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Laurent CHEVALLEREAU

M. M. Ghouirgate
LLCE Arabe (Semestre 1)
Université Bordeaux Montaigne

Les Premières Conquêtes Musulmanes

Un an après la mort du Prophète Muhammed (632), les premiers musulmans sortent des
déserts d'Arabie et réalisent des avancées fulgurantes. Après l'Empire romain d'Occident aux IV et
Vème siècles, c'est donc à Byzance d'être agressée par des percées nomades. Dans la foulée, les
bédouins sont vainqueurs des Perses et précipitent la fin de l'Empire Sassanide (224-651). Ces
victoires musulmanes contre les deux empires dominants de la région est d'autant plus étonnante
que les troupes ennemies sont souvent plus nombreuses et mieux organisées, et que les arabes
étaient jusqu'à peu divisés par des querelles tribales incessantes.

L'oeuvre du Prophète, en proposant aux arabes un horizon commun, est en partie responsable de
cette sortie réussie. En moins de 30 ans, les califes bien-guidés (Rashidun)1 ont non seulement
établi le califat sur le territoire de l'ancien Empire Perse ; mais ont aussi privé l'Empire Byzantin de
la Syrie-Palestine et de l'Egypte.

La rapidité de l'entreprise musulmane nous questionne sur les causes d'une telle réussite
expantionniste, réalisée malgré des désavantages militaires majeurs.

Si une lecture religieuse voit d'abord dans les conquête l'expression de la volonté divine, cette
courte étude s'intéressera surtout aux conditions matérielles de l'expansion arabe, sans exclure
l'importance de l'élément moral dans la conduite des opérations. Par la même, la place de la
guerre et de l'expansion de l'Islam dans le Coran ne feront pas l'objet de commentaires
approfondis.2

Il ne s'agira pas non plus d'étudier les batailles ayant eu pour but d'unifier la Péninsule arabique
(sous Mahomet et Abu Bakr), mais bien de s'intéresser à l'expansion musulmane en dehors de
celle-ci. La période couverte ira de 633, début de la campagne d'Irak par Khalid ibn al-Walid, à 661,
mort d'Ali ibn Abi Talib. Mettant l'accent sur les oppositions avec les ennemis extérieurs, cette
brève étude pourra se référer ponctuellement aux conquêtes omeyyades (661-750), mais ne
reviendra pas sur les guerres intestines liées à la succession d'Uthman ibn Affan.

Plutôt que de proposer un suivi chronologique et exhaustif des conquêtes, on s'intéressera d'abord
à leur cadre naturel, le désert, avantageant les guerriers bédouins portés par l'Islam et la promesse
d'un enrichissement rapide (I) ; pour ensuite sur pencher sur l'état des forces régionales,
historiquement favorable (II) ; sans oublier l'importance d'un stratégie politico-militaire évolutive
(III).

1 Le calife, ou « substitut » du Prophète, est le commandant spirituel et politique de la communauté


musulmane après sa mort.
2 Sur ce sujet, on pourra se réferrer aux Principes de la stratégie arabe de Jean-Paul Charnay (Editions
de l'Herne, 2003), qui s'appuie largement sur les oeuvres d'Al-Bokhari (810-870) et d'Al-Muttaki (1477-1567)
I. La sortie des tribus arabes favorisée par l'environnement désertique et l'apparition d'un
horizon commun

Dans son introduction à l'Histoire (Muqaddimah), Ibn Khaldoun (1332-1406) définit les
éléments caractérisant les nomades, opposés aux peuples sédentaires. Dans une description
nostalgique de l'idéal bédouin, il explique que les nomades, obligés d'assurer leur propre défense
dans un environnement hostile, constituent une élite guerrière.3 Cette description inscrit les
arabes dans l'ensemble plus vaste des peuples nomades de la steppe d'Asie centrale qui ont
perturbé le monde eurasiatique entre les IVè et XIVè siècles. L'historien-sociologue décrit donc la
tendance des nomades à sortir de leurs terres pour s'emparer des richesses des populations
sédentarisés. S'appuyant sur leur connaissance des armes et du terrain, ils prennent souvent
l'avantage sur ceux-ci, « devenus comme des femmes et des enfants ».4 En effet, les populations
des provinces grecques et persanes investies par les arabes sont souvent démilitarisées et
dépendent des forces impériales pour se défendre : elles ne leur opposeront pas de résistance et
faciliteront même leur progression. On peut voir dans la nature farouche et l'habileté au combat
des nomades, souvent mis en avant dans la littérature historique arabe, un premier élément
explicatif de leur succès.

