Vous êtes sur la page 1sur 38

De Verdun à Vichy, de héros à traîtres – évolution politique des anciens combattants

AOC 2020.
Par Julia Cagé, Anna Dagorret, Pauline Grosjean et Saumitra Jha
ECONOMISTE, ECONOMISTE, ECONOMISTE, ECONOMISTE

Le 6 janvier dernier, des militants pro-Trump envahissaient le Capitole. Un événement qui fait écho
aux émeutes devant la Chambre des députés à Paris, le 6 février 1934. Des milliers de partisans de
la droite défilent alors contre la République et contre la gauche, amalgamée avec le communisme,
déclenchant une « guerre civile » qui affaiblit le pays. Tant et si bien que, six ans plus tard, l’une des
plus anciennes démocraties au monde mourrait. En effet, le maréchal Philippe Pétain, élu à la tête
d’un pouvoir autoritaire, collabore avec l’Allemagne nazie. Et pour ce faire, il s’appuie notamment
sur des réseaux d’anciens combattants de la première guerre mondiale, qui lui sont dévoués corps et
âme.
Des milliers de partisans de la droite marchent en direction de la Chambre des députés. Ils défilent
sous différentes bannières, dont celles d’organisations d’extrême droite ouvertement racistes.
Certains manifestants prêtent foi aux rumeurs colportées par la presse de droite évoquant une
conspiration de l’État profond, d’autres entendent procéder à une démonstration de force qui
affaiblira ou renversera le gouvernement de gauche, porté au pouvoir par une faible majorité et que
d’aucuns jugent communistes. D’autres encore manifestent contre les Juifs. Le véritable risque
d’escalade de la manifestation, néanmoins, est dû à la présence de groupes très organisés d’anciens
combattants dans ses rangs.

publicité
Parmi ces anciens combattants figurent des héros décorés qui ont beaucoup donné au service de
leurs pays. Mais que devient leur engagement envers les valeurs et les processus démocratiques,
dans un contexte où leur camp a perdu les élections ?
Un parallèle évident peut être établi avec les événements survenus à Washington le 6 janvier 2021.
Cependant, le 6 février 1934, la réaction de la police française à l’émeute devant le siège de la
Chambre des députés fut plus violente que celle de la police du Capitole des États-Unis et, selon
certains, témoignait de son sentiment de panique. La police ouvrit le feu, tuant 14 manifestants et en
blessant 236. La gauche vit dans les événements une tentative de coup d’État, la droite dénonça
l’oppression gouvernementale qui avait fait de ses partisans des martyrs de la liberté.
Débuta alors en France une « guerre civile » qui affaiblirait considérablement la capacité du pays à
répondre aux crises à venir. Tant et si bien que, six ans plus tard, l’une des plus anciennes
démocraties au monde se donnerait la mort, ses représentants votant pour céder leur pouvoir à une
dictature dirigée par le maréchal Philippe Pétain. Traité en héros pour avoir sauvé la France lors de
la cruciale bataille de Verdun durant la première guerre mondiale, Pétain dirigerait le régime
autoritaire et raciste de Vichy, qui collaborerait avec l’Allemagne nazie jusqu’à la libération de la
France en 1944.
La cuisante défaite militaire de la France en 1940 n’expliquait pas tout. Elle n’était sans doute
qu’un symptôme supplémentaire d’un processus sous-jacent qui avait conduit à une érosion des
valeurs démocratiques. À l’inverse d’autres États démocratiques tombés face aux nazis cette année-
là, les représentants élus de la France renoncèrent à établir un gouvernement légitime en exil.
Nombre d’entre eux semblaient plutôt convaincus que l’abandon de la démocratie représentait le
prix à payer pour ouvrir la voie au « renouveau national » de la France.
Des travaux récents montrent comment l’échec de jeunes démocraties, notamment l’Allemagne des
années 1930, survient souvent lorsque des gardiens institutionnels permettent à d’aspirants despotes
d’accéder légalement au pouvoir à la faveur d’un opportunisme à court terme (voir par exemple
l’ouvrage de Levitsky et Ziblatt, How Democracies Die). Les démocraties tendent néanmoins à
gagner en résilience avec le temps. Pour certains chercheurs, la diffusion des valeurs démocratiques
parmi les citoyens joue un rôle essentiel dans cette résilience. On en sait beaucoup moins, en
revanche, sur la façon dont s’érode le soutien aux valeurs démocratiques, y compris au sein de
démocraties auparavant solides.
Ce que nous montrons dans nos travaux, c’est que pour préserver les valeurs démocratiques et
réduire la polarisation politique, il est nécessaire de comprendre l’importance de l’ancrage au sein
des réseaux sociaux et économiques d’individus susceptibles d’exercer une influence politique. Au
cours de l’histoire, l’héroïsme collectif offre un contexte propice à l’émergence de tels réseaux.
Notre article de recherche, « De Verdun à Vichy, de héros à traîtres », s’appuie sur une « expérience
naturelle », c’est-à-dire sur un choc historique nous permettant d’estimer l’effet causal d’un « héros
» et la façon dont l’exposition à un tel héros a servi de fondement à un réseau d’individus dotés
d’influence politique en France, un réseau de héros de guerre né de la rotation rapide (la fameuse
noria) des régiments français sous le commandement direct de Philippe Pétain lors de la bataille de
Verdun en 1916. Nous combinons cette expérience historique avec la construction et l’étude d’une
base de données unique et récemment déclassifiée recensant plus de 95 314 Collaborateurs au cours
de la seconde guerre mondiale, base constituée par le renseignement militaire de la France libre à la
fin de la guerre[1].
Un réseau « exogène » de héros : la rotation des régiments lors de la bataille de Verdun

Verdun, baptisée la « Stalingrad » de la première guerre mondiale, devint le symbole de la force


morale et de la détermination à résister de la France. Au total, 305 440 soldats furent tués, soit
pratiquement un mort par minute au cours des dix mois de ce qui s’avéra la plus longue bataille de
l’histoire[2]. La signification profonde de la simple phrase « J’ai fait Verdun », largement adoptée
parmi ses anciens combattants, était comprise dans tout le pays.
L’offensive surprise de l’armée allemande à Verdun prend la France complètement au dépourvu, et
entraîne le renvoi de quatre généraux en cinq jours. À la suite d’une décision prise « sur un coup de
tête », le commandement est confié à Philippe Pétain (Alistair Horne, The Price of Glory : Verdun
1916, p. 129). Au début de la première guerre mondiale, Pétain, simple colonel alors âgé de 58 ans,
s’apprête à prendre sa retraite après une carrière sans éclat. Il est affecté à Verdun du seul fait de sa
disponibilité. Affecté à la tête d’une rotation arbitraire de régiments provenant de tout le pays,
Pétain renforce la logistique et stabilise le front avant d’être promu et remplacé en mai 1916[3].
Lorsque la bataille prend fin en décembre, au moins un régiment ayant combattu à Verdun a été
rattaché à 88,7 % des 34 947 municipalités françaises, et 50,1 % de ces régiments ont servi sous le
commandement direct de Pétain. Déjà salué comme le héros de Verdun, ce dernier sera plus tard
nommé maréchal de France.

Soutien aux partis d’extrême droite et à la collaboration avec les nazis

Pétain est à nouveau appelé à la rescousse lors de la seconde guerre mondiale, cette fois pour diriger
la France après sa cuisante défaite face à l’Allemagne. Le 10 juillet 1940, l’Assemblée nationale
donne au Conseil des ministres l’autorité d’établir une nouvelle constitution. Pétain est bientôt
investi des pleins pouvoirs en tant que chef de l’État désigné. Aussitôt arrivé au pouvoir, le régime
de Pétain s’emploie sans tarder à démanteler les institutions libérales et adopte une ligne autoritaire.
En octobre 1940, la collaboration de Pétain devient manifeste lorsqu’une photo le montrant en train
de serrer la main à Hitler est largement diffusée. Le régime épouse alors rapidement un programme
d’extrême droite raciste, dont le caractère répressif s’accentue à partir de novembre 1942 : la France
tout entière se trouve alors sous occupation militaire allemande, et le régime de Vichy donne à la
Milice le mandat de débusquer et de tuer les membres de la Résistance française.
La première carte représente la répartition des Collaborateurs recensés dans le fichier déclassifié
d’après leur municipalité de résidence en 1945, superposée à l’expérience de leurs régiments lors de
la première guerre mondiale. S’il existe d’importants écarts régionaux en ce qui a trait à la
proportion de Collaborateurs, celle-ci s’avère nettement supérieure dans les municipalités où
résident d’anciens combattants ayant servi à Verdun sous Pétain. En utilisant les outils de l’analyse
quantitative en économique (régressions économétriques), nous montrons que les municipalités où
vivent des soldats qui ont servi à Verdun sous Pétain affichent des taux de collaboration 6,9 %
supérieurs à ceux de municipalités du même département par ailleurs semblables.
Cette collaboration revêt des formes diverses, de l’adhésion à des organisations d’extrême droite et
d’une collaboration économique active à la participation aux milices paramilitaires de Vichy
engagées dans la chasse aux Juifs et à la Résistance, voire à la Waffen SS envoyée sur le front de
l’Est en 1944, alors qu’il était déjà clair que les nazis perdraient la guerre. Les municipalités
peuplées de soldats ayant servi à Verdun sous Pétain se révélaient du reste 8 % moins susceptibles
d’abriter des membres civils de la Résistance française[4].
Pourquoi certains des plus grands héros de la France sont-ils devenus ses personnages les plus
décriés ? À l’aide de nouvelles données électorales, nous montrons que ces actes extrêmes tirent
leur origine de positions politiques marquées apparues au lendemain de la première guerre
mondiale, et qu’ils reflètent les propres opinions de Pétain, un anticommuniste notoire de plus en
plus porté vers l’autoritarisme. Ses discours, d’abord centrés sur les groupes d’anciens combattants,
adoptèrent un ton plus ouvertement politique à la veille de l’élection de 1936.
Nous montrons que les municipalités dont les régiments servirent à Verdun sous Pétain, bien
qu’affichant une couleur politique comparable aux autres municipalités en 1914, commencèrent par
voter contre les communistes à l’élection de 1924, puis votèrent de façon croissante pour la droite
(et plus tard l’extrême droite), en particulier lors de l’élection de 1936 (cf. cartes). Ce virage
accentua la forte polarisation qui contribua à affaiblir la France à l’approche du second conflit
mondial.
Fait notable, on note avec le temps des différences croissantes dans le vote pour la droite (et plus
tard pour la collaboration avec les nazis) selon que les municipalités abritent des troupes ayant servi
à Verdun sous Pétain, sous le commandement de Pétain avant la bataille ou à Verdun après la
promotion de Pétain. Ces tendances s’accordent avec la notion de complémentarité, appliquée ici à
l’influence politique au sein du réseau : l’influence politique des états de service héroïques de
Pétain s’avère plus forte lorsqu’elle est légitimée et diffusée parmi le réseau des soldats qui ont
servi sous ses ordres à Verdun, et ces derniers deviennent en retour d’autant plus influents que leur
leader est perçu comme un héros.
La présence de complémentarités contribue à expliquer non seulement le fait que les héros de
Verdun aient accepté l’effondrement de la République pour laquelle ils s’étaient battus, mais aussi
que certains d’entre eux soient devenus les plus fervents partisans des nazis au fil du temps. Si
d’autres titulaires d’états de service héroïques venaient à être considérés comme des traîtres, chaque
héros verrait décroître la valeur de ses propres états de service et de son identité héroïque. En
particulier s’il s’agissait de la figure la plus célèbre du réseau, Pétain lui-même. Par conséquent, les
héros de Verdun étaient incités à soutenir leur leader : se retourner contre lui leur aurait été plus
préjudiciable qu’à d’autres, dépourvus d’une identité de groupe commune. Ils étaient en outre
davantage incités à participer à des organisations et à d’autres mécanismes destinés à réaffirmer la
valeur de leurs états de service héroïques et à consolider le réseau en général. Et plus les individus
investissent dans le réseau, plus il devient préjudiciable de quitter celui-ci.
Ces mécanismes incitatifs peuvent expliquer pourquoi les municipalités d’origine des héros de
Verdun ont continué à soutenir Pétain alors même que la défaite des nazis ne faisait plus guère de
doute. Ils peuvent également expliquer la persistance de ces préférences et de ces identités en
France après la chute du régime collaborationniste, l’interdiction des parties d’extrême droite et le
verdict de haute trahison rendu à l’encontre de Pétain[5]. Comme nous l’illustrons, les municipalités
de résidence des soldats ayant servi à Verdun sous Pétain affichent une hausse moyenne constante
de 6,8 % du vote à droite aux élections, et ce, du lendemain de la seconde guerre mondiale à la fin
de la guerre froide[6]. Ces effets tendent à s’accentuer lors des principales crises politiques
survenues en France dans l’après-guerre : la guerre d’Algérie en 1958, les mouvements sociaux de
1967-1968 et l’élection de 1981.

