Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Parmi les exemptions d’impôts dont bénéficient les monastères dans l'Empire
byzantin, il en est qui sont relatives, non pas aux terres et aux parèques, comme c’est
généralement le cas, mais aux bateaux des moines. Certains monastères, ooligés par
leur situation d’aller se ravitailler au dehors, disposent en effet d’une flottille. Tel
est le cas du monastère de Patmos et de Lavra au mont Athos ; aussi trouve-t-on dans
leurs archives des pièces concernant le privilège qu’ont leurs bateaux de naviguer en
pleine et entière franchise, libres de toutes les charges et impôts dont sont redevables
les navires des commerçants (i).
Les privilèges analogues accordés plus ou moins largement par les basileis aux
marchands occidentaux vénitiens, génois, pisans ou catalans, suivant les fluctuations
de la politique extérieure sont bien connus et les chrysobulles, où ils sont énumérés,
permettent d’entrevoir quelque peu le régime fiscal auquel étaient soumis non
seulement les commerçants étrangers, mais aussi les propres sujets de l’Empire
byzantin.
Les textes de Patmos et le texte de Lavra que nous nous proposons d’examiner
apportent sur ce dernier point quelques renseignements supplémentaires, et contri
buent ainsi à la connaissance de toute une série d’impôts assez mal connus qui
n’entrent pas dans la catégorie des impôts généraux (δημόσια), c’est-à-dire les impôts
indirects, les prestations en nature et les corvées. Ces textes permettent aussi de
suivre d’assez près la procédure usitée en cas d’exemption et d’indiquer, au
les grandes lignes, quels services administratifs étaient intéressés à la <lcs
impôts pesant sur la marine marchande.
278 MÉLANGES DIEHL
Un fait sc dégage nettement de l’examen des textes : tout bateau possédé par
un particulier est sujet à l’impôt et est inscrit de ce chef sur les registres de l’admi
nistration financière. Dans les textes relatifs aux exemptions dont jouit le monastère
de Patmos, il est dit, en effet, que les moines pourront posséder tel nombre de bateaux,
d’un tonnage déterminé qui seront ignorés du fisc (ανεπίγνωστων τώ δημοαίω) (i) non
inscrits sur les registres publics (μή καταγεγραμμίνων τοϊ; δημοσιαζοϊζ κώδιζιν) (2).
Dans le cas où ces bateaux seraient devenus inutilisables, parsuitede leur mauvais
état, ou s’ils faisaient naufrage, les moines seront autorisés à les remplacer par des
bateaux d’un tonnage égal (3) et il est stipulé que cette autorisation sera valable non
pas une fois ou deux, mais une fois pour toutes.
L’inscription des bateaux sur les registres du fisc est naturellement un fait essen
tiel ; aussi, lorsqu’une embarcation est exemptée des impôts, toute une procédure est
nécessaire pour régulariser sa non-inscription sur les rôles. On saisit bien l’impor
tance de la chose en voyant avec quelle précise minutie et quelle solennité même on
agit dans ce dernier cas. On connaît les détails de l’opération par trois actes provenant
des bureaux de la secrète de la mer relatifs aux bateaux de Patmos (4).
Les moines ayant obtenu du basileus un chrysobulle d’exemption, la pièce est
enregistrée dans les bureaux du grand sacellaire, du grand logariaste, du logothète
τού γενικού et de la secrète de la mer (5).
La secrète de la mer ayant été ainsi avisée (6), procède, sur la demande de l’higou-
mène et des moines, à 1’ « examen habituel ». Elle s’est livrée d’abord à une enquête
préalable relative à la propriété du bateau en question (7). Cette enquête a, sans doute,
pour but d’éviter les fraudes et de dépister l’ingéniosité des commerçants qui auraient
songé à faire circuler leurs bateaux sans bourse délier, en les faisant entrer tout simple
ment dans la flotille d’un monastère. L’opération dont le bateau est l'objet a un double
but : i° le bateau doit être jaugé (ίξαμωΟήναι) ; 2° il doit être délivré légalement
à ses propriétaires (παραδοΟήν»), qui le tiennent ainsi en quelque sorte de la secrète
de la mer.