Cet avantage lié au caractère des arabes est certainement amplifié par le milieu désertique dans
lequel ils évoluent. Leur capacité à s'y établir et à y survivre leur permet d'abord de projeter leurs
forces efficacement (et plus tard à migrer). Leurs adversaires ne pouvant les poursuivre dans le
désert, celui-ci leur offre une capacité de repli décisive. La bataille de Yarmouk illustre l'importance
de l'exploitation du désert comme base arrière (cf. II). Similairement, les troupes arabes sont
particulièrement mobiles : l'utilisation du chameau leur permet de parcourir de longues distances
rapidement et avec un chargement important. Les premières opérations au Nord de la péninsule
sont d'ailleurs des razzias, mode d'action privilégié des bédouins basé sur la rapidité et la surprise.
Ces opérations ponctuelles permettent aux arabes d'amasser du butin et de poursuivre les
incursions. Le front mésopotamien mené en 633 par Khalid ibn al Walid, général privilégié d'Abu
Bakr al Siddiq, suit cette logique d'avancées rapides. Celles-ci seront toutefois succédées par
plusieurs défaites après qu'al Walid ait été obligé de rejoindre le front syrien. Le siège de Damas en
635 peut être considéré comme la fin de la phase des razzias et le début de la phase de conquête,
à partir de laquelle les forces arabes vont s'établir dans des bases avancées. Situées à la limite du
déserts, ces amsar vont accueillir des contingents qui serviront à poursuivre l'expansion (cf. III).

Si les arabes s'installent, ils continuent de s'appuyer sur leur rapidité pour surprendre leurs
adversaires, trompés par des déplacements de troupes ou des feintes de repli (cf. II). La maitrise du
désert permet finalement de collecter du renseignement et d'assurer les lignes de communication.

Preuve de l'importance de l'environnement et de l'avantage conféré par le désert, les avancées


arabes ont souvent été ralenties par les défenses naturelles exploitées par leurs adversaires (l'arrêt
des troupes arabes aux pieds du Taurus en 638 en est un exemple).

3 On peut souligner que dans sa description de l'antagonisme entre nomade et sédentaire, moteur de l'Histoire, Ibn
Khaldoun écarte l'idée d'une disposition naturelle et explique que « l'Homme n'est l'enfant que des choses
auxquelles il s'est habitué ».
4 Marqué par les invasions turque (prise de Jérusalem en 1078) puis mongole (prise de Damas en 1258), l'historien
exprime l'idée d'un déclin arabe, conséquence de l'urbanisation.
Gérard Challiand (cf. bibliographie) reprend l'idée d'une opposition historique entre nomades et sédentaires. Face
à l'Histoire, il tire cependant une conclusion différente, selon laquelle « les foyers sédentaires, fondés autour de
fleuves ou d'oasis finissent, à la longue, par triompher. »
Autre caractéristique essentielle des bédouins d'Arabie, l'assabiyya, liant de la première
institution humaine qu'est la tribu. Dans une société du lignage (nasab) et où l'honneur alimente
des conflits perpétuels, la solidarité tribale constitue un garant de la survie, protège l'individu.

