Commission to the European Parliament, the Council, the

485
Economic and Social Committee of the regions, Life sciences and biotechnology, A Strategy
for Europe, (2002/C 55/03),Official Journal of the European Communities C 55/3, 2000.

145. Consultative Group on International Agricultural Research and US National Academy of


Sciences Agricultural, Biotechnology & the poor ; G.J. Persley and M. M. Lantin, Editors, 1999.

146. Directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à


la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement et
abrogeant la directive 90/220/CEE du Conseil. JOCE L106, 17-04-2001, p. 1-39.

147. Directive 90/220/CEE du Conseil, du 23 avril 1990, relative à la dissémination


volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement, Journal officiel n° L
117 du 08/05/1990 p.0015 – 0027.

148. Directorate-General for Agriculture, Commission of the European Communities


economic impacts of genetically modified crops on the agri-food sector, a first review, 31 mars
2000.

149. Eastham, Katie and Sweet Jeremy, Genetically modified organisms (GMOs): The
significance of gene flow through pollen transfer, Environmental issue report No 28,
Copenhague 2002.

150. FAO, Agriculture Mondiale : Horizon 2015-2030, rapport, 2002.

151. Institute for Prospective Technological Studies, Scenarios for co-existence of


genetically modified, conventional and organic crops in European agriculture, A synthesis
report prepared by Anne-Katrin Bock, Karine Lheureux, Monique Libeau-Dulos, Hans
Nilsagård, Emilio Rodriguez-Cerezo (IPTS - JRC) in May 2002.

152. ISAAA Strategic plan 2001-2005, Poverty and Technology, May 2002.

153. Joint FAO/WHO Food Standards Programme Codex Alimentarius Commission, Report
of the Twenty-ninth session of the codex committee on food labelling, 24th session, Ottawa,
Canada, 1 – 4 May 2001.

154. Joly, Pierre-Benoit, PITA Project: Policy Influences on Technology for Agriculture:
Chemicals, Biotechnology and Seeds French PSREs in Agrochemicals, Seeds and Plant
Biotechnology, Annex E 3, TSER Programm European Commission - DG XII, Project No. PL
97/1280, Contract No. SOE1-CT97-1068. INRA – SERD, France, July 2000.

155. Julian K-C.Ma, Pascal M.W. Drake and Paul Christou, The production of recombinant
pharmaceutical proteins in plants, Octobre 2003 Volume 4, p.794.

156. Kourilsky, Philippe, Viney Geneviève, Le principe de précaution, rapport au premier


ministre, La documentation française, Paris, 1999

157. Le Déaut, (Jean-Yves); Revol (Henry), L'utilisation des organismes génétiquement


modifiés dans l'agriculture et dans l'alimentation, rapport 545 (97-98), Tome 1 – Office
parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques.

158. Lenoir, Noëlle, Relever le défit des biotechnologies. Ministère de l'économie, des
finances et de l'industrie Paris; La documentation française;2000.

159. Lesse, W. ISAAA, The Role of Intellectual Property Rights in Biotechnology Transfer
under the Convention on Biological Diversity, No. 3-1997, Cornell University.

160. Marre, Béatrice, Rapport d’information déposé par la délégation de l’assemblée


nationale pour l’union européenne, sur la sécurité alimentaire européenne, et présenté.

486
N°3212, Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 28 juin 2001.

161. OCDE, Conférence OCDE d'Edimbourg sur les aspects scientifiques et sanitaires des
aliments génétiquement modifiés, La sécurité des aliments génétiquement modifiés : faits,
incertitudes et évaluation, 28 février - 1er mars 2000.

162. OCDE, Groupe Interne de coordination pour la biotechnologie, Compte rendu du


séminaire de l’OCDE sur les essais toxicologiques et nutritionnels des nouveaux aliments, 09-
Oct-1998, 70295, Ta. 9440 - 07.09.98 - 08.10.98.

163. OCDE, Recombinant DNA Safety Considerations, Safety considerations for industrial,
agricultural and environmental applications of organisms derived by recombinant DNA
techniques, 1998.

164. OCDE, Safety Evaluation of Foods Derived by Modern Biotechnology: Concepts and
Principles, Paris: OECD, 1993.

165. Organisation des Nations-Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture Organisation


mondiale de la Santé, Aspects de la salubrité des aliments génétiquement modifiés d’origine
végétale , Rapport d’une consultation conjointe d’experts FAO/OMS sur les aliments produits
par biotechnologie, Genève, Suisse, 29 mai – 2 juin 2000.

166. Pascal, Gérard, Avant-Propos du Compte rendu du séminaire de l’OCDE sur les essais
toxicologiques et nutritionnels des nouveaux aliments, SG/IGCB, 1998.

167. Pastor, Jean-Marc Rapport d'information fait au nom de la Commission des affaires
économiques et du plan par la mission d'information sur les enjeux économiques et
environnementaux des organismes génétiquement modifiés. Sénat. Commission des affaires
économiques et du plan, Paris; Sénat2003.

168. Rapport d’une consultation conjointe d’experts FAO/OMS sur les aliments produits par
biotechnologie : Aspects de la salubrité des aliments génétiquement modifiés d’origine
végétale, Genève, Suisse 29 mai – 2 juin 2000.

