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Bibliothèque de l'école des

chartes

Sources de l’histoire africaine aux XIXe et XXe siècles


Saliou Mbaye

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Mbaye Saliou. Sources de l’histoire africaine aux XIXe et XXe siècles. In: Bibliothèque de l'école des chartes. 2004, tome
162, livraison 2. pp. 483-496;

doi : https://doi.org/10.3406/bec.2004.463458

https://www.persee.fr/doc/bec_0373-6237_2004_num_162_2_463458

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Résumé
Les sources de l’histoire de l’Afrique aux XIXe et XXe siècles passées en revue dans l’article
portent sur l’histoire des Africains en Afrique, et plus précisément dans l’Afrique francophone au
sud du Sahara, dont les États constitutifs présentent d’évidentes similitudes administratives et
institutionnelles, issues d’une histoire coloniale commune. L’enquête archivistique doit embrasser
les archives coloniales et celles de l’indépendance conservées en Afrique, comme les archives de
la France coloniale conservées dans l’hexagone, et encore les archives imprimées, les manuscrits
arabes, les archives orales. Toutes ces sources prennent largement en compte l’histoire de
l’Afrique et les Africains les considèrent comme des sources de leur histoire; mais, comme toutes
les sources, elles doivent faire l’objet d’une critique interne et externe.

Abstract
The sources of African history in the 19th and 20th centuries reviewed in this article concern the
history of Africans in Africa, especially in French-speaking Africa south of the Sahara, where the
different states show obvious similarities in administration and institutions, rooted in their common
colonial history. Any survey of archives must extend to both colonial and post-colonial records
preserved in Africa, as well as colonial records kept in metropolitan France, plus printed
documents, Arabic manuscripts and oral evidence. Altogether these sources offer a wealth of
information on Africa, and are acknowledged by Africans as sources of their own history; yet, like
any historical source, they should also be subjected to internal and external criticism.

Zusammenfassung
Die hier vorgestellten Quellen für die Geschichte Afrikas im 19. und 20. Jahrhundert betrachten die
Geschichte der Afrikaner in Afrika, genauer im frankophonen Afrika südlich der Sahara, dessen
Kernstaaten deutliche Ähnlichkeiten in Verwaltung und Institutionsgefüge aufweisen, da sie auf
eine gemeinsame koloniale Vergangenheit zurückblicken. Von archivalischer Bedeutung sind
sowohl die in Afrika verwahrten Archive der Kolonialzeit und der Unabhängigkeit wie die in
Frankreich lagernden Kolonialarchive; weiterhin sind gedruckte Archivquellen, arabische
Manuskripte und mündliche Archive zu berücksichtigen. Die Gesamtheit dieser Quellen entwirft
ein umfassendes Bild der Geschichte Afrikas, und die Bewohner des Kontinents betrachten sie als
die Quellen ihrer eigenen Geschichte; wie alle Quellen sind sie zugleich der internen und externen
Kritik und Evaluierung unterworfen.
Bibliothèque de l’École des chartes, t. 162, 2004, p. 483-496.

SOURCES DE L’HISTOIRE AFRICAINE


AUX XIXe ET XXe SIÈCLES

par
Saliou MBAYE

Les historiens européens ont bien souvent considéré que l’histoire s’écrit
avec des documents. Or, comme pendant longtemps on a estimé que l’Afrique
était dépourvue de documents, on a vite fait de conclure que le continent
africain ne pouvait pas prétendre à l’écriture de son histoire ; tout au plus
pouvait-on parler d’ethno-histoire, ou d’anthropologie historique de l’Afrique.
C’était le point de vue de beaucoup d’historiens européens, notamment
d’Henri Brunschwig et encore, en 1970, de Raymond Mauny 1.
Il faudra attendre les années de l’Indépendance pour que les historiens
africains et des spécialistes de l’histoire de l’Afrique travaillent au renverse-
ment de la tendance. Du 27 au 30 décembre 1972, à l’université de Dakar, se
tenait en effet le premier congrès de l’association des historiens africains. Il y fut
affirmé la nécessité d’écrire l’histoire de l’Afrique en faisant appel à toutes les
sources disponibles. En 1965 déjà, l’UNESCO avait lancé le projet d’une
histoire générale de l’Afrique, dont les huit volumes ont été publiés à Paris de
1986 à 1998. C’est dans cette perspective que l’organisation internationale
s’employa dès lors à faire recenser les sources archivistiques et bibliographi-
ques conservées dans les archives et les bibliothèques d’Europe, donnant ainsi
naissance à un guide des sources de l’histoire d’Afrique, élaboré avec le
concours du Conseil international des Archives 2. Par la même occasion, elle
réhabilita les sources orales en créant deux centres pour la collecte et le

1. R. Mauny, Les siècles obscurs de l’Afrique noire, histoire et archéologie, Paris, 1970. On
commence à explorer cette tranche d’historiographie ; voir ainsi Emmanuelle Sibeud, Une science
impériale pour l’Afrique ? La construction des savoirs africanistes en France, 1878-1930, Paris,
2002.
2. Conseil international des archives, Sources de l’histoire de l’Afrique au sud du Sahara dans
les archives et bibliothèques françaises, Zug, 1971-1976, 2 vol. (Guide des sources de l’histoire de
l’Afrique, 3-4). — Outils bibliographiques : Alfred Martineau, Paul Roussier et Joannès Tramond,
Bibliographie d’histoire coloniale (1900-1930), Paris, 1932 ; Ministère des armées, État major de
l’armée de terre, Service historique, Guide bibliographique sommaire d’histoire militaire et
coloniale française, [sous la dir. de René Couvet], Paris, 1969.