Conclusion

Dans un autre pays, à une autre époque, mobilisée par des allégations de fraude à propos d’une
autre élection, une autre foule armée se rassemble devant un autre capitole. Craignant que les
hommes sous ses ordres soient eux-mêmes politisés, le commandant de la milice, seul et désarmé,
monte les marches pour s’adresser à la foule. « Messieurs, j’entends dire que vous voulez me tuer »,
commence-t-il.
« Voilà qui n’a rien de nouveau pour moi. J’ai couru le risque d’être tué à maintes occasions, alors
que je ne le méritais pas davantage qu’aujourd’hui. Certains d’entre vous, je crois, se trouvaient à
mes côtés en ce temps-là […] Je suis ici pour préserver la paix et l’honneur de cet État, jusqu’à ce
que soit établi le gouvernement légitime – peu importe lequel, ce n’est pas à moi d’en décider. Il est
de mon devoir, cependant, de faire respecter les lois de cet État, non par la fraude ni la force, mais
avec un esprit lucide et d’honnêtes intentions. Il s’agit de mon devoir, et j’entends l’accomplir. Si
quiconque y voit une raison de me tuer, me voici. Qu’il me tue ! » (John J. Pullen, Joshua
Chamberlain : A Hero’s Life and Legacy)
Le commandant qui offre ainsi son torse à la foule rassemblée devant le capitole de l’État du Maine
en 1880 est Joshua Chamberlain, qui commandait le 20e régiment d’infanterie du Maine lorsque
celui-ci a défendu la ligne défensive de l’Armée de l’Union à Little Round Top, lors de la bataille de
Gettysburg. Dans un moment digne d’Hollywood, un ancien combattant jaillit alors de la foule et
s’exclama : « Je jure devant Dieu, cher général, que je tuerai sur-le-champ le premier homme qui
osera poser la main sur vous. » La foule se disperse aussitôt (John J. Pullen)[7].
Il n’est pas surprenant que les héros, qui ont démontré au prix de grands sacrifices qu’ils étaient
prêts à renoncer à leur propre bien-être au nom de leur pays dans le cadre de la guerre ou de la
désobéissance civile non violente, soient appelés à représenter le peuple en politique et inspirent
confiance lorsqu’ils adoptent une position politique[8]. Cette source de légitimité peut être utilisée
pour influencer l’opinion et renforcer la démocratie. Les héros reconnus pour leurs actes de
bravoure peuvent œuvrer plus facilement pour la paix[9]. Intégrés à des réseaux de pairs dotés de
cette identité commune, ils peuvent former de puissants groupes d’individus engagés et organisés
sur le plan politique, et s’épauler mutuellement dans la promotion de valeurs démocratiques et de
comportements pro-social[10].
Toutefois, ceux dont le patriotisme ne saurait être mis en doute pourraient aussi tirer parti de leurs
états de service pour élargir la « fenêtre d’Overton » et légitimer des opinions autrement proscrites
et inacceptables dans le cadre du débat public. Comme l’illustre l’expérience de la France, de tels
réseaux prêtent le flanc à la manipulation et à l’apparition de mécanismes incitatifs qui consolident
les positions extrêmes au fil du temps et exposent les membres du réseau qui se ravisent à des
sanctions et à des pressions de la part d’autres membres. Il est ainsi plus difficile de faire machine
arrière comme certains ont tenté de le faire dans les jours qui ont suivi l’attaque du Capitole.
L’histoire nous enseigne qu’il est possible de mettre à profit la légitimité des réseaux de héros. Leur
force peut se révéler destructrice. Mais ils peuvent également promouvoir les valeurs démocratiques
et la paix.
REPONSE 1 (AOC Février 2021)
De Verdun à Vichy et retour : quand des économistes font fausse route
Par Anne-Sophie Anglaret, Tal Bruttmann, Sarah Gensburger, André Loez et Antoine Prost
HISTORIENNE, HISTORIEN, CHERCHEUSE EN SCIENCES SOCIALES, HISTORIEN,
HISTORIEN

Les simplifications, voire les inexactitudes, à propos des guerres mondiales sont monnaie courante
dans l’espace public. Et il appartient aux historiens de les corriger, comme le font ici plusieurs
auteurs dans un texte en réponse à « De Verdun à Vichy » publié récemment dans AOC. Ils
rappellent ainsi les règles de méthode présidant à toute démarche de connaissance, tout en pointant
un travers actuel de la recherche en sciences sociales : la passion parfois aveugle pour le Big Data et
le traitement sériel de données.
• favoris
• agrandir
• imprimer
• partager

Pour qui fait l’histoire des guerres mondiales, lutter contre les simplifications répandues dans
l’espace public fait presque partie du quotidien. Il se passe rarement un mois sans qu’une
controverse médiatique ou mémorielle n’implique, en son centre ou à la marge, Vichy ou la
collaboration, les « poilus » ou les résistants, Churchill ou Pétain. Il est plus rare, toutefois, de
devoir prendre position lorsque les contresens et les simplismes concernant ces périodes ne
proviennent pas de polémistes assumant leur ignorance, mais d’universitaires de premier plan,
comme les économistes signataires du texte paru récemment dans AOC.
Version abrégée d’un travail de recherche primé, cet article présente pourtant une quantité tellement
étonnante d’erreurs de méthode, de perspective et de fond, pour tout dire d’histoire, qu’il paraît
nécessaire de les examiner, y compris dans les points techniques mobilisés dans ses raisonnements,
afin de réfuter la vision faussée de la période et du fonctionnement social qu’il propose. Pas pour
suggérer un triste partage des rôles où les spécialistes d’histoire défendraient leur chasse gardée sur
le passé, bien sûr, mais plutôt pour rappeler des règles élémentaires présidant à toute démarche de
connaissance, quelle qu’en soit la discipline, et ainsi regretter que nos éminentes collègues n’aient
semble-t-il pas envisagé la voie du travail interdisciplinaire pour répondre à des questionnements
qui sont, c’est certain, importants[1] .

En fait de révélations sur Vichy, une méconnaissance profonde

Le texte cosigné par Julia Cagé, Anna Dagorret, Pauline Grosjean et Saumitra Jha a pour ambition
d’éclairer rien moins qu’un pan central de l’histoire de France : le lien entre l’expérience de la
Grande Guerre et l’adhésion au régime de Vichy, dont Pétain serait la clé.
Il est dès lors surprenant d’y lire tant d’erreurs factuelles, qu’une consultation minimale des
abondants travaux sur la période ou même de simples manuels aurait permis d’éviter. Le paragraphe
introductif de l’article évoque ainsi pour le 6 février 1934 « des émeutes devant la Chambre des
députés » (les violences ont lieu rive droite, au pont de la Concorde), parce que des « milliers de
partisans de la droite défilent alors contre la République et contre la gauche, amalgamée avec le
communisme » (en réalité, l’ARAC, association communiste d’anciens combattants, défile
également ce jour-là).
On lit ensuite que Pétain est « élu à la tête d’un pouvoir autoritaire » : mais Pétain n’a jamais été
élu, devenant président du Conseil de la Troisième république à la place de Paul Reynaud, alors
qu’il siégeait déjà au gouvernement, le 16 juin 1940. Comme pour Hitler, parler d’une « élection »
pour Pétain relève d’un grave contresens sur la période et les dynamiques politiques qui ont permis
la mise en place de leurs régimes. Contresens aggravé par l’idée d’une arrivée au pouvoir « après
[la] cuisante défaite » de la France » alors que la défaite n’est actée que par un choix de Pétain, déjà
au pouvoir, qui privilégie l’armistice envisagé à partir de son message radiodiffusé du 17 juin 1940
à la poursuite de la guerre dans l’empire. Comment ne pas relever non plus l’idée fausse d’un
« caractère répressif » de Vichy « qui s’accentue » en novembre 1942, comme si les massives rafles
de l’été 1942 n’avaient pas eu lieu, pas plus que l’internement qui jette plus de 40 000 personnes
supplémentaires dans les camps de la zone libre dès la fin de 1940 ?
On reviendra plus loin sur les problèmes posés par la catégorie des « collaborateurs » telle que
l’emploient les auteures, mais on peut déjà indiquer qu’il est faux d’assimiler ceux-ci aux « plus
fervents partisans des nazis », nombre d’acteurs et de soutiens de l’État français, de Weygand à
Maurras ou Giraud, restant résolument hostiles à l’Allemagne. L’expression « milices paramilitaires
de Vichy » n’a quant à elle aucun sens, mêlant la Milice française (qui dépend de Vichy) et les
mouvements pro-nazis basés à Paris, opposés à Vichy, comme le Parti populaire français. Il est
également faux d’écrire que c’est après le 24 octobre 1940 et le choix de la collaboration à
Montoire que « le régime épouse alors rapidement un programme d’extrême droite raciste »,
puisque le statut discriminatoire contre les juifs date d’avant cet épisode, le 3 octobre 1940, et que
la xénophobie s’exprime par des mesures de dénaturalisation initiées dès juillet 1940.
Pour ce qui relève de la Grande Guerre, le constat est identique et les approximations multiples.
Verdun, bataille assez importante en elle-même pour ne pas être bizarrement qualifiée de
« “Stalingrad” de la première guerre mondiale », a tué environ 160 000 soldats français, le chiffre
de « 305 440 soldats » qui est avancé dans l’article englobant les morts allemands, et donnant
l’illusion de la précision à l’individu près. Pétain, devenu général d’armée en juin 1915, n’est pas un
inconnu nommé « du seul fait de sa disponibilité » en février 1916. Les hommes affectés à Verdun
entre le 25 février et le 1er mai 1916 ne sont pas sous son « commandement direct » : cette notion
renvoie bien davantage aux colonels à la tête de chaque régiment, puis aux officiers de troupe,
capitaines et lieutenants, qu’au lointain état-major. Sa réputation de « héros de Verdun » est à
nuancer dans l’immédiat, puisqu’il ne commande le secteur qu’un peu plus de deux mois, et que ce
sont les généraux Nivelle et Mangin qui récoltent une large part de gloire militaire par les gains
obtenus sous leur commandement entre mai et décembre 1916. Enfin, faut-il rappeler que pour les
soldats, avoir combattu à Verdun n’implique en rien d’être « prêts à renoncer à leur propre bien-
être » ? Conscrits, mobilisés, ils n’eurent pas le choix d’y renoncer ou non.

