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Les taxes maritimes et commerciales

d’après des actes de Patmos et de Lavra

Parmi les exemptions d’impôts dont bénéficient les monastères dans l'Empire
byzantin, il en est qui sont relatives, non pas aux terres et aux parèques, comme c’est
généralement le cas, mais aux bateaux des moines. Certains monastères, ooligés par
leur situation d’aller se ravitailler au dehors, disposent en effet d’une flottille. Tel
est le cas du monastère de Patmos et de Lavra au mont Athos ; aussi trouve-t-on dans
leurs archives des pièces concernant le privilège qu’ont leurs bateaux de naviguer en
pleine et entière franchise, libres de toutes les charges et impôts dont sont redevables
les navires des commerçants (i).
Les privilèges analogues accordés plus ou moins largement par les basileis aux
marchands occidentaux vénitiens, génois, pisans ou catalans, suivant les fluctuations
de la politique extérieure sont bien connus et les chrysobulles, où ils sont énumérés,
permettent d’entrevoir quelque peu le régime fiscal auquel étaient soumis non
seulement les commerçants étrangers, mais aussi les propres sujets de l’Empire
byzantin.
Les textes de Patmos et le texte de Lavra que nous nous proposons d’examiner
apportent sur ce dernier point quelques renseignements supplémentaires, et contri­
buent ainsi à la connaissance de toute une série d’impôts assez mal connus qui
n’entrent pas dans la catégorie des impôts généraux (δημόσια), c’est-à-dire les impôts
indirects, les prestations en nature et les corvées. Ces textes permettent aussi de
suivre d’assez près la procédure usitée en cas d’exemption et d’indiquer, au
les grandes lignes, quels services administratifs étaient intéressés à la <lcs
impôts pesant sur la marine marchande.
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§ i. — Le jaugeage des bateaux par les fonctionnaires de la marine et des finances

Un fait sc dégage nettement de l’examen des textes : tout bateau possédé par
un particulier est sujet à l’impôt et est inscrit de ce chef sur les registres de l’admi­
nistration financière. Dans les textes relatifs aux exemptions dont jouit le monastère
de Patmos, il est dit, en effet, que les moines pourront posséder tel nombre de bateaux,
d’un tonnage déterminé qui seront ignorés du fisc (ανεπίγνωστων τώ δημοαίω) (i) non
inscrits sur les registres publics (μή καταγεγραμμίνων τοϊ; δημοσιαζοϊζ κώδιζιν) (2).
Dans le cas où ces bateaux seraient devenus inutilisables, parsuitede leur mauvais
état, ou s’ils faisaient naufrage, les moines seront autorisés à les remplacer par des
bateaux d’un tonnage égal (3) et il est stipulé que cette autorisation sera valable non
pas une fois ou deux, mais une fois pour toutes.
L’inscription des bateaux sur les registres du fisc est naturellement un fait essen­
tiel ; aussi, lorsqu’une embarcation est exemptée des impôts, toute une procédure est
nécessaire pour régulariser sa non-inscription sur les rôles. On saisit bien l’impor­
tance de la chose en voyant avec quelle précise minutie et quelle solennité même on
agit dans ce dernier cas. On connaît les détails de l’opération par trois actes provenant
des bureaux de la secrète de la mer relatifs aux bateaux de Patmos (4).
Les moines ayant obtenu du basileus un chrysobulle d’exemption, la pièce est
enregistrée dans les bureaux du grand sacellaire, du grand logariaste, du logothète
τού γενικού et de la secrète de la mer (5).
La secrète de la mer ayant été ainsi avisée (6), procède, sur la demande de l’higou-
mène et des moines, à 1’ « examen habituel ». Elle s’est livrée d’abord à une enquête
préalable relative à la propriété du bateau en question (7). Cette enquête a, sans doute,
pour but d’éviter les fraudes et de dépister l’ingéniosité des commerçants qui auraient
songé à faire circuler leurs bateaux sans bourse délier, en les faisant entrer tout simple­
ment dans la flotille d’un monastère. L’opération dont le bateau est l'objet a un double
but : i° le bateau doit être jaugé (ίξαμωΟήναι) ; 2° il doit être délivré légalement
à ses propriétaires (παραδοΟήν»), qui le tiennent ainsi en quelque sorte de la secrète
de la mer.
Le bateau étant au mouillage, les fonctionnaires de la secrète se rendent sur
place et l’examen a lieu en leur présence et en présence de l’higoumène et des moines
représentant le monastère. L’un des fonctionnaires de la secrète agit comme délégué