Saliou Mbaye, directeur des Archives du Sénégal, Immeuble administratif, Avenue Léopold
Sédar Senghor, Dakar (Sénégal).
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traitement de la tradition orale, en Afrique occidentale (Niger) avec le


CELHTO (Centre pour l’étude linguistique et historique par la tradition orale),
et en Afrique centrale (Cameroun) avec le CERDOTOLA (Centre régional de
recherche et de documentation sur les traditions orales et pour le développe-
ment des langues africaines).
Récemment, les sixièmes Rendez-vous de l’histoire, tenus à Blois du 16 au
19 octobre 2003, ont consacré leur salon du livre d’histoire à l’Afrique. Sur le
prospectus qui présente l’événement, on peut lire :
« L’Afrique n’a pas été immobile comme semblent le dire les Occidentaux, elle
a entretenu des échanges internes intensifs (sel, or, cuivre, fer, pèlerinages et
migrations). Elle a remodelé les paysages, les croyances, les institutions, les
pratiques économiques et sociales ».
Je n’aurai pas ici la prétention de couvrir l’ensemble de l’Afrique. Le
continent est, en effet, vaste, divers et multilingue (arabe, anglophone, luso-
phone, hispanophone, francophone). Je voudrais plutôt porter la réflexion sur
l’Afrique au sud du Sahara et plus précisément sur le domaine qu’occupent les
territoires des anciens groupes de l’Afrique occidentale française (AOF) et de
l’Afrique équatoriale française (AEF). Ces pays sont en effet dotés d’institu-
tions administratives qui présentent bien des similitudes, nées d’une histoire
coloniale commune.
Quant à la période envisagée, il n’est pas question de remonter à ce que
R. Mauny appelait « les siècles obscurs de l’Afrique noire » ni à l’époque
pré-coloniale. Il s’agit simplement de rester dans cette période où l’Europe était
présente en Afrique, d’abord en commerçant sur les côtes africaines, ensuite en
s’installant à l’intérieur des terres, de l’orée du xixe siècle, qui voit la fin de la
traite des esclaves et des compagnies à charte, jusqu’à l’extrême fin du xxe siècle.
La question est de savoir de quelles sources on dispose pour écrire l’histoire de
l’Afrique au sud du Sahara et, partant, l’histoire de l’Afrique dans cette période.
Il faut bien s’entendre : il ne s’agit pas d’écrire l’histoire des « Européens en Afri-
que ». Celle-ci est trop bien connue pour que l’on ait besoin d’y revenir. Mon pro-
pos porte sur l’histoire des Africains en Afrique, l’histoire que les Africains ont
vécue chez eux et qu’ils entendent reconstituer.
On entend par source tout élément de connaissance susceptible d’éclairer
l’étude de tel ou tel sujet, « tout ce qui de quelque manière peut nous révéler
quelque chose sur le passé de l’homme, sous l’aspect particulier de son expé-
rience passée que nous nous sommes donné, présentement, pour tâche d’inter-
roger » 3. J’évoquerai d’abord les sources écrites, ensuite les sources orales, sans
omettre de mentionner les autres sources que nous offrent l’archéologie et la lin-
guistique.

3. Henri-Irénée Marrou, « Comment comprendre le métier d’historien », dans L’histoire et ses


méthodes, sous la dir. de Charles Samaran, Paris, 1967 (Encyclopédie de la Pléiade), p. 1467-1540,
à la p. 1511.
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I. Les sources écrites d’archives.


Les sources écrites comprennent des documents d’archives, des publications
imprimées et des manuscrits arabes.

1. Les archives de l’administration coloniale. — Il faut faire le départ entre


les archives coloniales élaborées en Afrique et les archives du ministère des
Colonies, conservées en France.
a. Archives du Sénégal (1816-1958). — On ne saurait oublier que, jusqu’en
1815, année du traité de Paris qui consacre la défaite napoléonienne, la France
avait exploité les colonies par le truchement de compagnies privilégiées ou
compagnies à charte (Compagnie du Sénégal, Compagnie des Indes, Compa-
gnie de Guinée, etc.), chargées de l’exploitation de ces territoires, à charge pour
elles de les administrer et d’en rendre compte à l’autorité à qui elles versaient
des droits.
Ces compagnies privilégiées rapatriaient leurs archives en France. C’est ainsi
que l’on dispose en France, aux Archives nationales, de la sous-série C6 du fonds
des Colonies, intitulée « Sénégal et Côtes occidentales d’Afrique (1689-1810) » ;
elle regroupe l’ensemble des correspondances et des documents relatifs aux
activités des différentes compagnies qui se sont succédé sur la côte occidentale
d’Afrique. On y retrouve aussi une vingtaine d’articles qui forment la corres-
pondance des administrateurs de Gorée à partir du traité de Paris (1763) 4.
Ces archives sont antérieures certes au xixe siècle, mais contiennent bien
souvent des informations qui restent encore utilisables au-delà de la période
couverte, notamment sur les cours africaines, les méthodes commerciales, les
us et mœurs des populations, et j’en passe. Une copie microfilmée de la
sous-série est disponible à Dakar.
À partir de 1816, la France revient au Sénégal, de même que, en 1815, la
Restauration inaugure le retour de Louis XVIII à la tête de la France. L’admi-
nistration se sédentarise. La colonisation change de perspective : plus de com-
pagnie à charte, mais plutôt une administration au service du roi et de l’autorité
centrale métropolitaine. On assiste alors à la mise en place d’une administration
civile et militaire dont ont largement hérité les administrations des États
francophones d’Afrique d’aujourd’hui. Cette administration, comme toute
administration, produit des documents, qu’elle conserve sur place et que l’on
confie à la garde du contrôleur colonial. Le secrétaire archiviste du Gouverne-
ment est chargé de leur gestion. Des inventaires et répertoires sont établis 5.
C’est le cas au Sénégal.

