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VSE : VIE & SCIENCES ECONOMIQUES 13

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LA CRISE : LEVIER STRATEGIQUE D’APPRENTISSAGE


ORGANISATIONNEL
Par Julie BOUMRAR
Doctorante, Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines,
ATER, Université Rennes 2

Résumé :

Dans la littérature managériale, il existe une dichotomie concernant le concept de


crise : elle est, soit considérée comme un événement, soit comme un processus.
En considérant la crise comme un processus, il est possible de constater qu’elle a
une histoire. En amont, il est important de savoir repérer les signaux déclencheurs
pour préparer l’organisation et ainsi minimiser les effets néfastes de la crise. La
gestion aval permet de gérer les conséquences en maximisant les effets positifs et
minimisant les effets négatifs. De cette manière, il est possible de capitaliser sur le
processus de crise qui représente une opportunité d’amélioration de l’organisation.
Dans ce contexte, les questions de gestion de crise et d’apprentissage
organisationnel paraissent centrales.

Mots clés : gestion de crise, interprétation de crise, connaissance,


apprentissage organisationnel

Abstract :

In managerial literature, it exists a dichotomy regarding crisis concept: either it is


considered as an occurrence or a process. If we think crisis as a process, we can
therefore notice it has history. Before crisis, it is important to know how to check
out causing signs in order to prepare the organization and minimize negative
effects of the crisis. Post crisis management allows to deal with consequences,
maximizing positive effects and reducing negative effects. In this way, it is possible
to capitalize on crisis process which represents an opportunity to improve the
organization. In this context, crisis management and organizational learning seem
to be central matters.

Keywords : Crisis management, crisis interpretation, knowledge,


organizational learning
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INTRODUCTION
Un grand nombre de recherches dans le domaine de la crise s’est focalisé sur la
gestion post crise pour engager de la prévention et ainsi éviter les catastrophes
futures. De cette manière, il paraît possible de minimiser les effets néfastes des
crises en les gérant habilement et en prévenant les suivantes : l’importance des
enjeux explique la focalisation des recherches sur la phase post crise. Sans nier le
fait que les différents courants de pensée -notamment ceux qui considèrent la crise
comme un évènement et ceux qui la considèrent comme un processus- sont
complémentaires, il nous a semblé intéressant d’essayer de lier ce concept à
l’apprentissage organisationnel. En effet, les recherches adoptant cette démarche
sont beaucoup moins nombreuses que les recherches traitant des crises et de
leurs conséquences néfastes sur l’organisation.
Nos travaux visent à mettre en relation crise et apprentissage organisationnel ;
plus particulièrement, nous essayons de comprendre comment une crise peut
permettre à une organisation de créer de nouvelles connaissances, de les diffuser
et de les incorporer. Cela sous-tend l’idée qu’une gestion de crise dans son
ensemble permet à l’organisation un apprentissage spécifique, mais réutilisable.
Pour mener à bien ce travail, nous nous sommes basés sur une revue non
exhaustive de la littérature sur la crise. Après avoir traité de la crise et sa gestion,
en passant par l’interprétation que s’en font les acteurs, nous essayons dans un
second temps de lier la crise à l’apprentissage organisationnel. Pour cela nous
faisons un bref rappel des concepts de création de connaissances et
d’apprentissage organisationnel. Ensuite, nous traitons des impacts des crises sur
l’apprentissage organisationnel et enfin, nous nous intéressons plus
particulièrement à la crise comme levier, mais aussi obstacle à l’apprentissage
organisationnel.

1. LA CRISE ET SA GESTION
La crise est une notion complexe ; c’est pourquoi nous avons décidé d’en étudier
les différentes composantes pour essayer de cerner cette notion avec un maximum
de précision. Nous commencerons par une approche définitionnelle. Pour cela,
nous nous appuierons sur des définitions usuelles qui nous permettront d’aboutir à
une approche orientée sciences de gestion. Dans un deuxième temps, nous
traiterons un point central des crises : leur interprétation. Ainsi, nous pourrons
conclure cette partie sur la gestion de crise.

1.1. APPROCHES USUELLES ET MANAGERIALES DE LA NOTION DE CRISE

La définition usuelle du « Robert », indique qu’il s’agit «d’une phase grave dans
l’évolution des choses, des événements, des idées », qui peut être illustrée par
celle du « Larousse », pour lequel la crise est « une phase difficile traversée par un
groupe social ». Ces deux définitions sont générales et ne peuvent pas s’appliquer
aux sciences de gestion sans examiner les différents termes. L’usage du mot
« phase » peut faire référence à chacun des changements et aspects successifs
d’un phénomène en évolution. La crise, d’après cette définition, peut donc
correspondre à une étape particulière d’un phénomène en évolution. Les adjectifs
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« grave » et « difficile » peuvent être connotés de manière négative, ils semblent


