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MUSJQUE . DE CHAMBRE

QUATUOR A CORDES

Nous avons dit Ies circonstances~ dQul~ureu$e~ da'1$ lesquelles


fut composé le Quatuor~. de Rom~ .a Antibes (1937-1,942).:Je ne
pense pas que l'élaboration .d'-une ~~trJ :reu~re.. d'Ibert .ait réuni
d'une façon plus étroite ·.et plus ,pos1t1ve l'hem.m-~ le niu~icien et
le technicien. On sait que le quatuor est, en général, le ,p1Us bel
aspect de l'abstraction musicale. O~ celu~ d'Ibert reflète particu-
lièrement la forme de discours qu'il appréciait et recherchait tou-
jours. lei, il a réussi ·à respecter les rigueurs du langage imposé
par les cordes tout en exprimant ·. 1ine émotion· profonde. .e .La
dualité abstraction-affectivité, disait le compositeur, · m'est extre-
mement sensible >.
Le premier des quatre · m\ouveme·nts, A:llegro Risoluto, com-
prend trois parties. A l'exposé .de deux,, thèmes .assez larges,. très
chantants, qui se poursuivent avec vivaclté et banchise,. succède
un temps de repos, très calme,,:_ où le musiciea parai-t ·décrire avec
tendresse un paysage matinal ·et ensoleillé. p,ais le ton ehange,
I'atmosphère, est plus tendre, ·grave mCme, i tandis que r-éapparait
le se_cond theme, plus souple. Le· delGième m011vement Andante
::ai, le plus si~ic?tif de ·I'ouvrage,. le plus heau. fleut-C~e de
te la produ~tion d lbert; accomplit du point de '9ue teehnique,
.:u pomt de vue estbétique, «·Ja synthèse. du vécu et
nu >• Il repose sur deux phrases musicales qui se coillP e
t!
149 Jacques lbert
tent, se superposent parfois,.se combinent meme dans rmtensité
du discours ,:des •,quatre instrumen,ts. .L'une,:,formée de deux
1

groupes de croche~, ·sembl~,: une,plainte, timide, esseulée.qu'exhale


d'abord le second violon, L'autre phrase est le chant d'un etre
1

qui s'épanche sans to-qtefpis ,se résigner. Le retout':de Ja plainte


conduit à· un~• ~fflotes~enc~ polyphonique où se manifeste la
passion, en1.dehorside ,toute :v~olence qu teolère : ·:toutes les voix
de la IIJ.i~è.t~ ·hlllllaine, y \paraissent: rassemblées. Succèdent un
calme lol.lf~f '. .~nfin une ~orte de, prjère qui annonce !'attente.
Après -qne 1·Jelle, :·J:Uanifestation. de lyrisme contenu,. les cordes
devaient. ·.-:s.e ; Tout . autre discours eiìt été insupportable ..
Aussi, çla~ le ..trois~ème· mouyeµ;ient. •fresta-, qui s'enchaine subi~
temettt •·.~U précédel)t, lbert ., se laisse-t-il aller au libre et très
habile·1 jeu dl.J· scherzQ, -tQut en pizzicati. Le. dernier mouvement
Allegro Marcato, .s'affinne .comme un ·acte de foi, expression
d'une volonté soµverain~. Rapproçhement singulier : exactement
à la mçme époque, peut~tre au meme instant où lbert repre-
nait .et /•aehevait son Qua:tuor, Ho~egger colllposait la Sympho-
nie N~ ·~·.pour cordes ·et trompette, · sem.blable d'allure drama-
tique et :volontaire, et qui exhale les memes .pathétiques accents.