I : ν,μεϊε h άζριβιϊ
LES TAXES MARITIMES ET COMMERCIALES 279

d’un autre service. Deux fonctionnaires de la secrète « tenant la corde » mesurent le


bateau ; l’un d’eux est mandataire du logothète du drome. Notant la longueur de
l’embarcation depuis le mât jusqu’à la galerie de poupe, la largeur et la profondeur,
ils établissent son tonnage réel. Tenant compte de l'espace nécessaire pour placer les
agrès et de la place perdue à la proue à cause de la présence du mât d’artimon, ils
défalquent du tonnage réel, suivant l’usage, io pour ioo, afin de fixer le tonnage impo­
sable. On peut voir dans le détail comment on procédait pour le jaugeage et pour
les défalcations dont bénéficient les propriétaires des bateaux dans un texte du
XIIIe siècle contenant des instructions adressées à un fonctionnaire au sujet de l’examen
et de la mesure des embarcations qui est conservé à la Vaticane (i).
L’exemption accordée en vertu d’un chrysobulle portant sur un tonnage de chiffre
précis sous bénéfice d’une légère tolérance (μικρόν τι πλέον ή έλαοβόν) est valable, comme
on l’a vu, une fois pour toutes et les moines peuvent remplacer, aussi souvent qu’il est
nécessaire, tel bateau perdu ou devenu inutilisable sans adresser de nouvelle demande
à l’empereur. Il n’en est pas de même en ce qui concerne l’examen auquel se livre
la secrète de la mer. Chaque fois que les moines de Patmos remplacent un bateau
naufragé, ils ne sauraient l'utiliser avant de l’avoir fait jauger par la secrète de
la mer qui le leur remet officiellement et procède à l’opération en vertu du chryso­
bulle qui avait accordé l’exemption une fois pour toutes (2). On agit de même s’il
arrive que les moines, jouissant d’une exemption portant sur un tonnage déterminé,
obtiennent du basileus une nouvelle exemption pour un tonnage d’un chiffre plus
élevé (3).
De ces examens des bateaux de Patmos que sommes-nous en droit de conclure
pour ce qui regarde les bateaux marchands non exemptés ? L’inscription obligatoire
sur les registres du fisc après le jaugeage des bateaux ne fait pas de doute et cette
dernière opération avait spécialement pour but l’établissement du tonnage imposable
en vue du transport des prestations en nature et du paiement de Vanlinaulon, ainsi
que nous le voyons clairement dans le texte déjà cité contenant des instructions pour
le jaugeage (4).
Où se passait cette formalité ? Dans les trois praxeis relatives à l’examen des
bateaux de Patmos, ceux-ci sont toujours mouillés à Constantinople, au port du
Néorion (5) ou au port de Sikaïticos (6). Faut-il penser que pour tous les bateaux
marchands l’inscription devait se faire à Constantinople ? La chose paraît assez
invraisemblable et l’on peut très bien supposer, au contraire, que dans tous les ports
de l’Empire où il existait des chantiers de construction, un délégué provincial de la
secrète de la mer, peut-être le représentant du parathalassite dont il est question dans
le texte de Lavra, procédait à l’inscription des bateaux.

(1) Χίος 'ΕΜ,ηνομνήνων, IX. 1912, p. 166 ss.


(2) Miklosich et Müller. »/>. cil.. VI. p. 122. 129.
(3) Id., p. 142.
(4) Νέος 'Ελληνομνημων. IX, 1912, p. 168 : καί ούτω; ψηφίζω* «ύρήσχις beten» jï>aîov την τ* οντηγήν, ξυληγην
δνά μτγαφικων χώρηαι* όση έοτίν.
(5) Mikiosich et Müller, cf>. cil., VI, p. 123, 129.
(6) Id., p. 142.
28ο MÉLANGES DIEHL

§2. — Les charges el les impôts pesant sur les bateaux, leur équipage et leur cargaison

Une fois en possession du chrysobulle impérial et de la πράξις dressée par la secrète


