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La perception du processus de

normalisation OHADA au Sénégal

The perception of the OHADA


standardization process in Senegal
Boniface BAMPOKY

Résumé Abstract

Un recueil des points de vue des A compilation of viewpoints from


professionnels de la comptabilité ainsi que Accounting experts as well as organizations
des organes intervenant dans la involved in the OHADA accounting
normalisation comptable OHADA au Sénégal standardization in Senegal has been
a été réalisé. Les résultats de l’investigation achieved. The outcome of the survey has
sont confrontés à la réglementation been confronted with the accounting
comptable en vigueur pour permettre de regulations in force to identify the main
cerner les grands axes de l’amélioration du driving forces of the current accounting
processus de normalisation comptable en standardization process improvement in the
cours dans l’espace OHADA. Il s’agit d’une OHADA zone. It is the first doctrinal research
première recherche doctrinale du genre à of the kind in the OHADA region.
l’échelle de l’OHADA.

MOTS CLÉS. KEYWORDS.


OHADA, SYSCOHADA, norme comptable, OHADA, SYSCOHADA, accounting regulation,
normalisateur comptable, droit comptable accounting standard, accounting law

Correspondance : Pr Boniface Bampoky


Agrégé des Universités en Sciences de Gestion / Gestion Comptable
Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD)
Ecole Supérieure Polytechnique (ESP)
Département Gestion
BP 15839 – Dakar Fann – Sénégal.
E-mail : bampoky.b@gmail.com
Introduction
L’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), créé en
1993 à Port-Louis (Île Maurice), est un vaste ensemble d’Etats africains souverains qui
prônent l’intégration économique. Ces Etats, au nombre de 17 dont les 8 pays de l’Union
Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), ont chacun une histoire économique,
politique et sociale atypique. Cette histoire est à la base de leurs difficultés de normalisation et
harmonisation comptables (Feudjo, 2010 ; Mballa Atangana, 2016 ; Bampoky, 2017). En
matière de comptabilité en Afrique, certains pays de l’UEMOA comme le Sénégal et la Côte
d’Ivoire ont une organisation très développée de la profession comptable avec des organes de
gouvernance adaptés (Rapport 2016 de l’OHADA faisant état des lieux des Conseils
Nationaux de Comptabilité (CNC)). Il n’est pas étonnant que le Système Comptable Ouest
Africain (SYSCOA) soit repris simplement par l’OHADA en 2000 (Goudain et Wade, 2009),
s’élargissant ainsi à tous les membres de l’OHADA avec la dénomination de Système
Comptable OHADA (SYSCOHADA). Le règlement du SYSCOA a servi de base à la
confection de l’Acte Uniforme de l’OHADA portant Organisation et Harmonisation des
Comptabilités des Entreprises et promulgué en 2001. La promulgation de cet acte a créé un
flou au sein de l’UEMOA où le référentiel comptable (SYSCOA) n’a pas été officiellement
abrogé et continue à servir de référence à l’établissement des comptes. C’est dans cette
mouvance que les pays de l’UEMOA, plus avancés que les autres pays membres de
l’OHADA en matière de confection de règles communes gouvernant la production et le
traitement de l’information comptable, ont commencé à partir de 2014 à sentir la nécessité de
faire évoluer et d’adapter au nouveau contexte économique et social le référentiel comptable
SYSCOA sous la couverture du traité de l’UEMOA. Des plaintes formulées auprès de la cour
de justice de l’OHADA se sont traduites par des réactions du Conseil des Ministres des 17
pays membres, obligeant la reconnaissance du SYSCOHADA comme le seul référentiel
comptable en vigueur. La réforme antérieurement envisagée au sein de l’UEMOA a
finalement été réalisée à l’échelle de l’OHADA. La qualité de cette réforme n’est pas partagée
par tous les professionnels, car ayant l’impression, après avoir progressé dans la perfection du
système comptable jusque-là appliqué, d’être alignés aux moins avancés.

Les travaux de cette réforme du Système Comptable de l’OHADA (SYSCOHADA), entrée en


vigueur le 1er janvier 2018, ont été pilotés par les Experts-comptables de l’UEMOA dominée
par le Sénégal et la Côte d’Ivoire, l’étude étant confiée au Cabinet FIDECA d’un Expert
Sénégalais. La dynamique de normalisation ainsi réellement enclenchée pour l’ensemble de
l’espace OHADA continue à susciter beaucoup de débats chez les utilisateurs de la doctrine
comptable désormais en vigueur.

A l’entame de la réforme du SYSCOHADA en 2016/2017, bien des parties prenantes n’ont


pas été associées, et leur préoccupation en termes de description comptable de certaines
activités spécifiques semble n’avoir pas été prise en compte. Au Sénégal par exemple, la
découverte de gisements de pétrole et de gaz naturel exploitables élargit le champ
d’exploitation minière de l’Etat au moment où les réflexions sont portées sur la réforme du
Plan Comptable de l’Etat (PCE) et du Plan Comptable Bancaire (PCB). Pourtant au moment
du lancement du SYSCOA en 1998 au sein de l’UEMOA, son caractère évolutif devrait être
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pris en charge à la fois par les professionnels de la comptabilité et la Banque Centrale des
Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Des structures consultatives comme le Conseil
Comptable Ouest Africain (CCOA) furent créées pour porter au niveau de l’UEMOA des
recommandations en provenance des parties prenantes du système comptable en vigueur. Les
Conseils Nationaux de Comptabilité (CNC) furent également créés au sein des Etats membres
de l’UEMOA. A l’échelle de l’OHADA, la tentative de dupliquer ce dispositif conduisit à la
création de la Commission de Normalisation Comptable (CNC/OHADA) instituée en 2008
(Bampoky, 2017) par le Conseil des Ministres. La CNC/OHADA peine à fonctionner du fait
surtout de l’absence de travaux doctrinaux devant alimenter la normalisation comptable en
cours, mais aussi du fait que la création des Conseils Nationaux de Comptabilité fonctionnels
n’est pas effective dans bien des Etats membres de l’OHADA. Aussi la CNC/OHADA n’a pas
en ce qui la concerne la compétence technique pour étudier les nécessités de faire évoluer la
norme comptable technique en vigueur. Les travaux ponctuels des consultants sont à cet égard
privilégiés.