Le bateau étant au mouillage, les fonctionnaires de la secrète se rendent sur
place et l’examen a lieu en leur présence et en présence de l’higoumène et des moines
représentant le monastère. L’un des fonctionnaires de la secrète agit comme délégué
I : ν,μεϊε h άζριβιϊ
LES TAXES MARITIMES ET COMMERCIALES 279
§2. — Les charges el les impôts pesant sur les bateaux, leur équipage et leur cargaison
άνατολήν
LES TAXES MARITIMES ET COMMERCIALES 281
(1) Chrysobullc de Ï4»vra : εΐοαγωγής συνωνής, έμβλήσεως γενημάτων, οίνου, χρεών, ύσπρίων καί παντοίων άλ)ων
ε18ών, πανοπλίας στρατιωτικής, σιδήρων... πρύς καί ξυλής έργασίμης re καί χαυσίμης, στραβοξυλής τής πρύς τά κάτεργα
καί πλοία. Ci. Id., ρ. 20. dans une liste d’impôts et charges : κτίσεως χελανδίων, άγραρίων, ζερμώνων καί έτέρων
πλοίων et ρ. 121 ; πλωΐμων έκβολής ; Zacharia* von Lingcnthal. Jus çrafe-romanum. III, ρ. 432 : έλχομένων είς
άπόδοσις πλωίμων καί λοιπών ϋςμοσιαχων έπηρείων ; ρ. 571 : έζβλάσεως πλωίμων.
U) Miklosich et Müller, op. cit., ρ. 52, 138.
(3) Νέος 'Ελληνομνήμων, IX, 1912, ρ. ι66.
άλλα καί είπερ ποτά κοινή τις περίστασις έπιγέν^ται τή ^ωμαΐκή έπικρατεία καί &ά προστάξεως ίσως έπηρεασ·
(5) Miklosich et Müller. ef>. cit.. p. 13-, 138.
(6) ούτε μήν ol κατά καιρούς ένεργούντες έν τώ στολώ ή έτέραν οίανβήτινα αρχήν έμπεπιστευμίνοι λήφονται άπύ των
τοιοΰτων πλοίων ναύτας χάριν άγγαρείας.
(7) Chrysobullc de ì-avra : cf. Miklosich et Müller, op. cit., p. 225: έκβλητιχίοι», έκβλητρικίου ; Chilandar.
|H>rt de Γίμβολή, du blé fourni par la province à Constantinople (i). Plus tard la ter
minologie a changé, la fourniture du blé s’appelle συνωνή ; cependant, au xiii® siècle
encore, il existe un rapport entre la fourniture du blé et le nanlon (2). Quelle diffé
rence y a-t-il entre le nattlon et l'anlinaulon? Si le premier ternie s’appliquait au trans
port effectif du blé, on concevrait facilement que Vanlinanlon désignât la taxe de rem
placement payée en csjièces par les contribuables pour se racheter d’avoir à travailler
à ce transport et Vanlinanlon eût été au nanlon ce que Γάντικανισκίον était au κα-,ισκίον,
ce que les άντιμιτατίκια étaient aux melala. Mais, dès l’origine, le nanlon lui-même était
payé en espèces et dans le texte du Vatican il paraît s’opposer au transport effectif
ou ιίσχγωγή. Faut-il donc supposer que les mots nanlon et antinaulon étaient employés
indifféremment au xn® et au xiii® siècle pour désigner la taxe de remplacement ? On
pourrait d’autant mieux le penser que dans les textes on trouve tantôt le premier ternie,
tantôt le second. Une chose est certaine c’est que Vanlinanlon était proportionnel
au tonnage imposable du bateau (3).
Aux impôts de ce premier groupe se rattachent sans doute les droits que payaient
les bateaux dans les ports pour y aborder (καταρτιχτικόν) (4) et pour y mouiller (λιμονα-
τικόν) (5). Sous les Paléologues, ce droit d’abordage se confond avec le nanlon en un seul
impôt le νχυλοκαταρτιατίκόν (6). Il faut mentionner enfin le droit d’échelle le σκαλιστι
κόν (7). On comprend que le droit d’échelle ait été différent du καταρτιατικόν pu droit de
quai, puisque les σκάλαι servaient aux marchands, non seulement de quai de débarque
ment, mais d’entrepôts pour leurs marchandises et qu’on y concluait semble-t-il des mar
chés (8) ; les fonctionnaires préposés à leur surveillance peuvent exiger des impôts des
bateaux marchands et il semblerait, sinon à Constantinople, du moins dans les petits
ports du Levant, que le fonctionnaire ayant autorité sur la scala fût le commer-
ciaire (9). On est ainsi frappé de l’analogie qui existe entre les scalae et les melala du
début du IX® siècle (10) sur ces deux points : les scalae sont à la fois des entrepôts
pour les marchandises et des lieux d’échange. Sans doute elles ne comportent pas,
comme les melala ou les fundici de Sicile, des logements pour les commerçants étrangers,
quelque peu, il devient l’équivalent des divers termes qui désignent les charges
frappant les contribuables en dehors des impôts généraux ou δημίσια (i).