de la mer, les moines ]>euvent, en principe du moins, naviguer en pleine franchise (i)
dans tous les ports du levant et du couchant sans crainte d’être inquiétés par les fonc­
tionnaires impériaux, pour les besoins de leur monastère (2).
Ce déploiement de formalités à propos de quelques embarcations utilisées par les
moines s’explique du fait que toute embarcation est un moyen de trafic, de commerce,
et qu’elle peut, d’autre part, concourir au transport des denrées et objets multiples
que les contribuables doivent à l’Etat pour les prestations en nature; elle représente
ainsi un élément qui est loin d’être négligeable pour le fisc. Aussi l’Etat exerce-t-il
un contrôle rigoureux sur la circulation des bateaux, sur leur droit d’aborder dans
les ports et marchés et d’y séjourner.
Les impôts exigés des propriétaires des bateaux se divisent en deux groupes. Le
premier comprend les charges qui grèvent le bateau lui-même. Celles-ci sont établies
en proportion de son tonnage ainsi qu’on peut le conclure des actes d’exemption
où il est stipulé que le privilège dont jouissent les moines se rapporte à un tonnage
précis, des praxeis de la secrète de la mer veillant à ce que le tonnage réel des
navires corresponde bien au tonnage pour lequel ils sont légalement exemptés et
dégageant sa responsabilité pour les changements ultérieurs que pourrait subir ce
tonnage (3).
Le second groupe comporte les impôts qui frappent non plus le bateau lui-même,
mais les marchandises qu’il transporte.
Un troisième groupe est formé par les gratifications payées en sus des impôts des
deux premiers groupes à un certain nombre de fonctionnaires. Ces divisions générales
s’imposent naturellement pour le classement des nombreux impôts énumérés dans
les textes ; il est beaucoup moins aisé de préciser le sens exact de certains termes
désignant des impôts particuliers.
Dans le premier groupe, il faut placer Γάγγαρώα, l’obligation pour le bateau de
servir pour les travaux publics et le transport des fournitures civiles et militaires
dues par les contribuables pour les besoins de l’Empire (4) : du blé, du vin, de la
viande, des légumes et autres denrées alimentaires, du fourrage, des armes, du fer,
du bois à travailler et à brûler, du bois recourbé pour des travaux publics : la

άνατολήν
LES TAXES MARITIMES ET COMMERCIALES 281

construction des vaisseaux (i), de la cochenille (2). Le texte de la Vaticane contient


la liste, avec leurs équivalences en livres, des diverses mesures employées pour le blé,
l’huile, le vin blanc, le vin rouge, le bois à brider, dont on usera pour établir le tonnage
imposable des bateaux (3).
Le transport des prestations en nature doit peser plus lourdement sur les bateaux
marchands en temps de guerre. Dans le chrysobulle de Lavra, on voit que dans telle
circonstance grave, l’empereur se réserve le droit de supprimer les exemptions, et c’est
par une faveur particulière que les bateaux du monastère demeureront libres de toutes
charges, même dans ce cas extraordinaire (4).
L’àvvapcia à laquelle sont sujets les bateaux comporte naturellement la réquisition
de l’équipage, mais les marins qui montent les embarcations de Patmos (5) ou de
Lavra (6) n’auront pas à être inquiétés à ce sujet.
On ne devra pas davantage exiger d’eux certains impôts : 1’έμβλητίκιον, Γέξιμβλη-
τίκιον (7). A quoi ceux-ci correspondent-ils ? On pourrait peut-être rapprocher leur nom
de deux expressions usitées pour désigner le transport obligatoire des prestations en
nature : le mot ϊμβληοις et le mot Εκβλησι; employés dans certains actes à propos du
transport de la cochenille notamment (8).
Quelle différence y a-t-il entre Γίμβλησις et Γίκβλησις d'une part, Γέμβλητικίοκ et
Γΐξίμβλητικίον de l’autre ? On conçoit facilement que Γίμβλησις puisse désigner l’embar­
quement des fournitures publiques et Γίκβλησις leur débarquement, ί’έμβλητιζίον et
Γίξ«μβλητ«ίον seraient ]>eut-être alors des taxes de remplacement que payaient les
marins au lieu de collaborer effectivement à ces travaux. Il en serait de même de
Ι’ίκπροσωπίκιον (g).
Dans un certain nombre de textes, on trouve parmi les impôts le naulon (10) et
/’anlinaulon (11). D’après Nicétas Choniate, Vantinaulon aurait été imposé aux marins
par Alexis III Ange (12) ; mais nous constatons que cet impôt existait déjà au temi»
d’Alexis Comnène en 1102. Pour essayer de déterminer la nature de Vantinaulon et du
naulon, on peut se rappeler que dans la terminologie administrative, ce mot désignait
naguère l’impôt payé par tout propriétaire foncier, en Egypte, pour assurer le trans-

