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LA VENDE A L'ÉCRI1URE

1976

J%Slf
'~
Au commencement, j'aiado~ Ce que j'adorais était
humain. Pas des personnes;--pas des totalités, des etres
dénommés et délimités. Mais des" siSn~ Des clins ':/' i,_
d'ètre qui me frappaient, qui m'iÌìCendiaient. Des
fulgurations qui venaient à moi : Regarde! Je
m'embrasai. Et le signe se retirait. Disparaissait.
Cependant que je brùlais et me consumais entièrement.
Ce qui m'arrivait, si puissamment lancé depuis un corps
h~n, c'étaft ~,~il y av~t ~,vi~e, tous l~s(. __ ~/
mysteres y etalent- Inscnts, gardes, J etals devant, Je·
pressentais qu'il y avait un au-delà, auquel je n'avais pas
accès, un là sans limites, le regard me pressait,
m'interdisait d'entrer, j'étais dehors, dans un guet
animal. Un désir cherchait sa demeure. J'ètais ct~éS~ >,~,~
J'étais la questiono Etrangeté du destin de la quesfioo:' (
chercher, poursuivre les réponses qui la calment, qui
l'annulent. Ce qui l'anime, la lève, lui donne envie de se
poser, c'est l'impression que l'autre est là, si proche,
existe, si loin, qu'il y a, quelque part, au monde, une
fois passée la porte, la face qui promet, la réponse pour

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ENTRE L'ÉCRITURE LA VENUE A L'ÉCRITIJRE
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Iaquelle on continue à se mouvoii, à cause de laquelle qu'il


on. ne peut se reposer, pour l'amour de laquelle on se
retJ.ent de renoncer, de se laisser aller; à mourir. Quel
malheur pourtant, s'il arrivait à la question de n'e:stAi,as lif condition Non.
rencontrer sa réponse ! Sa fin !
Iai aImé. l'ai eu peur. l'ai peur. A cause de la peur,j!i
. l'ai adoré le Visage. Le sourire. La face qui fait mon renfOIcé l'amour, toutes TeSTorcesCfé-Ja Vie -Te Tes ai
jOur et ma nuit. Le soucire me tenait en respect, en afui~es,,'JaraiiiièTam<iilI.aw:aerame~eLCk.~~~<?~"t_~
extasC;. ~ terreur. Le monde édifié, éclairé, anéanti par pour empécher la mort de gagner. Aimer: garder en
~ frelDlssement de cette face. Ce visage n'est pas une vie: nommer.
metaphore. Face, es~ace, structure. Lieu de tous les Le visage primitif a été celui de ma~ face
visagesqui me donnént-ruussances, détlenneitCmes·vies. - pouvait à volonté me d?nner la vue, ~ vie: me .~e~
re l'ai vu, je l'oli lu, jeTai oontemplé, à niY perdre.- retirer. A cause de la passlOn pour le prelDler VIsage, Jai
Combien de faces pour le visage? Plus d'une. Trois longtemps attendu la mort de ce cOté. Je gardais ma
q~tre, inais ioujours l'unique, et l'unique toùjolirs pl~--­ mère à vue, avec la férocité d'une bète. Mauvais calcul.
d'une. Sur l'échiquier, je couvais la dame ; et c'est le roi qui est
. ~e l':u tu : le vi~~ siggiflait._ Et cha'llle signe tombé. .
I?diq\lalt un nou\Teau_At~n._A suivre, pour Berire: pour ne pas laisser la piace au mort, pour
s approcher du senso Le Visage me soufflait quelque faire reculer l'oubli, pour ne jamais se Jaìsser surprendre
chose, me parlait, m'appelait à parler, à déchiffrer tous par-fàOfme. Pour ne jamais se résigner, se consoler, ~e
les norns qui l'entouraient, l'évoquaient, l'effleuraient le retoumer dans son lit vers le mur et se rendortnlr
faisaient apparaitre. li rendait les choses visibles' et comme si rien n'était arrivé; rien ne pouvait arriver.
lisibles; comme s'il était entendu que meme si la Peut-ene n'ai-je jamais écrit ue ur obtenir la
lumière s'éloignait, les choses qu'elle avait éclairées ne gràce u lsage. cause de la disparition. Pour
disparaitraient pas, ce qu'elle avait touché resterait, ne affronter sans cesse le mystère, celui du là-pas-là. Celui
cesserait pas d'ene ici, de briller, de se donner encore à j'4u=vi~lbk et kr~nvisible. Po~ lutt~tre ~ 10TIitii ,-;J _ ' "
prendre par le nom.
.-dit: «Tu ne te feras pas d lmage taillee, DI aucune ,---//cd()I;>~C
Dès que fai vécu, je m'en souviens avec une douleur i figure de ce qui est en haut dans le ciel ou de ce qui est
ql!i ne diminue pas, j''!i-tremblé; j'ai craint la : en bas sur la terre, ou de ce qui est dans les eaux, ou de
(~~.; fai ~out~ lam0It:je la voyais à l'oeuvre, : ce qui est en dessous de la terre.» Contre Fédit
je devIDaIs sa jalousle, sa constance, et qu'elle ne (, d'aveug\ement. l'ai souvent perdu la vue-:-et--JC---Ile.--
laisserait rien de vivant lui échapper. Je l'ai vu blesser, finirai pas de me tail.ler l'image,! Mon écriture regarde. ,
~ser, dif!.gurer, _massacrer, dès que mes yeux ont Les yeux fermés. ì
lO Il
ENI'RE L'ÉCRlTURE LA VENUE A L'ÉCRlTURE

Tu veux. a~jr,) Tu veux tout. Mais il n'est pas ne'~;;~d~cJ'~. l'avoir-amour, .ce~ui qui se ~outient .
p-ç!!!Jis à l'ette humain d'avoir. D'avoir tout. Et à la (['aiméi,oan.s le sang-rapporJ;,.Aip.s.!,j.Q11.ne.~.t~~e gue._._
(J:~;jl n'est ~ème pas ~el1I!iLd'espérer avoir tout ce ;.A'fù .voudr~..s..~ ~Jl7.ÙI:~J{istait"te .d~nne:
qu un etre humam peut avoir. TI y a tant de frontières, . Qui peut définir ce qu' « avoir» veut dire ;_où se
et tant de murailles, et à l'intérieur des murailles
p~se_~iv!e ;~ù.. ~ <lSs\11"ej()':lÌr;~ ' . , .
d'auu:s ~urailIes. Bastions, dans lesquels, un matin, j~ . Tout est là: quand la separanon ne separe pas,
me reveille condamnée. Villes où. je suis. isolée, quand l'absence est animée, reprise au silence, à
qu:u-an~nes, cages, ~so~de_.!'-santb>.~i ~m.nt j'y- l'immobilité. Dans l'assaut que donne l'amour au néant.
s~ aliee, mes toml:les~m~. mi);:u:du:Q!l'().!d~ Ma voix repousse la mort ; ma mort ; ta mort ; ma voix
~ne d,e li~ d~ réclllsi~n. pour mq!,. Le corps au-- est mon autre. J'écris et tu n~espas 11lC)rt. Si j'écris
~ot, I espnt au silence. Penodes<k.p..riSOJL: quand j'y l'autre est sauf. . . ..~. .,.....
sws, la peine est vraiment d'une longueur et d'une L'écriture est bonne : elle eSt ~ui n'en finit .Dis. En
nature imprévisibles. Mais je m'y sens, après tout, ~oj~~ plus simple, le pl;;;; s~ autre~~e le
o: comme chez moi ». <?e que tu ne peux avoir, ce que sang: on n'en manque pas. TI peut s appauvnr. MaiS tu
tu ne peux toucher, flairer, caresser, essaie du moins de le fabnques et le renouvelles. En moi la parole du sang,
le voir. Je veux voir: tout. Pas de Terre Promise à qui ne cessera pas avant ma fin.
~u~!Jr ìe n atrive un ~, Voir __cl; qu'oqjn:)aura.. Tai d'abord écrit en vérité pour batter la morto A
-!~~ T~'~eut:~~~~ P<:~ voir; pour avoir ce que cause d'un morto Lì plus cruelle, celle qui ne fait grace
Je n aurats JamatLSll;· pour quavolrne Sòif"naS-le- de rien, l'irréparable. TI s'agit de ceci: tu meurs pendant
~e de la .mein qui p~n({~~nf~~~-J~g-;'1~;:'d~ que je ne suis pas là. Pendant .qu'Iseut n'est pas. là,
estomac. Mais de la mam qw montre du doigt, des Tristan se tourne vers le mur et il se meurt. Ce qw se
doigts qui voient, qui dessinent, du bout des doigts'·q;;;·· passe entre ce corps et ce mur, ce qui ne se passe pas,
tracent sous la douce dictée de la vision. Du point de me transperce de ,douleur, me fait écrire. Besoin du
vue
, de _·-·
l'ceil __
d'àme.
·····-7--- .......e.. Du pomt
L'ceil dam . d e vue de Visage : de passer le mur, de déchirer la voile noire. De
I Absolu; au sens propre de ce mot: la séparation. voir de mes yeux ce ue' e erds; de re er la erte
@rejOur _toucher des lettres, des I~res, du soume, aaru es yeux. e veux voir de mes yeux la disparition.
pout-caresser aeIa1ìngue, lécher de l'àme, goùter le Tintolérable c'e~ll~.1!..II!Q!1:.!l'ait_~_~.C1J~.gu'elle ~: ...
.~.. u ~rps aimé ; de la, vie éloigné~ ; pour saturer de sOit déro1Jee:-Que je ne puisse la vivre, la prenOre daiiS
tance; afm qu elle ne te lise pas. mes'brilS,'jownUna bouche du dernier SOU?ir. .
~-. n avoir sans limites, sans restriction . mais J'écris l'encore. ,§!<:.9,!t,içi,.,h~§ ~."La v1.~~.ce qw
.~ aucun o: à~un avorr- qui ne détient p~,-qw touche à la mort ;' féèris "tout contre elles mes
~

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ENTRE L'ÉCRITIJRE LA VENUE A L'ÉCRITIJRE

la vie sans mourir de peur, et surtout de se regarder sai-


Lellm du fllti- Vive: meriie~è:òmmesl-tii étais à lafOls -raÌltte-;-=---
. indisp~nsable a ì<iniour . et rie~ deplus Di de-l!lO~ -
Dire, pour l'atténuer, la fragilité de la vie le que mOlo
tremblement de la pensée qui ose vouloir la s.risir
tourner autour du piège que la vie te tend chaque fo~ l'ai peur : que la vie devienne étrange. Qu'elle ne sait
que ~ pos~s la, question que la mon te souffle, la plus ce rien qui fait sens immédiatement dans mon
que,stlon dlabolique: «Pourquoi vivre? pourquoi corps, mais que, hors de mai, elle m'environne et me
mal? XI Comme si c'était la mon qui voulait presse de Sa question; qu'elle devienne l'énigme, la
comprendre la vie. La question la plus dangereuse : car sans-raisan, le coup de dé ; le coup de grace.
ell~ ne menace d~ se po~er, comme une pierre tombale, Terreur: l'arrèt de vie, l'arrèt de mon: Terreur de
q~ au ~omen~ ou tu n as pas de «raisan XI de vivre. tout enfant. Devenir adulte, c'est peut-etre ne plus se
VIVIe, ,etre-vlvant, ou plurot ne pas ètre ouv~n à la demander d'où on vient, où on va, qui me. Eloigner le
mon c est ne pas se trouver dans le cas où cene passé, écaner l'avenir? Mettre l'Histoire à la piace de
que~tion se fait imminente, Plus précisément: on vit toi? Peut-ètre. Mais quelle est la temme que le
to~Jours sans raison; et vivre c'est ça, c'est vivre 8ar1S- questionnement épargne? Ne te demandes-tu pas, toi
~son, pour rien, à la grace du temps. C'est la non- aussi: qui suis-je, qui aurai-je été, pourquoicmoi,
ralson, une vraie folie, si on y pense. Mais on n'y pense pourquoi-pas-moi? Ne trembles-tu pas cl'i.ncenitude 2\
pas" Dès qu'i1 s'introduit de la «pensée» de la N'es-tu pas camme mai 8ar1S cesse en train de te
« ralsan », à proximité de la vie, il y a de quoi' devenir débattre pour ne pas tomber dans le piège? Ce qui
folle. signifie que tu es déjà dans le piège, car la peur de
,~re empèche la question qui arraque la vie douter est déjà le doute que tu redoutes, Et pourquoi
d arnver. ,Ne te demande pas: pourquoi ... ? Tout cene question du pourquoi-suis-je ne me laisse-t-elle
tremble des que frappe la question du senso pas en paix? Me fait-elle perdre l'équi1ibre? Quel
On ~t; on vit; tout le monde le fait, avec une rappon avec mon etre-femme? C'est, je crois, que 11
for~e d av~maIe, Malheur à toi si tu veux scenF's6Cial-ety contraint ; l'Histoire t'y condamne ; si
aV~lflll~ hunWilsi tu v~ savoirce qui t'ai'l'hc. tu veuxgràndir, avancer, étendie-ion àme, jouir à
._C>.~::A'3S_q.ui s()nt ooligeesae re~faire acte de l'infini de tesCOIpS,de tes biens, où te mettras-tu? Tu
flaIS~C~ tousles jours. Je peme : rien nem'est dolìn~: es, toi aussi, juifemme, jnenue, diminutive, sauris parmi
rene sws-jlas née uneTols potil' tOÌltes:-llcriie rever- le peuple des saUris, aSsignée à la crainte du grand
saccouc~er: ètre moi-m~mema fùfe deChaq~e jour: méchant chat. A la diaspora de tes désirs ; aux désens
~~tl()_~_d'une force intérieure capable de regarder intimes. Et si tu grandis, ton déserr granait aussi. Si tu
--=-