L'Islam, qui vient se greffer à la tribu, en amplifie l'esprit de corps : avec le jihad, combat sur le
chemin de Dieu, le Prophète insuffle aux arabe un élan de conquête. De la même manière, la
notion de chadid, ou martyr de la foi, encourage les vertus sacrificielles des mujahidin, leur
promettant des récompenses célestes. S'il serait hasardeux d'évaluer l'incidence réelle de la foi
musulmane sur l'issu des batailles menées par les nouveaux convertis, elle a certainement joué un
rôle disciplinaire dans plusieurs domaines : le respect de règles fixes, le refus de la loi du Talion, la
répartition du butin, la consommation d'alcool etc. On peut considérer que guerre et religion sont
venues en renfort l'une de l'autre, la première soudant les soldats dans l'Islam, qui en retour a créé
de la solidarité. Dans ce contexte, le prestige des califes Abu Bakr et 'Umar (et par extension de
leurs généraux), relais politique et religieux de l'autorité du Prophète, ont problablement eu un
impact positif sur le moral des troupes, élément décisif lors d'affrontements violents.5

Il convient toutefois de rappeler que les premières troupes sorties des territoires arabes étaient
constituées de tribus qui poursuivaient surout l'espoir d'une prospérité nouvelle, et conservaient
une conception concrète et personnelle de l'autorité. Ainsi malgré la présence d'un horizon
commun (basé sur le salut et sur la perspective d'un enrichissement rapide), les bédouins arabes
reconnaissent difficilement le pouvoir central de Médine. De même communion n'est pas
synonyme de cohésion, surtout en matière militaire ; c'est d'autant plus vrai que les premières
conquêtes étaient en partie animées par des arabes non-musulmans, pour qui l'appartenance
tribale était primordiale.

Associé à la bravoure des arabes, le cadre désertique représente donc un premier


avantage, mais peut-être pas suffisant compte tenu de l'indiscipline des troupes. Le contexte
historique va alors être un atout précieux, que les leaders musulmans sauront mettre à profit.

5 Domaine dans lequel les chefs militaires jouent un rôle déterminant (cf. infra)
II. Le désavantage militaire arabe largement compensé par une conjoncture extérieure
favorable

Au début du VIIème siècle, les bédouins d'Arabie ne disposent pas d'une autonomie
matérielle ou stratégique. Par conséquent, leur organisation et leur armement s'inspirent
fortement de ceux des empires voisins : l'Abyssinie au Sud, Byzance et Ctésiphon au Nord. Les
proto-Etats arabes situés en périphérie de ces ensembles politiques (principalement Ghassan et
Hira, cf. infra), relayaient le savoir militaire.

Les forces arabes, suivant la domination de la cavalerie encourant depuis les invasions
germaniques, s'appuient largement sur le chameau (puis le cheval après la chute de l'Empire
perse). L'infanterie, comme ses contemporaines, est organisée autour de la pique, du glaive, et des
armes de jet (arc et fronde). L'armée arabe, imitant encore ses ennemies, progresse en bataille
rangée. Celle-ci est composée de cinq ensembles : l'avant-garde, le centre (où se tient le chef), le
flanc droit, le flanc gauche, et enfin l'arrière-garde.6

Au début des conquêtes, les forces arabes sont toutefois moins bien fournies que leurs
homologues, que ce soit en nombre de montures ou en qualité des armements.78 Ce déficit se
retrouve également dans l'organisation militiaire à proprement parler, dont la base reste la
structure tribale, source d'indiscipline comme évoqué plus haut. De plus, la chaîne de
commandement des premières troupes arabes était vraisemblablement floue, définie selon les
circonstances.9 Autre déficit à prendre en compte, le volume des troupes. Malgré les alliances, les
forces bédouines combattant les empires perse et byzantin étaient plus modestes que celles de
leurs adversaires. En guise d'exemple, Al Tabari rapporte qu'à Qadisiyya, 35 000 arabes ont fait face
à plus de 100 000 perses (et leurs éléphants).

Si les arabes étaient désavantagés face à des empires habitués à faire la guerre, le contexte
géopolitique du début des conquêtes va largement les aider. En 633, les grandes puissances rivales
de la région, l'Empire Sassanide et l'Empire Byzantin, sont affaiblies par des conflits extérieurs et
intérieurs. En 602, les troupes de Khosrau II avaient profité du meurtre de l'empereur Maurice
pour conquérir la Syrie, l'Egypte et une partie de l'Anatolie. En 610, l'empereur byzantin Héraclius
(auteur du fameux Strategikonoi) entame la reconquête et finit par défaire les Perses lors de la
bataille de Ninive en 627. Ce dernier épisode de la guerre perso-byzantine ébranle profondément
la monarchie sassanide (à la tête de laquelle se succèdent plusieurs rois et reines au règne
éphémère), et souligne les faiblesses de l'emprise romaine dans ses provinces méridionales.