correspondre à des événements pénibles aux conséquences fâcheuses. En
considérant ces deux définitions, il est possible de dire que la crise est un
événement pénible aux conséquences fâcheuses qui s’insère dans un phénomène
en mouvement et qui implique des individus. Ce « décorticage » des définitions
usuelles permet de mieux cerner la notion générale de crise.
Cependant, il nous semble essentiel d’aborder la crise sous l’angle managérial. En
effet, l’étude des approches managériales pourra éventuellement donner plus de
relief aux définitions générales et ainsi faire émerger deux courants de pensée : la
crise pouvant être considérée comme un événement ou comme un processus. A
l’instar de certains auteurs, Hermann (1963) définit la crise comme « un
évènement surprenant les individus, restreignant leur temps de réponse et
menaçant leurs objectifs prioritaires ». Dans le même sens, Shrivastava & al.
(1988) la considèrent comme un « évènement à faible probabilité et à fort impact ».
Weick (1988) étoffe la citation précédente en ajoutant qu’elle « menace les buts
fondamentaux d’une organisation ». D’après ces auteurs, la crise peut
correspondre à un évènement ponctuel qui représente une menace pour
l’organisation difficile à anticiper, car la probabilité de sa survenance est faible mais
dont les conséquences sont fortes. Pour sa part Pauchant et Mitroff (1995) la
considèrent comme « une accumulation d’événements probables au niveau d’une
partie ou de l’organisation dans son ensemble et pouvant interrompre ses
opérations présentes ou futures en affectant les individus et les communautés à un
niveau physique, psychologique et/ou existentiel ». Pour Reilly (1993), la crise
correspond à « une situation nocive et perturbatrice de grande ampleur, soudaine,
consommatrice de ressources et qui s’inscrit généralement en dehors des cadres
opératoires et des schémas de références typiques des gestionnaires ». Dans le
même sens, Lagadec (2005) la définit comme «une situation où de multiples
organisations, aux prises avec des problèmes critiques, soumises à de fortes
pressions externes, d’âpres tensions internes, se trouvent brutalement et pour une
longue durée sur le devant de la scène… ». Selon Combalbert (2005), la crise peut
se caractériser par « une situation sortant du cadre habituel des incidents connus,
avec la nécessité de prendre en urgence des décisions stratégiques et d’organiser.
Les enjeux apparaissent comme exorbitants, multiples, et pour la plupart ne se
révèlent qu’au fil des temps ». Roux-Dufort (2003) qui s’intéresse à la capitalisation
des crises la définit comme « un processus qui, sous l’effet d’un évènement
déclencheur, met en éveil une série de dysfonctionnements. »
Ces derniers auteurs considèrent donc la crise comme le résultat d’un processus
cumulatif et continu de dysfonctionnements organisationnels. La notion de crise
peut donc être envisagée comme un processus global, au cours duquel les causes
et les conséquences s’entremêlent pour générer une situation instable et
particulièrement difficile à piloter. Il convient donc d’étudier la crise, dans son
ensemble, comme un processus global qui tient compte de différentes variables
contextuelles.
Au regard de ces définitions, il est possible de dire que cette notion est complexe
et parfois floue du fait de l’hétérogénéité de ce qu’elle recouvre. Elle a été traitée
par de nombreux auteurs aux approches distinctes, voire opposées, aussi bien de
manière théorique que pratique qui, pour la plupart, l’illustrent par des études de
cas, à l’image des recherches portant sur les crises Three Miles Island ou encore
Bhopal. Toutes les définitions paraissent complémentaires et la notion de crise
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semble dépendre du contexte dans lequel elle se situe, ce qui la rend indissociable
des événements extérieurs, c'est pourquoi toute idée d’universalité de la notion de
crise semble irréaliste.
Dans notre cas, la crise est considérée comme un processus global dont les
différentes phases peuvent être étudiées séparément, mais il est essentiel de
conserver une vue d’ensemble de la question. Nous définissons la crise comme un
processus global à faible probabilité et fortes conséquences, pouvant entraîner des
changements organisationnels importants. Ceux-ci peuvent être positifs ou négatifs
en fonction du contexte, mais aussi de la manière de gérer la crise.