Ce travail de recherche s’inscrit ainsi dans une perspective de recherche doctrinale en vue de
contribuer à l’amélioration de la normalisation comptable OHADA dont le processus, selon
bien des experts-comptables autochtones, est loin d’être aboutie. Compte tenu du fait que les
différentes réformes ont vu le jour au Sénégal qui regorge de toutes les formes de structures
comptables que l’on retrouve ailleurs, et qui abrite la BCEAO ayant commandité la création
du SYSCOA, l’école panafricaine de formation à l’expertise comptable (CESAG), nous
choisissons ce pays pour mettre en lumière la perception et les attentes des parties prenantes
(institutionnelles et professionnelles) de la normalisation comptable en cours.

Le cadre conceptuel qui sous-tend cette investigation est d’abord élucidé (1). La
problématique et la méthodologie de la recherche sont par la suite clarifiées (2). Il s’en suit la
présentation des résultats de la recherche (3) puis leur discussion (4).

1. Cadre conceptuel de la recherche


La normalisation comptable peut être définie comme la mise en place d’un langage comptable
commun ou de règles communes afin de faciliter la communication entre les différents acteurs
de la vie économique qui, à un titre ou à un autre, s’intéressent à la comptabilité (Milot, 1997 ;
Hoarau 2003 ; Capron, 2007 ; Chantiri-Chaudemanche, 2009). Sa mise en œuvre requiert un
ensemble de dispositifs (normalisateur comptable) doté d’une légitimité politique, d’une
légitimité procédurale garantissant son indépendance et son impartialité, et d’une légitimité
substantielle incluant une expertise technique ou scientifique reconnue (Burlaud et Colasse,
2010). On a une connaissance nette des travaux doctrinaux ayant alimenté le processus de
normalisation dans le contexte francophone des pays développés comme la France,
notamment sur les cadres conceptuels en comptabilité (Colasse, 1991 et 2000 ; Hoarau, 1992 ;
Gélard, 2010 ; Giordano-Spring et Lacroix, 2007 ; Platet-Pierrot, 2009 ; etc.), ou dans le
contexte anglophone (Botzem & al, 2009 ; Sutton, Timothy, 1984 ; Durocher & al.). On peut
tenter de définir le cadre conceptuel comptable comme un ensemble de principes généraux
permettant l’élaboration de règles cohérentes qui précisent les objectifs des états financiers et
définissent les éléments essentiels et les principes qui doivent présider à leur établissement.

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L’une des premières préoccupations d’une normalisation comptable est la construction d’un
cadre conceptuel comptable compatible. Les difficultés de normalisation comptable africaine
résultent du fait que le modèle comptable en place relève du modèle continentale qui, selon
Platet-Pierrot (2009), correspond principalement au mode de gouvernance de l’entreprise
qualifié de partenarial, et où l’Etat régit d’abord le processus de réglementation et ensuite les
besoins d’une diversité des parties prenantes. On comprend alors pourquoi au sein de
l’OHADA, en l’absence d’un normalisateur légitime bâti par les Etats, il s’agit plus d’une
réglementation que d’une normalisation comptable. Mais la volonté de prendre en compte les
réalités du terrain ont conduit à l’adoption par le SYSCOHADA du postulat de la
prééminence de la réalité économique sur l’apparence juridique. Le système comptable en
vigueur intègre alors quelques principes du modèle anglo-saxon. Quant au modèle anglo-
saxon pur, on n’est plus dans une logique de reddition des comptes, mais plutôt, d’après
Staubus (1961), dans une optique de transmission d’une information qui aide les actionnaires
et les investisseurs à optimiser l’allocation de leurs ressources. Dans ce modèle, la prévision
est une préoccupation majeure, et c’est cela qui justifie l’emploi du principe de la « juste
valeur » et des méthodes de calcul ou d’évaluation actuarielles. L’obligation de créer un cadre
conceptuel afin de produire des normes compatibles à ce dernier et adaptées à
l’environnement devient ainsi une nécessité pour des systèmes comptables à la croisée des
chemins comme celui de l’OHADA.

D’après Chantiri-Chaudemanche et Kahloul (2011), l’élaboration des normes est confiée à la


profession comptable dans le modèle technocratique anglo-saxon. Dans le modèle continental,
elles sont élaborées par un organisme qui regroupe les représentants des différentes parties
concernées par la comptabilité, dans une conception partenariale. Cet état de fait permet de
comprendre et d’analyser la nature du problème auquel sont confrontés les pays de l’OHADA
plutôt proches du modèle comptable continental. D’après Colasse (2005), une manière de
prendre en compte les points de vue des parties affectées par les normes confère au
normalisateur une légitimité politique difficile à détenir par ce dernier. Ceci campe clairement
le problème de l’Afrique.

Trop peu de travaux sont toutefois consacrés à la normalisation comptable dans la zone
OHADA. Ceux-ci, en général, relèvent le problème de fiabilité de l’information comptable
publiée en appelant à une réforme institutionnelle (Mballa Atangana, 2016 ; Feudjo, 2010 ;
Bampoky, 2013 ; Mbengue, 2018). Il est évident que puisqu’il s’agit d’une information issue
des pratiques comptables normées, les problèmes de qualité renvoient au système de
normalisation en place dont il faut voir la légitimité dans tous ses aspects.

Dans l’espace OHADA, il y a un droit comptable notamment l’Acte Uniforme de l’OHADA


relatif au Droit Comptable et à l’Information Financière issu des travaux des consultants et
non directement des organes de normalisation en place. Ces organes, plus précisément la
CNC/OHADA et les Conseils Nationaux de Comptabilité (CNC), demeurent encore des
cadres législatifs ou réglementaires et non de production de normes techniques guidant les
pratiques comptables, du fait d’un manque de légitimité substantielle selon Burlaud et Colasse
(2010).