TRIO pOUR VIOLON, VIOLO~CELLE ET HARPE

. Le Trio d'Ib:rt ,<1~44)-est à son Q~atuor ce que_I'aquarelle est


Òw la peinture a 1bulle. Le .style,, .Jw, demeure rigoureusement
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identique. Toùtefois le 'matériau; ·différent,.-.modifie.la:.techni
, h, • . .. . . . . que.
D'ou une est ettque, non pas . opposee,' .ima1s ·,complémeritair
Que ~è Quat~or soit traité « en profonde~ .>•n~,,'sigrtifie· pas
le Trio se presente comme une reuvre exter1eure ou ·superficieUe
q:~
Le Trio est plus aéré, traité•avec ·plus ·de finesse,;· ses teintes son~
plus légères. Le pinceau ~e martre remplace la brosse de .soìe .
mais le coup de crayon de base ·est bien celui :du meme,,,artiste~
Trois mouvements. Un Allegro tranquillo initial rassèmble Ies
trois instrumentistes dans un jeu souple,. :au .'.libre balancement,
à .six ou sept tetnps . .suivent des -ébats· p'lus ·vifs, phis ·contrastés
qui · aboutissent . au retour du ·premier tempo, .davantage enjoué
cependant. ·. ·Le deuxième:• mouvement., Andante ·isostenuto, s'étale
avec plénifude et· chaleur, · romance ,. ttès exptessive que distille
amoureusement le violoncelle· avant .de·.-. se<ntesurer, plus pas.;
sionné, ·. au violori, cependant ·que 'la •;harpe· envelbppe le riche
contrepoint des éòrdes, 1e ·resserta.nt: a'.vec·. des-·liens subtils. Dans
le Jjnal, Scherzando :,con · moto, la harpe,-',très gaie, ·s'aniusè avec
ses deux piirtenaires · q ui ,cherchent .,en ·. vain• à,, se.:liguer ·contre
elle . .Aptès·· •une nouvelle ·phastf de ce jeu . alerte et ·gr~éieux, où
se melent la-1fantaisie et l'humour; où meme de ·vifs ptopos ·sont
échangés, une joy~use poursuite entraine nos instrumentistes
vers de riants chemins.

INTERLUDES, ENTRACTE ET SOLOS

Savoir•.que les Deux. lriterludes pour flute, violon et clave,cin


(ou· barpe) '(1946), ont été ·composés comme musiquè de scene
151 J~ques lbert
pour la pi~ce ~e Suzanne Lil~t\ L-e Burlador, n?ajoute, on. ne
retranche :ien a ces pages qui .d~~e.urent de la musique. pure.
J'y vois meme, quant a leur « maniere ~ertaines affinités, d'une
part avec le Quatuor., en ~e-.: qui ·-concerne ,Ier premier Interlude
Andante expressivo, .. dra.matiqutf et·téfléchi, et d'autre part avec
le Trio, en raison de :ranure primesautière :• du second Interlude
Allegro vivo. L'utilisation .de la h~pe -0u du clavecin ne nous
1

permet cependant pas., ·là -en~or~, ·de· nous .prononcer sur l'inspi-
ration de l'ceuvre - xv111e, ou xxe siècle? .- bien que la fomia-
tion instrumentale s_ oit la meme que ,.ceu~· des Pièçes en concert
de Rameau. Meme .reµiarqu~, pour ·l~Entfacte .quelque peu anté-
rieur (1937), 'allègrement,_ confié .à la· saitie '• virtuosité d'une flute
ou d'un violon .-:e f d'une. guitare JOU' '.d'un.e harpe. Quel ·qu'il soit,
1

ce duo épouse toote-s les .-fc,rmes:de da séduction ·instrumentale.qui


justifie bien ,s a poptilar.ité.uPoun:'ins~uments. à cordes solos, Ibert
a composé d'abord ·un.:.« Tombeau::de Chopin ·>>, à l'intention du
violoncelle. :·:. C·'est: . .une·• importante ~Etude~Caprice (l 949) où se
succèdent,., dan-s .une;.lat-ge:. iparti~;i~Qeritrale, en~e de~ Mode~ato
assai, polonaise, noctume :~t-·:.ma:zurka. Pour le mem~ soliste,
Ghirlarzana, . adàgio -très . expl.iessif,:!'contraste ·avec le r~thme, lan-
cinant · de ··.Captilena •:·pour · •violon . solo, les ·deux ·p1eces eta~t
dédiée& ·, à l~a ;mémoite :ae . ·Natalie •·. Koussevitzky (1951). <?uan!
à l'Aria-,i{l:9·30)~ ,chef~'-ceùvre,.·, du· .genre, ·u.·peut etre mentionne
· · enc~re.·: pu1squ-
1c1 · .,.il , · .:,s;adr· esse ·,a · t·a1·t'
·, la:,-·,quas1-to 1 e. des
.,· ·,·1·nstruments
.,
a' cor·des· ,.., ent·; :s·~s•·a d aptations
· ..•,ou· a' ·:·,-.~ 1
· ayant mem · reabsees fort
" e .éte
judicièuSement .pòur duos ou -trios .
•' j ' ' •
IN-STRUMENTS A VENT