1.2. INTERPRETATION ET PERCEPTION DE LA CRISE

En approfondissant le concept de crise, il est apparu que le contexte a une


importance non négligeable. Or celui-ci est fonction de ce que les acteurs en font.
C’est pourquoi il nous semble important de ne pas dissocier la crise de son
interprétation.
Les recherches sur les crises montrent que les pertes ne sont pas les seules
variables à prendre en compte lors de la gestion de crise. La représentation des
crises peut avoir un effet néfaste sur leur gestion. Les exemples bien connus de
crises industrielles mettent en relief le rôle non négligeable joué par le public et les
médias : un constat partagé par Péter-J. Hargitay qui, lors de la catastrophe de
Bhopal, a mis l’accent sur la communication et a insisté sur le fait que chaque
question devait avoir sa réponse et qu’il fallait tendre vers le fait que les porte-
parole ne devaient en aucun cas se contredire. En effet, la représentation que le
public se fait d’une action a des conséquences sur cette action : elle est une
construction sociale, matérielle, sujette à de multiples interprétations. Pour certains
auteurs tels que Weick (1988) et Laufer (1993), la question de la crise glisse vers
une autre question, celle de l’interprétation et de la représentation de la crise. Pour
eux, il n’est donc pas concevable de penser la crise sans traiter de son
interprétation. Les sciences de gestion étant au carrefour de différentes disciplines
des sciences sociales, la pensée de Weick (1988) peut être mise en relief, qui en
sa qualité complémentaire de professeur de psychologie, a une vision élargie des
phénomènes gestionnaires. Pour d’autres, essentiellement chercheurs en sciences
de gestion comme Laufer (1993), l’interprétation de la crise a un rôle central.
La notion de « sensemaking », proposé par Weick (1988), correspond au sens que
les individus donnent à ce qu’ils font. L’un des rôles de l’organisation est d’aider à
donner du sens aux activités des individus. Weick (1988) s’intéresse à la manière
qu’ont les êtres humains, à travers ce qu’ils font dans l’organisation, de donner du
sens à leurs actions. En situation de crise, les individus doivent agir rapidement et
efficacement, mais il paraît difficile d’être rationnel en période de crise ; en effet,
certains auteurs considèrent même que la perte de points de repère habituels est
l’un des éléments constitutifs de la crise. C'est pourquoi formalisation et formation
préalables sont nécessaires. De cette manière, ils donnent un sens à ce qu’ils ont
fait. En d’autres termes, les actions matérialisent les pensées des acteurs, et
Weick (1988) parle à ce titre d’ « enactment » pour décrire la manière dont les
individus, par leurs représentations mentales, vont agir sur leur environnement. A
la lecture de Weick (1988), il est permis de constater que l’action a des
conséquences sur l’événement et qu’elle peut déterminer la situation. Une fois,
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l’action effectuée, la situation est comprise ; la compréhension est donc facilitée


par l’action, mais l’action peut empirer la situation.
L’interprétation de la crise crée une situation d’expertise : chaque action produit
des conséquences spécifiques. Comme a pu l’écrire Magakian (2006), cette notion
peut être expliquée grâce à la créativité qui est un processus de co-évolution des
actions collectives entrelacées avec les interprétations des individus, et elle est le
produit de ces interventions entre le niveau individuel et la situation collective. Un
sens est attribué aux actions et influence ainsi l’interprétation des signaux
émergents portés par les événements ou des personnages clés. Smircich et
Stubbart (1985) constatent qu’à partir de ces interprétations, les visions de
l’environnement et de l’organisation sont révisées. Pour Weick (1988), en partant
de ces expériences passées, un lien plus ou moins strict est attribué avec la
situation actuelle et ses limites sociales. L’idée de Daft et Weick (1984) est que le
processus d’ « enactement » indique que les groupes, comme les individus,
cherchent à se constituer des procédures pour appréhender l’environnement.
Selon Donnellon, Gray et Bougon (1986), le processus de création ou de
destruction des significations est constamment en action sous la forme d’une
sélection de l’acte créatif entre les différents niveaux sociaux.
La crise résulte donc d’un jugement porté à partir du cadre interprétatif d’un
domaine d’activité et d’une confrontation entre les différents groupes
d’interprétation. Cela invite à considérer la notion de perception de la crise. Le
contexte a une influence directe sur la perception de la crise, variable suivant les
acteurs. Bolzinger (1982 in Combalbert, 2005) définit la crise vécue par « sa
soudaineté, son incoercibilité, son incompréhensibilité, sa facticité2 ». Roux-Dufort
(2003) voit lui dans la crise « un concept fondamentalement lié à la perception que
peuvent en avoir les acteurs ». La perception de la crise est très subjective car elle
est très personnelle, il paraît donc difficile de rationaliser cette notion, chaque
situation en fait émerger une nouvelle vision. Le stress, modificateur de la
perception, peut être un allié quand il focalise l’attention et incite à l’action, mais il
peut aussi modifier la perception objective de la situation et ainsi amplifier la crise.
La crise est ainsi une situation en mouvement qui s’interprète, c'est pourquoi il
paraît difficile d’en donner une définition précise. Elle semble s’adapter aux
situations, aux contextes et aux acteurs. D’après Weick, les représentations
mentales doivent servir de base à l’idéologie de la gestion des crises, les individus
sont conscients de leur pouvoir et de l’importance de l’expertise dans leur
représentation de la crise.

1.3. LA GESTION DE CRISE

Après avoir présenté le concept de crise et son interprétation, nous allons


maintenant aborder sa gestion. Cette dernière paraît plus aisée quand la crise est
considérée comme un processus. Ainsi, elle a une histoire et ne correspond pas
seulement à un évènement ponctuel. Dans sa gestion, il paraît donc important
d’agir à tous les niveaux, c'est-à-dire en amont, pendant, et en aval de la crise. En
effet, les recherches sur les crises ont montré que l’anticipation sans réaction n’a

