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Le patrimoine culturel récent au Maroc:

bref état des lieux et recommandations

Ahmed Skounti

Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine,

Département d’anthropologie, Rabat, Maroc

Septembre 2013

1
Avant-propos

Il est vrai qu’en tant que spécialiste du patrimoine, je suis particulièrement sensible à la
sauvegarde et à la transmission des témoins matériels et immatériels de la culture, quel
que soit leur époque de production, leur origine, leur statut ou la communauté qui leur a
donné naissance. En même temps, nous avons tendance à ne considérer comme
patrimoine que les témoins qui proviennent de périodes « anciennes » de l’histoire ou,
pour le versant immatériel, ceux perçus comme étant issus d’une tradition enracinée. Il
est rarement fait état de ce qui a été produit au cours des générations les plus proches
de nous, celles de nos grands-parents et de nos parents.

Je tiens donc à remercier la Fondation Heinrich Böll, son représentant au Moyen-Orient


Dr. Bente Scheller et, particulièrement Mme Ariane Langlois, chef de programme, de
m’avoir offert l’opportunité de réfléchir à la situation du patrimoine culturel récent au
Maroc.

Le présent texte est un bref état des lieux de cet héritage encore frais. Le temps qui a été
imparti à sa préparation ne permettait pas de prétendre à l’exhaustivité. Je ne trace
donc que les grandes lignes de la prise en charge du patrimoine récent. Je n’ai pas mené
d’enquête en bonne et due forme auprès des institutions publiques et privées ou auprès
de personnes. Les sites internet des institutions concernées ont été d’un recours certain
lors de l’élaboration de ce texte mais il n’a pas été possible de vérifier l’état de
l’actualisation des données qui y figurent. Certains responsables ont répondu à des
questions posées par téléphone ou par courriel, d’autres non.

Ce texte donne un aperçu de la situation sans répondre à l’ensemble des interrogations


que peut susciter un tel sujet. Les points qu’il a brièvement traités sont autant de pistes à
peines ébauchées pour des recherches potentielles plus approfondies.

2
"La coupure entre patrimoine, création vivante et médias,
qui tend à s'imposer dans le classement administratif des
"affaires culturelles", n'est qu'une commodité trompeuse
puisqu'aujourd'hui il n'est pas de domaine - livre, cinéma,
danse, art contemporain, télévision, internet...- qui n'ait sa
face patrimoniale, traduisant le souci de son propre passé -
à capitaliser, partager et transmettre".
Daniel Fabre, "Introduction. Le patrimoine porté par
l'émotion", in Daniel Fabre, dir., Emotions
patrimoniales, Ethnologie de la France, Cahier 27,
Paris, Editions de la Maison des sciences humaines,
2013, p. 18.

Introduction

Le processus de patrimonialisation au Maroc, au sens où l’on entend aujourd’hui cette


notion, remonte à plus d’un siècle. Il a porté, depuis 1912, date de l’établissement du
Protectorat franco-espagnol et depuis l’Indépendance en 1956, sur des sites naturels,
des monuments historiques, des ensembles architecturaux, des sites archéologiques et
des objets d’art et d’antiquité ou de la vie quotidienne. Par contre, la réflexion sur le
patrimoine culturel au Maroc, au sens d’héritage matériel et immatériel laissé par les
générations passées, est relativement récente. Elle répond, à sa façon, aux conséquences
induites par les transformations profondes que traverse la société marocaine depuis un
siècle : la colonisation, la détribalisation, l’indépendance et l’unification, la construction
de l’Etat moderne, l’essor démographique, l’urbanisation, l’industrialisation, la
scolarisation, le tourisme, entre autres facteurs. Elle est également liée au besoin de
mémoire que ressentent des pans entiers de la société, souvent mobilisée dans le cadre
de combats idéologiques et identitaires présents qui engagent le futur.

Force est, cependant, de constater que le patrimoine culturel concerné est, d’abord et
avant tout, celui des époques de l’histoire du pays antérieures au XXe siècle. Tout porte à
croire que l’on se soucie moins de préserver les témoins les plus représentatifs de ce
qu’ont produit les générations subactuelles et de ce que produisent les générations
actuelles et qui pourrait constituer le patrimoine de demain1.

1 La réflexion n’a été engagée que depuis près de trois décennies sur l’élargissement de la notion de
patrimoine aux productions récentes des sociétés, dans le sillage de la réunion d’experts convoquée par le
Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS) en 1985, à Paris, lors du colloque
international organisé en 1987par la Direction du patrimoine du ministère de la Culture et des
Communications français, sur le thème Enjeux du patrimoine du XXe siècle et lors de la première
conférence organisée en 1990 par DOCOMOMO (Documentation and Conservation of the architecture of
the Modern Movement) à l’Université d’Eindhoven, Pays-Bas. En application de la Stratégie Globale pour
une Liste du patrimoine mondial, représentative, équilibrée et crédible adoptée en 1994, l’UNESCO, via
son Centre du patrimoine mondial, initie, à partir de 2001, un programme portant sur le « patrimoine
moderne » à travers une série de conférences régionales. En architecture, voir, à titre d’exemple :
Commission des biens culturels du Québec, Document de réflexion sur le patrimoine moderne – Octobre
2005. Consulté le 24 septembre 2013 sur le site web : http://biens-

3
Il s’agit, ici, de définir le contenu de ce que l’on entend par « patrimoine culturel
récent »2 et de dresser un état des lieux de sa situation dans le Maroc d’aujourd’hui. Si la
création marocaine, dans tous les domaines, a été foisonnante, la préservation de ses
productions se pose avec acuité. Ceci est valable pour les domaines que nous couvrirons
ici, à savoir : l’architecture, le livre, la peinture, la sculpture, la photographie, la musique,
la danse, le design, la mode, le théâtre, le cinéma, la vidéo et la production numérique
(portails, sites, blogues).

