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Explication de texte n°2 – « La prose du Transsibérien », de

Blais Cendrars

Introduction:
Blaise Cendrars, poète du XXème siècle mène une vie de voyageur et d’aventurier. Son
œuvre littéraire porte cette empreinte dans ses sujets, et dans sa forme qui annonce le
surréalisme.

Publié en 1913, dans le recueil “Du monde entier”, “La prose du Transsibérien et de la petite
Jehanne de France” est un long poème essentiellement en vers libres, dans lequel le poète
retrace le souvenir de voyage qu’il fit à 16 ans lors d’une fugue à Moscou.

Plus profondément, ce voyage est synonyme d’aventure vers l’ailleurs et vers soi-même, ou
2 mondes vont se chevaucher, le réel et le merveilleux.

Problématique:
Nous allons nous demander comment, tout en s’inscrivant dans une forme poétique
nouvelle, Blaise Cendrars transfigure la réalité dans le but d’une quête identitaire.

Plan:
I. nous suivrons un voyage rétrospectif, qui admet une focalisation merveilleuse sur la
ville de Moscou (vers 1 > 12)
II. Nous enchainerons ensuite avec la transfiguration de la réalité dans le but d’une
quête identitaire (vers 13 > 17)
III. et nous finirons par la fin annoncée de l ‘enfance et la mort de la poésie

V1-V12 – Premier mouvement


“En ce temps là j'étais en mon adolescence”
> le CC de temps qui ouvre le poème, sonne comme “il était une fois”: le poète cherche ici à
construire une légende personnelle et nous plonge d’emblée dans un univers merveilleux, un
conte de fée
>”en mon adolescence” marque une confusion entre l’espace et le temps, renvoie à la confusion
des souvenirs, car la préposition “en” renvoie à un endroit.

“J’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance”


>on comprend que la confusion vient du fait que le poète ne se souvient plus de son enfance alors
qu’il n’a que 16 ans et qu’il se souvient de son adolescence maintenant qu’il est adulte
> Ainsi, “à peine 16 ans”: modalisateur, qui renvoie à une forme d’autodérision
> poème confus ou le temps et l’espace se mélangent et où il y a peu de logique dans les
souvenirs
> poème kaléidoscope: fragments de souvenirs qui viennent se chevaucher les uns sur les autres

“J’étais à seize mille lieues du lieu de ma naissance”


> Cette idée est marquée par le jeu de mot sur “lieues” (Km) et “lieu”: le temps et l’espace se
mélangents
> 16 000 lieues= hyperbole qui renvoie à une sorte d’exaltation de l’adolescent
> le chiffre 16 revient 2x: il fait ce que font les ados et ramène tout à lui = égocentrique
> on comprend l’identité du poète et sa personnalité s’est éclatée avec le temps, puisqu’il est loin
du lieu de sa naissance= laisse transparaître une forme de souffrance

Les repères autobiographiques sont nombreux et la première personne du singulier est mise
en valeur, notamment dans les premiers vers, avec l’anaphore de « j’étais » (v. 1, 3-4) et «
j’avais » (v. 2 et 5) ; il multiplie des adjectifs possessifs de la première personne (« mon », «
mes », et « ma »).

L’imparfait transforme ce séjour à Moscou en une légende personnelle, figée dans le passé,
qui revient par vagues, rythmées par des repères temporels (l’« enfance », les « seize ans
» de l’« adolescence »).

> Cette multiplication des pronoms et adj de la première personne témoignent également de
la quête identitaire du poète, qui cherche dans sa confusion, à travers le poème son identité
, d'où l'idée d’autoportrait. C’est donc une réminiscence qui a pour quête une identité.