(1) Chrysobullc de Ï4»vra : εΐοαγωγής συνωνής, έμβλήσεως γενημάτων, οίνου, χρεών, ύσπρίων καί παντοίων άλ)ων
ε18ών, πανοπλίας στρατιωτικής, σιδήρων... πρύς καί ξυλής έργασίμης re καί χαυσίμης, στραβοξυλής τής πρύς τά κάτεργα
καί πλοία. Ci. Id., ρ. 20. dans une liste d’impôts et charges : κτίσεως χελανδίων, άγραρίων, ζερμώνων καί έτέρων
πλοίων et ρ. 121 ; πλωΐμων έκβολής ; Zacharia* von Lingcnthal. Jus çrafe-romanum. III, ρ. 432 : έλχομένων είς
άπόδοσις πλωίμων καί λοιπών ϋςμοσιαχων έπηρείων ; ρ. 571 : έζβλάσεως πλωίμων.
U) Miklosich et Müller, op. cit., ρ. 52, 138.
(3) Νέος 'Ελληνομνήμων, IX, 1912, ρ. ι66.
άλλα καί είπερ ποτά κοινή τις περίστασις έπιγέν^ται τή ^ωμαΐκή έπικρατεία καί &ά προστάξεως ίσως έπηρεασ·
(5) Miklosich et Müller. ef>. cit.. p. 13-, 138.
(6) ούτε μήν ol κατά καιρούς ένεργούντες έν τώ στολώ ή έτέραν οίανβήτινα αρχήν έμπεπιστευμίνοι λήφονται άπύ των
τοιοΰτων πλοίων ναύτας χάριν άγγαρείας.
(7) Chrysobullc de ì-avra : cf. Miklosich et Müller, op. cit., p. 225: έκβλητιχίοι», έκβλητρικίου ; Chilandar.

(9) Miklosich et Müller, op. cit.. p. 166, 225.

/12) P. 639 de l’édition de Bonn.


282 MÉLANGES DIEHL

|H>rt de Γίμβολή, du blé fourni par la province à Constantinople (i). Plus tard la ter­
minologie a changé, la fourniture du blé s’appelle συνωνή ; cependant, au xiii® siècle
encore, il existe un rapport entre la fourniture du blé et le nanlon (2). Quelle diffé­
rence y a-t-il entre le nattlon et l'anlinaulon? Si le premier ternie s’appliquait au trans­
port effectif du blé, on concevrait facilement que Vanlinanlon désignât la taxe de rem­
placement payée en csjièces par les contribuables pour se racheter d’avoir à travailler
à ce transport et Vanlinanlon eût été au nanlon ce que Γάντικανισκίον était au κα-,ισκίον,
ce que les άντιμιτατίκια étaient aux melala. Mais, dès l’origine, le nanlon lui-même était
payé en espèces et dans le texte du Vatican il paraît s’opposer au transport effectif
ou ιίσχγωγή. Faut-il donc supposer que les mots nanlon et antinaulon étaient employés
indifféremment au xn® et au xiii® siècle pour désigner la taxe de remplacement ? On
pourrait d’autant mieux le penser que dans les textes on trouve tantôt le premier ternie,
tantôt le second. Une chose est certaine c’est que Vanlinanlon était proportionnel
au tonnage imposable du bateau (3).
Aux impôts de ce premier groupe se rattachent sans doute les droits que payaient
les bateaux dans les ports pour y aborder (καταρτιχτικόν) (4) et pour y mouiller (λιμονα-
τικόν) (5). Sous les Paléologues, ce droit d’abordage se confond avec le nanlon en un seul
impôt le νχυλοκαταρτιατίκόν (6). Il faut mentionner enfin le droit d’échelle le σκαλιστι­
κόν (7). On comprend que le droit d’échelle ait été différent du καταρτιατικόν pu droit de
quai, puisque les σκάλαι servaient aux marchands, non seulement de quai de débarque­
ment, mais d’entrepôts pour leurs marchandises et qu’on y concluait semble-t-il des mar­
chés (8) ; les fonctionnaires préposés à leur surveillance peuvent exiger des impôts des
bateaux marchands et il semblerait, sinon à Constantinople, du moins dans les petits
ports du Levant, que le fonctionnaire ayant autorité sur la scala fût le commer-
ciaire (9). On est ainsi frappé de l’analogie qui existe entre les scalae et les melala du
début du IX® siècle (10) sur ces deux points : les scalae sont à la fois des entrepôts
pour les marchandises et des lieux d’échange. Sans doute elles ne comportent pas,
comme les melala ou les fundici de Sicile, des logements pour les commerçants étrangers,

των κακαβιών (Miklôsich cl Müller, op. cil., v. p. 166).