Ainsi les Ghassanides, des arabes chrétiens monophysites, combattaient pour l'Empire byzantin.
Situés à la périphérie du territoire impérial, ils servaient de glacis défensif contre les intrustions
extérieures. Ils étaient toutefois harcelés par l'Eglise orthodoxe, qui chassait les hérésies. A ce
problème religieux s'ajoute celui du paiement du solde des combattants arabes, que l'Empire,

6 cf. Les guerres et méthodes de combat pratiquées par les différents pays d'Ibn Khaldoun. Plus tard, les armées
arabes adopteront la technique d'attaque et de repli, basée sur une ligne fixe à l'arrière vers laquelle peut se
rabattre la cavalerie.
7 cf. Mobiliy of the Arab Armies, p. 111 à 114.
8 Challiand avance toutefois que la qualité de l'armement n'a pas joué un rôle majeur dans l'issue des affrontements
jusqu'à la généralisation du feu au XVIIIè siècle (p. XXIX, introduction)
9 cf. Yarmouk 636 AD – Muslim conquest of Syria, p. 31-32.
financièrement diminué par la reconquête, a le plus grand mal à honorer.
La tribu arabe des Lakhmides dans la région d'Hira (à l'Ouest de l'Euphrate), vivant sous
domination perse, s'était quant à elle révoltée contre l'Empire après que le roi Lakhmide, empreint
d'émancipation, ait été tué par Khosrau II. Suite à la mort de ce dernier en 628, les Lakhmides ont
gagné en indépendance vis-à-vis de la tutelle sassanide. S'ils combattent d'abord les troupes de
Khalid ibn Walid (bataille d'Hira en 633), ils se rallient ensuite aux conquêtes, pour lesquelles leur
connaissance du terrain et leur capacité à collecter du renseignement constitueront un atout. Le
ralliement de ces deux tribus majeures, même s'il était motivé par des raisons pragmatiques,
poursuit bien le processus d'unification arabe entamée par Muhammed.

Face à des troupes ennemies fatiguées et découragées, le leadership musulman a


certainement permis de dépasser le déficit organisationnel des troupes. Les historiens arabes font
une large part aux généraux dans les victoires obtenues. Khalid ibn al-Walid, 'Amr ibn al As, ou plus
tard Uqba ibn Nafi (neveu du second), musulmans de la dernière heure issus de l'élite mécquoise,
ont été amenés à prendre la plupart des initiatives tactiques lors des opérations. Isolés du centre
en l'absence de moyens de communication efficaces, ils ont du organiser tant bien que mal les
énergies bédouines et sont certainement responsables de victoires militaires décisives.

Les califes Abu Bakr, 'Umar et plus tard Mu'awiyya se sont quant à eux illustrés par leur influence
stratégique. En 636, alors que les forces arabes sont engagées sur les fronts syrien et irakien, 'Umar
gagne du temps en entamant des pourparlers avec les Perses. Parallèlement, il envoie des renforts
en Syrie qui poussent les byzantins à attaquer les troupes arabes, bien installées à Yarmouk. Après
avoir défait les Romains, il ordonne à Abu Ubaydah d'envoyer des renforts à Qadisiyyah, qui feront
pencher la balance en faveur des musulmans.

Après les victoires militaires, le califat a su tirer partie des faiblesses ennemies pour
s'installer durablement et surtout pour poursuivre les conquêtes.
III. La poursuite des conquêtes conditionnée à des changements en profondeur

L'entreprise expantionniste va amener de nombreux changements dans la stratégie arabo-


musulmane, tant dans l'organisation administrative et militaire que dans de la gestion des
populations non-arabes.