(,
ENTRE L'ÉCRITURE
LA VENDE A L'ÉCRITURE

sors du trou, le monde te fait savoir qu'il n'y a pas de


place entre ses états pour ton espèce.
. -, P~urquoi m'as-tu mise au monde si c'est pour qJ!e_
On tue une flile :
je, ne m y trouve pas ?
A qui poser cette questiono tu ne le sais meme pas. Au commencement,j':"ai désiré.
:'::~'Qu'est~ce qu'elle veut ?
Parfois je pense que j'ai commencé à écrire pour
donner lieu à la question errante qui me hante l'àme et - Yjvre., Rien que vivre. Et m'entendre dire le
nom.
me hache et me scie le corps; pour lui donner sol et
temps; pour détourner de ma chair son tranchant. - Horreur! Coupez-lui la langue !
- Qu'est-ce qu'elle a?
pour donner, chercher, appeler, toucher, mettre a~
monde un nouvel me qui ne m'attache pas, qui ne me - Peut pas s'empecher~evoler!
chasse pas, qui ne périsse pas d'étroitesse. - Eri-ce' cas: ilòUi ivons des cages extra.
A cause du reve suivant : Quel est le Suroncl~ qui.1l'a pas empeché une fille de
Mon refus de la maladie Comme arme. Il y a une voler, qui iieFapas ligotée, qui n'a pas bandé les pieds
meme qui me fait horreur. N est-elle pas déjà morte? ae sa petite chérie, pour qu'ils soient exquisement
petits, qui ne l'a pas momifiée jolie ?
Foutue. Je crains sa morto Là, sur ce grand lit. Triste,
effroyablement. Sa maladie : c'est le cancer. Une main
malade. Elle est elle-meme la maladie. La sauveras-tu
en lui 'coupant la main. Surmonte l'atroce, l'angoissant
Comment aurais-je écrit ?
dégout, non de la mort, mais de la condamnation, du
, N aurait-il pas fallu d'abord. avoir les « b?nne~
travail de la maladie. Tout mon etre est convulsé. Dis-
raisons» d'écrire? Celles, mysténeuses pour mOl, qw
lui ce qu'il faut dire: « Tu as deux mains. Si une main
vous donnent le «droit» d'écrire? Et je ne les
ne vit pas, coupe-la. Tu as demain. Quand une main ne
connaissais pas. Je n'avais que la « mauvaise » raison, ce
te sert pas, remplace-la par l'autre main.(Agi~épollil$.
~u as perdu la main qui écrit? AEEl'e..n~€è!irede n'était pas une raison, C'é.tait un,.e p.!Sli()n: qu~a.hes~
d'inavouable, - et d'i!lqu!~~, un de ~e~tJ;~ d~ laj
I autre mam. » Et avec elle elle-meme-moi-sa-main, je
COmmence à tracer sur le papier. Or aussitòt se déploie
Cviofeììèe, qui m,J(fligeait. Te ne «~oulais » p:;s~crlre.
~iit auraIS-je pu le «voulOlr»? .Te n eta1S pas
une parfaite calligraphie, COmme si,cile av . .O\!!,~ eu
égarée au point de perare la mesure des choses:J!ne
~, écriture~là dans l:autre. main:~Si tu meurs. VIS.', souris n'est pas un prophète. Je n'aurais pas eu le culot
\, V une mam, souffnr" vlvre,,t2l!..Cher .du dolgt'
-a'aller réclamer mon livre à Dieu sur le Sinai, meme si
doUleur, Li perte. Mais Il J.~J.all~re _~m: celle qui
l',
,
écrit. en tant que souris j'avais trouvé l'énergie de grimper sur
la montagne. De raison, aucune. Mais il y avait de la
'\o---
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ENTRE L'ÉCRlTIJR.E LA VENUE A L'ÉCRlTIJR.E

folie., De l'écriture dans l'air autour de moi. Toujours s'i! pouvait y avo~ dans. mon ~;P~}Qui, du d~hors, et
proche, enivrante, invisible, inaccessible.Ecrire me du point de vue d un naturaliSte, est tout ce qu i! y a de
traverse l' Cela me venait soudain. Un jour j'étais plus é/astique, nerveux, maigre et vif, non sans charme,
i:raquée, assiégée, prise. Cela me prenait. J'étais saisie. les muscles fennes, le nez pointu tolljQ!1tS bumide et
D'où? .Te n'en savais rien. .Te n'en ai jamais rleij"'su~ frémissant et les pattes vibrantes);:un autre espac~ sans
~'unc; rt~on dans le corps. .Te ne sais pas où elle est. lill).iJ:çs,. et là·bas, dans des zones qui m'habiient et que
« Benre» me saisissait, nì'agrippait, du coté du je ne sais paShabiter~ je les-sens, iene'res'vìs-pas;e!les
diaphragme, entre le ventre et la poitrine, un souffle me vlvent; jailI1sSeìif lessources' àe-llÌe~~d~~fi-e~
di1atait mes poumons et je cessais de respirer. vois p~,JeJessens ~st lIicompréIiensible mais c'est
J'étais soudain remplie par une turbulence qui 'ainsi. TI y a des sources. C'est l'énigme. Un matin, ça
m'essouff!ait et m'inspirait des actes fous. «~ explose!:JVloii corps connaìi'U-bas Une Oeses"affo1antes-
Quand je dis qu' « écrire » me prenait, ce n'était pas une aventures cosmiques, J'ai du volcan dans mes territoires.
phrase qui venait me séduire, i! n'y avait rien d'écrit Mais pas de lave: ce qui veut s'écouler, c'est du souffle.
justement, pas de lettre, pas de ligne. Mais au creux de Et pas n'in:jporte commento Le souffle «veut» une
la chair, l'attaque. Bousculée. Pas pénétrée. Investie. fonne. « Ecris-moi ! » Un jour i! me supplie, un jour i!
Agie. L'atraque était impérieuse : « Ecris ! » Mème si je me menace. «Mais tu vas m'écrire oui ou non? » TI
n'étais qu'une maigre souris anonyme, j'ai bien connu la aurait pu me dire: «Peins-moi ».' J'essayai. Mais la
terrifÌante secousse qui galvanise le prophète, réveillé en nature de sa fureur exigeait la forme qui arrète le moins,
pleine vie par un ordre d'en haut. TI y a de quoi vous qui enfenne le moins, le corps sans cadre, sans peau,
obliger à traverser les océans. Moi, écrire? Mais je sans mur, la chair qui ne sèche pas, qui ne se raidit pas,
n'étais pas un ptophète. Une envie ébranlait mon corps, qui ne caille pas le sang fou qui veut la parcourir - à
changeait mes rythmes, se démenait dans ma poitrine, jamais. «Laisse-moi passer ou je casse tout ! »
me rendait le temps invivable. J'étais orageuse. Quel chantage aurait pu m'amener à céder au
, « Ec1ate !» - «Tu peux parler!» Et d'ailleurs qui souffle ? Ecrire? Moi? Ce souffle, parce qu'i! était si
parle ?, L'Envie avai!. ,la violence d'Un coup. Qui me fort, et si furieux, je l'aimais, je le craignais. Etre
frappe? Qui me prend à revers ? Et dans mon corps un soulevée, un matin, arrachée du sol, balancée dans les
souffle de géant, mais de phrase point, Qui me pousse ? airs. Etre s rise. Avoir en moi-mème la possibilité de
Qui m'envahit ? Qui me change en monstre ? En souris l'inattendu. M'endormir souris, me réve er aI e. e
q~t devenir aussi grosse qu'un prophète? 'a~1ìce! Quelle terreur. Et je n'y étais pour rien, je n'y
,l!ne Ìòtce gaiè, ~lll!, un dieu; ça ne vient pas d'en pouvais rien, Surtout chaque fois que le souffle m~
~ Mais d'une mconcevable contrée,lriférieUte'à'/fioi' prenait, se répétait le mème malheur: ce qw
mais' inconnue, en rapport avec une profondeur comme commençait, malgré moi, en exultation, se poursuivait à
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ENTRE L'ÉCRlTURE
LA VENUE A L'ÉCRlTURE

cause de moi en combat, et s'achevait en chute et en vitraux, drapeaux, dòmes, consttuctions, chefs-d'ceuvre,
désolation. A peine en haut: cc Eh! Qu'est-ce que tu comment ne pas reconnaitte votte beauté, et qu'elle me
fais là? Est-ce la piace d'une souris? » Honte! Une rappelle à mon étrangeté ?
-.!:onte m'atteignait. TI ne manque pas sur tetre, il~ On m'expulse de la cathédrale de Kiiln un été. TI est
.. ' mapqwut dOìK'-pas'-.. élans mes espaces personnels... 9.e.._ . vrai que j'avais les bras nus, ou la tere peut-ètte. Un
'-o gp~klls.. de la. 10b.J~ J?qg,es .pleines de cc première
prore me fout dehors. Nue. k me sentis nue d'çrre
pierre ~»]:~laiiççi~!!r: 1~ss.21,1fis..-y.~~~QUaD.t ~ mon' juive, juive d'erre nue, nue d'erre femme, Jwve cl etre
gaidìen intérieur - que je n'appews' pas surmoi à -. chair et gaIe ! nt J auraI tous·voSlì.VTes. NIaIS les'-
l'époque - il était plus rapide et précis que tous les cathéaraIes je,ks guitt.e. 4ur-1'ierre est triste et mMe.
auttes : il me jetait la pierre avant que tous les autres- --J:estéxtes je les mangeais, je Ies s~ç<lis,Jeué!<IÌ.s,TeS'"
parents, maitres,--=émporai~_..prudents, soumis, baisais.-yé 'swsIéiifalit}i'l1l§mbr.abJ<:~.e JeurJoule~.
rangés - to . s non-foÌìJ; et le~~.- aient eu ne
=Mais éCnre? quel droit ? Après tout, je les lisais
le temps de tlrer. cc e fastest guri », c'était moi. sans droit, sans permission, à leur insu.
Heureusement! Ma honte réglait mon compte sans Comme j'aurais pu prier dans une cathédrale, et
scandale. J'étais cc sauvée », envgyer à leur Dieu un message imposteur.
Ecrire ? Je n'y pensai pas. J'y songeai sans cesse, mais (~e.1..J.'èà mourais d'envie, d'amour, donner à
avec le chagrin et l'humilité, la résignation, l'innocence l'éc:nture-ce qu'elle m'avait donné, quelle ambition!
~~es pauvres, L'Ecri~~ ~st Di~u. Mais ,ce n'est pas le _ Quel impossible bonheur. Ngurrir ma propre mère. Lui
-.tlen. Comme la Revelanon d une cathedrale: J e suis donner à mon tour mon wi:? Folle iriì.lìruCterice.--
née dàns un pays où la culture était retournée à la Pas besoin d'un surmoi bien sévère pour m'empècher
nature, - s'était refaite chair, Ruines qui ne sont pas d'écrire: rien en moi ne rendait vraisemblable ou
des ,Olines, mais des hyrnnes de la mémoire lumineuse, concevable un tel acte. Est-ce que beaucoup d'enfants
C ~ chantée E.,ar la mer nuit et jour, Le passé n'était de mana:uvres rèvent de devenir Mozart ou Shakes-
pa,s pas&, TI f.éta it co~ché comme le propb.ètedans le peare?
~I!_ ([1,l temps A diX-hwt ans, je decouvie1a Tout de moi se liguait pour m'interdire l'écriture:
« cultI!re ». Le monument, sa splendeur, sa menace, son l'Histoire, mon histoire, mon origine, mon genre. Io.!!L,
discours. «Admire-moi. Je suis le génie du christia- ce gui constituait mon moi social, cUlturel. A
nisme. A genoux, rejeton de la· mauvaise race. commencer par le nécessaire, qui me faisait défaut, la
Ephémère. Je me suis érigée pour mes fidèles. Dehors, matière dans laquelle l'écriture se taille, d'où elle
petite juive. Vite, ou je te baptise. «Gioire»: quel s'arrache: la Ian~Tu veux - Ecrire? Dans /aquelle
mot! un nom d'armée, de cathédrale, de vietaire lanS!!e? Lapropriété, reTroìtiiie'gendaffiiaient depuis
hautaine; ce n'était pas un mot pour juifemme. Gioire,
~1,liQ!ru..; j'al~~.I'eiis L~arler f~s dans _1!fl_..L~n
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ENTRE L'ÉCR.ITIJRE LA VENDE A L'ÉCR.ITIJRE

~'~Ù.iétais sur le point d'ètre eJqlulsée parce que juive. aux ~tits aux hwnbles, aux femmes. Dans l'intimité
J~s_ode ~ race_ des ,. peraeurs de paradiso Ecrire d\~It;acré)L'écritur: p:u-Iait.à ses pro h~e~ ~ uis Wl
françaJ.s '( Dé quef dioit? Montre-nous tes lettres de buissdtnU'dent. Maìs il aVait u ene decide que les
créanc:, dis-nous les mots de passe, signe-toi, fais voir 'lfwssons ne dialogueraient pas avec les femm~-;-"-'- -
tes mams, monrre tes pattes, qu'est-ce que c'est que ce . r~x?5e ne ~e prouvait-elle p~? .le ne pensais
nez-là ? pas qu efte-s adressalt aux hommes ordmalres, pourtant,
1'ai dit «écrire français ». On écrit en, Pénénation, mais seulement à des justes, des ètres taillés dans la
Porte. Frappez avant d'enner. Formellement interdit. séparation, pour la solitude. Elle leur demandait tout,
- Tu n'es pas d'ici. Tu n'es pas chez toi ici. elle leur prenait tout, elle était impitoyable er tendre,
Usurpatrice!o . --
elle les dépossédait entièrement de tout bien, de tout
- C'est vrai. Pas de droit. Seulement de l'amour. lien, elle les allégeait, les dépouillait; alors elle leur
Ecrire? Iouirè:O.iiim-Ùoiili!!!ltaO font jciuir sims fin livrait le passage : vers le plus loin, sans nom, sans fin,
..!~s~~fieux qui ont créé les livres ; les corps de sang er de .. elle leur donnait le départ, c'était un droit et Wle
papler ; leurs l=s de chair er de !armes ; qurmettem 0-

