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de génie chimique
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© Techniques de l’Ingénieur, traité Génie des procédés J 1 002 − 1
CONCEPTION IDÉALE D’UN PROBLÈME DE GÉNIE CHIMIQUE ____________________________________________________________________________________
1. Projets de conception Une réponse partielle à ces questions se trouve dans la « philo-
sophie » de l’ingénieur, sa méthode de travail, les outils mis à sa
disposition. Il y a 30 ans, l’ingénieur considérait chaque opération
Le dimensionnement d’une unité de production pour l’industrie comme une « boîte noire » et le rendement optimal était recherché
chimique nécessite une extrapolation des données obtenues au labo- par modification des flux entrants. Les techniques de mesure ont
ratoire. Or le passage d’une échelle réduite à une échelle grandeur évolué et, aujourd’hui, l’ingénieur a la possibilité d’étudier l’intérieur
nature bouleverse profondément tout le fonctionnement de l’instal- de l’opération. Un deuxième grand bouleversement est dû au déve-
lation. Le lecteur sceptique pourrait se poser la question suivante : loppement de l’informatique. Des calculs impossibles il y a 30 ans
étant donné que les équations de conservation de masse, de quantité peuvent être effectués en moins de 5 minutes avec les ordinateurs
de mouvement et d’énergie ne dépendent pas de l’échelle, les lois actuels. L’ingénieur peut avoir accès à une quantité presque infinie
de la cinétique non plus, quelles sont les raisons qui causent ce de données et les traiter simultanément. Les calculs longs et répétitifs
phénomène ? Au laboratoire, deux liquides visqueux se mélangent ne prennent que peu de temps aujourd’hui grâce aux logiciels conçus
de façon homogène ; dans les réacteurs tubulaires, la dispersion dans ce but. L’ingénieur dispose ainsi, et il faut s’en réjouir, de beau-
radiale peut être négligée ; le contact entre la phase liquide et une coup plus de temps pour améliorer le procédé. Il en a besoin parce
phase gazeuse en forme de bulles peut souvent être modélisé en que la compétition économique dans le monde est devenue très rude
utilisant des hypothèses simplificatrices, les pertes d’énergie sont et la réussite d’une entreprise est souvent liée à sa capacité d’innover.
faibles, etc. Par contre, si l’installation industrielle est calculée en Dans ce qui suit, nous allons suivre, étape par étape, le déroule-
extrapolant l’appareillage de laboratoire, le résultat obtenu sera ment d’un projet de conception d’une unité industrielle. Nous avons
surprenant. Que peut-on faire ? Quelle différence y a-t-il entre décomposé le tout en quatre blocs qu représentent des tâches dis-
l’approche suivie il y a 30 ans et celle proposée aujourd’hui ? tinctes (figure 1). Deux grandes décisions doivent être prises : une
première à la fin du dimensionnement global et une seconde à la
fin des quatre étapes, pour décider de la mise en chantier de l’unité.
2. Étape 1.
Études au laboratoire :
propriétés physiques,
caractéristiques cinétiques...
La première phase de la mise au point d’un nouveau procédé a
lieu dans un laboratoire ; des réactions nouvelles y sont étudiées.
Ces réactions nouvelles sont, dans certains cas, rendues possibles
parce qu’un catalyseur nouveau, ayant une meilleure sélectivité ou
moins onéreux, a été mis au point. Dans d’autres cas, ce sont des
réactions connues mais non exploitées industriellement qui
regagnent en intérêt. Les raisons peuvent être multiples :
— un profond changement géopolitique causant une augmenta-
tion ou une diminution du prix des matières premières ;
— une nouvelle réglementation qui limite considérablement la
quantité rejetée d’un produit polluant ;
— des études médicales montrant qu’une des substances utilisées
provoque des troubles graves ;
— une découverte fondamentale en recherche qui rend le procédé
rentable ;
— etc.
