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(a) une continuité «de Luther à Hitler» (pour prendre le titre d'un ouvrage américain de
1941), c'est-à-dire une configuration bien particulière de la psyché collective allemande
ou encore un destin particulier de ce peuple (que rendait bien le mot Sonderweg), le
nazisme apparaissant dans ce cas comme la résurgence exacerbée de tendances
autoritaires qui s’étaient manifestées à d’autres reprises dans le passé ?
(b) une «crise européenne générale » consécutive à la révolution française, qui avait
marqué l'irruption des masses sur la scène politique, et à la révolution industrielle, qui
correspond ait à la montée en puissance de la technique, faisant alors de l’expérience
allemande un exemplaire parmi d’autres des formes d’autoritarisme, de fascisme et
éventuellement de totalitarisme que connut le monde et particulièrement l’Europe au 20e
siècle ?
ou encore (c) le fait imprévisible de la présence de Hitler, individu «démoniaque », qui sut
cristalliser et mettre en oeuvre une série de tendances qui, sans lui, n'auraient pas mené à
la catastrophe que l'on sait et, par conséquent, devant une expérience politique unique en
son genre ?
tendances générales qui ont pourtant conduit à tout autre chose ailleurs. Ainsi, on verra bien des
historiens, à la différence des philosophes et des politologues, refuser la pertinence d’un concept
comme celui de totalitarisme au nom de la singularité du nazisme. (Ce qui ne remet pas en cause
l’utilité d’un travail comparatif : mais la comparaison est éclairante dans la mesure où elle met au
jour les ressemblances et les différences.)
Notre traitement de l’expérience nazie sera, comme celle de l’Italie, divisée en deux
grandes parties. Cette semaine, je présenterai un exposé sommair e de l’his toire allemande de
1848 à 1945, suivi d’une présentation des courants idéologiques qu’on peut identifier comme
étant aux sources du mouvement national- socialiste et de l’idéologie ou la conception du monde
hitlérienne proprement dite. La semaine prochaine, nous examinerons d’abord la controverse qui
a agité le milieu des historiens allemands dans la seconde moitié des années 1980 (appelée
l’Historikerstreit), puis le mouvement passablement ahurissant que l’on désigne aujourd’hui sous
le terme de «négationnisme», c’est-à-dire ceux qui nient la réalité du génocide des Juifs par les
nazis.
La révolution française de février 1848 fut suivie d'une série de révolutions en Europe. Le
mouvement de la Jeune Allemagne (rappelons - nous la Jeune Italie - il y eut aussi une Jeune
Belgique, une Jeune Irlande, une Jeune Europe - avec sections française, polonaise et italienne)
existe depuis le début des années 1840; c'est un mouvement libéral favorable au suffrage
universel. L'Allemagne est au lendemain des guerres napoléoniennes une confédération de petits
États, dont l'un seul, la Prusse, a une taille vraiment imposante ; cette confédération est placée
sous l'autorité de l'Empire austro-hongrois. L'idée d'une véritable unité allemande est alors jugée
révolutionnaire et dangereuse par l'Autriche multinationale, et la Prusse, qui est le seul des États
allemands ayant un fort intérêt et disposant des capacités de réaliser cette unité, n'est pas du tout
favorable aux idées libérales. Par ailleurs, l'économie allemande se développe fortement u cours
des années 1820, 1830 et 1840, et, du même coup, se répand l'idée d'une unité économique des
États allemands.
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En 1847, le nouveau roi de Prusse, Frédéric -Guillaume IV, apparaît plus favorable aux
idées libérales et il convoque un parlement chargé de rédiger une constitution (l’idée d’une
constitution écrite – comme en France et aux États-Unis – a alors un caractère libéral, voire
révolutionnaire, puisqu’elle implique une limitation des pouvoirs du monarque). L'entreprise
échoue toutefois devant l'incompatibilité des positions défendues par les libéraux radicaux et de
celles des partisans de la monarchie de droit divin, qui demeurent nombreux. Un soulèvement se
produit à Berlin en mars 1848 : le roi, déterminé à sauver sa couronne, promet «au peuple
prussien et au peuple allemand» une constitution ainsi qu’ une Assemblée élue au suffrage
universel. Des mouvements similaires se produisent dans le reste de l'Allemagne. En mai 1848,
un parlement national élu au suffrage universel se réunit à Francfort et proclame son intention de
réaliser l'unité allemande (en pratique, le passage d'une Confédération d'États à un État fédéral).