>13.
’4». o
286 MÉLANGES DIEHL
parathalassites signent l’acte. Les épitérètes de la mer, les ίξαγγελισταί et les λιμευάριοι
paraissent dépendre du parathalassite (x). On peut se demander enfin quels sont exac
tement les rapports du parathalassite et de la secrète de la mer. Tout ce que l’on
peut dire de certain, c’est que ces rapports doivent être assez étroits, puisque dans
un acte de Patmos, on trouve parmi les signataires un personnage, Constantin
Schoinas, qui est à la fois notaire de la secrète et parathalassite (2).
L’administration du logothète du drome est directement intéressée par tout
ce qui concerne les άγγαρεϊαι; aussi voyons-nous, lors de l’opération du jaugeage des
bateaux tie Patmos, que l’un des deux fonctionnaires qui « tiennent la corde » est le
représentant du logothète du drome, Constantin Tornikès (3). Ce dernier figure égale
ment à la suite d’un acte relatif à l’exemption des bateaux du monastère (4). On sait,
d’autre part, que les navires des Vénitiens jouissant du privilège de l’exemption des
droits ne peuvent être examinés et mesurés que par le seul logothète du drome (5).
Lors de la cérémonie du jaugeage, l’un des fonctionnaires de la secrète de la mer
représenterait le βεστιαρίτης. Μ Dölger (6) pense qu’il faut corriger la lecture du texte
et qu’il s’agit ici, en réalité du βεστιάριου : si c’était un βεστιαρίτι^, qui figure dans ce
'passage, étant donné le nombre des collègues de ce fonctionnaire, il ne serait pas
ainsi nommé sans l’indication de son nom comme le βεστιαρίτη;. A cela on peut répondre
que si l’on examine une autre praxis où l’on retrouve la même formule (7), on voit
que le fonctionnaire en question est bien nommé Eustathe Kastamonitès dans les
deux textes et qu’il suffit en réalité de supprimer la virgule entre τού Ευσταθίου et τοΰ
Κασταμονίτου dans le second texte. Il n’en est pas moins vrai qu’il est plus satisfaisant de
voir le βεστιάριου plutôt que le βεστιαρίτη; dans ces deux passages. C’est l’une des grandes
administrations centrales des finances que l’on s’attend à voir représentée ici à côté
du logothète du drome, plutôt qu’un fonctionnaire d’importance bien relative, et il
est logique que cette administration soit le βεστιάριου. On sait que les fournitures pour
l’armée et pour la flotte y sont centralisées et que des liens étroits ont toujours subsisté
entre le βεστιάριου et la marine (8). Le mot πρωτοελατικόυ qui est employé pour désigner
LES TAXES MARITIMES ET COMMERCIALES 287
les pouvoirs du représentant du βεστιάριον, dans les deux textes en question, semble
rait montrer que ce représentant agit en qualité de protélate, de premier maître des
rameurs, dont les fonctions sont connues dans la marine byzantine (i). Si on compare
ce passage à celui où il est question du représentant du logothète du drome, dans
les trois praxeis de Patmos, on voit que le ternie qui désigne les pouvoirs de ce repré
sentant est πρωτομανδχτορικίν ; or, il y avait justement des mandatores sous les ordres
du logothète du drome (2) et il se pourrait bien que, par analogie, un protélate, agis
sant d’ailleurs par procuration dans le cas qui nous occupe, fût un délégué du βεστιάριου ;
de même que le ■protomandator, également représenté par un autre fonctionnaire, eût
été le délégué du logothète du drome. Aux services placés sous la direction de ce
dernier, incombait spécialement le soin d’assurer le transport forcé des fournitures
civiles, tandis que les employés du βεστιάριον s’occupaient des fournitures destinées à
l’armée et plus particulièrement à la marine, les armes et le bois de construction pour
les navires, par exemple, qui sont mentionnés dans nos textes.
Le grand sacellaire, le logothète τοΰ γενικού et le grand logariastc interviennent
au sujet des exemptions accordées aux bateaux de Patmos en ce sens que les chryso
bulles relatifs à ces privilèges sont enregistrés dans leurs bureaux respectifs (3).
Le rôle du grand sacellaire s’expliquerait si l’on admet, qu’après avoir été supprimé
puis restauré, ce fonctionnaire est préposé au contrôle des comptes du βεστιάριον (4).
