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GBPress- Gregorian Biblical Press

L'Esprit Saint, milieu de vie


Author(s): Jean Galot
Source: Gregorianum, Vol. 72, No. 4 (1991), pp. 671-688
Published by: GBPress- Gregorian Biblical Press
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/23579063
Accessed: 15-12-2015 03:13 UTC

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Gregorianum 72, 4 (1991) 671-688

L'Esprit Saint, milieu de vie

A. Le róle de l'Esprit Saint éclairé par une nouvelle étymologie

1. Le sens premier de la racine ruah, selon H. Cazelles

a) L'espace de vie

Le
terme hébreu ruah qui a été employé dans la Bible pour
désigner l'esprit, plus spécialement l'esprit de Dieu, avait fréquem
ment, à l'origine, le sens de «vent». «Beaucoup d'auteurs, observe H.

Cazelles, considèrent que c'est le sens fondamental de la racine: soufflé,


vent». Mais, objecte-t-il aussitòt, «le sens de "soufflé, vent" ne suffitpas
à expliquer tous les textes bibliques. Une enquète de philologie
sémitique oblige à conclure que ce n'est pas le sens primitif de la
racine»1.
Il cite les motifs pour lesquels on doit admettre qu'il n'y a pas, en
hébreu, de racine verbale qui signifie «soufflé». Cependant, il y a, en
hébreu, une racine verbale d'où dérive ruah; «elle ne signifie ni
"soufflé", ni "vent" sinon indirectement. Le sens est "ètre spacieux, au

large"»2. Cazelles le montre par divers exemples, puis il en trouve la


confirmation en araméen, où la racine «rwh a également le sens de "ètre

spacieux"». Il en va de mème en syriaque, en punique, en samaritain,


en sabéen, en akkadien; la racine y signifie spaciosité, extension,
élargissement, épanouissement, amplification, L'ugaritique ignore la
racine verbale, mais semble connaìtre les deux substantifs dérivés, l'un
notant l'espace et l'autre l'espace parfumé3.
Le sens primitif de la racine est «l'espace atmosphérique entre ciel
et terre qui peut ètre calme ou agité»4. De ce sens primitif dérivent
plusieurs concepts plus particuliers: «Nous dirons donc qu'en fonction

1
Η. Cazelles, Saint Esprit, Ancient Testament et judatsme, I. Terminologie: ruah et
pneuma comme signifiant l'Esprit de Dieu, Supplément au Dictionnaire de la Bible, XI, 129.
2 Ibid.
3
Ibid., 130.
4
Ibid.. 131.

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d'une racine qui signifie l'espace, la distance, l'hébreu connaìt trois


substantifs: réwah, "distance", reali, "l'espace parfumé", ruah, "l'es

pace neutre" autour de l'homme où il puise sa vie par son soufflé»5.


«A l'origine de la Bible, la ruah est l'ambiance vitale où hommes et
bètes puisent la vie gràce à leur nefesh personnelle»6.

b) L'ambiance créée par le Messie

De ce sens primitif, un texte biblique porte la trace. Cazelles juge


très éclairant l'oracle concernant le rejeton de Jessé (Is 11,15). La
racine rwh est employée dans le verset 3, que souvent l'on traduit: «Son
— ou sa — est dans la crainte de Yahvé». Mais le
inspiration respiration
sens serait plutót de «créer l'ambience». Non seulement sur le rejeton
de Jessé repose la ruah de Yahvé, «mais il fait vivre autour de lui dans
une ambiance de crainte de Dieu, si bien que, autour de lui, le pays sera
rempli de la connaissance de Yahwé».
Le rejeton de Jessé «crée l'ambience de vie dans le pays», comme
en Lm 4,20 le roi de Juda, l'oint de Yahwé était appelé «le soufflé de
nos narines», c'est-à-dire qu'il était le soufflé de vie du pays7. «En
fonction de la conclusion de la péricope selon laquelle "le pays est
rempli de la crainte de Dieu" (11,9), il faut comprendre que c'est le
rejeton de Jessé qui agit autour de lui dans cet espace de vie qu'est la
ruah gràce à cette ruah qui repose sur lui. Il assure ainsi la paix à
l'intérieur du pays, sur la sainte montagne».
Il y a là .une confirmation du sens fondamental de ruah, «espace
vital, ambiance de vie dans laquelle se meut l'homme de chair».

e) La diversification en plusieurs sens

A partir du sens fondamental d'espace vital, le sens de ruah «s'est


très vite diversifié en hébreu dans ses applications concrètes». On peut
discerner quatre applications essentielles.
Un premier sens, cosmologique, désigne les quatre points cardi
naux de l'espace à partir desquels s'oriente l'homme.
Un second sens, physique, est le vent.

5
Ibid., 131.
6
Ibid., 132.
7
Ibid., 133: «Est-ce l'Esprit qui inspire la branche de Jessé? Ou est-ce celle-ci qui crée
l'ambiance de vie dans le pays, de mème que le Pharaon et le roi de Juda en Lm IV,20,
étaient considérés comme le soufflé de vie du pays?».

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«Le troisième sens est psychologique, car le comportement de


l'homme et son caractère dépendent de la manière dont il participe à
l'ambiance vitale dans laquelle il est plongé». C'est ainsi qu'on parlerà
de la ruah de l'homme comme étant son caractère, ses dispositions, son

«esprit» au sens moderne du terme.


Selon de le quatrième sens la ruah a été considérée comme un

envoyé de Yahwé (cfr. Ps 104,4). «Si Dieu le retire, les vivants expirent
et retournent à la poussière; s'il l'envoie, c'est une création qui se fait
(Ps 104,29-30). La ruah de Yahwé ou d'Elohim n'est pas un élément de
la psychologie divine. Le Ruah (au masculin et avec l'article, comme
dans d'autres cas où on insiste sur le caractère personnel de cet ètre) se
tient devant le tróne de Yahwé au milieu de "l'armée des cieux" (IR
22,19). Il demande à ètre "envoyé", et il est envoyé comme ruah de
mensonge qui va apporter défaite et non victoire. C'est une puissance
dont Dieu se sert, le ou la ruah théologique». «C'est comme maitre de
cette ruah que Yahwé-Elohim va mouvoir certains hommes pour
donner force et victoire à son peuple».
Il n'y a pas à distinguer ruah Yahwé pour les chefs charismatiques
et ruah Elohim pour les extatiques. Ruah Yahwé va désigner «la
puissance surhumaine et cosmique dont va ètre doué celui qu'élit
Yahwé pour le salut et le gouvernement de son peuple»8.