(2) Χίο; Έλληνυμνήμων, IX, 1912, p. 168: άφβΟχι TtOf.vn αυτά ck τήν είααγωγην (Γ,ινωνήν βασιλικήν, άνευ
(j) W·. Ρ· Ι7Ι · λογίζτβΟαι ck χώρησιυ μοδίων καί άπαιτίΐσΟαι τύ 4ναλογυΰν άντίναυλον.
(q) Miklosich et Müller, op. cil., p. 166.
(5) Chrysobullc <lc Lavra : λιμεν*.αηκ4ν : Zachariæ von Lingcnthal, Jus gracoromanum, III. p. 436, 521 :
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et, d’autre part, lorsque les basilcis accordent des « échelles » aux marchands italiens, ils
leur accordent, en outre, des habitationset des locaux pour la vente (1). Peut-être faut-il
en conclure que seulement certains échanges en gros se faisaient dans les « échelles ».
Le σκαλιβτικό» dont sont dispensés les moines était-il alors un droit d’entrée payé par les
acheteurs qui pénétraient dans les « échelles », soit par terre, soit par mer ? Portait-il
comme le jus /undici sur les marchandises achetées et faut-il le rattacher non plus aux
impôts qui grèvent le bateau lui-même, mais à ceux qui frappent les marchandises qu’il
transporte ? S’il en est ainsi, les moines de Patmos ou de Lavra venant directement par
mer dans les échelles pour s’y approvisionner, comme auraient pu le faire des négociants,
auraient eu le droit d’y acheter des produits sans payer le σκαλιατικό·?.
Parmi les impôts frappant la cargaison, le commercium et la décati sont bien connus
et figurent dans un grand nombre de textes. Le rôle des commerciaires, d’abord agents
commerciaux, puis collecteurs d’impôts, a été éclairci et l’on sait qu’au début du
ix® siècle, on commence à nommer κομμίρκων les deux catégories de l’impôt indirect :
l’impôt sur la vente et l’impôt sur la circulation (2). Plus tard, la même imprécision
subsiste dans l’emploi de ce terme : alors que dans certains textes le mot peut désigner
une taxe sur la transaction (3) ; dans d’autres, il a nettement le sens d’impôt sur la
circulation des marchandises et s’applique aux droits d’entrée et de sortie (4). On
serait ainsi amené à croire qu’il portait sur la circulation. Le flottement que l’on
constate toujours dans son emploi ne tiendrait-il pas à ce fait que, dans la pratique, on
n’avait guère lieu d’envisager le transport des marchandises en faisant abstraction des
négociations dont elles avaient été l’objet. Les patrons des navires marchands faisaient à
la fois le transport et le commerce ; et, d’autre part, les objets vendus ou achetés dans
les échelles de l’Empire byzantin venaient du dehors ou étaient destinées à en sortir.
C’est ainsi que les moines de Patmos et de Lavra exportent les provisions qu’ils vont
chercher avec leurs bateaux et devraient, en conséquence, payer le commercium pour leur
cargaison s’ils ne jouissaient du privilège d’exemption. Lorsqu'ils sont autorisés à acheter
du blé en Crète, par exemple, ils peuvent l’emporter sans payer le commercium (5).
A côté du commercium, parmi les impôts dont sont exemptés les moines, figure la
δέκατη (6) OU δεκατία (7) OU δεκατισμόν (8). Il semble bien que cette taxe porte uni-
(1) Cf. par exemple, Miklosich et
èv ή μέλλουσι xaralpciv τά πλοία υμών

sepa τρία: c(. id., p. 636. 640 (chrysobullcs d'Andronic Paltologuc).


(5) Miklosich et Müller, ep. cit., VI, p. 118. 14t.
(6) Cinnamc, éd. de Bonn, p. 281 : τάς κατ’ ίμπόρναν ίβκάτας.
(7) Miklosich et Müller, op. dr., VI, p. 122, 128, 138, 139; Zachariæ von Lingcnthal, Jus, III, p. 636:
Chilandar, n° 3, 1. 55.
(8) Chrysobulle do Lavra.
LES TAXES MARITIMES ET COMMERCIALES 2Ö5

quelque peu, il devient l’équivalent des divers termes qui désignent les charges
frappant les contribuables en dehors des impôts généraux ou δημίσια (i).

§ 3. — Les fonctionnaires intéressés par les taxes maritimes et commerciales.