On examinera la situation de cette production tant au niveau juridique qu’institutionnel


avant de faire les recommandations qui nous semblent à même d’en permettre la prise
en charge. Si cette étude succincte présente un intérêt, c’est surtout de tenter d’élargir la
notion de « patrimoine culturel récent », au-delà des édifices et des ensembles de
constructions, pour embrasser l’ensemble de la culture matérielle et immatérielle issue
de l’époque récente (XXe et début du XXIe siècle).

I. Un processus de patrimonialisation insuffisant

La patrimonialisation est « le processus par lequel des éléments de la culture ou de la


nature deviennent, à un moment donné de l’histoire des sociétés, investis de la qualité
de bien patrimonial digne d’être sauvegardé, mis en valeur au profit des générations
actuelles et transmis aux générations futures »3. S’agissant de la culture, ce processus
porte, plus souvent, sur des témoins matériels ou immatériels considérés comme
« anciens » ou « enracinés dans la tradition ». Les acteurs qui y sont engagés ou même
les citoyens, retiennent le critère d’ancienneté ou d’enracinement lorsqu’il s’agit
d’attribuer la qualité de patrimoine à un monument, un ensemble, un site, un objet ou
une forme d’expression culturelle. En revanche, la profondeur de l’une et de l’autre ne
fait pas toujours l’unanimité. En d’autres mots, les acteurs ne parviennent pas toujours à
estimer le temps qui doit s’écouler pour qu’un élément de la culture puisse être
considéré comme un patrimoine. Une autre appréhension s’ajoute lorsqu’au caractère

culturels.o2web.ws/fileadmin/user_upload/docs/Patrimoine_moderne.pdf auquel j’emprunte ces


informations historiques (p. 8-9).
2 La notion de « patrimoine récent » a été préférée à celle de « patrimoine moderne » en raison de

l’application de cette dernière, au cours des deux décennies écoulées, principalement à l’architecture du
mouvement moderne, plus largement au patrimoine architectural de la première moitié du XXe siècle.
3Ahmed Skounti, 2010, De la patrimonialisation. Comment et quand les choses deviennent-elles des patrimoines ?,
Hespéris-Tamuda, Revue de la Faculté des Lettres et des Sciences humaines de Rabat, XLV : 19-34. Peut être consulté
sur : www.min-culture.academia.edu/AhmedSkounti.

4
récent, s’ajoute l’origine allochtone de cet héritage, surtout lorsqu’il est produit sous
domination coloniale4.

Les législations sur le patrimoine dans nombre de pays fixent parfois un âge pour
certains éléments du patrimoine, notamment matériels, mobiliers ou immobiliers5. Mais
bon nombre de lois adoptent une définition temporelle large, allant jusqu’à l’époque
actuelle. C’est le cas des lois du patrimoine de l’Algérie, du Maroc, de la Mauritanie et de
la Tunisie, à titre d’exemple6. Or, dans les faits, cette même latitude n’est pas utilisée
dans l’interprétation de la loi, amenant les acteurs à considérer que les productions
récentes de la société ne peuvent pas compter parmi les éléments du patrimoine. Au
Maroc, ces productions subactuelles que l’on peut regrouper sous la notion de
« patrimoine culturel récent » couvrent quasiment le XXe siècle et le tout début du XXIe
siècle. Elles concernent les domaines de la création (au sens large) que nous avons
énumérés dans l’introduction ci-dessus.

Ce patrimoine issu d’une culture en pleine mutation s’avère aujourd’hui insuffisamment


préservé tant au niveau juridique qu’institutionnel. Des différences existent, néanmoins,
selon le domaine considéré. L’architecture et le livre sont mieux lotis que d’autres types
de créations pour des considérations totalement différentes.

Concernant l’architecture, les efforts entrepris par le ministère de la Culture et ses


partenaires au niveau local ont permis le classement et l’inscription d’un certain nombre
de sites et de monuments7. On compte ainsi 21 sites et monuments classés à Rabat,
Tanger, Tétouan, Larache, Azrou, Kenitra et Taroudant. Ils remontent en quasi-totalité à
la période du Protectorat franco-espagnol (1912-1956) et comprennent des jardins, des
hôtels, des villas, des immeubles, un cinéma, une école, un lycée, une horloge murale,
entre autres8. On compte également 97 sites et monuments inscrits à Casablanca, Rabat,
Larache, Kenitra, Tétouan et Tanger. Ils ont été construits, en grande majorité, à la
même période et se composent de jardins, d’immeubles publics ou privés, de villas, d’un
village touristique, d’un cinéma, d’un théâtre, d’abattoirs, d’un hôpital, entre autres.

4 On comprendra ce travail du « temps patrimonial » (Skounti, op. cit., pp. 27-30) en constatant que le Maroc a décidé

(probablement inconsciemment, mais cela est révélateur) de présenter les propositions d’inscription sur la Liste du
patrimoine mondial de l’UNESCO, du site antique de Volubilis (y compris sa composante romaine, Ve siècle av. J.-C. –
VIIe siècle), de la Cité portugaise de Mazagan (XVIe siècle) et de la ville de Rabat (y compris sa composante coloniale,
XXe siècle) dans l’ordre de leur ancienneté : 1997, 2004 et 2012 ! Plus les vestiges issus d’une période d’occupation
sont lointaines, plus concevable est leur intégration au patrimoine national.
5 Pour le patrimoine architectural : 50 ans aux Etats-Unis, 40 ans au Canada, 30 ans en Grande-Bretagne, à titre

d’exemple. Voir Commission des biens culturels du Québec, op. cit., pp. 19-20.
6 Algérie : Loi n° 98-04 du 20 Safar 1419 correspondant au 15 juin 1998 relative à la protection du patrimoine

culturel ; Maroc : Dahir n° 1-80-341 du 17 Safar 1401 (25 décembre 1980) portant promulgation de la loi n° 22-80
relative à la conservation des monuments historiques et des sites, des inscriptions, des objets d'art et d'antiquités ;
Mauritanie : Loi n° 2005-046 du 25 juillet 2005 relative à la protection du patrimoine culturel matériel ; Tunisie : Loi
n° 94-35 du 24 février 1994 relative au code du patrimoine archéologique, historique et des arts traditionnels.