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Si les problèmes de la pertinence des nombres comptables et du recadrage du cadre
conceptuel comptable dans le contexte de l’OHADA demeurent (Ngantchou, 2008 et 2013 ;
Mballa Atangana, 2016 ; Mbengue, 2018), ils s’amplifient avec les effets induits de
l’économie numérique. La normalisation comptable se complexifie avec l’intelligence
artificielle véhiculée par la transition numérique. Les travaux ne manquent pas sur la question,
notamment sur l’impact de la technologie sur les pratiques comptables normées (Bampoky et
Wade, 2017) avec un bouleversement du calendrier comptable appelant au recadrage de la
normalisation comptable en vigueur. Dans cette mouvance, le métier de comptable change
dans la mesure où la maîtrise de la technologie est de rigueur. Corrélativement, des risques
apparaissent notamment par rapport à la dématérialisation, la multiplicité des sources, le
stockage et la rapidité du traitement de l’information financière. Beaucoup de travaux en
contexte américain sont consacrés à l’impact du numérique sur les systèmes financiers,
l’efficience des marchés et sur la normalisation financière, notamment l’adaptation des
normes IFRS à la nouvelle donne (Markelevich & al, 2015 ; Ly, 2012 ; Cong & al, 2014 ; Li
& Nwaeze, 2015 ; Lugo, 2017, etc.). Dans ce sillage, on a en contexte français les travaux de
Teller et al. (2016), de Teubner (1993), etc. Si peu de travaux sont notés en France sur la
question, ils sont quasi-inexistants en Afrique, à part une ébauche faite sur les fondamentaux
d’une transformation digitale pour les entreprises africaines (Bampoky, 2017). En effet, dans
une situation de chrono-compétition, les entreprises africaines sont exclues des transactions
qui se font à temps réel sur les grandes places financières internationales. La comptabilité
OHADA doit s’adapter à ce contexte et être à même de fournir également des informations à
temps réel pour l’effectivité des arbitrages nécessaires.

Il ressort ainsi de tous les travaux liés à l’objet de cette recherche que les nouveaux chantiers
de la normalisation résident dans l’adéquation entre l’intelligence artificielle et l’intelligence
naturelle (impact de la révolution numérique ou digitale sur les pratiques comptables
normées), la réduction de l’écart entre la valeur du livre et la valeur du marché (capacité du
système comptable à fournir aux tiers des informations à temps réel), et la comptabilisation de
l’immatériel (règles et méthodes consensuelles d’évaluation de l’invisible et de l’incertain).
Ces chantiers posent le problème de la « juste valeur » qui alimente des débats dans le
processus de la normalisation comptable OHADA en cours. Pour pallier ces problèmes, une
démarche d’ensemble cohérente doit être établie au sein de l’OHADA. Pour élucider et
discuter cette démarche en se fondant sur les travaux illustrant les conditions de mise en place
d’un système de normalisation de qualité, les questions et la méthodologie de cette recherche
méritent d’abord d’être précisées.

2. Problématique et méthodologie de la recherche


Avant 2018, les velléités de réforme du SYSCOA/OHADA sont plus proches du modèle
anglo-saxon dans des pays à culture diamétralement opposée. L’allure que le processus de
normalisation a prise dans les pays africains de l’OHADA a brulé des étapes très importantes,
et n’a pas permis d’asseoir un organisme qui fédère tous les acteurs de la comptabilité autour
des mêmes idéaux.

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Le bon déroulement du processus de normalisation comptable OHADA devra ainsi reposer
sur un certain nombre de piliers qu’il convient de questionner. Le premier questionnement
est : comment doit produire les normes de comptabilisation des flux financiers ? Cette
interrogation renvoie à la nature du normalisateur ou système de normalisation à mettre en
place. Il convient d’étudier la pertinence de la démarche des organes intervenant dans la
normalisation comptable OHADA. Ensuite, le deuxième questionnement est lié à la
codification des informations suivant les standards compatibles avec les exigences des
marchés locaux et internationaux. La question suivante doit alors trouver de réponse : quelle
nomenclature ou classement des données comptables ? Cette question conduit à réaliser des
enquêtes auprès des utilisateurs de la norme comptable OHADA pour cerner leurs attentes.
Enfin, le problème de l’élaboration des comptes individuels ou de groupes, de l’effectivité du
reporting, … est au cœur du processus de normalisation comptable en cours. Alors se pose la
question de « Comment rendre compte ? ». On s’est intéressé dans la réponse à cette question,
au-delà de l’analyse du processus d’élaboration et de validation des états financiers en vigueur
et leur pertinence, à la nécessaire adéquation entre l’intelligence artificielle et l’intelligence
naturelle, à la réduction de l’écart entre la valeur du livre et la valeur du marché, à la façon de
comptabiliser l’immatériel dont les méthodes font débat, à l’ouverture aux normes
internationales IFRS. Ici également, les enquêtes sont envisagées auprès des utilisateurs de la
norme technique OHADA.

Le travail consiste in fine en l’interprétation de la norme technique en vigueur, après


connaissance des attentes des parties prenantes et des problèmes institutionnels impactant la
normalisation, pour faire des préconisations normatives en vue d’améliorer le processus de
normalisation comptable OHADA en cours. La logique de constitution de l’échantillon se
synthétise par le schéma ci-après.

Position des représentants Points de vue des utilisateurs


d’organes intervenant dans la de la normalisation comptable
normalisation comptable OHADA
OHADA

Confrontation des résultats aux prescriptions de


l’Acte Uniforme de l’OHADA relatif au Droit
Comptable et à l’Information Financière (entré
en vigueur le 1er janvier 2018

Le tableau ci-après récapitule les différentes structures auprès desquelles les entrevues sont
réalisées, la nature de leur activité, la propriété de leur capital ou leur affiliation et les
personnes rencontrées.