169. Sets of Scientific Issues Being Considered by Environmental Protection Agency


Regarding: Bt Plant-Pesticides Risk and Benefit Assessments, SAP Report No. 2000-07, FIFRA
Scientific Advisory Panel Meeting, October 18-20, 2000, held at the Marriott Crystal CityHotel
March 12, 2001.

170. Steven, Taylor, « Topic 13 Allergenicity », Joint FAO/WHO Expert Consultation on


Foods Derived from Biotechnology Headquarters of the World Health Organization Salle G
Avenue Appia 20, 1211 Geneva 27, Switzerland 29 May – 2 June 2000.

171. The Royal Society of London, the U.S. National Academy of Sciences, the Brazilian
Academy of Sciences, the Chinese Academy of Sciences, the Indian National Science
Academy, the Mexican Academy of Sciences and the Third World Academy of Sciences ;
Transgenic Plants and world Agriculture, national academy press Washington, D.C. July 2000.

172. United Nations Development Programme (UNDP), The Human Development Report
2001, Oxford University Press, 2001.

173. USDA Pesticide assessment of field corn and soybeans: Corn Belt States, National
Agricultural Pesticide Impact Assessment Program, AGES 850524A. 1985.

174. USDA Pesticide management practices 1997, National Agricultural Statistics Service,
SPCR 98, 1998.

175. USDA, Farm level effects of adopting genetically engineered crops, preliminary

487
evidence from the US experience, Economic Issues in Agricultural Biotechnology, 1999.

Journalisme scientifique

176. Arntzen, Charles J., Coghlan Andy, Johnson Brian, Peacock Jim and Rodemeyer
Michael, « GM crops: science, politics and communication », Nature, 842, Volume4, Octobre
2003, www.nature.com/reviews/genetics

177. Benoît-Browaes, Dorothée, “Quels débats pour quelle decision”, Biofutur 218, Janvier
2002, p.34-39.

178. Bourguet, Denis et Chaufaux Josette, « Bt : les insectes font de la résistance »,


Biofutur 201, Juin 2000.

179. Busch Lawrence, « Témérité américaine et prudence européenne ? », la Recherche


339, février 2001, p.19.

180. Casse, Francine, « Le maïs et la résistance aux antibiotiques », la Recherche 327,


2000, p.35.

181. Chesson, Andrew, James Philip, « Les aliments avec OGM sont-ils sans danger ?», la
Recherche 327, Janvier 2000, p.27.

182. Deroin, Philippe, « OGM : l’empire contre-attaque », Biofutur n°200, mai 2000, page
5.

183. Gaudillère, Jean-Paul, « Echos d’une crise centenaire », la Recherche, 339, février
2001, p.14.

184. Gordon, Conway and Gary Toenniessen, « Feeding the world in the twenty-first
century », Nature, Vol 402, 2 Decembre 1999, www.nature.com

185. Heritage, John, « OGM alimentaires : une légitime résistance ? », article dans Biofutur
n°192, Septembre 1999, p.24.

186. Hommel, Thierry, Godard Olivier, « L’industrie prise au piège », Biofutur 218, Janvier
2002, p.20.

187. Kahn, A., « Courrier des lecteurs » de la Recherche, juillet-août 1998, p. 7.

188. Kempf, Hervé, Interview de Hendrik Verfaillie, « Monsanto n’utilisera plus les gènes de
résistance aux antibiotiques », la Recherche, n°309, 01 Mai 1998.

189. Lichtenstein, Conrad P., « C’est la nature qui a commencé ! », la Recherche 327,
Janvier 2000.

190. Perrier, Jean-Jacques, « Vers de nouveaux gènes sélecteurs », Biofutur 192, Sept 99,
p.25.

191. Philippon, Patrick, « Le Riz jaune encore trop vert », Biofutur 203, Septembre 2000.

192. Philippon, Patrick, « Les Européens se rebiffent », Biofutur 218, Février 1997, p.12-15.

193. Philippon, Patrick, « OGM : quelle traçabilité ? », Janvier 2001, Biofutur 214, p.58-63

488
194. Philippon, Patrick, Plantes transgeniques, les graines de la discorde, recueil d’articles
du magazine Biofutur, Elsevier, 1998.

195. Postel-Vinay, « Olivier, Bœuf aux hormones : surprenant conflit », la Recherche,


février 2001, p.339

196. Postel-Vinay, Olivier, « Entretien avec Clauss Ammann, Les OGM entre Mensonges et
Hystérie », La Recherche, 01/11/1999.

197. « Proposition de définition mise en place par l’Afnor sous l’impulsion de l’Afssa », La
Recherche 339, Février 2001, p.47.

198. Sciama, Yves, la Recherche 348, déc. 2001, pp.18-19.

199. Susan, George, « Vers une offensive américaine sur les OGM », Mai 2002, Le Monde
Diplomatique, article écrit avec l’appui de la commission européenne, p.23.

200. Van Montagu, Marc, « Il était une fois l’épopée belge de la transgenèse », in les
Graines de la discorde, éditions Elsevier, Paris 1999.