Au laboratoire, les objectifs sont de déterminer la vitesse de réac-
tion en fonction des paramètres importants (température, pression,
concentrations) et d’évaluer les propriétés physiques des substances
intervenant dans le procédé (masse volumique, viscosité, conduc-
tivité thermique, propriétés thermodynamiques, etc.). En liaison avec
l’ingénieur responsable du schéma global du procédé (§ 2), on
recherchera les données nécessaires aux calculs des unités de sépa-
ration en amont et en aval du réacteur. Cette recherche peut être
expérimentale (mesure de la rhéologie d’un fluide non newtonien
avec un rhéomètre) ou théorique (calcul de l’enthalpie libre d’excès
par « contribution du groupe »). La mise au point de modèles per-
mettant de prévoir ces propriétés pour des corps liquides est une
des réussites des dernières décennies, bien que ces modèles soient
encore assez limités.
Le développement de l’informatique a profondément modifié les
appareils utilisés au laboratoire puisqu’aujourd’hui la presque-
totalité de ces outils sont reliés à un microordinateur. Les thermo-
balances, les calorimètres, les chromatographes, les spectromètres,
etc., sont ainsi équipés afin de sauvegarder et de traiter les mesures
Figure 1 – Partie de l’algorithme global d’un projet, effectuées. Les avantages sont multiples, mais la rapidité et la
concernée par le génie chimique précision obtenues sont les gains les plus importants. Parmi les
appareils nouveaux mis en service récemment, citons le couplage
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CONCEPTION IDÉALE D’UN PROBLÈME DE GÉNIE CHIMIQUE ____________________________________________________________________________________
Le développement de la modélisation fine dans le génie chimique de trouver des solutions techniques qui rendront le procédé plus
est très lié aux progrès obtenus dans la simulation des écoulements attrayant. Un ingénieur de procédés compétent devrait, pour
en mécanique des fluides. Avec la mise au point d’ordinateurs résoudre ce problème, coordonner une action conjointe entre la
rapides permettant d’effectuer un nombre à chaque fois plus grand Direction de recherche de son Groupe et un Laboratoire de recherche
d’opérations mathématiques, une troisième branche, la simulation public ou privé.
numérique, s’est ajoutée aux deux autres de cette discipline (théorie
et expérience).
Un deuxième facteur tout aussi important est la mise au point de
schémas nouveaux permettant de résoudre des équations différen- 6. Étape 4. Optimisation
tielles ou aux dérivées partielles avec une meilleure précision. Ces
méthodes mathématiques nouvelles ont souvent été créées pour de l’ensemble du procédé
résoudre des problèmes d’aérodynamique mais le génie chimique
a pu en bénéficier largement. Par ailleurs, certaines méthodes (par
exemple la collocation orthogonale ) ont été suggérées par des Après avoir rendu satisfaisant le fonctionnement des différentes
professeurs d’un département de génie chimique. Une méthode opérations unitaires, un schéma final est à établir. Les modifications
permettant de résoudre des équations différentielles « raides » a été sur les installations peuvent conduire à des changements à l’amont
publiée en 1971 par C.W. Gear. Ainsi, des réactions chimiques dont et à l’aval de celles-ci. Une analyse exergétique du procédé permet
la vitesse croît rapidement avec une augmentation de la température d’éviter certains gaspillages énergétiques. À la fin, une analyse
ou de la pression ont pu être modélisées. approfondie du coût sera effectuée afin d’apporter au responsable
Afin d’améliorer le rendement des opérations unitaires, les du Groupe un dossier bien ficelé. À ce stade, le service juridique
chercheurs ont essayé, dans les deux dernières décennies, de déve- étudiera le projet pour s’assurer qu’aucune entrave à la législation
lopper des modèles de simulation. L’intérêt est, comme en méca- en vigueur n’est possible. Le service qui s’occupe de la publicité du
nique des fluides, de limiter ainsi le nombre d’expériences aux produit consultera l’ingénieur sur ses performances techniques afin
diverses échelles, qui sont très coûteuses. Prenons, pour mieux de préparer la campagne publicitaire. Les ingénieurs étudieront au
illustrer ce dernier point, ce qui se passe pour la conception d’une laboratoire les produits des concurrents afin de repérer les distinc-
nouvelle forme d’automobile. Les ingénieurs aérodynamiciens tions marquantes pour en faire état au public.
proposent une forme qui est étudiée en soufflerie. Les champs de En principe, le choix du site où l’unité sera bâtie est connu dès
vitesses et de pressions tout autour de la maquette sont mesurés le début du projet, mais, quelquefois, plusieurs possibilités existent.