2
Facticité (p.25) : la crise est, pour le sujet, comme une parenthèse brusquement détachée du
déroulement habituel de son existence, un moment qui est vécu comme une réalité objective,
mais séparé de la réalité objective in L. Combalbert (2005).
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que peu d’intérêt et inversement. Pour exemple, nous pouvons citer les recherches
sur les crises de Three Miles Island (Thornburg, 1988), Bhopal ou encore Seveso
qui ont montré que le manque d’anticipation était désormais considéré comme une
lacune inhérente à l’organisation, mais également que la gestion pendant et post
crise permettait au minimum de limiter les effets néfastes et d’anticiper pour
l’avenir. Ce type de considérations semble être l’une des bases de la gestion de
crise. En amont, il paraît important de savoir repérer les signaux déclencheurs pour
préparer l’organisation et ainsi minimiser les effets néfastes de la crise.
L’interprétation joue un rôle central dans cette étape ; c'est pourquoi il est
nécessaire de changer les mentalités avant l’arrivée de la crise pour faciliter sa
gestion si elle advient. Durant la crise, il apparaît nécessaire de piloter les moyens
qui permettent de la gérer et de limiter ses effets. La gestion post crise permet de
gérer les conséquences de cette dernière en maximisant les effets positifs et
minimisant les effets négatifs. De cette manière, il est possible de capitaliser sur le
processus de crise, qui semble représenter une opportunité d’amélioration de
l’organisation.
Cependant, la crise doit être considérée comme un processus global, il est donc
délicat de situer son début comme sa fin, même si elle peut se décomposer au
minimum en trois phases. Cette décomposition correspond à une aide, mais les
limites ne sont pas clairement définies. En effet, le flot continuel des faits qui la
compose ne permet pas de retracer objectivement l’action initiale autrement qu’en
partant d’une interprétation subjective que s’en donne l’individu.
Les priorités du dirigeant influencent les comportements des individus de manière
positive ou négative, elles sont donc une source importante de prévention et de
gestion de crise. C’est le principe du cercle qui peut devenir vicieux ou vertueux : la
stratégie -mal expliquée- peut devenir une source involontaire de crise en
décourageant les individus. Le dirigeant a donc un rôle central, il doit essayer de
faire évoluer les mentalités des acteurs pour qu’ils agissent convenablement en
période de crise, mais aussi faire en sorte que leur perception de la crise soit
suffisamment réaliste. D’après Weick, la compréhension du processus logique de
la crise peut permettre de prévenir les grosses crises en gérant habilement les
petites crises. C'est pourquoi il paraît nécessaire de développer une
compréhension de la manière d’isoler et de contenir les crises. Ainsi, en
capitalisant sur les petites crises, il paraît possible de minimiser les effets des plus
grosses crises.
En gestion de crise, il paraît donc important de souligner que la plupart des
événements sont prévisibles, voire probables. Les notions de surprise et
d’imprévisibilité concernent plus particulièrement la date à laquelle débuteront les
événements. La gestion de crise peut être vue comme le résultat d’une dynamique
d’interprétation entre les individus et leur environnement qui repose sur des
signaux distinctifs à partir desquels se constitue un cadre interprétatif singulier. La
focalisation et la concentration de la conscience des individus, constitutifs du
processus d’ « enactement », sont ainsi sollicitées.
La gestion des crises nécessite une organisation adaptée qui passe par de la
formalisation mais aussi de la flexibilité. Selon Combalbert (2005), « l’ouverture
d’esprit, la diversité des analyses, la capacité d’adaptation, la remise en question,
l’aptitude à prendre des décisions sont des caractéristiques fondamentales d’une
gestion efficiente », il paraît important d’agir sur les mentalités des acteurs. Il
semble alors dangereux de minimiser les risques et de penser que tout est sous
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contrôle. L’acceptation de la part d’incertitude inhérente à toute activité est une des
bases pour une gestion de crise efficiente qui suppose donc un dosage précis. Il
est nécessaire de formaliser et d’essayer de prévoir. Cependant, il est
indispensable de noter que tout n’est pas prévisible et qu’en cas de crise, il est
important de s’adapter à la situation.

2. CRISE ET APPRENTISSAGE ORGANISATIONNEL


Dans cette seconde partie, nous essayerons de lier crise et apprentissage
organisationnel. Pour ce faire, nous commencerons par différencier création de
connaissance et apprentissage organisationnel, pour ensuite mettre en relief les
impacts positifs et négatifs des crises sur l’apprentissage organisationnel.

2.1. CREATION DE CONNAISSANCE ET APPRENTISSAGE ORGANISATIONNEL

Il est possible de distinguer deux types de connaissances, les connaissances


explicites et les connaissances dites tacites. Les connaissances explicites
correspondent aux connaissances conscientes. Elles sont en générales apprises
par la réflexion ou l’étude et prennent la forme de « savoirs ». Elles sont
conceptuelles, formalisées, articulées. Les connaissances tacites, quant à elles,
sont liées à l’expérience des individus qui les détiennent. D’après Nonaka et
Takeuchi (1997), elles peuvent correspondre à un talent, un automatisme, une
intuition ou une impression individuelle. Elles sont, de ce fait, difficilement
formalisables, exprimables et transmissibles. Il existe des liens importants entre les
connaissances explicites et tacites. En effet, certaines connaissances tacites
peuvent se transformer en connaissances explicites et inversement. Cela
correspond au principe de conversion de connaissances développé par Nonaka et
Takeuchi (1997). Les organisations doivent acquérir un savoir-faire basé sur des
prémisses existantes afin de résoudre des problèmes spécifiques et établir de
nouvelles prémisses pour dépasser celles qui existent. Pour ces auteurs, la
création de connaissance implique une interaction entre ces deux types
d’apprentissage, qui forme une sorte de spirale dynamique. Une organisation
flexible et souple est nécessaire pour la mise en place de ces deux variables,
indispensables à la création de connaissances.
En complément de la création de connaissances, il semble primordial d’aborder
l’apprentissage organisationnel. Ce dernier est, d’après Koenig (1994), défini
comme un phénomène collectif d’acquisition et d’élaboration de compétences qui,
plus ou moins profondément, plus ou moins durablement, modifie la gestion des
situations et les situations elles-mêmes. Le concept d’apprentissage a longtemps
été réservé à l’acquisition des compétences individuelles ; mais dès 1950, Simon
suggéra de transposer cette notion aux organisations. L’apprentissage
organisationnel s’intéresse à l’acquisition de la connaissance et à l’adaptation
organisationnelle suite aux expériences et aux connaissances acquises, tandis que
la gestion de connaissances s’intéresse au processus d’acquisition mais aussi à
l’enrichissement, la capitalisation et la diffusion des connaissances.
L’apprentissage organisationnel n’est pas la production d’un savoir collectif
attribuable à l’organisation, il est simplement la dynamique collective qui résulte
des capacités cognitives des acteurs, capacités qui interagissent dans un système
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de relation, mais aussi en prenant ce système de relation pour objet de