2. Du sens premier à la révélation de l'Esprit Saint

Nous n'avons fait qu'esquisser, dans ses lignes essentielles, l'expli


cation que nous livre Cazelles du sens fondamental de la racine

primitive d'où dérive ruah. Elle paraìt avoir un notable intérèt scientifi
que, car elle tranche sur les affirmations les plus habituelles du sens

originaire de ruah, identifié au soufflé ou au vent.


Il nous semble qu'elle a également un intérèt théologique: ce qui
est frappant, c'est que le sens le plus primitif: «ambiance vitale où l'on
puise la vie» exprime déjà un aspect essentiel de ce qu'est l'Esprit Saint
dans l'Eglise.
Certes, le ròle reconnu à l'Esprit Saint ne dépend pas d'une
explication étymologique. Il n'est pas lié à une théorie particulière
concernant le sens primordial de ruah. Il s'est affirmé dans la Révéla
tion par d'autres voies que le simple développement sémantique d'un
mot, mème si celui-ci est riche de résonances. L'enseignement et la vie

Ibid., 133-135.

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de Jésus, la Pentecòte et la croissance de l'Eglise nous apportent la

lumière la plus essentielle.


Néanmoins, on ne peut dédaigner, du point de vue de l'intelligence
de la doctrine, l'apport secondaire qui vient de l'étude du terme ruah.
Le chemin suivi par l'évolution sémantique de ce terme est celui qui a
abouti, dans le Nouveau Testament, à la révélation de la personne de

l'Esprit Saint. Il est d'autant plus indiqué d'en tenir compte que selon la
mentalité hébra'ique le nom a grande importance pour signifier la
personne. Dans le cas de l'Esprit Saint, le nom «Esprit» est particulière
ment mystérieux, et tout ce qui peut l'éclairer doit étre retenu.
La correspondance entre le sens fondamental d'origine du mot et le
róle reconnu à l'Esprit Saint dans la vie de l'Eglise est impressionnante.
Il est vrai cependant que ce sens originel a disparu; ou pourrait donc se
demander s'il a exercé une influence sur le développement ultérieur de
la doctrine.
Un élément de l'explication de Cazelles doit ètre souligné à cet
égard. L'oracle d'Is 11,1 présente le descendant messianique de David
comme celui sur qui repose l'Esprit de Yahwé, et en mème temps
comme celui qui suscite une ambiance de crainte de Yahwé. Il fait vivre
le peuple dans la connaissance de Dieu. Par l'Esprit il crée un milieu de
vie.
Dans cette annonce prophétique, on discerne l'oeuvre qui sera

accomplie par le Christ: par l'Esprit Saint, il créera une «ambiance


vitale» où tous pourront puiser la vie supérieure dont ils ont besoin.
Notre attention est donc attirée sur le milieu de vie qui résulte du
«soufflé». Ce qui était le sens primordial de la ruah, ambiance vitale,
constitue le but ou l'objectif final.
Cet objectif aide à la compréhension de l'orientation messianique.
Dans l'Ancien Testament le roi idéal de l'avenir, le roi messianique,
n'est pas seulement quelqu'un qui sera animé par un soufflé supérieur
de manière à se comporter selon la sagesse. On pourrait l'imaginer
simplement un nouveau David, un roi qui établirait son autorité sur le
peuple et assurerait à celui-ci toute sorte de biens et d'avantages. Mais
en réalité, selon l'oracle d'Isa'ie, il doit instaurer un milieu de vie
caractérisé par la connaissance de Dieu. Il y a là une visée qui
transcende les conceptions d'un royaume terrestre.
Le soufflé doit ètre partagé par tous, selon l'expression: soufflé de
nos narines, l'oint de Yahvé, lui dont nous disions: «A son ombre nous
vivrons chez les nations» (Lm 4,20)9. Et ce soufflé, ce n'est pas

Cf. Cazelles, Ibid., 133.

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seulement un soufflé de vie ordinaire, mais le soufflé de celui qui


connaìt Yahwé et qui le craint. L'ambiance vitale est celle où Dieu est
reconnu et vénéré.

B. Le développement de l'espace vital

1. Milieu de vie formé lors de la Pentecòte

La notion d'ambiance vitale nous aide à comprendre ce qui s'est


passé lors de la Pentecòte.

L'Esprit Saint n'est pas seulement la puissance qui soufflé dans les
apòtres et autres membres de la communauté pour leur donner une

ardeur de témoins. Il forme dans cette communauté un milieu de vie,


milieu dans lequel réside la richesse divine10.
«Tous furent remplis d'Esprit Saint», dit S. Lue (2,4). Avant la
Pentecòte la communauté était déjà réunie: «tous se trouvaient en

semble dans un mème lieu». On peut ajouter que cette communauté

était remarquable par les dispositions qui manifestaient ses relations


intimes avec Dieu, dans une prióre assidue et l'unanimité de coeur.
Cependant il lui fallait encore, pour constituer l'Eglise, devenir un
milieu de vie divine: c'est ce qu'opère l'Esprit Saint par sa venue.
L'Esprit Saint lui-mème forme ce milieu, en remplissant la commu
nauté de sa présence divine et de sa vie divine. Il est significatif que le
coup de vent violent «remplisse toute la maison». Ce n'est pas simple
ment un soufflé qui secoue, ou qui stimule; c'est un soufflé qui remplit
tout l'espace physique, et qui crée par là mème un climat.
Il y a là un signe de l'événement spirituel. Le coup de vent est
l'image du soufflé spirituel qui s'empare des personnes et remplit la
communauté pour y former un nouveau climat. L'affirmation: «tous

furent remplis d'Esprit Saint» ne vaut pas uniquement pour tous ceux

qui sont présents, pris individuellement. Elle vaut pour tous ensemble:
c'est toute la communauté qui est transformée, et qui aussitòt s'affirme
au dehors comme communauté de témoignage et de proclamation des

merveilles divines.