4. La France perdit alors le Canada et le Sénégal, à savoir Saint-Louis du Sénégal. Elle conservait
Gorée et y nomma des gouverneurs.
5. Parmi les répertoires élaborés par les secrétaires archivistes, on peut citer : Archives du
Sénégal [désormais : ARS] 1 B 228 (1816-1832), Répertoire analytique de la correspondance du
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Ces archives retracent, certes, l’histoire « de l’Europe et des Européens en


Afrique », mais elles font plus, car elles portent sur l’Afrique et sur les Afri-
cains, et s’élaborent sur le territoire des Africains. On pourrait multiplier, en
parcourant ces archives, les exemples qui éclairent la vie des Africains, certes en
situation de dominés, mais qui n’en gardent pas moins les éléments essentiels
de leur culture et les traits spécifiques de leur âme.
Les archives politiques, les archives de l’éducation, de la santé, de l’urba-
nisme, celles qui sont relatives à l’économie, celles de la justice prennent en
compte l’Afrique et les Africains, je pourrais même dire surtout l’Afrique et les
Africains. Il s’agit simplement de savoir les lire et les décrypter.
Les archives du Sénégal colonial se terminent en 1958. Plusieurs arguments
militent en faveur du choix de cette date extrême bien que l’indépendance
nominale du Sénégal date du 4 avril 1960. L’ordonnance du 26 juillet 1958
remet en effet la présidence du Conseil de gouvernement à l’ancien vice-
président du Conseil, le chef du parti majoritaire à l’Assemblée territoriale, qui
est un autochtone. Le gouverneur, chef du territoire, devient de ce fait le
représentant de la France dans le territoire. En outre, le référendum du 28
septembre 1958 donne naissance à la constitution du 4 octobre 1958, qui
institue la Communauté franco-africaine entre la France et les États membres
de la Communauté, qui deviennent des républiques. Le Sénégal se dote d’une
constitution le 24 janvier 1959. Dans les faits, l’heure de l’indépendance a bel et
bien sonné.
b. Les archives de l’Afrique occidentale française (1895-1959). — Si les
Archives du Sénégal commencent en 1816 (épisode du Naufrage du radeau de
la Méduse, illustré par Géricault) et se terminent en 1958, elles constituent
l’ancêtre des Archives de l’Afrique occidentale française (1895-1959) 6. Créées
en 1913 par Claude Faure, archiviste paléographe, ces archives regroupent
l’ensemble des archives du Gouvernement général de l’AOF, dont le siège est à
Dakar. Elles concernent la France, sous la souveraineté de laquelle elles ont été
produites, ainsi que les huit, voire neuf autres territoires du groupe : Maurita-
nie, Sénégal, Soudan (actuel Mali), Haute-Volta (actuel Burkina Faso), Niger,
Guinée, Côte d’Ivoire, Dahomey (actuel Bénin) et Togo (1936-1946).
Ce fonds, contrairement aux autres fonds des Gouvernements généraux
(Indochine, Afrique équatoriale française, Madagascar, Algérie), n’a pas été
rapatrié en France au moment des indépendances. Il est resté à Dakar et

ministre de la Marine au Gouverneur du Sénégal [dressé en 1832 par le commis Bertrand] ; ARS
1 B 229 (1816-1849), Table alphabétique et des matières de la correspondance du ministre de la
marine avec le Gouverneur [dressée en 1850 par le commis Brun] ; ARS 1 B 230 (1850-1860),
Répertoire chronologique des dépêches ministérielles à consulter ; ARS 1 B 231 (1866-1867),
Répertoire [alphabétique] des dépêches ministérielles ; voir S. Mbaye, Guide des archives de
l’Afrique occidentale française, Dakar, 1990.
6. L’AOF a été créée le 16 juin 1895. Elle disparaît en 1959 avec la mise en place de la
Communauté franco-africaine et la naissance des États membres de la Communauté. Le dernier
haut-commissaire, Pierre Messmer, quitte Dakar en décembre 1959.
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constitue un « patrimoine commun », une « mémoire partagée » entre la France


et l’Afrique. Il couvre environ 3,5 km de rayonnages et a fait l’objet d’un
microfilmage sélectif, encore que très vaste, puisqu’il a porté sur la partie
1816-1920 et sur l’ensemble de la série G (Affaires politiques et administratives
de l’AOF, 1782-1958). Le microfilm est disponible aux Archives nationales à
Paris (cote 200 MI) et au Centre des archives d’outre-mer (CAOM) à Aix-en-
Provence (cote 14 MI) 7.
Un guide des archives de l’AOF a été publié par mes soins en 1990 et il s’y
ajoute plusieurs instruments de recherche : non seulement les inventaires
publiés par Jacques Charpy, mais également une trentaine de répertoires qui
ont vu le jour grâce au soutien de la BIEF (Banque internationale d’information
sur les États francophones).
Il faut signaler que, en 1913, avait aussi été pris un arrêté créant un service
d’archives dans chacun des territoires constitutifs du groupe de l’AOF. Ce sont
ces archives qui constituent aujourd’hui le fonds ancien des archives nationales
de ces pays.
c. Les archives de l’Afrique équatoriale française. — Le Commissariat
général de l’Afrique équatoriale française a été créé en janvier 1910. Il regrou-
pait le Congo, le Gabon, le Tchad et l’Oubangui-chari (actuelle République
centrafricaine). Le Cameroun, placé sous mandat (1919), puis sous tutelle
(1945) de la France, n’a jamais réellement été rattaché à l’AEF. Les archives du
gouvernement général, placées d’abord sous l’autorité de l’Institut d’études
centrafricaines (1945), ont été ensuite organisées, à partir des années 1950, par
Jean Glénisson, archiviste paléographe. Au moment des indépendances, les
archives de l’AEF, du moins les archives de souveraineté (archives politiques,
diplomatiques, militaires), ont été rapatriées en France, où elles sont conser-
vées au CAOM à Aix-en-Provence. Elles y ont été classées selon le cadre de
classement ci-dessous :
B : Correspondance générale (gouverneurs généraux, hauts commissaires et secré-
taire général du Gouvernement).
C : Personnel.
D : Politique et administration générale.
H : Travail et main d’œuvre.
Q : Sociétés concessionnaires.
Y : Dons et legs.

d. Les archives du ministère des Colonies. — Les archives du sous-


secrétariat d’État aux Colonies créé en 1881, devenu ministère des Colonies en
1894, ont été regroupées rue Oudinot, à Paris, jusqu’en 1986 où elles ont été
transférées à Aix-en-Provence au CAOM (le transfert avait été décidé en 1979).