Ce que nous avons dit, à propos des Concertos t


1, J . d ' rouver .
son heureux comp em~~t. ~une pr1x ..e. Rome, Ibert . a 1~i
courageusement sa predilect1on pour les .mstruments , afficha1t
Ieur consacrant son premier · quatuor, au .grand scandalea dvent' en
rités académiques. Plus encore que .p ar la diversité de leU:s auto..
rités, qu'il avait toutes explorées, il était attiré par leur diffs~ono:
' ·
d'ecnture. Il prena1·t eg' al ement p I a1s. ' · contre le g icuite
· r· r a' ; reagir ,..
,, I d S . t
l'epoque pour es cor es. ur ces poln s prec1s, il se retrouvait,, . out de
avec Poulenc. Toutefois, lbert eut toujours la sagesse, ou l'h b·..
,, d ,, I . . a1
Iete, e menager es mstrumentIStes tout ,e n préservant l'esthé-
tique des reuvres contre toutes les lourdeurs qui pouvaient
résulter des t;chn~ques ~o~,ri~hes ou de.s dé~~loppements trop
savants. Il s apphqua a n ecrrre que des p1eces relativement
brèves, ce qui n'était d'ailleurs pas, bien au contraire, un critère
de facilité. « Il n'y a pas d' aristocratie en art > disait Ibert. Au
moins les instruments à vent, ·dirigés par · ce musicien, impli-
quent-ils un raffinement, une .é légance toute française, qui ne
trompent pas. Ainsi le quatuor, in:titulé Deux Mouvements pour
deux flutes, clarinette et basson · (1922) (un nautbois remplac_e
souvent la seconde fl.iìte), s'imposa-t-il au grand public qui aurait
eu mauva1se grace a ·n e pomt . armer I e sI ow-f ox de la seconde , rit
t e~fers
• A ' • •

partie, au meme titre qu'un menuet au temps de Mozart.


d'Ibert, en passant! On serait tenté de rapprocher trop ~0 °~aut-
. t ette, e ' est-a-dire
' ., .. s pour 1
le qum les Trois pzeces b reve . , flu e,
our trio
bois, clarinette, cor et basson (1930) des Cinq pzeces p
153 lacques lbert
d'anches, hautbois, clarinette et basson (1935) ·D ans ·
ières, le souc1· polytonal est be. aucoup plus Ol"!lftd · mafn....tces der•
netit nombre d'"mstruments. En particuber . . les &\i 1e plus
P deux
0,,-IUI
m
. . · ouvements
Ients, Andant~"?. e~ Andante, ~ntiennent une matìère musicale
très dense qui élimme toute amere-pensée décorative. La Sona-
, tine pour flute et piano (1923) qui porte le titre bien choisi de
i Jeux (il en existe une version pour violon et piano), est construite

avec une savante irrégularité qui lai~ cependant aux prota-


gonistes une chance égale dans leurs assauts harmoniques.
Animé, le premier mouvement ralentit un moment sa emme pour
laisser aux duettistes le temps de s'expliquer. Quant au second
mouvement terminal, Tendre, plus étendu, il passe du reve à
la réalité, avec une plaisante désinvolture avant de retourner à
son insouciance première. Avec la Pièce pour flute seule (1936),
Ibert fait un royal cadeau au soliste qui librement - a piacere -
pourra s'épancher, en modelant à loisir les formes et les ~ono-
rités de ce généreux ·andante. A coté de Ghirlarzana et Caprzlena,
la troisième pièce écrite pour la Fondation Koussevitzky est un
~mpromptu pour •trompette et piano . .
(1951). Le music~en· · ne
cherche pas dans icet allegro à atténuer ragress1vi · ·té de l'mstru-.
·
ment à vent face au clavier. Il donne au contrarre 8 . Fer ' ce dermer
lJl1 raie de provocateur. Le basson, lui, dans ·la collection le e;
liand Oubradous, s'est vu attribuer Carignane, (1953!, sou~ano,
chaude. comme une romance italienne. Pour bautbois i'Age
~rt a adapté:la deuxième Escale (1922). Rappelons: ~e sara-
tt
d'iJf (1935), pour saxophone alto et piano, la 1?erve;
bande extraite du troisième tableau du Chevalzer err, ·

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