Une erreur basique qui invalide l’ensemble des raisonnements


Même si chacune de ces erreurs, prise séparément, constitue un indice inquiétant d’ignorance des
périodes examinées, et que leur réunion indique une désinvolture stupéfiante dans son approche,
une lecture rapide pourrait laisser penser à des raccourcis ou maladresses d’expression, ne venant
pas fragiliser un raisonnement solide en son cœur. Il n’en est pourtant rien. La totalité du travail,
qu’il s’agisse du texte en français publié dans AOC ou du long et riche article en anglais dont il
donne la synthèse, repose sur une erreur initiale et dirimante. Il faut en exposer les composantes,
pour techniques qu’elles puissent sembler.
Les auteures entendent mesurer le lien statistique entre le fait d’avoir « servi à Verdun sous Pétain »
et « la proportion de Collaborateurs », avec une surreprésentation de ces derniers là où prévaudrait
cette expérience. Une telle opération, même en laissant de côté les problèmes logiques et historiques
qu’elle pose en termes de causalité, suppose donc d’identifier avec précision qui a « servi à Verdun
sous Pétain » : elles se fondent pour cela sur les « municipalités peuplées de soldats ayant servi à
Verdun sous Pétain ». La version anglaise et détaillée du texte précise leur façon de procéder : elles
se fondent sur le bureau de recrutement des 144 régiments d’infanterie de 1914, situés selon elle
dans une « sous-région spécifique ». Une commune, un régiment : l’affaire semble simple, même si
la saisie doit être fastidieuse, et permet donc de savoir qui a « servi à Verdun » d’après son lieu de
naissance.
Mais les régiments d’infanterie de la Grande Guerre ne fonctionnent pas ainsi, ni en 1914, ni à plus
forte raison en 1916. Lorsque la guerre éclate, les régiments ne sont plus strictement recrutés sur
une base locale ou départementale. La mutinerie du 17e régiment d’infanterie de Béziers, en 1907, a
contribué à persuader les autorités qu’il fallait diluer les unités pour briser de possibles solidarités
contestataires. Lisons comment est composé le 151e régiment d’infanterie, quand s’ouvrent les
hostilités :
« À peu près un quart [des recrues] venaient des départements de la Meuse et de la Meurthe-et-
Moselle en Lorraine et un autre quart du Nord et du Pas-de-Calais en France du nord. D’autres gros
contingents de troupes venaient des départements de la Somme et de l’Aisne en Picardie, avec les
18e, 19e et 20e arrondissements de Paris[2] . »
Un régiment : au moins sept départements. Le lien direct entre régiment et municipalité postulé
dans l’article de Julia Cagé, Anna Dagorret, Pauline Grosjean et Saumitra Jha, et sur lequel se fonde
l’ensemble de leur raisonnement, n’existe pas. Leurs calculs reposent sur un artefact.
En 1916, les choses ont encore profondément changé. Il n’y a plus 144 régiments d’infanterie
comme en 1914, mais plus de trois cents, du fait de l’appel aux régiments de réserve (qui doublent
dès la mobilisation le nombre des unités) et des besoins en effectifs – ce que les auteures ne
prennent pas en compte dans leurs calculs, comme si l’événement guerrier n’avait rien changé.
Surtout, chacun de ces régiments est désormais composé de soldats de tous les horizons
géographiques : si certains gardent entre un tiers ou la moitié de combattants issus de la région de
recrutement initiale – non limitée comme le pensent les auteures à des bureaux de recrutement
uniques qui se laisseraient aisément cartographier, afin d’être ensuite superposés à la « proportion
des collaborateurs » – la plupart ont reçu des renforts de provenance variée.
C’est ce qu’explique Jules Maurin dans son grand travail de sociographie de l’armée française à
partir de deux bureaux de recrutements, qui consacre un chapitre entier à ce « brassage des
troupes[3]  ». C’est ce que confirment des monographies : pour le 117e régiment d’infanterie, l’état
des lieux dressé en 1916 par le colonel qui le dirige indique 2 831 militaires, dont seuls 1 197 sont
originaires du bassin élargi de recrutement officiel du régiment, les départements de la Sarthe, de la
Mayenne, et une partie de la Bretagne. Les autres ont été ajoutés en provenance (au moins) de la
Vienne, Saône, Seine et du Jura[4] . Au 47e régiment d’infanterie, courant 1915, les renforts reçus
ajoutent à cette unité d’ancrage breton des soldats provenant du Limousin, du Languedoc, de
Franche-Comté et de Champagne[5] .
On pourrait multiplier les exemples : la corrélation géographique sur laquelle les auteures fondent la
totalité de leur raisonnement n’existe pas. Et ce d’autant moins que leurs calculs et leurs cartes
incluent le Nord, le Pas-de-Calais, les Ardennes : des départements sous occupation allemande
pendant toute la guerre, donc lors de la bataille de Verdun en 1916 ! Les régiments qui pouvaient en
être initialement originaires sont à cette période composés de recrues de l’ensemble du territoire.
Ainsi, une carte des soldats ayant réellement « servi à Verdun sous Pétain » ne montrerait pas,
comme celle des auteures, certains départements ou certaines zones à l’exclusion des autres (le
Calvados mais pas la Manche, la Dordogne mais pas la Gironde, etc.), mais l’intégralité du
territoire, avec de très légères variations d’intensité. Reconstituer précisément qui a « servi à Verdun
sous Pétain » serait possible – pour autant que cela puisse avoir le moindre sens d’isoler une période
de deux mois au sein de la trajectoire militaire d’individus trop âgés en 1940-1944 pour former les
gros bataillons des organisations et partis de la Collaboration – mais au prix d’un travail de recueil
des données individuelles, sur un échantillon de soldats, à partir de leurs fiches matricules. Un
travail bien différent de l’application d’une équivalence directe entre municipalité et régiment, qui
fausse l’article ici discuté.
Repérer ces erreurs, qui rendent erronés l’ensemble de leurs résultats, conduit à s’interroger sur la
conception de la recherche qui les anime, puisqu’un simple message adressé à un historien ou une
historienne connaissant ces questions, pour avis ou relecture, aurait suffi à les éclairer. Imagine-t-on
des économistes écrivant un article d’astrophysique ou de médecine sans le faire a minima relire par
des experts du champ ? Pointer ce manque ne suffit toutefois pas à épuiser les problèmes posés par
leur texte quant au traitement des sources, des données, des catégories et de la causalité.
Illusion scientiste et mépris des sources

Faussée dès l’origine par cette méconnaissance des réalités de 1914-1918, la démarche
économétrique des auteures l’est également à l’autre extrémité du raisonnement, celle qui concerne
la « proportion des collaborateurs ». Le problème, au fond, est le même, qui consiste à utiliser des
données numériques brutes ou agrégées, afin de calculer des corrélations, sans s’interroger sur leur
provenance. Il s’agit même, au-delà du texte ici discuté, d’un travers grandissant qui affecte les
sciences sociales ainsi que l’expertise ou le journalisme, autant de champs du savoir pris de passion
pour le Big Data, dans l’illusion d’un accès à des réalités par le traitement sériel de données. Mais
pour qu’une donnée soit exploitable, et à plus forte raison mobilisable dans de complexes calculs,
encore faut-il savoir comment elle a été constituée et construite. Lorsqu’il s’agit de documents ou
de traces du passé, cela porte un nom très simple : la critique des sources.
Soit une « liste de collaborateurs » établie en 1944 ou 1945 : un document du passé, dont on ne sait
presque rien[6] . Une série de noms : 96 492 personnes, d’après l’ouvrage s’en étant fait l’écho, 95
943 d’après les auteures, 90 273 pour celles dont elles ont géolocalisé l’origine géographique (sans
d’ailleurs que le sens de cette opération ne soit jamais indiqué : un ancrage géographique, au
moment de la « collaboration », à la Libération ou encore avant le début de la guerre ?). Et c’est
cette localisation supposée, en lecture directe, qui leur permet de calculer des corrélations avec le
supposé passé guerrier des municipalités.
Arrêtons-nous un instant sur l’audace d’une telle entreprise : il ne s’agit pas de personnes
condamnées ni jugées pour faits de collaboration, ni d’un relevé systématique de celles faisant
partie des organisations proches de Vichy ou des Allemands, mais d’une liste dont rien ne dit qu’elle
puisse revêtir le moindre caractère d’authenticité, d’exhaustivité, ou de représentativité sociale,
politique ou géographique. Une liste qui est donc utilisée pour « calculer » une présence
supposément plus forte des « collaborateurs » dans certaines localités, mais qui pourrait très bien
surreprésenter une ville ou une région entière, pour peu que les auteurs – inconnus – de ce
document aient reçu davantage de dénonciations, ou mis la main sur un fichier nominatif local, par
exemple. Les auteurs de la liste eux-mêmes, dans leur avant-propos des années 1940, indiquaient :
« le présent document a pour but de signaler le nom des individus suspects ou douteux qui doivent
faire l’objet d’une enquête approfondie[7] . » Il ne s’agit donc même pas de collaboration avérée,
mais de faits non encore étayés au moment où cette liste est produite, dans des conditions qui nous
échappent (par qui ? à partir de quoi ? avec quels objectifs ?).
Son utilisation à des fins de calculs ou de comparaison statistique est donc un nouvel artefact :
comme si des spécialistes de la RDA se fondaient sans précaution sur les fichiers de personnes
surveillées par les services de sécurité pour cartographier l’opposition au régime, comme si on
calculait des taux de survie des Juifs à partir des dossiers de Justes, produits de manière fluctuante
depuis 1963 du fait des témoignages de personnes sauvées, ou encore comme si les spécialistes de
relations internationales utilisaient la liste annuelle des 100 personnalités les plus influentes établie
par le magazine Time pour quantifier les rapports de force mondiaux.
On se convaincra d’ailleurs aisément de l’absence de fidélité de ce document aux profils de la
collaboration en observant les chiffres des différentes organisations qui y sont indiqués. Sans même
se plonger dans les différentes archives ayant trait à ces questions, des travaux aisément
consultables auraient ainsi permis aux auteures de disposer de quelques ordres de grandeur
permettant de relativiser la valeur de ce « fichier[8]  ».
Ainsi le Service d’ordre légionnaire (SOL) n’est crédité dans cette liste que de 1 741 membres,
tandis que la Milice, organisation qui lui succède, est quant à elle créditée de 15 404 membres, soit
des chiffres sans rapport avec la réalité : ceux du SOL furent dix fois plus importants, tandis que la
Milice eut entre 25 000 et 30 000 adhérents, dont l’immense majorité n’a d’ailleurs pas servi durant
la Première Guerre mondiale. Le groupe Collaboration quant à lui compta jusqu’à vingt-cinq fois
plus de membres que ce qui est indiqué : près de 40 000 personnes, par rapport aux 1 493
mentionnées. Enfin, le plus important parti de l’ultra-collaboration fut le Parti populaire français
(PPF) de Jacques Doriot, de 40 000 à 50 000 adhérents, loin devant le Rassemblement national
populaire de Déat (RNP)[9] . Une situation inversée dans le document servant de base aux calculs
des auteures : c’est le RNP qui semble dominer avec 17 745 personnes contre 9 194 pour le PPF, en
faisant ainsi le principal mouvement de la Collaboration, loin de la réalité historique.
Aucune de ces proportions n’est un tant soit peu respectée dans ce fichier qu’il est dès lors
impossible de considérer comme un échantillon représentatif, et donc fiable, des collaborateurs. Ici
encore, imagine-t-on des économistes calculer une masse salariale ou un taux d’inflation en utilisant
des données chiffrées non sourcées, variant du simple au double ou au triple par rapport aux
réalités ?
On voit ainsi que les présupposés scientistes, en apparence, de l’enquête, contredisent en réalité les
principes mêmes qui font de l’histoire une science sociale, et qui tiennent au statut des sources et
aux modalités de leur examen. Utiliser en lecture directe des documents sans s’interroger sur leur
statut et leur condition de production, comme support de raisonnements et de calculs complexes et
prétendument probants : nous voilà d’une certaine façon revenus sept ou cinq siècles en arrière,
avant que Lorenzo Valla puis Jean Mabillon ne posent et systématisent les éléments de la critique
des sources.
Une vision mécaniste des dynamiques politiques et sociales