Le Parlement est toutefois rapidement paralysé entre les partisans de la «petite Allemagne» (i.e.
une Allemagne sans l'Autriche et sous la direction de la Prusse) et ceux de la «grande
Allemagne » (i.e. une Allemagne incluant l'Autriche et placée sous la direction de la monarchie
des Habsbourg). Mais le roi de Prusse refuse finalement la couronne qui lui est offerte: il préfère
être le monarque absolu de la seule Prusse plutôt que le monarque cons titutionnel de la petite
Allemagne. Le s éléments radicaux du Parlement tentent alors un soulèvement armé, mais celui-ci
est écrasé et les libéraux sont éliminés pour de bon comme force politique importante.
Les décennies 1850 et 1860 sont marquées par la montée en puissance économique de la
Prusse et une série de manœuvres diplomatiques de celle-ci pour réaliser l'unité allemande. Le
personnage-clé de cette période est Bismarck, le «chancelier de fer» : il développe l'armée et la
bureaucratie prussiennes, rallie les petits États allemands en combinant pressions économiques et
militaires et tient tête aux revendications libérales. En 1866, on l’a vu, éclate une guerre entre la
Prusse et l’Autriche (dont l’une des conséquences est l’intégration de Venise et de sa région à
l’Italie nouvellement créée). Finalement, la guerre franco-prussienne de 1870-71 scelle l'unité
allemande. En 1871, Guillaume 1 er est proclamé empereur de l’Allemagne.
parti social-démocrate, libéré des lois anti-socialistes, continue d'attirer les ouvriers: avec 4
millions de votes en 1912, il devient le premier parti d'Allemagne. Mais le parti est de moins en
moins révolutionnaire et de mieux en mieux intégré à la société allemande (le sociologue G. Roth
parle à ce propos d'«intégration négative»).
Bismarck doit se retirer en 1890, suite à l'arrivée du nouvel empereur, Guillaume II. La
politique extérieure de l'Allemagne, jusqu’alors marquée par une très grande prudence, devient
beaucoup plus aventureuse, tournée vers la conquête de colonies. Une Ligue pangermaniste est
créée et divers groupes racistes proclament le droit des peuples porteurs de culture à coloniser les
peuples inférieurs. L'éclatement de la Première guerre mondiale, pour laquelle les responsabilités
sont partagées, voit «l'union sacrée» entre tous les partis : un seul député socialiste, Karl
Liebknecht, fils du co- fondateur du parti, vote contre l'octroi des crédits militaires. Toutefois, à
partir de 1916, le mécontentement devant la stabilisation du front donne lieu à des divisions au
sein du parti social-démocrate et à manifestations pacifistes, organisées par des opposants
socialistes de gauche, appelés les spartakistes. Le haut commandement militaire prend de plus en
plus la direction du pays, mais une vague de grèves rend la situation précaire. Dès septembre
1918, les militaires reconnaissent la nécessité de mettre fin à la guerre, mais tergiversent. En
novembre 1918, une révolte de marins donne le signal à un mouvement révolutionnaire, sur le
modèle russe.
Le Traité de Versailles, qui détermine les réparations que doit payer l'Allemagne, est
accepté par les politiciens au pouvoir (ils n’ont guère le choix), ce qui les discrédite, eux- mêmes
et la République, aux yeux des nationalistes. L'Allemagne est morcelée, en partie démilitarisée,
humiliée et plongée dans la crise économique. Elle connaît une succession de tentatives de coups
d'État venant de l'extrême-droite comme de l'extrême-gauche. Ainsi, en Bavière, la révolution se
poursuit, avec un gouvernement constitué de sociaux-démocrates de diverses tendances et dirigé
par Kurt Eisner, qui se maintenait au pouvoir malgré le reflux de la révolution. Lors des élections
de janvier 1919, la droite l’avait en effet emporté massiv ement. Lorsqu’Eisner est assassiné, le s
conseils ouvriers et paysans qui avaient surgi à la fin de la guerre tentent alors de se constituer en
gouvernement ; la République de Bavière est proclamée en avril, les communistes s’y rallient et
créent une milice, mais les corps francs écrasent la République en quelques semaines. Dans la
région de la Ruhr, la répression fait au moins 3000 morts. Le terrorisme, surtout d’extrême-
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droite, sévit : il y a de très nombreux attentats politiques, dont celui contre Walter Rathenau,
ministre des Affaires étrangères, d’origine juive.