201. Wal, Jean-Marie, “OGM, quel risque pour la santé ?”, Biofutur 192, Septembre 1999,
p.22.

202. Warwick, Susan, « Le péril écologique des cultures transgéniques ? » Pour la Science,
Dossier, De la graine à la plante, Hors Série, Janvier 2000, p.128.

Journalisme grand public

203. Kahn, « Les OGM permettront de nourrir la planète en respectant l'environnement »,


les Echos , 18 décembre 1997.

204. Bal, Florence, « Le soutien des consommateurs aux OGM commence à faiblir », le
Monde, le 20 octobre 2000.

205. « Bové et Madelin face à face », le Monde, le 06.09.03.

206. Bové, José, « Les mensonges de Mike Moore », le Monde, 12 juin 2001.

207. « Bové, José, Pour l’exemple, Editorial du Monde », le Monde du 23/06/03.

208. Coroller, Catherine, « Paris propose à l'UE de suspendre la mise en vente de nouvelles
variétés d'organismes génétiquement modifiés. L'Europe repoussera-t-elle l'assiette
transgénique... », Libération, 24 juin 1999.

209. « Débats sur l'introduction des plantes transgéniques. Citoyens sans gène face aux
specialistes. 14 "candides" jugent les aliments génétiquement modifiés », Libération, 22 juin
1998.

210. « Des doutes sur la résistance aux antibiotiques », le Monde, 27 Septembre 1998.

211. Filloux, Frédéric, « Double risque », Libération, 24 juin 1999.

212. Jadot, Yannick, « Organismes médiatiquement modifiés », Libération , éd., 7


septembre 2001.

489
213. Kahn, A. « Pourquoi tant de haine contre ce pauvre maïs ? », le Monde, 9 décembre
1997.

214. Kaufman Marc, « Biotech Corn Found In Variety of Foods FDA Testing for Possible
Allergic Reactions », Washington Post, Tuesday, April 24, 2001; Page A03.

215. Kempf, Hervé, « L’opinion britannique se détourne des OGM », le Monde, 26 Mai
1999.

216. Kempf, Hervé, « Le papillon monarque n’aime pas certains pollens transgéniques », le
Monde, 25 Août 2000.

217. Kempf, Hervé, « Les OGM avancent discrètement malgré les doutes des experts
français », le Monde, le 17 Avril 2003.

218. Lasterade, Julie, « Les atouts des OGM restent à prouver », Libération, n° 6406, 19
décembre 2001.

219. Lazerges Alexandre, « Génie génique », Epok, n°35, Avril 2003.

220. « Les risques sanitaires des aliments transgéniques inquiètent le Parlement », le


Monde, 30 Mai 1998.

221. Losson, Christian, « Les OGM, ni mal absolu ni panacée » Libération, n° 6557, 14 juin
2002

222. Losson, Christian, « L'OGM ou la faim ? » Libération, éd. Quotidien, première édition,
13 octobre 2001.

223. « Maïs transgénique et papillons, la prudence s'impose », le Monde, 16 Juin 1999.

224. Mennesier, Marc, « Biotechnologie. Après deux ans de polémique, cinq études
innocentent les cultures OGM, Le maïs transgénique épargne les monarques », le Figaro, n°
17756,11 septembre 2001.

225. Mennessier, Marc, « Les 2 voies du maïs transgénique », le Figaro n°17344, 17 mai
2000.

226. Mennessier, Marc, « OGM. Le gouvernement refuse de détruire les cultures


potentiellement contaminées par des semences à la fois autorisées et interdites, L'imbroglio
du maïs transgénique », Le Figaro, n° 17396, 17 juillet 2000, p. 10, 11.

227. Mennessier, Marc, « Un champ de «maïs médicament» détruit OGM L'arrachage de


plantes transgéniques destinées à produire un traitement contre la mucoviscidose révolte les
familles de malades et l'État » le Figaro, 03 septembre 2003.

228. Morin, Hervé, « le pollen du colza peut essaimer sur plusieurs kilomètres », le Monde,
04/07/02.

229. Morin, Hervé, « La confédération paysanne ouvre sa campagne sur les OGM, une
technique mal contrôlée qui confine parfois au bricolage », le Monde, le 23 Août 2001.

230. Morin, Hervé, « Le papillon monarque aurait peu à craindre du maïs transgénique, de
nouvelles expériences contredisent les conclusions d’expériences précédentes », le Monde, 15
septembre 2001.

231. Morin, Hervé, « Les doutes s’accumulent sur l’innocuité du maïs transgénique », le
Monde, 26 Mai 1999.

490
232. Node-Langlois, Fabrice, « Soja modifié, banane-vaccin, fraise antigel L'Europe veut
encadrer les biotechnologies » le Figaro, n° 17035, 21 mai 1999.

233. OGM, « les milliards d’un business tabou », Newbiz, Dossier Spécial, Juin 2002, p.48-
69.

234. “Organismes génétiquement modifiés : la controverse”, Dernière Nouvelles d’Alsace,


N° 141 - Mercredi 17 Juin 1998.

235. Pelt, Jean-Marie et Séralini, Gilles-Eric, « Les OGM, oui mais pas à tout prix (ceux qui
se positionnent pour ou contre les organismes génétiquement modifiés se trompent de
débat) », Libération, 23 Juin 1999.