Un certain nombre de fonctionnaires de l’administration centrale et provinciale


interviennent à propos des charges qui grèvent les bateaux et leur cargaison.
En premier lieu, nous voyons agir la secrète de la mer qui enregistre les chrysobulles
d’exemption, prend l’initiative et la direction du jaugeage des bateaux, rédige l’acte qui
valide l’examen et la remise de l’embarcation à son propriétaire. La secrète de la mer
est composée de notaires qui signent ses actes et d’èXawraipoyoi (2). Quel est le rôle de ces
derniers ? Il est bien question, dans les instructions relatives au jaugeage, d’une mesure
de capacité, dite έλαΐκίν μέτρον. Existait-il quelque rapport entre Γέλαΐκίν μέτρον et les
έλαιοπάροχοι et le nom de ces derniers n’était-il pas plutôt έλαίκοπάροχοι? Il est vrai que s’ils
avaient été préposés à la garde ou au contrôle des mesures de capacité, on pourrait
s’étonner qu’on leur ait donné le nom d’une seule des mesures envisagées à propos du
jaugeage des bateaux avec le θαλάσσιος μίδιος, le θαλάσσιον οίνηγίν, le θαλάσσιος καμπανίς β).
Quant aux parathalassites qui s’occupent, comme on le sait, de la police de
la mer, ils dépendent au Xe siècle, d’après le Clétorologe de Philothée, du préfet de la
ville (4). Us signent les praxeis promulguées par la secrète de la mer et figurent dans
les actes parmi ceux qui ne devront rien exiger des exemptés (5). Percevaient-ils
des impôts indirects ou leur rôle se bornait-il à assurer la police de la mer ? Dans ce cas,
la συνήΟιια qu’ils reçoivent serait de même nature que la συνήθ«ια qui était payée naguère,
au VIe siècle, par les patrons des bateaux, aux marins de la flotte qui gardaient l’Helles-
pont (6). Dans la Notice de Philothée, il n’est question que d’un seul parathalassite ;
de même dans le chrysobulle de Lavra, qui est de l’année 1102, où le parathalassite
a un représentant (7). Dans la praxis de la secrète de la mer, qui est de 1188, deux

>13.
’4». o
286 MÉLANGES DIEHL

parathalassites signent l’acte. Les épitérètes de la mer, les ίξαγγελισταί et les λιμευάριοι
paraissent dépendre du parathalassite (x). On peut se demander enfin quels sont exac­
tement les rapports du parathalassite et de la secrète de la mer. Tout ce que l’on
peut dire de certain, c’est que ces rapports doivent être assez étroits, puisque dans
un acte de Patmos, on trouve parmi les signataires un personnage, Constantin
Schoinas, qui est à la fois notaire de la secrète et parathalassite (2).
L’administration du logothète du drome est directement intéressée par tout
ce qui concerne les άγγαρεϊαι; aussi voyons-nous, lors de l’opération du jaugeage des
bateaux tie Patmos, que l’un des deux fonctionnaires qui « tiennent la corde » est le
représentant du logothète du drome, Constantin Tornikès (3). Ce dernier figure égale­
ment à la suite d’un acte relatif à l’exemption des bateaux du monastère (4). On sait,
d’autre part, que les navires des Vénitiens jouissant du privilège de l’exemption des
droits ne peuvent être examinés et mesurés que par le seul logothète du drome (5).
Lors de la cérémonie du jaugeage, l’un des fonctionnaires de la secrète de la mer
représenterait le βεστιαρίτης. Μ Dölger (6) pense qu’il faut corriger la lecture du texte
et qu’il s’agit ici, en réalité du βεστιάριου : si c’était un βεστιαρίτι^, qui figure dans ce
'passage, étant donné le nombre des collègues de ce fonctionnaire, il ne serait pas
ainsi nommé sans l’indication de son nom comme le βεστιαρίτη;. A cela on peut répondre
que si l’on examine une autre praxis où l’on retrouve la même formule (7), on voit
que le fonctionnaire en question est bien nommé Eustathe Kastamonitès dans les
deux textes et qu’il suffit en réalité de supprimer la virgule entre τού Ευσταθίου et τοΰ
Κασταμονίτου dans le second texte. Il n’en est pas moins vrai qu’il est plus satisfaisant de
voir le βεστιάριου plutôt que le βεστιαρίτη; dans ces deux passages. C’est l’une des grandes
administrations centrales des finances que l’on s’attend à voir représentée ici à côté
du logothète du drome, plutôt qu’un fonctionnaire d’importance bien relative, et il
est logique que cette administration soit le βεστιάριου. On sait que les fournitures pour
l’armée et pour la flotte y sont centralisées et que des liens étroits ont toujours subsisté
entre le βεστιάριου et la marine (8). Le mot πρωτοελατικόυ qui est employé pour désigner
LES TAXES MARITIMES ET COMMERCIALES 287