connaissance et d’action (Hatchuel, 1994).

2.2. IMPACTS DES CRISES SUR L’APPRENTISSAGE ORGANISATIONNEL

Nous pouvons désormais avancer l’idée que la crise et l’apprentissage


organisationnel ont des similitudes, notamment quant au type d’organisation qui
leur convient le mieux. Ces deux notions correspondent à la mise en place d’un
processus global qui nécessite une vision élargie du contexte qui les entoure. Les
individus, par leur interprétation des situations et par leur interaction sociale, sont
également au cœur de ces deux processus. Ces trois points communs, importants
à souligner dans la compréhension de la crise comme levier d’apprentissages
organisationnels, mettent en relief l’importance des variables environnementales et
organisationnelles. Or certaines de ces variables sont plus propices à la création
de connaissances. Les environnements propices à la réalisation d’apprentissage
nécessitent à la fois des conditions de stabilité et de changement dans les
relations entre entités de l’organisation et environnement. Il a également été mis en
avant le rôle important des perceptions des décideurs quant aux caractéristiques
des environnements ; en effet, ce sont ces perceptions, plutôt que les
caractéristiques objectives de l’environnement, qui motivent l’apprentissage. Les
structures décentralisées et participatives, la diversité structurelle et le
recouvrement des rôles, les « structures plates », le recours aux groupes de
projets et la flexibilité organisationnelle stimulent les apprentissages. Les systèmes
d’informations et les dirigeants ont également un rôle central. La crise peut devenir
une condition favorable aux apprentissages organisationnels directement ou
indirectement en agissant sur ces variables. Pour cela, il est important de tenir
compte des routines organisationnelles, du traitement et de l’interprétation des
informations, de l’acquisition et de la production de connaissances. Nous
souhaitons souligner que nous considérons la crise comme un processus, car
l’approche processuelle permet d’ouvrir le champ d’attention de l’organisation, en
amont de l’événement déclencheur vers des mesures préventives, puis en aval
vers l’identification a posteriori des dysfonctionnements ou des déséquilibres, qui
ont conduit l’organisation vers une situation de crise. Ainsi, il paraît possible d’agir
à tous les niveaux de la crise ; ce qui facilite l’apprentissage organisationnel. En
effet, de cette manière, des apprentissages divers sont créés à différents niveaux
de l’organisation. Le fait de considérer la crise comme un processus non linéaire et
non comme un événement ponctuel correspond à une modification des schémas
de pensées occidentaux. Cette nouvelle approche correspond à une forme
d’apprentissage.
D’autre part, en agissant tout au long de la crise, nous développons des
connaissances à chaque niveau de l’action. En considérant la crise comme un
processus, on agit plus efficacement, mais surtout on accumule des
connaissances diverses. C'est pourquoi il est nécessaire de prendre en compte les
dysfonctionnements qui paraissent bénins, mais qui peuvent converger vers une
crise. De cette manière, il est possible de diminuer les effets de la crise par
l’anticipation, mais également de créer de nouvelles connaissances
organisationnelles.
Le contexte organisationnel actuel est plus complexe et plus turbulent qu’avant.
C'est pourquoi les crises paraissent plus « violentes » et plus complexes. Cette
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« perte d’équilibre » de l’environnement, dont les crises sont une variable non
négligeable, entraîne un besoin d’apprentissage rapide et efficace. Il semble
judicieux de retourner la situation à son avantage, c’est-à-dire de se servir de
l’environnement instable, plus particulièrement des bouleversements induits par les
crises, pour générer des connaissances. La crise soumet l’organisation à une
situation nouvelle, entraînant un vide organisationnel qui peut être considéré
comme une opportunité porteuse d’apprentissage organisationnel, et ainsi
permettre l’innovation. La crise en générant du stress positif peut entraîner une
prise de conscience, au sein de l’organisation, de l’importance des connaissances.
Les acteurs peuvent se rendre compte de l’importance de considérer la
connaissance comme une ressource centrale. La crise change les mentalités et
crée donc des connaissances ou les valorise. Les individus ont une capacité
limitée à traiter l’information. De plus, ils poursuivent des objectifs conflictuels. La
crise, notamment grâce aux connaissances qu’elle génère, peut garantir une
coopération rationnelle.
La crise est porteuse de destruction ; elle détruit des schémas de pensées et de
comportements et en crée de nouveaux. Cette création de nouvelles
interprétations est assimilable à un apprentissage organisationnel. Dans le même
sens, la crise provoque un effacement brutal des frontières et des repères, qui
laisse un vide permettant la création de connaissances. Les décisions prises lors
des crises ne sont pas programmables ou assimilables à des routines existantes.
Les actions seront nouvelles, soit dans leur contenu, soit dans leur processus.
Elles pourront donc être assimilées à des apprentissages organisationnels. La
crise, en laissant des vides organisationnels dus aux routines qui ne peuvent plus
avoir cours, crée des conditions nouvelles et ouvre le champ à des potentialités de
création et d’innovation plus grandes. Lors d’une crise, une organisation se modifie
et évolue : c’est déjà une forme d’apprentissage. La crise en modifiant
l’organisation et les schémas de pensées des acteurs permet à l’organisation
d’abandonner les connaissances devenues obsolètes et d’apprendre à créer de
nouvelles connaissances. D’après Morin (1994), le bouleversement engendré par
la crise entraîne une mobilisation des éléments de recompositions et de
transformations du système en faillite. Cette mobilisation implique la création ou la
valorisation de connaissances.
D’après Levitt et March (1988) et Cyert et March (1963), l’organisation est vue
comme un système de routines qui se modifie et se transforme au fur et à mesure
que l’organisation acquiert de l’expérience. Cette modification est une forme
d’apprentissage organisationnel.
La crise, considérée comme porteuse d’expérience, voire comme une expérience
organisationnelle à part entière, a un impact sur l’apprentissage organisationnel.
La crise en engendrant un vide organisationnel a donc un impact non négligeable
sur l’apprentissage organisationnel. Cet impact pouvant être positif ou négatif, il
nous semble important d’étudier ces différents aspects.