7 La Loi marocaine 22-80 citée dans la note précédente distingue l’inscription (Titre II) du classement (Titre III), la
première requérant une procédure plus simple et ayant des effets moins contraignants que le second.
8 Voir :

http://www.minculture.gov.ma/fr/index.php?option=com_content&view=article&id=100&Itemid=134&lang=fr.
Consulté le 19 octobre 2013.

5
Au regard de ces chiffres, on constate que la procédure d’inscription, moins
contraignante au niveau juridique, a été privilégiée à raison de 5 pour 1 environ par
rapport à celle du classement. A Casablanca, certains bâtiments inscrits ont fait l’objet de
destructions en violation de la loi (l’immeuble Piot-Templier, par exemple, en 2011). Ces
chiffres sont également modestes au regard du nombre d’édifices remontant au XXe
siècle et présentant un intérêt architectural aussi bien pour les habitants que pour la
mémoire collective et pour l’histoire9. A Casablanca, par exemple, on est très en-deçà des
4000 bâtiments art-déco recensés par l’association Casamémoire10 et dignes d’être
conservés. Ailleurs, dans plusieurs villes, villages et, parfois, en rase campagne, nombre
d’édifices méritent également d’être protégés par la loi : bâtiments officiels abritant des
administrations publiques, casernes militaires, gares ferroviaires, tribunaux, écoles,
maisons de forestiers, cafés bars, prisons, villages miniers, usines et manufactures,
phares, ponts, tours de guets, entre autres.

S’agissant du livre, il a fait l’objet d’un intérêt particulier au regard de sa centralité dans
la transmission du savoir religieux orthodoxe et d’une partie du savoir profane chez les
Marocains. Pendant des siècles, des livres étaient fabriqués, utilisés, conservés et
transmis dans les grandes villes comme dans les petites localités où existent des zaouïas
ou des médersas. Sous le Protectorat, la création de la Bibliothèque générale en 1924 a
introduit la pratique du dépôt légal qui oblige les personnes physiques et morales,
publiques et privées à déposer des copies de leurs ouvrages. Depuis, le montant
modique de l’amende imposé par la loi en cas de non dépôt d’exemplaires n’a pas
toujours contraint les producteurs d’œuvres à en déposer, ce qui a engendré des lacunes
dans la bibliographie marocaine conservée à la Bibliothèque générale. Devenue la
Bibliothèque nationale du Royaume du Maroc en 2003, la loi qui l’institue maintient le
dépôt légal à son profit tout en en élargissant le champ d’application à d’autres
productions non-livresques (voir ci-dessous la section II : le cadre juridique et
institutionnel de la préservation du patrimoine culturel récent).

La conservation des œuvres des autres domaines de ce qu’on appelle ici le patrimoine
culturel récent est tout autant déficitaire, peut-être même plus que les précédents. En
art, par exemple, il n’existe pas, à l’heure actuelle, de collection publique d’œuvres d’arts
plastiques proprement constituée. Des œuvres d’art contemporain, surtout constituées
de peintures, sont propriété d’administrations publiques, notamment les ministères, du
parlement, des entreprises de l’Etat et des fondations de grandes entreprises privées,
dont des banques, et de collectionneurs privés. Mais sont-elles représentatives de
l’ensemble des domaines des arts plastiques, des courants artistiques, des générations
d’artistes et des régions du pays ? Quel est leur état et condition de conservation, celles
qui sont exposées comme celles qui sont dans les réserves ?

9 Ici comme ailleurs, « les résistances sont fortes et la sensibilité au patrimoine récent est peu partagée », lit-on dans le
rapport de la Commission des biens culturels du Québec, Document de réflexion sur le patrimoine moderne – Octobre
2005. Consulté le 24 septembre 2013 sur le site web : http://biens-
culturels.o2web.ws/fileadmin/user_upload/docs/Patrimoine_moderne.pdf. Page 8.
10 Association marocaine créée à Casablanca en 1995. Voir : www.casamemoire.org.

6
S’agissant de la représentativité des différents arts plastiques, les administrations, les
fondations privées et les galeries d’art ont une prédilection pour la peinture, reléguant
en seconde zone la sculpture, la photographie et l’installation. La question des critères
de choix des œuvres à collectionner se pose pour les administrations publiques et les
entreprises de l’Etat. Elle se pose également pour les entreprises privées et leurs
fondations qui œuvrent dans le domaine de la culture. Il est certain que celles-ci
adoptent des critères propres qui ne sont pas forcément conformes à l’esprit de service
public, ce qui est compréhensible mais ne permet pas la représentativité de l’ensemble
des créations des artistes du pays. Mais la préservation à long terme des œuvres qui
composent les collections publiques et privées se pose à l’ensemble des acteurs engagés
dans ce domaine11.

