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Outils pour l’égalité

entre les filles


et les garçons à l’école

Féminin-masculin
en philosophie
Outils pour l’égalité entre les filles et les garçons à l’école

Introduction

Ce qui suit constitue une immersion dans le programme de philosophie de terminale, envisagé sous
l’angle de la distinction entre masculin et féminin, destinée à proposer quelques pistes de travail avec
les élèves. Il ne s’agit donc en aucun cas d’une réflexion de philosophie générale sur le sujet, mais d’une
contribution non exhaustive qui pourra être largement complétée et enrichie par les enseignant-e-s.
Il faut donc y voir une invitation à la réflexion et non une prescription.

La philosophie se fixe pour tâche d’identifier les préjugés, de les interroger pour essayer de s’appro-
cher d’une vérité qui ne se donne pas à voir immédiatement. Pour reprendre le mot de Vladimir
Jankélévitch : « Philosopher revient à ceci : se comporter à l’égard de l’univers comme si rien n’allait de
soi1. » Concernant les femmes comme les hommes, les préjugés et les idées toutes faites sont innom-
brables et gouvernent bon nombre de comportements et de choix. Ils sont très liés aux stéréotypes, ces
images préconçues dans un cadre de référence donné, telles qu’elles y sont habituellement admises et
véhiculées. Leur identification peut constituer une approche pour aborder le sujet du masculin et du
féminin en philosophie avec les élèves, même si le problème ne se réduit pas à cela. En effet, l’égalité
peut également constituer un angle de travail, partant du constat qu’elle peine à exister socialement
entre les deux sexes.

Même si la philosophie a longtemps considéré ces questions comme secondaires par rapport à ce
que seraient les vrais enjeux de la pensée, l’enseignement de la philosophie entendu comme le déve-
loppement d’un esprit critique a beaucoup à retirer de la réflexion sur des interrogations telles que :
comment penser le féminin ? Comment penser le masculin ? Comment ceci nourrit-il la réflexion
sur l’homme ?

1
Dissertations et mémoires.

Les programmes de
philosophie en terminale

Ce qui frappe d’abord, c’est que les femmes n’occupent guère de place dans l’histoire de la philosophie,
comme en témoigne la liste des auteurs au programme de terminale. Une seule femme, Hannah Arendt,
pour cinquante-six hommes, voilà qui donne une assez bonne idée de la situation. Cette observation
n’aurait pas de conséquences si le sujet du féminin/masculin avait été largement pris en charge par les
philosophes depuis l’Antiquité. Mais ce n’est pas le cas, comme si cette dualité pourtant structurante
pour l’humanité, ne méritait pas qu’on s’y intéresse en tant que telle. Ou comme si cette distinction du
féminin et du masculin était un objet de pensée scientifique, psychologique, sociologique, historique,
mais bizarrement jamais philosophique. Comme si, enfin, on pouvait répondre à la question qui fonde
et traverse la philosophie – qu’est-ce que l’homme ? – sans jamais s’interroger sur ce qu’est la femme
d’une part et l’homme d’autre part. L’apparente universalité de la distinction ne doit pas dissimuler
les disparités d’expériences, de définition et de condition.

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Cela permet de comprendre que les problématiques proposées ici sont surtout centrées sur la pensée
du féminin, parce qu’il y a réellement un vide à combler sur ce point. Penser le féminin permet de
poursuivre et d’approfondir, en les distinguant, la réflexion sur le masculin et sur l’homme en général.

Ce premier constat mérite bien entendu d’être nuancé. La philosophie contemporaine ouvre la porte
d’une part à une pensée conduite par des femmes et d’autre part à une élaboration théorique du
féminin, ces deux champs devant être bien entendu distingués. Simone de Beauvoir, en tête, pose
les fondements de cette réflexion, mais pas au point de lui permettre d’entrer dans les auteurs du
programme. On peut également penser à l’analyse de la domination masculine par Bourdieu. Enfin,
on trouve de nombreux textes qui abordent ce sujet dans la philosophie classique (voir ci-après) mais
pour autant, ce n‘est pas cet aspect qui est habituellement mis en avant.