En 1923, l'Allemagne connaît une inflation terrible, qui semble due à la volonté des
industriels de se libérer de leurs dettes et de relancer les exportations. Le mark est dévalué, mais,
très rapidement, se développe une spirale descendante : alors qu’en 1914, le dollar américain
s’échangeait contre 4,2 marks, il se met à perdre sa valeur d’une manière spectaculaire, ce qui
ruine les épargnants et tous ceux qui vivent d’un revenu fixe, tandis que se constituent des
fortunes colossales chez ceux qui achètent à vil prix les biens et bâtiments dont la valeur a chuté.
Le tableau suivant illustre la chute du mark par rapport au dollar américain :
Les années 1924 à 1929 marquent en effet une pause: la prospérité économique revient,
l'Allemagne réintègre le jeu diplomatique, les réparations sont étalées sur 59 ans et la France
évacue la Ruhr, l’économie est dopée par les investissements américains. Dans ces circonstances,
les mouvements nationalistes extrémistes voient leurs appuis fondre. Mais la crise économique de
1929 frappe l'Allemagne de plein fouet, étant donné que son économie dépend largement de
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l’aide américaine: en deux ans, le nombre de chômeurs passe de 2 à 6 millions. L'Allemagne est
polarisée entre, d’une part, les nationalistes favorables à la révision du Traité de Versailles,
xénophobes et antisémites, dont le Parti national-socialiste des travailleurs d'Allemagne
représente la troupe de choc et, d’autre part, les communistes. Tous les partis majeurs disposent
alors de formations paramilitaires et les affrontements violents pour le contrôle de zones sont
monnaie courante. Aux élections de 1930, le parti nazi obtient 18,3% des voix (contre 11,8 au
Zentrum, 24,5% au SPD et 13,1 au KPD) et le nombre de ses députés passe de 12 à 107. Au
premier tour des élections présidentielles de 1932, le président Hindenburg obtient 49,6% contre
30,1% à Hitler et 13,2% à Ernst Thaelmann, chef des communistes ; au second tour, Hindenburg
est réélu avec 19 millions de voix (53%) contre 13 millions à Hitler (38%) et 4 millions à
Thaelmann (10%). De nouvelles élections en juillet 1932 donne ront 37,3% des voix et 230
députés aux nazis (contre 12,5% au Zentrum, 21,6% au SPD et 14,3% au KPD), qui forment le
premier parti d'Allemagne.
L’impasse est complète, car aucun parti n’est arrivé à se dégager suffisamment nettement
ou à pouvoir établir une coalition stable. De nouvelles élections ont lieu en novembre, qui
marquent un recul des nazis (33,1%) et une progression des communistes (16,9%), les deux partis
les plus farouchement hostiles au régime constitutionnel de Weimar, qui réunissent, comme on le
voit, la moitié des suffrages. Une partie du haut commandement militaire est opposée à Hitler et
diverses combinaisons sont tentées pour éviter de lui confier le gouvernement. Mais tout cela
échoue et la tension est forte, le début de l’année étant marqué par une grève des transports
publics à Berlin, organisée conjointement par les nazis et les communistes, contre la direction
social-démocrate. À la suite d’une série d’intrigues de palais, Hindenburg décide de nommer
Hitler chancelier le 30 janvier 1933. On peut donc dire que l’arrivée au pouvoir de Hitler était à la
lettre constitutionnelle (même si de larges pans de la constitution ne s’appliquaient plus depuis
1930, en raison de l’état d’exception), mais il est exagéré de dire qu’il fut porté au pouvoir par le
suffrage des électeurs, les élections de novembre 1932 n’ayant accordé à son parti que 33% des
voix.
Le tableau de la page suivante (construit à partir des données apparaissant sur le site
http://www.gonschior.de/weimar/index.htm) retrace, sur une période de près de quinze ans,
l’évolution (en %) des appuis aux principaux partis depuis les élections législatives de 1919
jusqu’à celles de mars 1933 :
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19 20/22 24 I 24 II 28 30 32 I 32 II 33
Participation 83,02 79,18 77,42 78,76 75,60 81,95 84,06 80,58 88,74
NSDAP . . 2,63 18,33 37,36 33,09 43,91
6,55 3,00b
DVFP . . 0,87 . . . .