236. Perez Martine, « Les bienfaits des OGM se font attendre » le Figaro, n° 17841, 19
décembre 2001.

237. Perez Martine, Miserey Yves, « Etude d'impact des semences modifiées Le maïs
transgénique fatal aux papillons », Le Figaro, n° 1703 20 mai 1999.

238. Pollack Andrew, « Critics of Biotechnology Are Called Imperialists » the New York
Times February 4, 2001.

239. Pollack Andrew, « Scientists Are Starting to Add Letters to Life's Alphabet », the New
York Times, Jully 24, 2001

240. Pollack Andrew, « Top Limit Sought for StarLink Corn », the New York Times, April 24,
2001.

241. Rerat Alain, “La ‘malbouffe’, un amalgame trompeur”, le Figaro, n° 17754, 8


septembre 2001.
242. Schwartzenberg Roger-Gérard, « OGM : pour le droit à la recherche » le Figaro, n°
17744, 28 août 2001.

243. Tardieu, Vincent, « Les miracles des sorciers de la transgénèse végétale », le Monde,
3 Août 2000.

244. Tardieu, Vincent, « Polémique autour d’un riz transgénique enrichi en carotène », le
Monde, édition du 16 déc embre 2000.

245. Testart Jacques, « Les OGM, un vandalisme libéral », Libération, n° 6396, 7 décembre
2001.

246. « Une pétition dénonce les destructions d'essais d'OGM intervenues pendant l'été, Le
sujet déchire la communauté scientifique », le Monde, 18.09.03.

247. Zappi, Sylvia, « Voynet Dominique demande au gouvernement de « revoir sa position


» sur les OGM » le Monde, le 27 Mai 1999.

Ouvrages pro-PGM et Outils publicitaires des industriels

248. Agricultural Biotechnology in Europe, Crop Biotechnology: An Overview, Issue Paper


1, March 2002.

249. ABE, Crop Biotechnology and Food Safety, Issue Paper, 4 July 2002.

491
250. ABE, Promoting an open and informed dialogue, Public Attitudes to Agricultural
Biotechnology, Issue Paper 2, April 2002.

251. ABE, The Environmental Impact of Agricultural Biotechnology, Issue Paper 3, May
2002.

252. Agriculture and Biotechnology Strategies (Canada), (AgBios) Inc., Principles and
Practice of Environmental Safet Assessment of Transgenic Plants, Part No. AGBESAM-01-099B

253. CBI, Celebrating the 20 years of Plant Biotechnology, realizing the promise of
innovation, yesterday, today and tomorow. 2003.

254. CFS.GNISS.UIPP, le Livre Blanc des Plantes Génétiquement Modifiées, une clé pour
l’avenir, 1999

255. David, Greenberg, « Improving Communication About New Food Technologies, Public
confusion threatens to derail the marketing of new foods that can prevent or fight disease. »
in AAAS Science and Technology Policy Yearbook, Albert H. Teich, Stephen D. Nelson, Celia
McEnaney, Stephen J. Lita, editors, Committee on Science, Engineering, and Public Policy,
American Association for the Advanement of Science, 2001.

256. DEBA, Biotech Actu, Echange et information sur les biotechnologies végétales, journal
trimestriel, http://www.ogm-debats.com/deba.php

257. DEBA, « Biotechnologie et agriculture durable. », http://www.ogm-


debats.com/deba.php

258. DEBA, « OGM et santé… Parlons-en », Document du patient et Document Médecin.,


http://www.ogm-debats.com/deba.php

259. Dupont, Scientific summary and the Dupont perspective, source : www.dupont.com

260. GNIS (Groupement national interprofessionnel des semences et plants), « La


traçabilité des semences dans la filière céréale », http://www.gnis.fr/

261. Ingénieurs de la vie, La revue des Ingénieurs de l’INA P-G, n°459, « Un autre regard
sur les OGM », Mai, Juin 2002.

262. Monsanto “YieldGard: The Whole Plant The Whole Season,” 1999.

263. Monsanto Chief Executive Outlines Commitment on New Agricultural Technologies in


the New Monsanto Pledge, 2000.

264. Monsanto Company, 2002 Annual Report, Integrated businesses, Financial Focus,
Technology leadership. 2003.

265. Monsanto, Campagne d’information, paru dans la Presse Quotidienne (5 Publi-


rédactionnels), et dans les Magazines (4 publi-rédactionnels), 1999

266. Monsanto , Fulfilling our Pledge, 2000-2001, Progress on the new Monsanto Pledge,
Eco-efficiency, Environment, Safety, and Health.

267. Monsanto, New Monsanto Pledge, 1997

268. Biotech Crops Reducing Pesticide Use in the U.S. by Millions of Pounds Annually,
2001-2002,

492
269. Commitments to our Stakeholders, Monsanto Pledge ST. LOUIS (June 18, 2002),
Report www.monsanto.com

270. Pew Initiative on food and Biotechnologie, “ Three years later : genetically engineered
corn and the Monarch butterfly controversy ”, source, fichier pdf., www.whybiotech.org, août
2002

271. PEW initiative on food and biotechnology, Harvest on the horizon : future use of
agricultural biotechnology, septembre 2002

272. PEW initiative on food and biotechnology, Luca Bucchini, Ph.D. and Lynn R. Goldman,
M.D.,
273. MPH Food Allergy ; implications for genetically modified food , 2002

274. Plat, Jean-Claude, L’ayatollah du Larzac, Edition Dromadaire, 2002.

275. Wambugu, F.M.. Modifying Africa, How Biotechnology can benefit the poor and
hungry, a case study from Kenya, Nairobi, Kenya, 2001.