Mais en dehors de cette invalidation, c’est la vision du monde social présente en filigrane de ce
texte qu’il faut questionner, ainsi que les catégories de pensée qu’il mobilise. On ne peut que
s’étonner, d’abord, de voir dans le titre de l’article ainsi que dans son développement l’utilisation
des mots « traîtres » et « héros », qui relèvent du jugement moral et non de l’analyse historique. Le
premier de ces termes entend subsumer pour les auteures les collaborateurs, mais la Collaboration
n’est pas définie, sinon d’une manière vague. On l’a vu, l’insatisfaisant « fichier » utilisé rassemble
une majorité de membres supposés de groupements politiques ainsi que des acteurs économiques.
Mais quel rapport entre les adhérents de tel mouvement ou parti prônant l’ordre nouveau, signifiant
une adhésion idéologique, et des personnes relevant de ce qui fut appelé la « collaboration
économique », suivant d’autres logiques ? Dès lors, ni les membres du commissariat général aux
Questions juives, ni les administrateurs provisoires en charge de la liquidation des biens appartenant
aux Juifs, ni les délateurs ne sont envisagés alors qu’ils pourraient relever d’une catégorisation de
« collaboration » aussi vague ou élastique que celle que présente la source utilisée.
En amont, du côté des anciens combattants et de leur rôle supposé, « l’héroïsme » est tout aussi
problématique. L’approche retenue consiste en effet à englober la totalité des combattants
(supposés) de Verdun dans un même ensemble, ce qui exclut les appréciations élogieuses portées ici
et là dans le texte : « des héros décorés qui ont beaucoup donné au service de leur pays », « certains
des plus grands héros de la France ». En suivant le raisonnement des auteures elles-mêmes, tout
soldat présent dans un régiment à Verdun dans la période correspondant au commandement de
Pétain est censé entrer dans leur corpus, même sans décoration ni citation à l’ordre du jour, même
s’il a déserté au cours de la bataille ou ne s’y est aucunement distingué, subissant passivement les
événements – expérience majoritaire à l’époque. Dès lors, la catégorie « héros de Verdun » est elle
aussi un artefact.
Elle l’est d’autant plus qu’on ne voit pas pourquoi seuls ces individus auraient, à leur retour, été
« reconnus pour leurs actes de bravoure » dans leurs communes d’origine : pourquoi ceux de
Verdun et pas de la Marne ? de la Somme ? du Chemin des Dames ? de Gallipoli ? etc. L’idée
d’un capital héroïque associée à la Grande Guerre pourrait être stimulante, si elle était travaillée à
partir de sources, et non postulée a priori, et si elle était articulée à une compréhension réaliste de
l’inscription sociale des combattants et anciens combattants.
La démonstration d’ensemble repose, en effet, sur l’hypothèse qu’un soldat s’identifierait au chef
sous les ordres duquel il a combattu, ce qui démontre une conception particulièrement rigide des
rapports sociaux. Ce que signifie concrètement être « exposé » à ce chef reste pourtant très flou :
Pétain ne passait pas ses journées à rendre visite aux soldats. Il est vrai que les auteures ajoutent une
condition : celle que la bataille soit assez connue – en effet, avoir servi sous Pétain ailleurs qu’à
Verdun n’aurait aucun effet. Il est pourtant peu probable que les hommes qui ont servi à Verdun
aient été capables, comme le font a posteriori les auteures, de découper leurs états de service en
fonction des changements dans l’état-major.
D’une façon plus générale, l’influence du maréchal Pétain sur les choix politiques des anciens
combattants dans l’entre-deux-guerres est plus que douteuse. Faute d’arguments solides, les
auteures semblent prouver tout et son contraire. Ainsi, Pétain n’avait pas de positionnement
politique explicite avant 1936, mais n’en influençait pas moins les choix des électeurs dès 1924.
Des choix de droite bien sûr, marqués notamment par l’anticommunisme : et pourtant, Pétain était
révéré par la gauche… Difficile de se retrouver dans un ensemble aussi contradictoire.
Surtout, tout en prétendant démontrer l’existence d’un « réseau » héroïque, fondé sur une « identité
de groupe commune », les auteures ne prouvent pas son existence et ne cherchent même pas à
s’intéresser concrètement aux organisations qui réunissent les combattants, dont une thèse
fondamentale a montré voici plus de quatre décennies qu’elles avaient leurs logiques politiques
propres, loin du soutien univoque à l’armée, à un camp politique ou à une seule personnalité[10] .
En supposant qu’un réseau, même informel, d’anciens « Verdun sous Pétain » ait existé, on voit mal
comment ces sociabilités auraient échappé aux organisations combattantes de l’entre-deux-guerres
ou, sous le régime de Vichy, à la Légion française des combattants, qui regroupait près de la moitié
des anciens combattants en zone sud[11] .
Rien dans l’histoire de ces organisations ne montre pourtant une distinction entre les soldats ayant
fait Verdun ou les autres. Parmi les nombreuses associations de l’entre-deux-guerres, il y avait
certes des amicales « Ceux de Verdun », mais leurs effectifs étaient incomparablement moins
importants que ceux des associations généralistes, sectorielles ou destinées aux invalides. Quant à la
Légion, elle ne faisait pas particulièrement allusion à Verdun dans sa propagande, et elle proscrivait
– sans moyens de contrôle il est vrai – l’adhésion à un certain nombre des groupements
« collaborateurs » retenus dans l’article[12] .
Sans trace de ce « réseau héroïque » dans les organisations qui rassemblent la plus grande partie des
anciens combattants, il ne reste plus alors que deux points d’« ancrage » supposés. Le maréchal
Pétain lui-même, qui dans son premier discours de juin 1940 – placé en exergue de l’article de
recherche – se déclare « sûr de l’appui des anciens combattants qu’(il) a eu la fierté de
commander » ; et Joseph Darnand, qui prétend expliquer en 1944 la dérive des miliciens par la
fidélité « à un grand soldat ». Les déclarations propagandistes et narcissiques du maréchal Pétain ne
sauraient pourtant être prises pour des vérités historiques. Quant à Darnand, son expérience de
guerre est bien peu représentative de celle des anciens combattants, de même que ses engagements
dans l’entre-deux-guerres[13] . Quand un activiste d’extrême-droite prétend justifier son action par
des motifs politiques nobles, les chercheurs seraient bien avisés de faire preuve d’esprit critique.
Ces éléments suffisent, enfin, à mettre en lumière un impensé théorique, et en réalité
anthropologique, du travail dont il est question : les auteurs y présupposent un lien naturel entre
comportements sociaux et convictions politiques. Or de nombreux auteurs ont montré, par exemple,
qu’il n’était pas nécessaire en 1914 « d’être motivé pour tuer » ou en entre 1941 et 1944 d’être
antisémite pour mettre en œuvre une politique administrative qui pourtant discrimine les Juifs,
d’avoir décidé d’abdiquer ses pouvoirs pour le faire effectivement pour les députés en 1940 comme
pour ceux de 1789, ou encore d’haïr (ou d’aimer) les Tutsis ou les Juifs pour décider de les
exterminer (ou de leur prêter secours)[14] . Les travaux sur les motivations invitent à relativiser
l’hypothèse même de corrélation que les auteures du texte considéré souhaitaient démontrer à partir
de données artificielles.
Une hypothèse dont il faut relever, pour finir, combien elle reste désespérément monocausale :
comme si, dans tout le parcours de certains hommes ayant survécu à la Grande Guerre, et connu la
« victoire endeuillée », les grèves de 1919, les espoirs de la SDN, la crise des années 1930, la
montée aux extrêmes politiques, le Front populaire et sa chute, Munich et la « drôle de guerre », la
défaite et parfois l’exode, seules ces quelques semaines à Verdun avaient compté, et contenaient
déjà en germe toute leur évolution sociale et politique, expliquant non seulement leurs choix mais
aussi ceux de leurs voisins sous l’Occupation.

En guise de conclusion : un texte symptomatique de conceptions dommageables pour la


recherche en sciences sociales

On a montré quelles insuffisances de forme, de méthode et de fond marquaient le texte ici critiqué.
Si on a tenu à le faire longuement, ce n’est certes pas pour le plaisir de la polémique ni pour le
marquage d’un territoire, mais plutôt parce qu’à travers cette recherche faussée, ce sont des
conceptions ou des tendances préoccupantes pour les sciences sociales qu’il permet de mettre en
lumière.
Une conception du travail, d’abord, dans laquelle on pourrait écrire sur n’importe quel sujet (et
même en révéler des logiques cachées, en bénéficiant des gains symboliques et quelquefois
matériels qui vont avec la posture des découvreurs) sans passer par le fastidieux travail
d’appropriation de la bibliographie, des méthodes, des particularités en termes de sources et même
des bases factuelles qui est l’ordinaire de l’immense majorité des chercheuses et des chercheurs.
Sans passer, autrement dit, par une forme de modestie qui interdit de se penser spécialiste de tout, et
qui est la seule condition d’une cumulativité du savoir en sciences sociales. Car c’est seulement en
ayant conscience de ce qui s’est écrit auparavant dans un champ, et à quelles conditions, qu’on peut
espérer y ajouter des savoirs probants, pouvant eux-mêmes être discutés et questionnés parce qu’ils
respectent un cadre minimal de références communes. Il est vrai qu’une telle attitude de patience,
de prudence, de modestie et d’inscription dans une discussion collective est peu compatible avec la
recherche de financements comme avec l’exposition médiatique de résultats présentés comme
spectaculaires.
Ce qui nous conduit au second point préoccupant du texte critiqué : la tendance qu’il révèle. En
effet, au-delà des importantes limites méthodologiques et conceptuelles de la recherche dont il
entend rendre compte, cet article, comme sa version longue en anglais, illustre avec force
l’évolution de la recherche et ce faisant la manière dont celle-ci fait fausse route. « Humanités
numériques », « big data » ou autre « data mining », les financements européens comme les
programmes nationaux d’« Investissement d’Avenir » mobilisent des sommes considérables pour
développer des protocoles de numérisation de « données » et d’archives qui visent à révolutionner
l’écriture de l’histoire en mettant en évidence des corrélations invisibles : « construire le Facebook
du passé » comme le dit Frédéric Kaplan porteur du projet « Time Machine Europe ». Comme dans
le cas du travail réalisé par Julia Cagé, Anna Dagorret, Pauline Grosjean et Saumitra Jha, certaines
de ces initiatives représentent un temps et une énergie (et souvent des budgets) considérables, et
mobilisent de véritables savoir-faire, ici notamment en techniques d’analyse des données. Or, ces
techniques peuvent s’avérer extrêmement riches pour l’analyse historique, lorsque la mise en
données et l’exploration statistique sont réalisés par des chercheurs et chercheuses spécialistes dans
leur domaine, scrupuleux dans la constitution de leur corpus.
Il est d’autant plus désolant de voir à quel point elles prennent parfois appui sur une
méconnaissance de ce que sont vraiment les traces qu’ont laissées celles et ceux qui nous ont
précédés dans l’histoire. Ce ne sont que des indices, comme l’a si bien formulé Carlo Ginzburg, et
résoudre l’énigme de l’histoire à partir d’eux suppose d’avoir sans cesse conscience de la loupe à
travers laquelle nous les regardons, comme de croiser les points à partir duquel nous leur donnons
sens. À cet égard, la lecture ultra-contemporaine que les auteurs de l’article ont donnée de leur
travail – l’attaque du Capitole dans la version d’AOC, la crise pandémique dans la version anglaise,
plus ancienne – interpelle. Si le passé et le présent se font écho, tout n’est pas dans tout. Et pour
réfléchir aux implications contemporaines de la crise démocratique des années 1930 et 1940, mieux
vaudrait, d’abord, ne pas en déformer les réalités en s’affranchissant de la critique des sources.
CONTRE-REPONSE
Vive l’éco-histoire ! La statistique n’est pas une discipline facultative
Par Julia Cagé, Anna Dagorret, Pauline Grosjean et Saumitra Jha
ECONOMISTE, ECONOMISTE, ECONOMISTE, ECONOMISTE
En réponse à la critique parue dans AOC de leur article établissant une relation statistique entre
Verdun et Vichy, la collaboration et les réseaux d’anciens combattants ayant servi sous les ordres de
Pétain, les économistes prennent de nouveau la parole pour reconnaître, spécifier et nuancer certains
reproches leur ayant été adressés. Contre les accusations de déterminisme, de méthode,
d’approximations, les auteur.e.s rappellent l’importance de se nourrir des travaux historiques, mais
regrettent l’anti-économisme rendant difficile la nécessaire pluridisciplinarité qui, seule, peut
éclairer ces débats historiographiques houleux.