Landvolk . . . . 1,89 3,17 0,25 0,30 .
WP . . 1,71 2,29 4,54 3,95 0,40 0,31 .
BBB 0,91 0,78 0,64 1,03 1,56 0,97 0,37 0,42 0,29
DNVP 10,27 15,07 19,45 20,49 14,25 7,03 5,93 8,66 7,97
CSVd . . . . 0,20 2,49 1,10 1,48 0,98
DVP 4,43 13,90 9,20 10,07 8,71 4,75 1,18 1,86 1,10
DDP 18,56 8,28 5,65 6,34 4,90 3,78 1,01 0,95 0,85
BVP 4,39 3,23 3,74 3,07 3,03 3,26 3,09 2,73
19,67
Zentrum 13,64 13,37 13,60 12,07 11,81 12,44 11,93 11,25
SPD 37,86 21,92 20,52 26,02 29,76 24,53 21,58 20,44 18,25
USPD 7,62 17,63 0,80 0,33 0,07 0,03 . . .
KPD . 2,09 12,61 8,94 10,62 13,13 14,56 16,86 12,32
Autres 0,68 2,30 6,25 4,15 4,86 3,02 0,56 0,61 0,35
sont épurées; les livres jugés séditieux sont brûlés sur la place publique; les syndicats sont dissous
et remplacés par le Front du travail; au cours de l'été, les autres partis sont dissous; on lance un
boycott des commerces juifs; on ouvre les premiers camps de concentration et on crée la police
secrète d'État. En juillet, Hitler signe un concordat avec le pape Pie XI.
En 1934, les S.A., force paramilitaire du parti, sont devenus incontrôlables et leurs chefs
réclament la poursuite de la révolution. Cela signifie notamment faire de la S.A. le cœur du
dispositif militaire allemand, ce à quoi s’opposent les chefs de l’armée. Les S.A. regroupent alors
environ 2, 500, 000 hommes alors que l’armée, dont le recrutement est limité par le Traité de
Versailles, n’en compte que 100, 000. Toutefois, l’armée a un caractère professionnel et est bien
équipée. Hitler sait qu’il a besoin du concours de l’armée et qu’un coup d’État ou une guerre
civile emporteraient ses chances de continuer à gouverner. Il s'assure l’appui de l’armée en
mettant au pas les S.A. au cour s de la «nuit des longs couteaux» qui voit l'exécution de 171
cadres S.A. par la garde du corps personnelle de Hitler, la S.S.; par la même occasion, Hitler
élimine d’autres adversaires politiques, dont l’ancien chancelier von Schleicher, qui s’était
opposé à sa venue au pouvoir et constituait un possible point de ralliement d’une opposition
militaire. Les länder sont abolis et l'Allemagne devient un État centralisé, dominé par le parti
nazi et le complexe policier dirigé par Himmler. À la mort de Hindenbur g, en 1934, Hitler
cumule les fonctions de chancelier et de président et se proclame Führer, une désignation non
prévue à la constitution de Weimar. L'armée accepte de prêter un serment personnel à Hitler. Un
plébiscite organisé en août 1934 et destiné à ratifier les actions entreprises depuis janvier 1933
donne à Hitler 84,6% des voix : cela signifie tout de même qu’en dépit du climat de répression,
pas moins de 5 millions d’Allemands ont signifié leur opposition. Un vaste programme d'autarcie
économique et d’armement amène un relèvement économique du pays, si bien que le chômage
est à toutes fins pratiques résorbé en 1938. Cette période est marquée par une recrudescence de
l'antisémitisme: lois de Nuremberg sur la pureté raciale (1935), blocage de l'émigra tion,
aryanisation des biens, nuit de cristal (1938) et autres pogroms.