Ouvrages, articles, déclarations et outils publicitaires des ONG environementalistes

276. Apoteker, Arnaud, Du poisson dans les fraises, Notre alimentation manipulée, édition
la Découverte, Paris 1999.

277. Berlan, Jean-Pierre, La Guerre au vivant : organismes génétiquement modifiés et


autres mystifications scientifiques, Agone 2001.

278. Bove, José, Paysan du monde, Fayard 2001.

279. Boyens, Ingeborg, Les OGM : comment la science de l'industrie biotechnologique


altère secrètement nos aliments, Berger 1999.

280. Brian-Bouthiaux, Anne, OGM, Brevets pour l’inconnu, editions Faton, 2002.

281. Clark, E.Ann, Food « Safety Of GM Crops in Canada : toxicity and allergenicity »,
source, http://www.plant.uoguelph.ca

282. Dufumier, Marc, « Quelle recherche agronomique pour nourrir le Sud ? » L’Ecologiste
– Vol.4 N°2 – Juin 2003, p.20.

283. Epstein, Ron, « Redesigning the World: Ethical Questions about Genetic Engineering »
Revised version, 1998. http://online.sfsu.edu/~rone/OnlinePublications.htm

284. Fons, Christian, OGM : Ordre Génétique Mondial, l'Esprit frappeur, 2001.

285. Freese, Bill, « Final Comments for Submission to the Environmental Protection Agency
Concerning the Revised Risks and Benefits Sections for Bacillus thuringiensis Plant-
Pesticides » Docket No. OOP-00678B on behalf of Friends of the Earth September 21, 2001.

286. Genie genetique : des chercheurs citoyens s'expriment, appel des scientifiques et des
medecins, ouvrage collectif, Sang de la terre, 1998.

287. Greenpeace, « OGM : Suite aux actions de Greenpeace, Auchan avoue son inaction
! », communiqué de presse, www.greenpeace.fr du lundi 27 janvier 2003.

493
288. Greenpeace, Archives, www.greenpeace.fr

289. Greenpeace, Communiqué de presse, « Greenpeace dénonce le parti pris des


Académies de Médecine et des Sciences en faveur des OGM », Paris lundi 16 décembre 2002.

290. Greenpeace, Guide OGM, année 2002.

291. Greenpeace, Innovest strategic value advisor, Monsanto & Genetic Engineering: Risks
forInvestors, Uncovering Hidden Value Potential for Strategic Investors Report For
Greenpeace April 2003.

292. Greenpeace, Les secrets de la réussite pour une agriculture durable, Paris, 2001.

293. Ho, Mae-Wan and Joe Cummins, « Xenotransplantation: How Bad Science and Big
Business Put the World at Risk from Viral Pandemics », Third World Resurgence, 127/128,
2001, p.p. 46-55.

294. Ho, Mae-Wan, Genetic Engineering: Dream or Nightmare - The Brave New World of
Bad Science and Big Business" Gateway Books, 1998.

295. Ho, Mae-Wan, “Transgenic Transgression of Species integrity and Species Boundarie,
Transboundary Movement of Living Modified Organisms » Resulting from Modern
Biotechnology: Issues and Opportunities for Policy-Makers (K.J. Mulongoy, ed.) 1997, pp. 171-
193, http://www.psrast.org/wanho.htm

296. L’écologiste, OGM, Autorisation ou Interdiction ? Le gouvernement va choisir, un


enjeu vital, n°10, Volume 4, n°2, Juin, 2003.

297. Lappé, Marc, Ph.D. and Bailey Britt, « Against the Grain: Biotechnology and the
Corporate Takeover of Your Food », Monroe, Maine: Common Courage Press, 1998.

298. Lepage, Corine, « vache folle et OGM », www.crii-gen.org, 6/11/2000.

299. Levidow, Les and Murphy Joseph, « The Decline of Substantial Equivalence: how civil
society demoted a risky concept », Paper for conference at Institute of Development Studies,
Science and citizenship in a global context: challenges from new technologies’, p.p.12-13
December 2002.

300. Pelt, Jean-Marie, Plantes et aliments transgéniques, Fayard, 1998.

301. Perez, Jean-Claude, Planete transgenique : alerte rouge a l'herbe folle, Espace bleu,
1998.

302. Rissler, Jane, Mellon Margaret., Union of Concerned Scientists, « Comments to the
environmental protection agency on the renewal of bt-crop registrations », Docket OPP-
00678B September 10, 2001.