10 II est de l'Esprit est


significatif que selon la doctrine de S. Paul l'expérience
essentiellement communautaire. Paul parie rarement de l'Esprit en termes individuels,
observe J.D.G. Dunn, Jesus and the Spirit, A Study of the Religious and Charismatic
Londres
Experience of Jesus and the First Christians as Reflected in the New Testament,
1975,260. «La communauté se définit par rapport à l'Esprit, souligne J.P. Lémonon, Saint
Esprit, Paul, SDII XI, 216.

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Le milieu de vie formé par l'Esprit Saint se caractérise par la


plénitude et l'unité. La plénitude, car l'Esprit Saint «remplit»; il s'agit
d'une plénitude débordante, et non d'une plénitude qui se refermerait
sur elle-mème. C'est le pléròme, une invasion de vie divine qui veut
s'étendre à tout l'univers. Tout en se manifestant de multiples manières,
cette plénitude conserve l'unité, comme le souligne S. Paul: «Il n'y a
qu'un seul corps et un seul Esprit...» (Ep 4,4)".
Pour caractériser l'action de l'Esprit à la Pentecòte, on pourrait
dire que toute la communauté est plongée dans un nouveau milieu de

vie. On rejoindrait ainsi l'annonce du Messie par Jean-Baptiste: «Pour


moi, je vous baptise dans l'eau en vue du repentir; mais celui qui vient
derrière moi est plus fort que moi, lui dont je ne suis pas digne d'enlever
les sandales: il vous baptisera dans l'Esprit Saint et le feu» (Mt 3,11).
Baptiser signifie plonger. Lors de la Pentecòte la première communauté
est plongée dans l'Esprit Saint et le feu12.
L'Esprit Saint est en quelque sorte le milieu où elle est immergée.
On note à ce propos la convergence des deux images qui sembleraient

opposées l'une à l'autre, l'eau et le feu.

L'Esprit Saint est comme une eau vive dans laquelle on est plongé.
Dans le baptéme de Jean-Baptiste, l'eau était surtout un symbole de
purification, lié à un mouvement de repentir ou de conversion. Dans le
baptéme de la Pentecòte, le symbole est plus large, car il s'agit des
fleuves d'eau vive qui coulent du sein du Messie glorifié. L'eau signifie
la vie, et une vie abondante, comme l'eau qui, selon l'oracle d'Ezéchiel

(47,1), sortait du tempie: cette eau est d'une merveilleuse fécondité.


L'assurance de cette fécondité s'exprime en un langage significatif:
«Partout où passera le torrent, tout étre vivant qui y fourmille vivrà»

(47,9). L'eau constitue le milieu où les ètres puisent la vie: c'est ce


milieu que forme l'Esprit Saint. On observera en outre que la multitude
de poissons, annoncée aussitót après, fait penser à la pòche miracu
leuse. La Pentecòte comporte l'accomplissement de cette pòche miracu

leuse, par le nombre élevé de conversions qui répondent au discours de


Pierre.

11 Dunn
observe que le premier motif d'unité n'est pas la référence au sacrement de
baptème mais la référence à l'expérience de l'unité de l'Esprit (Jesus and the Spirit, 261).
Peut-ètre faudrait-il ajouter que ce n'est pas seulement le fruit d'une expérience mais
l'affirmation d'une vérité de foi.
12 On
peut noter que dans les Actes des Apótres, «Jamais il n'est dit que le baptème
dans l'Esprit est donné par des hommes: il est réservé à Dieu» (J. Guillet, Le Saint Esprit
dans les Actes des Apótres, SDB XI, 188).

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D'autre part le baptème dans l'Esprit Saint est en mème temps un

baptème dans le feu. L'apparition de «langues qu'on eùt dites de feu»


(Ac 2,3), qui se divisent et se posent sur chacun, est le signe d'un grand
feu qui veut embraser l'univers et qui se manifeste par l'ardeur brùlante
de la première proclamation des merveilles de Dieu.
Le feu de la Pentecóte n'est pas exactement le feu tei que l'avait

pensé Jean-Baptiste, un feu de destruction qui devait engloutir les


pécheurs; c'est au contraire le feu d'un amour enthousiaste qui cherche

à sauver le monde.
Etre plongé dans l'eau vive et ètre plongé dans le feu ne s'opposent

pas: l'Esprit Saint constitue le milieu où l'on puise la vie en abondance


et l'ardeur de la mission salvatrice.
Jésus avait déjà employé les deux images du feu et de l'eau pour
annoncer sa passioni «Je suis venu jeter un feu sur la terre, et comme je
voudrais qu'il soit déjà allumé! Je dois ètre baptisé d'un baptème, et
quelle n'est pas mon angoisse jusqu'à ce qu'il soit consommé!» (Le
12,49-50).
C'est de son coté transpercé que doivent couler les fleuves d'eau

vive: le fruit de sa passion consisterà dans le milieu de vie nouvelle pour


l'humanité. Par l'amour de son sacrifice, il vient allumer un feu sur la
terre: ce feu, ce n'est pas simplement l'amour, mais l'Esprit Saint qui
forme un milieu d'amour où tous puisent leur ardeur13.

Selon la perspective ouverte par les paroles de Jésus, on discerne

particulièrement le dynamisme qui doit caractériser le milieu de vie


formé par l'Esprit Saint. En effet, ce sont des fleuves d'eau vive que le
Christ fait couler dans le monde. L'eau n'est donc pas une eau

stagnante. L'image de «milieu de vie» ou d'«ambiance vitale» pourrait


suggérer une réalité plutòt statique, immobile. Il s'agit au contraire
d'une réalité mouvante. Déjà dans la prophétie d'Ezéchiel, le torrent
était aux marais et aux seul le torrent fait abonder la
opposé lagunes;
vie: «Là où cette eau pénètre, elle assainit et la vie se développe partout
où passera le torrent» (Ez 47,9). Le jaillissement des fleuves d'eau vive,
encore plus vastes que le torrent, confirme que le milieu de vie est celui
d'une vie frémissante, toujours nouvelle.

13
Selon la perspective de l'oeuvre de salut chez Lue, le feu est l'Esprit Saint comme
don du Ressuscité, observe W. Grundmann (Dos Evangelium nach Lukas, Berlin 1963,
de
280). Ensuite, cet auteur mentionne, pour le sens du «feu» dans la déclaration originelle
Jésus, des interprétations dans le sens du jugement divin. Mais à bon droit M.J. Lagrange
avait noté que le sens de «feu» ne peut ètre que favorable aux hommes, «puisque le
Sauveur désire qu'il soit allumé» (E vangile selon Saint Lue, Paris 1921, 373).