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Nom de la Nature de l’activité Propriété du capital Personnes
structure ou affiliation rencontrées
BCEAO Banque Centrale de 8 pays de l’UEMOA Agents de la Direction
l’UEMOA des Statistiques gérant la
Centrale des Bilans
Conseil National de Organe local de État du Sénégal 3 membres permanents
Comptabilité du normalisation comptable
Sénégal
Groupe SONATEL Téléphonie Sénégal, France et privés Chef Comptable
locaux et étrangers
SN-HLM Aménagement Sénégal Chef Comptable
immobilier
SENELEC Production d’électricité Sénégal Chef Comptable

TOTAL Sénégal Hydrocarbures Français Chef Comptable

Sénégalaise Des Eaux Fourniture d’eau potable Concessionnaire appartenant Chef Comptable
(SDE) à Saur International (France)
Senegal Protection & Assurance maritime Groupe anglais Chef Comptable
Indemnity (P & I)
Cabinet GARECGO Expertise comptable Privé sénégalais Chef de cabinet

Cabinet EXCO Expertise comptable Privé sénégalais Chef de cabinet

Cabinet CECA Expertise comptable Privé sénégalais Chef de cabinet

PATISEN Production de biens Privé sénégalais Chef Comptable


alimentaires
Les Ciments Du Cimenterie Privé sénégalais Chef Comptable
Sahel
Hôtel Hôtellerie et restauration Privé sénégalais Responsable
Kadiandoumagne administratif et financier

Les utilisateurs de la normalisation comptable OHADA sont judicieusement choisis parmi les
plus représentatifs dans les différents secteurs de l’économie sénégalaise, et susceptibles de
fournir des informations recherchées. Le nombre final de chaque catégorie d’utilisateurs
résulte d’un constat d’une saturation des réponses. Tous les organes intervenant dans la
normalisation comptable sont pris. Le choix de se restreindre au terrain sénégalais procède du
fait qu’aucun pays membre de l’OHADA n’a d’institutions qu’on ne retrouve pas au Sénégal.
De plus, le Sénégal abrite des sièges des principales institutions intervenant dans la
normalisation ainsi que les cabinets des consultants désignés pour réformer le SYSCOHADA.

Les différentes questions débattues sont fournies en annexe. Dans la série de questions posées,
il y en a qui sont le plus destinées aux instances de normalisation qu’aux utilisateurs de la
normalisation comptables OHADA. Au cours des entretiens, l’accent n’est pas trop mis sur
celles-ci quand on est face des utilisateurs. L’enquête a démarré en février 2016 et s’est
achevée en avril 2018 par des enquêtes auprès des institutions intervenant dans la
normalisation Comptable OHADA. Les verbatim recueillis par prise de note sont étudiés
manuellement et classés par nature en utilisant une codification simple (V1, V2, V3, …), et
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par répondant de chaque structure enquêtée (V1a, V1b, …). Avant de quitter l’interviewé, une
lecture des notes prises lui est faite suivie de la signature d’une petite attestation d’authenticité
par ce dernier.

3. Résultats de la recherche
La normalisation, d’après Capron (2007), est le pilier de tout le système comptable, car « elle
doit non seulement offrir une certaine rationalité apportant des gages de sérieux et de rigueur
aux évaluations, mais elle fournit aux auditeurs légaux les bases à partir desquelles ils
pourront fonder leur jugement sur la qualité de l'information comptable délivrée aux tiers »
(p. 4). Ainsi la qualité de la normalisation comptable OHADA réside dans les gains de
satisfaction qu’elle offre à ses utilisateurs sur le terrain. Les points de vue sont appréhendés
différemment entre les professionnels de la comptabilité eux-mêmes, et entre ces derniers et
les représentants des organes intervenant dans la normalisation comptable OHADA.

3.1. Les points de vue des utilisateurs de la normalisation comptable


OHADA
En parlant du SYSCOA, les experts-comptables comme A. G. trouvent que « l’intérêt de ce
système de comptabilité est d’avoir réuni trois éléments : un cadre conceptuel, un droit
comptable et un plan comptable » (V2a). Il ressort de ces propos que la mission première d’un
normalisateur comptable est la création de cadre de référence valide et adapté, c’est-à-dire
tenant compte des contingences réelles de l’espace économique d’application du système
comptable. Contrairement au SYSCOHADA, la mise en place du SYSCOA est partie d’un
contexte d’existence de plusieurs référentiels comptables au sein de l’UEMOA et la difficulté
pour la BCEAO de disposer d’une information économique consolidée et fiable pour la
politique monétaire de l’union vis-à-vis de la France. La pluralité des référentiels comptables
jadis existants résulte des différences d’application de l’ancien Plan comptable OCAM
(Organisation de la Communauté Africaine et Malgache, puis Mauricienne avec l’adhésion de
l’Île Maurice en 1970 et le retrait de Madagascar en 1973) entre les différents Etats africains
indépendants pour leur majorité à partir des années 60. D’après Djambou (1984), ce Plan
OCAM présente de nombreuses caractéristiques communes avec le plan comptable français
de 1982 à cause de leur origine (plan de 1957 sous l’empire français) et de la méthodologie de
leur rédaction. Il s’agit là d’une adoption permettant simplement aux entreprises des Etats
indépendants de pouvoir présenter les tableaux de flux. On n’avait pas encore un cadre
conceptuel propre aux Etats regroupés dans le cadre de l’Union Monétaire Ouest Africaine
(UMOA) dont l’UEMOA est le prolongement prenant en comptes les aspects d’intégration
économique. Aucun autre pays ou groupe de pays n’en disposait. La réforme du
SYSCOHADA de 2018, ayant maintenu et révisé légèrement le cadre conceptuel du
SYSCOA, ne règle pas pour autant le problème du cadre conceptuel adapté aux réalités
locales, selon bien des professionnels qui ont des missions d’audit jusque dans les pays hors
UEMOA de l’OHADA.