Sur le plan de la politique étrangère, Hitler fixe deux objectifs: le rassemblement de tous
les Allemands dans une grande Allemagne; la conquête d'un espace vital jugé nécessaire. Hitler
rétablit le service militaire, il réoccupe la Rhénanie démilitarisée, sans réaction autre que verbale
de la part de la France et de l’Angleterre. En 1936, on scelle l'axe Berlin- Rome puis le pacte anti-
Komintern avec le Japon. À partir de 1937, le réarmement allemand s'accélère. En mars 1938,
Hitler envahit l'Autriche, où il est accueilli en libérateur. En septembre, il annexe les Sudètes,
région de la Tchécoslovaquie habitée par des minorités allemandes. Les pays occidentaux plient
devant Hitler. En revanche, l'invasion de la Tchécoslovaquie en mars 1939 fait la preuve qu'on ne
peut faire confiance à Hitler. Le 24 août 1939, le monde apprend avec stupeur que l'Allemagne et
l'URSS ont signé un pacte de non-agression. Le 1er septembre, les troupes allemandes envahissent
la Pologne; les Soviétiques font de même. Le 3 septembre, la France et l'Angleterre déclarent la
guerre à l'Allemagne. Après une année de « drôle de guerre », les succès militaires de
l'Allemagne sont foudroyants: au printemps 1940, la Belgique, les Pays-Bas, puis la France
tombent. Mais l'Angleterre ne se rend pas. En juillet 1941, l'Allemagne se lance à la conquête de
l'URSS et déclare la guerre aux États-Unis : les Allemands s'emparent rapidement de la partie la
plus riche de l’URSS. Partout, l'Allemagne organise le pillage des pays occupés et se lance dans
l'extermination de la population juive.
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Mais l'armée allemande s'enlise dans l'hiver russe et les États-Unis entrent en guerre,
mettant au service des forces anti-allemandes leur puissance industrielle. Dès le printemps 1944,
il est clair que l'Allemagne a perdu la partie, mais l'extermination des juifs se poursuit.
L'Allemagne sera ravagée par les troupes alliées. Le 1er novembre 1944, Himmler donne l'ordre
de cesser les gazages et d'effacer les traces du massacre. Le 30 avril 1945, Hitler se suicide. Le 2
mai, l'Armée rouge prend Berlin. Les 7 et 9 mai, au nom de l'Allemagne, l'amiral Dönitz,
successeur désigné de Hitler, signe la capitulation sans conditions. Les principaux chefs nazis
survivants seront jugés par le tribunal de Nuremberg en 1946.
Au 17 e siècle et au début du 18 e siècle, l'Allemagne divisée est très ouverte aux influences
étrangères, surtout italienne et française. Le mouvement de l'Aufklärung, représenté par Kant et
Lessing se caractérise par son rationalisme, son cosmopolitisme et son universalisme. Lessing
déclare qu'il «ne sait pas ce qu'est l'amour de la patrie». À partir de 1750, un certain nombre
d'auteurs, dont le plus connu est Herder, se mettent à opposer l'instinct à la raison, à valoriser les
traditions populaires et les légendes du passé, à célébrer le génie propre de chaque langue, les
particularités irréductibles de chaque peup le. Sur le plan artistique, le romantisme allemand
incarne ces sentiments.
Les guerres de libération anti- napoléoniennes de 1813 à 1815 sont donc un premier
sursaut du sentiment national. Le traité de Vienne de 1815 déçoit cependant les nationalistes, car
il n'apporte ni unité allemande ni frontières élargies. Le mouvement libéral se développe alors
contre l'esprit nationaliste, qu'il qualifie ironiquement de «teutomanie». L'échec du mouvement
libéral après 1848 laisse le champ libre au mouvement nationaliste et à son programme d'unité
allemande. Mais Bismarck est plus prussien que natio naliste et il se méfie de ce mouvement trop
démocratique à son goût. Les nationalistes lui reprochent pour leur part d'être trop «petit
Allemand».
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Après le départ de Bismarck se forme la Ligue pangermaniste qui rêve d'une grande
Allemagne rassemblant tous les peuples d'origine germanique: Allemands, Autrichiens,
Hollandais, Flamands, Suisses alémaniques, Baltes. Cette grande Allemagne étendrait sa
domination sur toute l'Europe centrale, contrôlerait l'Adriatique et la Mer noire, disposant d'une
marine puissante et d'un empire colonial, faisant concurrence à l'Angleterre pour la domination
économique mondiale. À partir de la fin du siècle, les nationalistes se réclament des théories
proprement racistes et à prétention scientifique de Gobineau et de Chamberlain, ils s'enivrent de
la musique wagnérienne, donnent dans le néo-paganisme (contre l'universalisme caractéristique
du christianisme) et l'antisémitisme. Bien qu'aucun des ténors du nationalisme n'accède à des
fonctions politiques de premier plan avant la guerre, la politique aventureuse de Guillaume II
traduit l'influence des idées nationalistes.