,nécessité. ili n'arriveraient janlais. ili ne seraient jamais


fLD..-Ua nn .. Les dièlix humains, qui ne savent pas ce ' trouvés par la limite. Elle serait avec eux, à l'avenir,
qu ils ont falt. Ce que leur voir, er leur dire, nous font. comme personne .
.. Co~ent n'aurais~je pas eu le d~sir d'écrire ?/Alors que Ainsi, pour certe élite, le beau najer sans horizon,
~e pre~ent, me transportaient, me perçaient au:-delà de tant, la...s()rtie~ffrayan!e mais enivrante en ~. ,
j~ ennailles, me donnaient à sentir leur direction du janlais encorc=~dit. .
puissanc~ désin~éressée ,; que j~ me ~en~s, aimée ~~ ,'~ pour"toi;-'les contest'annoncent Wl destin de
!~~t~ 3w ne s adrc:ssalt pas a mOl, ID a toi, mais à restriction et d'oubli ; la brièveré, la Jégèreré d'Wle vie
.hune ; .t~.ay.ers..é.c...par?av;em:ème, q1J,i qçl~~è....'Lui.o qw ne part de la maison'de ta mère que pour faire ~is
.E-.e._ch~1S~~'_.9.l!1._t~uch.~sansc!ésigner; agitée, perits dètours qui te ramènent tout ètourdie à la ffia!son
arracliee..a._mOl, par l'aJll()llr_LComment aurais-je pu, de ta grand-mère qui ne fera de toi qu'Wle bouchée .
.Jf.C!,uan~II!.~ ètrç était..Eeuplé,o oIDO.ll...corpq:?'m:0 Il11h.._ Pour toi, perite f!lle, perit pot de lait, petit pot de miei,
feconde,
_-"0 me refermer___
, :r:::"''C''-0- dans .,Wl_______
silence ?_ Venez à moi er perit panier, l'expérience le démontre, l'histoire te
Je Vlenur.u a vous. Quand l'amour te fait l'amour promer ce petit voyage alimentaire, qui te ~amène .bien
comment t'empècherais-tu de murmurer, de dire ses vite au lit du Loup jaloux, ta grand-mere tOUJours
noms, de rendre gràce à ses caresses ? insatiable, comme si la loi voulait que la mère soit
:!,u peux désirer. Tu peux lire, adorer, ètre e.nvah~L_o connainte de sacrifier sa f!lle pour expier l'audace
MàiS ecnre ne t est pas accoraé. ECrire éii1toréservé aux d'avoir joui des bonnes choses de la vie dans sa jolie
élus. Cela_devait se passer dans Wlespace inacZessibf~-< rejeronne rouge. Vocation d'engloutie, najer de scybale.
22
ENTRE L'ÉCRITURE
LA VENUE A L'ÉCRITURE
~
Aux fùs du Livre, la recherche, le désert, l'espace Voici tes lois, tu ne tueras pas, tu seras tuée, tu ne
inépuisable, décourageant, encourageant, la marche en
voleras pas, tu ne seras pas une mauvaise recrue, ,~ ne
avant. Aux filles de ménagère, l'égarement dans la foret. seraSJiliilQU~~malade, ce seralt un man~,ue, d egard
Trompée, déçue, mais bouillonnante de curiosité. Au pour te~h.Qt~s, tu ne ZlPP'gueras pas. Tu n ecnras pas.
lieu ?u grand due! énigrnatique avec le Sphinx, le Tuappr~~dl'a!Je calcul. Tu ne te toucheras pas. Au
questlOnnement dangereux adressé au corps du Lou~ nom de qui écrirais-je ? . .
i quoi sert le corps ? Les mythes nous font la peau, Le -Toi écrire ? Mais pour qui te prends-tu ? POuvats-je
I
1
~os ouvre sa grande gueliIe, et nous avare.
----.----~~---.--,---------." . -.---- _._~-- dire: « Ce n'est pas moi, c'est le souffle! »? -. « Pour
personne.» Et c'était vrai: je ne me prenats pour
(_ p;;'~ (m'écrier, hurler, déchirer l'air, la rage m'y
personne. . .
POUSSatt sans cesse) ne laisse pas de traces: tu peux C'était mème ce qui m'inquiétait et me pelnatt le plus
parler, ça s'évapore, les oreilles sont tattes pour ne obscurément: etre personne. Tout le monde était
pas entendre, la voix se perdo Mais écrire! Etablir un ~----;--: croyatS-je, sauf moi. J'é~s pe~so~e.
contrat avec le temps. Marquer! Se faire remarquer i!! ~~t r~servé à .ces personnes plelOes, defirues,
CeLI, c'est défendu. ~risantes, qw occupalent le,~onde,d~ leur assurance,
Toutes les raisons pour lesquelles je croyais n'avoir prenaient les places sans heslter, etatent ~ez ~lles
pas le droit d'écrire, les bonnes, les moins bonnes, et les P'lTtout où je n'« étais » pas autrement qu'en infractlon,
,:aies, f~~ses : ,~P.as de lieu ~ucun intruse, le petit bout d'ailleurs que j'étais toujours sur le
lieu legmme, ru terre;-ru patiIe, III Im'tOìrelimot qui-vive, Les paisibles. « Etre »? Quelle assurance !. Je
- Rien ne me revlent OU blen tout et pas plns à pensais: « J'aurais_ pu ne...J1as etre.» Et: « J e ,s~rat. ;' '.C.;).,
moi qu'à to
Mais dire « je sws » ? Qiù~çl.. Tout ce qw me deslgnatt
" \ e n'ai pas de racines: ' quelles sources -pubhquementet-dont je me servais - on ne refuse pas
,_~~pourrats-je pr e e quOi nournr un texte. e
~wra~.~~------~'----------~-===~ une rame quand on dérive - était tromp~ur et fa~. Je
ne me trompais pas, mais ob' ectivement, Je trompats le
iJ le n'ai pas de Iangue légitime. En allemand je monde. wafs-papiers étaient faux. n'étais mème
( ~ante, en an8G.ì. .s..)~ l1le 4éw~n T,;ni?is je-.vo!e.- je-
t
l sws voleuse, OltJ!RQ~~rajs-je un t=exte 2 ____ _
- Je suis tellement déjà l'inscription d'un écart
pas une petite e, J etals un animaI sauvage et crai~tif
et j'étais un animaI féroce (mais ça ils s'en doutatent
peut-ètre), Nationalité? « Française.» C'est pas ma
qu'un écart de plus est imposslble. un me donne cett~ faute! On me faisait prendre la piace de l'imposture.
leçon: tOl, l'etrangère, -insère-toi. Prends 11 nationaIiié- Encore maintenant, je me sens parfois poussée à
du pays qui te tolère. So~-sage-:rentre dans le rang, le m'expliquer, m'excuser, rectifier, vieux réflexe. Car je
commun, l'imperceptible, le domestique. croyais du moins, sinon en la vérité de l'etre, en une

25
ENTRE L'ÉCRlTURE LA VENUE A L'ÉCRlTURE

rigueur, une pureté du Iangage. Si un mot se mettait à chapeau de cérémonie s'élançait dans les nuages, et dont
mentir, c'est qu'on le maltraitait. Qu'on le mettait à les jambes minces étaient gainées d'un pantalon au pii
mal, dans une position imbécile. lmpeccable. Pas un athlète. Mais plutOt un ho~e
"Je suis »... : qui oserait parler comme Dieu? Pas raffiné, au buste flou, dont la musculature etalt
je.... Ce que j'étais, si ça pouvait se décrire, était un spirituelle. ,
tour15illon de tenslons, une série d'incendies, ~ix mille J'habitais Iapqçh~~ dI: sq" vest()11... Malgre
scènes ~e violences (l'Histoire m'en avait noUm~:yar- , mon jeune:lg~s sa Femme de Poch~ tant que
eu§: "cllallce» de fa:iÌ'e:_mesJ)re~~rSPa:s_ en plçi~ telle, c~E-~ me ~~b~ P:lS' j'étais ~ut ~on
brasler entres deux holocaustes, panni, au sein mème du contraire, svelte, feenque, petlte, rousse, vetue d une
. oosnìe--;-avoir'ffijls ans enrg40' ttre juive,-uneparue robe verte. Si j'avais eu l'idée de la séduction, je me
-/' c1e~é:iL~Je§c<jinps~e concentration, une partie de . serais vue séduisante là-haut. J'étais, quand je logeais
1ll0l dans les" coloni,e~,~L, " -,~-- dans la poche divine, mon autre. Depuis certe position
.Al?rs toutes mes vies se partagent en deux vies je commençai à regarder l'univers: J' ~s bien. P~rsonne
pnnClpales, ma vie d'en haut et ma vie d'en baso En bas ne pouvait nous atteindre. AUSSI pres que posslble du
je griffe, je sui;; làcérée, je sanglote..En.hautje jouis. En creur de Dieu, de son centre et de ses poumons. So~
~as. carnages, memhres •... écartèlements, corps roués, costume gris clair. Jamais je ne vis ses mains. Je saVaIS
brwts, engins, herse. Enhaut visage, bouche, aura . flot qu'il avait une belle bouche. Les.lèvres de sa P~l~ : ses
des silences du ca:ur. ". ,
gousses de chair aux contours SI nette~ent d~ss~es. ~
bouche se détachait du visage, rayOnnaIt, se dlstmguatt.
Ne se perdait pas, s'imposait. Ta bouche est une tranche
Enfontasmes :
d s eGe corrigeais la Bible). . . ...
;-..Visage: 'e le vi~s. le rec.evaIs. Ftgure. p~~nve
(" Elle ne s'éveille qu'au contact de l'amour, avant ce d un - smos dont lastre dOmInant, le soleil, etalt la
temps elle n'est que rCve. Mais dans certe existence de bouche. Je ne pensais pas aux yeux. Je ne me ~uviens
rève on peut distinguer deux stades: d'abord l'amour pas avoir jamais vu ou imaginé les yeux ~e_~~. Et
rCve d'elle, puis elle rCve de l'amour. ,,) Dieu ne fusil1ait pas : il souriait. li s'ouvraIt.
Et j'entrais et sortais de la poche de poitrine. Le
corps de Dieu érait supérieur. Souris! J'entre: souris.
Sa boucbe : Plus tard je lui fis vaguement des yeux comme des

, ,Lorsque j'avais trois -~~·étAit


un jeune homme
bouches. Les paupières avaient le cise!é des lèvres
adorées. Parfois les paupières battaient et les yeux
e!egant et materne!, do~eut-etre coiffée d'un prenaient un voi soudain.
26
ENTRE L'ÉCRITURE LA VENUE A L'ÉCRITURE

, Mais la bouche de Dieu avançait légèrement, les fleurs les bras les douceurs. Elle osait etre inaltérée. La
levres se séparaient et je m'abimais dans la ruse me vinto J e l'entrainai dans un coin. Je lui ferais le
contemplation des dents. En haut je vivais dans la coup de Blanche-Neige. Mon arme: un trognon de
lumière humide des dents. Sa bouche, mon trou, mon poire sur leque! j'avais laissé que!ques brins de chair. J e
tempie, souris, j'entre et sors entre les dents du bon l'initiai: « C'est un bonbon. Tu dois l'ava/er d'un seui
chat divino
coup. » Pure, elle m' obéirait, elle ava/erait, le trognon
ne passerait pas, elle étoufferait. Elle était bianche,
." ~ vie d'en bas, tumulte et rage. En tant que moi, j'étais noire.
J etats un foyer de passions, crainte et tremblement J'ai tué . .l'ai supplicié. J'ai frappé, volé, triché. En
fureur et vengeance. Pas de forme précise. De mo~ reve. Parfois en réa1ité. Coupable? Oui. Non
corps je ne connaissais que le jeu des forces, pas le jeu, coupable? Oui. Colonisée, j'ai décolonisé. Mordu,
!e ~eu. En bas c'était la guerre. Je l'étais. Guerre et bouffé, vorni. Punie, punie. Fessée. Mes boucles
!owss,ance. Jouissance et désespoir. Puissance et coupées, mes yeux crevés.
unpw~sance. Je regardais, je veillais, j'épiais, je ne J'ai adoré Dieu ma mère. Aime-moi! Ne m'aban-
fermats pas les yeux, je voyais l'incessant travail de la donne pas ! Cdui qw m abandonne, est· ma m~re. Mon
morto Moi : l'agneau. Moi : le loup. père m~urt :~nsl pere tu es ma mere. ~ me~e reste.
.l'ai battu des enfants. Les petits de l'Ennerni. Des 'En moi à jamais la mère combattante, l ennenue de la
petits Français de souche. Bien taillés bien habillés morto Mon père tombe. En moi, à jarnais, le père a
bien rabotés, bien effacés, bien lavés no~s frottés. ~ pe mère résiste.
petites dragées roses et bleues pleines de fie! et de \É.n . t, 'e vis dans l'écriture. Je lis POUt yiyre. J'ai
merde à l'intérieur. Des petites marionnettes avec de lu -'ot: je ne mangealS pas,"je lisais. J'ai toujours
petits yeux immobiles taillés dans la haine la betise la « su» sans le savoir, ue' e me n urrissais de texte. :ìf~-
férocité. Je n'osais pas leur crever les yeux. Ni les ans 'e savoir. sans métaphore. li y avait peu de '
pendre. Trop voyant . .l'avais peur. J'ai commis mes piace pour la métaphore dans mon existe~ce, un eS'pace
meurtres en douce. Un jour j'ai tué dans le Jardin des très restreint, que j'annulais souvent. J'al deux falms:
Officiers une petite volaille inoffensive. Son innocence une bonne et une mauvaise. Ou la meme, subie
était impardonnable. Elle avait trois ou quatre ans moi différemment. Avoir faim de livres était ma joie et mon
cinq ou six. Elle se promenait en sautillant et picorant supplice. Du livre, je n'en avais gu~e. ~as d'arge?~, pas
dans les a1lées bordées de fleurs. Dans ses yeux des de livre. Je ronge en un an la bibliotheque muruclpa/e.
reflets de fleurs, de bonbons, de maman, de misse!. Pas Je grignotais, et en meme temps je dévorais. Comme
de haine. Pas trace d'un mendiant, pas l'ombre d'un Pour les galettes de Chanuka : petit trésor annuel de dix
esclave, d'un arabe, d'un malheur. Aller-retour entre les galettes à la cannelle et au gingembre. Comment les
28
ENTRE L'ÉCRITURE
LA VENDE A L'ÉCRlTURE

conserver en les consommant? Supplice : désir et


.T'ai eu cette chance, d'etre la fille.de _la~()ix,
calcul, Economie du tourment. Par la bouche fai appris BénediCtlon:monetntiite'est1s.sue'òe deuxlailgues, au
~ c;ruau!é de chaque décision, un coup de dent, 'moins. ·Dans ·ma la.nsue ce--·-saHt ks langues'
! In:ever~~bl~. Garder et ne pas jouir. .Touir et ne plus '" étiàrigèI~es" . qui sònt mes sources, mes é~ois"
lowr. L ecnture est mon père, ma mère, ma nourrice
menacée. ,,:Etrangères »: ~ ea moi ckX~e~.;.p:~~~
avenissement: n'oublie pas' que' tout n est PM._19,
.T'ai été élevée au lait de mots, Les langues m'ont réjouis-toi de n'etre qll 'lID<:...Jlarcelle, uneN~lle ç,k
_~~11-~é.e.Je òé1:estalsmangerce qu'il y avait dans une hasard; il n'y';; PilS de centre dÙfI1()~de-,-lève-toi, vg!s
asslette. Sà1es carottes, mauvaises soupes, agression des l'InnollÌbrwte;'ééoute lintraàiiisi6Ie; souvie!1S.:~(Lque.­
fourchettes et des cuillers. - Ouvre la bouche. _ tout est' là; 'tò1Ìt (ce- quir'est a.u-d,TL4.e ...!()~Des
Non. .Te ne me suis !aissée nourrir qu'à la voix, aux larigues passeniaan:s-malaIlgue, se comprennent,
mots. Un marché était conclu: je n'avalerais que si l'on s'appel!ènt, se touchent, s'altèren~avec tendresse-; ~..:'­
me d~~t à entendre. Saif de mes oreilles. Chantage ciaintè; avec y.oIQ!2!L __ riimngent ._leurL.pronoms
~ux delice.s, ~ mangeant, en incorporant, pendant que personnels, a.ms l'effervescence de. djfférences._~pe­
le me !aissaIs gaver, ma téte était enchantée, mes chent "ma Jangue;~ de se prendre pour mlenne; +-
pensées s'évadaient, mon corps ici, mon esprit en des Tmqwetent et lenchantent. Néc~slte, au sem de ma
voyages sans arrét. Si fai goùté, c'est la pàte du parler. lirigue, des_Jet12C.~~S!:ations de mòtS~~ Il es , de
.Te me souviens, à la meme saison, du dernier biberon et sonsi-.,Ii}i,s te~es_~iront jamais ass~ ~es blenf~-.:_
du pre~er livre:-Je n'al ttthé l'un que @ur l'autre. ~ ragìtatlon~
r
~~_.Qermc;L_.Q~_9ue ~ e_tIge-une l~;-.
I[ya une 1a!l~.<I(te je.pi!!'Je_Qu qu{ n:i.e·p-~1e~_ I 6uvèìturé\qul1iisse s'épancher l'mfiru.
-. D<illS 'ti bngtie qm: je parle, vl'bre la langue
to~tes Ies lan~e~. _tJn~.langue àJaJoi!singtÙiè!~et maternelle, langue de ma mère, moins langue que
. umve:rse~e. qw r~s?nn!..~5Jiìique ~e Ilationale musique moins syntaxe que chant de mots, beau
lorsque c est un poete qw la pàrie-:-rrans chaque langUe-
Hochde~tsch;) chaleur rauque du Nord dans le frais
.~~ClltJ" lai~~JtniiètECette langue je laconnais, je parler du Sud, L'allemand materne! est le corps qui nage
n, at pas b,esom ~'y entrer,-eIle jaillitje moi, elle coule, dans le courant, entre mes bords de langue, l'àmant
c est le !ait de ramour, le mieI ere mon inconscient. La materne!, la langue saùvage qui donne forme aux plus
-_~gue qùe-sè patlen~ !es femriies9..iiaii<tI>~~tllle_ iì.eTeS~- anciennes aux plus jeunes passions, qui fait nuit lacrée
-..... .ecoute pour les corrtg.er... . .
dans le jour du français. Ne s'écritl'as : me tra~erse,
'Peut-étre n'ai-je pu écrire que paree que cette langue
me fait l'amour, aimer, Parler,rire,dqentir sonatr.me. t::
a échappé au son reservé aux petits chaperons rouges. caresser la gorge. .- .
~d tu ne mets pasta langue.dans ta poche, il y a Ma mèreallemande à la bouche, au larynx, me
toulours une granunaire l'0ur la censure!"
rythme.
ENTRE L'ÉCRITURE LA VENDE A L'ÉCRITURE