les pouvoirs du représentant du βεστιάριον, dans les deux textes en question, semble­
rait montrer que ce représentant agit en qualité de protélate, de premier maître des
rameurs, dont les fonctions sont connues dans la marine byzantine (i). Si on compare
ce passage à celui où il est question du représentant du logothète du drome, dans
les trois praxeis de Patmos, on voit que le ternie qui désigne les pouvoirs de ce repré­
sentant est πρωτομανδχτορικίν ; or, il y avait justement des mandatores sous les ordres
du logothète du drome (2) et il se pourrait bien que, par analogie, un protélate, agis­
sant d’ailleurs par procuration dans le cas qui nous occupe, fût un délégué du βεστιάριου ;
de même que le ■protomandator, également représenté par un autre fonctionnaire, eût
été le délégué du logothète du drome. Aux services placés sous la direction de ce
dernier, incombait spécialement le soin d’assurer le transport forcé des fournitures
civiles, tandis que les employés du βεστιάριον s’occupaient des fournitures destinées à
l’armée et plus particulièrement à la marine, les armes et le bois de construction pour
les navires, par exemple, qui sont mentionnés dans nos textes.
Le grand sacellaire, le logothète τοΰ γενικού et le grand logariastc interviennent
au sujet des exemptions accordées aux bateaux de Patmos en ce sens que les chryso­
bulles relatifs à ces privilèges sont enregistrés dans leurs bureaux respectifs (3).
Le rôle du grand sacellaire s’expliquerait si l’on admet, qu’après avoir été supprimé
puis restauré, ce fonctionnaire est préposé au contrôle des comptes du βεστιάριον (4).
L’enregistrement à la secrète τού γενικού correspond à ce fait que les recettes du commer­
cium étaient versées à cette administration (5).
Quant au grand logariaste, sous Alexis III Ange, son rôle est nettement tracé : il
est chargé expressément de la surveillance (εφορεία) des bateaux de Patmos et, en outre,
il a pleins pouvoirs pour châtier les fonctionnaires qui ne respecteraient pas les
privilèges des moines, contrairement aux volontés impériales (6).
C’est à ce titre que le grand logariaste Jean Belissariotès écrit au duc de Crète,
Nicéphore Constostephanos, pour l’inviter à ne rien réclamer aux moines (7) ; une autre
fois (8), il écrit au même duc pour le prier de payer au monastère une somme donnée
par l’empereur sur les revenus de l’île avec laquelle ils achèteront des provisions
sans payer le commercium. Le logariaste agit ainsi comme intermédiaire entre le
pouvoir central et les fonctionnaires provinciaux pour la défense des intérêts des
moines et l’on ne saurait conclure que, dans l’administration financière, le grand loga­
riaste ait été investi de fonctions particulières au sujet des impôts sur la circulation et
le commerce. Cette sorte de tutelle d’un haut fonctionnaire sous laquelle sont placés
MÉLANGES DIEHL

les bateaux du monastère n’est pas chose nouvelle en soi. D’une façon générale, les
intérêts temporels de Lavra, par exemple, avaient été confiés par Constantin Mono-
maque à l'è—t τοΰ κανικλιίου qui devait notamment prendre la défense des moines contre
les percepteurs (i). Il se pourrait fort bien que le grand logariaste eût été chargé
de défendre tous les privilèges de Patmos et non pas seulement ceux dont jouissent
les bateaux du monastère : on ]>ossède, en effet, deux lettres d’un personnage, le grand
logariaste sans doute, adressées, la première au commerciaire d’Anaia, la seconde à
un autre fonctionnaire, ]>our leur enjoindre de ne pas molester les moines, soit au sujet
de leurs bateaux, soit au sujet de leurs parèques exemptés les uns et les autres (2)
L’auteur de ces lettres déclare agir en sa qualité d’éphore du monastère.
Dans le cas qui nous occupe, le basileus, n’estimant pas suffisant de mettre le
monastère sous le patronage actif d’un puissant fonctionnaire, a chargé le grand loga­
riaste de l’exécution des sanctions pénales dirigées contre les fonctionnaires trop avides.
Cette précaution ne devait pas être inutile au moment où Alexis III Ange, venant de
promulguer un ψήφισμα abrogeant toutes les exemptions relatives aux bateaux, main­
tenait cependant les privilèges de la flottile de Patmos (3).
Les fonctionnaires de l’administration provinciale affectés à la perception des
droits qui frappent les bateaux marchands et leur cargaison, se répartissent en divers
groupes correspondant aux groupes d’impôts.
Les taxes à percevoir dans les ports sont levées, sans doute, par des fonctionnaires
spéciaux, peut-être les limenarii. Le droit de réquisitionner les bateaux et leurs équi­
pages pour tous les transports au titre civil appartient aux employés du logothète
du drome, aux mandatores. Les ducs, catépans et taxéotes, les officiers de la flotte,
stratèges, turmarques, mérarques, ducs de la flotte, s’occupent de ce qui concerne les
fournitures pour l’armée et la marine (4), tel est évidemment le rôle du βεστιαρίτης cité
dans le texte de Lavra et connu, d’autre part, parses doubles fonctions d’officier et de
percepteur et qu’on voit lever notamment des matelots et des attelages (5).
Les impôts sur la circulation des marchandises et sur la vente, le commercium
et la décati, sont perçus par les commerciaires (6) et les dêcalisles (7), répartis dans
tout l’Empire.
Quant aux gratifications, συνήθεια et κανίσκια, elles sont payées par les marins aux
fonctionnaires pré|>osés sans doute à la police de la mer et à certains fonctionnaires
provinciaux peut-être.
De l’étude des textes de Patmos et de Lavra on peut conclure, semble-t-il, que les
ressources fournies au Trésor par les impôts et les charges pesant sur les navires