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678 JEAN GALOT, S.I.

De mème, le feu que le Christ est venu allumer sur la terre est un

feu qui désire se répandre, se communiquer à toute l'humanité. Le feu


qui embrase le coeur des apótres au moment de la Pentecòte est destiné

à se propager dans tout l'univers.

2. Dynamisme du milieu de vie

Le dynamisme du milieu de vie se manifeste lors de la Pentecòte. Il


s'agit bien d'un dynamisme de milieu de vie, et pas seulement du
dynamisme de certaines personnalités.
La prophétie de Joèl, citée par Pierre dans le discours où il
commente l'événement (Ac 2, 16-21), indique le sens englobant de
l'effusion de l'Esprit. A ceux qui suspectaient les disciples d'ètre dans
un état d'ivresse provenant de la boisson, Pierre oppose un autre état

d'ivresse, qui vient d'une puissance supérieure. «Non, ces gens ne sont

pas ivres, comme vous le supposez..., mais c'est bien ce que dit le

prophète: Il se fera, dans les derniers jours, dit le Seigneur, que je


répandrai de mon Esprit sur toute chair» (Ac 2,15-16).
La version grecque de la prophétie, reprise dans le récit des Actes,
semble indiquer une effusion partielle de l'Esprit de Dieu: «je répandrai
de mon Esprit». Dans le texte hébreu d'origine, la promesse était plus
forte, en suggérant plutòt une effusion totale: «Je répandrai mon

Esprit».
Le verbe «répandre» est caratéristique et suggère la volonté divine
de constituer un milieu divin pour la vie des hommes14. Ce verbe avait

déjà été employé, dans l'annonce des temps messianiques, pour expri
mer la formation d'une nouvelle mentalié dans le peuple: «Je répandrai
sur la maison de David et sur l'habitant de Jérusalem un esprit de
bienveillance et de supplication». Gràce à ce nouvel esprit se produira la
conversion: «Ils regarderont vers celui qu'ils ont transpercé: ils feront
sur lui la lamentation comme on la fait pour un fils unique, et ils le
pleureront comme on pleure un premier-né» (Za 14,10). Dans cet
oracle, il s'agit de l'effusion d'un esprit, c'est-à-dire d'une disposition
mentale orientée vers la bienveillance et la supplication. C'est une
disposition inspirée par Dieu. L'oracle de Joèl va plus loin: Dieu
répandra son Esprit. Comme dans la promesse d'Ezéchiel: «Je mettrai

14
«Répandre» peut évoquer l'effusion d'eau pour la purification (cf. Ez. 36,25) ; en Ez
39,29, l'effusion de l'Esprit remplace l'effusion de la fureur divine. (Cf. H. Cazelles,
Ezéchiel, homme de l'Esprit, SDB, XI, 148).

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L'ESPRIT SAINT, MILIEU DE VIE 679

mon esprit en vous» (36,27), c'est l'Esprit de Dieu qui pénètre dans le
peuple pour le transformer.

Remarquable est l'universalisme de l'effusion: c'est «sur toute


chair» que Dieu répand son Esprit. Dans le texte hébreu de Joèl, cette
intention d'universalisme est soulignée par l'affirmation: «Mème sur les
esclaves, hommes et femmes, en ce jour-là, je répandrai mon Esprit»
(3,3). L'Esprit est donc répandu non seulement sur les membres du
peuple élu, mais sur ceux qui sont tenus dans une condition d'esclavage,
et sans différence entre hommes et femmes, comme d'ailleurs il était dit
au début de l'oracle: «Vos fils et vos filles prophétiseront». On pourrait
reconnaìtre dans cet oracle prophétique l'annonce de la nouvelle

humanité décrite par Paul: «Il n'y a ni Juifni Grec, il n'y a ni esclave ni
hommes libre, il n'y a plus homme et femme, car vous ne faites qu'un
dans le Christ Jésus» (Ga 3,28). Cette unité, c'est celle d'«un seul
Esprit» (Ep 4,4), car dans nos coeurs a été envoyé l'Esprit du Fils (Ga
4,6).
Lorsqu'à la Pentecóte «tous furent remplis d'Esprit Saint», s'inau
gure l'accomplissement de l'effusion de l'Esprit de Dieu sur toute chair.
Certes, ce n'est qu'une très petite portion de l'humanité qui τεςού
l'Esprit, mais la visée est universelle. Le milieu de vie nouvelle soudain
formé par l'Esprit doit s'étendre progressivement à toute chair.

De là dérive la nature de la mission assignée à ceux qui vivent


l'événement de la Pentecóte. Cette mission ne consiste pas simplement
dans l'annonce de la Parole; elle tend à la propagation de la vie
nouvelle. Le milieu de vie veut s'elargir. On peut rappeler que déjà la
racine du mot ruah avait comportò une nuance d'élargissement15.
Certes, l'annonce de la Parole se produit avec une efficacité

remarquable. On peut noter qu'elle se présente, dès le premier


moment, comme une manifestation collective. Tous ceux qui sont

remplis d'Esprit Saint se mettent à proclamer les merveilles de Dieu. Or


cette proclamation part d'un groupe galiléen vers une collectivité

internationale; elle atteint réellement cette collectivité en se faisant

comprendre par chacun dans sa langue. C'est un milieu de vie commu


nautaire qui s'exclame en paroles et qui tend à pénétrer dans un milieu
beaucoup plus vaste pour le transformer. Il le fait en vertu de l'Esprit
Saint qui le constitue: l'Esprit inspire les paroles au départ et les fait
comprendre à l'arrivée16.

15 Ancien Testament, SDB, XI, 130.


Cf. CazelleS,
16 Le «don des
langues» doit ètre bien saisi dans sa portée: «on est très loin ici des
manifestations qui inquiétaint Paul à Corinthe, parce que personne ne les comprenait (1 Co

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680 JEAN GALOT, S.I.