Effroi le jour tardif OÙ j'ai découvert que l'allemand jouer; de faire parler les refoulés. Mais dans mon
ça s'é.crit. Faire de l'allemand en « 2< langue », comm~ ventre, dans mes poumons, dans ma gorge, les voix de
on ,dlt. Tenter de faire de la langue primitive, de la femmes étrangères me font jouir, et c'est l'eau d'une
chau du souffle, une langue-objet. Ma ~~ ! autre mère qui me vient à la bouche.
~on alimento Soudain la gainer, la corsetéi: cer, l'ai battu mes livres : je les ai caressés. Page à page ò
lortbographier! l'ai fui, j'ai recraché, j'ai vomi. Je me bien-aimé, léché, lacéré. A coups d'ongles tout autour
suis précipitée sur la ~~ l'angle des autres du corps imprimé. Quelle douleur tu me fais ! Je te lis,
langues, pour ne pas VDI les lettres escortent je t'adore, je te vénère, j'écoute ta parole, ò buisson
laminent, extorquent, excorient, se réapproprient I~ ardent, mais tu te consumes ! Tu vas t'éteindre ! Reste!
sang des langues entre leurs pattes, leurs griffes et leurs Ne m'abandonne pas. Bénédiction du livre : les galettes
dent!(La'liièrè>, que je parle. n'a jamais été assujettie à une fois incorporées, je me retrouvais trompée, vide,
~am~up. En mDI elle chante et muse, j'ai condamnée, Un an à tirer ! (Mais U}l an, je l'ai appris,
I accent Juste, mais la voix illettrée. C'est elle qui' me c'est trop long, et ce n'est rien. l'ai appris toutes les
:end la langue française toujours étrangère. A elle, mon subtilités du temps très tòt, son élasticité dans la
mdom~tée, je goiLde n'avQit:j~ eu avec-ài'iCUne raideur, sa méchanceté dans la compassion, sa capacité
langue un -mP9!Cg~_mi!itrise,.stejroPQéte;· òa'voir de revenir,)
toujours ~tt~Jaute,~!l frall~e ; d'avoi~ to~jotU-s volliU:
m'al!.Proch.e.!...l§Ii~~te!l1mt ,4ç i,Qute~ Jà.ogué.-- jarnrus Le livre, avec l'aide de la mémoire et de l'oubli, je
mlenne, pour la lécher, la humer, adorer ses différences, pouvais le relire. Le recommencer, D'un autre point de
respecter ses dons, ses talents, ses mouvements. Surtout yue,~4u:t ai!tre, d'un autre, En lisant fai découvert que
~ garde; en l'ailleurs qui la porte, laisser intacte son l'écriture est l'ìiifuù. L'inusàbk. L'éternel. . )
e~rangete, ne pas la ramener Ici, pas la livrer à la \/ ___ L'écriture.,:u, Die~~J)i>eÌl)'é~r!~e~ L'éèrltur;_ ~e~~,
~.91enc(! aveugle_~e_~ tra~':1.<:tion. Si tu ne possèdes pas- q Je 'i{avais plus qu'à rom re et r mes "'et1ts.
une langue tu ~eux e?,e po.sséclee par elle: ,Fais que la " e me souvlens, à douze-treize ans je lus la phrase
langue te reste etranger~" Aime-la comme ta prochaine. suivante: «La chair est triste hélas, et j'ai lu tous les
- 'eo~ent la différencesexuelle ne serait-elle p~'­ livres. » J e f~ frappee d' un étonnement mèlé de mépris
troublee quand, dans ma langue, c'est mon père qui est - et de dégout. Comme si un tombeau avait parl~
gros de ma mère ? menso~J et au-delà quelle vérité: car la cliair est
, En français se tailler: la porte, la route, avoir envie uvre, Un~ chair «Iue », achevé~_?_Un livre -
d avancer, de toujours dépasser la langue d'un texte ; de charogne? Puanteur et fausseté, La chair est l'écriture,
rompre et de prendre départ ; de tenir téte à la culture . et l'écriture n'est jarnais lue : elleest"toulours encore à
au sens, à l'acquis ; de ne pas ètre parlée ; de jouter ; d~ r17'1ire;Tétudiet, à dierCher, à ~~r.__ ,_--"
_. -------_..--- ..-
,_

33
ENTRE L'ÉCRlTURE
(
/~. LA VENUE A L'ÉCRlTURE

. -" Lire j écrire les dix mille pages de chaque page, les
haché condamné dans sa chair paree qu'il vient de
aÌììen€r au jour, croissez et multipliez et la page se
multipliera.-Mais pour cela lire : faire l'amour au texte.
trouv~r le secret de la jouissance, paree qu'en son corps
C'est le mème exercice spirituet Eros marie masculin et féminin, parce que Juliette est
aimée en Roméo plus que la Loi_ ~ les p'èr~s" ~aree
qu'en Tristan est entrée Iseut ~a )Ole, sa fenurute, en
Et contre la mort ètre les tendresses, les plus humbles
et les plus fières, ètre la fidélité d'un oiseau pour son Iseut T ristan résiste à la castratlon.
autre oiseau, ètre la poule et les poussins le sourire de
r étais l'ennemie de la mort mais est-ce que c'est
ma mère comme le soleil sauvant la terre, ètre la force « ètre " queIqu'iIner , _______ ,_.,
de l'amour, surtout cela: la bonne force, qui n'accepte
... J'étai!: cct ensem~m~~urmente,::wrr I~
besoin d'agrr, mais ou, comment, d avancer '. vers ~~o~,
pas que l'on fasse souffrir, ah! je suis l'armée de -toumé, pOuSsé, &rqjeté ~ des sens c?,ntr,?res, dlv~s.~
l'amour; - il fallait hélas, pour aimer étre d'abord la précipité, en avant, 1Ila1S1~9.uel? Et sii, n y ~~t, pas
lutte ; c'était mon remier savoir: ue la vie est fragile
et que mort détient le pouvoir. Que a Vie, tout
d'avant? Pas d'autre Avant gue,_~.1 amblgt11~, ce
qui avait eu:~tT-- ........ .
occupée qu'elle est à aime~,--à couver,à"regàrder, a Depwsce(-es~e)pàrcouru d'énervement, comment
caresser. à C!iante~C:Sj: mEnacé~par la haine et la mort, aur~s-je pu drre «)e sms ,,? .. ,
et qu'il faut qu'elle se défenae.~j'ai apprlS ma - Mes tumUItes étaJent tout au plus rassembles sous ~
prenuere Ieçon déaoU!eurGans cett~ contradiction, que nom et pas n'importe quel nom! Cixous un nom Im-
le réel, qui n'est que division et contradiction, impose mème tumultueux, indocile. ça un « ?,om ,,? Ce mot
COmme sa loi : il faut gue l'amour, qui ne veut connaltte bizarre, barbare, et si mal supporte par la langue
que la vie et la paix, qui se nourrit, de lait et de rire, française, c'était ça « mon" « nom". Un nom
fasse la guerre à la guerre, et regarde la mort en face. impossible. A coucher dehors. Un nom que per~nne
rai été tous les couples entre'lesqueIS se jetaient les ne saurait écrire et c'était moi. C'est encore J?01. Un
abìmes, ou plurot j'étais cette chair à deux corps que la mauvais nom, pensais-je, quand on le retourruut contre
jalousie du monde cherche à démembrer, contre laquelle moi, pour m'écorcher en l'écorchant, ~ .de ces mots
s'acharne la sale alliance des rois, lois, moi hargneux, étrangers, inavalables, inc!assables: J etalS perso~e.
fanillles, complices, relais, représentants de l'Empire du Mais je pouvais, en effet, etre « CIXOUS .'" et le~ mille
Propre, du Pire en Pire de la Propriété, porte-parole du difformes que l'ingéniosité, la malice. hameuse,
« tu es (ce qui est) à Moi ", non pas Ac!am et Eve qui consciente ou inconsciente ont pu 1m tro~ver
ne perdent que le paradis des aveugles, qwne:~~ntpas_ inlassablement. Gràce à ce nom j'ai su très tòt qu'il y
avait un lien charnel entre le nom et le corps. Et que le
as 'n u 01 e divin, qui (ilaisse~.§ii1ìii,
qui. rtent, " leviennent: j al ete e couple Coupe, ouvoir est aree u'il se manifeste au plus
--~--~~:-+'''-::_---.:_:~-:-_--~ près des secrets de la vie h=ne, a travers ettre.
34
35 \ ,
l° ' [
l.) '. ..,

---
./~

ENTRE L'ÉCRlTURE
LA VENUE A L'ÉCRlTURE

On pouvait me faire mal à la lettre, à ma lettre, Et Mais il reste quelque chose, dans ces langues, d'indécis,
sur la peau des possédées on imprimait une lettre. J'étais
l'espace pour une hésitation de la subjectivit§:_ Cela n'est
donc personne ; mais un corps sillonné de foudres et de
lettres. pas sans rapport, je crOlS, a;rec: I~ talt que ~s ces
J'aurais pu m'appeler Hélène, j'aurais été belle, et langues a pu se déployer I a81ta~on roman~9u~,-_sa
façon d'inquiéter le monde del'Etre avec ses antomes,
unique, la seule. Mais je fus Cixous. En tant que souris
ses doubles, ses JUifs errants, ses gens sans ombre, ses
enragée. J'étais si loin d'Hélène, nom qui me fut
'òmbres sans personne et l'espece iOhrue de ses hy~-"
d'ailleurs innocemment transmis depuis une arrière-
et'a:mies non-mèll1es, un peu:.mèm~s, unJ>~u dìffertCn~.
grand-mère allemande. Avec Cixous, les imbéci!es Oe
ne doute pas que d'aucuns se reconnaissent) font des
li faui:-qu'ì1 y ari~.<>urqu e éI~ ~ à;ner~nce, le.
non~propre. Eli tant que Es, quand J etalS encore ~ das
sous, Et du sous. Avec un nom parei!, comment ne pas
Madéhen-;;~)ài dù écrire sans épouvante. Mais ce
etre en rapport avec la lettre ? Ne pas avoir l'oreille à
n'était pas l'Ecriture si c'était déjà les crises du Souffle.
vif? Ne pas avoir compris qu'un corps est toujours
,. subsrance à joscriptjnn ? Que la chaìf écrit et qu'elle est Qui ? Je: Sanscdroit.
~~ donnée à lire; et à écri;e ~ J'eus ~es règles - aussi tard que possible. J'aurais
.- Mais j'étais personne. Et pe~sonne n'écrit pas, me bien voulu me prendre pour une « femme ».
disais-je. Etais-je une femme? C'est toute @i~ des
S'i! y eut d'abord un temP8' où les saillies du Souffle feriimes que j'interpelle en ranimant cette questìOll. U~e
me tourmentaient moins, éIans ma première enfance, Histoire faite de millions d'histoires singtilières, matS
c'est que je ne me sentais pas encore coupable d'étre traversee Oes mèmes quesnons,aesmemese1frois;-cres .
personne, et que je n'avais pas besoin d'étre quelqu'un. memes Ìncertiiiiaes': '1)Csmemes espoirs où naguere ne
se Jray.uent· que .coriSentement, résignation ou désespoir.
J'étais ce «das Kind» que nous n'avons pas la sagesse
de laisser errer en français. Car cette langue range dare- Me prendre pour une femme? Comment? I..aqu~~e?
dare les nouveau-nés d'un ooté ou de l'autre du genre. J'aurais détesté me « prendre pour» une femme, SI lon
Et nous voilà pencbés sur le berceau. Et de demander : m'avait prise pour une femme. '"
c'est une fille? Surtout pas d'erreur! Rose ou bleu? On t'attrape par les seins, on te piume le demere, on
Vite, les signes. Avez-vous bien mis votre sexe ce te fout dans une cocotte, on te fait sauter au sperme, on
t'attrape par le bec, on te met dans un foyer, on
matin? Dans d'autres ~s, on vous laisse divaguer,
t'engraisse à l'huile conjugale, on t'enferme dans ta cage.
et l'enfant est d' un ~eu~) en sursis de décision
Et maintenant, ponds.
sexuelle. Ce qui ne ve~dire que le refoulement de
la féminitésetait moindre là OÙ on parle allemand ou Comme on nous rend difficile de devenir ~ffi!!1~,_.
anglais. li est autre, i! intervient en d'autres termes. quand c'éstdeyenir v~i11e ~~~__ ~~~~iEe t__ ,
Combien de motts a traverser, comolen ae desetts, .'

37
ENTRE L'ÉCRITURE LA VENUE A L'ÉCRITURE

~ombien, de régions en flammes et de régions g1acées, calculatrice du monde des hommes; en tant que
pour arnver un JOur ;ì me OorilìerIaoonne-natssance ! désarmée, Elle me donnait envie d'we un homme, un
Et toi combien de tois es-tu morte--avant d aVOIr pù juste comme dans la Bible - pour me battre contre les
~eru:er, «.k-.s.uis__lU1~Je~» sans que cette phrase mauvais, les maIes, les retors, les marchands, les
-----=----
sIgnifie: « Donc je sers " ? exploiteurs. Je fus son chevalier. Mais j'étais triste. Etre
Je sws mone trolSouqUatre fois. Et combien de un homme, meme un juste, m'était pesant. Et je ne
ceréUeilS t ont tenu heu de coiP~--pendant combien pouvais etre une femme « féminine ". TI y a des guerres
d'années de ton existence? Dans combien de chairs justes, Mais que l'armure est lourde !
gelées ton ame s'est-elle recroquevillée? Tu as trente Ecrire? Mais si j'écrivais «JE" qui serais-je? Je
_ans ?J~~.::~née ? Nous naissons tard partois. Et ce quI pOUVaIS blen passer sous « ]t! " dans te quottcl:ien sans'
pourralt etre un inalheur est notre chance. La femme est en saVOIr ptus lon , maIS ecnre sans saVOtr qW1e,
énigmatique paraìt-il. Les maltres nous l'enseignent. c aurals-'e' e n en aValS P-a8-- e ..
~e est meme, disent-ils, l'énigme en personne. 'écritur 'était-elle pas l~.Jieu du Vt~kJ.e Vrai +
~
/r . ~'énigme? ~Ol~1lllent l'ette ? ,Qui a le secret ? Elle. IJ.'est-il pas clair, distinct et un? Et moi troubk,
Qui elle? Je n etaIS pas Elle. NI une Elle, ni aucune. plusieurs, simultanée, . , ces-y !
...::. Mon Rrocès commença: . _. es-tu pas _e - ' .du multi ? Toutes le~
- EstZ que tu sais faire ce que savent les femmes ? perso~~Lq,u~j~!Ile surpren a etre à 11 ~11ce de moi, "#
"
l"
: ~ Qu'est-ce qu'elles savemdonc ? 'mes -innommables, mes monstres, mes hy ndes, Je Ies
-...;.---Tncoter---'=" Non=-COudre - Non - Faire la -èX!ìortats ali stlence..---' ~
patiss~e :- N?n - Faire des enfants - Mais je... _ ;---Iu ne tiens__pill;eo piace, d'où écris-tu? Je
Je SalS falre I enfant. Est-ce qu'un enfant fait des m'èffiiYaiS moi-meme, Mes aptirudes maJheureuses à
et!~ts? Faire de l'ordre, flatter le goùt, prévenir les l'identification, je les voyais s'exercer dans la fiction,
des~s? N0li; - ~aire la. femm~? Je ne sais pas, « Chez " le Livre je devenais quelqu'un, mes semblables
Qu est-ce qu elle. Salt que Je ne SaIS pas? Mais à ~uL de poésie, il y en avait, je contractais des alliances avec
poser cette questIon ? - . _ _ .--._._-----.--- -. mes proches de papier, j'avais des frères, des memes,
~ mère3~pas ,une « fe~ », ~t ma mère, des substituts, j'étais moi-meme leur frère ou leur sceur
c etaIt le sourrre ,;~ ~ ewt 11 VOlX de ma langue fraternelle à volonté. Et dans la réalité, je n'étais pas
matemèlle, qw n etaIt pas le français; elle m'avait capable d'etre une personne? Rien qu'une, mais bien
plu,t6t l'air d'un jeune homme; ou d'une jeune fille; moi!
d'ailleurs elle était étrangère; c'était ma fille' femme Pire encore, j'étais .inenacée de métamorphose. Je
elle l'était en tant que manquant de la ~e, de h pouvais changer de coUleur, Ies evenefficlits m'aicé-
méchanceté, de l'esprit d'argent, de la férocité rai"nt,je. grmdissais mais le plus souvent rapetlSSaIs, et