Malgré cela, la difficulté à reconnaître que le féminin, et donc le masculin, est une question philoso-
phique légitime subsiste et met en évidence un problème qui est, lui, proprement philosophique. La
philosophie, telle que Socrate nous a appris à en faire, se fixe comme tâche de repérer, d’analyser et
de dépasser les préjugés, les opinions, la doxa, les stéréotypes, afin de s’approcher autant que faire se
peut de la vérité. Or, les préjugés concernant les femmes et les hommes, leur place et leur rôle social
et politique, leurs rapports, leur valeur, n’ont presque pas été considérés ni même présentés comme
des préjugés. La liste est longue, et assez drôle en un sens, des remarques de philosophes qui disent
le peu de considération qu’ils ont pour les femmes. Tout se passe comme si, implicitement et sans
que cela ne soit interrogé, le masculin était la norme. On pourrait avancer que, si la philosophie n’a
pas créé les stéréotypes, elle ne les a pas non plus neutralisés.

Tout ceci explique sans doute en partie que l’analyse des programmes officiels de philosophie ne fasse
pas apparaître explicitement ces notions, ce qui a pour conséquence de faire reposer son examen sur
la seule volonté de l’enseignant-e. Il y a donc un véritable enjeu intellectuel à regarder l’enseignement
de la philosophie à travers ce prisme parce que les préjugés sur le masculin et le féminin sont encore
très puissants et leurs conséquences très actuelles. L’objectif n’est pas de chercher à faire disparaître
les stéréotypes, tâche impossible puisque nous ne pouvons pas penser sans ces raccourcis. Mais le but
est bien ici, par « l’exercice réfléchi du jugement2 » et « une culture philosophique initiale3 » de déve-
lopper chez les élèves un esprit critique qui leur permette d’identifier les stéréotypes du féminin et du
masculin et de leur donner les moyens, les outils et les pistes pour en mesurer l’impact et, peut-être,
parvenir à les identifier, les contrôler et les dépasser.

Puisqu’il ne sert donc à rien de contempler l’absence, il importe plutôt de trouver, dans les notions,
dans les repères et dans les textes, des pistes pour penser le féminin et le masculin, et formuler certains
des problèmes qui se posent : existe-t-il une pensée sexuée ? Peut-on penser le féminin et le masculin
en parallèle et de façon symétrique ? Ou bien faut-il établir des catégories propres à chaque sexe ?

2
Instruction officielles, JO du 6 juin 2003.
3
Idem.

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Propositions pour traiter


du féminin/masculin

DANS LES NOTIONS


On pourrait presque dire que toutes les notions peuvent donner lieu à un travail sur le sujet. Deux
champs toutefois se démarquent et permettent de poser le problème de façon très riche : la notion de
culture d’une part et la question de la politique d’autre part.

LA CULTURE
Pour montrer le rôle que la culture joue dans la construction de l’homme, on peut examiner le pro-
blème de l’origine et des fondements de la représentation du féminin et du masculin : « La féminité
est-elle naturelle ou bien culturelle ? » pourrait-on demander de façon très synthétique. On peut alors
construire une réflexion qui part de la réponse que la biologie peut apporter à ce sujet, pour en mon-
trer la richesse, la complexité et les limites. La science ne peut pas apporter une réponse complète et
définitive. Dès lors, on peut développer l’argument selon lequel, si les rôles culturels et sociaux des
femmes et des hommes étaient entièrement déterminés par la nature, ils devraient être les mêmes,
partout et tout le temps. Convoquer les connaissances des élèves sur ce point en histoire et en socio-
logie, peut être intéressant. On peut ensuite aborder la question de la construction culturelle des
modèles et relier cela aux thèses de Simone de Beauvoir par exemple.