> Cette quête identitaire est également celle du poète : est-il un poète ou un prosateur?
C’est en effet un texte entre les vers et la prose, avec un poème dans la forme (des vers qui
commencent par des majuscules)

> Par ailleurs, Le poème reproduit, à sa manière, le rythme de la marche du train, avec des
élans, des saccades, des arrêts, et revendique ainsi une totale liberté

“J’étais à Moscou, dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares”
“Et je n’avais pas assez des sept gares et des mille et trois tours”
>“Moscou”, indication spatiale explicite, réelle capitale de la Russie
> ”mille et trois clochers”: nous fait entrer dans un univers oriental des mille et une nuit, renforcée
par la présence du chiffre 7, chiffre magique et sacré
> longue périphrase hyperbolique montre que le voyage est marqué par l’élan de l’adolescent qui
désire s’approprier le monde ouvert à lui, sans en être jamais rassasié : il n’a pas « assez des
sept gares et des mille et trois tours »…
> L’exaltation de Cendrars se marque dans les hyperboles. Les « seize ans » se démultiplient en
« seize mille lieues » et dans une surenchère de nombres avec « sept gares » et « mille tours ».
Les procédés d’insistance sont nombreux : « si ardente et si folle » (v. 6), « si mauvais poète » (v.
10), « toutes blanches » (v. 14).
> le chiasme ici unit la religion avec les et le chiffre, ainsi qu’aux gares. Cela montre que le dev
du Transsibérien est fascinant et presque religieux. Mais cela témoigne aussi du fait que le poète
est perdu, qu’il tourne sur lui même et essaye de se trouver, trouver qui il est
> “Je n’avais pas assez” la négation marque l’idée d’impossibilité d’échec à se trouver. Et on sait
pourquoi juste après…

“Car mon adolescence était si ardente et si folle”


> champ lexical du feu est omniprésent: “ardente, brûlait, rouge, soleil, éclairait” qui contamine
l’ensemble du poème et renvoie au champ lexical de la passion: c’est le portrait l’ado qui dont le
coeur brûle tour à tour (synecdoque)
“Que mon coeur, tour à tour, brûlait comme le temple d’éphèse ou comme la
place rouge /De Moscou / Quand le soleil se couche “
> jeux de mot avec tour et tour qui renvoie également au bâtiment
> comparaison avec le temple d’éphèse, une merveille du monde, qui a brûlé; ce qui re nforce la
boulimie et l’ardeur du poète surtout avec le long enjambement.
“Et mes yeux éclairaient des voies anciennes”
> glissement sémantique entre les yeux et les lanternes qui éclairent les rails du train: fait du
texte un texte quasi-surréaliste
> le poète fait ici référence à une poésie disparue ⇔ une poésie qui se transmettait à l’époque
dans la tradition orale, d'où le ton prosaique du poème, mais il dit ici, que jeune , il n’avait pas
l’audace d’aller plus loin

“Et j’étais déjà si mauvais poète / Que je ne savais pas aller jusqu’au bout”
> autodérision: il se moque de lui-même et du fait qu’il ne sait pas aller jusqu’au bout, cela est
renforcé par l’enjambement

V17-Fin – Deuxième mouvement


“Le Kremlin était comme un immense gâteau tartare croustillé d’or, / Avec les
grandes amandes des cathédrales, toutes blanches, / Et l’or mielleux des
cloches”
>comparaison du Kremlin avec un gâteau, surtout que dans “Kremlin”, on entend “crème”: le
signifiant du mot renvoie à une image culinaire

> L’adolescent prétend en avoir fini avec son enfance, comme si elle ne l’intéressait pas parce
qu’il cherche déjà autre chose (« je ne me souvenais déjà plus de mon enfance »). Mais son
poème conserve tout de même un parfum d’enfance: Elle transparaît dans la métaphore
pâtissière qui transforme les cathédrales de Moscou en un gigantesque « gâteau » « croustillé »,
« mielleux », constellé d’« amandes » et rappelle ainsi les contes de fées, Hansel et Gretel, le
palais de Dame Tartine… surtout que le Kremlin est un monument qui abrite le siège du gouv.,
donc très solennel et sérieux.

> on a un néologisme “croustillé”, qui fait une synesthésie, puisqu’il mêle l’aspect avec le goût =
le poète revisite le langage ⇔ poète novateur. on a d’ailleurs 3 sens qui se mélangent: ouïe avec
les cloches, la vue avec l’or et le goût avec le gâteau
>hyperboles: “immense, grande, toutes blanches” permettent la transfiguration du réel et
renvoient encore une fois à cette exaltation enfantine
>les couleurs qui dominent sont le rouge et le blanc par la métaphore “l’or mielleux des cloches”
et donnent une dimension douce, on a presque l’impression d’entendre une musique/mélodie, on
rentre alors dans le monde de l’enfance. la couleur bleu qui se manifeste par la vision aérienne
qu’on a au dessus du Kremlin avec ses cloches
> les 3 points de suspension nous invitent à une expansion par notre propre pensée, imagination
du gâteau= Aposiopèse