39
ENTRE L'ÉCRITURE LA VENUE A L'ÉCRlTURE

mèm~ e,n «grandissant» j'eus le sentiment que 'e Enfin ! Elle est cette fois entre toutes, à elle-meme, et si
rapetIS5alS, J elle se veut, elle n'est pas absente, elle n'est pas en fuite,
~~yais comme ilsedoit au principe d'identité, elle peut se prendre et se donner à elle-meme. C'est en
4 e ~o~-~ontradictiòn~'dìinlfLJ>endant des années les regardant s'accoucher que j'ai appris à aimer les
lE.Elr<us,a ce~geriéiiédi!iriç~Téiais là avec mes femmes, à pressentir et désirer la puissance et les
~~ cIseaux", e.t dès .que je, voyais que je dépassais, ressources de la féminité; à m'étonner qu'une telle
~~, J~ coupe, J aJuste, Je ramene tout à un personnage immensité puisse étre résorbée, recouvene, dans
lDtltule : « une femme bien ». l'ordinaire. Ce n' était pas la « mère» que je voyais.
Berire? - Oui, mais ne faut-il pas écrire du point L'enfant, ça la regarde, Pas moi. C'était la femme au
de vue de Di.eu ? HéJaS ~ Alors renonces=y! comble de sa chair, sa jouissance, la Force enfin délivrée,
Je renonçaJS, ça se tas5alt. Se laissait oublier, Mes manifeste. Son secret. Si tu te voyais comment ne
effons . étaie~t r?compensés, Je voyais luire ma t'aimerais-tu pas ? Elle accouche. Avec la Force d'une
domesuque SalDtete. Je me regroupais, M'étètais, J'étais lionne. D'une plante. D'une cosmogonie. D'une femme.
s~kBPint d'advenir à l'une-meme, . Elle prend sa source. Elle tire, En riant, Et sur les traces
s
VJvfai , comme je Fai su depuis, I~ refoulé revient. de l'enfant, une rafale du Souffle ! Une envie de texte !
Est-ce un hasard SI mon Souffle reveruut ctans ces Confusion! Qu'est-ce qui lui prend? Un enfant! Du
~0m,e~ts spécifiques de mon histoire, OÙ je fis papier! I vresses! J e déborde! Mes seins débordent!
I expe~ence de la mon et de la naissance? Je n'y Du lait. De l'encre. L'heure de la tétée. Et moi? Moi
songerus ~ull~ment alors. Si c'est un hasard, c'est' que le aussi j'ai faim, Le gout de lait de l'encre !
~ frut blen les choses. Et qu'il y a de l'inconscient, Ecrire : comme si j'avais encore envie de jouir, de me
J accouche. faime accoucher, faimais les accouche- sentir pleine, de pousser, de sentir la Force de mes
me~~ ,- ~ mère est sage-femme - fai toujours pris muscles, et mon harmonie, d'etre enceinte et au meme
plaiSir a VOIr une femme accoucher. Accoucher « bien », moment de me donner les joies de la parturition, celles
Mener son acte, sa passion, se laissant mener, poussant de la mère et celles de l'enfant. A moi aussi me donner
comme on pense, mi-emponée, mi-commandant la naissance et lait, me donner le sein. La vie appelle la
c~ntr~ion, elle se confond avec l'incontròlable qu'elle vie, La jouissance veut se relancer. Encore! Je n'écrivis
frut slen. Alors, sa belle puissance ! Accoucher comme pas. Pourquoi faire? Le lait m'est monté à la tète ...
on nage, en jouant de la résistance de la chair de la Un autre jour, je fais un enfant. Cet enfant n'est pas
mer, travail du souffle en lequel s'annule la no;ion de un enfant. C'était peut-etre une piante, ou un animalo
« ~trise,~' corps à son propre corps, la femme se suit, Je chancelle. Ainsi tout se passait comme si ce que
se JOlDt, s epouse. Elle est là. Tout entière. Mobilisée et j'avais toujours imaginé se r roduisait en ' . ,
c'est de son corps qu'il s'agit, de la chair de sa c~r. Produisait la réalité. A cette occasion je ecouvris que je
.~ .-----_.-
40
EN'TRE L'ÉCRl1URE LA VENDE A L'ÉCRI1URE

ne savais pas où commence l'humain, quelle différence 'ouvre la bouche, je fais Ach, je tire la langue. ,J'en
entre l'humam et le non-humam? entre la VIe et la ai trois. rolS ngues onnez-mOl, t encore ne
?On-Vle, La « lìnute » est-ce que ça existe? Les morSo salt pas qu.!J en at une ou deux qw ne sont pas
et;ruent perces, leur sens fllyait. Un souffle s'engouffre. accrochées là, ou peut-ètre une seUle mais Challgeante et
L e~ant meurt. Il ne meurt pas, Impossible de faire un ni'ùliìplliiiie;unelailgueaesang, unèJaiigiie de nuit,
deuil. Une envie d'écrire est partout. C'est bien le une hmgue qui traverse mèS régions en tous les sens, qui
moment, me.dis-je, sévère. Je m'amène devant le juge: allume leurs énergies, les entraine et fait parler mes
«!u veux fatre un texte alors que tu n'es pas capable de horiwns secrets. Ne lui dis pas, ne lui dis pas. Il te
fatre un enfant proprement? Repasse d'abord ton coupera les langues, il te plumera les dents ! «Ouvrez
examen. » les yeux, rentrez la langue. » J'obéis. Le Maitre me dit :
- Comme mère, on ferait mieux, tu le reconnais ? «Allez au marché de la ville, décrivez-le. Si vous le
- Oui. reproduisez bien, on vous donnera un permis
- Qui es-tu? - .Te le sais de moins en moins, .Te d'écriture. » Je n'eus pas de permis,
renonce, Chaque année un Suroncle me dit : « Avant de passer
,En vérité je n'ai aucune «raison» d'écrire. Tout à l'encre, dis-moi : sais-tu parler comme un ouvrier? »
vlent de ce vent de folie. - Non.
__ IX ~ ~ bien qui je suis ?» - «Oh oui, dis-je, un
Et sans remède, sinon la violence et la contrainte.
Impossible de prévenir. Le souffle, quel malheur ! . Surov_ w$~I:ali,t· T Maltre d~È R~éEm9.!1.. ___._
e

Yas-tu te taire? On me tait. Qu'on la baillonne. ~ q'A;iti-Autre en pèreReTS?nne:,..»...._"-- "


Qu on la mette sous silence, Qu'on lui bouche les
n me refait sa centleme rescene : chaque annee, c est
la rememe. « On croit que vous etes ici : Et vous ètes là.
oreilles, .Te me la ferme, On m'examine. Quelque chose
Un jour on se dit: cette fois-ci, je la tiens c'est
n~ tourne pas rond dans cet organisme. ça bat trop
sUrement elle. Cette femme est dans le sac. Et on n'a
vI~e, ça coule trop fort. Ce creur n'est pas régulier . .Te pas fini de tirer les cordons de la bourse qu'on vous
sws malade, punissez-moi.
voit entrer par une autre porte. Mais enfin qui etes-
- Alors, me dit le docteur, on veut écrire ? vous? Si vous n'ètes jamais la meme, comment voulez-
" - Un peu mal à la gorge, dis-je, angineuse vous qu'on vous reconnaisse? D'ailleurs quel est votre
d epouvante.
nom principal? Le public veut savoir ce qu'il achète.
Il me d~e des pieds à la tète, il me coupe en petits L'inconnu ne se vend pas. Nos clients demandent du
m?rceaux, il t;ne trouve les cuisses trop longues et les simple. Vous etes toujours pleine de doubles, on ne
setns trop petlts. peut pas compter sur vous, il y a de l'autre dans votre
- Ouvrez la bouche, montrez ça. meme. Faites-nous du Cixous homogène. Prière de

43
ENTRE L'ÉCRITURE LA VENUE A L'ÉCRITURE

vous réitérer, Pas d'imprévu. L'altération, très peu pour $on souffle est irrésistible. Folle ou femme?
nous. Halte ! Repos, Répétition! D'une main elle tient son animàle serrée entre ses
« Le futur, personne n'en veut, Donnez-nous du cuisses, elle la caresse vivement (en tant que « folle ,,).
passé classé, ,:ieilli~ez. S~out ne nous déroutez pas, TI Tandis que de l'autre main elle s'efforce de la tuer (en
y a quand meme cmq mille ans que nous vivons avec tant que « femme" d'homme). Heureusement, le
vous: Les femmes, on sait ce que c'est. Moi, j'en ai une, malheur veut qu'en la battant, elle lui redonne de la
depws trente anso " joie, Et moi, mon maitre, que devi~ndr~-je ? De plw:
en plus folle. Ah! je ne saurai JamaIS. Le ChamOi
Confession : m'emporte, je suis perdue, ravie, je la touche, qu'est-ce
que je suis ? , ,
~'ai une animàle. C'est une espèce de chamoi, un Ne te touche pas, Fuis-toi. TI te coupera la mam . TI
mOlseau ou une moiselle. Elle m'habite, elle fait son te gèlera les moelles, TI te mettra des mitaines.
nid, elle fait ma honte dans son nido Elle est folle, elle
est nerv~e. l'ai le ~n de le dire. l'en ai le plus
grand
, p1aisrr.
.Ne, le dis pas. C'est une bétise, - Parfois , Requième Confirence sur l'Infiminité :
c est un nam, c est un poucet très malin: sept lieues
pieds nus d'un pas - c'est lui. L'animàle est mal Messieurs-messieurs, Mesdames-messieurs,
~levée, capricieus~ et en~ombrante. Elle vient quand je Tout en me préparant à vous inquiéter, je ne cesse de
l appelle, Quand Je ne l appelle pas elle vient. Elle me lutter contre vos difficultés intérieures et je me sens en
~et dans des pétrins. Le Suronde me surveille. TI arrive quelque sorte, d'avance, dans mon bon tort;o .-
a p.~ de Lo~p, q~d je lui donne à manger. Lui faire Mes écrits n'ont réellement aucune raIson d etre,
plaislr me delecte, Je n entends pas le Loup grincer. Le folie, folie ! En effet je ne sius rien : Je n'ai à éc;Ue q~e\-.
S~nde hurle, je sursaute, mon animàle se débine. Le c.!=..quo;je ne sais pas. Je vous écris les yeux fer~es ..Mais.
Vleux ~up veut nous séparer. Pour notte bien, pour le je sais lire les yeux ferma- .A vòus auttes qw avez des
?on blen pour le con bien ? TI se penche sur le berceau, yeux pOur-ne -paske, je n'ai rie~.à révéler, La femme
il nous Jette une malédiction: « Si tu l'élèves tu est une des choses que vous n etes pas en etat de
deviendras de plus en plus bete. Tu deviendras folle à la comprendre. . .
fin. Les hommes ne voudront plus de toi. Tu ne J'ai tout fait pour l'étouff.<:!::..J'Qut ce que Je dls est
deviendras pas une femme. " plìis que vrai:' A quoi sert de s.execuser lOn ne peut pas
Quelle peine, j'ai très peur. balayer la féminité. La féminité est inévita~le. Je vo.us.i(-
Chasse-la! Elle revient. Elle se faufùe entre mes demande d'en reprendre votre partiè: Prenez vos partles
cuisses. honteuses. Que Ses parties fières lui reviennent.

44
ENTRE L'ÉCRITURE LA VENUE A L'ÉCRITURE

Le trop-plein de la féminité vous déborde puisque Sans elle - ma mort - je n'aurais pas écrit. Pas ~
vous etes hommes. Mais vous etes sfus que vous etes d1cri.iré le voile de ma gOl.ge:l>as-'pousse le èii qui
humains ? déchire les oreilles, qui fend les m~s.~e p,asse
pendant la mort ne peut pas se dIre. ~e,~ dune----,
Afin de justifier mon bon tort, j'ai invoqué tous les certaine manière Ge ne crois pas me tromper en pensant
motifs pour lesquels je n'ai pas le droit d'écrire dans qu'il y a des traits ~versels ~e notre ~assag,: à la ~ort)·,
votre Raison: - ~cie)i.eud'où écrire. Pas de patrie - d'abord la differenç.c4.!ill,sou~ur__1!ltlme,.A une ...'
p~__d'hi~!?ir.:_ légitime. Ni cerutude,nrpropnet"e.----- phrasesaIsiè..Ear ia te;-eur; et simultanément déjà la_-----'
- Fa:s_,!e__lairgue sérìeuse-créClaree. En allemand je s'
IWieen 'à:1iant esqwssàIi.i:, le~ursit~ ~1i:()rreU!'.,,:: car
J?l~ur_e,_en,angw.:s=tioue; eli fra:.~a-is jc vute, je Sals -iLili; -ii --mon-on COnnatt la plus grande, Li plus
yoreuS~inrruc '... -------- -----~
repoussante souffrance - et. le retour en, arrière,
.,. . . . -
r~4i~?-· e ammai é___' ogra ,he l'indicible l'inavouable nostalgIe de ce que lon aura
tgleJol5., p'ar mOlS.. e savo . &ii:tout aucun sav .r. .,.. connu ~ le moment du mariage avec la morto Ce qui
:pc diplònie-dec"~"-~----:__ ., - tlon: nUITe. '\ s'est passé alors est décisif, c'est l'~bso~umen~
MOOèle: Point. TiDflnlè~-~··- ",,--
-- --"-------.... inoubliable, mais cela demeure dans une memOlre qw
n'est pas notre mémoire quotidienne, ~ une mémoi~e
/\
~\.O) Etrfo-;;;:;;;;;P elle écrit ! :
qui ne sait pas, qui ne parle pas, n es~ que ~r
labourée, couturée, preuve douloureuse maIs de qum ...
., '--=-:::::::-- --- Et de 1'~~e de la mort, on~eJa~_~d(!
rrabQffi~eùJ:L~;,;;:cli~~~>/- - peÌlr èt)éplus_gt@~U;>.ien : le d~~ir de se te~r.1Qu19.\!fL
Je suis morte. TI }'Jlun,abime. llya.Je,_sautÀ_Je àli 'plusPF~s,_d':E!!eJ_'c__m.9.!tL 2l~~:..-;...m..çre, ~--p-I!!L
t~ &s.U1ie~..QllégestatiQìkde·soi - enSòC~tJ:QlL.. i,W:ssante, c~~ql!i_~.9J!L<io@~ __ Ull~, VIO_ ente_p9~~e~,
~d la chairse taill~~> se déchire,' se aè-&siI:'de passer,• .de sauter,c~ ~n ne peut res~er. prés
decompose, se relève,.se sah fe!Ul1le noù'\Tellé~née-:W y a d'e!le.,slle aspire et donne asplratlon; ~ ce de~l~ est
une souffrance qu'aucun texte n'est aSsei- dòillc et tendu il est en meme temps son contrarre, le deslr en
puissant pour accompagner d'un chant. C'est p<>urquoi, s'app:ochant d'elle jusqu'à en mourir, .presqu.e, de se
pendant qu'elle se meurt, - puis se nait,..Alenèe.) tenir extremement loin d'elle, le plus 10m posslble. Car
Je n'ai rien à dire sur ma morto Elle a été trop grande c'est devant elle, contre elle, tout eontte elle, notre mère
pour moi jusqu'ici. D'une certaine manière tous mes la plus dangereuse, la plus généreuse, ce~e ~ui nous
textes en sont « nés ». L'ont fuie. En sont issus. Mon donne (alors que nous ne pensons pas, qu il n y a pas
écriture a plusieurs sourees, plusieurs souffles l'animent en nous de c1arté de pensée, mais seulement le tumulte,
et l'emportent. les grondements du sang, le trouble précosmique,