Le ministère de la Culture a créé à Rabat le musée des Arts contemporains dont


l’ouverture est imminente. A l’image des autres musées archéologiques,
ethnographiques et spécialisés dépendant de ce département, il est désormais géré par
la Fondation nationale des musées, créée en 2011. Il est censé réunir les collections
publiques de l’Etat et acquérir d’autres œuvres d’artistes plasticiens du Maroc. La
procédure qui préside à la réunion de ces collections n’est pas encore arrêtée. Une partie
de ces collections, acquise par le ministère de la Culture à partir de 2008, est stockée
dans une salle disposant d’un rayonnage et de conditions de conservation située à la
Direction des arts (ministère de la Culture) à Rabat12. Osons espérer que le futur musée,
tant attendu, permettra non seulement de mettre à la disposition du public plus d’un
siècle des arts plastiques du pays, mais surtout qu’il dispose des conditions idoines de
conservation des œuvres et d’un laboratoire de restauration nécessaire à leur
préservation en offrant ses prestations aux œuvres des collectionneurs privés.

La musique, la danse, le design, la mode, le théâtre, le cinéma et la vidéo ont connu, à


différents degrés, un essor important de créativité au cours du XXe siècle et de la
première décennie du XXIe siècle. L’accumulation des œuvres n’a pas toujours été
accompagnée par une politique publique d’acquisition conséquente et régulière. La
majeure partie du patrimoine audiovisuel du Maroc est conservée par la radio et la
télévision publiques, aujourd’hui réunies au sein de la Société nationale de Radio et de
Télévision (SNRT). Son état de conservation n’a pas constitué une priorité pendant des
décennies, ce qui a provoqué la perte de documents nombreux, sans parler de son
éclatement et des conséquences de l’obsolescence technologique. Les centres d’archives
audiovisuelles de la radio et de la télévision servent principalement à alimenter la
production interne. Ce ne sont pas à proprement parler des archives publiques ouvertes
aux personnes intéressées par la connaissance de périodes données de l’histoire récente

11Ne les ayant pas visitées et ne m’ayant pas entretenu avec leurs gestionnaires, je ne peux m’exprimer sur l’état de
conservation des œuvres artistiques détenues par les administrations publiques et les institutions et fondations
privés.
12 Communication orale de M. Mansour Akrache, chef de division des arts plastiques, Direction des arts,

ministère de la Culture. Cette collection publique, noyau du futur Musée national d’art contemporain est
principalement composée d’œuvres de peinture.

7
du pays à travers des thèmes spécifiques tels que la musique, la chanson, la poésie ou le
théâtre.

S’agissant du théâtre, seules les pièces qui ont fait l’objet d’une transmission
radiophonique et d’une couverture télévisuelle sont, en principe, conservées dans les
centres d’archivage de la SNRT. Toutes celles qui sont l’œuvre du mouvement associatif,
du théâtre amateur notamment, ou de présentations en dehors des circuits officiels ne
se trouvent pas dans des institutions dûment identifiées ou ont été perdues. De plus, les
décors et les costumes des pièces de théâtre ne se trouvent conservés nulle part,
entraînant la perte d’œuvres de création scénographique parfois d’une grande
ingéniosité.

L’essentiel des œuvres de musique et de danse est conservé par la SNRT et, aujourd’hui
acquis par les radios privées pour les besoins de leur diffusion de la musique marocaine,
rarement d’ailleurs, à la télévision, pour celle des spectacles de danse. La création
musicale, lyrique et chorégraphique n’a pas disposé d’un lieu d’archivage et de mise à la
disposition du public des œuvres des artistes marocains, tous styles, langues, régions et
générations confondues. Un institut supérieur de musique et d’arts chorégraphiques est
en cours de construction par le ministère de la Culture à Rabat. Espérons qu’il pourra, en
plus de la formation qu’il dispensera dans ces domaines artistiques, disposer d’un fonds
de référence sur la musique et la danse au Maroc.

Quant au cinéma, l’essentiel des œuvres se trouve au Service des archives filmées géré
par le Centre cinématographique marocain (CCM) à Rabat. Elles se répartissent comme
suit13:

• Pathé-Gaumont (1905-1957) ;
• Documentaires à partir de 1947 ;
• Actualités marocaines (1958-2004) ;
• Courts et longs métrages produits par des sociétés privées ;
• Coproductions avec le CCM ;
• Archives de certains pays africains.

L’art vidéo demeure le parent pauvre de ce domaine. De jeunes artistes ont investi cet
art au cours des deux décennies écoulées, justifiant la création par la Faculté des Lettres
et des Sciences humaines de Ben M’sick de Casablanca et ses partenaires d’un Festival
international de l’art vidéo dès 1993. Pourtant, les archives de cet art ne peuvent être
consultées nulle part car aucun centre dédié ne leur a été spécifiquement réservé.

Une partie des archives sonores, audiovisuelles et numériques sont conservées à la


Bibliothèque nationale du Royaume du Maroc (BNRM). Elles se répartissent comme
suit14 :

13 Site web du Centre cinématographique marocain (CCM) : www.ccm.ma.


14 Site web de la Bibliothèque nationale du Royaume du Maroc : www.bnrm.ma.

8
Images animées Enregistrements Ressources électroniques
sonores

683 DVD 869 Cassettes audio 2099 CD


119 Vidéo 442 Disques vinyles 442 Disques vinyles
cassettes 181 Bandes 155 jeux, disquettes et autres
magnétiques

Ces chiffres, au demeurant très modestes, ne couvrent pas, loin s’en faut, l’ensemble de
ce qui a été produit dans ce domaine pendant les cinq décennies qui ont suivi
l’Indépendance du Maroc en 1956.