L'autorité califale s'établit sur les terres conquises à partir du moment où les bédouins cessent de
s'appuyer exclusivement sur la razzia et investissent ces nouveaux territoires. Les avancées
s'accompagnent de grands mouvements migratoires, associés à la mise en place d'un système de
gouvernance qui va servir de relai au pouvoir central et permettre d'étendre les conquêtes. C'est
grâce à ce tournant stratégique que les conquêtes musulmanes, dont la vitesse rappelle à certains
égards celles d'Alexandre le Grand, permettront la diffusion et la pérennisation de la culture arabo-
musulmane.

Le second calife, 'Umar ibn al Kittab, met en place un appareil politico-administratif qui reprend les
mécanismes impériaux qu'il remplace : il préserve l'usage des langues vernaculaires et de la
monnaie (épargnées jusqu'à la réforme d'Abd al Malik 50 ans plus tard), réemploie les
fonctionnaires byzantins chargés de la collecte des impôts. L'occupation musulmane, qui accepte
l'hétérodoxie, soulage les populations locales de l'oppression religieuse et se montre tolérante vis-
à-vis des gens du Livre (ahl al Kitab), qui se voient reconnaître des droits en échange du versement
de l'impôt par capitation (djizya). Les arabes n'organisent donc pas de conversions forcées (qui
amputeraient les recettes fiscales), et allègent le poids de la fiscalité. Dans les terres conquises par
accord (suhl), où les propriétaires terriens conservent leurs biens, est mise en place une taxe
foncière (kharadj). Les musulmans, auxquels il était possible d'acheter les terres d'Etat (souvent
acquises lors des redditions forcées, unwa), participaient aussi à l'effort fiscal en s'acquittant d'une
partie des taxes foncières ('ushr). Les structures de domination des ennemis grec et perse ont donc
largement servi les arabes, qui ont su les réutiliser pour s'installer durablement. Conséquence
inverse de ce phénomène, les conquêtes et leur consolidation seront plus difficiles dans les régions
où le pouvoir politique est diffus, comme en Asie centrale et à l'Ouest de Carthage.

Comme évoqué plus haut, le pouvoir califal a également établi des amsars pour étendre son
champ d'action. Kufa et Bassora en Irak, Fustat en Egypte, et plus tard Kairouan en Tunisie vont
permettre aux califes d'imposer leur autorité et de poursuivre les conquêtes. Les gouverneurs de
province (walis) y sont responsables de la préparation des armées, de la gestion de leurs finances
et de leur envoi au combat, ainsi que de la redistribution des butins (basée sur le diwan). Les
arabes sécurisent désormais les axes caravaniers et facilitent l'enrichissement par le commerce,
leur permettant d'organiser un transfert de richesses moins brutal.

Ce processus de sédentarisation, largement décrit par Ibn Khaldoun, va en quelques générations


transformer en profondeur le mode de vie de la plupart des arabes. Ceux-ci devront se définir en
dehors de leur environnement naturel, et surtout légitimer un pouvoir institutionnalisé. 'Uthman
aura plus de difficultés à accomplir cette mission que ses prédécesseurs, en conséquence de quoi
son règne marquera une pause dans les conquêtes. Alors que son meutre va porter atteinte à la
fonction de calife, Mu'awiyya par son génie politique parviendra à rallier les arabes derrière le
projet d'expansion et mettra en place une véritable monarchie arabe.
Le défi maritime est un bon exemple des évolutions stratégiques qu'a connu le califat, par
lesquelles les arabes ont dépassé leur cadre originel pour s'adapter aux besoins des conquêtes. Au
IXè siècle, Al-Bokhari rapporte qu'Amr ibn al-As, à qui 'Umar demande de lui décrire la mer, se
montre réticent face à cette « grande créaure à la surface de laquelle naviguent […] de faibles
créatures ». Sous l'impulsion d'Abdallah Ibn Saad -premier gouverneur d'Egypte et remplaçant
d'Amr-, le désavantage initial d'accès à la mer va être rapidement surmonté. En 655 la flotte arabe
défait la flotte byzantine, ouvrant la voie à plusieurs siècles d'affrontements maritimes entre
chrétiens et musulmans. En 673, les romains inventeront le feu grégois pour contrer les vaisseaux
arabes et tiendront en échec les deux sièges de Constantinople (674-678 puis 717-718).10 La mer
restera toutefois un moyen d'action privilégié lors de la conquête des régions proches des côtes,
comme c'est le cas du Maghreb (à partir de la deuxième invasion en 665) et de l'Espagne (à partir
de 711).