47
ENTRE L'OCRlTIJRE LA VENDE A L'ÉCRITURE

embryo~ire) l'envie foudroyante de sortir, rerorie~ jamais circonscrite par meme, car moi, ouvert, ne cesse
K l~ extremes se touchent, s'entrent et se renversent l'un de sentir s'écouler le sens, l'ame, les substances
daìiS I autre, et le jour ne vieni-pas-après la nuit mais corporelles et spirituelles du moi, moi se vide, et
Iutte avec .elle, l'étreint, la blesse, est blessé par ~lle, et cependant, de plus en plus lourde, tu t'enfonces, tu
l~ sang nOIr et le sang blanc se melent ; et de meme la t'abimes dans l'abìme du non-rapporto
VIe sort en rampant des entrailles de la mort qu'elle a Alors quand
~cérées, 9,.u'elle hait,qu'elle adore, et elle n'oublie o tu as tout perdu, plus de chemin, plus
de Sei1S;-plus de slgne fIXe,ptonte sol, plus de pensée
~m;ù~ue ~mort~e-ioubllèup~,_qu'elle est ~uJours qui résiste à une autre pensée, quand tu es perdue, ~ors
)~, gu errene ~9Wtt_q~~,_ouvre JaIenérre lè sein de toi, et "9~u.tl!~nt~sj:}c=_perdre, quan<!...n:.~:vlens
-- _~e~~!e.e~UA..k ytdel'~, :...- et~'e~t-s~pl~Srande le mo§vement affolant, ae:-~@re, ~rs-,.o c.;s!.,par-ta,
force, elle comprend que laliiOrt nous aime comme èìe la, oÙ tu es trame dechlquetee, Chair qw wsse passer o*"_
nous l'aimons, et que, d'une manière' étrange, nous l'é1:range: rne sans" C@e11S.e;-sansreslstance, sans bag~ __ "
pouvons en vé?té compter sur elle. Que c'est d'elle, de osans peau,tout engQi!Ifr~~..d":'al!~rr,os'oçst.Qans.f~§.!ç~
Mort notte mere double, que nous nous éloignons et hale~ts que desécritures teotra.v~~~t, ~_ es parcourue
n?us rapprocho~: en écrivant, car écrire est toujours par "des chants d'une pureté inowe, car ìIS ne s adressent
[ d abord une maruere de ne pas arriver à faire son deuil à personni!; i1s jailllsseiit,"ùS sOuroént, h~rs des gorges
-de la morto de tes habitantes inconnues ce sont des cns que la mort
!3-t je dis : il fa~t ;;vo.ir été aimée par la mort, pour et la vie jertent en se combattant.
nattre et passer a 1 ecnture. La conditlon a Iaquelle- Et ce tissu où tes douleurs te taillent ce corps sans
" co~ertcer a ecnre devlent necessaire - (et) _ bord, certe terre sans fin, ravagée, cet espace dévasté,
p~lble : tout /Jerdre, . ~voir un~o!ois tout perdu. Et ce tes états ruinés, sans armée, sans maitrise, sans remparts,
n est. pas une «c~mdlt1on» pensaolè. I u ne peux pas - 'tu ne savais pas qu'ils sont les jardins de l'amour.
vouJoi.r ~erore: SI tu veux, alors il y a du tu et du Non pas de la demande. Tu n'es pas une jalouse, tu n'es
vo~lotr, il y a da nQn-perdu. Ijcrire - commence, sans pas calcul et envie, puisque tu es peroue. Tu n'es pas
if't.o l' ~ !sans 191, sàv.eir, s~2~ sanS- dans le rapporto Tu es détachement. Tu ne mendies pas.
, espoì!~S~ sanssàns per;o~ i>rè~ toi _~ar si Tu ne manques de rien. Tu es au-delà du manque:
l'!iistOlre mondìile continue, tU n'y es PaS~s « en »
'/

Mais tu erres dépouillée, indéfmie, à la gràce de l'Autre.


«--~nfet»"at l'enfe~ est ~ où je ne suis pas mais où ce qui
0

Et si l'Amour passe, il peut trouver en toi le sans-


m est, "alors que Je sws sans lieu, se sent remourir à bome, le lieu sans fin qui lui est faste et nécessaire. Si ~
travers les temps des temps, ouuiion_moi entraine!iiOìu--- es peroue alors seulement l'amour peut se trouver en tol
d~ plus en plus 10io dellloi,et·où ce qui reste de moi sarusè-perore.
n est plus que souffrance sans moi-meme, sou.ffrance or·, sì fu es u:ne femme, tu es toujours plus proche
- -- ..
et -"

49
ENTRE L'ÉCRITURE LA VENUE A L'ÉCRITURE

pl~ loin de la perte-mLl!!Lho~e .. Plus capable et


----- ----------- - -------------------
----- ~~sé~,:ctll~n~e~.~dio~is~n~·~en~à~la~l~o~·&agne ta hberté: rends
.moms ~ap~ble ~~e. Plus attitée~-Plus repousséé-. tout, onn nne absalument tout,
l'1us seau.1t~" plus mterdite, Une mème. pulsion, entends-moi, tout, donne tes Eìiens, est-ce fait? Ne ,,_
ob,scw;e, divisee dans san sens, et toufoùcs l'iiivétse~de ~i!e rien,__ ce a qùOl tu tleiiS;- do~<::l,e!_1:_~~ ?,
!~:-me~e, te pousse, en te retenant, 'à ·perdie.- Checche-toi,cnerclleTeje, boweverse, nombreux, que
,S<l!L ll11,e _(~ fe~eH»' tout empreinte par l'héritage
a tu seras toujours plus loin, et hors d'un soi, sors, sors du
\'<. ' ~Io-culturer. on a mcwqué fèsprifdè « retènue»: El1é vieux corps, caupe à la Loi. Laisse-la tombe; de tout
I 4"F est· b:ì~ffié-1à-'ret~ri?e, _,s?c.iar~I.I!~!lt,.(9u si tu' veux, la son poids, et toi, fùe, ne. ~e re~urne pas : ~e n e~t pas la ,l'.

I refoulc;e, ~controlee.) ~e se retient et elle est retenue, P eine i! n'y a rien dernere tol, tout est a vemr. ~
I
par mil!e 1ie~, accroc;hee, conjuguée, cordons, chaìnes, De,la mo~, j7"'7l?i.s~gn_~~peu;!~r;:i~.qu,.~n~ussaIl~,,.._,_~:...~
' I "'.
ftlet, laisse, ecuelle, reseau de dépendances asservissan- nii?ffi:t:-:~.1!!et J'iIf:Ff~=-SUlS assIse en haut a~e
tes, rassurantes. Elle es~ ?éfinie par ses appartenances, édìelle aux degr'éS'l:ouverts de plumes maculees,
[emme de: comme elle a ete fùle de, de main en main, de vestiges d'anges défaits, très loin au-dessus des fleuves
flt en ~che, de niche en foyer, la femme en tant que de Babylone qui se tordaient entre les lèvres du Pays
complement-de_nom, a beaucoup à faite pour trancher qui toujours se promet. Et j':u ~. J'~s p1iée de rire.
9 n t'a appris à avoir peur de l'abime, de l'infmi, qui J'étais parfaitement seule. Et Il n y avalt ne?, ~u~ur ~e
t e~t PO~t plw: farnilie~ qu'à l'homme. Ne va pas moi. Je n'étais tenue à rien, je ne .me ,tefla!s .a nen, Je
pre~ de I ablme ! SI elle allait découvrir sa force ! Si elle pouvais avancer sans me poser, i! n y aVait pas ~e
aJ!ai~, saudain, jouir, profiter de son immensité ! Si elle chemin dans la main gauche mes morts, dans la ffia!n
fals:ut le saut! Et .ne tom?ait pas, camme une pierre, droite ~es vies à volonté. S'i! y avait du dieu, j'en étais.
~~ c~~e un OIseau, SI elle se découvrait nageuse Je n'ai pas checché : j'étais cheì'cllene.. .
~_...IDlliffilte . ,.-------~ Ati commencement, il ne peut y aVOlI que P1Ow:Ir,
~ La -t i l Uche l'au:,
.\ l'abfine, le premier rire..., ." .
rends le large. en ute: rien n'est EììSwte, tu ne sais pas.
C est la yle 'lw deCIde, ~
trouvé. Rien n'est p t est à chercher. Va,-;~Ie, - terrible force d'invention, qui nous dépasse. No~
nage, bondìs, déviile, traverse, aime l'incannu aime nous antici~Toujours sur toi, une hauteur d'avance,
l'incertain, aime ce qui n'a pas èncore etl"V;:--;;me un désit, le bon abime, celui . te suggère : « Saute et
persa~e, que tu es, que tu seras, qwtte-toi, acquitte-toi ';I). passe à l'infini. » Ecris ! Quoi ? Pre~ l Ri e .vent, pre.n s
cles. VI~UX mens~n!?es, ~e ce q~e .tu n '00;' pa~ c'est là 'lue l'écriture, faiS carps avec la letrre. VIS . sque :. qw ne
,-tu )0';llras.. ne .fals Jama!S ton ICI que d un là, et réjouis- risque rien n'a rien, qui risque ne risquC; ~en. ,
. ~OI, reJo~s-t~I de la ter,reur, suis-la où tu as peur d'aller, Au commencement i! y a une fin. N'aie cralnte : c est ~
elance-toI, c est Jlar là! Ecoute: tu ne dois rien au ', __
ta ~ort qui meurt. Enswte : tOUS les commencements.
•• _ " ._.__ • _ _ .. _.". _ _ _ H'" _ _ _

50
ENTRE L'ÉCRITURE LA VENUE A L'ÉCRITURE

Quand tu as touché la fin, alors seulement le est plus que diurne: une vie à plusieurs vies, toutes ses
Commencement peut t'advenir. vies de nuit, et toutes ses vies de poésie, Ainsi s'étend
D'abord j'ai ri, j'ai crié, une douleur m'a dicté mes ètse cherche l'amour, littéralement, charnellement. Si tu
premières lettres d'enfer. M'a taillé de nouvelles oreilles écris femme~ tu le sais comme moi: tu écris]:iOuf'
pour l'avenir et j'ai entendu les cris du monde, les rages aoliner au corps ses Livres d'Avenir parce que l'Amour r
et les appe!s des peuples, les chants des corps, la .. tea1ci:e !eo~Jl911Y~l1es--8c:nèsts~Pas pour combler l'ab ime,
musique des supplices et la musique des extases, T!lais PQur t'aimer jusqu'au fond de tes abimes,. Pour
J'écoute, 4~t~ pas pour éviter. Pas pour surmonter; pour
Mais si l'espace sans limite ne m'avait pas été donné ~ orer, p~o~en;:-visi~er:~ où tu écri~. ca ~dit, ~<,>~ ~
alors, je n'aurais pas écrit ce que j'entends. Car j'écris , corps se dep e, ta pe:l~racontues leg~ndes Jusqu IC1
riiliettes:------ . _.
pour, j'écris depuis, j'écris à partir; de l'Amour. J'écris
'.0.0 •

d'Amour, Ecrire~.. . insnséparables. ECril'e est un .0 L'amour fait un geste, il y a deux ans, un envol de
~ geste de l'amour,~.l.e_~ . - paupières et le texte s'enlève : il y a ce geste, le texte en
CfulCUri se nournt et s augmente de l'autre. De meme surgit. TI y a ce texte et le corps prend un nouve! essor,
que l'un n'est pas sans l'autre, de meme Ecrire et Aimer Lis-moi - lèche-moi, écris-moi l'amour. Elle ne se
sont amants et ne se déploient qu'en s'embrassant, se met pas en abysme pour saturer la béance crainte ; ses
cherchant, s' écrivant, s'aimant. Ecrire: faire l'amour à abimes elle les célèbre, elle les veut ouvens, elle désire
l' Amour. Ecrire en aimant, aimer en écrivant. A leur sans-fond, leur promesse: jamais tu ne nous
l'Ecriture l'Amour ouvre le corps sans lequell'Ecriture combleras, tu ne manqueras jamais du bon venige;
s'étiole. A l'amour la lettre fait chair aimée lue pour ta faim nos sexes sans fIO, nos différences,
multipliée en tous les corps et textes que l'amour pon; Toujours le texte s' écrit sous la douce contrainte de
et attend de l'amour. Texte: non le détour mais la chair l'amour. Mon seul tourment, ma seule crainte, c'est de
en travail d'amour. ne pas écrire aussi hau~ que l'Autre, mon seul chagrin
Pas les opérations de la sublimation. Elle ne se donne c'est cle ne pas écrire aussi beau que l'Amour, Toujours
pas dans le texte des satisfactions dérivées. Elle ne me vient le texte en rappon avec la Source. Si la source
transf?rme pas ses désirs en objet d'an, ses douleurs et était barrée je n'écrirais pas. Et la source m'est donnée,
sa ~litude en p~uits de prix. Pas de réappropriation. Ce n'est pas moi, On ne peut pas ètre sa propre source.
~ amour ne s echange pas contre de l'adaptation . tou' ours là. Toujours l'éclat de l'ètre qui me
sociale, ses signes de vie n'ont pas d'équivalents o e e Là, Que je ne puisse cessex:_e~._._, ._._ \
~ds .. Les objets de reve non plus ne sont pas des quière furieusement aetoiiies ~!l1e~Jg~.!l~ de..t<?us.E1eso~
obJets sublimes. Et Comme les textes, ils ne sont pas osenso SOurce qU1 donne le sens et l'élan à toutes Fs
sans effet sur la vie éveillée, ils la transfonnent, sa vie auttessources, qui allume l'Histoire pour moi, met en