Le 25 fvrier dernier, Anne-Sophie Anglaret, Tal Bruttmann, Sarah Gensburger, André Loez et
Antoine Prost publiaient dans AOC un texte intitulé « De Verdun à Vichy et retour : quand des
économistes font fausse route », en réponse à l’article que nous avions écrit quelques jours plus tôt :
« De Verdun à Vichy, de héros à traîtres – évolution politique des anciens combattants. » Notre texte
en français présente en quelques pages certains résultats d’un projet de recherche de long cours qui
a donné lieu à un premier document de travail en anglais publié sous le titre « Heroes and Villains:
The Effects of Combat Heroism on Autocratic Values and Nazi Collaboration in France ».
Nous tenons pour commencer à remercier vivement nos collègues pour leur lecture attentive de nos
travaux de recherche et nous réjouissons de ces échanges pluridisciplinaires qui, nous l’espérons,
pourront donner lieu à des collaborations futures. Nous croyons en effet en la force de
l’interdisciplinarité et en la complémentarité des approches historiques quantitatives et qualitatives.
En un mot, nous étudions dans notre travail de recherche les déterminants de la collaboration en
France pendant la seconde guerre mondiale. C’est un vaste sujet qui a donné lieu à une littérature
riche et abondante, et dont nous nous sommes nourris. Notre apport à l’historiographie de la
seconde guerre mondiale est modeste : nous abordons la question de la collaboration en considérant
une hypothèse plausible – le rôle joué par les réseaux de héros constitués lors de la première guerre
mondiale, en particulier autour de Philippe Pétain lors de la bataille de Verdun. Il ne s’agit
naturellement que l’une des multiples dimensions de cette question complexe ; nous pensons
cependant qu’il est intéressant de s’y pencher.
Concrètement, nous montrons que les soldats qui ont servi sous Pétain lors de la bataille de Verdun
et leurs proches ont une probabilité significativement plus élevée d’avoir des activités
collaborationnistes. Afin d’établir cette relation, nous exploitons notamment les dictionnaires
administratifs et militaires portant sur les communes d’affectation aux différents régiments pendant
la première guerre mondiale, les archives militaires permettant de suivre quels régiments ont
combattu à différentes dates et sous quel commandement sur les multiples fronts, ainsi qu’une liste
de collaborateurs établie à la Libération, indiquant en particulier les communes de naissance et/ou
de résidence des personnes suspectées.
Notre approche est simple : elle consiste à tester avec des données empiriques nouvelles – données
que nous avons constituées au prix d’un long et fastidieux travail d’archives – une hypothèse
falsifiable. Cette hypothèse ne tombe pas du ciel : elle nous a été inspirée par la lecture attentive des
nombreux travaux historiques qui ont été faits sur les deux guerres mondiales ; ces mêmes travaux
nous aident d’ailleurs à comprendre les mécanismes sous-jacents à nos résultats. En retour nous
espérons – modestement et à l’aide d’une approche quantitative – pouvoir éclairer certains débats
historiques. Notre objectif est également de mettre à la disposition de la communauté académique
en sciences sociales des bases de données qui – nous l’espérons – seront utilisées par d’autres
chercheurs (et en particulier par nos détracteurs !) afin d’en proposer des utilisations plus
pertinentes que les nôtres.

Deux critiques : déterminisme et statistique

Dans leur texte, les auteurs nous adressent deux critiques principales : d’une part, notre approche
traduirait une vision déterministe et rigide des comportements humains et représenterait un
appauvrissement du questionnement historique ; d’autre part, il serait (selon eux) impossible
d’établir la relation statistique que nous prétendons avoir établie, compte-tenu du fait que les
régiments mêlaient en pratique des personnes venues de différents départements.
S’agissant de la première critique, nous voulons redire avec force que nous n’avons jamais pensé
une seule seconde que l’expérience de Verdun sous Pétain serait la seule cause de la collaboration,
ce qui serait bien évidemment absurde. Il existe naturellement de multiples autres facteurs menant
ou non à la collaboration, en fonction notamment des trajectoires individuelles de socialisation et de
politisation, des hasards des rencontres et des évènements, de la liberté de chacun. Cette critique
nous chagrine, car nous ne pensons pas que le fait de caricaturer la position des autres favorise le
progrès de la recherche en sciences sociales.
Cela étant dit, nous prenons aussi notre part de responsabilité : l’article en anglais cité plus haut a
été écrit (comme cela est malheureusement la norme pour ce type de production scientifique) en se
focalisant sur une question quasi-unique, à savoir l’effet d’avoir servi sous Pétain sur la
collaboration, et sans véritablement chercher à exploiter les nombreuses sources que nous avons
rassemblées pour explorer d’autres aspects du problème. Par exemple, les données nouvelles que
nous avons collectées mériteraient d’être davantage étudiées en tant que telles (y compris bien sûr
du point de vue de leur construction sociale et institutionnelle), et utilisées pour analyser de
multiples autres déterminants sociaux et géographiques de la collaboration. Nous avons prévu de
nous intéresser à ces questions dans les prochaines étapes de nos recherches.
Venons en maintenant à la seconde critique. Le problème est que nos détracteurs ne semblent pas
avoir bien compris les fondements de nos méthodes statistiques. En particulier, le cœur de notre
méthode consiste à exploiter le fait que toutes les communes à l’intérieur d’un même département
ne sont pas affectées dans les mêmes régiments. Le fait qu’effectivement en 1915, les régiments
d’infanterie se défont de leur ancrage local du début de la guerre pour incorporer des troupes de
plusieurs départements, montre en effet la force et la robustesse de la relation statistique que nous
mettons en avant dans notre analyse. En termes statistiques, le fait que ces régiments, qui à l’origine
étaient ancrés localement, aient été brassés par la suite, nous amène en effet à sous–estimer l’effet
réel de la rotation à Verdun sur la collaboration, et avant cela sur les comportements de vote pendant
l’entre-deux-guerres.
Concrètement, nous montrons dans notre recherche que, pour un même département, les personnes
originaires des communes ayant servi sous Pétain au cours de la première guerre mondiale ont
significativement plus de chances de collaborer pendant la seconde guerre mondiale. Ce résultat est
d’autant plus frappant qu’aucune différence significative (démographique, économique, ou
politique) n’existe avant la première guerre mondiale entre les communes qui se battront à Verdun
sous le commandement de Philippe Pétain et les autres, comme le montre notamment l’analyse des
résultats des élections législatives de 1914 au niveau communal. À l’inverse, des différences
significatives apparaissent dans les élections de l’entre-deux-guerres, et elles sont cohérentes avec
les résultats obtenus pour la collaboration.
Les résultats que nous obtenons sont-ils dus au hasard ? Cela est bien entendu une possibilité,
comme toujours en matière d’analyse statistique. Mais compte tenu du très grand nombre de
communes exploitées (près de 35 000), la probabilité pour qu’une telle relation ait été obtenue
aléatoirement, c’est-à-dire pour que les communes ayant servi sous Pétain abritent davantage de
collaborateurs, alors même que rien ne les distinguait avant la guerre, apparaît extrêmement faible :
inférieure à 1% d’après nos estimations. Si nos détracteurs veulent refaire nos calculs, ils sont bien
sûr libres de le faire. Mais remettre en cause notre travail et nos résultats de la façon dont ils le font,
sans même avoir pris la peine de comprendre les fondements de notre méthode, nous semble
problématique, et peu conforme aux usages de la recherche en sciences sociales.
Qu’il nous soit permis de conclure ces premières observations par la remarque suivante. Il fût un
temps où les historiens se préoccupaient de développer une approche rigoureuse des sources
quantitatives, et considéraient que la statistique n’était pas une matière facultative. De nombreux
chercheurs en histoire ont fort heureusement poursuivi cette tradition, mais certains jugent
malheureusement appropriés de s’en affranchir. Plus que jamais, nous avons pourtant besoin d’un
croisement des approches et des savoirs pour exploiter les sources disponibles. Dire que chaque
source est une construction sociale est incontestable, mais est insuffisant. Il faut aussi tenter de faire
parler ces sources, malgré leurs limites et leurs imperfections. Nous espérons vivement que nos
détracteurs prendront soin d’exploiter les sources et les bases de données que nous mettons à la
disposition des chercheurs afin de montrer comment elles devraient selon eux être exploitées, et ne
se contenteront pas d’une critique superficielle et peu constructive.

Retour sur quelques autres points

Revenons maintenant plus en détails sur certains points de critique des auteurs.
Premièrement, la question de la composition des régiments. Il nous a semblé particulièrement
étrange que les auteurs choisissent de décrire la composition du 151e régiment d’infanterie alors
qu’ils notent eux-mêmes que notre analyse se fonde « sur le bureau de recrutement des 144
régiments », c’est-à-dire les 144 premiers régiments, numérotés de 1 à 143 – et qui ne comprennent
donc pas le 151e. Nous avons pourtant bien souligné dans notre article le fait que les régiments 144
et suivants sont sujets à un brassage géographique important, ce qui nous a amenés à vérifier la
validité de nos résultats quand ces derniers sont exclus de notre analyse. Nous aurions seulement
souhaité que nos critiques lisent assez attentivement notre travail pour pouvoir s’en rendre compte
d’eux-mêmes. Pour comprendre les différences de recrutement entre les régiments numérotés de 1 à
143 et ceux numérotés de 145 à 173, ainsi que l’implication de ces différences pour notre analyse,
nous renvoyons le lecteur intéressé aux pages 12 (premier paragraphe de la Section 2.3) et 29 de
notre article en anglais qui discutent clairement de cette distinction, ainsi qu’à la Table A2.
De façon plus générale, les auteurs écrivent que « les régiments d’infanterie de la Grande Guerre ne
fonctionnent pas ainsi [c’est-à-dire ne sont pas recrutés localement], ni en 1914, ni en 1916 ». Cette
affirmation est inexacte, comme le prouvent les travaux menés par de nombreux historiens
d’ailleurs cités par les auteurs eux-mêmes, ainsi que les archives françaises et britanniques.
L’ancrage local des régiments est une réalité au début de la guerre. Jules Maurin, aujourd’hui
professeur émérite d’histoire contemporaine, note ainsi dans Armée, guerre, société : soldats
languedociens, 1889-1919 : « A ce moment-là [c’est-à-dire à partir de mars 1915] les pertes sont
surtout compensées par l’arrivée de compatriotes [c’est-à-dire d’hommes de la même région]. Sur
ce point, les historiques des régiments sont explicites. Le brassage inter-régional n’existe pas
encore [c’est nous qui soulignons]. » (p.409) Philippe Boulanger, professeur des Universités en
géographique et spécialiste de géographie historique et militaire, donne dans son ouvrage La France
devant la conscription un exemple parlant de ce fait : « En 1915, les 1825 soldats (armée active et
armée de réserve confondues) du 146ème régiment d’infanterie proviennent tous de la 20eme
région militaire (Nancy) [1] . » (p.255)
Évidemment, à partir de 1915 et 1916, l’ajout de troupes de plusieurs départements au sein d’un
même régiment devient une réalité [2] . Nous ne contestons absolument pas ce fait, nous le
décrivons même en détail dans nos travaux. Mais cela n’invalide en rien notre analyse, au contraire.
Comme nous l’avons déjà noté, en termes statistiques, le fait que ces régiments, qui à l’origine
étaient ancrés localement, ont été brassés par la suite, nous amène à sous-estimer l’effet réel de la
rotation à Verdun sur la collaboration. Il est surprenant que les auteurs voient en cela une limite de
notre approche quand au contraire, cela renforce la robustesse statistique de la relation que nous
décrivons.
Il en va de même pour les questions soulevées par les auteurs quant à la qualité de la liste de
collaborateurs sur laquelle repose nos travaux empiriques. Encore une fois, le fait même que (i)
nous soyons capables d’établir une relation statistiquement robuste et quantitativement significative
entre la collaboration et l’historique des rotations des régiments à Verdun, et que (ii) cette relation
soit stable lorsque l’on regarde individuellement les différentes catégories de collaboration
(politique, paramilitaire, économique, etc.), est d’autant plus frappant que les modalités
d’intégration dans la liste ont pu avoir été arbitraires en fonction des différents formes de
collaboration ou des circonstances locales. En effet, ces éléments arbitraires seraient de nature à
introduire un biais statistique qui nous amènerait à être incapable d’établir une relation statistique, si
celle-ci n’était pas aussi forte. La source que nous utilisons est imparfaite, nous ne prétendons
nullement le contraire, nous soulignons au contraire dans notre travail de recherche toutes ses
imperfections et discutons des biais qui peuvent provenir des modalités dans lesquelles elle a été
établie. Cette liste n’a été que récemment déclassifiée – en 2015 ; nous pensons qu’il était important
de la numériser et de l’étudier. Il ne s’agit ici que d’une première étape, et nous espérons que les
historiens seront nombreux à se pencher sur cette source nouvelle !
Les auteurs semblent aussi s’étonner de l’importance de Verdun dans la mémoire collective. Ils
demandent « pourquoi ceux de Verdun et pas de la Marne ? de la Somme ? du Chemin des Dames ?
de Gallipoli ? etc. ». De fait, il serait intéressant d’étendre nos méthodes et nos données pour étudier
si d’autres batailles et commandements ont pu avoir de tels effets sur les trajectoires ultérieures.
Compte tenu du « statut mémoriel de la bataille de Verdun », décrit notamment par Antoine Prost
lui-même, il était cependant naturel de commencer par là. Antoine Prost dit ainsi le 16 février 2016
lors d’une interview : « Qui n’a pas fait Verdun, n’a pas fait la guerre. […] À partir du moment où
la légende de Verdun se met en place, les autres batailles n’existent plus. » Et ce pour des raisons
tout à fait convaincantes – nous ne pouvons d’ailleurs qu’encourager les lecteurs intéressés à lire
cette interview et surtout le livre fascinant qu’Antoine Prost a consacré avec Gerd Krumeich à la
bataille de Verdun.
Par ailleurs, malgré ce que laissent penser nos critiques dans leur texte, un débat existe bel et bien
entre, d’une part, des historiens qui défendent l’idée selon laquelle les anciens combattants de la
première guerre mondiale ont eu un rôle politique limité et modéré, et d’autre part d’autres
chercheurs, comme Chris Millington, qui prônent au contraire la nature autoritaire de leur action
politique. Nos résultats basés sur une analyse statistique sont de nature à réconcilier ces points de
vue en montrant comment différentes expériences de combat ont pu forger des trajectoires
politiques divergentes.
Enfin, les auteurs nous accusent de ne pas porter une attention suffisante aux sources. Ceci est faux.
Nous passons une large partie de notre article à décrire nos sources, et en particulier la liste des
collaborateurs récemment déclassifiée sur laquelle se basent nos travaux, à essayer d’élucider les
circonstances dans laquelle elle fut constituée, à en reconnaître les limitations potentielles. Il s’agit
d’une première étape, certes imparfaite. Mais d’une étape nécessaire à l’ouverture de recherches
plus vastes sur ces données. Et en parlant de sources, notons au passage qu’une simple vérification
aurait permis aux auteurs de comprendre que Saumitra Jha est un homme – mais nous ne nous en
offusquerons pas, d’autant que le masculin a bien trop longtemps dominé la recherche en
économie ! Nous tenons aussi à souligner que nulle part dans nos travaux nous ne parlons d’une «
élection » de Pétain. Comme chacun sait, un vote parlementaire a donné les pleins pouvoirs au
Maréchal, qui n’a jamais été élu à son poste. Le terme « élu » provient du chapeau ajouté à notre
article par AOC et qu’il ne nous a pas été donné de relire ou de valider.
Enfin, rappelons-nous pour terminer que l’Histoire est une discipline évolutive, riche de plusieurs
interprétations, et qu’elle ne saurait être réduite aux quelques travaux de certains de ces membres,
aussi importants soient-ils. Nous défendons une approche pluridisciplinaire, qui respecte les
méthodes et les spécificités de chaque discipline, et c’est pour cela que nous avons scrupuleusement
étudié les travaux historiques sur cette période. Souhaitons que nos critiques futures fassent preuve
d’une lecture plus assidue de nos travaux, et ne se montrent pas aussi désinvoltes face à l’usage
rigoureux des statistiques.
REPONSE 2