303. UCS : Appendix 2, « Benbrook IRM analysis New Science Shows that Current Bt-Corn
and Cotton IRM Plans will Not Significantly Delay Resistance to Bt-Based Pest Management
Technologies », Comments Submitted on Behalf of: Environmental Defense and The Union of
Concerned Scientists August 20, 2001

494
304. UFC Que choisir, numéro spécial sur « Les OGM cachés (80 produits analysés, 16
positifs. », Que Choisir, n°394, juin 2002 dans lequel on trouve une liste susceptible de
contenir des traces d’OGM.

305. Woitsch, Ingeborg, « Manipulating consciousness with advertising strategies e.g.


'biotech' instead of 'genetic engineering' », traduction anglaise d’un article qui a paru dans
Das Goetheanum - Wochenschrift für Anthroposophie No. 30, 26 July 1998, pp 441-443

Littérature philosophique et ouvrages critiques

306. Bourg, Dominique, Nature et technique, Essai sur l’idée de progrès, col. Optiques
Philosophie, Hatier, 1997.

307. Bourg, Dominique, L’homme Artifice, le Débat, Gallimard, 1996.

308. Bourg, Dominique, Parer aux risques de demain : le principe de précaution, Seuil,
2001.

309. Bremner, Moyra GE: Genetic Engineering and You, Harper Collins, 18 October 1999.

310. Bud, Robert, The Uses of life, a history of biotechnology, Cambridge University Press,
1993.

311. Dagognet, François, La maîtrise du vivant, Collection Histoire et Philosophie des


Sciences, Hachette, 1988.

312. Debru, Claude et Nouvel Pascal, Le possible et les biotechnologies, 2003, PUF.

313. Feltz, Bernard, La science et le vivant, Introduction à la philosophie des sciences de la


vie, collection Science, Ethique et Société, de boeck, Bruxelles, 2003.

314. Feltz, Bernard, « La nature en question », in Les OGM entre science, conscience et
croissance, revue de l’Université Catholique de Louvain, n°119, juin 2001.

315. Godard, Olivier, Le principe de précaution dans la conduite des affaires humaines,
édition de la Maison de la science de l’homme et INRA, 1997.

316. Gouyon, Pierre Henry, « Carte blanche à Pierre Henri Gouyon »,25/05/2003 -
Philosophie Société et éthique de la recherche en génomique- sur www.futura-sciences.fr

317. Gouyon, Pierre Henry, Les harmonies de la Nature à l’épreuve de la biologie, évolution
et biodiversité, INRA, collection Sciences en question, 2000.

318. Gros, François, La civilisation du gène, Hachette, 1989.

319. Gros, François, Les secrets du gène, édition du Seuil, Collection Science, 1986

320. Houdebine, Louis Marie, OGM, le vrai et le faux, éditions le Pommier-Fayard, 2000.

321. Jonas, Hans, La technique moderne comme sujet de réflexion éthique, in Marc
Neuberg : la responsabilité. Questions philosophiques. PUF, 1997.

322. Kourilsky, Philippe, La science en partage, Odile Jacob, 1998.

323. Kourilsky, Philippe, Les artisans de l’hérédité, Odile Jacob, 1987.

495
324. Larrère, Catherine, et Larrère, Raphaël, « Les OGM entre hostilité de principe et
principe de précaution », Courrier de l’environnement n°43, mai 2001, sur www.inra.fr

325. Lecourt, Dominique, « L’étrange fortune du principe de précaution. » Futura-Sciences


- Biologie et Génétique - 16/03/2003.

326. Lurquin, Paul E, The Green Phoenix: A History of Genetically Modified Plants.,
Columbia University Press, 2001.

327. Paillotin, Guy et Rousset, Dominique, « Tais-toi et mange ! » L’agriculteur, le


scientifique et le consommateur, Fayard Editions, collection Sciences et Société. 2000.

328. Rifkin, Jeremy, Le Siècle Biotech, édition la Découverte, Collection Pocket, 1998.

329. Salomon, Jean-Jacques, Survivre à la science.. une certaine idée du futur, Albin
Michel, 1999.

330. Sorman, Guy, Le progrès & ses ennemis, Librairie Arthème Fayard 2001.

331. Susanne, Charles, 1997, Les manipulations génétiques. Jusqu’où aller ?, De Boeck &
Larcier, 2e éd.

332. Teitel, Martin and Wilson, Kimberly, Genetically Engineered Food: Changing the
Nature of Nature. Forward by Ralph Nader. Park Street Press 1999.

333. Michel Tibon-Cornillot, Les corps transfigurés Seuil, 1992.

Sites Internet

334. http://confederationpaysanne.ouvaton.org/
335. http://europa.eu.int/comm/biotechnology/
336. http://foodfirst.org/
337. http://hdr.undp.org/
338. http://news.nationalgeographic.com/news/2001/03/0327_monarchs.html
339. http://pewagbiotech.org/
340. http://www.aaccnet.org/
341. http://www.abeurope.info/
342. http://www.academie-sciences.fr/
343. http://www.advantacan.com/
344. http://www.aebc.gov.uk/
345. http://www.agobservatory.org/
346. http://www.agriculture.gouv.fr/alim/ogm/welcome.html
347. http://www.agrobiosciences.org/
348. http://www.amgen.fr/
349. http://www.anth.org/IFGENE/articles.htm
350. http://www.assemblee-nationale.fr/rap-enq/
351. http://www.aventis-cropscience-france.fr/
352. http://www.basf.de/en/produkte/gesundheit/pflanzen/
353. http://www.bayercropscience.com/CS/CSCMS.NSF/ID/Home_EN
354. http://www.biogemma.com/
355. http://www.bio-scope.org/
356. http://www.biotech-info.net/
357. http://www.biotechknowledge.com/
358. http://www.biotech-monitor.nl/3004.htm