S’agissant du design et de la mode, ils se sont beaucoup développés au Maroc au cours


de ces dernières décennies. L’un comme l’autre a été littéralement révolutionné par des
artistes talentueux dont les plus célèbres sont, aujourd’hui, reconnus sur la scène
nationale et internationale. Tous les deux ont trouvé sur place un terreau sur lequel ils
ont pris appui pour se lancer dans la création tous azimuts : les savoir-faire des métiers
ou ce que l’on appelle communément l’artisanat. Le design surfe sur une frontière ténue
entre « tradition » et « innovation » ou s’engage résolument dans une rupture pour
s’inscrire dans un mouvement moins syncrétique, plus moderne, voire postmoderne. La
mode, quant à elle, a transformé, détourné ou désorienté, selon le cas, le costume
marocain pour en faire un habit adapté aux goûts hétéroclites d’aujourd’hui. La djellaba,
le caftan et la babouche sont les supports, désormais classiques, de cette créativité
bienvenue.

Or, force est de constater que les œuvres représentatives des créateurs marocains en
design comme en mode ne peuvent être admirées dans aucun lieu public spécifique.
Quiconque voudrait entreprendre une histoire de ces deux domaines de la création
verrait sa documentation, ses sources d’information, les œuvres en tant que support
d’analyse et de réflexion, largement lacunaires pour ne pas dire fragmentaires. Il n’existe
pas encore de musée de la mode ni de musée de design au Maroc.

Enfin, les témoins les plus représentatifs de la culture marocaine du XXe siècle
mériteraient de trouver leur place dans un musée. Qu’il s’agisse des objets de l’artisanat,
des objets d’ameublement, y compris des accessoires, ou des objets et outils de tous
milieux sociaux, économiques, culturels et cultuels, ils ont connus d’importantes
transformations, adaptations, disparitions ou recréations au cours du XXe siècle qui
justifient qu’un programme de collecte et d’acquisition ambitieux en sauvegarde ce qui
peut encore l’être. Cela permettra aux générations futures de se faire une idée de ce
qu’étaient leurs ancêtres au cours de ce siècle aux changements profonds et inédits.

Au terme de ce tour d’horizon succinct de la situation de composantes de ce que nous


avons appelé le « patrimoine culturel récent » au Maroc, il apparaît que des efforts
louables ont été accomplis par les services publics pour préserver des témoins de la
mémoire récente du Maroc. Force est, cependant, de constater que ces efforts, consentis
9
par des administrations en rangs dispersés, sont lacunaires et insuffisants. Regardons à
présent ce qui est prévu, au niveau des lois et des institutions, pour préserver ce
patrimoine des générations futures.

II. Le cadre juridique et institutionnel de la préservation du patrimoine


culturel récent au Maroc

Le cadre juridique et institutionnel existant et qui fonctionne aujourd’hui est celui d’un
certain nombre d’institutions publiques dont, notamment, le ministère de la Culture, la
Bibliothèque nationale du Royaume du Maroc (BNRM), le Centre cinématographique
marocain (CCM), les Archives du Maroc et le Bureau marocain du droit d’Auteur
(BMDA).

A. Le ministère de la Culture

Trois directions centrales du ministère de la Culture sont particulièrement concernées


par la préservation du patrimoine culturel récent : la direction du Livre, la direction des
Arts et la direction du Patrimoine culturel. La première est responsable de la création et
de la gestion d’un réseau de bibliothèques et de médiathèques publiques qui conservent
une partie de la production livresque marocaine :

« La direction du livre, des bibliothèques et des archives a pour mission de veiller


à l'élaboration des mesures tendant à la promotion du livre, son édition, sa
diffusion et sa commercialisation, de soutenir et de développer le réseau des

10
bibliothèques et de coordonner l'exploitation matérielle et scientifique du
patrimoine archivistique national »15.

La direction des Arts n’intervient pas à proprement parler dans la conservation mais
plutôt dans l’aide à la création comme le stipule l’Article 7 :

« La direction des arts a pour mission de développer et de promouvoir les


domaines du théâtre, de la musique, des arts chorégraphiques, des arts plastiques
et des arts populaires, et de définir des actions d'impulsion et de soutien à la
création artistique et d'en assurer la diffusion et la commercialisation »16.

Comme il a été évoqué plus haut, la direction des arts a acquis et conserve, depuis 2008,
une collection d’arts plastiques, œuvres des artistes marocains. Elle est destinée à
constituer le noyau du futur Musée national d’art contemporain, en cours de finalisation
à Rabat et qui est, désormais, rattaché à la Fondation nationale des musées.

Quant à la direction du Patrimoine culturel, elle est chargée « de veiller à la protection, la


conservation, la restauration, l'entretien et la promotion du patrimoine architectural,
archéologique, ethnographique et muséologique ainsi que les différentes richesses
artistiques nationales »17.

La loi marocaine du patrimoine dite loi 22-80 dont l’adoption remonte à 1980 ne
mentionne pas le mot « patrimoine » lui-même. Il ne faut donc pas s’attendre à y trouver
une typologie en la matière, encore moins des notions relativement récentes telles que
« patrimoine immatériel » ou « patrimoine culturel récent ». Son article premier se lit
comme suit :

« Les immeubles, par nature ou par destination, ainsi que les meubles dont la
conservation présente un intérêt particulier pour l'art, l'histoire ou la
civilisation du Maroc peuvent faire l'objet d'une inscription ou d'un
classement »18.

Les deux catégories retenues par le législateur, à savoir les « immeubles » et les
« meubles », peuvent autoriser une interprétation large du point de vue du temps. Ce fut
le cas, en effet, lorsqu’il s’est agi de classer ou d’inscrire des immeubles remontant
« seulement » à la première moitié du XXe siècle. Mais nous avons vu que cela était resté
limité, tant les cadres et fonctionnaires du patrimoine sont plus enclins à ne considérer

15 Article 8 du Décret n° 2-06-328 du 18 chaabane 1427 (10 novembre 2006) fixant les attributions et
l'organisation du ministère de la culture. Voir : Bulletin officiel n° 5480 du jeudi 7 Décembre 2006.