à différentes vitesses de l’écoulement externe. Une fois analysés les Cette décision a une influence sur le coût total. Par exemple, si l’unité
résultats obtenus, il faudra tenter de remédier à certaines imper- est implantée en Europe où le prix de la main-d’œuvre est élevé par
fections du dessin initial. Si l’on dispose d’un modèle qui puisse être rapport à celui du tiers monde, un investissement initial plus impor-
confronté aux résultats obtenus, il est possible de le modifier afin tant sera nécessaire. Les deux principales raisons sont l’automatisa-
de tester les solutions proposées avant de refaire des essais en souf- tion accrue de certaines installations afin de réduire le nombre total
flerie. Ainsi, seules les propositions réalistes seront retenues ; le gain de personnel technique pour faire fonctionner l’usine, et l’existence
en journées/homme, en millions de francs, est évident. Par contre, de normes de plus en plus strictes concernant l’environnement.
sans un modèle de l’expérience, il faudra poursuivre les essais Compte tenu de l’augmentation du chômage en Europe, plusieurs
empiriquement et refaire chaque fois les mêmes expériences. régions sinistrées offrent des conditions d’implantation très avan-
Pour la conception des installations industrielles de génie tageuses, de telles aides pouvant guider le choix final.
chimique, le problème est plus compliqué parce qu’il y a couplage
entre l’hydrodynamique et les transferts de matière et de chaleur.
Une possibilité de simulation existe néanmoins et doit être appro-
fondie. De nouvelles formes de mélangeurs, de colonnes de dis- 7. Conclusions
tillation, etc., peuvent être étudiées pour accroître leur rendement.
En modélisant les phénomènes de transport dans un grain de cata-
lyseur et avec l’appui de mesures impossibles il y a 30 ans, une Les articles du présent traité décrivent certains des nouveaux
recherche moins empirique est née. Du point de vue mathématique, acquis dans la conception d’installations de l’industrie chimique. Le
les modèles actuels nécessitent la résolution d’équations aux lecteur pourra aisément classer chacun dans une des cases de la
dérivées partielles alors que ceux d’il y a 30 ans étaient décrits par figure 1. Un ingénieur expérimenté pourra constater les progrès
des équations différentielles avec une seule variable indépendante. considérables faits dans notre métier depuis 25 ans. Néanmoins, ce
Le degré de complexité des modèles est aussi un sujet très discuté n’est pas dans les prochaines années que l’industrie chimique pourra
et l’ingénieur de recherche peut se poser la question suivante : est-ce relâcher son effort en vue de l’amélioration économique et « éco-
qu’il vaut mieux proposer un modèle global qui sera ensuite corrigé logique » des procédés. Par ailleurs, elle sera fortement mise à
par un paramètre d’efficacité ou est-il préférable de formuler et de contribution pour résoudre des problèmes récemment mis en
résoudre un modèle détaillé qui ne fera appel qu’à un minimum de évidence comme celui du traitement des déchets industriels et
ces nombres empiriques ? La réponse que nous préconisons a été ménagers. Cette bataille ne peut être gagnée sans un effort supplé-
formulée par Einstein : « Un modèle doit être aussi simple que mentaire en recherche. Une formation permanente des cadres et des
possible, mais pas plus ! ». techniciens de l’industrie chimique est aussi une nécessité incontour-
nable pour la réussite de ces projets.
La rentabilité d’un procédé dépend des performances des diffé-
rentes opérations unitaires : le réacteur, les unités de séparation, etc.
Souvent, la modélisation fine de l’opération clé du procédé permet
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