7. S. Mbaye, Le microfilmage du fonds de l’AOF, dans Miscellanea in honorem Caroli


Kecskeméti, sub patrocinio Joannis Booms et Joannis Favier, a Francisco Daelemans ed., Paris,
1997, p. 314-334.
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Elles y ont retrouvé les archives rapatriées des groupes de colonies : Indochine,
Madagascar, Algérie, Afrique équatoriale française, Côte française des Somalis.
Il s’agit de documents présentant un caractère politique, diplomatique, mili-
taire ou privé. Ces archives ont été répertoriées en détail dans le guide des
sources de l’histoire d’Afrique publié par l’Unesco et le Conseil International
des Archives 8, et dans l’État général des fonds, publié par la Direction des
Archives de France 9.
La section Outre-mer des Archives nationales a été créée, pour les recueillir,
en 1961. Elle est héritière de l’ancien service des archives du ministère des
Colonies. Les archives coloniales avaient été administrativement séparées des
archives de la Marine par le décret du 3 février 1882. Le décret du 27 janvier
1910 autorisa le ministre des Colonies à « déposer » au Palais Soubise (Archives
nationales) les archives des colonies antérieures à 1789 « présentant un carac-
tère purement historique ou privé ». En 1953, pour éviter des dysfonctionne-
ments, la date fut portée à 1815.
Furent ainsi conservés rue Oudinot, et aujourd’hui au CAOM, dénommé
ainsi en 1987, les documents produits et reçus par le ministère chargé des colo-
nies depuis 1881. On y retrouve également les archives des différentes direc-
tions (Affaires économiques, Travaux publics, ...), de l’Agence économique des
colonies (1889-1953), de l’École coloniale (1887-1959), de comités et commis-
sions créés auprès du ministre pour lui apporter des lumières (Commission de
vérification des banques coloniales, Commission des travaux publics, ...), du
Conseil supérieur des colonies (1882-1939), etc. Ces documents ont fait l’objet
d’un classement par Christian Schefer à partir de 1911 : il s’agit d’un classe-
ment méthodique contraire au respect des fonds. Les documents ont été en effet
classés par séries géographiques (Afrique, Amérique, Océan Indien, ...) et à
l’intérieur de ce groupe par pays, puis à l’intérieur du pays par séries thémati-
ques, au nombre de vingt (par exemple, Sénégal et dép[endances] I, Correspon-
dance générale ; Sénégal et dép VII, Administration générale et municipale,
etc.).
Ce fonds comprend aussi le Dépôt des papiers publics (DPP) créé par l’édit
royal de juin 1776, et le Dépôt des fortifications des colonies (DFC). Le Dépôt
des papiers publics regroupe les doubles des papiers d’état civil, des recense-
ments, des greffes, des notariats et les documents des hypothèques de la
conservation foncière. Ces doubles ont été envoyés à Paris jusqu’en 1912, date à
laquelle l’envoi a cessé pour les papiers des greffes, des notaires et des hypothè-
ques ; seul l’envoi de l’état civil a été maintenu jusqu’aux indépendances. Le
décret D 65-422 du 1er juin 1965 a ensuite prescrit le dépôt au service central
d’état civil du ministère des Affaires étrangères (Nantes) des registres d’état

8. Conseil international des Archives, Sources de l’histoire de l’Afrique au sud du Sahara...,


t. I, Archives, Zug, 1971.
9. Archives nationales, État général des fonds, t. III, Marine et outre-mer, Paris, 1980. Le
CAOM travaille actuellement à un répertoire informatisé de l’ensemble de ses collections.
B.É.C. 2004 sources de l’histoire africaine 489

civil datant de moins de cent ans, établis pour les Français nés ou vivant dans les
anciennes colonies de la France. Le Dépôt des fortifications des colonies, créé en
1778, regroupe des cartes, plans et mémoires concernant les possessions fran-
çaises outre-mer, réunis par les Archives de la Marine et des Colonies et par les
dépôts de fortification locaux. Les documents sont classés par pays (Gorée, Côte
d’or et Gabon, Sénégal, etc.). On y retrouve, outre des documents iconographi-
ques (plans de ville, de bâtiments administratifs, etc.), des instructions données
aux gouverneurs, des mémoires, des rapports.

2. Les archives de l’Afrique indépendante. — Depuis l’Indépendance,


là où il n’y avait pas de service d’archives, des efforts ont été faits pour en créer,
et ceux qui existaient ont été renforcés. Dans l’ancienne AOF, chaque pays
dispose d’un service d’archives. Dans l’ancienne AEF, le Tchad a créé son
service en 1969 ; la République centrafricaine et le Gabon s’en sont pourvus eux
aussi.
Si ces services ont travaillé à inventorier leur fonds, il n’existe encore aucun
guide commun pour ces archives, quoique ce fût l’ambition de la WARBICA
(Branche ouest-africaine du Conseil international des Archives). Il faut à
présent travailler à inventorier les fonds, à mettre en ligne les répertoires et
ensuite à numériser les archives pour un partage plus large des ressources. Vaste
programme !