16 Idem.

17Idem. Article 6.
18Dahir n° 1-80-341 du 17 Safar 1401 (25 décembre 1980) portant promulgation de la loi n° 22-80
relative à la conservation des monuments historiques et des sites, des inscriptions, des objets d'art et
d'antiquités.

11
que l’ancien (XIXe siècle et au-delà), probablement en raison de leur formation et aussi
de l’immensité de la tâche concernant les périodes anciennes de l’histoire. Si bien que les
meubles les plus récents n’ont pas été concernés par ce processus de patrimonialisation
et le nombre des immeubles classés ou inscrits est lui-même demeuré, somme toute,
modeste. De plus, le domaine de ce qu’on appelle aujourd’hui « patrimoine immatériel »
n’est pas couvert par la loi, et par conséquent ses œuvres, fixées sur quelque support
d’enregistrement ou d’archivage que ce soit, ne pouvaient être prises en compte. Le
texte de loi en vigueur n’offre donc pas de cadre juridique adéquat pour la préservation
du « patrimoine culturel récent » produit par les générations récentes.

Il est question d’amender la loi sur le patrimoine depuis, au moins, le début des années
1990. Un avant-projet de loi qui s’appuie sur un draft de la fin du siècle dernier a enfin
été préparé et se trouve, aujourd’hui, dans les canaux légaux de l’adoption19. Ce texte
définit le patrimoine culturel marocain comme suit :

« Patrimoine culturel national s’étend à tous les biens culturels mobiliers,


immobiliers et immatériels, par nature ou par destination, et mobiliers
existants sur et dans le sol des immeubles du domaine public ou privé de
l’Etat, ou appartenant à des collectivités ethniques sous tutelle de l’Etat, à des
personnes physiques ou morales de droit privé, ainsi que dans le sous-sol et
espaces subaquatiques des eaux intérieures et des eaux territoriales
maritimes nationales, légués par les générations passées, de la préhistoire à
nos jours et représentant un intérêt pour la civilisation nationale ou
universelle ».

Beaucoup plus explicite que la précédente, cette définition a le mérite d’être nettement
plus exhaustive. Sur le plan temporel, elle s’avère plus explicite : les témoins de la
culture du pays, « de la préhistoire à nos jours », sont potentiellement concernés. De
plus, ces témoins sont « légués par les générations passées », sans précision du degré de
profondeur de celles-ci. Cela veut dire que même les productions des générations les
plus récentes, i.e. subactuelles, sont susceptibles d’être sauvegardées pour les
générations actuelles et futures. Cette interprétation large mérite d’être sérieusement
envisagée par les responsables des musées publics ainsi que par les porteurs de projets
de musées privés afin que soient préservés des témoins représentatifs de la culture
matérielle et immatérielle récente.

B. La Bibliothèque nationale du Royaume du Maroc

Le Dahir n°1-03-200 du 16 ramadan 1424 (11 novembre 2003) portant promulgation de


la loi n°67-99 relative à la BNRM, héritière de la Bibliothèque nationale et Archives créée
en 1926, affecte à cet organisme les missions suivantes:

19Il peut être consulté sur le site web du Secrétariat général du gouvernement :
http://www.sgg.gov.ma/commentaire_fr.aspx?id=1102.

12
1) « De collecter, traiter, conserver et diffuser le patrimoine documentaire
national ainsi que les collections documentaires étrangères représentatives
des connaissances de l’humanité ;
2) De promouvoir et de faciliter l’accès à ses collections documentaires et à
l’information bibliographique ;
3) D’assurer un rôle de coordination et de coopération au sein du réseau
national des bibliothèques ;
4) De participer à l’activité scientifique nationale et internationale et de conduire
des programmes de recherche en relation avec ses missions et avec le
patrimoine documentaire dont elle a la charge ».

La première mission est rendue possible grâce à l’attribution du dépôt légal à la BNRM.
Cela lui permet de disposer, tout en enrichissant régulièrement ses fonds, d’exemplaires
de tout ce qui se produit au Maroc dans les domaines qu’elle couvre. La Loi 68.99 du 11
novembre 2003 relative au dépôt légal20 déclare, à l’article 3, que:

« (…) sont soumis au dépôt légal :

- Les documents imprimés, graphiques, photographiques, sonores, audiovisuels


et multimédias ;
- Les bases de données, les logiciels et les progiciels. »

En cas de non respect de cet article 3, la loi prévoit des sanctions pécuniaires à
l’encontre des personnes physiques ou morales contrevenantes. L’article 9 prévoit ce qui
suit :

« Les personnes (…) qui se sont soustraites à l’obligation du dépôt légal sont
punies d’une peine d’amende de dix mille (10.000) à cent mille (100.000)
dirhams, selon la nature et la valeur des documents objets du dépôt. »21

Concernant les objets et supports sur lesquels porte le dépôt légal, l’Article 7 les
énumère ainsi : « documents imprimés, graphiques et photographiques, notamment les
livres, périodiques, quotidiens, brochures, estampes, gravures, cartes postales, affiches,
cartes, plans, globes et atlas géographiques, partitions musicales, ainsi que les
documents photographiques, quels que soient leur support matériel et procédé
technique de production, d’édition ou de diffusion. » Le nombre d’exemplaires à déposer
est, suivant le même article, « quatre exemplaires pour ceux édités sur support papier »
et « deux exemplaires pour ceux édités sur un autre support».