496
359. http://www.cast-science.org/
360. http://www.cnrs.fr/Strategie/grs/Societe.html
361. http://www.crii-gen.org/indexf.htm
362. http://www.cropprotection.org.uk/Content/home/Default.asp
363. http://www.developmentgateway.org/node/130622/
364. http://www.dowagro.com/fr/index.htm
365. http://www.dupont.com/biotech/
366. http://www.epa.gov/
367. http://www.epa.gov/pesticides/biopesticides/reds/brad_bt_pip.htm
368. http://www.ers.usda.gov/publications/aer810/
369. http://www.euralis.fr/
370. http://www.europabio.org/pages/index.asp
371. http://www.finances.gouv.fr/ogm/
372. http://www.foodtraceabilityreport.com/
373. http://www.futura-sciences.com/decouvrir/d/dossier223-1.php
374. http://www.genetics-and-society.org/newsletter/archive/17.html
375. http://www.genoplante.org/cgi-
376. http://www.gnis.fr/
377. http://www.greenpeace.fr/campagnes/ogm/index.php3
378. http://www.hsph.harvard.edu/bioethics/
379. http://www.infogmo.edu.pl
380. http://www.inra.fr/
381. http://www.inra.fr/expo-alimentation/
382. http://www.ipsos.fr/
383. http://www.ircm.qc.ca/bioethique/obsgenetique/index.html
384. http://www.isaaa.org/
385. http://www.ladocumentationfrancaise.fr/
386. http://www.leopold.iastate.edu/
387. http://www.lifesciencesarena.com/
388. http://www.limagrain.com/
389. http://www.lomborg.com/
390. http://www.monsanto.com/
391. http://www.monsanto.fr/
392. http://www.natural-law.ca/genetic/geindex.html
393. http://www.nature.com/nbt/
394. http://www.ncfap.org/pesticide.htm
395. http://www.nestle.fr/press/navs/nav_dossiers.html
396. http://www.novethic.fr/
397. http://www.ogm.org/
398. http://www.ogm-debats.com/index2.html
399. http://www.pioneer.com/france/default.htm
400. http://www.pnas.org/
401. http://www.ppi-far.org/ http://www.science-generation.com/index.xml?Cookie=set
402. http://www.recherche.gouv.fr/plan-innovation/default.htm
403. http://www.senat.fr/rap/r97-440/r97-440.html
404. http://www.sustain.org/biotech/pages/home.cfm
405. http://www.syngenta.com/
406. http://www.syngenta.fr/
407. http://www.thelancet.com/
408. http://www.uipp.org/
409. http://www.uky.edu/Agriculture/Entomology/entfacts/fldcrops/ef118.htm
410. http://www.usda.gov/
411. http://www.useu.be/Categories/Biotech/Index.htm
412. http://www.whybiotech.com/

497
INDEX DES NOMS

Académie Française, 393.


Apoteker, Arnaud, 102, 349, 386, 401.
Asilomar, 47-49, 302, 415, 451.
Assouly, Olivier, 452, 475.
Astra-Zeneca, 11, 41.
Aventis, 92-100, 184, 189, 335.
Becker, Wolf-Mienhard, 84-87.
Benbrook, 238-262.
Berche, Patrick, 124.
Bernstein, 98.
BIO (biotechnology industry organization), 269, 379.
Blankaert, Claude, 453.
Bourg, Dominique, 437-439, 463-464.
Borlaug, Norman-E, 31,
Bové, José, 50, 309, 317, 321-322, 351.
Boyer, H, 23, 26
Briand-Bouthaux, Anne, 75, 101.
Bud, Robert, 24, 47, 447, 459.
Buffon, 453-454.
Caplan, Richard, 118
Carpenter, J.E., 234.
Casse Francine, 104, 124, 132.
Courvalin, Patrice, 119-123.
Crick, 20.
Dagognet, François, 424-428, 434, 437-439, 456.
DEBA (Débat et Echange sur les Biotechnologies en Agriculture), 384.
Debru, Claude, 49, 286, 415, 428, 435, 439, 447, 451.
De Cheveigné, Suzanne, 308
Dell Chilton, Mary, 37.
Dufour, François, 10.
Dufumier, Marc, 444-446.
Dupont, 90-93.
Duval-Iflah, Yvonne, 111.
EPA (Environment Protection Agency), 180-221.
Ereky, Karl, 25.
Eurobaromètre, 14, 290-294.
FAO-OMS, 62, 74, 84, 106.
FDA (food and drug administration),51, 88, 99, 123, 365.
Feltz, Bernard, 422, 459.
Flavr SavrTM, 41.
Focus group, 289, 294-302.
Gendel, Steven, 88-92.
Genentech, 26.
Gianessi, Leonard, 232, 237, 242, 253-261.
Gouyon, Pierre-Henry, 414.
Greenpeace, 315, 321, 326, 385-410.
Gros, François,21, 464.