3. Les archives privées. — Aux archives publiques, il faut ajouter, pour les
compléter, les archives privées, tantôt données ou déposées dans les archives
publiques, tantôt maintenues comme des fonds autonomes : archives de
congrégations religieuses (Congrégation du Saint-Esprit), des chambres de
commerce, de banques et de sociétés opérant outre-mer.
Aux Archives du Sénégal, on trouve dans la série Z des documents de chefs de
canton 10 ou d’interprètes, des papiers provenant de familles ayant joué un rôle
politique, économique et social.
Le CAOM conserve aussi des « papiers privés », classés dans la série APC. Il
s’agit de documents ayant appartenu à d’anciens gouverneurs (Pierre Boisson,
Henri Gaden, etc.), à d’anciens officiers, à d’anciens chargés de mission. Il faut
également noter les papiers d’agents (série PA), qui sont, eux, des papiers
publics produits ou reçus par des agents dans l’exercice de leur mission. Sont
rangés dans cette série des documents ayant trait aux activités d’anciens
ministres comme Albert Sarraut, d’anciens gouverneurs comme Camille Guy,
ou d’anciens explorateurs, tel Savorgnan de Brazza. Il faut y ajouter les archives
privées d’entreprises relatives à l’outre-mer. Ces archives ont rejoint le CAOM
en 1994 et 1995.

10. Le canton était une unité administrative dirigée par un notable indigène appelé chef de
canton. Celui-ci était souvent choisi au sein des familles ayant vocation au commandement.
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4. Les archives imprimées. — Aux côtés des archives publiques et privées qui
constituent l’essentiel de nos fonds d’archives, il faut signaler l’existence des
archives imprimées, qu’elles soient officielles ou non.

a. Les publications officielles. — Par publication officielle, il faut entendre


toute publication faite à l’initiative de l’État ou de ses émanations et avec les
deniers de l’État. Les plus connues sont les journaux et bulletins officiels, dans
lesquels sont publiés les actes pris en métropole et dans les colonies : ainsi en
France le Journal officiel, le Bulletin officiel de la Marine (1681-1930), le
Bulletin officiel des Colonies (1887-1959), le Bulletin des lois (1789-1918).
Chaque groupe de colonies publiait son propre journal officiel, celui de l’AOF
(1905-1959), et celui de l’AEF qui paraît à partir de 1887 sous des titres
différents avant de devenir Journal officiel de l’Afrique équatoriale française
(1910-1959) ; il en allait de même de chaque colonie. Toutes ces publications
bénéficient de tables qui en rendent l’accès aisé et d’instruments de recherche
qui en facilitent l’exploitation 11.

b. Les publications non officielles. — Il faut encore signaler toutes les


publications imprimées non officielles. Les journaux en sont les principaux. Si
en général l’Afrique est mal représentée dans la presse européenne, il n’en reste
pas moins qu’il existe des journaux et des revues spécialisés qui relatent la
présence française en Afrique. Pour la presse, il me suffira de renvoyer aux
travaux de Roger Pasquier et de Marguerite Thomassery 12. Il faut également
mentionner les publications des sociétés savantes et des comités : le Bulletin du
Comité de l’Afrique française (1891-1957), la Revue des colonies devenue en
1958 la Revue française d’histoire d’outre-mer ; les publications du Comité
historique de l’AOF créé le 10 décembre 1915 et qui édite à partir de 1938 le
Bulletin de l’IFAN (Institut français d’Afrique noire, devenu Institut fonda-
mental d’Afrique noire Cheikh Anta Diop) ; La Dépêche coloniale (1851-1904
et 1908-1913), les Marchés coloniaux du monde (fondé en 1945 et devenu
Marchés tropicaux et méditerranéens en 1959), entre autres, sont à citer parmi
les journaux publiés en France.
Enfin, parmi les sources imprimées, il faut signaler les documents iconogra-
phiques : cartes et plans, cartes postales anciennes 13.

11. Paule Brasseur et Jean-François Maurel, Les sources bibliographiques de l’Afrique de


l’ouest et de l’Afrique équatoriale d’expression française, Dakar, 1970.
12. R. Pasquier, Les débuts de la presse au Sénégal, dans Cahiers d’études africaines, 1962,
no 7, p. 477-490. M. Thomassery, Catalogue des périodiques d’Afrique noire francophone (1858-
1962) conservés à l’IFAN, Dakar, 1956.
13. Sans omettre les ressources des catalogues de la Bibliothèque nationale de France, je renvoie
aux travaux de Philippe David, Catalogue général des cartes postales illustrées (1900-1960) et
Inventaire général des cartes postales, Fortier, 3e partie, 1912-1920, [Paris, 1988]. Il faut également
citer les travaux de l’association française Images et mémoires. Voir aussi Pierre Rosière et Patricia
Garcia, Pierre Tascher, photographe éditeur de cartes postales en France et au Sénégal, Meudon-
B.É.C. 2004 sources de l’histoire africaine 491

5. Les sources arabes. — Les sources arabes comprennent, en premier lieu,


des manuscrits arabes qui ont fait l’objet de publications et de traductions de la
part d’africanistes, tels que Maurice Delafosse, Octave Houdas, Henri Gaden, et
d’ethnologues du Musée de l’Homme 14.
Il s’agit d’autre part de manuscrits, écrits en arabe ou en ajami, et non encore
disponibles en traductions 15. On en retrouve pratiquement dans tous les pays
du Sahel. Tombouctou en est une illustration, avec le centre Ahmed Baba
(1556-1621), devenu Institut des hautes études et de recherche islamiques.
L’IRSH (Institut des recherches en sciences humaines) à Niamey, où se trouve
le fonds Boubou Hama, Chinguetti en Mauritanie disposent de plusieurs
milliers de manuscrits dont la conservation est souvent fort difficile. Parmi les
collections de l’IFAN, on peut citer, entre autres, le travail de Cheikh Moussa
Camara sur l’histoire du Fouta, publiée par Jean Schmitz avec le concours du
CNRS, en 1998. Il s’agit du premier volet de l’histoire des noirs rédigée par le
Cheikh vers 1920 16.
Des efforts de recensement et d’inventaire et de traduction sont en cours. On
peut renvoyer au travail de Joseph M. Cuoq sur les sources arabes conservées en
France 17, et à nouveau au guide des sources de l’histoire d’Afrique 18.
D’autres manuscrits ont été capturés pendant la conquête et transférés en
France. Le cas peut-être le plus éclatant est celui de la Bibliothèque omarienne