2.3. LA CRISE : LEVIERS ET OBSTACLES D’APPRENTISSAGE


ORGANISATIONNEL

Nous venons de voir que la crise a un impact sur l’apprentissage organisationnel.


Nous allons maintenant essayer de comprendre de quelle manière une crise peut
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se transformer en levier d’apprentissage, et dans quels cas elle s’assimile à un


obstacle à cet apprentissage. Pour cela nous allons aborder trois niveaux
d’apprentissage d’une crise : les « non apprentissages », les apprentissages
comportementaux et cognitifs. Puis nous insisterons sur une variable non
négligeable qui peut être un levier ou un obstacle à l’apprentissage : les acteurs
d’une crise.
Nous avons vu précédemment que la crise peut entraîner un vide organisationnel.
Ce dernier peut paraître effrayant et engendrer une paralysie dans l’organisation.
Dans ce cas, la crise est considérée comme un événement exceptionnel dans la
vie de l’organisation. Elle paralyse plus qu’elle ne débride les efforts de
compréhension et d’apprentissage. Il est nécessaire d’attendre longtemps que la
situation se décante et que les craintes et les traumatismes s’apaisent pour
retrouver une lucidité permettant une quelconque capitalisation. Si l’organisation
tarde, les routines vont à nouveau s’ancrer et « le retour à la normale » risque de
venir masquer les opportunités d’apprentissage qu’ont fait apparaître les crises.
D’après Roux-Dufort, plus la crise est importante et traumatisante, plus les
chances d’apprentissage diminuent. En effet, plus la crise est importante, plus les
conséquences néfastes peuvent être lourdes ; un mécanisme de défense entrera
donc en scène. Après une crise, certains dirigeants cherchent à normaliser à
outrance l’événement passé. Cette normalisation limite considérablement l’étendue
et la qualité de ce qu’ils pourraient retirer d’une crise. Les raisonnements
normalisateurs consistent à utiliser des normes et des cadres d’analyse existants
pour décoder et analyser la crise. Ils permettent de revenir à une réalité que les
acteurs connaissent. La normalisation consiste à rechercher le retour à l’équilibre
initial. Or la posture idéale serait d’envisager les voies du changement. Elle
restreint donc le potentiel d’apprentissage libéré par les crises. Roux-Dufort (2003)
a identifié trois tactiques de normalisation qui, si elles sont détectées rapidement,
peuvent éviter un retour trop rapide au statu quo. Un des premiers réflexes des
dirigeants est d’activer des tactiques de simplification des événements ; cela
correspond donc à une forme de normalisation cognitive. Elles permettent de
réduire la complexité et l’incertitude pour dégager une marge de manœuvre
d’autant plus grande pour l’action et la décision. L’organisation adopte des
attitudes destinées à évacuer les dimensions émotionnelle et affective intenses
qu’engendrent les crises ou leur anticipation. La crise ou l’idée même de crise
éveille plusieurs formes d’anxiété liées à l’incapacité de décider, d’agir et
d’expliquer ou d’anticiper ce qui peut advenir. La crise stimulera une activité
intense de défense destinée à apaiser les peurs et à rendre l’événement
émotionnellement gérable par les membres de l’organisation. Ramener un
événement à une cause initiale ou à une erreur humaine a l’avantage de supprimer
l’anxiété ou l’inconfort dû au manque ou à la surcharge d’informations induit par
une crise. Ce retraitement des événements dans des cadres familiers permet de
normaliser la crise en soulignant son caractère statistiquement non significatif.
Etant donné le caractère exceptionnel de la crise, l’organisation est dispensée
d’apprendre. La normalisation politique et sociale permet à l’organisation de faire
face rapidement aux pressions politiques et symboliques exercées par les
différentes parties prenantes après la survenance d’une crise. Dans cette logique,
l’organisation cherche à rendre la crise socialement et politiquement acceptable
afin de revenir au registre normatif que la crise lui avait fait quitter. Dans son effort
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de réponse aux parties prenantes, l’organisation va chercher à replacer