498
Hamann, Clauss, 135, 412.
Hansen, Michael, 87-90.
Hellnich, Rick, 334.
Ho, Mae-Wan, 114-118, 136, 412, 449-450.
Horsch, 119.
Houdebine, Louis-marie, 29, 177, 430, 439.
IFBC/ILSI, 80.
ISAAA (International service for acquisition of agri-biotech application), 225, 273, 274-277.
Joly, Pierre-Benoît, 303, 329, 385.
Jonas, Hans, 161-162, 168, 470
Kahn, Axel, 124.
Kempf, Hervé, 61, 133, 334.
Kenya, 263, 275, 373.
Kourilsky, Philippe, 14, 26, 156, 163-167, 305-307.
Lancet, The, 137.
Larrère, Catherine et Raphaël, 156, 161-162
Le Buanec, Bernard, 32, 35.
Le Déaut, Jean-Yves, 154.
Les Levidow, 59-60.
Limagrain, 41.
Livre Blanc (CFS, GNISS, UIPP), 230, 265, 377.
Losey, John,192, 196-205.
Marchant, Robert, 14, 304-305.
Ménessier, Marc, 339,
Metcalfe, (arbre décisionnel de), 83.
Millestone, 67-71.
Monarque (l’affaire du papillon),196-221, 328-341.
Monneret-Vautrin, 105-107.
Monsanto, 42, 82, 94, 132, 356-385.
Nordlee, Julie, 82.
Obrycki, John, 334
Paillotin, Guy, 169.
Palmiter, 30.
Pascal, Gérard, 63-67.
Pelt, Jean-Marie, 17, 53, 75, 128, 158, 385, 399, 419-422.
PEW initiative on biotechnology, 45, 201.
Portrykus, Ingo, 345.
Pusztai, Arpad, 136-150.
Queeny, John Francis, 356.
Rifkin, Jeremy, 48, 416-422, 449.
Rosset, Peter, 267-283.
Royal Society, 140.
Sanford, J., 39.
Schell, Jeff, 36-37.
Schubbert, 110.
Séralini, Gilles-Eric, 43, 77, 128, 133, 137, 335, 412-417, 428.
Shapiro, Bob, 357-358, 364.
Siebel, Emil, 24.
Simondon, Gilbert, 460-464.
Syngenta (ex.Novartis), 351.
UCS (union of concerned scientist), 190, 220, 257, 261, 329.
Veldhuyzen Van Zanten, J.E, 33

499
Veron, Eliséo, 309
Von Montagu, Marc, 36-37.
Wahl, Jean-Marie, 77.

INDEX DES CHOSES

ADI (acceptable daily intake), 67.


Adn-t, 37-38, 119
Agrobaterium Tumefaciens vs. Agrobactérie, 31, 35-40, 119, 127, 431.
Alceste (logiciel), 311.
Allergie, 70-108, 138, 150.
Antibiotiques, 118-137.
Apprentis sorciers, 20, 404.
Arbres décisionnels, 80-87.
Balance risques-bénéfices, 219-285.
Biolistique (transformation par), 39, 118, 442.
Brazil Nut (transgen of), 82.
Bricolage, 20, 322-323, 338, 428.
Bt, 169-221, 238-262, 277, 282, 285, 324-34, 361.
Chimères, 116, 456-457.
Codex Alimentarius, 79.
Conférence citoyenne,
Contrat de lecture, (le), 309-311.
Coton Bt,
Cry9C (protéine)
DBPCFC (Double Blind Placebo Controlled Food Challenges)
EAAM (Eight Amino Acid Match), 84-89.
Equivalence en substance (Principe d’), 62-70, 150-152.
ESB vs. Vache Folle, 11, 53-55, 61, 145, 169, 299, 310, 319, 408.
Electroporation (des protoplastes), 39.
Escherichia coli, 37, 121
Haploïdisation, 34.
Hybridation interspécifique, 34, 453.
Hormone 17β-œstradiol, 56-57
In planta (transformation), 38.
IRM (Insect Resistance Management), 181.
IgE, 79, 82, 85.
Maïs Bt, 169-
Marqueur (gène), 110, 116-119, 123-130
Moratoire, 8, 47-48, 51, 61, 118, 157, 175, 218, 317, 324, 333, 361-362, 411.
Principe de précaution, 152-169.
Pyrale (la), 42, 94, 171-175.
Résistance aux antibiotiques (gènes de),
Résistance à la pyrale,
Risque avéré, 149-152, 177, 193, 218, 319, 427
Risque potentiel, 14, 55, 108-109, 117, 126, 131, 152, 158, 160, 180, 218, 319, 352
Risque zéro, 93, 113, 156, 285-286, 473.
Riz doré, 341-354.
Roundup,226, 252, 357.
Sélection classique, 36, 125, 135.
Soja RR, 359, 383, 448.

500
Somatostatine, 26.
StarlinkTM (affaire), 93.
SV40 (virus), 23, 37.
Thérapie génique, 28-29.
Transformation directe (méthodes de), 39-40.
Transgenèse, 36-40, 440-452.
Zymotechnologie, 24.

501

Vous aimerez peut-être aussi