la-Forêt, 1996, et P. Rosière, Pierre Tascher (1875-1938), grand reporter, photographe, éditeur de
cartes postales à Saint-Louis du Sénégal, Meudon-la-Forêt, 1996.
14. Voir en particulier Abdalah Ben Abderrahman, Tarikh es-Soudan, trad. franç. par
O. Houdas, Paris, 1898-1900, 2 vol. ; Mahmoud Kâti, Tarikh el-fettach ou chronique du chercheur,
pour servir à l’histoire des villes, des armées et des principaux personnages du Tékrour, trad. franç.
par O. Houdas et M. Delafosse, Paris, 1913-1914. Ces deux œuvres, parues dans les Publications de
l’École des langues orientales vivantes, Documents arabes relatifs à l’histoire du Soudan, ont été
rééditées en 1964 dans la Collection UNESCO d’œuvres représentatives, Série africaine. Voir aussi
M. Delafosse, Chroniques du Fouta sénégalais traduites de deux manuscrits arabes inédits de Siré
Abbâs-Soh et accompagnées de notes, documents annexes et de cartes, avec la collab. de Henri
Gaden, Paris, 1913 (Collection de la Revue du monde musulman). Voir enfin, tout récemment,
Shaykh Muusa Kamara, Florilège au jardin de l’histoire des noirs (Zuhur Al-Basatin), t. I-1,
L’aristocratie peule et la révolution des clercs musulmans (vallée du Sénégal), [trad. de l’arabe]
sous la dir. de Jean Schmitz, Paris, 1998 (Documents, études et répertoires publiés par l’Institut de
recherche et d’histoire des textes).
15. Langues locales transcrites avec l’alphabet arabe enrichi de signes diacritiques pour les
sonorités étrangères à l’arabe.
16. Boubou Hama, dont le fonds est conservé à Niamey, était un homme politique et chercheur
nigérian (1906-1982) ; il est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages. L’IFAN conserve quatre fonds
de manuscrits arabes : fonds Vieillard ; fonds Cheikh Moussa Kamara ; fonds Brevié ; fonds
Figaret. Voir plus généralement la communication présentée par Mouhamed Said Ould Hamedy,
« Manuscrits africains anciens », au colloque international des bibliothèques nationales en Afrique
francophone subsaharienne (Dakar, 5-7 mai 2003), sous presse.
17. J. Cuoq, Recueil des sources arabes concernant l’Afrique occidentale du VIIIe au XVIe siècle
(Bilad al-sudan), Paris, 1975 (Sources d’histoire médiévale, 6).
18. Conseil international des archives, Sources de l’histoire de l’Afrique au sud du Sahara...,
t. II, Bibliothèques, Zug, 1976.
492 saliou mbaye B.É.C. 2004

(ainsi nommée d’après El Hadji Omar Tall, 1797-1864) prise par Archinard, à
Ségou, en 1890. Cette collection riche de 518 volumes est conservée à la division
des manuscrits orientaux de la Bibliothèque nationale de France 19. Elle com-
prend l’ensemble de la bibliothèque d’El Hadji Omar, enrichie de documents et
de livres réunis par son fils Ahmadou. Les documents sont en arabe, à quelques
rares exceptions près, en fulfuldé, en arabe dialectal et en français. En 1993,
l’Association (sénégalaise) des études oumariennes, présidée par Thierno
Mountaga Tall, actuel khalife de la Oumariyya au Sénégal, a acquis un micro-
film de la collection, soit un total de 272 bobines.
Autre exemple, avec les manuscrits collectés par Georges de Gironcourt lors
d’une mission scientifique effectuée de 1908 à 1912 en Afrique de l’ouest et au
Cameroun avec le soutien du ministère des Colonies et de la Société de géogra-
phie de Paris. À cette occasion, « il récolta pas moins de 223 manuscrits
représentant plus de 4000 pages de texte arabe serré sur l’histoire et les
traditions de l’Afrique intérieure » 20. Le fonds Gironcourt est aujourd’hui
conservé à la Bibliothèque de l’Institut à Paris.

II. Les archives orales.

On parle d’archives orales, d’archives de la parole, d’archives vivantes de la


parole, d’histoire orale, d’histoire de vies, de tradition orale, de documentation
orale, de sources orales ou de témoignages oraux, d’ethnotextes. Cette termi-
nologie fluctuante est l’illustration de l’incertitude qui règne encore dans ce
domaine, qui pourtant est en train d’investir le champ archivistique.
Par ethnotexte, il faut entendre des textes oraux, littéraires ou non, ayant une
valeur d’information ethnologique, historique, linguistique. Mais la notion
d’ethnotexte s’applique aussi aux sources écrites de textes oraux ou à leurs
versions écrites éventuelles. Les textes oraux, une fois transcrits, deviennent
des archives orales consolidées. On en trouve plusieurs exemples en Afrique.
On peut citer, à titre d’illustration, le travail d’Amadou Wade (1886-1961),
Chroniques du Walo sénégalais, 1185-1855, traduites par Bassirou Cissé en
1941, publiées et commentées par Vincent Monteil, et également Les Cahiers
Yoro Dyao sur les royaumes wolof du Sénégal, publiés par Henri Gaden en
1912.
L’histoire orale amène de son côté la collecte de témoignages oraux sur une
période récente de l’histoire et vient ainsi compléter les sources écrites existan-