l’événement dans des canevas et des cadres de référence acceptables.
A l’inverse des « non apprentissages » que nous venons d’évoquer, il existe un
niveau intermédiaire d’apprentissage qui se situe entre les « non
apprentissages » et les apprentissages cognitifs : ce sont les apprentissages
comportementaux. Dans ce cadre, apprendre d’une crise revient à la considérer
comme un événement et non comme un processus (Roux-Dufort, 2003). La crise
est considérée comme un événement destructeur qui paralyse l’action. Elle est
utilisée pour que certains aspects du management et de la gestion d’organisation
soient modifiés et améliorés. L’apprentissage conduit à une amélioration et une
réaffirmation des dispositifs en place, évite partiellement la survenue d’une crise
identique, mais ne débouche pas sur une réelle prise en compte du processus de
crise dans l’organisation. La crise sera analysée comme événement perturbant et
exceptionnel. L’apprentissage reste limité et les mesures prises pallient les
dysfonctionnements à court terme. L’organisation gravit le premier versant de la
crise, mais n’y voit pas nécessairement d’opportunité d’apprentissage ou de
recomposition. L’analyse s’arrête aux contingences de l’événement, aux
conséquences directes sur l’organisation et privilégie une approche causale simple
des événements.
Le troisième niveau correspond aux apprentissages cognitifs d’une crise.
L’organisation utilise la crise pour réfléchir à certaines valeurs implicites ou à
certains fondements de son cadre de référence. La crise joue un rôle de
révélateur, pousse l’organisation jusqu’à ses limites et lui fait franchir un point de
non-retour dans le questionnement de ses fondements (Roux Dufort). La crise
entraîne des modifications dans les schémas existants ; elle transforme les
organisations. En effet, elle transforme les schémas de connaissances existants et
elle en produit de nouveaux. Ces modifications et créations peuvent être
assimilées à des apprentissages cognitifs, dans le sens où de nouvelles formes de
penser vont apparaître et créer une nouvelle manière de formaliser. La crise
modifie les schémas d’interprétation. Les acteurs se focaliseront sur de nouveaux
problèmes car ils auront traité des informations nouvelles et ils auront enrichi leurs
connaissances. Le processus d’apprentissage cognitif concerne les « savoir quoi
faire » et « savoir pourquoi faire ». En période de crise où il est important d’agir
rapidement et efficacement, le processus d’apprentissage cognitif doit donc être
mis en exergue pour que les acteurs agissent correctement. Ce dernier peut être
préexistant, mais le fait d’y avoir recours en situation de crise est une forme de
création de connaissances. L’interprétation de la crise implique donc un processus
d’apprentissage organisationnel. Une crise pousse les individus à la recherche de
nouvelles alternatives, de nouvelles références, de nouvelles matrices de pensée
et d’action. Cette recherche s’apparente à un apprentissage cognitif. La crise
engendre une dynamique de changement en profondeur de l’organisation et de
ses membres. L’analyse porte sur les conséquences, mais aussi sur les origines
de la crise. La crise remet en cause des présupposés de gestion inadéquats.
En parallèle à ces trois niveaux d’apprentissage, il semble important de préciser
que le rôle des acteurs est central. En effet, la crise produit des connaissances
spécifiques en fonction du contexte et des interactions sociales, car la
connaissance est liée au contexte. La manière de gérer le processus de crise (pré,
pendant, post) influera sur la connaissance créée. En interagissant dans un
contexte de crise, les individus partagent des informations sur lesquelles ils
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construisent la connaissance sociale en tant que réalité, qui influence leurs