Les paroles prononcées par les apòtres et plus particulièrement par


Pierre puisent leur force dans l'effusion de l'Esprit qui vient de se
produire. Elles attirent l'attention sur la puissance du Christ qui répand
l'Esprit, et leur but est de susciter une effusion plus ampie que celle qui
vient de se produire.
Tel est bien l'objectif énoncé par Pierre dans sa réponse aux
auditeurs: «Repentez-vous, et que chacun de vous se fasse baptiser au
nom de Jésus-Christ pour la rémission de ses péchés, et vous recevrez
alors le don du Saint Esprit» (Ac 2,38). Le mouvement de conversion va
permettre une extension plus large du don de l'Esprit.
Pour obtenir cette extension, ceux qui se livrent à l'apostolat
doivent agir eux-mèmes comme personnes possédées par l'Esprit. C'est

ce que Jésus a fait comprendre à ses disciples en leur déclarant la


manière dont ils devront travailler à l'instauration du royaume de Dieu:
«Vous allez recevoir une force, celle de l'Esprit Saint, qui descendra sur
vous. Vous serez alors mes témoins...» (Ac 1,8). Ils doivent ètre ses

témoins, non seulement par leurs paroles mais par toute leur vie

personnelle, et ils ont la possibilité de porter ce témoignage, parce qu'ils


sont animés de la vie du Saint Esprit.
L'action apostolique est donc celle de la communauté de vie dans

l'Esprit, qui cherche à se répandre dans le monde, pour accomplir le


dessein divin, le projet de répandre l'Esprit sur toute chair.

3. Espace vital et liberté

A la notion d'espace vital correspond l'aspect de libération et de


liberté qui caractérise le milieu de vie instauré par l'Esprit Saint.
L'espace vital est celui où l'on respire à l'aise. C'est celui où on

échappe à l'oppression, à l'étroitesse des murs, des pensées et des


sentiments. C'est l'espace qui permet l'épanouissement.
Le Christ avait l'intention de créer un espace de liberté, comme il le
laisse entendre lorsque dans la synagogue de Nazareth il s'applique à
lui-mème l'oracle du livre d'Isa'ie: «L'Esprit du Seigneur est sur moi... Il
m'a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs
la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, rendre la liberté aux

opprimés...» (Le 4,18; Is 61,1).

XIV,2). lei, au contraire, l'extraordinaire est que chacun comprend dans sa langue
maternelle (Ac II, 8.11). L'Esprit suscite la parole et l'annonce, il porte le message à tous
les peuples du monde. (Guillet, Actes, SDB, XI, 185).

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L'ESPRIT SAINT, MILIEU DE VIE 681

La mission de Jésus est une mission de libération, accomplie sous


rinfluence de l'Esprit. Cette libération est exprimée en termes propres
pour les prisonniers et pour les opprimés. Elle concerne aussi les

pauvres, qui sont délivrés d'une condition d'infériorité sociale, parce


qu'ils regoivent la bonne nouvelle et ont accès à la dignité de la foi.
Quant aux aveugles, ils sont libérés des ténèbres qui les emprison
naient.
En d'autres circonstances, Jésus précise en quoi consiste l'oppres
sion dont il vient délivrer l'humanité. A ceux qui prétendent n'avoir pas
besoin de libération parce qu'ils ont toujours été libres, il déclare: «En
vérité, en véri té, je vous le dis, tout homme qui commet le péché est
esclave». Il veut leur faire comprendre qu'ils ne peuvent trouver leur
affranchissement que par le Fils: «Si le Fils vous affranchit, vous serez
réellement libres» (Jn 8,34-36). C'est à cette libération qu'il pensait en
s'appropriant les paroles d'Isa'ie; par conséquent il s'agit d'une libéra
tion sous la conduite de l'Esprit.
L'action de l'Esprit tend à assurer aux hommes la liberté la plus
profonde, en les délivrant de l'aliénation intérieure que produit le
péché. Cette liberté, c'est celle des fils qui participent à la condition du
Fils; comme fruit de son sacrifice, le Fils élève les hommes à la filiation
divine. Il opère cette élévation en leur donnant l'Esprit Saint, car c'est
l'Esprit qui établit cette condition filiale.
Comme l'affirme Paul, «tous ceux qu'anime l'Esprit de Dieu sont
fils de Dieu» (Rm 8,14). L'Esprit forme plus particulièrement le climat
de cette filiation divine: «Vous n'avez pas regu un esprit d'esclaves pour
retomber dans la crainte; vous avez regu un esprit de fils adoptifs qui
nous fait nous écrier: Abba, Pére!» La crainte opprime la personne
humaine, tandis que la conscience d'étre fils du Pére lui procure
l'assurance de sa dignité d'«héritier de Dieu» et de «cohéritier du
Christ» (Rm 8,15-17).
Le milieu de vie que constitue l'Esprit est donc un milieu de vie
filiale. Cette vie filiale est une vie libérée de l'oppression de la crainte17.
Elle comporte la jouissance de la liberté qui appartieni à un fils vis-à-vis
du Pére. Le fils a le droit d'étre spontané, de s'exprimer librement dans
l'amour qu'il porte au Pére.
D'une autre manière encore apparaìt le róle de l'Esprit Saint dans
le développement de la liberté. En s'adressant à ceux qui commencent à

17 «Rm la
Vili, 15 se situe dans la ligne de l'affirmation du v. 2, qui a proclamé
libération du chrétien» (Lémonon, Paul, SDB XI, 256).

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682 JEAN GALOT, S.I.

croire en lui, Jésus dit: «Si vous demeurez dans ma parole, vous serez
vraiment mes disciples, vous connaitrez alors la vérité, et la vérité vous
fera libres» (Jn 8,31). Cette déclaration, qui concerne l'action person
nelle de Jésus, doit ètre complétée par d'autres, qui attirent l'attention
sur l'action de l'Esprit: «L'Esprit Saint... vous enseignera tout et vous
rappellera tout ce que je vous ai dit ... L'Esprit de vérité vous fera
cheminer dans la vérité tout entière» (Jn 14,26; 16,13)18. C'est donc
l'Esprit Saint qui doit faire accèder les hommes à la vérité, d'une
manière conforme à l'enseignement de Jésus. Il établit un climat de
vérité, de telle sorte que le milieu de vie qu'il instaure est également un
milieu de vérité. Et puisque c'est la vérité qui fait libre, le climat de
vérité est en méme temps climat de liberté.
Les aveugles auxquels est procuré le retour à la vue goutent une
liberté nouvelle: ils sont délivrés de l'obscurité. Ceux qui étaient
assujettis au mensonge voient tomber leurs chaines. La lumière de

l'Esprit Saint a un effet libérateur.


