Vous êtes sur la page 1sur 6

DEVOIR ET LIBERTÉ DE CONSCIENCE, COMMENT LE

M∴S∴PEUT-IL LES CONCILIER ?


Telle est la question posée à nos Loges de Perfection en 2015. 162 Ateliers
se sont donné la peine de recueillir les avis de leurs membres en travaillant
très souvent en Loge et ont adressé un rapport à la Grande Chancellerie,
avec pour certains, un peu de retard. Ces réflexions d’inégale valeur
reflètent la diversité de nos Ateliers, mais surtout d’inégale densité allant
d’une simple page à plusieurs pages, avec parfois un résumé clair et
pratique. Mais, tout compte fait, de Douala à Point-à-Pitre, de Port-Louis
(île Maurice) à Nouméa, tous ont travaillé avec sérieux avec cet esprit de
vouloir chercher encore, en prenant appui sur nos rituels.
Les deux termes de la question – devoir, liberté de conscience – ont été
souvent appréhendés et définis à partir du rituel d’initiation au 4e degré et
des sentences. S’agissant du devoir, d’emblée, le T∴F∴P∴M∴décrit le
grade : « le grade de M∴S∴est le symbole d’une ascèse (discipline
volontaire du corps et de l’esprit cherchant à tendre vers une perfection
pour une forme de renoncement ou d’abnégation menant à la
compréhension élargie de la notion du Devoir » Quel est le Devoir (avec
un D majuscule)? La recherche de la vérité et de la Parole
Perdue.S’agissantdelalibertédeconscience,lorsdu2e voyage,leF∴Inspecteur
éclaircit les propos « se dégageant de l’ignorance, des préjugés et de la
super- stition, le F∴M∴doit reconnaître le caractère néfaste des dogmes
et des slogans et comprendre l’efficacité des symboles. Il doit prendre ses
décisions en toute liberté de conscience. »

97

Sur ces bases, les rapports sont en général structurés en trois parties
étudiant successivement le Devoir, puis la liberté de conscience avant, à la
lumière de ces analyses, de proposer une ou des réponses à la question
posée.Le Devoir, donc, tout d’abord. Rabelais disait du rire qu’il est le
propre de l’homme. On pourrait en dire autant du Devoir. Le Devoir a un
caractère spécifiquement anthropologique et Cicéron affirmait : « Aucune
partie de la vie, que ce soit dans les affaires publiques ou privées, celle du
forum ou celle de la maison, qu’on y réfléchisse à part soi-même ou qu’on
en discute avec autrui, ne peut échapper au Devoir.Toute la dignité de la
vie revient à le pratiquer, toute ignorance vient de ce qu’on le néglige. »
Pour autant, s’il existe des hommes de devoir, il en est beaucoup qui ne
reconnaissent pas la nécessité de respecter et d’accomplir leurs devoirs.
Ce mot vient du latin, debere, exprimant une charge, une obligation à une
nécessité. C’est aussi être obligé par la loi, la morale, l’honneur, voire
quelquefois par empathie. Le devoir apparaît comme une valeur morale
que nous nous imposons. C’est donc une disposition de l’esprit que nous
acceptons de façon volontaire et consciente ; elle n’est donc pas naturelle,
ne faisant pas partie de l’inné de l’homme sur lui-même. L’homme est
alors une pierre brute à la naissance, qui demande à être taillée tout au long
de sa vie.
Mais cette conception rationnelle de la morale est partielle et insuffisante.
Le Devoir est non seulement de l’ordre de la raison mais aussi du
sentiment et de ce que l’on fait par amour. Cette approche philosophique
de la notion du devoir nous invite à réfléchir sur le sens de cette notion
dans la vie maçonnique, à travers tous les grades et plus particulièrement
au 4e grade qui nous incite à aller plus loin en approfondissant et en
enrichissant cette notion du devoir. Et l’instruction rituelle précise que la
caractéristique du 4e est « la recherche du Devoir et la ferme volonté de
l’accomplir quel qu’il soit, sans songer à une récompense, pour la seule
satisfaction de sa conscience ».
Il y a donc une intériorisation de la notion de devoir. Le Devoir du 4e degré
poursuit une évolution vers une dimension verticale, une autre réalité,
n’entravant plus l’avancée vers son être. Sans renier, ni abandonner la
réalisation des devoirs ordinaires, qui nous forcent à dépasser nos pulsions
et nos inhibitions, qui forgent notre volonté et notre rigueur, nous intégrons
à notre travail l’acceptation du Devoir dans le sens de la recherche de
laVérité,de la Lumière et de la Parole perdue.
Le devoir est donc d’abord une forme d’engagement personnel relevant de
la morale, mais doit-il se limiter à cela ? En d’autres termes, peut-on
s’exonérer d’une réflexion sur le Devoir en tant que nécessité sociale ? La
démocratie repose sur le respect et la garantie de droits individuels et,
notamment, comme nous le
98

