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Baccalauréat européen 2003 – Français langue 2

Ernest Pépin, poète et romancier guadeloupéen 1 contemporain, évoque son enfance


dans son île natale.

C'est à cette époque qu'une maladie étrange fit des ravages dans mon cerveau. Je
contractai la rage de lire, de tout lire, de lire matin, midi et soir. Et lorsque toutes les
lumières étaient éteintes, je me confectionnais une tente avec mon drap et un balai et
je m'usais les yeux à la lueur d'une torche électrique. Le monde des histoires
supplantait la réalité du monde. Je m'y plongeais avec toute la passion d'un pêcheur
de perles. J'épousais la vengeance du comte de Monte-Cristo. Je pleurais sur les
malheurs de Gervaise. J'épuisais des chevaux avec d'Artagnan. Le nez et le panache 2
de Cyrano de Bergerac devenaient mon nez et mon panache. Je me prenais pour
l'Aiglon, pour Mozart, pour le Cid. Sans avoir visité la France 3 , j'avais respiré
l'odeur de la Beauce. J'avais habité les ports de Pierre Loti, j'avais entendu la
chanson des cigales de la Provence d'Alphonse Daudet, j'avais plongé dans les
égouts de Paris de Victor Hugo. La bibliothèque du collège était là, à portée de main
et je m'y goinfrais 4 comme les géants de Rabelais. Parfois, je ne comprenais rien, je
lisais quand même Boris Vian, Jean-Paul Sartre, Malraux, Steinbeck, Hemingway et
le plus étrange c'est qu'il y avait toujours un passage qui me marquait, qui sortait des
pages du livre pour mener sa vie dans mon imagination.
Mes rédactions s'en ressentaient. On avait beau me demander : « Racontez votre
soirée de Noël » ou « Faites-nous part d'une expérience que vous avez vécue »,
toujours je m'envolais dans un monde de dinde et de marrons glacés, de sapins et
d'ifs, de cathédrales gothiques, de quai de gare et de bonhomme de neige. Un jour,
un de mes maîtres brisa la précieuse porcelaine de mon univers.
-Emest, combien de temps avez-vous vécu en France ?
-Je n'ai jamais vécu en France, Monsieur !
- Alors pourquoi vous ne parlez jamais des réalités de la Guadeloupe ?
Je demeurais bouche ouverte comme un tébé (un idiot). Au fond de moi-même je
pensais que le maître n'avait rien compris. Pour moi les réalités de la Guadeloupe
n'étaient pas des réalités livresques. Elle n'avaient donc rien à faire à l'école puisque
l'école c'était le royaume des livres. Le cochon que je voyais ne pouvait entrer dans
un livre mais tous les paons, les cigognes que je ne voyais pas m'enchantaient parce
que je les avais connus par l'intermédiaire de beaux mots et de belles histoires.

Ernest PÉPIN (né en 1950), Coulée d'or (©.Gallimard, 1999).

1. guadeloupéen : natif de la Guadeloupe, département d'outre-mer français situé dans les Antilles.
2. panache : (ici) bravoure spectaculaire.
3. France : France métropolitaine.
4. je m'y goinfrais : (ici) je « dévorais » sans retenue tous les livres que j'y trouvais.
I. COMPRÉHENSION (20 points)
1- De quelle maladie souffre l’auteur ? ( 5 points )
2. Quelles sont les manifestations de cette maladie ? (5 points)

3. Expliquez la formule : « Le monde des histoires supplantait la réalité du monde »


(ligne 4). (5 points)

4. Quel sens donnez-vous à l'expression « la précieuse porcelaine de mon univers »


(lignes 19-20) ? (5 points)

II. INTERPRÉTATION (40 points)

1. De la ligne 6 à la ligne 13, l'auteur énumère des personnages et des créateurs très
célèbres : qu'est-ce qui vous frappe dans son choix et dans la manière dont il s'exprime ?
(20 points)

2. Relevez les oppositions contenues dans la dernière phrase du texte (lignes 27 à 29).
Comment les interprétez-vous ? (20 points)

III. ESSAI (40 points)

Vous traiterez, au choix, l'un des deux sujets suivants :

1. À la manière d'Ernest Pépin, vous avez une passion (sportive, musicale, artistique ou
autre). Décrivez-la et dites ce qu'elle vous apporte.

2. Certains critiques voient dans L'Île des esclaves de Marivaux « une jolie comédie
faussement audacieuse » ; pour d'autres, c'est « une pièce très avancée », et « toute la
lutte des classes est déjà là ». Vous-même, qu'en pensez-vous ?

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