Dans le désarroi qui suit 1918, le nationalisme renouvelle ses thèmes. Il se produit
notamment une conjonction entre idées nationalistes et une certaine conception autoritaire,
administrative du socialisme, auquel l'ère bismarckienne a préparé. Chez des auteurs comme
Oswald Spengler ou Werner Sombart, on retrouve la même idée: l'Allemagne seule, ayant gardé
contact avec les forces vitales, pourra offrir à l'Europe un rempart contre le péril communiste, une
solution de rechange à la décadence démocratique et un socialisme accordé aux valeurs suprêmes
de l'homme. Hitler saura reprendre à son compte cette propagande à laquelle se livraient les
nationalistes.
4.2. L’antisémitisme
Il y a en Allemagne, comme dans bien d'autres pays d'Europe, une longue tradition d'écrits
virulents contre les Juifs. Dans son «Histoire de l'antisémitisme», Léon Poliakov distingue deux
grandes périodes qu'il désigne comme l'âge de la foi et l'âge de la science. À la première
correspond l'antisémitisme typique du christianisme, qu'il convient de nommer plutôt anti-
judaïsme. À la seconde correspond l'antisémitisme moderne, celui qui attribue au concept de race
un fondement scientifique. L'Allemagne elle aussi a connu l'anti-judaïsme traditionnel, mais c'est
dans le dernier quart du 19e siècle que l'on peut parler de véritables campagnes antisémites.
La popularité de cet antisémitisme est confirmée par le fait qu'à partir de 1875, les grands
journaux opposés à Bismarck reprennent les thèmes antisémites régulièrement, sans que cela
paraisse étrange ou incongru. Au début des années 1880, Berlin est souvent le théâtre d'attaques
physiques contre les Juifs et leurs commerces. En 1880, on lance une pétition antisémite,
réclamant un recensement des Juifs d'Allemagne, dont on craint le nombre, et leur exclusion de la
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fonction publique et de l'enseignement. Elle recueille rapidement plus de 225 000 noms, dont
beaucoup d'étudiants, mais un seul professeur d'université.
(a) une prétention à la scientificité, qui recouvre bie n souvent une réaction au
développement de la science moderne, en ce sens que les théories racistes constituent
généralement un amalgame de notions diverses;
(b) l'invocation des lois de la nature, qui consiste bien souvent en une réaction à
l'industrialisation.
Pendant la guerre, des doutes seront régulièrement soulevé s sur le patriotisme des Juifs
allemands (on parle des «embusqués») et la loyauté des soldats et officiers juifs: un recensement
des juifs dans l'armée sera d'ailleurs organisé par l'état- major. L'importance des Juifs dans le
mouvement révolutionnaire allemand et international (Trotski, Luxemburg, Radek, Zinoviev, …)
confirmera aux yeux de l'état-major et des nationalistes allemands leurs pires fantasmes sur
l'existence d'une Internationale juive. Si bien qu'après la guerre, l'agitation antisémite n'aura
aucune difficulté à s'imposer largement. Ceci dit, on ne devrait pas perdre de vue que cette
situation n’est pas propre à l’Allemagne et qu’à la même époque, l’antisémitisme s’exprime de
manière encore plus virulente en Autriche et en France.
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a) une forme extrême de nationalisme ou de germanisme pur, véhiculé par une série de
groupes ultra-allemands ou intégristes allemands, qui se décrivent souvent à l’aide du
vocable «völk isch», dont l’idéologie va jusqu'au racisme culturel sinon biologique;
c) l'idée d'une «civilisation allemande» par opposition à la «barbarie» russe et aux fausses
valeurs de la civilisation anglo-américaine «mercantile».
Après 1918, on voit apparaître une nébuleuse de groupes et de cercles qui reformulent ces
thèmes, les nuancent et les adaptent. Parmi eux:
1) Les jeunes-conservateurs regroupés dans le Club de Juin. Moeller van den Bruck (Le
Troisième Reich [1923]) en fait partie jusqu’à son suicide en 1925. Ces jeunes-
conservateurs sont partisans d'une nouvelle «prussianité» et se font les apôtres d’une
nouvelle aristocratie pour un État vrai et une culture vraiment allemande.