Paul appréciait la liberté dont il jouissait dans la religion chré
tienne, par comparaison avec le régime plus contraignant que représen
tait la loi juive. Il regardait son propre ministère comme ministère de
l'Esprit, par opposition au ministère de la lettre, qu'il appelait aussi
«ministère de la mort»: «C'est Dieu ... qui nous a qualifiés pour ètre
ministres d'une alliance nouvelle, non de la lettre mais de l'Esprit, car la
lettre tue, l'Esprit vivifie» (2 Co 3,6).
«Là où est l'Esprit du Seigneur, ajoutait-il, là est la liberté» (2 Co
3,17). C'est cette liberté qui lui permettait de regarder le Seigneur à
visage découvert. Il y a là un aspect essentiel de la liberté filiale: le fils
peut regarder son Pére en face. Alors que dans Γ Ancien Testament il
avait été dit que celui qui voulait regarder la face de Dieu risquait la
mort, la perspective chrétienne comporte la possibilité d'un face à face
avec le Pére dans la confiance filiale.
L'Esprit Saint qui hausse notre vie à un niveau de relation filiale
avec le Pére, assure donc notre liberté19. Il nous procure un épanouisse

ment, un climat où nous pouvons respirer à l'aise. Il instaure, dans la

18 Nous
traduisons en lisant la préposition en, mais on pourrait préférer le texte avec
eis. Sur ces variantes, cf. I. De La Potterie, La vérité dans Saint Jean, 1.1, Le Christ et la
Vérité. L'Esprit et la Vérité, Rome 1977, 431, n. 287. Le sens de en semble correspondre
davantage à la situatìon des chrétiens qui ont déjà re$u du Christ toute la vérité mais qui
doivent encore en pénétrer progressivement le sens.
19
II y a certes une «loi de l'Esprit qui donne la vie dans le Christ Jésus» (Rm 8,3),
mais, observe Lémonon, «le chrétien est libre parce que le pneuma ne le sollicite pas de
l'extérieur, mais de l'intérieur» (Paul, SDB XI, 263).

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L'ESPRIT SAINT. MILIEU DE VIE 683

distance qui nous séparé de l'infini de Dieu, un climat de proximité dans


l'amour, qui fait cesser le vertige que l'on pourrait éprouver devant
l'infini divin.
En nous reliant au Pére dans le Fils, l'Esprit Saint valorise

pleinement notre personnalité. Il la plonge dans un milieu filial, où non


seulement elle est libérée de la sujétion au péché mais où elle peut se
dilater dans toutes ses aptitudes. Il lui fait apprécier le libre déploiement
de toutes ses qualités et ressources. L'image «plonger dans un milieu»
pourrait faire penser à un abaissement. Elle pourrait ètre corrigée et
complétée par une autre: l'Esprit Saint fait accèder la personne à un

milieu supérieur, où elle respire l'air pur des sommets. Le milieu qu'il
forme est en effet un milieu où l'intimité avec le Christ et le Pére atteint
son plus haut degré, et où la personne humaine en regoit un maximum

de valeur.

4. Espace vital: plénitude ou pléróme

L'espace vital constitué par l'Esprit Saint favorise le développe


ment de la vie en plénitude.
«Cherchez dans l'Esprit votre plénitude», recommande Paul aux
Ephésiens (Ep 5,18). Il vient de leur dire: «Ne vous enivrez pas de vin».
L'homme peut ètre tenté de chercher dans la boisson enivrante une

plénitude. On se souvient que lors de la Pentecòte, certains témoins


avaient voulu expliquer par là l'enthousiasme des disciples dans la
proclamation des merveilles de Dieu. Une telle proclamation ne

pouvait venir d'une ivresse physique. Elle résultait d'une ivresse qui
donne à la personnalité sa plénitude. Cette plénitude spirituelle, Paul
désire qu'elle trouve une vibrante expression: «Récitez entre vous des

psaumes, des hymnes et des cantiques inspirés; chantez et célébrez le

Seigneur de tout votre coeur. En tout temps et à tout propos, rendez

gràces à Dieu le Pére, au nom de notre Seigneur Jésus-Christ» (Ep

5,19-20). Les hymnes, les cantiques, l'action de gràces sont le déborde


ment d'une plénitude intérieure assurée par l'Esprit Saint. Ces élans
collectifs de louange et de gratitude manifestent la fermentation d'un
milieu de vie qui cherche à affirmer sa vitalité.
Si les chrétiens sont invités à chercher dans l'Esprit leur plénitude,
c'est que le Saint Esprit leur offre cette plénitude, plénitude de leur ètre
et de leurs dispositions intimes. Ils n'ont qu'à puiser dans le «pléróme»,
cette plénitude de vie divine où doit grandir la communauté.
Le pléróme s'est constitué dans le Christ: «en lui habite corporelle

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684 JEAN GALOT, S I.

ment toute la plénitude de la divinité, et vous vous trouvez en lui

associés à sa plénitude...» (Col 2,9). Dans le corps du Christ ressuscité


se trouve la plénitude de la vie divine, vie qui se communique à nous: le
Pére «vous a fait revivre avec le Christ» (Col 2,13). Or cette vie qui
déborde du Christ glorieux, c'est plus précisément la vie de l'Esprit. Du
Christ ressuscité et monté au ciel émane l'Esprit qui forme le milieu de
vie des chrétiens.
Ce milieu de vie est décrit en termes frappants: «Vous, dit Paul aux
Romains, vous n'ètes pas dans la chair mais dans l'esprit, puisque
l'Esprit de Dieu habite en vous». Le chrétien est dans l'Esprit, et dans
cet esprit il puise la vie. «Qui n'a pas l'Esprit du Christ ne lui appartieni
pas» Pour appartenir au Christ, il faut vivre dans l'Esprit. C'est l'Esprit
qui est vie et qui le montrera dans la résurrection des corps (Rm 8,9-11).
Le chrétien ne peut donc vivre de la vie du Christ que dans l'Esprit.
Le pléróme est la plénitude du Christ, de «celui qui remplit tout en
tout» (Ep 1,23), c'est-à-dire qui englobe tout l'univers dans sa pléni
tude. Le Christ remplit l'humanité et l'univers de la vie de l'Esprit, si
bien que son pléróme est plénitude de vie dans l'Esprit.
Lorsque Paul implore le Pére pour un plein épanouissement de la
vie chrétienne, il dit aux Ephésiens: «Qu'il daigne, selon la richesse de
sa gioire, vous armer de puissance par son Esprit pour que se fortifie en
vous l'homme intérieur» (3,16). C'est l'homme intérieur qui doit
s'affermir en développant sa foi et sa charité20. L'Esprit Saint confère à