On peut partir également du constat que les préjugés concernent les femmes comme les hommes et
que la construction culturelle vaut pour les deux modèles. Dès lors, introduire des notions de genre,
de rôles sociaux de sexe ou de valence différentielle des sexes peut permettre de faire comprendre
comment la différenciation aboutit à une hiérarchisation entre les sexes. C’est la valeur de cette hié-
rarchisation qui peut alors devenir un objet de réflexion philosophique.

LA POLITIQUE
L’égalité est au cœur de la réflexion politique et sociale en philosophie, en particulier dans les relations
complexes qu’elle entretient avec la justice. L’égalité entre les sexes peut servir de point d’entrée à
cette réflexion. À partir de là, on peut par exemple traiter de la question de l’émancipation : qu’est-ce
que l’émancipation ? Pourquoi ce mot est-il employé aussi bien à propos des esclaves que des peuples
colonisés ou des femmes ? Les liens entre la culture et la structure sociale peuvent également être
interrogés. Enfin, dans la réflexion sur les échanges, l’analyse du mariage peut amener à poser le
problème de la dissymétrie entre les deux sexes.

On peut également poser le problème de cet écart assez constant chez les philosophes qui décrivent
un état de nature puis un état politique : chez Hobbes, chez Spinoza ou chez Rousseau, l’état de nature
se caractérise par une relative égalité entre les sexes, n’était la faiblesse physique des femmes qui
est parfois pointée. Mais étonnamment, cette égalité disparaît quand on décrit l’état politique, avec
des justifications variées. Par exemple, la domination masculine s’expliquerait par le fait que ce sont
les pères de famille et non mères qui ont fondé les Républiques. Cette observation peut permettre de
développer des compétences de lecture critique, surtout si on choisit une œuvre d’un de ces auteurs
comme lecture suivie.

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DANS LES REPÈRES


Les repères les plus opérationnels sur le masculin et le féminin sont les repères : identité/égalité/
différence et genre/espèce/individu.

Mais on peut aller plus loin avec trois autres groupes de termes :
– en fait/en droit : en reliant la définition des termes à la question de l’égalité, on peut définir et penser
la discrimination, cet écart entre l’égalité de droit et la réalité des faits. Comment la reconnaît-on ?
Pourquoi est-elle condamnable ?
– croire et savoir : dans la réflexion sur les stéréotypes masculins et féminins, il peut être extrêmement
riche de se demander ce qui relève de la croyance et ce qui relève du savoir, pour établir comment
se construit un préjugé et le rapport qu’entretiennent nos certitudes avec la vérité. Quelles sont
les certitudes qui sont relayées par la science ? Quelles sont celles qui sont infirmées ou, à tout le
moins, non confirmées ?
– intuitif/discursif : on peut définir ces termes en partant de la très fameuse intuition féminine. On
peut montrer que reconnaître l’intuition aux femmes est une façon de leur dénier la possibilité
d’accéder à la vérité par le raisonnement. En cela, on s’attaque à un préjugé très fort et très ancien
en philosophie. On peut ensuite faire la distinction entre cette intuition infra-rationnelle et l’intuition
pascalienne d’essence divine et supra-rationnelle pourrait-on dire.

DANS LES TEXTES


Il faut d’emblée rappeler la distinction entre les femmes en philosophie et les textes sur les femmes,
la pensée conduite par les femmes et la théorisation du féminin et du masculin.

Comme nous l’avons déjà noté, il n’y a qu’une seule femme parmi les auteur-e-s du programme de
philosophie et beaucoup de textes philosophiques établissent une hiérarchie, justifiée de diverses
façons, entre les deux sexes. Les textes proposés ci-dessous permettent soit de dépasser cela soit
d’alimenter une lecture critique.