Peut-on faire l’économie de l’histoire ? Verdun, Vichy, et les conditions d’un dialogue entre
disciplines
Par Anne-Sophie Anglaret, Tal Bruttmann,
Sarah Gensburger, André Loez et Antoine Prost
Les sciences sociales se démarquent de la fiction et du sens commun non seulement par leur visée
de vérité, mais aussi et surtout par la possibilité d’une discussion critique de leurs méthodes et de
leurs résultats. C’est pourquoi nous nous félicitons de la controverse engagée avec les économistes
Julia Cagé, Anna Dagorret, Pauline Grosjean et Saumitra Jha1 à propos de leur travail prétendant
établir des liens entre expérience combattante dans la Première Guerre mondiale et collaboration
durant l’Occupation. À l’heure où le débat public résonne d’invectives et où les discussions
savantes sont difficilement séparables d’enjeux politiques, c’est purement sur le terrain des
arguments et des preuves que nous entendons discuter leur travail. Une discussion serrée mais sans
acrimonie, justifiée par l’importance des enjeux, à trois titres : sur le fond, l’envergure des
événements historiques considérés ; sur le plan méthodologique, l’ampleur des désaccords, et, selon
nous, des erreurs qu’il faut constater dans leurs textes, au regard même de leurs hypothèses ; sur
celui, plus général, des conceptions de la recherche qui se dégagent de nos approches divergentes.
De Verdun à Vichy : les étapes d’une controverse
Cette discussion a connu quatre épisodes précédents, qu’il convient de rappeler brièvement. Dans
un premier temps, en 2020, ces économistes ont présenté un travail de recherche détaillé (76 p.), en
anglais, intitulé « Heroes and Villains: The Effects of Combat Heroism on Autocratic Values and
Nazi Collaboration in France ». Ce texte présente un mécanisme simple bien que soutenu par de
savants calculs : « les individus dans des municipalités qui ont servi à Verdun sous Pétain sont à 7-
10% plus susceptibles de soutenir le régime autoritaire de Pétain et de participer à des organisations
collaborationnistes »2 .
Quiconque a déjà travaillé sur l’Occupation mesure dès cette phrase liminaire quels amalgames sont
faits entre soutien à Vichy et collaborationnisme pro-nazi, qui relèvent pourtant de logiques
politiques différentes et en partie opposées. Et quiconque a déjà travaillé sur la Grande Guerre ne
peut manquer de s’interroger sur le sens à donner à l’idée de « municipalités ayant servi à Verdun
sous Pétain », puisque le brassage géographique des troupes est l’une des caractéristiques du conflit
et de cette bataille en particulier.
Ce texte aurait cependant pu rester inaperçu et non discuté dans le champ de l’histoire, limité à
l’approbation des économistes auxquels il a seulement été présenté, et qui lui ont même décerné un
prix. Nous en avons pris connaissance grâce à la publication par les mêmes auteures d’une version
abrégée, en français, qui résume leur propos en cherchant à le relier à l’actualité politique et
médiatique en établissant une analogie avec le rôle joué par des anciens combattants américains
dans l’assaut sur le Capitole, début janvier 2021. C’est donc dans un troisième temps que nous
avons entrepris de répondre de façon détaillée à ces deux textes et à leurs assertions historiques, en
raison des limites conceptuelles, des erreurs de fond et des problèmes de méthode qu’il nous
semblait présenter.
Parmi les défauts pointés figuraient le caractère monocausal des raisonnements, l’incongruité du
vocabulaire désignant des « héros » ou des « méchants », l’absence de toute définition de la
« collaboration », l’absence de démonstration empiriquement fondée des mécanismes par lesquels
des « réseaux d’individus aux parcours héroïques » auraient transmis des « valeurs autoritaires et
anti-démocratiques » de la Première à la Seconde Guerre mondiale3 , la non-fiabilité des sources
fondant les calculs, l’écart considérable entre les effectifs réels des mouvements collaborationnistes
et les proportions utilisées dans leur travail, ainsi qu’une erreur basique d’appréhension des unités
militaires de 1914-1918 obérant l’ensemble de ces conséquents efforts de quantification.
À ces objections, que nous ne reprendrons pas dans le détail ici, les auteures ont, à leur tour, rédigé
une réponse. Celle-ci contient deux types d’arguments. Il s’agit d’abord, dès le sous-titre (« la
statistique n’est pas une discipline facultative »), d’une disqualification de leurs contradicteurs,
supposés ignorer la logique de leurs calculs : « nos détracteurs ne semblent pas avoir bien compris
les fondements de nos méthodes statistiques4 . » Pire, nous n’aurions « pas pris la peine de
comprendre » la démarche, étant « désinvoltes » dans la lecture5 . Une désinvolture qui tiendrait à
nos appartenances professionnelles ainsi qu’à notre génération, selon cette observation
sentencieuse : « Il fût un temps où les historiens se préoccupaient de développer une approche
rigoureuse des sources quantitatives, et considéraient que la statistique n’était pas une matière
facultative6 . »
Nous ne considérons pas du tout que la statistique puisse être une matière facultative. Nos propres
travaux de recherche, appuyés pour partie sur des bases de données patiemment construites, et
interrogées à l’aide de différents outils statistiques, l’attestent. Nous pensons simplement qu’il faut
utiliser des données fiables, et dont nous sommes capables de retracer les modes de construction,
pour mener des calculs, s’interroger sur le sens et la pertinence des catégories employées (telles que
« collaborateurs »), et rapporter les résultats à des logiques sociales plausibles et cohérentes, non
réductibles à la quantification. Nous pensons – et peut-être au fond est-ce hétérodoxe aux yeux
d’économistes – que le calcul d’une corrélation n’établit pas une causalité7 . Derrière cette
accusation de méconnaissance de la statistique se dévoile en fait une conception étonnamment
restrictive de ce que serait l’« éco-histoire » et des outils statistiques dont elle disposerait : comme
si les régressions servant à établir des corrélations étaient un instrument unique, parfait et probant,
dès lors qu’un résultat statistiquement « significatif » est obtenu. Réaffirmons-le : les traitements
statistiques – régressions ou autres – ne se substituent jamais à l’identification des mécanismes
susceptibles d’expliquer les résultats et c’est d’ailleurs l’un des dangers que ces traitements
représentent que d’avoir l’apparence de la vérité révélée et, ainsi, de sembler pouvoir se substituer à
une pourtant nécessaire et indépassable interprétation. Nous chercherons à montrer ici pourquoi, à
rebours d’une culture disciplinaire qui valorise ces démarches, celles-ci sont porteuses de lourdes
déformations quand on cherche à les plaquer artificiellement sur des matériaux historiques non
travaillés, ou du moins non suffisamment, en tant que sources.
La seconde ligne argumentative de Julia Cagé, Anna Dagorret, Pauline Grosjean et Saumitra Jha
dans leur réponse consiste, sur le fond, à ne tenir aucun compte des nombreuses critiques formulées
quant aux méthodes, aux sources et à l’argumentation, en réaffirmant la validité de leurs résultats,
fondée sur la certitude que la corrélation calculée entre « Verdun sous Pétain » et « la
collaboration » est si forte qu’elle ne peut tenir du hasard. Citons le passage le plus significatif de
leur texte :
« Les résultats que nous obtenons sont-ils dus au hasard ? Cela est bien entendu une
possibilité, comme toujours en matière d’analyse statistique. Mais compte tenu du très
grand nombre de communes exploitées (près de 35 000), la probabilité pour qu’une
telle relation ait été obtenue aléatoirement, c’est-à-dire pour que les communes ayant
servi sous Pétain abritent davantage de collaborateurs, alors même que rien ne les
distinguait avant la guerre, apparaît extrêmement faible : inférieure à 1% d’après nos
estimations. Si nos détracteurs veulent refaire nos calculs, ils sont bien sûr libres de le
faire. Mais remettre en cause notre travail et nos résultats de la façon dont ils le font,
sans même avoir pris la peine de comprendre les fondements de notre méthode, nous
semble problématique, et peu conforme aux usages de la recherche en sciences
sociales8 . »
Même si nous ne pouvons pas « refaire [les] calculs » de nos collègues, puisque la principale source
sur laquelle se fonde leur texte n’est pour l’instant versée dans aucun fonds d’archives9 , on peut
(ré)expliquer de façon simple, et « conforme aux usages de la recherche », quelle erreur initiale
d’appréhension des matériaux invalide l’ensemble de leur raisonnement. En faisant cela, nous
poursuivons deux objectifs. Tout d’abord, nous voudrions pouvoir être entendus de nos collègues :
l’histoire et les sciences sociales peuvent être utiles à l’économie, et peut-être encore plus quand
celle-ci se définit comme « éco-histoire ». Nous appelons ainsi à un travail véritablement
interdisciplinaire fait de respect mutuel. Ensuite, et à une époque où les « données » sont
régulièrement invoquées de manière sauvage pour servir de fondement à telle ou telle « fake
news », il nous semble important de montrer à tout à chacun à quel point les résultats de traitements
statistiques, même réalisés par des chercheuses éminentes, doivent toujours être ramenés à leurs
conditions de production si l’on veut en tirer des conclusions.
La fausse séparation entre communes « ayant servi » ou non « sous Pétain »
Le raisonnement des économistes qui prétendent associer « Verdun » à « Vichy » repose sur un
fondement spatial : elles séparent des lieux dont les soldats auraient « combattu à Verdun sous
Pétain » d’autres où ce ne serait pas le cas. Le problème est, qu’en réalité, des soldats de la totalité
du territoire ont combattu « à Verdun sous Pétain » dans les mêmes proportions.
Des cartes valant parfois mieux que de longs discours, examinons d’abord celles que produisent les
auteures, qui leur servent ensuite à calculer, parmi les municipalités françaises, lesquelles auraient
une proportion plus grande de « collaborateurs ». Pour cela, elles divisent le territoire en quatre
zones : dans deux d’entre elles (hachures verticales ou horizontales), tout ou partie des régiments
aurait à un moment ou un autre « servi à Verdun sous Pétain », dans la troisième (hachures
obliques), il s’agit des municipalités dont les hommes auraient combattu à Verdun mais à seulement
partir de mai 1916 lorsque Pétain n’était plus à la tête de la IIe armée (« Verdun not Pétain »). La
dernière zone, blanche, n’aurait pas été du tout présente à Verdun.
Source : « Heroes and villains », p. 14
S’il est question de calculs à l’échelle des « municipalités », et même de « 35.000 communes » dans
les textes de Julia Cagé, Anna Dagorret, Pauline Grosjean et Saumitra Jha, on voit que, d’après leurs
propres cartes et données, ce sont en réalité des zones larges qui sont concernées, puisque les
calculs se fondent sur les bassins de recrutement militaires d’avant 1914, homogènes sur le plan
géographique. Ainsi l’ensemble des départements de l’Ain ou de la Manche sont censés avoir
échappé à la bataille de Verdun (« not Verdun »), mais aussi la moitié ouest de celui de la Somme,
par exemple ; de même, les soldats de la Vendée ou de la Corse, départements hachurés en
diagonale, n’auraient pas « servi à Verdun sous Pétain » (« Verdun not Pétain »). Au total, ce ne sont
pas moins de 28 départements qui dans leur totalité n’auraient pas été concernés par les combats de
mars-avril 1916 dans la Meuse10 . Cela illustre leur affirmation suivant laquelle « 50,1% de toutes
les municipalités françaises, et un peu plus de la moitié (54,34%) de ceux ayant servi à Verdun,
l’ont fait dans l’un des 92 régiments ayant tourné sous le commandement de Pétain »11
Le problème est que ces chiffres, cette carte, et donc la variable « servi à Verdun sous Pétain », sont
de purs artefacts qui n’ont aucun sens et aucun rapport avec la réalité observable durant la Grande
Guerre. En effet, au fond de notre critique, et de notre désaccord avec nos collègues économistes,
existe un sérieux malentendu sur la manière dont fonctionnent les régiments français de 1914-1918.
Les auteures se fondent sur les lieux de recrutement initiaux de 144 régiments d’infanterie, afin
d’isoler quelles unités auraient « servi sous Pétain à Verdun » en 1916, durant les deux mois environ
où il fut à la tête de la IIe armée combattant dans le secteur. Nous arguons que cette utilisation du
bassin de recrutement initial n’a aucun sens compte tenu du mélange géographique des troupes, dès
le début de la guerre et à plus forte raison en 1916, associé au doublement du nombre des
régiments12 .
Puisque les auteures prétendent rattacher une municipalité à un régiment, en dépit du brassage
ultérieur, il faut en conclure qu’elles supposent qu’une part significative des membres du régiment
continuait à venir des communes qui dépendaient originellement du bureau de recrutement. Prenons
au hasard l’exemple de Châteauroux, siège du 90e régiment d’infanterie, et regardons les morts
pour la France13 entre août 1914 et décembre 1916, parmi les fantassins de la classe 1914 passés
par le bureau de recrutement de la commune. 10 % d’entre eux seulement se trouvaient au moment
de leur mort au sein du 90e régiment : soit une proportion comparable à ceux qui faisaient partie du
13e (basé à Nevers), du 79e (Nancy, Neufchâteau), du 85ee (Cosne) et du 95e (Bourges). 
Inversement, regardons les morts pour la France entre août 1914 et décembre 1916, parmi les
fantassins de la classe 1914 au sein du 90e régiment : seuls 10 % ont été recrutés à Châteauroux,
c’est-à-dire moins qu’à Limoges ou à Guéret. Les affectations initiales, celles sur lesquelles
raisonnent nos collègues, ne correspondent pas à la réalité de la Grande Guerre. Les données sur
lesquelles elles ont travaillé sont celles, statiques et théoriques, du temps de paix, qui n’ont pas plus
de rapport avec l’expérience réelle des affectations durant le conflit, et du combat à Verdun en 1916,
qu’une carte des régiments de l’époque napoléonienne ou qu’une carte des régions militaires sous le
Second Empire.
Puisqu’il serait trop long d’effectuer l’exercice sur l’ensemble des bureaux, et que nos explications
initiales sur le brassage des troupes n’ont pas été comprises, on peut adopter une approche plus
systématique. Proposons une autre carte qui permettra de constater le problème. Il s’agit de celle
des « morts pour la France » dans le département de la Meuse en mars-avril 1916, soit les deux
mois au cours desquels la bataille de Verdun y fait rage, sous le commandement de Pétain14 . Une
observation s’impose aisément : ce sont des hommes nés sur l’ensemble du territoire français qui
ont « combattu à Verdun sous Pétain ». Le château de cartes statistique tout entier sur lequel repose
leur recherche ne tient pas.
Morts pour la France » ; nombre de morts par départements rapporté à leur population au
recensement de 1911
Parmi les départements non concernés par « Verdun sous Pétain » suivant les auteures, on peut ainsi
citer la Côte-d’Or : 420 morts en deux mois, soit 1,19 pour mille habitants. Pour l’Oise (« Not
Verdun » et « Verdun not Pétain »), les combats ont fait 359 morts (0,87 pour mille habitants).
Même proportion (0,87) dans les Deux-Sèvres et leurs 295 morts (« Verdun not Pétain »). Des
proportions plus élevées que dans certaines zones considérées comme mobilisées sous Pétain à
Verdun (« Verdun under Pétain »), comme la Drôme (208 morts, 0,71 morts pour mille habitants) ou
les Côtes-du-Nord (334 morts, 0,55 morts pour mille habitants). Ces deux mois de combats dans la
Meuse, au plus fort de l’offensive allemande initiale sur Verdun, ont fait un peu plus de 26.000
morts au total : 0,66 morts pour mille habitants. Dans les 28 départements qui d’après les cartes de
Julia Cagé, Anna Dagorret, Pauline Grosjean et Saumitra Jha n’ont « pas servi sous Verdun à
Pétain », ce taux s’établit à 0,6 pour mille : un écart minime, qui interdit de leur assigner cette
caractéristique.
La bataille de Verdun a concerné dès l’origine des soldats de tout le territoire, en raison du mélange
des soldats dans plus de 300 régiments. L’idée qu’on pourrait utiliser le combat « à Verdun sous
Pétain » comme variable géographique, entre municipalités, pour effectuer des calculs et des
comparaisons avec le devenir électoral ou politique de ces zones dix ou vingt ans plus tard est une
hypothèse mal conçue, dont les résultats sont faux – quelle que soit la robustesse de la
« corrélation » ainsi obtenue.  
Des méthodes économétriques non transposables aux matériaux historiques
Une fois l’ensemble des calculs invalidés, on peut revenir sur d’autres points problématiques. La
robustesse de cette corrélation entre « Verdun sous Pétain » et « collaboration » (une notion jamais
définie dans leurs textes, rappelons-le) peut elle-même être questionnée. Le taux cité dans leur
travail, d’après lequel certaines communes abriteraient davantage de « collaborateurs » dans une
proportion de « 9% », est un artifice de présentation qui ne tient pas lorsqu’on l’examine en valeur
absolue.
Pour les lecteurs extérieurs à l’enquête, ce que nous sommes, cet examen est rendu difficile par le
manque de clarté dans la présentation des méthodes et des résultats de nos collègues économistes,
qu’on peut regretter. Faute de transparence suffisante, l’usage de la statistique tourne à l’argument
d’autorité. Ainsi ce taux de « collaboration » par commune, au cœur de l’article, n’est jamais
indiqué en langage naturel. Il faut aller le trouver dans un tableau de la recherche initiale, en
anglais : du tableau IV (celui qui doit montrer le lien entre la collaboration et les municipalités «
Verdun sous Pétain »), on peut déduire que le taux de « collaboration » dont il est question passerait
en réalité, dans le cas où la corrélation serait la plus forte, de 0,32 % à 0,35 %. Il s’agit bien, comme
annoncé, d’une augmentation de 9 % : mais sur des effectifs infimes, et historiquement
insignifiants15 . Si l’on transpose ces taux en formulations plus lisibles, il s’agirait de 32
« collaborateurs » pour 10.000 habitants dans les communes n’ayant « pas servi à Verdun sous
Pétain », contre 35 pour 10.000 dans les autres. On le voit : sous l’apparence de rigueur et de
scientificité que donnent les calculs de corrélation se trouvent des données chiffrées non probantes,
au regard des standards d’administration de la preuve en histoire, y compris en histoire quantitative.
D’autre part, l’interprétation des résultats est systématiquement orientée de façon à mettre en valeur
et confirmer l’hypothèse favorite des auteures. Parmi les variables choisies pour expliquer la
présence plus ou moins importante de « collaborateurs » dans les municipalités, celle qui ressort le
plus nettement n’est pas, loin s’en faut, la variable « Verdun sous Pétain », mais la population. Cette
corrélation bien plus frappante est jugée peu digne d’enquête sous prétexte que « les municipalités
rurales moins peuplées tendaient, en France comme ailleurs, à être davantage conservatrices16 . »
On pourrait pourtant s’interroger non seulement sur le lien entre la collaboration et la taille de la
population, mais aussi sur la plus grande probabilité d’être porté sur une liste de « collaborateurs »
(et donc désigné par ses voisins ou connaissances) lorsqu’on habite dans une ville ou un petit
village ou encore sur la présupposition d’une équivalence entre « collaboration » et
« conservatisme », ce qui est là encore très réducteur pour qui a étudié la période.
Plus largement, sans doute faut-il redire – et acter de nouveau, à regret, une différence disciplinaire
– qu’à nos yeux, pour comprendre des mécanismes historiques, une corrélation, fût-elle établie (on
l’a vu, elle ne l’est pas), n’est pas suffisante à établir une causalité car elle ne renferme jamais en
elle-même son interprétation. C’est même l’un des fondements, là encore, de l’enquête en sciences
sociales, qui conduit à ne pas se limiter au repérage de faits consécutifs ou de liens statistiques
apparents (même avec la précaution supposée de variables de contrôle), pour en déduire qu’un lien
causal existerait. En admettant que les calculs de nos collègues aient effectivement indiqué une
corrélation entre « combat à Verdun sous Pétain » et « collaboration », et non entre deux artefacts,
cela ne constituerait pas en soi un résultat historique, mais le simple point de départ d’une véritable
enquête visant à établir de quelle nature serait un tel lien, de quelle façon il opérerait sur des
individus aux appartenances et opinions différentes, par quels mécanismes sociaux il se serait
concrétisé tout au long de l’entre-deux-guerres, etc. L’absence de tout travail sur ce point
n’empêche pas les auteures d’employer, comme s’il s’agissait d’une chose factuellement établie,
une formulation comme « le réseau des héros de Pétain, qui suivaient leur chef et influençaient leur
entourage »17 . De tels énoncés renvoient, comme nous l’écrivions, à la méconnaissance des
relations avec les officiers et de la nature de l’expérience de guerre en 1914-1918 : c’est bien
davantage auprès des officiers de contact, plus que du lointain chef d’une armée, qu’une
cristallisation d’affinités « héroïques » pourrait, dans certains cas précis qu’il conviendrait d’étudier
empiriquement, se produire. L’adhésion à Pétain liée à la présence « sous ses ordres » durant deux
mois n’était pas une « hypothèse plausible »18 .
Comment (ne pas) critiquer une source historique
Le caractère artificiel de la variable « Verdun sous Pétain » suffirait à démontrer pourquoi les
calculs croisant cette appartenance géographique et un fichier de « collaborateurs » sont dépourvus
de valeur. Il faut toutefois redire combien le travail sur ce dernier document présente des problèmes
méthodologiques tout aussi préoccupants. C’est d’autant plus frappant que les auteures insistent
dans leur dernier texte, à deux reprises, sur la qualité de leur travail de contextualisation :
« Nous soulignons au contraire dans notre travail de recherche toutes ses imperfections
et discutons des biais qui peuvent provenir des modalités dans lesquelles elle a été
établie. (…) les auteurs nous accusent de ne pas porter une attention suffisante aux
sources. Ceci est faux. Nous passons une large partie de notre article à décrire nos
sources, et en particulier la liste des collaborateurs récemment déclassifiée sur laquelle
se basent nos travaux, à essayer d’élucider les circonstances dans laquelle elle fut
constituée, à en reconnaître les limitations potentielles19 . »
Prenons au sérieux ces affirmations et examinons le travail effectué sur cette source. Il s’agit d’un
fichier nullement « déclassifié », et non versé dans un dépôt d’archives. On sait peu de choses sur
cette liste, sinon qu’elle a été en possession du colonel Paillole, un ancien militaire giraudiste qui fut
membre des services secrets de la France libre jusqu’en novembre 1944. Les auteures parlent d’une
liste « collectée en 1944-1945 sous la supervision de Paul Paillole »20 : une double erreur, donc,
puisqu’il a quitté ses fonctions fin 1944, et que rien n’indique qu’il ait été à l’origine de ce
document. Elles écrivent ensuite que le fichier comporterait « les noms de tous les membres du
Parti Populaire Français (PPF), qui font désormais partie de nos données » : nouvelle erreur,
puisque 9.403 noms y sont attribués au PPF, alors que celui-ci comporte, suivant les estimations,
entre 40.000 et 50.000 membres21 . Il est tout aussi faux d’écrire que la liste « capture tout le
spectre de la collaboration, de la collaboration économique à l’adhésion à des partis
collaborationnistes ou des groupes paramilitaires » : de l’aveu de l’auteur pourtant peu rigoureux
ayant fait connaître cette liste, la collaboration économique y tient une place négligeable. Il parlait,
pour ce document, d’une « liste faite de bric et de broc, avec une restitution douteuse dans sa forme,
comme si elle avait été à plusieurs reprises retouchée, expurgée possiblement, ou allongée »22 :
difficile de voir là une base solide pour la quantification. D’autres erreurs d’appréhension sont
manifestes, dans la nomenclature notamment : les économistes évoquent parmi les groupes qu’elles
classent comme « nazis » les membres supposés des « Affaires Juives (Association des
Administrations Provisoires) »23 alors qu’il s’agit des administrateurs provisoires, c’est-à-dire des
individus chargés de gérer les biens juifs spoliés par le Commissariat général aux questions juives,
un organe de Vichy et non de l’Allemagne nazie. Cela révèle au passage un nouveau biais
d’ampleur de la source qu’elles utilisent, susceptible de fausser les calculs : quelques dizaines
d’administrateurs provisoires membres de cette association sont comptabilisés, mais pas l’ensemble
des quelque 6 000 administrateurs provisoires ayant opéré. Or les biens « aryanisés » se trouvant
majoritairement dans les grandes villes, pour beaucoup dans le département de la Seine, la
répartition géographique d’ensemble s’en trouverait modifiée, et la supposée corrélation fragilisée.
On le voit, contrairement à ce qui est affirmé, aucun travail sérieux n’a été effectué sur la
provenance et la nature de ce document, dont l’attribution même est fautive dans le travail que nous
critiquons. Notons qu’il aurait été possible, au prix certes d’un conséquent effort de recherche,
d’utiliser les procédures judiciaires menées lors de l’épuration pour une approche quantifiée du
phénomène collaborateur : c’est d’ailleurs une démarche effectuée dans plusieurs travaux de
référence, malheureusement absents de la bibliographie des auteures24 . Cela aurait surtout
nécessité une réflexion sur la catégorie même de « collaboration » employée dans leur travail, qui
constitue un fourre-tout conceptuel trompeur, à rebours de toute l’historiographie de l’Occupation
depuis cinq décennies – nous n’y revenons pas.
Conclusion : les conditions d’un dialogue entre disciplines
Travailler sur ces questions, prendre part à cette controverse, a constitué pour nous une découverte.
Pas tant sur le fond des interprétations suggérées, qui n’ont vraiment rien de neuf : l’idée selon
laquelle les anciens combattants auraient soutenu Pétain et Vichy figure même parmi les lieux
communs historiographiques encore ancrés, qu’il convient de critiquer. Mais plutôt sur l’écart
gigantesque, en termes de méthodes et de conceptions de la recherche, qui semble séparer les
praticiennes et praticiens de l’histoire, entendue comme étude du passé fondée sur une exploitation
méthodique de ses sources, et les économistes qui entendent s’emparer de « données » du passé
pour y pratiquer des expériences, en s’affranchissant du coût en temps, en travail spécifique, en
construction intellectuelle d’un objet de recherche, qu’implique l’investissement dans un champ.
Deux séries de chiffres, et des calculs de corrélation entre les deux suffiraient à établir des
causalités, sans s’encombrer d’un fastidieux travail bibliographique, d’une réflexion sur la
terminologie et les catégories conceptuelles, ou encore d’une critique prudente des sources. On a
montré quelles erreurs pouvaient découler de ce type d’approches : erreurs de calcul, qui ne seraient
pas si dommageables si, en touchant à des enjeux historiques et même civiques cruciaux, elles
n’engageaient pas des erreurs de perspective. Ni la Grande Guerre, ni l’Occupation ne peuvent
s’appréhender à travers des « héros » et des « méchants », et par un mécanisme monocausal faisant
passer de l’un à l’autre. Cela nous semblait évident : nous découvrons que, dans d’autres cultures
disciplinaires, cela ne l’est pas. C’est pourquoi ce texte se clôt par l’espoir d’un dialogue entre
disciplines, qui ne porterait pas seulement sur l’exactitude de calculs ou la validité d’outils, mais sur
le type même de savoir que l’on cherche à produire, les hypothèses que cela engage, et sur ce qui
constitue véritablement un « résultat » en sciences sociales : une corrélation robuste, ou un
problème bien posé ? L’idéal est précisément d’obtenir les deux à la fois ce qui nécessite un
véritable dialogue interdisciplinaire en amont des traitements statistiques.