en réclamer <lcs navires exemptés (Zachariæ von Lingentlial. Jus gr<rconmaHum. III. p. 306) ?
(7) Miklosich et Müller. o/>. cil.. VI. p. 13S : chrvs. de I-avra.
LES TAXES MARITIMES ET COMMERCIALES 289

marchands et leur cargaison constituaient un sérieux appoint pour le Trésor et que le


soin de leur perception tenait une place, somme toute assez considérable, dans l’admi­
nistration des finances au temps des Comnènes et des Anges. Celle-ci semble à ce propos
être dominée par deux faits. Tout d’abord, c'est le développement des gratifications
payées par les contribuables aux fonctionnaires en sus des impôts. Le système s’est
constitué peu à peu au cours des siècles ; pour les ίημόσια, il a pris toute son ampleur
au temps des Comnènes et le système des quatre suppléments est alors régulièrement
constitué. Les choses n’en sont pas à ce point pour les impôts indirects ; mais ceux qui
doivent ces derniers n’en sont pas moins obligés de verser les κανίσκια, la συνήθεια, le πρακ­
τορικόν et 1’άρχοντικόν à divers fonctionnaires. Ne faut-il pas voir dans ces faits la marque
d’une lente évolution qui trahit le malaise des finances byzantines ? En second lieu,
l’octroi d’exemptions de plus en plus nombreuses est préjudiciable à l’Etat et
complique outre mesure le jeu de l’administration. Pour ce qui concerne les bateaux,
le dommage qui en résultait pour le Trésor est devenu tel qu’Alexis III Ange doit
supprimer toutes les exemptions.
Au point de vue pratique, celles-ci déchaînent une véritable lutte soutenue par les
basileis, impuissants à faire respecter les privilèges qu’ils ont octroyés, contre l’avidité
tenace des percepteurs. Malgré toutes les précautions prises dans les chrysobulles
contre les sophismes et les mauvais prétextes dont ceux-ci ont coutume d’user (1),
des rappels à l’ordre adressés aux fonctionnaires provinciaux par l’autorité centrale,
nous montrent les moines molestés en dépit des privilèges impériaux. Les chrysobulles
qu’ils ont obtenus nécessitent confirmation sur confirmation. Bien que l’immunité
leur soit accordée pour tout l’Empire, les bateaux des couvents rencontrent des percep­
teurs prétendant que la franchise ne s’étend pas à leur district et l’empereur doit
intervenir pour détailler la liste des ports où les moines auront le droit d’aborder sans
être inquiétés (2). Aux injonctions d’ordre religieux, le basileus doit, dans les chryso­
bulles, ajouter des clauses comminatoires d’ordre temporel, des amendes (3), et fina­
lement placer la flotte de Patmos sous la tutelle menaçante du grand logariaste.
La fonction extraordinaire dont est ainsi revêtu ce haut dignitaire des finances
révèle l’incurable faiblesse des institutions régulières ; elle rappelle quelque peu l’expé­
dient auquel recouraient naguère les empereurs en créant le defensor civitatis pour
remédier à l’inutilité de leurs constitutions.
Cette âpreté des fonctionnaires ne s’exerce évidemment pas sur les seuls bateaux
des monastères ; tous les commerçants en sont victimes et l’on comprend mieux encore
en voyant les lourdes charges qui leur incombent, les haines qui les animaient parfois
contre le Latin détesté, autorisé de par la faveur impériale à commercer librement
dans les échelles de l’Empire.
Paris. Germaine ROUILLARD.

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