53
ENnE L'ÉCRlTIJRE LA VENUE A L'ÉCRITURE

vie toutes les scènes du réel, et me donne mes ma vie le champ charnel d'une
naissances chaque jouro Elle m'ouvre la terre et je ie en ersonneo y a ongtem -\..f-
m'élanceo Elle m'ouvre le corps et l'écriture s'éhiIiceo ~qu~e~l~es~n::o~ms:;;Sq~w;=;n~e=so~n~t~pro~p~re:;s~qu'à l'envie de
L'aimée, celle qui est là, celle qui est là toujours là, celle posséder ne sont plus propres à nommer l'erre qui
qui ne manque pas, qui ne fait pas défaut, mais dont s'égale à la Vie oTous les noms de la Vie lui vont, tous
chaque phrase appelle un livre - et chaque souffle les noms ensemble ne sufflSent pas à le désigner oQuand
inaugure dans ma poitrine un chant, un là qui ne j'aurai fini d'écrire, lorsque nous serons retoumés à l'air
disparait pas mais que je ne «trouve» pas, que je du chant que nous sommes, le corps de textes que nous
n'enferme pas, que je ne « comprends » pas, un sans- nous serons faits sera un de ses noms parmi tant
limites pour mon sans-limites, l'ètre qui se donne - à d'autreso
chercher -, qui suscite et relance le mouvement qui me Ni père ni mère, ni frère ni homme ni soeur, m,.'°,r>-__
fait battre le coeur, qui me fait lever l'enere et repartir l'ètre qu'a 1'Instant l'amour nous IO e de devenir
chercher plus loin, questionnante éternité, inlassable, parce qu nous plait ou nous importe sur cette scène,
insatiable, réponse qui pose une question, sans-fino aans aans
ces bras, cette rue, au coeur de cette lutte, au
L'amour me donne l'espace et le désir du sans-fmo ereux de ce lit, dans cette manif, sur cette terre, dans cet 1\
Dix mille vies n'en couvrent pas une seule pageo Quel espace_ ~ué de signes - politigues, culturels" et I\
malheur! Quel bonheur! Ma petitesse, quelle chance! paréOuru de signes amoureuxo_Souvent tu es ma m:r~
Ne pas connaitre le terme! Etre en relation avec le ìè\illriiofume et mOl souvent ta fùle fùs, ta mere
plus-que-moi! Me donne la Force de vouloir tous les minérale, et toi mon père sauvage, mon frère animalo n
" les aimer, d'en aimer la menace, y a des ossibilités ui n'ont °amais 5 00 D'autres to~t
( :---
l'inquiétante étrang 'o -'Amour
-, ,._--~ .-m'arriveo
-~-'---_._-
Son visage : a alt imprévues qui nous sont survenues une seule fOlSo
leso Fleurs, animaux, engins, grand-mères, arbres, fleuves,
Son regard, le meme l'Etemel, et cependant je ne nous sommes traversés, c és s riso
l'avais encore jamais reçuo Sa voix, comment l'entendre, 00- nre: o Je suis touchée, caressée, blessée, r
comment avec mes oreilles hurnaines entendre la voix ensUite~eì'Che a ,decouvrir le secret de ce to~ ~o
qui fait résonn~~, o mille voixo Je suis frappéeo Je suis pOur l'étendre, le céfébrer et le transformer en une autre
touchéeo Icio -;Ici-Là Mon corps est atteinto Agitéo Sous
/
les coups de amour, je prends feu, je prends l'air, je
prends lettreo Ce n'est pas que je ne résiste paso n parle
et c'est moi qui suis proféréeo •••
Qui me fait écrire, gémir, chanter, oser? Qui me
donne le corps qui n'a jamais peur d'avoir peur? Qui

54 55
ENTRE L'ÉCRI1URE
LA VENUE A L'ÉCRITURE

Le jour se cache ? La nuit les langues sont déliées, les Ces perles, ces diamants, ces signiflllnts qui font mille
livres s'ouvrent et se révèlent, ce à quoi je n'arrive pas, sens d'un feu, je l'avoue, souvent je les ai dérobés à
mes reves y arrivent pour moi. Longtemps je me suis mon inconscient. Le coffre à bijoux. On sait ce que
sentie coupable : d'inconscient. Je me fJglll'ais l'Ecriture c'est. Toutes les femmes en ont un. Mais parfois i! est
comme l'aboutissement d'un travail de savant, d'un vide. Parfois elle a perdu la clé. Parfois c'est papa-
rnaitre des Lumières et des mesures. Et toi ? Moi, je me rnaman qui le lui a piqué. Parfois elle ne sait plus où elle
surprenais, je n'avançais pas, j'étais poussée. Je ne l'a rangé. Et moi, furtive j'arrive, un petit casse, une
gagnais pas mon livre à la sueur de mon front, je le seule fois, je furette, ah! ces secrets! (- Voyez les
recevais. Pire encore : je volais. fétais tentée : i! y avait hpero Papers de Henry James, comme tout est dan.s le
ce jardin sans grille dans lequel surgissaient tous les tiroir, à condition que, pour que, les lettres SOlent
textes, mille et un contes par nuit. Les fruits de l'Arbre volées), je glisse un cei!, une main. C'est irrésistible.
de la Naissance ! fai salivé! L'arbre de la fiction! N'y Imposture de mes signatures, me disais-je naguère.
goute pas ! ce n'est qu'un reve ! Celui qui goute du fruit Voleuse! - Moi, voleuse? - Mais qui est
de cet arbre ne sait plus de quel coté se réveiller. « vole l>:J::::
Chaque nuit, des forets de textes, des tables chargées de . -òi-est le propre? De qui suis-je le pirate d'amour? y _
lettres fantastiques. Comment résister? T oute cette
écriture défendue ?
ge
_qu.d~~_!:~es Ill~_?ì_sen~}a _n_~t je l'écou~e:et Je
lè répète. Une pattle du texte est de mo!:Yn: P!l!le~~!:
-p: (J~- v~ Timidement d'abord: mème pas un we, arraènéeau'còrps des peuEfeS;Wiepartie est anonyme, .
mèmç pas un fruit, son parfum, une couleur, une
douleur, que je ne rendais pas à l'oubli, que je retenais,
une
partle est rilòn frère. çQ;Iqg-'-.panie.est__un_t9y,tJl1!.e .
jedéSiré, 1l!loe._viépltl~J~!~~d.~, que j'envie ~ admire, ~
et dont l'éclat me servait à airnanter à l'aube, dans qw :ifoute son sang à mon sang. TI y a touJours en mOI_
l'entrejour, quelques phrases fascinées. « C_o~eIlL quelqu'un de plus grand qU.e._ffiQi, de plus noble, de plus
écrivent=i!s?" me demandais-je et !lles_fo~s me puIssam;-qwme-pousse à grandir, que j'aime, que je ne
mont:aJ.ent rIitète. «Qu' est-ce qu'ils savent, les sages, ch~e pas à égaler, un COrpsLune àme,un t~&~ -
les maitres, les dompteurs de cOdes?" '& moi, là,' humain que je ne veux pas -rc=tenir, auquel je veux livrer
Ì><>urswvie de reves, submergée de visions, pataugeant passage,..allquel je m'enchante4mir à a.~er l'!nfini.
dans des langues insoumises, je longeais les murs de ~~ll.eCixous, ce n'est pas moi, ç'est c_eùX-~~~
leurs parcs à la française avec mes foisons, mes terres dialités dans mon texte,_Jla,I'çcque. tenrs vleS.-1:èìii.S::- -~,
ivres, mes vergers sauvages. Et je ne savais pas tirer des peilles, leur forcè exigen.t, qu'il_ r~entis.se----
traits. ... ------ .
En douce, je me suis volée moi-mème. Ne le répétez •
pas !
••

57
ENTRE L'ÉCRITIJRE

La nuit, 'e rends mon co s, je me glisse au volant,


-'--
LA VENDE A L'ÉCRITIJRE

abandonnés dans des berceaux d'osier, j'ai pour le sort


je me a ile entre mes rideaux, je me co e entre eux des vivants l'amour infatigable d'une mère, c'est
sangs, suivant les jours de nuit je monte, je descends, pourquoi je suis partout, mon ventre cosmique~
des villes me sortent, je les sillonne, je les quitte, toutes travaille mon inconscient mondial, 'e fous la mort à la
mes sorties par le haut, est-ce que je rève? Non. Ce porte, e e reVlent, on recommence, je suis grosse e
sont mes vies qui m'arrivent, toutes celles qui me commencements. Qui la nuit l'amour me fait mère, il y
mènent partout, dans les régions, les terres, les a longtemps que je le sais, j'étais mère déjà, quand
paysages, cités, cultures, nations, où mon ètre a été j'avais encore à la Iangue le goùt d'un dernier biberon,
touché, une seule fois suffit, au vif, frappé à J'étais mère alors de ma mère, de mon frère, de mes
vie, - dans tous les lieux d'où m'a été postée une lettre parentS Je les prenaIS aans mes bras, je les transportais
d'amour ou une lettre de haine que mon corps a reçue si
par-dessus les collines:;1e les sauvais des IDIZi§, Depuis
puissamment qu'il ne peut pas ne pas répondre. Elles
j'ai inventé tous les moyens de trans rt connus et
m'ont menée dans presque tous les pays simples, les
inconnus. l'ai fait déco er es avions d'un battement de
pays composés, les pays décomposés, reconstitués, -
en tous les sites où l'Histoire vient féconder ma .creur;Jiii ri en lisant Vinci, un de mes plus anciens
géographie, Je voyage : où on souffre, où on se bat, où jeunes frères, un féminin pluriel comme moi, j'ai été
on se sauve, où on jouit, mon corps est soudain chez tous les oiseaux, joie de ma vie, le jour où m'est revenu
lui. que mon père était une cigogne, En tant que mère j'ai
ondial mon inconscient, mondial mon corps. Ce eu naturellement besoin d'ailes, Porteuse, ravisseuse,
qui se passe à exteneur se passe a m eneur. e s~ celle qui élève, Ce que je sais aujourd'hui, si je ne le
mQ1-meme la terre, tout ce w s' passe, les Vles qui savais pas hier' ' pas, était déjà là,
m'y Vlvent sous . , ntes e vo e, " roté er écha er, voler. u es poursuivie? La
, ageuse, e corps du voyage et l'esprit du voyage, et censure est eme e e ecs
tout cela dans une telle souplesse que j'entre et sors, avares, de refoulés, d'édictateurs, d'archi rofs, de
j'entre et sors, je suis dans mon corps et I/Ilon corps est Patto us cas mment surviv1'3.lS-tu a ~-
dans moi, je m'enveloppe et me contiens, on pourrait est 'té armée u<;I>Quvoir si tu n'àvrus pas fOujOurs
craindre de se perdre, mais cela n'arrive jariials, une de ---toi, avectoi, en -', un peu de mère pour te
~vtes meJ@l~ujours a bon corps, rappeler que ce n'est pas toujours le mal qui gagne ; s'il
n'y avait pas toujours un peu de mère pour te donner la
Que de Iarmes je verse la nuit ! Les eaux du monde paix, pour garder à travers les ages et les guerres un peu
s'écoulent de mes yeux, je lave mes peuples dans mon du lait de vie, un peu de la jouissance d'me qui
désespoir, je les baigne, je les lèche avec mon amour, je régénère? Un peu de livre, un peu de lettre, pour te
vais aux rives des Nils, pour recueillir les peuples raninter?

59
ENTRE L'ÉCRlTURE LA VENUE A L'ÉCRlTURE

Volli pourquoi, comment, qui, ce gue, j'écris ~Ie .. (en) Eurydice.Dèsque.tu..uJailises conduire au-delà des
lait. La nourriture forte. Le don sans retour. L'écriture codes, ton corps plein de crainte et ae 7òìe; les mots .
aussi, c' est du Jaìt. :re nouiTis. Et comme toutes celles s'écartent, tu n'es plus ensmée dans-leo·plans des
c6i1Sti'ilctìons ·sociaIes; tuIÌ.emarches prusentre tes
qui nourrissent je suis nourrie. Un sourire me nourrit.
miIrs~ r~s sellS séCiiwerif, le--mondedes rai1s explose, les
Mère je suis fille : si tu me souris, tu me nourris, je suis
:iirs" passent, les désirs font sauter les images, les
ta fille. Bontés des bons échanges.
passions ne sorit plus ericliaìnées aux géll~~ogies, la vi,
Mystère de la haine, de la méchanceté : celui qui hait n'estplus c!ouée aQ temps des_générations,l'amour n'est
n'est-il pas dévoré vivant par la haine ? Celui qui garde plus aigllillé dans le sens décidé par l'administration des
la richesse et la nourriture pour lui-meme est alliances.pl!!?,liques. Et tu es rendue,à tesinnocences; tes
empoisonné. Mystère du don: le don-poison: si tu pC;ssibilit§,làb<)i1(,taI!cç _ilç te~jntensi~~"Mainteri.iÌJ.t,
donnes, tu reçois. Ce que tu ne donnes pas, l'antidon, écoute-ce qiiè ton corps n'osait pas laisser affleurer.
se retourne contre toi et te pourrit. .. Le mìerClffedit-:-je suis la fìtie du talt et·wmìel. Si
Plus tu donnes, plus tu jouis, comment ne le savent- tu me donnes le sein, je suis ton enfant, sans cesser
ils pas ? d'étre la mère pour ceux que je nourris, et tu es ma
J'écris _=_mèr~Quel rapport entre mère et femme, mère. Métaphore? Oui. Non. Si tout est métaphore,
fille? j'écris - femme: QUelle dìHérence7YiiléReque- rien n'est métaphore. Un homme est ta mère. S'il est ta
roon . corps m'apprend: tout d'31ord, méfìe-toi des mère est-ce que c'est un homme ? Demande-toi plutot :
noms : ilS ne sont que des outilS sociaux, des concepts y a-t-il un homme qui puisse me ma mère? Est-ce
ngtdes, petltes cases a sens qu on met en pIace comme I qu'un homme maternel est une femme ? Dis-toi plutot :
tU sais, pour que nous ne nous melaì:igions pas les uns .l.II il est assez grand et plusieurs pour étre capable de la
-le5 alines sans quoi Ia SOCiète a onCtlonnement bonté maternelle.
CacaprtaIiSte·-ìieneffiÙ":ut pas. Mais, arme, prends le - n y a des filles qui ne sont que « filles », qu'enfance,
témps de te de-nommer une mlnute. N'as-tu pas été le plaisir et malheur d'enfance et de dépendance. Et il y a
père de ta sceur? Ne t'est-il pas arrivé en tant des mères qui ne sont pas maternelles, qui sont des
qu'épouse d'me le mari de ton époux, et peut~ soeurs jalouses comme les trois ou quatre mères-sceurs
frère de ton frère ou que ton frère soit ta sceur ainée ? \ deC~.
J~..suis sortie des noms, assez tard, personnellement, fai . Ei~~ Femme, est pour moi celle gui ne tue
" èru -' u' . ur où l'écriture m'est venue aux lèvres personne en elle, celle gui (se) donne ses propres vi~s·:
,J. \ .--: à Père, à Mari, à Famille, et 'e l'ai a é c '. nre femme est toUJours d'une certaine manière «mère»
pour elle-meme et pour l'autre. .._-
es noms, c est e meme ges~ nécessaire :
dès-'q"'u""Eury=""Qit::c""e-cc. appeHe --orphk -71 s'enfoncer où n y a de la mère en toute femme. Malheureuse la
changent les mes, Orphée s'aperçoit qu'il est lui-meme « femme » qui s'est laissé enfermer dans un mie à un