Le Banquet de Platon, et plus particulièrement Le discours de Diotime de Mantinée. Le caractère proba-


blement fictif de ce personnage donne à son sexe une valeur symbolique très forte puisque Socrate
explique que c’est d’elle qu’il a appris ce qu’il sait. Si l’on ajoute à cela le fait que Socrate évoque sa
mère Phainarète pour expliquer ses sources d’inspiration pour la maïeutique, on peut en conclure que
Socrate reconnaît à deux femmes le mérite de l’avoir fait philosophe. Cela ne doit pas faire oublier
toutefois que, dans la naissance de l’amour, le père est Poros, l’abondance, et la mère est Pénia, la
pénurie. Dans la même œuvre, le mythe de l’androgyne fait de l’homosexualité masculine un vecteur de
transmission du savoir et de l’hétérosexualité un moyen de reproduction de l’espèce. L’homosexualité
féminine ne transmet rien.

La République de Platon. On peut avancer que la position de Platon sur les femmes est complexe et
plutôt en faveur de l’idée que le sexe féminin serait un sexe inférieur ; une réincarnation dans un corps
de femme est présentée comme une forme de punition pour les hommes qui manquent de courage
dans leur première vie (Le Timée). Mais quand l’intérêt de l’État est en jeu, les femmes valent autant
que les hommes. Pour servir comme les hommes, elles sont élevées comme eux, même si cela revient
à gommer les différences entre les sexes.

On peut s’appuyer sur l’opposition masculin/féminin pour expliquer la distinction, chez Aristote et
chez Thomas d’Aquin, entre la forme et la matière. Et interroger de façon critique cette distinction qui
ne fait qu’alimenter des préjugés contre lesquels les philosophes sont censés lutter.

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Les lettres, Descartes. On sait quelle importance la correspondance a dans l’œuvre de Descartes et on
sait également qu’au XVIIe siècle, les lettres faisaient partie intégrante de la vie intellectuelle. Elles
étaient écrites avec soin et destinées à être partagées, copiées etc., ce qui justifie que l’on s’appuie sur
elles lorsqu’on cherche à approfondir ou éclairer une œuvre. On peut alors remarquer que Descartes
a eu deux correspondantes à la fin de sa vie, à qui il écrit des lettres qui représentent un précieux
bagage pour éclairer sa pensée. Descartes a donc considéré ces interlocutrices, la princesse Élisabeth
de Bohème princesse palatine et la reine Catherine de Suède, comme aussi dignes d’intérêt que ses
autres correspondants.

On trouve chez Hume quelques analyses sur les femmes, sur la chasteté, sur la polygamie et le divorce
et sur « les femmes sensées et bien éduquées (…) [qui] sont bien meilleures juges que les hommes
du même niveau intellectuel en matière de texte, dès lors que l’écriture en est fine4 ». Il s’agit ici non
pas d’encenser le féminisme supposé de Hume mais de montrer que là encore, la différence entre les
sexes est pensée en termes de hiérarchisation même si cette fois elle est au bénéfice des femmes.

Et on peut bien entendu proposer la lecture d’extraits du Deuxième sexe pour montrer que l’indétermi-
nation de l’homme posée par l’existentialisme inclut la femme et la féminité. Une façon différente et
peut être éclairante d’aborder les grandes thèses de l’existentialisme, même si le texte reste difficile
et hors programme.

TRAVAUX INTERDISCIPLINAIRES
SVT/PHILOSOPHIE
On peut approfondir la distinction entre sexe biologique et genre, en particulier dans les classes de
1res L et ES, où les nouveaux programmes de SVT invitent sensiblement à cette réflexion.

On peut également aborder la question : existe-t-il un cerveau féminin et un cerveau masculin, diffé-
rence qui permettrait d’expliquer les différences de compétences sociales entre les sexes. La biologie
vient dans ce cas au secours des philosophes pour montrer à quel point certaines idées préconçues
sont infondées scientifiquement.

MERCATIQUE/PHILOSOPHIE
Le programme de mercatique en classe de première comprend un travail sur les stéréotypes dans la
publicité. Les exemples sont légions qui permettent de montrer comment l’image publicitaire au sens
large abonde les préjugés. L’enseignant-e de philosophie peut apporter les outils d’analyse critique
des images et les éléments culturels implicites.

4
Discours politiques.

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