verrons par la suite, de la liberté de conscience. Mais, toute vie en société


suppose aussi le respect d’un certain nombre de devoirs qui conditionnent
le maintien du lien entre les individus, le vivre ensemble pour reprendre
une expression à la mode. Or, à force d’étendre les droits, on oublie de
rappeler les devoirs de chacun et l’on constate aujourd’hui que des droits
illimités consacrent la toute-puissance de l’individu qui est dommageable à
la cohésion sociale. Le rappel des devoirs de chacun dans la société est
précisément l’antidote de l’égoïsme ravageur grâce à la prise de conscience
de l’altérité qui permet l’acceptation des différences et le débat
démocratique. La place centrale du devoir au 4e degré est donc aussi un
rappel nécessaire pour le franc-maçon soucieux d’améliorer la société...
Abordons à présent la liberté de conscience. La conscience (du latin
conscientia : for intérieur) signifie connaissance partagée, voire confidence
ou complicité, et qui permet à l’homme d’être connecté avec le monde, elle
nous approche, nous relie, mais nous sépare également du monde : car par
elle, on prend conscience de son individualité. En fait, la liberté de
conscience se confond avec la liberté de penser, l’homme étant, à la
différence de l’animal, cet être conscient, sa capacité de penser étant la
condition même de son existence et de son autonomie : c’est le cogito
cartésien. La liberté de conscience est le pouvoir qu’a l’individu d’exercer
son libre choix d’un système de valeurs et des principes guidant son
existence, d’y adhérer et d’y conformer ses actes. Elle inclut la liberté de
croyance, de religion ou de ne pas avoir de religion.
Cette notion tient une place importante dans l’article premier du
G∴O∴D∴F∴, la franc-maçonnerie a pour principe « la tolérance
mutuelle, le respect des autres et de soi-même, la liberté absolue de
conscience ». La liberté de conscience fait partie des principes
fondamentaux reconnus par les lois de la République dans la lettre et
l’esprit de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789,
repris dans l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme
de 1948 : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et
de religion ». En France, la liberté de conscience est garantie par la
référence à la laïcité de l’État et des institutions de la République
auxquelles tout membre du G∴O∴D∴F∴prête serment lors de son
initiation. La liberté de conscience figure explicitement dans l’article
premier de la loi de séparation de l’État et des Églises du 9 décembre 1905
qui assure et garantit la liberté de culte. Ainsi la liberté religieuse n’est-elle
qu’une modalité de la liberté de conscience qui concerne tous les citoyens,
croyants ou non.
La liberté de conscience fait ainsi partie des fondamentaux du franc-maçon
du G∴O∴D∴F∴dès son entrée dans l’Obédience. Être franc-maçon c’est
être libre de choisir son propre chemin spirituel. C’est aussi faire un usage
constant de sa raison afin d’être en capacité de définir et prendre sa propre
route.Au sens large, la liberté de conscience désigne le droit d’un individu
à posséder ses propres principes et valeurs, à cultiver et développer des
idées dans les domaines philosophique, politique, économique, social et
autres.La revendication de liberté de conscience remonte au xvii e siècle où
elle ne touche alors que le champ religieux. Au xviiie siècle, son cadre
s’élargit pour induire la possibilité donnée à chaque individu de choisir une
philosophie ou une morale non transcendante. Les premières versions de
l’article 1er des Constitutions d’Anderson insistent bien sur ce point. La
conscience dont il s’agit est la conscience morale, conscience intuitive de
l’être humain de ce qui est bien ou mal.