L’Article 10 prévoit que soient « déposés en deux exemplaires :

- Les documents sonores de toute nature, notamment les émissions


radiophoniques et les phonogrammes, quels que soient leur support matériel
et procédé technique de production;

20 Royaume du Maroc, Bulletin officiel n°5184 du 5 février 2004. Voir : www.sgg.gov.ma.


21 Un dirham marocain (MAD) = environ 8 US$.

13
- Les documents audiovisuels, notamment les vidéogrammes autres que ceux
fixés sur un support photochimique, ainsi que les documents
cinématographiques produits ou édités au Maroc;
- Les documents multimédias qui regroupent deux ou plusieurs supports ou qui
associent sur un même support deux ou plusieurs documents, édités ou
produits au Maroc;
- Les bases de données, des logiciels et des progiciels édités ou produits au
Maroc, accompagnés du support matériel et de la documentation y afférente;
- Les documents produits par des marocains, auteurs ou éditeurs, et publiés à
l’étranger ».

Au titre de cet article, des exemplaires d’un nombre important des productions des
Marocains d’aujourd’hui devraient figurer dans les fonds et les collections de la BNRM.
Or, à voir le nombre des documents iconographiques, audiovisuels et numériques
affichés sur le site de l’institution (voir ci-dessus), il apparaît que la moisson est encore
modeste au regard de la diversité de ce qui se produit au Maroc. De plus, certaines
catégories prévues par l’article 10, précédemment cité, comme les œuvres
cinématographiques ne figurent pas, semble-t-il, dans les collections.

C. Le Centre cinématographique marocain

Le Centre cinématographique marocain (CCM) a été créé à Rabat en 1944 et a été


réorganisé en 1977. Il est chargé d’organiser et de promouvoir l’industrie
cinématographique au Maroc. Il veille à l’application de la législation et de la
réglementation en vigueur dans ce secteur de l’activité culturelle22. Le Dahir portant loi
n°1-77-230 du 19 septembre 1977 relative à la réorganisation du Centre
cinématographique marocain, prévoit dans son article 2, alinéa 13, a):

« (…) la constitution d’une cinémathèque nationale dont les conditions


d’organisation et de fonctionnement sont fixées par décret pris sur proposition
du ministre chargé de l’information ».

Cette cinémathèque a été créée avec pour mission « de conserver le patrimoine


cinématographique national et international et de promouvoir la diffusion de la culture
par le film »23. En plus des collections du film marocain et du film international produit
et/ou distribué au Maroc, elle dispose d’un auditorium de projection avec une
programmation à destination du public et d’une bibliothèque spécialisée dans le
domaine de l’industrie cinématographique.

D. Archives du Maroc

Les Archives du Maroc est un organisme public créé par l’Etat en vertu du Dahir n° 1-07-
167 du 19 kaada 1428 portant promulgation de la loi n° 69-99 relative aux archives24.
Son inauguration a eu lieu en 2011 dans les locaux de l’ancienne Bibliothèque générale

22 Voir le site web du Centre cinématographique marocain : www.ccm.ma.


23 Voir http://www.ccm.ma/cinematheque.asp.
24 Royaume du Maroc, Bulletin officiel n° 5588 du 20 décembre 2007. Voir : www.sgg.gov.ma.

14
et Archives (BGA) située à proximité de la Faculté des lettres et des sciences humaines
de l’Université Mohamed V à Rabat.

L’Article premier de la Loi 69-99 définit les archives comme :

« l'ensemble des documents, quels que soient leur date, leur forme et leur
support matériel, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et
par tout service ou organisme public ou privé, dans l'exercice de leur activité. La
constitution et la conservation de ces documents sont organisées dans l'intérêt
public tant pour les besoins de la gestion et de la justification des droits des
personnes physiques ou morales, publiques ou privées que pour la recherche
scientifique et la sauvegarde du patrimoine national. »

Le patrimoine archivistique acquiert ainsi deux dimensions principales eu égard au sujet


qui nous intéresse ici, à savoir le patrimoine culturel récent. Premièrement sur le plan
temporel, ces documents, issus de l’activité des personnes physiques et morales,
publiques et privées, couvrent les périodes récentes de l’histoire du pays, en particulier
le XXe siècle et le début du XXIe siècle au cours desquels se forme ce que nous appelons
le « patrimoine culturel récent ». La loi définit même trois types d’archives : courantes,
intermédiaires et définitives, assignant à chacune un traitement et des procédures
d’archivage spéciaux. Deuxièmement, au niveau de la nature de ces documents, tous les
supports sont concernés, qu’ils soient classiques ou électroniques. Il n’est pas
explicitement précisé qu’elles englobent les archives audiovisuelles et numériques qui
nécessitent la mise en place de dispositifs légaux, techniques et logistiques spécifiques25.

E. Le Bureau marocain du droit d’auteur

Le Bureau marocain du droit d’auteur est un organisme public créé en 1965. La Loi n° 2-
00 du 15 février 2000 relative aux droits d’auteur et droits voisins telle que modifiée et
complétée par la loi n°34-05 du 14 février 200626 s’applique aux œuvres originales dans
les domaines suivants énumérés à l’article 3 :

« a) les œuvres exprimées par écrit; b) les programmes d’ordinateur; c) les


conférences, allocutions, sermons et autres œuvres faites de mots ou exprimées
oralement; d) les œuvres musicales qu’elles comprennent ou non des textes
d’accompagnement; e) les œuvres dramatiques et dramaticomusicales; f) les

25 Centre for Media Freedom in the Middle East and North Africa, Les archives au Maroc : quelles
perspectives, rapport établi par Saïd Essoulami, 2010, p. 21. Voir :
http://fr.slideshare.net/SaidEssoulami/la-loi-sur-les-archives-au-maroc-rapport-du-cmf-mena. Consulté
le 23 septembre 2013. Un rapport avait été établi déjà en 1986 à ce sujet : Carlos A. Arnaldo et Dominique
Saintville, Archives audiovisuelles et informatisation, rapport établi par l’UNESCO à l’intention du
Gouvernement du Maroc, 1986. Consulté sur
http://unesdoc.unesco.org/images/0007/000726/072674fo.pdf le 20 septembre 2013.