3) Plusieurs ligues paramilitaires qui s'orientent vers un socialisme national, dont certains
secteurs de la S.A. (la «gauche nazie» des Otto et Gregor Strasser), «Oberland» et
«Wehrwolf».
b) L'accent mis sur la «Vie» par opposition à la «Raison», sur le développement organique
par opposition au «progrès». Ainsi, dans le développement organique de la Nation, le type
du bourgeois doit maintenant céder la place à celui du Soldat ou du Travailleur (Jünger) ;
à l'échelle mondiale, les peuples vieux doivent laisser la place aux peuples jeunes, les
nations bourgeoises aux nations prolétaires.
c) Un lien complexe au passé: il ne s'agit pas de retrouver un âge d'or révolu, comme le
pensent les romantiques et les pessimistes. Il faut se rattacher au passé, retrouver ses
racines, mais il faut aussi comprendre le présent et se tourner vers l'avenir.
Les titres et sous -titres des chapitres de l’ouvrage de Moeller Van Den Bruck (Le Troisième
Reich) illustrent bien l’univers idéologique dans lequel se situent les révolutionnaires
conservateurs :
2) Il faut un État nouveau, capable d'intégrer les classes et de structurer les masses, et de
faire émerger une nouvelle aristocratie. Cette nouvelle aristocratie ne sera pas liée à la
naissance, mais à la compétence. Une tâche importante de l'État sera de fixer le primat du
politique sur l'économique (ainsi, Schmitt considère-t- il fascisme et bolchevisme comme
également modernes pour avoir su restaurer ce primat du politique).
3) Il faut un chef moderne, du type Mussolini ou Lénine, un chef qui sache parler aux
masses et soit capable d'en finir avec le libéralisme.
4) L'État doit être autoritaire, voire totalitaire, il doit pouvoir mobiliser les masses de
façon permanente. Sa sphère d'activité première est la politique étrangère: contre le
pacifisme, la naïveté des libéraux et l'utopie d'une fusion de l'humanité.
Ce mouvement est avant tout un mouvement d'intellectuels, qui touche des cénacles
politiques, industriels ou militaires, mais il n’est en aucune façon une organisation politique. C'est
sur l'arrière-plan de ce terreau culturel qu'une organisation comme le parti nazi évolue, avec un
programme et un discours nettement plus simple, mais qui apparaît comme une traduction, certes
grossière, mais possible, de la révolution conservatrice.
5. L'idéologie hitlérienne
Comme le souligne Eberhard Jäckel dans son livre Hitler idéologue, celui-ci utilisait
volontiers le mot «idéologie», parlant d'idéologie chrétienne, d'idéologie juive, d'idéologie
marxiste. Il parle aussi de l'idéologie völkisch, qu'on peut traduire par «raciste», et d'idéologie
national-socialiste. On doit aussi noter que dans Mein Kampf, Hitler valorise l'idéologue, qu'il
distingue de l'homme politique et laisse entendre que lui-même réunit les deux dans sa personne.
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Selon Jäckel, l'axe central de l'idéologie hitlérienne est le racisme biologique. Ce racisme
biologique s'exprime d'abord contre les Juifs (antisémitisme) puis contre les Slaves (slavophobie).
C'est un racisme matérialiste: il fait de l'Histoire une histoire de la lutte des races, celles-ci étant
biologiquement, et non culturellement, déterminées. Ainsi, le fait majeur de l'histoire européenne
moderne n'est pas, comme le croient les révolutionnaires conservateurs, la lutte entre l'héritage
des Lumières et la contre-révolution, c'est, selon Hitler, celle entre la race juive et la race
aryenne.
Chez Hitler, toutefois, l'élément antisémite apparaît plus déterminant que l'élément pro-
aryen. Ainsi, l'idée «d'éliminer» les Juifs apparaît très tôt et de façon régulière chez lui. Dans une
lettre de 1919, il oppose l'antisémitisme sentimental, qui culmine dans les pogroms, à
l'antisémitisme de la raison qui doit donner lieu à une lutte méthodique et légale pour
l'élimination des privilèges juifs et des Juifs eux- mêmes. En 1920, Hitler fait un long discours de
deux heures sur le thème «Pourquoi nous sommes contre les Juifs». Il leur reproche tout autant
d'être responsables du marxisme, de l'inflation, de la traite des blanches, du matérialisme, etc.