l'homme son intériorité, et il fortifie cette intériorité qui est sans cesse
menacée par les appels du dehors à l'évasion, à la dispersion ou à la

distraction. La puissance de l'Esprit n'est pas une force extérieure mais


une énergie qui se déploie au fond de l'àme21.
Ainsi apparaìt un aspect essentiel du milieu de vie formé par·
l'Esprit Saint: c'est un milieu de vie intérieure, et de vie d'autant plus
intense qu'elle est intérieure. Cette vie se manifeste dans des paroles et
des gestes extérieurs, mais ne se perd pas au dehors et ne se laisse pas
absorber par les événements externes ni par l'impression qu'ils produi
sent. C'est une vie qui croìt, grandit dans les profondeurs de l'individu,
mises en contact par l'Esprit avec les profondeurs de Dieu. Le contact

20 «En intérieur'' est relativement proche de "1'homme


Ep III, 16, "l'homme
nouveau", mais la première expression souligne davantage les traits anthropologique et
individuel», dit Lémonon (Paul, SDB XI, 322). La formule attire en fait l'attention sur
I'intériorité comme aspect de l'action de l'Esprit.
21
Le róle de l'Esprit Saint dans Paffermissement de «l'homme intérieur» a été
spécialement développé dans l'Encyclique de Jean-Paul II, Dominum et Vivificantem,
58-60, AAS 78 (1986) 882-888.

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L'ESPRIT SAINT, MILIEU DE VIE 685

avec les profondeurs divines comporte notamment l'approfondissement


de la connaissance de «l'amour du Christ, qui surpasse toute connais

sance».
De cette manière, les chrétiens «sont remplis en tout de la

plénitude de Dieu» (Ep 3,19), c'est-à-dire qu'ils atteignent leur propre


plénitude en recevant en eux la plénitude de vie divine. C'est l'oeuvre
de la «puissance de l'Esprit».

C. Espace en nous, espace en Dieu

1. Ν otre espace intérieur

L'Esprit Saint, en développant notre intériorité, crée en nous un


espace intérieur. L'espace vital dans lequel il nous fait vivre élargit
notre personnalité en l'ouvrant davantage.
On pourrait penser, en lisant le récit de la Pentecóte, que le Saint
Esprit exerce sa puissance surtout en nous tournant vers le dehors. Il a

tourné les apòtres vers les gens de toute langue et de toute nationalité

qui étaient présents, et il les a lancés dans l'entreprise d'évangélisation.


Cependant, mème cette activité, nous l'avons observé, s'est manifestée

comme le débordement d'une pièni ture intérieure: c'est en tant que

remplis d'Esprit Saint que les premiers témoins ont commencé à


répandre le bonne nouvelle.

La plénitude intérieure suscite un espace intérieur, dont on peut


relever plusieurs propriétés caractéristiques.
Le premier sens de cet espace résulte de la présence de l'Esprit
Saint à titre d'hòte dans la personne du croyant. «Ne savez-vous pas que
vous ètes un tempie de Dieu, et que l'Esprit de Dieu habite en vous?» (1
Co 3,16). Le mot traduit par «tempie» désigne à proprement parler le
sanctuaire, l'endroit le plus sacré du tempie où Dieu est présent22.
Chacun d'entre nous est donc un sanctuaire: il y a en nous un espace
secret où l'Esprit Saint habite. Aprés avoir parlé de «sanctuaire de

Dieu», Paul attribue l'habitation à l'Esprit; au lieu d'affirmer que Dieu


habite dans les chrétiens, il spécifie que «l'Esprit de Dieu» habite en
eux. C'est à la personne de l'Esprit Saint qu'il appartient en propre
d'habiter. Or habiter suppose un espace intérieur.

22
E. Fascher note que l'idée d'une habitation de Dieu dans l'homme est étrangère à
l'Ancien Testament, où Fon trouve seulement l'aftirmation de l'habitation de Dieu au
milieu de son peuple. D'autre part lorsque Paul dit: «L'Esprit de Dieu habite en vous»
l'habitation en chaque personne ne supprime pas la valeur collective du «en vous» (Der
erste Brief des Paulus an die Korinther, 1980, 139-140).

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686 JEAN GALOT, S I.

Dans cet espace peuvent s'établir des relations personnelles et se

nouer un dialogue. L'espace permei une certaine résonance de la voix

intérieure de l'Esprit Saint. Il invite au recueillement afin que cette voix


puisse se faire entendre.
La présence de l'Esprit Saint domine cet espace. D'un espace

peuvent résulter des impressions soit de solitude soit de plénitude, selon


que l'espace apparait vide ou rempli. Mais ici la solitude est transfor
mée, parce qu'elle est pénétrée par la personne de l'Esprit. Et d'autre

part la plénitude n'est pas seulement plénitude humaine; elle est


plénitude divine.
L'Esprit Saint maintient toujours un espace, mème s'il influence
très intimement la vie personnelle. Il ne s'identifie pas à celui dans
lequel il agit; il veut lui laisser son autonomie de personne et promou
voir sa coopération. Son intention fondamentale n'est pas d'absorber
mais de valoriser la personne d'autrui.
Il crée plus spécialement l'espace qui permei à la personne de

s'adresser intérieurement au Christ et au Pére, eux aussi présente en


celui qui s'ouvre à l'Esprit.
En un second sens, l'Esprit Saint crée un espace dans la pensée et la
volonté de la personne.

L'espace créé dans la pensée favorise la réflexion, la méditation.