Les auteur·e·s
Anne-Sophie Anglaret est docteure en histoire, et spécialiste de la Légion française des combattants.
Tal Bruttmann est historien. Ses travaux portent sur les politiques antisémites en France pendant la
Seconde Guerre mondiale, ainsi que sur la « solution finale ». Il est notamment l’auteur de La
Logique des bourreaux (Hachette Littératures, 2003), Au bureau des Affaires juives.
L’administration française et l’application de la législation antisémite, 1940-1944 (La Découverte,
2006) et Auschwitz (La découverte, 2015). Il a codirigé Pour une microhistoire de la Shoah (avec I.
Ermakoff, N. Mariot et C. Zalc, Seuil, 2012) et coécrit Les 100 mots de la Shoah (avec Christophe
Tarricone, PUF, 2018). Il a récemment publié Die fotografische Inszenierung des Verbrechens: Ein
Album aus Auschwitz (avec S. Hördler et C. Kreutzmüller, WBG, 2019).
Sarah Gensburger est chercheuse au CNRS et pratique plusieurs disciplines comme la recherche
collective. En tant qu’historienne, elle est spécialiste de la spoliation des Juifs et du rapport de la
population aux politiques antisémites. Elle a notamment publié Witnessing the Robbing of the Jews.
A Photographic Album (Paris, 1940-1944) (Indiana University Press, 2015) et travaille
actuellement, avec I. Backouche et E. Le Bourhis, à une grande enquête sur le logement à Paris
pendant la Shoah. En tant que sociologue du politique, elle est spécialiste de la mémoire. Ses
ouvrages les plus récents sont : Beyond Memory. Can we really learn from the Past ? avec S.
Lefranc (Palgrave, 2020) et Memory on my doorstep. Chronicles of the Bataclan
Neighborhood (Leuven University Press, 2019)
André Loez est agrégé et docteur en histoire. Spécialiste de la Grande Guerre, professeur en classes
préparatoires littéraires, il contribue au « Monde des Livres » et anime le
podcast http://parolesdhistoire.fr. Il a notamment publié 14-18, refuser la guerre. Une histoire des
mutins (Gallimard, 2010) et La Grande Guerre, carnet du centenaire (avec Nicolas Offenstadt, Albin
Michel, 2013). Il a dirigé l’ouvrage collectif Mondes en guerre, vol. III : Guerres mondiales et
impériales, 1870-1945 (Passés composés, 2020).
Antoine Prost est historien, professeur émérite à l’Université Paris-I. Ses travaux portent sur la
Grande Guerre, le syndicalisme, l’école, et l’histoire sociale de la France au XXe siècle. Il a
récemment publié Les Français de la Belle époque (Gallimard, 2019).
Notes
1. Dans ce qui suit, et comme nous l’avions déjà précisé lors de notre première réponse, nous
emploierons le « elles » de majorité pour les décrire, même si, nous le savons pertinemment,