L’absence d’étude rigoureuse de mise en place d’un cadre conceptuel adapté du


SYSCOHADA a des conséquences sur la nomenclature comptable, base de l’enregistrement

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des flux économiques. Le Professionnel R. T. annonce : « On est toujours confronté à un
problème d’adaptation du plan SYSCOHADA à nos opérations de prestations de services
responsables, et cela suscite parfois de longs débats entre comptables pour le choix des
schémas de comptabilisation qui semblent les mieux appropriés » (V2b). Le comptable de
l’entreprise « Senegal P & I », avancent les arguments suivants : « On ne voit pas trop l’utilité
du compte « 486 – Créances sur cessions de titres de placements » créé pour enregistrer les
ventes de titres de placement qui procèdent, chez l’acquéreur, des opérations de gestion de la
trésorerie positive ou des opérations au comptant » (propos d’A. D. G.) (V2c). Les opérations
de spéculation boursières sont quasi-inexistantes dans les bourses locales, et d’ailleurs, nos
comptabilités sont créées pour fournir principalement des statistiques macroéconomiques et
non pour alimenter les marchés financiers. La détention de stocks d’options n’existe pas
encore pour de telles créances. Il s’agissait d’une prévision du plan SYSCOA corrélativement
à la création de la Bourse Régionale de Valeurs Mobilières (BRVM) de l’UEMOA. Les autres
pays de l’OHADA n’ont jusque-là pas de bourse, à part les très petits marchés financiers
camerounais (Douala Stock Exchange qui jusqu’en 2018 n’affiche que 3 cotations
d’entreprises) et gabonais. Ceci apparait comme une exagération dans le cadre conceptuel du
SYSCOA qui lui-même est importé, car d’après Pintaux (2002), il mérite l’attention car
intégrant les dernières évolutions de la doctrine comptable notamment l’IASB 5.
Heureusement, dans la version du Plan Comptable de l’OHADA entré en vigueur en 2018, le
compte 486 est supprimé de façon plus ou moins insidieuse. L’usage de ce compte a pour
origine le SYSCOA dont les concepteurs furent l’équipe de l’Institut National des Techniques
Economiques et Comptables (INTEC) du Conservatoire National des Arts et Métiers
(CNAM). Cette équipe, sollicitée en 1994 par la BCEAO, était dirigée par un ancien Directeur
de l’INTEC, le Professeur Claude Pérochon. Ceci conforte les propos de Douvier Pedrosa
(2010) qui soutient que « la proclamation de l’indépendance des pays d’Afrique a laissé aux
africains une doctrine d’inspiration française » (p. 11/138). Même si on peut se féliciter du
fait que ce système créé dispose d’un cadre conceptuel, ce qu’il faut c’est sa compatibilité
avec le champ d’application de modèle comptable. C’est toute la relève que doivent savoir
assurer les africains en matière de normalisation comptable.

Toujours par rapport à la nomenclature comptable adaptée, Monsieur C. S. pour le compte de


l’entreprise « Les Ciments du Sahel » trouvent que « le SYSCOHADA, par ailleurs, pose de
gros problèmes de reporting et la solution est de tendre vers les IFRS » (V1a). Le comptable
de PATISEN (M. T.) affirme : « le problème de reporting ne se pose pas chez-nous dans la
mesure où nous sommes une entreprise locale » (V1b). Les mêmes propos sont tenus par les
comptables (P. B. N. et O. D.) de la SN-HLM et de la SENELEC, des entreprises locales
sénégalaises du secteur public. Il est clair que ce sont les entreprises étrangères de type filiale
qui sont confrontées à ce problème, et ce sont elles qui constituent le fer de lance des
économies africaines. La complexité du reporting a amené les entreprises comme le Groupe
SONATEL à mettre en place un « Service Reporting » dont le travail consiste, d’après le
comptable (M. D.), « à prendre les balances SYSCOHADA et à observer les variations
mensuelles, puis, via l’application « Magnitude », à assurer le déversement à la comptabilité
de la maison mère en France » (V1c). Pour le compte de TOTAL Sénégal, le Chef Comptable
(E. M.) nous explique : « Nous avons un service Contrôle de Gestion et Reporting. La

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pratique du reporting se fait mensuellement vers la maison mère sur la base d’une plateforme
dédiée, puisque nous utilisons le Progiciel de Gestion Intégré SAP » (V1d). Dans tous les cas,
nous signale-t-on, les données comptables sont retraitées et adaptées aux comptes de la
maison mère avant d’être ventilées. Les adaptations remettent sans doute en cause le principe
de la pertinence partagée de l’information comptable qui laisse entrevoir plusieurs
interprétations différentes des flux économiques. En analysant les discours recueillis des
filiales comme Total et « P & I », il ressort que les problèmes de reporting existent mais
n’apparaissent pas ingérables, car les comptes sociaux sont consolidés selon les règles du pays
de la société mère avec une autre codification de regroupement et les normes internationales
applicables. Cependant, c’est le contraire, lorsque la maison mère d’une entreprise
internationale se situe dans l’OHADA, qui laisse apparaître des problèmes de reporting
parfois embarrassants. L’un des grands chantiers de la normalisation comptable OHADA
réside alors dans la construction d’une nomenclature comptable s’ouvrant aux activités
étrangères et non le contraire, dans la mesure où l’avantage est que la comptabilité puisse
suivre et encourager la promotion de l’investissement étranger, notamment dans la facilitation
des règles de détermination et de rapatriement du profit.

Si bien des professionnels estiment que l’une des solutions aux problèmes que doit apporter la
normalisation comptable est l’ouverture aux normes IFRS, d’autres comme A. G. pensent que
« l’adoption des IFRS requiert une mise à niveau de façon permanente. Or, on n’a pas
l’infrastructure qu’il faut pour suivre le rythme des changements dans le cadre des IFRS. On
est simplement en phase de convergence en essayant d’optimiser quelques éléments du cadre
conceptuel des IFRS » (V1e).