19. S. Mbaye, Un patrimoine africain en France : le trésor de Ségou, dans Le bicentenaire de la


naissance de Cheikh El Hadji Oumar Al-Futi Tall (1797-1898), actes du colloque international
du 14 au 19 décembre 1998, Dakar, Rabat, 2001, p. 361-372. Le fonds a fait l’objet d’un inventaire
par Noureddine Ghali, Sidi Mouhamed Mahibou et Louis Brenner, publié en 1985 par le CNRS. Un
catalogue est également publié dans les Sources de l’histoire de l’Afrique au sud du Sahara..., t. II,
p. 698-804.
20. ARS, 1 G 282, Mission scientifique de Gironcourt en AOF (1908-1912).
B.É.C. 2004 sources de l’histoire africaine 493

tes. Elle concerne aussi les récits de vie, comme les enquêtes sur des faits
sociaux de l’histoire récente. Aujourd’hui, presque toutes les recherches sur
l’histoire contemporaine sont fondées, en partie, sur des enquêtes d’histoire
orale. L’histoire orale est de ce fait devenue une donnée fondamentale de
l’archivistique contemporaine. Le produit des enquêtes est soit déposé (par
contrat de dépôt), soit donné aux Archives (en ce cas il suit le sort des archives
publiques), soit intégré à des collections privées. À titre d’exemple, je peux citer
l’expérience en cours à l’École normale supérieure de Dakar, où des ensei-
gnants ont monté un laboratoire sur la collecte et la conservation de l’histoire
orale. Un livre vient d’être publié, Dialogue avec Abdoulaye Ly (Dakar, 2003 :
entretien conduit par Babacar Fall et al.).
Quant à la tradition orale, elle porte sur les souvenirs du passé transmis
oralement et qui sont le produit de la dynamique d’une culture. Il s’agit de
témoignages oraux concernant le passé d’un ou de plusieurs peuples qui ont fait
l’objet d’une transmission à travers une chaîne temporelle. La tradition orale se
pratique dans les pays ayant connu l’écriture, comme la Finlande, mais elle a
surtout cours dans des régions où la société n’a d’autre recours, pour perpétuer
ses souvenirs, que de les confier à la mémoire. Or l’Afrique, ayant tardé à se
familiariser avec l’écriture, a beaucoup misé sur la tradition orale pour conser-
ver sa mémoire. Le Père Jean-Baptiste Labat écrivait ainsi en 1728 :
« Ils [les nègres] n’ont point d’annales de ce qui se passe chez eux, parce qu’ils
n’ont pas l’usage de l’écriture ; excepté les Marabous et quelques grands sei-
gneurs, personne ne sait n’y lire n’y écrire. Ils se servent des caractères arabes
pour écrire leur propre langue et n’en connaissent point d’autres. Malgré cette
ignorance ils savent parfaitement bien ce qui s’est passé dans les temps les plus
reculés. Ils ont une mémoire si heureuse et une tradition si constante de ce qui
s’est passé chez eux qu’ils ont appris de leurs pères et que ceux-cy avaient appris
de leurs aïeuls. On remarque qu’ils ne varient pas le moins du monde et qu’ils
retiennent jusqu’aux moindres circonstances. C’est par leur moyen que M.
Brue 21 a connu une infinité de choses des commencements de la compagnie et de
ses établissements ; les noms des premiers directeurs, le temps de leurs gouver-
nements, leur (sic) rappels, leurs morts et quantité d’autres particularités ; dont
les registres de la compagnie ne disaient pas un mot, quoique ce fussent très
souvent des choses dont la mémoire aurait dû être conservée soigneusement pour
l’intérêt de la compagnie » 22.

Il s’y ajoute que, en Afrique, le griot, maître de la parole, est chargé de la


conservation et de la gestion de la mémoire collective. Djibril Tamsir Niane,
dans son Soundjata ou l’épopée mandingue (Paris, 1978), le présente ainsi :

21. Il s’agit d’André Brue, qui a été directeur de la compagnie du Sénégal à deux reprises, de
1697 à 1702, et de 1714 à 1720.
22. Jean-Baptiste Labat, Nouvelle relation de l’Afrique occidentale, contenant une description
exacte du Sénégal et des païs situés entre le Cap Blanc et la rivière de Sierra Leonne jusqu’à plus
de 300 lieues en avant dans les terres..., éd. Paris, 1728, t. II, p. 151-152.
494 saliou mbaye B.É.C. 2004

« Les griots, ces poètes et musiciens ambulants sont la mémoire collective de


l’Afrique noire ; dépositaires de la tradition orale, c’est grâce à eux que se
transmettent la poésie, la musique et l’histoire de génération en génération. Sans
eux, la majorité des œuvres anciennes qui forment le patrimoine culturel seraient
oubliées depuis longtemps. Ainsi peut-on toujours entendre les grandes chansons
de la tradition, comme celles de Soundjata Keita, empereur du Mandingue, qui
datent du xiiie siècle, ou celles de Lat Dior Diop, Damel du Cayor (Sénégal), de la
fin du xixe siècle. Ils sont dépositaires de l’histoire officielle, celle des familles, et
en cela ils ont été les garants de la transmission du patrimoine culturel des
différents groupes ethniques. »

C’est pour aider à la collecte et au traitement de la tradition orale que


l’UNESCO a créé le CELHTO (Niger) et le CERDOTOLA (Cameroun). Le
CELTHO gère en ce moment deux projets, baptisés ARTO (Archives sonores et
ressources documentaires de la tradition orale en Afrique), projet financé par la
coopération suisse au développement, et NOREA (Numérisation de l’oralité
enregistrée en Afrique) qui a la charge de la gravure numérique sur CD de
données orales.
Aux archives orales que représentent les enquêtes d’histoire orale et les
collectes de tradition orale, il faut ajouter les archives sonores et audiovisuelles
produites par les radios et télévisions nationales africaines (URTNA, Union des
radio-télévisions nationales d’Afrique), par les médias européens tournés vers
l’Afrique (Radio France Internationale, avec Mémoire d’un continent, etc.), par
les archives de l’Institut national de l’audiovisuel français (INA). On prêtera
aussi attention aux sources documentaires que constituent les films africains et
ceux qui portent sur l’Afrique.
Il resterait encore à évoquer les autres sources, archéologiques et linguisti-
ques. L’archéologie vient en effet éclairer les « siècles obscurs » de l’histoire de
l’Afrique noire quand on ne dispose pas de chronique orale ou écrite. Je renvoie
aux travaux de R. Mauny, de Cyr Descamps, entre autres 23. Pour la linguisti-
que, les travaux de Joseph H. Greenberg ont aidé à la classification des langues
et à l’étude diachronique des langues africaines 24.