Plus en avant, le califat sera irrémédiablement interrogé sur la place des populations
conquises dans la communauté musulmane, et de leur rôle dans les opérations militaires.
Cherchant à maintenir l'éllite arabe au pouvoir, les dirigeants arabes n'ont dans un premier temps
pas favorisé les conversions. Mais si les forces musulmanes étaient à l'origine exclusivement
arabes, l'épuisement du réservoir démographique de la péninsule va forcer l'implication de
musulmans non-arabes (mawalis) dans les conquêtes. Sous le califat Omeyyade, Damas associera
donc des bédouins -anthropologiquement proches des arabes- à ses conquêtes. A l'Ouest, les
berbères jouent un rôle essentiel dans la conquête d'Al-Andalus, alors que les nomades d'Asie
centrale islamisés (du Khorassan principalement) achèveront la poussée musulmane vers l'Indus.
Toutefois, ils touchent un solde inférieur aux combattants arabes et sont relégués socialement. De
plus en plus nombreux, ils trouveront au travers du chiisme une expression de leur
mécontentement et participeront à la chute du califat omeyyade.

Bien qu'irrémédiablement liées à la constitution d'un empire, ces évolutions sont décrites
par Ibn Khaldoun comme un métissage à l'origine du déclin de l'idéal arabe. C'est pourtant bien la
capacité d'un pouvoir impérial à se faire accepter par ses sujets et à les associer à son projet -
notamment via le soft power- qui détermine sa longévité.

10 A la fois maritime et terrestre, ce second échec aura de lourdes conséquences pour le califat, qui subira alors un
ralentissement général des conquêtes.
Conclusion

Les qualités morales et guerrières des tribus Arabes -unies sous un leadership religieux et
portées par des perspectives d'enrichissement- a fait leur force face à des troupes ennemies
diminuées ; mais aussi leur faiblesse en ce qui concerne leur discipline. Leur unification sous
l'autorité politico-religieuse de Médine intervient au bon moment et sait tirer profit de l'avantage
conféré par l'environnement désertique. Par ailleurs, l'élan matériel et spirituel animant les
bédouins saura être suivi d'un réalisme politique par lequel seront établis des relais de pouvoir
efficaces.

Les changements imposés par les conquêtes représentent autant de défis auquels l'autorité
centrale sera confrontée, résumés par Jean-Paul Charnay : « des siècles durant, les armées arabes
durent combiner trois éléments en partie contradictoires : les modes et valeurs de guerre de
l'Arabie préislamique, la pulsion justificatrice insufflée par la religion islamique à la guerre des
croyants (le jihâd), l'institutionnalisation du soldat. »11

Mais ce sont bien les divisions internes qui mineront les efforts des arabes : bien que l'autorité
califale ait été rétablie par Mu'awiyya après 661, les divisions liées à l'accès au pouvoir sous
'Uthman et 'Ali continueront d'affaiblir l'entreprise musulmane. En outre, l'incapacité des
Omeyyades à répartir les dividendes des conquêtes provoqueront la fin de leur dynastie. Plus tard,
c'est l'influence des peuples non-arabes, non-étangère à la grandeur du califat Abasside, qui sera à
l'origine de sa disparition.

Bibliographie

Challiand, Gérard. 1990. Anthologie Mondiale de la Stratégie. Bouquins, Robert Laffont.

Charnay, Jean-Paul. 1983 Principes de la Stratége Arabe. Editions de l'Herne.

Hill, D.R. 1963. The mobility of Arab armies in the early conquests. Duhram theses, Duhram
University.

Nicolle, David. 1998. Yarmuk AD 636 - Muslim Conquest of Syria. Osprey Publishing.

11 « Monde arabe » dans Dictionnaire d'art et d'histoire militaires, PUF, 1988.

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