L’autre grand chantier de la normalisation comptable est les incidences comptables de la


révolution numérique. Cette révolution impose un nouveau type d’opérations comptables, une
possibilité d’élargir le stockage des preuves comptables, et une complexification des
enregistrements et des tâches d’audit comptable. Un professionnel (A. G.) avance : « il est
important que le cabinet puisse avoir à ce niveau des spécialistes en PGI. Tout un travail
d’évaluation des processus, de test par l’auditeur pour s’assurer que la chaîne ne connaît pas
de ruptures est à faire. La normalisation doit intégrer ce volet » (V3a). Un autre
professionnel, I. J. B., nous fait une remarque importante : « Attention ! La normalisation est
un référentiel et la digitalisation est un processus. Avec les « e-banking », on a un logiciel,
quand vous lui imputez les opérations, il les affecte aux comptes correspondants. La
digitalisation permet de dégager du temps par son efficacité, et de raccourcir les tâches
comptables. Elle crée ainsi de nouveaux flux de trésorerie par exemple. C’est là qu’elle
devrait s’adapter, au niveau de la nomenclature comptable » (V3b). Le professionnel A.C.
nous indique que « d’autres problèmes sont liés au fait que les clients fassent à distance des
paiements et des achats. En cas de dysfonctionnements dans les lignes de traitement
automatique d’informations, se pose un risque de pertes d’informations en l’absence de
preuves physiques pour reconstituer les écritures comptables ; et c’est là que la réflexion doit
être portée au plan de la normalisation pour pallier ces risques en protégeant les
informations comptables » (V3c). Le débat que soulèvent ces verbatim est la manière dont on
doit rendre compte pour éviter la perte d’informations dans une situation de chrono-

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compétition. Pour ces divers problèmes, il y a lieu de cerner la situation des organes de
normalisation comptable en place.

3.2. Position des organes intervenant dans la normalisation


comptable OHADA
Pour agréger les informations comptables en provenance des pays membres de l’UEMOA, le
SYSCOA avait déjà trouvé une solution au problème consistant à créer des références
informatiques permettant la centralisation automatique des informations à la centrale des
bilans au niveau de la BCEAO. Les références correspondent aux groupes de lettres se
trouvant dans la première colonne de ce petit extrait du bilan du système de comptabilité
normal du SYSCOA.

Réf ACTIF Exercice N Ex N-1


ACTIF IMMOBILISE Brut Amort./Prov. Net Net
AA Charges immobilisées
AB Frais d’établissement et charges à répartir
AC Primes de remboursements des obligations

Dans la version actuelle du SYSCOHADA, ces codes informatiques demeurent après


élimination de certains postes du bilan comme celui des charges immobilisées, mais n’ont
aucun sens pour les pays hors UEMOA dont la BCEAO ne centralise pas les bilans. Mais la
codification doit être adaptée au référentiel international (IFRS) en respectant les règles
d’évaluation des éléments représentés par les différentes rubriques comptables. Avec les
IFRS, c’est plutôt un problème de fond et non de forme qui se pose. C’est pourquoi un
membre du CNC du Sénégal (A.C.) soutient : « Pour que la CNC/OHADA puisse être très
fonctionnelle, il faut des moyens matériel et financiers, et des hommes qui se réunissent,
prennent en charge les choses et proposent des solutions » (V4a). Cela suppose que les
Conseils Nationaux de Comptabilité fonctionnent dans les différents Etats-parties de
l’OHADA. Or, le rapport 2016 de l’OHADA indique qu’au niveau national de la
Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) qui regroupe
d’autres pays de l’OHADA, seuls le Tchad et le Gabon disposent d’une Commission
Nationale de Normalisation Comptable.

La CNC/OHADA souffre ainsi d’un problème de ressources de fonctionnement et


d’implication réelle de tous les Etats membres de l’OHADA. Un sérieux problème de
légitimité substantielle se pose. Un professionnel (D. K.) réagissant pour le compte du CNC
du Sénégal relate : « En théorie, on a un CNC, mais qui est trop loin de nos pratiques
quotidiennes. On peut avoir un processus de normalisation sans que les praticiens ne soient
impliqués. Il y a toujours quelques personnes qui sont suffisamment intelligentes pour
réfléchir pour la terre entière. On se retrouve ensuite avec de gros textes juridiques difficiles
à appliquer » (V4b). Le processus de normalisation n’est alors pas inclusif et est confronté à
des combats de leadership. Le système de normalisation en place est dépourvu de légitimité
politique et procédurale. Si le montage du SYSCOA, d’où émerge le SYSCOHADA, a été

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une réussite, c’est qu’il a été commandité par la BCEAO qui a investi des ressources
nécessaires.

Par contre la normalisation comptable OHADA pose d’énormes risques à la BCEAO et à


l’UEMOA. Actuellement pour la BCEAO, il est important que les entreprises continuent à
déposer les états financiers annuels au guichet unique consacré à leur collecte pour la
confection des statistiques économiques consolidées. La véritable crainte est la
désinformation du fait d’une normalisation non plus à l’échelle de l’UEMOA, mais à l’échelle
de l’OHADA. Une réglementation accès sur le numérique et permettant une collecte
automatisée des données sur une plateforme que les entreprises doivent obligatoirement
renseigner suivant un formalisme adéquat règlerait le problème de la BCEAO.