III. Les limites des sources.

Les grands principes qui président à l’étude de l’histoire et des sciences


auxiliaires de l’histoire s’appliquent à l’histoire de l’Afrique. Une source « ne
vaut que par ce que l’historien sait en faire, pour la faire parler juste » 25.

23. R. Mauny, Les siècles obscurs... C. Descamps, Contributions à la préhistoire dans l’Ouest
sénégalais, Dakar, 1979 ; La préhistoire du Sénégal, recueil de documents, Dakar, 1982.
24. J. Greenberg, The languages of Africa, Bloomington, 1963.
25. Catherine Coquery-Vidrovitch, La découverte de l’Afrique, Paris, 1re éd. 1965, préface de la
nouv. éd., 2003.
B.É.C. 2004 sources de l’histoire africaine 495

Le premier principe est qu’aucune source ne se suffit à elle-même. Les


sources archivistiques sont pour la plupart des sources administratives. Elles
portent la marque de l’administration (coloniale ou indépendante) qui les a
créées. Elles sont parcellaires et incomplètes. C’est pourquoi il faut les complé-
ter à l’aide des autres publications imprimées, publiques et privées, par les
sources orales, sans parler de l’archéologie et de la linguistique. C’est dire que
l’historien d’Afrique doit, du fait de la rareté et du caractère incomplet des
sources, pratiquer l’interdisciplinarité.
En trois domaines au moins, les archives écrites peuvent ainsi apporter leur
concours aux archives orales pour un complément d’information : il s’agit des
dates, des statistiques et de l’iconographie. La tradition orale en effet n’a cure
d’une chronologie précise ; c’est aux sources des archives écrites que viennent
s’abreuver les griots pour fixer la date de naissance ou de décès de tel héros
national ou de tel guide religieux, l’année où tel phénomène naturel (invasion
de sauterelles, famine, épidémie, etc.) s’est abattu sur le pays ou la région.
L’oralité ne gère pas, non plus, les statistiques et les chiffres de manière
précise ; bien souvent, c’est dans le rapport de l’officier militaire français que
l’on vient rechercher le chiffre approximatif des troupes engagées par l’armée
locale lors de telle bataille contre l’envahisseur européen ; de même, le tableau
de recensement ou le rôle de l’impôt nous renseigne sur la situation démogra-
phique du pays alors que les archives orales restent bien souvent muettes à ce
sujet. Enfin les archives écrites viennent au secours de l’oralité pour tout ce qui
touche à l’iconographie : portraits, plans de villes ou de forts de chefs locaux,
cartes et plans de régions ou de finages.
Le deuxième principe est que toutes les sources doivent faire l’objet d’une
critique. Tout ce qui est écrit n’est pas forcément vrai, pas plus que tout ce qui
est dit n’est a priori suspect. Il faut donc avoir l’esprit en veille et être prompt à
la critique interne et externe des textes écrits et oraux ainsi que des documents
de l’archéologie.
En ce qui concerne la critique des sources, je m’appesantirai davantage sur
les sources orales que sur les sources écrites, dont l’utilisation et le traitement
ont acquis, et de longue date, droit de cité. On a souvent présenté l’oralité
comme peu fiable, car la parole est fragile et le message peut être altéré au cours
de sa transmission. Pour minorer les risques d’erreurs, il faut faire appel à la
caution d’autres témoins et confronter ainsi les diverses versions d’un même
événement. On a également douté de l’authenticité du témoignage oral. Le
message est-il bien de l’auteur présumé ? Le contexte est-il véridique ? Ces
questions, légitimes, ne doivent pas amener à considérer que la notion
d’authenticité serait absente de l’oralité. C’est ainsi que les chefs locaux, qui
n’avaient pas de cachet pour authentifier les lettres qu’ils envoyaient aux
gouverneurs du Sénégal, faisaient appel à la preuve telle qu’on la retrouve dans
la pratique quotidienne de l’oralité. Ainsi dans une lettre adressée par Ndatté
Yalla, reine du Walo, au gouverneur du Sénégal en mai 1851, on lit :
496 saliou mbaye B.É.C. 2004

« Pour vous prouver que cette lettre vient de moi, lorsque le palabre fut fini à
Lampsar vous êtes rentré au fort. Là, je viens vous retrouver avec mon mari, vous
êtes accompagné de M. Alsace et d’Amat. Vous m’avez dit que vous désiriez me
voir seule pour parler, je vous ai répondu qu’il n’y avait là que mon mari et mon
frère, vous m’avez demandé aussi quel était le chef du Walo aujourd’hui, je vous
ai répondu c’est moi. Si cela est, la lettre vient de moi » 26.

*
* *

L’Afrique a décidé de prendre en charge son développement. Elle a mis en


place, à cet effet, le NEPAD (Nouveau partenariat pour le développement de
l’Afrique), qui entend d’abord et avant tout compter sur les ressources propres
de l’Afrique pour atteindre ses objectifs. Et tout développement, pour être
homogène, doit s’appuyer sur la culture et partant sur l’histoire. C’est pour-
quoi, il paraît d’une nécessité impérieuse que les gouvernements africains
aident à la mise en place et au fonctionnement de services d’archives fonction-
nels qui aient une large vocation de collecte et de conservation de la mémoire
collective et de la diffusion des connaissances.

Saliou Mbaye.

26. ARS, 13 G 91, lettre parvenue à Saint-Louis le 23 mai 1851.

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