Pour lui, la révolution de 1918 est juive, la République de Weimar est juive, le marxisme et la
sanglante dictature soviétique sont juifs, le capitalisme et la Bourse sont juifs, tous les partis de
gauche sont juifs, la démocratie est juive, le Parlement est juif, la SDN est juive. En 1921, il
recommande d'enfermer les Juifs dans des camps de concentration.
Dans Mein Kampf, tous ces éléments sont développés. D'abord, le lien entre «Juif» et
«international» est constamment affirmé. De plus, une théorie biologiq ue des races est présentée.
Enfin, Hitler y définit l'État comme un instrument de la politique raciste. Les Juifs ne menacent
plus seulement l'Allemagne, ils veulent établir une dictature mondiale. Dans ce livre, le ton, si
c'est possible, se radicalise, el s méthodes de lutte antisémite proposées sont plus brutales. En
1924, il déclare avoir été trop doux jusqu'ici. Il dira que c'est une question de vie ou de mort, car
Juda est une peste universelle. À la formule de l'élimination des Juifs s'ajoute celles de leur
anéantissement, de leur extirpation, de leur liquidation physique.
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Les images utilisées pour décrire les Juifs sont explicites et empruntées au vocabulaire de
la parasitologie: ver dans un corps pourrissant, pestilence pire que la peste, porteurs de bacilles,
araignées qui sucent le sang du peuple, rats, parasites, sangsues, vampires. À la fin de Mein
Kampf, il y a un passage où Hitler déclare que si, pendant la guerre, on avait gazé quelques
milliers de Juifs, on aurait pu sauver quelques millions de personnes.
L'autre thème majeur de l'idéologie hitlérienne est celui de la politique étrangère. Ici
encore, la question se pose de savoir si l'on est devant un opportuniste habile ou un fin stratège.
Par exemple, la question de l'alliance avec l'Italie, et le conséquent renoncement au Sud-Tyrol
(Hitler parle avec mépris des bavardages sur le Sud-Tyrol), si critiqué par le national- bolchévik
Niekisch, est une constante de la stratégie hitlérienne. L'attitude à l'égard de l'Angleterre, dont on
essaie de jouer sur les rivalités avec la France, apparaît également comme un calcul fin. Dans
cette perspective, l'idée d'espace vital (Lebensraum), de conquête de territoires à l'est apparaît
fondée sur un calcul de forces et s'accorde bien avec celui- ci. Cette conquête de l'espace vital est
selon lui nécessaire au développement du peuple allemand et traduit du même coup sa
supériorité: le conquérant mérite ce qu'il obtient, sa victoire en est la preuve. Il y a donc un lien
très net entre le racisme biologique d'une part et la politique de conquête de l'autre, lien qui s'est
concrétisée dans la poursuite simultanée de la guerre à l'est, qui avait elle-même un caractère
«exterminationniste», et du génocide, en dépit du poids que cela faisait peser sur l'effort de guerre
allemand contre les Alliés.
L'importance du racisme et de la conquête des territoires à l'Est montre par ailleurs que les
discussions sur le socialisme hitlérien (ou le nazisme comme révolution sociale) ont une portée
limitée. Certes, il y eut, dans l'Allemagne des années 20 et 30, des courants favorables à une
troisième voie de type fasciste, des courants assez proches idéologiquement de certaines
tendances du fascisme italien et de celles étudiées par Sternhell dans Ni droite ni gauche. On les
trouve par exemple chez Niekisch, chez les frères Strasser, tous des personnages qui seront
rapidement marginalisés dès 1933-34. Ceci non pas pour dire que Hitler ne fut que l'instrument
du capital (ou trop «romain», trop «occidental»), mais parce que le dynamisme propre à
l'hitlérisme et au national-socialisme tient largement au racisme biologique qui canalise toutes les
énergies d'une part vers la purification intérieure puis vers la conquête de territoires nouveaux. La
questio n du régime économique n'est pas centrale: il faut un régime qui permette les buts
d'assainissement biologique et de conquête.