4. Discussion
Le droit comptable en vigueur dans l’OHADA confirme les propos de certains professionnels,
notamment un essai de converger vers normes IFRS laissant bien des zones d’ombre. En effet,
l’article 8 de l’Acte Uniforme de l’OHADA relatif au Droit Comptable et à l’Information
Financière établit que « les entités dont les titres sont inscrits à une bourse de valeurs et celles
qui sollicitent un financement dans le cadre d’un appel public à l’épargne, doivent établir et
présenter les états financiers annuels selon les normes internationales d’informations
financières appelées normes IFRS… », en sus des états financiers annuels obligatoires pour
toutes entreprises à savoir le bilan, le compte de résultat, le tableau des flux de trésorerie et les
notes annexes. Cet article précise que « les états financiers établis selon les normes IFRS sont
destinés exclusivement aux marchés financiers ». Mais pour ce qui concerne l’application de
la « juste valeur », les méthodes actuarielles de faisabilité réelles ne sont pas bien explicitées
ni illustrées de façon exhaustive, laissant l’utilisateur sur sa faim. S’il est avéré qu’un
problème de fiabilité des nombres comptables se pose, on peut se demander par quel moyen
l’on parviendrait ex post à vérifier ou à être certain de la qualité des états financiers présentés
selon les normes IFRS. On peut également se demander si pour les entités qui doivent
présenter les états financiers selon les normes IFRS, il n’y a pas risque d’écart trop important
entre la valeur du livre et la valeur réelle du marché. Le cadre conceptuel du SYSCOHADA
est encore là interpelé.

L’article 35 de l’Acte Uniforme relatif au Droit Comptable offre plus de gages de sécurité et
de fiabilité quant à la production de l’information financière. Cet article prescrit : « La
méthode d’évaluation des éléments inscrits en comptabilité est fondée sur les conventions du
coût historique, de prudence et l’hypothèse de base de continuité d’exploitation ». Pourtant le
SYSCOHADA dans sa version originale (SYSCOA) prend en compte la doctrine comptable
liée aux IFRS en restant très réaliste car se limitant à la comptabilisation d’un actif comme un
bien contrôlé par l’entreprise. La valeur du livre est le coût historique, c’est-à-dire la somme
des dépenses effectuées pour l’acquisition du bien. Là, à tous les points de vue, on ne voit
comment un comptable de l’OHADA déterminerait autrement le coût du bien. La
normalisation comptable ne peut alors représenter un « effet mode ». Elle ne doit pas créer
une réalité, mais elle doit être le reflet d’une réalité. Il advient que le principal problème de la
normalisation comptable OHADA est d’abord celui de la nomenclature comptable

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garantissant l’image fidèle de la comptabilité à l’ensemble des flux économiques qui
caractérisent la vie des entreprises. Ce problème de l’image fidèle a conduit les réviseurs de la
réglementation en cours à introduire par exemple l’approche par composants en ce qui
concerne l’amortissement technique des biens. La réglementation reste cependant trop lourde
et sujette à plusieurs interprétations pour ce qui concerne les actifs immatériels, puisque l’on a
cherché à s’inspirer des normes IFRS tout en tenant compte des spécificités du contexte de
l’OHADA. En effet, dans le chapitre 2 consacré aux brevets, licences, marques, logiciels, sites
internet et d’autres droits similaires, l’Acte Uniforme dispose : « Les dispositions du présent
chapitre s’inspirent des traitements préconisés par les normes comptables internationales,
notamment : la norme comptable internationale IAS 38 « Immobilisations incorporelles » et
les amendements successifs à cette norme (date de publication : 31 mars 2004) ; la norme
comptable internationale IFRS 15 « Produits des activités ordinaires tirés des contrats
conclus avec des clients » (date de publication : 28 mai 2014) ». Le cadre conceptuel du
SYSCOHADA n’a pas encore fait l’objet d’une étude rigoureuse pour permettre de mettre en
place des principes simples valables en tout temps, en tout lieu et en toute situation. C’est ce
fit remarquer un professionnel dans le verbatim (V4b). Les raisons à cela sont également
visibles dans cette disposition de l’Acte Uniforme toujours en ce qui concerne les actifs
immatériels : « La durée d’amortissement comptable d’un logiciel à usage commercial doit
être déterminée en fonction de sa capacité à répondre aux besoins de la clientèle et non aux
besoins propres de l’entité ». Voilà une autre ambigüité certaine qui laisse le professionnel
dans l’embarras. Par ailleurs, quelle que soit la méthode utilisée, la valeur résiduelle d’un
actif, déterminée ex ante, reste une estimation que la réalité peut infirmer. Le problème de la
normalisation OHADA est ensuite lié au fait qu’on ne dispose pas dans les faits d’un
normalisateur, c’est pourquoi biens des professionnels préfèrent le concept de réglementation
à la place de celui de normalisation.

Un normalisateur fécond devrait prendre la forme de l’Autorité des Normes Comptables


(ANC) en France. En effet, l’ANC comprend : un collège de 16 membres, des commissions
spécialisées notamment celle chargée des normes comptables privées et celle chargée des
normes comptables internationales, un comité consultatif composé de 25 représentants du
monde économique et social, et le Président du collège de l’Autorité qui préside le comité
consultatif. Les règlements adoptés par l’ANC sont publiés au Journal Officiel de la
République française. Avec une pareille composition, les conditions sont réunies pour doter
du normalisateur de toute la légitimité qu’il lui faut pour fonctionner.

Dans le processus de normalisation enclenché, une épuration du droit comptable doit être
opérée par identification, justification et élimination des imperfections signalées par la
recherche doctrinale. Dans cette perspective, les apports du numérique ou du digital doivent
être bien repérés en vue de l’amélioration de la qualité de l’information comptable et de sa
divulgation. En fonction des besoins réels des parties prenantes de l’information comptable,
les adaptations au plan de la normalisation doivent suivre. Le rôle d’un normalisateur
comptable légitime est de parvenir à la fois à commanditer une recherche doctrinale en son
sein ou en s’appuyant sur des sociétés savantes ou des organisations professionnelles (appels à

13
projets) et à faire évoluer la norme comptable en l’adaptant aux avatars de l’environnement
économique.