“Un vieux moine me lisait la légende de Novgorode”


>on passe ensuite du coq à l'âne, sans logique apparente, ce qui produit un effet de collage.
Comme si le poète suivait les méandres de ses pensées, et fouille dans ses souvenirs.
> Ce texte est en effet une quête psychanalytique d’identité. Le poète suit donc une démarche
Freudienne, et retourne dans ses souvenirs enfouis d’enfance et cherche des images qui
renvoient à cette enfance-là.
> on passe ici donc du Kremlin au vieux moine ”vieux moine” apparaît comme un personnage
légendaire, trouble et étonnant; c’est un personnage archétype, qui nous fait presque passer d’un
monde merveilleux, à un monde fantastique
“J’avais soif”
> vers polysémique: La sensation psychique ici, engendre une sensation physique, comme si le
poète avait réellement mangé le Kremlin.

V13-V17 – Troisième mouvement


“Et je déchiffrais des caractères cunéiformes”
Dans l’histoire, l’écriture a souvent pris une dimension fantastique, voir magique, à cause des
saintes écritures, qui sont sacrées, mais aussi à cause du fait qu’à l’époque il y avait beaucoup
d’écritures qu’on arrivait pas à déchiffrer:
> L’écriture cunéiforme, à laquelle on fait référence ici est l’alphabet syrillique
> le vers doit être pris au sens métaphorique ⇔ on comprend avec le verbe “déchiffrer”, conjugué
à l’imparfait que le poète était capable d'être voyant, à la manière rimbaldienne, grâce à sa
sensibilité enfantine. En effet, les enfants sont dotés d’une imagination et d’une sensibilité
débordante, qui leur permettait presque d’avoir des pouvoirs magiques, car il ne sont pas
contraints par la raison qui les empêche de rêver, c’est donc des génis comme Rimbaud, sa
poésie est donc une poésie d’enfant. On peut donc en conclure que Blaise Cendrars tente de
retrouver le poète créatif et voyant qu’il fut autrefois.

“Puis tout à coup...Et de la mer”


>on retrouve une synecdoque avec “mes mains s’envolaient” et sa marque la volonté de saisir le
monde, une sorte de quête d’idéal
> l’allitération en “s” avec: “saint esprit, s’envolait, place, bruissement, albatros, ceci,
réminiscences..” mime ici le mouvement des oiseaux
> Le poète fait référence au poème “L’Albatros” de Charles Baudelaire pour montrer que parmis
les hommes il est gaucher, mais quand il vole, il est au comble de sa majestuosité

>La triple répétition du mot « dernier » à la fin résonne comme un glas qui rythme avec
mélancolie la fin annoncée de l ‘enfance, ainsi que la mort de la poésie et du poète sensible qu’il
était, qui le faisait passer du tour à tour, de 16 ans, à 16000 lieues et qui le rendait capable de
voir un immense gâteau dans le Kremlin, cela est appuyé par le rétrécissement des 3 derniers
vers du poème qui annonce l’inévitable voyage restant vers la mort.

Conclusion:
Pour conclure, cet extrait de La Prose du Transsibérien apparaît comme un texte complexe, ou
une multitude d’éléments se superposent. À la façon d’un « collage » en peinture, il juxtapose
ainsi des images, souvent insolites, déjà surréalistes. Cette superposition peut faire penser à une
superposition de souvenirs, mais aussi à des fragments de personnalité du poète. Finalement, se
révèle une quête d’identité permanente, ou Cendrars cherche à retrouver le poète qu’il fut
autrefois tout ça dans une modernité totale qu’exige « l’esprit nouveau » du début du xxe, à
travers un poème qui hésite entre la poésie et la prose.
La poésie de Blaise Cendrars est sans doute influencée par les travaux psychanalytiques de
Freud, très à la mode dans le monde intellectuel de l’époque. C’est également une poésie
voyante, écrite à la manière du poète précoce Rimbaud, dont l'œuvre poétique est caractérisée
par une prodigieuse densité thématique et stylistique.

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