Ainsi dès son arrivée, le F∴Maître Secret s’entend dire qu’il « doit
prendre ses décisions en toute liberté de conscience. Il est ainsi encouragé à
acquérir son autonomie morale. Il est incité à préciser pour lui-même, pour
s’affranchir des préjugés et des superstitions, pour refuser les idées toutes
faites pour s’écarter du « pays de l’ignorance », afin de se consacrer au
devoir de la vérité envers lui- même. Il est invité à questionner, à apprécier
les valeurs communément admises. Il n’y a pas de révélation des dogmes
mais une démarche longue, lente, progressive et personnelle. Il doit écouter
et respecter l’opinion d’autrui, à prendre conscience. Il s’agit là de son
devoir envers autrui.
N’accordez à quiconque une confiance aveugle, mais écoutez tous les
hommes avec attention et déférence. Respectez toutes les opinions mais ne
le déclarez juste qu’après en avoir fait vous-même un examen approfondi.
La liberté de conscience est selon le stoïcien Marc Aurèle, une « citadelle
imprenable ». Mais la Liberté avec un grand L est un concept
philosophique, donc abstrait, ne pouvant s’exercer que si sont affirmées, et
garanties, les libertés, notamment la liberté d’afficher, de diffuser, de
publier ses idées, en un mot que s’il existe une liberté d’expression. En
outre, la liberté de conscience n’est effective que si l’homme est capable
d’esprit critique et de pratiquer le doute grâce à l’éducation et à
l’enseignement. Ainsi le philosophe André Comte- Sponville écrit :
La liberté de conscience suppose que nulle pression ou interdiction ne
s’exercent sur elle. La conscience libre nécessite une culture et une
capacité intellectuelle propres à fonder l’exercice maîtrisé du jugement.
D’où le rôle d’une école ouverte à tous, gratuite, afin de mettre hors-jeu
les différences de fortune qui sinon pèsent sur l’accès à la culture, et
soucieuse d’enseigner ce qui permet d’accéder à l’autonomie rationnelle
et morale de la personne.
Venons-en maintenant à la question posée qui a donné lieu à des question-
nements divers. Pour certains, n’est-il pas provocant, déstabilisant, pour
d’autres, complexe ? Ce qui ressort en général des rapports des Ateliers est
la recherche des connexions existantes entre les notions de Devoir et de
liberté de conscience, la réflexion s’étendant aux grades antérieurs au 4e
degré.Avec un effort d’aller chercher et de trouver dans nos rituels des
réponses. La question met le M∴S∴face à une apparente incompatibilité
qu’il va falloir approfondir par la réflexion, la raison, mais aussi avec
l’aide de son vécu maçonnique lors de précédentes initiations c’est-à-dire
l’approche rituélique, symbolique.
La question pose le principe que les deux concepts, Devoir et liberté de
conscience, apparaissent comme étant antinomiques, c’est-à-dire
s’excluant l’un et l’autre, ou la question de leur conciliation, possible ou
nécessaire. Cette conciliation prend toute son acuité pour le Maître Secret.
Il est et reste franc- maçon et, de ce fait, foncièrement attaché à la liberté
de conscience. Et sa qualité de M∴S∴lui assigne, comme fil conducteur à
son grade, le Devoir. Devoir et liberté de conscience seraient des
facilitateurs réciproques. Cette conciliation recherchée par le M∴S∴et la
liberté de conscience, passe aussi par la respon- sabilité. On est responsable
de sa liberté ce qui permet de s’acquitter de son Devoir.

Pour un M∴S∴s’engageant sur le chemin du Devoir, c’est une invitation


non seulement à ne point confondre les mots et les idées mais surtout une
invitation à découvrir sous le symbole l’idée qu’il aura comprise et
reconnue comme acceptable. La question posée est aussi celle du «
comment » « concilier » ? C’est par un travail incessant tendant vers la
perfection, avec le Devoir librement consenti, qu’un chercheur de sens et
de vérité va peut-être réaliser la fraternité universelle. Les contradictions et
les violences du monde qui nous entoure nous y incitent fortement.
La conciliation des deux notions pose la question de la distinction de
l’individu aux autres, au groupe dont il fait partie. C’est aussi répandre au
dehors du Temple ce qu’il aura compris en se satisfaisant de sa propre
conscience des principes qui animent la franc-maçonnerie. Devoir et liberté
de conscience se concilient et se complètent. À la place des hésitations, une
certitude d’un engagement serein. Alors on met de l’ordre dans ce qui
pourrait être facteur de désordre. Dans la quête qui est la nôtre, cette
conjonction du Devoir et liberté de conscience vient compléter à propos
l’initiation, la progression et la recherche de la vérité.

En fait, la conciliation entre Devoir du M∴S∴et liberté de conscience est


parfaitement possible et même souhaitable à la condition de bien distinguer
contrainte et obligation qui, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ne
sont pas des termes rigoureusement synonymes. Le devoir est contrainte
lorsque son
101

respect est imposé par une force extérieure s’imposant contre la volonté de
la personne ou au moins indépendante d’elle. Le devoir est obligation
quand il répond à une conviction morale que la personne s’impose à elle-
même. Or le devoir du M∴S∴est une obligation et non une contrainte en
ce sens qu’il résulte d’un engagement pris en présence des Frères sous la
forme d’un serment, d’une obligation pour reprendre les termes du rituel. Il
s’agit donc d’un engagement librement consenti et affirmé et le franc-
maçon qui le souscrit ne viole en rien sa propre liberté de conscience.

Vous aimerez peut-être aussi