Dans le SYSCOHADA, le débat de fond est qu’il va être très difficile de disposer d’une
information comptable sincère, régulière et exhaustive pour la reddition des comptes et en
même temps destinée à aider les investisseurs pour l’allocation optimale de leurs ressources.
Cet état de fait est la conséquence des velléités de mise en place de deux types d’états
financiers : les uns pour les marchés financiers et les autres pour la reddition des comptes. Si
la comptabilité analytique, qui dispose de techniques permettant une meilleure évaluation des
biens et la connaissance des conditions d’explication, a été l’une des innovations majeures du
Plan Comptable français de 1982, la confection des états financiers destinés aux marchés
financiers devrait être appréhendée sous son angle dans le contexte de l’OHADA. On sait
qu’après retraitement et enrichissement des informations en provenance de la comptabilité
financière, on peut en comptabilité de gestion arriver à une information utile pour la prise de
décisions. Dans le contexte d’ouverture de l’OHADA aux normes IFRS, la normalisation
comptable OHADA doit faire jouer à la comptabilité de gestion le rôle qui est le sien afin de
lever toute équivoque dans la production et la divulgation de l’information comptable.

Conclusion
La nomenclature Comptable en vigueur dans l’espace OHADA doit être adaptée davantage
aux réalités économiques du moment (intégration de nouveaux flux économiques liés au
numérique) et aux contingences spécifiques au contexte en attribuant à la comptabilité
financière son rôle classique de production d’une information dont la qualité est garantie par
des normes et qui est destinée à la reddition des comptes et aux statistiques
macroéconomiques. Ensuite la production de l’information financière destinée au
management et aux arbitrages dans le processus d’investissement, et qui peut servir dans la
communication internationale doit être du ressort de la comptabilité de gestion ou analytique
d’exploitation. C’est dans le cadre d’une comptabilité de gestion que l’on opérer, suivant des
techniques beaucoup plus fluides, des corrections et des enrichissements de l’information
financière. En effet, la convention du coût historique est pertinente pour la reddition des
comptes, tandis que la « juste valeur » est pertinente pour nourrir des choix d’investissement.
C’est cette dichotomie qui semble ne pas être mise en évidence par les concepteurs du
SYSCOHADA.

Dans le contexte de l’école continentale, le processus de normalisation comptable est


pertinent lorsqu’il respecte les jeux de pouvoir des principaux destinataires de l’information
comptable tout en tenant compte des besoins des présumés utilisateurs de cette information
comptable. Le normalisateur adapté doit être un organe doté de pouvoir décisionnel et d’une
légitimité au sens de Burlaud et Colasse (2010). C’est cela qui doit sans doute constituer le
grand chantier de l’OHADA pour les années à venir.

Le normalisateur en place doit fonctionner de façon inclusive. C’est pourquoi il doit


nécessairement se tenir des assises à l’échelle continentale pour la remise en état de
fonctionner des Conseils Nationaux de Comptabilité (CNC) en désignant au plan national les

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personnages techniquement les plus représentatifs, c’est-à-dire dont l’expertise en
comptabilité, en droit comptable et dans la recherche doctrinale est avérée. Au niveau de la
Commission de Normalisation Comptable de l’OHADA (CNC/OHADA), un collège des
délégués des CNC doit prendre forme, et on doit aller résolument vers la création d’un
normalisateur de type ANC en France.

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671 pages.
17
Annexe :
GUIDE D’ENTRETIEN

1. METHODES ET DEMARCHES D’ELABORATION DES NORMES DE


COMPTABILISATION DES FLUX FINANCIERS
1.1. La récente réforme du SYSCOHADA a suscité beaucoup de conflits, quelles ont été
d’après vous les failles procédurales ?
1.2. quelle procédure pensez-vous adaptée pour conduire des réformes comptables ?
1.3. La commission de Normalisation Comptable de l’OHADA joue-t-elle pleinement
rôle ? Quelles en sont selon vous ses difficultés ?
1.4. Comment à l’échelle de l’OHADA la profession comptable devrait-elle être organisée
pour éviter des conflits dans le processus de normalisation ?
1.5. Qui doit décider des normes comptables dans l’espace OHADA ? Comment et par
qui doivent-elles être élaborées ?
1.6. Quelles sont selon vous les attributs d’un bon normalisateur comptable OHADA ?
1.7. Ou en sommes-nous, selon vous, avec le fonctionnement des Conseils Nationaux de
Comptabilité dans l’espace OHADA ?

2. NOMENCLATURE OU CLASSEMENT ADAPTE DES DONNEES COMPTABLES


2.1. Le plan comptable OHADA vous offre-t-il la possibilité de représenter de
façon exhaustive tous les flux économiques que vous réalisez ?
2.2. Pouvez-vous, s’il y en a, nous faire l’inventaire et nous dire la nature des
difficultés liées à l’usage du plan comptable OHADA ?
2.3. Si vous êtes une filiale dont la maison mère se situe hors de l’Afrique, avez-
vous besoin de retraiter l’information comptable déjà enregistrée pour la
consolidation des comptes ou le reporting ?
2.4. Quelles solutions pensez-vous utiles pour remédier aux difficultés liées à
l’usage du STSCOHADA ?
2.5. Si vous collectez et archivez les états financiers des entreprises non
financières, notez-vous des difficultés dans leur collecte et dans leur
contenu ? Lesquelles ? Et quelles en sont vos attentes ? (cette question est
destinée aux agents de la Direction de la Statistique de la BCEAO travaillant sur la
Centrale des Bilans)

3. OUTILS, METHODES ET DEMARCHES EMPLOYES POUR RENDRE COMPTE


3.1. Êtes-vous équipés d’outils informatiques pour faire les comptes de l’entreprise ? De
quel type ?
3.2. Quels sont les handicaps de l’instrumentation de votre comptabilité ?
3.3. Pensez-vous utile de procéder à une transformation digitale totale de votre
processus comptable ?
3.4. Quels sont les risques liés à la transformation digitale du processus comptable
interne ?
3.5. Quels aménagements pensez-vous nécessaires au plan de la normalisation
comptable pour étayer la transformation digitale du processus de traitement
comptable ?

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