60 61
/
.,
ENTRE L'ÉCRITIJRE LA VENDE A L'ÉCRITURE

seul degré! Malheureuse celle que la vieille Histoire empare et le nomme. D'abord j'épouse, je suis épousée :
contraint à se laisser enroler dans les guerres injustes, je ne barre pas, je ne ferme pas mes terres, mes sens,
celles que les angoisses et le manque d'amour fomentent l'esPil~_C1iai'nel qw s'étend detrlère-mes yeux: je me
sans cesse entre les mères, les filles, les brus, les s=s, laisse traverser,' imprégner,-iìHeeter Veplus possible:
Ces guerres viennent des hommes et elles leur profitent. jusqu'où, encore un peu, et je serais perdue pour moi),
Malheur à la fille qui apprend par sa « mère » à hair la infùtrer, envahir, médium ma chair et l'immense
mère! machine à visions, à signes qui produit dans un lieu que
En la femme, la mère et la fille se retrouvent, se
préservent, l'une avec l'autre, l'enfance entre dans la
maturité, dans l'expérience, l'innocence, la fille est dans
« commence » pas par « écrire » : t
je situe vaguement entre ma téte et mes poumons. Je ne
n'écris pas. La vie 'y
fait texte à partir de mon corps. e suis d~jà au texte.
la femme la mère-enfant qui ne cesse de grandir. ~oire, J'<lIIlo\ll'>4,~Lol~.e, ]c: ~~, le travill, re
li y a de la mère en toi si tu t'aimes. Si tu aimes. Si tu désir )'inscrivent dans mon corps, je me renas ou se
aimes, tu t'aimes aussi. Voici la femme d'amour: celle donne àèiìiendre "Ta-Iàngue fondamentale ", la langue
qui aime toute femme en el1e-meme, (Pas Ja « bene: corps en laquelle se traduisent toutes les langues des
fuììUtiC dont parIe I onde 'Freud, I:t belle au miroir, la
choses, des aetes et des étres, dans mon propre sein,
belle qui s'aime tellement que plus personne ne peut l'ensemble du réel travaillé dans ma chair, capté par mes
l'aimer assez, pas la reine de beauté.) Elle ne se regarde nerfs, par mes sens, par le labeur de toutes mes cellules,
pas, elle ne se mesure pas, elle ne s'examine pas, pas projeté, analysé, recomposé en un livre. Yision: ma
l'image, pas l'exemplaire, La chair vibrante, le ventre poitriE-,e ,cotpmuleJ~_~~e.~Illl<:Je."Q\!:IT~,.M.ew'0umons :".
enchanté, la femme enceinte de tout l'amour. Pas la comme 1es ro eaux de la Thora. Mais une lnorasans
?l1--dorÌt'-leS'roUJeauX'Wmpriment'etse'JcfPiOiem-il-
séduetion, pas l'absence, pas le gouffre paré de voiles.
La plénitude, celle qui ne se regarde pas, qui ne se travers les iènips 'et, sur 'Ia 'meme Histoll'e" s'ècrlvem
réapproprie pas toutes ses images de reflet en visage, toutes' les històires, l(;s 'éVénements, 1es" cfiangeméiits
pas la mangeuse d'yeux, Celle qui regarde avec le regard éphémères et lesj:r!!!!s.!ormations, j'entre à l'intérieur de
qui reconnait, qui étudie, respeete, ne prend pas, ne moi les yeux fermés, ètça se'TIt. Ce lire est opéré ici,
griffe pas, mais attentivement, avec un doux par l'étre-qui-veut-naitré, une pulsion, quelque chose
acharnement, contemple et lit, caresse, baigne, fait qui veut à tout prix sortir, s'exhaler, une musique dans
rayonner l'autre. Ramène au jour la vie terrée, fuyarde, ma gorge qui veut résonner, un besoin donc charnel,
devenue trop ptudente, L'illumine et lui chante ses qui me poigne la trachée, une force qui contraete les
noms, muscles de mon ventre et tend mon diaphragme comme
Ce qui me pousse à écrire, - analogue à ce qui si j'allais accoucher par la gorge, ou jouir. Et c'est la
pousse la mère à écrire l'univers pour que l'enfant s'en meme chose.
ENTRE L'ÉCRlTURE LA VENDE A L'ÉCRlTURE

Cet etre d'air et de chair qui s'est composé en moi douleur, sang et chant ! Leid ! Leib ! Douleur et corps.
avec des milliers d'éléments de significations arrachés Leib ! Leich ! Leis ! Lai, hyrnne, !ait. Lieb ! Amour. Je
aux divers domaines du rée! et liés ensemble par mes suis aimée. Les lettres m'aiment. Leise. Douceur. Je sens
émotions, ma rage, ma joie, mon désir, impossible de que je suis aimée par l'écriture. Comment ne
dire d'avance ce qu'il sera, ni à quoi il ressemblera : pas l'aimerai-je pas ? Je suis femme, je fais l'amour, l'amour
plus que de prévoir les formes que les laves prendront me fait, il nous vient un Troisième ~,s,,_l}11e~t1'9is~1!!e
en refroidissant. li prend la forme, le visage littéral, qui vue, et nos autres oreilles, - entre nos deux corps
convient à ce qui de lui veut faire senso S'il veut faire @JJ,'troisième còi'P.ssurgit, vole et' va voir-pius'iiaurte
sentir: guerre, luttes politiques, il se coule dans une sommet des choses et ausémrn.et's~enlèVe'eriQirèdiòn
forme théatrale. S'il veut faire sentir deuil, ah ! tu m'as ,des J?li!s hautes Chòses;plongé; nàge entte-iìiJs ea:or,
abandonnée, son corps est sanglot, souffle coupé, blancs descend~ '. expTòre Te' -f'Oild des corps, détache et sacre
et crises du Dedans. S'il veut éc1ater orgasme se chaque organe, connait l'infime et l'invisible - mais
répandre reprendre plonger il se fait entièrement E<>ur que s'écrive le troisième corps il faut que
~ujJles. l'extérieurentreet que l'intér1èùr s'iiuv're:' Si---n:r-me-, i
Ce qui en moi s'élabore longuement s'inscrit en òouclléSlèsoreilles, si ru:fernres1non-corp-sala musique
surgissant dans une forme qui m'est imposée. extérieure-intérieure, si tu barres le chant, alors tout est
Ainsi chaque texte un autre corps. Mais dans chacun silence, l'amour s'essouffle, s'assombrit, je ne m'entends
la meme vibration : car ce qui de moi marque tous mes plus jouir, je suis rompue perdue. Ce qui tombe sur le
livres rappelle que c'est ma chair qui !es signe, c'est un papier c'est ce gui m'est entté dans tOut lè texte'par'[es ~
rythme. Médium mon corps rythmé mon écriture. oreilles. . . - ' ,. ,.. , --"
Deux forces me travaillent ensemble, je suis sous la -D'word, le chant de la mère le !ai de l'àme je ne me
tente cosmique, sous la toile de mon corps et je regarde, lasserai jamais, entre, mon amour, nourris-moi, mes
je suis le scin où tout se passe. Et EC:n~t,<N~ i~ vois _ àmes ont soif de tes voix, maintenant je déborde,
j'écoute. Ce qui se passe est simultanément chant. maintenant l'épanchement, je sors de moi en rivières
D'une certainè' rÌÌa!!Ì~re'ilifOp&a:rii'habite; Ce' querna sans rives ; ensuite, plus tard" on émerge de sa propre
mairi '!alt couler sur le papier c'est ce que je vois- mer, 0Il gag!l; uÌl. 'bordo .on coupe. Alorssi -l'Oli' v'eut
entends, mes yeux écoutent, ma chair serote. Je suis faìfe'Uvre, on s'outille, on taille, on fùtre, on revient sur
enfreinte. Je suis poussée à bout. Une musique soi, dure épreuve, tu marches sur tes chairs, tu ne voles
m'inonde, m'inculque ses pottées. Je suis enfance, ma plus, tu ne coules plus, tu arpentes, tu jardines, tu
mère chante, sa voix d'alto, encore ! encore ! une belle fouilles, ah tu nertQ.ies et rassembles, c'est ~
langue me lèche le cceur, ma chair comprend l'allemand J'homme. On jerme,)m tire les fùs, on serre la trame, ~
que je ne comprends pas. Q Lied! Leid! Chant et on exécute eriétat de vigilance le travail du reve, on
/
,
(

ENTRE L'ÉCRlTIJRE LA VENUE A L'ÉCRlTIJRE

triche, condense, empile, distille, Et maintenant aime-les-":--m'-es--4ez toi dans leurs terres, elles te ) k
comment nommer ? "';sitent eètu !~~:v:i~~~~~~urs sexe~ te. prodigue~ ( ;,
On rève : «La table est ronde, Je parle de plus en secrets. e que tu ne COllllalSS;US pas elles te
plus fort pour couvrir le bruit, je pisse de plus en plus l'apprennent et tu leur apprends ce que tu apprends
fort, je parle de plus en plus fort, cela prend la force d'elles, Si tu l!:s...ail;tlJ=s, chaque femme s'ajoute à toi, et
d'une cascade, cache ça, je parle de plus en plus tu deviens -l!lllf'emme:'j
fermement, une bouche d'eau ouverte à grands jets, ce Ton inconsclent 1eminin singulier: un inconscient,
discours est philosophique, cache ça, quel excès, tous les '. comme cdw de tout etre hWllain, Cdnstitué transcultu-
regards sur moi, une pissertation, quelle en sera la I I rellement. Découpé dans l'Histolre, remarque par tèS
~ , témoins,ton li~"à~'un auteur, le réel en
conclusion ? » Revée,
écrit une partie, en raye, en trie, en triche une autre,
Qui te reve? D'où viennent les messagers qui te
national et transnational, millénaire et instantané, un dé
confient dans des langues pourtant étrangères les secrets à coudre, un continent cousu sexe, tes cent origines
des mouvements humains, les nouvelles des peuples programment la chair à reve. Et cette chair,
auxquels tu n'as jamais songé, qui font mourir dans ton surhistoricisée, musée, recoupée en tout sens, surléchée,
corps des tribus affamées, qui te donnent à aimer des c'est une chair féminine ; en elle la « femme » projetée
enfants nés de ta chair qui ne sont pas les tiens, qui par la Loi, blessée par les memes coups de censure qui
accueillent sous ta peau des milliers d' ennemis taillent à toute femme un imaginaire sur patron, - plus,
anonymes qui en veulent à ta vie, à ta liberté, à ton ou moins collant, ajusté, incarcérant; cette «femme»
sexe ? Et de reve en reve tu te réveilles de plus en plus petitesse-culture rencontre la femme singulière gran-
p.a],ertée, de plus en plus femme, Plus tu te laisses rever, deur-vie, semblable à la femme génétale, Dans le
:--plus tu te laisses etre travaillée. plus tu te Jalsses ètre mouvement de son économie pulsionnelle comme elle,
: mquiétée, poursuivie. me~cée,- aimée, pIiis tu écris, virtuellement, surabondance et dispersion, mais diffé-
i /plus tu échappes à ~ censure. plus ra-reriime s afhrme, rente comme un texte d'un autre texte .
. ' s découvre et s'in _te Et il t'en arrive de plus en plus Ecris, rève, jouis, sois rèvée, jouie, écrite.
nombreuses, plus e osées, nues, fortes, nouvelles, Et toutes les femmes sentent, dans l'obscurité ou la
Parce qu'il .eu en toi our e es. Plus e es sont lwnière, ce qu'aucun homme ne peut éprouver à leur
aimées, plus elles croissent et s eten ent, s'approchent, place, les incisions, les naissances, les explosions dans la
se donnent à voir comme jamais encore, plus elles libido, les ruptures, les pertes, les jouissances dans nos
sèment et lèvent de la féminité, rythmes. Mon inconscient est branché sur ton
Elles t'entrainent dans leurs jardins, elles t'invitent inconscient,
dans leurs forru, elles te font parcourir leurs régions, Demande-toi : ~')
elles inaugurent leurs continents. Ferme les yeux et - Comment tu fais pour que l~ircul:fo0rs -"".~

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ENTRE L'ÉCRITURE LA VENUE A L'ÉCRITURE

que c'est le signiftant qui se présente, la scène, le peur de manquer d' eau, il ne s'arme pas de son baton
déferlement de sons charnels, hallucinants? Qui te mosaique pour battre le rocher. TI dit : «J' ai soif », et
monte à la gorge, aux muscles ? 1'éeriture jaillit.
- Comment ce qui m'affette vient au langage, sort Sombrer dans sa propre nuit, etre en rapport avec ce
tout-énoneé je ne le sais pas. Je le« sens », mais c'est le qui son de mon corps comme avec la mer, accepter .
mystère meme, ce que le langage est inapte à faire 1'angoisse de la submersion. Faire corps avee le fleuve '. _,"-,
p a s s e r . _ - "~~ jusqu'aux rapides plutot qu'avec la barquè, s·exposer"à:"<;.
Tout ce que je peux en dire, c'est que ~enue ~ au ce danger, c'est une jouissance féminine. Mer tu
langage, est une fusion, une eoulée en fuslon,-Sif' y a retournes à la mer, et rythme au rythme. Et le
~mterventiOn» de ma pàrt e'est-aans-'u.Ìle sorte de batisseur: de poussière en poussière à travers ses
cc ~~~:-~_Qacrjvjté ~ passive comme si je monuments érigés.
m1ilcitais: «laisse-toi faire, laisseJ.asser 1'écriture, La féminité d'un texte ne peut guère se laisser
laisse-toi tremper; '-ressìver: 'd&ends-toCdeviens le rassembler ou flécher. Qui passera le mors à la
fleuve, lache tout, ouvre, déhoucle, lève les vannes, divagation? Qui ramènera le dehors dans les murs?
roule, laisse-toi rouler.. ,» Une pratique de la plus Comme si je vivais direttement en prise sur
grande passivité, A la fois unc:, ,yocation et une 1'écriture, sans relais. En moi le chant mais qui, dès
technique, CetteJl১1V1té:'~ est not~ mànlère-=.. ~!! 1'émission, accède au langage: un flux immédiatement
vérité active - de eool}a!tre le~ choses en nous laissant texte. Pas de coupure, sonsens, chantson, sangson, tout
/, éònnaitre Pi1,Lelles,_TJLn~ ehercb,~s. pas à maitriser. A est toujoursdéjà écrit, tOUS les sens sont jetés. Plils tardo
'\ démontrer, expliquer, saisir. Et alors à eoffrei:' sÌ je sors de mes eaux toute ruisselante de mes plaisirs,
o,

Empocher une part de la richesse du monde. Mais à si je remonte le long de mes rives, si j'observe depuis
transmettre: à faire aimer en faisant connaitre. Toi, à mon bord les ébats de mes poissonges, je remarque les
ton tour tu veux affetter, tu veux réveiller les morts, tu ftgures innombrables qu'ils produisent dans leur danse ;
veux rappeler aux gens qu'ils ont pleuré d'amour jadis, ne sufftt-il pas que coulent nos eaux de femmes pour
et tremblé de désirs et qu'ils étaient alors tout près de la que s'écrivent sans calcul _nos textes.~a!!ya~.et
vie qu'ils prétendent chercher depuis sans eesser de populeux? Nous-memes dans 1'écriture comme les
s'éloigner d'elle. poissons dans 1'eau, comme les sens dans nos langues et
Continuité, ahondanee, dérive, est-ce que c'est la transformauon dans nos inconscients.
spéciftquement féminin ? Je le crois. Et quand il s'éerit
un semblable déferlement depuis un corps d 'homme, Paro dans la série Féminin fotur,
c'est qu'en lui la féminité n'est pas interdite. Qu'il ne Christian Bourgois, 1976.
fantasme pas sa sexualité autour d'un robinet, TI n'a pas

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