jugements, comportements et attitudes. De même, l’interaction des membres de
l’organisation avec l’environnement crée des connaissances organisationnelles,
qui affecteront l’environnement : cela correspond à l’interprétation de la crise qui
évolue en fonction des actions menées. Les actions des individus sont influencées
par leurs schémas mentaux reflétant leur interprétation de la situation. Ces actions
agissent sur la situation pour la modifier. De cette modification naissent de
nouveaux schémas mentaux, c'est-à-dire une nouvelle manière d’interpréter les
situations. C'est pourquoi il est nécessaire de gérer efficacement la crise. Ainsi, les
nouveaux schémas créés aideront les individus. D’après Polanyi in Nonaka et
Takeuchi (1997), les êtres humains créent de la connaissance en s’impliquant eux-
mêmes dans les objets. Or, la base de la gestion de crise est l’implication des
acteurs dans la crise. D’après Weick (1988), les acteurs modifient la crise par leur
perception de la situation, il paraît donc difficile de différencier la crise de l’acteur.
Les individus, en s’impliquant dans la crise, accentuent la probabilité de création
de connaissance. Cependant, les acteurs peuvent jouer le rôle inverse en activant
des mécanismes de défense lors des crises ; cela correspond à l’option
« régressiste » explicitée par Roux-Dufort (2000). Elle consiste à revenir le plus
rapidement possible au statu quo en absorbant la crise. Ici, l’organisation
considère que la crise a été trop exceptionnelle pour présenter une opportunité
d’apprentissage. Les incertitudes activent des mécanismes individuels et collectifs
de défense trop importants pour laisser s’écouler l’énergie nécessaire pour
l’apprentissage. La façon dont les organisations sont structurées et organisées
peut créer un terreau favorisant l’ignorance ou le déni des crises. Les
caractéristiques intrinsèques de ces organisations sont telles que leur propension à
connaître des crises est plus importante que d’autres organisations ; lorsqu’une
crise survient, les dirigeants ont de la difficulté à détecter l’entrée en crise et à en
reconnaître les enjeux ; l’apprentissage des crises sera réduit.
Il existe cependant un management approprié à l’apprentissage organisationnel
qui passe par la « formation » des acteurs : le management « milieu haut bas ». Ce
dernier, d’après Nonaka et Takeuchi (1997), correspond à un processus itératif par
lequel les connaissances sont créées. Les connaissances sont créées par les
cadres intermédiaires, qui sont souvent les « leaders » d’une équipe, au travers
d’un processus de conversion en spirale impliquant à la fois la direction générale et
les employés de la base. La tâche principale des cadres intermédiaires dans le
management « milieu haut bas » est d’orienter une situation chaotique vers la
création de connaissances ayant un objet, une fin. Ce modèle permet de mieux
comprendre qui est impliqué dans le processus de création de connaissances. La
création de connaissances nécessite la participation des employés de la base, des
cadres moyens et des directions. La valeur de la contribution de chaque personne
est déterminée par l’importance de l’information qu’elle apporte au système
complet de création de connaissances. Créer de nouvelles connaissances est le
résultat de l’interaction dynamique entre les praticiens des connaissances, les
ingénieurs de connaissances et les officiers de connaissances. Ainsi l’équipage
crée la connaissance. Les praticiens de la connaissance ont la responsabilité
d’accumuler et de générer à la fois les connaissances tacites et explicites. Les
ingénieurs de connaissances sont responsables de la conversion des
connaissances tacites en connaissances explicites et inversement. Les officiers de
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connaissances sont responsables de la gestion de la totalité du processus de


création de connaissances organisationnelles au niveau de l’entreprise.
Le vide organisationnel engendré par une crise peut se transformer en paralysie et
ainsi correspondre à un obstacle à l’apprentissage organisationnel ou il peut se
transformer en opportunité en créant des conditions nouvelles et ainsi
correspondre à un levier d’apprentissage organisationnel. La variable centrale,
permettant d’engendrer, soit la paralysie, soit l’apprentissage, est composée des
acteurs de la crise et de leurs interprétations de celle-ci. Néanmoins la gestion de
crise, comme l’apprentissage organisationnel, impliquent un management adapté.
Ce management peut s’apparenter à celui développé par Nonaka et Takeuchi et
ses composantes principales sont la flexibilité, l’adaptation et la prise en compte du
rôle de chaque acteur impliqué.

CONCLUSION
A travers cette revue de la littérature, nous avons mis en évidence le caractère
processuel de la crise. Aussi, nous avons souligné que cette dernière peut avoir un
impact sur l’organisation, que celui-ci soit négatif ou positif. En effet, certains
travaux mettent en avant la crise comme frein à l’apprentissage organisationnel
alors que d’autres la considèrent comme un levier d’apprentissage organisationnel
permettant de diminuer les effets néfastes des crises ou prévenir les crises
ultérieures.
Nous avons donc essayé de montrer l’existence d’apprentissage grâce aux crises,
sans nier le fait qu’elle peut en être un frein. Nous avons également mis en avant
le rôle central joué par le contexte, notamment par les acteurs et leur interprétation
de la situation de crise. Ce sont eux qui peuvent transformer la crise en levier
d’apprentissage ou au contraire en faire un obstacle. Les acteurs étant influencés
par l’organisation à laquelle ils appartiennent, le management a également son
importance.
Les idées clés peuvent donc se résumer ainsi : un management adapté à
l’instabilité de l’environnement est nécessaire pour une gestion de crise qui
impulsera de l’apprentissage organisationnel. La prise en compte des individus et
de leur interprétation dans la gestion de crise peut permettre à l’organisation
d’apprendre. Il n’y a pas de management « miracle » permettant à l’organisation
d’apprendre des crises. L’essentiel est de doser l’importance des situations et les
objectifs recherchés, mais aussi de considérer la crise, sa gestion et
l’apprentissage organisationnel comme des processus.
En amont, il est important de savoir repérer les signaux déclencheurs pour
préparer l’organisation et ainsi minimiser les effets néfastes de la crise. La gestion
post crise permet de gérer les conséquences des crises en maximisant les effets
positifs et minimisant les effets négatifs de la crise. De cette manière, nous
pouvons capitaliser sur le processus de crise, qui représente une opportunité
d’amélioration de l’organisation.
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