« l’une » d’entre elles est un homme [ ]

2. « Heroes and Villains », p. 3 : « We next show that individuals in municipalities that served
under Pétain at Verdun were around 7-10% more likely to support Pétain’s authoritarian regime and

participate in collaborationist organizations » [ ]

3. Ibid., p. 5 [ ]

4. « Vive l’éco-histoire », p. 2 ; la pagination renvoie au document pdf imprimable sur le site

d’AOC [ ]

5. Ibid., p. 3 [ ]

6. Ibid., p. 3 [ ]

7. Voir les débats autour de la causalité dans les travaux d’économétrie présentés par Sacha
Bourgeois-Gironde et Éric Monnet. « Expériences naturelles et causalité en histoire économique.
Quels rapports à la théorie et à la temporalité ? », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 72/4, 2017,

p. 1087-1116 [ ]

8. « Vive l’éco-histoire », p. 3 [ ]

9. Les auteures écrivent que ce fichier a été « récemment déclassifié » (« Vive l’éco-histoire »,
p. 4) : c’est inexact tant pour le vocabulaire que pour le fond, puisque ce document n’a jamais été «
classifié », ayant été conservé et transmis depuis la guerre à des personnes privées, dont l’auteur
Dominique Lormier qui l’a publié sous forme de « coup éditorial », sous le titre racoleur et
inexact Les 100.000 collabos : le fichier interdit de la collaboration (Paris, Le cherche midi, 2017),

aux antipodes d’un travail rigoureux d’édition de sources [ ]

10. Ain, Ardèche, Aude, Aveyron, Charente-Maritime, Corse, Côte-d’Or, Gard, Gironde,
Hérault, Landes, Loiret, Lot, Lot-et-Garonne, Lozère, Manche, Oise, Pyrénées-Atlantiques, Hautes-
Pyrénées, Pyrénées-Orientales, Saône-et-Loire, Deux-Sèvres, Somme, Tarn, Tarn-et-Garonne,

Vaucluse, Vendée, Yonne [ ]

11. « Heroes and villains », p. 12 [ ]

12. Nous avions pris dans notre réponse l’exemple du 151e régiment d’infanterie, qu’elles
avaient explicitement écarté de leur étude : on peut à la fois en prendre acte, et indiquer que les
mécanismes de son brassage territorial sont identiques à ceux de l’ensemble de l’armée, et qu’elles

semblent méconnaitre [ ]

13. Calculs effectués à partir de la base « Morts pour la France » du site « Mémoire des

hommes » [ ]

14. Carte établie d’après la base « Morts pour la France » ; nombre de morts par départements

rapporté à leur population au recensement de 1911 [ ]

15. Cf. Stephen T. Ziliak and Deirdre N. McCloskey, The Cult of Statistical Significance: How
the Standard Error Costs Us Jobs, Justice, and Lives, Ann Arbor (Mich.), University of Michigan

Press, 2008 [ ]

16. « Heroes and Villains », p. 26 [ ]


17. « Pétain’s network of heroes, who followed their leader and swayed others around them

», ibid., p. 34 [ ]

18. « Vive l’éco-histoire », p. 1 [ ]

19. Ibid., p. 5 [ ]

20. « Heroes and Villains », p. 23 [ ]

21. Ibid., p. 24 ; un passage d’ailleurs contredit dans le même document par l’annexe B1 qui

évoque les chiffres établis par Philippe Burrin [ ]

22. Dominique Lormier, op. cit., p. 253 [ ]

23. « Heroes and Villains », p. 32 [ ]

24. Henry Rousso, « L’épuration en France » in Vichy. L’événement, la mémoire, l’histoire,


Paris, Gallimard, 2001 ; François Rouquet et Fabrice Virgili, Les Françaises, les Français et
l’épuration. De 1940 à nos jours, Paris, Gallimard, 2018 ; Marc Bergère, L’épuration en France,

Paris, PUF, 2018 [ ]

Vous aimerez peut-être aussi