L’enregistrement à la secrète τού γενικού correspond à ce fait que les recettes du commer
cium étaient versées à cette administration (5).
Quant au grand logariaste, sous Alexis III Ange, son rôle est nettement tracé : il
est chargé expressément de la surveillance (εφορεία) des bateaux de Patmos et, en outre,
il a pleins pouvoirs pour châtier les fonctionnaires qui ne respecteraient pas les
privilèges des moines, contrairement aux volontés impériales (6).
C’est à ce titre que le grand logariaste Jean Belissariotès écrit au duc de Crète,
Nicéphore Constostephanos, pour l’inviter à ne rien réclamer aux moines (7) ; une autre
fois (8), il écrit au même duc pour le prier de payer au monastère une somme donnée
par l’empereur sur les revenus de l’île avec laquelle ils achèteront des provisions
sans payer le commercium. Le logariaste agit ainsi comme intermédiaire entre le
pouvoir central et les fonctionnaires provinciaux pour la défense des intérêts des
moines et l’on ne saurait conclure que, dans l’administration financière, le grand loga
riaste ait été investi de fonctions particulières au sujet des impôts sur la circulation et
le commerce. Cette sorte de tutelle d’un haut fonctionnaire sous laquelle sont placés
MÉLANGES DIEHL
les bateaux du monastère n’est pas chose nouvelle en soi. D’une façon générale, les
intérêts temporels de Lavra, par exemple, avaient été confiés par Constantin Mono-
maque à l'è—t τοΰ κανικλιίου qui devait notamment prendre la défense des moines contre
les percepteurs (i). Il se pourrait fort bien que le grand logariaste eût été chargé
de défendre tous les privilèges de Patmos et non pas seulement ceux dont jouissent
les bateaux du monastère : on ]>ossède, en effet, deux lettres d’un personnage, le grand
logariaste sans doute, adressées, la première au commerciaire d’Anaia, la seconde à
un autre fonctionnaire, ]>our leur enjoindre de ne pas molester les moines, soit au sujet
de leurs bateaux, soit au sujet de leurs parèques exemptés les uns et les autres (2)
L’auteur de ces lettres déclare agir en sa qualité d’éphore du monastère.
Dans le cas qui nous occupe, le basileus, n’estimant pas suffisant de mettre le
monastère sous le patronage actif d’un puissant fonctionnaire, a chargé le grand loga
riaste de l’exécution des sanctions pénales dirigées contre les fonctionnaires trop avides.
Cette précaution ne devait pas être inutile au moment où Alexis III Ange, venant de
promulguer un ψήφισμα abrogeant toutes les exemptions relatives aux bateaux, main
tenait cependant les privilèges de la flottile de Patmos (3).
Les fonctionnaires de l’administration provinciale affectés à la perception des
droits qui frappent les bateaux marchands et leur cargaison, se répartissent en divers
groupes correspondant aux groupes d’impôts.
Les taxes à percevoir dans les ports sont levées, sans doute, par des fonctionnaires
spéciaux, peut-être les limenarii. Le droit de réquisitionner les bateaux et leurs équi
pages pour tous les transports au titre civil appartient aux employés du logothète
du drome, aux mandatores. Les ducs, catépans et taxéotes, les officiers de la flotte,
stratèges, turmarques, mérarques, ducs de la flotte, s’occupent de ce qui concerne les
fournitures pour l’armée et la marine (4), tel est évidemment le rôle du βεστιαρίτης cité
dans le texte de Lavra et connu, d’autre part, parses doubles fonctions d’officier et de
percepteur et qu’on voit lever notamment des matelots et des attelages (5).
Les impôts sur la circulation des marchandises et sur la vente, le commercium
et la décati, sont perçus par les commerciaires (6) et les dêcalisles (7), répartis dans
tout l’Empire.
Quant aux gratifications, συνήθεια et κανίσκια, elles sont payées par les marins aux
fonctionnaires pré|>osés sans doute à la police de la mer et à certains fonctionnaires
provinciaux peut-être.
De l’étude des textes de Patmos et de Lavra on peut conclure, semble-t-il, que les
ressources fournies au Trésor par les impôts et les charges pesant sur les navires
en réclamer <lcs navires exemptés (Zachariæ von Lingentlial. Jus gr<rconmaHum. III. p. 306) ?
(7) Miklosich et Müller. o/>. cil.. VI. p. 13S : chrvs. de I-avra.
LES TAXES MARITIMES ET COMMERCIALES 289