26 Voir le site web du BMDA : http://www.bmdav.org/docs/1492012121259PM.05.pdf. Consulté le 21

septembre 2013.

15
œuvres chorégraphiques et pantomimes; g) les œuvres audio-visuelles y compris
les œuvres cinématographiques et le vidéogramme; h) les œuvres des beaux-arts,
y compris les dessins, les peintures, les gravures, lithographies, les impressions
sur cuir et toutes les autres œuvres des beaux arts; i) les œuvres d’architecture; j)
les œuvres photographiques; k) les œuvres des arts appliqués; l) les illustrations,
les cartes géographiques, les plans, les croquis et les œuvres tridimensionnelles
relatives à la géographie, la topographie, l’architecture ou la science; m) les
expressions du folklore et les œuvres inspirées du folklore; n) les dessins des
créations de l’industrie de l’habillement ».

Les domaines couverts sont donc nombreux et permettent la prise en compte de


différents domaines de la création individuelle et collective, tous supports confondus.
S’agissant de la conservation des œuvres des auteurs, l’Article 17 prévoit que: « … les
reproductions présentant un caractère exceptionnel de documentation ainsi qu’une
copie des enregistrements ayant une valeur culturelle, pourront être conservées dans
les archives officielles désignées à cet effet par l’autorité gouvernementale chargée des
affaires culturelles. Une liste des reproductions et des enregistrements visés ci-dessus
sera établie par arrêté conjoint de l’autorité gouvernementale chargée de la
communication et de celle chargée des affaires culturelles ». Cette disposition n’a pas
encore été appliquée et, semble-t-il, aucun arrêté conjoint entre les deux départements
n’a été pris à ce jour.

III. Recommandations pour une prise en charge du patrimoine culturel


récent au Maroc

Le patrimoine récent incarne des valeurs historique, anthropologique et de


développement durable27: historique par la valeur de témoignage qu’il apporte aux
générations actuelles et futures ; anthropologique par la valeur d’expérience humaine et
sociale d’une communauté donnée ; de développement durable par le « recyclage » et de
« recréation » qu’elle permet de faire de constructions, d’objets, de choses et de formes
d’expression à l’heure où la remise en cause du consumérisme se justifie par la
raréfaction des ressources naturelles et culturelles et les dangers qu’elle fait courir à
l’humanité ;

Au niveau juridique :

- Accélérer le processus d’adoption de la nouvelle loi sur le patrimoine culturel,


aujourd’hui entre les mains du Secrétariat du Gouvernement;

27 Commission des biens culturels du Québec, op. cit., p. 26-27.

16
- Traduire l’article 17, alinéa 2 de la Loi du 14 février 2006 sur le droit d’auteur
et droits voisins rappelé ci-dessus, par un arrêté conjoint entre le ministre de
la Culture et le ministre de la Communication afin que soit régulièrement
dressée une liste de reproductions d’œuvres représentatives du patrimoine
littéraire (oral et écrit), musical, lyrique et chorégraphique, etc.

Au niveau institutionnel :

- Renforcer l’institution Archives du Maroc afin qu’elle puisse accomplir


pleinement son rôle de sauvegarde d’une partie importante de la mémoire
nationale ; et
- Etudier l’opportunité de création d’un centre national du patrimoine culturel
récent aux prérogatives transversales et disposant de l’autonomie
administrative et financière ;
ou
- Inviter les administrations existantes intéressées directement ou
indirectement par le patrimoine culturel récent, à unir leurs efforts afin que
des mécanismes de coordination régulière et efficace soient mis en place en
vue de sauvegarder cet héritage ;

Actions :

- Engager une réflexion sur le patrimoine culturel récent, qu’il soit matériel ou
immatériel, mobilier ou immobilier ;
- Elargir la formation des architectes, des urbanistes et des conservateurs du
patrimoine dans l’ensemble des établissements supérieurs de formation au
patrimoine culturel récent ;
- Inclusion de l’architecture du XXe siècle dans les plans d’urbanisme des villes
marocaines : un inventaire systématique de ces architectures et des paysages
environnants ou contigus doit être entrepris sans tarder afin de sauvegarder
des édifices, des ensembles urbains, des jardins et des paysages représentatifs
de l’histoire récente du pays (outre l’architecture coloniale, cela peut paraître
insensé ou importun mais le programme Villes sans bidonvilles mené au Maroc
depuis des années ferait bien de préserver des spécimens de ces quartiers
spontanés que sont les bidonvilles, témoins d’une période charnière de
l’histoire récente du Maroc, celle de l’exode rural massif consécutif à
l’explosion démographique, à l’urbanisation et à la précarisation de franges
entières de la société ; quitte à les reconstituer ailleurs, en raison de leur
obsolescence afin de libérer les espaces qu’elles occupent s’ils viennent à être
affectés pour des programmes de relogement ou tout autre usage prévu par
les documents d’urbanisme) ;
- Acquisition de collections de photographies, de sculptures, d’installations et
d’art vidéo, de design, de mode, etc. ;

17
- Constitution de collections de technologie, toutes branches confondues :
voitures, bateaux, avions, hélicoptères, usines, fabriques, raffinage, industrie
agroalimentaire, industrie des services, machines agricoles et industrielles,
électroménager, électricité, médias, enseignement, transmission (poste et
télécommunications), informatique, électronique, … qui témoignent de
l’évolution des technologies importées ou montées au Maroc et qui attirent
davantage les jeunes générations d’aujourd’hui ;
- Réfléchir à l’opportunité de constituer, aux Archives du Maroc, des Archives
orales audio et vidéo en sollicitant un large échantillon de personnes âgées,
toutes catégories sociales confondues, pour livrer leur récit de vie, leur
expérience et l’enseignement qu’ils livrent aux générations actuelles et
futures.

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