L'intelligence prend un certain recul devant la vérité révélée, pour
mieux en saisir la portée et les applications. Celui qui est déjà animé par
la foi cherche à creuser cette foi.
Un exemple de cette action de l'Esprit Saint sur l'effort de pensée
nous est fourpi par la vie de Paul. L'Esprit a guidé Paul dans
l'accomplissement d'une mission très vaste, mais ne l'a pas seulement
orienté vers des tàches estérieures. Il a créé en lui un espace intérieur de
réflexion sur le message qu'il communiquait à l'humanité. Paul n'a cessé
de méditer sur l'enseignement du Christ afin de pouvoir le transmettre
avec plus de lumière.
Quant à l'espace créé dans la volonté, il signifie que sous l'influence
de l'Esprit Saint l'étre humain exerce sa liberté d'une fagon plus
consciente, qu'il délibère davantage ses décisions, qu'il n'agit pas d'une
manière précipitée, et prend le temps de peser le pour et le contre des
résolutions qu'il est amené à prendre.
Et fait, l'espace intérieur personnel réalise dans la personne ce que
l'espace vital formé par l'Esprit Saint fait vivre à toute la communauté
chrétienne.

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L'ESPRIT SAINT, MILIEU DE VIE 687

2. L'Esprit Saint, espace vital en Dieu

Si l'Esprit Saint établit un espace vital de vie divine dans l'humani


té, nous devons nous demander ce que nous révèle cette action
concernant sa position dans le mystère suprème de la vie divine en
elle-mème.
On peut affirmer que dans le mystère de la Trinité, c'est l'Esprit
Saint qui instaure le climat divin. En lui, en effet, s'exprime la vie la plus
intime de Dieu. C'est en lui que l'amour du Pére et du Fils prend toute
sa force. Le climat d'amour de la Trinité se forme en lui, dans sa
personne23.
Il est la personne divine en qui s'unissent le Pére et le Fils: il est leur
communion, une communion hypostasiée en une personne, mais

communion où les deux autres personnes se retrouvent dans la profon

deur de leur amour. En lui se forme la communion divine, qui est à


l'origine de la communion ou communauté humaine.
On a regardé l'Esprit Saint comme l'àme de la communauté

chrétienne, du Corps Mystique24. On pourrait dire, en tenant compte de

l'analogie et des imperfections du vocabulaire, qu'il est d'abord l'àme


de la communauté divine, son soufflé le plus profond ou le plus subtil,
celui de l'amour. Comme «Esprit» ou «àme» il fait régner dans la
Trinité un climat de pur amour.
En ce sens aussi, c'est lui qui forme le milieu de vie où le .Pére et le
Fils déploient leur personnalité. C'est lui qui constitue le pléróme divin,
la plénitude où se concentre toute la perfection du Pére et du Fils. Il est
cette plénitude puisque c'est à lui qu'aboutit tout le dynamisme divin, et
que toute la richesse du Pére, déjà communiquée au Fils, trouve en lui
son ultime destination divine.
On comprend que lorsque cette plénitude déborde dans l'humani

té, c'est l'Esprit qui la répand parmi les hommes, sans que soit effacée
sa provenance du Pére et du Fils. Le Christ, qui a mérité la divinisation
de l'humanité, donne à ceux pour qui il a souffert l'Esprit Saint, qui leur
communique la plénitude de vie divine.
Plénitude de vie divine, l'Esprit Saint est également la personne où
s'affirme la «spaciosité» de cette vie. L'Esprit constitue l'espace inté
rieur de Dieu. Avant de transformer les étres humains en temples de

23 C'est ce Saint
qu'exprime l'affirmation du Xle concile de Tolède (675). L'Esprit
«est reconnu comme étant la charité ou la sainteté» du Pére et du Fils (DS 527).
24 Ct. Léon Divinum lllud, ASS 29 (1896-97) 650; Pie XII,
XIII, Encyclique
Encyclique Mystici Corporis, AAS 35 (1943) 218; DS 3807-3808.

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688 JEAN GALOT, S I.

Dieu, il est lui-mème, à l'intérieur de la Trinité, comme le tempie où le


Pére et le Fils expriment librement leur sainteté.
L'unité du Pére et du Fils dans l'Esprit n'est pas une unité
resserrante ni étouffante. C'est une unité que l'on pourrait appeler

élargissante, épanouissante, tout en observant qu'élargissement et

épanouissement sont ici une propriété éternelle.


Cette unité forme son espace, en ce sens que le Pére et le Fils y sont
à l'aise; ils y déploient tout le dynamisme de leur amour. Les personna
lités du Pére et du Fils s'expriment dans la communion de l'Esprit Saint
avec toute leur spontanéité propre.
Dans l'oeuvre du salut, l'Esprit Saint s'assigne pour tàche de
développer les personnalités humaines, en les respectant, en les pous
sant à une activité conforme à l'orientation de chacune. Il y a là un

reflet, ou une conséquence, de ce qui se passe en Dieu, où l'Esprit, par


la communion qu'il personnifie, ouvre au Pére et au Fils la pleine
affirmation de leur propre personnalité.
Les mots de Paul: «Là où est l'Esprit du Seigneur, là est la liberté»
(2 Co 3,17), se rapportent manifestement à la liberté humaine, invitée à
s'exercer dans un visage découvert en face de Dieu. Ils ont néanmoins
une signification primordiale dans le mystère éternel de la vie divine. La
liberté des personnes divines s'affirme dans l'Esprit Saint: c'est la
liberté foncière de l'amour. Le Pére et le Fils s'aiment dans une liberté

totale, à l'abri de toute contrainte, et l'Esprit est l'expression de la


liberté de cet amour.
La notion d'espace vital nous aide donc à mieux comprendre ce

qu'est l'Esprit Saint dans le mystère de la Trinité. En Dieu, l'Esprit


forme un espace vital, espace plein d'un dynamisme souverain, d'une

plénitude où la spontanéité des personnes est intégralement assureé, en


vertu de la communion dans l'amour. T „ „ T
Jean Galot, S.I.

SUMMARY
Το the Hebrew ruah which the Bible
uses to designate the spirit the primary
meaning of "breath" or "wind" is usually attributed. A study by H. Cazelles
tends to show that the primary meaning is that of "vital ambit". This meaning is
found in the revelation of the role of the Holy Spirit. At Pentecost, the Holy
Spirit forms the vital sphere where the community founded by Christ will
develop; he enlivens it with his dynamism and ensures in it a climate of spiritual
freedom. He constitutes the pleròma, the milieu market by the fulness of divine
life. The inner space that the Spirit builds in individuai persons as well as in the
entire community allows us to better discern the vital space which he constitutes
in the mystery of God.

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